joseph moreau - le temps selon aristote - 1

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  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    1/29

    Revue Philosophique de Louvain

    Le Temps selon Aristote ( suivre)Joseph Moreau

    Citer ce document Cite this document :

    Moreau Joseph. Le Temps selon Aristote ( suivre). In: Revue Philosophique de Louvain. Troisime srie, tome 46, n9, 1948.

    pp. 57-84;

    doi : 10.3406/phlou.1948.4129

    http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1948_num_46_9_4129

    Document gnr le 24/05/2016

    http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1948_num_46_9_4129http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1948.4129http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1948_num_46_9_4129http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1948_num_46_9_4129http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1948.4129http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_175http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1948_num_46_9_4129http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/
  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    2/29

    Le

    Temps

    selon

    ristote

    I. La dfinition aristotlicienne

    du

    Temps.

    L'tude

    du Temps fait

    suite chez

    Aristote celle de l'Espace,

    contenue

    dans

    les chapitres

    1-9

    du

    livre

    IV

    de

    la

    Physique

    qui

    traitent

    du lieu

    et

    du vide,

    et elle

    s'ouvre de

    la mme faon.

    L'auteur se

    pose

    au

    sujet du

    Temps

    la question de

    savoir

    s'il

    est :

    est-il du nombre

    des

    choses qui

    sont,

    ou de celles qui ne sont pas ? (niepow

    TV

    8vto)V

    axtv ^ t6)V \l$i VTtov);

    ensuite seulement, il

    se

    demandera

    ce

    qu'il

    est, il

    s'interrogera sur

    sa nature

    (slta zl f\ yai axoO)

    Phys. IV,

    10, 2Mb 31-32).

    Mais

    le

    sens commun, qui se prononait si

    hardiment

    pour la

    ralit

    de l'espace, se

    montre

    perplexe l'gard

    du Temps

    ; c'est ce

    qu'

    Aristote

    met en

    lumire

    en

    dveloppant des

    raisons qu'il appelle

    exotriques, c'est--dire

    empruntes aux

    opinions

    courantes.

    Il

    semble

    en

    effet

    que

    le

    Temps,

    ou

    bien

    n'est

    rien du tout,

    ou

    du moins qu'il

    n'a

    qu'un

    tre

    prcaire,

    une

    ralit

    indcise. Le

    Temps, dans

    son

    ensemble,

    se compose

    du

    pass et de l'avenir ; et quelque portion du

    Temps que

    l'on considre,

    ce sont

    l les deux

    grandes divisions

    l'une desquelles

    elle

    doit appartenir, ou

    entre

    lesquelles

    elle

    doit se

    rpartir. Or, de ces deux divisions, l'une, le pass,

    n'est

    plus; l'autre,

    l'avenir, n'est

    pas

    encore ;

    aucune

    d'elles n'est. Comment

    donc

    ce

    qui est compos de parties qui ne

    sont

    pas, comment cela pourrait-il

    avoir part l'tre ? (ibid. 2Mb 32

    -

    218a

    3).

    Mais

    le

    prsent

    ?

    dira-t-on

    ;

    n'est-ce

    pas

    l

    dans

    le

    Temps

    une

    division

    qui est

    ? Sans doute, du

    prsent, par opposition au pass

    et l'avenir,

    on

    peut

    dire

    qu'il est ; mais il

    n'est

    pas une division,

    une partie

    du Temps. Le prsent, limite du

    pass et

    de

    l'avenir,

    se rduit en effet un instant ; c'est l'instant

    prsent

    (x vOv). Or,

    l'instant

    n'est

    pas

    une partie

    du

    Temps ; le

    Temps, on

    l'admet

    (Soxe), n'est

    pas plus compos

    d'instants que la ligne n'est

    compose

    de points. L'instant,

    comme le point, n'est

    pas

    une partie

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    3/29

    58 Joseph Moreau

    aliquote, mais

    un

    element

    infinitsimal ; le

    Temps, la ligne, ne

    sauraient

    tre mesurs

    par un

    nombre

    dfini

    d'instants

    ou

    de

    points

    (218a

    6-8).

    Mais,

    il y

    a

    plus

    ;

    l'instant prsent,

    o

    parat

    se

    concentrer toute

    la ralit

    du

    Temps, n'a pas, n'tant

    qu'instant,

    l'identit

    essentielle

    du

    point.

    L'instant, se demand

    era-t-on,

    demeure-

    t-il toujours le mme, en sorte que ce serait la perptuit de

    l'instant

    qui ferait

    la ralit

    du

    Temps ? ou bien

    devient-il

    sans cesse

    autre,

    le

    Temps

    tant

    fait

    alors d'une succession

    d'instants ?

    Dans

    cette question se rsume tout

    le problme

    de

    l'tre

    du Temps. Or,

    ramen

    ces termes, le

    problme

    s'avre

    insoluble,

    aboutit

    une

    aporie.

    La

    nature

    fluente

    du Temps se

    rvle inintelligible ; et l'on

    ne saurait dcider

    s'il

    est ou

    s'il n'est pas, ds

    que

    l'on a

    reconnu

    que

    l'instant,

    o

    parat

    s'absorber

    toute

    la

    ralit

    du Temps,

    est

    d'essence

    contradictoire.

    Dira-t-on, en effet, que l'instant demeure

    toujours

    le

    mme ? Mais

    c'est

    faire

    toutes choses

    simultanes,

    c'est

    nier

    l'coulement du Temps. Dira-t-on,

    au

    contraire,

    qu'il

    devient sans

    cesse

    autre

    ? C'est se heurter encore

    d'insurmontables difficults.

    Le Temps, en

    effet, est continu, comme

    la

    ligne ;

    il

    renferme, dans

    cette

    hypothse, une

    infinit

    d'instants, comme la ligne

    une infinit

    de points. Mais la

    diffrence

    des points qui coexistent dans la ligne,

    les instants dans le

    Temps se

    succdent,

    ce

    qui

    suppose que

    continuellement

    un

    instant nouveau se substitue

    au

    prcdent. Or, quand

    donc

    peut

    s'effectuer

    une

    telle

    substitution

    ?

    Le

    Temps

    tant

    continu, les instants en nombre infini,

    jamais on

    ne

    saisira l'articulation

    de deux instants

    successifs ; toujours

    ils seront spars

    par une infinit

    J' instants ;

    la substitution

    est impossible

    dans la

    continuit (218a

    8-30).

    On reconnat

    aisment l'origine znonienne de cette

    argumentation.

    Elle oppose

    la ralit du temps,

    considr

    comme succession

    continue d'instants, la difficult mme que Zenon, dans l'argument

    de la

    dichotomie,

    opposait

    au

    mouvement.

    La continuit suppose

    l'infinit ; elle

    se conoit

    sans

    peine

    dans la ligne,

    qui

    renferme

    en

    puissance

    une infinit

    de

    points, et ne

    saurait constituer,

    rplique

    Aristote

    Zenon,

    un

    obstacle

    l'accomplissement

    du

    mouvement

    :

    la ligne n'tant

    pas

    actuellement

    infinie, peut tre

    parcourue en un

    temps

    fini, dont

    la

    continuit elle-mme

    repose, comme

    celle

    de la

    ligne, sur une infinit toute virtuelle, ici de

    points,

    l d'instants

    (Phys. VI, 2, 233a 21-31 ; VIII, 8, 263a 11-15). Nanmoins, une

    difficult subsiste : la continuit de la ligne se

    fonde

    dans une coexistence

    de parties

    ;

    elle a, ainsi que ses parties, une

    ralit

    indpendante

    des lments infinitsimaux, des virtualits qu'y dcouvre

    l'analyse

    ;

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    4/29

    Le

    Temps

    selon

    Aristote 59

    la continuit

    du Temps,

    au contraire, est dans une succession, dont

    les parties, pass et avenir, n'ont aucune

    ralit ;

    ds

    lors,

    s'il faut

    admettre

    que

    l'instant,

    sur

    lequel,

    tandis

    qu'il

    est

    prsent,

    repose

    toute la

    ralit

    du

    temps,

    n'est

    lui-mme qu'une virtualit, qu'ad-

    viendra-t-il de la

    ralit

    du Temps ?

    Tel est le sens de l'aporie sur l'instant ; elle

    met

    en

    relief

    le

    problme

    de

    l'tre

    du Temps

    :

    comment

    le

    Temps

    peut-il sauver

    sa

    ralit, s'il

    lui faut

    assumer

    la succession dans la continuit ? si la

    succession

    exclut l'existence des parties, pass et avenir, et si la

    continuit

    ne

    concde qu'une virtualit

    l'instant, au

    prsent ? Ou

    si,

    pour assurer la

    ralit

    du Temps, on

    renonce

    voir

    dans l'instant

    une

    virtualit

    sans

    cesse renaissante, si

    l'on

    attribue

    l'instant

    identit

    et

    perptuit,

    que

    devient

    la

    succession,

    la

    mobilit

    essentielle

    du

    Temps ?

    Ainsi donc, le

    problme

    soulev

    au

    sujet du

    Temps

    par la

    question

    : s'il est, c'est

    celui

    de son

    statut

    ontologique.

    O

    se

    situe

    le Temps

    par rapport l'tre et au

    non-tre ? Problme proprement

    mtaphysique,

    qu'Aristote, nous le verrons, a

    peut-tre en

    grande

    partie lud ; il l'a

    toutefois

    nettement pos. Aprs quoi, suivant

    son

    procd

    ordinaire, il

    se

    pose au

    sujet du Temps la question de

    savoir

    ce qu'il est, quelle est sa nature. Pour

    y

    apporter une

    rponse,

    il part de l'examen

    des

    dfinitions

    proposes

    avant lui ou

    implic itement

    admises

    ;

    sur

    ce

    point

    encore,

    c'est

    de

    la discussion

    dialectique que doit sortir la solution scientifique.

    Si l'on excepte l'antique

    dfinition, attribue

    Pythagore (1>,

    qui

    identifie

    le

    Temps

    la sphre

    de

    l'Univers, sous prtexte

    que,

    comme

    elle,

    il

    contient

    tout dfinition trop nave,

    estime Aristote,

    pour

    mriter

    une discussion (2186 5-9) le principal

    essai

    de

    dfinition est

    celui

    qui assimile le

    Temps

    au mouvement

    de

    l'Univers.

    Cette

    dfinition,

    de l'avis

    mme

    des

    interprtes

    anciens,

    est

    issue

    du Time de Platon (2). C'est cependant une tout autre dfinition du

    Temps

    que

    l'on retient

    ordinairement de ce dialogue : le

    Temps

    serait,

    selon une formule

    clbre,

    une image

    mobile de

    l'ternit

    < >

    Cf. DlELS, Vorsokratiker, 45

    B 33 Sur le

    sena de

    cette

    dfinition, cf

    ChERNISS, Aristotle's criticism of Presocrahc phtlosophy, pp 214-216

    (3> Eudme. Thophraate, Alexandre,

    d'aprs SlMPLIClUS,

    m Phys.,

    p.

    700,

    18 Diels.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    5/29

    60 Joseph Moreau

    (Time, 37d).

    Quel que

    soit le

    sens

    exact

    de

    cette

    formule,

    dont nous

    n'avons pas prsentement

    apprcier

    la

    valeur,

    il est vident qu'elle

    rpond

    un

    problme

    mtaphysique,

    la

    question

    ontologique

    souleve par

    l'aporie sur l'instant. Mais

    dans un

    passage

    ultrieur et

    connexe du mme dialogue (39cc/),

    Platon

    explique que

    le

    cours

    mobile du Temps

    est rythm par

    les

    rvolutions clestes, et c'est

    alors

    qu'il dclare

    qu' la rvolution

    de chacun

    des

    orbes

    clestes

    correspond un

    temps dtermin

    :

    le jour la rvolution de la sphre

    des

    toiles fixes, le

    mois

    la rvolution de la Lune, l'anne celle du

    Soleil ; et

    de mme, la rvolution de toutes les

    autres

    plantes

    correspond un

    temps dtermin, bien qu'il ne soit pas dsign

    par

    un nom particulier, comme le jour, le mois,

    l'anne,

    ce

    fait,

    en ce

    qui

    concerne

    les

    plantes

    autres

    que

    le

    Soleil

    et

    la

    Lune,

    tant

    inconnu de la

    plupart

    des

    hommes. Il

    est manifeste que dans

    ce

    passage Platon n'entend pas

    dfinir

    la

    nature du Temps

    en gnral ;

    il signale seulement que la priode de rvolution de chaque

    plante

    est

    un temps, peut tre prise pour

    unit

    de temps. C'est de ce

    passage,

    nanmoins,

    qu'est

    issue sans doute l'interprtation qui assimile

    le

    Temps

    au mouvement

    de

    l'Univers ; et ce

    que

    reproche Aristote

    cette dfinition, c'est prcisment de

    confondre

    le

    Temps

    avec

    l'unit

    de temps,

    avec le mouvement

    priodique qui est la condition de

    sa mesure. Il dnoncera lui-mme explicitement cette confusion

    {Phys.

    IV, 223b 21-23),

    ce qui permet de percer,

    travers

    son

    enveloppe dialectique,

    le

    sens de l'objection principale qu'il

    adresse

    ici

    cette dfinition. Le

    Temps

    est, dit-on, le mouvement de l'Univers ;

    mais ces deux

    termes

    ne sauraient tre identifis essentiellement.

    Admettons, en

    effet,

    que

    la rvolution cleste

    (repupop) soit

    un

    temps

    ; en vertu

    de cette identification

    (d'o rsulte

    l'acception

    temporelle du

    mot priode,

    qui

    signifie

    primitivement

    rvolution,

    circuit), une partie

    de

    la rvolution cleste est encore un temps, un

    laps de temps

    ;

    mais ce

    n'est

    plus

    une rvolution, une

    priode

    (218b

    1-3).

    En

    d'autres

    termes,

    la

    rvolution

    ou priode

    peut

    tre

    rgarde comme un mouvement ou un temps ; c'est pourquoi le

    mouvement priodique peut fournir

    l'unit

    requise pour la mesure

    du temps

    ;

    mais

    cela

    n'autorise

    pas

    identifier

    essentiellement le

    Temps

    au

    mouvement priodique de

    l'Univers ;

    et c'est ce que met

    en relief l'objection d'Aristote, en opposant la continuit du Temps,

    toujours divisible en temps partiels, en laps de temps, l'indivisibilit

    essentielle

    de la

    priode

    en tant qu'unit de temps.

    Identifier

    essentiellement le

    Temps et

    la rvolution cleste, c'est ne pas distinguer

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    6/29

    Le

    Temps

    selon

    Aristote 61

    entre

    la continuit du

    Temps et le

    nombre

    des

    units qui

    le

    mesurent

    ;

    c'est

    confondre la succession avec

    le

    rythme qui la scande.

    Ce

    point

    tant

    lucid,

    il

    importe

    de

    s'arrter

    la

    seconde

    objection oppose

    par Aristote

    cette mme dfinition

    ; s'il y

    avait,

    dit-il, une pluralit d'univers, il

    y

    aurait une pluralit de temps

    simultans

    (218b

    4-5).

    Mais pour qui

    a

    reconnu

    que

    la rvolution cleste

    est non

    pas

    essentiellement

    le

    Temps, mais seulement l'unit de

    mesure du temps, il n'y aurait en cette hypothse aucune difficult

    ;

    elle obligerait

    seulement admettre plusieurs

    units de temps. Or,

    dans

    un seul

    systme

    cleste, un univers unique,

    n'est-il pas plusieurs

    rvolutions priodiques, correspondant la

    sphre des

    fixes et aux

    divers

    orbes plantaires, et partant plusieurs units possibles pour la

    mesure

    du

    temps

    ?

    Il

    suffit

    aux exigences

    de

    la

    mesure

    que ces

    divers temps de

    rvolution,

    ces diverses units, conservent

    entre

    elles des rapports constants. C'est cette condition qui serait

    exclue

    par une pluralit

    relle d'univers

    ; car si, entre les mouvements

    de

    divers

    systmes clestes, il tait

    possible de saisir

    des

    rapports

    constants, ces systmes, bien qu'ils soient une

    pluralit,

    appartiendraient

    au mme univers. Ce qu'il convient

    seulement

    de retenir de cette

    seconde objection

    d'Aristote, c'est

    donc que la mesure du Temps

    suppose un

    univers

    unique, ou encore que la science requiert

    l hypothse

    d'un Temps

    universel. Mais c'est ce que

    s'applique

    tablir,

    et

    nous

    conduira

    prciser,

    la discussion

    suivante.

    Dlaissant en

    effet

    les formules qui prtendent

    dfinir

    le

    Temps,

    Aristote

    s'attache maintenant

    dgager ce qui fait le

    fond

    des

    conceptions communment

    admises (Soxe

    {AaXtaxa)

    sur

    le temps : c'est

    qu'il est un mouvement et un changement d'une

    certaine sorte

    (xvrai elvai ocat {xsTa(3oXY]

    xi

    xpdvo).

    Cependant,

    bien des

    caractres distinguent

    le Temps des mouvements de toute sorte. En

    premier

    lieu, le mouvement ou le changement est la proprit

    d'un

    sujet

    ou

    d'un

    mobile particulier, tandis

    que le

    temps est

    commun

    tous les

    mouvements ;

    en

    d'autres

    termes,

    le

    temps est

    le substrat

    universel

    de

    tous

    les

    mouvements

    ;

    sous

    un

    mouvement,

    quel

    qu'il

    soit,

    il y a

    toujours l'coulement du

    temps. En outre, tout mouvement

    particulier

    est lent ou

    rapide ; il

    n'en va pas de mme du temps.

    En effet, le lent et le rapide se dfinissent en fonction du temps

    :

    est rapide, ce qui

    se

    meut beaucoup en peu de temps ; lent, ce

    qui

    se

    meut

    peu en

    beaucoup

    de temps Mais

    le temps

    ne se dfinit

    pas

    en

    fonction

    du temps, ni comme une certaine quantit, ni comme

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    7/29

    62 Joseph Moreau

    une

    certaine

    qualit. Le

    Temps

    n'est

    donc pas mouvement, c'est

    l

    une

    vidence

    (2186 9-18).

    Examinons

    de

    plus prs

    cette

    discussion.

    Le

    premier argument

    dclare que tout mouvement particulier est la proprit

    d'un

    mobile ;

    le

    second

    ajoute que

    tout

    mouvement particulier est

    caractris

    par

    une vitesse

    propre

    : il

    est plus lent

    ou

    plus

    rapide, c'est--dire qu'il

    a

    une vitesse plus ou moins grande. Or la vitesse est une

    fonction

    du

    temps ; mais le temps,

    lui,

    ne

    saurait

    avoir une vitesse

    propre

    ; il

    est

    au contraire,

    l'talon de la

    vitesse ; c'est selon

    qu'il s'effectue en

    plus ou moins de temps qu'un mouvement, d'un trajet donn, est

    plus

    ou moins

    rapide.

    Le temps, n'ayant pas une vitesse

    propre,

    n'tant

    pas

    caractris par une vitesse, ne saurait donc tre un

    mouvement.

    Mais cette

    argumentation ne prouve pas autant

    qu'elle

    voudrait.

    Elle prtend

    opposer

    tout mouvement particulier

    un

    temps

    universel,

    qui

    serait

    l'talon

    de la vitesse. Mais bien que la vitesse

    s'exprime

    en

    fonction

    du

    temps, elle

    ne

    s'value pas

    immdiatement

    par rapport au

    temps

    ;

    la vitesse d'un

    mouvement

    ne se mesure

    que

    par

    rfrence

    un

    autre

    mouvement

    ;

    on

    ne

    compare

    directement

    entre

    eux que

    des mouvements ou des vitesses ;

    l'talon de

    la vitesse

    n'est donc

    pas

    le

    temps, mais

    un mouvement pouvant

    servir

    l'gard de tous les mouvements particuliers de terme de

    rfrence

    commun

    et

    universel.

    C'est

    seulement,

    en

    effet,

    dans

    le

    cas

    de

    deux

    mouvements s' accomplissant simultanment que l'valuation

    comparative des vitesses rsulte

    directement

    de la comparaison des

    trajets

    parcourus ; le

    plus

    rapide

    est celui du mobile qui se

    meut le plus,

    qui

    parcourt

    la plus grande distance dans le mme temps. Mais

    ds

    que la comparaison ne porte

    plus

    sur des mouvements

    simultans,

    il faut dire

    que

    le

    plus

    rapide est

    celui du mobile

    qui

    parcourt la

    plus grande distance dans

    un

    temps gal. Or, comment dclarer que

    deux distances sont respectivement

    parcourues

    par deux mobiles dans

    des temps

    gaux,

    si elles ne

    sont

    pas

    parcourues simultanment dans

    le

    mme

    temps

    ?

    En

    d'autres

    termes,

    comment

    dfinir

    l'galit

    de

    deux dures

    non simultanes, si ce

    n'est

    par rfrence un

    mouvement suppos

    uniforme,

    les temps de

    parcours

    de distances gales

    tant

    alors tenus

    pour des

    temps gaux ? La dtermination d'un tel

    mouvement, qui servira d'talon de vitesse, est la condition

    requise

    pour la mesure

    du

    temps. Mais cette condition parat nous

    enfermer

    dans

    un cercle ;

    car, comment

    s'assurer

    qu'un

    mouvement

    est

    uniforme si

    on

    ne sait

    pralablement

    mesurer le temps

    ?

    Le choix

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    8/29

    Le Temps selon Atistote 63

    d'un

    mouvement

    devant

    servir

    d'talon de vitesse et de

    base

    la

    mesure

    du

    temps ne

    saurait donc

    rsulter

    que

    d'une dcision, qui,

    sur

    le

    plan

    de

    la

    critique

    pistmologique,

    peut

    bien

    tre

    motive

    raisonnablement,

    mais

    non

    pas

    s'imposer

    absolument

    ;

    autrement

    dit,

    la

    mesure

    du

    temps suppose ncessairement quelque postulat. Pour

    qu'il

    en

    ft autrement,

    il faudrait

    trouver dans

    une

    cosmologie

    mtaphysique des

    raisons

    absolues de tenir pour

    uniforme

    tel ou tel

    mouvement. C'est ainsi

    que

    la cosmologie antique, regardant le

    systme

    cleste comme

    un Tout,

    se

    croyait

    autorise

    tenir

    pour

    absolument uniformes les mouvements

    de

    rvolution

    du

    ciel.

    N'taient-

    ils pas affranchis de toute condition

    qui

    pt faire varier leur vitesse,

    et

    l'exacte

    et constante proportion

    de

    leurs

    priodes

    n'est-elle point

    une

    garantie

    de

    leur

    rgularit

    ?

    S'il

    faut

    la

    mesure

    du

    temps

    un

    talon universel de vitesse, un mouvement absolument uniforme

    auquel on puisse

    rapporter tous les autres, o le

    trouver

    ailleurs

    que

    dans

    la rvolution de l'Univers ?

    De

    la sorte, la mesure du

    temps

    repose sur

    un

    fondement

    absolu,

    et non pas simplement sur des

    postulats dcisoires ; et c'est

    en

    ce sens prcis qu'elle requiert un

    univers

    unique

    ; ainsi

    entendu,

    le Temps

    universel

    des

    astronomes

    est plus

    qu'une

    hypothse ou

    un

    concept mathmatique

    ; il

    se

    fonde

    dans

    l'ide cosmologique de

    l'Univers.

    Il

    n'en

    demeure

    pas

    moins

    qu'un

    tel temps,

    mme avec

    un tel

    fondement,

    ne

    peut

    s'opposer

    tous

    les

    mouvements

    que

    comme

    leur commune mesure, et

    que

    par suite il est

    lui-mme

    un

    mouvement. C'est le

    propre de

    la

    pense mathmatique que

    de substituer

    au Temps

    l'talon de

    vitesse, le mouvement

    uniforme qui sert de

    base sa mesure. Tmoin la

    formule

    clbre de Newton

    :

    Tempus

    aequabiliter

    fluit, avec le commentaire qui l'accompagne. Ce cours

    uniforme ne

    saurait

    appartenir qu' un mouvement ; et

    ce

    que

    rclame sous le nom de

    temps

    absolu

    et

    mathmatique l'astronome

    newtonien, c'est

    l'idal

    d'un

    mouvement

    parfaitement

    gal,

    qui

    puisse

    servir

    la mesure

    du

    temps (3). C'est la mme exigence

    qu'exprime

    Aristote

    en

    opposant

    tout

    mouvement

    particulier

    le temps

    universel

    (l) Philoaophiae naturalis

    Principia mathemahca, Definitions, Scholium, I :

    Tempus

    Absolutum,

    verum,

    et

    mathematicum, in

    te et

    natura sua

    absque

    relatione

    ad

    externum quodvts, aequabthter

    fluit.

    IV

    .

    Possibile est, ut nu/lui ait motu

    aequabilia

    quo I empus

    accurate mensuretur

    Acceleran et retardari possunt motu

    omnes,

    sed ftuxus (emporta

    absoluti mutari

    neqmt.

    Cf. HAMELIN, Essai sur

    les

    lments

    principaux

    de

    la

    reprsentation, 2e d , p.

    69:

    En ralit, ce

    n'et

    point le

    temps

    que Newton envisage,

    c'est une

    vitesse uniforme .

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    9/29

    64

    Joseph

    Moreau

    et uniforme ; la fonction ainsi dfre au Temps ne

    peut tre

    remplie que

    par un mouvement.

    C'est donc en

    vain

    que son

    argumentation

    prtend distinguer

    le

    Temps

    du mouvement

    en

    gnral,

    aprs

    l'avoir

    distingu de la

    rvolution

    de

    l'Univers ;

    il

    n'aboutit

    qu'

    opposer

    tout

    mouvement

    particulier l'idal

    d'un

    mouvement

    universel et uniforme pouvant

    servir

    d'talon

    de

    vitesse, exigence

    laquelle

    rpond exactement

    dans la cosmologie antique la rvolution

    de l'Univers. Est-ce

    dire

    cependant que toute la

    discussion

    laquelle se livre Aristote est

    oiseuse ?

    Non ; il distingue

    bon droit

    la

    succession

    continue du

    Temps

    de la priode qui sert

    d'unit pour

    la mesure du

    Temps ;

    et si la

    fonction

    qu'il dfre

    au

    Temps

    ne

    peut tre remplie que par un mouvement, encore est-ce cette

    fonction

    du

    mouvement,

    plutt

    que

    le

    mouvement

    lui-mme,

    qui

    dfinit

    la notion du temps. La

    discussion d'Aristote

    manifeste donc

    le

    souci de distinguer le Temps de l'unit de mesure et du nombre

    d'une part,

    du

    mouvement concrtement envisag d'autre

    part

    ; elle

    aboutit suggrer que

    le

    temps est

    une

    certaine

    fonction

    de mesure

    dvolue

    au mouvement.

    Mais

    par

    l et

    on

    ne saurait trop insister

    sur cette remarque

    Aristote se place

    dans cette discussion sur

    la

    nature du Temps, sur la question de

    savoir

    ce qu'il

    est, un

    tout

    autre point de vue que dans la discussion

    sur sa

    ralit,

    sur

    la

    question : s'il est L, le

    problme

    soulev tait d'ordre mtaphysique, et

    plus proprement

    ontologique

    ;

    ici,

    le temps

    qu'il

    a

    en

    vue

    est

    le

    temps mathmatique,

    celui qui

    intervient dans les calculs de la

    mcanique ; bien qu'elle

    se

    fonde pour

    Aristote dans

    l'ide

    cosmologique de

    l'Univers,

    la

    notion

    de ce temps

    rpond

    un problme

    proprement

    pistmologique.

    Il

    n'est

    pas sr qu'Aristote ait aperu

    lui-mme cette

    distinction

    ;

    on

    ne doit cependant

    pas

    la perdre

    de

    vue si l'on

    veut voir clair

    dans sa pense.

    * * *

    11

    rsulte

    de

    la

    discussion

    dialectique

    sur

    la

    nature du

    Temps

    que le

    Temps ne

    se confond pas avec le mouvement (%vT]at.) ou

    le changement (jASTaffoXir]), ces deux termes

    tant

    provisoirement

    quivalents

    (21

    80

    18-20). Mais,

    ajoute aussitt

    Aristote, il n'est

    pas

    non plus

    sans le changement, en l'absence

    du

    changement

    (Xk

    jjLTjv o5' aveu

    ys

    iiexa[3oXYj Ibid. Il, 218b 21). La signification

    de cette formule est prcise

    par

    le commentaire qui suit. Nous

    avons dj not

    que, suivant

    Aristote, le temps ne peut tre mesur

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    10/29

    Le

    Temps

    selon

    Anstote

    65

    sans le mouvement ; remarque

    pistmologique de grande

    importance. Faut-il voir ici l'affirmation ontologique que le Temps

    ne

    peut

    tre

    sans

    le

    mouvement

    ?

    Une

    telle

    affirmation

    serait

    sans

    doute

    prmature

    ;

    et une pareille interprtation dpasserait

    en

    tout cas

    les explications

    fournies ici-mme par Aristote :

    Lorsque

    en effet,

    dit-il,

    nous n'prouvons nous-mmes

    aucun changement

    dans l'objet

    de

    notre

    pense (|Ai]8v

    axo

    jiexapXXwjjLSv

    ttjv Sivoiav), ou

    que

    nous n'avons pas conscience de ce

    changement,

    que nous l'prouvons

    sans nous en

    apercevoir

    (?)

    Xdco-wjiev jiexa[3XXovxe), alors il ne nous

    parat pas (o

    Soxe 'fjjuv) qu'il

    s'est

    coul du

    temps . La formule

    d'Aristote

    a donc une

    signification purement

    psychologique

    ;

    elle

    veut dire que le

    temps ne

    peut tre

    peru

    sans le

    changement

    ;

    la

    perception

    du temps

    suppose

    celle

    du changement.

    Par

    suite,

    une

    suspension de la conscience

    (car c'est

    cela qu'quivaut une

    cessation de la perception du changement) abolit le sentiment de la dure,

    de

    l'coulement du

    temps ; c'est ce qui se produit

    dans

    le sommeil.

    C'est l,

    poursuit

    Aristote,

    ce qui

    arrive

    ceux

    qui

    en

    Sardaigne,

    on le raconte, s'endorment auprs

    des

    hros

    ;

    leur rveil, ils

    n'ont

    pas le sentiment qu'il s'est coul

    du

    temps.

    Ils

    rattachent en effet

    l'instant

    d'avant

    le sommeil

    l'instant d'aprs,

    celui

    de

    leur rveil,

    et des

    deux ils

    n'en

    font qu'un,

    supprimant,

    du fait de l'inconscience

    (5i x^jv

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    11/29

    66 Joseph

    Moreau

    ordinaires, nous

    ne

    pourrons plus

    juger

    combien de temps nous avons

    dormi, si encore la modification trange de notre tat cnesthsique

    nous

    permet

    de

    souponner

    que

    nous

    avons

    dormi.

    Dans

    le

    cas

    enfin

    d'un assoupissement bref, n'excdant pas quelques

    minutes, excluant

    par consquent toute modification sensible de notre tat

    organique,

    nous

    pourrons

    n'avoir

    aucun sentiment

    d'interruption de

    la

    conscience,

    aucune conscience d'un

    intervalle

    de

    temps

    coul.

    Tel

    serait

    le cas

    du

    sommeil

    en gnral, si

    notre

    perception du temps se

    trouvait rduite

    au sentiment immdiat

    de son coulement, si elle

    ne

    se

    compltait pas par des

    jugements,

    par une interprtation

    de

    signes. C'est

    l du

    moins

    ce que veut faire entendre Aristote

    ;

    et s'il

    invoque cette occasion l'exemple fabuleux des

    dormeurs

    de

    Sar-

    daigne,

    c'est

    pour

    se soustraire

    sans

    doute

    aux objections

    que

    l'on

    pourrait

    tirer du

    cas

    de

    sommeil ordinaire, et

    que

    notre commentaire

    vient prcisment

    d'carter (4).

    Il apparat donc que c'est en un sens psychologique qu'il faut

    entendre la

    formule

    d 'Aristote

    :

    le temps n'est point sans

    le

    changement. Elle

    rsulte

    d'abord

    pour

    lui de

    cette remarque

    que la

    perception

    du temps suppose celle du changement

    :

    s'il nous arrive,

    exphque-t-il,

    de n'avoir

    pas

    conscience de l'coulement du temps,

    c'est

    quand nous n'enregistrons

    aucun changement, et que notre

    conscience

    nous parat

    demeurer

    dans l'immobilit

    ;

    mais

    rciproquement,

    pense-t-il,

    il

    suffit

    que

    nous ayons

    conscience

    de

    quelque

    changement,

    ft-il purement

    intrieur l'me,

    pour qu'immdiatement

    nous ayons la perception du temps (cf. 21 80

    29-33 ; 219a

    4-6). Ainsi

    donc, la perception du changement serait la condition non seulement

    ncessaire, mais encore suffisante

    de

    celle

    du

    temps ; ce

    que

    traduit

    cette

    nouvelle formule

    d Aristote

    : la

    perception du temps

    et celle

    du mouvement

    vont

    de pair

    (Sjjta

    fp xiVYjasw ata^-avdjAS^a

    xod

    XP

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    12/29

    Le Temps

    selon

    Aristote 67

    ncessairement partir de la considration du mouvement

    ;

    la notion

    du

    temps est dgager

    de celle du

    mouvement ; nous

    devons

    nous

    demander quel

    lment

    ou

    quel

    aspect

    du

    mouvement

    est constitutif

    du

    temps (x

    xyj

    ouvirjaet& axiv) (219a 3).

    Le Temps,

    s'il n'est

    pas

    le mouvement, est

    du

    moins quelque chose

    du

    mouvement

    (219a

    8-10).

    On voit en quel sens nous

    entendons

    la

    formule clbre

    qui

    chez Aristote prpare la dfinition

    du

    Temps. Si

    on

    observe

    qu'elle

    apparat

    d'abord

    sous

    la forme interrogative (x xyj;

    xiv/jasw

    axiv),

    on ne doutera point,

    aprs notre

    commentaire, qu'elle ait

    une

    valeur

    principalement mthodologique. Elle dtermine la voie

    suivre pour

    atteindre la dfinition

    du Temps. Rien de plus

    loign,

    notre

    sens,

    de

    la

    pense

    d'Aristote,

    que

    l'interprtation

    donne

    de

    ce

    passage

    par

    Hamelin

    :

    Si donc, crit-il,

    pour

    percevoir le temps,

    il

    faut percevoir

    du

    changement, il faut

    conclure de

    l

    que,

    dans la

    ralit, s'il

    n'y a pas de

    changement, il

    n'y a pas de temps

    Le Systme d' Aristote,

    p.

    295.

    C'est

    nou

    qui

    soulignons:

    dans

    la

    ralit.

    (8) Essai

    sur les lments

    principaux

    de

    la reprsentation, 2e

    d., p.

    59.

    (7)

    Cl le

    5

    Exposition transcendentale du concept

    du

    temps.

    (>) Cf. le dbut de la 3e hypothse

    (155e),

    le

    raisonnement

    qui conclut ainsi:

    ouxto

    yp

    fiv

    (xdvu); (de cette seule

    faon,

    se. fxtT^ov

    )(pdvou, en ayant part

    au temps)

    TO CtTO

    U.rcfyot

    TS XOti Oi

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    13/29

    66 Joseph Moreau

    a

    pas

    de changement, il

    n'y a

    pas de temps ; il faudrait que la

    formule

    en question et

    une porte

    ontologique. Mais rien, dans

    le

    passage

    que

    nous venons d'tudier, n'autorise

    une

    telle

    interprtation.

    Il faut

    donc cesser

    de suivre

    Hamelin dans

    une regrettable

    mprise

    : Si

    l'on

    en

    croit Aristote,

    dit-il encore

    dans

    l'Essai,... le temps

    serait

    une

    dpendance du mouvement,

    et

    cela, bien entendu,

    ne

    signifie

    pas seulement

    que, dans

    le

    fait,

    le temps

    vient

    notre

    connaissance par le changement... (9).

    Aristote

    ne

    dit

    cependant

    pas

    autre

    chose,

    ni rien de plus que cela

    ; et

    on s'tonne

    qu'

    Hamelin

    se

    contente d'un bien entendu ,

    et

    se dispense de justifier autrement

    son interprtation. Un peu

    plus

    loin, il poursuit : Ce

    qu'entend

    Aristote, c'est

    que

    le

    temps est

    une

    proprit

    drive, un accident

    du

    mouvement,

    un

    attribut

    qui

    n'est possible

    qu'en

    lui

    et

    par

    lui

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    14/29

    Le Temps

    selon Ariatote 69

    l'on

    veut, un rcdt&o, un

    attribut,

    ou mieux une dtermination du

    mouvement.

    Mais le fait mme qu'Aristote, dans sa recherche sur

    le

    Temps,

    ne

    remonte

    pas

    du

    mouvement

    sa

    condition

    transcendante,

    le

    fait qu'il part de la donne du mouvement

    et s'applique

    seulement en dterminer les conditions d'laboration discursive,

    atteste qu'il abandonne,

    provisoirement

    du moins,

    le problme

    ontologique

    du

    temps, pour

    se placer

    d'abord

    sur

    le terrain pistmolo-

    gique : le Temps

    qu'il se propose de dfinir,

    c'est le

    temps

    mathmatique, celui qui conditionne

    la

    reprsentation intellectuelle, la

    dtermination scientifique et la mesure

    du

    mouvement.

    La perception du

    temps

    suppose

    celle

    du

    mouvement ; telle

    est

    la remarque psychologique qui doit servir de

    point

    de dpart la

    recherche

    de la dfinition

    du

    temps. Elle

    signifie

    que la

    reprsentation

    du

    temps est, en

    fait

    et

    l'origine,

    enveloppe dans celle

    du

    mouvement,

    et

    demande en tre

    dgage par

    l'analyse. Analysons

    donc la reprsentation du mouvement

    ;

    voyons

    quel

    en est le

    contenu

    implicite,

    quelles oprations intellectuelles elle recouvre. Une

    telle

    analyse,

    que l'on

    peut appeler critique,

    s'

    attache

    dcouvrir

    les

    conditions

    immanentes

    de la reprsentation du

    mouvement. Elle

    se

    distingue non seulement de la

    rflexion

    mtaphysique,

    qui

    remonte

    sa

    condition transcendante ; mais elle s'oppose aussi par

    ses

    conclusions

    l'observation

    psychologique courante. Ne nous tonnons

    donc

    pas si, aprs avoir

    observ

    que la reprsentation

    du

    temps suppose

    l'origine

    celle

    du

    mouvement, nous dcouvrons

    qu'au terme de

    son

    laboration

    intellectuelle, c'est la

    reprsentation distincte

    et

    objective du mouvement qui prsuppose, enveloppe, requiert

    titre de

    condition

    immanente,

    la distinction des instants successifs dans

    le

    temps.

    Aristote,

    en

    effet,

    non content

    de

    nous

    signaler

    que

    la

    perception du

    temps suppose en

    fait celle du

    changement,

    essaie

    de nous

    rendre compte de ce fait ; c'est alors qu'il passe de

    l'observation

    psychologique

    l'analyse

    critique, et qu'il labore une observation

    psychologique en considration pistmologique. Le concept

    du

    temps, nous

    l'avons vu

    au

    cours de la

    discussion

    sur

    l'tre

    du Temps,

    implique

    diversit

    d'instants : S'il n'y avait

    pas

    diversit

    d'instants,

    mais

    identit d'un

    instant

    unique, il

    n'y

    aurait

    pas de temps

    ;

    de

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    15/29

    70 Joseph Moreau

    mme,

    conclut

    Aristote,

    si

    cette diversit

    passe inaperue,

    nous

    ne

    percevons pas non plus l'intervalle de temps (2186 27-29). L'instant

    o

    se

    rveillent

    les dormeurs

    de

    Sardaigne

    est

    distinct

    de

    l'instant

    o

    ils se

    sont

    endormis

    ; mais ces deux instants tant spars pour

    eux par un tat d'inconscience,

    ils

    ne les saisissent pas comme

    distincts

    ;

    ils ne

    constituent pour

    eux qu'un

    instant unique et

    indivisible

    ;

    c'est

    pourquoi

    ils n'ont pas leur

    rveil le sentiment

    qu'il

    s'est coul du temps. La perception du temps suppose en fait celle

    de

    changement ; mais s'il en est ainsi, c'est qu'elle a pour

    condition immanente la perception d'instants

    distincts, le discernement

    des instants, et que seul le changement

    peut distinguer

    des

    instants.

    Supprimez le changement,

    on

    ne conoit plus

    comment

    pourraient se

    distinguer

    des

    instants

    ;

    non

    seulement,

    en

    effet,

    la

    perception

    d'instants distincts, le discernement effectif

    des

    instants, suppose que

    soit

    donn le changement ; s'il

    n'tait

    aucun

    changement

    percevoir,

    des

    instants

    ne

    sauraient

    tre perus comme distincts

    ;

    mais encore,

    ils

    ne

    pourraient pas mme tre distincts,

    c'est--dire

    tre conus

    comme distincts.

    Ne

    nous laissons pas

    abuser, en effet, par

    la

    phrase

    ci-dessus

    (2186 27-29),

    o

    Aristote semble opposer la

    diversit relle des

    instants

    la perception de cette diversit, en

    considrant le cas o cette

    diversit passe

    inaperue ; cette

    diversit

    relle des instants est simplement celle

    qui

    est

    implique dans le

    concept

    du

    temps,

    tel

    qu'Aristote

    l'envisage

    dans

    la

    premire partie

    de la discussion

    dialectique,

    alors

    qu'est

    prcisment en question

    la ralit du Temps. La

    seule opposition

    qui se

    manifeste

    ici

    est

    celle de la

    notion

    objective du temps

    et

    de la perception du

    temps par un sujet ; la

    pense

    d'Aristote ne

    dcouvre

    ici aucun

    arrire-plan ontologique ;

    en

    nous suggrant

    que

    le

    changement

    seul

    peut distinguer

    les instants,

    elle nous laisse

    entrevoir que

    le

    temps,

    dont

    la reprsentation repose

    sur

    la distinction des instants, ne peut

    consister qu'en un certain type

    de

    relations qui

    ne trouvent

    s appliquer qu'au phnomne du

    changement.

    L'tre du temps

    apparat

    dans

    cette

    mesure

    comme

    li au

    changement,

    et

    pour

    ainsi dire

    suspendu lui

    ;

    c'est ce que

    l'on

    peut concder

    l'interprtation

    d'Hamelin, mais en

    observant

    qu'il ne s'agit, bien entendu,

    que

    de

    la

    reprsentation

    mathmatique, en rservant expressment le

    problme

    ontologique soulev par le

    fait du changement,

    et qu'Aristote

    lui-mme

    reprendra

    tardivement.

    La reprsentation du temps repose sur la distinction des

    instants, et celle-ci son tour est inconvenable en l'absence

    du

    chan-

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    16/29

    Le Temps

    selon Aristote

    7\

    gement. C'est pourquoi

    la perception du

    temps, qui

    suppose le

    discernement des instants titre de condition immanente, est

    impossible

    en

    dehors

    de

    l'exprience

    du

    changement

    ;

    mais

    s'ensuit-il qu'inversement, comme semble l'affirmer

    Aristote

    (219a 4-6),

    la conscience du changement soit la condition immdiate

    et

    suffisante de

    celle

    du

    temps

    ?

    S'il

    en

    est ainsi, ce ne saurait tre

    que

    pour

    une

    conscience bien informe

    ; car

    la perception du temps

    n'est lie

    de faon immdiate qu'au discernement des

    instants

    ; et supposer

    qu'il y ait

    entre

    la

    reprsentation du

    temps et la distinction

    des instants

    une

    solidarit

    allant jusqu'

    l'quivalence,

    au point

    que la distinction

    des instants

    soit

    la condition

    non

    seulement ncessaire, mais encore

    suffisante de la perception

    du

    temps, la distinction des instants

    son

    tour,

    qui

    est

    inconcevable

    en

    l'absence

    du

    changement,

    est-

    elle

    donne

    dans

    le

    fait mme

    du

    changement

    ? Qu'il soit

    impossible

    de

    distinguer des instants pour une

    conscience

    qui n'prouve

    aucun

    changement, c'est ce qu'on peut accorder

    Aristote ;

    mais

    l'exprience

    du

    changement, qui fournit matire la distinction des instants,

    n'quivaut

    pas

    l'opration qui accomplit cette distinction et qui

    est constitutive de la conscience

    du

    temps Sans

    doute

    cette opration

    en vient-elle

    s'accomplir spontanment ds

    que nous

    prouvons

    quelque changement, et c'est ainsi que la conscience du changement

    parat tre la condition suffisante de la perception

    du

    temps ; mais

    il

    n'en

    est

    ainsi,

    disions-nous,

    que

    pour

    une

    conscience

    bien

    informe, c'est--dire

    exerce

    l'opration

    qui

    distingue

    les

    instants.

    Lors donc qu'Aristote semble nous dire que la perception du

    changement est la condition suffisante

    de celle du

    temps, c'est

    qu'il

    se

    place

    dans l'hypothse d'une

    conscience

    bien informe

    et qu'il

    nglige,

    momentanment, les conditions immanentes de la perception.

    En

    recherchant ces conditions

    par l'analyse,

    on

    dcouvrira

    que, loin

    que la conscience immdiate du changement

    suffise

    la perception

    du

    temps,

    celle-ci

    suppose une opration de

    discernement,

    faute de

    laquelle

    on se

    borne

    prouver

    le

    changement,

    sans

    pouvoir

    parvenir

    se le

    reprsenter

    comme une

    succession

    d'tats. Ainsi la perception

    du

    changement, qui semble, l'origine et en

    fait,

    conditionner

    d'une

    faon suffisante la

    perception du

    temps, fournit

    seulement

    occasion

    et

    matire l'opration intellectuelle qui

    distingue

    les

    instants

    et constitue le temps

    ;

    et encore n'est-ce point, vrai dire,

    la

    perception, mais

    la conscience

    immdiate du changement

    qui

    intervient dans ce

    rle,

    car la perception proprement

    dite,

    la

    reprsentation distincte du mouvement ne s'labore

    au contraire

    que

    par

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    17/29

    72

    Joseph Moreau

    la distinction des instants et ne s'achve qu'avec la reprsentation

    du

    temps.

    Que

    cette

    opration

    intellectuelle

    qui distingue

    des

    instants,

    et

    laquelle

    l'exprience

    immdiate du mouvement fournit seulement

    matire, soit

    requise pour

    la reprsentation distincte du mouvement,

    et que,

    implique en celle-ci, ce soit

    elle

    qui

    constitue

    le temps,

    qu'elle

    soit cet lment de la reprsentation du mouvement

    (x?)

    xiVYjast& tt) que

    nous

    appelons le

    temps,

    cela

    ne

    saurait

    passer

    pour une

    interprtation

    trompeusement idaliste de la

    pense

    d'Aris-

    tote

    ; c'est au contraire ce

    qu'attestent

    ses

    propres explications.

    Moins que personne

    Aristote

    ne pouvait mconnatre la ncessit

    d'une

    opration intellectuelle pour

    se

    reprsenter

    le mouvement d'une

    faon

    distincte,

    sous

    l'aspect d'une

    succession.

    Car

    le

    mouvement,

    tel qu'il le conoit, n'est pas cette propagation indfinie familire

    la physique

    moderne ;

    le mouvement

    n'est

    pas essentiellement

    pour

    lui

    le

    transport,

    participant

    immdiatement l'infinit de l'espace et

    du temps en

    fonction

    desquels

    il s'exprime

    ;

    c'est, en son

    essence

    gnrale,

    un

    changement

    affectant un

    tre

    naturel, et dont les

    espces

    principales sont la

    gense et

    le

    prissement, l'accroissement et

    la

    diminution, l'altration, le

    dplacement

    ou transport (11).

    Or,

    de tels

    changements, qu'on les

    considre

    dans

    les

    tres vivants ou dans les

    corps premiers

    de la nature, les

    quatre

    lments de la physique

    antique,

    se

    prsentent

    toujours

    comme

    des

    processus

    finis,

    s

    'accomplissant entre

    un point

    de

    dpart et un point d'arrive

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    18/29

    Le

    Temps

    selon Aristote 73

    autres changements

    substantiellement

    se rduisent

    fl3)

    ; il en est

    cependant

    l'espce qui se prte le plus directement une

    reprsentation

    intellectuelle

    distincte,

    et

    par

    laquelle

    est

    rendue

    possible

    la

    reprsentation symbolique

    de

    toutes

    les

    autres

    espces du

    changement. La physique mcaniste ralise spontanment ses objets

    ;

    or,

    comme le mouvement ne peut se dterminer de faon objective qu'en

    fonction

    du temps,

    le

    mouvement local,

    variation

    directement

    mesurable d'une

    distance

    en

    fonction

    du temps,

    apparat au

    physicien

    raliste comme la forme fondamentale

    du

    mouvement. Mais une

    tude critique, comme celle

    d'Aristote,

    s'attache la gense

    des

    objets de la

    reprsentation

    scientifique

    ; elle

    recherche comment se

    constitue et quoi correspond

    cette

    reprsentation du temps qui

    sert

    de

    trame

    la

    reprsentation

    du

    mouvement

    ;

    elle

    nous

    conduit

    reconnatre que si le mouvement, dans les

    quations

    de la

    mcanique, se dfinit en

    fonction

    du temps, la

    notion

    du temps a d

    tre pralablement

    dgage

    de l'exprience

    confuse du

    mouvement,

    ou

    construite partir

    d'elle ;

    c'est dans

    cette construction qu'

    l'espce du mouvement local revient

    un

    rle privilgi,

    par

    o

    s'explique le sort qui lui est fait

    dans

    les

    thories mcanistes.

    Le mouvement local,

    ou transport,

    n'chappe pas

    la

    loi

    gnrale selon laquelle

    tout

    changement s'accomplit d'un tat initial

    un tat final ; il

    n'est

    pas

    par

    essence infini ; l'ternit, ou plus

    exactement la

    perptuit

    indfinie

    du mouvement, se

    tirera,

    pour

    Aristote,

    d'arguments extrieurs

    l'espce

    du mouvement local (Phys. VIII,

    1-2)

    ; et c'est au

    terme

    d'une

    longue

    recherche qu'il dcouvrira dans

    le

    transport

    circulaire (xuxXopopca), dans la rvolution

    de

    la sphre

    cleste, un

    mouvement prsentant les

    attributs

    de la

    continuit et

    de

    l'infinit, requis

    au

    mouvement

    premier

    (ibid.

    9).

    Le mouvement local,

    comme un processus de

    gnration

    et de croissance, a donc, hormis

    le

    cas

    du transport

    circulaire, un point

    de

    dpart et un point d'arrive ;

    c'est,

    par

    exemple, le mouvement d'une pierre qui tombe,

    mouvement

    qui atteint son terme quand la pierre est arrive au sol.

    A

    cet

    gard, il

    n'est

    rien

    qui

    diffrencie

    le

    transport

    parmi

    les

    autres

    espces

    du

    changement ; et quand il

    est bref

    et

    soudain, comme

    par

    exemple

    le

    passage

    d'une

    toile

    filante, il est

    saisi

    par

    la

    conscience,

    ainsi

    La primaut

    que reconnat An*tote

    au transport

    doit

    tre

    entendue

    en

    un autre sens

    Cf Phys

    VIII, 7,

    260a 26

    - b

    7;

    l 'argument

    qui

    suit {7-13),

    d inspiration mcaniste,

    est

    d'usage exotrique, et

    ne

    saurait tre

    pris

    par

    Aristote

    son

    propre

    compte on remarquera d'ailleurs les termes

    dont il

    use oKOfft, \iyncu.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    19/29

    74

    Joseph Moreau

    que

    l'observe Bergson (14),

    dans une impression

    indivise

    o nous

    ne discernons aucune succession. Mais que ce

    mouvement

    se

    ralentisse,

    que

    nous puissions l'observer

    loisir,

    ou

    mieux

    encore

    l'arrter

    dans son cours, puis

    le

    laisser repartir,

    et

    derechef

    le

    reproduire,

    alors, de l'impression immdiate

    notre

    attention dgagera

    une

    reprsentation distincte, o il apparatra

    sous

    des traits nouveaux. Dans

    le

    mouvement

    local,

    en effet, le point

    de

    dpart et le point d'arrive

    ne

    sont

    pas simplement

    deux tats

    qui se diffrencient

    qualitativement ou spcifiquement, comme dans la

    transmutation

    des lments,

    le

    passage de

    l'eau

    en air ou de la terre en eau, bref dans ce que

    nous appelons

    aujourd'hui

    le

    changement

    d'tat des corps,

    fusion

    ou

    vaporisation ; ce

    sont

    littralement deux

    points

    distingus

    dans

    l'espace

    et

    spars,

    non

    pas

    seulement,

    comme

    les

    deux

    tats extrmes

    du changement en gnral,

    par

    une dure inextensive,

    un sentiment

    purement

    subjectif

    d'attente ou d'apprhension,

    mais

    par

    une

    distance mesurable.

    Dans

    le

    mouvement local, quand

    l'attention

    le

    soumet son analyse,

    le changement

    se rvle

    solidaire

    d'une

    grandeur, et les caractres de cette grandeur

    vont

    se communiquer

    la

    reprsentation du

    changement. C'est

    ce

    qiu'Aristote

    exprime

    dans cette

    formule,

    qui renferme

    le

    principe de la mthode

    par

    o

    va

    se constituer pour lui la reprsentation du temps

    :

    dfotoXou&e xq) liey^-ei ?) KtVrjat (219a 11-12) ; le mouvement se rgle

    sur

    la

    grandeur

    ;

    aux

    attributs

    de

    la

    grandeur

    correspondent

    ceux

    du

    mouvement,

    et ceux-ci

    leur

    tour vont se communiquer

    au

    temps.

    C'est parce que la grandeur est continue, nous

    dit

    Aristote,

    que

    le mouvement,

    lui aussi, est continu ; et

    parce que

    le

    mouvement

    l'est, le

    temps aussi

    le sera. A toute

    quantit

    du

    mouvement

    accompli

    parat, en effet, correspondre une quantit de temps coul (219a

    12-14,

    cf. 220o

    25-28).

    Aristote institue

    donc

    ici une correspondance

    entre

    trois

    termes :

    la

    grandeur (ou

    l'espace parcouru),

    le

    mouvement

    et

    le temps ; ces trois

    termes

    forment un

    srie,

    et la reprsentation

    du second

    se rgle sur celle

    du

    premier, celle

    du

    troisime sur celle

    du second,

    et

    par

    l,

    indirectement,

    sur

    celle

    du

    premier.

    C'est

    l'aide

    de

    ce schma qu'Aristote va rsoudre le problme

    de

    la

    dfinition du temps,

    et mme,

    tentera-t-il, les

    difficults

    relatives

    (14> Essai

    sur les

    donnes immdiates de la conscience,

    p

    85

    N'oublions

    pas

    que, tandis qu'il

    mditait

    l'Essai,

    qui est

    sa thse

    de

    doctorat,

    Bergson

    tudiait la

    Physique

    d'Anatote,

    particulirement ce livre IV, d'o il

    tirait

    sa thse

    complmentaire- Quid Anstoteles de loco senserit

    On sait

    la place qu'occupe dans son

    emivre

    la

    discussion

    des arguments

    de

    Zenon

    sur

    le mouvement.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    20/29

    Le

    Temps

    selon Aristote 75

    son

    tre.

    Mais

    il

    est manifeste que c'est seulement la considration

    du mouvement local

    qui permet

    l'tablissement de

    cette

    correspondance

    ;

    lui

    seul

    se prte directement

    cette

    opration

    intellectuelle

    par

    o se constitue la reprsentation du temps.

    On peut s'tonner qu'Aristote,

    dans la phrase

    que

    nous venons

    de

    citer,

    fasse dpendre la continuit du mouvement de

    celle

    de

    la grandeur, ou espace parcouru. Le mouvement n'est- l pas

    essentiellement

    passage

    de la puissance

    l'acte,

    progrs continu et

    indivisible ? Mais la

    continuit

    ne se dfinit objectivement que

    par

    la divisibilit l'infini

    ;

    ainsi dfinie, elle appartient essentiellement

    la

    grandeur

    extensive, elle est une proprit de la ligne ; aussi

    est-ce

    seulement

    en

    s 'adossant

    celle

    de

    l'espace parcouru

    que la

    reprsentation du

    mouvement

    reoit

    l'attribut

    explicite

    de

    la

    continuit.

    Au progrs

    indivis,

    qui est l'aspect primitif et immdiat du

    changement, se substitue de la sorte

    une continuit

    infiniment

    divisible, o l'on pourra distinguer les lments d'une succession. C'est

    en

    ce

    sens que

    la continuit

    du

    mouvement est dite drive

    de

    celle

    de la grandeur.

    Quant

    la

    succession, dclare Aristote,

    ou

    pour parler son langage, l'avant et Yaprs (l... npxepov v.aX 5axepov),

    c'est encore dans le lieu (ce qui revient

    dire

    dans la grandeur

    spatiale) qu'elle

    se rencontre

    primitivement

    (219a

    14-15).

    Sans

    doute,

    pour

    que les points

    d'une ligne

    soient

    rangs selon

    Yavant

    et

    Yaprs,

    faut-il

    que

    cette ligne

    soit

    considre comme

    la

    trajectoire

    d'un mouvement,

    qu'elle

    soit un

    vecteur

    orient ; et en ce

    sens,

    c'est la direction

    du

    mouvement qui conditionne,

    transcendenta-

    lement,

    la distinction de

    Yavant

    et de Yaprs ; mais cette distinction

    ne peut tre

    effectue

    que grce

    l'extriorit

    rciproque des points

    de la ligne, la

    coexistence des

    lments de la

    grandeur extensive ;

    et c'est pourquoi Aristote nous

    dit que Yavant

    et

    Yaprs se trouvent

    primitivement

    dans l'espace parcouru,

    et

    que c'est de l qu'ils

    passent dans la reprsentation

    du

    mouvement. C'est de la sorte,

    par

    sa

    solidarit

    avec

    une

    trajectoire

    o l'on

    peut

    distinguer

    des

    points coexistants et susceptibles d'tre rangs selon la direction du

    mouvement,

    que le mouvement local, qui

    n'est

    primitivement qu'un

    progrs orient,

    mais

    indivis,

    se traduit la reprsentation

    sous

    l'aspect d'une

    continuit

    infiniment

    divisible.

    C'est

    le

    fait du

    mouvement,

    sa nature essentiellement

    progressive,

    qui

    donne

    une

    signification aux

    termes

    d'avant

    et

    d'aprs,

    la notion

    de

    succession ;

    mais

    c'est

    la reprsentation de la

    grandeur extensive,

    de l'espace

    parcouru, qui permet la dtermination des successifs ; c'est la distinc-

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    21/29

    76 Joseph Moreau

    tion

    des

    points coexistants qui

    supporte celle des position

    successives.

    Mais o

    intervient,

    en

    tout

    cela, la

    reprsentation du

    temps,

    dont nous avons

    dit qu'elle sert de

    trame

    la reprsentation

    distincte

    du

    mouvement

    comme succession

    d'tats

    ? A vrai dire, ce qui est

    impliqu dans la reprsentation distincte

    du

    mouvement, c'est

    moins

    la reprsentation

    elle-mme

    du

    temps,

    que

    l'opration par o elle

    se

    constitue, celle qui consiste

    distinguer des instants.

    La

    reprsentation elle-mme

    du

    temps n'est pas constitue

    avant

    la reprsentation

    distincte

    du

    mouvement ;

    c'est simultanment que toutes deux

    elles

    s'achvent

    ;

    et mme, s'en rapporter

    au

    schma

    prcdemment

    dcrit, la reprsentation dfinitive du temps serait drive de

    celle

    du

    mouvement.

    Du

    moins, Aristote dclare-t-il

    explicitement

    que

    la

    succession, Vacant

    et

    Yaprs dans le temps, ne fait que reflter la

    succession qui apparat dans le mouvement (l0>.

    Essayons

    de

    tirer

    au clair

    sa

    pense.

    La succession dans le temps, la succession

    propre

    au temps,

    c'est la

    succession des instants ; elle

    reflte la

    succession des

    positions du mobile, la

    succession

    dans le mouvement, comme celle-ci

    refltait

    la

    succession

    des

    points de la

    ligne,

    la succession, c'est--dire

    le

    rangement

    des coexistences dans l'espace.

    Mais si

    tel est l'ordre

    de dpendance entre les

    divers aspects,

    les diverses reprsentations

    de la

    succession,

    le mme ordre ne lie pas ncessairement les

    dmarches

    par

    o

    se

    constituent

    ces

    reprsentations.

    Nous

    venons

    de

    voir

    que Y avant

    et

    l'

    aprs ne sont d'abord donns la reprsentation

    que

    dans

    l'espace, que les successifs ne peuvent tre dtermins que

    grce la distinction des points

    coexistants

    dans l'espace ;

    n'empche

    que ce

    n'est

    pas de la

    coexistence

    dans

    l'espace

    que la

    notion

    d'avant et

    d'aprs,

    ou

    de

    succession, tire

    sa

    signification ;

    le

    mouvement,

    et sa

    direction, est la condition,

    disions-nous,

    transcendante,

    qui donne son sens une opration laquelle la coexistence spatiale

    fournit seulement le moyen de s'effectuer avec prcision.

    Voil

    ce

    qu'on ne

    saurait perdre

    de

    vue,

    tout en

    concdant

    que

    la

    succession

    dans

    le

    mouvement

    reflte

    la

    succession dans

    l'espace.

    Ne

    nous

    tonnons donc pas davantage si, pour la reprsentation constitue,

    on

    doit admettre que la

    succession

    des

    instants

    dans le temps ne fait

    que reflter

    la succession des positions

    du

    mobile, la succession

    dans

    le mouvement. Comment, en

    effet,

    distinguerions-nous

    effectivement

    (15) Physique,

    IV,

    II,

    219a

    18-19 'AXX

    jjl'Jjv

    xal v XP0'^ aTt x npottpov xol

    fatepov 8i x xoXoutcv el Qaxtpqj 6dtxcpov xv.

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    22/29

    Le

    Temps

    selon

    Aristote

    77

    des

    instants successifs autrement

    que

    par

    les

    positions

    successives

    d'un mobile ? La reprsentation du temps ne

    tire-t-elle

    pas son

    origine

    de

    l'exprience du

    changement

    ?

    Et

    si

    c'est

    le

    progrs du

    changement

    qui donne un

    sens

    la

    distinction

    de Yavant

    et

    de

    Yaprs,

    la notion de succession, n'est-ce pas

    seulement

    la solidarit

    du

    mouvement local

    avec sa trajectoire

    qui

    permet

    de dterminer

    des

    successifs

    ?

    et ces successifs, ds

    lors,

    peuvent-ils se dfinir

    autrement

    que comme des positions

    du

    mobile ? Lors donc que nous nous

    reprsentons

    le temps, c'est--dire

    la succession

    des instants, c'est

    donc

    bien

    la

    succession

    des positions du mobile, la

    succession

    dans

    le mouvement,

    qui

    se reflte dans notre reprsentation. Encore une

    fois,

    la notion

    de

    succession

    ne

    tire son

    sens

    que

    du progrs du

    mouvement

    ;

    et

    les successifs

    ne

    peuvent

    se

    manifester

    tout

    d'abord que

    comme des phases ou des tats distingus dans le mouvement, des

    pisodes du

    mouvement ; c'est ainsi

    que

    dans

    le

    mouvement

    local,

    les

    positions

    du mobile ne

    sont d'abord

    que

    des

    tats du mouvement,

    particulirement faciles distinguer en raison de leur

    correspondance

    avec des points de la

    trajectoire

    ; et ce

    n'est

    qu'en vertu

    du

    mouvement

    qui

    les parcourt que les points de la

    trajectoire deviennent des

    positions du mobile,

    c'est--dire

    des

    tats

    du

    mouvement.

    La

    succession proprement dite, celle qui est plus qu'un rangement de points

    coexistants, n'apparat

    donc qu'avec le

    mouvement,

    et est inhrente

    au

    mouvement.

    C'est

    pourquoi

    les successifs,

    envisags comme

    des

    termes

    qui se

    succdent,

    ne peuvent tre tout d'abord que des

    pisodes du

    mouvement. Mais le terme, ou

    le

    sujet, quel

    qu'il soit,

    qui reoit l'attribut de successif ne se

    confond

    pas avec l'tre

    du

    successif ;

    autre chose est le mouvement, ou un pisode, ou un tat

    de mouvement

    ;

    autre

    chose, le

    fait d'rte

    successif

    (16). Or, on peut

    considrer abstraitement ce fait d'tre

    successif,

    se reprsenter la

    srie des successifs, abstraction

    faite de

    la nature

    propre

    des termes

    qui

    se succdent. Ce sont bien encore des pisodes ou des tats

    du mouvement qu'on se reprsentera, et plus prcisment des

    positions

    d'un

    mobile, correspondant

    des

    points

    d'une

    trajectoire.

    Mais ces points seront considrs seulement, cette

    fois,

    comme les

    symboles de termes, quels qu'ils

    soient,

    pouvant se succder ; ces

    points ne seront plus alors les lments de la ligne,

    ni

    les positions

    successives

    d'un

    mobile,

    les pisodes

    lmentaires

    d'un mouvement

    ( > Ibxd ,

    19-21

    Eijxi 8 x

    itpdxepov

    xa\ Saxepov [atv] iv xfj xiv^act,

    8

    itoxc

    8v

    xtvtjfffc

    axiv

    x [xcvxoi clvai auxj

    xepov

    xal

    06

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    23/29

    78 Joseph Moreau

    local, mais les elements de la pure succession ; les

    points,

    dans cette

    fonction symbolique, sont ce

    qu'on

    appelle

    des

    instants ; ils sont

    les

    lments

    de

    la

    reprsentation

    du

    temps.

    On

    voit en quel sens

    on

    peut dire que la reprsentation

    du

    temps est drive

    de celle du mouvement

    : c'est parce

    qu'elle

    est

    la reprsentation abstraite de la

    succession,

    qui

    n'est

    donne que

    dans le

    mouvement

    ; la succession abstraitement considre,

    la

    succession des instants

    dans le temps, ne peut que reflter la succession

    des tats du changement, ou des positions du mobile, la

    succession

    dans le mouvement.

    L'ambigut de

    la thorie d'Aristote provient

    de ce qu'il

    ne

    distingue pas

    explicitement entre

    la reprsentation du

    temps, que l'on peut

    dire

    drive de celle du mouvement,

    et

    l'opration

    par

    o

    se constitue cette reprsentation. Pourtant,

    il

    nous

    dcrit

    minutieusement

    le mcanisme

    de la symbolisation

    par o

    est

    rendue

    possible

    la reprsentation abstraite de la succession. Pour que

    la succession

    dans

    le mouvement se reflte

    dans

    la pure succession

    temporelle,

    il faut d'abord

    que l'impression

    de progrs

    indivis, par

    o se rvle

    primitivement le

    changement, et d'o la

    notion

    de

    succession, la relation

    d'avant

    et d'aprs tire son sens, se rsolve

    par

    l'analyse en

    une srie

    de

    termes successifs, ce qui n'est rendu possible

    que

    par

    la solidarit du mouvement local avec sa

    trajectoire.

    Les

    tats successifs du mouvement se

    distinguent

    alors comme des

    positions

    successives,

    comme

    les

    points

    de

    la

    ligne

    successivement

    occups

    par

    le mobile

    ; et c'est par

    l que ces points peuvent

    symboliser des

    instants, lments de la pure succession. La reprsentation du temps,

    de la

    pure succession,

    est

    impossible sans

    le moyen de tels symboles

    ;

    et c'est pourquoi l'opration qui distingue des

    termes

    successifs dans

    le

    mouvement, qui traite les points comme des positions

    successives,

    permettant ainsi de les

    considrer

    comme des

    symboles,

    comme les

    symboles des lments de la

    succession

    pure,

    ou

    instants,

    constitue

    la

    fois

    la reprsentation

    distincte

    du

    mouvement et

    la

    reprsentation

    abstraite

    du

    temps.

    La reprsentation

    qui rsulte

    de

    la

    dtermination

    des

    instants,

    voil,

    nous

    dit

    Aristote,

    ce

    qu'on

    appelle

    le

    Temps

    :

    x Yp ptdjievov T(p vOv XP^VS s^ai So s(219a

    29-30).

    Cette formule

    met en relief le rle de

    l'opration

    intellectuelle

    par

    o se constitue

    la reprsentation

    du

    temps.

    Aristote

    nous

    avait

    fait remarquer tout

    d'abord que la perception du temps est

    impossible sans

    l'exprience

    du mouvement

    ;

    et

    il

    nous avait indiqu

    qu'il

    en est ainsi parce que

    la perception

    du

    temps suppose le discernement

    des

    instants, et que

    seul le changement permet de

    distinguer

    des

    instants.

    Nous avons

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    24/29

    Le

    Temps selon

    Aristote 79

    reconnu maintenant quoi se rduit le rle du changement

    ;

    ce

    n'est

    pas

    par lui-mme, par sa

    variation

    propre,

    qu'il aboutit

    diversifier

    des

    instants

    ;

    la

    continuit

    indivise

    de

    cette

    variation

    s'y

    oppose ; il fournit seulement un sens

    la relation

    d'avant

    et

    d'aprs,

    la

    notion

    de succession. Mais

    le

    discernement

    des instants suppose

    la

    distinction

    de

    termes

    successifs ; c'est cette opration

    qu'

    Aristote

    appelle dterminer le

    mouvement.

    Nous

    parvenons,

    dit-il,

    la

    connaissance

    du

    temps,

    quand nous dterminons

    le mouvement, en

    dterminant

    Y

    avant et

    l'aprs

    (17) ; c'est--dire en y distinguant des

    termes successifs.

    Or cette

    opration ne

    se rduit pas un

    discernement qualitatif,

    une simple

    diffrenciation logique.

    Dterminer la succession,

    distinguer des termes successifs,

    ce

    n'est

    pas

    les

    concevoir seulement

    comme

    diffrents,

    mais

    comme

    spars

    par un intervalle distingu d'eux (18). Voil

    qui

    n'est

    possible que

    par

    la

    projection

    du

    mouvement

    sur

    sa trajectoire ; c'est

    seulement

    dans

    l'espace,

    sur une ligne, que l'on peut

    distinguer

    des extrmits

    et un intervalle,

    compter

    les termes d'une succession. Cette opration,

    qui n'est

    possible

    qu'

    la

    faveur

    du

    mouvement local, objet

    de la

    cinmatique, qui suppose une symbolisation gomtrique de la

    succession et un dnombrement des

    termes

    successifs, est une opration

    mathmatique. Aristote en

    retient principalement l'aspect

    arithmtique,

    l'acte du dnombrement. Pour percevoir

    le

    temps, il faut que

    nous

    comptions

    au

    moins

    deux

    termes

    distincts

    par

    leur

    rang

    dans

    une

    succession,

    que nous dterminions au

    moins

    deux instants ; ou,

    si

    nous

    ne

    comptons

    qu'un instant

    unique, que nous le saisissions

    comme l'articulation de deux moments, l'un antrieur,

    l'autre

    postrieur

    (219a

    30-33). Ce

    sont

    ces considrations arithmtiques

    qui

    aboutissent la

    dfinition

    clbre

    : le temps, c'est

    le nombre du

    mouvement

    selon l'aoani

    et l'aprs

    ;

    xoxo

    yp axtv

    y^pvo,

    p&p xtvi/)aea) xax x

    Trpdxspov

    xai axepov) (219b 1-2).

    *

    *

    *

    L'ambigut que

    nous avons

    signale dans la thorie

    d'Aristote,

    et qui

    tient ce qu'il

    ne distingue

    pas toujours explicitement

    entre

    la

    reprsentation

    du

    temps et

    l'opration

    par o elle se

    constitue,

    (>') Ibid

    . 22-23.

    AXX (i^v xal

    ?&v

    ^pdvov

    yt

    yvu}plQy.sv, 6'txv plcrtdfitv t4)v

    x{vY)?iv, t npdtcpov xal Svxspov

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    25/29

    80

    Joseph Moreau

    reparat

    dans la

    formule

    de cette

    dfinition ;

    ce qui

    va fournir

    Aris-

    tote lui-mme l'occasion

    de l'lucider.

    Cette ambigut

    se

    relie, en

    effet,

    la

    difficult

    souleve dans

    le chapitre

    10,

    sur

    la

    notion du

    temps.

    On

    se rappelle que la discussion d'Aristote tendait distinguer

    le temps de l'unit de mesure, et par l du nombre, d'une part,

    le

    distinguer aussi

    du

    mouvement d'autre

    part. Il

    va nous

    montrer

    maintenant que sa dfinition

    rpond

    cette double exigence. Le

    temps, dit-il en

    consquence

    de

    sa dfinition, n'est

    pas

    le

    mouvement,

    mais l'aspect par o le mouvement comporte

    nombre

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    26/29

    Le Temps

    selon Aristote 81

    cette

    variation

    sera dfinie objectivement, et

    toute la

    contradiction

    inhrente au changement sera, autant qiu'il se peut,

    dissipe,

    si les

    grandeurs

    variables

    de

    la

    distance peuvent

    tre

    mises

    en

    relation

    avec

    une autre

    grandeur convenablement

    choisie. C'est par l

    que

    le mouvement s'exprime

    dans

    une

    quation

    : e =

    (/) t. Mais cette

    autre grandeur, o se doit se rfugier, pour tre dnote, la

    variabilit essentielle au changement et la mobilit

    mme du

    mouvement,

    ne saurait tre que la srie abstraite

    et

    continue

    des successifs, o,

    nous l'avons vu,

    se reflte la

    succession

    essentiellement inhrente au

    mouvement.

    Le temps apparat ainsi, avec

    l'espace,

    comme

    l'une

    des

    coordonnes ncessaires

    la

    reprsentation objective du

    mouvement

    ; il

    a

    pour

    symbole une ligne dont les points

    ne

    sont

    pas

    regards

    comme

    coexistants,

    mais

    tels

    que

    chacun,

    tour

    tour,

    et

    dans

    un ordre

    irrversible, exclue l'existence de

    tous

    les autres.

    Grce cette dimension symbolique peut tre

    dtermine

    intellectuellement, sans tre nie, la variation qui constitue l'essence

    contradictoire du

    changement

    On

    traduirait

    donc fidlement

    la formule

    d'Aristote

    dans les termes

    suivants : le temps

    est

    une

    dimension,

    un

    aspect mesurable du mouvement, la dimension du successif.

    C'est faute de disposer, pour la reprsentation symbolique

    du

    mouvement,

    de la mthode graphique

    des axes

    de coordonnes

    qu'Aristote en est

    rduit

    appeler le temps un nombre ; mais il

    tient

    cependant

    ne

    pas

    le confondre

    avec

    le nombre

    des

    units

    qui

    le

    mesurent

    ; et c'est pour remdier

    l'ambiguit de

    l'expression qu'il

    introduit la distinction du nombre

    nombrant et

    du

    nombre nombre. Le nombre nombrant, c'est le nombre pur ou absolu

    (piO'p.

    jxv

    nXCb),

    l'instrument

    de

    la

    numration, celui qui

    nous

    sert

    nombrer

    ((p

    pt^ |JLoOp.ev) ; il ne dsigne pas par lui-mme une

    pluralit dfinie, une

    collection

    d'units, une

    dizaine

    ou une

    centaine

    d'objets

    singuliers,

    hommes

    ou

    chevaux, mais seulement le rapport

    d'une

    grandeur

    l'unit ; le nombre 10, au sens

    absolu,

    n'est

    ni un

    nombre

    d'hommes, ni

    un nombre

    de

    chevaux,

    mais

    un nombre de

    fois

    ;

    il

    exprime

    un

    combien

    de

    fois,

    un

    quotient.

    On

    comprend

    par

    l pourquoi Aristote

    nous

    dit

    que son

    minimum

    est deux ; l'unit

    n'est pas

    proprement parler un nombre ; elle n'exprime

    pas

    le

    rapport d'une grandeur

    l'unit ;

    elle

    est

    seulement

    le

    principe du

    nombre. Le nombre nombre,

    au

    contraire

    (

    pi&popsvo), c'est

    l'objet de la numration (x pid-jvrj-cdv)

    :

    non

    certes

    la pluralit

    concrte des objets singuliers

    nombrer, les hommes ou les chevaux

    qui

    sont

    dix

    ou cent, mais la

    dizaine

    ou la centaine que composent

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    27/29

    82

    Joseph Moreau

    ces

    hommes ou ces

    chevaux,

    la collection d'units, la pluralit

    dtermine en tant que

    dtermine. En ce sens Aristote admet que

    le

    nombre

    ait

    pour

    minimum

    l'unit

    ;

    une

    collection

    peut

    en

    effet

    se rduire

    jusqu'

    ne laisser subsister qu'une

    unit.

    La distinction

    ainsi

    tablie

    par Aristote

    parat

    correspondre

    celle de

    la

    fonction

    ou

    activit

    nombrante, ou encore de la fonction ou relation nombre

    d'une part, et de la reprsentation issue de

    l'exercice

    de cette

    activit,

    de

    l'application

    de cette relation,

    d'autre

    part. De

    l'application

    de la relation nombre

    une

    pluralit indfinie

    rsulte un

    nombre

    dtermin (xt... pi^-ji/S) ; mais cette relation,

    par

    laquelle

    on

    parvient aisment dterminer la pluralit

    (nX^o),

    faite d'lments

    distincts,

    on

    peut tenter de

    l'appliquer

    la quantit en gnral,

    notamment

    la

    grandeur

    continue

    ({xye''O)

    ,

    la

    reprsentation

    obtenue dans ce

    cas, le

    nombre, n'aura pas de minimum,

    fournira

    indfiniment matire

    l'application ritre de la

    relation

    nombre,

    sera

    divisible l'infini (Phys. IV, 12,

    220a

    26-30 ;

    b

    8-12).

    En quel sens,

    ds

    lors, peut-on

    dire

    que

    le

    temps est nombre ?

    Le nombre nombrant est indiffrent la

    nature des

    objets concrets

    auquel il

    s'applique

    ; le nombre 100, pris absolument, envisag

    dans

    sa fonction

    de nombre, est

    le mme,

    qu'il serve

    dnombrer

    cent hommes

    ou

    cent chevaux

    ;

    ce sont les objets nombres qui, dans

    les deux cas, ne sont

    pas

    les mmes ; les hommes sont diffrents

    des

    chevaux

    ;

    et

    de

    mme

    que

    les

    objets

    auxquels

    il s'applique,

    diffre chaque

    fois

    la

    reprsentation

    issue de cette application

    :

    la

    dizaine de

    moutons n'est

    pas identique

    la dizaine de

    chiens

    (ibid.

    14,

    224a

    2-15). Pareillement,

    dclare

    maintes reprises Aristote, le

    temps est indpendant

    des mouvements

    concrets dont

    il est

    la

    mesure ;

    quelle

    que soit

    l'espce du

    mouvement

    (gense,

    accroissement,

    altration

    ou transport) et

    quel

    qu'en soit le

    sujet

    ou mobile,

    que ce

    mouvement

    soit

    d'ailleurs lent ou rapide, c'est un temps

    unique,

    un

    mme talon de

    vitesse, disions-nous,

    qu'il se

    mesure.

    Des

    mouvements

    particuliers peuvent diffrer par leur

    sujet,

    ou

    en

    nature,

    ou

    en

    vitesse

    ;

    s'ils

    s'accomplissent

    simultanment,

    ils

    auront

    dur le mme temps, leur dure s'exprimera par le mme nombre ;

    et ce nombre soutient

    avec

    la varit des mouvements le

    mme

    rapport que

    le

    nombre dix avec la varit des dizaines. C'est en ce

    sens que, si les mouvements particuliers, mme simultans,

    sont divers

    en nature,

    diffrents par leur vitesse et distincts par leurs

    sujets,

    le

    Temps,

    lui, est

    unique

    et

    universel (218o 13

    ;

    220k

    5-6 ;

    223a 30-

    b 12).

    C'est

    toutefois du

    mouvement,

    et du mouvement seul, qu'il est

  • 7/26/2019 Joseph Moreau - Le Temps Selon Aristote - 1

    28/29

    Le

    Temps

    selon Aristote 83

    le nombre

    ;

    il s'applique la

    varit

    des mouvements comme leur

    commune mesure ; mais ce

    qu'il dtermine

    en

    eux,

    ce n'est

    ni

    la

    pluralit

    des

    mobiles,

    ou

    plus

    gnralement

    des

    sujets

    du

    changement, ni la grandeur de l'espace parcouru

    ;

    si la

    fonction

    du nombre

    est de dterminer un divers, la diversit que l'on

    dtermine

    au

    moyen du temps, ce

    n'est

    ni

    celle

    de

    sujets

    distincts

    (celle

    du