j’attends tona appel b c p · 2018. 4. 13. · donald alarie roman j’attends tona appel...

Donald Alarie

roman

J’attends ton appel

Romanichels

Il est des romans qui nous en rappellent d’autres.J’attends ton appel nous renvoie, de par son thème,à Manon Lescaut, mais l’histoire est traitée d’unetout autre manière.

Yolande respire la liberté. Elle est là où elle veut etquand elle le veut. Cette femme profite de l’exis-tence sans autre questionnement que celui de sonplaisir. Elle se déshabille quand ça lui chante etremballe sa valise aussi vite qu’elle l’a déballée.

Pour David, cette femme est une bouffée d’air frais,lui dont les amours ont souvent été ardues. Ilignore, par contre, que Yolande a toujours trouvéle moyen de se faire vivre par tous ceux avec les-quels elle s’est liée. Pour utiliser une expressionpudique, elle est une femme entretenue.

Contrairement à Des Grieux, l’amant de ManonLescaut, David ne fera pas d’esclandre. Il est bienavec Yolande et n’en demande pas plus. Le courantpasse entre eux deux, même s’il y a parfois des étin-celles. Il éprouve surtout le fort sentiment qu’il estplus que les autres aux yeux de Yolande : il est écri-vain. Pourtant le doute persiste. Il préfère fermerles yeux…

Et puis, arrive Colette.

Une autre partie se joue. En douceur, comme onpeut l’imaginer…

On perd ou on gagne à l’amour. On a beau avoirle plus beau jeu, il faut savoir quelles cartes jouer…

Né à Montréal, Donald Alariehabite la région de Lanaudièredepuis 1973. Il est l’auteur d’unevingtaine de publications : desromans, des nouvelles, de la poésie,un essai. Ses plus récents titressont : Thomas est de retour (XYZéditeur, 2010), Comme on joue dupiano (Éditions Trois-Pistoles,2010) et J’admets que cela est éphé-mère (Écrits des Forges, 2010).Donald Alarie a reçu, en 2006, lePrix à la création artistique duConseil des arts et des lettres du Québec (région de Lanaudière)pour l’ensemble de sa productionlittéraire. J’attends ton appel est leprolongement de David et les autres(XYZ éditeur, 2008) et de Thomasest de retour (XYZ éditeur, 2010).

Elle s’est assise et s’est mise àfeuilleter le journal de la veilleen silence. Cela a duré plusieursminutes. Lorsqu’elle s’est levée,elle m’a regardé en souriant :«Même si j’ai bien dormi, jeferais bien une petite sieste.Tu viens ?… » Et cette fois, elle nes’est pas dirigée vers la chambrequi me sert de bureau, mais versla mienne dont j’ai tout de suiteregretté un peu le désordre.

Elle a sorti quelques préservatifsde son sac à main en m’invitantà choisir. « Je préfère cela, a-t-elleprécisé. Si tu es d’accord…»

Yolande savait s’y prendre. Avecdouceur et naturel. Sans gêneaucune. Avec ses mains et avecsa bouche. Le plaisir qu’elle m’aprocuré m’a fait réaliser que jen’avais pas été aussi heureux avecune femme depuis longtemps.


Donald Alarie

ISBN :�978-2-89261-645-3

18 $

www.edit ionsxyz.com

Photo

:�©�Claude�Bédard

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Extrait de la publication

Ce livre, publié dans la collection ROMANICHELS dirigée par Josée Bonneville, a été placé

sous la supervision éditoriale d’André Vanasse.

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du même auteur

La rétrospection, roman, Éditions Pierre Tisseyre, 1977.La visiteuse, nouvelle (avec Le dragon blessé de Claude R. Blouin), APLM, 1979.Jérôme et les mots, nouvelles, Éditions Pierre Tisseyre, 1980.La vie d’hôtel en automne, roman, Éditions Pierre Tisseyre, 1983.Un homme paisible, nouvelles, Éditions Pierre Tisseyre, 1986.Petits formats, poésie, Écrits des Forges, 1987.La Terre comme un dessin inachevé, poésie, Écrits des Forges, 1990.Au cru du vent, poésie, en collaboration avec Bernard Pozier, Écrits des Forges et Musée d’art de Joliette, 1990.Comme un lièvre pris au piège, roman pour les adolescents, Éditions Pierre Tisseyre, 1992.Parfois même la beauté, poésie, Écrits des Forges et Le dé bleu (France), 1993.Les figurants, nouvelles, Éditions Pierre Tisseyre, 1995.Ainsi nous allons, poésie, Écrits des Forges, 1997.Tu crois que ça va durer ?, roman, XYZ éditeur, 1999.Avec notre fragilité ordinaire, poésie, Écrits des Forges et Grand Océan (La Réunion), 1999.Cinéma urbain, poésie, Écrits des Forges, 2002.Au café ou ailleurs, nouvelles, XYZ éditeur, 2004.Todo está perdido, todo se vuelve a encontrar/Tout est perdu, tout est retrouvé, poésie, édition bilingue en espagnol et en français, Secretaria de cultura, État de Colima (Mexique) et Écrits des Forges (Québec), 2006.Au jour le jour, nouvelles, XYZ éditeur, 2006.David et les autres, roman, XYZ éditeur, 2008.Thomas est de retour, roman, XYZ éditeur, 2010.Comme on joue du piano, essai, Éditions Trois-Pistoles, coll. « Écrire », 2010.J’admets que cela est éphémère, poésie, Écrits des Forges, 2010.



Donald Alarie

J’attends ton appel roman

éditeur



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Alarie, Donald, 1945-


(Romanichels)

ISBN 978-2-89261-645-3

I. Titre. II. Collection : Romanichels.

PS8551.L37J37 2011 C843’.54 C2011-941144-XPS9551.L37J37 2011

Les Éditions XYZ bénéficient du soutien financier des institutions suivantes pour leurs activités d’édition :– Conseil des Arts du Canada ;– Gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement

de l’industrie de l’édition (PADIÉ) ;– Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) ;– Gouvernement du Québec par l’entremise du programme de crédit d’impôt pour

l’édition de livres.

Conception typographique et montage : Édiscript enr.Maquette de la couverture : Zirval DesignPhotographie de la couverture : Aggressive Entertainment, iStockphotoPhotographie de l’auteur : Claude Bédard

Copyright © 2011, Donald AlarieCopyright © 2011, Les Éditions XYZ inc.

ISBN version imprimée : 978-2-89261-645-3ISBN version numérique (PDF) : 978-2-89261-666-8

Dépôt légal : 3e trimestre 2011Bibliothèque et Archives nationales du QuébecBibliothèque et Archives Canada

Diffusion/distribution au Canada : Diffusion/distribution en Europe :Distribution HMH Librairie du Québec/DNM1815, avenue De Lorimier 30, rue Gay-LussacMontréal (Québec) H2K 3W6 75005 Paris, FRANCETéléphone : 514 523-1523 Téléphone : 01.43.54.49.02Télécopieur : 514 523-9969 Télécopieur : 01.43.54.39.15www.distributionhmh.com www.librairieduquebec.fr

Imprimé au Canada

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On vient de me téléphoner. C’était Florence, une voisine que je connais depuis plusieurs années. Elle me demandait si j’étais intéressé à aller repeindre son salon et peut-être sa cuisine, un coup rendu. Voyant que j’hési-tais, elle a ajouté : « Dites oui, David, dites oui… » Je lui ai répondu que j’y penserais. Et j’ai ajouté : « Si vous trouvez quelqu’un d’autre avant que je me décide, ne vous gênez pas… Je ne vous en tiendrai pas rigueur… »

J’ai de plus en plus mal au dos et aux épaules. Les tra-vaux de menuiserie ou de peinture que j’ai faits au cours des ans ont empiré mon cas. Et toutes les heures passées devant ma machine à écrire, et par la suite devant mon ordinateur, ont également laissé des traces. Je ne sais trop ce qui m’a le plus épuisé depuis trente-cinq ans…

Quand Yolande, ma visiteuse, était là, elle me faisait des massages. Elle savait comment s’y prendre. Elle me faisait oublier mon mal de dos en quelques minutes. Mais il s’est passé beaucoup de choses dans ma vie au cours des der-nières semaines.

Il y a environ un mois, j’ai appris par hasard que Yolande habitait chez sa sœur depuis une dizaine de jours. Ce n’est pourtant pas son genre de s’installer chez quelqu’un pour une longue période. Elle se déplace sans cesse d’un endroit à l’autre. Et c’est comme ça depuis que



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je la connais. Elle répète qu’elle est une sorte de romani-chelle, une nomade.

Je suis allé lui rendre une visite-surprise. Je m’étais juré de ne pas le faire, mais je n’ai pas pu résister. Je devais me rendre dans cette région à l’invitation d’un ami qui donne un cours de création littéraire à l’université. Il voulait que je rencontre ses étudiants. J’accepte rarement ce genre d’invitation. Là, je faisais d’une pierre deux coups.

La rencontre avec les étudiants s’est bien déroulée. Ils étaient une quinzaine, surtout des filles. Je ne suis pas un théoricien. Je les ai prévenus dès le départ. Nous avons parlé de mes plus récents livres qui datent tout de même de quelques années. On m’a posé des questions sur mes lectures, sur les auteurs qui m’ont influencé. Parfois, j’avais le sentiment que je ne parvenais pas vraiment à répondre de façon adéquate. Mais ils semblaient tout de même satis-faits de mes réflexions. J’ai réussi à les faire rire à quelques reprises. Je me sens toujours bien quand je parviens à faire rire les gens. Pendant trente secondes ou une minute, je suis assuré que le malheur ne prendra pas toute la place disponible. Je les ai surpris quand je leur ai expliqué com-ment j’avais gagné ma vie au fil des ans. Une jeune femme au regard enjôleur a fait remarquer qu’elle n’avait aucun talent pour les travaux manuels et que sa carrière de romancière était peut-être foutue. À la fin de la rencontre, un jeune homme à la démarche timide s’est approché et a manifesté le désir de faire son mémoire de maîtrise sur mes cinq recueils de nouvelles. On verra…

Mon ami professeur semblait heureux de ma perfor-mance. Il m’a remis une enveloppe contenant un chèque, mon salaire de conférencier. Puis nous sommes allés prendre un verre dans un bar où j’étais sûrement la plus vieille personne sur les lieux. Je suis sorti de là épuisé, mais




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tout de même fier de moi. Comme si j’avais réussi à tra-verser un genre d’épreuve.

En allant dans cette région, je voulais aussi voir com-ment allait Yolande. Et je me demandais si elle savait pour moi et Colette. Je voulais en avoir le cœur net.

Trois heures de route, c’est long pour quelqu’un comme moi qui se déplace rarement. Je me suis arrêté, vers midi, pour prendre une bouchée dans un restaurant au nom frappant, La belle bedaine. Un restaurant où on vous appelle par votre prénom quand votre repas est prêt. Comme nous étions deux clients à porter le même prénom, cela a créé un peu de confusion. Mais je n’aurais jamais pu manger l’assiette que l’autre David avait commandée. Il y en avait au moins pour deux personnes. Quand j’ai repris la route, je me sentais lourd. Je ne mange pas souvent des frites. Le midi, je me contente habituellement d’une soupe et d’un peu de fromage. Ou d’un sandwich.

Yolande et sa sœur m’ont bien reçu. Elles m’ont même invité à souper. J’ai par ailleurs été un peu contrarié, car je n’ai pas pu passer un moment seul à seul avec Yolande. C’est pourtant pour cela que j’y allais. Il y avait là un berger allemand assis dans un coin de la cuisine, qui semblait sur-veiller mes moindres gestes. Habituellement, les chiens ne me font pas peur, mais celui-là m’intimidait. J’avais le sen-timent qu’il attendait que je bouge pour me sauter dessus. Quand je suis reparti, Yolande m’a promis qu’elle viendrait me rendre visite sous peu. Elle n’a aucunement fait allusion à Colette. Yolande ne reste jamais assez longtemps chez moi pour être au courant des derniers potins. Heureusement.

La voisine, Florence, qui m’a téléphoné, vit seule depuis un an. Son mari, Martin, a été victime d’un grave accident il y a quelques années. Je m’en souviens comme si c’était hier. C’est arrivé sous mes yeux, alors que j’étais




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assis au café près de la fenêtre. J’ai vu se produire l’accident à quelques mètres de moi. L’homme a été violemment frappé par un camion de la poste, une journée d’hiver ensoleillée, alors qu’il transportait une boîte contenant un petit téléviseur qu’il voulait offrir en cadeau à sa femme. Il a été hospitalisé plusieurs semaines. Par la suite, il se dépla-çait à l’aide d’une canne. Puis, il y a un an, il est mort, en douceur, durant son sommeil. Il ne saura jamais la chance qu’il a eue de partir de cette façon.

La dernière fois que j’ai accepté un contrat de peinture, mon petit-fils Benoît est venu travailler avec moi. Je lui laisse repeindre les plafonds. Moi, je m’en tiens aux murs. Les plafonds, je ne suis plus capable de m’en occuper. Trop dur pour le dos et les bras. J’étais là à le regarder travailler minutieusement, quand j’ai senti qu’on nous observait. Je me suis retourné. Lyne était entrée sans faire de bruit et s’était assise dans un coin. Un sourire plein les yeux. Elle m’a fait signe de garder le silence.

Quand Benoît est descendu de l’escabeau, il l’a aperçue, tout heureux. « Tu nous espionnes… », qu’il lui a dit. Elle a répondu sur le même ton : « Je venais voir si tu travaillais aussi bien que tu le prétendais… Ce n’est pas mal… Si je m’installe dans un appartement un jour, je vais t’offrir le contrat de peinture… »

Benoît s’est contenté de sourire. Je sentais beaucoup de tendresse entre ces deux-là. Ils forment un couple depuis quelques mois. Au début, Benoît a hésité. Il m’en a parlé un peu. Une affaire compliquée qui s’était passée à l’école l’embêtait. Un concours d’ordre sexuel dans lequel Lyne avait été impliquée. Benoît en a sans doute discuté avec son père, Thomas, maintenant qu’il le connaît.

L’arrivée de Thomas dans sa vie a produit tout un changement pour Benoît. Découvrir qui est son père à




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l’âge de quinze ans, ce doit être quelque chose… Avec l’arrivée de ce Thomas dans la vie de Benoît, j’ai perdu un peu de mon importance aux yeux de mon petit-fils. Mais c’est normal…

Je m’occupais de Benoît depuis sa naissance. J’étais à la fois son grand-père et son père. J’exagère. C’était surtout Annie, sa mère, qui s’en occupait. Elle consacrait une bonne partie de sa vie à ce rôle de parent. Elle avait voulu élever Benoît seule. Cela a fonctionné jusqu’à ce que Thomas revienne s’installer dans notre ville. Et qu’il découvre la vérité sur sa paternité. Il était parti travailler en Ontario depuis quinze ans environ. Cela a dû être un choc pour lui aussi, découvrir qu’on a un fils adolescent… Heureusement, tout s’est fait en douceur. Quand Annie a compris où en étaient les choses, elle a envoyé une lettre à Thomas pour confirmer ce qu’il avait déjà deviné. Le plus étrange, c’est que par un concours de circonstances, Thomas était devenu ami avec Benoît sans savoir, au début, que c’était son fils. Dans une petite ville de pro-vince, il peut parfois se produire des choses comme celle-là. Thomas a été bien patient. Il a compris qu’il ne fallait rien brusquer.

Cela faisait déjà quelques mois que Benoît manifestait le désir de connaître l’identité de son père. Il allait poser des questions à gauche et à droite, à des gens qui avaient connu Annie lorsqu’elle était jeune. Il voulait savoir si elle avait eu jadis quelqu’un dans sa vie. Je ne sais pas jusqu’où il aurait poussé son enquête si la vérité n’avait pas été dévoilée par Annie elle-même. Moi, je ne voyais pas trop quoi lui dire lorsqu’il me questionnait. Annie n’avait jamais voulu me dévoiler, même à moi son père, le nom de l’homme avec qui elle avait conçu Benoît. Je me suis d’ailleurs souvent demandé d’où lui était venue cette idée




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d’élever son enfant seule. Et surtout de ne pas informer le père de ce qui se passait.

Depuis, Benoît partage son temps entre son père et sa mère. Au début, il allait parfois séjourner quelques jours chez Thomas, mais maintenant la routine est établie. Il ne compte pas nécessairement les jours, mais je crois qu’il passe autant de temps chez l’un que chez l’autre. Il est même parvenu deux fois à organiser un petit souper à trois. Une fois chez Annie et l’autre fois chez Thomas. À chacune des occasions, c’est lui qui a tenu à préparer le repas. Il m’a confié que la prochaine fois, il suggérerait que Lyne soit avec eux. Un repas à quatre. Je lui ai dit : « Qui sait, un jour je serai peut-être invité moi aussi… » Il m’a répondu : « Oui, j’y ai pensé. Tu peux t’attendre à recevoir une invitation dans les mois à venir… » Après un silence, il a ajouté : « Et pourquoi pas ton ami Antoine aussi. Et ta cousine Françoise également, tant qu’à y être… » Il n’a pas mentionné ma sœur Martine. Elle a pourtant eu un rôle à jouer dans la préparation de ces grandes retrouvailles familiales. Sans s’en rendre vraiment compte, elle a préci-pité les choses lors d’une rencontre avec Thomas et Benoît. Elle a fait des allusions sur le passé d’Annie qui en disaient long.

Ma sœur Martine me surprendra jusqu’à la fin de mes jours. On ne sait jamais à quoi s’attendre d’elle. Peut-être qu’avec l’âge, elle parviendra à s’installer quelque part et à avoir une petite existence tranquille. Mais elle m’a été d’un grand support à certains moments de ma vie. Depuis qu’elle est revenue du Brésil avec son amoureux, elle semble s’assagir. Elle s’est même trouvé un emploi de vendeuse dans une boutique du centre-ville. Une boutique de vêtements que je trouve excentriques. Elle a accepté cet emploi à condition qu’on lui laisse porter des vêtements en




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vente à cette boutique pour en faire la promotion. Malgré son âge, aucune couleur ne lui fait peur. Il en a été comme ça toute sa vie. Sans parler de ses coiffures aux allures sou-vent renversantes. Elle se plaît parfois à dire qu’elle invente des modes.

Pour ce qui est de Thomas, je lui ai peu parlé. Il semble bien aller même s’il souffre d’une maladie dégénérative depuis plusieurs années. Son état ne s’est pas trop dété-rioré, mais il se déplace la plupart du temps à l’aide d’un déambulateur. Certains jours, il doit même avoir recours à un fauteuil roulant. Avec la venue de l’hiver, les choses se compliquent pour quelqu’un comme lui. Heureusement, il a de l’aide.

On me dit que sa mère ne va pas bien. Qu’elle maigrit à vue d’œil. Qu’elle mange de moins en moins. Je l’ai ren-contrée une fois, à la demande de Benoît. Il voulait abso-lument que j’aille lui rendre visite à la résidence où elle habite. Il est venu avec moi. Par chance, car cela me gênait un peu. Maureen est une dame charmante. Nous avons parlé de peinture et un peu de littérature. Elle m’a confié avoir lu deux de mes livres il y a quelques années. Je l’écou-tais et je me disais que je n’avais pas écrit ces livres pour rien. Elle parlait lentement en essayant de se rappeler tout ce dont il était question dans mon roman Tu crois que notre tour viendra ? Je sentais bien que sa mémoire la trahissait un peu. J’essayais de l’aider avec quelques remarques. Elle souriait pour me remercier. Mais c’est Benoît qui semblait le plus heureux. En revenant à la maison, il m’a dit : « Ça fait longtemps que je veux que tu la rencontres… Je savais que vous alliez bien vous entendre… Mon grand-père et ma grand-mère… »

Une semaine plus tard, il m’a confié au téléphone : « Heureusement que tu es venu visiter ma grand-mère




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Maureen. Maintenant, elle ne parle à peu près plus. Thomas se demande si ce n’est pas la fin qui approche… Elle a même cessé de dessiner comme elle le faisait ces der-niers mois. Les livres d’art qu’elle aimait tant feuilleter ne semblent plus avoir d’intérêt pour elle. C’est triste… Elle a peut-être renoncé à vivre. Qu’en penses-tu ?… »

Je ne savais trop quoi lui répondre. Je n’en suis pas à cette étape de ma vie. Il y a eu un silence. J’ai fini par dire : « Je ne sais pas. C’est sans doute seulement quand on est rendu là qu’on peut répondre à une telle question. Tout cela est bien mystérieux… Chose certaine, je n’aimerais pas mourir à petit feu pendant des mois. Peut-être que, arrivé là, on se contente de peu et que la moindre lueur de soleil suffit pour donner l’envie de continuer… Comme ces personnes handicapées, confinées à leur lit, qui conti-nuent parfois de sourire en regardant le ciel par la fenêtre ou à l’arrivée d’un visiteur. Peut-être au contraire que tout devient dérisoire… »

Qu’aurais-je pu ajouter ? Je lui ai plutôt demandé des nouvelles de Lyne. J’ai senti que j’abordais un sujet qui lui tenait à cœur. Benoît a oublié sa grand-mère et il s’est mis à me raconter des choses qui se passaient au cégep. Mais Lyne était toujours le sujet principal de ces anecdotes. Ils sont tous rendus au cégep, lui et ses amis Marco, Ève et Odile. Paraît-il que Marco intervient souvent en classe. Il embête parfois les profs avec des questions surprenantes. Benoît aimerait avoir l’audace de Marco.

Après quelques minutes, il est redevenu plus sérieux pour me confier : « Tu sais, Lyne et moi, c’est fait… Je veux dire, on a couché ensemble… Tu avais raison quand tu m’as dit un jour que parfois deux corps se rencontrent et que cela donne des moments de grand bonheur… Enfin, ce n’est pas exactement ce que tu as dit, mais quelque




chose de semblable… C’est la première fois que j’en parle à quelqu’un… »

Encore une fois, je ne savais pas quoi répondre. Après un moment de silence, j’ai fini par dire : « Cela me touche beaucoup que tu te confies à moi… Je suis très heureux pour vous deux… » Et j’ai ajouté, c’était plus fort que moi : « Soyez prudents… »

Moi, la première fois, c’était avec Johanne, quand j’étais à l’université. Nous avions fait cela dans sa chambre alors que ses parents étaient au sous-sol à regarder la télé. Nous nous retenions pour ne pas faire de bruit. Un petit dix minutes de plaisir. Mais nous nous sommes repris par la suite de belle façon. Et nous avons eu des années de bonheur. Mais après la venue au monde d’Annie, tout s’est compliqué. Johanne ne pouvait pas vivre toute sa vie dans la pauvreté. La simplicité volontaire n’était pas son truc. Elle avait eu une enfance dorée. Moi, je ne pouvais que lui offrir une petite vie bien simple. La séparation s’est impo-sée. L’important, c’était de ne pas perturber Annie. Avons-nous réussi ?… Des fois, je me dis que nous aurions dû faire preuve de plus de patience l’un envers l’autre. Nous aurions peut-être pu réussir à continuer à vivre ensemble, à former une famille à trois. Tout cela est bien loin… Annie est maintenant au début de la quarantaine. J’ai longtemps eu le sentiment de lui avoir joué un mauvais tour.



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