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    LA NOTION DE CONSTITUTION CHEZ ARISTOTE

    Jean-Charles JobartP.U.F. | Revue franaise de droit constitutionnel

    2006/1 - n65

    pages 97 143

    ISSN 1151-2385

    Article disponible en ligne l'adresse:

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    http://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2006-1-page-97.htm

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    Pour citer cet article :

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    Jobart Jean-Charles, La notion de Constitution chez Aristote ,

    Revue franaise de droit constitutionnel, 2006/1 n65, p. 97-143. DOI : 10.3917/rfdc.065.0097

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    La notion de Constitution chez Aristote

    JEAN-CHARLES JOBART

    RevuefranaisedeDroit constitutionnel, 65, 2006

    Jean-Charles Jobart, ATER en droit public lUniversit des sciences sociales de Tou-louseI (IDETCOM-IEID). Cet article est la version crite dune prsentation orale faite lors desVeJournes de lAssociation franaise des constitutionnalistes tenues Toulouse en juin 2002.

    1. Mais quai-je faire des Grecs? Je ne sais comment cela se fait, mais jprouve plusde plaisir aux choses qui sont ntres Cicron, De ladivination, trad. Charles Appuhn,Stuttgart, BG Teuben, 1965. Amusante citation illustrant le complexe romain vis--vis dela Grce: la pense de Cicron est pour une large partie hritire de la philosophie grecquemais il tente de le nier. A linverse, ne nions pas nous-mmes ce que nous devons laGrce Sur notre parent de pense avec la Grce antique: M. Dtienne, Les Grecs etnous: uneanthropologiecomparedelaGrceancienne, Perrin, 2005.

    2. M. Troper, Le problme de linterprtation et la thorie de la supralgalit constitu-tionnelle, in Recueil dtudes en hommageCharles Eisenmann, Cujas, 1975, p. 133-151.

    Sed quid ego Graecorum? Nescio quo modome magis nostra delectant.

    Cicron, Dedivinatione, I1.

    La vritable dcouverte en droit est chose rare. Il est bien difficile ensciences sociales de trouver une thorie qui na pas eu de prcdents his-toriques, parfois oublis. Ainsi en est-il de la conceptualisation de laConstitution qui a fortement volu dans la seconde moiti du XXe si-cle : la normativisation dun acte jusque l considr comme de naturepolitique a ouvert de nouvelles perspectives la pense juridique. Pourautant, il ne faut pas voir l une dcouverte pure mais bien plutt uneredcouverte. Bien avant le mythe de la souverainet rpublicaine de laloi en France qui entrana selon Michel Troper une lgalit supracons-titutionnelle 2, rduisant la Constitution un simple pacte social etpolitique; bien avant linvention en 1573 par Thodore de Bze duconcept de loy fondamentaledu Royaume que ne peuvent enfreindre lesgouvernants, une thorie dj presque complte de la Constitution exis-tait : celle dAristote.

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    La pense du Stagirite frappe par sa modernit. Ses apports sontinnombrables et bien des thories actuelles pourraient se revendiquer delui. La mtaphysique dAristote, fondement de son thique et de sa poli-tique, forme le fondement des systmes actuels des valeurs morales :tantt on sen rfre sciemment la forme originelle, tantt on enretrouve lessence dans les dogmes de la thologie chrtienne3. AinsiAristote fait-il une vritable analyse de la Constitution au travers duconcept de politeia, dsignant le rgime politique li lethosde la Cit,mais sans lui ter une dimension polmique typique des dbats dideschez les anciens Grecs. En effet, despoliteiai idales se sont multiplieschez les thoriciens grecs: les modrs ou conservateurs, tel Platon, ontpour but de diminuer la licence populaire; dautres au contraire, telDmosthne, veulent lutter contre la tyrannie et lautorit personnelle.Mais au-del de cette dimension strictement politique et polmique,Aristote fait de la Constitution plus quun enjeu : un vritable concept.

    Mais ne nous trompons pas ici : si la pense dAristote peut tonnerpar sa modernit, on ne saurait apprcier sa valeur sur de pures consid-

    rations historiques. Lhistoricisme et le relativisme appliqus la philo-sophie aristotlicienne seraient une aberration : une thorie doit treconsidre dans ce quelle est et non dans ce quelle aurait d engendrer.Les rcuprations circonstancies de la pense aristotlicienne ont mon-tr tous leurs dangers : Fnlon faisait du Stagirite un partisan del tat monarchique alors que le citoyen Champagne en lan V yvoyait un notable centriste, partisan dune rpublique censitaire. Mieux vaut se rendre lvidence du pnible destin de la philosophiepolitique dAristote : si elle na jamais t inconnue, elle a pourtantlongtemps t mconnue, avant dtre, partir du XIIe sicle, dformeen mme temps quelle tait re-connue 4. La philosophie aristotli-cienne devait dailleurs exercer une influence considrable sur la pen-se politique europenne aprs leXIIIe sicle, mais pas auparavant 5.

    La comparaison avec nos thories juridiques contemporaines peutcependant permettre de mieux comprendre les fondements et les spcifi-cits de notre modle juridique qui ne saurait prtendre luniversalit6.Il nous faut donc partir du point de vue du Stagirite, de la faon dont leGrec pensait le monde son poque, de lexprience et du cheminement

    3. H. Kelsen, La politique grco-macdonienne et la politique dAristote , APD,1934, p. 25.

    4. P. Pellegrin, article Aristote, in Ph. Raynaud et S. Rials (dir.), DictionnairedePhi-losophiepolitique,PUF, 1996, p. 29.

    5. J . Procop, Thories politiques grecques et romaines, in J. H. Burns (dir.), Histoiredelapensepolitiquemdivale,PUF, coll. Lviathan, 1993, p. 23.

    6. Sur lintrt du comparatisme diachronique et synchronique en droit, voir P. Braun, Anthropologie juridique et droit venir , in Droits en devenir, Pulim, 1998, p. 136 et s. ;sur lintrt de lanalyse historique : J . Gaudemet, Sociologiehistoriquedu droit, PUF, coll.Doctrine juridique, 2000, p. 11 76.

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    intellectuel dAristote, avec tout ce que cela peut contenir dincertitudespour les historiens7.

    Fils de mdecin n Stagire, Aristote quitta sa Macdoine dix-septans pour tudier lAcadmie de Platon o il enseigna. Aprs vingtannes, il quitta Athnes pour Assos en Troade puis Mitylne de Lesbos.Moins de cinq ans aprs, il tait appel Pella par Philippe de Macdoineafin dduquer son fils Alexandre g de treize ans. Huit ans passent et cedernier succde son pre. Aristote retourne alors Athnes fonder leLyce qui concurrence lAcadmie dirige par Xnocrate. Mais avec lamort dAlexandre une dizaine dannes plus tard, Aristote le mtque,protg du rgent macdonien Antipater, est en danger dans une cit sou-leve contre le joug tranger. Cest alors la fuite Chalcis dans lle dEu-be et sa mort de maladie, un an aprs, soixante-deux ans8.

    De ce long et lacunaire parcours doivent tre retenues deux ides :Aristote tait tranger Athnes et tranger son temps. Dans la capi-tale de lAttique, il nest quun mtque, brillant certes, mais qui nepeut tre parfaitement assimil. De l peut-tre est venue chez Aristote

    la capacit un jugement critique sur lenseignement platonicien. Dola boutade de Platon: Aristote a ru contre nous, comme les poulainsruent contre leur mre9. Mais l encore il ne faut pas se tromper : il nya pas opposition entre Platon et Aristote. Le Stagirite reste immanqua-blement marqu par lenseignement de son trs admir et trs aimmatre Platon. La rupture est dans le renoncement la fondamentaleontologie des Ides. En simplifiant, Platon voulait dpasser lapparencedes choses pour accder leur essence: notre sensibilit ne nous permetdaccder quau reflet des choses do la ncessit duser de lesprit et delIde. Ce nest pas l un idalisme au sens strict : il ny a pas ngationde la matire ou de sa valeur, mais seulement une interrogation sur sarelle signification; lapparence des choses ntant pas sans rapport avecleur essence. Par la discussion socratique, on part des apparences pour

    accder une vrit que lon avait en soi mais pas soi, sorte dincons-cient ramen la lumire par une cure philosophique de lesprit. Lamatire reste souvent un point de dpart quil faut savoir dpasser grce lesprit. Aussi doit-on parler d essentialisme platonicien plus quedidalisme. Aristote, lui, renonce lIde, lessence, pour ne plusconsidrer que la ralit. Le monde ne sexplique plus par lordre desessences mais par lordre du monde lui-mme. Partant de la ralit, lesthories aristotliciennes sont une rflexion directe sur le monde et nonplus indirecte, par le biais dIdes, sur lessence du monde. Ainsi peut-

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    7. L. Strauss, Quest-cequelaphilosophiepolitique?, trad. O. Seyden,PUF, coll. Lviathan,1992.

    8. Sur la vie dAristote, R. Weil, PolitiquedAristote, Paris, Collin, coll. U, 1966, p. 8 et s.9. J. Aubonnet, in Introduction satraduction dela Politique, Paris, Les Belles Lettres,

    1968, p. XLIV, n. 1.

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    on parler de ralisme aristotlicien mais pas de matrialisme: le Sta-girite ne se contente pas de la matire mais chafaude des thories en serfrant souvent des considrations mtaphysiques. Aristote commePlaton cherche un sens la ralit et se laisse guider par des considra-tions morales. Le Stagirite remplace lopposition de lide et de la ralitpar celle du monde sublunaire et de ltre divin comme valeur transcen-dante, expression suprme, inconditionne du devoir tre auquel lemonde empirique tend se conformer, immuable hors de lespace etdtach de toute matrialit qui produit ternellement le mouvementde toutes choses mobiles10. Cest de cet tre suprme, qui est le Bienun qumane tout ce qui est bon dans le monde sublunaire, cest verslui, cest vers son unit quaspire tout ce qui est bon11.

    Les classiques rejetaient la dmocratie parce quils pensaient que lafin de la vie humaine, et par consquent de la vie sociale, nest pas lalibert mais la vertu. Or celle-ci napparat normalement que grce lducation, la formation du caractre: ayant toujours dans une socitune minorit de gens prospres et une majorit de pauvres, la dmocra-

    tie ou le gouvernement de la majorit est le gouvernement des non-du-qus. Ainsi, lenqute thique est une forme de politique12. Le butchez Aristote comme chez Platon est lexcellence morale qui doit mener la vie thique. Mais la recherche de cette excellence relve de la poli-tique13 car la vertu nest pas un exercice solitaire mais qui na de sensque collectif, au sein de la Cit, et sacquiert par lexprience et lduca-tion qui repose sur les lois de la Cit et leur force. La politique a doncun fondement et une fin thiques14. La Cit elle-mme repose sur desbases thiques: la justice et lamiti qui doit rgner entre les citoyens15.

    La diffrence entre les deux philosophes ne pouvait donc tre gigan-tesque: linfluence du matre sur llve et une vision grecque du mondesont une base commune16. Leur but commun tait de conduire lescitoyens bien dous, ou plutt leurs fils bien dous, de la vie politique

    la vie philosophique. Le philosophe part donc de la comprhension deschoses politiques qui est naturelle la vie pr-philosophique pour finirpar sinterroger sur la vertu. La philosophie politique atteint alors seslimites en tant que discipline pratique: le but nest plus de guider lac-

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    10. Aristote, Mtaphysique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1991, IV, 1012 b.11. H. Kelsen, art. cit., p. 32.12. Aristote, thiqueNicomaque, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1990, I, 1, 1096 b 10.13. Ibid., 13, 1102 a 12.14. Cest pour cela que la notion mme de citoyen se rfre lthique et exclut ceux qui

    ne peuvent accder lexcellence: les femmes, artisans, commerants (in Aristote, La Poli-tique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, III, 5) et les esclaves (I, 6). Sur la dfinition ducitoyen, voir note n 95 et 56.

    15. J .-J. Chevallier, Histoiredelapensepolitique, Paris, Payot & Rivages, 1993, p. 85-88.16. Sur les oppositions et accords entre Aristote et Platon, M. Prelot et G. Lescuyer, His-

    toiredes ides politiques, Dalloz, Prcis, 13e d., 1997, p. 71-72.

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    tion mais simplement de comprendre les choses telles quelles sont17. Ladiffrence peut donc aujourdhui nous paratre importante (explicationde la ralit par un ordre du monde ou des essences), mais dans lAthnesde lpoque, elle tait minime et Platon lui-mme ntait pas avaredanalyses concrtes. De plus, le ralisme aristotlicien porte en lui lexi-gence dune conformit lobservation du monde, tape premire de sesthories. Aussi le Stagirite exprime-t-il une pense didactique quiavance en ttonnant, avec mille prcautions et souci du dtail. Si la pr-cision et le dtail taient trs prsents chez Platon, lessentialisme luipermet de tirer des thories plus gnrales et plus absolues que les tho-ries aristotliciennes, toujours nuances et prudentes.

    Mais si Aristote ntait pas un Athnien, il ntait pas non plus unGrec du IVe sicle, du moins en apparence. Le Stagirite ne pense lasocit politique que par la Cit alors que se btit sous ses yeux lempiremacdonien. Certes, lintrieur des nouveaux tats, les cits continue-ront une existence partiellement autonome, mais la polis, en se munici-palisant, subit une politisation qui, en fait, la dnature18. Pourtant, il ne

    faut pas rester sur cette premire impression. Lnergie triomphante de lamonarchie nordique prtend slever au-dessus de la dmocratie et Aris-tote, sujet macdonien, proche de Philippe, percepteur dAlexandre, nesaurait ignorer cette situation. La PolitiquedAristote reflte cet tat defait et mme le justifie en vantant le pouvoir monarchique tout enconcdant aux cits le pouvoir dmocratique de grer leurs affaires int-rieures. La thorie aristotlicienne de ltat comporte donc un arrire-plan politique19. Quant leurs constitutions, les cits demeuraientintactes dans la mesure o elles se rapportaient au gouvernement int-rieur de la Cit. La monarchie ne se superposait elles que pour exercerles comptences militaires et diplomatiques, comme lillustre le trait depaix conclu par Philippe avec les cits grecques Corinthe en 338 avantJ.-C. et renouvel par Alexandre deux ans aprs. Le roi de Macdoine

    tait le stratge autocrate de la Ligue de Corinthe et dirigeait avec despouvoirs illimits toute la politique extrieure. Les cits, reprsentesdans une Assemble gnrale, se contentaient de fournir soldats etnavires. Le Lyce dAristote se pronona dailleurs en faveur du pro-gramme macdonien.

    LAntiquit passe, Aristote ne sera redcouvert en Occident quauXIIe sicle par le Toldan Dominique Gundissalinus qui en avait trouvla mention dans al-Frb. Le fond de sa pense nest donc pas modernepour son poque: sa forme est certes nouvelle Athnes (mthode ra-

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    17. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, 1258b, 1279b et 1299a.18. Sur cette volution des cits: R. Lonis, LaCitdans lemondegrec : structures, fonction-

    nement, contradictions, Armand Colin, 2e d., 2004 et S. Price (dir.), LacitgrecquedHomreAlexandre, La Dcouverte, 1992.

    19. Cela est particulirement bien dmontr par H. Kelsen, art. cit., p. 70-79.

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    liste) mais son contenu est classique. I l tente de comprendre lordre dumonde, se fonde sur une vision morale qui trouvera son aboutissementdans sa thorie de la justice. Mais sa pense politique au travers de la citne lempche pas de concevoir la notion dtat. Sa philosophie trouve lune intemporalit et une universalit dtaches de son poque et pourcause: la philosophie politique est la premire des sciences20 ses yeux,la philosophie par excellence21, la matire observable la plus apte labstraction. Donnant comme base la polis la thorie de la commu-naut politique, il ne peut concevoir de groupements politiques troplargis. Luvre matresse de la pense politique dAristote est bien srsa Politique. Sa rdaction sest tale sur une priode prolonge, depuis lesjour Assos jusqu la fin de son enseignement au lyce. Elle est unrecueil de dissertations spares dont la chronologie est trs incertaine22.Runies aprs coup par lauteur, elles ont d subir des remaniements dedernire heure afin de confrer une unit luvre. Ce travail de rvisionet de coordination na pu tre men son terme et nest donc sans doutepas antrieur aux annes 325-323 qui ont immdiatement prcd la

    mort du philosophe. Lintention didactique de luvre et les exigencesdun enseignement qui a d stendre sur plusieurs annes accentuentson caractre de libre composition. Louvrage comporte donc toutes lesimperfections des notes de cours : notes tantt inacheves, tantt retou-ches, comportant des rptitions, des contradictions, des incohrencesou des promesses non tenues de discussions ultrieures. Il y a unegageure tenter de dgager une pense globale dune uvre compositeet parfois contradictoire dont les livres II, VII et VIII seraient desuvres de jeunesse, les trois premiers chapitres du Livres VII dun autreouvrage et le reste de la compilation une uvre de maturit23. Cest dansle cadre difficile de ce trait que doit principalement se dployer notretude sur la notion de Constitution chez Aristote.

    Selon le Stagirite, si la communaut est le fondement indispensable

    de la polis, cest le droit qui fait ltat, les deux tant indissociables pourcomposer la Cit. La Cit, cest donc la Constitution : la Constitutioncre ltat et si la Constitution change, ltat, a priori, change aussi.Ainsi aujourdhui pouvons-nous constater que les transformationsconstitutionnelles en Europe centrale et orientale visent le passagedtats socialistes des dmocraties librales : le changement de droittransforme le pouvoir et la socit. Et Aristote de mettre en garde contreles apparences : le nom ne signifie pas grand-chose et un tat peut se

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    20. Aristote, thiqueNicomaque, trad. De J. Tricot, Paris, Vrin, 1990, I, 1, p. 34;P. Aubenque, article Aristote, inEncyclopaediaUniversalis.

    21. L. Strauss, LaCitet lHomme, trad. O. Berrichon-Seyden, Paris, Plon, 1987.22. J . Tricot, Introduction p. 7-9, in Aristote, LaPolitique, trad. J. Tricot, Paris,

    Vrin, 1970.23. Voir sur ce dbat, H. Kelsen, art. cit., p. 45 48 et p. 60.

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    dire dmocratique sans ltre vritablement : la ralit avant laspect, leschoses avant les mots. Ainsi, Aristote conoit-il la Constitution commefondement dun rgime politique et fait-il du droit constitutionnel undroit avant tout politique. Dans ce sens, le Stagirite est parmi les pre-miers distinguer dans la puissance tatique trois pouvoirs lgislatif,excutif et juridictionnel dont la constitution et larticulation dtermi-nent la nature du rgime24. Mais ce dernier met encore en garde le tho-ricien: la Constitution nest pas tout et il ne faut pas sarrter son textemais au contraire, pour saisir la ralit du rgime politique, considrerlimportance de linterprtation, de la pratique, en somme de ce quePierre Avril nomme les conventions de la Constitution25. La Consti-tution nest que la base lgale dun rgime politique qui prendra relle-ment son caractre par la pratique26.

    Ce souci de ralisme est chez Aristote pouss lextrme et, anachro-nisme mis part, semble annoncer les mthodes des coles ralistes scan-dinaves et raliste-pragmatique amricaine. Une thorie ne se construitpas dans labstrait mais partir de lobservation de la diversit de la ra-

    lit : la thorie politique nest pas de la mtaphysique. Une attituderellement positiviste dans la thorie constitutionnelle consiste non rechercher la nature de ltat, de la souverainet ou de la hirarchie desnormes pour prtendre en dduire des solutions quon comparera lapratique des autorits cratrices des normes constitutionnelles, mais aucontraire partir de cette pratique en vue de chercher dcrire les thsesauxquelles se rattache effectivement le droit positif 27. Ce souci de ra-lisme est dj luvre chez Aristote. Ainsi adopte-t-il une mthodepositiviste quasi digne de Machiavel : il ne porte aucun jugement devaleur sur le pouvoir mais constate son fonctionnement, ses dfauts et lesremdes y apporter. De l se dgage une thorie gnrale du pouvoir etune classification des formes tatiques. Le Stagirite va mme jusquchercher comment sauver les tyrannies et donne des conseils au tyran

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    24. Aristote, La Politique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970 : IV, 14, p. 315 sur lepouvoir lgislatif ; IV, 15, p. 322 sur le pouvoir excutif et IV, 16, p. 333 sur le pouvoir

    judiciaire.25. Sur ce sujet P. Avril, Les conventions dela Constitution, Paris, PUF, coll. Lviathan,

    1997; Les conventions de la Constitution, cetteRevue, 14/1993; Y. Meny, Les conven-tions de la Constitution, Pouvoirs, 1989/I ; O. Beaud, Le droit constitutionnel par-delle texte constitutionnel et la jurisprudence constitutionnelle, Cahiers du Conseil Constitu-tionnel, n 6, p. 68.

    26. Par exemple, comment comprendre que les lois constitutionnelles des 24 et 25 fvrieret 16 juillet 1875 puissent tre prsidentialistes (Constitution MacMahon) puis parlemen-taristes (Constitution Grvy) si lon nintgre pas la pratique politique? De mme en sim-plifiant, la Ve Rpublique peut tre prsidentielle quand majorits prsidentielle et parle-mentaire concident ou parlementaire lors des cohabitations. Voir J .-Cl. Zarka, Fonctionprsidentielleet problmatiquemajoritprsidentielle/ majoritparlementairesous lacinquimeRpu-blique, Paris, LGDJ, 1992.

    27. M. Troper, En guise dintroduction : la thorie constitutionnelle et le droit consti-tutionnel positif , Les Cahiers du Conseil Constitutionnel, n 9, 2000, p. 93.

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    pour maintenir efficacement son pouvoir sans jamais penser au tyran-nicide. La morale de saint Thomas dAquin, grand admirateur du Philo-sophe, sera sur ce point plus exigeante.

    Mais la Constitution chez Aristote ne se limite pas la descriptiondu rgime politique. Elle nest pas tout le fait politique (il y manque lapratique du rgime) et elle est plus que le fait politique: la Constitutionaristotlicienne est dj conue comme la norme suprme, garante deltat de droit. Le Stagirite affirme la Constitution comme norme eten dduit une hirarchie des rgles juridiques dans la continuit de lapense grecque : les lois doivent obir la Constitution quant leurdiction et leur contenu. Une telle vision ne peut que frapper par samodernit mais ne doit pas faire oublier tout ce que notre regardmoderne y ajoute : il sagit moins pour Aristote dune hirarchie desnormes que dun ordre de la Cit prserver. Mais le souci ralistedAristote vient complter cette thorie : cette hirarchie nest quesuppose, il faut la garantir. Le besoin dassurer la suprmatie de laConstitution se fait alors par un contrle de conformit des lois la

    Constitution, que ce contrle soit le fait de quelques magistrats ou dupeuple vigilant tout entier. Chez Aristote se trouve donc dj en germela thorie du contrle de constitutionnalit concentr (entre les mainsdes magistrats) ou diffus (invocable par tout citoyen), mais ce contrleest moins un contrle de conformit juridique que de la comptencejuridique de ceux qui dictent la norme en cause. Comment nier encoretoute la modernit de la pense dAristote concernant la Constitution?Pourtant les constitutionnalistes ignorent les thories aristotliciennesde ltat, des rgimes, de la Constitution : rares sont les ouvrages yfaire rfrence, et non sans condescendance28. Aussi ltude de la notionaristotlicienne de la Constitution mrite-t-elle dtre entreprise.

    Aristote prsente en effet loriginalit de mler les considrationspolitiques et juridiques sur la Constitution, chaque point de vue enri-

    chissant lautre dans une dmarche raliste et positiviste. Mais il ne faitl que dcrire la pense classique grecque: il applique la diversit desrgimes de la Mditerrane orientale la notion toute grecque de loi que lon peut assimiler droit ou norme. La Constitution est alors suc-cessivement considre comme le fondement du rgime politique, et nonle rgime lui-mme comme on tend trop souvent le croire, et comme

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    28. Citons les seul ouvrages notre connaissance faire rfrence Aristote : Fr. Rou-villois, Droit constitutionnel, Flammarion, Champs Universit, 2002, t. 1, p. 47-49; E. Zol-ler, Droit constitutionnel, PUF, coll. Droit fondamental, 1999, p. 11-13. On peut cependanttrouver des allusions dans plusieurs ouvrages, : Ph. Ardant, Institutions politiques et droitconstitutionnel, LGDJ coll. Manuel, 11e d., 1999, p. 34 et 46; D. Chagnollaud, Droit consti-tutionnel contemporain, Sirey, coll. Notions essentielles, 1999, p. 17 ; V. Constantinesco etS. Pierr-Caps, Droit constitutionnel, PUF, coll. Thmis, 2004, p. 180 et 195; Dreyfus,Fr. Ardy, Les Institutions politiques et administratives delaFrance, Economica, 1997, p. 12 ;entre autres.

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    la norme juridique suprme. Il faut donc envisager dune part une visionpolitique de la Constitution chez Aristote qui est la phase pralablencessaire une vision juridique de celle-ci.

    I LA VISION POLITIQUE DE LA CONSTITUTION :UNE ANALYSE POSITIVISTE ?

    Il y a pour Aristote une science politique qui distingue divers typesde constitutions selon leur degr de convenance avec la nature et la qua-lit des divers corps politiques. Il y a une forme idale de Constitutionqui a besoin de tout un cortge de biens extrieurs pour se raliser. Lascience politique doit la dcouvrir, dgager ses caractristiques, mais elledoit aussi rechercher la forme de Constitution qui est simplement pos-sible eu gard aux circonstances de fait, qui sadapte aux diffrentspeuples. I l doit y avoir une forme de Constitution adapte la majo-

    rit des gens, qui sadapte le mieux tous les corps politiques en gn-ral, qui soit plus facile et plus communment ralisable par euxtous, la plus gnrale et en somme la plus souhaitable aprs laConstitution idale29. Mais ce travail de rformateur exige une connais-sance approfondie des diverses espces de constitutions laide delaquelle on pourra discerner les lois les meilleures, les mieux adaptes chaque espce. Il nexiste pas une seule sorte de monarchie, de dmocra-tie ou doligarchie car les mmes lois ne peuvent tre bonnes pour toutesles dmocraties, oligarchies ou monarchies. Le Stagirite glisse dunescience politique thique en qute du Souverain Bien vers une sciencepolitique technique et pratique, strictement positive, sintressant tousles rgimes, quel que soit leur but. Aristote difie une nouvelle sciencede lhomme, non encore distincte de lart politique pratique mais qui,face aux phnomnes politiques, conoit des causes, des effets et dessolutions.

    Aristote applique cette fin une mthode exprimentale et aposte-riori aux problmes politiques: il faut partir des donnes complexes desralits sociales pour slever par induction aux lments indcompo-sables dont elles dpendent. De mme, en effet, que dans les autresdomaines, il est ncessaire de poursuivre la division du compos jusquenses lments incomposs (qui sont les plus petites parties du tout), demme aussi, pour la Cit, en considrant les lments dont elle se com-pose, nous apercevrons mieux en quoi les diverses formes dautorit dif-frent les unes des autres, et verrons sil est possible dobtenir quelque

    Lanotion deConstitution chez Aristote 105

    29. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, IV, 2, p. 257-264.

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    rsultat positif pour tout ce que nous venons de dire30. La base de toutetude positive doit donc tre la ralit, sans rien en ter ou y ajouter, afindarriver une connaissance vritable: Celui qui, dans chaque ordre derecherche, adopte une attitude philosophique et ne se borne pas consi-drer le ct pratique des choses, a pour caractre distinctif de ne rienngliger ni omettre, mais au contraire de mettre en vidence la vrit enchaque cas31.

    Mais il ne faut cependant pas exagrer ce positivisme aristotlicien.La Mtaphysique, on la vu, parle dun Bien suprme divin qui trouve sappliquer lhomme par la contemplation et la Cit par la monar-chie. Ainsi Aristote ouvre la voie du positivisme mais ne le choisit paspour unique chemin. Il y a chez lui dualisme tous les niveaux de lana-lyse : dualisme de lthique entre idal de la vertu pratique et lidalcontemplatif de la pure connaissance; dualisme de la mtaphysiqueentre lexistence des dieux officiels et du Dieu immuable; dualismepolitique entre la Constitution idale monarchique et la Constitution lameilleure possible, plutt dmocratique. Une connexion intime existe

    entre les dieux de lOlympe, la morale traditionnelle de lexistence pra-tique, la Cit dmocratique dune part ; lunique divinit immuable,lidal contemplatif, la royaut autocratique dautre part 32. Si Aristotesemble parfois se contredire, cest quil est de son temps et exprime ledsir de la monarchie macdonienne triomphante dun protectorat surles rpubliques grecques. Ainsi conclut-il que la monarchie est lemeilleur des rgimes mais que la dmocratie lest aussi ; lune convient la vie extrieure de ltat, lautre sa vie intrieure.

    De la ralit confronte la thorie, Aristote reoit deux enseigne-ments essentiels concernant le droit. Dune part, le droit est une matireimparfaite, donc une uvre humaine, lexpression dune volont. Dautrepart, cette volont est de nature politique: elle dtermine le choix delorganisation de la poliset dtermine en grande partie son rgime poli-

    tique qui, par souci de pragmatisme, sera dmocratique.

    A LA CONSTITUTION COMME UVRE HUMAINE

    La Grce antique fonde une rvolution dans lhistoire du droit : lapremire lacisation du droit. La tradition orientale faisait en effet deslois une uvre divine et transcendante. Par une rflexion critique sur ledroit et les institutions, les penseurs grecs font du droit une uvre

    Jean-Charles Jobart106

    30. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, I, 1, p. 23; la mthode est rapprocher et opposer des seconde et troisime rgles de la mthodes cartsienne, inR. Descartes, Discours delaMthode, d. E. Gilson, p. 205-209 et G. Rodis-Lewis, Descarteset lerationalisme, Paris, PUF, 1966.

    31. Aristote, LaPolitique, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, III, 8, p. 201.32. H. Kelsen, art. cit., p. 70.

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    imparfaite donc non divine, donc humaine, laquelle il faut apporter desamliorations. Le droit est alors la cration de la volont humaine et cha-cun peut proposer un droit et des institutions idaux sans pour autantblasphmer mais au contraire en vue duvrer pour le bien de la Cit.

    1 La dsacralisation du droit

    Selon Max Weber, la premire forme historique dautorit est sacreou religieuse: le chef de tribu est le prtre de sa tribu et ses ordres sontautant les siens que ceux des dieux. Ainsi, le droit est li la religion etsa force relve dune certaine transcendance. Dailleurs, linstar de lareligion, le droit est une croyance laquelle tous nadhrent pas avec lamme force de conviction. Les exemples historiques dun fondementsacral du droit sont nombreux33 : le droit se confond avec la religion et decette collusion, le droit gardera le caractre dune certaine transcendance.

    Sous Babylone34, les rois lgislateurs invoquent le patronage desdieux et il est possible que la loi, dans la conception la plus ancienne,

    soit apparue comme luvre des dieux. A lpoque historique, cest le roiqui exerce le pouvoir lgislatif mais sous linspiration des dieux.Ainsi, dans son code, Ur-Nammu dclare faire resplendir le droit grce au dieu-lune Nana et la stle de Hammurapi montre le dieu soleildicter la loi au roi qui dclare dans lpilogue du code: Cest moiauquel Samas a fait prsent des lois . Du fait de lorigine du pouvoirroyal, la source du pouvoir lgislatif est ncessairement divine. Cepen-dant le code Hammurapi nest pas une loi religieuse mais un rgle-ment de paix entre les peuples de Sumer et dAkkad. Si la justice futoriginairement exerce par des prtres, ds cette priode, la justice royalelaque est prpondrante.

    Sous lgypte ancienne35, Dieu et fils de Dieu, Pharaon dit le droit etdoit exprimer le droit que lui inspire la desse de la justice et de la vrit

    Mat. Il est le juge suprme et peut seul prononcer une peine de muti-lation mais face aux carences des juges sculiers, le clerg prend une

    Lanotion deConstitution chez Aristote 107

    33. J. Gaudement, Les naissances du droit, Paris, Montchrestien, 2001; J . Ellul, Lefonde-ment thologiquedu droit, 1946; J . Carbonnier, La religion, fondement du droit , Droits, Droits et murs, 1994-19, p. 17.

    34. Babylone a fourni une documentation juridique considrable avec des textes lgisla-tifs qualifis de codes: code dUr-Nammu vers 2080, la lgislation de la ville dEsnunnavers 1950, code de Lipit-Istar vers 1875 et surtout le code de Hammurapi 1728-1686; etdinnombrables tablettes dactes de la pratique.

    35. Lgypte na laiss aucun recueil juridique et peu prs aucune loi (quelques dispo-sitions pnales et surtout un papyrus non encore publi du IIIe sicle mais refltant un droitantrieur). Il y eut cependant des lois, que la lgende fait remonter jusqu Mns et au pre-mier millnaire des codifications dont les Grecs ont conserv le souvenir sous Bocchoris(720-715), Psammtik I (663-609), Amasis (568-528), Darius (519-505). La connaissancedu droit gyptien repose donc essentiellement sur des documents de rares pratiques, desdocuments figurs et les livres de sagesse.

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    place croissante dans ladministration de la justice et vers 1250 est crela cour sacerdotale de Thbes qui devient rapidement la cour suprme duclerg qui elle assure un privilge de juridiction.

    Chez les Hbreux36, Dieu dicte le Dcalogue puis le Code de lAl-liance et enfin le Lvithique ou Code sacerdotal mais ces lois portent surdes matires religieuses. A cela sajoute la parole divine, souvent conser-vatrice, rapporte par les Prophtes. Le clerg, pris dans la tribu de Lvi,tient une grande place: le grand prtre oint et couronne le roi et parfoisle dpose (II Rois, XI). La justice royale est le plus souvent dlgue une cour compose de lvites et de juges: elle a une comptence civile,criminelle et religieuse. Le juge nest que linterprte de la volontdivine : la sentence mane de Dieu par son intermdiaire, elle est un jugement de Dieu dont la loi demeure immuable pour lhomme dole problme de linterprtation afin de ladapter sans la trahir. La peinerpond parfois la ncessit dexpier une faute religieuse en plus derpondre un sentiment de vengeance. La peine de mort par lapidationest prvue pour les fautes les plus graves contre la fidlit due Dieu, la

    puret, la vie du prochain.Dans les Lois37 de Platon, un Athnien vient en Crte pour y tudierles lois les meilleures. Car sil est vrai que le bien est identique lan-cestral, les meilleures des lois pour un Grec devraient tre les plusanciennes des lois grecques, et telles sont les lois crtoises38. Mais lan-cestral nest le bien que si les premiers anctres sont des dieux, des filsde dieux ou des disciples de dieux. Par consquent, les Crtois croyaientque Zeus tait lorigine de leurs lois car il avait instruit son fils Minos,le lgislateur de la Crte. Mais il apparat vite que cette croyance na pasde meilleur fondement quun mot dHomre et les potes sont dunevracit problmatique ainsi que laffirmation des Crtois eux-mmes lesquels taient clbres pour leur manque de vracit. Aussi la discus-sion se dplace-t-elle de lorigine la valeur intrinsque des lois : un

    code donn par un dieu doit tre parfaitement bon. Mais la critiquerelle des lois ne commence quen invoquant une loi prtendument cr-toise qui autorise une telle critique dans certaines conditions, bien srrunies. Il devient alors vident que les lois imparfaites nont pas uneorigine divine mais donc humaine: le lgislateur. Certes, Hraclite pro-fessait avec ferveur le culte et la conservation de la loi, abri tutlaire dela vie en commun, desse protectrice de la Cit le monde surnaturel

    Jean-Charles Jobart108

    36. Le droit hbraque est connu presque uniquement par la Bible : Dcalogue danslExode, XX, 2-17, et le Deutronome, V, 6-12 et XIII-XXVI ; Code de lAlliance,Exode, XX, 22 XXIII, 33; Seconde loi ; in La Bible, trad. dirige par Frdric Boyer,Bayard et Mdiaspaul, Paris et Montral, 2001

    37. Platon, Les Lois, trad. Anissa Castel-Bouchouchi, Gallimard, coll. Folio Essais, 1997.38. L. Strauss, Quest-cequelaphilosophiepolitique?, trad. O. Seyden,PUF, coll. Lviathan,

    1992, p. 34.

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    nimbe donc toujours le droit, au moins comme expression de la raisondivine , mais si le droit vient des dieux qui linspirent par exemplepar des oracles, lhomme en est le co-auteur indispensable, la source deses apories.

    Cette dsacralisation du droit est aussi luvre chez Aristote. Ainsifait-il la critique avec minutie des constitutions de Sparte, de Crte et deCarthage39, premire tape de sa science politique. La cause des lois est lergime, la politeia. Par consquent, le thme principal de la philosophiepolitique est le rgime, pralablement aux lois. Le rgime est lordre, laforme qui donne la socit son caractre, une manire de vivre spci-fique. Il signifie le tout, simultanment la forme de vie dune socit,son style de vie, son got moral, la forme de cette socit, la forme deltat, la forme du gouvernement, lesprit des lois. Malgr des dtermi-nantes physiques (climat, relief, ressources, proximit de la mer), lergime, et donc son droit, est une uvre humaine qui comme lhomme,volue, se soigne ou se meurt. Imperfection de lHomme et de son uvre

    2 volution et thrapie des constitutionsLe Livre V de la Politiquetraite de la prservation et de la destruction

    des constitutions. Fils de mdecin, Aristote tente de dterminer le malet dy trouver des remdes. Si Platon avait dcrit un cycle de dcadencedes rgimes politiques des cits, jamais il ne stait pench sur les pos-sibles remdes. Aristote, quel que soit le rgime en cause, tente de com-prendre son mal et de le soigner sans jugement de valeur40. Il fait alorsuvre de positiviste avec sa thorie de la sdition et de ses remdes.

    Les causes de contestation dune Constitution sont nombreuses. Laprincipale est le sentiment dinjustice donc dingalit : dune partceux qui aspirent lgalit suscitent des rvoltes sils estiment tre dfa-voriss, alors quils sont les gaux de ceux qui possdent des avantages

    excessifs; et dautre part ceux qui dsirent lingalit et la supriorit servoltent aussi, sils supposent quen dpit de leur ingalit ils nont pasune part plus forte que les autres, mais une part gale ou mme moindre(et ces prtentions des deux cts peuvent tre justifies, comme ellespeuvent aussi tre injustifies). Dans les deux cas, en effet, les hommessinsurgent : sils sont infrieurs, cest pour obtenir lgalit; et sils sontgaux, pour acqurir la supriorit41. Aristote ajoute cette analyse denombreuses autres causes, trs diverses : lappt du gain et le dsir deshonneurs ainsi que la crainte de leurs pertes, la dmesure (et lavidit)

    Lanotion deConstitution chez Aristote 109

    39. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970: constitution de LacdmoneII, 9; constitution crtoise II, 10; constitution carthaginoise II, 11.

    40. J.-J. Chevallier, Histoiredelapensepolitique, Paris, Payot & Rivages, 1993, p. 106-109.

    41. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, V, 2, p. 343-344.

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    des dirigeants, lexcs de supriorit dun dirigeant, la crainte, le mprisdes plus nombreux, des riches ou des aristocrates, les dsquilibres dansla Cit tel un nombre excessif de pauvres, les brigues lectorales et lin-curie des dirigeants, lhtrognit de la population, la position gogra-phique de la Cit, sa conqute militaire par une autre Cit.

    Comment prvenir ces changements de constitutions? Aristotedonne des remdes pratiques de bons sens. Les conservateurs doiventsassurer dtre plus forts que les rformateurs. Surtout, le rgime poli-tique doit respecter la rgle du juste milieu : trs loigne de la Consti-tution idale, une oligarchie ou une dmocratie peut tre supportablepour les citoyens; quon imprime lun de ces rgimes une tensionexcessive en vue de le rformer et la Constitution devient pire et en finde compte il ny aura plus de Constitution. Le Lgislateur se doit doncdtre modr et de savoir quelles sont, parmi les institutions de carac-tre populaire ou oligarchique, celles qui prservent la dmocratie etcelles qui la dtruisent, et agir sur elles en consquence. Aucun rgimene peut tre pur et doit composer avec divers lments : la dmocratie

    doit mnager les riches et loligarchie doit avoir lair de favoriser lesintrts du peuple42. Toute Constitution doit tre adapte, donc mixte.Un autre moyen de prvention dune crise politique est un systme

    dducation adapt la forme des gouvernements. Aristote y voit le pluspuissant des moyens pour faire durer la Constitution et que les lois soientratifies par le corps entier des citoyens. De mme, les magistratures oufonctions publiques ne doivent pas tre source de profits, surtout dansles oligarchies car lexclusion des profits souligne alors lexclusion deshonneurs. Il faut ainsi empcher laccroissement disproportionn depuissance dun citoyen, confrer des honneurs mdiocres pour unelongue dure plutt que des honneurs considrables pour peu de tempscar les hommes sont sujets la corruption et bien peu rsistent la pros-prit. Enfin, Aristote, assez machiavlique, conseille dentretenir des

    alarmes et sujets dinquitude chez les citoyens afin que ceux-ci pareils des sentinelles de nuit, se tiennent sur leurs gardes et ne relchent pasleur vigilance43.

    Mais le Stagirite se penche ensuite avec attention sur les tyrannies44pour les sauver ! Elles en ont bien besoin car elles sont menaces partoutes les causes prcdentes sous leurs formes extrmes. Ce rgime delautorit et de la force est la ngation mme du droit. La tyranniecumule donc les vices de la dmocratie et ceux de loligarchie: le mpris,la haine et la colre sadditionnent pour soulever contre le tyran ses

    Jean-Charles Jobart110

    42. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, V, 9, p. 388.43. Ibid., 8, p. 379.44. Sur le phnomne de la tyrannie: Cl. Mosse, Latyranniedans laGrceantique, PUF,

    coll. Quadrige, 2004.

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    sujets pousss bout45. Deux thrapies, diamtralement opposes, sontalors proposes. Dune part, la manire forte, brutale : avilir lme dessujets, semer entre eux la dfiance pour viter les conspirations et lesmaintenir dans limpuissance dagir, personne ne tentant limpossible.Les moyens en sont nombreux : niveler les lites; anantir les espritssuprieurs et la haute culture; obliger les grands vivre sous son regard, passer leur temps aux portes du palais, ce que ne renierait pas unLouis XIV ; employer des espions; appauvrir les sujets qui, absorbs parle travail, nauront pas le temps de conspirer ; susciter les guerres pouroccuper les sujets et en mme temps leur faire sentir constamment lebesoin dun chef . On admire tout le machiavlisme de lauteur, tout ensentant sa rpugnance et son mpris pour le tyran.

    Do une seconde mthode dcrite et prfre par le Stagirite. Letyran devra faire figure de roi le plus possible et de tyran le moins pos-sible afin dassurer sa scurit : il veillera sur le trsor public et rendracompte de ses recettes et de ses dpenses; il aura un abord sans rudessemais plein de dignit, soucieux dinspirer moins la crainte que le respect

    en cultivant au moins la vertu militaire et en contenant ses passionssensuelles, en particulier homosexuelles; il honorera les dieux; il jouerade la division de la cit entre pauvres et riches, faisant croire chaqueclasse quil la protge et sattachant toujours celle qui simpose commela plus puissante. Aristote, optimiste, espre que lhomme prendra got cette nouvelle vertu. En fait, ce tyran l a une autorit trs semblable celle dun roi. I l ne sera pas pervers mais seulement demi per-vers46. La seule diffrence est quil ne saurait transiger sur son pouvoir.Il doit rester en mesure de limposer ses sujets, avec ou sans leurconsentement, car cder sur ce point, cest renoncer du mme coup sa position de tyran47.

    3 Proposition dune Constitution idale

    La Constitution est une uvre humaine: sa cration et sa prserva-tion dpendent de laction des hommes. De par cette dsacralisation dudroit, Aristote peut ensuite sans peine proposer sa Constitutionidale, au fond le meilleur moyen dviter les rvolutions. En dpit ducaractre coutumier de leurs institutions et de leur transformation par lapratique sans intervention dune autorit constituante particulire48, lin-tervention de personnages exceptionnels prenant en charge, dans cer-taines circonstances, la rforme de ltat est bien admise. On remonte

    Lanotion deConstitution chez Aristote 111

    45. J.-J . Chevallier, Histoiredelapensepolitique, Paris, Payot & Rivages, 1993, p. 110.46. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, V, 11, p. 417.47. Ibid., p. 412.48. P. Bastid, LIdedeConstitution, Economica, coll. Classiques, 1985, p. 40.

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    alors des poques lointaines, souvent lgendaires, celles de Minos,Lycurgue ou Solon, des lgislateurs gniaux au prestige historiqueimmense, fondateurs ou rorganisateurs des cits49. Lhabilet lgislativeest en consquence lhabilet politique la plus architectonique50 quelon connaisse dans la vie politique. Le philosophe politique qui a atteintson but est le matre des lgislateurs51. Mais luvre de ces hommes nese dtache pas du fond social qui leur sert de soubassement : les pra-tiques et dsirs humains. La cit ne sorganise pas que par les lois: Pla-ton explique que derrire la rglementation lgislative, il y a la coutume,les patria nomina qui assurent la cohrence de toute Constitution. Syajoutent les considrations quasi physiques sur les tendances volu-tives de chaque rgime. Le lgislateur, et Aristote tout particulirement,tient donc compte dans une large mesure de la spontanit des phno-mnes relatifs lorganisation sociale. Le Stagirite, en proposant uneConstitution idale, ne fait l, comme tant dautres, que reprendre soncompte le mythe du lgislateur fondateur des lois de la Cit et partici-per aux dbats politiques et polmiques de son temps52.

    Dans le second livre de la Politique, Aristote avait expos, aprs unecritique de la Rpubliquede Platon, les constitutions idales de Phalasde Chalcdoine et dHippodamos de Milet : il se devait de proposer lasienne car il ny a quune seule Constitution qui soit partout lameilleure54. Dans les grandes lignes, elle ressemble celle des Lois, laCit de second choix de Platon. A la suite de son matre, Aristotefixe lapolis idale certaines conditions matrielles de population et deterritoire.

    Le corps des citoyens doit tre suffisamment nombreux pour que laCit possde lautarkeia mais ne doit pas dpasser une importance au-del de laquelle les citoyens ne peuvent plus se connatre entre eux, cequi nuit la nomination aux charges publiques et ladministration dela justice. Les Grecs, qui occupent une situation gographique interm-

    Jean-Charles Jobart112

    49. Aristote les qualifie daisumnteset non de tyrans ou rois. Il en donne plusieurs autresexemples: Zaleukos Locres, Charondas Catane, Philolaos de Corinthe Thbes, Pittacos Mytilne, Andromade de Rhgium en Thrace, in Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot,Paris, Vrin, 1970, II, 1273b-1274b.

    50. Aristote, thiqueNicomaque, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1990, 1141b; galementPlaton, Gorgias, trad. Monique Canto-Sperber,GF-Flammarion, 1997, 464b. Cette opinionclassique fut restaure par J .-J. Rousseau, Contrat social, II, 7 : Sil est vrai quun grandprince est un homme rare, que sera-ce dun grand lgislateur? Le premier na qu suivre lemodle que lautre doit proposer .

    51. Aristote, LaPolitique, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1970, II I, 1279b; thiqueNico-maque, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1990, 1180a et 1109b et Ch.-L. Montesquieu, LEspritdes Lois, dbut du livre XXIX.

    52. J .-J. Chevallier, Histoiredelapensepolitique, Paris, Payot & Rivages, 1993, p. 94-98.53. Aristote critique le communisme de Platon de la Rpubliquede II, 1 II, 5 puis les

    Lois au II, 6 puis nouveau La Rpubliqueau V, 12. I l critique Phalas au II, 7 et Hippoda-mos de Milet au II, 8 ; in Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970.

    54. Aristote, thiqueNicomaque, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1990, V, 10, 1135 a 5.

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    diaire, sont la fois intelligents comme les peuples chauds du Sud etcourageux comme les peuples froids du Nord. Cela explique quilsvivent libres sous dexcellentes institutions. Sils atteignaient lunit deConstitution, ils seraient mme capables de gouverner le mondeentier . De par cette premire thorie des climats, on voit donc clai-rement que le peuple appel se laisser docilement guider la vertu parle lgislateur doit tre dune nature la fois intelligente et rsolue, enun mot : grecque55.

    Quant au territoire de la Cit, Aristote recommande celui qui se suf-fit le mieux lui-mme, avec un sol fertile en toutes sortes de produc-tions, difficile envahir, assez vaste pour offrir des loisirs. Le centre de lapolis, la ville, doit tre tabli dans une situation favorable par rapport la mer comme la terre. Platon, et avec lui les oligarques, taient hos-tiles au voisinage de la mer, laccusant de favoriser la dmocratie au piresens du terme. Pour Aristote, les avantages dordre militaire et commer-cial paraissent plus vidents que les inconvnients dnoncs.

    Les artisans, les ouvriers et les hommes de peine, mais aussi les com-

    merants et mme les agriculteurs seront exclus de la citoyennet pourmanque de vertu et de loisir, la scol devant servir linstruction. Laclasse militaire et la classe dlibrante concentreront dans leurs mainspar lots gaux les proprits non affectes au domaine public car il estindispensable que les citoyens aient de vastes ressources; mais la terreest rendue commune titre amical . Ces deux classes concentrent lescharges publiques. cartant la spcialisation fonctionnelle rigoureuse dela Rpublique, Aristote rgle la rpartition daprs lge. Les mmesseront combattants dans leur jeunesse, puis gouvernants et juges deve-nus gs, et enfin, anciens retirs de la vie active, prtres au service desdieux. Le grand avantage est denlever la classe militaire la tentation derenverser la Constitution car il serait imprudent de prtendre garder per-ptuellement dans la subordination ceux qui ont la possibilit dem-

    ployer la force. Au fond, Aristote nous donne l sa version idalise delaristocratie. Les meilleurs gouvernent, tous tant les meilleurs lavertu est le but la vertu est la mesure des honneurs accords auxcitoyens et puisque cest par leur but que toutes choses doivent treapprcies, on doit conclure une aristocratie56. Aristote insiste lon-guement sur la ncessit dune bonne ducation des citoyens vertueuxmais en son tat dachvement, le livre VIII ne donne pas de prcisionssur la structure des pouvoirs constitus, sur la lgislation et les peines.

    Mais Aristote nest pas un utopiste et sans doute ne conoit-il cemodle idal que pour le cas assez rare dune nouvelle Cit fonder.

    Lanotion deConstitution chez Aristote 113

    55. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, VII, 7, p. 494. Voir aussi lanote de J. Tricot sur Hippocrate et le panhellnisme dAristote, p. 493, note 2.

    56. Ibid., 4 12 sur la Cit idale, VII, 13 VIII, 7 sur lducation.

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    Aprs tout, ce Livre VII est une uvre de jeunesse. Sinon, il nest paspensable que le Stagirite souhaite une rvolution dans les cits, mme sicest un cas quil nexclut pas57, afin dtablir sa Constitution idale: ilest un rformateur dans lme et non un rvolutionnaire. Et la rforme,il la voit venir de Macdoine et la Macdoine, cest la monarchie quilfaut dfendre et justifier.

    Lthique aristotlicienne, o le plus haut degr de vertu quelhomme puisse atteindre rside dans la connaissance contemplative deDieu, contribue elle-mme promouvoir la monarchie. La meilleure desconstitutions est celle dont lagencement assure lexistence heureuse chaque particulier. Si seule une vie active peut se dire heureuse selon leprincipe de la vertu lactivit bonne se confond avec le bonheur 58, la vie active nimplique pas ncessairement des relation avec autruicomme on le croit parfois59. Au-dessus de lidal dactivit politique setrouve lidal dune vie contemplative. Lhomme atteint la vertu finaletout aussi bien par une activit dirige tout entire vers son tre intime.Cet idal du calme de la contemplation traduit le renoncement toute

    action politique, qui constitue le premier devoir du citoyen. Il contrastebien sr avec la morale traditionnelle de la cit grecque, avec cette men-talit rpublicaine et dmocratique, pour laquelle les valeurs moralesrsidaient seulement dans la plus intense participation la politique60.

    Doctrine singulire donc: les Grecs du temps dAristote tenaient eneffet la royaut pour une forme de gouvernement barbare. Dmosthnedpense son loquence contre Philippe et Alexandre, dclarant que toutroi ou tyran est ladversaire de la libert et ennemi du gouvernement parles lois. Tout roi est un tyran et ses sujets des esclaves. Aristote, lin-verse, tente de montrer que la monarchie assure une entire solidaritdintrts entre le souverain et ses sujets, puisque le roi soccupe du bien-tre de ces derniers comme un pre soccupe du bonheur de ses enfants.Aristote, en outre, nomet pas de rappeler que les plus anciennes com-

    munauts humaines offraient un caractre monarchique de mme que lacommunaut des dieux sur lOlympe obissant un monarque. Dail-leurs, le gouvern est un citoyen aussi bien que le gouvernant 61, parquoi la citoyennet nest plus limite la jouissance de droits actifs dansle domaine politique, mais englobe galement lassujettissement lau-torit publique et peut ainsi cadrer avec le rgime monarchique.

    Le problme de la meilleure Constitution se pose en des termessimples. A qui sera le pouvoir souverain de ltat ? Cest assurment

    Jean-Charles Jobart114

    57. Aristote parle des changements rvolutionnaires, in Aristote, La Politique, trad.J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, V, 3, 5, 6 et 7 mais il semble prfrer de petites rformesaux grands effets in V, 4.

    58. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, VII, 24-1325 a, p. 479.59. Ibid., 3, 1325 b, p. 481.60. H. Kelsen, art. cit., p. 61.61. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, III, 4, 1277 a, 23, p. 183.

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    soit la multitude, soit la classe des riches, soit celle des gens de valeur,soit un seul homme, le plus vertueux de tous, soit enfin un tyran 62.Poser de cette faon quivaut forcer la rponse en faveur de la monar-chie. Si, dans la cit, il se trouvait un individu minent [] et que lavertu et la vaillance de cet homme fussent tellement suprieures, quonne pt mme leur comparer les bonnes qualits et la capacit politiquede la totalit des autres, [] il conviendrait de considrer un tel hommecomme un dieu parmi les mortels 63. Qui donc ici est vis sinon Phi-lippe ou Alexandre? La monarchie resplendit dune aurole de vertupuisque lindividu dou des plus hautes vertus y exerce le pouvoir, loindes abus flagrants de la dmocratie qui ne supporte pas les tres sup-rieurs et les frappe dostracisme.

    La thorie du meilleur rgime nest donc pas exempte de prsuppo-ss politiques. Cest que la Constitution, fondement du rgime de lacit, est un uvre fondamentalement politique.

    B LA CONSTITUTION COMME UVRE POLITIQUE

    Aristote ne fait pas de sparation stricte entre la science politique etla science juridique. Le droit est en soi un acte politique: issu de valeurset porteur de valeurs, il sanalyse dans sa matire avant que dans saforme. Le droit est une obligation de la nature et un choix politique. Ence sens, Aristote analyse avant tout la Constitution comme une compo-sante du rgime politique. I l classe ainsi les rgimes politiques daborden fonction de la rpartition constitutionnelle du pouvoir. Mais il nesarrte pas l : de nombreux critres extra-juridiques (classe sociale aupouvoir, mthode de gouvernement) servent lidentification desrgimes64. Aristote fait par-l la distinction des faits et du droit : laConstitution est le fondement du rgime politique mais ne se confond

    pas avec lui. L est le problme du lgislateur : comment garantir uneConstitution face la pratique du rgime? Aristote essaie alors de dfi-nir une Constitution qui aura le moins de malchances dtre dvoye parla pratique du rgime: la science juridique se met ainsi au service dupolitique.

    Lanotion deConstitution chez Aristote 115

    62. Ibid., 10, 1281 a, 10, p. 211.63. Ibid., 13, 1284 a, p. 230-231.64. Sur la mthode dAristote, J . Touchard, Histoiredes ides politiques,PUF, coll. Thmis,

    t. 1, 9e d., 1988, p. 38-41; D. G. Lavroff, Histoiredes ides politiques, Dalloz, Mmentos,t.1, 4e d., 2001, p. 29-37.

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    1 Typologie aristotlicienne des rgimes politiques

    La tradition classificatrice est ancienne en Grce et remonte au moins Hrodote qui distinguait trois rgimes suivant le nombre des diri-geants. En prenant pour critre le respect de la lgalit, Platon, dans le

    Politiqueavait numr trois constitutions rgles: monarchie, aristocra-tie, dmocratie modre, et trois constitutions drgles : tyrannie, oli-garchie et dmocratie extrme65. Aristote, dans la Politique, reprend cetteclassification sextuple avec pour critre lintrt commun. Sont correctesles constitutions o lautorit souveraine est exerce en vue de cet int-rt commun (monarchie, aristocratie et rpublique ou politie) ; et sontdvies les constitutions o lautorit souveraine est exerce dans lint-rt particulier de celui qui la dtient (tyrannie, oligarchie et dmocratie).Lesprit exact dAristote lui inspire dailleurs une mise au point de sadfinition de loligarchie et de la dmocratie. Lessence de la distinctionest que, dans loligarchie, les riches dtiennent le pouvoir, et que dans ladmocratie modre, ce sont les pauvres. Lauteur affine encore, ajoutantdans la dmocratie llment de naissance libre et, dans loligarchie,llment de naissance au-dessus du commun. On aboutit alors unedfinition composite associant nombre, naissance et richesse66. Cette plu-ralit vise cerner avec fidlit la ralit. Pour cela, le Stagirite sappuiesur un grand luxe de faits prcis et une abondante documentation, ana-lysant cent cinquante-huit constitutions dans son recueil intitul Poli-teia67. Voyons rapidement les trois grandes formes de Constitution etleurs diverses espces: la monarchie, loligarchie et la dmocratie68.

    Thoriquement, condition de postuler un roi sage et vertueux limage de celui du Politique de Platon, la monarchie lemporte surtoutes autres formes de gouvernement. Quand un citoyen saffirme telle-ment suprieur en vertu que la sienne excde celle de tous les autresrunis, il est juste quil reoive le pouvoir suprme. Lui appliquer les

    rgles ordinaires serait ridicule, le soumettre au principe de lalternanceet en faire un gouvern serait choquant. Il nest dautre solution que delui confier dune faon dfinitive lautorit sans contrle, en lui recon-naissant le droit de nobir qu sa propre volont : cest la monarchieabsolue, la pambasileia. Mais cette exception totale au principe de rgne

    Jean-Charles Jobart116

    65. Sur la diversit des rgimes grecs: A. Fouchard, Les tats grecs, Ellipses, 2003 et Lessystmespolitiquesgrecs, Ellipses, 2003.

    66. Sur la dfinition de la dmocratie: Aristote, LaPolitique, trad. J. Tricot, Paris, Vrin,1970, III, 8, p. 201-203 et IV, 4, p. 268-270.

    67. De ce recueil subsiste uniquement, comme par miracle, La Constitution dAthnes,publie en 1891 daprs un papyrus dgypte (d. et trad. G. Mathieu et Cl. Mosse, Paris,Belles-Lettres, 1996).

    68. Pour un expos plus exhaustif, cf. J .-J. Chevallier, Histoiredelapensepolitique, op. cit.,p. 99-106; M. Prlot et G. Lescuyer, Histoiredes ides politiques, Dalloz, Prcis, 13e d.,1997, p. 81-89.

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    de la loi nest que pure spculation car o trouver un tel homme69 ? Aris-tote observe partout, sauf Sparte, des royauts teintes de tyrannie,cette dernire tant le gouvernement o un seul homme exerce unpouvoir irresponsable sur tous les citoyens indiffremment, quils soientgaux ou suprieurs, et na en vue que son propre intrt et non celui deses sujets ; aussi un pareil pouvoir est-il de pure violence, car aucunhomme libre ne supporte sans protester une autorit de ce genre 70.Aristote subdivise alors la catgorie des monarchies en cinq espces : lamonarchie hroque, souvent ancienne, entre les mains dun chef presti-gieux hros militaire, consentie par tous mais limite des domainesbien dfinis; la monarchie barbare, hrditaire et donc fonde sur la loi,o le chef despotique exige la soumission de tous; la monarchie lectivequi permet un accord pour sortir dune guerre civile; la monarchiepaternelle o les dirigeants se montrent respectueux de lintrt gnral ;et enfin la monarchie religieuse o le roi est aussi prtre. Ce souci de ra-lisme ne favorise pas la clart et, surtout, pche par un dfaut mthodo-logique: elle mlange plusieurs critres (mode daccession au pouvoir,

    forme de lgitimit, faon dexercer le pouvoir), ce qui ne permet pas degarantir lexhaustivit de la classification.Dans laristocratie, les meilleurs par leur vertu gouvernent. Les hon-

    neurs sont distribus selon la vertu, ce qui est la conception la plus hautede la justice distributive. Aristote distingue quatre formes doligarchie71.La meilleure, cartant la masse des pauvres, ouvre laccs au pouvoirmoyennant un cens. Il y a possibilit de gravir lchelle sociale et la plusgrande partie des citoyens ont une fortune modeste. Ainsi une quantitconsidrable dindividus participent au gouvernement. Cela garantit quela souverainet rsidera non dans les hommes mais dans les lois. A lin-verse, la pire des oligarchies, la dynastie oudunasteia, la plus arbitraire ettyrannique, bafoue la loi en coutant son seul caprice et postule une castehrditaire de dirigeants concentrant la quasi-totalit des richesses. Cette

    minorit acquiert ainsi une puissance dmesure qui exclut la souve-rainet de la loi. Entre ces extrmes existent deux formes intermdiaireso le cens slve, les enfants succdent leurs pres dans des fonctionsdevenues hrditaires. Mais la loi gouverne encore et par exemple pres-crit lhrdit des fonctions.

    Aristote distingue enfin dans le chapitre 4 du Livre VI quatre formesde dmocratie72, de la moins mauvaise la pire. Il prsente ainsi ladmocratie rurale compose de paysans propritaires plus soucieux de

    Lanotion deConstitution chez Aristote 117

    69. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, III, 13, p. 230-234 et III, 17,p. 254.

    70. Ibid., IV, 10, p. 298-299.71. Ibid., IV, 5, p. 281-282 et 285-287 et VI, 6, p. 449.72. Notons que cette classification simplifie ne correspond quimparfaitement celle des

    chapitres 4 6 du Livre IV, signe quAristote est revenu plusieurs fois sur son ouvrage.

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    travailler que de sagiter sur la place publique et donc ports confier lepouvoir des gens clairs responsables devant eux. Ainsi les meilleurssont aux fonctions publiques et le peuple ne se sent pas diminu dans sesdroits. Par contraste, Aristote vilipende la pire dmocratie, celle desvilles populeuses, proie facile des dmagogues bafouant le principe de lasouverainet de la loi en en faisant le simple caprice de la multitude.Cest une vraie tyrannie divise en un nombre infini de mains, un chaosqui ne profite quau pouvoir personnel des dmagogues. Entre ces deuxextrmes, existent deux intermdiaires o tous les citoyens ont accs aupouvoir mais ne le peuvent que sils en trouvent le loisir, ce qui supposeun revenu suffisant. Ces dmocraties ne sont que des dviations de lapremire vers la dernire.

    2 Une constituante du rgime:base crite et importance de la pratique

    Mais Aristote met en garde contre une interprtation trop catgo-

    rique de sa classification

    73

    . La Constitution nest pas tout et la pratiquecontribue pour une part importante ce quest le rgime politique de laCit. Bien que la Constitution telle quelle est rgle par la loi naitrien de dmocratique, cependant, par leffet de la coutume et des habi-tudes de vie, elle est applique dans un esprit dmocratique, et il en estde mme, leur tour, dans dautres tats o la Constitution lgale tantplutt dmocratique, le genre de vie et les murs impriment aux insti-tutions une tendance oligarchique 74. Lesprit compte autant que lamatire quil insuffle. Ainsi une classification purement juridique desrgimes na aucun intrt : la science juridique a ses limites Platon, enprenant pour critre le respect de la lgalit, avait diffrenci les consti-tutions rgles et les constitutions drgles. Aristote, lui, dpasse cecritre du droit afin de bien caractriser un rgime politique. La Consti-

    tution nest pas la seule dterminante. Si un seul homme est person-nellement la tte des affaires, cest un gouvernement royal ; si, aucontraire, conformment aux rgles de cette sorte de science, le citoyenest tour tour gouvernant et gouvern, cest un pouvoir proprementpolitique. En fait, ces distinctions nont aucune ralit75.

    Cest pour cette raison quAristote nhsite pas employer une mul-tiplicit de critres afin de caractriser les diffrents rgimes politiquesaux constitutions semblables. Cette notion de pluralit dlments quetoute Cit renferme et qui entrane ncessairement plusieurs sortes dergimes est fondamentale chez le Stagirite. Il doit ncessairement exis-

    Jean-Charles Jobart118

    73. J.-J. Chevallier, Histoiredelapensepolitique, Paris, Payot & Rivages, 1993, p. 106.74. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, IV, 5, p. 282.75. Ibid., I, 1, p. 22-23.

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    ter plusieurs types de socit politique diffrant spcifiquement les unsdes autres, puisque les parties dont nos socits sont composes diffrentaussi spcifiquement entre elles76.

    Aristote distingue la pratique du droit mais intgre dans le droit desnormes crites et non crites. La pense grecque invente lexpression delois non crites. Celle-ci servit dabord dsigner, par opposition aux loishumaines, les lois divines de la justice et de la religion quinvoque Anti-gone77. Puis le concept se lacise au fur et mesure que la loi politique sedtache de son origine divine, et finit par dsigner deux choses : dunepart, les lois qui nont pas besoin dtre crites et se perptuent toutesseules (coutume), dautre part, les lois communes tous les hommes (laloi naturelle)78. Aristote estime que la loi non crite, coutumire, a plusdautorit et a trait des matires plus importantes que les lois crites. Ases yeux, la source essentielle de lune et de lautre est le Lgislateur quesymbolisent Solon ou Lycurgue. Il impulse et forme la loi. Mais il doit enplus implanter par lducation sa substance dans lesprit des citoyens : rien ne sert en effet de possder les meilleures lois, mmes ratifies par

    le corps entier des citoyens, si ces derniers ne sont pas soumis des habi-tudes et une ducation entrant dans lesprit de la Constitution79.L est tout lenjeu de la pratique des institutions, des murs

    publiques. Parfois compris sous la dnomination rgles non crites,ces usages coutumiers ont un rle de cohsion et de stabilit sociale.Lanciennet qui les fait respecter provoque une parfaite ambigut entrele factuel et le moral : on les prfre uniquement parce quelles sontanciennes. Mais leur anciennet est la preuve de leur qualit: mauvaises,elles nauraient pas t reprises et seraient dj mortes80.

    Mais les Grecs font une parfaite distinction de ces murs et dudroit81. Il ne faut ni appeler cela des lois, ni le passer sous silence, jaieu parfaitement raison de le soutenir : ce sont l en effet les liens detoute organisation sociale, comblant lintervalle entre toutes les lois ins-

    titues et couches par crit en des codes, et, dautre part, celles quiseront institues: tout simplement des sortes de rgles, coutumes natio-

    Lanotion deConstitution chez Aristote 119

    76. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, IV, 3, p. 266.77. Sophocle, Antigone, trad. R. Pignarre, Paris,GF-Flammarion, 1994, v. 450-460, p. 79.

    On retrouve le terme chez Thucydide, LaGuerredu Ploponnse, II, 37, in Hrodote, Thucy-dide, uvrescompltes, Paris, Gallimard, coll. La Pliade, 1993 ou chez Euripide, Hcube,trad. Louis Mridier, Nicole Loraux et Franois Rey, Paris, Les Belles-Lettres, coll. Clas-siques en poche, 1999.

    78. Aristote, Rhtorique, trad. Mdric Dufour et autres, Paris, Les Belles-Lettres, 1967,t. 1, I, 13.

    79. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, III, 9, p. 203-204.80. Lun des grands avantages de la coutume outhosest sa plasticit, son volution avec

    les murs. Aussi, elle ne peut tre coup sr toujours trs ancienne. Lanciennet est doncplus souvent un mode de lgitimation quune ralit.

    81. Dans ce sens, coutume constitutionnelle, convention la Constitution et interprta-tion raliste des dirigeants ne relvent pas de la catgorie du droit mais de celle des faits, dela pratique politique.

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    nales et dune trs haute antiquit, lesquelles, en raison de lexcellence deleur tablissement et de lhabitude que nous en avons prise, assurentpleine sauvegarde aux lois jusqu prsent institues par la protectiondont elles les enveloppent 82. Les murs et pratiques politiques necontraignent pas les dirigeants mais sont appliques parce quelles sont pratiques . Devenues inutiles voire nfastes, elles seraient abandon-nes par les acteurs politiques.

    Quand une Constitution est imparfaite, la pratique vient la relayer. Alinverse, quand lesprit civique est mal rpandu, la pratique vient dna-turer la Constitution. Le problme du lgislateur (nous dirions aujour-dhui du constituant) est donc de dfinir les institutions qui offriront leplus de garanties contre la pratique politique et lventuelle perversiondes textes. Pour cela, Aristote tente de dcrire sa Constitution la pluspraticable.

    3 La Constitution la plus praticable: la Politie

    Cette importance de la pratique trouve tout de suite une rpercussionchez le Stagirite: quelle est la Constitution qui aura le moins de chancesdtre dvie par la pratique? Aristote a montr les dviations poten-tielles ou effectives de certaines constitutions83. Il a certes expos sa Citidale avec son rgime idal mais cela ne saurait suffire. Le ralisme delauteur rattrape ses rves: en plus dune Constitution idale, il dcrit laConstitution la plus praticable pour les hommes, la Politie, sorte de pal-liatif face limpossibilit dtablir lidal philosophique sur terre. Dansle monde sublunaire, la nature elle-mme peut varier mais cette imper-fection ouvre un espace laction humaine par la prudence et la pra-tique84. Aristote fait ici preuve de tout son relativisme: si ce qui estjuste nest pas identique sous toutes les conditions, il faut ncessaire-ment aussi que la vertu de justice comporte des diffrences85. Le temps

    nest plus la rflexion sur une Cit idale mais une Constitutionadapte aux caractres nationaux86.Une forme sadapte le mieux tous les corps politiques en gnral,

    qui nexige pas une vertu hors du commun ni une ducation ncessitantde grands moyens87 : la Politieou Rpublique tempre. Elle est legouvernement de la multitude, de la masse des citoyens en vue de luti-

    Jean-Charles Jobart120

    82. Platon, Les Lois, trad. Anissa Castel-Bouchouchi, Gallimard, coll. Folio Essais, 1997,739 a.

    83. Cf. notes 36 et 48. Aristote montre les aristocraties de Sparte ou Carthage se dvoyeren tyrannie ou oligarchie.

    84. Sur ce thme, voir P. Aubenque, LaPrudencechez Aristote, Paris,PUF, 1963.85. Aristote, LaPolitique, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1970, V, 9, 1309 a, p. 385.86. Ibid., IV, 12, p. 307-310.87. Ibid., IV, 11, p. 300.

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    lit commune. Tous ceux qui portent les armes ont part au pouvoir. Elleest le gouvernement de la classe moyenne, classe lue. La Politiecombineloligarchie qui repose sur la classe riche et la dmocratie qui repose surla classe pauvre. Elle donne le pouvoir la classe moyenne, fusion de larichesse et de la pauvret. Ainsi, elle vite le caractre unilatral de loli-garchie ou de la dmocratie. Constitution mixte, modre, elle assure legouvernement des modrs et la justice distributive. On constate alorsque la fusion de deux rgimes en eux-mmes mauvais, dvis, peutproduire un rgime correct, droit, bnfique88.

    Les bienfaits attendus tiennent aux mrites particuliers de la classemoyenne compose de gens qui tiennent le juste milieu . Ils poss-dent en quantit modre les dons de la fortune, rien chez eux nest enexcs et de ce fait, ils ont moins de difficult se plier aux ordres de laraison. La proprit moyenne constitue le meilleur lment dunecit89 en favorisant la vertu de la mdit (msots). I ls nexcitent pas laconvoitise et personne ne cherche les inquiter. Les gens trop comblsne veulent ni ne savent obir et ne sont capables de gouverner quen

    matres despotiques, tandis que les gens dmunis sont dans un tat dab-jection trop marqu pour savoir commander et ne savent obir qu uneautorit qui les traite en esclaves. Quelle amiti, philia, peut encorergner dans ces conditions entre les citoyens et est-il encore possible deparler de communaut politique qui exige des individus gaux et sem-blables? La classe moyenne doit donc tre majoritaire; ainsi elle faitpencher la balance et empche les extrmes opposs darriver au pou-voir 90. Rsultat de lquilibre paradoxal entre les deux rgimes dvoysque sont la dmocratie et loligarchie, la Politie est plus proche de ladmocratie que de loligarchie91.

    Aristote utilise la Politie comme talon de mesure pour classer parordre de prfrence, ou plutt de moindre mal, les constitutions dviesque sont les dmocraties ou les oligarchies. La meilleure, ou la moins

    mauvaise, forme de dmocratie (celle des agriculteurs et pasteurs), lameilleure, ou la moins mauvaise, forme doligarchie (la plus ouverte)sont aussi celles qui, grce lexistence chez elles dune apprciableclasse moyenne, se rapprochent le plus de la politie.

    Au total, la Politieest modeste, modre, tempre, moyenne, dansle droit fil de la notion de mesots qui apparat constamment danslthique, circule travers toute la Politiqueet o lon reconnat lune des

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    88. J.-J . Chevallier, Histoiredelapensepolitique, Paris, Payot & Rivages, 1993, p. 112.89. Aristote, LaPolitique, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 1970, IV, 11, 1295 b, p. 304.90. Ibid., 11, p. 304.91. Ibid., V, 1, 1302 a; IV, 3, 1290 a, p. 266-267. Remarquons que la Politieavec sa

    large classe moyenne nest pas sans rappeler nos socits modernes et la dmocratie libralereprsentative avec une dmocratie dgaux et le gouvernement libral dune aristocratiereprsentative.

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    ides les plus chres lesprit grec, de Pythagore Solon ou Platon : lalutte contre lubris.

    La politeiaou Constitution reste donc chez Aristote une notion essen-tiellement politique. Pourtant cela nempche pas le Stagirite de penserde faon abstraite la Constitution avec tout le talent que lon connat auxGrecs pour les considrations mtaphysiques. La Constitution est alorsune norme juridique en relation avec dautres normes, inscrite dansune hirarchie o les considrations politiques et morales sont toujourssous-jacentes.

    II LA VISION JURIDIQUE DE LA CONSTITUTION :UNE ANALYSE NORMATIVISTE ?

    La notion de politeiatait jusqu prsent chez Aristote lquivalentdu gouvernement lgal ou constitutionnel, de lorganisation juridique

    du pouvoir dans la Cit et ce titre une composante fondamentale durgime politique. Plus que lorganisation des magistratures, la politeiadAristote est indissociable des lois de la Cit qui fixent les principesselon lesquels ces organes exerceront leurs fonctions92. Lapport de laGrce est ici essentiel : le pouvoir doit se soumettre au droit, le droitquil produit doit se conformer des normes suprieures.

    Lide dune norme suprme simposant tout pouvoir nest pas uneide neuve en Grce. Aristote nest donc pas un rvolutionnaire mais unpenseur classique. Ses deux grands apports sont cependant davoir appro-fondi les concepts de rgne de la loi et de suprmatie de la Constitutionsur les lois. Lorganisation hirarchique du systme juridique et la sou-mission du pouvoir au droit prennent chez lui une formulation claire etmoderne.

    Aussi le grand apport de la philosophie grecque sera davoir pens ledroit positif en comparaison avec le droit naturel et davoir donc modella notion de norme de faon implicite. La Grce na pas fait le droit dumoins en na-t-on que peu de traces mais ce rle sera celui de Rome cependant elle a pens le droit. I l ny a pas de vritables juristes chez les

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    92. Faisons ici une remarque terminologique indispensable sur la politeia, lesnomoi et lespsphismai. Dans une premire acception, la politeiaest lorganisation des pouvoirs publics,les nomoi les rgles fondamentales qui rgissent le fonctionnement de ces pouvoirs et la viedes citoyens et les psphismai les lois ordinaires et dcrets des magistrats. Dans une secondeacception, la politeiaregroupe lorganisation des pouvoirs publics et les lois fondamentalessur le fonctionnement des institutions et la vie des citoyen (proche de notre bloc de consti-tutionnalit), les nomoi sont les lois ordinaires obligatoirement soumises lAssemble, et lespsphismai les dcrets des magistrats vots ou non par lAssemble. Cest cette seconde accep-tion que nous utiliserons dans les dveloppements suivants.

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    Grecs, sans doute du fait du caractre populaire de la justice rendue pardes collges nombreux ou des assembles de citoyens sans formationjuridique. Aussi les avocats sont-ils avant tout des rhteurs et les plai-doyers civils sont construits selon le modle des plaidoyers politiques93.Parler de normativisme serait donc anachronique et exagr car le pen-seur antique noublie jamais que derrire le droit positif se cache lavolont politique et lordre divin ou moral. Mais le concept de droit estclairement tabli sous le terme nomos, qui, tel le Law anglais, signifie la fois loi et droit. La Grce sait penser en droit de manire abstraite etceci du fait de deux phnomnes : le rgne des lois dans la cit (oultat de droit) et lexistence de relations propres entre les normes elles-mmes, le plus souvent sur le mode hirarchique.

    A LAMOUR DES LOIS OU LTAT DE DROIT

    Il nest en effet pas abusif de parler chez les Grecs dun amour deslois : la loi est le lien dunion de la Cit, larbitre suprme des conflitspersonnels, le garant dune vie politique saine. Elle est le principedordre94 et fait partie de lidentit grecque: par elle lhomme se diff-rencie du barbare et la justice se ralise95. Euripide et Sophocle vantentla libert grecque face la servitude perse96 : le Grec na pour matre quela Loi et se soumet un ordre et non un homme. On a foi en la Loi,difie tout au long du Ve sicle. Pour Hsiode et Protagoras, la loi dis-tingue lhomme de lanimal et se nourrit de la loi divine. De la divinisa-tion des lois la suprmatie des lois, il ny avait quun pas vite franchi.Aristote ne cessera de vanter le rgne de la loi. Mais pour bien com-prendre ce qutait ltat de droit grec, voyons au pralable ce que sontchez Aristote les notions dtat et de droit.

    1 La notion dtatAristote donne de ltat une dfinition relativement prcise avec

    pour point central la Constitution. Il voit en elle une organisation uni-

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    93. Il suffit de comparer Dmosthne, Plaidoyers civils, trad. Louis Gernet, Paris, Belles-Lettres, 4 vol., 1954-1960 Dmosthne, Plaidoyers politiques, trad. Christien Bouchet,Paris, Belles-Lettres, 3 vol., 1959-1972. Cf. H. H. de Mogens, LadmocratieathniennelpoquedeDmosthne, Les Belles Lettres, 2003. On pourra aussi admirer la verve de Lysias,Linvalide, trad; Louis Roussel, Paris,PUF, 1966.

    94. Aristote, LaPolitique, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1970, III, 16, p. 247.95. Aristote, thiqueNicomaque, trad. J . Tricot, Paris, Vrin, 1990, V, 3, p. 234.96. Euripide, Mde, trad. Pierre Miscevic, Paris, Payot & Rivages, coll. Petite biblio-

    thque, 1997, v. 536-538 et Euripide, Oreste, trad. Fernand Chapouthier et Louis Mridier,Paris, Les Belles-lettres, 1968 v. 487 et s. ; Sophocle, udipe-roi, v. 865 et s., in Thtrecom-plet, Paris, GF-Flammarion, 1994. Sur le lien important entre le thtre et la politique enGrce: C. Meier, Delatragdiecommeart politique, Les Belles Lettres, 1991.

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    fiante du pouvoir par laquelle la communaut, le substrat social deltat prend une structure dfinie. De ce point de vue, la Constitutionparat sidentifier avec la forme de ltat97. Ces formes sont infinimentnombreuses car souvent composites et le nom ne signifie alors pas grand-chose. Selon Aristote, la Cit cest la Constitution: la Constitution creltat, si la Constitution vient changer, on peut se demander sil sagitdu mme tat. Mais une telle conception nest pas sans poser quelquesdifficults quant la succession des tats et la transmission de leursobligations.

    Ltat nest pas une formation artificielle et conventionnelle98 mais ason origine dans les exigences de la nature humaine. Il est un fait denature, une cration spontane et ncessaire. Lhomme na jamais vcu ltat isol: de par la nature, lhomme a besoin de la femme pour pro-crer, le chef a besoin du subordonn pour commander. Ainsi la premirecommunaut humaine est la famille. Puis le regroupement de plusieursfamilles forme le village. Enfin, la communaut forme de plusieursvillages est la Cit, au plein sens du mot ; elle atteint ds lors, pour ainsi

    parler, la limite de lindpendance conomique: ainsi, forme au dbutpour satisfaire les seuls besoins vitaux, elle existe pour permettre de bienvivre. Cest pourquoi toute cit est un fait de nature, sil est vrai que lespremires communauts le sont elles-mmes 99. Cela explique que lespremires cits, suivant le modle de la famille rgie dans la formemonarchique (patriarcat), taient gouvernes par des rois. Ltat est doncun phnomne naturel, du moins sous la forme de la Cit.

    Reste identifier ltat. Ainsi, quand est-ce que la Cit agit et quandnagit-elle pas? Quand des pouvoirs constitutionnels sont-ils luvre?Des hommes ont-ils t faits citoyens par ltat lgal ou par une simplecoterie (oligarchie) ou par un individu dont le pouvoir repose sur la vio-lence et ne reprsente donc pas ltat (tyrannie)? Certains ne veulentpas que le nouveau gouvernement acquitte les obligations contractes

    par le prcdent, sous prtexte que ce nest pas ltat mais le tyran qui areu ces engagements. A quel principe devons-nous faire appel pouraffirmer que ltat est le mme quauparavant ou que ce