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LES TRADITIONS HISTORIQUES DU BAS -TOGO

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collection des Publications du CELHTO/Union Africaine sur la tradition orale africaine, les langues et la culture

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LES TRADITIONS HISTORIQUES

DU BAS -TOGO

Page 2: Traditions Historiques Du Bas Togo

Couverture pl: Tesson de céramique décoré, rado (XIIe - XVe S.) Couverture p 4: photo M. POSNANSKY

Tous droits de traduction, de représentation, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays.

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B.P. 878 Niamey - Niger

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INTRODUcrION

L'histoire du Bas-Togo nous est essentiellement connue par les nombreu­ses traditions qui, depuis plusieurs siècles, ont cours dans cette région. Elles ont permis de reconstituer, pour une bonne part , la trame historique de cette si tristement célèbre Côte des Esclaves, au passé tourmenté, car située au coeur du trafic négrier qui décima l'Afrique dès la fin du 16è siècle.

Le Bas-Togo se trouve entière~ent compris dans l'aire culturelle ajatado, domaine du peuple aja et de ses nombreuses composantes: Aja, Ewe, Guin, Anlo, Watchi, Fon, Xwla, Togo, Be, Agome, Kpele, etc. D'après leurs traditions d'origine, les Aja seraient issus d'un métissage ethnique entre un groupe de Yoruba émigré d'Oyo, probablement entre le 12è et le 13è siècle, et les autochtones alu et azanu qui habitaient alors le petit hameau d'Azamé sur les bords du fleuve Mono. Rapidement, ce hameau s'agrandit et devint Tado, berceau du peuple aja.

Le royaume de Tado qui vit alors le jour rayonna, sous la conduite de ses rois­prêtres, lesanyigbafio,surun vaste territoire s'étendant du Hahoà l'ouest à l'Ouémé à l'est, jusqu'au 15èsiècle, lorsqu'éclatèrent des conflits de succession occasionnant des migrations successives qui l'affaiblirent '(Akinjogbin 1967: 8-14; Pazzi 1979: 157-167; Gayibor 1985 : 197-254).

Les premiers à s'exiler furent les Ayizo qui s'installèrent à Davie-UIi, sur le site de la future ville d'Allada, suivis par les Xwla et les Xweda qui créèrent des colonies, les premiers le long de la plage et les seconds sur les bords du lac Axè à Gezen, d'où ils s'étendirent plus tard vers Saxè N Glexwe (Ouidah).

Un siècle plus tard éclatèrent de nouveaux conflits qui aboutirent à l'exode des Agasuvi vers Allada à l'est et des Ewe vers Notse à l'ouest (Akinjogbin 1967: 11-15; Pazzi 1979: 174-178; Gayibor 1985 : 250-262).

Au début du 17è siècle, une nouvelle crise provoqua l'affaiblissement du royaume d'Allada après l'exode de Dogbagri-Genu, alias Tado-Aklin, vers le

plateau d'Agbome au nord, où ses successeurs crééront le royaume fon. Un peu plus tardivement, son frère, Avesu Dangbaza, alias Zozerigbe, ira s'installer à Jekin où ses descendants résidèrent longtemps en alliance avec les Tofinu,jusqu'à la con­quête d'Allada par Agaja en 1724 (Person 1975). Te Agbalin, descendant de Zozerigbe, s'en alla alors fonder le royaume gun de Xogbonu (Porto-Novo) ,plus à l'est.

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~ ___________________________________________ 50 km

--------------------------------------------------,-----L'aire culturelle ajatado dans le Golfe du Bénin

Quant aux Ewe, leurs ancêtres quittèrent Tado et se dirigèrent vers l'ouest pour s'installer, 72 km plus loin, sur le site de la ville de Notse. Un siècle plus tard, Notse était devenue une Cité-Etat dirigée par un roi-prêtre, lemawufia, assisté de son conseil. La cité connaitra bientC,t, au 16è siècle, de profonds bouleversements, avec l'arrivée au pouvoir d'Agokoli, qui voulut renforcer son autorité sur la population en s'immisçant dans les affaires publiques, dont la conduite incombait pourtant à ses conseillers, et en faisant entourer la ville d'importantes fortifications (pazzi 1979: 187-191; Gayibor 1985: 301-317,380-407) dont les vestiges existent encore de nos jours. Pour fuir les exactions de ce monarque jugé cruel et tyrannique, ses sujets décidèrent de s'exiler. Cette migration aboutit à l'implantation des Ewe sur un territoire limité à l'ouest par la Volta et à l'est par le Mono.

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Par crainte d'être à nouveau subjugués par un pouvoir fort, ces immigrants s'organisèrent en plusieurs communautés, duko, politiquement indépendantes les unes des autres. Les plus importantes sont les Anlo au sud-ouest, les Peki au nord­ouest, les Agu, Agomé, Danyi et Kpele au centre, les Bè et Togo au sud et les Watchi au sud-est, auxquels il convient d'ajouter le groupement allochtone des Guin, qui forment à Anécho et Glidji une communauté pluri-ethnique composée de Gâ, de Fanti, d'Ewe, de «Brésiliens», etc.

A l'image de ces nombreuses communautés éparses, les traditions orales du Bas-Togo sont très diverses et de valeur inégale.

La collecte de ces traditions s'est déroulée de 1972 à 1990, à l'occasion de recherches effectuées à divers titres: préparation d'un mémoire de maîtrise, d'une thèse de troisième cycle puis d'une thèse d'Etat, conduite de chantiers-écoles pour la formation des étudiants en histoire, etc. Elle s'est effectuée dans toute la région, aussi bien dans les grands centres historiques que dans certaines petites localités choisies en raison de la spécificité des groupes ethniques qui les habitent. Mais les contraintes œordrematériel nous ont imposéde n'exposer, dans leprésent ouvrage, que les témoignages jugés les plus expressifs et les plus édifiants pour instruire et informer le lecteur.

Les textes exposés sont rarement le fruit d'un seul entretien. Généralement, un premier entretien est consacré à l'audition de l'informateur: dans les quelques centres où existe un corpus de récits historiques ordonnés, le traditionniste animera lui-même la séance par son récit; mais, ailleurs, il faut engager une conversa'tion à bâtons rompus, habilement orientée, pour apprécier l'étendue et la qualité des connaissances de l'informateur. Une autre séance est ensuite consacrée à la clari­fication des informations recueillies au cours du premier entretien.

Suivant l'importance du centrevisitéet la richesse des informations, d'autres séances spécifiques sont organisées autour de thèmes précis, pour développer certains aspects généralement négligés dans les narrations événementielles des orateurs comme les institutions politiques, la parenté, les activités économiques, etc.

Enfin, dans certains centres importants, comme Tado et Notse, nous avons repris l'enquête périodiquement, tous les deux ou trois ans, auprès des mêmes informateurs, afin d'étudier le degré de déperdition, parfois d'enrichissement, de leurs traditions. Cela nous a permis, entre autres découvertes intéressantes, de déceler la manière dont la légende d'Agokoli, inconnue dans sa forme actuelle des grands traditionnistes de Notse il ya une quinzaine d'années, a fini par s'imposer dans toutes les traditions de cette ville.

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Mais par-delà ces précautions méthodologiques, l'accès aux traditions orales est largement tributaire de l'importance du savoir interne en milieu culturel aja, et de la place qu'y occupent le savoir historique et sa transmission. En effet, la con­naissance historique semble avoir toujours étéà l'honneur dans la culture aja: «Tout peuple est fier de son histoire et s'enorgueillit quand on lui narre les hauts faits de ses ancêtres, si bien qu'un peuple qui ne connaît pas son passé a perdu quelque chose de très précieux». Cette sentence ancestrale du pays aja prouve l'extrême importance que l'on y attache au ((Xotutu». Lexo, c'est la parole historique, c'est-à-dire, l'ensem­ble des événements historiques, conservés en mémoire, qui concernent la famille, le lignage, le village ou la région, depuis les origines jusqu'à une période récente difficilement définissable. Ce passé est généralement connu sous le terme blema. Ainsi, le témoignage historique se dira blemanya [blemanyawo au pluriel].

Pour les vieux, leblema concerne le passé qu'ils n'ont pas eux-mêmes connu; mais les jeunes ont de plus en plus tendance à faire glisser le contenu de ce concept du passé ancien vers un passé récent vécu par leurs parents ou leurs aînés.

Il existe cependant une différence fondamentale entre lexo, parole histori­que, et le blemanya. En effet, les blemanyawo concernent surtout les témoignages de la vie matérielle et culturelle du passé et peuvent être rapportés par toute personne autorisée parson âge et son expérience, tandis que lexo, dont la diffusion est nettement plus restreinte, demeure l'apanage de certains gérontes parfois dif­ficilement repérables dans la société.

Le xo ne s'enseigne donc pas souvent. Il se vit plutÔt, à travers divers rites, cérémonies ou situations particulières qui jalonnent l'année et auxquels peu de personnes sont conviées. Aussi n'est-il pas aisé d'accéder à la relation des faits his­toriques par celui ou ceux qui les ont convervés en mémoire pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, il est difficile de détecter les véritables détenteurs de ces traditions historiques, car il semble que, de tout temps, les vieux n'ont jamais totalement fait confiance aux jeunes: ((Xotutu na devia, ahwe be gbana ! : raconter l'histoire [de la famille ou du clan] à un enfant est toujours synonyme de malheur!», dit un vieil adage ewe.

Les vieillards n'aiment donc guère informer les jeunes gens sur les événe­ments passés du lignage car, souvent inconcients de la valeur réelle de ces secrets, ils peuvent les relater inconsidérément dans des circonstances ou dans un milieu où il aurait mieux valu se taire; d'où des risques de conflits entre personnes familles, lignages, voire villages. Rendus méfiants par ces expériences malheureu­ses, les parents ne se risquent donc à confier ces secrets qu'aux jeunes gens sages et pondérés, capables d'écouter, voir, retenir et se taire. Dans le cas contraire - et c'est fréquent - ils préfèrent s'abstenir et emporter ces secrets dans la tombe. Cette

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méfiance à l'égard des jeunes s'est trouvée renforcée par l'attitude méprisante de ces derniers vis-à-vis de la tradition au nom du modernisme.

Le corollaire d'une telle conception, c'est que l'on rencontre fréquemment dans l'aire ajatado, un grand nombre de personnes âgées très peu au courant du passé historique, pour avoir été privées de ces informations dans leur jeunesse; l'évocation du passé demeure alors l'apanage de quelques rares informateurs.

Enfin, la spécificité mêmeduxo, conçu comme propriété privée du clan, donc a priori non cessible à toute personne étrangère au groupe social, tend à en interdire la transmission à tout étranger. Le xo, fondement de la cellule sociale, ne se confronte pas à celui des autres clans rivaux ou voisins pour le soumettre à critique ou le compléter: «On ne prétend pas qu'il soit le miroir de la réalité; il doit être simplemeni la transmission de ce qui a fait dans le passé la gloire du clan» (R. Pazzi 1978: 4-3).

Le récit recueilli à travers lexotutu est rarement long. Il s'ordonne autour des migrations d'Oyo - mais plus souvent de Ketu - jusqu'à Tado ou Notse suivant le cas, avant de se singulariser en plusieurs variantes suivant les régions. Tout le passé se trouve ainsi mythifié à travers quelques personnages - clef et toponymes symbolisant les pÔles extrêmes de l'univers connu: Oyo, Aja (en usage dans beaucoup de traditions pour désigner Tado) (1), Ketu (perçu par les Ewe surtout comme le lieu de la création de l'homme: amedzope) et Notse. Mais Ketu est parfois également perçu comme l'au-delà, c'est-à-dire le lieu où les ancêtres défunts retour­naient vivre. Ces personnages et ces lieux sont cependant rendus extraordinaire­ment vivants par la conviction et la chaleur de la narration. Mais dès qu'on s'éloigne des deux grands centres historiques de Notse et de Tado, les récits deviennent plus flous quant à ce passé lointain, dans lequel d'ailleurs Tado et Notse - souvent inconnus des informateurs - deviennent à leur tour des cités légendaires. Cette imprécision est alors généralement compensée par une histoire lignagère ou régionale plus ou moins riche, racontant les circonstances et les péripéties de l'exode de l'ancêtre éponyme.

Mais l'absence d'un pouvoir centralisé fort dans la majeure partie de l'aire culturelle ajatado à la veille de la colonisation, en minimisant l'importance des structures du pouvoir politique, y a du même coup banalisé les traditions purement historiques, qui se limitent malheureusement, dans la majorité des cas, au récit des migrations. L'histoire économique, sociale, voire événementielle, négligée, est pratiquement inexistante.

(1) Souvent utilisés respectivement comme synonymes de l'est el de l'ouest.

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Aussi la majeure difficulté de la recherche dans la région réside-t-elle dans la périlleuse quête de témoins crédibles. En effet, il n'y a pas de véritables traditions historiques réellement structurées à travers la région, hormis en pays anlo et fon. A Notse où existe un véritable corpus de traditions historiques, celles-ci ont malheureusement été remaniées afin de les mettre au g06t du jour. Ailleurs, les tra­ditionnistes ne connaissent que l'histoire lignagère ou, dans le meilleur des cas, vil­lageoise, l'histoire régionale leur échappant presque totalement. Même dans les anciennes hégémonies xwla et guin, la précoce disparition de ces Etats a effacé de la mémoire collective de leurs descendants le détail des événements vécus dans le passé; lequel n'a pu être reconstitué qu'autour de quelques faits saillants indé­finiment ressassés.

Mais la difficile quête des informateurs une fois achevée, on se demande parfois si l'on a vraiment fait le bon choix, car ces historiens locaux, quand bien même choisis au coeur même des institutions étudiées, semblent parfois peu au courant de leur propre histoire.

Les souvenirs des informateurs ne dépassent généralement pas trois ou quatre générations précédant la période coloniale. A Notse et Tado par exemple, il est rare de trouver des informateurs capables de remonter ne serait-ce qu'à la qua­trième ou cinquième génération de leur propre généalogie. La raison de cet oubli réside sans doute dans le fait que le culte des ancêtres n'est pas aussi développé dans la région que chez les Akan par exem pIe, où les sièges des différen ts ancêtres et chefs

de clan défunts sont autant de signes tangibles qui perpétuent leur mémoire.

Ailleurs la situation est cependant mois décevante, car l'exode de Notse, qui fait tout de même date dans l'histoire des Ewe, sert de point de repère. On peut ainsi relever, dans les meilleurs cas, huit, neuf, voire plus de dix générations.

L'importance accordée au souvenir de l'ancêtre éponyme est d'ailleurs primordiale car il ouvre les portes du pouvoir aux divers prétendants. En droit coutumier aja, n'ont en effet le droit de régner que les membres du lignage dont l'ancêtre fu t le premier occu pan t du sol. Tous les prétendan ts au pouvoir s'ingénien t donc à édifier des traditions faisant de leurs ancêtres respectifs les premiers occupants du sol, au détriment des vrais possesseurs aujourd'hui disparus ou assimilés par les immigrants aja au fil des siècles. Celte pratique, très courante en pays ewe, se radicalise cependant dans les chefferies créées par la colonisation et dont les bénéficiaires ont manipulé les traditions historiques au mépris de toutes les coutumes et de l'opinion publique, pour asseoir leur autorité au fil des décen­nies. Ils parviennent ainsi à abuser le chercheur étranger en se créant ou en se découvrant des ancêtres émigrés de Notse, en même temps que le véritable fonda­teur du duko [la communauté villageoise] dont le rôle sera minimisé au maximum.

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Enfin, la référence constante à Notse, que l'on retrouve dans toutes les com­munautés issues de cette ville, bien qu'elle permette de suivre la trace de tous ces groupements ewe, débouche malheureusement sur une tendance très nette vers une vision monolithique de l'histoire ewe regroupée autour des thèmes comme Ketu, Notse, la prétendue cruauté d'Agokoli et la diaspora de Notse. Cette tendance à l'uniformisation des traditions s'est trouvée renforcée par la crainte des informa­teurs de contredire les aînés ou les supérieurs hiérarchiques, qui souvent imposent leur propre version de l'histoire de leur localité comme la seule version officielle et ne souffrent aucune contradiction.

La colonisation a également contribué à l'uniformisation de l'histoire ewe par deux faits:

Il Y a d'abord l'enseignement des premiers missionnaires allemands, qui avaient commencé à éduquer leurs écoliers en langue ewe avec des syllabaires renfermant, en guise de lectures, des traditions historiques recueillies auprès des Ewe de l'ouest: Ho, Pe!;'i, Anlo. Ces traditions, lues à travers tout le pays ewe à la

fin du siècle dernier et au début de celui-ci, ont fini par s'enraciner solidement dans l'esprit de ces jeunes élèves, devenus les vieillards d'aujourd'hui et qui nous répètent avec conviction ce que les missionnaires leur avaient patiemment appris il y a plus de trois quarts de siècle.

Il Y a ensuite les efforts des nationalistes ewe qui, réunis au sein de mouve­ments politiques comme le CUT (Comité de l'Unité Togolaise: parti nationaliste créé en 1941) ou la Ali Ewe Conference, s'étaient élevés après la deuxième guerre mondiale contre la partition du Togo allemand, en réclamant l'unification du pays ewe partagé entre les administrations française et britannique.

En mettant l'accent sur l'origine commune de tous les Ewe et en bannissant tous les particularismes régionaux, ces nationalistes entendaient démontrer aux puissances coloniales et à l'ONU que les Ewe formaient une véritable nation qui ne saurait être étouffée par les appétits de la France ou de la Grande Bretagne. Si cet élan des nationalistes connut quelque succès sur le plan politique et sociolo­gique, notamment par l'instauration de l'agbogboza - fête de l'agbogbo (la fortifi­cation de Notse) devenue la fête de l'igname - dont la première célébration en septembre 1956 donna lieu à un grand rassemblement à Notse de toutes les personnalités importantes de la diaspora ewe, ses conséquences sur l'historiogra­phie de notre aire furent moins heureuses.

La prise de conscience de l'importance de leur histoire et de leur culture commune engendra, chez les différents chefs ewe, la tendance à l'uniformisation de leurs récits historiques en ce qui concerne les phases de l'histoire antérieure à la dispersion de Notse. Cette uniformisation était centrée autour du personnage

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d'Agokoli, perçu comme la cause de la dispersion des Ewe. Il est fort probable que ce fut alors que ce personnage fut définitivement catégorisé comme un tyran sadique et cruel, tel qu'on le dépeint actuellement à travers toutes les traditions historiques du pays ewe et conformément à la version en cours auprès des chefs ewe du Togo britannique.

L'impact de ce remodelage des traditions fut si profond que ses effets continuent de se faire sentir. A Notse même, le chef politique Agokoli III décida, dans les années 70, d'épurer les traditions historiques locales et d'en bannir tout ce qui pouvait «porter atteinte à l'honneur de Notse afin qu'elles soient conformes à ce qui se dit à travers tout le pays ewe ... [et] que partout où vous allez, tous les chefs aient la même version de l'histoire des Ewe» (Gayibor 1977 : 86-103).

Mais, fort heureusement, toutes ces manipulations ne concernent en fait que l'histoire officielle, c'est-à-dire celle des origines premières et des migrations, que l'on raconte aux étrangers ou à la population lors des grandes fêtes populaires.

L'histoire lignagère par contre, essentiellement privée, est moins manipu­lable, car c'est elle qui définit la position de chaque lignage dans leduko etde chaque individu dans son lignage. C'est le véritable xo, difficilement accessible au cher­cheur, car il ne s'enseigne pas et ne se raconte pas en public. C'est en effet l'histoire du lignage avec toutes ses vicissitudes; on n'en parle qu'en des occasions rares comme les conflits de succession, réglés au cours d'assemblées solennelles qui offrent à chaque protagoniste la possibilité de prouver ses droits en ayant recours à cette histoire privée.

Cette dernière peut cependant devenir publique - du moins dans ses grandes lignes -lorsque des conflits de pouvoir opposent deux lignages antagonistes dans le même milieu. L'histoire, dans ce cas, devient aiors l'affaire de tous, car les diverses interprétations, qui forment la clef de voGte de l'argumentation de l'une ou l'autre partie, sont connues et adoptées par les partisans qui les discutent, les commentent et découvrent - ou inventent à l'occasion - de nouvelles traditions pouvant donner l'avantage à leur camp. Il est alors aisé à tout chercheur d'avoir accès à ces informations que tout le monde connaît dans la région et, à condition de savoir procéder avec doigté, d'obtenir également l'avis des ténors des deux camps sans trop de peine avant de chercher à découvrir de quel côté se trouve la vérité.

L'histoire est ainsi une quête perpétuelle, jamais entièrement satisfaite: quête du passé à travers le présent, quête de l'identité, quête de la vérité historique, souvent contraignante parce que contraire aux préoccupations actuelles des popu­lations concentrées.

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La reconstitution de l'histoire de l'aire culturelle ajatado se heurte aux mêmes difficultés, et les recherches dans ce domaine débouchent généralement sur des questions de fond dont les réponses, quelle que soit leur pertinence, risquent de ne jamais être entièrement satisfaisantes sans une collaboration étroite entre spécialistes et chercheurs de aiverses disciplines, pouvant apporter leur concours à une meilleure connaissance du passé; car, comme le dit si bien un proverbe ewe: «Enunya adido pedoe ,. abo mukpe na doe 0 : le savoir est comparable au tronc d'un baobab ,. un seul individu ne saurait entièrement l'étreindre».

Dans cette quête de la vérité historique, les traditions relatées ci-après tentent de répondre aux nombreuses questions que se posent les chercheurs, notamment sur l'organisation socio-économique des sociétés traditionnelles aja, en particulier les activités agricoles, les structures politiques, la vie culturelle et artistique, l'artisanat, la chasse et la cueillette, témoignages souvent rapportés par les acteurs eux-mêmes. Il s'agit cependant d'informations primaires telles qu'elles sont fournies, mais toujours uniques et donc précieuses, la plupart des informateurs ayant disparu.

Ces témoignages sont d'autant plus dignes d'intérêt qu'ils émanent de personnes autorisées, bien placées par leur âge, leurs fonctions ou leur position sociale pour parler des traditions dont elles sont souvent dépositaires. Certains de nos informateurs sont en effet membres des familles royales de la région, parfois même les souverains régnants à l'époque de nos entretiens. C'est le cas du roi Aja Kanumabu de Tado, de feu Valère Edjitohou Gbodossou, prince d'Agbanakin, de feu le chef Agokoli III de Notse, de feu l'anigbafia Alidjinu de Notse, de feu le chef Lawson VII d'Aného, de feu Hubert M. Kponton [la liste des informateurs décédés est bien longue], des ayant-droit ici ou là, etc. La plupart d'entre eux occupent (ou occupaient) de hautes fonctions dans la hiérarchie traditionnelle (rois ,ministres, conseillers ou devins).

Tous nos informateurs ont -ou avaient- un âge avancé, compris entre 70 et 90 ans et atteignant parfois la centaine (1). Aussi, certaines informations concer­nant la présence coloniale sont-elles des témoignages oculaires, souvent dignes de foi.

Mais rares sont ceux d'entre eux qui ont bénéficié de l'instruction moderne et occupé des fonctions dans l'administration coloniale. Aussi, les relations restent­elles essentiellement orales.

(1) L'évaluation de l'age de l'informateur est faite à partir de certains événements capitaux survenus dans la région comme par exemple la première guerre mondiale au Togo [1914], la construction d'une école ou d'un batiment administratif, etc.

Il

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• • •

L'ensemble des textes est regroupé en trois parties : la première série est consacrée à Tado et sa région, la seconde aux Ewe de Notse et la dernière à la partie sud-est du Bas-Togo (pays guin et xwla).

Les traditions de Tado sont rapportées dans trois textes et une série d'en­tretiens réalisés par nous-même, isolément ou en compagnie d'autres chercheurs.

Le plus ancien des textes que nous présentons est une courte relation de Léa Nativel, fonctionnaire colonial, en tournée dans la région de Notse - Tado du 21 novembre au 9 décembre 1931. C'est un coup d'oeil rapide, mais incisif, sur la vie sociale en pays aja au début de ce siècle, fait par un observateur étranger, mais intéressé et directement impliqué dans les bouleversements qu'allait connattre le pays par suite de la tutelle coloniale.

Suit une monographie sur l'histoire de Tado, un cas de figure qui mérite d'être salué. C'est l'un des plus anciens des textes écrits par un natif de la région. Il a été réalisé en 1942 par Koumbo Amouzou Blaise, petit-fils du roi de Tado. Ce texte, qui est essentiellement un récit des origines, est un véritable panégyrique de Tado. Il nous fournit des renseignements intéressants sur la dévolution du pouvoir à Tado et le peuplement de la région.

Le troisième texte est celui des entretiens réalisés en octobre 1973 avec Amouzou Benott, originaire de Tado, fonctionnaire en retraite de la Compagnie des Chemins de Fer du Togo (CFf). L'informateur reprend, avec des modifications, le récit de la monographie précédente. Sans être le plus original des entretiens sur Tado, il demeure cependant l'un des plus cohérents et des mieux construits. L'in­formateur a amorcé ses propres enquêtes à partir de 1959.

Ces deux derniers textes introduisent heureusement la série d'entretiens que nous avons effectués à Tado et Tohoun au mois de janvier 1987. Les traditions, recueillies, principalement auprès des membres de la famille royale, dont le roi Aja Kanumabu lui-même, nous éclairent sur l'origine des diverses populations du royaume, le rOle des différents clans et des différentes familles de l'entourage du roi dans le fonctionnement de l'institution royale (dévolution du pouvoir et céré­monies d'investiture, attribution et conservation des insignes de la royauté, etc), les fonctions religieuses, la vie économique et sociale, etc.

Les traditions de Notse sont les plus abondantes et les plus riches en infor­mations diverses.

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La série en est ouverte par un extrait des traditions recueillies par le pasteur allemand Jacob Spieth, à la fin du siècle dernier, auprès des Ewe de l'ouest [Anlo, Péki] et se poursuit par le rapport de Nativel (1931). Pour le reste, recueiHis dans les différents quartiers de Notse et des villages voisins, les récits sont pour la plupart centrés sur l'exode des Ewe de Notse, fuyant guerres et persécutions, depuis les origines légendaires d'Oyo, Ketu, Tado, jusqu'à la dispersion de Notse consécutive à la prétendue tyrannie du roi Agokoli. Mais, par-delà les thèmes constants de l'exode et de la persécution, ces traditions fournissent des renseignements intéres­sants sur la dévolution du pouvoir et la succession au trÔne à Notse, ainsi que l'exercice de l'autorité royale. On y suit notamment le dépérissement progressif du pouvoir de l'anyigbajia, roi-prêtre, toujours clottré dans son palais, au profit du yovofia, le «chef des Blancs». Des informations très précises sont également fournies sur la vie économique et sociale à Notse: activités agricoles, régime foncier, forge, artisanat, chasse, poterie, commerce du sel, habillement, divinités et croyan­ces religieuses sont décrits, avec des détails parfois inattendus.

Enfin, la dernière série de textes porte sur le pays guin (Glidji, Aného, Agbodrafo) et xwla. w différents récits sur la fondation de ces entités, l'origine de leur peuplement et les crises qu'elles ont connues laissent apparaitre les rivalités inter-claniques pour l'acquisition et l'exercice du pouvoir.

Dernière précision : il est évident que les textes exposés dans le présent ouvrage ne constituent que des sources primaires dont la compréhension et surtout l'interprétation nécessitent la mise en oeuvre d'une méthodologie propre à l'uti­lisation des sources orales pour l'écriture de l'histoire.

Par ailleurs, l'aspect didactique que nous avons privilégié dans la présen­tation des entretiens, rend la lecture du texte souvent difficile, voire fastidieuse à cause des inévitables répétitions (plusieurs interviews avec les mêmes informa­tions à quelques années d'intervalle, mêmes questions posées à différents in .. er­locuteurs sur les mêmes thèmes, etc) qui donnent une impression de "dejà vu" et risquent de rébuter le lecteur non averti. C'est dire que l'ouvrage s'adresse avant tout - par-delà l'intérêt certain qu'lI peut susciter auprès de tout lecteur - aux spécialistes des études historiques basées sur la tradition orale qui y trouveront, j'en suis convaincu, matière à réflexion.

Il ne serait enfin pas question de terminer cette présentation sans remercier tous nos informateurs, dont la plupart sont aujourd'hui hélas décédés, ainsi que nos collègues (M. Aduayom, D. Aguigah) et étudiants avec lesquels nous avons accompli plusieurs campagnes de recherches dans le milieu, sans oublier Mme T. Amenda et MM J.C. Barbier, K. Houndjago et L Kabérouka qui ont bien voulu relire le manuscrit. Au CELHTO, qui nous a permis de porter ces informations à la connaissance du public, nous adressons également nos vifs remerciements.

Lomé, le 20 avril 1992

Professeur N. L. G A Y 1 BOR

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LES AJA DE TAOO

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HISTOIRE DES AJA DE TOHOUN ET TADO

Informateurs : Chercheur: Ueu: Date:

non mentionnés Léo Nativel, administrateur-adjoint des colonies Tohoun 29 Novembre 1931

TOHOUN

"Village situé à 16 km de Tététou au-delà du Mono, Tohoun a été fondé par un nommé Koumbo originaire de Tado ; le nom de Tohoun, que ce dernier donna à son village, signifie «contre la montagne» et ce, en raison de l'existence d'une colline au sud-est de Tohoun, à environ 2 km. Par suite de sa situation près de la frontière dahoméenne, ce village a été, à différentes reprises, en zone française puis en zone allemande et cette circonstance a eu une grande influence sur la vie de ses habitants.

Jadis Tohoun n'était qu'un petitgléta [ferme] dépendant de Tado; par suite des guerres continuelles opposant les gens de ce dernier village et ceux d'Abomey, le chef de Tado, Atilékou [Atideku], avec une grande partie de sa famille, finit par s'installer à Tohoun et, à compter de cette date, cette dernière agglomération prit le pas sur Tado et devint le grand centre de la région. Lors de l'arrivée des Européens, Tohoun était une grosse agglomération d'un millier d'habitants, divisée en douze quartiers: Tohounga, Dokpohoué, Avognohoué, Ayissahoué, Akoué­houé ou Adjahoué, Akissèhoué, Kokoroko, Tchokpouéhoué, Totchuani, Koute­houé, Azimé et Kpézouhoué. Le chef de Tohoun, souverain puissant, étendait son autorité sur toute la région avoisinante à Sagada, Tététou et Tado au Togo, Dékpo, Atoh-Aflata et Lahoumé au Dahomey. Une première délimitation des zones d'in­fluence française et allemande scinda le royaume en deux parties : Tététou et Saga da furent attribués aux Allemands installés au Togo, Tohoun fut rattaché au Dahomey. Par la suite, la délimitation définitive entre le Togo et le Dahomey laissa Tohoun aux Allemands. En 1912, à la suite d'un différend au sujet des prestations, le chef de Tohoun, Amouzou, abandonna son village et vint s'installer avec tous ses hommes en zone française, au village de Lonklimé, dans le canton d'Ehoué. Pendant trois ans Tohoun fut complètement abandonné; ce n'est qu'en 1915, lorsque cette région fût de nouveau placée en zone française qu'une partie des gens de Lonklimé vinrent de nouveau au Togo.

Amouzou lui-même resta au Dahomey et fut nommé chef du canton d'Ehoué; il est encore en fonction. Le tiers environ de la population de Tohoun resta à Lonklimé, de sorte que dans le premier village nommé, pl usieurs quartiers restèrent inoccupés et par la suite disparurent. C'est le cas d'Avognohoué, Ayissahoué, Akisséhoué, Kokoroko et Tchokpouéhoué. A l'heure actuelle Tohoun ne compte plus que sept quartiers: Tohounga, Dékpohoué, Akouéhoué ou Adjahoué, Kpé-

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zouhoué, Koutché, Azimé et Totchuani. Le chef de village est un nommé Djangba, frère d'Amouzou, chef du canton d'Ehoué.

Auparavant c'était le grand prêtre du fétiche Togbehagni (Togbe Anyi] qui cumulait les fonctions de chef de la religion et de chef de village; les rites du culte fétichiste lui prescrivant de mener une vie presque complètement cloîtrée, et d'autre pan lui interdisant de se montrer en public autrement que dans un accoutrement spécial, lors de l'arrivée des Européens, les indigènes, respectueux, désignèrent un deuxième chef pour les représenter auprès de l'Administration. Alors que le premier chef s'appelait «Mahoujia» le chef du fétiche, ce dernier fut appelé «Yovojia», «le chef pour les Blancs». Le yovojia n'avait que des pouvoirs limités et peu d'influences; pour les indigènes il n'y avait qu'un seul chef qui comptait, le mahoujia. C'est pour cette raison que, depuis une cinquantaine d'années, Tohoun a toujours eu deux chefs. La nécessité de conserver cette coutume s'est affirmée davantage pour les indigènes à la suite de l'arrestation et la dépor­tation, pour trafic d'esclaves, du chef Kpouézou, qui était grand prêtre féticheur de Togbehagni. A l'heure actuelle, Djangba est officiellement chef de Tohoun, mais en fait c'est un vieillard nommé Alokpéto, frère de Kpouézou [Kpoyizou], qui est le véritable chef. Au cours d'une entrevue que j'ai eue avec ce dernier, chez lui, au milieu de ses fétiches, j'ai pu me rendre compte de la façon différente dont Djangba et lui étaient traités et, de ce fait, mesurer l'étendue exacte de son autorité et de son prestige. Aucun indigène ne s'approche de son siège qu'à genoux; il ne se déplace qu'accompagné d'une centaine de personnes et le chef est toujours protégé par un immense parasol noir. A Tado, à Sagada et dans toute la région de Dakpo, Atoh et Aflata le prestige dont il jouit est considérable: sa personnalité efface com­plètement celle de Djangba et de Djobé, chef de Tado. Cette situation est reconnue et acceptée par ces deux chefs, à qui jamais ne viendrait l'idée de vouloir se mettre en travers de sa volonté, étant sars de n'être pas suivis par la majorité de leurs adminis trés. Sans dou te cette situa tion est anorrtiale et tÔt ou tard devra disparattre, mais pour l'instant il semble de bonne politique de ne pas intervenir et de la tolérer; cette question touche en effet à des points de coutume très délicats et auxquels les indigènes sont fortement attachés ; toute intervention risque d'être très mal accueillie et peut être suffisante pour déterminer des départs en Gold Coast ou au Dahomey. Il ya lieu également de noter que, lors de ma tournée, les principaux intéressés à une modification de cet état de choses, le chef de canton Comédian et les chefs de Tohoun et de Tado, non seulement n'ont formulé aucune réclamation, mais encore, les ayant amenés d'une façon détournée à s'entretenir d'Alokpéto, j'ai acquis la certitude que la situation politique de cette région leur paraissait tout à fait normale.

Ce chapitre ne serait pas complet si quelques précisions n'étaient pas apportées quant.à la désignation du mahoujia. Afin de pouvoir se faire une idée exacte de cette cérémonie, il y a lieu d'abord de donner quelques indications au sujet de Togbehagni, grand fétiche de Tado.

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Il existe à Tado, non loin du quartier Adjatchè, en pleine brousse, une petite construction en terre de barre à l'intérieur de laquelle est placée une grande jarre qui sert de ruche à un énorme essaim d'abeilles. Jamais les indigènes ne s'aventu­rent de ce CÔté, seuls quelques privilégiés peuvent s'approcher de cette maison où repose le grand fétiche Togbehagni. Aux demandes de renseignements concernant ce fétiche, le silence le plus complet nous est opposé et bien vite notre interlocuteur se hâte de changer de conversation. J'ai pu cependant, auprès d'un notable de Tado, recueillir des renseignements précis sur ce fétiche ; mais au préalable j'ai dQ promettre de taire le nom de la personne qui m'a renseigné, parce que, disait-elle, «en me dévoilant les secrets de Togbehagn~ elle encourrait de la part des féticheurs des représailles qui pourraient aller presqu'à l'empoisonnement».

Togbehagni serait le fondateur d'un des quartiers de Tado. S'il faut en croire la légende: un jour, le sol s'entrouvit sous ses pas et jamais plus on ne le revit. Ses fils recueilliren t alors ses armes et ses habi ts, les placèren t à l'in térieur d'une grande jarre qu'ils transportèrent dans une maison construite au dehors du village. Que se passa-t-il par la suite? Jamais personne ne le sut; toujours est-il qu'un jour on constata que la jarre contenant les objets de Togbehagni, primitivement placée debout, était maintenant couchée contre le sol et que, de plus, à son intérieur, un énorme essaim d'abeilles s'y était installé. L'imagination populaire en fut vi·.'ement frappée et peu à peu naquit le culte de Togbehagni, qu'on crut être revenu sur la terre, sous la forme d'un essaim d'abeilles, pour protéger les gens de Tado.

Pour en revenir à l'élection du mahoujia, il y a lieu tout d'abord de noter que le choix du candidat est uniquement borné aux descendants de Togbehagni.

Après les funérailles de l'ancien chef, c'est-à-dire trois ans après son décès, un soir, tous les notables se réunissent en un endroit isolé, en pleine brousse, et désignent deuxou trois descendants de Togbehagni paraissant les plus dignes d'être élévés aux fonctions de mahoufia. Le lendemain, en pleine nuit, après de bruyants <<Iams-tams», tout le village, en chantant les louanges de Togbehagni, conduit le premier candidat, accompagné d'une de ses soeurs et d'une de ses tantes, jusqu'à l'emplacement où se trouve le fétiche. Tout le monde se retire alors; seuls restent sur place le candidat, sa soeur et sa tante. Pendant toute la nuit, ce ne sont que chants et prières; au petit jour seulement, le candidat s'approche de la jarre et, résolument, plonge le bras au milieu des abeilles, afin de saisir l'un des nombreux crânes des anciens prêtres féticheurs, qui tous, comme des reliques sacrées, ont été soigneusement conservés au fond de ce récipient. Si, lors de cette opération, le candidat n'a pas été piqué, c'est que le fétiche Togbehagni veut bien l'accepter comme son représentant sur la terre; dans le cas contraire l'expérience est tentée par un nouveau candidat.

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Après sa mort, le mahoufia n'est pas enterré de la même façon que les autres indigènes. Son corps, au lieu d'être allongé au fond de la fosse, est placé vertica­lement, de façon qu'une fois les terres ramenées, sa tête reste dégagée. Au bout de trois à quatre mois, lorsque la tête s'est détachée du tronc et a perdu toutes ses chairs, le crâne est recueilli, soigneusement lavé; dans chaque orbite des perles sont placées et enfin, au cours d'une cérémonie secrète, il est déposé dans la jarre aux abeilles.

Les renseignements qui précèdent, quoique assez étranges, sont rigoureu­sement exacts; ils m'ont été fournis par une personne digne de foi et parfaitement au courant des rites du culte de Togbehagni.

2 et 3 Décembre 1931

TAnO

Village situé à 16 kilomètres de Tohoun, Tado a été fondé par des indigènes originaires d'AIo [Oyo] au Nigéria; c'est le plus ancien centre de tout le Bas-Togo, Nuatja compris. U comprend plusieurs quartiers: Tado-Alou, fondé par les nommés l..obo et Kohoun ; Adéatché [Adjatchè), fondé par Togbehagni ; Domé, fondé par Gbeissa; Tado Avédji et Kpavouvou, fondés respectivement par les nommés Gadjrékou et Alougou. A l'heure actuelle, le quartier de Kpavouvou a presque entièrement disparu.

De même que Nuatja, Tado a été le point de départ d'une multitude d'émigrants qui ont fondé de nombreux villages, tant au Togo qu'au Dahomey : Tohoun, Sagada, Tététou, Gbohoulé et Gbohouié-Avedji au Togo; Gamé, Kpat­choué, Toviklin et Asovi au Dahomey. Les vieillards de cette région assurent même que Alladah, Porto-Novo et Abomey au Dahomey ont été fondés par des indigènes originaires de Tado et non de N uatja. A l'appui de leurs déclarations, ils rapportent que jusqu'à Béhanzin, à chaque fois qu'à Abomey il a été procédé à la désignation d'un nouveau chef, une délégation de notables est toujours venue apporter, de la part du nouvel élu, des présents divers pour le chef de Tado, puis pour ceux de Tohoun lorsque les grands prêtres du fétiche Togbehagni ont quitté Tado pour venir s'installer à Tohoun.

Tado possède deuxgléta : Kpégolo [Kpegodo) fondé par les gens du quartier Alou, et Hassané [Hassomè], habité par les gens du quartier Adjatchè et surtout des transfuges dahoméens.

Le chef actuel de Tado est un nommé Djobè, fils de l'ancien chef de Tohoun, Pouézou."

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MONOGRAPHIE SUR L'HISTOIRE DE TADO •

Informateurs :

1 - aja Alokpeto, anyigbafia de Tado 2 - Fonkou Ayi Koumbo 90 ans environ, ministre du roi 3 - Kotowou Gaga 95 ans environ, devin du roi 4 - Zogoé 85 ans environ 5 - Asodji 87 ans environ 6 - Tokon 82 ans environ 7 - Kindji Follivi 80 ans environ, chef du canton de Tohoun 8 - Ayissan 84 ans environ

Chercheur Koumbo Blaise Amouzou, Secrétaire des coutumes ancestra­les ajatado Tohoun 1942

Emigration de Togbe-Anyi d'Ayo ; son installation à Amme. dénommé Tado

Emigré d'Ayo - old Oyo, Nigeria- après la mort de son père, le prince Togbe­Anyi s'installa à Ketu pendant plusieurs années avec de nombreux clans. Il y fonda un royaume qui fut éphémère à cause de divergences internes. Mais par la suite, le royaume d'Ayo favorisa la création de plusieurs autres villages dans le nord-ouest du Nigéria. Le royaume de Ketu, que le prince Togbe-Anyi fonda après le départ d'Ayo, éprouva des difficultés pour s'agrandir et sombra quelques années plus tard en raison de la persistance de ces mésententes. Ce fut d'abord la séparation des clans, qui quittèrent l'un après l'autre la vieille cité Ketu. Avec l'appui d'un grand nombre de lignages, Togbe-Anyi se décida enfin à abandonner Ketu et suivit une direction autre que celle des autres groupes. Chemin faisant, Togbe-An yi et les siens trouvèrent d'autres groupements de réfugiés qui sont quand même arrivés à se rejoindre et se regrouper malgré leur petit nombre. Avec sa suite, Togbe-Anyi s'établit chez ces derniers pendant quelques jours et fit des avances aux premiers habitants de ces villages afin de gagner leur estime. Cette façon de procéder lui permit également d'étudier les caractères fondamentaux de ces villageois. Dans cet ordre d'idées, il procédait de la manière suivante: quand il faisait nuit et que l'obscurité envahissait tout le village, il appliquait des coups de fouet sur une peau d'animal. En même temps, sa femme lançait des cris de détresse pour laisser croire qu'elle était victime d'une correction. Si personne ne répondait à ces alarmes, ou du moins ne se rendait sur les lieux pour s'enquérir de ce qui se passait parmi les

• Le texte français, réalisé par Benoit Amouzou, a été retouché par nos soins.

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étrangers qu'ils étaient, Togbe-Anyi abandonnait les lieux et se rendait ailleurs. A Azame, petit village en début de création par quelques réfugiés d'Ayo, il fut violemment interpellé pour avoir maltraité sa femme. Cette attitude impressionna favorablement Togbe-Anyi et l'encouragea à s'installer définitivement sur place avec sa suite.

Notons que le village d'Azame doit son nom à l'existence d'un grand nombre d'arbustes <<Zanchi» qui poussaient à l'emplacement du dit village. Dans la même période, alors qu'il se promenait aux environs d'Azame, Togbe-Anyi se rendit à l'improviste dans un village dénommé Agbanakin. Après avoir pris contact avec cet endroit, il désigna un homme et sa femme pour s'y établir et il leur apportait souvent

de quoi se nourrir. En raison de la persistance des pluies irrégulières, facteurs de la baisse des rendements des produits qu'ils récoltaient à la fin de chaque année, Togbe-Anyi raconta à maintes reprises aux habitants d'Azame les cérémonies coutumières pratiquées dans son pays pour avoir d'une part de bonnes récoltes, pour se préserver d'autre part des attaques ennemies, des épidémies et de la mort violente. Ceux-ci finirent par se laisser convaincre et acceptèrent délibérément

l'installation de ces divinités et la pratique de ces coutumes. Togbe-Anyi fut très puissant, car il possédait réellement des connaissances sur la magie des dieux. D'où le nom de Tado (en mémoire de ces dieux) qui signifie «halte au malheur». Et c'est ainsi qu'Azame fut peu après dénommé Tado par Togbe-Anyi, qui en devint fondateur et premier roi. Il choisit certains parmi les Azaméens à titre de sacrifi­cateurs; ceux-ci jouaient différents rôles au cours du déroulement des cérémonies animistes. Plus tard, ces sacrificateurs de Tado s'éloignèrent et créèrent le village de Sagada. Dans cette vieille histoire de Tado, un fait extraordinaire mérite d'être cité; d'après la tradition orale, Togbe-Anyi, premier roi de Tado, fut englouti par la terre qui s'entr'ouvrit sous ses pas. Ses enfants recueillirent ses armes et ses habits. Par ailleurs, on note aussi que la pl us ancienne couronne du célèbre roi Togbe-Anyi a été emportée par le roi Sri, au moment de ~d fuite. Elle se trouve actuellement

à Anloga. Etymologiquement, Aja signifie Amegan, vieux, patriarche, seigneur.

Arrivée au pouvoir de l'impitoyable Aja Kpondjin

Des rois sesuccèdèrent, et ce fut l'arrivée au pouvoir d'Aja Kpondjin,environ 75ème roi de Tado. Il dirigea le pays dans l'insécurité. La dislocation survint dans le pays qui fut ruiné.

Sala et Dédé : règlement de compte

Ceci se passa au cours du règne d'Aja Kpondjin. Selon la coutume, nos vieux parents pouvaient prétendre épouser l'enfant dont accoucherait une femme en­

ceinte. Ils s'en occupaient sérieusement. Si au jour de l'accouchement de celle-ci naissait une fille, le prétendant, avec l'accord des parents, offrait une espèce de

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bracelet d'ivoire appelé ela, que l'on mettait au bras du bébé, pour attirer l'attention des autres garçons sur le fait que celle-ci avait un fiancé. Cependant, si la femme mettait au monde un garçon, le prétendant devenait automatiquement son ami.

Un jour, un désaccord survint entre Dédé et Sala. Celui-ci ayant effectué à l'endroit de sa future épouse tous les soins nécessaires, il se trouva que, devenue grande, Dédé ne voulut plus épouser Sala que ses parents lui avaient choisi. Sala à son tour réclama son bracelet, alors que la corpulence de Dédé ne permettait plus de le lui enlever sans lui couper le poignet. En raison de la gravité de leur désaccord, les vieillards de leur quartier réglèrent l'affaire, à l'insu du roi Aja Kpondjin, en décidant de faire trancher le poignet de Dédé, afin que Sala puisse rentrer en possession de son bien.

Des années s'écoulèrent. Dédé devenue infirme, personne ne voulut l'épou­ser et elle resta célibataire. Malgré son infirmité, elle s'occupait très bien de son champ situé au bord d'un sentier. Ce champ lui rapportait beaucoup. Un jour, alors qu'elle se reposait au pied d'un arbre après un rude labeur, Sala, revenant d'un long

voyage, passa au bord de ce champ dans lequel mûrissaient de jolis fruits. La chaleur était étouffante. Après s'être assuré, en regardant de tous côtés, que personne ne l'observait, il voulut se rafraîchir la gorge. Le voilà qui cueillit une aubergine et la croqua. En entendant le bruit, Dédésedemandaqui pouvait bien être ce maraudeur. Sala cueillit un second fruit; se levant doucement, Dédé se rendit sans bruit à l'endroit où les buissons remuaient: c'était Sala. Ce fut un grave incident pour l'un

et une grande surprise pour l'autre. Le pauvre Sala ayant déjà croqué deux fruits, Dédé réclama à son tour la restitution immédiate de son dû. Elle se souvenait en effet très bien qu'elle devait son infirmité à la méchanceté de cet homme. Cette affaire les conduisit de nouveau devant les vieillards de leur quartier pour trouver une solution adéquate. En raison du premier jugement rendu, les vieux se résignè­rent à faire éventrer Sala qui expira sur-le-champ, sans que le roi Aja Kpondjin en

soit averti. Plus tard, ces actes malheureux eurent des retombées funestes sur le pays.

Dispersion du Royaume de Tado. Création de Notse, Agome-Seva, Afangnan, Agome-Glozu, Togoville, Kpalimé, Kpele Danyi, etc.

Le roiAja Kpondjin demanda à toute la population de hii pétrir de la terre de barre en y enfonçant des épines. Ce travail s'effectuait à tour de rÔle entre les diverses collectivités et surtout quand il avait plu. Ces pétrisseurs de terre sont ordinairement connus sous le nom de Fanyiwo. Cette terre de barre devait servir à l'édification de la grande construction que le roi envisageait. Comme la carrière devenait de plus en plus profonde, les pétrisseurs devaient s'y enfoncer et, ne voyant rien dans l'obscurité, ils se blessaient contre les épines. Cette manière de travailler devint de jour en jour insupportable. Néanmoins, ils étaient forcés de le faire. Finalement le roi leur demanda de tresser une corde en argile. Ceux-ci se

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mirent à l'oeuvre, mais leurs efforts pour réussir furent vains. Se trouvant journel­lement en face de travaux forcés plus ou moins absurdes et irréalisables, la popu­lation se rebella et décida de quitter le pays.

Ce furent d'abord quelques chasseurs qui prirent la fuite vers les horizons opposés. A leur retour, ils manifestèrent leur joie d'avoir trouvé des régions habitables. La décision unanime fut prise. Ils partirent trouver le roi et lui deman­dèrent de leur mon trer une vieille corde en argile afin de les aider dans la fabrication de la nouvelle. Le roi, furieux, s'emporta contre eux. La nuit, les différentes collectivités se dispersèrent.

Par contre, pour des motifs assez clairs, il ya lieu de reconnaître que la conduite quelque peu sévère du roi Aja Kpondjin répondait à la situation de crise qui régnait dans le royaume. La façon peu orthodoxe dont les vieillards avaient réglé le conflit Dédé - Sala jeta un mauvais sort sur le pays: sécheresse, épidémies, famine décimaient la population. Les efforts du roi pour conjurer ce mauvais sort furent vains. Il décida de rechercher la cause de ces malheurs et apprit alors les jugements décidés de façon si étrange par ces vieillards. Le roi entra dans une violente colère et, afin de parfaire les cérémonies pour rétablir la prospérité dans le pays, il imposa de durs travaux à ces vieillards. Ceux-ci trouvèrent ces travaux si difficiles à exécuter qu'ils préférèrent s'enfuir. Cet exemple fut suivi par un bon nombre de la population, qui abandonna la ville.

Après leur dispersion, ils formèrent plusieurs groupements et fondèrent plusieurs villages tels que Agome-Seva, Djankassé, Mangnan, Agome-Glozu, Togoville, Notse, etc. Chemin faisant, plusieurs moururent de faim, car ils ne vivaient que de noix de palme. Ils prirent la direction de l'ouest et arrivèrent entre les fleuves Haho et Yoto, où ils se reposèrent. Des chasseurs, qui étaient parmi eux, partirent à la chasse. L'un d'eux, prêtre de la ~ivinité Agbo, tua par bonheur un éléphant, à la surprise de tous. Cela permit à la troupe de manger à satiété. Ensemble, ils glorifièrent le Tout-Puissant de ses bienfaits, en utilisant l'expression suivante en yoruba: <<Ahouan wo tchi tche bi bayi» : «Nous allons nous servir de ces vivres que le créateur nous a offerts». C'est à cet heureux événement que l'on doit son nom, Afotchegnon : «Nous avons fait un bon voyage». Puis il décida de faire de ce coin un lieu de refuge sous le nom de «Ouatchi». Finalement, ils s'y établirent et fondèrent le royaume connu dans l'histoire sous le nom de Ouatchin.

Couronnement de Sri

Pendant quelque temps, Asimadi, devenu roi de Tado ou gardien de la couronne ancestrale, alla épouser une soeur de Wenya dans la tribu des Dogbo, à Ouatchin, et eut comme premier fils Sri. Après la mort du roi Asimadi, son fils aîné Sri voulut se faire introniser, tandis que d'autres personnes des familles alliées s'y

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opposèrent vivement. Couronné après de longues difficultés, au grand méconten­tement de plusieurs vieillards, Sri quitta le pays et se réfugia à Ouatchin, où il trouva également de terribles ennemis sous le commandement du roi de cette ville. Pour s'en débarrasser, il jugea bon de continuer sa route et s'en alla rejoindre le village d'Anlo avec sa famille, auprès de son oncle Wenya. Jusqu'à nos jours, on reconnaît que Sri est descendant de la famille royale de Tado.

Heureuse aventure du brave Koumbo, fondateur de Tohoun. Réformes du royaume de Tado

Après la fuite du roi Sri, le royaume de Tado tomba en décadence. Le pays connut d'affreuses perturbations. Ne pouvant pas laisser le royaume indéfiniment dans cet état d'abandon sans le réformer, Koumbo s'évertua pour en relever le prestige et se lança dans uneaventurequi, plus tard, fut heureuse. Ilvoulutatteindre Ayo, l'origine des Aja. Au cours de son voyage, il se vit un moment devant trois éléphants, et réussit, par son courage indomptable, à les abattre simultanément à l'aide de son fusil. En les dépeçant, il trouva d'une façon mystérieuse une pièce d'or dans leventredechacund'euxet il les ramassa sans la moindre hésitation. Il atteignit enfin Ayo ~près un long et pénible itinéraire. Il échangea avec le roi d'Ayo,contre sa couronne, tout son gibier ainsi que les trois pièces d'or. Le brave Koumbo a vécu trois ans chez le roi d'Ayo pour s'instruire dans le domaine des coutumes ances­trales nécessaires à l'élaboration des réformes légales devant aboutir à la restau­ration de l'ancien royaume de Tado. Par son courage, sa tenacité et sa grande bravoure, il revient victorieux de cette aventure à Tado. Il y fut couronné et régna longtemps.

Couronnement du roi Aja Vivi

Devenu si vieux qu'il ne pouvait plus entreprendre aucune activité remar­quable, Koumbo se fit remplacer par son frère qu'il couronna sous le nom d'Aja Vivi. Avant de le couronner, Koumbo exigea la consultation de plusieurs devins. Ceux-ci révélèrent au roi que, comme beaucoup de maux et périls s'abattaient sur le royaume, il serait nécessaire d'en déplacer la capitale, afin que le pays puisse retrouver la paix et la prospérité. A cet effet, il fallait respecter les consignes suivantes:

- d'abord sacrifier un homme et une femme en les abandonnant dans une forêt pendant seize jours. Ce délai passé, s'il arrive que l'on retrouve l'homme vivant, cela voudrait dire que le lieu est inhabitable. Mais dans le cas où l'on retrouverait la femme en vie, cela signifierait que ce lieu sera favorable à la vie humaine. Rappelons qu'il est impossible de retrouver vivantes les deux personnes selon la tradition. Cette cérémonie accomplie, seule la femme fut retrouvée vivante;cequi favorisa la reconstitution du royaumedeTadoautourde la montagne dénommée Tohoun.

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Les rois aia

Autrefois, nos vieux parents ne savaient ni lire, ni écrire. C'est pourquoi l'on ignore les noms de la majorité des rois de Tado. Mais l'histoire nous apprend que 143 rois avaient régné sur le pays, en commençant par Togbe-Anyi jusqu'à Alok­peto. Cependant nos traditions n'ont pu retenir que les noms des 24 rois que voici: Aja Togbe-Anyi, Aja Badja, Aja Sodjo, Aja Ounleli, Aja Foufoulili,Aja Atanvon, Aja Govon, Aja Nissougla, Aja Konou, Aja Mavon, Aja Akpamagbo (père de Koumbo et Vivi),Aja Kpondjin,Aja Agbanledènu,Aja Kpengblen, Aja Tossogbé, Aja Asimadi,Aja Sri, Aja Sosou,Aja Koumbo (fondateur de Tohoun), Aja Vivi, Aja Atideku,Aja Alowu,Aja Kpoyizu,Aja Alokpeto,Aja Kanumabu (l'actuel sou­

verain).

Dans le domaine historique, nous avons jugé bon d'ajouter que, pendant les derniers moments de sa vie, le roi Aja Koumbo conseilla à son dernier fils, Amouzou Koumbo, de rejoindre son oncle maternel à Damakahoé. Plus tard, Amouzou abandonna ce village pour se rendre à Vetomé, chez Sodji. Quelques années plus tard, i1semariaitavecla nommée Amekudji, filledeson oncle maternel, et ils cultivèrent leur champ à Ajakotomé, en République du Bénin, endroit qu'ils transformèrent plus tard en hameau sous le nom d'Amouzouhoué. Ils eurent plusieurs enfants; nous donnons ci-dessous les noms de quelques-uns dont les descendants peuplent en majorité le village de Djakotomé : Elo, Amouzou, Huenou, Somachi, Hemadzro, Huegbe, Debiaku, Kudji, Adoé, Aboada, Fanwoubo, Fando­nougbo, Via lé, etc.

Désignation du roi

La désignation du roi ou l'investiture d'un régent était une nécessité capitale en vue d'établir la paix sur la base de la souvenu .. ~té~ pour la sa uvegarde du prestige de plusieurs collectivités respectant les mêmes coutumes. Les souverains aja se succèdent de la façon suivante. On ne désigne pas un successeur seulement compte­tenu des services que ce dernier a pu rendre au pays, mais selon les coutumes aja. Les candidatures des prétendants, tuus issus de la famille royale, sont étudiées par la divinité Afan, qui désignera l'élu. Celui-ci, sans être mis au courant du choix définitif de la divinité, doit fournir, en même temps que les autres prétendants, un certain nombre de choses définies à l'avance.

L'élu se prépare ensuite à ses nouvelles fonctions pendant trois mois, à la fin desquels on lui fera subir, pendant trois autres mois, une initiation qui devra lui conférer la puissance de chef temporel et spirituel. A la fin de cette initiation, on invite toutes les collectivités de tous les villages et bourgs environnants afin qu'elles se rassemblent dans la demeure du premier roi Togbe-Ayi à Tado ; et, c'est entouré de cette immense foule, que l'élu est proclamé roi du royaume aja de Tado.

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Ouelques coutumes aia

On célèbre périodiquement certaines fêtes, notamment les premières récol­tes de septembre. On apporte des vivres d'un peu partout dans la maison du roi. Les diverses collectivités cotisent de l'argent pour acheter des moutons. On fixe une date à laquelle aura lieu cette fête. Chacun se pare de ses plus beaux atours et l'on manifeste ce jour une grande joie.

Ouelques miracles des souverains aia

Comme le célèbre Togbe-Anyi, fondateur de Tado, on l'a vu plus haut, fut englouti sous la terre qu'il fit s'entr'ouvrir subitement sous ses pas, plusieurs de ses fils ont, eux aussi, opéré les prodiges les plus extraordinaires que connurent les annales de notre histoire. Ainsi, on se souvient de nos jours encore des étonnan­tes merveilles de Togbe Badja, fils aîné et premier successeur de Togbe-Anyi. Togbe Badja a connu une si longue vie que, dans les dernières années de son règne, il fut frappé de surdité. Cet!" infirmité le handicapa dans ses relations avec ses sujets. Aussi, ses conseillers voulurent-ils transférer les pouvoirs royaux à son fils Aja Sodjo, du vivant de son père. Les préparatifs terminés, les cérémonies d'introni­sation royale débutèrent à peine que son oreille droite s'ouvrit et qu'il put suivre ces cérémonies présidées par les tashinon, qui consacraient un nouveau roi à sa place. Furieux, le vieux Badja, à qui la colère fit retrouver tou te sa force, se leva brus­quement de son siège et prononça quelques mots magiques. Aussitôt, les familles alliées restées fidèles au vieux roi se rassemblèrent avec le roi à leur tête, et décidèrent de retourner dans leur pays natal, Ayo. Soucieuse de l'avenir de Tado, une des tashinon, la nommée Aléma, alla leur barrer la route avec une natte d'asen kotchokpoli (suivant les coutumes ancestrales aja), pour les empêcher de poursui­vre leur chemin. Arrivé près de la natte, Badja s'arrêta. En effet, d'après la tradition séculaire, il lui était formellement interdit de l'enjamber. Ne voulant pas retourner à Tado, ce qui équivaudrait à une honte pour lui, le vieux roi opéra un second prodige. Il fit s'entr'ouvrir la terre devant les immigrants émerveillés. Il leur enjoi­gnit de descendre dans la crevasse ainsi faite. Plus de la moitié des personnes présentes obéirent. Il se décoiffa ensuite de sa couronne royale, se débarrassa de sa canne royale et s'engouffra à son tour dans la crevasse qui se referma aussitôt sur eux. A l'endroit où se passa la scène, jaillit une rivière qui fut dénommée Badjamé. Ceux qui avaient assisté à ce miracle ont espéré, en vain, que les «disparus» reviendraient. Mais nulle part, ils n'entendirent plus parler d'eux.

Par ailleurs, la tradition nous rapporte qu'à l'époque où se déroulaient ces événements, on trouvait très souvent au bord de la rivière Badjamé des pagnes séchés par terre dont on ne connaissait pas les propriétaires. On apprend également que, dans le temps, les femmes qui allaient faire la lessive à cet endroit se servaient facilement de ces pagnes, mais ne pouvaient pas les emporter avec elles, car elles

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perdaient le chemin de retour si elles essayaient de les voler. Cela n'existe plus de nos jours. On retrouve, encore actuellement, au bord de cette rivière, des poussins qu'on appelle poussins de Togbe Badja. On ne les attrape pas non plus. Cette rivière est à 5km à l'est de Tohoun.

D'autre part, on raconte que quelques fils de Togbe Badja, qui, àvant le départ de leur père, étaient partis soit au champ soit au marché dans un village voisin, ignoraient les prodiges de leur père, se transformèrent aussitOt sur place en différents cours d'eau dès qu'ils eurent été mis au courant sur le chemin du retour. Ce sont ces rivières que l'on appelle aujourd'hui: Elo, Elon, Godjin, Gadja, Dekpo, Hali et Danfolly. Enfin, d'autres se transformèrent en statues de pierre, dont l'une représente une poule et ses poussins.

• • •

N.B. : Le texte de ce récit nous a été remis en octobre 1973 par Amouzou Blaise. Après en avoir pris connaissance, nous avons posé quelques questions à notre in­terlocuteur.

Q : - Ya t-il une suite chronologique dans la liste des 24 souverains présentés plus haut? R : - Non, il n'y a pas de suite chronologique dans cette liste, sauf pour les trois derniers rois. Le dernier en date,Aja Kanumabu, a été intronisé en 1957. Tous ces rois aja depuis Koumbo, se faisaient couronner à Tado, mais venaient ensuite résider à Tohoun. Aja Kanumabu, ancien acheteur de produits de rente, a long­temps résidé à Kpalimé et n'est revenu à Tado que pour poser sa candidature à l'investiture suprême. L'unanimité ne s'est donc pas faite autour de son nom. C'est la raison pour laquelle, après son intronisation, il n'alla pas habiter Tohoun comme ses prédécesseurs, mais préféra demeurer à Tado. De plus, n'ayant pas longtemps résidé dans la région, il ne connatt pas toutes tes traditions historiques aja. Tous les rois de Tado furent des «IJIIYigbaJio». Le premier «ytJvoJio» sera intronisé chef de canton à Tohoun en 1951. Ce poste fut d'abord occupé par Kindji, puis Dégbé. Les rois aja régnaient jusqu'à leur mort naturelle. Chez nous, ce sont les vieux, les sages qui étaient sacrés rois. Ces souverains restaient confinés dans leur palais, d'où ils ne sortaient jamais. Pour les assister dans l'administration du royaume et de la ville de Tado, ils avaient des conseillers dans tous les quartiers, villages et hameaux. Tado était entourée de hautes murailes qui furent élevées du vivant de Togbe-Anyi. Les cultures étaient pratiquées à l'extérieur de ces murailles.

Q : - Citez-nous les quartiers de Tado. R : - Le premier quartier est Azamé, fondé par Aza qui fut le premier occupant de la région. Autrefois, pour désigner une localité, on ajoutait le suffixe «mé» ou «hwé» au nom de son fondateur. Les principaux quartiers de Tado sont donc: Azamé, Domé, Alu, Avedji, Gbogbo, Hassomé. En fait on dit: Tado-Domé, Tado-

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Alu, Tado-Aved j i, Tado-Adjatchè (qui sera fondé bien pl us tard par des immigrants venus de Tohoun).

Q : - Y avait-il des armées à Tado ? R : - Oui.

Q : - Quelles furent les relations de Tado avec ses voisins ? R : - Nous étions souvent en guerre avec les Fon et les Nago. Bien que proclamant officiellement qu'ils ne pouvaient pas attaquer le pays de leurs ancêtres, les Fon sont venus plusieurs fois piller Tado. Ce sont des hypocrites. Nous avons fait la guerre aussi contre les Nago [Yoruba]. Les guerriers ayo [Yoruba] pillaient tout sur leur passage jusqu'à Tado, puis retournaient sur leurs pas.

Q : - Que devint Tado après son abandon par Aja Koumbo ? R : - Avant le départ de Koumbo, Tado était très peuplée. Mais après son départ, cette ville sera entièrement abandonnée par tous et devint une ville morte. Par la suite, Tohoun s'agrandissant et les paysans manquant de bonnes terres, une partie de la population alla réoccuper Tado par petites vagues successives. Notse ne sera fondée que deux cents ans après la fondation de Tado.

Q : - Que représente actuellement Togbe-Anyi pour les Aja ? R : - Togbe-Anyi est notre grand ancêtre. Nous le vénérons dans sa maison de Tado qui est devenue un sanctuaire. Pour entrer dans ce sanctuaire, il faut subir une préparation spéciale. C'est là que se trouve la jarre renfermant les crânes de tous les souverains aja. Mais il ya un nid d'abeilles au-dessus de la jarre,si bien qu'il est impossible d'en vérifier le contenu. Un prêtre blanc, qui a voulu malgré tout tenter l'expérience, fut sérieusement piqué par les abeilles, gardiennes de la jarre et de son contenu [il s'agit du R.P. Bertho qui fit des enquêtes sur Tado dans les années trente].

Q : - Quelles étaient les activités économiques des Aja ? R : - Ils étaient surtout cultivateurs.

Q : - Quels outils utilisaient-ils ? R : - Des houes.

Q : - Des houes en bois ou en fer ? R : - Des houes en fer.

Q : - Où trouvaient-ils le fer pour fabriquer les houes? R : - Le fer provenait de la CÔte à partir d'Agbanakin où les Aja étaient en con tact avec les Européens.

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Q : - Quels genres de vêtements portaient les Aja ? R : -Ils portaient des toiles tissées, les lokpo; les moins riches se faisaient des pagnes avec l'écorce de l'iroko [rendue souple avec des bouts de bois, puis lavée).

N.B. : Notre informateur, Amouzou Blaise, alors qu'il était écolier à Athiémé en 1934, servit de guide au R.P. Truant et Bertho au cours de leurs recherches sur les Aja à Tado. C'est après ces recherches que le R.P. Bertho écrivit une série d'articles sur les Aja.

HISTOIRE DE TADO, VERSION D'AMOUZOU BENOIT

Informateur : Chercheur Lieu Date

Amouzou Benoît, fonctionnaire en retraite. N. L. Gayibor Notse 27 octobre 1973

N.B. :Notre informateur a repris, avec beaucoup de modifications, le récit de la monographie exposée dans les pages précédentes.

Après Ayo, nos ancêtres vinrent à Ketu. De Ketu, ils se remirent en route, conduits par Togbe-Anyi. Sur leur chemin, ils s'arrêtaient aux environs des agglo­mérations qu'ils rencontraient et, pendant la nuit, ils frappaient sur des peaux de bête pendant que leurs femmes se mettaient à crier comme si elles étaient battues. Si les habitants de la communauté ne venaient pas s'enquérir de ce qui se passait, pour éventuellement porter secours aux «malheureuses femmes», ils pliaient ba­gages et se remettaient en route dès le lendemain. Ils répétèrent ce manège maintes fois avant d'atteindre Tado où ils ne rencontrèrent qu'un petit groupe de trois à six hommes. A la nuit tombante, Togbe-Anyi répéta le manège et, cette fois-ci, les habitants vinrent s'enquérir de ce qui se passait et le prièrent de ne plus battre ses femmes. Togbe-Anyi sut alors que ces gens étaient hospitaliers et que l'on pouvait volontiers s'installer auprès d'eux sans craindre d'être victime de mauvaises actions de leur part. Il se fixa donc à Tado avec son groupe, en plein accord avec les premiers habitants qui les adoptèrent et qui, plus est lui confièrent la direction de la ville. Togbe-Anyi semblait en effet manifestement doué de pouvoirs magiques, capables d'éloigner tous les malheurs de la nouvelle communauté naissante et de la rendre prospère. Togbe-Anyi devint donc roi et organisa la vie de la nouvelle communauté.

De Togbe-Anyi jusqu'à nos jours, il ya eu 143 rois à Tado, l'actuel souverain étant le 144ème.

Au temps du roi Aja Kpondjin, la sécurité de la communauté fut troublée à cause de la tyrannie de ce roi. Ainsi, par exemple, pour faire pétrir de la terre, il fit jeter dans l'argile des bouts de fer et des plantes épineuses. Les pétrisseurs se

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blessèrent et leur sang se mêla à la terre pétrie qui servit ensuite à construire les murailles devant entourer la ville de Tado. Les habitants subirent bien d'autres exactions de la part de leur roi, mais sans se rebeller contre son autorité. Un événement important allait cependant changer le cours de l'histoire.

Autrefois, quand une femme était enceinte, un homme pouvait lui rendre de menus services et autres jusqu'à la naissance de l'enfant. Si le nouveau-né est un garçon, l'homme s'en fait un ami; mais si c'est une fille, il l'épousera plus tard lorsqu'elle aura atteint l'âge de puberté. Cette pratique était courante et les règles en étaient acceptées par tous. Mais l'histoire de Sala et Dédévi se passa autrement. Sala veilla sur la mère de Dédévi pendant toute la grossesse et quand Dédévi naquit, elle fut naturellement promise à Sala. Quelques années plus tard, Sala mit un ala [bracelet en ivoire] au poignet de Dédévi, en signe de fiançailles. Mais parvenue à l'âge de puberté, Dédévi refusa d'épouser Sala malgré toutes les promesses d'antan. Sala eut beau supplier et menacer, Dédévi resta inflexible. Alors, pour la punir, Sala réclama son bracelet. Or Dédévi ayant grandi depuis, on ne pouvait retirer le bracelet à moins de lui couper le poignet. L'affaire étant grave, on eut recours aux notables. Après des hésitations, la sentence tomba: il fallait trancher la main de Dédévi pour rendre le bracelet à Sala. Ce qui fut fait. Dédévi devint donc infirme. Pour subsister, elle dut cultiver un champ au bord de la route avec sa main valide. Mais elle y réussit fort bien et son champ était plein de toutes sortes de produits. Un jour, alors qu'elle se reposait sous un arbre pourse protéger des rayons du soleil, elle vit s'avancer Sala qui, visiblement, avait faim et soif. Sans savoir à qui appartenait le champ ni avoir aperçu Dédévi, il se jeta sur les légumes, tomates, etc ... et se mit à les manger crus. Dédévi se leva alors et lui demanda s'il savait à qui appartenait le champ. Elle alla de suite trouver le roi et exigea réparation. Elle ne demandait pas moins que lui fussent rendus ses légumes que Sala venait de man­ger. Or, les notables n'avaient pas consulté Aja Kpondjin avant de rendre la sentence qui condamnait Dédévi à avoir le poignet tranché. Courroucé, le roi promit de les traiter comme il convient dès qu'il aurait réglé cette affaire. Selon la loi du talion, Sala fut éventré. Evidemment Dédévi ne put récupérer ses légumes, mais elle fut satisfaite que justice lui ait été rendue. Les notables de leur côté, peu soucieux d'affronter la colère d'Aja Kpondjin, avaient déjà décidé de quitter Tado.

Bien avant eux, d'autres lignages qui ne voulaient plus subir les exactions du roi, avaient déjà émigré ailleurs. Ainsi les habitants d'Afanyan [vient de fanyiwo, c'est-à-dire les pétrisseurs: ce sont eux qui avaient pétri la terre qui servit à élever les murailles de Tado. Pour se soustraire à la tyrannie du roi, ils partirent plus tôt que les autres], de Togoville, d'Agome-Seva, Djankasse, partirent très tÔt s'installer dans leur actuel habitat. Mais les différents lignages ne quittèrent pas Tado sous Aja Kpondjin. Lorsque leurs projets prirent forme, le roi Wenya venait de mourir. Son fils Sri, voulant régner, avait caché les attributs royaux que les dignitaires cherchèrent en vain. De l'arrivée de Togbe-Anyi à Tado jusqu'à la migration vers Notse, deux cents ans se sont écoulés.

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Le groupe qui ira fonder Notse s'était muni de calebasses remplies de noix de palmes, qui leur servaient de nourriture en cours de route. Après bien des pérégrinations, ce groupe atteignit un emplacement où les chasseurs tuèrent un bume. Tout le groupe s'en régala et l'on décida de camper quelque temps sur place avant de se remettre en route. La langue parlée en ce temps était le nago, car nos ancttres étaient venus d'Ayo et étaient des Ayonu [Yoruba].

Togbe-Anyi n'est pas mort. Il a disparu sous terre et l'emplacement précis est signalé par un petit monticule de terre qui s'y forma mystérieusement. Cet endroit se trouve actuellement dans un sanctuaire, où l'on peut également voir une jarre dans laquelle se trouvent les crânes des 143 rois ayant régné sur le pays aja. Un nid d'abeilles (anyi) protège cette jarre. Personne ne peut entrer dans ce sanctuaire sans avoir subi une préparation spéciale. Un pr~tre blanc d'Athiémé, ayant voulu passer outre et s'approcher de la jarre sans avoir subi les rites voulus, fut sérieusement piqué par les abeilles et dut garder le lit pendant trois mois.

Après Togbe.-Anyi, régna son fils Baja qui vécut très vieux, si vieux que vers la fin de sa vie, on dut le transporter chaque jour au soleil et le rentrer le soir dans sa maison. Les notables décidèrent alors de le remplacer à la t~te de la ville par son fils Foli. En entendant le son du tam-tam d'intronisation, Baja demanda ce qui se passait. Quand on le mit au courant, il se mit en colère et voulut de suite retourner à Ayo. Mais une grande partie de la population se porta devant lui pour l'en emp~cher. On le supplia, mais, intraitable, il fit périr ceux qui le suivaient en faisant s'ouvrir sous leurs pas - grâce à ses dons magiques - une crevasse, dans laquelle ils tombèrent, puis excédé, il jeta au loin sa couronne et son bâton de commandement - insignes de la royauté - et sauta à son tour dans la crevasse qui se referma.

Bien des années plus tard, un cours d'eau surgit à l'emplacement de la crevasse. Au bord de ce cours d'eau, les femme:; allaient laver le linge; mais chaque fois qu'elles s'y rendaient, elles voyaient du linge mis à sécher et des poulets qui picoraient sur la berge. Ces poulets se sauvaient dès qu'on s'approchait d'eux. Si on arrivait à en acculer un dans un coin, il disparaissait pour réapparaitre un peu plus loin. De la même manière, on pouvait se servir du linge étendu sur la berge tant que l'on voulait. Les femmes s'en couvraient notamment quand elles lavaient leur linge. Mais dès qu'elles voulaient l'emporter, leur visage s'obscurcissait et elles ne :;avaient plus où elles se trouvaient. Force leur était de laisser sur place le linge «venu de nulle part». De nos jours, ce cours d'eau a tari et ces phénomènes aussi ont disparu. Mais l'emplacement subsiste toujours et il suffit, quand on est à Tado, de demander où se trouvait Bajame pour qu'on vous montre cet endroit.

Foli, qui devait succéder à son père, quitta la ville à son tour et se transforma en un cours d'eau appelé Dan-FoH, situé sur la route qui mène de Tohoun à Tado. Les filles de Baja, restées à Tado, disparurent aussi sous terre à leur tour. Quelque temps après ces bouleversements, le peuple croyait que c'est Koumbo, petit-fils de

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Baja et fils d'Aja Kpamagbo, qui avait caché la couronne royale (que Sri, fils de Wenya, avait emportée à Notse). Koumbo dut aller à Ketu, où on lui fit une autre couronne. Ceci se passait bien des années et même des décennies après que Sri eut emporté la couronne. Koumbo rapporta à Tado la nouvelle couronne. L'actuel roi est le huitième qui le porte.

Koumbo, de retour à Tado, ne voulut plus résider dans la ville. Il décida d'aller s'installer ailleurs. Il demanda alors conseil aux notables. Ils lui dirent d'envoyer, dans la direction où il désire s'installer, un homme et une femme. Si après seize jours, il retrouve l'homme seul sur l'emplacement choisi, qu'il n'insiste pas et aille chercher ailleurs. Mais si, par contre, c'est la femme qu'il retrouve, il peut alors s'y installer sans crainte. Koumbo suivit ces consignes et, après les seize jours, il ne retrouva que la femme sur place. Il décida alors de s'y installer, à côté d'une colline (tohoun) ; ce fut l'origine de Tohoun.

C'est également de Tado que trois frères partirent fonder Allada. Causes de leur départ: mésentente et désir de liberté. De là Dako se rendit chez Dâ lui demander l'hospitalité, alors que le deuxième restait à Allada et que le troisième était parti pour Hogbonou. Dako demandait constamment des terres pour cons­truire des maisons à son hÔte, à tel point, qu'excédé, Dâ lui dit, par plaisanterie: «Quelle sorte d'étranger es-tu pour me bousculer de la sorte. Viens donc me tuer pour construire sur mon corps /» Dako le prit au mot, le mit à mort, l'en terra et construisit une case dont le pilier central reposait sur le ventre du corps de sa victime. De là, le nom de Danhome.

Hogbonou s'appelait autrefois Gbleta. Le groupe, qui s'y installa,yconstrui­sit une grande maison qui lui servait de lieu de repos. Il s'y rendait après les travaux des champs et avait pris l'habitude de dire: «je vais à Hogânu ou Hogbonu».

Pendant la guerre entre Behanzin et les Français, Kpoyizou, qui régnait à Tado, envoyait des renforts à Behanzin, si bien qu'après la chute d'Abomey Kpoyizou fut fait prisonnier par les Français.

C'est Afanotchè qui conduisit le groupe qui s'installa à Notse. Il fut le père d'Agokoli.Agokoli fitcommeAja Kpondjin et les Ewequittèrent Notse. Mais, pour sortir de la ville, ils eurent l'idée de marcher à reculons, si bien qu'en voyant les traces des pas on avait l'impression que les pas se dirigeaient vers la ville; ce qui dérouta les poursuivants et donna le temps aux fugitifs de se mettre à l'abri.

C'est au temps d'Aja Kpondjin qu'eut lieu l'exode de Notse, en même temps que le départ de ceux qui iront s'installer à Afanyan, Togoville, Agome-Seva. Ceux­là ne passèrent pas par Notse.

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Q : Origine du peuplement entre Notse et Tado. R : En 1937, mon père m'emmena à Notse. Il n'y avait que très peu de localités sur, la route: Hassome, Tohoun, Tetetu (fondée depuis très longtemps), Kablè­Kondji (zone de peuplement très récent), Assagba, Djemegni et Notse. De nos jours, les Hweno viennent de la République du Bénin s'installer dans toute la région.

Q : Quelle est la différence entre les Aja et les Hweno ? R : Les fils des Aja s'appellent: Ayissan, Foli, Amah, Adamah, etc. .. Ayissan, originaire de Tado, alla fonder Arove et les gens de Lokossa et de Sè, qu'on appelle les Hwe, vinrent se fixer à côté de lui. D'où le nom de Hweno.

Ce sont les gens qui ont émigré de Notse qui ont pris le nom d'Ewe. Mais les gens de Notse ne sont pas de Ewe,.ce sont des Aja tout comme nous. Wenya était roi de Tado. Après sa mort, Sri cacha la couronne et émigra à Notse.

Q : - Quelle est rOrigine du toponyme Tado ? R : - Togbe-Anyi, à son arrivée dans la région, se proposa aux premiers habitants pour faire certaines cérémonies afin de mettre la ville à l'abri des malheurs, pour que la mort et les mauvais esprits «franchissent» la ville sans l'at­teindre; ce qui en langue aja, se dit «Il taado mi». De là l'expression pour désigner la nouvelle communauté naissante. Afotchè n'a fait que conduire le groupe qui s'installa à Notse. A Notse, les Dogbo résidèrent à Tegbe, Adimè, Ekli et c'est après eux que d'autres lignages vinrent habiter la ville. Les habitants du Ghana actuel viennent aussi de Ketu.

Q : - Comment créait-on une nouvelle communauté? R : - La fondation des communautés: importance primordiale des chasseurs qui seuls sont doués de pouvoirs magiques leur permettant de braver les dangers de la forêt. Ils vont donc de l'avant et préparent la place avant l'arrivée du groupe.

Q : - Quels furent les contacts de Tado avec les gens de la côte ? R : - Togbe-Anyi, après l'installation à Tado, envoya quelques membres de sa famille se fixer à Pla Agbanakin pour commercer avec les Blancs.

Foli Bebe et son groupe vinrent une première fois et rencontrèrent le représentant du roi à Agbanakin. Ils furent bien reçus et repartirent après trois jours. Ils revinrent plus tard, plus nombreux, et décidèrent de tuer le représentant d'Agbanakin et l'enterrèrent. Plus tard, un tumulus en forme de siège sur lequel était assis un homme, sorti de terre. Mais les gens de Glidji avaient déjà construit une case là-dessus. De là, le nom Agbanon que prirent certains rois de Glidji.

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Q : - Comment avez-vous recueilli vos informations ? R : - Voici la manière dont se transmettaient les traditions: les notables voient les jeunes gens qui s'intéressent à eux, à l'histoire de leur lignage, ceux qui sont ouverts~ serviables et qui aiment bien leur compagnie. Ils les appellent alors souvent et leur racontent le passé au cours de plusieurs séances, car ils savent que ceux-là s'intéressent à leur communauté. Mais les jeunes gens qui sont peu enclins ou qui aiment peu rester en compagnie des vieux n'ont rien, même si par leur naissance, ils ont beaucoup la chance d'être choisis comme souverain. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il ya beaucoup de rois et de chefs qui ignorent tout du passé de leur pays.

J'ai eu mes renseignements du fils d'Alokpeto qui régna après l'emprison­nement de Kpoyizou par les Français. Il s'appelait Ayissan et était âgé de plus de 90 ans. Ayissan est le grand-père de l'actuel roi. J'ai commencé les enquêtes à partir de 1959. Le grand-père de l'actuel roi n'a pu me donner que les noms de huit rois. Avec patience, d'autres informateurs m'en fournirent seize. Wenya fait partie de ces vingt-quatre rois aj~ ayant régné à Tado.

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HISTOIRE DE TADO, VERSION DE DOME

Informateur Filiation

Profession Chercheurs Date de l'entretien : Lieu

Edah descend du roiAja Vivi à la 5è génération, par Sénou, Abou, Ayanou et Toyou. âgé de quinze ans environ lorsqu'éclata la guerre de 1914, alors qu'il fréquentait l'école allemande à Tohoun ancien chef du quanier Dome ; cultivateur N. L. Gayibor, S. Yakpé 27 janvier 1987 Quartier Dome, Tado.

Q : - Que savez-vous de Tado ? R : - Tado est l'Amedzope. Mais l'Amedzope, c'est aussi le Levant d'où sont venus les gens pour s'installer ici avant de se disperser plus tard.

Q : - Qui furent les premiers à s'installer à Tado ? R : - Personne ne les conn ait. Pas même nos ancêtres. On dit d'eux qu'ils étaient géants, et ne pourraient se tenir debout dans nos chambres d'aujourd'hui.

Q : - Parlez-nous des fortifications de Tado. R : - La muraille est l'oeuvre des anciens rois.

Q : - La muraille entourait-elle.la ville ou non ? R : - Elle ne l'entourait pas. La ville était très étendue jusqu'à Ahassomè. On ne pouvait pas l'entourer de muraille. Nous ne savons pas comment la muraille a été construite.

Q : - Comment se faisait le travail de la forge ? R : - A côté de l'école catholique se trouve un lieu de forge. Partout où il y a des againkpe [scories et laitiers] se trouvaient des ateliers de forge. Il yen a un peu partout dans la brousse.

Q : - Comment travaillait-on le fer? R : - Autrefois il n'y avait pas de Blancs. On cherchait une pierre qu'on chauffait. On alimentait le feu en y versant de l'huile de palme et le fer fondu se déversait. Ce fer obtenu servait à fabriquer les couteaux.

Q : - Où fondait-on le minerai de fer? R : - Je ne sais pas.

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Q : - Combien de quartiers Y avait-il ? R : - Il n'y avait pas de qll:3rtiers. C'est une oeuvre de notre temps. La ville était compacte d'ici jusqu'à Ahassome.

Q : - Que savez-vous des rois de Tado ? R : - Ce sont eux qui ont réalisé les dallages en tessons de céramique. Autrefois ce lieu s'appelait Atandomè et non Tado. C'était un endroit marécageux, (Tan), et quand les gens sont venus de Ketou, ils ont fabriqué des jarres qu'ils cassaient ensuite pour faire les dallages. Si après une couche de dallages l'humidité n'avait pas disparu, on recouvrait cette couche de sol et on posait une nouvelle couche et ainsi de suite. Si vous creusez un peu la terre, vous trouverez ces dallages et même des jarres parfois volumineuses. Ils ont tout enterré avant leur départ. Ils avaient de gros nez, des moustaches en toison et des poils dans les creux des oreilles. Ils avaient des poignets gros comme la cuisse.

Q : - Pourquoi ne vivent-ils plus de nos jours ? R : - Ils ont quitté le pays. Certains sont morts. Ils sont partis à Notse, Kpélé et à Bè. C'étaient ceux-là qui vivaient à Tado.

Q : - Y avait-il d'autres villages aux alentours de Tado ? R : - Non. Les premiers groupes venus de l'est ont choisi ce lieu et s'y sont installés.

Q : - Qui les avait dirigés ? R : - Je ne sais pas. Certains racontent que c'est Togbe-Anyi qui avait dirigé le groupe; cela n'est pas vrai. Il n'était venu que plus tard.

Q : - Dans ce cas, comment a-t-il pu devenir roi de Tado ? R : - Les gens venus de l'est étaient très inteiligents. A son arrivée, Togbe-Anyi logea chez un certain Aza. Celui-ci lui fit construire une nouvelle maison, mais Togbe-Anyi feignit de n'en être pas digne et demanda à Aza d'habiter la nouvelle case et il resta dans la maison d'accueil. Dès lors, tous ceux qui venaient à Tado allaient loger chez Togbe-Anyi, qui en profita pour se proclamer roi.

Q : - Citez-nous les anciens roi de Tado. R : - Je ne les connais pas dans l'ordre : Aja Vivi, Atsideku,Aja Kpondjin. Ils étaient nombreux. L'anyigbafio vous en dira davantage. Alokpeto est de notre temps. J'ai assisté à son couronnement.

Q : - Comment élit-on le roi ? R : - Ceci est l'oeuvre des tashinon ; le candidat désigné est enfermé dans une case en brousse pour un temps donné, au terme duquel les tashinon vont frapper à sa porte et le sortir de là, en le tirant par la main. Puis on l'amène encore loin

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dans la brousse, où se déroulent les cérémonies d'intronisation. Chaque clan de tashinon fait les cérémonies relevant de sa science en l'absence des autres clans. Parmi eux, certains lavent le roi, d'autres ont le devoir de lui oindre le corps, d'autres encore gardent la couronne royale ou lui mettent les kpakpè [bracelets en cauris] aux chevilles et aux bras.

Q : - De quels clans viennent tous ces tashinon ? R : - A ma connaissance tous les tashinon viennent du clan aja.

Q : - Qui devient Tashinon ? R : - Ce sont les Zafi

Q : - Que font-ils ?

R : - Nous autres ne devons pas aller à leurs cérémonies. Ce sont eux qui font asseoir le roi sur le vodoukpe, le siège royal.

Q : - Quels sont les autres clans ?

R : - Il Y a les Azanu

Q : - Que font-ils ? R : - Eux aussi font leur part de cérémonies. J'ai oublié ce qu'ils font exacte-ment.

Q : - Qui sont les autres ? R : - Il Y a les Honukwè. J'ignore également ce qu'ils font.

Q : - Autres clans de tashinon. R : - Je ne sais pas.

Q : - Qui sont les porteurs de sceptre royal ? R : - Après l'intronisation du roi, chaque clan de Tashinon se voit confier la garde des insignes de l'Anyigbafio. Le sceptre et la couronne restent à Tohoun. Les Zafi gardent le siège royal. Lorsque ce siège, qui est un vodou, demande des sacrifices, le roi offre une chèvre. On sort alors le siège qu'on couvre d'étoffes. On le dépose à un mètre environ du lieu de sacrifice de la chèvre et on fait les cérémonies. Il ne doit pas être taché de sang.

Q : - Qui sont les Siko ? R : - Ce sont également des tashinon ; ils vivent à Sagada. Ils font des libations aux ancêtres pour faire pleuvoir. Les joueurs de flOteviennent aussi d'un autre clan. La flOte, très lourde, est en défense d'éléphant et se trouve actuellement chez le roi. Personne ne peut la soulever. On la joue pour annoncer une manifestation chez le roi ou pour appeler la population au rassemblement.

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Q : - Les tashinon doivent-üs se prosterner devant le roi ? R : -Non. Ce sont eux qui établissent les lois pour contrôler le palais. Ils peuvent porter des chaussures en présence du roi.

Q : - Etes-vous tashinon ? R : - Non. Je suis de la lignée royale. A défaut de candidat pour le trÔne, on peut toutefois me désigner. Je suis l'arrière petit fils du roi Aja Vivi.

Q : - Quelles activités pratiquait-on ? R : - Nos ancêtres travaillaient surtout le fer. Mais ils pratiquaient aussi l'agriculture.

Q : - Qui fabriquait la poterie ? R ~ - On pétrissait l'argile pendant trois mois avant de fabriquer les vases. C'est pourquoi ils ont résisté jusqu'à nos jours. Les pots fabriqués de nos jours se cassent le jour même de leur chauffage. Je pense que c'était l'oeuvre des femmes. Avant de fuir la ville, nos grands parents avaient caché leurs richesses dans des jarres et les avaient enterrées.

Q : - Jusqu'où s'arrêtait l'autorité des rois de Tado ? R : - Elle s'étendait partout.

Q : - Quels étaient les villages dépendant de Tado ? R : - Ehwe : les habitants de ce village apportaient à manger au roi. Les Agoumi: chasseurs, ils apportaient du gibier et du bois au palais royal. Kpakplèmè vient d'être fondé; il avait existé dans le passé, mais avait été détruit tout comme Tado.

Q : - Les rois de Tado sortaient-üs de leur palU;" pour visiter la ville? R : - Jamais, sauf dans de rares occasions et pour des circonstances toutes particulières. Même en ces occasions, la population ne pouvait le voir. Il sortait entouré d'un grand nombre de tashinon qui le rendaient invisible. Les jeunes montaient dans les arbres mais ne pouvaient distinguer que sa couronne. Le roi ne peut sortir et se promener que dans son palais.

Q : - Dans ce cas qui gouverne le pays? R : - Le roi a des représentants dans les diverses localités du royaume qui lui rendent compte de l'administration du pays. De même, le roi envoie ses proches en mission auprès de ces derniers. Il y avait plusieurs personnes dans l'entourage du roi. Ils contrÔlaient l'arrivée des vivres à la Cour. Aussi disaient-ils souvent aux populations de l'intérieur que les présents apportés au roi étaient insuffisants; mais ils ne les laissaient jamais repartir avec lesdits cadeaux et s'en servaient eux-mêmes en demandant une part nouvelle pour le roi dans les jours à venir.

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Q : - Ces envoyés du roi étaient-ils des tashinon ? R : - Non. C'étaient des parents du roi. Les tashinon restaient près du roi, assis sur des peaux de bêtes; ils mangent, boivent et causent à la Cour.

Q : - Que font les tashinon après l'intronisation du roi ? R : - Ils repartent chez eux et ne reviennent que s'il ya une cérémonie à faire.

Q : - Qui seconde alors le roi dans l'administration du pays ? R : - Je dis qu'il y a assez de gens autour du roi et tout le monde veut profiter un peu de lui. Le roi est appeléAja, ce qui veut dire "partager". Nous devons tous partager, profiter de la générosité du roi, d'où le nom «f1javiwo» [les enfants du roi] donné à tous les membres de l'entourage du roi.

Q : - Différence entre Aja et Ehwe. R : - Dans le passé les Ehwe portaient des boucles d'oreilles, contrairement aux Aja.

Q : - D'où viennent les Ehwe ? R : - Ils sont tous partis de Tado au cours des guerres, mais ont fini par adopter la culture d'autres peuples. On les trouve aujourd'hui à Djakotomè, à Dogbo ... Nous sommes de Tado et appartenons aux mêmes clans.

Q : - Que savez-vous de Kunovi, à Ahassomè ? R : - Kunovi et son époux, Hasso, y avaient créé une grande ville, détruite elle aussi à la suite des guerres.

Q : - Quel souverain régnait à Tado au moment de la destruction de Kunovi ? R : - Je ne sais pas. Aujourd'hui leurs descendants vénèrent Kunovi, comme nous autres nous vénérons Togbe-Anyi à Tado. Ils font pleuvoir en invoquant Kunovi.

InCormateur : Généalogie

Age

ProCession Chercheurs Lieu Date

Sossou Tchodo descend d'Aja Vivi et Aja Kpamagbo par Tchodo, Badou, Ayanou, Kpakadatsi et Toyou. Né au cours de la guerre de 1914. Cultivateur N. L. Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé Dome, Tado 22 janvier 1987

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Q : - Parlez-nous de Tado. Qu'était Tado à ses débuts ? R : - On raconte que nos anretres se sont retrouvés ici après l'inondation et on ne sait pas d'où ils sont venus.

Q : - Qui a fondé le village ? R : - A leur arrivée sur le site, nos grands-parents avaient trouvé Aza et son groupe.

Q : - D'où venait Aza ? R : - De nulle part. Il est autochtone de Tado.

Q : - Y a-t-il des descendants d'Aza aujourd'hui à Tado? R : - Oui. Ils sont nombreux. On n'en trouve encore à Sagada.

Q : - Etes-vous descendant d'ka. R : - Non. Je suis ajavi. Je suis de la lignée royale.

Q : - Différence entre les Azanu et Ajaviwo. R : -Aza était le plus âgé de la contrée à l'arrivée de nos arrière-grands-parents.

Q : - On raconte qu'un homme nommé Togbe-Anyi était venu à Tado. Pouvez-vous nous dire quelque chose le concernant ? R : - Comment pouvez-vous aborder cette importante question d'une manière aussi banale? [NB: Le vieux Sossou, de la lignée royale, se trouvait à CÔté de son cousin Nagbé qui, lui est du clan Azanu, un clan rival du sein).

Q : - Que savez-vous davantage de lui ? R : - Il fut accueilli à son arrivée à Tado par Aza.

Q : - Comment est-il devenu roi de Tado ? R : - A l'arrivée de Togbe-Anyi, Aza le logea chez lui et lui fit construire une nouvelle maison que Togbe-Anyi refusa d'habiter. Aza occupa la nouvelle maison. Dès lors, tout étranger qui débarquaient dans la ville va s'adresser à Togbe-Anyi qui finit par acquérir de l'autorité, ce qui lui a conféré le pouvoir politique.

Q : - Citez-nous les noms de quelques-uns des rois de Tado. R : - Badja : c'est Ull roi très vieux. n a vécu longtemps, au point que ses petits-fils aussi sont devenus vieux. On désigna un de ses petits-fils pour lui succéder au trÔne. Badja apprit la nouvelle. Pris de colère, il partit de Tado en emportant avec lui une poule qui couvait et qu'il déposa en un endroit pour disparaître ensuite sous terre. En ce lieu jaillit une source qui prit son nom. La poule existe toujours en ce lieu près de Lawoumê. Autres rois: Aja Kpodjin, Aja Kpingblin, Aja Alomabou.

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Q : - Que signifie pour vous l'expression Aja-Ehwe ? Et d'où viennent les Ehwe? R : - Ce n'est pas nous qui pouvons aborder ce sujet. Si nos parents étaient encore en vie, ce serait à eux de vous en parler.

Q : - Parlez-nous des origines de Tado. R : - Selon nos ancêtres, All! était le premier à venir !)'installer en ce lieu avant l'arrivée des autres groupes. Togbe-Anyi avait devancé tous les groupes et, à son arrivée, il prit hospitalitéauprèsd'All!. La ville était vaste et il Y avait plusieurs clans: les Siko, les Zafi, les Fiayi. Nous autres enfants, sommes incapables de dire d'où ces groupes sont venus. Au temps où Dieu avait détruit le monde avec de l'eau, il n'y avait plus de gens qu'à Tado. Ce sont ces gens qui avaient logé Togbe-Anyi à son arrivée d'Ayo.

Q : - Togbe-Anyi était-il venu seul ou accompagné de gens? R : - Il était accompagné de ses femmes et de ses enfants.

Q : - Comment fut-il accueilli ? R : - Il demanda à rester près d'Aza. Celui-ci accepta en disant que lui et les siens étaient plus nombreux, mais beaucoup étaient morts; Togbe-Anyi était donc le bienvenu. Cependant Togbe-Anyi était très rusé. Il enleva les vieilles pailles des toitures d'Aza et de sa famille pour en couvrir sa nouvelle maison, puis il alla chercher de nouvelles pailles pour refaire le toit d'Aza. A partit de ce moment, tous ceux qui venaient à Tado allaient s'adresser directement à Togbe-Anyi, considérant Aza comme étranger, rien qu'en regardant le toit neuf de sa maison. Togbe-Anyi acquit ainsi de l'autorité au détriment d'All! qui était vieux. Togbe Anyi était prince à Ayo et, en quittant le pays, il avait emporté les insignes royaux de son feu père. A Ayo, Togbe-Anyi était en conflit avec ses frères.

Q : - Que savez-vous des fortifications de Tado ? R : - Cette muraille a été l'oeuvre de nos ancêtres. Chaque collectivité entourait de muraille la maison de son chef. Les rois aussi se faisaient construire des murailles autour de leurs palais.

Q : - Y a-t-il une muraille qui entourait toute la ville ? R : - Non. La ville était très vaste; puis elle a été détruite et il n'en resta plus que de petites portions éparpillées ça et là qui ont fini par se développer pour donner naissance à l'actuelle Tado. Actuellement, nous ne connaissons que les murailles des Alu à Agbogbomè. Les autres murailles, éparpillées à travers la ville, indiquent les résidences des souverains, que seule la lignée royale saura vous indiquer, mais il sera difficile de vous satisfaire.

Q : - Les Alu construisaient donc leurs propres murailles ? R : - Oui. Le domaine des Alu était très vaste. Il va d'Ahwetugbe à Kpéyi. Les Alu avaient pour coutume d'entourer de murailles les maisons de leurs chefs, de

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leurs chefs de concession, de leurs chefs de famille ... Leurs sous-clans sont nom­breux.

Q : - Parlez-nous de votre clan, du clan Aja. R : - Non! Je vous en ai assez entretenu et je crois que cela suffit.

Q : - Qui sont les Siko ? R : - Ce sont les gens d'Avédji.

Q : - Qui sont-ils pour les rois de Tado ? R : - Ils représentent un clan de tashinon.

Q : - Les Siko sont-ils des Aja ou des Azanu ? R : - A Tado, nous sommes tous des Ajaviwo, c'est-à-dire des enfants du roi.

Q : - Parlez-nous des tashinon R : - Les tashinon sont des personnes de l'entourage du roi, qui font des prières et des libations pour protéger le pays.

Q : - Tout le monde peut-il être Tashinon ? R : - Non! Les Azanu font asseoir le souverain sur le siège royal. Les Zafi,les Honukwe ... sont des tashinon, ceux qui se concertent pour désigner le roi. «Que la paix s'installe dans le pays avec l'élection de ce roi; que les femmes soient fécondes et les hommes virils; qui'il pleuve convenablement afin que la nourriture abonde .. que les femmes enfantent sans douleur P9ur agrandir le pays, que les (pires) maladies s'éloignent du pays ... », telle est la prière des tashinon.

Q : - De combien de clans proviennent les tashinon ? R : - Ils sont nombreux. Je ne peux :~S riter.

Q : -A quels clans appartenaient les tashinon dans le passé ? R : - Quand on élisait les rois, on trouvait des tashinon dans les clans suivants: Azanu, Honukwè, Zafi, qui sont les grands clans de tashinon qui restent près du roi. Les axoviwo sont les parents directs du roi, parmi lesquels on choisit un repré­sentant qui siège aux côtés des tashinon. On le consulte, on l'informe de ce qui va se faire, mais il ne décide pas. Il reste soumis aux tashinon, .quel que soit son âge.

Q : - Combien de tashinon y a-t-il dans l'entourage du roi? R : - Il Y a les Azanu, les Siko, les HÔnukwe. A ma connaissance, c'est de ces clans que proviennent les tashinon.

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Q : - Où vivent les membres de ces clans ? R : - Ils vivent mélangés, soit à Tado, soit à Sagada, soit un peu partout ailleurs.

Q : - Pouvez-vous nous indiquer des personnes de ces clans pour nous pennettre de les contacter ? R : - Allez voir le roi pour cela. Il rassemblera les tashinon qui vous parleront de leur rôle.

Q : - Vous disiez que la ville était vaste. Pourquoi est-elle devenue si petite de nos jours? R : - Autrefois, il y avait des guerres et de nombreux conflits familiaux.

Q : - D'où provenaient les guerres ? R : - Elles venaient de Danhome. Glèlè avait plusieurs fois porté la guerre contre Tado ct, après lui, son fils Kondo a poursuivi la politique de son père.

Q : - Combien de fvis sont-ils venus razzier le pays? R : - Je ne sais pas ... Autrefois, les Danhoméens avaient décidé d'aller enlever les lingots d'or que les Ayo mettaient sur leurs toits. Arrivés dans le pays, ils tirèrent sur les Ayo dont ils ignoraient la réputation guerrière. Ceux-ci, alertés par les coups de feu, sortirent aussitôt avec leurs armes à la poursuite de l'ennemi fon, qu'ils ré­ussirent à déloger de ses cachettes à plusieurs reprises. En fin de compte, les Danhoméens sont venus demander refuge auprès du roi de Tado, qui a rejeté leur demande. Pendant ce temps, en suivant les traces de leurs ennemis, les Ayo arrivèrent à Tado, qu'ils prirent pour le pays de leurs envahisseurs, et ils se mirent à tirer sur la ville, faisant beaucoup de victimes. Beaucoup d'autres ont fui le pays en enterrant leurs richesses. A la fin, le roi de Tado enfonça son sceptre en terre et y déposa sa couronne en perles. Les Ayo reconnurent le chapeau et mirent fin à la guerre. Ils venaient de constater qu'ils étaient en train de tuer leurs propres frères. Mais déjà la ville était largement détruite et la population éparpillée.

Q : - Pourquoi les rois de Tado sont-ils partis s'installer à Tohoun ? R : -Aja Vivi était le petit frère du chasseur Koumbo. Celui-ci a créé une ferme sur une colline, connue aujourd'hui, sous lenom deTohoun. Deuxou trois ans après l'intronisation d'Aja Vivi, son frère Koumbo lui demanda de venir demeurer près de lui dans sa ferme. Et, depuis cette période, tous les autres rois ont suivi la même voie, jusqu'au moment de l'intronisation d'Aja Kanumabu, qui s'est vu refusé, par la population de Tado, d'aller résider à Tohoun, aux dépens de la ville royale.

Q : - Parlez-nous des dallages qu'on trouve un peu partout à Domè. R : - Après le déluge, la terre était devenue impraticable. Les ancêtres survi-vants de cette catastrophe se mirent à casser les jarres qu'ils trouvaient et enfon­çaient les tessons dans la terre pour la rendre dure.

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Q : - De quelle catégorie de ja"es se servaient-ils ? R : - Ils utilisaient les vieilles jarres pour consolider le sol. Les anciens étaient des géants, très imposants.

Q : - On ne trouve les dallages qu'à Domè. Pourquoi? R : - Tado est le lieu d'origine. C'est d'Amedzopé que sont partis les gens après le déluge. Autrefois, on appelait ce lieu Tado-Adomè ; Adomè était une enceinte clôturée où les rois enfermaient leurs ennemis et toute personne jugée indésirable dans le royaume. Tous ceux qui étaient envoyés à Adomè n'en ressortaient plus vivants. Leur sort était réglé en ce lieu.

Q : - Donc le palais royal se trouvait ici ? R Lorsque le roi commet une faute à l'égard du peuple, on vient le juger ici, à Adomè, sur la place publique.

Q : - On dit que le roi ne sort pas de chez luL R : - Bien s11r, il sort de nuit guidé par un enfant pour aller discuter des problèmes de grande importance avec les membres de sa famille. Lorsqu'il sort tout seul, il est en danger. Quiconque l'a vu, a trouvé de l'or. Il doit exiger du roi une forte amende. Le roi ne peut s'y dérober sous peine de violer la tradition. Par ailleurs, il yale quartier AIu où les rois ne se rendent jamais.

Q : - Pourquoi? R : - Non! Ils ne doivent pas s'y rendre. Ils ne vont jamais dans la maison de Gagli. On dit à ce sujet qu' «Aja n'est pas l'égal d'Alu».

Q : - On dit que les Alu sont des forgerons. R : - Oui. Ils travaillent le fer mais ne portent jamais de bagues. Ils travaillent nuit et jour. Ils travaillent davantage la nuit. Ils prennent de la terre et la transfor­ment en fer.

Q : - A quel endroit prélevaient-ils cette te"e ? R : - Je ne sais pas.

Q : - Etes-vous du clan Alu ? R : - Ma mère est AIu. Les AIu sont mes oncles maternels. Les AIu travaillaient tous les jours et surtout la nuit. Les rois de Tado se plaignaient des bruits qu'engendrait le travail de forge. Les AIu continuaient de travailler de plus belle. Les rois de Tado en vinrent à demander aux Fon de venir attaquer les AIu. Trois fois de suite, les armées d'Agbomè envahirent les AIu et les anéantirent. Plusieurs d'entre eux furent capturés et déportés à Agbomè où ils développèrent les techni­ques de forge. Après ces attaques répétées de l'ennemi, Avli, un des fils de Gagli, prit la résolution d'interdire à jamais le travail du fer aux AIu.

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On trouve actuellement au Dahomey [Bénin] un grand nombre d'Alu qui travaillent encore le fer. Ils forment le principal noyau de peuplement de Hwegamè. Ils viennent régulièrement faire des libations à leurs ancêtres. On les trouve aussi à Dogbo. La guerre les a beaucoup éparpillés.

Au temps de Kpoyizou, Kondo [fils de Glèlè, et roi du Danhomè] envoya lui dire qu'il allait venir chercher les miettes de ce qu'avaient laissé ses ancêtres. Mais trois mois plus tard, il fut lui-même attaqué par les Français qui l'ont vaincu et déporté.

Q : - Il semble que Kpoyizou aussi avait eu des problèmes avec les Français. R : - Après la déportation de Kondo, l'autorité de Kpoyizou allait se renforcer, mais les jaloux complotèrent contre lui, et il fut arrêté à son tour. Par ailleurs, Kpoyizou était en désaccord avec la population de Tohoun. Lorsque le pays avait été envahi, les ancêtres avaient fui en laissant leurs effets.

Vous serez émerveillés si l'on vous racontel'histoirede Tado. I1ya des choses

que, nous-mêmes, nous n'arrivons pas à connaître ou à comprendre.

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HISTOIRE DE TADO, VERSION DES ZAFI

Informateur Filiation

Age

Profession Chercheurs Date de l'entretien : Lieu

Amewouho Arrière-petit-fils d'Ayissan par Edoh son grand-père et Abotchi, son père Centenaire Chef du clan Zafi ; cultivateur N. L. Gayibor, S. Yakpé 27 janvier 1987 Dome, Tado

Q : - Quel est le rôle des Zafi dans la royauté de Tado ? R : - Nous rasons la tête du roi le jour de son intronisation. C'est moi qui ai rasé les cheveux de l'actuel anyigbafio. Nous gardons aussi le siège royal.

Q : - Quels sont ceux qui élisent le roi ?

R : - Ce sont les gens de Tongbe. Le siège royal leur appartient. Après l'intronisation du roi, ils nous en confient la garde et repartent chez eux. Après l'intronisation du roiAja Kanumabou, le siège m'a été confié. Je l'ai gardé jusqu'au jour où le roi a demandé à le recevoir. J'ai refusé. Les gens de Tongbe sont du clan Azanou. Chaque clan de tashinon a son rôle à jouer: un clan le fait asseoir sur le trÔne, un autre lui met les chaussures, un autre encore l'habille; etc.

Q : - Pourquoi rase-t-on le roi? R : - Dès qu'il commence à observer les recommandations liées à son introni-sation, il devient adepte du vodou ; c'est pourquoi on lui rase la tête.

Q : - Pourquoi les Azanu vous confient-ils le siège royal? R : - Les Azanu se trouvent de l'autre côté du Mono, alors que le siège ne doit jamais traverser ce fleuve. Le siège est un vodou. S'il demande des sacrifices, nous en informons le roi et il envoie les offrandes.

Q : - Dites-nous le rôle joué par les autres clans de tashinon. R : - Ceux du clan honukwè gardent l'entrée du palais. Tout ce qui vient à la cour doit passer par eux.

Q : - Que faites-vous d'autre à part la garde du siège royal? R : - Le roi nous invite parfois à venir prier pour «délier le ciel» [faire pleuvoir].

Q : - D'où viennent les Zafi ? R : - De Tado.

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Q : - Sont-ils eux aussi des Aja ?

R : - Non.

Q : - On raconte qu'un groupe existait à Tado avant l'arrivée de Togbe-Anyi Les Zafi faisaient-ils partie de ce groupe ou étaient-ils venus avec Togbe-Anyi ? R : - Les Zafi étaient à Tado avant l'arrivée de Togbe-Anyi.

Q : - Les Zafi sont-ils Alu ? R : - Non. Ce sont les Alu qui mettent les bracelets en cauris qu'on attache autour des bras et des chevilles du roi.

Q : - Comment s'appelait votre ancêtre qui vivait à l'arrivée de Togbe-Anyi ? R : - Il était vieux; il s'appelait Ayissan.

Q : - Qui dirigeait Tado à l'arrivée de Togbe-Anyi ? R : - Ce sont les Zafi qui contrôlaient les terres.

Q : - Qui étaient les Azanu ? R : - Ils vivent à Tongbe.

Q : - N'ont-ils jamais résidé à Tado ? R : - Jamais

Q : - Que savez-vous de l'ancêtre Aza ? R : - Les Azanu viennent de Tongbe. Ce sont eux qui mettent la couronne au roi, l'habillent et font tout.

Q : - Parlez-nous d ~a. R : - Je n'en sais rien.

Q : - Quels genres d'activités pratiquait la population à l'époque de l'ancêtre Ayissan? R : - On cultivait la terre comme aujourd'hui.

Q : - On dit que certains travaillaient le fer. Qui étaient-ils? R : - Ce sont les Alu.

Q : - D'où leur provenait le fer? R : - Ils s'en procuraient chez les Blancs.

Q : - Où trouvaient-ils le fer avant l'arrivée des Blancs? R : - Les Alu ont le secret du fer. C'est ainsi qu'ils le travaillaient avant l'arrivée des Blancs.

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Q : - Où trouve-t-on encore les Zafi ? R : - Ceux d'entre nous qui sont partis se sont installés un peu partout dans la région. On les trouve à Saligbé, à Kpekplémé et à Ehwe.

Q : - Quels sont les noms propres aux Zafi ? R : - Les Zafi donnent les noms ana à leurs enfants. Si votre nom me plaît, je le donne à mon enfant. Un autre aussi fait de même.

Q : - Quel nom donne-t-on au premier né du clan Zafi ? R : - Ce sont ceux qui comprennent ana qui attribuent les noms.

Q : - Quel est le vodou adoré par les Zafi ? R : - Tous les Zafi vont à Togbuihwe.

Q : - Parlez-nous de Tado. R : - Aza notre ancêtre a réellement existé. Pour mieux vous renseigner, mon fils, le roi, doit être p.ésent. Le roi et nous autres Azanu savons comment se présente l'histoire de Tado. Aja Kanumabu et moi savons ce qu'étaient Aza et Togbe-Anyi l'un par rapport à l'autre.

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Informateur :

~ Profession Chercheurs Lieu Date

HISTOIRE DE TADO, VERSION D'ADJATCHE

Houimon, petit-fils du roi Kpoyizou par sa mère; cousin croisé de l'actuel roi Aja Kanumabu. 67 ans Commerçant N. L. Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé Adjatchè, Tado 27 janvier 1987

Q : - Parlez-nous de Tado, de son histoire. R : - Kpoyizou est mon grand père maternel. Selon les anciens, Togbe-Anyi vien t d'Ayo. Il avai t pl usieurs enfan ts qui naq u iren t tous à Tado, avan t la dispersion: un groupe alla fonder Notse, un autre alla fonder Allada et un autre encore créa Agbomè.

Q : - Y avait-il des ~ens à Tado avant l'arrivée de Togbe Anyi ? R : - Il n'y avait personne. On dit qu'il avait fui Ayo à la suite de la décision des vieux de le nommer roi. On dit que Togbe-Anyi, à son arrivée, fut accueilli à Alu.

Q : - Chez qui logea-t-il ? R : -Jenesais pas. On dit que Togbe-Anyi avait construit une maison ou il invita son patron à habiter pour lui laisser la sienne. Dès lors, tous les étrangers qui arrivaient dans la ville se rendaient chez Togbe-Anyi. Le vieux Alu, qui avait accueilli Togbe-Anyi, devint mécontent et abandonna le pays. Togbe-Anyi lui­même vécut très longtemps avant de partir de ce monde. Il ne mourut pas comme les autres. Il disparut sous terre. Avant sa mort, ses fils étaient partis en voyage. On envoya les gens leur annoncer la triste nouvelle. A l'annonce de la nouvelle, chacun d'euxse transforma en élément naturel. Badja, qui revenait de Savalou disparut éga­lement sous terre et, à l'endroit, jaillit un cours d'eau qui existe encore de nos jours. On dit aussi que, dans ie passé, tous ceux qui allaient puiser de l'eau dans cette rivière y trouvaient des pagnes séchés. Amevodou, de son côté, se transforma en statue de pierre avec sa femme.

Q : - Comment vivait-on à Tado ? R : - On raconte que la ville était souvent attaquée par les guerriers ayo. La population dut entourer la ville de murailles qui n'avaient qu'une seule entrée. On enfonçait des tessons de poterie en terre pour consolider le sol.

Q : - Parlez-nous des rois de Tado. R : - Ils sont nombreux. je ne les connais pas tous, exceptés ceux dont les noms figurent sur les tableaux accrochés au mur. Mais Aja Kanumabu est le 186ème roi aja.

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Q : - Comment a-t-on pu retenir ce nombre? R : - C'est seulement au cours de l'intronisation d'Aja Kanumabu que ce chiffre a été avancé. Aucun vieux ne me l'avait appris auparavant. C'est au cours d'une des fêtes traditionnelles de Togbe-Anyi que je me suis renseigné, auprès de certaines personnes, des activités des rois de Tado, leur nombre et la durée de leurs règnes respectifs. Sur leur conseil, je me suis rendu à Ayo acquérir des informations. Les Ayo, à leur tour, me renvoyèrent à Agbomè, après m'avoir livré quelques rensei­gnements. Le résultat de ce voyage fut l'établissement de ces tableaux des rois aja et des rois fon que nous présentons au public à l'occasion des fêtes de Togbe-Anyi.

Q : - Que savez-vous d'autre des rois aja ? R : - Mon père m'avait raconté beaucoup de choses, de même que Sotin, mais je ne peux pas tout me rappeler.

Q : - Qui sont les tashinon ? R : - Mes enfants par exemple peuvent devenir tashinon du roi. Ce sont en général des femmes, mais on leur ajoute des hommes qui font des prières avec des résultats satisfaisants. Ceux qui intronisent le roi sont les grands tashinon qui viennent de Sagada.

Q : - Pourquoi sont-ils à Sagada ? R : - Ils habitaient tous à Tado, puis les guerres les ont dispersés. Les tashinon sont partis fonder Sagada. Ils sont aussi du clan royal.

Q : - Quel est leur rôle fondamental ? R : - Ils intronisent le roi et lui font des recommandations. La population leur fait appel si le roi vient à se montrer méchant. Ils participent aussi aux manifesta­tions organisées par le roi.

Q : - De quels clans proviennent les tashinon ? R : - Il Y a les Honukwè, les Agbonutowo.11 y a aussi les Siko, qui n'appartien-nent pas au clan royal. Ce sont des gens qui «donnent la pluie» en l'absence du roi.

Q : - Que font-ils en l'absence du roi? R : - Autrefois, quand le roi meurt, on dit qu' <<il est allé àAwouzon». Le roi n'est pas enterré à sa mort. On dépose le corps en brousse et les tashinon le surveillent jusqu'au moment où la tête s'en détache. On ramène le crâne à la maison pour le conserver dans une jarrè dont l'ouverture est très petite. Les Tashinon se mettent alors à genoux et prient jusqu'à ce que le crâne tombe au fond de la jarre. De même, le jour de l'élection d'un nouveau roi, on amène auprès de la jarre celui-ci qui y plonge la main pour sortir un crâne. Le nom du nouveau roi comporte une partie du nom du roi dont il a sorti le crâne et une partie de son propre nom.

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Q : - Cette jarre existe-t-elle encore de nos jours ? R : - Oui. Elle existe, mais je ne sais à quel endroit.

Q : - Quels sont les tashinon qui font cette cérémonie ? Les Siko ? R : - Les Siko sont des gens qui servent à boire au roi lorsqu'il est malade, d'où leur nom (Siko = soifJ. Ils sont garants de la vie du roi, mais ne s'occupent pas de l'enlèvement du crâne, rôle que joue un autre groupe de tashinon.

Q : - Rôle des Honukwè. R : - Après l'intronisation du roi, les Honukwè construisent un apatam à l'entrée du palais où ils s'installent. Ils ont pour tâche d'annoncer au roi l'arrivée des gens à la Cour.

Q : - Et les Azanu ? R : - Ce sont des tashinon. Au cours de la troisième année du règne de chaque roi, on procède à la cérémonie d'ekpolala. Au cours de cette manifestation, le roi achète de la percale blanche dont on couvre le flanc d'une colline que les Azanu aident le souverain à monter en le tenant par la main. L'anyigbafio monte la colline, la descend, monte une nouvelle fois et redescend. On répète ainsi la scène jusqu'à neuf reprises. Les Azanu participent à l'intronisation de l'anyigbafio. Les Honuk­wè ont pour tâche d'annoncer le nom du nouveau roi à la population.

Q : - Contez-nous l'histoire de la couronne. R : - Fatchao et Tchoukou sont les arrière-petits-fils de Koumbo. A la mon du roi, on leur confie la garde de la couronne. Leurs ancêtres la gardaient dans le passé. A la mort d'Alokpeto, la couronne fut confiée à Fatchao et Tchoukou, qui la gardèrent jusqu'au jour où il fut décidé d'élire roi Sotin, le fils de Kpoyizou. Fatchao et Tchoukou refusèrent de rendre la couronne, et proposèrent un candidat issu de leur rang. Sotin, qui était grand tashinon, s'y opposa. L'affaire fut portée en justice à Atakpamé. Après audition des témoins, le juge conclut qu'il s'agissait d'une affaire de famille et renvoya les plaignants. Au retour, la couronne fut rendue à mon père Têkpor qui la garda jusqu'au jour de l'intronisation d'Aja Kanumabu qui, depuis lors, la garde personnellement. Selon Aja Kanumabu, il se doit de garder les insignes royaux pour mettre fin aux intrigues en cours dans le pays.

Q : - Que disent alors les tashinon ? R : - Ils sont mécontents. C'est pourquoi ils accusent souvent le roi d'être responsable des malheurs qui s'abattent sur le pays, sunout en cas de sécheresse prolongée.

Q : - Veuillez nous parler des againkpe et des dallages.'" R : - Les againkpe proviennent des travaux de fonte. Mais je ne sais rien des techniques de fonte. On trouve les dallages dans les anciens palais des rois et dans

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les maisons des personnes aisées qui utilisaient les tessons de poterie uniquement ou les tessons mélangés aux againkpe pour consolider et orner leurs cours et l'in­térieur de leurs maisons.

Q : - Que s'est-il passé à Tado pour que les rois soient amenés à la quitter pour aller résider à Tohoun ? R : - Au départ, aucun roi ne résidait à Tohoun. Koumbo était chasseur d'éléphants. Un jour, il revintdireàsonfrèreavoirtrouvé une forêt où se trouvaient des éléphants. Il manifesta son désir d'y fonder une localité. Puis alla déposer dans la forêt un coq et une poule qu'il revint trouver quelques jours plus tard. Le site était bon. Le village fut donc créé. Quand Kpoyizou devint roi, il alla résider à Tohoun; son frère A1okpeto lui emboîta le pas. Ils furent les seuls anyigbafio à avoir résidé à Tohoun.

Q : - Qui était donc le frère de Koumbo ? R : - Son frère était Kpoyizou. Les rois n'étaient pas tenus d'aller habiter Tohoun. Ils y construisaient des palais pour la forme.

Q : - Y a-t-il des murailles à Tohoun ? R : - Non. On trouve les murailles à Tado, puis à Notse et à Agbomè. Il y avait une grande muraille qui entourait toute la ville et, à l'intérieur de cette muraille, les rois construisaient d'autres murailles autour de leurs palais, et aucun roi ne devait résider dans le palais de son prédécesseur.

Q : - Parlez-nous de l'anyigbafio Kpoyizou. R : - Kpoyizou était à l'origine un homme très puissant, aux pouvoirs mysté-rieux. On disait même qu'il était aziza [Selon la croyance populaire, les aziza seraient des êtres mystérieux, unijambistes, dotés de pouvoirs magiques et habitant la forêt). Les gens avaient peur de lui. On tenta en vain de l'éliminer. Plus tard, il devint roi. A l'époque se pratiquait encore l'esclavage. Kpoyizou s'est montré gentil envers tous ceux qui venaient se placer sous sa protection et envers tout son peuple. Quand il devint roi, il prit le nom de Kpoyizou qui veut dire «le léopard est descendu dans la forêt». Il aimait son peuple et faisait pleuvoir régulièrement. Il accueillait tout le monde à bras ouverts: voleurs, sorciers, meurtriers, etc.

Q : - Comment administrait-il le pays? R : - Il avait des représentants dans les diverses localités du pays et des émissaires assuraient la liaison entre le roi et les villages. Les émissaires étaient des gens très forts et très puissants, pouvant affronter les malfaiteurs en cours de route. Kpoyizou fut le plus généreux de tous les rois aja et son nom n'a cessé de retentir.

Q : -Les membres du clan royal faisaient-ils aussi partie du corps des émissaires? R : - Ils ne le sont que très rarement. Les rois envoyaient chercher, à travers le pays, tous les gens réputés pour les pratiques magiques et les envoyaient en mission.

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Q : - Comment se fait l'installation des nouveaux venus dans le royaume? R : - Le roi demande aux chasseurs de les installer à travers le pays.

Q : - Que donne-t-on en récompense? R : - Rien n'est exigé du demandeur. Mais ceux qui le veulent, offrent des cadeaux en nature au roi à la fin des récoltes. A l'approche des manifestations à la Cour, le roi envoie annoncer la nouvelle au peuple. Le jour venu, les villages envoient leurs délégations, qui apportent au roi, les unes de l'igname, les autres du maïs et d'autres encore des chèvres ou des poules, etc.

Q : - Comment réglait-on les éventuels conflits de terrain qui opposaient les paysans? R : - Le roi les faisait réunir et proposait aux parties antagonistes une média­tion, après les avoir écoutées. La première personne envoyée sur le site devient le chef des nouveaux-venus en matière de problèmes fonciers.

Q : - Que savez-vous du conflit entre Kpoyizou et les Français ? R : - Au dire des anciens, les Français avaient demandé à Kpoyizou et son peuple de payer l'impôt. Le roi fut choqué, mais paya l'impôt à la place de son peuple. A l'époque se pratiquait encore l'esclavage. Les Français en imputèrent la responsabilité à Kpoyizou. Pendant ce temps, Béhanzin était en guerre contre les Français, qui réussirent à l'arrêter et le déportèrent en France. Et c'est Béhanzin qui a trahi Kpoyizou aux Français qui vinrent l'arrêter. A l'époque, Kpoyizou avait un ami nommé Zola, qui se trouvait à Athiémé. Ce fut Zola qui persuada Kpoyizou de se rendre à Grand-Popo pour discuter avec les Français. Kpoyizou partit tout seul à Grand-Popo, accompagné de son fils Loccoh, qui fut contraint de rentrer à Tado. Kpoyizou fut déporté seul en France. Là encore, il se maria et eut plusieurs enfants, dont l'un, appelé Kpatcha, fut nommé commandant du distri ctd'Aplahoué. Il s'est même rendu à Tado pour faire des cérémonies de sortie à ses enfants jumeaux. Kpatcha visita tous les lieux sacrés sans se faire guider, en suivant le plan de la ville sur un papier.

Q : - A -t-il pu regagner son pays après la déportation ? R : - Non. Il est mort en France. Après son intronisation, Aja Kanumabu entreprit des démarches pour retrouver les restes de son grand-père et les ramener au pays, mais il lui fut déclaré que les morts sont incinérés en Europe et qu'il lui sera impossible d'atteindre son but. Aja Kanumabu dut abandonner son projet [Kpoyizou a en fait été déporté au Gabon où il mourut en 1912. cf N. L. Gayibor: Kpoyizu ou la fin d'une époque; Annales de L'UB, Lettres, x (1991), pp 25-41.]

Q : - Qu'est-ce que le dzogbeze ? R : - Les anciens estiment que nous sommes la réincarnation d'autres âmes. Alors, ils mettent au chevet un petit pot appelédzogbeze [le pot de la réincarnation].

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Q : - Que met-on dans le dzogbeze ? R : - On y verse de l'eau froide et du liha (bière de mil). Puis on invite les tashinon à venir prier. Ledzogbeze peut demander un sacrifice de poule ou de chèvre. On le vénère comme une divinité.

Q : - Que fait-on avant d'obtenir le dzogbeze ? R : - On consulte l'oracle Afan. Si cela se révèle nécessaire, on cherche les ingrédients indispensables à sa réalisation. Les cérémonies durent trois jours et prennent fin le troisième jour au matin.

Q : - Que représente le dzogbeze ? R : - Les ancêtres disaient que les aïeux se réincarnent dans les nouveaux-nés. On appelle dzoto les enfants par qui ils reviennent à la vie.

Q : - Que fait-on au dzoto ? R : - Il arrive parfois qu'un chef de famille tombe malade. Quand on va consulter l'afan, il se dégage que son dzoto s'est fâché contre lui. Il doit alors l'apaiser en offrant des sacrifices de poules.

Q : - Le fait-on encore de nos jours ? R : - Oui.

Q : - Ya t-il plusieurs sortes de dzogbeze ? R : - Il Y a deux types de pots: le dzogbeze et le kpolize. Le kpolize est plus gros que le dzogbeze et est réservé à l'âme de l'intéressé lui-même.

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HISTOIRE DE TADO : VERSION DES ALU

Informateur :

~ Profession

Chercheurs Lieu Date

Edah ; il descend de Togbi Brim par Adjete, Kpetchiko et Alougou avait environ 10-15 ans à l'arrivée des Allemands. ancien chef du quartier Alu-Ahwetugbe et adjoint au chef actuel du dit quartier. N. L Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé Ahwetugbé, Tado 30 janvier 1987

Q : - Contez-nous l'histoire des Alu. R : - Les Alu viennent de nulle part. Nos ancêtres disent s'être vus ici.

Q : - Qui est l'ancêtre des Alu ? R : - Il se nomme Avlu, un forgeron qui travaillait nuit et jour.

Q : - Comment s'appelait le village à ses origines ? R : - Son nom a toujours été Alu.

Q : - Quels furent les premiers quartiers de Tado ? R : - Il Y avait Alu ; ensuite Domè a été créé par les Honukwè et les Azanou.

Q : - Et Ajacè ? R : - Il est l'oeuvre du roi Kpoyizou.

Q : -Comment se fait-il que le pouvoir vous échappe malgré votre rang de premier occupant du site ? R : - Les Ayo, tout comme les Fon, étaient de grands guerriers. Un jour, ils envahirent Alu. En ce moment, neuf jeunes gens subissaient, dans le couvent, l'ablation du prépuce. Les Ayo s'efforcèrent de pénétrer dans le couvent, mais en vain. Les jeunes gens les transperçaient avec des lances. En fin de compte, les Ayo eurent le dessus et retinrent prisonniers les neuf jeunes gens et une fille que leur roi décida d'épouser.

A l'époque, il n'y avait pas de roi à Alu et tout fautif était ligoté et battu jusqu'à épuisement. La jeune fille alu donna le jour à un garçon. A la mort du roi, cet enfant prit les insignes du pouvoirdeson père et s'enfuit vers Alu,sur les conseils de sa mère. Il passait la nuit dans toutes les localités qu'il atteignait. Le soir venu, il se mettait à taper sur une peau de bête et sa femme criait au secours. Mais personne ne répondait et il repartait le lendemain pour une autre localité où il répétait la même chose, et ainsi de suite jusqu'à son arrivée à Alu. Le soir venu, il recommença son manège. Ici, il fut étonné de se voir interpellé par son hôte. Il

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comprit alors qu'il était arrivé auprès de ses oncles maternels. Il les rassembla et leur parla de la royauté en leur montrant les insignes du pouvoir, dont la couronne qui est ornée de perles. Ses oncles les bénirent et il fut couronné. C'est pourquoi les Alu ne se prosternent pas devant le roi. Il est leur neveu.

Q : - Pourquoi le roi ne vient-il pas au quartier d'Alu ? R : - Ici ! Les rois ne viennent pas.

Q : - Pourquoi ? R : - Cela a toujours été ainsi. Aja n'est pas l'égal d'Alu (Aja n'de alu].

Q : - Que passerait-il si le roi venait à Alu ? R : - Je ne sais pas. Les rois n'aiment pas voir les descendants alu passer devant leurs palais.

Q : - On parle souvent d'une guerre. De quelle guerre s'agit-il ? R : - Nous avons souvent été victimes des incursions ayo.

Q : - Quels travaux faisaient vos grands parents ? R : - Ils labouraient la terre et travaillaient le fer.

Q : - Comment travaillaient-ils ce fer ? R : - Je ne sais pas ... Ils fondaient du fer.

Q : - Où trouvaient-ils ce fer? R : - Je ne sais pas. Ils rassemblaient en tas des cailloux ferrugineux, qu'ils se mettaient à chauffer jusqu'à la fonte du minerai.

Q : - Ces fondeurs étaient-ils également des forgerons ? R : - Ils étaient à la fois fondeurs et forgerons.

Q : - Les Alu jouent-ils un rôle au moment de l'intronisation du roi ou après son couronnement? Y a-t-il des tashinon parmi vous ? R : -A la veille de l'intronisation, les Alu construisent unagbonuho, une maison d'accueil, à l'entrée du palais appelée awa. les Alu ne sont pas des Tashinon.

Q : - Qui sont alors les Awanu ? R : - Nous sommes les mêmes. Il n'y a pas de différence entre nous.

Q : - Quel autre rôle jouez-vous dans l'entourage du roi ? R : - Rien d'autre. Nous formons une seule famille avec les gens d'Ahwetugbe. Nous nous associons pour constuire les awa.

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Q : - Pourquoi ne fabrique-t-on plus les jarres de type ancien, comme celles découvertes à Domè ? R : - Ceux qui les fabriquaient sont morts. Leurs descendantes en fabriquent encore de nos jours, mais ne les décorent plus.

Q : - Parlez-nous des dallages. R : - C'est l'oeuvre des grands-parents. On dit qu'ils servaient à consolider le sol des maisons.

Q : - La population fuyait-elle la ville au moment des invasions ou bien restait-elle sur place ? R : - Eh ! tout le monde fuyait sous peine d'être arrêté et vendu comme esclave.

Informateur :

Age

Profession Chercheurs Lieu Date

Degbevi Nagbé. Il descend de Avli et Gagli, ancêtres fOüdateurs du clan Alu par Megbenyui, Logbo et Dokou Octogénaire Cultivateur N. L. Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé Domé, Tado 26 janvier 1987

Q : - Qui est Gagli ? R : - Il est comme un roi. Il vécut longtemps. A la fin de sa vie, il appela sa femme et lui dit qu'il allait rentrer. Il disparut sous terre avec sa femme. A l'emplacement se dressèrent deux statues en pierre, aujourd'hui divinisées.

Q : - D'où venait Gagli ? R : - Ils disent ne venir de nulle part.

Q : - Comment les appelait-on alors? R : - Alutowo, le lieu s'appelait Alu-Glimè.

Q : - Qu'entendez-vous par Glimè ? R : - Il Y avait des fortifications en terre autour de la localité.

Q : - Pourquoi la cité était-elle protégée? R : - Ce fut à cause des guerres.

Q : - D'où venaient les envahisseurs. R : - Il Y avait les Fon et les Ayo.

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Page 57: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Combien de fois sont-il venus à Tado ? R : - Ils sont venus sept fois avant de se reconnaître pour mettre fin aux incursions.

Q : - Comment se sont-ils reconnus ? R : - Togbe-Anyi est venu d'Ayo se faire couronner à Tado. Lorsque les Ayo reconnurent que les gens de Tado étaient leurs frères, ils cessèrent la guerre. Au moment de leurs incursions, les Ayo avaient enlevé la fille de Gagli, que leur roi épousa. De leur union naq uit un garçon. Le roi était vieux et lorsq ue sa jeune femme .(Ia fille de Gagli) sentit la fin de ses jours proche, elle cacha les insignes du pouvoir, en particulier le djonu kukui, la couronne. Quand le roi mourut, la reine confia la couronne à son fils qui s'enfuit au pays de sa mère, et se fit couronner. Ce roi de Tado, c'est Togbe-Anyi dont nous parlons toujours. A l'origine, il s'appelait Baba.

Avant son arrivée et son installation à Tado, Togbe Anyi avait éprouvé la bonté des populations des agglomérations qu'il avait traversées. Il s'arrangeait pour passer la nuit dans chaque localité. A peine les gens s'enfermaient-ils chez eux qu'il se mettait à taper sur une peau de bête et sa femme à crier en appelant au secours. Si le lendemain personne ne venait se plaindre auprès de lui, il pliait ses bagages et repartait. Il fit la même chose partout où il passa. Arrivé à Domè, il répéta le même manège. Mais il fut étonné de se voir réprimandé par son hôte knl. Togbe­Anyi en conclut à son arrivée au pays de sa mère.

Q : - Comment devint-il roi à Tado ? R : - Il logea chez kn1 et se fit construire une maison. Un jour, il fit savoir à son hÔte kn1 qu'il n'était pas digne d'habiter la nouvelle maison qui venait d'être construite. Ils échangèrent leurs cases. C'est à partir de ce moment que Togbe-Anyi devint roi. Par la suite, un conflit d'autorHé l'opposa à Aza. Les anciens se réuni­rent pour trancher le problème; Togbe-Anyi se déclara autochtone en donnant pour preuve la vieille maison qu'il habitait, alors que Aza, son hôte qu'il considérait désormais comme étranger, habitait une nouvelle maison, signe d'une implantation récente. Togbe-Anyi ne mourut pas. A la fin de ses jours, il disparut sous terre et, à l'emplacement de ce prodige, s'éleva un monticule aujourd'hui vénéré par le peuple aja et tous les peuples issus de Tado.

Quant aux Alu, ce sont des forgerons. Autrefois il n'y avait pas de fer. On chauffait une variété de roche appelée hlihan pour en tirer du fer. Ce fer obtenu servait à fabriquer les houes et les coupe-coupe. Ils fabriquaient un couteau appelé akadjakpu, muni d'une longue manche. Ils travaillaient toujours, même la nuit.

Q : - D'où viennent les Alu ? R : - Ils disent venir d'Ayro.

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Page 58: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Ya-t-iJ un rapport entre Ayro et Ayo ? R : - Non. Ce sont deux localités distinctes. Nos ancêtres avaient été victimes de la guerre et furent faits prisonniers.

Q : - De quelles guerres s'agit-il? R : - Il s'agit des guerres fon. Les Alu étaient des gens très robustes, appréciés des souverains fon. Beaucoup d'Alu furent déportés à Agbomè, où ils développè­rent le travail de la forge.

Q : - Quels buts visaient les invasions fon ? R : - Ils venaient piller la ville, tuaient beaucoup de personnes et faisaient de nombreux captifs.

Q : - Combien de fois avez-vous subi les raids des armées font R : - Sept fois de suite, ils sont venus nous piller. Par la suite, il y a eu des incursions ayo ; mais ils mirent aussitôt fin à la guerre quand ils reconnurent que des liens de parenté les unissaient au royaume de Tado

Q : - Il existait une catégorie de gens appelés adzotowo ; quel rôle jouaient-ils au sein de la société ? R : - Autrefois les gens avaient de nombreux pouvoirs magiques. Ils étaient réputés pour la magie et faisaient de nombreux miracles. Les adzotowo faisaient partie de cette catégorie de gens. Une seule personne pouvait, grâce à ses pouvoirs magiques, soumettre tous les habitants d'un village à sa volonté, pour ensuite les vendre aux commerçants d'esclaves. On les trouvait partout.

Q : - En dehors des villes d'Allalla, d'Agbome et de Notse, quelles sont les autres localités créées à partir de la dispersion de Tado ? R : - Après la dispersion, beaucoup ne sont plus revenus. Ce n'est qu'il y a quelques décennies que ceux qui viennent visiter le sanctuaire de Togbe-Anyi nous disent être partis de Tado. Il y a eu création de plusieurs localités dont Djakotomè, fondé par un roi aja dont les descendants se trouvent aujourd'hui à Tohoun.

Q : - S'agit-il du roi Kpoyizou ? R : - Ces créations de localités sont antérieures à son règne. Sous le règne de Kpoyizou, les invasions étrangères cessèrent et il n' y eut plus jamais de guerre avec les voisins.

Q : - D'où viennent les occupants de la région Asrama-Kpové ? R : - Ce sont les Ehwe, mais il ya également des Aja parmi eux.

Q : - Quelle différence faites-vous entre Aja et Ehwe ? R : - Nous sommes les mêmes. Seule la langue nous divise. Nous sommes également de clans différents. Ceux d'entre eux qui sont issus de Tado pratiquent

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les mtmes cérémonies que nous. Ceux-ci disent ttre partis de Tado il y a longtemps. Parmi eux, certains reviennent se faire enseigner les pratiques religieuses.

Q : - Quel r6le jouent dans la citl les clans dont les membres vivent dans l'entourage immédiat du roi ? R : - Nous, les Alu, nous ronstruisons les agbonuho et nous gardons l'entrée du palais royal. Nul ne va au roi sans passer par nous. Nous rontrOlons également les cadeaux que les peuples de l'intérieur apportent au roi. Nous ne vénérons pas le roi romme les autres clans qui vont se prosterner devant lui.

Q : - Quels sont les autres clans ? R : -Les clans sont nombreux. Chacun avait son rOle à jouer. Il y a les Zafi, qui asseyent le roi sur le trOne. Il y a aussi les Fiayiwo O'ignore leur rOle). Chacun des clans allait accomplir sa mission à la Cour, en l'absence des autres.

Q : - Combien y a-t-il de clans qui vivaient dans l'entourage du roi ? R : - Us étaient nombreux. On trouvait parmi eux les Zafi, les Fiayi, les Honukwè, les Alu.

Q : - Qui sont les Siko ? R : - Ce sont les g~ns de Tongbe (derrière le fleuve). Ils vivent à Sagada; ce sont eux qui intronisent les rois. Us peuvent aussi devenir rois.

Q : - Combien y a-t-il de clans qui présentent des candidiJts au tr8ne ? R : - Autrefois le pouvoir passait d'un clan l un autre, mais il est devenu actuellement le monopole du clan aja. Il y avait déjà des rois l Tado avant l'arrivée de Togbe-Anyi.

Q : - Combien Y a-t-il eu de rois avant 7 ~~e.Anyi ? R : - Ils étaient nombreux. la royauté est une source de profiL Les rois vivaient aux dépens du peuple. De ce fait, ils ne devaient pas régner longtemps. Trois ans au maximum. C'est pourquoi on choisissait des vieillards. Voilà pourquoi il y avait eu beaucoup de rois. Mais aujourd'hui les choses ont changé. L'actuel anyigbofio est un enfanL

Informateur:

Profession :

Noumon ; il descend d'Aza par son père Kowovi et son grand-père Kedji cultivateur

Q : - Comment travaiUait-on le fer ? R : - Nos an~tres fabriquaient de nombreux outils, dont un modèle de coupe-roupe appelé adran.

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Page 60: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Quelle est l'origine de la céramique de Tado ? R : - Elle fut l'oeuvre de nos arrière-grands-mères, qui la fabriquaient à travers

toute la ville.

Q : - Que savez-vous des dallages? R : - Ils indiquent les anciens palais royaux et servaient à consolider les cours et à les omer à la fois.

Informateur:

~

Solevo Octogénaire

Profession chef quanierAhwetugbé,Tado Chercheurs Lieu

N. L Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé Quartier Ahwetugbé, Tado

Date 21 janvier 1987

Q : - Quelles sont les origines de Tado ?

R : - Tado, c'est l'amedzope : c'est l'origine des peuples. Notre ancêtre, Avli, fut le premier homme à habiter la terre. Il était forgeron et toute sa descendance travaillait aussi le fer. Tado était très peuplé et s'étendait à perte de vue. les Ayo, à l'époque, n'étaient pas nombreux. Ils envahirent Tado à plusieurs reprises, au total trente-trois (33) fois, pour se procurer la main-d'oeuvre servile.

Q : - De quel clan êtes-vous ? R : - Nous sommes du clan Damè. Nous procédons à la cérémonie de sonie du nouveau-né.

Q : - Vous êtes du clan Damè mais vous vous dites Alu ,. comment expliquez-vous cette double appellation ? R : - Tado, je le disais, était très peuplé et avait été, à plusieurs reprises, l'objet des attaques de l'armée ayo. Nos ancêtres étaient très robustes et travaillaient beaucoup le fer. Lorsque le Blanc arriva dans le pays, il fut émerveillé par leurs oeuvres et les emmena avec lui en Amérique où ils travaillent encore le fer.

Q : - Pourquoi vous appelle-t-on Alu, alors que vous êtes du clan Damè ? R : - A la suite des multiples incursions dirigées contre Tado, la population se dispersa. Parmi les fuyards, beaucoup ne revinrent plus au bercail. Quand nos ancêtres regagnèrent la ville, elle était entièrement vide. Ils se dirent alors : «Maintenant que la cité est dépeuplée, nous ne ferons plus l'objet ni de convoitise, ni d'attaques ennemies. Nous pouvons consolider désormais notre position. [Ce qui se dit en aja «mia lu», qui va donner Alu ]».

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Page 61: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Co1UUlissez-vous encore le secret de la fonte ? R : - Non. Il n'y a plus personne qui sache le faire.

Q : - Qui fut le dernier Alu à travaüler le minerai ? R : - Il s'appelait Gbéwadan. A partir de celui-ci, on commença à importer le fer européen appelé «kpatsidohouin».

Q : - Parlez-nous de l'organisation politique à l'époque ancienne. R : - Au temps de l'ancêtre Avli, il n'y avait aucune organisation politique. Il n'y avait ni roi, ni chef. Gbéwadan fut le premier fio de Tado.

Q : - Comment est-ü parvenu à ceUe idée d'organisation de la vüle ? R : - Les Ayo venaient toujours razzier le pays. Lors d'une attaque, ils firent captivè la soeur de Gbéwadan, que leur roi épousa. Elle eut un enfant qui revint avec les insignes royaux de son père à la mort de celui-ci. Avant sa mort, Gbéwadan élut sept rois, dont Kpoyizou, de loin le plus jeune, les autres &ant de grands vieillards qui mouraient quelques années après leur couronnement.

Q : - De quel clan étaient ces rois ? Du vtJtre ? R : - Non. Ils étaient des «IJjaviwo», descendants du clan Aja. Nous sommes leurs oncles maternels et, à ce titre, c'est nous qui inaugurons les cérémonies d'in­tronisation du roi, qui durent sept jours.

Q : - Quel rtJle jouez-vous concr~tement dans l'élection des rois ? R : - Nous enfermons le candidat dans le couvent pendant sept ou neuf jours, au terme desquels nous le sortons de ce lieu. En outre, nous choisissons le site du nouveau palais royal.

Q : - Quel autre rme jouez-vous dans l'entourage du roi ? R : - Nous faisons des libations en adresant des remerciements et des prières a ux mânes des ancêtres à Togbanyihwe [sanctuaire Togbe Anyi]. En ce lieu se trouve une jarre contenant les crânes des rois aja et que garde un essaim d'abeilles.

Q : -llfut dans l'histoire de Tado une périot:k où les rois aja durent abandonner la ville pour résider à Tohoun. Yavait-ü encore des gens à Tado ? Et qu'en était-ü des

Alu? R : - Il n'y avait plus personne à Tado en cette période; tout le monde avait fui, y compris les Alu. Ce fut au cours de cette dispersion que nos ancêtres A1u fondèrent Xedotumè (devenu Xedetumè).

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HISTOIRE DE TADO, VERSION D' AJA KANUMABU, ROI DE TADO

Généalogie du roi

~ Chercheur Ueu Date

Aja Kanumabu, fils de Houndjinou, est petit-fils du roi Kpoyiwu Il est interdit de chercher à connaître l'âge du roi. N. L. Gayibor Palais royal de Tado 26 janvier 1987

Q : - Parlez-nous des travaux de forge à Tado. R : - On fabriquait des coupe-coupe et des houes.

Q : - Où trouvait-on le fer ? R : - On fondait des roches ferrugineuses appeléeshlihan, qu'on allait chercher à Kpéyi. Il Y en avait partout, mais surtout à Kpéyi.

Q : - Les fondeurs s'occupaient-ils en même temps des travaux de forge ? R : - Ils étaient à la fois fondeurs et forgerons.

Q : - Où vendait-on les produits de la forge ? R : - Je ne sais pas. J'ai appris par contre que la région était riche en or que les populations prélevaient et allaient vendre au Nigéria en se frayant des passages dans la brousse.

Q : - Quelles personnes s'occupaient des travaux de forge ? R : - Les gens de lâ cité. Kpoyizou était forgeron à Savalou, lorsque le conseil des Anciens alla le chercher pour l'introniser.

Q : - Qui s'occupait de la poterie? Les hommes ou les femmes? R : - C'étaient des femmes.

Q : - Y avait-il un quartier de potières ? R : - Non. Le travail était répandu à travers la ville.

Q : - Comment se faisait le chauffage ? R : - Chaque femme chauffait ses vases dans son quartier.

Q : - Où allait-on les vendre? R : - On les vend sur place à Tado. La ville était très vaste et très peuplée. Elle s'étendait jusqu'à Kpakplèmè. Tohoun fut créé tout récemment.

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Page 63: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - A quoi servaient les dallages? R : - Les dallages étaient l'oeuvre des familles nobles, qui les construisaient pour consolider le sol.

Q : - Quelle qualité de vases utilisait-on ? R : - On utilisait généralement les vases brisés, mais les riches achetaient des pots tout neufs qu'ils destinaient à cet usage.

Q : - Où trouvait-on les perles? R : - Les perles sont un don de Dieu. On les récolte tous les matins d'un trou au quartier Domè. Avant mon couronnement, c'est en ce lieu que j'ai cherché des perles. Malheureusement les gens du quartier ont détruit le site en y élevant des maisons. C'était un lieu sacré où l'on intronisait les rois. C'est pourquoi on l'appelait Adomè.

Q : - Fabriquait-on des perles à Tado ? R : - Non. On en récoltait uniquement à Adomè

Q : - Tout le monde pouvait-il aller chercher des perles en ce lieu ? R : - Non. Seul le roi en avait le droit.

Q : - Qui peut ~tre tashinon et quel rôle jouent-ils ? R : - [Réticence de la part du roi].

Q : - Combien de tashinon peut avoir le roi ? R : - Le roi peut avoir quatre ou cinq tashinon.

Q : - De ~'ùel clan viennent-ils ? R : - Ils viennent du clan royal.

Q : - Quel est leur rôle dans le royaume ? R : - Ils intercèdent auprès des ancêtres en faveur du peuple pour éloigner de lui les malheurs et lui procurer le bonheur.

Q : - Les tashinon ont-ils une mission particulière auprès du roi ? R : - Le rOle prinicipal des tashinon est l'invocation des dieux et des ancêtres

Q : - Combien de tashinon avez-vous actuellement? R : - J'ai une tashinon principale, qui a un adjoint. Cette tashinon se nomme Echièdé

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Q : - N'y a-t-ü que des femmes qui peuvent ltre tashinon ? R : - Les hommes jouent également ce rOle. Les hommes ont leurs devoirs et les femmes aussi ont les leurs.

Q : - Veuülez-nous parler du passé de Tatio. R : - On dit que Togbe-Anyi fut le premier roi de Tado.

Q : - D'où venau-ü ?

R : - On nous a dit qu'il est né ici, qu'il ne venait pas d'Ayo. Il vivait à Tado avant l'arrivée d'un groupe d'immigrants venus d'Ayo. Il naquit avec deux êtres qui n'étaient pas des hommes.

Q : - Parlez-nous des successeurs de Togbe-Anyi R : - A son départ, son fils Aja Fufulili lui succéda.

Q : - Vous dites être le 186ème roi aja,· comment a vez-vous pu retenir ce nombre? R : -Tous les rois Aja avaient pour coutume de déposer chacun un petit caillou dans un pot dont l'ouverture était rétrécie. Il y a quelques années, un de nos ancêtres avait découvert le secret et, après le décompte des cailloux, il trouva le nombre avancé. Malheureusement ce pot est perdu de nos jours.

Q : - Parlez-nous de la muraille de Tado. R : - Pour ériger les fortifications dans le passé, on construisait deux pans de murs parallèles, délimitant un espace vide qu'on remplissait de terre.

Q : -Les fortifications entouraient-elles la ville ou protégeaient-elles seulement les palais royaux ? R : - La muraille n'entourait pas toute la ville; elle protégeait les palais royaux et toute personne pouvait élever des remparts autour de sa maison, tant les invasions étaient fréquentes. Par la suite, les rois se mirent à construire leur palais partout où ils voulaient.

Q : - Nous avons appris que les gens de NOISe, de même que les Fon, viennent de Tatio. Dites-nous comment ils étaient venus en ce lieu et pourquoi ils durent l'aban­donner. R : - Ces peuples partirent de Tado à cause de l'injustice qui régnait dans la cité.

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Q : - La ville de Tado a t-elle connu des guerres ? R : - Les Alu ont toujours été envahis par des armées venues de Ketu. Un jour qu'ils venaient encore piller le pays, les chasseurs les aperçurent et alertèrent la population. Le roi donna l'ordre à la population de s'enfermer et resta seul dehors. Lorsqu'ils parvinrent à la ville, le roi les maudit et les fit tous prisonniers. Ils constituèrent plus tard le clan Awanu, du nom de l'habitat à formes géométriques, avec des angles droits, qu'ils construisaient. Le type d'habitat qui couvre le pays aja de nos jours a été créé par des Nago faits prisonniers à Tado.

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LES TASHINON [GRANDS DIGNITAIRES DU ROI] DE TADO, VERSION DES AZANU

Informateur : Généalogie

Profession

~ Chercheurs Ueu Date

Noumon descend d'Aza, le fondateur d'Azamé (futur Tado) à travers une longue généalogie dont il ne se rappelle que les trois derniers ancêtres: Kowovi son père, Kédji son grand-père et Amenyessou son arrière-grand-père. Tashinon du clan Azanu il est né au cours de la guerre de 1914 au Togo N. L Gayibor, S. Yakpé, D. Aguigah Dome, Tado 27 janvier 1987

Q : - Votre rôle dans le royaume ? R : - Nous asseyons le roi sur le trOne le jour de son couronnement.

Q : - Où se trouve Azamè ? R : - Derrière l'actuel palais royal.

Q : - Que faites-vous d'autre pour le roi? R : - C'est nous qui offrons le siège royal et la couronne.

Q : - Comment cela est-il possible ? R : - Ces regalia nous appartiennent. Aprè$ l'intronisation, on nous invite à venir à la Cour s'il y a une cérémonie à faire. C'est ce qui se fait actuellement. Je dis les choses de cette manière pour que vous compreniez. Car, quand nos grands­parents jouaient ce rOle, les choses n'étaient pas ainsi. Tout s'est dégradé.

Q : - Comment le faisaient les ancêtres ? R : - Le sceptre aussi nous appartient. Si un malheur menace la population, c'est nous qui accompagnons le roi au sanctuaire. Là, nous invoquons les ancêtres, demandons leur secours. A la fin, on touche le sol avec le bout du sceptre et si les ancêtres agréent, le malheur nous épargne.

Q : - Quel profit tirez-vous de ces cbémonies ? R : - Autrefois, au temps de nos grands parents, les Honukwè gardaient le portail; lesAzanu restaient près du roi. Tous ceux qui viennent à la Cour s'adressent aux HOnukwe, qui les introduisent auprès des Azanu. Ceux-ci ont le devoir d'au­toriser ou non le visiteur à voir le roi.

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Q : • Autre nom de clan de tlUhinon. R : . Les Awanu. Ils rendent compte au roi de tout ce qui se passe dans le royaume.

Q : • Où les trouve·t.on ? R : . On les trouve aujourd'hui à Alu. On trouve d'autres clans de tashinon à Sagada, comme les Siko.

Q : • Que font·ils ? R : . Ce sont les arrière·petit-fiis d'AD.. Ils sont à Sagada mais viennent à Tado faire des cérémonies pour provoquer la pluie. Aujourd'hui, leurs descendants se sont mélangés à la population de Sagada.

Q : • Le siège, la couronne et le sceptre vous apptl11knnenL Qui les gardent après l'intronisation de l'anyigbajio ? R : . Le roi garde le sceptre, et nous reprenons le siège et la cou ronne.Lorsq u'i1 y avait une cérémonie liée à ces regalia, le roi nous faisait parvenir les offrandes, soit des chèvres, soit des poules. Tout se déroulait chez nous. Mais depuis un certain temps, rien n'est plus dans les normes. Personne ne voulant plus rien apporter à la Cour,Aja Kanumabu a dO payer les gens pour récupérer les insignes du pouvoir. Depuis lors, il a tout gardé au palais. Ainsi nous sommes obligés d'aller le supplier de sortir le siège et la couronne avant de faire nos cérémonies.

Q : . Pourquoi Aja Kanumabu a-t-il été obligé d'acheter les regaÜIJ avant de se faire couronner? R : . Il Y avait à Tohoun une autre personne qui voulait devenir roi. Aja Kanumabu était le deuxième prétendant au trOne. Une partie de bras de fer s'engagea entre les deux. Celui qui était à Tohoun réussit à entrer en possession de la couronne et du siège en soudoyant les ~;~UX tashinon qui les détenaient encore. Ainsi pour faire revenir ces insignes à Tado, Aja Kanumabu dut payer d'importantes sommes d'argent Et depuis, il dit avoir acheté les insignes et refuse de les remettre aux tashinon.

A la fin, ce sont les gens de Tongbe qui sont venus retirer la couronne pour le remettre au roi. Parmi la délégation envoyée auprès des tashinon à Tado se trouvaient Fantchao et Fangbedji. Ce sont eux qui ont tout récupéré auprès des tashinon pour les confier ensuite au roi.

Q : - Rôle des Azanu travaillant dans l'entourage du roi ? R : - Les Azanu faisaient les libations, mais actuellement, c'est un membre de la famille royale qui joue ce rOle et c'est seulement en cas d'échec des nouveaux tashinon qu'on fait appel à nous.

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Q : - Les Zafi sont-ils eux aussi des tashinon ? Si ou~ quel rtJle jouent-ils dans la garde des insignes ? R : - Les gens de Tongbe logent chez les Zafi au cours de la période d'intro­nisation. Une fois l'anyigbafio élu, ils repartent chez eux, après avoir confié la garde du siège royal et de la couronne aux Zafi. Les Alu d'Ahwetugbe nettoient le chemin qui mène au sanctuaire et y aménagent les vodouho [sanstuaires). Ils sont parfois aidés par des gens qui viennent d'Avedji, Kpéyi, Awutele et même Domè.

Q : - Jusqu'où s'étendait l'autorité des anyigbafio ? R : - Autrefois, il n'y avait pas assez de gens. Il y avait Kpeyi, Avédji, Lawoumè Tohoun ...

Q : - Comment se faisait l'administration de ces localités? R : - De nos jours, le commandant est informé de tout ce qui se passe dans la région. Il représente le Gouvernement. Autrefois, c'était les rois qui gouvernaient. Chaque village envoyait des missions auprès du roi pour l'informer de ce qui se passait.

Q : - Etait-il donné à toute personne de venir rendre compte au loi? R : - Non. Il y avait dans chaque localité des représentants du roi nommés par les tashinon. Les tashinon étaient très solidaires et se concertaient souvent pour désigner les représentants du roi.

Q : - Autre fonction des tashinon. R : - Les Azanu sont les premiers à goGter aux présents apportés à la Cour sous la direction des Awanu et des Honukwè.

Q : - Parlez-nous du problème foncier. R : -Autrefois,au temps de nos grands-parents, la terre appartenait au roi. Mais aujourd'hui, les temps ont changé. La terre se vend.

Q : - Quelles sont les conditions liées à l'installation d'une personne sur une terre? R : - Autrefois, c'était le roi qui donnait les terres aux nouveaux venus pour leur installation.

Q : - Que donnaient-ils en retour? R : - Ils offraient volontairement une partie des produits de leurs récoltes à la Cour.

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Informateur :

A&!: Fonction Chercheurs Date lieu

ROLE DES TASHINON, VERSION DE TOHOUN

Koudjega Houeno Petit-fils du roi Kpoyizou . Né après le retour d'Alokpeto à Tohoun (début du siècle). Tashinon N. L. Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé 29 janvier 1987 Tohoun

Q : - Vous êtes tashinon. Dites-nous ce que vous faites. R : - Après l'élection du roi, nous adressons à genoux des prières aux ancêtres pour que règne la paix dans le pays. A Tado, les gens confrontés à des difficultés de tous ordres (mariage, sécheresse, stérilité, difficultés de service, etc.) viennent invoquer les ancêtres pour leur protection. C'est aux tashinon que revient le devoir d'intercéder pour eux auprès des divinités.

Q : - Avez-vous d'autres rôles à jouer? R : - Notre rôle est purement religieux.

Q : - Comment jouez-vous actuellement votre rôle après le départ du roi pour Tada? R : - Nous allons prier à Tado. Mais nous invoquons les ancêtres également à Tohoun.

Informatrice:

A&!: Fonction Chercheurs lieu Date

Mme Adè. Elle descend du roi Alowou par Koffi, son père. 90 ans environ Tashinon N. L Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé Tohoun 27 Janvier 1987

Q : - Quelles sont les fonctions des tashinon ? R : - Nous invoquons les ancêtres pour que la paix règne dans le pays. Mais actuellement, tout est désorganisé. Autrefois, les rois venaient de Tado s'installer à Tohoun. Mais actuellement, on ne fait aucun effort pour persuader l'actuel roi à embolter le pas à ses prédécesseurs. La conséquence en est la mauvaise situation que vit le pays.

Q : - Quelqu'un d'autre peut-il jouer ce rôle en dehors des tashinon que vous êtes? R : - C'est notre devoir de le dire, mais à qui? Les temps ont changé. Le chef politique ne s'y intéresse point. A qui s'adresser alors ?

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Q : - Pensez-vous que l'installation d'Aja Ktuaumabu à Tado fait peser des menaces sur le pays ? R : - Pas seulement des menaces, mais les malheurs s'abattent déjà sur le pays. Aucun roi aja n'a jamais résidé définitivement à Tado. Ils venaient tous résider à Tohoun après leur intronisation à Tado.

Q : - Pensez-vous que le retour d'Aja Kanumabu à Tohoun peut apporter des changements dans le pays? R : - Oui

Q : - Lesquels par exemple ? R : - La nature redeviendra comme par le passé. La vie redeviendra facile et la nature généreuse.

Q : - Supposons que le roi actuel et ses successeurs continuent à résider à Tado. R : - Ce sera le monde à l'envers.

Q : - Parlez-nous de Kpoyizou. R : - Je ne le connais pas ; on m'a seulement parlé de lui. Cependant, j'ai assisté à l'intronisation d'Alokpeto. En ce moment j'étais une fille pubère et l'on m'avait désignée pour porter le vodu Togbe-Anyi.

Q : - Expliquez-nous, s'U vous plaît, comment se déroule la cérémonie. R : - On me chargea le vodu sur la tête depuis la brousse jusqu'à la maison où l'on nous enferma dans une case pendant neuf jours. La fin du dernier jour, on vint nous chercher pour nous installer dans la cour. C'est alors que commençèrent les visites de courtoisie, sanctionnées par des cadeaux offerts au nouveau roi.

Q : -Où se trouvait le roi pendant que vous autres étiez enfermées avec le vodou? R : - Le roi se trouvait lui aussi enfermé dans une paillote, en brousse.

Q : - Y a-t-il d'autres personnes capables de porter le vodou du roi? R : - On fait toujours appel à des jeunes filles; mais, dans les cas très rares, les femmes tashinon peuvent le porter. Cependant, elles ne doivent pas avoir donné le jour à plus d'un enfant.

Q : - Que devient la porteuse du vodou après l'élection du roi? R : - Elle devient tashinon. Ce rÔle est destiné aux membres de la famille royale.

Q : - Cette fille devient-elle la femme du roi ? R : - Non. Elle se marie à un autre homme.

Q : - Pourquoi choisir une jeune fille ? R : - La porteuse doit-être vierge.

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HISTOIRE DES ROIS DES AJA, VERSION DE TOHOUN

Informateur : Généalogie

~ Fonction

Chercheurs Date

Messanvi Pihoun il descend d'Aja Vivi à la cinquième génération par Pihoun, Koffi, Alowou et Aja Atsidekou. Né en 1930. Acheteur de produits de rente (coton, arachide); Secrétaire régional-Adjoint du RPT N. L. Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé 29 janvier 1987

Q : - Parlez-nous de l'histoire de Tohoun. R : - La fondation de Tohoun remonte au règne d'Aja Vivi qui fut le premier fio de Tohoun. Aja Kanumabu est le sixième roi au trÔne.

Q : - Qui sont les quatres autres rois ? R : - Les rois sont d'abord intronisés à Tado, mais viennent au bout de trois ans résider à Tohoun. Ils étaient constamment chassés de Tado par les guerriers ayo [yoruba]. Koumbo, le frère d'Aja Vivi, était chasseur. Il a découvert, sur une colline, une forêt qui peut servir de cachette. Il demanda à son frère de venir s'y réfugier. Ce dernier accepta. Tohoun ("contre la colline") venait d'être créé. At­sidékou succéda à son pèreAja vivi. Après lui, régnèrent tour à tour Alowou et ses fils Kpoyizou et Alokpeto. Kpoyizou a été arrêté et déporté en France [plutÔt au Gabon] six mois après l'arrestation de Béhanzin. L'actuel anyigbafio de Tado est le petit fils de Kpoyizou.

Avant de venir s'installer à Tohoun, Aja Vivi fit laisser dans la forêt, en ce lieu, un homme et une femme qu'on revint chercher sept jours plus tard. Les envoyés ne trouvèrent que la femme. On en conclut que le site était bon. Le site choisi par Koumbo s'appelle Tohoungan, où se trouvent des fromagers qui avaient servi d'abri à Koumbo. Le lieu est devenu une place publique, dénomméeAtchantchiadingonmè ("sous les six fromagers"). Chaque roi construisait son propre palais.Aja Kanuma­bu, après son intronisation, est venu lui aussi résider à Tohoun. C'était à l'époque

des luttes d'indépendance du Togo. Il était jugé progressiste. C'est pourquoi, quand le CUT (Comité de l'Union togolaise, parti nationaliste) a remporté les élections, Aja Kanumabu était mal vu par l'Administration. Un jour, son palais, sis en face du dispensaire, a été incendié. C'est alors qu'il retourna résider définitivement à Tado, alors que, dans les normes, il devrait regagner Tohoun.

Q : - Pourquoi les rois doivent-ils passer les trois premières années de leur règne à Tado avant de venir résider à Tohoun ? R : - Tado fut fondé longtemps avant Tohoun. Après l'intronisation, le roi y demeurait trois ans, au terme desquels il déclarait: Je pars pour la brousse sur la

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colline», c'est-à-dire Tohoun. Le jour de son départ de Tado, le roi est accompagné de toute la population qui transportait tous les matériaux de construction. Aucune place n'était aménagée à l'avance. L'endroit où devait s'ériger le palais était indiqué par le vodu du clan royal. A l'endroit où s'arrêtait le porteur du vodu était construit le palais.

Tout le quartier Ajacè à Tado est habité par les descendants de Kpoyizou. Celui-ci avait des difficultés avec la population, qui s'acharnait contre ses enfants. Il dut regagner Tado en créant le quartier Ajacè pour sauver la vie de ses enfants. C'est à Tado que Kpoyizou fut arrêté. Il a refusé, à tleux reprises, de se rendre aux Français, en usant de ses pouvoirs mystérieux. Mais il redoutait une intervention militaire dans le royaume, car Béhanzin l'avait sollicité, en vain, dans la guerre qui l'opposait aux Français et pourrait le trahir après son arrestation. Pour ces raisons, Kpoyizou se rendit lui-même à Grand-Popo auprès des Français. Puis il fut déporté en France où il a donné le jour à d'autres enfants, dont l'un a été nommé commandant du district d'Aphahoué. Alokpeto, de son CÔté, a fondé le village d'Agnamè pour ses fils, car il pensait qu'après sa mort, ses enfants entreraient en conflit avec ceux de Kpoyizou. Selon les vieux, Alokpeto aurait contribué à l'ar­restation de son frère Kpoyizou. De ce fait, il était mal vu au sein de sa propre famille, au cours de son règne.

Alokpeto, avant de mourir, a prélevé certains éléments du sanctuaire de Togbe-Anyi pour en ériger un autre à Agnamè au profit de ses enfants; de sorte qu'aujourd'hui, à Agnamè, les enfants d'Alokpeto font les mêmes cérémonies qu'~ Tado, avec succès; ce qui est à l'origine du conflit qui les oppose à l'anyigbafioAja Kanumabu. Celui-ci demande à ses cousins de ramener le vodu à Tado.

Q : - Y a-t-il des tashinon à Tohoun ? R : -Il y a deux tashinon, tous de la famille royale. Ce sont Koudjéga Kpoyizou, un homme, et Adè Koffi, qui est une femme. Koffi et Kpoyizou sont des frères. Leur père est Alowou.

Q : - Y a-t-il un sanctuaire à Tohoun ? Sinon où faites-vous vos libations ? R : - Nous faisons nos cérémonies devant la maison de Koudjéga, sur le site du palais de Kpoyizou.

Q : - Comment ressentez-vous le départ d'Aja Kanumabu de Tohoun ? R : - Nous souhaitons toujours qu'il revienne à Tohoun, mais, à voir ses nombreuses réalisations à Tado, on comprend qu'il ne veuille plus quitter cette ville. Son retour à Tohoun devrait être motivé par le chef politique de Tohoun, l'actuel chef de canton. Aussi redoutons-nous l'intervention de l'Administration dans cette affaire. Le premier chef de canton de Tohoun a été Kindji Kpoyizou. Au départ, toute la préfecture du Haho représentait un seul canton dont le chef se

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trouvait à Notsé. Puis les Aja demandèrent à former un corps séparé, mais leurs options politiques les divisaient : Tohoun était favorable au CUT, tandis que Kpékplémé soutenait le Parti Togolais du Progrès (PTP). Deux cantons furent donc créés en pays aja, l'un pour les progressistes et l'autre pour les partisans du CUT.

Q : - Quels sont les principaux rôles des tashinon ? R : - Les tashinon n'ont d'autre rôle que d'adresser des prières aux mânes des ancêtres, demandant que les maladies épargnent le pays, que les femmes soient fécondes, etc.

Q : - Les tashinon interviennent-ils aux côtés du roi lors des jugements ? R : - Pour juger une affaire, le roi choisit lui-même ses assesseurs. Les tashinon ont un rôle essentiellement religieux.

Q : - Qui sont les ministres du roi et où les trouve-t-on ? R : - Ils sont nombreux et n'appartiennent pas à la famille royale. La plupart d'entre eux se trouvent derrière le Mono, à Sagada Oota. Je ne sais pas s'il en existe à Tado. Chaque ministre a son devoir pendant l'élection du roi. Il y a d'autres ministres qui interviennent seulement après la mort du roi.

Q : - Comment élit-on un roi ? R : - Pour élire un roi, on réunit tous les membres de la famille royale et un notable; un sage les passe en revue tout en commentant leur vie. A la fin de la cérémonie, tout le monde peut deviner celui sur qui porte le choix, mais aucun nom n'est avancé. On reconnaît aussi les rois par certains signes qu'ils portent à la nais­sance. L'actuel roi Aja Kanumabu est de cette deuxième catégorie. C'était au départ un commerçant à Kpalimé. En moins de huit jours, il acheta deux camions. Mais par la suite, ses affaires commençèrent à péricliter. Il rentra au pays pour faire des sacrifices en l'honneur des ancêtres. Les anciens, qui le savaient prédestiné à devenir roi à la suite des signes qu'il portait à la naissance, se consultèrent à son sujet, et au cours d'une réunion du clan, Aja Kanumabu fut informé de la volonté ancestrale. On l'emmena en brousse à Tado pendant neuf jours, au terme desquels il fut couronné.

Q : - Comment se font les cérémonies d'intronisation ? R : - Au cours de l'intronisation, les rÔles sont partagés entre les diverses familles de l'entourage du roi. Ainsi par exemple:

- une famille a le devoir de le chausser; - une autre lui met les habits ;

- une autre lui attribue le nom de règne ; - une autre enfin l'asseye sur le siège royal.

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Ces rOles leur ont été précisés par Togbe-Anyi à la fin de sa vie. Cependant, aucun de tous ceux qui ont participé à l'intronisation ne survit au delà de trois ans.

Q : - Y a-t-il une raison à cela ? R : - Seuls les anciens peuvent vous en donner l'explication. Nos ancêtres l'ont ainsi institué.

Q : - Ces famales existent-eUes encore de nos jours ? R : -Oui. Elles sont actuellement éparpillées dans les diverses localités du pays.

Q : - Certains ministres ont le devoir de s'occuper du roi après sa mort. Que font-ils exactement ? R : - Ils s'occupent de l'enterrement du roi, mais cet enterrement est très différent de ce qui se fait ordinairement.

Q : - Comment donc se fait l'enterrement ? R : - Nous autres membres du clan royal ne devons pas y prendre part de même, ceux qui le font ne nous disent rien à leur retour.

Q : - La durée de règne est-elle déterminée à l'avance ? R : - Tous les rois règnent jusqu'à leur mort naturelle. Mais ils peuvent être contraints de quitter le trOne, lorsqu'il y a mésentente entre eux et les tashinon, ou entre les tashinon et la population. On ne peut les remplacer tant qu'ils sont vivants.

Q : - Y a-t-il eu dans l'histoire des rois aja des cas de déposition ? R : - Il Y en a eu à Tado. A peu près deux cas ...

Q : - Qui étaient ces rois détrônés ? R : - Il Y avait Adamadou ; il régna il y a iongtemps de cela.

Q : - Que savez-vous de ce roi? R : - On dit qu'il dirigeait malle pays et les tashinon l'ont renversé.

Q : - Citez-nous les rois de Tado ? R : - Je ne peux les citer dans leur ordre de succession. Il y a eu : Aja Fufulili, Aja Kpingblin,Aja Adamadou; ... Togbe-Anyi fut le premier roi. Ils sont nombreux. Je crois que l'actuel agnigbafio est le 186ème roi aja.

Q : - Comment avez-vous pu évaluer leur nombre? R : - Ceux qui ont vécu au temps de Kpoyizou ont été les seuls à le savoir. Aja Kanumabu peut l'expliquer et nommer un grand nombre de ses prédécesseurs.

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Q : -Avez-vous connu Alokpeto ? R : - Je le connais personnellement. Il est mort en 1940.

Q : - Date de l'intronisation de l'actuel roi? R : -Aja Kanumabu a été intronisé en 1954.

Q : - Qui dirigeait le pays avant Aja Kanumabu ? R : - Après la mort d'Alokpeto, il n'y avait plus eu de roi. Le pays était dirigé par des enfants de Kpoyizou, en qualité de tashinon, dont le dernier fut Sotin.

Q : - Que savez-vous de Tchoukou ? R : - C'est un vieux honorable de Tohoun, sans aucun lien avec la famille royale. Tchoukou a siégé à la cour du roi Alokpeto, qui l'avait sollicité.

Q : - Qu'est-il devenu à la mort d'Alokpeto ? R : - A la mort d'Alokpeto, Tchoukou voulut élire un membre de sa famille comme roi à Tado. Le candidat fut désigné et «préparé» en conséquence. Il restait à remettre au nouveau roi les insignes du pouvoir qui, suivant la tradition, demeu­raient chacun dans un clan de tashinon. La veille de l'intronisation du roi candidat de Tchoukou, tous les insignes royaux tombèrent entre les mains de Sotin, le fils de Kpoyizou à Tado.

Q : - La population est-elle venue à Tohoun en même temps qu'Aja Vivi ou bien est-elle restée à Tado ? R : - La population est restée à Tado. Seul le roi s'est déplacé avec sa famille. Puis sont venus des malfaiteurs qui sollicitaient la protection du roi pour échapper à la vengeance de leurs victimes. Parmi eux, il y avait des sorciers, des meurtriers. A chacun d'eux le roi donna une zone d'installation. Au fur et à mesure s'est constitué le village de Tohoun. Les femmes, venues chercher refuge, étaient données par le roi en mariage aux hommes arrivés dans le royaume pour le même motif.

Q : - Y a-t-il eu des travaux de fonte ou de forge à Tohoun comme à Tado ? R : - Non. Les fondeurs et les forgerons sont restés à Tado.

Q : - Peut-on trouver d'anciens sites de poterie? R : - A ma connaissance, il n'yen a pas. A Tohoun, les rois n'ont vraiment rien fait qui immortalise leur séjour.

Q : - Les rois aja ont pour coutume de construire des murailles autour de leur palais. Qu'en a-t-il été à Tohoun ? R : - Kpoyizou a construit son agbogbo dont il reste encore quelques vestiges.

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mSTOIRE DE TOHOUN, VERSION DU CHEF DE CANTON

Entretien réalisé le jeudi 29 janvier 1987 auprès d'un groupe de six informateurs, membres de la famille royale installés à Tohoun.

1er Informateur: Dégbè; il descend de Koumbo (fondateur de Tohoun) à la cinquième génération, par Hometowou, Abalo, Foli et Adjaxo.

~ Né à l'arrivée des Allemands à Tohoun ; il marchait déjà avant le début de la guerre entre Français et Allemands [1914].

Fonction Cultivateur; chef de canton depuis plus de 20 ans.

Q : - Votre prédécesseur à ce poste ? R : - Kindji et avant lui il y avait Dossou, élu par l'administration française, précédé par Konkoko et Djangba.

Ume Informateur: Dondji ; il descend de Koumbo à la cinquième génération par Djangba, Abalo, Akonè, Adjaxo et Dekpou. Lien de parenté avec le chef canton: cousin croisé. ~ 60 ans 3ème Informateur: N'Sougan, frère cadet du chef canton

Né pendant la guerre de 1914. Chercheurs: N.L Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé

Q : - Mr Dégbè, qui a fondé cette localité ? R : - Koumbo. Il est venu de Tado.

Q : - Pourquoi a-t-il quitté Tado pour ce lieu ? R : - Koumbo était un chasseur qui venait souvent chercher du gibier dans cette forêt Un jour qu'il y était venu, les Fon ont envahi Tado. Sur le chemin de retour, Koumbo ne voyait que des cadavres. Quand il arriva à la maison, il trouva quelques­uns des survivants qu'il ramena dans sa ferme à Tohoun. Puis il retourna à Tado, où les survivants en fuite étaient revenus. Koumbo les persuada de quitter Tado pour venir auprès de lui, dans sa ferme. A Tohoun, Koumbo donna le jour à plusieurs enfants, dont Adjaxo et Azongnon.

Q : - Restait-il encore des gens à Tado ou bien tout le monde avait fui le pays? R : - Il restait encore des gens.

Q : - Quel roi régnait à Tado au moment de la fondation de Tohoun ? R : - [Silence au début] ... Il n'y avait pas de roi en ce moment. Ce fùt après l'invasion qu'Alowou devint roi.

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Q : - Où a-t-ü résidé ? R : -Tado ... Les rois aja sont intronisés à Tado, mais viennent résider à Tohoun.

Q : - Combien de rois ont pu séjoumer à Tohoun après leur intronisatiOn à TaIlo? R : - Ils sont nombreux. Je ne peux les citer. Alokpeto est le seul roi que je connaisse qui a résidé à Tohoun. On dit aussi qu'avant lui son frère Kpoyizou avait résidé à Tohoun. Maintenant, Aja Kanumabu a succédé à Alokpeto et réside à Tado.

Q : - Qui a précédé Kpoyizou au tr6ne ? R : - Je ne sais pas.

Q : - Selon vous, Alowou aurait été le premier roi à avoir résidé à Tallo. Quels ont été les motifs de ce transfert de capitale ? R : - Contactez la famille royale à ce sujet.

Q : - Vos liens avec le clan royal R : - Nous sommes des cousins. Le père de Kpoyizou et notre grand-père sont des frères. R deN'Sougan Hometowou : - Nous intronisons le roi en l'asseyant sur le siège. Nos grands-parents avaient la charge d'asseoir le roi sur le trÔne. Mais le changement s'est produit quand ~n de nos parents, nommé Tchoudjou, a été renvoyé des lieux des cérémonies et s'est vu remplacé par Hoénou Kpoyizou, qui a intronisé son frère Aja Kanumabu.

Q : - Quelles autres fonctions occupiez-vous au palais après l'intronisation du roi? R deDégbè : - Après l'installation du roi, les plus âgés vont s'installer dans le palais, où ils bénéficient des largesses du roi. Autrefois, les conflits étaient fréquents et donnaient souvent lieu à des assassinats suivis de vengeance. Tout meurtrier qui veut échapper à la vengeance vient se contle;!' au roi, qui le protège contre ses ennemis. De telles personnes sont mises à la disposition des vieux de la Cour, qu'elles entretiennent par leurs travaux champêtres.

Q : - De quel clan êtes-vous? R : - Nous sommes du clan Aja.

Q : - Quels sont les fondements rituels de ce clan ? R : - Nous procédons à la cérémonie de sortie du premier-né, à partir du neuvième jour de l'accouchement (s'il s'agit d'un garçon). On fait asseoir la mère du nouveau-né sur une natte neuve, étendue dans la cour. Puis on lui remet l'enfant. On tue un coq et une poule. Il ya de la boisson pour réjouir l'assistance. On prend le coq ou la poule préparée selon le sexe de l'enfant et on le porte à la bouche de la maman, on le retire en comptant jusqu'à neuf. Au dernier tour,la femme arrache la tête de l'animal. On dépose le reste à terre,puison publie le nom donné à l'enfant.

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Ce nom traduit généralement l'histoire de la famille. Hometowou signifie littéra­lement «ce que contient le ventre dépasse tout».

Q : - Trouve-t-on des dallages à Tohoun comme à Tatio ? R : - Il n'yen a pas.

Q : - Y avait-il eu des travaux de forge à Tohoun ? R : - Il Y avait des forgerons qui fabriquaient des coupe-coupe, des houes et des couteaux. Mais il n'y avait pas eu de travaux de fonte.

Q : - Parlez-nous de la poterie à Tohoun. R : - On trouve actuellement des potières à Adanlowoui. Mais il n'yen avait pas eu dans le passé. La poterie venait de Tado.

Q : - Y a-t-il des murailles à Tohoun ? R : - Non. Il y a des murailles à Tado. On construisait ces murailles en érigeant deux colonnes de murs, dont on remplissait de sable le creux ainsi délimité pour donner assez de résistance à la muraille. Chaque roi construisait un agbogbo [fortifications] autour de son palais. La population habitait à l'intérieur de la clôture, quand un roi se révéla méchant et la fit disperser. C'était à Tado. Certains des fuyards allèrent fonder Notse.

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HISTOIRE DE TOHOUN, VERSION DE TOHOUNGAN

Informateur :

Age

Profession Chercheurs Lieu Date

Sossou. II descend de Koumbo (fondateur de la ville) par Ekan, son grand-père, et Ayénagbo, son père né vers 1925 Chef du quartier Tohougan N. L. Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé Quartier Tohoungan, Tohoun 27 janvier 1987

Koumbo fit venir dans la forêt, sur la colline, un homme et une femme qu'il abandonna sans nourriture et sans eau pendant seize jours. Le seizième jour, il retourna dans la forêt et ne trouva que la femme. L'homme avait disparu. Conclu­sion: le site était bon. A l'endroit où reposait Koumbo se trouvaient six fromagers, qui existent encore de nos jours et sont vénérés à Tohoun.

Q : - Koumbo, le fondilteur de Tohoun, était chasseur. Comment expliquez-vous la venue des rois aja dans la nouvelle ville ? R : - Selon nos grands-parents, Togbe-Anyi est venu à Tado avec sa famille. Partout où il arrivait, il s'arrangeait à y passer la nuit. Mais la nuit venue, il se mettait à taper sur une peau de bête et sa femme criait au secours. Si personne n'intervenait, il repartait le lendemain pour une nouvelle localité, où il poursuivait le même jeu. Puis il arriva à Tado, près d'Aza. Lorsqu'il se mit de nouveau à taper sur la peau de bête et à faire crier sa femme, des gens accourrurent et le réprimandèrent. Koumbo en conclut que la population était aimable et résolut de s'y installer; il réussit, grâce à ses nombreux pouvoirs, à faire tomber la pluie. La population l'accueillit cordialement et lui fit une maison. Mais, la veille de la couvraison des toits: il demanda d'employer la vieille paille déjà utilisée. A partir de ce moment, tous les étrangers qui arrivaient dans la ville allaient demander hospitalité à Togbe­Anyi. Par la suite, celui-ci acquit de l'autorité et devint roi.

Q : - Comment les rois en sont-ils venus à s'installer à Tohoun ? R : - Il Y a eu plusieurs rois :Aja Vivi, Atidékou, Alowou, Kpoyizou et Alokpeto, dont la jarre venait d'être renversée. Puis ce fut le tour d'Aja Kanumabu.

Q : - Quelles furent les causes du départ des rois de Tado ? R de Kindji [un autre informateur, présent au cours de l'entretien, qui descend également de Koumbo par Djetou, Kidjo et Tossoukpè). - II Y avait la sécheresse. Les gens n'avaient plus de nourriture. Des gens furent obligés d'écraser des tessons de poterie qu'ils préparaient pour manger. On apprit alors que Togbe-Anyi pouvait «donner la pluie». Les anciens envoyèrent le chercher. Il fit preuve de ses pouvoirs.

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On décida de le maintenir à Tado.11 demanda à se faire construire une maison qu'il exigea de couvrir avec la vieille paille prélevée sur les anciennes maisons. Par la suite, il acquit de l'autorité en recevant les étrangers. Il devint roi, mais la coutume lui interdit de résider sur les lieux de l'intronisation. Les anciens vinrent s'instal­ler à Tohoun. Et depuis ce temps, les rois sont intronisés à Tado, mais viennent résider à Tohoun. Mais un fait inquiète tout le monde: celui qui mène les démarches pour le retour du roi à Tohoun ne survit plus à partir du troisième mois de l'installation définitive de l'anyigbafio.

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LE TRAVAIL DU FER A TADO, VERSION D'AOUTELE

Informateurs Chercheur Lieu Date

Djobè Hougbohoé et Akouété, tous deux cultivateurs. A Aguigah Aoutelé 3 AoOt 1990

Q : - Quelles sont vos origines? Et d'où vient votre famille? R : -De Djobè Hougbohoè -Je suis un Aja, cultivateur avec quatre enfants. Mon père s'apppelle Hongbohoé ; il est fils de Cégbégnon. Cégbégnon vient de l'ancien Dahomey. Mon père m'a raconté qu'il était jeune lorsque ses oncles ont fondé ce village. A cause des décès fréquents des enfants, l'oracle leur a conseillé de quitter l'ancien village. Une femme portant un vase devrait les devancer. Leur nouveau village sera construit à l'endroit où la femme déposera mystérieusement son vase. Les vieux ont appelé le lieu Oudédé, qui veut dire: "air libre", "endroit libre", "où il n'y a pas de forêt".

Q : - Quelles sont vos origines? Et d'où est venue votre famille? R : -d'Akouété: -Je suis un Aja et mes parents sont venus d'Oudédé. Mon père s'appelle Dovi, fils de Dansou, Dansou fils d'Alowou, Alowou fils d'Atsidékou, Atsidékou fils d'Aja Vivi, Aja Vivi fils d'Aja Kpodjin. Ils étaient cultivateurs et avaient de grands champs de maïs, d'igname, de haricot et de coton.

Q : - En dehors de l'agriculture, avaient-ils d'autres activités? R : - Mon père Dovi m'a raconté ce qui suit: les ancêtres n'avaient ni houes, ni coupe-coupe; or ils devaient cultiver leurs champs. C'est alors qu'ils ont eu l'idée de tranformer la pierre «hlihan» en fer, afin de fabriquer leurs outils aratoires.

Q : - Pouvez-vous dire comment ils procédaient? R : - Ils chargent un four de morceaux de cette pierrehlihan et y mettent le feu. Au bout de quelque temps, il en sort un liquide qui, en se refroidissant, devient le métal. Ils le façonnent pour fabriquer des outils: houes, coupe-coupe, couteaux, etc. Les débris de la pierre transformée sont jetés sous forme de déchets, dont les monticules s'observent partout. Il existe deux noms pour les désigner: againkpe ou alugan. Or, Alu est un ancien quartier des forgerons à Tado. Ce ne sont pas les Blancs qui ont amené les outils à nos ancêtres. Ils savaient les fabriquer eux-mêmes, et, mieux encore, transformer la pierre qu'on trouve partout ici en métal. On appelle le fourneau : êlo, la tuyère: atonkpou, et les déchets: alugan.

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Q : - Le travaü du fer n'est plus lialisl actuellement, où trouvez-vous ce métal ? R : -Ici à Aoutélé, il n'existe plus de forgerons. Nous achetons la houe, le coupe-coupe et le couteau au marché de Tado, ou aux Fon. J'ai appris que ce sont les Allemands qui ont fait cesser le travail du fer ici.

Q : - QueUes sont vos relations avec Tado ? R : - Nous sommes des parents. Les gens du quartiers Domé (Tado) sont nos parents. Nous sommes aussi cousins avec Kpoyizou et Alokpéto, et nous avons nos parents à Tohoun. Nos grands-pères allaient chasser dans la forêt au flanc de la montagne et c'est ainsi qu'ils ont fondé Tohoun.

Q : - Quel r~le jouez-vous dans l'intronisation du roi à Tado? R : - Nous, nous sommes les descendants des notables du roi, et faisons partie du conseil des sages qui désigne le roi. Nos familles ne doivent pas se prosterner devant le roi.

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HISTOIRE DES AJA, VERSION DE SAGADA

Informateur : Chercheur Lieu

Dovi Tofa, chef de Sagada Djodehoe A Aguigah Sagada

Date 2 aoOt 1990

Q : - comment vous appelez-vous et quel est votre age ? R : - Je m'appelle Dovi Tofa, je suis le chef du village de Sagada Djodéhoé, et cultivateur. Je suis né après le départ des Allemands, lorsque les Français sont arrivés

Q : - Quelles sont vos origines ? R : - Je suis Aja de Tado. Je ne peux vous citer que cinq ancêtres. Mon arrière grand-père s'appelle Bouechi et son fils, Evan. Le fils d'Evan s'appelle Tossénou.

Q : - Qui a créé le village de Sagada Djodéhoé ? R : - C'est mon arrière-grand-père Evan qui a créé Sagada. Evan est de Tado Eglimé et nous sommes du clan Chicotohoé [Siko]. C'est nous qui avons la charge d'introniser le roi. Nous sommes les tashinon du roi. C'est pourquoi nous ne devons pas lui faire la révérence.

Q : - Pourquoi Evon a-t-il quitté Tado pour fonder Sagada ? R : - C'est à cause de la guerre des Fon, durant le règne de Glèlè, que mes grands-pères ont quitté Tado. Evan est parti avec son petit frère Djabakou Etou­watra, tous deux chasseurs. Ils ont traversé le Mono avec beaucoup de difficultés pour s'installer à l'autre rive, avec le souhait que personne ne viendra leur créer d'ennuis ici. Koffi Djabakou était roi à Tado, au même titre que le roi actuel,Aja Kanumabu. Il était roi des Chicotohoè.

En créant Sagada ils ont dit : aucune guerre ne peut plus jamais nous atteindre à cette rive; en aja, Sagada veut-dire: "passer au-dessus de", "passer à côté de", "échapper à".

Le roi des Chicotohoé a créé une ferme appeléeDja 'tadékou, expression qui signifie littéralement: "le lion va mourir" ; il suppose que les envahisseurs sont des lions qui ne font qu'attaquer et détruire; si jamais un ennemi ose franchir la barrière, venir sur l'autre rive du fleuve, il trouvera la mort.

Q : - Comment se fait-il qu'à Tado, on n'a jamais évoqué le nom, ni l'existence de ce ro~ KojJi Djabakou ? R : ., Les gens de Tado ne veulent pas l'évoquer parce qu'il était le roi des Chicotohoé, de notre clan.

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Q : - Qru savez-vous de l'histoire de Tada ? R : - Nos an~res sont partis d'Oyo à cause de la guerre. Togbui-Anyi (Togbe-Anyi] était leur roi. Arrivé à Tado, il dit: «Aja-tsi-any~: Aja est resté ici»; expression qui donnera Ajatchè, le nom du quartier royal. Mais A1u était le premier quartier.

Q : - Que veut dire Chikodétohoé ? R : - Ce nom de clan signifie: "ceux qui font la libation pendant l'intronisation du roi". Nous sommes aux cOtés du roi pour éloigner les mauvais esprits, la mort, les maladies chroniques. Nous avons le pouvoir pour faire tomber la pluie.

Q : - Quels sont les rôles des autres quartiers dans l'intronisation du roi ? R : - Il existe plusieurs tashinon aux cOtés du roi. Il y a des tashinon qui font rentrer le futur roi dans la forêt, lieu sacré, on dit miahuin dâvaho ; et, le jour de l'intronisation, ils lui mettent les sandales, les colliers de cauris au cou, aux bras, aux pieds, aux coudes, avant de le sortir de la forêt, comme un nouveau-né qu'on présente à son clan.

Il Y a certains tashinon qui lavent le futur roi, d'autres lui mettent la couronne ; les uns lui rasent la tête, les autres portent le siège royal. Après tout cela, on procède à l'invocation des ancêtres. Nous, nous sommes toujours les tashinon depuis Oyo. C'est pourquoi, je vous l'ai dit, nous ne devons jamais faire la révérence au roi; si nous le faisons, c'est comme si nous souhaitions sa mort.

Q : - Comment connaissez-vous l'histoire de votre clan ? R : - C'est mon père qui m'avait tout raconté.

Q : - Que savez-vous du travail du fer? R Le grand-frère du chef prend la parole: - Nos grands-pères avaient travaillé le fer à Tado et Sagada. Nous trouvons des restes llu travail du fer, des poteries cassées, des cauris, lorsque nous cultivons les champs. Les ancêtres utilisaient les cauris comme monnaie. Ils ont abandonné les cauris à l'arrivée des Blancs. On trouve ces monnaies, ainsi que des bracelets en métal, dans les champs.

Q : - Comment se faisait le travail du fer ? R : - Nous n'avons pas vu les grands-pères et nos pères travailler le fer. Nous savons que les déchets s'appellent alugan [fer des A1u] ou againkpe. Il existe deux types d'againkpe : agègo et édankpé ; cette dernière est une pierre avec un trou au milieu [sokpé, pierre de la foudre, en pays ewe]. Ces restes se trouvent dans l'ancien village Sagada.

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Q : - Où se trouvait alors l'ancien Sagada ? R : - C'est le premier village fondé par nos ancêtres, situé à 2 km environ au nord de ce village. Là, vous trouverez les restes du travail du fer, de porcelaine, des fragments de bouteilles, des tessons de poterie ancienne, des monnaies. Nous sommes venus nous installer ici parce que le village est vide, et nos enfants partis.

Q : - Quelle est l'étendue du l'ancien Sagada ? R : -Le Sagada de nos ancêtres s'étendait jusqu'à Atakpamé: Sagada, Akpakpa, Ramé, Djabalo, Lékpodji, Adakéké, Kpoli. C'est la limite de Sagada et d'Atakpamé. Après Amou, on arrive dans les villages Agloglo, Adidi, Kamina, Agbo et Atakpa­mé.

Q : - Pourquoi ont-ils quitté l'ancien site? R : - Ils ont quitté leur premier site parce que la mortalité infantile devenait de plus en plus fréquente. Afan ou '-oracle leur a conseillé de quitter les lieux et d'aller s'installer ailleurs.

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HISTOIRE DES ROIS DE TADO : VERSION D'AGNAME (BENIN)

Informateur :

~ Profession Chercheur Lieu Date

Dossou. Descendant des rois de Tado par Tchidimè, Aja Alokpeto,Aja Alowou,Aja Atsidekou,Aja Vivi, Aja Kpodjin et Aja kpingblin. 48 ans Cultivateur N. L Gayibor, A Aguigah, S. Yakpé Agnamè (Bénin) 28 janvier 1987

Q : - Parlez-nous des fondateurs de Tado. R : - Tado fut fondé avant la naissance de Togbe-Anyi. Lorsqu'il grandit, il quitta Tado pour le pays nago où il vécut plusieurs années. On ne trouva plus de candidat pour le trÔne. Par la suite, on apprit qu'il se trouvait à Ayo et on alla le chercher. De retour à Tado, il fut intronisé roi. Togbe-Anyi, qui n'est pas son nom signifie "le père a refusé de se laisser enterrer". Avant son départ pour Ayo, il avai t un nom qu'il dut abandonner à son retour après son intronisation. Sort nom de règne aussi n'est pas connu de nos jours.

Q : - Intronisait-on des rois avant Togbe-Anyi ? R : - Oui. Plusieurs rois ont régné avant Togbe-Anyi, mais nous ne savons rien d'eux.

Q : - Comment expliquez-vous la renommée 'de Togbe-Anyi ? R : - Nos ancêtre avaient pour coutume de faire des miracles. Ils avaient beaucoup de pouvoirs. Togbe-Anyi avait plusieurs fils aussi renommés que lui­même dans les pratiques magique. Vers la fin de sa vie, il exprimera son désir de ne pas se laisser enterrer et ses fils déclarèrent faire, eux aussi, des miracles en ce jour. Togbe-Anyi disparut sous terre en l'absence de ses fils. On envoya leur annoncer la nouvelle. Badja et Kokpa disparurent aussitôt sous terre, laissant place à des cours d'eau qui portent leurs noms. Amevodou se transforma en statut de pierre avec sa femme et son enfant. Nous ne connaissons pas ceux qui ont régné avant lui.

Q : - Qui dirigeait la ville avant l'intronisation de Togbe-Anyi ?

R : - Je ne sais pas.

Q : - Quels sont ceux qui habitaient Tado avant le retour de Togbe-Anyi ? R : - Il Y avait les parents de Togbe-Anyi : ses oncles, ses tantes, dont j'ignore les noms.

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Q : - Que faisait-on à Tado ? R : - Outre l'agriculture, on pratiquait le commerce avec les Tchamba. Il y avait aussi le marché d'Klam'kpa.

Q : - Dans quelle direction se trouvaient ces marchés ? R : - Vers le nord.

Q : - Ces localités existent-elles encore de nos jours ? R : - Oui. Klam'kpa est très loin d'ici.

Q : - Laquelle des villes, de Klam 'kpa ou de Tado, fut fondée avant l'autre? R : -Après la dispersion de Tado, les gens allèrent fonder Agbomè et Klam'kpa, qui sont devenus des marchés célèbres, avec A'onlim (pays anago) [Lagos]

Q : - Quel genre de commerce faisait-on ? R : - Il n'y avait que le commerce de sel. Ceux qui ne pouvaient pas faire le commerce devenaient chasseurs. Tout le monde faisait quelque chose. Dès lors, tous ceux qui ont obtenu des terrains de culture apportaient des cadeaux au prêtre­sacrificateur. Rien n'était exigé de personne.

Q : - Que faisait-on à Tado avant l'arrivée de l'homme blanc? R : - On pratiquait l'agriculture et le commerce de sel.

Q : - Où trouvait-on le sel ? R : - Le sel nous provenait de Pla, et était échangé contre des esclaves : un chargement de sel équivalait à deux esclaves (un homme et une femme). Les vieux se concertaient au niveau de chaque village pour offrir des paresseux, des méchants, des indésirables aux vendeurs de sel. On dit aussi que Tado était vaste et très peuplé. Une muraille l'entourait Mai~ la population se dispersa à la suite de la méchanceté d'un roi.

Q : - Que fit alors ce roi ? R : - Un des fils préférés du roi vint à mourir. Le souverain en imputa la responsabilité à la population qu'il décida de soumettre à l'épreuve d'Adi, une épreuve qui fait mourir tous les sorciers et les méchants, même s'ils ne sont pas mêlés au meurtre dont on les accuse. A la suite de rannonce de la nouvelle, la population se dispersa. Parmi les fuyards, on distingue les Notse, les Agouna, etc. A partir de ce roi, on cessa d'entourer la ville de muraille. Seuls les palais royaux étaient protégés. Ceci se passa longtemps avant le règne d'Aja Kpingblin auquel succéda Aja Kpodjin,Aja Vivi,Aja Atsidekou,Aja Alowou etAja Kpoyizou, sous le règne duquel les Français arrivèrent dans le royaume et invitèrent la population àsesoustraireà l'autorité du roi. Une désobéissance populaire s'ensuivit Les pluies commencèrent à se faire rares. La nature devint sèche. Le nouveau chef, élu par

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la France, ne put remédier à cette situation.Les Blancs se renseignèrent et il leur fut déclaré que ces malheurs sont la conséquence de la violation des coutumes an­cestrales. Alokpeto fut prié de succéder à son frère Kpoyizou. Le chef politique élu devint mécontent. La population lui était moins soumise qu'à Alokpeto. Quand l'impÔt fut collecté, le chef politique, qui est frère consanguin d'Alokpeto, le détourna à son profit et alla dire aux Français que le nouveau roi avait refusé au peuple de payer l'impôt. Tout comme son frère Kpoyizou, Alokpeto fut arrêté et emprisonné à Atakpamé. Lorsqu'il fut relâché, Alokpeto abandonna les rênes du pouvoir; mais au bout de trois ans, la sécheresse était redevenue insupportable. Alokpeto dut revenir sur sa décision d'abandonner le trÔne à la suite des nombreu­ses menaces que lui adressaient les Français. Puis la situation redevint normale. Mais Alokpeto décida de créer un village pour ses enfants. Il choisit alors le site où nous sommes: Agnamè qui veut dire: "Peux-tu comprendre? Peux-tu savoir?". Il fit venir tous ses enfants à Agnamè et resta seul à Tohoun. Puis on décida de partager le pays entre Français et Allemands. Tado, Tohoun, Tetétou et Sagada allaient devenir des possessions allemandes tandis qu'Aplahoue et sa région seront administrées par les Fiançais. C'est alors que les Français vinrent demander à Alokpeto de transférer le vodu Togbe-Anyi dans leur zone d'occupation pour éviter que les Allemands ne le détruisen t. Alokpeto leur énuméra les items indispensables à ce transfert; les Français s'empressèrent de le satisfaire et Alokpeto transféra le sanctuaire à Agnamè.

Alokpeto transféra le sanctuaire à Agnamè en se conformant aux consignes religieuses liées à cette pratique. Mais les Allemands, à leur arrivée, ne boulever­sèrent pas nos coutumes. Le premier sanctuaire installé 'à Tado continue de fonc­tionner.

Après le départ d'Alokpeto, personne n'eut le courage de lui succéder; cependant, ses enfants continuaient d'observer les rites religieux. Par la suite, Aja Kanumabu se porta volontaire pour redresser la situation. Tchidimè, Ayissan, Kokou et Michifan furent les enfants d'Alokpeto qui assurèrent la direction du sanctuaire jusqu'à l'élection d'Aja Kanumabu. Pendant ce temps, tout le pays aja, y compris les populations de Tado et de Tohoun, venait à Agnamè solliciter la bienveillante générosité des ancêtres.

Q : - Y a-t-il une différence entre le responsable du sanctuaire d'Agnamè et l'anyigbafio de Tado ? R : - Oui, il y a une grande différence: le responsable de sanctuaire connaît seulement les secrets du Vodu et assure sa direction. Il ne change pas de nom; il continue de porter son nom d'enfance. L'anyigbafioparcontreest un vodusi. Il porte un collier en perle et change de nom; son nom de règne est un nom de couvent.

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Q : - A quand remonte la aiation du village ? R : - Je ne sais pas exactement. Agnamè fut fondé au cours de la guerre qui opposa les Blancs entre eux [la Première Guerre Mondiale].

Q : - Comment échangeait-on les produits ? R : - Au dire de mon père, les cauris servaient de monnaie. Ce sont des êtres vivants qu'on trouve dans les cours d'eau. On les ramassait en jetant dans l'eau de la viande qu'on attachait avec du fil pour la retirer de la rivière le lendemain. Les cauris venaient s'y accrocher. On dit même qu'ils se nourrissent de chair, et de préférence de chair humaine. De ce fait, les riches achetaient les esclaves qu'ils utilisaient pour récolter des cauris. Puis apparurent des pièces rouges de monnaie avec l'arrivée des Blancs sur la CÔte.

Q : - Qu'est-ce qu'un tashinon ? R : - Un tashinon est une personne qui fait des libations et adresse des prières aux ancêtres.

Q : - Qui peut devenir tashinon ? R : - Pour devenir tashinon, il faut - être admis à visiter le couvent, avoir la mattrise des pratiques religieuses.

Q : - A quels clans appartÙ?nnent les tashinon ? R : - Ils sont pour la plupart du clan Azanu. Il y a aussi les Alu.

Q : - Quel est le rôle des ZaJi ? R : - Toute personne qui se oomporte bien et qui n'a aucun mépris pour les pratiques religieuses est facilement admise à la Cour pour contribuer à l'adminis­tration du pays, mais ne peut devenir tœ":i~n.

Q : - Donc les tashinon viennent uniquement des clans Azanu et Alu. R : - Oui.

Q : - Est-ce à dire que les Azanu constituent le clan royal ? R : - Effectivement.

Q : - Qui sont alors les Aja ? R : - C'est toujours nous. Les Aja regroupent toutes les personnes nées à Tado. Mais seuls l~ Azanu adressent les prières aux ancêtres. De même tous les Aja peuvent pénétrer dans le sanctuaire, mais il y a des lieux réservés exclusivement aux Azanu.

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Q : - Que signifie Agnamè ? R : - Alokpeto, en partant de Tado, fonda d'abord Atomè. L'endroit était une forêt pleine d'animaux sauvages. Un homme appelé Kpatcho, qui avait commis un meurtre chez lui, vint se placer sous la protection du roi pour échapper à la vengeance. A l'époque, le roi était le seul juge. Alokpeto installa Kpatcho et ses frères à Atomè. A l'arrivée des Blancs, Alokpeto vint demeurer à Atomè, mais il trouva difficile de cohabiter avec les Ehwe de la localité. Il quitta donc Atomè et alla fonder «Anyamea ?» qui veut dire: «peux-tu comprendre encore ceci ?». Autrefois, Atomé s'appelait Avegâmé ("dans la grande forêt). Kpoyizou y avait envoyé cinq esclaves, mais jamais plus on ne les revit. C'est pourquoi il dut faire des cérémonies spéciales pour maitriser cette forêt, qu'il considérait désormais comme un nid devant abriter sans danger les hommes qu'il enverrait; d'oùAtomè [dans le nid].

Q : -Après le départ d'Alokpeto, comment fut administré le pays jusqu'à ce jour? R : - Aussitôt après Alokpeto, son fils ainé Ayissan prit la direction du sanctuaire. Nous faiso'l:' les cérémonies exi~ées et il pleut dans les normes.

Q : - N'avez-vous que le pouvoir de faire pleuvoir ? R : - Non. Nous rendons fécondes les femmes stériles. Tout homme qui a des difficultés poursemariervientnousconsulter. Tousceuxqui nous visitent repartent satisfaits. Nous protégeons également les récoltes et les cultures contre les ron­geurs, pourvu qu'on fasse appel à nous.

Q : - Parlez-nous du problème foncier. R : - La terre se donne; elle ne se vend pas. Le demandeur offre de la boisson pour honorer la mémoire des ancêtres et demander leur protection.

Q : - Que donne-t-on pour avoir un ten-ain de culture? R : - Même à ce niveau, il n'y a pas de contrepartie à verser, mais le demandeur peut offrir, en cadeau à son hÔte, une partie de sa récolte.

Q : -Quelles sont les conditions d'attribution de terrain pour la culture des palmiers? R : - Il n'y a aucune condition établie au préalable.

Q : - Ne prévoit-on pas un partage de la récolte à la fin de la saison ? R : - Rien de tout cela. On célèbre une fois par an la fête du vodu Togbe-Anyi, que le chargé du culte prend soin d'annoncer à la population.

Q : - Ya-t-ü eu des fermes créées à partir des migrations d'Atomè ? R : - Non.

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Q : - Parlez-nous de vos rapports avec la couronne de Tatio. R : - Nos relations sont bonnes. Nous invitons les gens de Tado à prendre part à nos manifestations religieuses et inversement. La cérémonie d'edepopo [prière aux ancêtres] est réservée aux familles royales d'Agnamè, de Zassa près de Saligbé, de Tado, de Tchoukouhoue à Ahassomè.

Q : - Pouvez-vous nous parler de Kounonvi ? R : - Kounonvi est notre tante. Elle vient de se réincarner en l'une de nos filles, qui porte son nom. Je ne sais plus rien à son sujet. On dit qu'elle était princesse.

Q : -Lors des fêtes traditionnelles à TatIo, la famille royale de cette localité déclare que vous êtes le cerveau des manifestations. Que signifie cette déclaration ? R : - Après le départ d'Alokpeto, il ne restait plus personne à Tado pour s'occuper du sanctuaire. Tout se déroulait désormais à Agnamè. De ce fait, nous avons la maîtrise des manifestations et sommes sollicités à la Cour du roi plus que toute autre branche de la famille royale.

Q : - L'unité politico-religieuse du peuple aja semble brisée du fait de l'existence simultanée de deux sanctuaires de Togbe-Anyi. Qu'en pensez-vous? R : - Nous ne devons pas transgresser la loi. Alokpeto n'a jamais dit de réunir les sanctuaires avant de nous quitter. Or, Aja Kanumabu nous le demande. Nous n'y pouvons rien. Nous n'avons pas ce courage.

Q : - Pourquoi le roi de Tado demande-t-il d'unir les sanctuaires? R : - Selon Aja Kanumabu, il n'y a jamais eu deux sanctuaires dans l'histoire du peuple aja. Pour cela, il faut refaire l'unité.

Q : - Différence entre Adja et Ehwe. R : - Nous sommes tous d'origine aja, mais nous nous exprimons avec des tonalités différentes. par exemple:

Aja Ehwe Sens en français

N'bessa N'monsa Je dis que ...

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LES EWE DE NOTSE

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L'mSTOIRE DES EWE VUE PAR LES EWE DE L'OUEST (ANLO, PEKl, HO, KPANDO)

Nous présentons ici des extraits de l'histoire des Ewe telle qu'elle a été enseignée aux petits écoliers ewe au début de ce srecle il travers les syllabaires. Les enquêtes sont de l Spieth " le syllabaire en question a été réalisé en collaboration avec les mission­naires G. Baner et G. Daeuble, et publié en 1906.

LA TYRANNIE DU ROI AGOKOLI

Tous les habitants de Notse avaient un roi qu'ils révéraient et à qui ils payaient tribut. Les habitants de Tado avaient aussi un roi qui les gouvernait. On raconte que le roi Asimadi de Tado vint à Notse prendre femme dans le clan des Dogbo. Cette femme était la soeur d'Arnega Wenya. Le premier fils issu de cette union fut nommé Sri. Quand Sri atteignit l'adolescence, son père Asimadi mourut et un conflit éclata entre ses frères et lui au sujet du trOne. Sri l'emporta finalement et s'enfuit avec le siège royal se réfugier à Notse, où il devint le chef des Dogbo. Cette situation lui attira plus tard la jalousie d'un roi de Notse.

Les premiers rois de Notse veillèrent au bien-être de la population, si bien que celle-ci crilt rapidement en nombre. Après eux, vint à régner Agokoli, un méchant roi. Il ne suivit pas la politique de paix de ses prédécesseurs, mais il suscita mille embarras à la population, avec cruauté. Comme ses conseillers désapprou­vaient cette politique, il les fit tous mettre à mort, à l'exception d'un seul qui resta en vie.

Il choisit ensuite de nouveaux conseillers dociles et vénaux, qui le suivirent dans sa politique de répression et de dictature. A la moindre peccadille, le coupable était malmené, torturé ou taxé d'une forte amende. Cependant, plus il brimait la population, plus celle-ci croissait en nombre, ce qui contrariait fort le roi. n provoquait alors sans cesse des guerres, dans lesquelles il lançait les habitants avec l'intention de les faire périr. Mais comme les résultats de cette politique n'étaient guère probants, il conçut d'autres moyens pour les anéantir.

Sur ces entrefaits, éclata un conflit entre le roi de Notse et Sri, le chef des Dogbo' Une dispute entre le fils d'Agokoli et le fils de Sri dégénéra en querelle; on en vint aux mains et le fils de Sri fut laissé pour mort. Voulant punir le méchant roi, Sri lui montra le cadavre d'un enfant mort, prétendant que c'était le sien. Selon la loi du talion, le roi était obligé de livrer son fils qui devait être mis à mort. Mais la supercherie fut découverte et le roi, entrant dans une violente colère, voulut se venger pour avoir été berné de la sorte. Les Dogbo le supplièrent et lui promirent 'lue dorénavant, ils accompliraient tout ce qu'il exigerait d'eux.

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Agokoli ordonna un jour à ses sujets de lui pétrir de l'argile. Mais avant que les hommes ne viennent travailler, il fit mettre des épines dans la terre. Voulant la malaxer, les travailleurs se blessèrent grièvement et s'en retournèrent chez eux forts contrits. Une autre fois, il exigea qu'on lui tresse une corde avec de la terre glaise. Cette affaire dépassant leur entendement, les jeunes allèrent en parler au vieillard qui avait survécu et lui demandèrent conseil. Le vieil homme leur suggéra d'aller trouver le roi et lui demander de leur confier un exemplaire de cette corde, afin qu'ils puissent travailler selon ce modèle, car «on retord le nouveau surI 'ancien». Ces paroles mirent le roi hors de lui. La tension devint si aiguê qu'une grande partie de la population décida d'abandonner la ville à cause de la tyrannie du roi.

LE DEPART DES EWE DE NOTSE

Un jour, ils se rassemblèrent tous dans la demeure du vieillard qui avait survécu et prirent la décision d'abandonner la ville. Ils se mirent d'accord pour renverser les murailles de la ville. En conséquence, on donna l'ordre aux femmes de verser les eaux de lessive et de vaisselle sur les murailles. Quand elles furent ramollies, les conjurés se rassemblèrent de nouveau et le vieil homme, levant son coutelas en l'air, pria en ces termes: «Dieu, ouvrez-nous la porte pour que nous puissions sortir». Ayant dit ces mots, il transperça la muraille avec le coutelas et tout le monde vint pousser le mur qui s'effondra.

On fit sortir d'abord les femmes et les enfants, pendant que les hommes jouaient au tam-tam pour tromper la vigilance du roi. Ils poursuivirent ce strata­gème tard dans la nuit, jusqu'à ce que les habitants fussent couchés. Les conjurés cessèrent alors de jouer au tam-tam et sortirent à leur tour.

Ceux qui, en fin de compte, restèrent dans la ville, la quittèrent plus tard, à des périodes différentes. Selon la tradition, la majeure partie de la population abandonna la ville à cause de la tyrannie du roi. On raconte pourtant que certaines communautés auraient été chassées de la ville par le roi lui-même. Quant aux Leklebi, ils prétendent que, durant une période de disette, le roi leur accorda la permission de quitter la ville.

LA MIGRATION DES EWE ET LEUR INSTALLATION DANS LE PAYS.

L'abandon de Notse par les Ewe fut, non un départ, mais une fuite précipitée. C'est pour cela que peu de temps après avoir quitté la ville, ils se regroupèrent tous pour faire route ensemble, afin de s'épauler mutuellement. Ils marchèrent long­temps avant de se séparer en trois groupes. Le premier groupe prit la direction du sud, le second celle du nord-ouest et le troisième celle du centre.

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1 - Ceux gui prirent la direction du centre

a) - Les Ho affirment que, bien qu'ayant quitté Notse en premier lieu, ils furent parmi les derniers à s'établir en pays ewe. Ils furent dépassés en cours de route par plusieurs communautés, qui s'établirent sur les meilleures terres avant leur arrivée. Les Akovi et les Kpenoe furent leurs compagnons de route. Ils rencontrè­rent en premier lieu les Hodzo. Ils restèrent auprès d'eux un moment avant de reprendre leur chemin, car la terre ne leur convenai t pas. Ils firent de nouvea u halte à Hanyiraele, où ils créèrent une grande ville. Mais ils ne purent y demeurer long­temps, à cause des Tavi qui leur menaient la vie dure. Ils se séparèrent en deux groupes en quittant cet endroit Les Akovi et les Kpenoe retournèrent sur leurs pas, alors que les Ho poursuivirent seuls leur route vers l'avant et allèrent élire domicile là où ils sont encore de nos jours. Cet emplacement était habité autrefois par les KIevi.

b) - Les Sokode furent aussi des retardataires. En quittant Notse, ils vinrent s'établir à Tomee. D'aucuns affirment cependant qu'ils s'installèrent plutôt à Toxo. Ils n'avaient pas eu, au début, l'intention de demeurer définitivement dans cet endroit. Ayant planté du haricot, ils voulurent attendre la récolte avant de repren­dre la route. Mais cette récolte fut si abondante qu'ils décidèrent de s'installer sur place.

c) - Les Adaklu et les Abutia firent route ensemble depuis Notse. Ils firent halte à Nyêti, tout près d'Agotime. Ils se séparèrent en quittant cet endroit. Les Adaklu allèrent s'installer sur les bords du grand cours d'eau où ils se trouvent encore de nos jours. Au début, ils élirent domicile près de Logota, sur la route de Dodome, à cause des fauves qui rôdaient autour du cours d'eau. Ils ne viendront s'y installer qu'après que leurs valeureux chasseurs aient eu raison de ces fauves.

d) - Les Akomu firent aussi route ensemble avec les Ewe depuis Notse. On raconte qu'ils rencontrèrent un chef Ho près d'Asiatokpe. Ils auraient conclu un pacte avec ce notable et juré de ne jamais porter les armes con tre les Ho. Les Akomu ne s'arrêtèrent pas en pays ewe, mais traversèrent 1.' Amuga pour s'établir auprès des Atyem. Ils durent, dans un premier temps, subir le joug des Ga. Mais ils reprirent leur indépendance, devinrent puissants et établirent leur hégémonie sur beaucoup d'autres peuples. Lorsqu'ils furent vaincus par les Atyem et leurs alliés, ils revinrent s'installer de ce côté-ci de l'Amuga [Volta), entre les Petyi et les Oofo, où ils se trouvent encore de nos jours. Ils redevinrent rapidement puissants et soumirent quelques communautés ewe. Mais finalement, ces Ewe luttèrent contre eux et recouvrèrent leur liberté.

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II - Ceux gui prirent la route du nord.

Les Gbi (peki), Kpele, Awudome, Ga, Atyem, Alavanyo, Kpando Kpedzê, Ve, Leklebi, Logba, Savi, Dzolo, Akome, Matse, Kpesi et Wodze prirent la route du nord au cours de leur migration. Ces communautés eurent à affronter plus de difficultés que les premières. La plupart errèrent longtemps avant d'élire domicile quelque part.

a) - Les Gbi, Ga et Atyem firent route ensemble jusqu'à Gbidzigbe. Fatigués par toutes les peines encourues au cours de cette marche, les Gbi voulurent se reposer un peu dans cet endroit. Mais les Ga et les Atyem poursuivirent leur chemin. En souvènir de cette séparation, les Atyem nommèrent les Gbi, Opatsi, c'est-à-dire "ceux qui sont restés en arrière". Opatsi donnera plus tard Petyi ou Peki. A l'heure du départ, une partie des Gbi resta sur place; ce sont les actuels Gbidzigbe. L'autre groupe reprit la route vers l'avant et atteignit Tsibu, où il fut bien reçu. On leur distribua des terres et on les pria de rester. Mais comme ils avaient l'intention d'aller rejoindre les Ga, ils refusèrent. Ils ne furent arrêtés dans leur projet que par l'Amuga, dont la traversée leur fit peur. Ils rebroussèrent chemin et vinrent s'ins­taller pour quelques temps auprès des Tsibu, avant de s'établir sur les bords d'Amimli.

b) - Les communautés Kpele et Awudome firent route ensemble avec ceux qui se dirigèrent vers le nord. De Notse, ils ne firent halte nulle part avant de fonder leurs colonies. Ils vécurent longtemps en bonne entente; mais bientôt, les exactions des Awudome les dressèrent les uns contre les autres. Vaincus, les Awudome durent reprendre la route. En longeant les monts ewe, en direction de leur actuel habitat, ils rencontrèrent les Akpafu et les Lolobi, leur firent la guerre et les chassèrent du territoire avant de s'y installer définitivement.

c)-Lescommunautésd'AlavanyoetKpandopeinèrentaussibeaucoupavant d'élire domicile. Leur première difficulté fut la traversée du Haho. Le cours d'eau étant en crue, ils durent attendre longtemps avant de pouvoir le traverser. Ils se séparèrent après cette traversée. Les Alavanyo se rendirent à Saviefe et les Kpando à Tongo auprès des Kpalime. Après un court séjour à Saviefe, les Alavanyo furent obligés de quitter cette localité; ils se rendirent dans la région de Tsavao. Leur chef Xe vint à mourir durant leur halte en cet endroit. La moitié de la communauté décida alors de demeurer sur place, auprès du tombeau de leur chef; ce sont les actuels Xevi (fils de Xe) ou Akrofu. Pendant ce temps, les Kpando quittèrent Tongo pour Kudza, puis ils abandonnèrent de nouveau Kudza pour aller s'installer définitivement là où ils trouvent de nos jours. Le second groupe des Alavanyo vint élire domicile auprès de ces Kpando. Mais le mauvais sort qui les poursuivait fit qu'une guerre éclata entre les Kpando et eux. Ils furent battus et allèrent se réfugier auprès des Nkunya. Ils ne voulurent pas tout d'abord s'installer en cet endroit ;

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quelque temps après pourtant, ils auraient dit: «Testons un moment ic~ peut-ltre que ça ira mieux pour nous». De.cette expression leur vint le nom d'Alavanyo. Il arriva sans doute que l'endroit leur plut, car ils y sont encore de nos jours.

d) - Les Matse, Savi, Dzolo et Akome suivirent les traces des Alavanyo. A la fin de leurs pérégrinations, ils se rassemblèrent tous et fondèrent une grandeviUe où demeurent encore les Tavi. Cette ville se situe en pays Anlo. Cependant, dès que la ville commença à s'agrandir, la mésentente et la désunion y divisèrent les différentes communautés qui, peu à peu, se dispersèrent.

e) - L'installation des Kpedzê ne fut pas aussi rapide. Ils se dirigèrent dans un premier temps vers la plage et demeurèrent à Aveno-Ketukpe, où se trouvent encore les ruines de leurs habitations. De là, ils partirent élire domicile à Matse­Lume. Mais ils ne purent vivre en bonne entente avec les Lume, et durent quitter ce lieu pour s'installer auprès des Savi, Ziavi et Tsowome. Là, ils se divisèrent en deux groupes; l'un alla demeurer à Avetile dans la région de Petyi ; tandis que le second s'en alla à Adame sur les bords du Todzie. Ceux-ci quittèrent de nouveau Adame et allèrent enfin élire domicile auprès des Akome.

t) - Les Leklebi, We et Logba errèrent aussi longtemps en chemin avant de s'établir définitivement. En quittant Notse, ils se rendirent à Kpele, où ils firent des guerres contre les populations locales, puis se replièrent sur Agu. Au cours de cette, migration collective, les Logba jouèrent le rôle d'éclaireurs. Ils frayaient le chemin devant les autres en coupant les arbustes [logba signifie <<coupeurs d'arbustes»]. D'Agu, ils allèrent s'installer à Agome pour quelque temps. Mais ils durent bientôt quitter cet endroit à cause des querelles qui s'élevèrent entre les Agome et eux. Finalement, fatigués de cette existence de «sans-logis», ils furent très contents lorsqu'ils purent s'installer là où se trouvent actuellement les We. Mais ils ne purent s'entendre entre eux; c'est ainsi qu'un peu plus tard, bien qu'aucun voisin ne les dérangeât, ils durent quitter ce lieu et s'égailler dans le pays, chacun de son côté.

g) - Les Wodze,Agate, Anfoeet les habitants des bords du Danyi firent aussi partie du groupement qui prit la direction du nord. Ils ne perdirent pas beaucoup de temps en cours de route avant de s'installer, sauf les Agate qui firent le tour de We avant de s'y installer. On y trouve encore les ruines de l'un de leurs anciens villages que l'on nomme Avagbegbe.

h) - Les Kpetsi s'installèrent d'abord sur les bords de l'Amuga. Mais les exactions des Asante les obligèren t à partir. Ils emprun tèren t des chemins différents pour aller finalement s'installer au-delà de tous les Ewe, vers la source du Mono. Cependant, les Ana, qui avaient fui de Tseti et Dume au Danhome, y avaient déjà fondé depuis bien longtemps Kpesi, Degu et bien d'autres villes. Ils permirent volontiers aux Ewe de s'installer près d'eux et leur vendirent des terres. Ces deux

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peuples vécurent en bonne intelligence et ne se querellèrent jamais. Le chefdes Ewe se trouvait à Kpetsi et celui des Ana, à Degu.

i) -Les habitants d'Atakpame sont aussi des Ana. Ils furent obligés de quitter Tseti sur les bords du Mono, à cause des guerres que les Fon leur livraient sans cesse; ils s'installèrent dans un premier temps à Kpetsi, puis retournèrent élire domicile auprès des Akposo.

j) - Les Akposo ne sont pas des Ewe, et autrefois, ils parlaient une autre langue. Ils vivent dans les montagnes, au-delà de Kpele ; ils affirment que leurs ancêtres avaient toujours vécu en cet endroit, et ils ne se rappellent plus d'où ils sont venus. Ils ne se souviennent pas non plus d'avoir été en conflit avec d'autres peuples. Il es! même fort possible qu'ils occupaient le territoire avant l'arrivée des Ewe.

III - Ceux qui prirent la route du sud

Les différents lignages Dogbo prirent la route du sud; ce sont les Bè, Togo, Abobo, Weta, Anlo, Kliko, Some, We, Fenyi, Afife, Mafi, Tsiawe, Agave, Tavi, Tokoe et Tanyigbe. Dans un premier temps, ils firent route ensemble vers le sud, puis se séparèrent à Gafe. Les Anlo à leur tour se divisèrent en deux groupes. Le premier, conduit par Sri, se dirigea vers Avenu, alors que le second prit résolument la direction du sud, à la suite de Wenya.

a) - Les futurs habitants de Togo, Abobo et Bè firent route ensemble; ces derniers se séparèrent des autres après quelque temps et allèrent s'installer dans une grande forêt entre la lagune et la mer. De là, ils essaimèrent dans toute la région. De nos jours, les Bè et les Anlo se disent encore parents. Les Togo et les Abobo poursuivirent leur chemin et allèrent s'implanter sur les bords du Gbaga. Les Bè et les Abobo vénèrent les mêmes divinités.

b) - Les habitants de la région de Tsévié firent route ensemble avec Wenya. Arrivés sur le site de leur future ville, ils voulurent se reposer avant de reprendre la route. Comme la terre était bonne, certains se mirent à cultiver du haricot Lorsque sonna l'heure du départ, ceux-ci voulurent attendre que leurs haricots mOrissent avant de reprendre le chemin. Mais, par la suite, ils s'installèrent défi­nitivement sur place, et y fondèrent une ville qui fut appelée Tsevié, en souvenir de ce événement. A partir de Tsévié, ils s'égaillèrent dans toute la région en y créant des localités comme Wli, Bolu, Asome, Gblavi, Davie et Dalave.

c) - Les Kliko et les Weta se séparèrent eux aussi du groupe de Wenya. Les Kliko allèrent s'installer là où se trouve Kliko, cependant que les Weta suivirent de nouveau Wenya jusqu'à Dudu. De là, Wenya leur enjoignit 4e retourner s'établir

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dans la plaine (We), afin d'indiquer la route à leurs frères qui les suivront. Ils obtempérèrent; c'est pour cela que la ville créée par leur chef Agbana prit le nom de Weta.

d) - Les Anlo et les Agudza ou Sorne suivirent Wenya jusqu'à la fin. Ils débouchèrent à Ewetoko, à l'endroit où se situe Atiteti. De là, ils prirent des pirogues et se dirigèrent vers l'est en longeant la lagune. En prenant pied sur l'autre rive, Amega Wenyavitl'endroit et s'écria : <<j 'ai vu le sommet du sable [ke ta]». Akagâ et Avanyedo, fils de Wenya, créèrent une ville en cet endroit et la dénommèrent Keta. Akpamanyabli et ses enfants vont aussi fonder une cité à laquelle ils donne­ront le nom de Kumatsoagbegbo; cette localité est connue de nos jours sous le nom de Tegbe-Fedome. Agbeve partira de là pour aller fonder Woe.

Comme il ne pouvait plus marcher, Amega Wenya se fit transporter dans un hamac. N'en pouvant plus, il se fit déposer sur le sol et dit: <<Je me pelotonne [me nlo],je nepeuxplus aller nu Ile part ;je resterai ici». Dès cet instan~quand quelqu'un demandait: «l[uandreprendrons-nous la route ?», on répondait invariablement: «on ne part plus, le chef a dit qu'il s'est pelotonné». C'est la raison pour laquelle la ville qui fut fondée à cet emplacement fut dénommée Anlo.

e) - Les Agudza vécurent en bonne entente pendant très longtemps auprès des Anlo. Ils vivaient encore ensemble à Keta, lorsque les Blancs [les Danois] vinrent dans la région. Il arriva que les Blancs semèrent la discorde parmi eux. Chassés par les Anlo à la suite de ces querelles, les Agudza se réfugièrent auprès des Kliko. Avant d'élire domicile, ils allèrent consulter un devin qui leur fit offrir deux taureaux en sacrifice, afin d'attirer la paix sur eux. Le devin enterra les têtes des deux taureaux. Quelques temps après, deux arbres (Sokuti) poussèrent entre les cornes des taureaux. La ville fondée en cet endroit fut appelée Agbowdome ou Agbozome ["entre les cornes du taureau"] en souvenir de cet événement. Ils s'égaillèrent par la suite dans toute la région, et furent appelés Sorne. Certains habitants de Keta se rendirent par pirogue auprès des Togo et s'installèrent en deux endroits dénommés Keta-Koda et Anyro.

f) - Revenons maintenant à Sri et à son groupe. En quittant Wenya à Gafe, Sri etson groupe se dirigèrent vers la région d'Ave, où s'installèrent les Awa, Wenyi, Dzodze et Mafi. Ils fondèrent d'abord Keve, qui devint la capitale du pays Ave; ils se répandirent ensuite dans toute la région. Une bonne partie erra jusqu'à l'Amuga, le traversa et alla fonder Mafi, tandis qu'une autre s'installa sur les bords du fleuve. On les appelle tous les Mafi. La guerre cependant obligea certains lignages Mafi à reprendre la route; ils retournèrent sur leurs pas et allèrent s'établir à Wenyi, non loin de Weta.

g) - Sri et ses enfants continuèrent toujours vers l'avant. Ils furent rejoints dans la forêt de Do par les Adime et les Afife qui sont encore appelés Abobo. A

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l'heure du départ, les Alife restèrent sur place, tandis que les Adime suivirent Sri et ne s'arrêtèrent que dans une grande forêt, aux pieds des monts ewe. Ils y créèrent une grande ville et vénèrent encore de nos jours une partie de cette forêt qui leur est devenue sacrée. Ils vécurent longtemps dans cette forêt, puis en furent délogés par les Anlo et les Weta et allèrent s'établir entre Tsevié et Davié.

h) - Sri, poursuivant sa route, traversa Anyako et déboucha sur la colline d'Alakple où il fonda Kodzi. De là, il entendit parler de son oncle Wenya qui s'était «pelotonné» dans les environs. Il se mit à sa recherche et le trouva à Anloga. Les deux chefs anlo se trouvèrent ainsi réunis de nouveau. Mais Sri n'était pas à l'aise, 'car, en quittant Notse, il avait oublié d'emporter son trône. Il demanda à son fils d'aller à Notse lui ramener son trône, mais la mère de l'enfant s'y opposa; elle craignait_ qu'Agokoli ne le fasse mettre à mort. Cependant, deux neveux de Sri, Adeladzâ et Atogolo, s'offrirent volontiers pour remplir cette dangereuse mission.

Arrivés à Notse, ils firent part au roi du désir de leur oncle. Mais le roi les renvoya à Anlo, en leur spécifiant qu'il ne se dessaisirait du trÔne que contre la tête de son vieil ennemi. Adeladzâ et Atogolo vinrent rendre compte à leur oncle. Celui­ci fit alors mettre à mort un de ses esclaves qui avait sur ses mains des traces de pian comme lui-même. On coupa ensuite les poignets du cadavre; on les confia à Adeladzâ et Atogolo qui les rapportèrent au roi de Notse en lui disant: <<Sri est devenu si vieux que nous n'avons pas eu le courage de le tuer; cependant, voici ses poignets que nous vous rapportons». Satisfait, le roi consentit alors à leur confier le trône de leur oncle.

Sur la fin de sa vie, Sri rassembla tous les notables du pays anlo et leur dit:

J'ai envoyé mon propre fils à Notse me ramener mon trône, mais il a refusé; cependant mes neveux ont accepté de courir le risque et nt Oltt ramené le trône. J'ai donc décidé qu'après ma mort mon neveu Adeladzâ soit couronné roi. Mon fils n'aura droit au trône qu'après lui».

C'est à partir de cet événement que le droit de régner échut aux deux clans Adzovi et Bate. Ce fut aussi le point de départ du régime matrilinéaire qui prévaut encore de nos jours en pays anlo. Voici les noms de tous les rois anlo :

ADZOVI

1. Sri 3. Zânyido 5. Fiayidziehe 7. Nditsi 9. Atsâ Il. Awedo Kpeglâ

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BATE

2. Adeladzâ 4. Agodomatu 6. Akotsui 8. Axolu Nunya 10. Atiasa

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i) - Les Tavi, Tokoe et Tanyigbe suivirent aussi les Oogbo. Les Tokoe et les Tanyigbe firent une longue halte à Tsévié, tandis que les Tavi, sur les traces de Wenya, s'installèrent à Anlo-Afenome. On raconte que leur chef Nyagee était riche et possédait des esclaves et des troupeaux de boeufs. Il eut d'immenses champs de coton (on dit aussi que l'un de ces champs est encore visible de nos jours à Anloga). Cependant, les Tavi seront chassés de la région par les Anlo. Ils allèrent s'installer auprès des Hofedo pendant un certain temps; reprenant leur chemin, ils traver­sèrent la montagne et entrèrent en contact avec les Matse, Savi, Ziavi, 01.010 et Akome; ils les repoussèrent plus loin et s'établirent définitivement dans la région.

Après avoir séjourné quelque temps à Tsévié, les Tokoe et les Tangnigbe reprirent le chemin vers l'avant, atteignirent Abudi, avant de revenir sur leurs pas et s'installer auprès des Tavi à Asoglo. Ils en furent chassés et reprirent la route ensemble avant de se séparer à leur tour.

j) - Les Aveno, les Agave et les Tsiame demeurèrent autrefois à CÔté des Akomu, dans un endroit où les Tsiame construisirent la ville de Tsamla. Ils quittèrent ce lieu à cause des guerres incessantes qui les opposaient aux Akomu et allèrent s'installer aux CÔtés des Anlo. Ils furent conduits jusque-là par leur chef Sen ua. Oe là aussi, ils continuèrent à guerroyer contre lesAnlo pendant un bon bout de temps avant de faire la paix avec eux. Ils allèrent par la suite s'établir en pays anlo où ils créèrent Avenofedo dans un premier temps avant de s'égailler dans les environs. Les Tsiame s'installèrent entre les Aveno et les Anlo. Ils ne firent jamais la guerre à leurs voisins et entretiennent des liens d'amitié avec eux. Quant aux Agave, ils ne réussirent pas à s'entendre avec les Anlo et se disputèrent longtemps avec eux. Ils furent donc chassés par les Anlo et allèrent chercher refuge de l'autre CÔté de l'Amuga. Les ruines de leurs champs et fermes sont encore visibles de ce CÔté du fleuve".

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Informateur :

Chercheur

Lieu

Date

HISTOIRE DES EWE DE NOTSE

Les "vieux" de Nuatja, dont Koto Tonah,. chef du quartier

Agbaladomé L'administrateur-adjoint Léo Nativel.

Notse

21-22 novembre 1931

"Nuatja [Notse] est un des plus anciens villages de tout le.Bas-Togo : sa fondation est antérieure à celle de Bè, Anécho et Atakpamé .. Les vieillards de

cette région assurent que leurs ancêtres ne viennent pas du Dahomey, comme on

a coutume de le dire, mais d'un village nommé Aïo [Ayo], au ~paysdes Anagos»,

le Nigéria. A la suite de quels événements ont-ils été amenés.·à. quitter leur pays

d'origine? Le vieux Koto Tonah, chef d'Agbaladomé, quartier de:'Nuatja, va nous

le conter:

«Il ya plus de vingt vies d'homme de cela, pour l'élection d'un roi d'Aïo, trois

des fils de l'ancien souverain se trouvèrent en présence. Les suffrages de la

majorité de la population ayant placé à la tête du village le cadet des trois frères,

les deux autres, mécontents de ce choix, déçus dans leur ambition, ne voulant pas

servir sous les ordres du nouveau roi, accompagnés de leurs familles, quittèrent

Aïo pour aller fonder un nouveau village, qui reçut le nom de Kétou. Les hommes de Kétou, grands chasseurs, au cours de leurs pérégrinations, visitèrent non seu­

lement tout le nord du Dahomey, mais marchant vers l'ouest, franchirent le Mono

et arrivèrent jusque dans la plaine de Nuatja. La région était extrêmement gi­

boyeuse : éléphants, buffles, biches vivaient en troupeaux nombreux; d'autre part

le sol très fertile convenait d'une façon admirable à la culture du mil et de

l'igname. Il n'en fallut pas davantage pour décider le plus jeune frère du roi d'Aïo

à quitter Kétou, pour venir se fIXer dans cette région. Afin de remercier son fétiche

Agba d'avoir dirigé ses pas vers cette sorte de terre promise, il désigna son village

du nom «d'Afotché», ce qui en langue anago signifie «ainsi soit-il». L'emplacement

où était bâti Afotché est depuis longtemps abandonné; il est désigné, sur les plans

allemands de la situation de Nuatja, sous le nom de «champ Alinou», et se trouve

à l'est de la route Lomé-Atakpamé, à 200 mètres environ avant d'arriv-r au village

d'Alinou-Adjigo. Le deuxième village Afotché a été bâti à Dakpodji, emplacement

qui se trouve auprès de la maison du chef de canton Comédian [Komedja], dans le quartier d'Agbaladomé.

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Page 103: Traditions Historiques Du Bas Togo

Le village d'Afotché, gr4ce à de nombreuses naissances, à la venue de nouveaux émigrants de Kétou et d'Aio et aussi grâce à l'appoint d'étrangers venus du Dahomey, prospère rapidement A côté des deux premiers quartiers Agbalado­

mé et Alinou, de petites agglomérations se formèrent, qui par la suite donnèrent

naissance aux quartiers Adimé, Ekli, Tegbé, AUnou Adjigo, Alinou Avizouha,

Alinou Atitédomé et AUnou Sabakomé. Des relations s'établirent entre les gens d'Afotché et ceux de l'Akposso et de l'Adélé, des mariages se firent; il en résulta une évolution des moeurs et du type physique. La langue anago peu à peu fut abandonnée et le dialecte utilisé fut le «vegbé». C'est ainsi que le mot Afotché se

transforma et devint Ahotché et enfin Nuatchin, que les Allemands à leur tour

transformèrent en Nuatja (Nouatjé) et les Français en Nuatja.

Lors de la fondation d'Afotché, tout le Bas-Togo était complètement inha­

bité; ce sont les ressortissants de ce village qui s'y installèrent les premiers; c'est ainsi que Gapé (cercle de Lomé), Lomé, Vogan ont été fondés par les gens d'Alinou­Avizouha ; Kévé, Assahoun, par les gens de Sabakomé ; Akoumapé, Tabligbo,

Kouvé, Afagnan, par les gens d'Alinou - Atitédomé, Adinah (Gold Coast), par les gensd'Adimé; Kliko (Gold Coast), parles gensd'Ekli; AtokoetAhluan -Kpédomé en Gold Coast, Agou dans la région de Palimé, par les gens d'Agbaladomé. On

peut donc dire que le cercle de Lomé (exception faite pour Adangbé, Gati, Agoué­vé, Atlao), le cercle d'Anécho (sauf Anécho même et la région côtière), le cercle de Klouto (excepté la région N. O.) ont été peuplés par des indigènes originaires

de Nuatja.

Les vieillards assurent que la plupart des villages mentionnés ci-dessus ont

été fondés à la suite de l'incident suivant: ur. !our, le chef de N uatja, ayant rassemblé tous les habitants du village, leur ordonna la construction d'un immense camp

retranché, entouré de hautes et épaisses murailles en terre battue. Pendant plu­

sieurs mois, hommes, femmes et enfants peinèrent pour l'édification de cet ouvrage, dont les vestiges subsistent encore cte nos jours. Lorsque tout fut terminé, le chef s'y installa avec sa famille et en interdit l'entrée aux autres membresd uvillage.Cette mesure étant considérée par la majorité de la population comme une véritable injure, plusieurs notables vinrent en délégation faire part de leur mécontentement au chef. Ce dernier, fou de colère, les fit tous emprisonner. A la suite de ces

événements, de nombreuses familles préférèrent quitter Nuatja pour aller s'instal­ler ailleurs; ce sont les glétas [fermes], qu'elles formèrent, qui auraient donné naissance à la plupart des villages cités plus haut.

S'il faut en croire les vieillards de Nuatja, les ressortissants de ce village auraient fondé des installations jusqu'au Dahomey même. C'est ainsi que les

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nommés Tokpon, Doh et Dako seraient respectivement les fondateurs de trois des plUs anciens autres centres de la colonie voisine: Allada, Porto-Novo et Houahoué. En ce qui concerne la fondation de ce dernier village, les vieillards rapportent les

faits suivants: un grand nombre d'étrangers étant venus se flXer à Houahoué, au bout de peu de temps, les habitants de ce village furent à l'étroit sur les terres que, primitivement, le chef d'Abomey avait mis à la disposition de Dako.

Houébadja [Houégbadja], fils de Dako, vint donc un jour demander à Dan, qui commandait alors Abomey, de bien vouloir lui désigner un autre emplacement où ses hommes et lui pourraient s'installer et cultiver en paix. Dan refusa net, lui faisant la réponse suivante: «Si je vous donne l'autorisation de bâtir et de cultiver ailleurs, vO!Js finirez par vous installer dans mon ventre même». Peu de temps après cet incident, une guerre éclata entre les deux villages voisins; Houébadja, après avoir tué Dan, s'installa en maître à Abomey. Se souvenant alors des paroles que Dan avait prononcées lors de leur première entrevue, il se fit construire une grande maison dont l'un des murs fut élevé sur le corps de son adversaire dont il avait au préalable, de sa propre main, ouvert le ventre. Pour bien marquer sa vengeance, il donna à son village le nom de «Dan-homey», c'est-à-dire «dans le ventre de Dan».

Cette appellation servit d'abord à désigner uniquement la région d'Abomey; ce n'est que plus tard, alors que les successeurs de Houébadja eurent étendu leur autorité à tout le pays adjah, que l'appellation de Dahomey servit à désigner toute

la partie sud de la région comprise entre ~e Mono et le Nigéria. A l'appui de leurs déclarations les gens de Nuatja font ressortir que jamais leur village n'a eu à souffrir des guerriers d'Abomey, alors qu'Atakpamé, Tado et Tohoun ont eu fréquemment

à se plaindre de leurs exactions.

La désignation des chefs de Nuatja, conformément à la coutume en usage, s'effectue suivant certaines modalités spéciales à cette région. Il est intéressant de les rapporter ici, à une époque où, dans un avenir prochain, la succession du chef actuel, Comédian, sera ouverte, ce dernier étant en effet, à l'heure actuelle, assez

âgé - 65 ans environ (1). En cette matière, le principe est le suivant: un fils ne succède pas à son père tant qu'il possède des oncles, du côté paternel, vivants; ce n'est que lorsque ces derniers ont tous disparu, que l'on revient aux fils ou aux petits­fils du premier chef. C'est ainsi, par exemple, qu'à la mort du chef Agbassodénou, son fils, Comédian, quoique suffisamment âgé pour le bien remplacer à la tête de Nuatja, n'a pas été désigné par les notables pour occuper ce poste; c'est son oncle

(1) Il est mort en 1935. Il est à remarquer que Komedja n'a pas été élu suivant les règles coutumières,

mais désigné par l'administration coloniale allemande.

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Adjayito qui fut nommé solennellement chef de Nuatja. D'autre part, la coutume veut que deux chefs successifs n'habitent pas dans le meme quartier et ce, disent les vieillar4s, f(afin d 'lviter que les gens d'un quartier ne s'enrichissent aux dépens de

ceux des autres quartiers». Jadis en effet, les ressortissants du quartier du chef jouissaient de nombreux privilèges, notamment celui de ne jamais etre astreints aux prestations; ils bénéficiaient aussi de mesures de faveur devant le tribunal du chef.

Ajo~tons que, jadis, les funérailles du chef supérieur de Nuatja donnaient lieu à des sacrifices humains. Trois ans après sa mort, plusieurs esclaves étaient tués, leur sang répandu sur sa tombe et leurs corps ensevelis à peu de distance de cet em­placement. Ces esclaves étaient destinés, disent les vieillards, uà préparer à manger au chef et à balayer sa maison dans l'autre monde".

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mSTOIRE DES EWE DE NOTSE, VERSION D'AUNOU

Inrormateur :

Chercheur Ueu Date

Amega Kudifo Damoin, soixante ans environ, principal conseiller à la cour des chefs politiques (yovojilJ) de Notse. N. L Gayibor, Quartier Alinou, Notse 7 décembre 1973.

«Togbuiwo [Ancêtres]», nos enfants étudiants me demandent de leur parler de notre passé. Je serai donc amené à évoquer vos noms, non dans le but de nuire à quelqu'un, mais uniquement pour rappeler votre vie passée afin que votre souvenir puisse se perpétuer jusqu'à la fin des temps.

Les Ewe viennent de très loin. Ils séjournèrent en plusieurs endroits. Nous sommes venus sur terre au Nigéria. Nous y avons séjourné avec les Blancs. Tous les peuples africains proviennent de cet endroit. Cependant les Blancs voulurent nous asservir. Mais étant donné que nous sommes des hommes comme eux, nous avons décidé de réagir. Nous ~rimes donc la décision de quitter ce lieu. Nous nous arrêtâmes ensuite à Eyo. Mais là aussi, les N~go, avec lesquels nous avons fait route ensemble, voulurent à leur tour nous réduire en esclavage. Ce que nous avions déjà refusé de la part des Blancs, nous ne pouvions guère le tolérer de nos frères de race. Nous reprtmes donc la route et atteignîmes Ketu. Nous vécQmes très longtemps à Ketu. La population augmenta. Les Ewe, les Fon, les Guin, nous vécQmes tous à Ketu. Mais à Ketu, les Guin voulurent à leur tour nous subjuguer. Mais nous ne voulions nous soumettre à qui que ce soit, ni à quelque puissance que ce filt. Nous reprtmes donc la route.

Togbe-Anyi fut le premier à partir; il fonda Tado. Mais là aussi il y avait déjà des gens. Ne voulant pas être subjugués, nous décidamesde les dépasser,d'alle rplus loin. De là l'expression «mi da ta wo», qui donnera Tado. Arrivés à Tohoun, nous nous séparâmes. Les Fon firent route avec les Accra, puis se séparèrent à leur tour; les Accra allèrent fonder Guin. Puis les Kpessi aussi s'en allèrent dans leur actuelle région. De Tado, avant d'atteindre Notse, nous arrivâmes au bord du Mono. Mais comme c'était la période des hautes eaux, nous dQmes attendre la décrue pour chercher un gué et traverser le cours d'eau. Pendant tout ce temps, nous étions conduits par nos chefs et nos grands chasseurs qui seuls pouvaient se frayer un chemin danS la grande forêt qui nous environnait. Bientôt les vivres vinrent à manquer. Les chasseurs se mirent à la chasse. Au bord de l'eau, ils découvrirent une plante dont ils ramenèrent les graines. Ces graines bouillies se révélèrent comes­tibles. C'est lemoli ou riz. Ils purent ainsi attendre sans difficulté la décrue. Pendant la période des basses eaux, ils s'aperçurent que le cours d'eau était guéable en maints

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endroits. Ils lui donnèrent alors le nom de Mono (la mère des chemins]. Ils reprirent donc la route, toujours précédés par les grands chasseurs. Ils atteignirent de nouveau un cours d'eau en crue. Ils durent encore camper pour attendre les basses eaux. Les chasseurs se mirent de nouveau en quête de gibier pour nourrir tout ce monde. Ils rencontrèrent un arbre dont les fruits étaient consommés par les singes. Ils en cueillirent et les rapportèrent au campement On les goutta et on les trouva comestibles. C'était leyo ou karité. ucours prit dès lors le nom de Yoto (cours d'eau du karité]. Ils atteignirent Notseaprès avoir traversé le Yoto. Ils s'arrêtèrent au bord d'un étang près duquel les chasseurs tuèrent un éléphant Ensemble on décida de rester sur place, au bord de cet étang: Ta-ko, de ta, étang, et ko, au bord de. Ce fut le premier quartier de la ville qui s'étendit très rapidement. uur chef, Da, alla s'installer sur la colline qui porte encore de nos jours son nom: Dakpodji. Après Da, il y eut plusieurs rois. Puis Ago régna. Après lui, son fils Koli monta sur le trône; il prit le nom d'Agokoli. En quittant leurs lieux de séjour, les ancêtres em­portaient toujours avec eux un peu de la terre sur laquelle étaient enterrés leurs morts. Arrivés à Notse, il ne voulurent plus repartir et décidèrent que les mânes de leurs morts seraient définitivement enterrées sur place. D'où l'expression «1lwalitsi». U grand chasseur qui conduisit la migration s'appelait Amega Noin. A Tako, il voulut aussi s'installer sur place, et donna ainsi son nom à la ville: Noin­tsi

Pour soustraire la population aux attaques des ennemis, Agokoli fit entourer la ville de hautes murailles. Il n'y avait qu'un seul portail, toujours gardé par des soldats en armes et des guetteurs pour signàler et repousser les éventuels agresseurs. Ces murailles furent très épaisses, d'une épaisseur de plus d'un mètre. Elles furent très hautes, de façon qu'aucun homme ne puisse les escalader. Mais ce n'était pas tout; grâce aux pouvoirs magiques d'Agokoli, les murailles s'abaissaient pendant la nuit; à leur place surgissait un précipice profond. Si d'aventure des pillards se risquaient aux alentours de la ville, ils tombaient dans le gouffre qui se refermait sur eux. A l'aube, les murailles réapparaissaient et reprenaient leur taille normale.

A l'intérieur de la ville, Agokoli était l'unique roi qui gouvernait toute la population. Il avait un fils qui était un coureur de jupons, mais aussi un espion au service de son père, à qui, par le truchement des femmes, il rapportait tout ce qui se disait, se faisait et se complotait en ville. Lassé de ces agissements, toute la population voulut se débarrasser de lui. Sur ces entrefaits, on découvrit un beau jour un homme battu à mort dans la rue. La population alla trouver Agokoli et lui fit savoir que la veille, pendant la nuit, son fils avait assassiné un homme; donc, conformément à la loi du talion, son fils aussi devrait être mis à mort. Mais Agokoli prit parti pour son fils en assurant qu'il n'était pas sorti la veille en ville, et que par conséquent il.ne le laisserait pas mettr~ à mort. Bien plus, il menaça la population des pires sanctions et représailles.

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Pour fuir ces menaces, la population prit alors la décision de quitter ce lieu, devenu décidément trop «chaud» pour elle. Les femmes furent chargées de ramollir les murailles en y jetant leurs eaux de vaisselle et de lessive, si bien qu'un jour, on y fit une brèche à l'aide d'un coutelas, et une bonne partie des habitants s'enfuit. Tous ne sortirent pas par la brèche. D'un autre coin de la ville, certains tressèrent une échelle à l'aide de laquelle ils escaladèrent le mur: ce sont les Liatewo. Tous ensemble, ils atteignirent Game avant de se scinder en plusieurs groupes, emprun­tant chacun un itinéraire différent. Les premiers à atteindre Tsévié semèrent du haricot. Les retardataires qui vinrent les y rejoindre les pressèrent, leur enjoignant de se joindre à eux pour contin uer la marche, car Agokoli pourrait mettre ses soldats à leurs trousses et les rejoindre. Les premiers leur répondirent qu'ils voulaient bien les suivre mais qu'il faudrait attendre que le haricot mOrisse un peu: Tsevié. Certains partirent vers le pays anlo. Une partie resta à Bè, voulant se cacher en cet endroit ...

Informateurs : Chercheur Lieu Date

Chef Agokoli III, Amega Kudifo Damoin. N. L. Gayibor Alinu, Notse 20 février 1976

Nous ne sommes pas originaires de Notse. Nous sommes venus de fort loin et nous avons erré bien longtemps avant de nous fixer à Notse. Notre lieu d'origine est Alofin, vers l'est.

Là, nous vécOmes ensemble avec les Blancs. Nous nous rendîmes cependant compte que l'esprit de domination des Blancs allait grandissant et qu'ils voulaient faire de nous leurs esclaves. Nous nous rebellâmes contre cet état de fait, et, pour nous soustraire à leurs exactions, nous prîmes le chemin de l'exil. Après bien des pérégrinations, nous atteignîmes Ayo. Nous nous établîmes à Ayo et y résidâmes longtemps. Nous crOmes que nous pourrions y demeurer en paix. Cependant les Nago, auxquels appartenait le pays, voulurent à leur tour nous subjuguer et nous asservir. Nous n'étions pas nés pour être esclaves. Nous reprîmes donc la route, à la recherche de cieux pl us hospitaliers. Nous arrivâmes à Ketu après de nombreuses haltes.

Ketu est située dans une région montagneuse. Les faîtes de ces montagnes étant déjà occupés par d'autres populations avant notre arrivée, nous dOmes nous établir dans la vallée. Les Aja, qui habitaient ces sommets, nous dénommèrent alors Eweawo. A Ketu, nous vécOmes très longtemps ensemble avec les Fon et les Guin. Mais bientôt, les Guin voulurent, tout comme avant eux les ~lancs et les Nago, nous

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asselVir. Nous n'étions pas nés pour être esclaves. Tous ces déplacements nous fatiguaient. Nous désirions ardemment nous fIXer dans une région où nous serions seuls, libres et indépendants.

Les habitants de Tado, qui étaient nos parents (toviwo), partirent les pre­miers et allèrent fonder Tado. Nous les suivîmes et atteignîmes Tado quelque temps après sa création. Les autorités de la ville nouvellement fondée nous prièrent de nous établir auprès d'eux. Mais craignant toujours l'asselVissement, nous déci­dâmes de les «enjamber» pour aller plus loin (mia da ata wo). De là le nom de Tado qui sera donné à la ville.

Nous nous remîmes donc en route et atteignîmes après quelques jours un grand fleuve en crue. N'ayant aucune pirogue pour le traverser, nous dOmes faire halte sur le rivage. Les grands chasseurs, qui nous ouvraient la marche, se mirent en quête de gibier pour notre subsistance. Nous avions certes des réselVes de provisions, mais nous ne voulions pas les épuiser avant d'atteindre le nouveau gîte après lequel nous courions. Nos chasseurs se mirent donc en quête de gibier et, avançant le long du fleuve, ils virent les oiseaux picorer des graines portées par de tout petits plants. Ils cueillirent ces graines, les rapportèrent au campement où les femmes les firent bouillir. On en goOta. C'était bon; c'était nourrissant. Comme ces graines abondaient le long du fleuve et qu'on pouvait en cueillir et manger à satiété, les anciens virent que désormais «le chemin était ouvert» et que l'on pouvait demeurer là, en attendant la période d'étiage, afin de traverser le fleuve à gué. De là le nom de <</11oli» qui fut donné à ces graines. C'étaient des graines de riz.

. Nous reprîmes donc la route, marchâmes et finîmes par atteindre un autre cours d'eau en crue. Il fallait de nouveau faire halte et attendre les basses eaux. Nos chasseurs intrépides se mirent encore en quête de produits vivriers. Longeant la rivière, il découvrirent le yo et en ramenèrent au campement. Nos ancêtres en mangèrent à satiété et, en guise de souvenir, ils donnèrent le nom de Yoto à ce cours d'eau [cours d'eau du karité].

Après la traversée du Yoto, nos chasseurs se remirent en route, guidant la troupe à travers les embOches de la forêt. Un certain jour, ils poursuivirent un éléphant et le tuèrent à coups de flèches au bord d'un marigot. Ils retournèrent sur leurs pas annoncer la bonne nouvelle au reste de la troupe: «nous avons abattu un éléphant au bord d'un marigot: tako». Tako sera ainsi le premier quartier de la ville de Notse. Amega Noin, le chef des chasseurs, s'adressa alors au roi Da en ces termes: «le ne bougerai plus d'icL Je veux rester en ces lieux». De là l'expression Noin-tsi qui, par corruption, devint Notse, nom de la nouvelle localité. Tout le groupe s'installa d'abord à Tako, puis s'égailla dans les environs, suivant les affinités lignagères, pour fonder l'ensemble des quartiers qui composent la ville. Amega Da, le chef, que l'on avait jusque-là transporté en hamac, alla s'installer un peu à l'écart sur une colline, à Dakpodji.

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Chez nous les souverains ne régnaient que trois ans. Passé ce délai, ils mouraient automatiquement sans aucune intervention humaine. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on choisissait uniquement des vieillards assez âgés pour occuper ce poste.

Da régna donc trois ans, puis mourut Son fils Ago lui succéda. Trois ans après, celui-ci mourut, laissant le trOne à son fils Koli. Ce dernier, en accédant à la magistrature suprême, accola le nom de son père au sien et se fit appeler Agokoli.

Afin de prévenir à jamais les incursions et pillages des «Futowo» [ennemis] devant lesquels ses parents avaient fui jusqu'ici, Agokoli décida d'entourer sa cité d'une grande muraille, l'Agbogbo. Il convia toute la population à cette oeuvre, qui fut réalisée dans les meilleurs délais. Mais l'Agbogbo n'était pas uniquement une oeuvre humaine. Le bon Dieu y avait mis du sien. La muraille avait en effet un pouvoir magique. Elle disparaissait la nuit, et, à sa place, surgissait une crevasse large et profonde. Les pillards qui d'aventure voulaient s'introduire dans la ville et surprendre les habitants en plein sommeil, tombaient dans ce précipice qui les engloutissait, puis se refermait à l'aube, faisant place à la muraille qui réapparais­sait.

Agokoli régnait toujours sur la ville. Un jour il fit venir tous les jeunes gens et leur demanda de lui construire un palais. Mais il décréta qu'il fallait faire sortir tous les vieillards de la ville avant le début des travaux. Ce qui fut fait Cependant les enfants du vieux Djado, flairant un piège, creusèrent un trou et y cachèrent leur père. Ils prirent soin de mettre à côté de lui une femme pour lui préparer à manger.

Après ce «nettoyage» de la ville, Agokoli fit de nouveau assembler les jeunes gens et leur dicta ses volontés. Il voulait un palais, mais pas n'importe lequel. Il fallait que les cordes qui serviraient à attacher les piquets de bois fussent tressées avec de l'argile. Devant une telle exigence, qui dépassait leur entendement, les jeunes gens allèrent trouver Djado pour lui demander conseil. Après avoir longue­ment réfléchi, le vieux Djado leur suggéra d'aller demander à Agokoli de leur confier un exemplaire, même usagé, d'une telle corde, afin qu'ils puissent tresser la nouvelle corde sur ce modèle. Les jeunes gens allèrent faire cette requête au roi. Celui-ci, très étonné d'entendre une telle réponse de la bouche de personnes aussi jeunes, s'emporta et voulut savoir si réellement ils n'avaient reçu conseil de personne. C'est alors que les jeunes gens lui chantèrent celte chanson:

Gbe Aja do (bis) Ajanu, mahénu Kahohonu wa gbi kayeyea do

Gbeajado Aja nu do gbe vo

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Ce que Aja a dit Le fils d'Aja, le fils de Mahe C'est sur l'ancienne corde qu'il faut tresser la nouvelle Aja a parlé Aja a fini de parler.

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Devant une telle fermeté, Agokoli n'insista pas, et renonça à son idée de se faire construire un palais. Cependant les exactions du roi continuèrent. Son fils unique [l'histoire n'a pas retenu son nom), le prince hériter, prenant exemple sur son père, commençait aussi à se montrer tyrannique. Que serait-ce lorsqu'il montera sur le trÔne à la mort de son père? Lassé de cet arbitraire, le peuple complota pour le mettre à mort.

Une nuit, une dispute éclata dans la ville. Elle s'envenima; on en vint aux mains et l'un des adversaires fut sérieusement blessé. Le lendemain, Agokoli fut informé que, la veille, son fils avait blessé à mort un concurrent. Le roi envoya alors des guérisseurs s'occuper du blessé. Sur ces entrefaits, quelqu'un mourut dans le quartier; c'était l'occasion rêvée. On dépêcha un messager annoncer à Agokoli que l'infortuné blessé était mort des suites de sa blessure. Suivant la loi du talion, le sang réclamant le sang, le roi devait livrer son fils pour qu'il soit aussi mis à mort.

Après avoir mûrement réfléchi, Agokoli refusa de livrer son fils au bourreau et offrit un esclave à sa place. Au cours des funérailles du pseudo-mort, un vieillard s'étant enivré à la bière de mil, dévoila malencontreusement le stratagème. Informé sur l'heure par ses messagers qui assistaient à cette cérémonie, Agokoli entra dans une violente colère et jura de se venger. La population àson tour prit peur et décida de fuir la ville afin d'échapper à la colère du roi.

Mais il n'était pas aisé de sortir de Notse, véritable forteresse qui ne s'ouvrait sur l'extérieur que par trois portails gardés jour et nuit par des miliciens en armes. Une fois de plus, la population usa de ruse. On intima aux femmes l'ordre de jeter sur la muraille les eaux usagées de lessive et de cuisine. Le mur ramollit. On en poussa un pan qui s'effondra et, nuitamment, une bonne partie de la population prit la clef des champs. Les habitants de Liaté, pour s'enfuir, s'aidèrent d'échelles en corde pour franchir le mur. De là leur nom.

Dans un premier temps, les fuyards atteignirent Game où ils se subdivisèrent en deux groupes. Les uns prirent le chemin de Gapé et allèrent occuper les régions de Hohoe. Les autres, les Anlo, prirent la route de Tsévié. Les premiers à atteindre cette région cultivèrent des haricots pour se nourrir. A leurs frères qui les pressè­rent de se remettre en route, ils répondirent qu'ils attendraient la moisson avant de repartir (Tsévil) ; d'où le nom de la ville. Il en va de même des Bè. Les grands chasseurs qui les conduisaient trouvèrent l'endroit favorable pour un refuge. Mais en général, il nous est difficile de parler de ce qui s'est passé après l'exode, car nous n'étions pas parmi les fugitifs pour savoir comment chaque groupe s'était débrouillé pour s'installer dans sa nouvelle demeure.

Q : - Vous venez de dire que les Ewe et les Blancs avaient vécu ensemble àAlofin. Où se situe cet endroit ? R : - Vers l'est. Quelque part dans l'actuel Nigéria.

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Q : - Des Nago ou des Ewe, qui a précédé ['autre à Ketu ? R : - Ils sont arrivés ensemble et ensemble ils ont fondé Ketu.

Q : - Y avait-il des murailles autour de la ville de Ketu ? R : - Non, Ketu était une ville ouverte. Il n'y avait pas d'agbogbo.

Q : - Vous venez de dire que les Fon et les Guin avaient aussi vécu avec vos ancêtres dans la ville de Ketu. Comment s'opéra la séparation d'avec ces gens? R : - Nous avons tous vécu à Ketu. Nous en sommes partis ensemble. La séparation n'est survenue qu'à Tohoun. Les Kpessi, sans passer par Notse, prirent la route du nord. Les Guin et les Fon allèrent aussi chacun de leur côté.

Q : - D'où vient le nom Notse. Est-ce de «Noin-tsi» ou de «Nwali tsi» ? R : - Le grand chasseur Noin, qui conduisit la troupe, arrivé sur le site de la future ville, déclara que son âme ne pourra pas aller plus loin. D'où Noin-tsi.

Q : - Comment expliquer le fait que le chasseur Noin puisse prendre une décision aussi importante, alors que le ro~ Da, faisait aussi partie de la troupe? N'est-ce pas à lui de décider ? R : - Je vous ai déjà dit que seuls les grands chasseurs conduisaient les peuples en déplacement. Eux seuls pouvaient décider où aller, où s'arrêter, où s'installer pour trouver un cadre agréable où vivre. Il n'est donc pas étonnant qu'en l'occur­rence la voix du grand chasseur ait supplanté celle du roi.

Q : - Au cours de leurs pérégrinations, les Ewe ont-ils eu à combattre d'autres populations pour se défendre ou pour conquérir leur espace vital ? R : - Jamais les Ewe n'ont eu à prendre les armes contre qui que ce fut.

Q : - Vous nous avez dit qu'avant l'arrivée à Notse, les Guin et les Fon se sont séparés des Ewe. Est-ce à dire que seuls les Ewe ont fondé et vécu à Notse jusqu'à l'exode? R : - Ceci est absolument sar et certain.

Q : - Les premiers quartiers de la ville. R : - Après Tako furent fondés Dakpodji (la résidence royale), Agbaladomé, Ekli, Adimé, Tégbé, Kpedomé, Kugbe, Sabakome, Atitedome, Anakpé (Avizuha), Wotsegbeme. Bien plus tard, après l'exode, les quartiers Kugbe, Sabadome, Atite­do me, Anakpe et Wotsegbeme [Wotse est un roi, parmi les successeurs d'Agokoli, qui alla s'installer en cet endroit] furent réunis en un seul quartier qui prit le nom d'Alinu. En effet, la ville étant devenue presque déserte après l'exode, Saba quitta son quartier, s'en alla cultiver du petit mil (li) à la place de l'actuel quartier Alinu. Les habitants des quartiers précités, prenant exemple sur lui, vinrent habiter près de lui ; d'où le nomAlinu. Il est à remarquer que l'actuelle ville de Notse n'est qu'un résidu de l'ancienne ville. En effet, après l'exode, ceux qui sont restés dans la ville

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ont dO se regrouper ensemble pour ne pas ~tre trop séparés les uns des autres par des aires de brousse.

Q : - Selon vos dires, Agokoli serai/le troisième roi de NOISe. Est-ce exIlct ? R : - Bien sOr non. En réalité, il y a eu plusieurs rois avant l'avènement d'Agokoli. Cependant, trois noms seulement ont pu vaincre la barrière des temps et nous parvenir: Da, Ago et Agokoli lui-m~me.

Q : - Comment se faisait la succession au trône ? R : - La royauté est héréditaire en ce qui concerne la famille régnante, mais élective quant à la personne choisie. Le roi règne trois ans, puis meurt. Il y a alors une période obligatoire d'interrègne de trois ans, puis on choisit un autre roi. Vu la très courte période de règne, le choix ne tombait que sur des personnes âgées. Devant ce caractère particulier attaché à la personne du roi, on décida de faire partager cette lourde charge à tous les quartiers. La royauté passera ainsi à Ekli et à Agbaladomé.

Q : - Revenons à l'épisode de la corde en argile. Agokoli aurait dit aux jeunu de faire disparaître les vieillards. Doit-on comprendre par là qu 'il leur donna l'ordre de les tuer ? R : - Vous savez que chez nous les personnes âgées s'expriment souvent par métaphores. Il faut certainement comprendre par là que le roi a donné l'ordre de mettre tous les vieillards à mort.

Q : - Pourriez-vous revenir sur l'explication du Mono? Est-ce: «il y a beaucoup de riz» ou « beaucoup de chemins» ?

R : - Moli signifie riz en ewe de Notse. Donc Mono signifie «mère du riz» ; autrement dit: il y a beaucoup de riz à côté de ce cours d'eau; on aurait pu dire: «Inoluo» ou «cours d'eau du riz».

Q : -Intronisation du roi R : - Comme les rois ne régnaient que trois ans, personne n'aimait occuper cette fonction périlleuse. On forçait donc l'élu à subir les cérémonies de sacre et d'intronisation. L'élu était emmené à Dakpodji, où on l'enfermait pendant seize jours dans une hutte en paille, entièrement construite en un jour. n y subissait ainsi tous les rituels du sacre, qui lui conféraient sa dignité et ses pouvoirs magiques. Une fois ces cérémonies terminées, le roi revenait chez lui et alors tout le monde s'empressait autour de lui. Cependant chaque quartier de la ville avait un rOle précis à jouer. Ainsi tel quartier devait habiller le roi, tel autre le chausser, tel autre lui fournir des vivres ou des épouses, etc. .• M~me s'il était marié avant son sacre, on lui choisissait une nouvelle femme qui sera la reine. Ce rOle de trouver une femme au nouveau roi était dévolu aux habitants du quartier Sabakome. On les appelle aussi «Ilgbalesiawo». Les habitants du quartier Atitedomé lui tissaient ses pagnes.

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Aux habitants du quartier Kugbe revenait l'honneur de lui faire des scarifications [akaba] au visage, et à Adimè de le chausser. Le roi ne sortait jamais de ses appar­tements. Il était représenté partout par ses conseillers. Toute la population devait le nourrir et subvenir à ses besoins. Le roi ne sortait pas, car personne ne devait voir ses scarifications. Quiconque le voyait, mourrait sur le champ. Seules ses femmes, ses serviteurs immédiats et quelques-uns de ses conseillers avaient le privilège de le voir et lui parler. Son palais était donc entouré d'une enceinte qui le dérobait aux regards du peuple et des curieux.

Q : - Les noms des rois, du moins ceux dont on se souvient encore. R : - Da, Dagbe, Ago, Agokoli, Srukpê, Wotse, Akpafu. Après Akpafu, la royauté fut confiée au quartier Ekli où l'on intronisa: Agbodovi, Aloko. La royauté passa de nouveau à Avizuha où régna Kpovenyi. Celui-ci, sentant sa fin approcher, confia les attributs du pouvoir à ses neveux maternels du quartier Agbaladome pour punir ses proches de l'avoir délaissé au cours d'une maladie. Agbasodenu régna à Agbaladome. A sa mort, on voulut confier les rênes du pouvoir à A4jaïto. Mais celui-ci, prétextant son jeune âge, voulut refuser cet honneur. Les anciens médi­tèrent longtemps ce refus et décidèrent d'un commun accord d'obliger Adjaïto à monter sur le trône mais en l'assurant que son règne durera plus de trois ans : il restera sur le trône jusqu'à sa mort naturelle. On lui donna alors pour nom Houeyiho. C'est sous le règne d' Adjaïto que les Blancs mirent pied pour la première fois à Notse. Il s'agit des Allemands et c'est par la faute du roi qu'ils vinrent à Notse. En effet, depuis que les anciens avaient décrété que l'on ne suivrait plus la coutume des ancêtres et qu'Adjaïto régnera au-delà des trois ans réglementaires, tout alla de mal en pis dans le pays. Les Allemands à leur arrivée ne s'occupaient pas de nous. Komedja, citoyen très avisé, s'occupait très habilement des affaires du pays suivant les directives d'Adjaïto. Komedja était en effet l'atikploto [le messager] et le premier conseiller du roi. Il arriva que les Allemands, pour mettre fin à l'escla­vage, interdirent tout commerce ou toute transaction ayant un rapport avec cette activité. Or Adjaïto, dans l'exercice de ses fonctions, avait coutume de recevoir des gens en gage, soit pour payer des dettes de leurs parents ou pour tout autre crime qu'eux-mêmes ou les leurs auraient commis. Cette pratique ne s'arrêta pas à l'ar­rivée des Allemands. Certaines mauvaises langues allèrent alors rapporter aux Blancs que le roi de Notse, faisant fi de leurs injonctions, continuait à pratiquer ce commerce honteux. Les Allemands firent faire une enquête sommaire et consta­tèrent que les fermes du roi étaien t pleines de personnes qui affirmaien t être là parce que le roi avait payé pour eux. Les Allemands voulurent alors se saisir d'Adjaïto et le juger. Pour échapper à une pareille honte, le roi prit la fuite. On le remplaça par Komedja, qui devint ainsi le premier «yovofia» [liu : chef des blancs]. C'est à partir de cette période que la royauté se scinda en deux. On eut ainsi lesyovofia qui s'occupaient des relations politiques entre l'administration coloniale et la popu­lation, et les homefia qui essayaient, tant bien que mal, de sauvegarder les traditions des anciens rois en s'occupant de tout ce qui relevait du domaine ésotérique. Après

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Komedja, Danhui fut intronisé à Kpédomé. Les tribulations politiques le firent détrÔner après la victoire électorale de 1958 au profit de Komedja Mensah à Agbaladomé, puis réintroniser après le coup d'Etat du 13 janvier 1963. A la mort de ces deux antagonistes, le trÔne revint à Togbe Keke Agokoli II. A sa place règne aujourd'hui son fils Togbe Agokoli III.

Q : - Que sont devenus les anyigbafia ? R : - Actuellement, il n'ya plus de véritables anyigbafia [roi, prêtre de la terre]. Il n'y a plus que des azikpekpotowo, c'est-à-dire des régents. A la mort d'Adjalto, son fils Tsévi fut nommé régent et, après lui, on a actuellement Alijinu. On les appelle régents car ils n'ont pas subi les cérémonies d'intronisation à Dakpodji, comme on avait coutume de le faire pour les anciens rois de Notse.

Q : - Ya-t-il encore dans la ville des Anciens capables de se rappeler dans le détail le rituel des cérémonies d'intronisation et éventuellement le faire subir aux postulants? R : - Certainement. Il n'y a aucun doute là-dessus. Ces secrets sont jalousement gardés de génération en génération.

Q : - N'y a-t-il pas eu de frictions ou tensions entre les deux institutions politiques? R : - Non, jamais. Après l'intronisation de Komedja, Adjaïto est venu repren-dre sa place. Mais comme peu de gens s'occupaient dorénavant de lui, Komedja lui vint souvent en aide en lui fournissant des vivres. Il y a une entente entre eux et nous.

Q : - Quels étaient les véritables pouvoirs des anyigbafia ? R : - Ceux d'entre eux qui ont subi la préparation spéciale à Dakpodji avaient des pouvoirs spéciaux. Ils avaient entre autres la faculté de faire tomber la pluie à volonté. Mais l'arrivée des Blancs a tout révolutionné. Sous prétexte de «civilisa­tion» et de cartésianisme, nos enfants sont devenus incrédules et peu respectueux à l'égard de nos coutumes ancestrales. Comment voulez-vous que, dans ces condi­tions, un père puisse avoir le courage de confier un secret à son enfant? Il s'en ira dans la tombe avec tout ce qu'il connait. C'est ainsi que nous avons perdu à jamais la majeure partie des secrets de la nature, que nos ancêtres ont patiemment découverts et jalousement conservés au cours des siècles.

Q : - Comment construisait-on les maisons d'habitation ? R : - Les cases étaient rondes. On construisait d'abord une ossature en bois qu'on recouvrait ensuite de terre de barre, de claies ou de paille. La toiture était en paille. Le sol était damé avec de la terre de barre et parfois avec des tessons de poterie. Le lit était formé de quatre piquets de bois, supportant une natte liée à deux traverses. Le tout était appelé agbadomé. Autrefois, il n'y avait pas de concessions familiales délimitées par une clôture. On construisait les cases suivant un ordre préétabli, mais les maisons n'étaient pas clÔturées.

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Q : - Où se pratiquaient les cultures à Notse ? Intra ou extra muros ? R : - Il n'y avait pas de place dans l'enceinte des murailles pour les cultures. Les gens sortaient donc de la ville pour aller au champ.

Q : - S'ils sortaient pour aller au champ, comment expliquez-vous qu'ils aient encore éprouvé le besoin de renverser les murailles avant de s'enfuir alors qu'il leur aurait été plus aisé de ne plus rentrer dans la ville un soir après les travaux champêtres? R : - Il ne leur était pas facile de partir tous ensemble sans éveiller l'attention. De plus, ils n'avaient pas leurs champs dans les mêmes directions. Ensuite, la confiance ne régnant pas, il n'était pas aisé de tomber tous d'accord pour partir ensemble et en même temps.

Q : - Pourquoi les Ewe ont-ils cru bon devoir entourer leur ville de murailles? Est-ee pour se soustraire aux attaques de certains ennemis ? Si ou~ lesquels ? R d'Amega Kudifo Damoin : - je vous avais dit que les Ewe avaient quitté plusieurs endroits afin d'échapper à l'esclavage. C'est toujours en prévision d'un éventuel asservissement qu'ils ont cru sage et prudent de devoir transformer leur lieu de séjour - qu'ils voulaient définitif - en une véritable forteresse afin de décou­rager les pillards. R du jeune chef Agokoli III: - Je pense pour ma part que si Agokoli a cru bon d'entourer sa ville de fortes murailles, ce n'est pas nécessairement pour soustraire la population à d'éventuels pillages. Vous savez que les endroits successifs qu'ils ont habités avant de se fixer à Notse étaient entourés de murailles comme Tado. Il est donc possible que les conseillers d'Agokoli lui en aient parlé comme d'une coutume ancestrale et qu'il ait cru bon devoir agir aussi en ce sens, sans qu'il yait eu une urgence quelconque à protéger la population.

Q : - Quelles cultures pratiquait-on ? R : - Il Y avait des champs de mil et de sorgho, de haricc;>t, d'ignames. Le maïs a été introduit dans le pays par les Aguda [les Portugais]. Nos ancêtres connais­saient aussi le manioc, mais ils n'aimaient pas beaucoup en consommer car, semble­t-il, cette tubercule avait un effet enivrant sur l'organisme humain. De là d'ailleurs le nom qu'on lui donna: kuté, l'igname de la mort. On le cultivait certes, mais on le donnait presque exclusivement à manger aux porcs et aux ovins. Les habitants de Notse n'apprirent à en consommer qu'à une époque assez récente. Lors de la guerre asante [2ème moitié du XIXe siècle], les Kpele ont fui leur région et sont ven us se réfugier chez nous. Nos grands-paren ts les viren t en manger abondamment sans être pour autant malades. Prenant donc exemple sur les étrangers, ils commen­cèrent eux aussi à en consommer.

Q : - Les outils de culture utilisés ? R : - Les houes.

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Q : - Qlul genre de houes ? Est-ce celles que l'on utUise actuellement ? R : - On utilisait des houes en fer avec une manche en bois.

Q : - Où trouvait-on le fer ? R : - D'abord nos ancêtres extrayaient le fer d'une pierre appelée hliJulkpé. Il suffisait de la chauffer et le fer fondait de lui-même. Mais les Aguda aussi appor­taient du fer et nous le vendaient. Avec ce fer, nous fabriquions les houes, les zu ou marteaux, etc.

Q : - Quelles sont les divinités de Notse ? R : - Il Y a d'abord la divinité Ekpe, qui est vénérée au quartier Anakpe. Nos ancêtres l'ont rapportée de Ketu. La divinité Agba, vénérée à Agbaladome a été aussi ramenée de Ketu. Ces deux divinités sont donc celles que nos ancêtres vénéraient avant leur arrivée à Notse. Une fois ici, ils ont encore adopté d'autres divinités comme Xebiesso, Sakpatè, Agè, Da, Gugutégu [la divinité royale]. Gugu­tégu était autrefois un animal qui vivait en forêt. Des chasseurs du quartier Adimè l'ayant tué à la chasse, firent un tambour avec sa peau. Ce tambour avait une particularité. Lorsqu'on en jouait, ceux qui se trouvaient aux alentours immédiats n'entendaient rien, alors que ceux qui étaient au loin, à cinq, dix, vingt kilomètres et plus, entendaient et discernaient parfaitement le son. A cause de ce cachet spécial, il fut décidé que seul le roi pouvait utiliser un tel tambour. Il fut donc transféré dans la demeure royale et des spécialistes du quartier Adimè venaient en jouer à l'occasion de l'intronisation des rois de Notse. A son avènement, Komedja fit enterrer une grande partie des attributs royaux, dont justement ce tambour sacré.

Q : -Certaines traditions disent que bien des années après l'exode massif de Notse, d'autres familles sont allées rejoindre leurs frères partis plus t6t. R : - Non, tous les fuyards sont partis en même temps. Mais il y eut ceux qui, marchant vite, se sont éloignés des autres, et d'autres, les tratnards qui, prenant tout leur temps, ont longtemps séjourné en chemin avant de rejoindre leurs frères. C'est ce qui donne l'impression que certains n'auraient quitté Notsé que bien tardive­ment. En réalité, tous les fuyards sont partis en même temps et personne d'autre ne les suivit après.

Q : - D'aucuns affirment aussi qu'Agokoli autorisa lui-même certaines familles à émigrer. Qu'en est-il à votre avis ? R : - Commentvoulez-vousqu'Agokoli puisse autoriser qui que ce soit à quitter la ville au risque de se retrouver roi d'une cité désertée? Agokoli n'a jamais donné un tel ordre. . Q : - Certains chercheurs avancent pourtant l'idée qu'Agokoli aurait pris cette décision lors d'une famine qui s'abattit sur la ville. Qu'en pensez-vous ? R : - Il faut se méfier des affabulations et des racontars. Si telle était la vérité, comment firent nos ancêtres qui sont restés dans la ville pour vaincre cette prétendue famine?

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Q : -Certaines traditions affirment aussi que la terre de barre qui servit à construire les murailles de la ville aurait été pétrie avec du sang humain. R : - Les divinités de Notse ont un interdit spécial. Ainsi, le sang humain ne doit jamais souiller le sol, au risque de voir une grande sécheresse s'abattre sur le pays. C'est ainsi que si, par malheur, un chasseur tuait malencontreusement un homme, ou que, dans un accident de voiture, il y mon d'homme, ou encore qu'au cours d'une rixe le sang d'un homme coule sur le sol, il fallait accomplir des cérémonies auprès de la divinité Togbe-Troagba pour conjurer le mauvais son. ~mment voulez-vous que, dans un tel contexte, Agokoli ait pu oser accomplir pareil sacrilège ?

Q : - Si nous insistons sur cet aspect des traditions, c'est uniquement parce que tous les traditionnistes des autres régions du pays ewe sont unanimes là-dessus. R du jeune chef: - Sans doute ont-ils raison dans leur contexte. Pour eux, leurs ancêtres ont quitté Notse parce qu'ils étaient malmenés par Agokoli. Mais de quelle façon? Personne ne le sait en réalité. Alors ils ont inventé cette fable pour satisfaire leur curiosité. Il en va de même d'ailleurs pour nous. Quand nous disons que nos ancêtres avaient quitté Ayo et Ketu à cause des souffrances qu'ils y enduraient, personne ne sait en réalité quel genre de souffrances leur étaient infligées. Pour ma pan, je crois que, si les gens insistent particulièrement sur l'épisode de la construc­tion de la muraille, c'est pour la simple raison que ce fut une oeuvre de longue haleine, pénible, que leurs ancêtres furent forcés d'accomplir. Et si le souvenir d'Agokoli est si entaché dans leur mémoire, c'est aussi parce que ce fut justement lui, Agokoli, qui leur imposa ce travail insensé, alors qu'aucun de ses prédécesseurs n'y avait songé. Les petites épines qui leur piquaient la plante des pieds lorsqu'ils pétrissaient l'argile devinrent ainsi des cactus et des tessons de bouteilles que le roi aurait préalablement fait cacher dans la terre. Et d'ailleurs, il n'y avait pas de bouteilles en ces temps-là, on n'utilisait que les gourdes et les calebasses.

Q : - Certains disent qu'en partant pour Anlo, Sri aurait emporté le siège royal R d'Amega Kudifo Damoin : - Non, Sri n'avait emporté que son siège. En effet, tout grand homme, chef de famille, etc, possède un siège qui est vénéré après sa mort.

R du jeune chef: - Je pense pour ma part qu'effectivement Sri a emporté une bonne panie des attributs royaux, car actuellement nous avons peu de choses d'une réelle valeur.

R Amega Kudifo Damoin : - Ce que vous dites là est vrai en partie. Adjaïto, lors de sa fuite, confia sa couronne et ses sandales au chef de Vogan et vendit son siège au roi anlo. Mais la couronne et les sandales sont demeurées à Vogan, et les cérémonies qu'on y accomplit de nos jours sont celles des rois de Notse. Le siège royal est un tout petit siège que l'on pose sur une peau. Il suffit que vos fesses touchent ce siège. Si vous refusez de devenir roi, vous pouvez faire n'importe quoi,

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vous mourez. Le siège royal ne sert qu'à cela; une fois cette cérémonie accomplie,

on le range. Le roi s'assied d'habitude sur une peau d'animal.

Q : - Pourquoi les gens de Kpedome se sont-ils installés au-delà des murailles? R : - Ils étaient auparavant dans l'enceinte de la ville. Bien après l'exode, leur ancêtre quitta la ville et partit résider avec les siens à Tsila - quelque part dans la direction de Tado - puis revint vers Notse. Mais les autorités de la ville refusèrent de l'admettre de nouveau dans la ville. Il dut alors s'installer là, de l'autre CÔté des murailles.

Inrormateur : Chercheurs Ueu Date

Le notable Koudifo Damoin Kao-Kézié, Aduayom, Bang'na Quartier Alinu 6 et Il janvier 1981

Q : - Quelle est l'origine des Ewe, la cause de leur dispersion, le lieu de leur installation ? R :-LesEweviennentdeKétu,conduitsparlechefDan.EnsuitesonfiIsDakpo régna, puis vint son fils Ago suivi par Koli, fils d'Ago, qui prit le nom d'Agokoli. Pour protéger la population contre les envahisseurs, Agokoli eut l'idée de cons­truire une muraille tout autour du village. Agokoli était un roi fort, très puissant.

Un jour, un homme fut blessé au cours d'une rixe. Les opposants d'Agokoli voulurent profiter de cette situation pour en attribuer l'acte à son fils. Or, dans le village, c'est la loi du talion qui était appliquée. Peu de temps après, quelqu'un mourut dans la famille de la personne blessée. Au cours des funérailles, un vieux, saoul, prononça une phrase qui trahit les comploteurs. Les notables du roi ayant entendu cette phrase, méditèrent sur le sens des mots. Ils mirent Agokoli au courant de ce qui se tramait.

Le roi, furieux, menaça la population qui, ayant pris peur, décida de fuir afin d'éviter les représailles. La muraille était très épaisse et très haute. Pour trouver une issue, la population eut cette idée: verser de l'eau sur la muraille pour la ramollir et la percer, car l'entrée était gardée par les soldats d'Agokoli.

Par petits groupes les gens se sont dirigés vers Tsévié, Bè, Vogan, Anlo, Tabligbo, Kouvé, Afagnan, Tokpli et Gapé. Ceux qui n'étaient pas au courant de la percée de la muraille se servirent d'une échelle pour fuir; ce sont les Liaté, Ho, Kpando, Ouatchi.

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Les gens qui s'étaient installés à Tsévié avaient planté du haricot. Mais un jour, certains décidèrent de s'éloigner un peu plusdu roi qui pourraitles poursuivre. Les autres, n'étant pas d'accord avec cette idée, restèrent sur place pour attendre la récolte du haricot. D'où le nom Tsévié, qui signifie marir un peu.

Q : - Donnez-nous des éclaircissements sur la cruauté d'Agokoli. R : - [Le notable Koudifio nie l'hypothèse selon laquelle la dispersion de la population de Notse seraitdueà la cruauté du roi; par exemple la mise des piquants et des tessons de bouteilles dans l'argile au cours de la construction de la muraille. Pour lui, à cette époque, il n'y avait pas de Blancs dans la région, et par conséquent il n'y avait pas de bouteilles].

Quand ils étaient à Ayo, le premier roi s'appelait Magnamé. Un jour, il dit à la population: «Les jeunes ne sont pas indépendants, tous leurs actes sont critiqués par les vieux " aussi on doit tuer tous les vieux du village». L'ordre du roi fut exécuté; tous les vieux furent tués, sauf le vieux Adja qui fut épargné et caché dans un trou, recouvert de feuilles. Pour la population, il n'est pas normal d'avoir un village sans la présence d'un vieux. Après une fouille systématique de tout le village par les soldats du roi, celui-ci convoqua tous les jeunes gens et leur dit de tresser une corde en argile pour lier les poutres du toit de sa case. Les jeunes allèrent voir le vieux Adja et lui soumirent le problème. Le vieux Adja leur répond: «Allez voir le roi lui-même et demandez lui un modèle de corde en argile.»

Q : - Pouvez-vous remonter encore plus loin pour nous parler des premières migrations ? R : - Nous étions venus de Loti ; de Loti nous nous sommes installés à Ayo. A Loti nous étions sous la domination des Blancs, c'est pourquoi nous avons quitté cette région. Ensuite, à Ayo nous avons eu à subir aussi l'influence des Nago ; voulant être indépendants, nous avons quitté Yo pour venir créer Kétu. Kétu était déjà habité par un groupe de personnes ; c'était des gens de la montagne. Nos ancêtres se sont installés dans la vallée, où il y avait une grande forêt. Les habitants de la montagne, les voyant dans cette forêt, se posèrent la question de savoir qui étaient ceux qui habitaient là. C'est de là qu'ils ont pris le nom de Ewe. Dans cette région de Kétu, ils étaient avec les Dahoméens, les gens d'Accra et de Nodou. Eux aussi ont voulu les dominer; c'est ainsi qu'ils ont pris la décision d'avancer encore plus. Ils sont arrivés à Tado, où le vieux Agni, le premier à quitter Kétu, avait créé Adomé. Agni leur proposa de demeurer auprès de lui; mais le vieux Dan, qui était le chef du groupe, refusa cette proposition, car, s'il restait, comment pourrait-on régner à deux sur le village? Il leur fallait donc toujours avancer. De là vient le nom Tado qui veut dire «Allons au-delà de ce pays». Ils arrivèren l enfin au bord du Mono, alors en crue; ils se sont nourris jusqu'à l'étiage du fleuve avec du riz découvert sur les bords du fleuve, d'où le nom Mono [fleuve du riz].

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Actuellement, poursuit le vieux Damoin, les vieux ne peuvent plus transmet­treles faits historiques en tant que tels, donc toutes les versions ne seront pas fidèles

Au cours de leur trajet, ils arrivèrent au bord d'un autre fleuve près de Djémégni. A la recherche de la nourriture, ils trouvèrent les fruits du karité, en ewe 10, d'où le nom du fleuve: Yoto. Le chasseur qui conduisait le groupe des éclaireurs s'appelait Noin. Au cours de leur progression, ils tuèrent un éléphant à Tako. Avant l'arrivée des Européens, ils utilisaient des flèches empoisonnées. Ces flèches sont fabriquées en fer, extrait après la fusion des ahlihakpé [concressions ferrugineuses]. A part les flèches, ils fabriquaient d'autres instruments en fer comme l'asizu, sorte de marteau très épais, le premier instrument pour battre le fer. Le marteau que nous connaissons actuellement fut introduit par le Blanc. L'élé­phant tué par le chasseur Noin fut dépecé et tout le groupe mangea à sa faim. Ils prirent alors la décision de rester: d'où le nom de Nomtsi en ewe, qui veut dire en français :"Noin a dit de rester". Ils se sont multipliés, ils ont vécu longtemps, ils ont créé des quartiers. La prospérité du village dépendait des rois, parce que ce sont eux qui devaient décider des cérémonies permettant d'avoir la pluie pendant la sécheresse et d'arrêter la pluie au cas où il pleuvait beaucoup trop. Ils sont arrivés à Notse avec un vodu représenté par une pierre. Le véritable nom de notre quartier est Anakpé et non Avizouha.

Q : - D'où vient le nom Avizouha ? R : - Il Y eut une période au cours de laquelle, dans ce quartier les décès se mul-tipliaient ; les gens pleuraient tous les jours, à tel point que les habitants se sont posés la question de savoir si les pleurs seraient devenus des chants [avi zu ha]. Sous le règne d'Agokoli, le nom du vodu était Anakpé. Les gens d'Agbaladome ont aussi leur vodu. Les différents vodu (Sakpata, Hébiesso, Agbo, Dan) sont nos protec­teurs.

Q : - Quel est le sens du toponyme Almu ? R : - Autrefois, il n'y avait pas de maïs. On ne cultivait que le mil [li], et ceci à l'emplacement de l'actuel Alinu, ce qui signifie: «Là où l'on trouve le li».

Q : - Et Tègbè ? R : - Tègbè signifie toujours. Car à chaque intronisation, ce sont toujours les gens de Tègbè qui sont envoyés à Mawupé.

Q : - Où se trouve Mawupé ? R : - Mawupé se trouve à Adelimé [dans l'Adélé], lieu de culte. Les populations adeli sont venues elles aussi de Kétu, amenant avec elles leurs divinités. A l'époque, certains lignages ont leurs divinités avec des fonctions précises, et celles des Adeli nous intéressent pour l'intronisation, puisque nous sommes issus d'un tronc oommun.

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Q : - Le futur anyigbafia allait-il aussi à Mawupé ? R : - Non, on envoyait seulement des messagers choisis uniquement à Tègbè.

Q : - Comment se fait le choix de l'anyigbafia ? R : - Le choix se faisait dans le lignage royal. Il n'est pas conditionné seulement par l'âge; on tient compte aussi et surtout de l'aptitude à conduire un peuple.

Q : - Mais qui choisit le nouveau fia ? R : - C'est l'ensemble des notables (représentants des quartiers). Ce choix se fait à l'insu du futur élu, car ce dernier pouvait refuser, sachant qu'après trois ans il disparaîtrait nécessairement.

Aussi apprêtait-on tout pour les cérémonies et, le jour venu, on entrainait l'intéressé au lieu du sacre~ dans une petite case ronde, où il restera confiné pendant seize jours, durant lesquels il recevait le pouvoir mystique de tous ceux qui en sont nantis. Au seizième jour, il est ramené à la maison, protégé par un rideau de pagne, car personne ne devait voir l'akaba [scarification faite sur la joue lors du sacre]. Celui qui le voyait, mourait aussitôt. La plaie se cicatrisait le même jour. C'est parce qu'on ne devait pas voir l'akaba qu'il était interdit de voir le visage de l'anyigbafia. En regagnant la maison, le nouveau roi devait marcher courbé jusqu'à sa case.

Excédés par les disparitions périodiques de leurs rois, les gens d'Anakpé ont transféré la succession aux habitants d'Ekli. Cest ainsi qu'Aloko devintjia; Gbodovi succéda à Aloko, ensuite vint Komedja et puis Adjaïto. Il n'y a pas de lignage royal à Agbaladomé. C'est par filiation que la royauté lui fut dévolue, d'ailleurs pour un temps éphémère: il n'y a eu qu'un seulanyigbafia à Agbaladome. Komédja n'a été qu'un yovofia. Les yovofia ont commencé à régner sous les Allemands. C'est toujours sous les Allemands qu' Adjaïto s'est enfui.

Q : - Quelle est la cause de cette fuite ? R : - Parce qu'il a enfreint la loi interdisant la pratique de l'esclavage, car il pratiquait l'awoba, c'est-à-dire la mise en gage.

Q : - Pensez-vous qu'après trois ans, vos souverains disparaissaient par une mort naturelle? R : - C'est à cause de l'arbitraire des rois tel qu'Agokoli que cette périodici­té a été instituée. En fait, la disparition n'est pas naturelle; on aidait le fia à disparaître en lui faisant absorber certaines choses. Q : - Quels étaient les services rendus à l'anyigbafia avant l'arrivée des Blancs? R : - La population entretenait ses champs. Ces services rendus ne sont qu'une simple formalité, afin que l'anyigbafia fasse tomber la pluie. C'est pourquoi son champ ne réussissait pas très bien, car ce travail n'avait lieu qu'une seule fois. Mais la population lui faisait des dons.

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Q : - Y avait-il des jours fixes consacrés aux travaux dans les champs de l'anyigbajia ? R : - Oui. C'est dans ses champs que commençaient les premiers travaux cham­~tres. Aussitôt après les travaux, il pleuvait toujours, au point que nous nous disions que ces princes n'étaient pas intelligents ni patients, puisque les herbes ne pouvaient que repousser immédiatement après de telles pluies.

En fait, ces pluies sont la démonstration du pouvoir de l'anyigbajia. Par exemple, lorsque l'anyigbajia fait verser le djasi [eau de libation] sur ses sandalettes posées dehors, il commence à pleuvoir immédiatement. Ce pouvoir reçu de Dieu par les ancêtres leur était transmis en raison de leur soumission.

Q : - En dehors de ces travaux, recevait-il aussi des produits vivriers des paysans? R : - Il en recevait toujours: manioc, igname, mil. En ce qui concerne la chasse, une partie du gibier lui était offerte, car c'est grâce à lui que le gibier abonde dans la forêt. Avant le début de la saison de chasse, ont lieu des cérémonies, accomplies par l'anyigbajia.

Q : - Comment vécurent vos ancêtres à Notse ? R : - Au début, nous n'étions pas nombreux, sinon nous ne pouvions pas tenir dans l'enceinte des murailles à Notse ; voici comment se règlaient les problèmes de mariage. Les femmes étaient peu nombreuses autrefois. Ce sont les parents qui arrangeaient le mariage. La main de la petite fille est demandée dès le bas âge quelquefois, avant même la naissance. Les parents de l'homme demandaient à ceux de la fille, par une formule consacrée, leur calebasse pour boire. Et les parents de la fille de répondre :" mais quelle calebasse?" Et les paren ts de l 'homme mon traien t du doigt la fille concernée. Les parents de la fille se donnaient alors un temps de réflexion. Toute la famille était informée et une enquête ouverte en vue de savoir si le futur lignage allié est laborieux, s'il sait tisser, s'il est bon cultivateur, s'il fait du commerce, tout ceci à l'insu de la famille de l'homme. Si l'enquête se révélait concluante, la main de la petite fille était promise, pourvu que Dieu lui laisse la vie.

A partir de ce moment, de multiples services sont réclamés du futur époux (travaux agricoles, services relatifs au commerce ... amener des produits au marché comme en rapporter). Ces services durent plusieurs années. Puis arrivait le temps où l'on devait donner la dot symbolique comprenant un pot de vin de palme (à l'époque, le vin de palme était l'unique boisson), ainsi qu'une somme s'élevant à 60 de nos francs actuels. C'était l'acte fondamental sans lequel le mariage n'était guère possible. Donc en cas de divorce, le mari était dédommagé avec une somme forfaitaire de 2 livres et 10 shillings. Cette somme était fixée en raison des services antérieurs rendus à la belle famille. A l'époque, c'était une somme importante et peu de gens s'en acquittaient. Mais l'enquête n'était pas à sens unilatéral. Elle concernait aussi la famille de la future épouse pour déterminer la qualité de l'édu-

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cation qu'elle dispensait à ses filles: comportement dans le foyer, attitude vis-à-vis du mari: «gbonQ wokpona Iœna gbovi : telle mère, telle fille». C'est pourquoi le mariage est un acte très important dans nos sociétés, car on accorde une attention particulière à la qualité des produits issus de l'union.

Q : - Qui choisit la future conjointe ? Est-ce le futur conjoint lui-même ? R : - Ah non! Pas du tout. C'est l'affaire du père et de la mère. Et ceci complètement à l'insu du jeune homme. Il ne le saura qu'à partir du moment où la future belle famille commencera à lui demander certains services. De même la fille n'est au courant de rien.

Q : - Sous quelle forme s'exécutaient les services rendus par le gendre au plan agricole ? R : - Le gendre ne se rend jamais seul dans le champ de sa belle famille. Il est accompagné d'un groupe de jeunes gens, pouvant atteindre seize ou même cin­quante; tout dépend de l'ampleur des travaux à exécuter, mais aussi de la capacité de la belle famille à prendre en charge un tel groupe. Il arrive que le groupe, pour montrer son endurance, refuse de prendre des repas en cours de journée. Dans ce cas, des dispositions préalables sont prises. On mange très tÔt le matin avant de partir.

Q : - A qui s'adresse la belle famille lorsqu'elle veut demander des services au gendre? R : - La belle famille s'adresse au père du jeune homme. Ce dernier ira informer ses compagnons.

Q : - Quels sont les différents modes d'appropriation des te"es ? R : - Autrefois, la terre ne se vendait pas. Celui qui voulait construire une maison s'adressait à un habitant du village. Ce dernier lui donnait un lot de terre moyennant un pot de vin de palme.

Q : - Chaque lignage possédait-il ses propres te"es ? R : - Oui.

Q : - L'anyigbafia était-il le seul détenteur des te"es ?

R : - Non. Les terres appartenaient avant tout aux lignages.

Q : - Comment le jeune homme accédait-il à la te"e ? R : - Du fait de l'abondance des terres, il cultivait la portion de son choix.

Q : - A quel âge le jeune homme peut-il accéder à la te"e ? R : - Le jeune homme accède à la terre lorsqu'il est en âge de se marier. Quelquefois, même après son mariage, il reste sous le CQntrÔle de son père.

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Q : - Quelles sont les différentes formes de coopération ? R : - Le travail s'effectue dans le cadre familial.

Q : - Le métayage existait-il ? R : - Il n'existait pas, parce que la population ne cultivait que du manioc et du mil. On n'avait besoin de métayer que dans les champs de café, de cacao.

Q : - Les étrangers qui venaient travailler les terres de Notse s'approprülient-ils toute la récolte ou donnaient-ils une partie au propriétaire terrien ? R : - Ils donnaient un sac de maïs au propriétaire, mais ceci n'est pas obligatoire. Ils ne faisaient ce geste qu'une fois l'an.

Q : - A part les travaux champitres, quelles sont les autres occupations de la population ? R : - Nous faisons du commerce, nous travaillons le fer. Autrefois, il n'y avait pas de menuisier. Nous faisons la poterie, le tissage, la chasse.

Q : - La chasse se pratiquait-elle individuellement ou en groupe ? R : - Il Y avait deux sortes de chasse qui se pratiquaient d'ailleurs toutes les deux en groupe:

en grand groupe composé des chasseurs de tous les quartiers: c'est le djogbo ou djogbowowo ; en un groupe restreint de trois ou quatre chasseurs: c'est le degbe ouadedada.

Q : - Quels étaient les outils de chasse ? R : - Les flèches empoisonnées.

Q : - Comment obtenait-on le poison? R : - Il était composé d'un mélange à base de certaines herbes, d'urine, de t~es de serpents, etc.

Q : -Aprù la chasse, le gibier était-il partIlgé entre les habitants du village ? R : - Le partage se fait d'abord dans le cadre du lignage; chaque membre reçoit une partie déterminée, selon sa position: la panie inférieure [alin] : à la mère, la poitrine; au père, la tête; au frère, etc.

Q : - Quel est le nom du marché de la région ? R : - Le nom était Notse si [marché de Notse]. Le jour du marché a lieu tous les six jours.

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Page 126: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Existait-il d'autres marchés? R : - Oui. Il en existait dans d'autres localités de la région telles que Kpélè, Agbati, Ra, Kpove, Djakpahoe, Kame, Tetetou, Kpekpleme. Leur jour de marché a également lieu tous les six jours. Notse-si était le seul grand marché autrefois.

Q : - D'où venaient tous ceux qui animaient le marché? R : - Amakpapé, Agbati, Djémégni. Les gens de Tado ne venaient pas à cause de la distance et des difficultés de déplacement. Autrefois, les gens du sud ne pouvaient pas venir à Notse. Pour voyager, les habitants de Notse se déplaçaient en groupe, armés de fusils et d'armes blanches. Ils achetaient du sel, des fusils, du tabac sur la CÔte et venaient les vendre à Notse. Un sac de cauris équivalait à 5 shillings.

Q : - Combien de jours de marche durait le trajet Notse-Accra ? R : - Six jours.

Q : - Les moyens de transport utilisés. R : - La marche à pied et le hamac, réservé au roi.

Q : - Le hamac était -il seulement réservé au roi ? R : - Oui; seul le roi a le droit d'être transporté dans le hamac.

Q : - Les esclaves ne portaient-ils pas leur maître dans un hamac? R : - Non, le maître n'est pas un roi. C'est seulement le chef politique qui l'utilisait, car l'anyigbafio ne sortait pas. Mais au cours de leur migration, on avait porté le roi Da dans un hamac.

Q : - Les travaux des femmes étaient-ils différents de ceux des hommes? R : - Il y,a une différence. Autrefois, les femmes ne cultivaient pas; elles faisaient du commerce. Elles s'occupaient du foyer, car elles étaient à la charge de leurs maris et leur étaient soumises.

Q : - Les femmes participaient-elles à toutes les cérémonies? R : - Non; par exemple, elles étaient acceptées au jugement des conflits conjugaux, mais n'assistaient pas aux assises criminelles réservées aux hommes.

Q : - Quelle est la différence entre les personnes mises en gage et les esclaves? R : - Il Y a une différence qui est celle-ci: en mettant en gage ma chemise contre une somme d'argent, je pourrai retirer ma chemise après avoir remboursé. Mais si j'achète un esclave, il est à moi pour toute sa vie.

Q : - Avait-on pratiqué l'esclavage à Notse ? R : - Bien sûr que oui. Mais nous n'avons jamais vendu les habitants de Notse.

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Nous en achetons.

Q : - Quels étaient les rapports entre l'esclave et son maître ? R : - Ces rapports dépendent de la soumission de l'esclave. Certains esclaves dociles pouvaient remplacer le mattre en son absence. D'autres héritaient du pouvoir de leur mattre.

Q : - Où achetait-on les esclaves ? R : - On les achetait au nord. Mais personne ne vendait son propre fils. Ce sont les négriers qui capturaient les jeunes gens. On les achetait aux marchés d'Atak­pamé, d'Anié.

Q : - Quelles sont les divinités que vous avez amenées avec vous à Notse ? R : - Agba, Gakpé, Efiamagna, (les trois premières divinités), Sakpata, Agboe (Pla vodu), Edah ; Efia vient du pays nago.

Q : - Quelle est la fonction de chaque divinité ? R : - Sakpata enraye certaines maladies. Hebiesso aide à trouver des solutions à toutes sortes de difficultés (vol, stérilité, etc.) et complète Sakpata dans son rôle.

Edah chasse aussi les maladies.

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Page 128: Traditions Historiques Du Bas Togo

HISTOIRE D~ EWE DE NOTSE ; VERSION DE L'ANYIGBAFIO

Informateurs :

Chercheurs lieu Date

Alidjinu anyigbafio de Notse Kofitsè Dayo chef du quanier Tako D. Aguigah, M. Aduayom, N. Gayibor

Quanier Ekli, Notse

9 janvier 1981

Q : - Quels sont vos nom et qualité, S. v.p ? R : - Alidjinu, anyigbafio [roi-prêtre de la terre] de Notse, EkH.

Q : - Votre âge ? R : - J'étais assez âgé pour tirer au fusil avant l'arrivée des Allemands.

Q : - Que représente Notse pour vous ? R : - Notse, c'est l'Amedzopé (lieu de création); c'est d'ici que tous les peuples

sont sonis.

Q : - D'où venaient ceux qui s'étaient installés à Noise? R : - C'est Da qui a conduit la migration depuis Ayo. Il y avait deux an~tres: l'un fatigué, s'installa à Tado.11 s'est assis, les jambes allongées, et décida de ne plus

continuer la route. Le second aïeul poursuivit sa route plus loin, enjambant son

frère; de là l'expression «il taado», qui donnera Tado. Il a atteint un grand étang

tout près d'ici, où il tua un éléphant. Cet étang ne tarit jamais; là son groupe se

dispersa aux alen tours. L'étang se trouve à Tako. L'ancêtre qui arriva ici s'assit .Jdi» (brusquement, avec force), d'où le nom du quartier: Ekli.

Q : - Quel est le nom de cet ancêtre ?

R : - Je ne sais pas.

Q : - Le nom de l'ancêtre de Tado ? R : - Ceux de Tado doivent le savoir; ces faits, nous ne les avons pas vécus nous-mêmes; on nous les a racontés. Da eut pour fils Ago qui engendra Akoli. Ce dernier fut appelé Agokoli. C'est lui qui fit construire la grande muraille et son fils la petite

muraille ("je ferai comme mon père, même si ce que je fais est moins imponant").

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Q : - Le nom du fils d'Agokoli ? R : - Da eut pour fils Aga qui engendra Alcali (Agokoli). On parle beaucoup

d'Agokoli à cause des difficultés soulevées par la construction de la muraille.

L'enceinte de la ville était remplie de monde. Mais beaucoup sont partis. Ainsi les

gens de Liété (sur la route Védomè) se sont enfuis en escaladant la muraille avec

des échelles de corde (liatl). Ceux d'Anla sont partis en enroulant leurs nattes sous

les bras (me nlon vidé). Ceux de Tsévié ont semé du haricot en cours de route et

se sont installés sur place, attendant que la récolte mOrisse (tsé-vii). D'autres sont

allés s'installer sur la plage pour pêcher. Le long de la plage, il y avait un bois où

poussait en abondance l'arbre à cure dents (aloti). Ils s'installèrent dans ce bois et

l'endroit prit le nom d'Alotimé, nom qui, corrompu, donnera plus tard Lomé. C'est

ainsi que, sans· que les autorités de Notse le sachent, toute la population, déserta

la ville. Mais toute cette population vient de Notse.

Q : - Comment la If'ande muraille a-t-elle été construite ?

R : - Ce sont les Anciens qui peuvent donner ces précisions. Ce que nous

pouvons vous dire nous aura été rapporté par nos grands-pères, car ce.son t nos aïeux

qui ont assisté à l'érection de la muraille. Personne à Notse ne peut affirmer avoir

personnellement assisté à ces événements; sinon elle aura menti. Nous ne pouvons

même pas nous rappeler avec certitude le nom de celui qui a fondé la ville. On dit

souvent qu'Agokoli a été cruel. Cependant, il n'a jamais tué personne. Sa véritable

cruauté réside dans le travail difficile qu'il a obligé les gens à accomplir.

Q : - Que pensez-vous des traditions qui rapportent qu'Agokoli était un tyran

sadique qui faisait assassiner les gens ?

R : - Agokoli ne faisait assassiner personne. Pourtant ses ordres ne souffraient

pas de désobéissance. Ceux qui ne réalisaient donc pas ses désirs étaient en danger.

C'est pour fuir ce danger que les gens ont quitté Notse.

Q : - C'est donc pour n'avoir pas réussi à accomplir les travaux ordonnés par

Agokoli que les différents lignages ont fui Notse ? R : - C'est cela. Sinon, est-il raisonnable qu'un père sain d'esprit assassine ses

propres enfants? La seule cause de l'exode réside dans l'âpreté du travail exigé:

l'érection de la muraille. Agokoli n'a jamais fait de guerre à qui que ce soit. La seule

guerre à laquelle ces populations aient eu à faire face, est celle qui les a chassées

d'Ayo. Je le répète, Agokoli n'a tué personne. Mais toute la population s'est mise

à le haïr à cause de la grande muraille qu'il a fait ériger. Les gens étaient fatigués.

La muraille très haute est devenue une divinité pour toute la ville:

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Traduction :

Awa dé miawoe l'agbogbome

Yovoyé la nyo Gbeto dayibo la de miawoe l'agbogbome

Ke Yovoyé la nyo.

Personne ne peut nous déloger de l'Agbogbo

Si ce n'est le blanc Aucun noir ne peut nous déloger de rAgbogbo

Sinon le blanc.

Seul le Blanc, qui ne subit pas notre influence, peut nous défaire. Par où pouvait­on entrer dans la ville? Les murailles étaient très hautes. Mais les eaux de pluie

et les intempéries les ont détruites.

Q " - Y avait-il un portail?

R : - Oui

Q " - De quel côté se trouvait ce portail? R : - Je ne sais pas. Peut-on construire une enceinte sans portail? Il Y en avait, mais je ne sais dans quelle direction se trouvait ce portail.

Q " - Pourquoi a-t-on nommé la muraille Agbogbo ? R : - C'est une divinité. On lui a donné ce nom comme on en donne à toutes les choses.

Q " - Où s'est installé votre ancêtre ? R: - L'ancêtre qui est venu ici s'est d'abord installé à Tako. Tako est une très vieille

localité. C'est le premier quartier de Notse, c'est là que les gens ont d'abord vécu avant de s'éparpiller pour fonder la ville.

Q " - Ekli n'a pas été fondé avant Tako ? R : - Non

Q " - Et Tégbé ? R : -Tégbéaussi est une très vieille localité. Mais le premier quartier c'est Tako; de Tako, on est parti fonder Tégbé, puis Ekli, puis Adimè, Agbaladome, Alinou.

Q " - Et Dakpodji ? R : - C'est la résidence du roi Da. Les vodu amenés ici, le mâle Agba et la femelle Ekpe, ont été déposés à Dakpodji. Leur culte est spécial. Quand quelqu'un

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Page 131: Traditions Historiques Du Bas Togo

a «souillé la terre», c'est-à-dire assassiné une personne, des cérémonies spéciales

ont lieu auprès de ces divinités. Il faut immoler un bouc à Agba et un poulet blanc

à Ekpe.

Q : - Quels furent les successeurs d'Agokoli ?

R : - Les tout premiers furent Da, Ago, Agokoli. Le droit de régner passe alterna­

tivement dans les quartiers Avizouha, Agbaladome et Ekli. A Aviwuha, il y a eu

oomme roi Kpowenyi. Celui-ci tomba malade, et l~ gens d'Avizouha se désintéressèrent

de lui. Il fut soigné par son neveu -qui était aussi l'un desesasafo[garde] - du quartier Agbaladome. Sur son lit de mort, pour récompenser son neveu, il lui confia les

attributs de la royauté à l'insu de la famille royale d'Avizouha. Ce neveu devint donc

roi à Agbaladome: c'est Agbassodenu. C'est ainsi que la royauté passa à Agbala­

dome. D'Agbaladome, la royauté passa à Ekli, où le premier roi fut.A1oko. Les rois

ne devaient occuper le trÔne que trois ans. Après, ils disparaissaient.

Q : - Comment? R : - Ils mouraient. A la fin, il n'y avait plus de candidats volontaires. Ceux sur

qui tombait ce redoutable honneur prenaient la fuite dès qu'ils en étaient informés.

Tout le monde avait peur. On ne mit fin à ce système qu'avec le couronnement

d'Adjaïto, mon prédécesseur. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle seuls étaient

choisis les vieillards. Ces rois devaient veiller sur la ville sur tous les plans, avec l'aide de certains vodu dont ils avaient la garde. Avant l'intronisation d'un roi, les notables

se rendent à Adéli, qu'on appelle encore Mawupé (le séjour de Dieu), d'où ils ne

reviennent qu'après trois ans d'absence. Ce lieu est très éloigné d'ici, du CÔté

d'Atakpamé.

Q : - Que s'en vont-ils faire à Adéli ? R : - C'est un grand lieu où l'on se rend avant l'intronisation des rois. C'est là

qu'on leur donne leur pouvoir; on leur choisit aussi un nom de règne !~-bas. Tout le monde y va, même les Anlo. Après ces cérémonies, on ne voit plus le roi. Moi,

vous avez la possibilité de m'approcher parce que je n'ai pas encore subi toutes les

cérémonies.

Q : - Ainsi vous n'êtes pas encore tout à fait anyigbanjia ?

R : - Il reste encore certaines cérémonies. Je n'ai pas encore été à Dakpodji.

Et puis il y avait trop de cérémonies. Avec l'arrivée des Européens, on en a supprimé

pas mal. Sinon vous n'auriez jamais pu m'approcher. Après A1oko, son fils Agbo­dovi fut intronisé. La royauté est repartie pour d'autres quartiers, puis est revenue

chez nous trois ans après. On a alors choisi Adjaïto, le père de Tchao, l'actuel chef du quartier Ekli. Comme il y avait très peu de candidats, on n'avertissait plus ceux

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Page 132: Traditions Historiques Du Bas Togo

sur qui tombait le choix des Anciens. On les prenait par surprise et on leur imposait les cérémonies. Le choix s'était d'abord fixé sur le grand frère d'Adjalto ; mais il ya eu indiscrétion et il a pu s'enfuir. Les vieux se sont donc rabattus sur son frère.

L'élu ainsi choisi était guetté et, de bon matin, on le saisissait et on le marquait d'un signe avec le yi, qui en faisait automatiquement le souverain. L'élu ne pouvait plus refuser, sinon il mourait.

Q : - De quoi le yi est-ü fait ? R : - On ne peut pas vous le dire. [L'informateur nous en a fait voir. n s'agit

d'une substance crayeuse, de couleur blanchâtre; d'où son nom : yi, qui signifie blanc en ewe]. Avec AdjaIto, les Amega ont décidé de mettre fin à la règle des trois ans. A Adéli, on a choisi deux noms pour Adjalto; d'abord Ehouenkomabou et le

second AdjaIto. Les gens de Notse ont préféré le second nom. On lui fit subir des

cérémonies spéciales pour mettre fin à cette règle des trois ans. Il put ainsi régner jusqu'à sa mort naturelle.

Q : - Adjafto a-t-ü été intronisé avant l'arrivée des Allemands ? R : - Oh oui; bien longtemps avant leur arrivée. c'est d'aiHeurs lui qui fit venir

les Allemands à Notse.

Q : - POUT quelles raisons ? R : - Un de ses enfants appelé Akpa Ge l'ai connu) fut retenu prisonnier. Il fit

alors appel aux Allemands pour le libérer.

Q : - Quels étaient les ravisseurs de cet enfant ? R : - Je ne sais pas. A l'arrivée des Allemands, Adjalto leur concéda un terrain auprès de lui, mais ils déclarèrent qu'ils préféraient s'installer à l'écart. Le roi leur

accorda un terrain à Sudzapémé, à l'emplacement de la mission catholique. Ils parvinrent rapidement à libérer Akpa. Sudzapémé était la grande place publique de Notse. Le grand baobab y est depuis très longtemps. Les grands procès criminels

y avaient lieu. Les Allemands installés à Sudzapémé ont ensuite construit le

dispensaire, puis l'un d'entre eux appelé Zimila fit construire la résidence sur la

colline [l'actuelle résidence du préfet]. A la déclaration de la guerre(1914], il décida

de rester à Notse. J'étais à Notse. La bataille a d'abord eu lieu à Agbelouvé. Les Anglais et les Français ont dévissé les rails et le train qui emmenait les Allemands a déraillé juste au croisement de la route et des rails. C'était horrible. Il y avait eu

beaucoup de morts. Après avoir dévissé les rails, les Anglais et les Français étaient partis se cacher dans la brousse, attendant le train. Tout juste après le déraillement, ils se sont mis à tirer. Le crépitement des balles était si intense qu'on croirait qu'on

était en train de faire rOtir du maIs sur un feu de bois. Il y a eu beaucoup de morts.

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Page 133: Traditions Historiques Du Bas Togo

ZimiJIJ Y fut blessé lia jambe, et est revenu à Notse. Ensuite la guerre est partie llU (Wabala). Là aussi il ya eu beaucoup de morts. Les Allemands se sont beaucoup défendus. Ils ont été battus, mais il est certain qu'ils se vengeront. Ils sont tr~ forta, les Allemands. L'enfant qui, après avoir été élevé par les Allemands, n'a pas su devenir alerte et intelligent, ne saura jamais plus se débrouiller dans la vie. Les AlIemaDds se servaient beaucoup du bâton pour corriger les délinquants. Ils étaient aussi très résistants. Ils pouvaient coucher dans la brousse sans aucun mal.

Q : - Retoumons dans le passl Que se passa-t-il avec l'aniv~e du.AJknuwls ? R : - J~ l'ai déjà dit. Ils se sont installés à Sudzapémé, puis à Gbedekondji (là oà se trouve l'hôpital. Celui qui s'était installé le premier était (vrgeron, d'oà le nom [quartier du ou des forgerons]), et ensuite ils ont construit la résidence sur la colline. Mais, lieur arrivée, ils ont d'abord débarqué à Togo [Togoville).

Q : - Qui ~tait le roi sous les AUemands ? R : - Les Allemands ont aussi choisi leur roi. C'est Komedja.

Q :-Pourquoi? R : - Parce qu'Adjalto était le roi des gens de Notse. Il ne sortait pas. Alors les Allemands ont aussi choisi un roi qu'ils pouvaient voir quand besoin était. Le véritable roi, c'est le homefia qui ne sort pas. Le yovofia (roi des Blancs) peut sortir, car il a été choisi par les Blancs.

Q : - Pourquoi .~ yovofia est-il devenu plus puissant, plus connu que le homefia? R : - Les B' •. ·,cs qui sont venus de l'autre cOté de la mer sont puissants. Je ne puis rien vous cacher. Le yovo fi a est rémunéré tous les mois. Il a beaucoup d'argent, il peut faire ce qu'il veut. Mais le mawufia n'a pas ces avantages, clottré qu'il est dans ses appartements. Regardez le dénuement dans lequel je suis et comparez mon état l celui du yovofia. Je n'en dirai pas plus.

Q : - Ceci est paradoml, puisque de votre propre aveu le mawufia réunit en sa personne une grande puissance Isotérique qui lui permet de contr6ler les forces de l'univers pour les utiliser au mieux des intlr21S de la population. Comment, dans ces conditions, expliquer ce désintlr2t des autorit~s politiques et de la population ? R : - La population ne se souvient de mon existence que quand un malheur s'abat sur la ville. Sans raide de mon oncle que voici [il s'agit du chef du quartier Tako, Amega Kofitsè), je serais mort de faim depuis bien longtemps. C'est égale­ment grAce à sOn aide que j'ai pu restaurer cette case qui tombait en ruines. Oà sont ceux qui m'ont intronisé? Ils m'ont abandonné; ils ne me fournissent pas de quoi manger, ils ne songent même pas à moi. Ce sont eux les yovofia qui s'occupent de

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la justice et reçoivent les dons et amendes des plaignants en plus de leurs salaires mensuels. Et moi, je n'ai rien. C'est la raison pour laquelle je disais tout à l'heure que «l'éponge du Blanc rend propre, pas celui du NoÎr».

Q : - Les rois d'Agbaladome R : - Egu, Agbassodenu, Ehon.

Q : - Et à Avizouha ? R : - Je n'ai entendu parler que de Kpowenyi.

Q : - Dans quel quartier résida Agokoli ?

R : - Personne ne sait au juste dans quel endroit il a résidé dans la ville. Cependant Dan, Ago et Alcoli avaient résidé à Dakpodji.

Q : - Qui était le père d'Agokoli ?

R : - Dan engendra Ago qui à son tour engendra Alcoli. C'est sous ces rois que les murailles furent érigées. Si quelqu'un vous dit qu'il y avait un autrequan ieravant Tako, c'est donc que celui-là aura oublié la tradition. C'est la raison pour laquelle les vodu ayant présidé à la fondation de Notse, Ekpoe (Ekpo) et Agba, sont à Tako. Et les meunriers doivent faire accomplir des cérémonies spéciales auprès d'eux. Ce sont des gens de Tako qui s'occupent d'eux. C'est eux qui fournissent les vases qui

servent à l'accomplissement de ces cérémonies.

Q : - Quel est le nom du fils d'Agokoli qui fit ériger la petite muraille ? R : - [il n'a pas pu répondre à cette question]. C'est à cause d'Agokoli que la ville éclata, à cause des choses impossibles qu'il demanda à la population d'accom­plir.

Q : - Quelles furent ces choses impossibles ? R : - J'hésite à vous renseigner, car ce sont là des secrets de la ville. Je vais cependant vous en dire quelque chose. Agokoli exigea des hommes et des femmes qu'ils aillent puiser l'eau dans leur sexe (en s'en servant comme d'un récipient) pour faire pétrir la terre de barre. Il fit mettre des tessons de bouteille dans l'argile devant ~tre pétrie. Cette argile devait servir à tresser des cordes pour attacher des clOtures. Il y avait alors dans la ville une très vieille femme que ses parents avaient cachée. Elle fit venir l'un des conseillers d'Agokoli et lui dit qu'elle va le charger d'une com­

mission pour Agokoli. Elle lui défendit cependant de la nommer au roi car ce dernier risquerait de la faire mettre à mOJt. Elle lui chanta alors en ces termes :

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Traduction

Eka mxoanu, wo gbi ka yeya do Gbe aja do, ajanu dogbe wo Gbe aja dolo 0, aja do Aja nu maxenu, ajanu do gbe vo Eka, xoxonu, wo gbi Kayeye a do Gbe aja do, aja nu dogbe voe Gbe aja dolo, gbe ajado Aja nu tso maxe ajanu do gbe vo

C'est sur l'ancienne corde qu'on retord la nouvelle Aja a dit, le fils d'Aja a parlé Aja a parlé Le fils d'Aja, de Maxe, le fils d'Aja a fini de parler

Elle lui dit d'aller demander au roi de leur montrer un exemplaire d'une

ancienne a>rde d'argile afin que les travailleurs puissent s'en servir ~mme modèle.

L'envoyé se rendit chez le roi et lui chanta la chanson. Le roi s'énerva et lui

demanda où il avait entendu pareille chanson. Il lui répondit que ce sont les gens de la ville qui en ont eu l'idée. Peut-on tresser une corde avec de l'argile? Que le roi veuille bien leur confier un exemplaire d'une telle corde afin qu'ils puissent s'en

inspirer. Le roi ne sut quoi répondre et perdit la face devant ses sujets. Un roi peut­

il être humilié par ses sujets? Jamais. Les habitants de la ville surent alors que le

roi se vengerait de cette humiliation ; pour échapper à ces représailles, ils

décidèrent de quitter la ville. C'est là l'origine de la tyrannie présumée d'Agokoli.

Q : - Pourquoi avait-on caché la vieüle femme ?

R : - C'est parce que le roi ne voulait plus qu'il y ait dans la ville des personnes âgées qui puissent conseiller les jeunes. Alors il les a fait mettre à mort, pour que les jeunes gens puissent mieux exécuter ses quatre volontés.

Q : - On dit cependant chez nous qu '«une seule personne ne peut pas être roi: amedaka mu du na fia 0» : il lui faut un conseil pour lui donner des avis. Comment expliquer le fait qu'Agokoli ait fait assassiner tous les vieux ? Que lui restait-il alors comme conseülers ? R : - Il avait ses propres partisanS, les jeunes, qui effectuaient tout ce qu'il

commandait. Les autres, fatigués de cette tyrannie, sont partis petit à petit à l'insu

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du roi. Lorsqu'il fut mis au courant de cette fuite, il ne restait plus grand monde

dans l'enceinte. Ceux qui sont partis au Ghana, à Ho, Kpando, Elavagnon, Keta se

sont installés sur une terre d'abondance. Ils sont riches. Tous leurs rois ont été en

Europe. Ils sont venus ici à Notse lors des fêtes d'Agbogbo. Ils nous ont invités à

venir aussi leur rendre visite; mais on n'a pas pu répondre favorablement à leur

invitation.

Q : -Est-ce qu 'Agokoli a fait assassiner les vieillards avant de faire construire les

fortifications ? R d'Amega Kofitsè : - Les fortifications ont été construites bien avant le règne

d'Agokoli par ses prédécesseurs. La petite muraille servait à entourer l'enceinte du

plais royal

R du roi: - maintenant tout le monde m'a abandonné. Je ne peux pas sortir, je ne

peux pas aller aux champs. Sans l'aide de quelques personnes, comme mon oncle

ici présent et comme Yaovi Assila [un ancien haut cadre de l'armée togolaise], je

serais mort de faim; même mes femmes m'ont abandonné.

Q : - Pourquoi ne pouvez-vous pas aller aux champs? R : - Je ne dois plus sortir. Par ailleurs, je ne dois pas trancher un lombric avec

une houe ou un coupe-coupe sous peine de graves dangers pour la ville: il y aura

grande sécheresse et il faudrait faire des cérémonies spéciales pour y mettre un

terme.

Q : - Quand avez-vous été intronisé? R : - Il Y a longtemps. Quelque temps après l'Indépendance [27 avril 1960].

Q : - Quel a été votre prédécesseur ? R : - C'est Houeyiho, encore appelé Adjaïto, qui était là quand les Allemands

sont venus. Le trÔne resta inoccupé de très longues années avant que je ne sois

choisi.

Q : - En principe, puisque le roi ne devait pas sortir, comment vivait-il ? R : - C'est à la population toute entière que revenait le soin de s'occuper de

lui, en lui faisant des dons. Toutes les premières récoltes devaient d'abord être

offertes au roi avant la consommation publique.

Q : - Est-ce que les différents quartiers étaient spécialisés dans les dons à faire au roi? R : -Sabakome fournissait les épouses du roi. Les autres q uaniers fournissaient

tout indistinctement au roi. Mais maintenant personne ne me donne rien. Personne

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ne vient me voir, je me demande ce que je leur ai fait. C'est grâce au commandant [le préfet] que j'ai pu restaurer ma grande case. Aja Kanumabu, le roi de terre de Tado, est très bien traité par les siens, qui lui fournissent tout ce dont il a besoin. Ici personne ne s'occupe de moi et on s'étonne que rien n'aille dans la ville. Ce sont les habitants de Notse qui sont à la base de ces malheurs puisque, après m'avoir mis ici, ils m'ont oublié.

Q : - Comment sont choisis et intronisés les rois ? R d' Amega Kofitsè : - Le roi ne peut pas vous le dire. Ce sont là des coutumes sacrées. Je vous dirai, lorsque vous viendrez chez moi, comment on procède à l'élection du roi.

Q : - Quel est votre nom ? R : - Mon nom est Kofitsè Dayo. Le roi ici présent est le fils de ma tante.

Q : - Quel est votre age ?

R : - Je suis né pendant la période allemande, avant la première guerre mondiale. Je suis le chef du quartier Tako.

Q : - Les quartiers de la ville R : - Ekli (où réside l'anyigbafÜl). Tako, Agbaladome, Adimè, Tegbe,

Avizouha (Alinu). - Adimè a deux sous-quartiers : Wobedome et Adimè-Awagan. - Ekli a trois sous-quartiers: Fiapemé (résidence du roi de terre),

Adjagbakome (résidence du chef de quartier) et Adjékomé. - Agbaladome a deux sous-quaniers : Kpodji (la mission catholique) et Agodome.

- Avizouha est subdivisé en trois sous-quartiers : Adjigo, Attitedomé et Sabakome.

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HISTOIRE ET CMLISATION DES EWE, VERSION D'EKLI

Informateurs : - Tchao Adjaïto, chef du quartier, 77 ans;

- Akakpovi Koglo, 103 ans, notable; détenteur du pouvoir de faire tomber la pluie;

- Afagbedji Koglo, vieillard centenaire, notable;

ancien cathéchiste de l'Eglise évangélique du Togo;

- Kossi Adjaïto : 70 ans, notable, paysan.

Groupe de chercheurs: Mesdames Natadjou, Essilivi;

Messieurs Akakpo, Vail, M'gbang,

Motcho

Date Lieu N.B.

8 et 9 janvier 1981

Quartier Ekli, Notse

Principal informateur: Tchao Adjaïto.

Q : - Avez-vous été témoin de la première gue"e mondiale?

R : - J'ai moi-même fui la guerre avec ma mère, l'ayant aidée à transporter nos

bagages.

Q : - Quel est le nom de votre quartier ? R : - Le nom de mon quartier, c'est Ekli

Q : - Existe-t-il à côté d'Ekli d'autres quartiers?

R : - Oui, il ya Alati, Agbebongbé (fermes)

N.B. - Concernant la dernière question, le vieux a dO comprendre qu'on parlait

de fermes avoisinantes, alors qu'on était en train de lui demander les différents

quartiers au sein de Notse. Reposant la question, il nous dit:

Il Y a : Adjikomé, Fiapé, Adjagbakomé. Les trois quartiers forment Ekli ; le chef réside actuellement dans Adjagbakomé.

Q : - Quelle est la signification d'Adjagbakomé ?

R : - J'ai dit à vos camarades qui étaient là la dernière fois, qu'avant de parler

des ancêtres, il faut faire certaines cérémonies rituelles aux mânes des ancêtres car

on ne parle pas des choses anciennes et des ancêtres de façon inopinée; les ancêtres

peuvent se révolter contre nous. Donc il faut de la boisson,pour faire des libations avant de commencer. La boisson recommandée par le chef est le gin.

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Le chef actuel est Tchao Adjaito. Il succéda à son père AdjaIto. Il soutient

que son père a été le premier chef de Notse. C'est lui qui aurait accueilli les premiers

Européens qui ont foulé le sol de Notse [Les Allemands, ensuite les Français].

Q : Comment se fait-il que vous ne détenez plus le pouvoir suprême à Notse ? R : Ceux qui ont aujourd'hui les rênes du pouvoir en avaient aussi en principe

le droit. Mais après tout, ils sont des rois institués par les Européens et ne détiennent

en fait que le pouvoir politique. Il convient de noter que la terre de Notse est avant

tout la propriété des rois d'EkH. Les rois de terre et les chefs politiques sont issus

de la même famille. Aujourd'hui, à Avizouha se trouve le chef politique et à Ad­

jagbakomé, on a le chef rituel (religieux). Il n'y a aucune dissension entre ces deux

quartiers. Le chef d'Ekli est aidé dans sa tâche par des notables. [Nous avons pu

en trouver trois auprès de lui].

R d'Afangbedji Koglo : - la succession royale est sélective. Les gens de Notse

sont appelés Eweao (c'est-à-dire les Ewe] Ekli était le nom donné au village

d'origine.

Q : - Comment se fait-il que Notse soit devenu le nom de la ville ? (Pour répondre à cette question il a fallu que le vieux Koglo remonte un peu loin

dans les explications].

- Voici ce qu 'il dit.

R : - Le roi fondateur d'Ekli se nomme ,Eda. Il avait trois garçons. L'ainé

s'appelait Adjatsé, le second est Dafoli et le troisième Dakoli. Il demeurait à Tado.

Ayant w que Tado ne lui plaisait plus, il émit l'idée de quitter ce village. Il le dit

à ses enfants. Adjatsé refusa de partir. Foli a voulu rester avec son frère Adjatsé;

seul Dakoli a voulu suivre son père. Même Lolowou a refusé de suivre son époux,

préférant rester avec son fils ainé Adjatsé. Le père de Da dit aussi qu'il va rester

avec son petit-fils Adjatsé. Le père de Da est Evegna. Da porté dans un hamac partit

avec son troisième fils, ses cousins et d'autres compagnons. Ils marchèrent long­

temps. Se sentant fatigué, il demanda à descendre du hamac et dit à Dakoli de lui apponer sa caisse, dans laquelle se trouvait un tabouret. Ce n'était pas un tabouret

fabriqué par les hommes. Il était né avec. Et ce tabouret existe encore de nos jours.

Je l'ai avec moi dans ma chambre, mais je ne peux pas vous le présenter. Ainsi Dakoli

fit sortir le tabouret; son père s'asseya là-dessus et dit que, là où il est arrivé, il s'est

assis pour de bon, il ne se relevera plus pour aller ailleurs. C'est ce qui explique

l'appellation d'Ekli donnée au village d'origine.

Q : - Avant de s'installer à Tado, d'où viennent-ils ? R : - Ils viennent d'Ayo (old Oyo], en pays nago.

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Page 140: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : • Retournez-vous encore à Ayo ou à Tado pour des cérémonies ? R :. Non

Q : • D'où vient l'appellation de NOISe? R : • Réponse du vieux Kossi Adjaïto (70 ans). Da a dit qu~ils~est assis. Et à ses compagnons, il recommanda l'extension de son peuple; cela veut dire: installez·

vous et répandez·vous ; d'où l'appellation de NoISe. Ainsi EkU. et Notse veulent

désigner la volonté qui animait Da. Agbogbo, c'est le mur. Pourquoi·cette construc­

tion de mur? C'est pour protéger la cité contre les invasions des peuples voisins.

Q : - Comment fut construite la muraille ? R : - Eda immola 60 moutons et 60 chèvres qu'on enterra dans: un fossé avant

de commencer la construction de la muraille. A la fin des travaux, il fit une fête à la population avec 60 boeufs, 60 moutons et 60 chèvres. La cérémonie a eu lieu un

jeudi. C'est la raison pour laquelle tous les jeudis sont des jours.fériâ. C'est donc

le jour où l'on vénère Agbogbo. Il convient de noter qu'il existe deuxagbogbo : l'un

érigé par Da ; c'est le grand agbogbo, l'autre réalisé par Agokoli, qui est le petit

agbogbo. Ce petit Agbogbo, construit au sein du grand agbogbo, ceinture l'enceinte

du palais royal où n'était admise que la famille royale.

Q : - Sortait-on de la grande muraille pour aller cultiver les champ~ ?

R : - La plupan avaient leurs champs à l'extérieur de la muraille. Mais d'autres

possédaient aussi des champs à l'intérieur de la muraille.

Q : - Pourquoi donc l'exode ?

Nous avons eu deux versions:

R de Tchao Adjaïto : - Au cours des funérailles, il se produisit une bagarre

au cours de laquelle le fils d'Agokoli blessa quelqu'un. Au fond, ce n'était pas une

grave blessure. On signala l'incident au roi Agokoli qui, le lendemain, envoya une

délégation pour rendre visite au blessé. Mais on n'accepta pas que les envoyés

d'Agokoli voient le blessé. Le troisième jour, ils retournèrent une fois encore, mais le même scénario se reproduisit. Quelques jours après, on apprit la mort de quelqu'un dans le quartier. Ce n'était pas le blessé du fils d'Agokoli. Mais on insinua qu'il était la personne blessée par le fils d'Agokoli, et l'on exigea que la loi du talion

rot appliquée. Au moment des funérailles, le roi envoya des émissaires. Après avoir bu, l'un des vieux du quartier se vanta imprudemment de réparation pour un crime

imaginaire. En effet, il expliqua qu'ils avaient dupé le roi en se faisant rembourser pour un crime qui n'avait pas été commis. Il répéta les mêmes phrases une seconde

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Page 141: Traditions Historiques Du Bas Togo

fois. Ces paroles furent rapportées au roi par ses émissaires. Le roi s'emporta contre ces agissements et promit de se venger. Pour fuir cette vengeance qui risquait d'être terrible, toute la population décida de s'en aller. On fit un trou dans la muraille, en ramollissant le mur avec les eaux que l'on jetait contre elle. Le départ se fit dans

différentes directions. Certains sont partis en franchissant la muraille avec des échelles (00 en ewe). C'est pourquoi on les appelle actuellement les Uaté. C'est

en craignant qu'Agokoli ne leur déclarât la guerre que les Ewe ont quitté la ville. C'est ainsi que les choses se sont passées.

R dl Afagbedji Koglo. (le ''vieux'', après avoir beaucoup hésité, se décida l nous livrer ses connaissances) : - Da, après s'être installé l Ekli, permit l son neveu d'aller s'établir ailleurs. Ce dernier élut domicile l Tako. Da lui-même se déplaça par

la suite pour se fixer sur la colline, avec les siens. Il décida qu'l sa mort il soit enterré sur la colline et qu'il en soit ainsi pour tous les rois qui suivront Ils doivent être intronisés en ce lieu. Cet endroit est Dakpodji. C'est là qu'on intronise et qu'on enterre les rois. En vérité, il y a deux façons d'introniser les rois :

• Actuellement les chefs intronisés dans le quartier sont appelésjüJdo. Ceux­Il sont visibles par toule la population.

• Ceux qui sont intronisés l Dakpodji ne sont pas visibles. Ils ne rendent pas la justice. Ce rôle est tenu par l'agbonougla [principal notable].

Donc les trois quartiers de la ville sont Ekli, Tako (au milieu) et Dakpodji ll'est A la mort de Da, son fils Koli fut intronisé l Dakpodji. Koli exigea que les fils de son oncle aient aussi le droit de régner. Il y aura donc des rois alternative­ment l Ekli et Dakpodji. Agokoli fut le premier qui régna l Avizouha. A la mort

de Da Koli, Agokoli devint roi. Agokoli ne gouverna pas le pays de la même façon que son père. Il décida d'entourer la ville d'une muraille. Les gbadossa (les non nobles) sont ceux qui vivent dans l'espace laissé entre la grande et la petite muraille.

Au cours de la construction de la muraille, le roi Agokoli fit mettre dans l'argile des tessons de bouteilles, qui blessèrent les travailleurs, et demanda aux femmes d'aller chercher de l'eau pour pétrir l'argile. Cette eau devait être transportée non dans des calebasses mais dans leur sexe. Comment faire? Il leur fut impossible de réaliser ce désir du roi.

Il leur demanda ensuite de tresser des cordes en argile. Les gens s'avouèrent incapables de faire ce travail. Le roi leur fit savoir qu'ils seraient en danger s'ils désobéissaient l son ordre. Il y avait dans la ville un vieillard très âgé qui vivait déjl

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au temps du roi Da. Une délégation alla le trouver pour lui demander Conseil; le ''vieux'' leur conseilla d'aller demander au roi une audience pour lê sixième jour.

Le roi accorda l'audience. Toute la ville fut ponctuelle au rendez-vous. Le ''vieux'' prit la parole et s'adressa au roi en lui disant qu'il souhaitait ptêsenter une requête au nom de la population. Cette requête est une chanson qu'il fredonna en ces termes:

Gbé Aja do 100 Gbé Aja do 100 Ajanou mahenou Ajanou dogbevo Kahohonou miagbi Kayeye a do Ajanou mahenou Aja dogbevo

Ce que Aja a dit Le fils d'Aja, le fils de Maxe

C'est sur l'ancienne corde que l'on retord la nouvelle. Le fils d'Aja, le fils de Maxe a parlé.

Le ''vieux'' exprima plus clairement sa pensée en poursuivant en ces termes

: «Nous sommes d'accord pour tresser la corde avec de l'argile, mais nous prions le roi de nous montrer un exemplaire d'une ancienne corde en argile pour que nous nous en servions comme modèle» A cette requête, le roi baissa la tête, de l'aurore (la rencontreaeulieuàl'aurore)jusqu'àmidi.Fina~ement,Agokolileurfit savoir qu'ils pouvaient repanir en les convoquant pour le seizième jour. Il n'était plus question de tresser la corde en argile. Le troisième jour après leur dépan, le roi convoqua

tous les princes. Il leur fit savoir que la honte que le vieillard lui a infligée en public l'ayant déshonoré au yeux de la population; il avait l'intention de mettre à mon le seizième jour tous les vieillards de la ville. Ainsi, les jeunes gens inexpérimentés

ne pourraient s'opposer à ses ordres. Mais ces princes avaient des liens familiaux dans tous les quaniers. L'un des princes alla avertir les siens de l'intention du roi. Il n'y avait qu'un seul portail à la muraille. Il se trouvait du cOté de la route de Tado.

Il était surveillé jour et nuit par la milice qui contrôlait les entrées et les sonies de la ville. Seul, l'agbonougla pouvait autoriser les étrangers à entrer dans la ville. La

population décida de s'enfuir. On se mit à ramollir le mur avec de l'eau et à fabriquer des échelles. Six jours avant la date prévue pour la rencontre, certains s'en allèrent en escaladant le mur avec des échelles, d'autres firent des brèches par lesquelles ils s'enfuirent. La ville était tellement grande que personne n'était au courant de cette fuite, si bien que, le seizième jour, il ne restait que les princes dans la ville. C'est ainsi que les Ewe abandonnèrent Notse.

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Q : .. Peut-on savoir le nom du vieillllrd qui chanta devant le roi ?

[Après avoir longtemps hésité et refusé, il le donna) :

R : - Le vieux s'appelait Agbelemawussi.

Q : - Il'ltIJit de quel quartier ? R : - C'était un asafo [soldat], chez qui l'on se réunissait pour les affaires im-

portantes concernant la ville.

Q : - Comment fut crél AdjagbaJcomi ?

R : - Nous savons que le roi Edan n'a pas voulu rester à Tado. Ainsi il quitta

Tado et, après un long moment de route, il manifesta à sa suite qu'il était arrivé

au terme de son voyage, par une formule consacrée: «Ekli : là où je suis arrivé, j y resterai pour de bon». Il s'installa donc à cet endroit, qui prit désormais le nom

d'Ekli. Les notables aussi partiront créer des quartiers. Adjagbakomé est donc l'un

des quartiers d'Ekli. C'est dans ce quartier qu'on trouvait le djonou ou adja. Même

en temps de pénurie de cette substance, si vous vous rendez dans ce quartier vous

en trouverez. D'où l'origine de son nom: Adjagbakomé, c'est-à-dire, le quartier où

l'on trouve adjagba ou djonou [substance rougeâtre dont on s'enduit le corps).

Q : - Comment procédez-vous pour faire tomber la pluie ? R : - Depuis les temps anciens, nos ~~tres invoquaient Dieu en lui faisant des

cérémonies de libation. Ce sont les libations faites par les ancêtres aux dieux qui

faisaient venir la pluie, par l'intermédiaire des vodu appelés agba, auxquels on

offre en sacrifice des poules au plumage noir, blanc ou autre, voire des béliers.

Q : -Avez-vous le pouvoir de faire tomber la pluie à volonté comme le faisaient vos ancltres ? R : - Oui; sinon nous n'aurions pas de' pluie. Les habitants du village qui amenaient les animaux entraient dans les cérémonies de libation. Aujourd'hui, ils

ont tendance à refuser, si bien que c'est nous-mêmes qui organisons les cérémonies

à nos propres frais.

Q : - Est-ce réellement des tessons de bouteille qu'AgokoU avait mélangés à l'argile? R : - En son temps, il n'y avait pas de bouteille. Ce sont de petits clous fabriqués par des forgerons, qu'il avait mélangés à l'argile, qui blessaient les habitants du village.

Q : - De quel ctlté a été percé le mur ? R : - Du cOté de l'horizon [Wedoto], du cOté ouest de la muraille.

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Q : - Y avait-il des moments de rijouissances au COUTS de l'année ? R : - Oui, ces réjouissances avaient le plus souvent lieu après les récoltes, donc pendant la saison sèche.

Croyances et mythes

Inrormatf:urs : - Tchao AdjaYto, chef du quanier Ekli,

- Afagbedji Koglo, notable.

Chercheurs Ueu Date

Bidjali, Ayéna Quartier Ekli.

9 janvier 1981

Q : - Quels sont les dieux vénérés à NOISe ?

R : - Il Y a Eda, Agboe, Agbogbo.

Q : - Quel est le ",Ie de ces dieux ?

R : - Ils ont des rôles différents et agissent selon ce qu'on leur demande.

Q : - Quelles sont les fêtes rituelles à NoISe ? R : - La plus importante est celle d'Agbogbo.

Q : - Quand a lieu cette fête? R : - Elle se déroule chaque année au mois de septembre.

Q : - Pourquoi le mois de septembre ?

R : - Cela a été toujours ainsi.

Q : - A quel moment précis du mois de septembre ?

R : - Pas de date précise.

Q : - Quels en sont les préparatifs ? R : -A l'occasion de la fête, tous les Ewe reviennent à Notse. Il y a des cotisations pour organiser les festivités.

A la veille de la fête, les femmes et les hommes "se font alaga" lie corps couven d'une substance blanche et ceint de rameaux de palmier]. Les alaga arrivent sur les lieux de cérémonies entre 7 et 8 heures. Ils peuvent se promener en ville,

munis de leurs armes; ils peuvent tuer n'impone quelle bête sur leur passage. C'est

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Page 145: Traditions Historiques Du Bas Togo

pourquoi les villageois sont tenus de garder leurs ~tes dans les enclos pendant ces moments, faute de quoi, aucune réclamation ne sera admise. Sur le lieu d'Agbogbo se déroulent les vraies cérémonies, à savoir Djawuwu [ l'offrande de la nouvelle

igname aux manes des Ancêtres~

Q : - Quels sont les diffbents quartiers de Notse ? R : - Ekli, dont le chef est Tchao AdjaIto, Kpedome, Zongo, Tégbé, Mimé, Woto.

Q : - Qui est le chef supérieur ? R : - Afatchao Kéké. Il réside à Alinou.I1 a succédé à son père Kéké.

Q : - Quel sont les sous-chefs du chef supérieur ? R : - Damoin Koudifo, Komlanvi Adjiho, Adjalto Tchao, Akakpo Bada.

Q : - Comment se fail la succession ? R : - A la mort du chef, un conseil de vieux se réunit pour choisir un nouveau chef.

Q : - Le fils du chef défunt ne peut-il pas succéder à son père ? R : - Dans le temps, la succession au trÔne était rotative. Toutefois, les chefs étaient toujours choisis à Ekli, d'où son nom Fiapé. Au cas où Ekli ne trouvait pas de candidat acceptable en son sein, on s'adressait à Avizouha.

Q : - Cérémonies d'intronisation R : - Il Y a une petite cérémonie d'intronisation au cours de laquelle la protection des manes était sollicitée.

Q : - Où se déroulent les cérémonies ? R : - Dans la maison du chef ou dans celle de son père. Au cas où c'est un chef

politique, la cérémonie se déroule dans la maison de son père. Un élu à Dakpodji, dans le temps, n'avait pas le droit de se faire voir. Sinon, il devait payer une rançon à celui qui l'a vu.

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Régime foncier

Q : - A qui appartient la tme ? R : - Aux premiers arrivants, fondateurs du village.

Q : - L'appropriation des terres était-elle hémlitaire ? R : - Chaque famille distribue des terres à ses fils.

Saisons de cultures

Elles varient suivant les pluies. Outils : houe, hâche, coupe-coupe, faucille.

Système de coopération

Le système de coopération se fait au niveau de petits groupes. On peut noter l'existence du métayage dans la région. On utilise à ce propos souvent différents groupes ethniques: Kabyè, Losso, Kotokoli.

Marché

Le marché de Notse a lieu à Houto [la gare] tous Oies samedis et tous les mercredis. Il n'a pas de nom particulier. Les produits vendus proviennent de tous les coins environnants : Kpové, Aurama, Tchagba, etc.

Economie

Q : - Quelles sont les cultures de la rIgion ? R : - Mais, igname, haricot, manioc, riz, mil, coton avec la colonisation.

Q : - Quelles sont les autres activités ? R : - Il yale tissage; il existe aussi la poterie, mais c'est le quartier de Tégbé qui est réputé dans la fabrication des pots.

Q : - Depuis quand a-t-on commencé l'an du tissage ? R : - C'est depuis les ancêtres.

Q : - Qu'ulÜisez-vous pour faire les tissus ? R : - Autrefois on utilisait un arbre dénomméloko [l'irotoJ. On recueillait les écorces qu'on travaillait à coups de bâtons jusqu'à les rendre lisses. Dês lors on les

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s&:hait et on les utilisait oomme pagne appelé etsl; c'est donc l'etsl qu'utilisaient les ancetres avant l'introduction du ooton.

Relltdoq

Q : - Qruls sont lu dieux adorû dans l'ancÏDI temps ? R : - Agboé, Sakpata, Eda, Hebiesso, Lelba.

Q : - Exim-t-il du jours tûl'te rbervû ma dieux ? R : -n n'y a pas de jour de fête très fixe. Mais une divinité peut réclamer à tout moment des cérémonies de libations qu'on exécute. Mais il faut noter qu'après la oonstruction de la muraille Agbogbo, les jeudis sont réservés aux cérémonies religieuses.

Q : - Quels sont lu ",lu t!XIJCts da cinq dieux prlcitû ? R : -Tous veillent sur nous. Mais il eJdste le dieu de la pluie. Son nom est Agba.

Q : - Monsieur KogIo, pouvez-vous nous parler da moyens susceptiblu de fain lapluie ? R : - n y a des secrets traditionnels que nous n'avons pas le droit de livrer.

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HISTOIRE ET CMLISATION DES EWE, VERSION DE TAKO

Informateur :

Groupe de chercheurs :

Ueu

Date

Kofitse Dayo, chef du quartier Tako

Aduayom, Gayibor, Totah

Quartier Tako, Notse

10 janvier 1981

Q : - Vos nom et qualité

R : - Kofitsè Dayo ; mon père s'appelait Dayo

Q : - Votre âge ? R : - Je suis né environ un an avant la première guerre mondiale.

Q : - Quelles sont vos occupations ? R : - Chef du quartier Tako, et en même temps paysan; je possède une ferme à Hahomegbé, sur la route de Kpalimé.

Q : - Parlez-nous de l'histoire de Notse.

R : - De Kétou nos ancêtres se sont arrêtés à Adjatsè Tado. L'ancêtre des gens

de Tako était chasseur. Il blessa à l'aide d'une flèche un éléphant qui vint mourir au bord d'un étang ici. Il retourna alors à Tado appeler les siens. Ils vinrent dépecer l'animal et festoyèrent avec joie. L'ancêtre chasseur s'adressa aussi au chef qui con­

duisait leur groupe, lui suggérant de venir s'installer à l'endroit où l'éléphant a été tué. Il accepta. Le chasseur s'appelait Agoli. Il était le neveu du roi Dan.

Q : - Depuis quand et où Dan était-il roi?

R : - Il était roi depuis Kétou. C'est lui qui a conduit la migration de Kétou.à

Adjatsè (Tado] et d'Adjatsè à Notse. Le fils ainé de Dan demeura à Adjatsè, alors

que tout le groupe poursuivit la route jusqu'à Tako.

Q : - La région était-elle occupée avant leur arrivée ? R : - Non. En fait tous les quartiers ont été fondés en même temps. Les gens de Tako se sont dispersés pour créer les autres quartiers. Le roi Dan régna d'abord à Ekli. Il s'installa ensuite à Dakpodji, où il fit construire une enceinte entourée

d'une clôture et dans laquelle ils se réunissaient lui et son neveu (le chasseur de Tako). Ensemble, ils prirent d'importantes décisions concernant la nouvelle communauté. C'est Dan qui a fait construire la grande muraille de Notse.

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Q : - Quels sont les ouvriers qui ont consttvilllJ muraille ? R : - C'est toute la population de la ville.

Q : - Est-ce uniquement au cours du rigne tü Dan que IIJ muraille fut construite? R : - Oui; devenu vieux, il recommanda d'être enterré à Dakpodji 1 sa mon,

ce qui fut fait; c'est à partir de cette date que les cérémonies royales se déroulent

à Dakpodji. A Notse, la royauté alterne entre trois quartiers: Ekli, Agbaladome,

Avizouha.

Q : - Pourquoi IIJ royautl altmae-t-elle entre ces trois quartius ? R : - C'est parce que la succession se fait par ordre de primogéniture. Ainsi,

les héritiers étant installés dans ces trois quarti~rs, la royauté passe alternativement

entre ces trois quartiers.

Q : - La succession est donc patrilinIaire ?

R : - Non. Accidentellement, si le fils du roi défunt est jugé digne, les anciens

peuvent le choisir. Mais en réalité, cela ne se passe jamais ainsi, puisque le droit

de régner passe automatiquement à un autre quartier.

Q : - Pourquoi, &nt donnl que Tako fut le premier qruutier tü IIJ ville, les gens tü Tako ne rignent-üs pas ? R : - Nous avons déjà dit qu'Agoli n'était que le neveu du roi Dan. n ne pouvait donc pas régner. Mais Tako joue un l'Ole important dans la royauté de Notse. En

effet, Tako, c'est en quelque sorte l'antichambre de Dakpodji. Rien ne peut s-y faire

sans le concours de Tako. C'est pratiquement eux qui intronisent les rois à Dakpodji. Les dieux les plus anciens de la ville, ceux qui ont été ramenés de Kétou,

sont installés à Tako (Agboe, Ekpé).

Q : - Pouvez-vous citer les noms des rois qui ont rIgnI ~ Dakpodji ? R : - Ils sont trop nombreux. je ne peux pas me les rappeler tous.

Q : - Citez-IIOUS ceux dont vous vous souvenez. R : - A Ekli, il Y a eu Assiga qui disparut volontairement dans la rivière Yoto

avec ses femmes et ses enfants.

Q : - Pourquoi ? R : - Parce que qu'il était furieux contre la population. Dans les temps anciens, le roi choisi devait se rendre en un lieu appelé Adéli, qui se trouve du cOté d'Atak­

pamé. U, il y a un sanctuaire o~ les élus vont prier. Au cours de leur prière, ils voient

Dieu et lui demandent tout ce qu'ils veulent.

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Page 150: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Ainsi donc les ilus se renthnt eux-mimes à Ad/Ii ?

R : - Oui. Ils ne s'y rendent d'ailleurs qu'une fois intronisés. Assiga s'y rendit donc avec ses femmes et ses enfants. Il y demeura très longtemps, pendant plus de

trois ans. A Notse, après l'avoir vainement attendu, les notables crurent qu'il a dtl mourir et le remplacèrent par l'un de ses frères. Assiga revint pourtant: sur son chemin de retour, il envoya des émissaires à Notse annoncer son prochain retour.

Les notables de la ville le prièrent de faire halte dans un endroit rocheux, non loin de la résidence du chef de circonscription, à droite. cet endroit s'appelle Mawupé.

Q : - Peut-on retrouver actuellenwat ce lieu ? R : - Oui, les gens de Tégbé peuvent vous le montrer. Les notables étaient embarrassés pour Assiga à cause du couronnement de son frère à sa place. Ils ne

savaient pas non plus comment annoncer au nouveau roi le retour de son gran dfrère

dont il avait pris la place. Ils allaient souvent tenir compagnie à Assiga à Mawupé, mais ne se décidèrent pas à l'autoriser à rentrer en ville. Assiga était bien au courant

de la situation. Une nuit, il partit avec ses deux femmes et ses enfants en direction du Yoto (les vieux de Tégbé peuvent vous montrer l'itinéraire qu'il a suivi). Arrivés au bord de la rivière, il sortit son sosi [sa queue de cheval] et frappa la surface de

l'eau qui, sur le coup, se sépara en deux, laissant apparattre un passage.

Assiga ordonna à ses femmes et enfants de le suivre dans ce chemin impro­

visé. L'un de ses garçons qui accompagnait le groupe en jouant du tam-tam refusa

de s'y engager. Les eaux du Yoto se refermèrent, engloutissant toute la famille

royale, sauf le garçon qui demeura tout seul sur la berge. Et c'est lui qui rapporta

toute cette histoire aux ''vieux'' de Notse.

A ce propos, nos grands-mères nous ont raconté que, sur les lieux de

disparition d'Assiga et de sa famille, se trouve un gros rocher. Ceux qui passent par là pouvaient voir de jeunes bébés s'ébattresurce rocher. On les prenait comme étant les enfants d'Assiga ; on les cajolait, puis on laissait sur la pierre de la monnaie en

cauris, en signe de don. Mais si d'aventure le voyageur voulait emporter l'un de ces

enfants, son regard s'obscurcissait et il n'arrivait plus à retrouver son chemin. Tout

redevenait clair dès qu'il remettait le bébé à sa place. C'est ce que m'ont raconté mes grands-mères. Actuellement ces prodiges n'arrivent plus.

Q : - Après Assiga, quels sont les autres rois qui ont régné ? R : - Aloko, qui mourut peu après son intronisation; pour cette raison, son fils Agbodovi lui succéda. Après Agbodovi, Adjaïto monta sur le trOne. Après Adjaïto, c'est l'actuel chef Alidjinou qui fut intronisé à Ekli.

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Q : - Quand Adjalto est -il mort ? R : - Cela rait très longtemps.

Q : - Est-ce au cours de III pbiode allenJQllde ou de III pbiode française ?

R : - Au cours de la période française.

Q : - Est-il mort avant III deuxième guem mondUlle ? R : - Non c'est après cette période.

Q : - Entre Adjafto et Komedja, qui est mort le premier ?

R : - Adjalto est mon avant Komedja.

Q : -n me semble pourtant que Komedja est bien mort avant cette guen-e (Komedja

est décédé en 1935] ?

R : - Ab bon ? Donc les deux sont morts bien avant cette guerre.

Q : - Quandfut intronisé Alidjinu, est-ce aprls l'Indépendance [27 avril 1960]?

R : - Oui

Q : - Est-ce peu de temps ou bien longtemps après l'Indépendance? R : - Peu de temps, sous le règne du chef Mensah.

Q : - Le président Olympio était-il déjiJ. mort [13 janvier 1963] ?

R : - Non

Q : - Citez-nous les rois d'Agbaladome ?

R : - Kpodjéga, Agbassodenou, Komédja (fils du précédent, il fut le premier

chef politique nommé par les Allemands).

Q : - Et les rois d ~linu ?

R : - A Alinu, les rois étaient choisis au quartier Avizouha. Le seul nom que je peux vous citer est Kpowenyi. Après, il n)' a plus eu de roi à Avizouha

Q : - Pourquoi ?

R : - Parce qu'ils se sont mal conduits envers le roi.

Q : - Comment ?

R : - Il arriva que le roi Kpowenyi fut atteint de lèpre. Les gens d'Alinu, au lieu

de le soigner, se détournèrent de lui. Le voyant abandonné des siens, ses neveux du

quanier Agbaladome vinrent le soigner. En récompense, Uleur légua ses insignes

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Page 152: Traditions Historiques Du Bas Togo

royaux pour punir les siens. C'est donc la raison pour laquelle il n'y eut plus de roi à Avizouha jusqu'à la période coloniale.

Komedja fut le premier chef politique choisi par les Allemands. A sa mon, Danhui de Kpedome le remplaça, puis ce fut Mensah de la famille de Komedja l Agbaladome. Ce n'est qu'à la mort de ce dernier que l'on choisit enfin un chef politique à Alinu, en la personne du chef Kékéh, qui prit le nom d'Agokoli IL L'actuel chef Agokoli III est le fils d'Agokoli II.

Q : - Dans quel quartier régnèrent les premiers rois (Dan, Agokoli) ? R : - Dan régna d'abord à Ekli, puis à Dakpodji. Agokoli était l'un des descendants de Dan, après plusieurs générations.

Q : - pans quel quartio Agokoli a-t-il régné ? R : -Je ne sais pas. Sans mentir, personne ne sait de quel quartier il fut. La raison de cet oubli est claire. Agokoli a été d'une sévérité telle qu'il fut responsable de la mon de milliers de gens et aussi de la fuite des Ewe de Notse. A cause de ce caractère, il fut haï par nos ancêtres, à tel point que son nom n'était meme pas mentionné

parmi les ancêtres défunts, au cours des cérémonies de libation et d'invocation aux

ancêtres. C'est ainsi que petit à petit, on finit par oublier tout ce qui le concernait.

Ce n'est que tout récemment que les gens ont commencé à dire qu'Agokoli aurait régné à Avizouha. Personnellement, aucun vieillard ne m'a rapporté ce fait.

1

Q : - Quels actes de cruauté Agokoli a-t-il perpéttis ? R : - Il a fait rassembler et tuer tous les vieillards de la ville; une seule personne réussit à cacher ses grands-parents. Après ce forfait, il invita chaque quartier l fournir un contingent de personnes pour exécuter certains travaux. Aux femmes,

il demanda d'aller chercher de l'eau dans leur sexe pour pétrir de l'argile qui devait

servir aux hommes l tresser une corde en argile. Personne ne pouvait exécuter de

pareils ordres. les récalcitrants furent immédiatement mis à mort; chaque quartier

passait à tour de rôle et voyait périr les siens.

L'homme qui avait pu cacher ses vieux parents alla les trouver et leur exposa le problème (les exigences du roi). Ils le conseillèrent d'aller trouver le roi en présence des notables pour lui demander de leur montrer un modèle de corde en argile, afin qu'il puisse s'en inspirer pour tresser une nouvelle. Dans les temps

anciens, quand on n'arrivait pas à résoudre un problème qui était posé par un concurrent on était exécuté.

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Page 153: Traditions Historiques Du Bas Togo

Celui qui devait exposer la requete au roi s'appelait Gbea djad~. Il lui chanta en ces termes la requète suivante:

KIl hehonu WogbÜl

Koyeyea do Gbeajado ajanu so gowa Gbe aja dolo, gbe aja do Ajanu, mahemu Ajanu, so Gowa KIlhohonu WogbÜl kayeyea do

Personne ne put résoudre ce problème, y compris le roi; comme il n'a pas pu résoudre cette énigme, c'est-à-dire trouver l'exemplaire de la corde en argile, il fut exécuté. Agokoli n'est pas mort comme les autres rois. Il fut donc exécuté à la

suite de ces événements, avant le lever du jour. Mais la plupart des Ewe avaient déjà fui Notse; ce n'est qu'après son exécution que la paix revint dans la ville. Je vous rapporte ce que mes vieux parents m'ont raconté. D'autres personnes vous diront

autre chose. Mais moi, je vous ai rapporté ce que l'on m'a raconté.

Q : - Pourquoi les rois de NoISe ne lignaient-ils que trois ans ? R : - Ce sont seulement les rois d'Ekli qui règnent trois ans.

Q : - Pourquoi ? R : - Ceci depuis Assiga qui s'était absenté trois ans et s'est vu remplacé par son frère. Avant sa disparition, il a juré que les rois d'EkH ne feront pas plus de trois ans sur le trÔne. Depuis lors, les rois d'Ead~ =~urent après trois ans de règne.

Q : - Comment le futur roi est-il choisi ? R : - Trois mois après l'enterrement du roi défunt, les vieux notables de tous les quartiers se réunissent pour choisir le nouveau roi.

Q : - Où se réunissaient-ils ?

R : - Ils se réunissaient à Sudjapemé [autour du grand baobab qui se trouve actuellement dans la cour de l'émie primaire catholique] la nuit

Q : - Ce sont seulement les vieux notIlbles d'Ekli qui sy réunissaient? R : - Non, ceux de tous les quartiers.

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Q :- Où intronisail-t-on le roi ? R : 1.- A Dakpodji

,Q : - Comment l'intronisait-t-on ? R : - Pour l'amener à Dakpodji, il y avait un tam-tam spécial appelé Gougou-tIgou joué par .des initiés au cours des cérémonies.

Q : - Comment les choses se passaient-elles à Dakpodji ? R : - Impossible de vous le dire.

Q : - Où sont-ils enterrés ?

R : - A_ Dakpodji

Q : - On nous a dit qu'il Y avait une petite muraille (Agbogbovll à l'intérieur de

la ville. Qu'en est-il ? R : - C'est vrai. Elle passe par Avizouha et Tako, entourant Dakpodji.

Q : - Y a-t-il d'anciens quartiers abandonnés à Notse ? Que savez-vous de

Wotsegbeme ? R : - Wotsegbeme était un ancien quartier des gens d'Avizouha, au-delà des rails. C'est là qu'ils se sont installés en premier lieu. Comme ce lieu était trop éloigné' des autres quartiers, ils l'ont abandonné pour se rapprocher des autres. Cependant, ils allaient y enterrer leurs morts. Ce n'est que tout dernièrement qu'ils ont abandonné cette coutume.

Q : - Citez-nous les quartiers de Notse. R : - Tako, qui ne comporte pas de sous-quartier

- Ekli : Adjagbakomé, Fiapé (quartier du chef de terre), Adjékomé. - Tégbé (pas de sous-quartier) - Adimé : - Adimé-Awagan, wobédomè

- Agbaladome : Kpodzi, agodomè, anyigbè - Alinu : Avizouba, Adjigo, Attitédomè, Sabakomè.

Q : - Comment le roi gouvernait-il ? R : - Le roi ne sortait pas. Ses fonctions essentielles étaient de veiller à la pluie, au soleil. Si le roi veut qu'il pleuve aujourd'hui, il pleuvra. les récoltes étaient par conséquent bonnes et, en retour, les gens offraient au roi une partie de leur récolte.

Q : - Où s 'a"2taitla juridiction des rois de Notse ? R : - U y avait plusieurs localités sous la juridiction du ,roi de Notse.

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Page 155: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Pouvez-vous nous citer ces localités ? R : - Les gens de Dalia .

Q : - Les gens de DaIÙJ n'avaient-ils pas vieu dlJns les muraü!e$ avant l'exode ? R : - Oui.

Q : -Ce que nous voulons savoir, c'est ce quise passait avant l'icltJtementdeNotse. R : - Dans ce cas, je crois que son pouvoir s'arrêtait à de la muraille.

Q : - Faisait-ü la guerre ? R : - Oui, mais la guerre n'atteignait jamais Notse.

Q : - Pourquoi ? R : - Les murailles protégeaient la ville, qui n'avait qu'un seul portail.

Q : - De quel côté se trouvait le portaü ? R : - Je ne sais pas. Par ailleurs si le roi était informé d'une expédition ennemie en route vers Notse, il faisait pleuvoir à verse sur cette armée ennemie qui perdait ainsi ses moyens de combat, laissant sur place des soldats morts de froid ou de noyade et le reste rebroussait chemin. C'est avec le pouvoir de faire tomber la pluie que les rois ont dominé la ville.

Q : - Que faisaient alors les soldats de la vüle ? R : - Je n'ai jamais entendu dire que les soldats de Notse aient été faire la guerre quelque part.

Q : - Il Y en avait pourtant ? R : - Oui

Q : - A quoi servait alors cette armée ?

R : - Je ne sais pas.

Q : - De nos jours, ces rois ont-ils encore la possibiliti de faire tomber la pluie ? R : - Oui, mais plus aussi aisément qu'autrefois. Parfois ils réussissent, d'autres fois ils échouent. Ainsi AdjaIto, rien qu'en mettant sa sandale au dehors, déclen­chait une pluie violente qui ne s'arrêtait que lorsque l'on rentrait la sandale à l'intérieur de la case. Mais la plupart des vieux sont morts, emportant leurs secrets dans la tombe.

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Page 156: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q :- Est-ce que ces prodiges ne réussissent plus de nos jours parce que les "vieux" sont morts avec leurs secrets ou parce que les gens de Notse ont enfreint les lois ancestrales ? R : - Je ne sais pas. Certains chefs sont morts après avoir enterré les insignes de leur puissance.

Q : - Le roi gouvernait-il seul? R : - Non, il avait des conseillers particuliers dans tous les quartiers. Il avait aussi les chefs de quartier qui l'aidaient dans son travail.

Q : - Quels étaient les différents peuples dans la ville ? R : - Tous étaient Ewe.

Q : - Les différentes communautés Ewe vivaient-elles dans différents quartiers à

Notse? R : - Oui. Les Anlo pour la plupart vivaient à Tégbé, d'autres à Adimè. De Tako sont partis les Bè.

Q : - De quel quartier sont partis les gens de LÛlté ? R : - Je ne sais pas. Les gens de Tsévié sont partis de plusieurs quartiers.

Q : - La population dans la ville était-elle nombreuse? R : - Oui, on nous a dit que toute l'enceinte était remplie de monde.

Q : - Où se faisaient les cultures ? R : - En dehors des murailles.

Q : - Techniques de construction des cases. R : - Les cases étaient quadrangulaires et couvertes de toiture ronde en paille.

Q : - Y avait-il des cases rondes? R : - Non.

Q : - Avec quoi construisait-on les cases? R : - Avec de l'argile.

Q : - Ne construisait-on pas une ossature en épieux avant de l'enduire d'argile? R : - Nous ne faisons pas ça ici.

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Page 157: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - La case est-elle familiale ? R : - Oui; mais, si vous avez les moyens, vous pouvez construire aussi bien pour les enfants que pour les femmes.

Q : - Quel travail faisaient les anciens de Notse ?

R : - Ils étaient cultivateurs essentiellement.

Q : - Avec qu~i cultivaient-ils ? R : - Avec la houe et le coupe-coupe.

Q : - Où trouvaient-ils la houe et le coupe-coupe ? R : - Ce sont les forgerons qui les fabriquaient.

Q : - Où les forgerons trouvaient-ils ce fer? R : - Il faisaient fondre une pierre pour trouver le fer.

Q : - Où trouvaient-ils cette pierre? R : - Je ne sais pas.

Q : - Ils faisaient la fonte ici ?

R : - Oui, ici à Notse. Il existe même aujourd'hui les grosses pierres sur lesquelles travaillaient les anciens forgerons, dans certains quartiers : Tako, Agbaladome, etc.

Q : - Quelles étaient les plantes cultivées ?

R : - Le maïs, l'igname, le mil (c'est surtout ce que cultivaient les anciens de Notse); le manioc a été importé du Ghana ul.:1jel et cela est récent.

Q : - Comment pratiquait-on les travaux des champs ? R : - Après la fête (Noêl-Nouvel an) on débroussaille le terrain, on y met le feu, et on attend la première pluie pour semer.

Q : - Vous avez parlé de fête,· ce sont les Blancs qui ont institué les fêtes. R : - Oui; mais, nos ancêtres aussi avaient leurs jours de fête.

Q : - Que savez-vous de ces jours? R : - Pas grand chose.

Q : - Y avait-il des noms de lune [mois J ?

R : - Oui; pour les anciens, nous sommes dans la seizième lune Uanvier]; c'est dans la quinzième lune que nous avons fêté [Noêl-Nouvel An].

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Page 158: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Après quelle lune commencent les travaux des champs ? R : - Après la seizième lune on commence à déterrer les tubercules d'ignames

et à débroussailler; dans la sizième et septième lune, on sème le maïs. Voyez-vous

les petites étoiles regroupées dans le ciel [les dja] ? C'est sur ça que les anciens se .

basaient pour compter les lunes.

Q : - Comment procèdaient-ils ?

R : - On observe ces étoiles la nuit. On commence à débroussailler quand on

les aperçoit à l'est, et pas au couchant; elles disparaissent après la huitième lune

pour réapparaître une lune plus tard, à l'est. Les semailles se font quand cette

constellation dépasse le midi en allant vers l'ouest; quand elle est complètement

à l'ouest, op ne sème plus. Les récoltes des ignames débutent lorsqu'elle fait son

apparition de nouveau à l'est.

Q : - Les greniers sont-ils aux champs ou à la maison?

R : - Si les champs sont proches de la maison, on amène les récoltes à la maison;

sinon, on les laisse au champ.

Q : - Comment faites-vous pour les écouler? R : - On va les décortiquer ensemble avec les femmes et ensemble on les

transporte à la maison.

Q : - Y a-t-il des fonctions spécifiquement féminines ?

R : - Il Y en a plusieurs: elles vendent au marché, préparent à manger, mettent

le feu aux arbres coupés par les hommes, aident pour la semence et la récolte aussi

bien du maïs que du coton.

Q : - Nos ancêtres cultivaient-ils le coton ? R : - Non; ce sont les Allemands qui ont transplanté le coton.

Q : - Quel genre de vêtements portait-on?

R : - Il s'agit d'habits faits à partir de l'écorce de J'iroko.

Q : - Par quelle technique ?

R : - On coupe le logo, on enlève les branches, on ramollit l'écorce avec un

bâton, jusqu'à ce qu'elle se détache de l'arbre; on l'enlève et on la lave dans l'eau

pour qu'elle soit claire (propre).

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Page 159: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Ces vltements étaient-ils cousus ? R : - Cela dépend de la grandeur du logo [loko, logo : l'iroko] abattu; ainsi on peut avoir une petite ou une grande chemise.

Q : - A part les travaux: tüs champs, que faisait-on encore ? R : - Il Y a la chasse avec les fusils.

Q : - Comment se procurait-on ces fusils ? R : - On se servait plutÔt de la flèche.

Q : - Quel était le gibier • R : - Bume, éléphant, panthère, etc. Souvent ces animaux circulaient même en ville, la nuit; les gens sortaient donc très peu la nuit, de peur d'être dévorés par les bêtes sauvages.

Q : - Et les autres activités ? R : - Les gens allaient faire le commerce vers Atakpamé.

Q: - Y avait-il un marché t} NoISe ? R : - Oui; il se trouvait à l'emplacement de l'église protestante.

Q : - Quelle était la périodicité tU ce marché ? R : - Je ne sais pas ; il a disparu avec la venue des Blancs.

Q : - Faisait-on le troc ? R : - Oui; mais on utilisait aussi les cauris qui venaient de la cOte.

Q : - Quels sont les produits qui vous arrivaient tü la cbte ? R : - Les premiers produits importés sont: les cauris, la poudre, le seL

Q : - Vous n'aviez donc pas tü sel ici ? R : - Le sel venait de Kéta.

Q : -Avant d'importer le sel tü Kéta, d'où en recevaient-ils ? R : - Il Y en a toujours eu à Kéta.

Q : - A qui appartenait la tem ? R : -La terre n'appartenait à personne; chacun pouvait la travailler à sa guise.

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Page 160: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Pratiquait-on le métayage ?

R : - On ne payait personne pour travailler la terre. Le travail se faisait en famille.

Q : - Les femmes filaient-elles le coton ? R : - Non; elles ont commencé à filer le coton avec l'arrivée des Allemands.

Q : - Y avait-il plusieurs forgerons ?

R : - Ils étaient nombreux; chaque quartier avait ses forgerons.

Q : - Quelle était la taille de la famille ? R : - C'était la famille élargie à l'africaine, ce n'était pas comme maintenant:

père, mère et enfants.

Q : - L 'héritage était-il patrilinéaire ou matrilinéaire ?

R : - L'héritage ét2!t patrilinéaire

Q : - Quels étaient les grands notables ?

R : - Les chefs de quartier que le roi consulte pour de grandes décisions.

Q : -Qu'est-ce qui fait d'un homme un notable? Est-ce la force économique, extra-économique, la sagesse ?

R : - C'est l'âge et la richesse.

Q : - Quelles étaient les maladies les plus fréquentes ? R : - Le paludisme, la toux, la variole.

Q : - Comment les guérissait-on? R : - Il ya des herbes avec lesquelles on prépare des médicaments pour soigner

les malades.

Q : - Comment guérit-on la variole ?

R : - Ce n'est pas tout le monde qui arrive à guérir la variole.

Q : - Existait-il spécifiquement des guérisseurs ?

R : - Oui; on les appelle «Dodato».

Q : - Font-ils uniquement cela? R : -Ils peuvent avoir d'autres activités; on fait appel à eux en cas de besoin.

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Page 161: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Quelles sont les divinités vénérées à Notsé ? R : - Les divinités Agboe, Da, Hebiesso, Sakpata, etc.

Q : - Quelle étaient les cérémonies qui les accompagnaient ?

R : - Il Y a des cérémonies bien sOr! Quand on a un problème, on va consulter la divinité capable d'y trouver une solution.

Q : - Chaque divinité a-t-elle son rôle ? R : - Oui.

Q : - Que fait Agboe ? R : ~ Les adeptes d'Agboe sont enfermés dans les couvents, trois, quatre, sept

ans; ensuite ils sortent et dansent pendant au moins un mois. C'est aussi le cas de Da et de Hebiesso. .

Q : - Y a-t-il des lieux propres où on adore ces divinités? R : - Chaque quartier a ses divinités.

Q : - Quel est le vodu de Tako ? R : - C'est le Sakpata, après Da.

Q : - Où se trouve la divinité Agbo ? R : - A Agbaladome.

Q : - Et Agboe ? R : - C'est la divinité que les anciens ont amenée; elle se trouve à Tako, à

Dakpodji.

Q : - Y avait-il des fêtes spéciales pour ces divinités? R : - Non ; sauf des offrandes : ainsi, on doit faire des offrandes spéciales à

Agboe, si un meurtrier fait couler le sang humain sur le sol de la ville.

Q : - De quoi se nourrissait-on ? R : - Maïs, igname, mil.

Q : - Comment était consommé l'igname? R : - On le faisait bouillir dans l'eau.

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Page 162: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Comment se procurait-on le feu ?

R : - Il ya des pierres" [morceau de silex] qui, frouées l'une contre l'autre,

produisaient des étincelles qui embrasaient les copeaux de noix de palme, produi­

sant ainsi du feu.

Q : - Comment se prépare l'huile de palme?

R : - On fait bouillir les noix de palme et on les pile ensuite dans un mortier;

la chair ainsi enlevée est de nouveau bouillie et l'huile surnage.

Q : - Utilisait-on d'autres espèces d'huile?

R : - Oui; l'huile de palmiste.

Q : - Et le beu"e de karité ? R : - Ce sont les Kabyè qui en ont généralisé l'utilisation chez nous.

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Page 163: Traditions Historiques Du Bas Togo

HISTOIRE DES EWE DE NOTSE, VERSION D'AGBAIADOME

Informateur:

Chercheur

Lieu Date

Amega Jajaglo, vieillard centenaire, grand notable du quartier

Agbaladomé.

N. L. Gayibor

Quartier Agbaladomé, Notse

4 décembre 1973

Les Ewe ont d'abord vécu en Egypte, puis à Ayo, Ketu et Ajacè (Tado). Après

Ajacè, les Ewe vinrent s'installer sur la colline, à Dakpodji. A l'époque, les règles

de succession étant basées sur le droit d'aînesse, tous les fils d'un souverain devaient

régner successivement sans tenir compte de leur aptitude à l'exercice de la magis­

trature suprême. Or, un des premiers rois de Notse, Da, aimait beaucoup son

benjamin et voulut en faire son successeur immédiat. Mais que faire? Les coutumes

étaient solidement établies et il n'était guère aisé de les transgresser. Da usa alors

d'un stratagème pour parvenir à ses fins. Il convia tous les ayant-droits à une grande

fête et profita de ce rassemblement pour mettre le feu à la concession royale. Tout

le monde périt dans l'incendie sauf ceux qui, empêchés, n'avaient pas pu se rendre

à l'invitation du roi. Tous les prétendants ayant péri, le trÔne revint donc à son

benjamin, ainsi que le désirait Da. Mais après cet incendie, la population s'égailla

dans les alentours en abandonnan t ce site ini tial, qui pri t le nom Dakpodji ou colline

de Da. Ce lieu fut réservé par la suite aux cérémonies secrètes qui précédaient

l'introDÎSaùon des nouveaux souverains. Actuellement l'école officielle y est construite.

Autrefois, le droit de régner passait à tour de rôle dans trois quartiers: Alinu,

Ekli et Agbaladomé. Les habitants d'Alinu perdirent cependant ce privilège dans

les circonstances que voici. Ils délaissèrent un de leurs rois atteint de lèpre; même

ses conseillers ne se souciaient pas de ce souverain qui ne fut soigné que grâce aux

soins attentifs que lui prodigua un de ses neveux, notable du quartier Agbaladomé.

Sur son lit de mort, il confia à son neveu les attributs royaux d'Alinu, afin qu'HIes

conservât et pût être couronné, après sa mort, dans son quartier; les habitants

d'Alinu ayant failli à leurs devoirs envers leur souverain, ils avaient perdu de facto

toute prétention à la royauté. Le souverain moribond les aurait même maudits en

leur prédisant que la royauté ne reviendra plus jamais chez eux, que leur quartier

serait la cible de tous les maux (maladies, épidémies, famines) et enfin qu'ils ne

seraient jamais riches. Par la suite, donc, la royauté fut conservée dans les

quartiers Ekli et Agbaladomé. Il n'y avait qu'un seul roi à la tête de toute la ville.

On l'appelait communément «homefia», car il ne sortait jamais de son palais. Il

gouvernait par l'entremise de ses tchami.

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Page 164: Traditions Historiques Du Bas Togo

Autrefois, il n'y avait pas non plus de «yovojia». Cette distinction date de l'arrivée des Blan~. En effet, ainsi que je viens de vous le dire, le roi ne devait jamais

sortir de ses appartements. Or, l'Européen avait besoin d'un responsable à qui

s'adresser si besoin était. D'où la nécessité d'installer, à côté du homejia, un

yovojia, sorte de relais entre le Blanc et la population. J'ai été témoin de l'intro­

nisation du premier yovojia à Notse. Je devais avoir à l'époque entre dix et quinze

ans. Ce yovojia s'appelait Komedja. Les Allemands, à leur arrivée, l'avaient choisi

pour s'occuper des affaires courantes et surtout faciliter les contacts entre eux et

la population, pour une période de six mois, le temps de trouver une solution

adéquate à ce problème, puisque l'authentique souverain ne pouvait guère se déplacer. Mais ce délai écoulé, les Allemands, ayant apprécié l'efficacité de ce système, confirmèrent le yovojia dans son poste. Et c'est ainsi que fut créé à Notse

ce poste de chef politique. Les chefs politiques prirent rapidement le pas sur les

homefia à cause des activités complexes qu'ils étaient désormais amenés à déployer au sein de la population en relation avec les autorités coloniales. Les homejia virent

donc leurs activités restreintes et se circonscrire au domaine ésotériq ue et religieux.

Le homejia fut dorénavant dénommé anyigbafia. Mais ce changement d'appella­

tion ne changea guère sa situation, qui se dégradait de plus en plus au sein de la

population. Désormais le chef politique représentait l'autorité politique réelle qui pouvait décider ce que bon lui semblait ou intervenir auprès des Blan~ en faveur de tel ou tel citoyen. On ne voyait plus très bien à quoi pouvait servir l'anyigbafia. La population finit donc par se désintéresser des anyigbajia, qui, pourtant, étaient les seuls garants des traditions ancestrales du pays.

Poussés par la nécessité (leurs sujets ne s'occupant plus de leur entretien

comme par le passé), les anyigbafia durent sortir de leur palais au grand jour, afin

d'aller cultiver eux-mêmes leurs champs ou y.",'1 uer à d'autres activités matérielles,

transgressant ainsi malgré eux les coutumes inaliénables de la société. D'ailleurs

les forces corrosives de l'oubli étaient aussi à l'oeuvre. Comme toute la population

- y compris les plus grands notables de la ville - se désintéressait de ces souverains

des «temps passés», on finit même par oublier jusqu'aux cérémonies et rites très complexes qui devaient présider à leur intronisation. C'est ainsi qu'à la mort du dernier homejia, Adjaïto, comme aucun des notables de la ville ne savait plus dans

le détail comment procéder pour l'accomplissemen t des cérémonies d'in tronisation

des homejia, on décida purement et simplement de supprimer cette fonction, si bien

que, depuis lors, nous n'avons plus que des régents à ce poste.

L'enceinteAgbogbo. Je crois que cette construction a été réalisée par Dieu lui-même ou, du moins, que ceux qui ont construit cette muraille ont dû être guidés

par la main divine, car c'est si grand que cela dépasse les limites de la résistance

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Page 165: Traditions Historiques Du Bas Togo

humaine, surtout si l'on tient compte de la période à laquelle elle a été construite.

Pendant les périodes de troubles, quand les ennemis se manifestaient, dès que les

prêtres faisaient les prières nécessaires, la muraille s'élevait très haute d'elle-même

et devenait imprenable. A l'intérieur de la grande muraille, il yen avait d'autres,

plus petites, qui dérobaient le palais royal aux regards de la population.

La vie à l'intérieur de la ville. Les habitations étaient constituées de petites

cases quasi circulaires, tout en cha ume, isolées les unes des autres. Le chef de famille

avait une case un peu plus spacieuse que les autres. Les techniques de construction

évoluèrent avec le temps. On en vint ensuite, en effet, à échaffauder d'abord une

ossature en branchages que l'on recouvrait d'argile, puis à construire les murs avec

de l'argUe et enfin à faire des briques en argile, la toiture étant toujours en chaume.

Habillement: les gens avaient une sorte de couverture faite avec l'écorce de

l'iroko. Cette écorce, battue puis séchée, servait donc de couverture[ else]. On était

très peu vêtu. Cette couverture servait aussi de natte. Puis vint le coton et on apprit

à tisser. L'adewu vint assez tardivement.

Les activités économiques

On cultivait les champs dans l'enceinte de la muraille. On ne sortait donc

pas pour aller faire les cultures à l'extérieur. On cul tivai t le mil, le sorgho, le manioc.

A l'époque, il n'y avait pas de maïs, ni d'igname. Le sel venait d'Anlo. Le fer dont

on se servait pour fabriquer les houes était importé de l'Akpafu.

Informateurs :

Chercheurs Ueu Date

Messieurs - Akouvi Apéké, Chef du quatier

- Ayité Ajavon

- Agou Kodjotsé

- Afanvi Edji

- Kpetigo Koffi

Madame - Komedja [fille du chef Komedja]

Natadjou, Vail, N'gbang

Agbaladomé, Notse

14 janvier 1981

Q : - Signification du nom du quartier ?

R : - Ce nom est dérivé d'Agba, nom de la divinité adorée par les habitants du quartier.

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Page 166: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Les sous-quartiers ? R : - Il Y en a trois: Kodji, Agodomé, Anyimé.

Q : - (JtIels ont été les anciens chefs du quartier ?

R : .. Ce sont: Da, Agbelia, Ndetsi, Egou, Agbassedénou (père de Komedja),

Komedja William, Mensah Komedja.

Q : - Pourquoi et comment la royauté est-elle passée de votre quartier au quartier Alinu ?

R : - Après le règne de Mensah Komedja, la royauté est passée à Kékeh, à Alinou, par simple usurpation.

Q : - Quelqu'un a-t-il quelque chose à ajouter ? R : - Nous ignorons dans quel quartier a vécu Agokoli. Nous savons seulement

qu'Agokoli fut un chef guerrier. Le chef d'Alinu, dans le temps, s'appelait Kpowè­

nyi. C'est en fait ce nom-là que devrait prendre le chef actuel.

Q : - Comment se faisait la succession au trône ?

R : - Le conseil des notables de la famille royale se réunit pour choisir le

successeur du roi défunt. Les familles royales d'Agbaladomé sont celles de Kpodji

et d'Agodomé.

Q : - Quelles sont les activités économiques du quartier ?

R : -L'activité principale est l'agriculture. Les principales cultures sont le maïs,

le mil, le riz, l'ananas, etc.

Q : - Quelle est la situation de vos CMlhl''; par rapport à la ville? R : - Les paysans possèdent des fermes dans la région. Ces fermes, aux terres

fertiles, sont situées à dix, vingt, voire trente kilomètres de Notse. On fait rentrer

les vieillards à Notse et les jeunes demeurent travailler dans ces fermes, d'où l'on

ne rentre généralement à Notse qu;à certaines périodes (fêtes, cérémonies, funé­

railles).

Q : - Citez-nous les noms de quelques-unes de ces fermes. R : - Amohlui, Dokudjovu, Kpodjikopé, Hahomégbé, Todomé, Mawunyako-

pé, etc.

Q : - Comment vous rendez-vous dans ces fermes? R : - A pieds.

178

Page 167: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Combien de jours pouvaiJ durer le trajet d'ici à Lomé ? R : - On mettait trois jours pour se rendre à Boklossi(l), qui devint Alotimé, et que les Blancs ont transcrit Lomé.

Q : - Que faisiez-vous pendant les haltes?

R : - Comme il y avait la traite, on voyageait en groupe pour se défendre. A la

nuit tombée, on campait; on n'avait donc pas besoin de demander hospitalité dans les villages par où l'on passait.

Q : - Quels furent les marchés fréquentés par les commerçants de Notse ? R : - Les commerçants de Notse se rendaient aux marchés suivants: Avousossi,

Boklossi, Tchaoudjo (Sokodé). Ils échangeaient les produits de l'intérieur (mais,

haricot, etc.) contre les produits que les Agouda [les Portugais, et par extension, les Européens] amenaient sur la CÔte: sel, tabac. Ils ramenaient,aussi de l'intérieur, du caoutchouc.

Q : - Travaillait-on la poterie à Notse ? R : - On en a toujours fait. Les femmes fabriquaient lesluguzé [petits pots

servant à recueillir le vin de palme].

Q : - Où allaient-elles vendre ces pots ?

R : - On ne peut pas transporter les canaris sur la tête pour aller les vendre loin; chacun en fabriquait.

Q : - ExistaiJ-il des chasseurs dans votre quartier?

R : - Il Y en avait; ils utilisaient des matériaux traditionnels, comme les flèches empoisonnées.

Q : - Y a-t-il des descendants de chasseurs qui pratiquent encore la chasse?

R : - Oui; il Y a par exemple les Adoga, les Amouzou Aguidigbo qui ont tué

des éléphants et des buffles.

Q : - Quel était le gUJ&è1' visé par les chasseurs ? R : - Quand un chasseur tuait du gros gibier comme l'éléphant, le buffle ou la panthère, on faisait des cérémonies spéciales, à la suite desquelles on partageait la viande entre les parents et amis. On fait ces cérémonies pour montrer la puissance

de ces animaux. Les chasseurs tuaient aussi des sangliers, des antilopes, des biches, etc.

(1) De l'allemand 4CBlockhaus». II s'agit de marchés qui s'animaient autour d'un 4CBunker- pendant la

période d'occupation allemande.

179

Page 168: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Les chasseurs sont-ils de grands chefs de gue"e ? R : - Non; ils peuvent être des chefs de guerre, mais généralement ce n'est pas le cas.

Q : - Pratiquait-on la cueillette ? R : - Oui ; sur tous les arbres fruitiers de la brousse.

Q : - Qui s'en occupait ?

R : - Ce sont seulement les chasseurs en campagne, qui ont faim en brousse. Ces chasseurs emportaient du mais torréfié et de la farine de mais. La cueillette servait seulement à tromper la faim quand la poursuite d'un animal blessé les poussaient loin en brousse.

Q : - L'éducation traditionnelle était-elle semblable à l'éducation moderne? R : - Non; il Y a une grande différence. Les parents étaient très respectés par les enfants, qui leur obéissaient au doigt et à l'oeil. Le jeune homme n'avait pas le droit d'aller courtiser une femme de son choix. Ce sont les parents qui mariaient leurs enfants à leur convenance, avec les femmes de leur choix. Les enfants paresseux étaient vendus aux Agouda.

Q : - A quel âge mariait-on les jeunes gens ?

R : - 25-30 ans pour les jeunes gens, 25-27 ans pour les jeunes filles.

Q : - Comment vivaient les nouveaux mariés ?

R : - Après le mariage, le jeune homme ne quittait pas ses parents, il devenait seulement un peu plus responsable, en supervisant une partie des activités de son père.

Q : - L'éducation des garçons est-elle différente de celle des filles? R : - C'est presque la même chose; cependant pour obliger la fille à avoir une conduite exemplaire, on lui fait croire (avec beaucoup de cérémonies à l'appui) qu'elle risque la mort en s'écartant du droit chemin; elle est donnée en mariage en échange d'une dot, à la suite de certaines cérémonies.

Q : - Que fait-on pour épouser une femme? R : - On demande la main de la fille dès son enfance ; et pour la dot, le prétendant travaillait parfois dans les champs de ses futurs beaux-parents; il pouvait aussi leur offrir autre chose; tout ceci parce que la dot n'est pas uniquement synonyme d'argent.

180

Page 169: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Y a-t-il fête le jour du mariage ? R : - Certaines femmes refusent; généralement tous les jeunes gens sont mobilisés et on va chercher la jeune fille pour la nuit nuptiale. Le lendemain, on

festoie. Dans la nourriture de la jeune épousée, on met une poudre magique qui agira sur elle efficacement pour ne pas quitter son nouveau mari.

Q : - Qu'est-ce-que le Iron? R : - Il Y en a plusieurs. Ce sont des divinités dont il faut respecter les rites sous peine de mort.

Q : - Comment se faisait la médecine traditionnelle ? R : - Les anciens connaissaient le secret de beaucoup d'herbes qui servaient à

guérir les malades.

Q : - A qui appartenait la te"e ? R : - On ne demandait la terre à personne; on allait la cultiver où on voulait.

181

Page 170: Traditions Historiques Du Bas Togo

HISTOIRE DES EWE DE NOTSE, VERSION DE TEGBE

Informateur : Chercheurs Lieu

Dékpo Gaba, chef du quartier Tegbe, Notse

D. Aguigah, N. Gayibor, Thomasson, Totah

Quartier Tegbe

Date 6 et 7 janvier 1981

Q : - Quel est votre âge, S. v.P. ?

R : - Environ 90 ans.

Q : - D'où vient le nom du quartier? R : - On dit Tè-gbè [toujours] et non Tégbé, ce qui veut dire: nous avons toujours

vécu ici, nous avons eu à distribuer des terres à ceux qui arrivaient. Ce sont ceux

là qui disent aujourd'hui Tégbé en parlant de notre quartier.

Q : - D'où venez-vous alors? R : - Notre origine se perd dans la nuit des temps. Je ne voudrais pas vous

mentir: nos ancêtres venaient-ils des profondeurs de la terre ou du ciel, Dieu seul

le sait; ce qui est sOr, c'est que nos ancêtres ont toujours vécu ici. Tous ceux qui

nous entourent savent très bien que ce sont les habitants de Tè-gbè qui leur ont

donné des terres; celui qui dira le contraire, celui-là aura menti.

Q : - Ceux de Tè-gbè étaient-ils présents avant l'arrivée de ceux qui sont venus de Tado ? R : - La guerre avait mis en fuite beaucoup de gens; mais notre puissance à

Tè-gbè nous a permis d'accueillir les fuyards, car nous ne pouvions pas les renvoyer.

Tè-gbè est très fort.

Q : - De qui tenez-vous ces renseignements? R : - Je ne veux pas vous mentir; si le père ne sait pas, il ne peut rien dire à

son fils.

Q : - Quels ont été les premiers à vous demander asile ?

R : - Ceux de Tako; la suite chronologique de l'installation des autres quartiers

se perd dans la nuit des temps.

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Page 171: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Ceux-M sont les Ewe ; et vous ? R : - Notre lieu d'origine nous est difficile à déterminer, mais nous étions et nous sommes ici depuis toujours; nous étions là avant tout le monde. Nous sommes aussi des Ewe. Si quelqu'un veut s'amuser avec le nom Tè-gbè, il mourra. Ceux de Tado sont des Aja. C'est à Notse qu'ils sont devenus Ewe ; les langues sont aussi différentes.

Q : - Le nom d'Agokoli est inséparable de 1 'histoire de Notse. Comment se {ai/-il que les nouveaux venus vous aient supplantés ?

R : - Une bonne question. Agokoli, audacieux et courageux, a voulu prendre la direction des opérations pour éviter que les ennemis n'envahissent Notse.

Q : - Parlez-nous de l'Agbogbo. R : - Agokoli prétendait qu'il était chef, là d'où lui et les siens avaient été

chassés par la guerre; il était donc nécessaire de prendre des dispositions de sécurité

pour l'avenir. Il fit construire une muraille en argile, si haute qu'il serait difficile de l'escalader. La construction a été dure, les malades qui tombaient de fatigue

étaient pétris dans l'argile, tout cela au nom de la sécurité collective. Les excès

d'Agokoli poussèrent les habitants à chercher des voies de fuite. Les habitants étaient nombreux dans l'Agbogbo. Certains fuyaient avec toute leur famille, d'au­tres avec des échelles (ce sont ceux de Liate [lia = corde D. Les courageux sont restés

dans l'enceinte.

Q : - Etiez-vous dans l'Agbogbo ?

R : - Nous étions aussi dans l'Agbogbo; nous étions près de la muraille, en allant

vers Atakpamé ; nous avions la porte près de nous; une nuit nous suffisait pour partir; ce sont les courageux qui sont restés.

Q : - Ains~ ceux de Tè-gbè n'ont pas fui ?

R : - Si, puisque dans le pays anlo, on trouve Anlo-Tégbé ; il Y a beaucoup qui

ont fui de Tè-gbè.

Q : - Parlez-nous de l'exode. R : - Les premiers à panir sont ceux de Dalia, qui étaient tout près de la

muraille. Con.-me Agokoli était très fort, ils ont fabriqué des pointes de lance en

fer pour se défendre.

- Ceux d'Amakpavé : ils construisent des abris avec des feuilles d'arbres; ils se sont dit: Hnous avons maintenant des abris en feuilles; nous ne trouverons pas mieux".

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Page 172: Traditions Historiques Du Bas Togo

- D'autres continuent sur Agbélupan : Agbé est le nom du chef; la nuit, il se mit à ronfler si fort que les siens crurent que les ennemis étaient à leurs trousses; on s'affola et on finit par se rendre compte que c'est le chef qui ronflait, Agbélupan: Agbé ronfle.

- D'autres sur Tsévié : Comme la route était longue, ils plantent du haricot pour se faire d'autres réserves et se disent: «.Ayi na tsé vii», d'où la fête du haricot.

- D'autres sont à Lomé (Alo-timé) ; maintenant on n'en trouve plus, tous les alo ont été vendus.

- D'autres vont à Vogan (vo: nous sommes libres; ga : nous sommes sauvés).

- D'autres a Aflao : il y avait plein de roseaux (afla) ; d'oùAflao : il y a trop d'afla ; ils en abattaient pour construire leurs maisons en banco.

- Agbozumé ; wogba

Q : - Les habitants d'Anlo-Tègbè, ont-iLr gardé des liens avec Tègbè ? R : - Oui; les cérémonies de là-bas sont faites aussi ici ; ils viennent chaque

année ici pour les cérémonies. Le chef de file de ceux qui ont fui s'est écrié, en

arrivant en un lieu : «IJOUS sommes fatigués, recroquevillons-nous ici (anlo )>>.

Q : - Vous avez dit que si les gens ont fu~ c'est parce qu'Agokoli était très dur. R : - La construction de la muraille a été dure; Agokoli a construit cette muraille avec un pouvoir qui lui permettait d'éviter les guerres. Notse n'a jamais connu de guerre grâce à la muraille. La ba taille de Chra [première guerre mondiale] devait avoir lieu à Notse, mais le chef de l'époque, Komedja, a juré que Notse ne connaîtra pas de guerre sous son règne. Les anciens firent des libations la nuit et

ont réussi à détourner la guerre sur Chra.

Q : - Y a-t-il eu une petite muraille au sein de la grande muraille ?

R : - Je n'en ai jamais entendu parler.

Q : - Où enten-ait-on les morts ? R : - A Dakpodji, là où récole est construite. Autrefois, on enterrait les morts là où ils voulaient; on ne construisait pas de maisons d'habitation à cet endroit.

C'est avec la venue des Blancs que l'on y trouve des maisons.

Q : - Donnez la généalogie des rois. R : - Non; ils sont trop nombreux. Je ne veux pas mentir.

Q : - Pouvez-vous nous rappeler quelques-uns ? R : - C'est difficile.

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Page 173: Traditions Historiques Du Bas Togo

ORIGINE DES RELATIONS ENTRE NOTSE ET ADELI [ADELE]

1 nfonna tri ce : Chercheurs

Lieu

Date

Mme Amah Kossi Dovido

D. Aguigah, N. Gayibor

Quartier Tègbè, Notse

14 janvier 1981

Age: En 1904, elle était petite fille [environ dix ans] et a aidé les femmes

qui préparaient à manger aux Allemands venus construire le bâtiment principal des

bureaux de l'Administration.

Tègbè est le lieu d'origine des Ewe. L'aïeul qui les conduisait s'appelait Ewe.

Son fils avait pour nom Guéli. Nos aïeux sont venus de la mer. Ils étaient frères.

L'un est resté à Aného, un autre à Zowla, près de Togo. Le fondateur d'Ekli est

un frère du fondateur de Tégbé. Le fondateur de Tègbè s'appelait Assiga. Les murailles de Notse ont été construites par nos aïeux Ewe, Assiga et Agokoli.

Adéli est le lieu de séjour de Dieu. On va faire des libations et cérémonies

là-bas quand un nouvea u roi est désigné. Ce son t les gens de Tègbè qui y von t. Notre

aïeul Assiga, lorsqu'il a été désigné roi, est parti à Adéli. Il Y a passé plus de trois

ans (sept ans ?). Comme il ne revenait pas, les vieux ont mis son fils sur le trÔne

à sa place. A son retour, Assiga campa sur un rocher appelé Mawupé. Il est rentré

dans le Yotoen séparant les eaux en deux. Le frère d'Assiga qui le remplaça s'appelle AdQkQ. On voit les enfants d'Assiga dans la rivière Yoto.

En fait, c'est Ewe qui devait être roi. Cependant, à Adéli il Y a eu une

compétition pour savoir qui serait choisi. Dieu ficha une lance en terre et lança le

défi que quiconque aurait le courage d'y embrocher son fils serait désigné roi. Aucun

candidat n'eut le courage de le faire; Ewe prit un esclave et l'embrocha sur l'épieu.

Dieu le jugea alors trop cruel pour régner et confia la royauté à son frère qui résidait

au quartier Ekli. Mais c'est Ewe qui intronisait les rois de Notse. Il faut passer par Atakpamé pour se rendre à Adéli. C'est le frère du chef Gaba qui va souv entàAdéli,

mais il est déjà mort.

[Le chef Gaba nous donna le même jour des précisions sur ce qu'il est convenu de

nommer l'affaire Assiga].

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Page 174: Traditions Historiques Du Bas Togo

Assiga était un roi élu. Il partit à Adéli pour recevoir de Mawu [Dieu] les

pouvoirs nécessaires pour régner. Il fut absent pendant trois ans. Les gens crurent

à Notse qu'il était mort et son frère prit le trÔne. Sur son chemin de retour, Assiga

s'arrêta à Agbatittoe où l'une de ses maîtresses lui apprit la nouvelle. Il entra en

colère et refusa de rentrer à Notse. On le pria en vain.

Il s'engloutit dans le Yoto avec les siens. Les eaux se séparèrent en deux et

il y entra avec tout son monde. Son gongonneur refusa l'honneur d'entrer dans le

lit du cours d'eau avant son roi. Mais dès que le roi y mit pied, les caux se

refermèrent sur lui, et le gongonneur se retrouva seul sur la berge. Il rentra à Notse

raconter cette histoire insolite aux notables.

L'INSTRONISATION DES ROIS DE NOTSE

Informateur : Chercheurs

Lieu Date

Dékpo Gaba, chef du quartier Tègbè

A Aduayom, A Ayivi

Quartier Tègbè

15 janvier 1981

Q : - Où se trouve Adéli et qu'est-ce qu'on y faisait ?

R : - Le dieu Mawu en avait assez de la trop nombreuse population de Notse,

laquelle lui causait toutes sortes de tracasseries. Aussi s'enfuit-il pour s'installer

dans l'Adéli, laissant sur place ses fils. Des tentatives pour le ramener à Notse furent

vaines. Par conséquent, pour le consulter, nous sommes obligés de nous rendre dans

l'Adéli, d'où le nom de Mawupé [séjour de Mawu] donné à ce lieu.

Q : - Est-ce seulement au cours de l'intronisation d'un chef qu'on envoie des

messagers à Adéli ?

R : - Oui, des messagers du nouvel anyigbafia sont envoyés à Adéli. Sur leur

demande, des rites ont lieu dans le but d'obtenir que le règne du nouveau souverain

soit placé sous le signe de la paix et de la prospérité. Ces messagers sont choisis de

force dans tous les quartiers, car Mawupé est un lieu qu'on craignait beaucoup, les

gens de mauvaise vie s'y rendant n'en revenant pas.

188

Page 175: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Donc les messagers ne sont pas exclusivement choisis dans le quartier Tègbè? R : - C'est Tègbè qui se charge du recrutement dans les quartiers pour cons-

tituer l'équipe de messagers qui ira à Adéli, encore appelé Nuganpé [lieu de la grosse

affaire].

Q : - Où se situe exactement Adeli ?

R : - Loin à ma gauche [au nord de Notse].

Q : - Vous rappelez-vous les noms de quelques-uns des messagers qui ont été à

Adéli lors de l'intronisation d'un «anyigbafill» ?

R : - Non, je n'en ai aucun souvenir.

Q : - Le choix de l'Anyigbafia est-il toujours entériné à Mawupé ?

R : - De fait, personne ne cherchait à êtrefia [roi]. Tout individu soupçonnant

sa nomination éventuelle fuyait et ne revenait qu'après l'installation du nouveau

souverain.

Q : - Pourquoi cette fonction répugnait-elle aux gens? R : - C'est que la fonction de fia comporte trop d'obligations. Le fia se doit

d'être une personne «propre», sans reproche et ce n'est que dans ces conditions qu'il

peut régner sans problème. Dans le cas contraire, son règne est éphémère; c'est

ce qui explique que certains règnes n'ont duré que trois ans.

Q : - Pourquoi à partir d'un certain moment les chefs meurent après trois ans ?

R : - C'est parce qu'ils n'ont pas la conscience pure.

Q : - Peut-on donc dire que toutes ces disparitions après trois ans s'expliquent par cette seule raison ? R : - Oui, c'est la seule raison. Ce n'est pas une institution.

Q : - Connaissez-vous des cas de personnes proposées pour être rois et qui ont dû

s'enfuir ?

R : - [Après un moment d'hésitation]. Je ne peux pas le savoir. Le seul cas que

tout le monde connaisse, c'est celui d'Adjaïto.

Q : - Adjai'to s'est-il enfui avant son intronisation? R : - C'est lui «Houéyi-ho». Il a considérablement vieilli avant de mourir.

189

Page 176: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Qui est Assiga ?

R : - Assiga a été choisi pour être roi. Il a donné son accord, mais a demandé à se rendre d'abord à Mawupé. Son séjour à Mawupé ayant trop duré (trois ans),

son frère a été installé à sa place. Sur son chemin de retour, sa concubine l'informa de cette situation à Agbattitoé. Grande fut sa colère. Arrivé au bord de la rivière Yoto, il sortit son awudja [queue de cheval] et le pointa vers la rivière, laquelle se

fendit immédiatement. Son entourage avança et, lorsqu'il mit le pied dans le lit de la rivière, celle-ci se referma sur lui et ses compagnons. Le seul rescapé fut son gapoto (gongonneur) resté derrière lui; c'est ce dernier qui annonça cette nouvelle

aux gens de Notse. C'est à partir de ce moment que cette rivière est appelée Assiga.

Q : - Pourquoi Assiga est-il resté à Mawupé pendant trois ans ?

R : - C'est pour acquérir de la puissance [a ho aisè].

Q : - Quelles sont les cérémonies qui président à l'intronisation d'un roi ?

R : - Si quelqu'un de ma génération ou même de celle qui a précédé la mienne prétend vous en parler, il ment. En fait nous n'en savons plus rien.

Q : - Combien de temps met-on pour se rendre à Adéli ?

R : - A vrai dire, les messagers ne devaient pas parcourir ce trajet d'une seule traite. Ils passaient la nuit dans chaque localité située le long du trajet. A chaque escale, les messagers se rendant à Nuganpé, c'est-à-dire Mawupé, sont nourris gra­tuitement. Au premier chant du coq, ils repartaient.

Q : - Et actuellement peut-on se rendre à Mawupé en voiture? R : - Oui; on peut le faire; mais les messagers eux doivent obligatoirement s'y rendre à pieds selon le procédé ci-dessus décrit.

Q : - A quelle distance se trouve Adéli ?

R : - Il faut passer par Atakpamé pour s'y rendre.

Q : - Connaissez-vous le nom d'une localité assez proche d'Adéli ? R : - On passe par Kpessi pour s'y rendre.

Q : - Chaque quartier a-t-il un rôle précis à jouer dans les cérémonies d'introni-sation du fia ? R : - Oui; il Y en a un qui le chausse.

190

Page 177: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Quel est le quartkr qui en est chargé ?

R : - Je ne peux pas le savoir .

. Q : - Y a-t-il un quartier chargé de l'installer sur le trône?

R : - Oui ; il Y en a.

Q : - Lequel?

R : - Je ne peux pas le savoir.

Q : - Y a-t-il un quartier chargé de lui fournir des femmes ?

R : - Non; il prend femme où il veut.

Informateurs : Chercheurs Lieu Date

RESUME

ENTRETIENS AU QUARTIER ADIME

Les notables du quartier Adimé

Smith, Bidjalinawia, Ayena

Quartier Adimé, Notse

6 - 7 janvier 1981

Le quartier Adimé est composé de deux sous-quartiers: Adimevi, dont le

chef est Apefu Koukpé; c'est un paysan, il règne depuis quatre ans; Adimegan, avec

pour chef Adjaho Kossivi, âgé de 32 ans environ; il règne depuis quatre ans.

L'enquête s'est faite le 6 janvier en l'absence des deux chefs. Le groupe de

chercheurs fut accueilli par les deux sous-chefs et quelques notables. Le sous-chef

d'Adimevi, Adjalo Coudji, né vers 1928, est un tailleur. Le sous-chef d'Adimegan

s'appelle Segla Maglo ; c'est un paysan.

Parmi les notables d'Adimé, on pouvait remarquer: Komi Manou (paysan),

Komi Ameyayo, Kossi Ahossou, Eka Agbadji (menuisier).

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Page 178: Traditions Historiques Du Bas Togo

Origine du toponyme Adimé

C'est un cours d'eau du nom d'Adimé qui coule non loin du quartier qui aurait donné son nom au quartier. Mais le sens réel du mot adimé est ignoré.

Origine des habitants du quartier

Ils affirment ne pas être venus de Tado, mais de Bagbe, au nord-ouest de Notse. De Bagbe, ils allèrent s'installer à Gbadji, et c'est de Gbadji qu'ils vinrent créer le quartier Adimé.

Q : - Pourquoi le quartier est-il divisé en deux ?

R : - Dès les premiers temps de notre installation à Adimé, nous étions unis. D'ailleurs, l'ancien nom d'Adimevi était Wobedomé. Nous ignorons pourquoi il y a eu division. C'est le point de vue de monsieur Apeku Koukpe.

Mais le chef d'Adimegan n'est pas du même avis. Selon lui, la division serait intervenue lors d'un recensement. A cette occasion, expliqua-t-il, un certain Ado­

mayakpor aurait décidé que les membres de sa famille soient recensés à part. C'est à partir de ce moment que la division serait intervenue.

Choix du chef de quartier

Il Y a deux possibilités: Si un chef meurt, on peut le remplacer par son fils, si celui-ci est jugé digne de ce poste; au cas où on le juge incapable, les chefs et les grands notables du quartier tiennent conseil et désignent d'un commun accord un nouveau chef.

Cérémonies d'intronisation

Elles sont assez simples et ont souvent lieu chez le père du nouveau chef.

Enquête du 7 janvier 1981

Q : - Quel est le sens du mot Adimé et qui a fondé ce quartier ? R : - Nous n'en savons rien.

Q : - Quel est le plus ancien quartier de NOise. R : - Selon le notable Abidonou, personne ne le sait.

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Page 179: Traditions Historiques Du Bas Togo

Ce qui est sOr, c'est qu'il ya six quartiers :

1 - Alinu ou Avizouha, dont le chef est Atiogbe Komlavi. 2 - Adimé (on connaît déjà les chefs) 3 - Tégbé, dont le chef est Gaba Takpo. 4 - Ekli, avec pour chef Tchao Adjaïto

5 - Tako, qui a pour chef Dayo Koffitsé 6 - Agbaladome, avec pour chef Kokouvi Apéké

Nom du chef supérieur: Afatchao Agokoli (règne depuis 4 ans).

Vie économique

Plus de 80 % de la population du quartier cultive la terre. Les fermes sont plus ou moins proches. Les principales cultures sont: le maïs, le manioc, le riz. On

y trouve aussi des artisans (forgerons, tisserands, potières).

Croyances

Gbadji et Gougoutégou sont les principales divinités d'Adimè.

Q : - Quels sont les différents modes d'appropriation des te"es ? R : - Il n'y a pas de mode particulier. La terre appartient à chaque famille et c'est le chef de chaque famille qui donne la terre à ses descendants.

Q : - Quel est le calendrier agricole de Notse ? R : - Dans les temps anciens, le calendrier agricole était déterminé suivant les

saisons des pluies, qui souvent varient avec les lunaisons.

Q : - Quelles sont les formes de coopération à Notse ? R : -II y a plusieurs formes de coopération (fidodo). Les coopérations peuvent se faire par petits groupes ayant des liens familiaux ou par groupes d'affinité.

Q : - Depuis quand existe cette forme de coopération ? R : - Elle date de nos grands-parents.

Q : - Quel est son intérêt selon vous ?

R : - Elle contribue d'une part à maintenir de bonnes relations entre les hommes, et d'autres part, elle permet d'intensifier les travaux.

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Page 180: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Existe-t-il le métayage dans ce milieu ? R : - Oui. Nous employons des gens dans nos champs, soit pour dette, soit pour

besoin d'argent. Dans les deux cas, les contrats varient suivant la nature du

métayage. Celui-ci peut s'étendre soit sur deux ans, soit sur cinq ans.

Q : - Quels sont les groupes ethniques souvent employés ?

R : - Ils varient et souvent ce sont des nécessiteux venus de tous les coins du

pays. Il arrive même d'avoir comme métayers les membres de sa propre famille.

Q : - Où sont logés les métayers par rapport aux employeurs ?

R : -Ils habitent souvent à côté ou dans la même concession que l'employeur.

Q : - Quel est le degré d'intégration de ces métayers ?

R : - L'intégration varie avec chaque famille et dépend souvent de la façon dont

les métayers sont traités. Mais généralement, il y a intégration et il arrive même que

les métayers épousent les jeunes filles de l'employeur.

Artisanat

Q : - En dehors des champs, quels sont vos activités secondaires ?

R : - Nous avons d'autres occupations comme la forge, le tissage, etc.

Q : - Combien de forgerons peut-on trouver dans votre quartier? R : - Il Y en a beaucoup.

Q : - Peut-on connaître les noms des plus anciens forgerons du quartier? R : - Les plus célèbres furent: Tagbedji Amavi, Agblivi, Komlavi, Asiaglo.

Q : - Leurs techniques de travail ?

R : - Il n'y avait pas d'enclume. Les rochers de granit servaient d'enclumes. Il

y avait un genre de soufflet.

Q : - Que fabriquaient-ils ?

R : - Des houes, des haches, des flèches.

Q : - Y a-t-il des cérémonies particulières liées à la forge ?

R : - Oui; les forgerons ont l'habitude de faire périodiquement des cérémo-

nies pour leur forge. Ces cérémonies consistaient à immoler des poulets et à offrir

du vin de palme. C'est une manière de prier les ancêtres pour qu'ils bénissent leurs

travaux.

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Page 181: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Où vendaient-ils les outils ainsi fabriqués ?

R : - Il n'y avait pas de vente. Les gens qui avaient besoin des ou.tils étaient si nombreux que les forgerons n'avaient plus besoin d'allervendreailleurs. D'ailleurs,

ils n'arrivaient pas à satisfaire tout le monde.

Q : - En dehors des forgerons, quels sont les artisans que compte votre quartier? R : - Il Y a aussi les tisserands et la filature du coton.

Q : - Et la poterie ?

R : - On ne fait pas de poterie à Adimé. On en importe des autres quartiers.

Société

Q : - La médecine traditionnelle existe-t-elle dans le quartier? R : - Le quartier comptait dans le temps des tradi-thérapeut~, de vrais gué-risseurs capables de traiter des fractures de jambes, de guérir des maladies comme la maladie du sommeil et bien d'autres.

Q : -Peut-on connaître les noms de certaines herbes guérissant certaines maladies? R : - Impossible; à moins que l'on soit devant un cas précis de maladie, car les grands pouvoirs ne se révèlent pas au grand jour.

Q : - Comment se faisait l'éducation des enfants avant la colonisation ? R : - Il faut distinguer l'éducation d'un garçon de celle d'une fille. La fille était éduquée par sa maman, dans les travaux ménagers, et l'homme éduquait son garçon aux champs.

Q : - A quel âge mariait-on les jeunes gens ?

R : - A un âge très avancé et ce sont les parents qui jugeaient l'âge convena-ble auquel ils devaient marier leurs enfants.

Q : - Y avait-il la dot dans la société ewe ?

R : - La dot existait et se faisait soit sous forme des travaux champêtres, soit sous forme de cadeaux divers.

Q : - Le jour du mariage, quelles étaient les cérémonies pratiquées ?

R : - La veille, la jeune fille était emmenée, de chez ses parents, par un groupe d'amis du jeune homme. Les festivités commençaient alors et se terminaient le lendemain par des fêtes de famille.

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Page 182: Traditions Historiques Du Bas Togo

Chasse et cueillette

Q : - Avez-vous des chasseurs dans le quartier? R : - Nous avons des chasseurs. Les plus célèbres dans le temps furent: Hoedo,

Tetsé et Amavi.

Q : - Que rapportaient-ils de leur chasse? R : - Beaucoup de gibier: éléphants, lions, biches, antilopes, etc.

Q : - Quelles sont les cérémonies liées à la chasse ?

R : - Les cérémonies varient avec la nature de l'animal tué. Généralement, de

grandes festivités accompagnent l'abattage d'un gros gibier comme l'éléphant. La

viande est alors partagée entre tous les membres de la famille du chasseur.

Q : - Technique de chasse. R : - La technique variait avec les chasseurs. Mais comme il n'y avait que peu

de fusils, les chasseurs utilisaient souvent des flèches ou de grands bâtons empoi­

sonnés.

Q : - Pratiquait-on la cueillette? R : - Oui; la cueillette était généralement pratiquée par les chasseurs. Ceux-

ci en effet, lors de leur déplacement pour la chasse, vivaient de la cueillette et

mangeaient des fruits comme le néré, le fruit du baobab, le miel aussi.

Q : - Quel genre de savon utilisait-on? R : -Les anciens fabriquaient un savon indigène obtenu à partir de deux arbres:

le kapokier et le gadja (Acacia atoxacantha (Mimosaceae)], avec des techniques ap­

propriées.

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Page 183: Traditions Historiques Du Bas Togo

HISTOIRE DES EWE, VERSION DE KPEDOME

Informateurs :

1 - Edoh Logossou Kokouvi, conseiller du chef, cultivateur. Age: né trois ans environ après le départ des Allemands [1914] ; sa ferme, Betchoué, a été créée par son père.

2 - Amouzouvi Sonutché, régent, cultivateur. Sa ferme, Kokoliekpé, à 34 km de Kpedome, a été créée par son grand-père. Age: né au cours de la période allemande.

3 - Atsou Koffi, chef du quartier Pani.

Age: né le 12 juillet 1926. Son père a créé une ferme appelée Balekopé (28 km du village).

4 - Mlaga Komi, cathéchiste de l'Eglise évangélique. Cultivateur; possède une ferme appelée Zitchui ou Laokopé, créée par un grand-père, Mlaga. Il est né en 1936. Il aide son oncle Messan Mlaga, chef du quartier Blakpa.

5 -Sossou Norbert Kpatcha, ancien secrétaire du chefsupérieur Oanhui Hounsoun­nou, en retraite; né en 1916.

Chercheurs : Lieu

Date

Bomolo, Gayibor, Métinhoué Kpedome 6 et 7 janvier 1981

Q : - Kpedome était-il sous la dépendance des rois de Noise?

R : - Oui

Q : - Comment a été créé votre village ? R d'Amega Kokouvi : - notre aïeul Adoh était un chasseur; il est venu de Notse et a créé ici une halte de chasse. Il eut plusieurs fils. Un de ses petits enfants, Edoh, eut pour fils Logossou ; et moi, Kokouvi, je suis le fils de Logossou.

197

Page 184: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Quand votre afeul a-t-il quitté Notse ?

R d'Amega Kokouvi : - je ne sais pas.

Rd' Atsou Koffi: -Srupa et Awaliwoé étaient frères d'Adoh (Edoh). Ils étaient donc trois frères, tous chasseurs qui venaient de Notse chasser ici, où Adoh installa une

halte de chasse appelée Agbenoa. Srupa lui, créa le quartier Pani. Les murailles de

Notse s'étaient écroulées avant leur départ et les gens avaient commencé à s'épar­piller. Mais ce n'est pas à cause de cet exode massif qu'ils sont venus s'installer ici. Les Ewe viennent de Kétou, ils se sont ensuite installés à Tado, puis à Notse.

Q : - Signification de Kpedome

R d'Amega Kokouvi : - [n'est pas très sGr de sa réponse]~

R de Koffi Atsu: - Les murailles sont comme une colline. Ils sont venus s'installer

sous cette colline ; d'où Kpedome qui signifie «sous la colline». La véritable prononciation est donc Kpodome, et non Kpedome.

R de Sossou Kpatcha Norbert: - Le chef supérieur Danhui, de son vivant, m'a dit ceci : "c'est à cause de la carrière de pierres qui se trouve non loin d'ici que ce nom

fut donné à la ferme: Kpedome".

R de Mlaga Komi : - Signification de Blakpa : Notre aïeul Dèfu était frère consanguin [TQvi] d'Agokoli, à Alinu, à Notse. Il ne quitta pas Notse en même

temps que les autres. Il partit bien plus tard fonder une ferme à Awatoe, près de Koussogba (près de Wahala). Il dénomma cet endroit Awatoe, car il avait dG fuir la guerre contre les Akposso et les Kpele. A cause d'une nouvelle guerre qui

menaçait contre les Agu, il quitta cet endroit pour s'installer à Apedzokpoe (non

loin d'ici).

Mais pendant ce temps, son frère Agokoli le faisait rechercher par des chasseurs. Il avait un chien auquel il donna pour nom «Doit-on me traîner de force à Notse» 1 [sous-entendu, après toutes les souffrances qui m'ont fait fuir Notse, doit­on encore m'obliger à y retourner 1]. Un des chasseurs d'Agokoli envoya alors des

émissaires pour le ramener de force. Les émissaires lui apprirent que son frère n'était pas du tout content pour le nom qu'il avait donné à son chien et qu'il risquait,

par conséquent, de passer en jugement et d'être condamné. Il parla alors à son chien, lui recommandant, qu'à Notse, de ne répondre devant le roi que s'il l'appelait «Notse, est-ce un pays que l'on doit rejeter ?». Il fut donc ramené à Notse devant son frère, le roi. Ce dernier lui demanda la cause de son départ. Il répondit qu'il avait dG quitter la ville pour chercher de quoi manger pour ses fils. Vint ensuite la

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Page 185: Traditions Historiques Du Bas Togo

question concernant le nom de son chien. Il se défendit d'avoir voulu insulter

quiconque en donnant à son chien un nom méprisant à l'endroit de la ville. Pour

preuve, il appela le chien : «Doit-on me traîner de force à Notse ?». Le chien ne

broncha pas; mais dès qu'il dit: «Notse, est-ce un pays que l'on doit renier ?», le chien

remua la queue et s'en vint le lécher. Toute l'assistance, étonnée, resta coite.

Notre aïeul décida alors de quitter définitivement la ville. Il recommanda

alors aux siens de se préparer pour partir: «blakpa» ; expression qui fut retenue pour désigner le quartier qu'il fonda à Kpedome. C'est le roi Agokoli qui leur permit

de s'installer à Kpedome. Ils allèrent d'abord à Apedzokpoé, où l'aïeul fit un

fourneau avec trois pierres. Mais comme il n'y avait pas d'eau dans la région, l'aïeul

se lamentait, se demandant où trouver de l'eau pour abreuver ses enfants; sur ces

entrefaits, dit la tradition, un caïman sortit du fourneau et de l'eau en jaillit; ils

utilisèrent cette eau, puis s'en vinrent à Kpedome fonder le quartier Blakpa.

L'aïeul Doefu eut pour fils Edzo qui engendra à son tour Akata, Goguvi et

Ananivi, le benjamin, que les vieux envoyaient souvent leur faire des commissions;

par la suite, ils venaient se réunir chez lui. Ananivi eut pour fils Koudo ; de Koudo

naquit Mlaga, l'actuel chef du quartier.

Régent: - L'endroit où l'eau jaillit, c'est la source du Yoto ; j'y ai une ferme.

Mlaga Komi : - La signification du Yoto veut dire «l'eau qui a été appelée» [Yo -to]

Q : - La liste des chefs de Kpedome R du Régent : - Ade (à l'époque allemande), Vokuyibo, Dayo Abè, Danhui

Hounsounnou,

Q : - Cene liste ne semble pas complète, car si Ade régnait lors de la fondation du

village, il est impossible qu'il ait régné jusqu'à la période allemande. [Après discus­

sions, il fut décidé que les informateurs iraient s'informer et nous renseigneraient

utilement le lendemain].

Q : - Les quartiers du village. R : - Régent: Fiagbedu (le quartier royal), Akpobu, Dzogbe, Pani, Blakpa,

Q : - Les activités économiques R : - Essentiellement l'agriculture.

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Page 186: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Où se trouvent vos champs ? R : - Dans des fermes.

Q : -Les quartiers sont-ils habilIs par plusieurs clans ou lignages ou bien c/aQque clan a-t-il son quartier ? R : - Au début, oui; mais plus de nos jours. Les fermes sont en fait créées par

les paysans, individuellement.

Q : - Les produits agricoles. R . : - Mals, coton, riz, haricot, sésame [caca ou gauss'l, mil, arachide [YovOZll, manioc, igname.

Q : - La culture du coton est-elle ancienne ?

R de Soussou Norbert: - Le coton a toujours été cultivé ici.

R de Kokouvi : - Dans les temps anciens, le coton était cultivé en petites quantités,

que les femmes filaient. Ce fil servait à fabriquer les tissus locabx (Agbamevo]. Les Européens amenèrent aussi le coton et diffusèrent largement sa culture.

Q : - Les instruments ariltoires. R : - La houe.

Q : - D'où provenait la houe? R : - Elle était fabriquée par les forgerons.

Q : - Où trouvaient-ils le fer ? R de Koffi Atsou : - Dans les temps anciens, nos aïeux connaissaient des pierres

ferrugineuses qu'ils chauffaient et le fer fondait; ils se servaient de ce f~r pour les travaux de forge. Ils se servaient également de cette pierre ferrugineuse pour la tecb­nique du feu. Avec du kapok, ils frottaient deux morceaux de cette pierre l'une

contre l'autre; l'étincelle, en jaillissant, embrasait le kapok. Ces morceaux de pierre ferrugineuse étaient appelés ada.

Q : - Y a-t-il des liens entre les kopé et le village ? R de Kokouvi : - Les fermes gardent toujours des liens étroits avec le village. Certains s'en vont s'installer définitivement à la ferme. Mais, à leur mort, leurs

dépouilles mortelles sont ramenées et enterrées au village.

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Page 187: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Ya-t-il des fermes fondées à partir de votre village et qui se sont à leur tour érigées en villages ?

R : - Il Y a Kpegnon, fondé à partir de Blakpa.

Q : - Techniques de construction des maisons. R de Kokouvi : - Ce travail est souvent communautaire. Les hommes creusent le

sol pour en extraire l'argile; les femmes s'occupent de trouver l'eau nécessaire pour

pétrir cet argile. On fait les murs, niveau par niveau. Il faut attendre que chaque

niveau soit bien sec avant de continuer. Celui qui construit la maison pourvoit à

la nourriture de ses amis pendant le travail.

Q : - Forme des maisons R : - Les maisons ont toujours eu une forme polygonale.

Q : - La toiture ?

R : - la charpente, en bois, était couverte de paille.

Q : - La case est-elle individuelle ou familiale ?

R : - L'homme a sa case, il en construit une à chacune de ses femmes; les enfants

vivent avec leur maman; quand ils deviennent adolescents, on leur donne une case.

R de Mlaga Komi : - Les cases pour adolescent sont plus petites; on les élargit au

mariage de l'intéressé.

Q : - Les cases sont-elles entourées de clôtures ou non ? R de Kokouvi : Pas de clôtures.

Q : - Les greniers sont -ils à la ferme où au village ?

R : - A la ferme.

Q : - Comment procède-t-on pour la vente de la récolte ? R : - Le maïs est égrené dans les paniers et transporté par les femmes jusqu'au

marché.

Q : - Les autres activités économiques. R : - Tissage, chasse.

Q : - D'où provenaient les fusils ?

R : - Les chasseurs utilisaient surtout arc et flèches.

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Page 188: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Le gibier R : - Antilope, lièvre, hyène, éléphant, bume.

Q : - Activités féminines. R : - Filature de la laine. Elles s'occupent du commerce également.

Q : - Quel était le marché à Kpedome ?

R : - Zongo : ce marché n'existe plus.

Q : - Comment se fait-il que le marché de votre village soit dénommé Zongo, alors que le Zongo est généralement le quartier des Haoussa ? R : - [Ils n'ont pas su donner de réponse à cette question]. Les marchandises

étaient transportées sur la tête, jusqu'à Lomé.

Q : - Lomé existait-elle à l'époque? R de Mlaga Komi : - Ils vont au marché d'Adjaha et de Notse.

Q : - Les produits vendus aux marchés R : Les produits de l'agriculture et de la chasse.

Q : - Quels étaient les commerçants ?

R : - A la fois les hommes et les femmes, car il était imprudent de laisser partir

les femmes seules, à cause des razzias des chasseurs d'esclaves.

Q : - Il Y avait donc l'esclavage et la traite ?

R : - Oui.

Q : - Qui étaient les esclavagistes et qui vendait-on? R : - [Réponse réticente].

Q : - Comment est choisi le chef ? R : - Le chef est choisi dans la famille royale suivant ses qualités.

Q : - Qui choisit le chef? R : - Les notables.

Q : - Comment le chef dirige-t-ille village ? R : - Avec ses notables, les chefs des quartièrs.

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Page 189: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Comment se déroulaient les cérémonies d'intronisation ?

R de Atsou Koffi : - Après le choix du nouveau chef, on fixe une date pour son in­

tronisation officielle; on prépare ses attributs: - les sandales, appelées Malèfokpa ou sandales des Malè et la couronne faite en etse.

Q : - Pourquoi «sandales des Malè» ?

R : - Parce qu'elles sont fabriquées par les Malè [Musulmans].

Q : -A qui appartient la terre ?

R : - La terre appartient à Dieu. Là où tu es t'appartient.

Q : - Vend-on ou loue-t-on la terre aux étrangers? R : - On ne vend pas la terre; on la donne à ceux qui veulent la cultiver.

Q : - Y a-t-il des terres communautaires ou lignagères ?

R : - Tout le monde va et s'installe n'importe où.

Q : - Les cultures pratiquées avant farrivée des Blancs. R : - Haricot, maïs, igname, manioc, ananas, banane-plantin, pois d'Angol, riz,

arachide [deux espèces: une petite, une plus longue; la petite est appelée Daglonzi, du nom de l'Européen Daglon qui l'a introduite].

Q : - Les outils utilisés ? R : - houe, coupe-coupe, hache.

Q : - D'où provenait le fer ? R : - Il est vendu par les Aguda. Les Aguda sont des Blancs qui ont toujours

vécu avec nos ancêtres. C'est eux qui ont amené le fer.

Q : - Donc il n y avait pas de travail de fonte ici ?

R : - Non. Seulement le fer était parfois réutilisé par les forgerons.

Q : - Les techniques des travaux agricoles. R : - Le terrain est préparé après les fêtes de Notl, par le feu. On se sert d'une

grande houe appelée asQ. [daba] pour faire les buttes d'igname.

Q : - Combien de semences par an ? R : - Le maIs, l'arachide, le haricot rouge se font deux fois l'an. L'igname, le

coton, le manioc, une fois l'an.

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Page 190: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - A quoi sert le beurre de karité ?

R : - On ~e prépare à panir des fruits que l'on fait cuire au feu et que l'on pile ensuite 4ans un monier. Il sert essentiellement de baume; certains l'utilisent

comme nourriture quand ils sont malades.

Q : - Y a-t-il des travaux collectifs des champs ?

R : - Oui, il y a souvent des travaux communautaires.

Q : - Y a-t-il le métayage ?

R : - Non

Q : - Y a-t-il des ouvriers agricoles? R : - Oui; sous forme d'awoba ou gage. Pour dette, on fait travailler les gens

jusqu'au payement de la dette.

Q : - Y-avait-il des forgerons? R : - Oui, mais ils n'étaient pas regroupés en un quartier. Ils étaient peu

nombreux. Notre aïeul Adanhouzo (le régent l'a connu) était un grand forgeron

du quartier Fiagbedu. A Pani, il y avait un grand forgeron appelé Azoumana ; ces

gens étaient forgerons de père en fils. Ces forgerons étaient aussi des paysans

possédant leurs fermes.

Q : - Autres activités R : - Il Y avait aussi des chasseurs dans les différents quartiers. La chasse n'était

pas réservée à une certaine catégorie de personnes. Les chasseurs sont en même temps paysans.

Q : - D'où leur provenaient les fusils ?

R : - Autrefois les seules armes étaient les af(~ et les flèches. Puis les Aguda

ont commencé à amener les fusils.

Q : - Gibier

R : - Cerf, antilope, éléphant, panthère, lion, etc.

Q : - Poterie R : - Elle était pratiquée par les femmes. Les méthodes n'ont pas changé.

Q : - Techniques R : - Elles fabriquent les vases à partir de l'étsu [l'argile) pétrie.

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Page 191: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Y a-t-il un quartier spécialisé dans cette technique?

R : - Cela se faisait à Tègbè, à Notse.

Q : - Y avait-il des tisserands ? Spécialisation par quartier?

R : - Oui; il existait des tisserands; mais pas de spécialisation par quartier.

Q : - D'où provenait le fil ?

R : - Autrefois on n'utilisait pas de fil; on employait l'écorce de jeunes iroko.

On la battait avec des bâtons pour la rendre souple et on s'en servait comme tissus

pour s'habiller et se couvrir. Puis les Blancs ont amené le coton. Les femmes filent

le coton et les hommes s'en servent pour tisser.

Q : - Comment faites-vous pour avoir les différentes couleurs pour les fils ?

R : - Les femmes vont chercher dans la forêt une feuille dont elles extraient une

substance appelée ama [l'indigo], qui sert à colorer les fils de coton en noir.

Q : - N'y avait-il que le noir et le blanc comme couleurs?

R : - Il Y avait presque toutes les couleurs qu'on obtient à partir de diverses

sortes d'herbes.

Q : - Pratiquait-on la vannerie?

R : - Oui.

Q : - Quels en sont les spécialistes ?

R : - Les hommes

Q : - Quel marché fréquentait-on ?

R : - Il n'y avait pas de marché. Il n'y avait que le troc ou la vente avec les cauris;

c'était surtout la viande que l'on vendait. Mais les gens allaient à Lomé chercher

du sel; ils Y allaient à pieds. Ce sel était fabriqué par les indigènes; ils achetaient

ce sel avec des cauris.

Q : - Qu'est-ce que la famille pour vous ? R : - Nous avons ici la famille étendue.

Q : - Comment hérite-t-on ?

R : - On hérite de son père, et non de l'oncle comme ailleurs.

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Page 192: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - A part le chef de quartier, y a-t-il d'autres notables ?

R : - Oui ; on les appelle les dumega ou asafo ; ils secondent le chef dans l'administration et surtout la justice.

Q : - Comment sont-ils choisis ? R : - Ils sont choisis d'après leur sagesse et leur savoir, et non d'après l'âge et

la richesse; ils jurent fidélité au chef.

Q : - Statut de la femme. R : - ROle important de la femme, surtout la première épouse.

Q : - La polygamie existe-t-elle ?

R : - Généralement les hommes épousent une à trois femmes suivant leur richesse.

Q : - Respecte-t-on seulement la première femme ? R : - La première femme a une place particulière, mais le respect qu'on lui doit dépend de son caractère et de sa personnalité; si elle est mauvaise, l'une des autres

épouses peut prendre sa place.

Q : - Y a-t-il des activités spécialement féminines ?

R : - Dans les travaux des champs, pendant que l'homme s'occupe du débrous-

saillage, elles mettent le feu aux arbres. Elles font les semences, les récoltes les

amènent au marché pour la vente. Elles s'occupent aussi de la poterie et filent la

laine pour les tissera mis.

Q : - Il semble que les femmes travaillent plus que les hommes. R : - Oui

Q : -Pourquoi? Est-ce parce que les hommes se sentent supérieurs aur femmes? R : - Non; seulement parce qu'il y a des travaux que les femmes ne peuvent

pas faire.

Q : -LA femme est-eUe obligée de rendre compte de ce qu'elle gagne à son mari? R : - Non; la femme utilise son argent pour elle-même et ses enfants.

Q : - Et l'homme ? R : - Il utilise son argent pour ses femmes et ses enfants.

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Page 193: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Y avait-il des guérisseurs ?

R : - Oui

Q : - Comment les appelle-t-on ?

R : - [Réponse confuse] dadato ou amassiwoto.

Q : - Comment préparent-ils les médicaments ?

R : - A partir des herbes que l'on apprend à utiliser chez ses parents.

Q : - Etaient-ils nombreux ?

R : - Pas beaucoup.

Q : - Les divinités du village. R : - Plavodu Agboe, Sakpata, Xebiesso, Fadjrakou (Fa).

Q : - Quelles est forigine de ces divinités ?

R : - On ne sait pas. Mais les vieux nous ont dit que le fa vient du pays nago (Sakété).

Q : - Y a-t-il des fêtes rituelles pour ces divinités ? R : - Non, mais des gens peuvent être possédés par ces divinités et se mettre

à parler des langues inconnues, qui sont les langues de ces vodu. Il leur faut alors changer de nom. Ils deviennent les adeptes de ces divinités.

Q : - Les maladies les plus courantes. R : - Le pian était la plus répandue; il Y avait aussi la variole, le ver de Guinée.

Q : - La cause de ces maladies. R : - Le ver de Guinée est causé par la mauvaise eau que nous buvons. Pour le reste, nous ne savons pas.

Q : - Comment se faisaient les traitements ?

R : - Le ver de Guinée était traité avec de l'huile de palme et le beurre de karité qu'on appliquait sur les parties atteintes; on incisait celles-ci ensuite. Le pian était traité avec le jus des papayes non mQres et certaines herbes.

Q : - Techniques de construction des cases ?

R : - [les informateurs divergent]

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Page 194: Traditions Historiques Du Bas Togo

Des discussions, il ressort que : il y avait des cases à ossature en bois recouverte d'argile, des cases uniquement en argile, de forme ronde ou polygonale, couvertes de paille.

[La plupart des informateurs rejettent cependant la forme ronde).

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ENTRETIENS AVEC ALAGNONVI KOKOU KLOUKPO

forgeron à Kpele

Informateur: Chercheurs

Ueu

A1agnonvi Kokou Kloukpo Gayibor, Totah, Vail Kpele, Notse

Date 14 janvier 1981

Q : - Vos noms et qualité R :- A1agnonvi Kokou Kloukpo ; forgeron

Q : - Votre age R : - J'avais environ 14 ans lorsque les Allemands firent la guerre à Wahala ; j'ai fréquenté l'école allemande de Notse pendant un an avant la guerre.

Q : - Où avez-vous été en apprentissage? R : - Ici à Kpélé

Q : - Chez qui ? R : - Auprès de Monsieur Kpognon

Q : - Où Monsieur Kpognon a-t-il été en apprentissage ?

R : - A Notse. En fait, il est né forgeron, puisqu'il n'a pas été en apprentissage comme nous les autres. Né en bonne santé, il devint perclus par la suite. Il faisait tous les travaux de la forge sans avoir appris le métier de forgeron. Il est mort il y a deux ans.

Q : - Avez-vous appris les techniques traditionnelles ou modernes [méthodes importées d'Europe] de la forge ? R : - Les méthodes modernes; Monsieur Kpognon me parlait cependant des techniques traditionnelles et des forgerons du temps passé.

Q : - Combien de temps a duré votre apprentissage? R : - Quatre ans. Mais mon grand frère - celui qui m'a mis en apprentissage -mourut au Ghana et j'ai dQ passer en tout onze ans en apprentissage avant d'obtenir mon diplôme de fin d'apprentissage.

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Page 196: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Quelles conditions exigeait-on avant la mise en apprentissage ? R : - Il fallait donner deux bouteilles de gin à la signature du contrat.

Q : - Où logiez-vous durant votre apprentissage. R : - Je logeais chez mon patron et je faisais tous les travaux domestiques comme un simple domestique.

Q : - Et après votre apprentissage ?

R : - Je logeais toujours à Kpélé, mais plus chez Monsieur Kpognon. Je

travaillais cependant avec lui, puisqu'il était en fait mon grand frère. On avait beaucoup d'apprentis; à sa mort, j'ai hérité de la forge.

Q : - N'a-t-ü incité aucun de ses propres enfants à embrasser la même carrière? R : - Si ; un de ses enfants est ferrailleur à Pagala dans la société SOTOMA

Q : - De quels instruments se servaient les anciens forgerons pour travaüler ? R : - Il Y a une pierre souterraine appelée ahlihan [concrétions latéritiques ferrugineuses] que les anciens faisaient fondre pour extraire le fer.

Q : - Quelles techniques utilisaient-ils pour obtenir la fonte ? R : - Les fondeurs fabriquaient de grands vases avec l'argile «etsuλ. Ces vases

servaient à contenir les pierres à fondre. le vase, une fois posée l'ouverture contre le sol, était recouvert de bois auquel on mettait le Jeu. La pierre fondait par cuisson

et le fer s'écoulait. On laissait la loupe refroidir avant de la travailler.

Q : - Comment a-t-on su que cette pierre contenait du fer ? R : - Ce sont les anciens qui le savaient.

Q : - Pourriez-vous nous montrer les carrières tfoù l'on extrayait ce minerai? R : - Je ne sais pas où elles se trouvent, car on ne travaille plus avec ce fer.

Q : -Avez-vous personnellement vu ces vases qui servaient à fondre le minerai de

fer? R : - Oui; j'ai déjà vu un petit vase de la sorte.

Q : - Il Y en avait donc de plusieurs dimensions ? R : - Certainement.

Q : - Les instruments de travaü de ces anciens forgerons. R : - La pince et le marteau.

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Page 197: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Et l'enclume? R : - Une grosse pierre servait d'enclume. Vous pouvez encore voir celle que nous utilisions il n'y a pas longtemps, à côté de ma forge.

Q : - Cette pierre ne se brisait-elle pas ?

R : - Non; il s'agit d'une grosse pierre très dure. On la trouve généralement

en brousse. Ces enclumes furent progressivement abandonnées au profit de celles

en fer, importées d'Europe.

Q : - Comment se fabriquait la pince ? R : - On applatissait deux morceaux de fer que l'on reliait par un écrou; on s'en servait pour retirer le fer du fer.

Q : - Et le soufJlet ?

R : - On se servait d'une peau de biche ou d'antilope pour fabriquer une poche

munie de deux tiges caverneuses par lesquelles sort l'air servant à animer le feu. Ce

soufflet est appelé YQhQmehou. La forge est appelée YQho. [Ces soufflets ayant complètement disparu, nous avons demandé et obtenu du forgeron qu'il nous en

fabrique un exemplaire. Ce qu'il fit contre une minime rétribution].

Q : - Y avait-il des spéciJJlistes de la fonte, et d'autres spéciJJlistes des travaux de laforge? R : - Comme cela tient du passé, je n'en sais rien.

Q : - La fonte était-elle pratiquée ailleurs aussi ?

R : - Les gens de Notse en faisaient; le fer nous venait .... aussi de Bassari.

Q : - Comment le savez-vous ? R : - Monsieur Kpognon me disait souvent qu'on fabriquait du fer à Tado et

à Bassari.

Q : - Existait-il un marché entre Notse et Bassari où l'on vendait le fer? R : - Je ne sais pas.

Q : -Yavait-il des cérémonies spéciJJles propres à ceux quis 'occupaient de la fonte? R : - Je n'en ai pas entendu parler.

211

Page 198: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Y a-t-il des cérémonies et rites spéciaux, propres aux forgerons? R : - Oui. Ainsi, il est interdit par exemple: de siffler dans une forge; de sortir un fer rougi du feu en disant: «ah, si je pouvais plonger ce fer dans le corps d'un animal 1». Celui qui enfreint ces interdits dépose les instruments et sort de la forge. Il doit effectuer certaines cérémonies (avec un poulet blanc) avant de reprendre ses travaux dans la forge.

Q : - Pourquoi ces interdits ? R : - La forge est considérée comme un sanctuaire habité par la divinité Egu. Une femme en période de règles ne doit pas y pénétrer -même aujourd'hui- sinon ses règles ne cessent plus. Il faudrait donc accomplir des cérémonies spéciales (offrir un coq blanc, laver la victime avec infusion d'herbes spéciales) avan t que l'anomalie ne disparaisse.

Q : - Et quand on siffle dans la forge ?

R : - Le fautif ou le maitre-forgeron tombait malade. Mais cet interdit n'est plus respecté de nos jours.

Q : - Pourquoi ne doit-on pas proférer des menaces à l'endroit des animaux sauvages quand on a le fer rougi en mains ? R : -Autrefois, les animaux se transformaient en êtres humains pour venir chez les forgerons. Ces menaces pouvaient ainsi tomber dans les oreilles d'un animal féroce, capable de vous tendre par conséquent une embuscade en brousse et vous tuer, après vous avoir rappelé vos paroles.

Q : - Existe-t-il des cérémonies ~péciales au dieu de la forge ?

R : - Non.

Q : - Que fait-on à l'ouverture d'une nouvelle forge? R : - Rien de spécial. On peut cependant offrir une fête à ses amis et collègues.

Q : - Y a-t-il un jour de la semaine consacré au dieu Egu ? R : - Non. Un forgeron travaille quand il veut et se repose quand cela lui plait.

Q : - Y avait-il beaucoup de forgerons autrefois ? R : - Je ne sais pas. En général, tout le monde peut devenir forgeron.

Q : - Il semble que les forgerons étaient doués de pouvoirs magiques. Qu'en est-il exactement ? R : - Les forgerons étaient craints et respectés parce qu'ils étaient des adeptes du dieu Gu (Egu). Quand une personne est attaquée et blessée dans la brousse par

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Page 199: Traditions Historiques Du Bas Togo

un animal sauvage, c'est à eux qu'on s'adresse pour ramener le blessé au village. Les

gunu, les adeptes du dieu Ou, sont puissants; si un gunu vous prépare une potion avec la main gauche, il faut s'en méfier; si vous en buvez, vous risquez de voir votre corps s'enfler. Nous sommes porteurs aussi bien de la vie que de la mort.

Q : - Quel genre d'articles fabriquez-vous ?

R : - Houe, hache, lance, flèche, poignard.

Q : - Est-il vrai que seuLr certains forgerons «spécialistes» fabriquaient les flèches? R : - A ma connaissance, tout forgeron pouvait en fabriquer.

Q : - Fabriquiez-vous les fusils dénommés «aladja» ? R : - Non; ils ont été introduits chez nous par les Blancs. Nous nous en servons cependant comme modèle pour en fabriquer d'autres. Il s'agit d'un fusil très lourd, et le chasseur en campagne prend soin de se faire accompagner par un aide qui

portait le fusil. C'est avec cette arme que l'on tuait le gros gibier comme l'éléphant. Les chasseurs qui ont l'habitude de porter l'aladja marchent souvent l'épaule

penché de côté à cause du poids de l'arme.

Q : - Les forgerons sont-iLr respectés comme de grands notables ? R : - Oui; puisque ce sont eux qui fournissent aussi bien la houe que le coupe-

coupe et la hache.

Q : - Ce respect est-il da aux forces occultes qu'on leur attribue ou bien vient-il du

fait que ce sont eux qui fournissent les instruments de travail ? R : - A cause du fait que ce sont eux qui procurent les instruments de travail.

Q : - Ont-w encore d'autres activités? R : - Ils sont aussi cultivateurs.

Q : -Existe-t-il des familles uniquement spécialisées dans les travaux de la forge? R : - Oui; c'est le cas de la famille Kpognon. L'oncle maternel de Kpognon était forgeron. Mais n'importe qui peut devenir forgeron en se mettant en apprentissage auprès d'un martre forgeron. C'est le ''vieux'' Kpognon qui a propagé ce métier ici à Kpélé.

Q : - D'où lui venait le fer? R : - Ille commandait d'Europe par l'intermédiaire de Sylvanus Olympio, qui avait ouvert ici la maison de commerce Swanzy.

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Page 200: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Comment se procurait-on le charbon? R : - Les forgerons préparent leur charbon à partir d'un arbre appelé akakè [Erythrophleoeum suaveolens (caesalpinÙlceae) ]. Ce charbon est différent de celui utilisé pour la cuisine. On coupe les branches mortes et on met le feu. Le charbon de ce bois ne fait pas d'étincelles en brQlant. Comme combustibles, on utilise également les coques des noix de palmiste.

Q : - Fabriquait-on autrefois des pièges? R : - Non; les premiers pièges ont été introduits par les Blancs, nous les avions copiés par la suite.

Q : - Que fabrique le forgeron de nos jours ? R : -Beaucoup de choses; pratiquement tous les outils en fer utilisés chez nous, y compris ceux que les Blancs ont introduits. Mais nous ne fabriquons plus ni les pièges, ni les fusils, car maintenant c'est interdit par l'Administration.

Q : - Est-il vrai qu'autrefois les forgerons avaient le pouvoir de saisir le fer rougi au feu avec la main et le battre sur l'enclume? R : - Oui; je l'ai w faire par mon grand-frère Kpognon. Le forgeron dispose, à cOté de lui, un canari rempli d'une eau «magique» dans laquelle il plonge la main avant de saisir le fer rougi. Mon grand-frère Kpognon a voulu m'enseigner comment procéder, mais j'ai eu peur et j'ai refusé. Lui-même a reçu ce pouvoir de son oncle. U a fait ce prodige devant moi, du vivant du ~hef Komedja de Notse [décédé en 1938].

• • •

L'entretien se poursuivit ensuite avec le chef du village, Kokou Moyo, 54 ans environ; né à Kpélé, il a un peu fréquenté l'école française pendant son enfance: il était dans sa troisième année d'école lorsqu'éclata la guerre des palmistes [il s'agit de l'effort de guerre exigé des populations coloniales pendant la seconde guerre mondiale].

Q : - D'où vient le nom Kpélé ? R : - C'est mon grand-père Kossodo, venu d'Atchavé, qui a fondé Kpélé.

Q : - Et avant Atchavé ? R : - Lors de l'exode de Notse, à l'époque d'Agokoli, mes ancêtres sont partis à Dalia, puis à Atchavé et de là à Kpélé.

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Page 201: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Pourquoi ce nom ?

R : - Mon grand-père était un chasseur qui se promenait beaucoup à la recherche du gibier. Il avait créé ici une halte de chasse; l'endroit était très empierré, d'où le nom de Kpélé [il Y a des pierres]. La preuve, c'est qu'on tombe rapidement sur des roches dures dès que l'on se met à creuser le sol.

Q : - Qui fut le premier chef?

R : - Kossodo, mon grand-père. Peu après, les Adangbé sont venus s'installer près de 1 ui. Il leur a donné du terrain (derrière les rails), où ils ont édifié leur quartier qui s'appelle Tétékopé, parce que leur premier chef ici s'appelait Tété. Comme ils devinrent plus nombreux, les Allemands, à leur arrivée, ont choisi le chef du village parmi eux. Ce n'est que bien plus tard que la chefferie est revenue à mon grand­

père Egu.

Q : - Et après lui ?

R : - Il Y a eu : Allosé, Monyo, Yao, Vokouyibo, et enfin moi-même.

Chasse

Q : - Les instruments de chasse ?

R : - Fusil et coupe-coupe.

Q : - Qu'employait-on avant l'introduction du fusil ?

R : - Les flèches.

Q : - Les animaux chassés ? R : - Singe, crocodile, éléphant, buffle, antilope, panthère etc. Les chasseurs

utilisent souvent des pouvoirs occultes pour chasser le gros gibier (panthère).

Q : - Pratiquez-vous toujours la chasse vous-même?

R : - Oui.

Q : - Utilisez-vous des pièges?

R : - L'usage des pièges est interdit.

Q : - De quel genre de fusil vous servez-vous ?

R : - Des fusils locaux, fabriqués par nous-mêmes, et des fusils importés.

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Page 202: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Qut:l genre de fusils fabriquez-vous ?

R : - Il yen a deux sortes: le tchakawin et le kaviss~, tous deux munis de silex qui produit l'étincelle enflammant la poudre.

Q : - Utilisez-vous des chiens pour chasser? R : - Oui.

Q : - Combien ?

R : - Cela dépend de chaque chasseur; on emmène le nombre de chiens que l'on juge nécessaire.

Q : - A quelles périodes de l'année chasse-t-on ?

R : - Il n'y a pas de période fixe pour les grands chasseurs. Ils y vont n'importe quand, et leur absence peut durer huit jours, sinon plus; ils se font accompagner d'un ou deux apprentis chasseurs. Quand on tue un gros gibier, le buffle par exemple, il y a des cérémonies spéciales à faire, sinon le chasseur devient fou.

Q : - En quoi consistent ces cérémonies ? R : -Prenons le cas d'un chasseur qui tue un buffle. Il coupe la queue de l'animal, la met dans sa besace et rentre dare-dare au village annoncer la nouvelle. Accom­pagné d'un cortège parmi lequel se trouve au moins un autre chasseur ayant déjà tué un buffle, il se rend sur le lieu où gtt le gibier. Le gibier est ramené triompha­lement au village. A l'orée du village, les femmes et les enfants viennent grossir le cortège. Le chasseur est porté sur le cou et déposé sur le toit de sa case, d'où il est ensuite descendu, et on l'assied sur les cornes du bume qu'il a tué. Le chasseur ayant déjà tué un buffle conduit la cérémonie. Il prend de l'eau dans une calebasse au­dessus de la tête de l'heureux chasseur et lui donne cette eau à boire. Avant cette

cérémonie, dès la mise à mort de l'animal le chasseur ne devait prendre aucune boisson. Toute cette cérémonie s'accompagne de chansons de circonstance. Huit jours plus tard, une grande fête réunit tous les grands chasseurs, suivie d'une séance de tirs au fusil.

Q : - On dit qu'autrefois ce sont les chasseurs qui conduisaient les migrations. Pourquoi avaient-ils ce privilège ?

R : - C'est à cause des forces occultes dont ils disposaient. Ces forces leur permettaient de déjouer les terribles dangers de la chasse et de la forêt. On n'allait pas à la chasse sans ces forces, qui sont comme des génies protecteurs:

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Page 203: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Existe-t-iJ des clans ou des familles spécialistes de la chasse ? R : - Il ya certes des familles spécialisées dans la chasse, mais la chasse n'est

pas une activité réservée uniquement à certaines personnes. Tout le monde peut

chasser, à condition évidemment d'avoir appris à le faire. Je suis moi-même

descendant d'une famille de grands chasseurs. Mes ancêtres étaient des chasseurs

d'éléphants; un de mes oncles, appelé Yavihu,a tué256buffles; ila défié tout Notse,

mais aucun chasseur n'a pu relever son défi.

Q : - En quoi consistait ce défi ?

R : - On met de l'eau dans des calebasses, chaque calebasse représentant un

animal tué. Pour relever le défi, il faut venir boire l'eau des calebasses.

Q : - Quand Yavihu est-il mort ?

R : - Du temps des Français.

Cueillette

Q : - Pratiquait-on la cueillette à Kpélé ?

R : - Oui. Les chasseurs en campagne se nourissent de yo (le karité). Contre

la soif, ils cueillaient des fruits, en particulier le gnémitrui.

Q : Consommez-vous le miel? R : - Oui. Pour le recueillir, on va de nuit abattre l'arbre dans lequel se trouve

la ruche et on chasse les abeilles à l'aide de torches enflammées. Le miel est ensuite

mis en bouteilles et vendu.

Q : - Consommez-vous des vers? Si ou~ lesquels ?

R : - On consomme les larves de hanneton [atran] qu'on trouve dans les

palmiers, surtout quand les arbres sont abattus. Ces larves sont blanches, parfois

tirant sur le rouge (quand ils vieillissent).

Q : - Les consommez-vous encore de nos jours ?

R : - Oui.

Q : - Consommez-vous des insectes?

R : - Certaines espèces seulement, les cigales [atakloe) par exemple, mais pas

les sauterelles.

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Page 204: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Et les escargots ? R : - Oui, on les trouve en période de pluies.

Q : - Les chasseurs exercent-ils d'autres activités? R : - Oui; Moi-même, je suis à la fois forgeron, chasseur et cultivateur.

Q : - Vous servez-vous toujours des forces occultes pour chasser? R : - Plus tellement puisque le gros gibier a disparu.

Q : - Comment prépare-t-on le vin de palme ?

R : - Il faut abattre l'arbre avant de le faire.

Q : - Y a-t-il des spécialistes pour ce travail ?

R : - Non; tout le monde peut le faire.

Q : - Consommez-vous les fruits du rônier (ago) ? R : - Oui; cette habitude nous est venue d'Atakpamé.

Q : - Comment se prépare le savon (akoto) ? R : - On prend la cendre du bois de l'arbre appelé gadja [Acacia ataxacantha (Mimosaceae»), qu'on fait cuire dans l'eau pour obtenir le savon.

Q : - Comment s 'habillaient nos ancêtres ? R : - A l'aide de bouts de bois, on tapait sur le tronc de l'iroko (logo) ; l'écorce

se ramollit, cette écorce servait de toile appelée etse; on en faisait des couvertures ou des habits.

Q : - Comment guérissait-on les malades? R : - Il Y a des herbes spéciales dont se servaient les guérisseurs pour guérir chaque maladie. [Notre informateur n'étant pas un guérisseur n'a pas pu ou voulu

nous donner de plus amples informations sur ces activités).

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Page 205: Traditions Historiques Du Bas Togo

ENQUETE SUR lA POTERIE AU QUARTIER TEGBE

Les informations ont été recueillies auprès de plusieurs personnes.

Groupe de chercheurs Mesdames: Natadjou, Luthi, Hodson

Ueu Tègbè, Notse

Date 14 janvier 1981

Q : - Depuis quand fait-on la poterie dans ce quartier? R : - Depuis des temps très anciens.

Q : - Y a-t-il différentes sortes de poterie ?

R : - Oui.

Q : - Fabriquait-on des genres de pots qui ne se font plus de nos jours? R : - Oui; mais nous ne pouvons plus les fabriquer.

Q : - Pouvez-vous nous montrer des spécimen de ces pots ? R : - Oui. [Elle nous présente deux jarres très épaisses qui dateraient, selon

ses estimations, de sept générations].

Q : - Quel sexe s'occupe de cette activité ? Pourquoi ?

R : - Les femmes s'en occupent; les hommes vont aux champs.

Q : - Fabriquez-vous d'autres objets en argile? R : - Quoi par exemple?

Q : - Des objets artistiques: masques, chiens, chats, etc., pour omer les salons ?

R : - Oui; mais nos ancêtres n'en fabriquaient pas. Cela date seulement de

maintenant.

Q : - Y a-t-il d'autres quartiers spécialisés dans la poterie ? R : - Les femmes du quartier d'Adimè en font aussi un peu. Mais ce sont les

femmes de notre quartier qui en sont les vraies spécialistes. On peut cependant etre de Tègbè sans connaître l'art de la poterie.

Q : - Eriste-t-il des gens qui ne sont pas de Notse et qui font de la poterie ?

R : - Pas à Notse.

Q : - Y a-t-il de la poterie «étrangère» à Notse ?

R : - Il nous arrive ici des pots fabriqués à Tsévié. Les gens de Tové, du côté

de Kpalimé, en fabriquent, mais ne les vendent pas ici.

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Page 206: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Où ve~-vous vos pots ?

R : - Au marché de Notse

Q : - Hormis le marché de Notse, où allez-vous vendre votre poterie ? R : - Nulle part. Les gens viennent d'ailleurs nous en acheter, mais nous n'allons pas vendre ailleurs.

Q : - Eclu:uageait-on les pots contre d'autres marchandises? R : - Oui ; cela se faisait.

Q : - Faites-vous des dessins sur vos pots ?

R : - Non.

Q : - Où prenez-vous l'argile ? R : - A côté.

Q : - Y a-t-il des rites ou clrlmonres spéciales liées à la poterie ?

R : - Oui; on en faisait autrefois, mais plus de nos jours. On préparait du haricot

que l'on déposait dans le trou oà l'on allait chercher l'argile. Une femme en

menstruation n'a pas le droit d'aller chercher l'argile. On ne respecte plus ces règles

de nos jours.

Q : - Quels sont vos instruments de travail ?

R : - Des pierres (pour polir les .. pots, les rendre lisses et les dresser), des épis

de mais égrenés, des feuilles d'un certain arbre pour faire les rebords, des hAtons

pour pétrir l'argile et dresser les pots.

Q : - Quelle difflrence y a-t-il entre lu anciens pots et ceux d'aujourd'hui? R : - Les anciens pots étaient plus épais et plus résistants.

Q : - Pourquoi ces diffbences ?

R : - C'est la conjoncture économique qui nous y oblige. Il faut faire vite et

vendre pour nourrir les enfants. Or les jarres épaisses ne sèchent pas vite, pour être

vite faites et vite vendues.

Q : - QueUes sont les techniques de coloration ?

R : -La coloration noire est obtenue en utilisant des feuilles fratches (teck, etc.) au moment de la cuisson. Quant à la coloration rouge, on l'obtient tout naturel­lement, car l'argile roussit à la cuisson.

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Page 207: Traditions Historiques Du Bas Togo

ENQUETE SUR L'ARTISANAT A NOTSE (Tissage)

Les informations ont été fournies par plusieurs tisserands. Chercheurs Mesdames Natadjou, Luthi, Hodson Lieu Alinu, Notse

Date 12 janvier 1981

Q : - Le filage de coton date-t-il de l'époque précoloniale ou coloniale? R : - C'est de l'époque précoloniale.

Q : - Qui a introduit la culture du coton ?

R : -Les Blancs; mais il faut remarquer qu'il y avait un genre de coton des Noirs aujourd'hui appelé coton-Mono. Mais localement, on l'appelle ewé-deti [coton

eweJ.

Q : - Le travail de filage de coton est-il seulement réservé aux vieilles femmes ? R : - Oui; il est réservé aux ''vieilles'' qui ne peuvent plus se rendre aux champs.

Q : - Les jeunes filles ne peuvent-elles pas apprendre ce travail ?

R : - Oui; elles l'ont appris et peuvent le faire; mais elles font autre chose.

Q : - L'apprentissage du métier de tisserand nécessite-t-il des cérémonies particu-lières ?

R : - Non; cela s'apprend, comme tout métier.

Q : - Ces pagnes ainsi tissés, où sont-ils vendus ? R : - Ils sont vendus partout.

Q : - Quelles sont les différentes couleurs utilisées pour la teinture ? R : - C'est la couleur bleue et ses dérivées qui sont souvent utilisées.

Q : - Comment obtient-on les fils de différentes couleurs ? R : - Le fil est directement trempé dans l'indigo (Ama ~

Q : - Comment obtient-on ces couleurs ? R : - C'est à partir de l'indigo que nous les créons.

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Page 208: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Comment obtenez-vous les couleurs voulues? R : - A partir de certaines herbes sèches brtllées, on obtient une cendre qui est ensuite tamisée pour la rendre fine. Le préparateur verse de l'eau et du sel sur cette cendre. Le produit ainsi obtenu est distillé; on y ajoute ensuite de l'indigo et de l'amaldotiki. La pureté de la couleur obtenue est testée quatre jours plus tard à l'aide d'un bout de bâton blanc ou en plongeant le doigt dans le mélange; la

couleur se dessinera sur l'ongle. Les fils de coton sont alors plongés dans le liquide. Ces fils, une fois la bonne couleur obtenue, sont ensuite séchés au soleil, puis lavés avant utilisation.

Q : - Mais si on ne veut pas que la couleur soit noire pure ? R : - Pour cela, on utilise du «blue» qu'on vend au marché.

Q : - Ces pagnes se déteignent-ils ? R : - Non; jamais.

Q : - Il Y a-t-il beaucoup de tisserands d Notse ? R : - Il Y a beaucoup de tisserands.

Q : - Quels sont les quartiers où se pratique ce métier ?

R : - On tisse dans tous les quartiers.

Q : - Ny avait-il pas de quartier spécialisé dans le tissage ? R : - Non; pas de quartier spécialisé.

Q : - Avez-vous d'autres travaux en dehors du tissage? R : - Nous cultivons la terre, vendons au marché, même dans un marché autre

que celui de Notse.

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Page 209: Traditions Historiques Du Bas Togo

HISTOIRE D~ EWE-AGOME, VERSION DE KPALIME

Informateurs :

Chercheur lieu Date

- Chef Apetor II de Kpalimé

- Son secrétaire

N. L. Gayibor

Kpalimé Samedi 10 novembre 1973

Le chef Apetor II a été couronné en 1933 et règne depuis 40 ans. Né en 1883,

il est âgé de 90 ans. C'est un vieillard alerte qui n'a pas l'air de porter son âge.

Q : - Quelle est forigine des Agome ? R : - Les Ewe résidèrent à Ayo, puis à Notse. Ils avaient habité aussi à Tado.

A Notse, leur roi Agokoli fit entourer la ville de murailles. Mais Agokoli devint

méchant et fit beaucoup souffrir les habitants. Il leur fit pétrir de la boue dans

laquelle il avait fait mettre des tessons de bouteilles. Les gens se blessèrent et même

moururent; ils décidèrent de quitter Notse. Ils dirent alors aux femmes de jeter les

eaux de lessive sur les murs - qui étaient très épais - jusqu'au jour où un pan du mur

se détacha; ils se dispersèrent alors. Ils partirent ensemble quartier par quartier,

comme ils avaient résidé dans la ville. Sur le chemin de l'exode, ils firent plusieurs

haltes, à la recherche d'un bon endroit où ils pourraient s'installer. Ils étaient

conduits.par les chasseurs parce que seuls ces derniers pouvaient s'opposer, affron­

ter les animaux sauvages qui pullulaient dans les forêts qu'ils devaient traverser.

Les Agome, à Notse, étaient appelés déjà Agome. Ils vinrent dans cette

région-ci où ils fondèrent cinq villages (gbota) ; Agome-Kpalimé, Agome-Kou­

sountou, Agome-Tomegbe, Agome-Kpodzi, Agome-Eyo. A leur arrivée dans la

région, ils résidèrent d'abord à Agome-Fedo, sur les collines situées aux environs

de KJouto, en direction d'Agome-Tomegbe. Après quelque temps, ils se dispersè­

rent pour fonder les cinq gbota. Ceux d' Agome-Tomegbé allèrent au-delà du cours

d'eau, à Tomegbe ; puis Eyo, Kousountou, Kpodzi (d'abord sur les hauteurs en

direction d'Atakpamé, puis ils descendirent dans la plaine) furent fondés. Les

Kpalimé vinrent s'installer à la croisée des chemins, au carrefour de Kpalimé.

Q : - Les premiers quartiers de la ville. R : - Dome, Djigbe, Anyigbe, Avehui (proche de la forêt). Maintenant les

quartiers sont au nombre de dix-sept.

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Page 210: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Quel est le nom de l'anc~tre conducteur de la migration? R : - L'ancêtre qui a conduit les Agome depuis Notse s'appelait Asamani. C'est

lui qui s'installa à Agome-Fedo IAfedo : le lieu de résidence].

Q : - Dans quel quartier avaient résidé les Agome à Notse ?

R : - Je ne sais pas.

Q : - Quels sont ceux qui ont habité à Notse ?

R du secrétaire: - Les Ewe, les Blu, les Accra, etc.

R du chef : - Seuls les Ewe ont vécu à Notse.

Q : - Y a-t-il eu des contacts avec les peuples voisins ?

R : - Il n'y a eu pas de contact avec Agbome. Mais il y avait eu des guerres avec les Ashanti qui vinrent ici, avec les Yokelé. Je ne sais plus sous quel roi il y a eu

ces contacts.

Q : - De quels soins étaient entourés les chefs ?

R : - Le chef ne meurt pas, «eyi de amatsime : il n'est plus là». A Kpalimé même,

il n'y a eu que six rois jusqu'ici [notre informateur n'a pu nous donner que quatre

noms]: Kpeku, Akpatsa, Apeto 1er, Grégoire Nsugan Apeto II.

Asamani, l'ancêtre, était chasseur et chef de guerre, mais il n'était pas chef.

C'est Akpatsa qui vint fonder Kpalimé, mais c'es~ Kpeku qui fut le premier chef.

A sa mort, Akpatsa le remplaça. C'est donc sous le règne d'Akpatsa que vinrent les

Allemands. Kpalimé fut le dernier village fondé par les Agome. Ils résidèrent très

longtemps à Agome-Fedo avant de descendre ici.

A la mort du chef, on prend toujours un régent pour trois ans. Les chefs sont

choisis dans la famille royale. La chefferie est héréditaire quant à la dynastie, mais

élective quant à l'individu. Quand le chef meurt, on ne le dévoile pas au peuple.

Autrefois le chef n'était pas visible à tout le monde. Ses conseillers - Tcham~ Asafo, Nyonufia [femme chef] - servaient d'intermédiaires. On avait peur des ennemis et des détracteurs, car ils pouvaient venir tuer le roi et emporter sa tête comme tro­

phée. Le roi mort est enterré de nuit et personne, pas même ses fils, ne savent jamais

où il est enterré. Les sanfo ou safo sont les guerriers du trÔne qui assistent le roi

pour maintenir l'ordre, faire la guerre, etc.

Q : - Que représente le siège des anc~tres ?

Le siège des ancêtres (togbezikpè) ne sort pas fréquemment, sauf au Teduzan [fête des ignames]. Peu de personnes ont accès près de lui. C'~t le dieu de la ville. C'est le véritable roi de la ville.

224

Page 211: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Quelle signification rev~t le Teduzan ? R : - La grande fête Teduzan ou Djawuwu, qui a lieu au mois de septembre,

est célébrée maintenant à l'occasion d'Agbogbozan à Notse. Avant le Teduzan, per-

. sonne ne devait goOter à la nouvelle récolte. A la date choisie, l'igname bouillie est

malaxée avec de l'huile de palme et offerte en premier lieu aux mânes des ancêtres,

en les remerciant d'avoir bien voulu garder leurs descendants en vie, en bonne

santé, en pleine forme, et en souhaitant que la nouvelle année soit aussi bonne

pour qu'on puisse se retrouver encore l'an prochain, à la même occasion. Ensuite

le prêtre officiant l'offre aux assistants.

Q : - Pourquoi faut-il attendre le Teduzan avant de goater au fruit de la nouvelle récolte? .

R : - C'est un tabou. Certains, qui ne respectent pas ce tabou, peuvent tomber

malades.

Q : - Les activités économiques.

R : - Les blematowo [les ancêtres] étaient plus unis que nous. Pendant la

période des grands travaux des champs, ils travaillaient ensemble sur les champs

de chaque famille, à tour de rÔle, pour activer les travaux en juin ou juillet. Après

ces travaux des champs, chaque paysan se transformait en tisserand, en chasseur ou

en marchand, etc. Les cultures sont l'igname, l'arachide, le haricot; ceux qui pra­

tiquaient l'élevage cultivaient le manioc, dont se nourrissaient les animaux.

Q : - A l'aide de quels outils travaillait-on?

R : - Ils fabriquaient des outils en fer. Le fer leur parvenait du nord et des

Akpafu.

Q : - Comment faisait-on du feu ?

R : - Technique du feu: On obtenait du feu en frottant deux pierres de silex

l'une contre l'autre. Les chasseurs avaient des armes à feu (atsonubo). Ces armes

à feu, venues de la côte, étaient échangées contre les esclaves. Puis les forgerons

les ont démontées et en ont fabriquées eux-mêmes œaprès ces modèles. Ils fabri­

quaient aussi la poudre de composition indigène, très dangereuse (herbe calcinée,

charbon, etc). La composition en est tenue secrète, car on la fabrique encore de nos

jours, quoique cette pratique soit interdite par l'Administration. Les chasseurs

n'avaient pas de flèches. Ils avaient des pièges et des trappes pour capturer les bêtes.

Les commerçants de la côte échangeaient l'huile de palme contre le sel, le poisson

ou les boissons. A l'époque, le palmier, à l'état sauvage, n'était pas cultivé. Ce sont

les oiseaux qui éparpillaient ses fruits dans la forêt et ils repoussaient tout seuls.

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Page 212: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Comment prépare-t-on fhuüe de palme? R : - t...es amandes sont bouillies, puis pilées dans un mortier et malaxées à la main. l../hqHe surnage alors en couches épaisses graisseuses. Cette graisse est

recueilUe, IWis rechauffée pour donner de l'huile.

Q : - Et fhuüe de palmiste ?

R : - O~ enlève l'écorce et on recueille le palmiste qui est torréfié, puis pilé et

rechauffé à nouveau; on obtient ainsi l'huile de palmiste.

Q : - Quelles étaient les techniques de tissage ? R : - Le coton, filé par les femmes, est utilisé par les tisserands pour tisser des

pagnes. Les teintures sont obtenues avec des herbes spéciales suivant les couleurs

voulues. Les fils de coton sont alors teintés, séchés, puis tissés pour obtenir les

habits. Le costume le plus usité était l'adewu, sorte de boubou assez large, descen­dant aux genoux, avec des manches larges jusqu'aux coudes. Il peut être teinté de

différen tes couleurs. Les chasseurs les tein taient en rouge vif pour trom per les bêtes sauvages.

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Page 213: Traditions Historiques Du Bas Togo

HISTOIRE DES EWE - KPELE, VERSION DE KPELE-GOUDEVE

Informateur:

Chercheur Lieu

Date

Ignace Apedo, né en 1905. Originaire de Kpele-Goudeve où

il a toujours vécu. Lettré de langue anglaise. N. L. Gayibor Kpele-Goudeve

Dimanche Il novembre 1973

Q : - L'origine des Kpele.

R : - Nos grands pères nous ont dit venir de Kétu. Puis ils occupèrent le site de Notse où ils construisirent la ville et l'entourèrent de murailles, d'où le nom de Glimé. Quelques-uns restèrent à Tado. Puis ils quittèrent Notse à cause de la

tyrannie de leur roi Agokoli. Ils partirent en trois vagues. Les Kpelé atteignirent les bords du cours d'eau Todze. De là, ils revinrent s'installer à Kpelé-Fedome, situé

entre les régions de Game et Katsi. Ils repartirent et vinrent s'installer aux environs

de Tsiko et Adeta [qui n'étaient pas encore fondés]. Ils appelèrent ce lieu NQvivé.

De Novivé, conduits par AkQdQ, ceux de Goudevé vinrent créer le village.

Q : - Comment le village fut-il fondé ? R : - Avant Goudeve, ils voulurent s'installer de l'autre côté du cours d'eau (Akpata) ; ils y enterrèrent le dema [sorte d'amulette par laquelle on peut savoir si une région est hospitalière ou non pour s'y installer], mais le dema ne resta pas

en terre et on en déduisit que la terre était peu hospitalière; ils revinrent donc ici

fonder Goudeve.

Q : - Quelle est l'origine du toponyme ](pele?

R : - Les Kpele sont du même groupe que les Kpesi. Après la halte au bord du Todze, les Kpesi se séparèrent des Kpele. Les Kpesi, après s'être installés dans leur actuelle région, firent dire aux Kpele que «Ekpe si na mi» : «nous avons de la

nourriture en abondance, venez donc vivre près de nous». Mais les Kpele leur auraient répondu: «.Ekpe le miasi» : «nous sommes bien lotis nous aussi». De ces deux

expressions naquirent respectivement les ethnonymes Kpessi et Kpele appliqués

à ces populations.

Q : - Quel furent les premiers chefs de Goudeve ?

R : - Akondo, Akpadze [qui dirigeait le village avant l'arrivée des Blancs], Blewu Kodjo, Dogbega, Agboku, Saku, Adenko, Amega Gnameku ou Agboku II,

Emmanuel Adjaho, qui fut déchu à cause de ses activités politiques (nationaliste)

et remplacé par Christophe Agboku. Après l'Indépendance, Adjaho revint sur le

227

Page 214: Traditions Historiques Du Bas Togo

trOne et c'est lui qui règne ~oujoun. Autrefois, il n'y avait que de grands notables dulzi kpola,. ; ce n'est qu'avec l'arrivée des Blancs que l'on a commencé à nommer des chefs.

Q : - Citez-nous les vülages ](pele. R : -Les villages Kpele, de Ooudeve ven Kpalime sont: Dougba, Oovie, Konda, Adeta-Kpeti, Adeta-Wetsi, Adeta-Akodome, Tsiko [qui n'est pas au bord de la route], Atime, Tutu [pas au bord de la route], Beme.

De Ooudeve ven Atakpamé : Hlovie, Kpovie, Kayi, DafQ, Djanyife, Tsavie, Anu, Dzogbefeme Obato, Dzogbefeme Evelia, Aveho, Goudeve-Aveho, Agave, Agote, Ooudeve-Agote, Agote, Agbagno, Ehe. Tous ces villages sont fondés par les Kpele. C'est pour cela qu'on dit Kpele-Ooudeve, Kpele-Tsiko, Kpele-Agave etc. ..

A Notse, toutes les populations avaient pour seul et unique nom Ewe. Ce

ne sera que plus tard, après l'exode et l'installation de chaque groupe dans telle ou telle région, que naquirent les nouveaux ethnonymes : Bè, Anlo, Kpele, Agome, Ouatchi, etc.

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Page 215: Traditions Historiques Du Bas Togo

mSTOIRE DES EWE • WATCHI, VERSION DE VOGAN

Informateur: Chercheur Yeu Date

le chef Kalipé II de Vogan N. L. Gayibor R~idence du chef à Vogan

Dimanche 25 novembre 1973

Il est né vers 1911, fréquenta l'école primaire française, mais n'obtint aucun

diplôme. Il fut placé auprès d'un commissaire de la SQreté, Monsieur Adolphe Rhéart, un Alsacien, en 1932. Après un an et demi à deux ans, il fut rappelé par

son père pour l'aider dans ses fonctions de chef de canton. A partir de 1933, il devint

secrétaire particulier de son père jusqu'en 1938. Il a été mis à l'épreuve par son père qui, satisfait, se fit remplacer par lui. Son père ne mourut que 13 ans plus tard, en 1951. ActueUement Kalipe II est chef supérieur de Vogan et pr~ident de l'Union nationale des chefs traditionnels du Togo. Il fut élu à ce poste à Dapaong, le 19 décembre 1972. Kalipe II a visité trois fois la France. Il y a été pour la première fois en 1957, en qualité de délégué de la France d'outre-mer, pour assister aux fêtes du

14 juillet. Puis il y est resté un peu pour visiter l'Europe. Il a été reçu en audience

privée par le pape Pie XII. Il Y a été une seconde fois en tant qu'administrateur de

la féculerie de Ganavé [conseil d'administration]. Puis il a encore été en 1965.

Q : - QueUe est l'origine des Vo ?

R : - Les Vo viennent de Notse. Il y a eu exode à cause de la tyrannie d'Agokoli. De Notse, ils créèrent plusieurs centres avant d'atteindre la région de Vogan. Ces centres furent fond~ par ceux qui ne pouvaient plus continuer.

De Notse, nous passames par Agbelouvé puis Vogan. L'exode fut conduit

par AssionbQ, Atta, Agbo, Drake, Dengble, Ahlonko, Dado, Pedo. Ils s'installèrent

d'abord à Apedome ["ancien lieu"] situé environ à 1,5 km de Vogan.

La cause de leurdépartd'Apedome: les Ewe durent subir pendant longtemps les guerres avec les clans voisins qui vivaient sur la côte. Les bandes d'Agovi, de HetcheUi venaient razzier les femmes des fuyards quand celles-ci aUaient chercher de l'eau à la. rivière (la rivière se trouvait en bas ; il faut marcher environ 1,5 km

pour aUer chercher l'eau) ; c'est pourquoi elles étaient enlevées par les pillards~ Les

gens d'Apedome ont décidé de s'installer au bord de la rivière, pour pouvoir secourir plus facilement leurs femmes. Au cours d'une opération de razzia, ils intervinrent et déboutèrent les pillards, à tel point que l'on se dit: Adjoa digo = "le larcin a cessé"; d'où le nom du premier quartier: Adjodigo, qui a donné Adjrigo, le quartier du chef.

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Page 216: Traditions Historiques Du Bas Togo

Les quaniers de Vogan sont: Wozepekome, Adukome, Amouidji, Keta­kome(deKeta),Amouidji-Pedakomé[peupléparlesPeda],Bame,Assiko,Agbope fondé par Agbo, Atape, Tsokpe, Sagada. Atape fut fondé par Akotsui Ata, frère consanguin d'Assionbo et de Sosowu. Akotsui Ata viola la femme de son frère Sosowu ;. ce qui entraina une querelle violente entre les deux frères. Ata dut aban­donner ses frères pour aller fonder le quanier Atape, à environ 300 m du domicile royal actuel.

Q : - Quels sont les villages fondés il partir de Vogan ? R : -Vo-Kutime, Vo-Alive, Vo-Am, Dabu-Vogan, Dagbat~ Afowime, Amenyran, MQme, Vo-Tokpli, Wogba, Sevagan, Hahotoe, etc, tous des fermes de cultures qui se sont par la suite étendues.

Q : - Comment le village était-il administré ? R : - Autrefois, il n'y avait pas de chefs, mais des dumemeganwo [les grands notables] qui se rassemblaient pour discuter des problèm~ de la communauté.

Q : - Citez-nous les noms des hauts personnages de 1 'histoire des Vo. R : - Assionbo qui a conduit la migration. Mais il n'eut pas d'enfants. Amegbo: fils adoptif d'Assionbo, dont le père serait originaire de Vokutimé. Puis se succé­dèrent beaucoup de chefs. Kalipe Paul 1er: il fut intronisé en 1890, et est mort en 1951. Arrière-neveu d'Assionbo et descendant direct de Sosowu, grand frère d'Assionbo. Jacob Kalipe II : chef depuis le 23 avril 1938. Kalipe 1er a eu une quarantaine d'enfants. Se sentant viéux, il se fit remplacer par son fils qui devint chef sous le titre deKalipe II.

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Page 217: Traditions Historiques Du Bas Togo

HISTOIRE DES EWE - WATCHI, VERSION DE TABUGBO

Informateur : Chercheur Lieu Date

le chef du village, Ametondji, entouré de ses conseillers

N. L Gayibor

Résidence du chef à Tabligbo

Dimanche 4 novembre 1973

Nos ancêtres furent contraints par la guerre à venir s'installer à Notse. Le roi Agokoli fit entourer la ville de murailles. Il était méchant et faisait tuer les gens.

Un jour il eut l'idée de mettre nos ancêtres à mort. Il fit mélanger des tessons de

bouteille écrasés à l'argile et leur ordonna de la pétrir. Nos ancêtres surent qu'on

allait les mettre à mort. La date même de l'exécution était déjà flXée. Il fut alors

décidé de jeter les eaux usées, y compris les urines, contre les murailles pour les

ramollir et on essaya de les percer avec des haches ou des coupe-coupe. A la fin,

les murailles cédèrent et ils s'enfuirent.

Notre ancêtre, qui conduisit les Watchi jusqu'ici, s'appelait Ahé. Il vint

s'installer à Kpowla. Cette localité s'appelle aujourd'hui Ahépé-Kpowla. Il eut des

enfants qui, à leur tour, iront fonder les localités d'Ahépé-Séva, Ahépé-Atiko,

Ahépé-Akposso, Ahépé-Apedom~ dit encore Kpèdomé, Ahépé-Dedjikemé appelé

encore Hekpoé. Les fils d'Ahé se dispersèrent à cause des querelles incessantes

entre eux à Ahépé-Kpowla. Ils donnèrent le nom de Kpowla à la première localité

parce qu'ils se considéraient comme les fils de panthère enfermés dans des

murailles; ils se virent désormais, après l'exode de Notse, laissés à eux-mêmes au

grand air, sans aucun frein à leur liberté d'où Kpô-Wla. Celui qui partit à Seva dit

aux autres: <<je m'en vais et là où je serai maintenant, si quelqu'un en entend parler, qu'il vienne chez moi volontiers: Se-Va». Akpodomé dit Apedome fut fondé auprès

d'un kpeti (borne kilométrique). Son fondateur aurait dit: <<je m'installe sous ce kpeti»;d'où le nomAkpa-Kpeti-Domé,ditAkpodome;cefurentles Blan csquitrans­

formèrent ce toponyme en Apedome. Un autre alla fonder Bègbé. Son fondateur

installa son champ de paille dans une brousse: Bé-gblé, qui a donné Begbé. D'autres

fondèrent Dedikeme et Hekpoe.

Mais les habitants d'Ahépé-Kpokli étaient dans la région avant l'arrivée de

nos ancêtres conduits par Ahé. Pour s'assurer si l'endroit était habité ou non, on

fit monter quelqu'un sur un arbre pour voir si aucune fumée ne signalait une

présence humaine dans la région. La personne vit une colonne de fumée s'élevant

dans le ciel. On envoya alors des messagers s'assurer si le lieu était effectivement

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Page 218: Traditions Historiques Du Bas Togo

habité. Mais au lieu d'aborder ces gens, les messagers s'en retournèrent dès qu'ils

les eurent vus. Ces derniers étaient inquiets, car ils étaient tout le temps importunés

par des ennemis. Il firent suivre les messagers pour s'assurer de leurs intentions.

A leur grand soulagement, ils virent que ces gens étaient en train de construire des

cases ; ils n'étaient donc pas venus avec des intentions belliqueuses. Soulagé par

cette nouvelle, leur chef aurait dit: «la menace qui pesait sur nous s'est envolée: kpogli le miadji» ; d'où Kpo-gl~ qui donnera Ahépé-Kpokli. Couvé et Gboto furent fondés

par les mêmes personnes. A Notse nos ancêtres parlaient tous la même langue.

Afanyan, Wogba furent aussi fondés par les mêmes personnes. Ceux qui fondèrent

Gboto se seraient installés dans un champ et auraient dit: «nous resterons toujours au bord de ce champ», d'où Bo-to qui devint Gboto. Mais ils n'ont pas le même

ancêtre que les gens d'Ahépé. Les habitants d'Afanyan se seraient installés sur une

terre boueuse; ils auraient alors fait la réflexion suivante: <<ll)'ant habité dans une cité entourée de murailles en argile, devrions -nous encore nous installer dans la boue» ?

D'où Fanyan-fanyan, qui a donné Afanyan. Nos ancêtres vinrent de Tado avant de

s'installer à Notse.

Ce sont les habitants d'Ahépé-Apedome qui fondèrent Tabligbo et les autres

villages Ahépé. Tabligbo fut créé par les Allemands. A leur arrivée, ils se dépla­

çaient surtout le long du Mono. Arrivés aux environs du Yoto, affluent du Mono,

ils entendirent parler d'Ahépé par les habitants de Zafi.

Voici comment les Allemands furent amenés à faire la connaissance des gens

d'Ahépé. Un habitant d'Ahépé alla à Zafi acheter un porc; l'animal qu'il choisit

était malade. Le vendeur le lui fit bien remarquer, mais il l'emporta tout de même.

Peu de jours après, le porc mourut. Fâché, l'acheteur retourna à Zafi avec l'animal

mort et le remit au vendeur malgré les protestations de ce dernier qui lui fit bien

remarquer qu'il l'avait mis en garde en lui révélant l'état de l'animal avant l'achat.

Mais l'autre ne voulut rien entendre et on en vint aux mains. Les habitants d'Ahépé

avaient le sang chaud et savaient bien manier la machette. Comme c'était un jour

de marché, la bagarre se généralisa et les gens d'Ahépé firent un grand carnage dans

les rangs des habitants de Zafi, qu'ils blessèrent sérieusement avec leurs machettes.

Sur ces entrefaits, des Allemands en mission dans la région envoyèrent des mes­

sagers à Ahépé dire aux habitants qu'ils reviendraient dans huit jours juger cette

affaire.

Dossou, fils d'Ahe, régnait alors à Kpowla. A l'arrivée des Allemands, ses

Tchami [conseillers] et lui ne voulurent pas accepter leur arbitrage, car ils ne leur

reconnaissaient aucune autorité sur le pays. Les Allemands repartirent, mais

promirent de revenir pour leur riposte: ce fut la fondation de Tabligbo.

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Page 219: Traditions Historiques Du Bas Togo

En ce temps, non loin d'ici, notre ancêtre Makou, père de Konyon et Aziabou, vivait dans une ferme appelée Konyonkopé à 500 m de Tabligbo. Makou était venu de Notse au cours de l'exode. Beaucoup de gens, après Ahépé, allèrent

fonder des fermes un peu partout dans la région; tel fut le cas de Konyonkopé. Les

Allemands, voulant fonder Tabligbo, obligèrent les gens à venir habiter l'endroit choisi. Mais Amegâ Konyon ne voulut rien entendre. Pour l'obliger à céder, les Allemands mirent le feu aux maisons de la ferme. Ce fut ainsi qu'il céda ; ses enfants et lui vinrent s'installer à Tabligbo. Comme ils étaient de bons fermiers, les Alle­mands s'adressaient toujours à eux pour leurs besoins en produits vivriers: oeufs,

céréales, etc. Jusque-là, tous les villages d'Ahépé avaient un seul chef résidant à

Kpowla; au cours de cette période, ce chef était Bossou. Voulant mettre un chef

à TabligOO, les Allemands allèrent voir Bossou et lui demandèrent de rassembler

toute la population. Leur choix s'étant porté sur Aziabou, celui-ci, déjà conseiller de Bossou, fut accepté par tous. Après Aziabou, son fils Viagbo occupa le trÔne.

Q : - Quelle est l'origine du toponyme Tabligbo ? R : - Nos ancêtres avaient le sang chaud et ne dédaignaient pas la bagarre; ils attaquaient souvent les gens allant au marché, leur ravissaient leurs produits et

même souvent les tuaient. Lorsque le marché fut transféré à TabligOO par les Allemands, les habitants de OOOto auraient dit «les natifs de ce pays ne sont pas com­modes. Si vous allez à ce marché vous risquez de voir vos têtes rouler par terre : Tabligbo».

Q : - Parlez-nous de la chefferie à Tabligbo R : - Après Viagbo, régna Fiadendji ; après lui, Ametondji.11 y a eu quatre chefs depuis la fondation de la ville. Le chef actuel est le frère du précédent chef et fils

de ViagOO; il règne depuis le 19 septembre 1971. La succession est héréditaire, de

père en fils. S'il n'y a pas d'héritier mâle, même une femme peut être couronnée. Il n'y a pas de limite pour le règne. Si le chef est devenu trop vieux pour s'occuper des affaires du pays, on peut lui adjoindre un autre. Mais il ne sera pas couronné tant que le précédent chef n'est pas mort. Mais, dans le régime actuel, si le chef est emprisonné par l'Administration pour faute grave, il est destitué. Autrement, il n'y

avait pas de destitution; les chefs avaient des conseillers. Environ six mois après

la mort du chef on intronise un autre chef. Il n'y a pas de régence. De nos jours, les chefs sont soumis à l'Administration. Pour gouverner, le chef a des tchami dans chaque quartier. Il avait même un awaga [chef de guerre] qui est responsable de

la police. Il ne peut prendre aucune décision sans l'avis de ses conseillers. S'il agit mal, on dit «jio gblldou» : "le chef a détruit la communauté".

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Page 220: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Y-a-t-il eu des contacts avec les peuples voisins ? R : - Il n'y a pas eu de contact avec les autres groupes de la région. La langue watchi est le même que celle de Notse. Aklakou fut fondé par Assiongbon Dandjin,

en guerre au Dahomey. Arrivé à Aklakou, il aurait remis son épée dans sa gaine et aurait dit : «la guerre est finie: Akla yi Akoume: Aklakou». Jusqu'à nos jours, à Aklakou, il ya un quartier appelé Fonkomé où les gens parlent fon et portent des noms fon.

Q : - Quelles sont les activités économiques des Ahé ?

K : - Les Ahé sont agriculteurs, ils cultivent l'igname, le maïs, la banane, l'ara-l:hidc, l'haricot, l'ananas [anazi en watchi]. Il y avait des marchés d'esclaves [amesi] alimentés par les rapts ainsi que par les malfaiteurs que l'on enfermait. Les esclaves étaient cordés. Parmi les esclaves achetés, les femmes étaient souvent destinées au mariage et les hommes aux travaux des champs. Avec le temps, ces esclaves étaient intégrés dans la famille. O~ les adoptait entièrement et personne

ne vous révèlera leur origine. Les tractations ne se faisaient pas au marché mais

ailleurs, à l'insu des esclaves. Le client et le vendeur s'entendaient sur la valeur,

et le client venait uniquement prendre livraison. Autre forme de semi­

esclavage: l'awoba, mise en gage, soit contre argent et remboursement en argent, soit remboursement en travail pendant un certain temps fIXé. Après le délai ou le paiement, la personne mise en gage est libre et repart chez elle.

Instruments de travail dans les champs : on utilisait une sorte de houe appelée kadra, [fer recourbé qui sert à labourer la terre], fabriquée par des

forgerons locaux. Pour la chasse, ils utilisaient d'es arcs, des flèches, des sagaies et

des pièges avec lesquels ils attrapaient toute sorte de gibier, y compris les éléphants, les buffles, les lions.

Q : - Comment les gens se vêtaient-ils R : - Ils confectionnaient des vêtements avec les fils tissés par les femmes. Ce

sont surtout les gens de Zafi qui étaient tisserands. Ils tissaient des toiles appellées lokpo ou srokpovi et confectionnaient les adewu. Les femmes se couvraient de deux

pièces d'étoffes. On importait donc les étoffes de Zafi ou on les achetait sur les marchés .

. Q : - Quel était le système d'échange en usage? R : - Autrefois, le troc était utilisé pour l'échange des produits. Puis, avec l'arrivée desAguda [les Portugais et, par extension, les Blancs], se généralisa l'usage des cauris [hokui], apportés ici par les marchands guin d'Aneho qui vendaient les produits européens.

Pour faire du feu, on utilisait du dra [écorce de noix de palme séchée] que

l'on faisait s'embraser avec les étincelles produites par le. frottement de deux morceaux de silex [atchonukpe].

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Page 221: Traditions Historiques Du Bas Togo

LES PAYS GUIN ET XWLA

Page 222: Traditions Historiques Du Bas Togo

Informateur :

Chercheur lieu Date

HISTOIRE DES GUIN D'ANEHO ET DE GLIDJI •

Hubert Messanvi Kponton (1905 - 1981) ; instituteur en retraite, politicien, artiste

N. L. Gayibor

Lomé septembre - décembre 1971 septembre 1973 - juin 1974

Il Y a lieu tout d'abord de rectifier une erreur de terminologie que l'on commet très souvent lorsqu'on parle de guin ou mina. En vérité, le mot mina vient

du toponyme Elmina. Elmina est le nom d'une vieille cité du Ghana, plutôt du

littoral du Ghana, connue naguère sous le nom d'Egoua. Elmina est un mot

portugais qui signifie la mine. La ville d'Elmina est située à l'embouchure d'un

fleuve connu sous le nom de Gbegnan. Autrefois, ce cours d'eau était très riche en

placers d'or et il semble que c'est cet or, qui avait enrichi un grand nombre

d'Européens et d'Arabes, qui fit donner le nom d'Elmina, ou «la Mine», à la cité.

Après 1663, date de la fondation de la vieille cité de Glidji, un natif d'Elmina, connu

sous le nom de Quam-Dessu, fonder la ville d'Aného. Le toponyme Aného,

étymologiquement parlant, est composé de deux mots: ane = ouest ou habitants

venus de l'ouest (Elmina était située à l'ouest du site d' Anecho) ; ho = maison, case

ou habitation.

La syllabe «cho», qui se trouve à la fin du mot Anécho, a déformé un peu

la vraie prononciation de ce toponyme, car cette syllabe avait été composée par les

Allemands. En allemand, le «ch» ne se prononce pas comme «ch» en français, mais

comme le «j» en espagnol. Les Allemands ont écritAnécho ; mais nous prononçons

aujourd'huiAného, ce qui, au fond, n'est que la transcription phonétique du topo­

nyme mina Aneho.

• Nous aurions dQ normalement amorcer celle série par les recits reccueillis à Glidji. Mais la précoce publication de l'ouvrage du roi Agbano Il (Histoire de Petit-popo et du Royaume Guin,1934) a tari les meilleures sources en la matière. Les informateurs renvoient donc les chercheurs à cet ouvrage.

237

Page 223: Traditions Historiques Du Bas Togo

Pourquoi erreur de terminologie?

Les habitants d'Aného s'appellent parfois Guin, parfois Mina. En réalité

l'ethnonyme mina désigne particulièrement les habitants d'Aného venus d'Elmi­na, c'est-à-dire d'Egoua. A l'heure actuelle, les vrais Mina sont les Adjigo et les

Johnson; ce sont des Fanti. Mais dans le langage courant, on désigne sous le nom

de Mina tous les habitants de la région d'Aného. Maintenant que veut dire guin ?

Le mot guin sert à désigner Accra.

Il Y a quelques années, fut organisé à Kumasi un congrès eucharistique au

cours duquel il fut demandé aux Guin d'aller se réunir dans une salle de conférences

et aux Ewe dans une autre. Les Ewe, c'est-à-dire les habitants de la région d'Aného

partis à ce congrès, se considéraient comme des Guin. Orle présentateur du Ghana

comprenait par Guin les habitants d'Accra. Les congressistes venus d'Aného étaient partis se rassembler dans la salle réservée aux vrais Guin, c'est-à-dire les

habitants d'Accra. Mais quand on commenca à s'adresser à eux en langue d'Accra,

ils ne comprirent rien; ils durent alors évacuer la salle pour aller se réunir avec les

Ewe.

Ainsi donc, on désigne à Aného sous le nom de Guin les habitants de la ville dont les ancêtres étaient venus d'Accra. Le toponyme Accra est une corruption d'un

terme ga, inkran. Inkran veut dire fourmilière; il paraît que cette région était très

peuplée, si peuplée que les étrangers, quand ils voyaient les habitants sortir de la

forêt, considéraient cette région comme une fourmilière d'où sortaient des four­

mies; on l'aurait alors dénommée Inkran et, ce terme, déformé, est devenu aujour­

d'hui Accra [cf. l'ouvrage :Au pays des Ashanti]. Les princes de Glidji sont de vrais Guin; à Aného, les Atayi, les Wilson, d'Almeida, da Silveira, Tekue, Akue sont de

vrais Guin.

Aného fut fondé après 1663 par un Fanti, Quam-Dessu. C'était au temps du

commerce des esclaves~ La ville a poussé en champignon, car Aného était devenue

un grand port d'esclaves et de nombreux Guin venaient d'Accra s'installer sur le littoral, sur la langue de terre entre la mer et la lagune. La ville a donc grandi très rapidement.

Pourquoi l'évolution politique des Mina a-t-elle été assez rapide? Parce que

de nombreux négriers européens, brésiliens, hollandais, danois, etc.; venaient s'ins­

taller sur le littoral, non pas pour coloniser, mais pour s'enrichir en faisant le

commerce des esclaves. Les Mina subissaient donc le contact direct de ces Euro­

péens. Ils voyaient à leur façon de s'habiller, de se comporter, de raisonner, de se

238

Page 224: Traditions Historiques Du Bas Togo

nourrir, qu'ils leur étaient supérieurs au point de vu~ du mode de vie.'Ils ont donc

éprouvé naturellement le besoin de se débarrasser de la plupart de leurs coutumes, d'apprendre à mieux faire la cuisine, à mieux s'habiller et d'apprendre même des

langues européennes. Ainsi la première langue européenne connue dans la région fut le portugais, tout comme à Porto-Novo où les premières écoles étaient portu­

gaises. Tout cela parce que les Portugais furent les premiers Européens à avoir

abordé sur ce li.ttoral et ils y ont laissé des traces de leur civilisation. Au temps d'un

roi d'Aného appelé Ahlonko Foli, un capitaine anglais nommé Law - Capitaine de

vaisseau -était venu demander qu'on lui procurât un jeune garçon, qu'il emmènerait

en Angleterre; ce garçon, une fois éduqué, reviendrait s'installer sur la CÔte où il

servirait d'interprète entre les négriers anglais, faisa~t la navette entre les Antilles et la CÔte du Bénin, et les commerçants locaux. Ahlonko Foli ayant refusé de donner

un de ses fils au capitaine Law, celui-ci alla s'adresser au roi de Glidji de l'époque,

Assiongbon Dandjin ; ce dernier non plus n'a pas voulu confier un prince de Glidji

à un négrier. Mais il avait une fille appelée Tchotcho; Tchotcho avait aussi une fille

nommée Adaku qui s'était mariée à un certain Late Bewu, qui se trouvait à

Agokpamé. Le roi de Glidji envoya une commission à Late Bewu et celui-ci confia

au négrier un de ses fils, Late Awoku.

Late Awoku passa environ 15 ans en Angleterre et revint ennobli par une

instruction assez poussée, des manières policées à l'européenne qui le distinguaient

incontestablement de ses frères de race à l'époque. LateAwoku revint à Aného sous

le règne d'Ahlin, Ahlonko Foli étant mort. Au lieu d'aller s'installer dans sa famille

paternelle à Agokpame, Late Awoku, gagné par l'esprit insulaire des Anglais,

préféra élire domicile sur le littoral; il est donc venu s'installer à Aného, près de la mer. Ahlin, très content de ce jeune garçon très cultivé, lui donna un lopin de

terre, et il paraît qu'il lui fit même construire sa première case.

Il Y a aujourd'hui à Aného une vieille place publique connue sous le nom

de Fantékomé. Ce toponyme est composé de deux vocables: Fante = Fanti ;

Kome ~ Quartier. Fantékomé signifie donc "quartier des Fanti", c'est-à-dire le

quartier des Adjigo.

Plusieurs rois adjigo avaient leur palais à Fantékomé. Le terrain qu'on avait donné à Laté Awoku se trouvait à Fantékomé. Ainsi aujourd'hui encore, près de

cette place, à l'est, il y a une vieille maison appartenant aux Lawson.

LateAwoku, qui avait une idée très précise de l'utilité de l'instruction, décida

de faire éduquer ses enfants. A son tour, il envoya en Angleterre son fils Akuete Zankli, qui en revint très cultivé plusieurs années plus tard. On ne peut donc pas

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Page 225: Traditions Historiques Du Bas Togo

parler de l'évolution de la société mina sans mentionner le fait que les Lawson furent

les premiers habitants instruits (il faut le leur reconnattre).

Le rang social occupé alors par .Late Awoku et son fils Zankli excita en

quelque sorte le désir d'évolution des autres habitants. Il y eut alors plusieurs

familles qui, à l'instar des Lawson, commençèrent à faire éduquer leurs enfants.

C'est pourquoi, quand les Allemands arrivèrent à Aného, il y avait dans la ville non

seulement des habitants parlant couramment le portugais, mais encore bien ins­

truits en anglais. Ainsi, avant l'arrivée des Allemands à Aného, il y avait des écol~

anglaises privées. Les instituteurs de langue anglaise étaient recrutés à Lagos et en

Sierra-Léone.

A Aného, il y a une vieille famille qui s'appelle Rotz. Les Rotz descendent

d'un instituteur venu de Sierra-Léone. Quant aux Euba (prononcer uba), ils

descendent d'un instituteur venu de Lagos. Ces deux familles sont donc issues des

tout premiers instituteurs de langue anglaise installés à Aného. Avant l'arrivée des

Allemands, une fraction très importante de la société mina était instruite. Et cela,

les Allemands l'ont avoué à leur arrivée. C'est pour cela d'ailleurs que le gouverneur

Bonnecarrère a dit: «Lomé est la capitale du Togo, mais Aného en est le coeur», c'est­

à-dire que les grands mouvements politiques viennent toujours d'Aného, parce que

les Mina sont considérés comme constituant une société togolaise très évoluée.

Cette évolution des habitants d'Aného avait beaucoùp influé sur la politique

togolaise au temps du partage de l'Afrique par les Européens. Les Lawson, qui naturellement étaient les premiers instruits d'Aného, ayant reçu une éducation

anglaise, avaient intérêt à faire occuper le pays par les Anglais. J'ai des documents

- qui m'ont été envoyés d'Angleterre -et qui démontrent que l'anglais Samuel Rôwe

avait été nommé gouverneur de la région d'Aného. Mais les Anglais n'ont pas pu

occuper la région. Pourquoi?

Les commerçants français furent les premiers occupants de la ville d'Aného

et de Porto-Séguro. Il y avait deux maisons de commerce marseillaises : les Compagnies Regis et Fabre, installées à Aného. Ces commerçants nouaient des relations amicales avec les chefs traditionnels de la région.

C'est ainsi qu'en 1875 le roi Messan 1er de Porto-Séguro avait signé, avec

le commerçant Cyprien Fabre, un contrat d'après lequel le territoire de Porto­

Séguro sera sous protectorat français. Et c'est à cause de ce contrat que les

Allemands ont eu beaucoup de difficultés à occuper la partie de la CÔte comprise

entre Porto-Séguro et Hillakondji. Car, lorsque le 5 juillet 1884 Nachtigal signa le

fameux traité de protectorat de Baguida, il avait voulu occuper le littoral depuis

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Page 226: Traditions Historiques Du Bas Togo

AOao jusqu'à Hillakondi. Arrivé à Porto-Séguro, il voulut plan,ter le drapeau allemand, mais le roi Messan 1er lui dit: «Halte-là; ü ne faut pas faire ça ; moi j'ai

promis de donner mon pays à la France; je suis l'ami des Français» . Et il présenta le contrat de 1875 aux Allemands; à Aného, même chose; les habitants avaient promis de céder leur pays aux Français.

Avant de pouvoir occuper Aného et Pono-Séguro, les Allemands durent céder à la France deux provinces de la Guinée: les provinces de Koba et de KobitaI. On sait que Nachtigal, en route pour la côte du Bénin, avait fait escale à Konakry où il y avait à l'époque une maison allemande connue sous le nom de maison Koeling. Les commerçants allemands tâchaient de s'entendre avec les chefs de la région et ont même réussi à signer des traités d'amitié avec les chefs de ces deux provinces. Nachtigal avait offen des cadeaux (documents reçus de l'Institut de recherches de la Guinée) aux deux chefs, avant de reprendre sa route sur la MlJwe pour le Togo.

Après la signature du traité de protectorat de Baguida, les Allemands devaient ainsi aplanir les difficultés créées par les contrats d'amitié signés entre les

commerçants français et les chefs locaux. Ils durent ainsi céder leurs droits à la France sur les provinces guinéennes de Koba et Kobital.

La mise en valeur du jeune Togo avait alors commencé; il faut reconnattre que les Allemands ont beaucoup travaillé. Ils s'installèrent dans la région et y choisirent la première capitale du pays: Zebe, pendant 10 ans (1887 - 1897). Le premier gouverneur, Von Putkammer, résida à Aného et ce n'est qu'en 1897 que la capitale fut transférée à Lomé. Les écoles anglaises ont fonctionné jusqu'en 1905, date à laquelle le gouverneur Graf Von Zech prit l'arrêté supprimant les écoles

privées anglaises, pOur saper l'influence politique des Anglais au Togo. Quand les Allemands ouvrirent leurs écoles à Aného, il y avait des indigènes instruits, pas en allemand bien entendu, mais en anglais, et c'est ce qui a fait que pendant de longues

années la société d'Aného a été à la pointe de toute la société togolaise au point de we de l'instruction.

InOuence des Anglais au Togo avant l'arrivée des Allemands

n fut même un temps où l'Anglais Samuel ROwe voulait occuper la ville. Les Lawson avaient écrit en Angleterre~ à la reine Victoria, pour lui demander de prendre possession de la ville. L'Angleterre avait alors envoyé un bateau à Aného, vers 1882. Samuel ROwe était descendu à terre avec une troupe ; il a planté le drapeau anglais sur la plage. C'était sous le règne de Kodjovi Djiyehue ; à Glidji,

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Page 227: Traditions Historiques Du Bas Togo

il Y avait un autre roi qui s'appelait Huegbo. A Aného, il y avait un notable guin très-influent: Pedro Kodjo Landjekpo da Silveira. Ces trois personnages ont été mis

au courant de l'arrivée èt des visées de Samuel ROwe. Le chef de la famille Lawson,

qui avait voulu cela, s'appelait Late Tagodoe Georges. Le roi Huegbo, ayant appris

ces faits, vint à Aného ; il exigea la convocation d'une réunion d'urgence pour mettre

fin à cette histoire. Samuel ROwe fut invité à assister à cette palabre. Etaient

présents:

- Huegbo, le roi de Glidji, Georges Late Tagodoe Lawson, Pedro

Kodjo Landjekpo da Silveira, Kodjovi Djiyehue, chef Adjigo, ainsi qu'une foule de

curieux.

Le roi Huegbo demanda alors à Late Togodoe Lawson le sens du couvre­

chef, appelé djegba, que lui, Huegbo, avait sur la tête. Laté Tagodoe auraitrépondu:

le Djegba est une couronne qui n'est portée que par les rois. Huegbo aurait encore

demandé à Late, ce que signifiait le djegba porté par Kodjovi Djiyehue ; Late

aurait répondu devant Samuel ROwe lui-même que c'est un chapeau qui symbolise

la royauté. Lawson ayant répondu de cette façon, Samuel ROwe comprit qu'à

Aného, le vrai roi ce n'était pas Late Tagodoe Lawson, mais Kodjovi Djiyehue.

Samuel ROwe dit alors :

« Moi je suis venu de la pan du gouvernement anglais ,. Lawson a écrit au gou­vernement anglais pour lui de1lUlllder de venir prendre possession de la ville d'Aného, et dmts sa lettre il s'est intitulé roi d'Aného».

Samuel ROwe présenta ses excuses à Huegbo et à Kodjovi ; le drapeau

anglais fut descendu. Avant de quitter la ville, il offrit deux pièces de soie, l'une à

Huegboetl'autreàKodjovi; après quoi, il jeta des pièces de monnaie que les cu ri eux

se sont disputé sur le sable, et le bateau repartit. Samuel ROwe rentra bredouille,

n'ayant pas pu occuper Aného, s'étant rendu compte que le gouvernement anglais

avait été trompé par Lawson. Voilà donc ce qui s'était passé. En réalité, d'après les

documents laissés par les Allemands, le grand chef d'Aného devait être un Adjigo

et non un Lawson.

Origine de l'brolutlon rapide des Guln d'Aného.

Les luttes politiques, les luttes d'influence entre les Adjigo et les Lawson ont

contribué à cette évolution rapide, car il y avait une certaine émulation. On a

compris très tOt que chaque famille devait éduquer ses enfants. Il ne suffit plus de

vouloir régner comme chef, mais encore présenter au trOne un prétendant m6r,

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Page 228: Traditions Historiques Du Bas Togo

pouvant comprendre les grands problèmes de l'heure. Ainsi les Adjigo s'efforçaient de faire éduquer leurs enfants et les Lawson de même; et le résultat final, c'est que cet esprit d'émulation fit beaucoup de bien, hâta l'évolution rapide des Guin.

Maintenant, il Y a une vérité qu'il serait malhonnête de nier: toutes les grandes valeurs de la société guin se trouvent disséminées. Si Aného est aujourd'hui

une vieille cité économiquement faible, c'est parce que, avant l'ère coloniale, les habitants d'Aneho avaient deux métiers principaux: la pêche et la batellerie. Plus tard, quand les Allemands sont venus, ils se firent commerçants tout en restant

pêcheurs. Autrefois, sur tous les marchés de l'intérieur, on ne trouvait que des revendeuses mina d'Aneho, qui y portaient toutes sortes de denrées d'importation. Actuellement, les gens de l'arrière-pays évoluent aussi et leur concurrence a réduit

le potentiel économique d'Aného.

Quelle langue parle-t-on à Aného ?

Le pays ewe s'étend depuis la Volta jusqu'à Gbadagri. Mais la langue ewe a subi des transformations; ainsi dans la région d'Aného, on parle un eWe corrompu

actuellement faussement désigné sous le nom de langue guin ; le vrai guin, c'est la

langue d'Accra. Voici un exemple:

Ewe : Mi Ion wo kplé dj; blwo = je t'aime de tout mon coeur. Mina: Mu Ion woJ(U dj; blwo.

Dans cette phrase, le pronom personnel «me» devient «mu» (je) ; «1011» =

«aimer», est un verbe qui n'a pas changé en mina. Ainsi quand le mina dit «Ion»,

il parle ewe, non guin. En guin d'Accra, «aimer» se dit sumon ; «wo» veut dire 4<loi»,

et n'a pas subi de transformation en mina; «kplh veut dire «avec» en ewe, mais «leu»

en mina; «dji» = «coeur», reste tel quel en mina; même chose pour «blibo» qui veut

dire «entier». Dans cette phrase, il n'y a f:lo'nc que deux mots qui ont subi une petite

transformation. Il n'existe donc pas à Aného une langue guin ; on y parle plutÔt un ewe corrompu. Les Guin et les Fanti qui sont venus s'installer dans la région

d'Aného avaient leurs dialectes propres; il Y a alors eu des néologismes et beaucoup de mots nouveaux étaient entrés dans l'ewe de la région d'Aného. Quelques mots fanti et guin qui se retrouvent dans le mina actuel: mots fanti: kaklaba = petit; Ahlin Kaklaba = Ahlin le petit; nsan = 3 ou 3ème ; mensan = 3ème garçon =

mensah ; mots ga : iiakran = fourmilière = Accra.

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Page 229: Traditions Historiques Du Bas Togo

Les premiers occupants de la région d'Aného

Les premiers occupants de la région furent des Ewe, mais le site d'Aného,

alors langue de terre couverte de buissons, était désert, ainsi que Glidji. Il Y avait

des Ewe dans l'arrière-pays, installés dans des villages qui ceinturaient la région.

Ils étaient là, environ deux siècles avant la venue des premiers Ga avec Foli Bebe.

En réalité, les Ga sont en pays ewe. FoU Bebe et Hemaduo étaient venus d'Accra

et fondèrent Glidji en 1663. Plus tard, quelques Guin de Glidji étaient partis créer

d'autres villages comme Aklaku, Zowla, Zalive, Anfoin, en pays watchi (corruption

du mot ouatchen ou nuatja). Quand Hemadzro et Foli Bebe eurent fondé la ville

de Glidji, ils apprirent que les gens d'Accra voulaient venir s'emparer du fameux

tabouret royal qu'ils avaient emporté avec eux en s'exilant; Hemaduo prit alors

le siège et alla s'installer à Zowla qui veut dire: zen wla ; de «zen» = élire domicile;

et «M'la» se cacher. Il est donc parti se réfugier en cet endroit pour cacher le tabouret

royal et, jusqu'à nos jours, ce tabouret se trouve toujours à Zowla. Les gens d:Agoué

sont des Mina; ils sont partis d'Aného fonder la ville d'Agoué-Adjigo ; en 1821,

Komlagan, roi d'Aného, par suite de querelles avec les Lawson, partit fonder la

ville d'Agoué. C'est pour cela d'ailleurs, que lors de la lutte pour l'Indépendance,

le roi actuel d'Agoué, Atanley II, voulut que la ville soit rattachée au Togo. Les co­

lonialistes ont fait beaUcoup de mal à la ville: Agoué et Agouégan sont séparées

par la lagune; tous les terrains de culture des gens d'Agoué se trouvent en zone

togolaise, de l'autre CÔté de la lagune; Agoué est une localité économiquement

étouffée. Le chef luttait donc pour le rattachement au Togo. Mais il y a eu quelques

forcenés qui ont commis l'imprudence de déchirer le drapeau dahoméen et procla­

mer tout haut qu'ils étaient Togolais et qu'ils entendaient le demeurer. Le présiden t

MagaadQ alors intervenir. Atanley II fut mis en prison, d'où il ne sortit que plusieurs

années plus tard.

Avant l'occupation d'Aného, la langue de terre était inhabitée, de même que

la presqu11e d'Adjido, qui était couverte de forêt. Le roi Sekpon vendit cette

presqu11e au négrier brésilien Félix Francisco de Souza dit Chacha (titre que les

rois dahoméens conféraient à leurs représentants dans diverses localités: cf.

l'ouvrage: DaMme and Dahomans) ; le document de cession mentionne l'année

1779 ; mais il semble qu'il y a une erreur de frappe; cet événement a dQ avoir lieu

en 1799, parce que F. F. de Souza était au Dahomey en 1788; il n'est donc pas possible qu'il ait pu acheter la presqu11e avant cette date. Il y a construit une

factorerie sur laquelle il a écrit : «deus me ajudou» c'est-à-dire, «Dieu m'a aidé» en

portugais; et c'est par corruption que le mot adjudo devint Adjido. Porto-Seguro

a été fondée en 1780 par des négriers portugais et brésiliens. Le site aussi était

désert. Autrefois, les négriers installés à Aneho étaient obligés de payer des tributs

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Page 230: Traditions Historiques Du Bas Togo

au roi. Plus tard, ils ont voulu créer un port autonome. En effet, chaque fois que l'on voulait embarquer les esclaves, beaucoup périssaient à cause de la violence de la barre. Ils ont alors construit une sorte de wharf à Porto-Seguro. Dès lors, les esclaves étaient conduits sur le pont, et une fois la zone dangereuse dépassée, on les embarquait directement dans les cales des navires. Ils ont donc nommé ce port «Porto-Segura», c'est-à-dire port de sécurité. Plus tard, les négriers portugais et brésiliens ont évacué les lieux et, en 1835, Kodjo Agbossu partit d'Aného avec ses oncles pour aller fonder Agbodrafo, à l'emplacement de Porto-Séguro, à la suite des querelles avec les Lawson. Il a dénommé ce lieu Agbodrafo c'est-à-dire «mo~ le bélier, je tends les pieds ic~ dans la position du bouc qui défie».

La royauté chez les Mina

Il faut avouer tout de suite qu'il n'existe pas au Togo un royaume comparable au royaume mossi. Donc quand on dit roi à Aného, en réalité, on devrait dire

roitelet; car, pour être roi, il faut être à la tête d'un royaume; et un royaume comprend plusieurs cités, plusieurs villages, plusieurs localités, agglomérations. A Aného, de 1666 à 1921, il Y a eu des rois dont les noms suivent: Quam-Dessu, Ahlonko Foli, Ahlin (fils d'Ahlonko Foli), Sekpon (1812), Komlangan.

Komlangan était sous-chef de Sekpon. Au temps de ce roi, le négrier F.F.

de Souza vint élire domicile à Aného. Il eut des démêlés avec le roi Adandozan

d'Agbome qui voulut le tuer; il prit la fuite et vint s'installer à Aneho. A cette époque, Akuété Zankli, fils de Laté Awoku, était revenu d'Angleterre, ennobli par

une belle instruction. Il était le principal commis aux écritures à la cour du roi Sekpon. Un jour, une femme de Komlangan fut séduite par de Souza, avec l'aide de Zankli. Le Brésilien rapporta son aventure à Komlangan, ignorant que ce dernier était le mari de la belle. Piqué au vif par cette histoire et surtout par le rôle joué par Lawson dans l'affaire, il demanda à Sekpon de chasser Lawson du palais. Mais très réaliste, et reconnaissant les qualités inappréciables de Lawson en· tant

que seul interprète de la cour et commis aux écritures, Sekpon refusa de renvoyer son commis; il conseilla Komlangan de répudier la femme infidèle et d'en épouser une autre. Subjugué mais non convaincu, Komlangan dut céder. Quelques années plus tard, Sekpon mourut et Komlangan monta sur le trÔne. Son premier geste fut de faire expulser Lawson et F. de Souza de la ville. Ce dernier, très riche, forma un parti adverse autour de Lawson Zankli et lui constitua un stock d'armes pour chasser Komlangan.

Il parait qu'il n'y a pas eu de véritable guerre. C'était le 30 juillet 1821. La famille adjigo était elle-même divisée et manquait de cohésion face au danger. Le

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Page 231: Traditions Historiques Du Bas Togo

13 février, un inconnu mit le feu à la poudre à canon de Komlangan. Le palais prit feu, et Komlangan dut l'évacuer. Se voyant méprisé par la population et même par une fraction des siens, il dut quitter la ville et alla s'installer à Agoué-Adjigo, en nommant Asrivi son successeur. Mais tous les Adjigo n'avaient pas suivi Komlan­gan dans son exil et étaient restés à Aného. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ne veulent jamais être soumis aux Lawson. Quant à ceux-ci, ils disent qu'ils ont fait la guerre pour chasser les Adjigo ; Komlangan étant pani, la souveraineté leur revenait donc par droit de conquête.

Après Komlangan, régnèrent: Asrivi, Kodjo Agbossu, qui dut quitter la ville par suite de conflits avec les Lawson, Adade Nutepe, Kodjovi Djiyehue, très influent, Agnakuvi, Quamvi, dont les Allemands reconnurent la suprématie sur la ville. Et c'est grâce aux documents laissés par l'administration allemande que les Adjigo défendent maintenant leur droit de régner à Aného. Après Quamvi, il y a eu Thomas Koffi, et Ata Quam-Dessu XIII qui règne actuellement.

Après le dépan de Komlangan, les Lawson voulurent s'ériger en rois, mais les Adjigo ne le leur ont pas permis; j'ai un livre intitulé «Dahome and Dahomans»;

ce livre a révélé la malhonnêteté des Lawson. L'écrivain est un Anglais [F. Forbes, London, 1851] ; il avait donc intérêt à faire le jeu des Lawson qui voulaient leur livrer la ville. Cet auteur écrivait en 1850 qu'A.kuété Zankli, qui prétendait être le roi d'Aného, était désigné sous le nom de président de New-London, c'est-à-dire Badji, et non «/dngofAného». Donc 29 ans après le départ de Komlangan, les I..awson n'étaient pas encore parvenus à usurper le pouvoir réel, malgré le titre de roi dont ils s'affublaient en toutes circonstances.

Comment les Lawson se sont emparés du pouvoir à Aného

Quand les Allemands sont partis en 1914, le trÔne d'Aného resta vacant parce qu'ils avaient déporté Frank Gaba, alors régent, au Cameroun. Chez les Adjigo, la succession est matrilinéaire, en souvenir des coutumes fanti ; les fils des princesses avaient donc beaucoup d'influence dans le clan adjigo. Frank Gaba fut déporté en 1913 pour une question de presse. Un an pl us tard, ce fut la guerre, suivie de la défaite des Allemands; les Français rapatrièrent alors le régent exilé. En 1919, le gouverneur français Woelffel résidait alors à Aného, capitale du Togo français; alsacien, connaissant parfaitement l'allemand, il put donc étudier les documents allemands. A son arrivée à Aného, il voulu nommer un chef supérieur dans le clan adjigo conformément aux documents laissés par les Allemands. Mais les Lawson allèrent le trouver pour réclamer pour eux la suzeraineté de la ville; Woelffel resta inflexible.

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A cette époque, il y avait à Porto-Novo deux membres du clan Lawson : Kunake Creppyet Boevi Lawson (tailleur), tous deux amis de Bonnecarrère, alors Secrétaire Général du gouvernement du Dahomey. Ils allèrent le trouver et con­clurent le marché suivant avec lui:

«Nous voulons régner à Aného. Si vous voulez être nommé gouverneur au Togo, nous pouvons vous appuyer. Mais en contrepartie, une fois àAneho, vous servirez aussi nos intérêts. Vous direz ma notables: la France est une république; elle n'a pas de roi Le pouvoir de régner doit être donné à celui qui a la majoritb. Quand Bonnecar­rère, effectivement nommé gouverneur du Togo, vint à Aného, il nomma Lawson V roi d'Aného, non parce que les Lawson avaient le droit pour eux, mais parce qu'ils avaient la majorité dans la ville selon lui.

D'où venait cette majorité? Elle a été créée par une affaire de fétiche. Un jour, pendant la pluie, la foudre tua un homme. Comme de coutume, les vodusi exposèrent le cadavre de la victime dans la brousse sur une claie. Le gouverneur Woelffel eut vent de la chose et entra dans une vive colère: «Etes-vous si sauvages pour exposer ainsi un cadavre? Ce que vous appelez 4f{étiche» n'est qu'une décharge électrique causée par la foudre». Il entra alors dans le couvent, ramassa toutes les

amulettes et statuettes et les fit jeter. Les Lawson sont alors partis trouver les vodusi et leur ont dit: «Si vous nous appuyez, si vous vous rangez de notre côté de façon que nous ayons la majorité à Aneho, une fois que nous aurons la suprématie, vous aurez votre couvent». A partir de cette date, tous les vodusi d'Aného se rangèrent du cOté des Lawson ; c'était là leur secret.

Dès lors, quand Bonnecarrère est venu, il a nommé le candidat des Lawson. Les Adjigo ont protesté en se basant sur les documents laissés par les Allemands; Bonnecarrère déporta alors les notables adjigo à Mango. La déportation a duré des

années. Les Adjigo ont alors pris un avocat, Maître Marius Moutet ; ils lui ont envoyé 120 ()()() dollars; Bonnecarrère écrivit à son tour à Paris, pour signaler que les Adjigo étaient anti-Français, des germanophiles, et que si jamais la France laissait les Adjigo prendre le pouvoir, ils feraient revenir les Allemands. Ainsi Moutet dut renvoyer les 120 ()()() dollars, en refusant de prendre la défense des Adjigo. Plus tard, les Adjigo prirent un autre avocat en Gold-Coast ; il s'appelait Me Caseley Heyford ; il porta l'affaire devant la SDN; de là on écrivit souvent à Bonnecarrère pour lui demander ce que les Adjigo avaient fait avant d'être dépor­tés. Sous la pression internationale, il dut faire revenir les déportés à Aného, en

leur promettant qu'ils ne seraient pas placés sous l'autorité des Lawson ; forts de cette promesse, les déportés acceptèrent de revenir à Aného. Mais une fois en ville, on les força par les armes à signer une déclaration selon laquelle ils seront soumis aux Lawson, sans quoi ils seraient de nouveau déportés et leurs biens vendus. Mais

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Page 233: Traditions Historiques Du Bas Togo

pendant qu'ils signaient, ils envoyèrent un cablogramme à leur avocat à Cape-CoasL

Celui-ci télégraphia à son tour à la SDN, pour lui signaler que ses clients avaient été forcés de signer et que par conséquent cette signature ne valait rien. Ce sont

ces difficultés qui ont finalement décidé le gouvernement Olympio à obliger les deux chefs à signer un document mettant fin à la chefferie supérieure à Aného en

1961.

Agbano II, descendant de Foli Bebe et Hemadzro, est Guin.1I porte ledjégba. «Quand deux loups s'entremtlllgent, l'agneau est sain et saufo. Ainsi la lutte d'in­

fluence entre les Adjigo et les Lawson favorisa dans le temps la montée de la puissance de Glidji. Glidji devint ainsi la capitale politique des Mina et des Guin. Il y a dans cette ville une place publique que l'on appelle Huntitongomé (à l'ombre des trois fromagers): autrefois les affaires criminelles étaient jugées sur cette place.

Guerres:

Late Awoku a été tué à la guerre. Mais c'est une histoire qui humilie les

Lawson. Il y a eu une guerre entre les gens d'Adame et les Xweda. Late Awoku s'était

rangé du côté des Xweda et voulut entreprendre une expédition et marcher sur Adame.Lesgensd'Adameayanteuventdecequisepréparait,s'embusquèrentdans la forêt, et Lawson tomba dans un guet-apens. Sa troupe fut décimée. A lui-même, on trancha la tête et on dépeça son corps qu'on fit frire dans une jarre. On versa ensuite la graisse de la cuisson dans une bouteille. Et quand les Mina passaient en pirogue devant Adame, on leur montrait la bouteille en disant: «voici la graisse de votre afeul ,. venez la prendre». De plus, le canon emporté par Late Awoku au cours de son expédition fut pris et se trouve aujourd'hui encore à Adame.

Relations entre les Mina et le royaume du Danhome :

Une princesse de Glidji, soeur d'Assiongbon Dandjin, Ayefoa, s'était mariée

au roi Agaja du Danhome. Un jour, Assiongbon se rendit chez Agaja pour ramener sa soeur. Il dit à Agaja qu'il était guerrier et lui demanda de lui confier une armée afin qu'il aille razzier des villages et lui rapporter le butin. Agaja lui confia une troupe. Mais au lieu d'aller piller des villages, il se mit à sermonner les soldats dahoméens en cours de route:

« Vous ltes bites, leur dit-ü ; on vous fait tuer des gens et vous vous faites tuer

inutilement Votre intblt serait donc de quitter définitivement ce roi belliqueux assoiffé de sang».

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Page 234: Traditions Historiques Du Bas Togo

n fit si bien qu'il réussit à les convaincre et prit avec eux le chemin de Glidji. Quand cette nouvelle parvint aux oreilles d'Agaja, il envoya une importante troupe massacrer les fugitifs. Mais il était trop tard: les déserteurs avaient déjà atteint

Glidji et s'y établirent définitivement. La princesse Ayefoa demeura par contre auprès d'Agaja et lui donna même beaucoup d'enfants.

Du côté des Adjigo, il ya eu aussi des relations. Ainsi, une princesse adjigo appelée Ayefoa avait épousé Nyali, un notable de Porto-Novo. Elle lui donna une fille appelée Ahossi. Celle-ci se maria avec le négrier brésilien Félix Fransisco de

Souza. De cette union naquit Adékpéti de Souza, membre très influent de la famille de Souza et fondateur du quartier Landjo à Anécho. Avant de partir s'installer à Ouidah, il fit don de son quartier Landjo à la famille da Silveira, plus précisément à Pedro Kodjo Landjékpo da Silveira, dont la mère, la princesse Ahéba, était la soeur aînée de sa grand'mère, la princesse Ayefoa.

Uya eu beaucoup d'échanges culturels entre Aného et le royaume fon. Les

chansons qui accompagnent les jeux folkloriques des grandes familles (Lawson, Kponton, d'Almeida, Ajavon, etc) sont en langue fon. Avant la colonisation, les

notables et les grands chefs engageaient des compositeurs fon, qui leur ensei­gnaient des chansons en langue fon : c'est tout comme à l'Eglise, où l'on parlait latin que peu de gens comprennent. Il y a même des chansons en langue gun.

Du côté des Ewe

Kodjo Landjekpo da Silveira fit la guerre au roi Kumi Agidi d'Agoué, à cause

d'un conflit qui éclata entre Landjékpo et Zoki [Joachim] Azata, un notable d'Agoué. Tous deux achetaient des esclaves qu'ils faisaient revendre au Brésil. Un

jour, un brésilien débiteur de Zoki prit le bateau pour venir à Agoué rembourser Zoki. Cedemier, ne sachant pas l'autre en mer pour Agoué, s'embarqua de son côté pour aller chercher son dO au Brésil. Quand le brésilien vint à Agoué, il voulut

donner la somme à Landjekpo, marchand d'esclaves au même titre que Zoki. Mais Landjekpo refusa en lui disant: «Zold est en route pour le Brésil; allez lui remettre l'argent là-bas».

Le Brésilien repartit. Mais entre-temps, Zoki avait, de son côté, repris le

bateau pour Agoué, si bien qu'ils se croisèrent de nouveau en mer sans s'en douter.

Zoki fut mis au courant de ce chassé-croisé à son retour. Mais il crut que Landjekpo avait touché l'argent et qu'il ne voulait pas le lui remettre; il se mit en colère. On convoqua une réunion des notables de la ville pour régler l'affaire. Au cours du jugement, Landjekpo, en butte aux reproches de toute l'assemblée, se mit en colère et sortit de la salle du conseil. Les adversaires se quittèrènt donc dos à dos et-se

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Page 235: Traditions Historiques Du Bas Togo

déclarèrent la guerre. Pour faire cette guerre, Landjekpo fit recruter des mercenai­

res en pays' ewe, dans la région de Keta.

Les Ouin faisaient le commerce des esclaves ; ils allaient à l'intérieur

capturer des Ewe qu'ils revendaient aux négriers. En contrepartie, les négriers

amenaient à"Aného des tissus ainsi que des marchandises que les Ewe de l'intérieur

venaient acheter. Les Ouin étaient donc en minorité par rapport aux Ewe. Voulant

faire du commerce avec eux, ils durent apprendre à parler l'ewe ; ils en vinrent ainsi

à parler non pas un ewe pur, mais corrompu par des vocables de leur langue

originelle, le ga, et des langues des négriers: le portugais et l'anglais.

Le vrai propriétaire du littoral à cette époque était le roi d'Agbanakin.

Quand Quam-Dessu est venu, il voulut acheter la langue de terre sur laquelle sera

fondée Aného. Le roi de Olidji, Poli Bébé, lui dit que cette terre appartenait au roi

Aholu Awussan d'Agbanakin. Poli Bebe fit conduire Quam-Dessu à Agbanakin où

ce dernier acheta au roi le terrain qui s'étend de Obédjin jusqu'à Oatchen (près

de Oumkopé). A l'heure actuelle, il y a des gens de Olidji qui prétendent que ce sont eux qui avaient vendu la plage à Quam-Dessu. Mais il y a un document qui les

confond. Ce document prouve en effet que la presqu11e d'Adjigo a été vendue, en

1779, à P.P. de Souza par le roi Sekpon, le descendant de Quam-Dessu. Si cette terre n'appartenait pas à Quam-Dessu, son fils et unique héritier ne l'aurait pas

vendue.

Du cô~ d'Accra

Les ancêtres des Akué sont venus d'Accra. Akué s'installa tout d'abord au

quartier Ela, où il y avait une divinité appelée Lakpan. Le grand-prêtre de l'époque

s'appelait Tékué. Akué était très riche. Il avait beaucoup de bijoux en or et il aimait

s'en parer tout le temps; or, le port des bijoux en or est prohibé pour les adeptes

de Lakpan. Ces derniers utilisent plutÔt l'aynaynran [Momordica charantio (Cucur­

bitaceae)] pour se faire des colliers et des bracelets. Comme Akué était hébergé par Tékué et qu'il continuait à porter ses bijoux en or, Tékué considérait ce penchant comme une offense à son dieu. Akué qui, de son cOté, ne voulait pas renoncer à cette

manie, préféra quitter Ela. Il alla s'in taller à Degbenu. A cette époque, ce quartier

ne s'appelait pas encore ainsi. Akué était chasseur, et même un très bon chasseur

à ce qu'il paratt. A son retour de chasse, il allait vendre son gibier sur une place où

les gens d'Aného venaient s'approvisionner en viande fratche. Pour s'y rendre, ils prirent l'habitude de dire: «ma yi adé gbOnu», expression qui, déformée, devient Degbenu, bien que ce quartier ait actuellement perdu cette fonction originelle.

C'est pour cette raison aussi que le chef du quartier Degbenu est toujours choisi dans la famille Akué.

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Page 236: Traditions Historiques Du Bas Togo

La royauté à Aného

A Aného, on n'est pas nommé chef parce qu'on a des qualités supérieures .aux autres. On est chef parce qu'on jouit soit du droit de fondateur, soit, dans le cas des Lawson, parce qu'on l'a acquis par droit de conquête. Mais les Adjigo leur contestent ce droit, car selon eux, il n)' a pas eu de véritable guerre. De plus, avant son exil de 1821, Komlangan avait nommé, avant de partir, son successeur Asrivi, qui règna jusqu'en 1835.

Q : -Par quoi la chefferie se distingue-t-elle des monarchies traditionnelles du type

fon ou ashanti ?

R : - Les Lawson prétendent être des fio ou rois; en réalité, il n'y a pas de roi chez nous, mais des roitelets; car un royaume n'est pas une ville, mais un vaste territoire avec plusieurs villages; un roi doit avoir sous son autorité plusieurs chefs. Or ce n'est pas le cas à Aného qui n'est qu'une petite localité sans grande impor­tance. En réalité, le titre de roi est trop pompeux pour Aného. Si on prend le dictionnaire, le roi, c'est quelqu'un qui est à la tête d'un royaume. Or il n'y a pas de royaume à Aného, ni de royaume d'Aného.

En réalité, il ya toujours eu à Aného un chef traditionnel, un chef supérieur. Leschetsd'Aného,onlesappelaitfio,cequiestsynonymederoi.Ilyadonctoujours eu des rois à Aného, même si ce sont des rois sans royaume. Le roi est aidé dans ses fonctions par de grands dignitaires. Chez les Lawson, les familles Wilson et Creppy fournissent les ministres.

Avant de prendre une décision, le roi consulte le conseil royal, le Conseil du trOne. Il ne peut prendre une décision unilatérale. Pas de monarchie absolue. Il est

ai.dé dans ses fonctions par un conseil oligarchique composé de notables, de dignitaires qui se réunissent pour prendre des décisions que le chef est obligé de prendre en considération. On peut donc assimiler ce mode de gouvernement à une monarchie constitutionnelle; le roi n'a pas pouvoir de décision; c'est un simple figurant. Il y a la famille régnante au sein de laquelle on choisit toujours le roi. Mais ce roi est obligé de tenir compte des avis du conseil du trOne.

Q : - Comment se fait la désignation du chef ?

R : - Lorsqu'on nomme un chef, le jour même de sa désignation, on nomme également les sous-chefs; c'est celui qu'on appelle «ame /œ oso danko na me».

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Page 237: Traditions Historiques Du Bas Togo

Autrefois le roi ne devait pas sortir; les affaires du trÔne sont donc entre les mains du sous-chef. C'est lui qui sort, qui sert de trait d'union entre la maison royale et la population. Quand le chef vient à mourir, c'est le sous-chef qui prend tout de suite la tete du pays et assure la régence pendant trois ans. A l'expiration de ce délai, on organise les grandes funérailles royales, présidées par le sous-chef; à la fin de ces cérémonies, les princes se réunissent pour choisir le futur candidat au trône.

C'est une pratique démocratique qui se déroule au sein de la famille royale. La population n'a rien à voir dans cette élection.

Quelquefois on choisit le sous-chef, s'il s'est bien conduit tout au long de son mandat et si ,out le monde l'estime bien; mais s'il s'était conduit, du vivant de l'ancien chef défunt, de manière à déplaire, eh bien, on choisit un autre chef.

Après le choix, on invite tous les chefs de quartier de la ville qui se réunissent

sur la place publique de Fantekome, où l'on présente, à la population représentée

par ces chefs de quartier et les notables réunis, le nouveau candidat au trône. Les notables demandent alors à se retirer, pour se concerter et décider si oui ou non

ce candidat leur convient. Généralement, ils sont toujours d'accord. Ils peuvent

bien émettre des réserves quant à cette nomination, mais, comme il y a toujours des démarches en couliSses avant cette cérémonie officielle, tous les notables sont dans le coup, et la cérémonie prend figure de ratification de la décision de la famille royale.

Q : - La succession est-elle matrilinlaire ou patrilinéaire ? R : - Chez les Fanti, elle est matrilinéaire; ainsi, les fils des princesses ont beaucoup de pouvoir mais ils ne montent pas sur le trône. Chez les Adjigo, on

retrouve cette coutume encore vivace de nos jours. L'actuel chef a été choisi par

les fils des princesses; ce sont donc des neveux du trÔne qui l'ont choisi.

Les ancêtres des Lawson sont venus de Nugo, village situé à une quarantaine

de kilomètres· à l'est d'Accra; les Nugo parlent un dialecte différent du ga. La succession au trÔne se fait à peu près de la meme façon que chez les Adjigo. On choisit le chef dans la famille royale, et ceci parfois du vivant du chef régnant; on a ainsi l'attention fixée sur les garçons, on voit la façon dont ils s'intéressent aux questions de chefferie, les sacrifices qu'ils font pour l'honneur du trône, etc. Mais il est à remarquer que la succession n'est pas patrilinéaire non plus.

Les œ~monles d'Intronisation

Chez les Adjigo, ces cérémonies comportent deux parties :

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Page 238: Traditions Historiques Du Bas Togo

a) - Les cérémonies secrètes: on lave le nouveau chef avec des herbes spéciales. Avant de le laver, on nettoie le tabouret du chef défunt. Les maltres de cérémonies connaissent seuls les recettes de ces cérémonies: les savons, les herbes,

la manière de procéder, les paroles à prononcer, etc. Le tabouret du chef défunt sera déposé dans la case aux morts. On lave ensuite le nouveau roi, on lui fait poner le costume royal et, après, on le présente au public. Ce n'est pas tout le monde qui a le privilège d'assister à ces cérémonies secrètes.

b) - Présentation officielle sur la place publique à Flamani.

Les insignes de la royauté

Le chef pone un pagne blanc qui symbolise la royauté.

- Le djegba. Une chanson mina dit en substance: «un homme du peuple ne porte pas le djegba ,. si un homme du peuple portait le djegba, ce serait le monde à

l'envers». Le djegba , c'est l'emblème de la royauté par excellence. C'est une coutume qui vient de l'est. A Aného, Ahlonko Foli a été le premier à porter le djégba parce qu'il venait de Ouidah. C'est la même coiffure que portait Don Mateo Lopez, premier ambassadeur du royaume de Danhome en France. Le mot djegba vient du nago «dje» = perle; le djegba est un béret composé de plusieurs bandes blanches

imbriquées et décorées de perles.

- La canne royale (atikplo), qui représente le roi partout où il ne peut se rendre en personne. Il est ainsi toujours représenté par le porte-canne. L'usage de l'atikplo serait introduit par les Brésiliens. Le pone-canne, au sein d'une assemblée locale, a droit au même respect que le roi. Quand un atikploto arrive, il faut le faire

asseoir parmi les personnalités rassemblées. Quiconque manque de respect au

porte-canne, offense le roi. Il y a des idéogrammes sur un atikplo : certains sont surmontés d'un poing fermé, à l'exception de l'index pointé en l'air. Ce symbole

signifie: «je suis l'uniqlu chef du village» ; d'autres sont surmontés d'un aigle (aux ailes déployées) debout sur une tortue: «je suis comme la tortue, qu'un aigle ne peut jamais emporter»; d'autres encore sont surmontés d'une sculpture représentant le djegba : c'est la canne d'un vrai roi; les atikplo parlent donc.

Il existe cependant une variété de cannes un peu spéciales qui n'existe qu'en

trois exemplaires au Togo: un à Gumkopé, un à Porto-Séguro et un à Glidji. C'est le gouvernement anglais qui fit cadeau de ces cannes à certains chefs de la CÔte des Esclaves en mémoire de l'abolition du commerce des esclaves par l'Angleterre. En effet, le 26 janvier 1852, le gouvernement britannique fit remettre au chef Adotevi

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Page 239: Traditions Historiques Du Bas Togo

de Oumkopéune canne historique sur laquelle a été gravée l'inscription qui suit: «Presmted by the britishgovmunent ID the chief ofGomolota as a memoriIll of the tmJtY ,tllabolition of the slave trode, sigMd by him on 26th jlJlllUD'Y 1852». Le lendemam, une canne semblable fut offerte au chef de Porto-Séguro portant l'inscription -suivante : «Presentetl by the british govemment to the chief of Porto­Seguro as a memorÜllofthe treaty of abolition of the slave trlllÛ signed by him on 27th januœy 1852».

La première canne est ronservée lAJwegame, l Oumkopé, la deuxième au palais de ·Porto-Seguro ; la troisième se trouve l Olidji.

La régate: une sorte d'épée que porte le roi;

-.LeJabouret royal : Il romporte toujours cinq pieds : quatre à chaque extrémitéet·le cinquième au milieu; c'est le tabouret sur lequel s'asseoit le roi: c'est le trÔne royal. De nos jours, dans les salles d'audience, on ne voit que de jolis fauteuils etpas un seul tabouret, mais tout chef a son tabouret qui, à sa mort, sera rangé dans. la case aux morts. Par ces tabourets, on peut ainsi remonter jusqu~aux premiers rois. Les Adjigo en ont ainsi douze, tous visibles dans leur case aux morts, dans leur palais, à Flamani.

Pouvoir ell'ectlf du chef

Décisions qu'il peut prendre tout seul: Ata a pris certaines décisions qui ont maintenant force de loi:

- Lorsqu'un Adjigo meurt, ses femmes doivent faire d'énormes dépenses pour les funérailles. Chaque femme doit acheter un bélier, des boissons, etc. Ata a dit: «La sociiû holue, et la vie devient plus chère; ü ne faut donc plus faire peser des contraintes SUT lu gens. Si le dIfunt a de nombreuses femmes, qu'ellu se cotisent pour acheter un ou deux béliers pour rlduire les dépenses». Il y a eu des oppositions, surtout de la part des mattres de cérémonies qui y gagnaient; mais Ata a maintenu sa position.

Un autre rite ronsiste à manger le botoé pendant trois jours, au rours des cérémonies funéraires: on tue un cabri et, avec la viande, on prépare le 00101, qu'on mange trois jours durant. Ata réduisit ces cérémonies l un seul jour pour faire gagner du temps aux veuves.

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Ainsi donc quand la décision prise unilatéralement par le chef est raisonna­ble, tout le monde se rallie; autrement, le Conseil du trOne Peut faire opposition et le roi sera obligé de revenir sur sa décision. Donc le roi a une autorité non pas absolue, mais tempérée par l'existence de ce Conseil du trOne: il s'agit d'un système de monarchie constitutionnelle, la constitution étant représentée ici par la cou­tume, gardée dans sa ligne originelle par le Conseil du trOne ; qui doit veiller à ce qu'elle soit respectée dans ses moindres détails.

Organisation administrative

- Armée : Il existe à Aneho un quartier appeléAgbodj~ ~da porte fortifiée». Il y avait donc une armée à laquelle était confiée la sécurité de la ville, sous la conduite d'un général, ahuaga ou chef de guerre; il n'y avait pas d'armée de métier, mais souvent: des mercenaires comme dans le cas de la guerre de Landjekpo ; ou des membres du village et des familles alliées et amies, qui venaient spontanément se ranger sous la bannière du chef. Ainsi lorsqu'une guerre éclata entre Togoville et Porto-Séguro, les gens d'Agoué sont venus se ranger aux cOtés de Porto-Séguro.

Justice

Le chef a toujours des assesseurs; ce sont les tcJuuni. Le tribunal est présidé par le chef. Autrefois, Glidji était la capitale judiciaire des Mina. Les affaires criminelles étaient jugées à Glidji sur la place publique appelée huntitongome, où se tenait la cour d'assises. Les juges, de toutes les localités mina, venaient y juger les affaires. Leur sentence était sans appel.

- Les affaires courantes (divorce, mariage, terrain, etc.) étaient jugées sur place par le chef aidé, de ses assesseurs.

Les responsables des divinités locales avaient aussi beaucoup de pouvoir en matière judiciaire. Lorsque le chef avait prononcé une sentence qui n'était pas prise en considération par les deux parties ou l'une des parties, le chef avait alors recours au grand-prêtre (hungbonon). Celui-ci intervenait sur la place publique et tranchait souverainement; sa décision, sans appel, était prise en considération, car désobéir au hungbonon, c'était s'exposer à une mort quasi certaine: «le fétiche vous punira».

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Page 241: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Peut-on dire que k roi n'est pas obéi parce qu'il n'a pas de moyens de

persuasion?

- Les moyens de persuasion dont disposait le pouvoir étaient la déportation et la mise en esclavage. Caractère spécifique de la justice mina: ce n'est pas le roi

qui a le dernier mot, mais le grand-prêtre.

Les Finances:

D'une façon générale, une famille régnante possédait certaines propriétés, gérées par le chef régnant qui rendait compte de cette gestion au Conseil du trOne. Le roi vivait en principe des revenus de ces propriétés, mais il jouissait d'autres avantages: perception de droits de douane sur tous les produits européens.

Quand les colonisateurs sont venus, ils ont remplacé ces avantages par

l'allocation viagère. Autrefois, quand le chef touchait l'allocation viagère, il était

obligé de rendre compte de l'utilisation de cet argent au Conseil du trOne. Actuel­lement ce contrOle est supprimé, car le coQt de la vie est devenu plus cher et la

pension ne suffit plus; ce qui oblige le chef à mendier auprès des riches représen­tants du clan, car il fait beaucoup de dépenses: frais de porte-canne qui représente le roi partout (Ata en a trois), etc.

Au début, le chef adjigo s'enrichissait facilement; il percevait des droits sur chaque esclave embarqué et sur les marchandises importées. Il y avait toujours un

représentant du roi sur la plage, lors du débarquement des marchandises; celui­ci tenait une corde en mains, corde sur laquelle il faisait un noeud pour chaque barque de marchandises débarquées. Le total des noeuds déterminait les droits à percevoir, qui étaient en nature (boissons, tabac) ou en espèces.

Les Allemands se sont réservé les droits de douane à l'importation et à

l'exportation et ont dédommagé le roi adjigo en lui accordant une allocation de 250 livres sterling par an. Plus tard, cette somme fut partagée de la façon suivante: 75 livres pour la maison Adjigo ; 75 livres pour la maison Lawson ; 75 livres pour la maison Landjekpo da Silveira ; 25 livres pour la maison de Olidji ;

Pour mettre fin aux scènes de jalousie, les Allemands ont donc jugé équitable de répartir ainsi cette somme, car souvent les chefs se mettaient ensemble pour juger les ~~ épineux: et de plus, il se partageaient le pouvoir dans la région. A l'arrivée des Français, surtout après la domination de Bonnecarrère, l'allocation des Adjigo fut supprimée, car ils étaient considérés comme ennemis de la puissance

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Page 242: Traditions Historiques Du Bas Togo

mandataire. A l'heure actuelle, les Adjigo et les Lawson touchent la même alloca­tion. La chefferie a été démocratisée à Aného.

Les attributs du chef

Q : - A-t-il un caractère sacré? R : - Oui, puisqu'il est tout le temps en relation avec les morts, dans le palais; il y a une case aux morts où se trouvent les tabourets des chefs défunts. La case aux tambourets est sous le contrOle d'un maitre de cérémonies qui s'occupe du culte

des ancêtres. Mais on ne considère pas le roi comme un dieu. Le chef politique a un caractère sacré, mais il n'est pas assimilé à un dieu; c'est le chef théocrate qui est assimilé à une divinité.

Q : - Quel est le titre que l'on donne au roi? R : - Adjigo :Ata, mot fanti qui signifie père, seigneur (cf. Nana Ofori Ata au

Ghana). Lawson : Togbe (Togbui), mot ewe.

Mais il Y a des chefs qui prennent un surnom; c'est le cas de Kponton : il était très géant, parait-il; quand il est monté sur le trône, on prit l'habitude de dire au cours de ses sorties officielles: «Kponto, avu wo hé»: «le tigre sort, que les chiens se cachent» ; plus tard, «Kponto» devint Kponton. C'est tout comme Gankpe du

Danhome qui, une fois monté sur le trône, a pris le surnom de Ghezo, du mot ge, qui est un oiseau rouge sang, etzo : le feu; ce qui veut dire que cet oiseau est rouge, mais c'est un rouge qui ne cause pas d'incendie, ne provoque pas le feu.

Q : - Est-il visible tout le temps ? R : - Autrefois le roi ne sortait pas ; il n'était pas visible; et le commun des

mortels qui le voyait avait droit à une récompense. Il n'est pas visible à tout le monde par respect; mais il n'est pas assimilé à un dieu. Le roi mange seul; celui qui apporte la nourriture en godte, car on craignait les empoisonnements.

Q : - Quels sont ceux qui avaient la possibilité de voir le roi ?

R : - Ses femmes, ses serviteurs, ses parents intimes; le sous-chef qui doit lui rendre compte régulièrement de la bonne marche des affaires. En principe, le roi ne fait rien. Mais à l'abri des regards, on trouve des chefs qui s'adonnent encore au métier qu'ils exerçaient avant d'être nommés; telle chef Lawson V, menuisier de

son état avant d'être intronisé.

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Page 243: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Comment se déroulent lu au.tlkncu au palais ?

R : - D'une façon générale, il ya un jour de la semaine consacré aux audiences et jugements. Le tribunal siège ce jour -là. Pas un jour fixe, mais selon les nécessités

de l'heure. Pour demander audience au chef, il fallait s'adresser au sous-che~ui se mettait alors d'accord avec le chef pour fixer le jour de l'audience. Dans le temps,

les clients comptaient des cailloux ou des grains de maïs, pour se rappeler le jour

d'audience' qu'on leur avait fixé.

Q : -On note une certaine Ivolution de l'étiquette en usage. Au début, le roi n'était pas visible; ensuite par le processus d'lvolution (désagrégation due à l'intrusion des Européens qui déclencha une régression et une perte des valeurs traditionnelles), le roi devint être visible pour n'importe qui A partir de ~ nous pensons qu'il s'est organisé tout un cérémonill/ autour du chef pour qu'on puisse le voir, lui parler, etc. Dans ce cérémonilllflOflveau, tout sujet peut-il désormais s'adresser directement au chef ou doit-il le fain toujours par l'intermédiaire d'un porte-parole? R : - Il passe d'abord par l'intermédiaire du sous-chef, qui lui fixe un rendez­vous. Le jour de l'audience, le chef ne reçoit jamais seul. Il est toujours assisté d'un ou deux assesseurs qui écoutent et interviennent souvent dans le débat. Ceci par mesure de précaution, pour éviter que le roi ne s'engage trop, qu'il ne soit combinard, ou encore qu'il ne soit assassiné par des ennemis. En général, le Conseil du trOne exerce une surveillance étroite sur tous les actes du roi ; il faut donc

toujours un témoin dans ses rapports avec l'extérieur, pour que le Conseil soit toujours au courant de ce qu'il fait. Autrefois, quand les gens rendaient visite au roi, celui-ci ne parlait pas ; c'est un assesseur qui parlait pour lui; lui-même ne s'exprime qu'à voix très basse de manière à n'être entendu que par son assesseur. A cOté, il Y a toujours une jeune fille qui tient un crachoir constitué d'une calebasse contenant du sable propre.

Q : - Comment le roi passait-il ses joumées ?

R : -11 se lève le matin; ses proches viennent le saluer; quelquefois on consulte

le fan, pour savoir si la journée portera bonheur. Chaque chef a son bokonon [devin de l'oracle fan ou afan], qui est à son service jour et nuit. Dans la journée, entre 6 heures et midi, le roi a une conversation à bâtons rompus avec le sous-chef, soit sur les affaires du village, soit sur tout autre sujet; ou alors il s'entretient avec ses

proches. Les jours d'audience, de jugement ou de réunion du Conseil du trOne, il préside les assemblées.

Le protocole en usage à la Cour: Des fois, quand le roi sort, les femmes étalent des pagnes sur son passage pour qu'il marche dessus, ceci en signe de respect. Quand le roi apparatt en public, à l'occasion d'une grande manifestation, les femmes poussent des cris d'admiration; elles disent:

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Page 244: Traditions Historiques Du Bas Togo

Adjigo Ba Ba Ba 0 Ba Ba Dji ! E, E, E, E ... Ayo, Ayo Akuo (si le roi est né un mercredi) Ayo, Ayo Adjo (si le roi est né un lundi)

Ayo, Ayo Afi (si le roi est né un vendredi) Okpo Okuo! (si tu le vois, tu mourras!).

On le cajole, on le flatte, on se réjouit de sa présence. On peut donc assimiler le chef à une divinité, en ce sens qu'on le considère comme tout-puissant. Mais on n'adore pas en lui une divinité.

Les chefs de quartier: les Ga

D'une façon générale, ce sont les descendants des premiers occupants des quartiers; à Dégbénu, ce sont les Akué.

Leurs rapports avec le chef: trait d'union entre le chef et les gens du quartier; ils ne font pas partie du Conseil du trÔne; mais ils peuvent être tchami ou assesseurs

au tribunal du chef. Selon leurs opinions politiques, ils sont soit du côté des Lawson, soit de celui des Adjigo. .

Chaque quartier a son chef. Chaque quartier peut comprendre un ou plusieurs clans. A Aného, il y a un seul quartier spécial, Nlessi, habité uniquement par des Adjigo ; c'est un quartier habité par les mèmbres de la famille Bruce. Dans

les autres quartiers, il y a un mélange: des lawsonistes et des Adjigo.

- Pouvoir du chef de quartier: il est le porte-parole du chef dans le quartier; il se sert du crieur public pour annoncer les nouvelles importantes aux gens du quartier, auprès desquels il représente l'autorité supérieure. Le chef de clan repré­sente son clan auprès du chef de quartier ou de l'Administration, et est obligé de

se soumettre aux ordres du chef de quartier.

La société

La hiérarchie sociale se présente comme suit:

Au sommet de la pyramide, il ya lefio, le roi, entouré des hauts dignitaires du palais, les tchami, qui forment le conseil du trÔne. Dans la même sphère gravitent les tomehueyi ou dumehueyi, les grands notables de la ville, personnages riches,

puissants et influents. Ils ne font pas forcément partie de la cour royale, mais leur

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Page 245: Traditions Historiques Du Bas Togo

audience au sein de la population en fait des interlocuteurs privilégiés. Les hauts

fonctionnaires de l'administration traditionnelle sont choisis parmi les princes,

fiovi, ou les dumehueyi.

Après cette classe privilégiée, il Y a la population, formée par les hommes du peuple, qui s'occupe des différentes activités économiques sous la direction des

ga, les chefs.

Il Y a plusieurs sones de ga. Ainsi le komega est le chef de quanier et

l'ahuenuga, le chef de lignage ou de concession.

Tout à fait au bas de l'échelle sociale, se trouvent les esclaves, /duvi ou gato (littéralement: l'homme de l'argent, c'est-à-dire: acheté avec de l'argent).

Parallèlement à cette hiérarchie politique, il y a la hiérarchie religieuse, celle

des différents couvents dont les grands-prêtres, hugbonon, atchinan, jouissent d'un

pouvoir important dans la mesure où les membres de leurs couvents (vodusi)

dépendent d'eux et d'eux seuls, même sur le plan civil. Par ailleurs, qu'ils intervien­

nent fréquemment sur le plan politique, donc civil, pour résoudre nombre de conflits.

Cette puissance et cette audience leur viennent du fait que la population

civile leur prête un grand pouvoir sur le plan ésotérique.

Le commerce

Avant l'ère coloniale, le commerce des esclaves était la première source de

richesse des rois; ceux-ci, envoyaient des racoleurs attraper les voyageurs égarés,

les passants imprudents, qu'ils enfermaient dans des ergastules pour les revendre

aux négriers, chaque fois qu'un voilier arrivait.

- Les formes de mise en esclavage :

- prisonniers de guerre ;

- razzia; -l'hypothèque: besoin d'argent qui entraîne souvent le placement du

fils chez un dignitaire contre de l'argent; si par la suite, on ne paie pas, l'enfant

devient le fils adoptif du notable; c'est l'awobame.

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Page 246: Traditions Historiques Du Bas Togo

-Les conditions de vie de l'esclave: utilisé comme serviteur, domestique; les

belles femmes deviennent concubines du patron; il n'y a pas de cloison hermétique

entre mailres et esclaves [cf. le roman de Félix Couchoro: Mawulawoè, l'esclavei.

Plus tard, pour les besoins des usines européennes, des commerçants

commencèrent à s'intéresser à certains produits tropicaux (il y a un document laissé

par Pedro Kodjo, d'après lequel les commerçants de Liverpool venaient acheter des

palmistes, de l'huile de palme, du coton, dans la deuxième moitié du XIXè siècle).

Dès lors, des femmes et des hommes allaient glaner des noix de palme dans les

palmeraies et vendre de l'huile de palme et des palmistes aux Européens. Les

principaux produits d'exportation de la région étaient: l'huile de palme, le palmiste,

le coprah, le coton. En réalité, la culture des grandes plantations n'a commencé

qu'avec l'arrivée des Allemands. Autrefois, les noirs s'intéressaient très peu aux

cultures insdustrielles, les cultures vivrières primant tout. Le palmier à huile poussè

tout seul dans la brousse; dans la région d'Anécho, il y a une région appelée

Tchekpo-Deve, en pays watchi; deve veut dire forêt de palmiers à huile; il n'y avait donc pas de plantations bien entretenues, et on abattait souvent les palmiers pour

faire du vin de palme. Après avoir préparé l'huile de palme pour leurs besoins, les

indigènes concassaient les noix et revendaient ensuite les amandes aux Européens.

Le cocotier fut introduit par les Allemands.

Les indigènes ont très vite pris goOt à l'argent au contact des négriers

européens de la cOte. Leurs besoins leur ont très vite donné le goOt de travailler

pour avoir de l'argent.

Les premiers Portugais arrivés sur la cOte ont aussi formé quelques artisans:

un des fils de F.F de Souza a été apprendre le métier de forgeron au Brésil; à son

retour, il apprit à son tour ce métier à d'autres.

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Page 247: Traditions Historiques Du Bas Togo

HISTOIRE D'ANEHOVUE PAR LES AKAGBAN

Informateur: Chercheur Ueu Date

Les origines

l'ex-régent Abalovi Lawson, 81 ans N. L Gayibor Palais de Lolanmé, Badji, Aneho Novembre - Décembre 1971

Nous avons quitté Accra en 1660, à la suite d'une petite querelle entre le roi Kanyiko Okanyikue et les Akrobo [en fait, les Akwamu). Cette querelle survint à la mort du roi Kanyikue. Son fils n'étant pas en âge de monter sur le trône, sa mère prit la régence. Cette femme était autoritaire et de caractère altier. Comme il n'y

avait pas assez d'eau dans la ville, elle obligea ses sujets à lui creuser un grand puits. Mais ceux-ci eurent beau creuser, l'eau ne sourdait de nulle part; ils continuèrent pourtant à creuser, car désobéir à la reine, c'était s'exposer délibérément à la mort. Pour se débarrasser de la reine, un vieillard de la ville suggéra aux jeunes gens d'aller lui dire que les puisatiers seraient tombés sur une grande et grosse femme assise au fond de l'excavation alors qu'ils étaient sur le point de toucher la nappe phréatique. Cette femme voulait la voir pour lui réclamer certaines offrandes, avant qu'ils ne puissent continuer leur travail et trouve~ de l'eau à satiété. Sinon, la nappe d'eau qu'ils venaient de toucher tarirait vite.

A cette nouvelle, la reine, suivie de ses guerriers, se rendit sur place pourvoir ce qui se passait. A son arrivée, elle fut précipitée dans le trou que l'on se hâta de

boucher. Son enfant était resté à la maison, auprès de ses tantes, et ne sut rien de ce qui s'était passé. Il nelesutquebien plus tard, dela bouche de ses tantes,lorsqu'il parvint à l'âge adulte. Il en garda un vif ressentiment envers tous ceux qui partici­

pèrent à cet acte, plus spécialement les guerriers de sa tribu; ceux-ci de leur côté ne le regardaient pas d'un bon oeil.

Les Akrobo, de par leurs coutumes, ne pratiquaient pas la circoncision. Un prince akrobo fut élevé pour quelque temps à la Cour du roi d'A'Fa. Tous les habitants de la ville allaient se baigner dans le fleuve dénommé Densu. Il arriva un jour que, s'étant tous déshabillés, les princes d'Accra remarquèrel!t que le prince Akrobo n'était pas circoncis; on se moqua de lui. Tout honteux, il se fit cirC?ncire dès leur retour au palais, à l'insu du roi Okanyikue. Le reste de son séjour à Accra se passa sans incident notable jusqu'à la mort du roi ak~obo auquel il devait

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succéder. Les Akrobo le réclamèrent et il partit rejoindre les siens. Mais durant les cérémonies du sacre, on s'aperçut qu'il était circoncis; les rites furent interrompus à l'instant et une plainte fut déposée devant le roi d'Accra contre un tel acte; mais

ce dernier clama son innocence. Les Akrobo, persuadés qu'il était de mauvaise foi, ne le crurent pas. De ce quiproquo naquit une violente querelle. Les deux parties n'en vinrent pourtant pas immédiatement aux mains. 11 fut décidé qu'un règlement

à l'amiable serait recherché; mais comme ce règlement tardait à intervenir, les guerriers d'Accra s'allièrent aux Akrobo contre leur propre roi. C'est ainsi que

brusquement, au cours d'une séance de concertation entre les deux parties, les

Akrobo ouvrirent le feu sur les Accra, tandis que les guerriers d'Okanyikue ne ripostaient qu'avec des fusils chargés à blanc. Surpris par cette attaque imprévue et par le comportement de ses guerriers, le roi prit la fuite avec tout son peuple,

oubliant dans sa précipitation d'emporter le siège royal. D'autres, ayant appris les événements, s'emparèrent du siège, firent un long détour pour échapper aux Akrobo, allèrent rejoindre les Accra et le leur remirent.

Les Akrobo poursuivirent les Accra pendant leur fuite. Etant moins bien armés parce que munis de fusils chargés à blanc les Accra durent toujours céder

le pas devant leurs ennemis malgré toute leur bravoure. Pendant 20 ans, ils durent soutenir cette guerre loin de chez eux; pendant ces 20 ans, ils s'établirent en plusieurs endroits et s'adonnèrent à leurs activités traditionnelles, culture et éle­

vage, afin de subvenir à leurs besoins et se procurer des armes et des soldats pour continuer la lutte; mais ils n'eurent jamais le dessus. Après 20 ans de lutte, ils durent quitter définitivement le pays; ils traversèrent le Sintse [la Volta] et arrivèrent à

Keta. Les habitants de Keta leur promirent leur aide et les suivirent. Ils s'établirent à Zalive, Akoda, Badugbe, Ekuenu, Keta-Agbadonuton (dont le roi actuel s'ap­pelle Matchianyigban), n'ayant pas pu repartir vers leur pays natal. Quant à nous,

nous nous sommes établis à Guinveme (près de Dégbénu). Mais ayant toujours peur

des Akrobo, les chefs nous conduisirent toujours plus loin, juqu'à ce que nous

ayions atteint l'anyigbandjin [terre rouge]; de là, FoU Hemadzro emmena le siège

royal à Zowla (Zen-W/a).

Après la traversée du Sintsé, le peuple exigea que le roi se suicide pour que les Akrobo les laissent en paix. Okanyikue s'enduit le corps de cendres; il alla dans la forêt et se mit la corde au cou. Mais avant de se pendre, il leur dit:

«Si après ma pendaison, mon cadavre tombe au sol sur le dos, soyez donc

persuadis que vous retrouverez votre pays natal; mais si au contraire il tombe face contre terre, vous ne reverrez jamais plus le ciel de votre terroÏT».

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Page 249: Traditions Historiques Du Bas Togo

Ceci dit, il resserra le noeud de la corde, se jeta dans le vide et retomba raide mon, face contre terre. C'est pourquoi, incapables de retourner à Accra, nous dtlmes nous établir ici ; certains s'établirent à Aného, d'autres à Glidji ; certains

allèrent à Zowla, d'autres à Zalivé, Akoda, etc. Ceci en 1660, après' 20 ans de route.

Les ancêtres des Lawson

Late Asiadu et Late Bewu, tous deux chasseurs, s'établirent à Agokpame. Là, ils chassaient des buffles et des éléphants. Comme ils n'avaient pas emmené leurs femmes avec eux pendant l'exode, ils se marièrent sur place, à Tàdo. Le roi As­siongbon Dandjin est né ici. Après la mort d'Okanyikué, son neveu Assiongbon prit

la tête des opérations et c'est lui qui a emmené ici les guerriers accra. Son premier

fils s'appelait aussi Assiongbon ; à ce nom, il ajouta un second: Dandjin.

Notre grand-père Bewu épousa Adaku Hon, fille d'Assiongb()n Dandjin. De

cette union, naquirent Latevi Awoku et Eboè. A l'époque, le co'mmerce avec l'Europe, par l'intermédiaire des navires marchands, commençait à poindre. Pour développer leur champ d'action et leur clientèle, ces marchands btalÏes sollicitaient

des concessions pour s'installer à terre; ils demandaient aussi des interprètes qui puissent servir de trait d'union entre eux et la population. Dans ce but, ils prièrent

le roi de Glidji de leur confier un de ses enfants.

A cette époque, Komlangan était installé sur la CÔte avec les siens, depuis 1700. Nous, nous étions là depuis 1680, donc 20 ans avant eux. Ce sont des gens venus des environs de Bini. La variole ayant décimé les gens à bord de leurs

embarcations, ils abordèrent la côte, allèrent voir le roi de Glidji qui leur concéda

la plage pour qu'ils y habitent. C'était donc des pagayeurs; ils n'étaient pas venus

ici pour fonder un royaume; ce ne fut que par un concours de circontances qu'ils

ont été obligés de s'établir ici.

Les commerçants se sont adressés aussi à eux pour avoir un enfant à éduquer qui puisse leur servir plus tard d'interprète; ils en demandèrent aussi au roi de Glidji. Le roi de Glidji fit venir sa femme ainsi que les oncles maternels de son fils et leur exposa les faits. Mais ceux-ci s'opposèrent à l'envoi d'un enfant en Europe.

Le roi leur répondit :

«Vous avez refusé aujourd'hui de faire instruire votre enfant ,. vous serez les premiers à le regretter dans quelque temps. Ma soeur Adaku, mariée à Bewu, a un fils ; je vais lui faire la même propositioll».

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Page 250: Traditions Historiques Du Bas Togo

Bewu ne se fit pas prier; il conduisit lui-même son enfant auprès du roi de

Glidji. Au retour des commerçants, Assiongbon Dandjin leur remit l'enfant, qui s'appelait Late Awoku. Komlangan leur remit aussi un de ses enfants. En Europe,

tous deux furent élevés au Cours royal d'Angleterre, qui était l'école des princes;

ils y passèrent plusieurs années; mais, malheureusement, le fils de Komlangan mourut avant leur retour. Latevi Awoku fit dire à son père, avant son retour, qu'il

avait bien l'intention de revenir, mais qu'il ne pouvait plus rester auprès de lui, à Agokpame, à cause des conditions de son nouveau métier. Celui-ci exigeait en effet

qu'il soit tout le temps sur la plage, pour accueillir tous les navires marchands qui

accosteraient. A son tour, son père lui dit:

«Mon fils, les gens qui sont installés sur la plage ne nous aiment pas ; nous sommes toujours en conflit avec eux ,. et c'est à cause de cette inimitié que nous avons dIl quitter la te"e de nos afeux. C'est encore eux qui sont sur cette plage; ce sont des Fanti ,. on ne peut guère vivre en bonne entente avec eux: fanti ku

ame wo mu no nao».

Mais notre grand-père lui répondit qu'il saurait bien y demeurer; et effec­

tivement, il s'y installa et fonda un quartier qui tire son nom de cette expression:

Fantikome, déformation abusive de la mise en garde de Late Bewu à son fils.

Il s'était donc installé sur la plage et servait de courtier aux marchands européens dans leurs échanges avec les populations locales environnantes. Tout le commerce était entre ses mains. Les Européens lui demandaient des esclaves, de

l'huile de palme, du coprah; en retour, ils lui fournissaient toutes les marchandises

de pacotille, les tissus et les alcools, devenus indispensables aux rois des cOtes

d'Afrique.

Les circonstances de la prise du pouvoir par les Lawson à Aneho

Late Awoku eut plusieurs enfants: son premier fils s'appelait Late Helu, le deuxième, Late Kuassi,.le troisième, Avla, le quatrième, Tevi Adjo ; en ciquième

position, vinrent deux jumeaux: Akuété et Akuètè ; Akuètè mourut en bas âge.

Mais, avant de mourir, Late Awoku confia Akuété au marchand anglais dénommé

Law. Law emmena l'enfant en Angleterre et le fit élever au «Cours royal d'Angle­terre» comme son père. Akuété revint ici en 1810. En ce temps, son frère Avla était

chef de la ville. Avla l'envoya à Anloa Apenome régler une certaine affaire avec ses

oncles maternels qui étaient en conflit. Il fit bonne route et réussit à calmer les esprits à Anlo-Apenome. Mais ayant eu vent de ce voyage, Komlangan envoya des

émissaires aux Keta et aux habitants d'Agbozome, leur enjoignant d'attaquer

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Page 251: Traditions Historiques Du Bas Togo

Zankli, et de le tuer. Sur le chemin du retour, il fut effectivement attaqué la nuit à Didokpoé. Ils se battirent toute la nuit jusqu'au lever du jour. La femme de Zankli alors enceinte, qu'il ramenait à Aného, accoucha prématurément de deux jumeaux, que l'on appela Agboakunu et Agboadan. On les mit dans une grande calebasse et on les transporta dans cet équipage jusqu'à Aného. Au lever du jour, Zankli était maitre du champ de bataille. Il demanda alors à ses ennemis de la nuit la cause de

cette agression; ils lui expliquèrent alors que c'est à la demande de Komlangan -qui leur avait envoyé une mesure d'or- qu'ils l'ont attaqué. Zankli envoya des émissaires à ses oncles leur raconter ce qui venait de se passer. A l'annonce de

la nouvelle, tous les habitants d'Anloa-Apenome prirent les armes et se portèrent au secours de leur fils. Mais à leur arrivée, Zankli leur expliqua que tout était fini et bien réglé; pas tout à fait convaincus, ses oncles le prièrent d'éviter la route terrestre et de rejoindre Aného par la mer; mais, confiant en sa bravoure et en sa puissance, Zankli refusa ce subterfuge qui équivaudrait pour lui à une fuite, reprit son chemin et atteignit Aneho sans autre incident.

Mais arrivé devant la ville, il fit camper sa troupe devant Mamanu -un bras de la lagune- aux environs de l'actuel quartier de Nlessi. Il voulait chasser Kom­

langan de la ville avant d'y faire son entrée. Malgré les prières de son frère le chef, il refusa d'entrer dans la ville. A la fin, on lui envoya trois émissaires: Kueno Sakpan, Goumou [notre informateur avait oublié le nom du troisième personnage], portant l'herbe azan [Momordica charantia (Cucurbitaceae)] au cou, symbole de la paix. Ils le prièrent en ces termes :

«Seigneur, tu veux que nous fassions la guerre " mais nous as-tu donné des munitions? Nous as-tu distribué des fusils, de la poudre? Alors, à genoux, nous te prions de rentrer dans la cité de tes pères».

Calmé, Zankli consentit alors à lever son camp et rentra dans la ville, sans pour autant abandonner l'idée de déclarer la guerre à Komlangan. Mais peu de

temps après, Avla mourut, et Zankli regretta beaucoup de ne pas avoir chassé Komlangan avant la mort de son frère. Ce n'était que partie remise. La guerre fut déclarée en 1821 et Komlangan fut chassé de la ville. Komlangan, qui avait alors son quartier à l'emplacement actuel de la poste, prit la fuite; il ne s'arrêta qu'à Gbedjin. De là, il dirigeait des expéditions contre la ville dans l'espoir de la reprendre. Pour parer à une telle éventualité, Zankli fit élever des fortifications de la lagune à la mer, à l'emplacement même du quartier des Adjigo qui, de ce fait, perdit son ancien nom et fut rebaptisé Agbodji ou «laportefortifiét». Des sentinelles veillaien t nui t et jour sur les remparts. Devan t ce déploiemen t de force, Komlangan,

lassé, renonça à ses expéditions et alla se réfugier à Agoué.

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Page 252: Traditions Historiques Du Bas Togo

Après Zankli, régna Togbe Boèvi II ; après lui Adjinaku (père du pasteur Ahonevi) prit la régence; en 1883, les Allemands accostèrent à l'aube à six heures. Après le départ de Komlangan, certains de ses rejetons restèrent dans la ville et

continuèrent à nous chercher noise.

Les Allemands abordèrent la cOte à bord de leur navire Sophie. Après avoir

pacifié la ville, ils reprirent la mer en direction de Pla. Mais les enfants de

Komlangan, dont nous sommes les oncles maternels, ainsi que leurs alliés, prirent

des chevaux et, au galop, allèrent retrouver les Allemands à Grand-Popo. Là, ils

leur dirent que les Lawson avaient l'intention de déclarer la guerre aux Adjigo. La corvette Sophie fit demi-tour et revint à Aného. A cette époque, c'était mon grand oncle paternel William Tevi Agamazon Lawson qui avait assuré la régence avant

le sacre de Togbe Betum en 1883. Les Allemands vinrent à Lolan~é demander à

rencontrer le chef. Toute la ville était en émoi. Mais mon grand-oncle invita toute

la population à vaquer aux occupations journalières, à s'amuser comme si de rien

n'était. Bien plus, il voulait qu'on leur ftt fête, car aucune force indigène n'était

capable de résister à la puissance des Blancs. Il valait donc mieux être leurs alliés

que leurs ennemis. Partout en ville, on se mit à jouer du tam-tam et à danser. Le

chef sortit du palais en palaquin aux environs de 10 heures du matin. Il mit près de deux heures pour parcourir les deux kilomètres qui le conduiront à Kpehonu

[emplacement de la mairie] où devait avoir lieu la confrontation entre les trois

parties: les Allemands, les Lawson et les Adjigo. A la fin des entretiens, les

Allemands décidèrent d'emmener des otages en Europe. Les trois ministres du roi

serviront d'otages. Ce furent Albert Wilson Adjetegan, Gomez (alors à Pla, il fut

rappelé d'urgence) et Creppy. Tous trois furent emmenés à bord de la corvette.

Creppy revint à terre, mais les autres, Albert Wilson et son fils atné Gomez furent '. emmenés en Allemagne. Là, ils rencontrèrent le KtJiser qui leur exposa ses inten­

tions : l'ambition de l'Allemagne, ce n'était pas de faire la guerre et d'occuper mi­

litairement le pays, mais d'établir des contacts commerciaux et surtout le protec­

torat sur la cOte afin de développer le pays sur tous les plans. Ils signèrent donc le

traité de protectorat avec le Kaiser. Les papiers sont là. L'Allemagne s'engageait à veiller sur le pays et la ville, et, en retour, les chefs locaux devaient aussi veiller à la sécurité des commerçants allemands installés sur place et à leurs activités. Pour finir, le Kaiser les envoya à Hamburg signer des contrats avec toute maison de commerce qui désirait s'établir sur la cOte du Bénin. Albert Wilson signa un traité

avec «Northen us Emport» [1] et Gomez avec la Compagnie Goedelt. Les otages

furent ramenés à Aného. Togbe Betum était toujours roi. Il régna jusqu'en 1906. Après vint Togbe Kpaww; après lui monta sur le trÔne Togbe Lawson V, qui régna

vingt-neuf ans. Ensuite, il y eut Togbe Glynn qui ne fit que deux ans sur le trÔne.

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Page 253: Traditions Historiques Du Bas Togo

Après, je fus régent pendant cinq ans avant l'avènement de l'actuel roi Akuété Zankli Lawson VII

Informateurs

Chercheur Ueu Date

- L'ex-régent Lawson, 86 ans. - Le chef Lawson VII. - Un dignitaire de la famille Lawson - N. L Gayibor Palais de Lolanmé, Badji, Aneho Janvier 1976

Notreexoded'Accradatede 1660. La cause de l'exode d'Accra provient d'une

querelle entre les Gâ et les Akrobo qui habitaient aussi dans la région jusqu'à Kumasi. Comme les Akrobo étaient plus nombreux que nous, ils nous chassèrent du pays. Nos guerriers n'eurent même pas le temps de retourner chez eux emmener leurs femmes et leurs enfan ts. Les Akrobo les poursuiviren t longtem ps avan t de s'en retourner occuper Accra. Cependant, nos guerriers, espérant toujours reprendre leur pays, revenaient sans cesse mener des attaques contre les envahisseurs. Mais ceux-ci les repoussaient inlassablement. Nos ancêtres demeurèrent ainsi vingt ans en route, cultivant des champs pour se nourrir, et menant des attaques, toujours avec l'espoir de s'en retourner dans un avenir très proche à Accra. Mais nous reculions toujours devant nos ennemis. Nous mmes ainsi amenés à traverser la Volta, reculant toujours devant eux, pendant vingt années de 1660 à 1680, avant d'atteindre cette région-ci. Nos ancêtres s'installèrent d'abord à Guinvémé [la forêt des Guin], sur l'emplacement duquel les locomotives font actuellement leurs manoeuvres en vue de changer de direction. En faisant des fouilles dans cette zone, il est certain que l'on retrouvera les traces de ce séjour. Mais ne se sentant pas en sécurité en cet endroit, nos ancêtres décidèrent de gagner l'anyigbandjin, [la terre rouge], de l'autre CÔté de la lagune. Les Tugban s'établirent à Glidji alors que nous, les Akagban, nous allâmes fonder Agokpame ; ceci parce que nos ancêtres Late Bewu et Late Asiadu, qui étaient chasseurs, avaient besoin de vastes espaces pour exercer leurs activités. L'un de nos ancêtres, Late Bewu, épousa Adaku, une princesse de Glidji, fille de Foli Bebe. Adaku donnera naissance à Latevi Awoku. Dans le même temps, les Adjigo étaient aussi sur la plage. Leur chef s'appelait Komlangan. Ils étaient des pagayeurs. Ils venaient d'Egua, de Cape Coast.

Un jour, un négrier anglais s'en vint trouver le roi de Glidji pour lui demander des jeunes gens qu'il ferait éduquer pour qu'ils puissent leur servir d'interprètes sur cette CÔte. Komlangan accepta et lui confia un enfant. Le roi de Glidji rassembla toutes ses femmes et leur exposa le problème. Les femmes

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Page 254: Traditions Historiques Du Bas Togo

refusèrent, car elles soupçonnaient le roi de vouloir vendre leurs enfants. Devant

ce refus, le roi de Glidji décida de confier son neveu, Latevi Awoku, à l'Anglais.

L'oncle avait plus d'autorité sur son neveu que sur son propre fils. Latevi Awoku

avait alors quinze ans. Il séjourna encore quinze ans en Europe avant de revenir.

A son retour, il refusa d'habiter Agokpamé et vint s'installer sur la plage afin de faire du commerce avec les négriers européens. Ces marchands cherchaient de

l'huile, du coton, des palmistes. Il fallait donc être auprès d'eux, sur la plage, pour les leur fournir. Il s'installa au quartier Fantekome en 1753 et planta un fanion sur la plage. Les navires, en voyant ce pavillon du large, venaient accoster. Les

marchands venaient les trouver et, ensemble, ils faisaient les transactions. Ces

marchands logeaient également chez notre ancêtre lorsqu'ils avaient à passer

plusieurs jours sur place. Pendant ce temps, Komlangan, qui n'était que le chef des

piroguiers, n'avait aucune autorité sur la ville. L'agbonugla, le grand notable de la

ville, c'était notre ancêtre Latevi Awoku. C'est lui qui fonda le premier quartier de la ville, Fantekome.

Q : - Que signifie Fantekome ? R de l'ex-régent: - Comme certains de nos ancêtres venaient de cette région-là, ils

ont cru bon de donner ce nom à ce quartier.

R. d'un autre notable Lawson : Fantekome est une corruption de l'expression <<Fanti /al ame 0 mu no na duo», c'est-à-dire, on ne peut pas vivre en communauté avec les

Fante. En effet, lorsque Latevi Awoku, après son retour d'Europe, fit part à son

père de son intention d'aller s'installer sur la plage, non loin des Fante [qu'étaient Komlangan et ses piroguiers J, son père le mit en garde en lui faisan t cette réflexion:

attention mon fils, «Fante /al ame 0 mo no na du 0». Latevi Awoku passa outre cette

recommandation et vint s'installer sur la plage. L'expression resta néanmoins pour

désigner le nouveau quartier et se transforma en Fantekome.

Les Blancs donc, en venant à Aného, débarquaient des marchandises dont

s'occupait Latevi Awoku. En retour, ils lui faisaient savoir ce qu'ils désiraient:

esclaves, coton, huile, etc. Ils repartaient ensuite pour le Bénin et, entre temps,

notre ancêtre se chargeait de rassembler ces produits que les marchands européens embarquaient sur le chemin du retour. Quelques années plus tard, les marchands

européens demandèrent à notre an~tre de leur confier un jeune homme qui sera

éduqué comme lui-même en Europe. Il leur confia son fils Akuété. Celui qui emmenait Akuété en Europe s'appelait le capitaine Law. Celui-ci le fit baptiser et

lui donna pour nom Georges Lawson : Georges, le fils de Law. Ille mit à l'école au Cours royal d'Angleterre, l'école des princes, qu'avait déjà fréquentée son père. ~son retour, il seconda son père dans le commerce. Mais cet endroit devenant trop

exigO, Akuété quitta la maison familiale et se créa une concession à CÔté, afin d'être

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Page 255: Traditions Historiques Du Bas Togo

plus libre de ses mouvements et faire prospérer ses affaires commerciales. Il fit venir sa mère d'Agokpame pour lui tenir sa maison. Cependant, avant de venir s'installer auprès de son père, il fit longtemps du cabotage entre la Côte de l'Or et

le Bénin. En effet, le Blanc qui l'avait adopté, avant de le ramener à Aného, lui avait fait cadeau d'un bateau à voile. Il s'en servit donc pour faire le commerce quelques

années sur la CÔte avant de s'installer auprès de son père. Lorsque sa propre concession se révéla à son tour exiguê ou ne répondit plus aux exigences du commerce, il décida d'aller s'installer ailleurs. C'est dans cette perspective qu'il fit assécher le marécage de Badji et y construisit le palais de Lolanme.

Quelques précisions apportées par le chef Lawson. Si Akuété avait été

envoyé en Angleterre, c'est surtout parce qu'il était un enfant distrait et crapule qui

embêtait tout le monde. Pour s'en débarrasser, et pensant que le séjour en Europe l'assagirait, son père le confia doncau capitaine Law. Mais ce long séjour ne changea rien à son comportement. Il était toujours aussi insupportable et jouait des tours

pendables à tout le monde. Sa petite taille aussi le favorisait, car il passait ainsi inaperçu partout, escaladait les murs, courait sur les toits, allait accomplir ses forfaits et revenait se mêler aux autres comme si de rien n'était. Il en profitait ainsi

pour se débarrasser de ses ennemis ou concurrents dangereux. C'est ainsi qu'un

jour, parti de Fantekome, il courut sur les toits jusqu'à Agbodji (dans ces temps on construisait les cases les unes à côté des autres, pour se porter mutuellement secours

en cas de besoin) d'où il tua d'un coup de fusil un ennemi et revint se mêler tranquillement aux autres sur la place publique de Fantekome.

Les Adjigo de Komlangan étaient des piroguiers. Ils transportaient les marchandises des Européens, des bateaux à la CÔte. Ils gagnaient beaucoup d'argent dans ce travail. Nos femmes préparaient des pains de maïs qu'elles vendaient en

ville. Chaque fois qu'elles allaient au quartier des Adj igo, ceux-ci leur prenaient tout et, en retour, versaient dans les pots beaucoup de cauris, sans compter. Très contentes, nos femmes prirent l'habitude d'aller dans ce quartier et, un beau jour,

les Adjigo se mirent à les courtiser. Nos ancêtres, voyant cela d'un mauvais oeil,

décidèrent de se venger. Un soir, après la pêche, ils s'interpellèrent en zangbé -une langue initiatique dans laquelle on déformait consciemment le langage habituel­pour décider d'une réunion secrète au cours de laquelle ils mirent au point un plan d'action. Akuété leur promit de se procurer des armes et des munitions pour tout le monde. Mais comment faire pour soustraire ces articles à la vigilance des Adjigo

qui devaient les transporter par canots des bateaux à terre? Akuété usa d'un stratagème. Il fit peindre un coupe-coupe sur les caisses de fusils et des clous sur les caisses de poudre, si bien que les Adjigo leur livrèrent, sans aucun soupçon, les armes et munitions qui devaient servir à leur perte.

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Page 256: Traditions Historiques Du Bas Togo

Entre-temps, Late Avla, qui avait succédé à Latevi Awoku à la tête du clan

Akagban à Fantekome, envoya son frère Akuété régler un différend survenu entre

leurs oncles maternels à Anlo-Apenome. Sur le chemin du retour, Akuété fut

assailli par une troupe à la solde de Komlangan à Didokpoé. La bataille fut chaude,

mais Akuété réussit à mettre ses assaillants en déroute. A l'annonce de la nouvelle,

ses oncles le prièrent de rejoindre Aného par mer, mais il refusa et continua sa route.

Arrivé devant Aného, il campa à Mamanu et décida de n'entrer dans la ville que

lorsqu'il en aurait chassé Komlangan. Son frère Avla dépêcha devant lui Kueno

Sakpan portant un collier d'azan [Momordica charantia (CucurbitaceaeJ]-herbe, symbole de paix- pour le prier de rentrer en ville et de surseoir à sa vengeance.

Akuété rentra en ville, mais tint conseil avec tous les chefs de quartier. Il y avait

environ 12 quartiers, tous fondés par Akuété. Il distribua des fusils et des munitions

à tous et leur dit de se tenir prêts. Au jour dit, il fit bombarder Agbodji, le quartier

des Adjigo, d'un coup de canon. C'était le signal. Les troupes de chaque quartier

se mirent en armes et marchèrent vers le champ des opérations. Ils chassèrent les

Adjigo jusqu'à Gbedjin. Au cours de cette fuite, Komlangan fut blessé à mort. Ses

partisans l'emmenèrent jusqu'à Agoué où il fut soigné par un homme appelé

Somohloe. Avant sa mort, il confia à ses proches qu'il n'aimerait pas être enterré,

car Akuété pourrait venir profaner sa tombe. Il souhaitait donc que l'on attachât

de grosses pierres à son corps pour le jeter dans les flots. Somohloe rapporta ces

paroles à notre ancêtre. Celui-ci dépêcha alors des gens jusqu'à Hillakondji (qu'ils

fondèrent) surveiller la plage et récupérer le corps de Komlangan. Ce qu'ils firent.

Ils le décapitèrent et rapportèrent la tête ici. Elle se trouve actuellement dans apéli [dieu lare] à l'entrée du palais.

Cependant, les partisans de Komlangan ne se tinrent pas pour battus. Ils

revenaient sans cesse tirer sur nous pour essayer de reprendre la ville. Mais nos

ancêtres les repoussaient à toutes les occasions. Afin de les décourager à jamais et

surtout de protéger la ville contre leurs incursions, on construisit une véritable

barricade, sur le site de la poste actuelle, courant de la langue à la mer, et nos

guerriers veillaient sur ces palissades nuit et jour. C'est alors que l'on donna à cet

endroit le nom d'Agbodji. Les grands guerriers qui jouèrent ce rÔle de sentinelles

furent les Ameganvi, Ekué Gaba, Bahun. Enfin de compte, découragés par notre

détermination, les partisans de Komlangan renoncèrent à leurs expéditions. On

distribua alors à nos alliés les terres abandonnées par Kolmangan et les siens. La

concession de Komlangan se trouvait à l'emplacement de l'actuelle poste.

Q : - Dans quelles circonstances les Adjigo allèrent-ils habiter Flamani ? R : - Ce terrain servait autrefois de terrain de pâturage aux troupeaux de nos

ancêtres. L'endroit sera habité bien plus tard par un Anglais du nom de Freeman.

De là vint la déformation Flamani, nom actuel de ce quartier.

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Page 257: Traditions Historiques Du Bas Togo

Un de nos informateurs ajouta: Le terrain appartenait à Sassou Gaba.

Mais le régent le reprit: Non, l'endroit n'appartenait pas à Sassou Gaba. On

a donné ce lieu à Djiyehue, dont Sassou Gaba était l'oncle maternel. Djiyehue descend aussi de notre famille. On l'a mis à la plage comme chef des douaniers. Il comptait les marchandises débarquées et prélevait les droits de douane qu'il

envoyait dans ce palais.

Q : -Après la fuite de Komlangan et des siens, comment vos ancêtres procédèrent-

ils pour occuper la ville ? R : - Après la fuite de Komlangan, tous les Guin se rassemblèrent (Tugban, Djobu, Ela, etc.) et décidèrent de faire d'Akuété leur roi pour le remercier de les

avoir délivrés de la tyrannie de Komlangan. Avant, il n'était pas chef. Ce ne fut donc qu'en 1821,après cette bataille, que toute la ville le choisit pourdevenir roi. En effet,

jusque-là, il n'y avait pas de roi à Aného. Il n'y avait que des agbonugla et des chefs

de quartier.

Q : - L'autorité du roi de Glidji ne s'étendait-elle pas sur Aného ? R : - Non. Les rois de Glidji sont nos parents. On leur envoyait souvent des présents. Il n'y avait que les grands jugements criminels de tout le pays guin qui se faisaient à Glidji sur la place dénommée Huntitongome, où, généralement, les

accusés convaincus de crimes étaient condamnés à mort et exécutés.

Q : - Votre ancêtre Akuété, après avoir tué son ennemi, avait-il aussi été jugé à

Glidji? R : - Il fut jugé à Lovissè, entre Kuénu et Zalivé. Et d'ailleurs, en l'absence de preuve formelle contre lui, il fut déclaré non coupable. Ce n'est que devant la

persistance des accusations de la partie civile qu'il leur déclara, en manière de défi,

que c'était effectivement lui qui avait commis ce crime.

Avant de se faire couronner roi à Aného, Akuété retourna en Europe acheter les attributs de sa royauté toute nouvelle (habits, couronne, etc.), et se fit ensuite

couronner. C'est alors qu'il nomma ses chefs de quartier. Il n'y avait pas de chef de

quartieravant lui. Après cette guerre, son ami FélixFranciscodeSouza lui demanda comment on devait l'appeler dorénavant. C'est alors qu'il se fit nommer «ZankJi

Bossu Zon gangan liakpa : ZankJi Bossu marche d'un pas décidé et escalade la

palissade». On lui donna encore un nom de guerre: Ahwawoto, le guerrier.

273

Page 258: Traditions Historiques Du Bas Togo

Tous les Adjigo n'avaient cependant pas quitté la ville. En effet nos ancêtres étaient parentés aux Adjigo par les femmes, plusieurs de leurs soeurs et filles ayant épousé des Adjigo. Ces femmes allèrent donc trouver Akuété Zankli et lui deman­dèrent si leurs fils devaient aussi suivre leurs maris chassés d'Aneho. Mais Akuété répondit que ses neveux pouvaient bien demeurer dans la ville. Ils ont été installés au quanier Djamadji.

Ce sont eux qui vont encore nous créer des problèmes avec leur leader Kodjo Agbossu. Zankli les chassa en 1835 et ils allèrent s'installer à Agbodrafo. Ce nom vient du fait que Agbossu, à son arrivée à cet endroit, lança en signe de défi à ses ennemis cette expression: «MoiAghossu [le bélier],j'étends mes pattes ici et je vous défie de venir me déloger: Agho dre afo», qui, par corruption, donnera Agbodrafo. Cependant, bientôt, les Ouin qui l'avaient suivi dans cette localité l'abandonnèrent en le rendant responsable de leur renvoi d'Aného. Kodjo Agbossu devint si malheureux que nos ancêtres envoyèrent des émissaires le ramener à Aného et le confièrent à Ekué Oaba et Koffi à Fantekome

Après Akuété Zankli, régna Togbe Alexandre Lawson Boèvi II, puis Togbe

Daniel Betum Late Tagodoe Lawson III, puis Togbe Kpavuvu Lawson IV, puis Lawson V, puis Olynn Lawson VI ; je prie alors la régence pendant cinq ans avant que ne monte sur le trÔne l'actuel chef Lawson VII.

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Page 259: Traditions Historiques Du Bas Togo

Informateur :

Chercheur Ueu

Date

HISTOIRE D'AGBODRAFO

Louis Mensah Godohoun, agent technique de Santé

en retraite, membre de la famille royale d'Agbodrafo. N. L. Gayibor

Lomé 10 juillet 1977

Avant que nos ancêtres ne viennent s'installer ici, il a fallu que les négriers aillent voir le roi de Guengbo [Accra], qui régnait à Labadi et qui s'appelait Edoe Atchem, pour lui demander de leur trouver un homme de confiance qui serait leur courtier sur la côte. Le roi choisit parmi ses fils le nommé Adjé Amu Yawo, dont la mère était originaire des rives de l'Amu [Volta]. Adjé Amu Yawovint s'installer

dans ce pays. Il épousa une femme qui s'appelait Yaya. Malheureusement, cette

femme n'eut aucun enfant. Adjé Amu Yawo prit une autre femme à Adang be.Celle­

ci se prénommait Dédé. Elle eut un premier fils, Sewa Néglokpé; le second eut

pour nom Edoé et le troisième, Kpoti, était si beau qu'on le surnomma Asiakloalé [il faut se laver les mains avant de le toucher]. Les descendants d'Edoé furent Agbodjan, Dotè et Tètè Agbodjan. Les descendants d'Edoé et de Kpoti Asiakloalé

furent nombreux. Je descends pour ma part de Kpoti Asiakloalé, dont le premier fils Tètèkplè donna naissance à mon père Mensah Doglo ou mensah II.

A Aneho, tout allait bien. Après le départ des Adjigo, en 1822, les La, alliés

des Adjigo, restèrent en ville et continuèrent à y exercer seuls les activités commer­

ciales qu'ils partageaient autrefois avec leurs alliés. Mais ils voulurent venger les

Adjigo en attaquant à leur tour Zankli et les siens. Ils firent donc les préparatifs

afin de déclarer la guerre aux Lawson. Mais un des leurs, marié à une femme du clan akagban, alla vendre la mèche. Les Lawson firent alors comme si de rien

n'était, attendant l'occasion propice pour intervenir. Un jour, alors que les La s'étaient rendus à Degbenu pour faire un travail communautaire, les Lawson

envahirent leur quartier, incendièrent les maisons, tuèrent les vieillards et les

femmes restés à la maison et emportèrent les armes et munitions que les La avaient entreposées. A l'annonce de cette nouvelle, les La revinrent et, combattant avec des armes blanches (gourdins, bâtons, etc ... ) - puisqu'ils avaient laissé leurs armes

et munitions à la maison - contre les Lawson bien armés, forcèrent cependant le passage et allèrent emporter leur vodu, puis, accompagnés d'une partie des Djossi qui étaient leurs alliés, ils émigrèrent. Ils traversèrent la lagune à gué et allèrent

s'installer à Kuenu, où ils demeurèrent huit ans environ.

275

Page 260: Traditions Historiques Du Bas Togo

Après leur départ, Akuété Zankli confia les fonctions de chef de plage

(Aputaga] à son neveu Kodjo Agbossou. Quelques années plus tard, ayant appris que ce neveu envoyait clandestinement des armes à ses parents installés à Kuenu,

Hie démit de ses fonctions. Furieux, Kodjo Agbossou quitta la ville et alla retrouver

ses parents à Kuenu. Il leur dit: «Langbani mu no na avé mé 0: Le crabe de mer ne reste pas dans la forêt» ; il nous faut nous rapprocher de la mer. Ils quittèrent donc

Kuenu et se rendirent à Séwatsrikopé. Sewa Tsri était un fils d'Adjé Amu Yawo. Il leur apprit qu'avant de fonder son village l'autorisation lui en avait été donnée par le chef de Togo [Togoville]. Il leur conseilla donc d'aller à Togo, demander au

chef de leur accorder un lopin de terre. Ce qui fut fait. Le chef de Togo leur donna toute la région comprise entre Baguida et Gumkopé ainsi que le mentionne le contrat de 1835. Gumkopé a été fondée bien avant Agbodrafo.

Kodjo Agbossu alla s'installer sur la plage, fit du feu et hissa un fanion blanc.

Les négriers en route pour Aneho s'arrêtèrent et l'ayant reconnu - Kodjo Agbossou

ayant déjà exercé les fonctions de chef de plage à Aného - voulurent bien

commercer avec lui. Il détourna ainsi à son profit une bonne partie du commerce d'Aneho intentionnellement pour concurrencer son oncle Zankli. En effet Kodjo Agbossou assura aux négriers qu'ils pouvaient trouver les esclaves moins chers chez lui, puisque le grand marché d'esclaves de Kpomé n'était pas éloigné. C'est alors que les Blancs baptisèrent l'endroit Porto-Séguro, porte de secours. Kodjo Agbos­sou avait dénommé l'endroit Agbodrafo, de l'expression «agbodre afo: le bélier étend ses pattes», sous-entendu, «que vienne me déloger d'ici qui poU"a», par bravade

envers son oncle Zankli.

Le travail commença à Agbodrafo dans les meilleures conditions et le commerce avec les Blancs prit de l'essor. Après cinq ans, les gens de Togo, voyant

que ces activités rapportaient beaucoup de bénéfices, voul urent aussi avoir leur part du gain. Ils envoyèrent alors des émissaires à Kodjo Agbossou qui leur donna de l'argent, des étoffes, etc. En contrepartie, les émissaires de Togo leur cédèrent le

territoire d'Agbodrafo en jouissance perpétuelle. Un contrat fut établi et dOment signé en présence des notables des deux communautés. Du côté d'Agbodrafo, on notait la présence d'Assiakoley, Kodjo Agbossou, Nicoué Agbidi, Adjaka, le roi

Adadé, Akouété Acri. Tous ces derniers, Adjaka et le roi Adadé mis à part, étaient venus de Kuenu. Adjaka, quant à lui, est un natif de Glidji. Il était venu d'Anfoin s'installer sur place avant l'arrivée de nos ancêtres, mais il n'a pas eu la présence

d'esprit d'aller prendre contact avec les gens de Togo, propriétaires de la région et ,de I~ur en demander l'autorisation; et comme il était sur place avant l'arrivée de nos ancêtres, i11es aida beaucoup dans les premiers temps pour leur installation:

il leur donnait du feu et des informations sur tout ce dont ils avaient besoin. Le roi

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Page 261: Traditions Historiques Du Bas Togo

Adadé est son frère, venu se réfugier auprès de lui, après avoir été chassé de Glidji (où il était roi) à la suite d'une mauvause action. Il était lui aussi dans la forêt avant l'arrivée de nos ancêtres.

Le roi Adadé était très méchant. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il fut chassé de Glidji. Les Djossi et les Ela observaient, à quelques variantes près,

les mêmes coutumes. Ils formaient donc deux clans assez unis à côté des Tugban dans la nouvelle communauté d'Agbodrafo, où de solides habitudes étaient en train de se nouer. Ainsi parfois, les Djossi et les Ela préparaient des liqueurs (bière de mil) et invitaient les Tugban à venir boire chez eux. A telle autre occasion, c'était au tour des Tugban d'inviter les Ela et les Djossi. Mais souvent les Tugban profitaient de l'occasion pour courtiser les femmes ela et djossi, voire les violaient en faisant semblant d'être ivres.

Ils répétèrent ce manège deux, puis trois fois. Les notables ela et djossi intervinrent fermement pour leur interdire de telles pratiques à l'avenir. Mais les Tugban firent fi de ces conseils et réitérèren t ces actes une quatrième fois. Les jeunes gens ela et djossi décidèrent alors de se venger. Ils mirent des cactus et des bouts de bois taillés en pointe sur le sentier qu'empruntaient les Tugban, puis s'en prirent à eux. Quand ils voulurent s'enfuir, les Tugban se blessèrent aux épines et pointes acérées et, gênés dans leur fuite, ils furent rattrapés et correctement rossés.

Le lendemain, les vieux notables se réunirent et décidèrent de juger l'affaire pour y mettre fin une fois pour toutes. Ils envoyèrent deux émissaires, Afovi et Edoe, respectivement petit frère et fils de Tèkplè, auprèsd'Adjaka et des siens. Mais Adjaka était parti au champ. les émissaires rencontrèrent donc le roi Adadé et lui exposèrent le motif de leur visite. Les Ela et les Djossi attendirent leur retour en

vain. On dépêcha un troisième émissaire, nommé Eklan (fils d'Agbodjan). Celui­

ci se rendit ~alorS compte que ses prédécesseurs avaient été tués. Lui-même ne dut sonsaluiq~'àlafuite,aprèsavoirreçuuncoupdesabreaudos.Ilvintalorsrapporter cette nouvelle à nos ancêtres. Tout le monde se mit en armes et se porta vers le lieu où habitaient les Tugban. A leur arrivée, Adjaka était de retour. Ils lui exposèrent les faits. Il s'emporta aussi furieusement car Afovi était son neveu. Pour calmer les esprits, le roi Adadé fut condamné à ·mort et exécuté. Adjaka décréta ensuite qu'aucun enfant du village ne s'appellerait plus jamais Adadé. Bien plus, il prit la décision de remettre les insignes du pouvoir à Tèkplè (Tètèkplè).

Mais, «éta mu no na any~ ye ék10 tcho na kukuo : Le genou ne porte pas le

chapeau en présence de la tête», disent les Guin. Il y avait les grands frères de Tèkplè, fils de son grand-oncle Edoe. Ce sont: Dotè et Tètè Agbodjan. C'est à eux

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Page 262: Traditions Historiques Du Bas Togo

donc qu'échut le pouvoir. Ils régnèrent tous deux l'un après l'autre. Après eux, Tèkplè prit le pouvoir. A la fin de sa vie (aucun de ses propres enfants n'étant en

âge de monter sur le trône), il choisit un de ses proches parents pour le remplacer

en la personne de Mensah Gbonoto, à charge pour lui de remettre le pouvoir à ses

enfants lorsque ceux-ci seraient grands. Mensah Gbonoto régna jusqu'en 1881, date

à laquelle il fit appeler Mensah Doglo et, en présence des quatre chefs de quartier

(Kuétévi Asafotchè, Kwawu Mensah, Latré Sivomé, Baku), le désigna comme son

successeur et confirma cette nomination par une attestation écrite. Les différents

rois d'Agbodrafo furent: le roi Adadé, puis Dotè Assadji Gidi

Ces deux premiers ne furent pas de véritables rois, mais plutôt desdumehueyi [grands notables].

- Tètè Agbodjan, Tèkplè, Mensah 1er, Mensah (Doglo) II

Q : - Pourquoi Kodjo Agbossu fut-il chassé d'Agbodrafo ? R : - Kodjo Agbossou avait eu une attitude ambiguë lors de l'échauffourée

entre les Tugban d'une part, les Ela et les Djossi de l'autre. Il prit parti pour les

Tugban au lieu de soutenir les siens. Il fut alors molesté par les siens et dut s'enfuir.

Il s'installa à Gumkopé. C'est de là que son oncle maternel (Zankli Lawson) le fit

ramener à Aného. A sa mort, il fut d'abord enterré à Lolanmé [palais des Lawson];

mais les Adjigo réclamèrent le corps et le firent inhumer ailleurs.

Q : - Qui était Nicoué Agbidi ? R: - Nicoué Agbidi était un Djossi. Il venait d'Aného. C'est un grand notable

partisan et allié des Adjigo, qui a préféré suivre ses amis à leur départ en 1822.

Q : - Les différents quartiers d'Agbodrafo. R : - Elakomé, Adjakakomé, Djossikomé, Djamadji (habité aussi par des

Ela). Le premier roi (Adadé) habitait Adjakakomé. Mais après, les rois résidèrent

et résident encore à Elakomé.

Q : - Qu'est-ce que l'asafoga ?

R: - L'asafoga est un gong de guerre. C'est l'équivalent de l'atopani [des Ewe

et des Akan]. Dès que le son retentit, tout le monde doit courir aux nouvelles, à la maison royale.

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Page 263: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q: - Pouvez-vous nous donner la signification du surnom «Zankli» donné à Aleuété Lawson ?

R : - D'après ce que mon père m'a rapporté, Akuété aurait été banni de la

ville d'Aneho par le roi Komlangan. Il alla se réfugier auprès de ses oncles maternels à Dzélukopé. Pour se venger, il fit des réserves de munitions et, appuyé par ses alliés, les Keta, il vint attaquer Aneho de nuit, par surprise. De là lui viendra le nom «Zanldi», ce qui veut dire: «je t'ai surpris la nuit». En effet, c'est de nuit qu'Akuété Zankli et les siens ont attaqué Komlangan et incendié le quartier adjigo. Il s'agissait donc plus d'une opération de pillage que d'une véritable guerre.

Q: - Pourquoi dit-on que les Adjigo ne doivent jamais danser et taper du pied sur le sol à Lolan~é ?

R : - Ils ne peuvent pas le faire et ils ne le font pas, parce que lorsque leurs aïeux ont été massacrés, c'est dans cette concession qu'ils furent enterrés. A Lolanmé, il y a un endroit appelé Afomayi. C'est là qu'ils ont été enterrés.

Q: -L 'apéli de Lolanmé a-t-il été réellement édifié sur le crâne de Komlangan? R: - C'estarchi-faux.Komlangan est mort et fut enterré à Agoué. Les Lawson

disent qu'avant sa mort, il aurait formulé le souhait d'être jeté à la mer, et que les vagues auraient ramené son cadavre à Messancondji où des partisans akagban l'auraient décapité. Tout cela n'est que mensonge.

Informateur Chercheurs Lieu Date

Chef Lassey Assiakoley IV, chef d'Agbodrafo D. F. Gbikpi-Benissan , N. L. Gayibor

Palais royal d'Agbodrafo

30 janvier 1980

Notre aïeul Adjé Amou Yawo est venu d'Accra, en 1680, avec les Guin. Sa jeune fille épousa Komlaga, chef d'Aného. Il épousa lui-même une femme origi­naire de Péda, appelée Kayivi, et eut pour enfants: Sewa Dogbè Neglokpé, Assia­koley et Adjélé.

En 1821, eut lieu à Aného la guerre civile entre les Lawson et les Adjigo. En 1828, Kodjo Agbossou voulut prendre sa revanche poJJr venger les Adjigo, ses oncles maternels; il attaqua les Lawson. Il fut vaincu; cela occasionna le départ

de notre aïeul Assiakoley et de ses parents. Ils s'en allèrent s'installer à Kuénu ; ils

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Page 264: Traditions Historiques Du Bas Togo

demandèrent au chef du village un terrain de culture; ce dernier leur accorda des

terres à Koumikopé où ils pratiquèrent l'agriculture (à deux kilomètres de Kuénu).

Mais ils se sentaient mal à l'aise à Kuénu car, à Aneho, ils habitaient la plage. Une délégation composée de Sewa Dogbè Neglokpé, Assiakoley et Kodjo AgbOssou, alla rendre visite au chef de Togoville pour lui demander l'autorisation pour que le groupe s'installe sur la plage. Le terrain leur fut concédé en 1832 après qu'ils eurent réitéré trois fois leur requête. Le 1er octobre 1835, Assiakoley signa une convention avec le chef de Togo, à qui il paya une redevance, et depuis lors la terre est devenue propriété d'Assiakoley et de ses descendants jusqu'à la fin du monde.

1832 -1852: Assiakoley fut le chef fondateur du village; il mourut en 1852. Monta alors sur le trOne, comme régent, son neveu Dotè Assadjiguidi.

1853 - 1870: John Mensah 1er, fils d'Assiakoley, commerçant à Gbadagri

revint assurer la régence. Il fut couronné roi en 1870. 1870 - 1896 : Mensah 1er, roi

Pendant tout ce temps il y avait des contacts avec les Aguda [Portugais] qui aménagèrent la ville de «Port de Sécurité» : Porto-Séguro. Pendant tout son règne, jusqu'en 1884, Mensah 1er percevait des droits de douane et coutume sur le commerce qui s'effectuait dans la ville.

En 1884, la question de colonisation vit le jour. Le 12 juillet 1884, Mensah 1er s'opposa à l'installation des Allemands car il avait déjà signé un traité avec les

Français. Il refusa de faire monter le drapeau allemand au mât sur la plage.

Le 5 Septembre 1884, il dut accepter l'occupation allemande car, entre temps, les Français et les Allemands se sont mis d'accord pour le partage de la région.

Les gens prétendent que Kodjo Agbossou fut le fondateur d'Agbodrafo. Kodjo Agbossou est le neveu d'Assiakoley et c'est la raison pour laquelle, à leur arrivée ici, Kodjo Agbossou a dit: «Nous ne ferons plus un pas en amère, ni un pas devant» ; et les gens ont dit: «Le bouc étend ses pieds; agbo tira afo», d'où le nom de la ville Agbodrafo.

En 1896, meurt Mensah 1er

1896 - 1913 : Toppey Lassey assura la régence 1913 - 17 mai 1927, Mensah II, cousin de Mensah 1er fut couronné roi.

1927 - 1932: il y eut des agitations politiques et le gouvernement français fit nomme, quatré chefs de quartier pour l'administration de la ville.

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Page 265: Traditions Historiques Du Bas Togo

1932 - 1942: Smart Lassey Assiakoley II, cousin de Mensah 1er, assura la régence.

1942 - avril 1959: règne d'Assiakoley II

A sa mort, son cousin Joseh Agbenyigan Mensah, devint régent. Chez nous, habituellement le sous-chef devient régent à la mort du roi. Mais en 1960 à cause

des rivalités politiques entre le CUT et le PTP, par incompréhension, le CUT força la main à Joseph Agbenyigan pour le remplacer par son neveu Augustin Dovi Mensah, comme régent.

En 1963, Joseph Agbenyigan redevint régent suivant la coutume. 1963 - 27 septembre 1974 : Joseph Agbenyigan Mensah assura la régence. 21 janvier 1975 : Lassey Assiakoley IV fut intronisé roi de la ville.

Je vous ai cité Assiakoley 1er, Mensah 1er, Mensah II, Assiakoley II. En fait, il ne doit pas en être ainsi. Tout cela devrait suivre la chronologie car Assiakoley, le fondateur de la ville n'a jamais régné. Son fils Mensah 1er fut le premier roi. Il aurait donc dtl s'appeler Mensah Assiakoley II. Le troisième aurait dtl s'appeler

Lassey Assiakoley III. Le quatrième Lassey Assiakoley IV. Donc moi-même, je

m'appelle Lassey Assiakoley IV. En faisant ainsi, on suivrait mieux nos coutumes car celui qui n'a pas été intronisé dans l'avé [la forêt] n'a pas le droit de porter le

titre de roi.

Les limites des terres de la collectivité de Porto-Seguro sont et demeureront comme suit: au sud, l'océan Atlantique; au nord, le lac Togo, à l'ouest, l'ancienne limite de la forêt de Baguida ; et à l'est, les lignes de démarcation entre les villages

de Gumkopé et Sewatsrikopé.

Les terres de la collectivité de Porto-Seguro sont et demeurent inaliénables; elles sont frappées d'un interdit d'appropriation individuelle, de vente ou de cession définitive. Nous ne vendons pas nos terres car notre contrat avec les chefs de Togo nous en interdit la vente. Pour les acquéreurs de terrains, on fait un acte de donation qui les rend propriétaires de terres qu'ils demandent. Pour cette raison, les terrains de Porto-Séguro ne peuvent pas servir de garantie auprès d'une banque ou d'une compagnie commerciale en vue d'un prêt ou de toute opération commerciale. Ces terrains sont et demeurent la propriété de toute la collectivité, jusqu'à la fin du

monde.

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Page 266: Traditions Historiques Du Bas Togo

Quelques faits marquants de l'histoire de la ville.

1er février 1875 : Mensah 1er fait une promesse de protectorat à la France par l'entremise de la Cie Fabre.

1881 Mensah 1er signe le traité de protectorat avec la France. 1882 : renouvellement du contrat de protectorat avec la France. 25 ja~vier 1852 : le roi d'Angleterre offre au roi de Porto-Seguro une canne

en souvenir de la cessation de la traité négrière. 1863 : les commerçants anglais font don d'une canne à Mensah 1er. 10 janvier 1870 : la Cie Fabre fait don d'une canne à Mensah 1er en signe

d'amitié et de reconnaissance. 1879 : Le gouvernement allemand envoie une canne à Mensah 1er à l'occa­

sion de son couronnement.

Les quartiers de la ville. Il y a cinq quartiers :

Apetokome, c'est le quartier royal, habité par les La ; Elakomé, habité par les La; Djossi, habité par les Djossi ; Kuenukomé, habité par les La et les Tugban; Ajakakotn~ : habité par les Tugban. Adjaka est un Tugban, un cousin d'Assiakoley qui effectua la migration avec lui.

Q : - Depuis quand régnez-vous ?

R :-la décision officielle me nommant roi date du 30 a06t 1974. Je fus officiel-lement intronisé sous le nom de Lassey Assiakoley IV, le 21 janvier 1975.

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Page 267: Traditions Historiques Du Bas Togo

LE ROYAUME XWLA D'AGBANAKIN

Informateurs : - Locoh Fantodji : régent d'Agbanakin.

Chercheur lieu Date

Il est âgé d'environ 70-75 ans

- Valère Edjitohou Gbodossou : prince d'Agbanakin, ancien élève de l'Ecole normale William Ponty de Gorée. Administrateur en retraite depuis le 1 décembre 1964. Il est âgé de 65 ans.

N. L Gayibor Agbanakin 30 janvier 1976

L'histoire d'Agbanakin se situe au début de l'exode de Tado, à la suite d'une guerre fratricide entre les princes de Tado. Ceci doit se situer au XVIè-XVIIè siècle. Un prince du nom d'Awussan, parti de Tado, prit le Mono, passa par Agome-Sewa, séjourna un peu dans cette localité, puis continua son chemin; il s'arrêta en un lieu

qu'il préféra habiter. Il dénomma cet endroitAdame, parce qu'il y avait des roseaux appelés ada dans ce coin. Quelques années plus tard, il fut obligé de la quitter à cause des inondations périodiques du Mono, qui dévastaient toute la région.

Il faut rappeler ici que le roi avait plusieurs ministres, dont les plus impor­tants étaient lekpamegan, ou ministre des traditions de la cour, le togan ou ministre des eaux, et le gbeto, ou ministre des forêts. Il envoya à l'époque son ministre des forêts, après un conseil de la Cour, avec des émissaires, chercher un endroit qui

n'était pas inondé pendant la crue du Mono. Les émissaires du Gbetodèyè arrivè­

rent en cet endroit qui échappait à l'inondation. Ils revinrent faire leur rapport à leur chef qui en informa le roi. Celui-ci envoya encore d'autres émissaires vérifier et inspecter les lieux pour constater leur état d'habitabilité pendant cette période de crue. Les émissaires revinrent confirmer les informations de leurs prédécesseurs. Tout le groupe quitta donc Adame, pour venir habiter cet endroit.

Déjà, à Adame, ils avaient eu à guerroyer contre l,es Ga du Ghana, les Peda et surtout les Fon d'Agbome. Alors qu'ils étaient en train de débroussailler l'endroit afin d'y construire leur village, le roi d'Agbome, mis au courant de leur déplacement par on ne savait qui, envoya des émissaires dire au roi Awussan que s'il n'abandonnait pas son projet, il mènerait la guerre chez lui dans les trois jours qui suivaient et qu'il boirait du vin de palme dans son crâne. En effet, Agbome commençait à s'inquiéter de la présence sur ces frontières de ces nouveaux voisins inconnus. Notre roi Meto Awussan, qui n'était pas né de la dernière pluie, renvoya les messagers porter le message suivant au roi d'Agbome :

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Page 268: Traditions Historiques Du Bas Togo

«Vous voulez venirme chasser, certes. Mais si vous êtes en mesure de mettre une calebasse sur le feu sans qu'elle ne braIe, de vous y faire préparer un repas, le transvaser dans un plat émaillé et le manger, alors venez me décapiter chez moL Mais si vous n'êtes pas capable d'un tel exploit, ce n'est pas la peine de vous

déplaceT».

L'histoire n'a pas retenu le nom de ce roi d'Agbome, qui, en tout cas, devait

figurer parmi les tout premiers. On prépara donc la guerre de part et d'autre. Au

jour dit, les Fon se montrèrent sur nos frontières, de l'autre cOté du fleuve. Comme nous les attendions aussi de pied ferme, la guerre commença et l'on se mit à tirer

des coups de fusil de part et d'autre. Or, comm~ les Fon ne savaient pas pagayer,

ils eurent recours aux populations riveraines pour leur faire traverser le fleuve et

venir nous surprendre chez nous. Cependant, comme nous vivions en bons termes

avec ces gens, leur sympathie nous était acquise. Ils durent pourtant s'exécuter sous

la menace des armes. Mais la façon dont les Fon nous insultaient et promettaient

de nous traiter les révoltèrent à tel point qu'ils conçurent un plan machiavélique

pour les perdre. Ils chargeaient donc les guerriers fon dans leurs grandes pirogues et les faisaient chavirer au beau milieu du grau du Roi [embouchure du Mono près d'Agbanakin]. Comme les Fon ne savaient pas nager, ils se noyaient tous. Les

piroguiers revenaient alors avec leurs pirogues vides vers les autres guerriers fon

qui, ne sachant pas le sort qui leur était réservé - ils pensaient que les leurs avaient

déjà été déposés sur l'autre rive - montaient de nouveau dans les pirogues qui étaient

chavirées de la même manière. L'armée fon fut ainsi totalement décimée. Les chefs

militaires fon, le gaou et le kponsu, furent pris "et enterrés vivants en un lieu que

nous appelons Doto, derrière le village de Xeve. Cet endroit est actuellement

vénéré par les populations xwla et surveillé nuit et jour par des gardiens, afin de prévenir toute incursion des Fon qui aurait pour but de nous ravir ces trophées.

Après la capitulation sans condition des Fon, les Xwla revinrent dans leur village

et tinrent conseil afin de trouver un nom au nouveau village, dont la construction

avait été momentanément interrompue par cette guerre. C'est alors que l'on

suggéra l'expression de défi lancée à l'encontre du roi des Fon par Meto Awussan:

«Kaja nada, gbaja na kan», qui, par corruption, donnera Agbanakin.

Déjà, alors que nos ancêtres étaient à Adame, ils avaient eu à combattre

contre les Ga du royaume d'Accra. En effet, les Ga d'Accra, dans leur désir d'ex­

pansion, combattaient les populations xwla installées près de la Volta. Meto

Awussan envoya donc d'Adame des contingents de guerriers porter secours à leurs

frères en difficulté. Cette guerre dura longtemps. Les Xwla furent souvent repous­

sés jusqu'à Bè, premier village dans la région. Ayant déjà signé un pacte de sang avec les Bè, les Xwla étaient sOrs de ne pas être attaqués pa! derrière. Cependant,

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Page 269: Traditions Historiques Du Bas Togo

ils n'arrivaient que très difficilement à soutenir cette guerre loin de leur base. Ils furent donc plusieurs fois repoussés jusqu'à Bè. Ils étaient en train de perdre la guerre. Le ministre de la guerre, Huessu Agbo, qui était en même temps le fils de

Meto Awussan, abandonnant le champ de bataille, courut annoncer la défaite

probable et l'arrivée prochaine des Ga qui viendraient détruire Adame. Tout le monde fut aux abois. Où trouver des alliés pour s'opposer aux Ga ? Le royaume

le plus proche était Agbome. Il fallait donc sans tarder dépêcher des émissaires aux Fon pour les prier de venir prêter main forte à Adame en difficulté. Mais personne ne voulut se charger de cette périlleuse mission. On consulta tout le monde, y compris les grandes princesses du royaume, en vain. En effet, à Xwla, c'était le régime ~atril~néaire qui était appliqué. Pour parer au plus pressé, on attrapa des gens que I~ àlla vendre ou échanger à Agbome contre des fusils et de la poudre.

Une nouvdte armée fut alors levée pour aller à la rescousse.

Pendant ce temps, les nOtres avaient été repoussés par les Ga bien loin au­delà de Bè, jusque dans une zone inhabitée. C'est là que l'armée de secours, conduite par Huessu Agbo et le kpamegan, les rencontrèrent Les deux armées firent leur jonction, et Huessu Agbo, sOr maintenant de sa force, s'écria : «Moi

Huessu Agbo, je défis quiconque de me déloger de cet endroit. En avant 1». La guerre reprit donc avec plus de vigueur. Mais maintenant, la force étant du cOté des Xwla, les Ga furent vigoureusement repoussés bien au-delà de Bè, de Lomé - qui,

bien que fondée en 1630 par le roi Sri, venu de Notsé, n'existait pas encore -jusqu'à proximité de la frontière. A court de munitions et de vivres, les Ga firent des colliers d'azan qu'ils se mirent au cou et demandèrent la cessation des hostilités car, dirent-ils, les «Xwla ont eu k dessus Epia wu», expression qui, par corruption donneraAjlawu. Les Xwla plantèrent en cet endroit un héti [Fagararan Toglordes, de son nom scientifique], en signe de possession de la terre et y fondèrent donc un village. AfIawu est une possession Xwla. La preuve, c'est que pendant longtemps s'y tiendra un marché dénommé AgblllUlkinsimé : le marché d'Agbanakin. Ce

marché a actuellement disparu, mais les "vieux" de la région doivent encore se le

rappeler.

Après ces événements, lorsque les Ga surent que les Xwla étaient de braves guerriers, ils conçurent le projet d'aller se réfugier auprès d'eux dès qu'ils auront des ennuis assez graves chez eux. C'est la raison pour laquelle, lorsqu'ils furent malmenés chez eux, ils s'exilèrent en 1637 et vinrent s'établir à Glidji sous la conduite de leur chef Foli Bebe. En ce moment-là, la plage était occupée par des pêcheurs xwla qui, entre autres, décharJeaient les marchandises des Portugais de leurs bateaux à terre. Ils étaient déjà installés à Aplèxo ou Plavixo [la maison du Pla]. Sut leurs conseils, Foli Bebe s'adressa à Meto Awussan, roi d'd'Agbanakin, qui lùi permit de s'installer à Glidji. Glidji, dans notre dialecte signifie champ. Nos

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pêcheurs, installés à Aplèxo, en avaient fait leur zone de culture. Meto Awussan les autorisa à s'y installer. Mais actuellement les Guin de Glidji veulent tirer la couverture à eux. Ils veulent refaire rhistoire de la région à leur façon. Agbano II, le dernier roi de Glidji, alors qu'il était parlementaire, s'en vint à Agbanakin faire des libations. Je suis personnellement intervenu auprès du ministre Hunlédé [ancien ministre togolais] pour faire arrêter la représentation de la cantate sur Glidji ou du moins en faire interdire les passages concernant Agbanakin. En effet, Assiongbon Dandjin ne peut pas avoir fondé Agbanakin, car c'est Meto Awusan, roi d'Agbanakin qui autorisa son père, Foli Bebe, à s'installer à Glidji. Il Y eut une réunion orageuse à Glidji entre les représentants de cette ville et nous pendant plusieurs heures à ce. sujet. C'est notre roi, Meto Awussan qui, voyant l'honnêteté avec laquelle Foli Bebe s'occupait de ses intérêts avec les commerçants portugais, sur la plage, voulut le récompenser. A cet effet, il le fit venir à Agbanakin et le pria de lui «Vendre» son nom, Foli, afin qu'il puisse le donner à ses enfants. Autrefois, les princes Xwla ne portaient pas le prénom Foli. Ils s'appelaient le premier Huessan et le second Looo. Mais après cette intervention officielle du roi, le premier se nomme Huessan, mais le second Foli. C'est la raison pour laquelle quand une personne prétend se prénommer Foli, on lui pose la question de savoir s'il est un Foli «Tugban» - nom dynastique des rois de Glidji - ou Foli de Xwla.

Quelques années plus tard, après 1637, les Ané Fanti, venus d'Elmina sous la conduite de leur chef Quam-Dessu, vinrent s'installer au bord de la mer à Aneho. rous ces gens fuyaient et comme ils ont w que les Xwla étaient forts, ils venaient se placer sous leur protection. En 1821, les Adjigo sont venus à Agoué. A l'époque de la guerre contre les Guin, Huessu Agbo, ayant constaté que le lac à Agbodrafo était très poissonneux, y avait installé le tonuga ou sanuga (chef des pêcheurs) avec une suite et leur donna pour tache de ravi taller rarmée. Leurs descendants se trouvent encore dans cette localité o~ on peut les reconnattre par leurs noms; les garçons s'appellent Huayen,AhUagbo; les filles, Huegbè, Huessuvi, Nyamessi. C'est ainsi qu'il y a même un quartierxwla à Agbodrafo. Mais, actuellement, les autorités de cette localité veulent transformer rhistoire en prétendant que la ville aurait été fondée par un de leurs ancêtres venus d'Aneho et bien d'autres choses encore, alors que, manifestement, ce village avait été fondé par notre ancêtre Huessu Agbo lors de la guerre contre les Ga et que le nom même du village vient de la fameuse ex­pression qu'il lança lors de la jonction des deux armées. Après cette guerre, sur le chemin du retour, Huessu Agbo s'arrêta un certain temps à Aldaku pour s'y reposer. Et comme il n'y avait pas encore de marché dans ce village, Huessu Agbo en créa un au bord du fleuve. En souvenir, ce marché fut dénommé Agbossi; il a lieu tous les jeudis. En 1835, les Guin allèrent de nouveau s'installer à Agbodrafo.

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Les Xwla combattirent longtemps les Xweda. Dans les premiers combats,

ils furent vaincus par leurs adversaires. Après s'être bien préparés, les Xwla repanirent de plus belle et attaquèrent les Xweda à Aputagbo, à Grand-Popo, à environ un kilomètre de la Résidence [de l'Administrateur colonial, vers l'est La bataille fit rage tout le jour. A la tombée de la nuit, un épais brouillard tomba sur la nature. Ne distinguant plus rien, les Xweda se mirent à s'entretuer jusqu'au lever du jour. Lorsqu'ils s'aperçurent de leur méprise, il était trop tard. Les Xwla, frais et dispos, leur tombèrent dessus et les emmenèrent en captivité ici, à Ag~anakin. Les femmes furent distribuées entre les guerriers, une panie des hommes, vendus.

A Glidji, pendant ce temps, Foli Bebe s'acquittait consciencieusement du travail qui lui était confié: il reversait scrupuleusement les droits de douanes que lui payaient les Ponugais dans les caisses du roi d'Agbanakin. Mais il avait besoin de pêcheurs pour venir pêcher dans la lagune de Glidji. Les Guin ne savaient en effet pêcher qu'en haute mer. Meto Awussan lui envoya alors une panie des Xweda

prisonniers. C'est la raison pour laquelle on trouve plus de Xweda (plus de «2 x 5») [les Xweda ponent une série de scarifications au visage: deux ~raits au front, sur les deux tempes et les deux joues; d'où: 2 x 5] que de Guin à Glidji. Mais ac­tuellement les traditions de Glidji disent que c'est Assiongbon Dandjin qui, lors de sa fuite d'Agbome vers Glidji, décida les X weda à le suivre et à s'installer à Glidji. C'est faux. J'en avais parlé à Agbano II de son vivant et il a compris. Ces guerres avec les Xweda eurent lieu vers le XVIIè siècle et du vivant de Meto Awussan. Les Ga qui sont venus s'installer à Glidji sont ceux qui avaient des visées subversives chez nous. Et, d'ailleurs, si nos an~tres sont eux aùssi venus habiter ici, c'est à cause

des menées subversives à Tado, à cause des querelles dynastiques qui ont eu pour conséquence l'exode de plusieurs groupes vers Allada, Agbome, Xogbonu et vers le Mono.

Les Lawson sont venus après tous les autres Guin. Il n'y avait plus de terre, mais il fallait les satisfaire aussi. Nous avons consulté Foli Bebe et Ata Quam-Dessu.

Comme il n'y avait plus de place, on les installa dans un marécage plein de calmans. Il arrangèrent bien cet endroit, où ils construisirent leur palais, et lui donnèrent le nom de Lolanme. Pour nous remercier, ils nous déclarèrent la guerre. Mais ils furent vaincus. Leur chef de guerre fut tué et nous leur prtmes deux canons que l'on peut encore voir de nos jours à Adame. Vous y trouverez aussi le tombeau de Foli, ce chef guerrier tué au cours de la bataille. Ils nous firent la guerre pour avoir du butin dé guerre et vendre des esclaves aux négriers.

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La position des Adjigo était oomme celle des autres groupes. Personne ne dominait l'autre. Agbanakin avait seulement choisi le roi de Glidji pour le repré­senter dans la région. Sinon, ni les Lawson, ni les Adjigo n'avaient aucune position

politique t Aneho.

Le Il avril 1885, le lieutenant de vaisseau français Pornain a nommé le dernier roi d'Agbanakin, Jondoh, chef supérieur de la région, tout en signant le

traité de protectorat avec lui.

Q : - Vous disiez que vos ancltres, en quittant Tado, firent halte à Agome-Seva avant de continuer vers Adame. est-ce à dire qu'Agome-Seva avait été fondée avant Agbanaldn ? R : - Oui, il existait bien longtemps avant la fondation d'Agbanakin.

Q : - quels en furent les fondateurs ? R : - Je n'ai pas poussé ma curiosité jusque-là; mais je sais qu'ils parlent une

langue qui n'est ni aja, ni fon. C'est le kotafon.

Q : - Comment votre ancltre est-il parti de Tado ?

R : - A la suite des querelles dynastiques, il quitta Tado avec ses amis et ses

partisans, et vint ici. Pour peupler le village, il invita les gens de tous les coins en­

vironnants oomme Bokpa, Assè, Ahoumakpo, Monokpo, Hungbonou, etc. Il signa

des pactes de sang avec les chefs de tous ces villages, dont une partie de la population vint habiter Agbanakin.

Q : - Qui étaient les premiers habitants de la région avant l'arrivée de vos ancltres •• ? ICI •

R : - Il n'y avait personne dans le ooin. Les régions d'Adame et d'Agbanakin

étaient entièrement vides à l'arrivée de nos ancêtres.

Q : - Dans les régions alentours, quelles étaient les populations avant l'arrivée de vos ancltres ? R : - Il Y avait les Watchi, les Xweda, les Kotafon qui n'occupaient pas la région, mais se trouvaient de l'autre cOté. Cette région-ci appartenait surtout aux Fon, mais

était inoccupée.

Q : -Ainsi donc avant de s'installer dans la région, vos ancltres n'ont demmulé

16 persmission à personne ? R : - A personne. Ils sont partis d'Adame et sont venus s'installer ici, où il y avait une forêL

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Q : - Si l'on suit votre raisonnement, Agb~ existerait donc bien avant la fondation d'Agbanakin ? R : - Oui; et même le premier roi d'Agbome, venu de Tado, était un frère d'Awussan.

Q : - Vous ajJinnez pourtant que tous ces gens seraient partis en mime temps th Tado à la suite th la querelle dynastique. Comment expliquez-vous alors qu 'Agb~ ait été fondée plus anciennement qu'Agbanakin ? R : - Meto Awussan résida plusieurs années l Adame avant de se déplacer vers

Agbanakin. Les Fon mirent ce temps à profit pour fonder .~gbome et la consolider.

Q : -Au niveau th l'extension du royaume, vous nous dites que le royaume popo s'étendait du Mono jusqu'à la Volta. Comment pouvez-vous expliquer cette extension rapide déjà sous le premier souverain, surtout si l'on sait que seul un tout petit groupe occupa Agbanakin ? R : - Nos ancêtres ont procédé de deux façons: ils ont d'abord noué des alliances et des pactes de sang avec les populations avoisinantes pour occuper les terres, puis quand les fils de ces gens se virent dépossédés au profit des immigrants, ils ne furent

pas contents et firent appel aux Guin. Il y a eu aussi la guerre pour confirmer la puissance des Xweda.

Q : - Cette explication n'est pas tout à fait convaincante. Une autre hypothèse, plausible, serait sans doute que les populations th la c8te, paisibles picheurs, ont délégué le pouvoir th les protéger à ces nouveaux venus, guerriers et batailleurs. Mais même dans ce cas, on ne comprend pas que les Anlo; très batailleurs aussi, se soient laissés dominer sans riposter. R : - Les Anlo, en constatant que les Popo étaient plus forts qu'eux, ont sans

doute préféré demeurer neutres dans les conflits et se laisser dominer par nos ancêtres.

Q : - Tout cela n'est peut-ltre qu Une question th chronologie. Historiquement, on a fimpression que le premier royaume entre la Volta et le Mono futAgbanakin dont la puissance a pu directement ou non rayonner sur toute la région. Mais avec la naissance des royaumes anlo puis guin, la puissance d'Agbanakin a dtl sérieusement décliner et se limiter aux alentours immédiats th Xwlagan. R : - Glidji et Agbanakin n'ont jamais pu se combattre puisque Foli Bebe et Meto Awussan avaient signé un pacte de sang.

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Q : - En quoi consistait réeUement ce pacte de sang? R : - En language moderne nous dirons que c'est un pacte de non-agression, d'assistance et de secours mutuels en cas d'agression. Il y a de nombreux documents sur l'histoire du royaume popo. Mais ils sont dispersés. Un certain nombre doit être certainement conservé par le R. P. Bertho qui a longtemps travaillé dans la région. Il s'est actuellement retiré à Lyon. L'histoire d'Agbanakin est très riche en événe­ments, même secrets. Savez-vous par exemple, que le roi danhoméen Huessu Huegbadja est un fils authentique de Meto Awussan ? Les dignitaires d'Agbome sont venus me trouver il n'y a pas si longtemps pour que je ne divulgue pas cette histoire. Je vous la livre pourtant. Les armées de Popo, étant parties guerroyer dans la région de Ketu, revinrent victorieuses avec des centaines d'esclaves. Les grandes tantes du royaume choisirent les plus belles femmes pour devenir les épouses du roi. Mais l'une d'entre elles, une jeune fille très belle, était une princesse. Elle refusa de partager la couche du roi, car il était trop vieux, disait-elle. Entre temps, elle s'éprit de Huessu, l'un des fils du roi qui était en même temps le ministre des eaux. Quelques mois plus tard, elle tomba enceinte. Interrogée par les grandes tassinon [tantes], elle révéla le nom de son amant Pour échapper au supplice, Huessu s'enfuit vers Agbome où il se fit reconnattre comme fils du roi des Popo et inventa une histoire pour expliquer sa fuite. Le roi des Fon le prit en affection et celui-ci ne quitta plus sa cour. Il se fit bientôt une réputation si solide de guerrier et de meneur d'hommes qu'à la mort du roi personne ne s'étonna qu'on l'ait choisi pour le remplacer. Lorsqu'il monta sur le trOne, il prit comme nom Huegbadja, c'est-à­dire; «Huessu a refusl de se laisser enfermer dans la nasse». En effet pour le punir d'avoir partagé la couche de l'une de ses épouses, son père, Meto Awussan, avait conçu le projet de le faire enfermer dans une grande nasse et de le jeter à la mer.

Q : - Vous dites qu'au début, le seul roi de la région, c'Itait votre ancltre Meta Awussan et que c'est lui qui donIulla permission à Foli Bebe et aux autres de s'installer à Glidji et Aneho. Or Agbanon II, dans son ouvrage, dit que certes il s'adressa à Meta Awussan, mais que celui-ci le renvoya au roi de Tado qui finalement l'autorisa à s'installer à GIidjL R : - Ce n'est pas vrai. Meto Awussan était le seul roi de la région. D'ailleurs à l'époque, Tado était désertée. En effet après l'exode, personne n'habitait la ville. A qui se sera~t alors adressé Foli Bebe ? Ce n'est que bien plus tard, lorsque les Aja virent que des étrangers allaient occuper la ville, qu'ils ont nommé un nouveau roi.

290

Page 275: Traditions Historiques Du Bas Togo

Q : - Votre réponse n'est pas très satisfaisante dans la mesure où, à la même époque, les Watcm reconnaissaient la suzeraineté de Tado sur leur région. De toute façon, les Adjigo de Quam-Dessu, quant à eux, reconnaissent volontiers que c'est bien votre afeul qui leur avait vendu le terrain de Gatchen jusqu'à Gbedjin. R : - Ceci est absolument exact et c'est encore nous qui avions vendu la presqu11e d'Adjigo aux De Souza.

Q : - Les rois d'Agbanakin. R : - La liste n'est pas au point.

1)

2) 3) 4)

Meto Awussan, fondateur d'Agbanakin Son premier ministre s'appelait Gbadoe Meto Hon

Meto Hueyo

Meto Anipa

5) Meto Tofa 6) Meto Yege

7) Meto Hobo

8) Meto Jondoh

Mais cette liste n'est pas exacte. En fait il y a eu 13 rois et Jondoh ne fut que le 14ème.

Q : - Pouvez-vous nous parler un peu des actes des rois, car il nous semble qu'Agbanakin a polarisé les hauts faits de son histoire autour du personnage de Meto Awussan. R : - Les hauts faits, ce sont ceux que nous venons de vous raconter. En effet,

comme Meto Awussan fut le premier roi, il a fait beaucoup de choses.

Q : - Origine et signification de Popo. R : - Il semble qu'à Grand-Popo, le représentant du roi auprès des Européens

s'appelait Akakpo.11 était de grande taille et de carrure impresssionnante, alors que

son homologue qui se trouvait à Aneho dans le temps, était de petite taille. Les Blancs, ne pouvant pas prononcer correctement le nom Akakpo, adoptèrent le

diminutif «kpo», qui deviendra Kpokpo, Popo. Akilkpo devint donc le Grand Popo, alors que son collègue d'Aneho, Petit Popo. Mais personnellement je ne pense pas que cette explication soit vraie. Cependant ce terme de popo ne correspond à rien dans notre dialecte. Il y a une dernière information importante que je voulais vous donner. L'embouchure de Grand-Popo - qui n'existe plus aujourd'hui - était appelée autrefois «La bouche du Roi»[en fait, le grau du rio c'est-à-dire du fleuve;

mal recopié, rio devint roi sous la plume de certains auteurs du XVIIIe siècle], car c'est là que le roi d'Agbome a failli périr lorsqu'il nous avait attaqués au cours de la bataille dont nous avions parlée plus haut.

291

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INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Adjaïto 125, 126, 129, 133, 142-144, 147,

150, 151, 155, 156, 161, 162, 166, 176,

189, 193

Adjigo (familles) 241, 244-254,256,258,

259,261,269,270,273,274,276,277,

280,281,285,287,290

Afotchè 34, 115, 116

Agadja,Agaja (roi du Danhome) 3,250,

251 Agbanon 1er (roi de Glidji) 34, 250

Agbo (Huessu) 93,284,285

Agokoli5,6, 9-11,33,103,104,110,113,

120, 121, 123-135, 141, 142, 144, 147-

149, 153-156, 165, 166, 180, 187-189,

195,200,201,216,225,229,231,233

Akpamagbo, Kpamagbo 26

Akuété Zankli (Lawson) 232,247,269,

270,272-281 Alokpeto 18, 21, 26, 35, 38, 55, 56, 75-

78,81,84,87,90,95,97,99,100

Alowu,Alowou26, 75, 77, 78,83,84,87,

89,95,96

Asimadi 24, 26, 103

Asrivi 248, 253

Assiakoley 277

Assiongbon Dandjin 234,239,248,265,

266,286

Atideku, Atsideku 17, 26, 38, 77, 87, 89,

95,96

Badja 26-28, 32, 42, 53, 95

Da, Dam 33, 117, 120, 122, 125-127, 132,

133, 139, 141, 143, 144, 152-155, 161,

162, 165, 175

Damoin (Koudifo) 117, 119, 127, 129,

130, 132

Djiyehue (Kuadjovi) 241,242,246,273

293

Foli Bebe, Ofori Bembeneen (roi de

Glidji) 34, 244,250,269,285-287,289,

290

Kanumabu (roi de Tado) Il, 12,26,28,

45,49,51-54,57,68,72,76-81,84;87,91,

97, 100, 148

Komedja 113, 115, 125, 126, 128, 133,

144, 163, 178

Koumbo 25, 26, 28, 29, 32, 33, 45, 55, 56, 77,83,87

Kpondjin 22-24, 26, 30,31, 33, 38, 42,

89,,95,96

Kpowenyi 142, 162, 178

Kpoyizou 26,33, 35, 47, 53,55-57, 59,

63,67,68,75-78,81,84,87,90,96,97,

99

Quam Dessou 237, 238, 245, 250, 286,

287

Lawson (famille) Il,241-251,257,263, 265,268-271,274,275,278,279

Mavon 24

Mensah 1er (roi de Porto-Seguro) 240,

278,280-282

Noin 120, 123, 132

Sekpon 232, 233

Souza Félix Francisco (de), dit Chacha

232,233,237,238,261,273

Sri 22,24-26,31-33, 103, 108,109, 110,

113, 129

Togbe-Anyi 18-22,26-32,34,38,41-43,

50-54,62~,67,70,76,78,80,87,92,95,

99, 100, 119, 133

Vivi 25, 26,37,38,40,41,45,77,81,87,

89,95,96

Wenya 31, 33-35, 103, 108-111,

Zoki Azata (Joachin d'Almeida) 249

Page 277: Traditions Historiques Du Bas Togo

INDEX DES NOMS DE UEU

Adame 107, 283-285, 287-289

Adeli, Adélé 117, 142, 143, 160, 161,

187-190

Adjatchè, Adjacè 19, 20, 28, 53, 59, 78,

92, 164

Afanyam 23,31, 33, 130,232

Agbanakin 22, 29, 34, 250, 283-290

Agbodrafo 13, 245, 275-281, 285

Agbogbo,Agbogbomè9,43,81,85,123,

141, 151, 176, 184

Agbome, Abomey 3, 17, 20, 33, 54, 56,

63,115,283,284,285,287,289-291

Agname 78, 95, 97-100

Ahwetugbe 43, 59, 60, 66, 73

A11ada 3, 20, 33, 63, 115

Alinu 114, 117,123, 132,141, 148, 156,

16~ 163, 175, 178, 193, 198,221

Amedjope, Amedwpe 7, 37, 46, 65

Aneho 5, 234, 237-251, 259, 261, 263-

276,27~280,288,290,291

Anloga 109, 110

• Avizuha 114, 125, 133, 14~ 145, 148,

163, 165, 193

Azamè 3, 21, 2~ 28, 71

Dakpodji 113, 118, 120, 123, 124, 126,

141, 142, 152, 156, 159, 160, 163, 165

Dalia 166, 184,214

Danhome, Dahomey 17, 18,20,33,45,

47,89,107,115,244,248,253,257

Dome 20, 28, 37, 41, 45, 46, 49, 59, 61,

62,69,71,73,90

Ekli, Kli 34, 123,124,"133,139, 141, 14~

1~15~ 155, 156, 159-161, 163-165, 175,

187, 193

Ghana 147,209,237,238, 257 .

294

Glidji 5,13,34,237-239,241,242,244,

248-250, 253-256, 265, 266, 269, 270,

273,277,285-290

Grand-Popo, Xwlagan 57, 78,287,289,

291

Keta 109, 147, 170,230,250,264

Ketou, Ketu 7, 9, 13,21,30,33,34,38,

70,113,114,117,119,123,1~132,150,

151,175,198,227

Kpalime, Palimé 23, 114, 159,219,223,

224,216

Kpeyi 43, 68, 73

Notse, Nuatja 3, 5-13, 20, 23, 24, 29, 31,

33,34,38,53,56,63,69,79,85,96,103-

107, 110, 113, 115-122, 124-134, 136,

1~143,145-147,149-153,155,157,159,

161, 163, 165-170, 172, 175-179, 183-

194, 197-199, 202, 209, 211, 214, 217,

219-225,227-229,231,232

Oyo, Ayo 3, 5,13,20-22,25,27,29,30,

32,43,45,53,54,59-63,66,67,77,92,

95,113,115,117,119,129,131,139,140,

150,151,175,176,187,223

Peki 5, 9, 106

Sagada 18, 20, 22, 39, 4~ 45, 54, 64, 7~

79, 91-93, 97, 230

Tabligbo 121,231,233

Tado 3, 5-7, Il, 13, 15, 17-38,40-54,56,

57, 59, 61-72, 75-92, 95-100, 103, 117,

119, 130, 131, 137, 139, 148, 150, 159,

173,175,198,211,223,227,265,283,

287-291 Tako 118, 120, 123, 132, 139, 141, 144,

145, 148, 15~ 159, 160, 165, 168, 169,

172, 187, 198

Page 278: Traditions Historiques Du Bas Togo

Tegbe 34, 123, 132, 133, 141, 148, 156, 157, 161, 165, 167, 183-189, 193, 205, 219 Tetetu 20, 32, 97, 137 Tohoun 12, 17, 18,20,21,25,26,29,30,

32-34,37,39,45,47,56,63,67,68,72-79,81,83-88,90,97,117,119 Tsevie 108, 110, 111, 119, 122, 130, 131, 140, 185, 219 Vogan 114, 129, 130, 185,229,230

INDEX DES NOMS DE PEUPLE, D'ETHNIE ET DE CLAN

Aja 3-6, 15,22,25-29,32-33,39,41-44, 50,53,54,60,62,63,66,67,76,77,79-81,84,87,89,91,121,184 AIu, AIou 3,20,28,43,46,47,50,53,59, 60,62-64,66,67,71,72,89,92,98

Azanu, Azanou 3,5,8,44,49,50,55,59, 60,62-64,66,67,71,72,89,92,98 Be 3, 5, 38, 108, 122, 167, 228, 284

Danyi 5, 23 Dogbo 41, 47, 103, 111 Ewe 3, 5, 7-10,12,13,33,34,41,43,63, 101, 103-105, 107, 108, 115, 117, 122, 123, 127, 130, 131, 139, 149, 150, 152, 153, 155, 159, 163, 164, 167, 175, 183, 184,187,197,198,221,223,224,227-229,231,238,243,244,249,250,257 Fon 3, 8, 29, 45, 46, 59, 61, 63, 69, 83, 90,

91,119,121,1.23,249,283,284,288,289

Guin 3,5,8, 12, 13, 117, 119, 235-238, 244,245,248,250,273,274,277,286 Ho 9, 105, 130 Honukwè 39,44,49,54,55,59,64, 71, 73

Houe, Hwe, Hweno 26, 34 Kpele 3, 5, 98, 127,227,228 Kp~i 106,117,123,227

Mina 238, 240, 243-245, 248, 255 Siko, chiko 39, 43, 44, 54, 55, 64, 72, 91 Togo 3, 108, 109, 276 WatclH 3, 5, 24,130,228,229,231,233, 244,288 Xwla 3, 8, 12, 13, 235, 283, 284-287 Yoruba, Nago3,29,32, 70, 95,119,123, 131,207 Zafi 39, 43, 44, 49-51, 64, 73, 98

INDEX DES NOMS DIVERS (neuves, titres, etc)

Againkpe 37, 55,56,89,92

Anyigbafia, Anyigbafio 3, Il, 21, 28, 38, 39,49,55,56,64,73,77,78,80,88,97, 126, 133-135, 137, 139, 142, 176, 188, 189 Haho.3, 24, 106 Mahoufia, Mawufia 4, 18-20, 144

295

Mono 3, 5,49, 79,91,107,108,113,115, 117,118,124,131,221,232,271,283 Tashinon27,38-41,44,45,49,54,55,58, 60,69,71-76,78-81,91,92,98 Yoto 24, 120, 122, 132, 161, 187, 188, 190, 199, 232

Page 279: Traditions Historiques Du Bas Togo

BIBUOGRAPHIE SOMMAIRE

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1984 in : Culture et Développement, tome 16,3-4

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N. L GAYIBOR: Ecologie et histoire: les origines de la savane

1986 du Bénin; in : Cahiers d'études africaines,

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SPIETH, J.:

1* Die EwutIJnune. Berlin, D. Reimer, 962 p.

298

Page 281: Traditions Historiques Du Bas Togo

Table des Matières

Page

Introduction .............................................................................. 3 - 13

l..es Aja de Tado .................................................................... 15 - 100

l..es Ewe de Notse .............................................................. 101 - 234

I..es pays Guin et Xwla .......................................................... 235 - 291

Index .......................................................................................... 293 - 296

Bibliographie .......................................................................... 297 - 298

299