e quelques avatars historiques de la notion d'opinion publique

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Paul Beaud Sens communs. De quelques avatars historiques de la notion d'opinion publique In: Sociologie de la communication, 1997, volume 1 n°1. pp. 367-385. Citer ce document / Cite this document : Beaud Paul. Sens communs. De quelques avatars historiques de la notion d'opinion publique. In: Sociologie de la communication, 1997, volume 1 n°1. pp. 367-385. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_004357302_1997_mon_1_1_3848

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Page 1: e Quelques Avatars Historiques de La Notion d'Opinion Publique

Paul Beaud

Sens communs. De quelques avatars historiques de la notiond'opinion publiqueIn: Sociologie de la communication, 1997, volume 1 n°1. pp. 367-385.

Citer ce document / Cite this document :

Beaud Paul. Sens communs. De quelques avatars historiques de la notion d'opinion publique. In: Sociologie de lacommunication, 1997, volume 1 n°1. pp. 367-385.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_004357302_1997_mon_1_1_3848

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SENS COMMUNS

De quelques avatars historiques de la notion d'opinion publique

Paul BEAUD

Opinion : du latin opinio : « croyance ». Opiner : dire, énoncer son opinion, son avis.

Le dictionnaire

© Réseaux Reader CNET - 1997

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rl est impossible ď offrir une definition standardisée de l'opinion publique, par conséquent, il est

préférable, si possible, d'éviter l'emploi du terme (...). » La recommandation ne date pas d'hier : il s'agit d'une motion adoptée par des politologues américains réunis en congrès en 1924 (1). Ayant vingt-trois ans à l'époque, George Horace Gallup était peut-être dans la salle.

Si ce dernier a eu la descendance que l'on sait, celle de nos congressistes est elle aussi fort riche. On se contentera donc de quelques citations. En 1950, Paul A. Pal- mer prend le risque d'affirmer que l'expression « opinion publique » tend à disparaître des traités allemands de sociologie et de sciences politiques (2). Une dizaine d'années plus tard, Jiirgen Habermas revient à la charge, affirmant que faute de pouvoir substituer au jargon de la bureaucratie et des mass media une définition précise de Y'ôffentliche Meinung, la sociologie devrait en tirer « (...) cette conséquence logique qui voudrait qu 'elle abandonnât ce genre de catégorie » (3). La très respectable International Encyclopedia of

(1) Cité par PADIOLEAU, 1981 , p. 26. (2) PALMER, 1950, p. 12. (3) HABERMAS, 1986, p. 13. (4) Cité par NOELLE-NEUMANN, 1977, p. 13. (5) CHILDS, 1965, toujours cité pour ce décompte. (6)BOURDIEU, 1972.

the Social Sciences, publiée en 1968, affirme quant à elle : « There is no generally accepted definition of "public opinion" » (4), ce qui signifie en fait que les définitions sont si nombreuses (plus de cinquante, selon les bons auteurs (5)) qu'on ne peut en choisir une. Et pour en finir avec ces avertissements, rappelons encore ce que Pierre Bourdieu disait tout net : « L'opinion publique n'existe pas » (6).

Après tant d'avis autorisés (on aurait pu leur en ajouter des dizaines d'autres), on pourrait être tenté de s'arrêter là, de conclure sur le constat de ce seul paradoxe d'une expression semble-t-il passée du vocabulaire de la philosophie politique à celui des sciences sociales, puis dans le vocabulaire le plus courant et que les sciences sociales ne paraissent plus vouloir reconnaître comme leur, ce qui ne les empêche pas d'ailleurs de s'y référer à tout bout de champ. Depuis sa création en 1937, la revue The Public Opinion Quarterly n'a pas cessé de s'interroger gravement sur le statut même de ce qui justifie son existence. On se déciderait pour moins que cela à choisir d'autres objets de réflexion.

Mais le sociologue sait bien qu'il ne peut prendre prétexte pour capituler le fait que ce par quoi il a pu hier tenter de comprendre les sens communs que les individus donnent à leur vie en société soit devenu aujourd'hui sens commun : ce fait même pose déjà un problème à la sociologie qui, trop souvent, critique ou pas, croit le résoudre par d'autres sens communs qui cette fois lui sont propres.

Commençons donc par le premier : l'opinion publique est une invention des démocraties parlementaires modernes. Peu importe qu'on choisisse ensuite de la considérer comme une fiction ou comme une réalité. L'accord est là : l'apparition de la notion d'opinion publique est historiquement liée à la disparition de l'arbitraire du

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pouvoir absolu et héréditaire et à celle, conjointe, de tout ce qui permet de justifier un ordre social donné, tout en ne participant pas de cette société elle-même. L'opinion est par nature substitutive (7) ; c'est l'institution qui remplace - réellement ou idéologiquement - Dieu et le roi et qui suppose l'existence d'un certain nombre de conditions et de moyens, comme la publicité ou la séparation de la sphère privée et de la sphère publique. En d'autres termes - ceux de Lefort et de Kantorowicz notamment, qu'on paraphrasera quelque peu -, il faut, pour qu'apparaisse une opinion publique, que se substitue à une omniprésence, celle que symbolisent « Les Deux Corps du Roi » (8), à la fois mortel et immortel, qui donne « corps à la société » (9) et assure sa permanence transcendan- tale, que succède donc à ce trop-plein un vide, c'est-à-dire de Г indétermination, c'est-à-dire encore de l'histoire (10).

Ainsi, le dispositif conceptuel est en place et l'on y reconnaîtra aisément d'autres périodisations, d'autres partages, ces « avant » et ces « après », ces « avec » et ces « sans » sans lesquels les sciences sociales semblent avoir tant de mal à penser, à comparer : sans et avec histoire, par exemple, cette classique opposition qui permet si facilement de classer les sociétés, pour les unes holistes et extrodétermi- nées, où la tradition et les dieux ont réponse à tout, pour les autres individualistes et introdéterminées, ou mieux encore indéterminées, où Г intersubjectivité et l'argumentation deviennent une nécessité première, puisqu' aucune règle immuable n'y régularise désormais plus automatiquement les interactions, comme auparavant.

Nous voilà ainsi rendu d'emblée au point de départ, celui qui fait le départ, qui

définit l'objet opinion publique et qui génère les catégories qui permettront de l'analyser, qui légitime aussi bien les pratiques empiriques des tâcherons du décompte des pour et des contre que les plus grandes ambitions théoriques. On ne contestera pas ici, concernant ces dernières, les vertus heuristiques des modèles construits sur de telles oppositions. On essaiera simplement d'ajouter dans un premier temps une phase supplémentaire au processus méthodologique que l'élaboration de cet idéal-type induit, celle de la mise à l'épreuve des catégories construites par un retour sur ce qui, par comparaison, les définit implicitement ou explicitement, ce contre-modèle des sociétés « d'avant ». Toute réflexion, toute taxinomie fondées sur un avant et un après comportent le risque de troquer l'illusion du « toujours ainsi » contre l'illusion du «jamais vu », en l'occurrence d'une société qui s'est donné pour but de s'autodéterminer et qui s'en est donné les moyens (11). Avant d'en arriver à celle-ci, il convient pour le moins d'aller voir ailleurs si cette spécificité en est bien une, si, en particulier, il faut et suffit qu'on (Rousseau, les philosophes des Lumières ou les révolutionnaires de 1789) la nomme pour que l'opinion publique devienne pour le moins objet d'attention sociologique. On tentera de le faire, en se débarrassant des définitions a priori, à l'exception de celle qu'implique implicitement une démarche consistant à se demander simplement si oui ou non et si oui comment d'autres sociétés se sont posées et se posent encore la question de la détermination de l'action collective par la confrontation négociée des points de vue, celle, plus large, de l'élaboration concertée des représentations.

(7) OZOUF, 1987. (8) KANTOROWICZ, 1989. (9) LEFORT, 1986, p. 27. (10) Ibid., 1986, p. 25 et sq. (11) J'emprunte cette mise en garde épistémologique - le « jamais vu » et le « toujours ainsi » - à Bourdieu, Chamboredon et Passeron (1968), pour rappeler que la démarche comparative est la seule qui puisse permettre de faire ressortir ruptures et continuités. C'est pour ce faire qu'on traitera ici d'abord de l'opinion publique comme d'une catégorie historique, comme Habermas conseille de le faire (1986, p. 10), mais aussi en passant outre la barrière qu'il établit lorsqu'il écrit qu'on ne peut parler d'opinion publique « en un sens précis qu 'en Angleterre à la fin du XVII' siècle et en France au XVIIIe siècle (...)» (ibid.).

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La société contre l'État

Parmi les innombrables questions empiriques que cette notion d'opinion publique a pu susciter, il en est une qui a mobilisé nombre de chercheurs américains, tous convaincus qu'elle ne pouvait se poser ailleurs que dans une société correspondant au modèle décrit ci-dessus et, accessoirement, disposant aussi de moyens de communication modernes et d'institutions permettant à une opinion bien informée de contrôler les décisions du gouvernement, voire de les lui imposer. Cette question, choisie parce que vieille comme le monde, c'est celle de la guerre et de la paix. Pas de traité sur l'opinion publique, surtout s'il est nord-américain, qui ne prenne l'exemple de l'entrée des États-Unis dans le premier conflit mondial ou de leur retrait du Vietnam. Autrefois, c'est bien connu, les guerres n'étaient dues qu'à la susceptibilité des tyrans.

Le problème est là que rien n'est moins sûr. Pas besoin d'être anthropologue - être cinéphile suffit - pour savoir que chez les Iroquois, on ne déterre pas la hache de guerre parce que le chef a dit qu'il fallait le faire. Barrington Moore, qui ne nous a pas habitués à une quelconque légèreté dans l'utilisation des concepts, parle ainsi fréquemment d'opinion publique à propos des Jivaro ou des Pygmées Mbuti (12). Anachronisme de sociologue s 'aventurant dans des régions qui ne sont pas les siennes, penseront beaucoup. Pas si sûr.

Inutile ou presque, certes, d'aller chercher dans l'anthropologie des références à l'opinion publique : qui se risquerait à rebaptiser ainsi la palabre ne manquerait pas d'être soupçonné du péché majeur, l'ethnocentrisme. A notre connaissance, il ne s'est guère trouvé que Margaret Mead (13) pour s'aventurer à employer explicitement le terme que tant d'autres, dans

cette même discipline, écarteront systématiquement de leur vocabulaire, mais pour finalement, on va le voir, s'intéresser sans cesse à la même chose. Parlons donc brièvement de quelques-uns d'entre ces derniers, en précisant bien qu'on ne fera rien d'autre que d'interroger indirectement, par quelques intrusions dans le domaine de l'anthropologue, les a priori historicistes dont on vient de parler. Ce n'est en effet pas au sociologue de vouloir apporter sa pierre à la résolution de cette question non formulée de l'existence d'une opinion publique dans les sociétés primitives, autant dire à celle d'une des questions majeures de l'anthropologie d'aujourd'hui, puisqu'à travers elle se posent celle du pouvoir, celle du politique.

Pour qu'il y ait opinion publique, médiation, nous dit-on du côté des sociologues, il faut qu'il soit mis fin au contrôle social immédiat (14) qui caractérise toutes les sociétés dites traditionnelles ou primitives. Il n'y a place ni pour la controverse ouverte, quand chacun est sans cesse placé sous le regard de tous, ce qui assure le respect des normes, ni même pour le quant-à- soi, quand chacun a si bien intériorisé ces normes que la surveillance de la collectivité en devient presque superflue : l'autorité ou la règle ne se discutent pas. Telle est l'anthropologie de bien des sociologues ou politQlogues - de quelques anthropologues aussi, d'ailleurs - qui leur permet de construire ce modèle dont nous venons de parler. Or, l'anthropologie de terrain est une perpétuelle réfutation de cette fable. Il suffirait ici de renvoyer au fameux exemple de la « leçon d'écriture » dont parle Lévi- Strauss dans ses Tristes tropiques : il y raconte la mise à l'écart d'un chef de tribu nambikwara, en butte à la contestation pour avoir voulu accroître son pouvoir et son prestige en faisant semblant de savoir

(12) Comparativiste conséquent puisqu'il pratique le regard en retour en retour, Moore réexporte vers d'autres sociétés que les nôtres bien d'autres concepts dont on a vu qu'ils avaient été forgés sur la supposition que, s'appli- quant ici, ils ne pouvaient par définition s'appliquer là. Ainsi évoque-t-il l'alternance de périodes d'intense vie sociale et de repli sur la vie privée dans certaines sociétés tribales, ou encore l'individualisme des Grecs comme facteur favorable au développement de la démocratie (MOORE, 1984 et 1985). (13) Voir dans le présent volume la traduction de son article de 1937 sur l'opinion publique en Nouvelle-Guinée et à Bali. (14) L'expression est de CLASTRES, 1974, p. 19.

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écrire et d'avoir ainsi su pénétrer les secrets du visiteur étranger (15). On aura aussi reconnu là un thème qui traverse toute l'œuvre de Pierre Clastres, celui de « la société contre l'État » (16), du refus primitif de l'Un, du chef qui veut être chef, contre l'opinion de tous. La société contre l'État : n'est-ce pas là, métaphorisée, la définition même qu'on donnera, dans l'enthousiasme révolutionnaire, à ce que nous appelons l'opinion publique ?

Les preuves sont ainsi là, permanentes : l'opinion publique n'est en rien une spécificité des sociétés démocratiques modernes, si on la définit dans les termes que l'on vient de rappeler, sur la base de cette périodication que tant de publications d'anthropologues ou d'historiens nous invitent à critiquer, ne serait-ce, parmi les dernières en date, que le Démocraties de Jean Baechler, qui a fait l'objet d'un intéressant débat dans La revue du MAUSS (17). A la manière de Sahlins retournant le sens commun de l'anthropologie traditionnelle pour faire des sociétés primitives des sociétés d'abondance et des nôtres des sociétés de pénurie, Baechler s'oppose à l'affirmation courante selon laquelle la démocratie est incompatible avec l'absence d'antagonisme intrasocial, avec le consensus considéré comme tyrannique que l'on associe d'ordinaire à la tradition et aux éléments métasociaux de l'ordre social qui donneraient son aspect holiste et transcendantal à la cohésion sociale primitive (18). Ce que l'on nous invite ici à remettre en question, c'est un autre aspect du « grand partage » entre primitif et moderne, l'opposition entre mythe et raison, pensée préscientifique et esprit scientifique, recoupant celle qui légitime la représentation que les démocraties parlementaires modernes se donnent d'elles- mêmes, lorsqu'elles se décrivent comme fondées sur le droit individuel d'argumenter publiquement quant aux modalités de son appartenance à la collectivité et décri

as) LÉVI-STRAUSS, 1955, p. 312 et suivantes. (16) CLASTRES, 1974. (17) Notamment CAILLÉ, 1990 et GODBOUT, 1990. (18) BAECHLER, 1985. (19) GODBOUT, 1990, p.21.

vent toutes les autres sociétés ou presque comme reposant soit sur la violence du despote, soit sur l'obligation faite à tous d'adhérer à la communauté « sans discussion », pourrait-on dire, puisque ce qui régit cette adhésion est par définition établi une fois pour toutes, puisque la tradition a tout prévu. A cette vision des choses, l'anthropologie a, répétons-le, apporté tant de démentis empiriques qu'on peut s'étonner qu'on n'en ait pas, avant Baechler, tiré toutes les conséquences théoriques. Comme l'écrit Godbout, «paradoxalement, les sociétés primitives, qui pratiquent la palabre et "perdent" leurs temps en d'interminables discussions, sont des sociétés informationnelles , ressemblant ainsi peut-être, a certains égards, a la société post-moderne qu 'on nous prédit, fondée sur la communication » (19). Si opposition il y a entre sociétés démocratiques primitives et sociétés démocratiques modernes (pour Baechler, l'exigence démocratique est universelle et n'a été historiquement contredite que dans ces exceptions dans la longue histoire de l'humanité que sont les empires, les royaumes), si opposition donc il y a, elle réside dans le fait que dans un cas, la participation et la liberté d'expression visent un but, l'unanimité, alors que dans l'autre, on a institutionnalisé le dissensus.

On n'ira pas plus loin dans ce bref résumé de la thèse de Baechler, pas plus que dans les critiques qu'elle devrait appeler. Quel critère autorise par exemple à dire que la démocratie directe et unanimiste est plus démocratique que la démocratie représentative, reposant sur la délégation et la loi de la majorité, dont il nous dit qu'elle nous a été imposée par le grand nombre qui interdit matériellement le fonctionnement de l'autre modèle ? Que dire encore du postulat de départ de Baechler : la démocratie existe pour ainsi dire à l'état naturel parce que l'homme étant naturellement calculateur et égoïste, il trouve son intérêt

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dans un système qui peut le mieux assurer l'indépendance de chacun ? Peu importe dans l'immédiat les réponses à ces questions : l'intérêt premier de cette thèse n'est-il pas de nous inciter à remettre en cause les oppositions paresseuses et le plus souvent implicites que recouvre celle toujours reprise lorsqu'il est question d'opinion publique, discussion versus tradition. Ce faisant, on ne pourra qu'être renvoyé au statut de construction historique de cette notion.

Dans la caverne de Platon

Guerre ou paix ? Là est, on l'a dit, la question que se posent souvent historiens, sociologues et politologues pour y apporter la réponse que l'on sait : l'opinion publique n'a de sens que là où un tel dilemme ne peut être tranché sans confrontation des arguments de tous. Suivons donc nos experts en polémologie. Tous les bons manuels nous le disent, remettant là encore en cause une périodisation déjà contestée : la première description connue d'un « sondage d'opinion », c'est Thucydide qui nous la livre, dans son Histoire de la guerre entre les Péloponné siens et les Athéniens. Les Lacédomoniens, rapporte- t-il, avaient l'habitude de se prononcer sur les choses publiques par acclamation. Mais lorsqu'il fut question de déclarer ou non la guerre aux Athéniens, l'éphore Sthénélaï- das, le magistrat élu, fut incapable de discerner, à l'issue d'un long débat, qui, des pour ou des contre, se manifestaient le plus fort. Il décida donc de compter les opinions : « "Que ceux d'entre vous, Lacédé- moniens, qui estiment que le traité est rompu et que les Athéniens sont coupables, se lèvent et viennent se grouper de ce côté- ci - et il fit un geste de la main - et ceux qui sont de l'avis contraire, de l'autre côté." Les citoyens se levèrent donc et se partagèrent. Le traité fut alors rompu a une très forte majorité » (20).

On pourra certes dire que l'on confond ici deux domaines : celui de l'opinion publique d'une part, celui de l'histoire, fort longue, des dispositifs sociaux de prise de décision collective. Mais pour l'historien, à tort ou à raison - ce n'est pas l'heure de trancher -, l'un ne va souvent pas sans l'autre. On reviendra sur les définitions que les historiens ont données de l'opinion publique. Rappelons seulement pour l'instant celle de Joseph Stray er : l'historien «pense (...) que c'est l'action, et non l'e

xpression verbale, qui est l'indicateur réel de l'opinion, ou, pour être plus précis, qu'une opinion qui ne se traduit pas par un acte, ou qui ne transforme pas une action, est de peu d'importance » (21). Et dans le cas présent, il faut préciser ce qu'action veut dire. Historien de l'esclavage et donc bien peu enclin à l'indulgence avec laquelle on considère souvent encore l'écart qu'il y avait entre la philosophie politique grecque, si humaniste, n'est-ce pas, et la barbarie de cette exploitation absolue, Finley n'en considère pas moins que dans le monde antique, la participation du citoyen à la politique était sans doute plus réelle qu'elle ne l'est aujourd'hui, où, selon lui, elle se restreint à un acte impersonnel : choisir un bulletin de vote. Commentant Thucydide, Finley remarque que donner son opinion en de telles circonstances, c'était pour beaucoup voter en même temps leur propre enrôlement dans l'armée (22). Quand dire, c'était vraiment faire, pourrait-on écrire à la manière d'Austin. Depuis, comme l'écrit Lefort, le citoyen a été exclu des réseaux de la vie sociale « pour être converti en unité de compte. Le nombre (s'est substitué) à la substance » (23).

La substance : c'est d'elle que parlait Montesquieu, bien avant Finley, lorsqu'il écrivait que « la liberté philosophique consiste dans l'exercice de sa volonté, ou du moins (...) dans l'opinion où l'on est que l'on exerce sa volonté. (...) dans un

(20) THUCYDIDE, 1964, tome 1 , p. 87. (21) STRAYER, 1968, p. 238. (22) FINLEY, 1976. (23) LEFORT, 1986, p. 28 et 29.

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État qui auroit là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on feroit son procès, et qui devroit être pendu le lendemain, seroit plus libre qu'un bâcha ne l'est en Turquie » (24). Sans le droit de donner publiquement son avis, il n'y a pas d'homme libre. On n'a pas été avare de telles proclamations, des philosophes grecs jusqu'au siècle des Lumières. Mais pour comprendre comment on a pu passer de la substance et de l'individu au nombre, comprendre ce qu'il est si vite advenu de cette publicité dont parle Habermas, il faut gratter le vernis des grands principes et chercher d'autres permanences qui les remettent en question ; il faut faire le détour par les ténèbres de la fameuse caverne de Platon, où des hommes enchaînés prennent pour la réalité leurs propres ombres sur un mur, ou les marionnettes qu'on fait défiler devant eux (25). La doxa trouve dans le mythe sa première définition ; c'est l'opinion renvoyée au cela va de soi, au préré- flexif, à l'ignorance enfantine de ceux pour qui le réel n'est rien d'autre que le sensible, l'opposé de la raison, de la représentation objective, ces produits de l'éducation, d'un long apprentissage. L'histoire récente nous ramènera à ce débat. Restons-en aux origines, aux questions qu'elles retournent à la modernité, aux catégories qui la fondent et par lesquelles, sans toujours s'en défier, on l'analyse.

Après tout, la dette est évidente : ces catégories, Grecs et Romains les ont pensées. Le legs est dans les mots, même s'ils ont parfois changé de sens : il n'est guère de termes auxquels renvoie tout le débat moderne sur l'opinion publique qui n'aient leur source dans la philosophie politique antique, qui n'en aient aussi hérité part de leur valeur normative. Suivre le cheminement des mots, c'est ainsi s'obliger souvent à renoncer à la paresse des certitudes posées là.

Parmi ces mots sur lesquels la construction conceptuelle incline à jouer, il y a bien sûr en premier lieu cette opposition public/privé hors de laquelle, semble-t-il et non sans apparent paradoxe, on ne peut aujourd'hui penser l'histoire moderne de l'opinion publique, tant, comme l'écrit Lucien Jaume, « il est communément admis que la Révolution inaugure en France la distinction institutionnelle du public et du privé » (26), tant il est aussi reconnu qu'il n'y avait là que concrétisation d'idées propagées auparavant par Adam Smith pour qui cette distinction était à la base même du libéralisme, sans lequel, bien sûr, il ne saurait être question d'opinion publique (27). La Révolution est pourtant bien l'exemple même de ce qui devrait inciter à la prudence dans la datation. En excluant les femmes de la vie politique pour plus d'un siècle et demi encore, en les renvoyant à leur « vocation » privée (28), les révolutionnaires retrouvaient, sans doute sans le savoir, 1 'etymologie propre de tous les dérivés du latin publicus (qui concerne le peuple) sur lesquels Habermas a joué lui aussi pour construire son modèle de la sphère publique moderne (public, publicité, publier), oubliant cependant de remonter plus loin, à la racine qui renvoie précisément la femme à ce statut infantile en lequel aristocrates romains ou bourgeois du XIXe siècle s'accorderont pour la tenir : Г étymon (Yetumologia, le sens véritable) de tous ces termes, c'est pubes, qui nous a donné pubère, mais qui à l'origine ne désignait que la seule population mâle en âge de porter les armes et de délibérer et dont le croisement avec poplicus a donné publicus.

Grecs et Romains avaient ainsi le mérite de parler sans détour. Privatus avait bien ce sens privatif que Hannah Arendt a longuement commenté (29). Étrange destin, que

(24) MONTESQUIEU, 1951 , p. 431 et 432. (25) PLATON, 1963, tome 7, p. 514 et suivantes. (26) JAUME, 1987, p. 230. (27) Voir à ce sujet МАШЕТ, 1978. On reviendra bien sûr encore sur la filiation souvent établie entre libéralisme économique et conception moderne de l'opinion publique, envisagée comme libre marché d'opinions entre personnes privées. (28) Voir à ce sujet FRAISSE (1989) qui traite de l'usage masculin de la raison - cet autre corrélatif de l'opinion - aux fins de « sexuer la raison des femmes », durant la Révolution. (29) ARENDT, 1961.

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celui de ce mot, qui dévoile les hésitations de l'histoire, là où l'on croirait les choses devenues claires. D'avoir été tantôt péjoratif, tantôt mélioratif, l'épithète en a gardé une étrange ambiguïté, aussi bien en français qu'en anglais et c'est peut-être beaucoup s'avancer que de mettre dans la tête d'un homme du siècle dernier ce sens qui, par opposition, contribue à structurer la constellation de sens que nous mettons derrière opinion et sphère publiques d'une part, sphère privée de l'autre. L'édition de 1863 du Littré donne encore comme définition première de « privé » : « Qui vit sans rang et sans emploi qui V engage dans les affaires publiques ». Les mots ont opposé leur inertie aux Lumières, à la Révolution, à la séparation du domicile et du lieu de l'activité économique dont Max Weber disait qu'elle était l'une des conditions essentielles du développement de la société industrielle moderne : deux siècles plus tôt, le dictionnaire de Richelet indiquait : « Privé : propre, particulier, qui n'a point de charge » (30). L 'Oxford English Dictionary rappelle de même que des expressions encore en cours comme private soldier, simple soldat, renvoient au sens ancien du terme private, « n'occupant ni charge publique, ni position officielle » (31). Ce n'est qu'au XIXe siècle que le mot perd en partie sa signification originelle pour être associé plus positivement à la notion de privilege, comme dans private house, private education, private view, private property (32), etc.

Si elle est tributaire, que ne Га-t-on dit, d'une définition nouvelle de l'opposition et de la complémentarité du privé et du public, la naissance de la sphère publique moderne remet donc néanmoins au jour ces mêmes catégories sur lesquelles se fondait la sphère

publique antique. Castan le relève : quand croît, à la fin de l'Ancien Régime, l'intérêt pour une « société générale » dépérissent en même temps les « sentiments familiaux. Il n'y a plus ni attendrissement ni indulgence envers les enfants ou les femmes qui n'atteignent pas le niveau de la conversation éclairée ou mondaine ; on les écarte donc des sociétés où sont débattus des intérêts plus larges (...). Le soin de la famille paraît désuet, voire de mauvais goût » (33). Res- surgit ainsi, après des siècles de renfermement, ce vieux mépris gréco-romain pour le privatus, Vidion, ce que l'on a à soi, qui mène, dit Arendt, à une vie « idiote » (34). L'Antiquité a valorisé l'activité publique au point de ne pas considérer comme pleinement humain quiconque n'avait pas droit au domaine public, « le seul qui permettait a l'homme de montrer ce qu'il était réellement, ce qu'il avait d'irremplaçable » (35). Les révolutionnaires de 1789 ne penseront pas autrement, qui feront de la res publica un culte, une métaphysique de l'Être suprême. Robespierre en vient même à soupçonner l'existence de Dieu derrière tout cela (36).

Continuité, donc, mais pas que cela. La distinction antique du public et du privé recouvre une distinction sociale : le citoyen d'une part, le non-citoyen de l'autre, réduit à ce que Habermas appelle une définition négative de lui-même. Mais l'homme du XVIIIe siècle est à la fois publicus et privatus. Rousseau l'illustre bien, lui dont Arendts écrit qu'il symbolise l'homme moderne, « son incapacité a vivre dans la société comme a vivre en dehors d'elle » (37) : l'intime s'oppose au social. On est loin d'avoir, historiquement et sociologiquement, fait le tour des conséquences de cette observation.

(30) Cité par CHARTIER, 1986, p. 23. (31) Cité par HIRSCHMAN, 1983, p. 206. (32) Voir WILLIAMS, 1976, p. 203 et 204. Privé et private restent néanmoins si péjorativement connotes que Littré indique comme deuxième acception : « Lieux d'aisances » et que les Anglais appellent encore private parts ce que le français du XVIe siècle désignait par parties honteuses. (33) CASTAN, 1986, p. 64. (34) ARENDT, 1961 , p. 48. (35)/Wd.,p.51. (36) Voir à ce sujet JAUME, 1987. (37) ARENDT, 1961, p. 49.

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Rumeurs

Rousseau, puisqu'on en parle, a souvent été crédité de la paternité de l'expression opinion publique. Il s'est même écrit là- dessus une thèse de plus de 700 pages (38). Mais on a aussi avancé d'autres appellations jugées synonymes et d'autres noms d'inventeurs. Celui de William Temple, par exemple, premier théoricien moderne de l'opinion comme source de l'autorité publique. A un siècle d'intervalle, Pascal et Voltaire se sont demandé si elle était ou non la Reine du monde. Dans L'esprit des lois, Montesquieu l'appelle esprit général et en énumère les composants : les mœurs, les manières, le climat (!), la religion, les lois, les choses du passé, les maximes du gouvernement. État des esprits, volonté générale, general opinion, vox populi : autant d'auteurs, autant de termes et de définitions (39). Pas étonnant que sociologues et historiens eux-mêmes hésitent : attitudes, croyances, mentalités ou conscience collective, comme chez Dur- kheim, tout y passe.

Mais après tout, peu importe ces définitions, forcément normatives. L'important est plus de savoir quand, pourquoi et comment l'on s'est mis à vouloir redéfinir ce quelque chose d'indéfinissable. L'accord se fera sans peine pour dire que cela ne pouvait se faire dans un monde dominé entièrement par la philosophie chrétienne primitive qui mit toute sa rhétorique au service de la résolution de ce paradoxe : maintenir le lien social, l'idée d'un monde commun, tout en prêchant le refus du monde, en commandant à chacun de « s'occuper de ses affaires » (40).

C'est cependant bien en le faisant que le capitalisme marchand et financier naissant va restaurer ce sur quoi se fondera plus tard la sphère publique bourgeoise. Haber-

mas a bien décrit ce processus qui, dès le XIIIe siècle, crée un nouveau complexe d'échanges sociaux : échanges de marchandises et échanges d'informations (41). Lent mouvement souterrain, qu'on découvre surtout en creux, dans la censure royale ou dans les concessions faites aux puissantes corporations, entre deux mesures répressives pour contenir l'individu dans son rôle de producteur familial, quand déjà l'économie dépasse l'échelle urbaine pour s'étendre au cadre national.

Inutile de paraphraser Habermas pour résumer en quelques lignes un itinéraire historique aujourd'hui sinon entièrement connu, du moins bien balisé : celui de la reconquête du droit au commerce, constitutif de la société bourgeoise, d'une économie politique qui libère l'activité sociale du cadre restreint de Yoikos. Inutile également de reparler ici des salons littéraires, des sociétés savantes, du développement de la correspondance privée puis de la presse. Ce qu'il convient par contre de rappeler, parce qu'elle demeure, c'est la précoce ambiguïté de cette opinion publique renaissante, entité métaphysique autant que catégorie politique, on l'a dit, en même temps qu'objet de méfiance sociale et qu'objet de foi scientifique.

L'expression n'est pas encore entrée dans les dictionnaires qu'en effet, on s'attache déjà à mesurer l'état de l'opinion publique. En 1745, le contrôleur général Orry adresse aux intendants de province un questionnaire principalement destiné au recensement des individus et des biens. Rien de très novateur : la pratique en est connue depuis plus d'un siècle. Ce qui l'est plus, par contre, c'est la dernière instruction donnée aux « enquêteurs » : « Vous ferez semer les bruits dans les villes franches de votre département d'une augmentation d'un tiers sur le droit des

(38) GANOCHAUD, 1980. (39) Selon Mona Ozouf, l'opinion publique ne trouve sa définition en français que dans l'édition de 1798 du Dictionnaire de l'Académie. Quant à l'opposition public/privé, elle n'apparaît que dans celle de 1835 : la notion d'opinion, écrit-elle, reste liée à celle de sentiment particulier : « (...) voilà pourquoi public, qui peut qualifier un lieu, un dépôt, un chemin, une femme, ne saurait qualifier les opinions (...) » (OZOUF, 1987, p. 81). (40) Hannah Arendt développe à ce propos cet apparent paradoxe déjà signalé selon lequel, pour que se restaure un domaine public, il faut que la politique assume une dimension transcendantale que la religion dénie à la vie sur terre, puisque seul le salut de l'âme est préoccupation commune (ARENDT, 1961 , p. 64 et suivantes). (41) HABERMAS, 1986, p. 25 et suivantes.

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entrées. Vous y ferez aussi semer les bruits, ainsi que dans le plat pays, de la levée d'une future milice de deux hommes dans chaque paroisse (...). Vous recueillerez avec soin ce qu'en diront les habitants et vous en ferez mention dans l'état que le Roi vous demande » (42). Orry ouvre à l'étude de l'opinion une voie qui s'avérera féconde à un questionnement toujours présent, auquel Rousseau déjà apportait réponse (l'opinion fermente), que Le Bon résoudra en parlant de contagion et Tarde d'imitation (43).

On est en effet là devant l'une des pistes que va suivre, théoriquement et empiriquement, la réflexion sur cette notion d'opinion publique, jusqu'au fameux travaux de la psychosociologie américaine consacrés à la propagande, les deux termes étant souvent liés dans les publications jusqu'à une période récente, comme ils le sont au sens que la philosophie du XIXe siècle et la sociologie du siècle suivant mettent derrière des termes tels que « foule » ou « masse ». L'enthousiasme révolutionnaire pour ce que Tocque ville appelait, dans De la démocratie en Amérique, le rationalisme cartésien spontané du peuple, cet enthousiasme est bien vite retombé. Le peuple n'a été qu'un bref instant - le moment d'une fête, pourrait-on dire pour paraphraser Ozouf - rationnel par instinct, tribunal infaillible (44). L'opinion retourne à ce par quoi Rousseau l'avait parfois définie : le préjugé. Même des sociologues d'encore bon renom s'y mettront. Tônnies, dans sa Kritik der ôffentliche Meinung, ne verra dans l'opinion qu'irrationalité et pure émotivité, emboîtant le pas à des générations de philosophes, historiens et penseurs politiques du XIXe siècle, qui pensent comme Hegel, dans ses Principes de la philosophie du droit, que le peuple, « dans la mesure où ce mot désigne une

fraction particulière des membres de l'État, représente la partie qui ne sait pas ce qu'elle veut » (45). La liste des défenseurs sceptiques des grands principes serait interminable ; contentons-nous de citer Taine, qui retrouve les mots de Platon, le détour mythologique en moins, pour parler de Y état des cerveaux populaires, à la veille de la Révolution et s'accorder du bout des lèvres avec lui pour dire que sans éducation... (et Dieu sait si cela prend du temps !). Le chapeau qui énumère les paragraphes du chapitre III, livre cinquième des Origines de la France contemporaine, parle de lui-même : « Incapacité mentale - Comment les idées se transforment en légendes - Incapacité politique — Comment les nouvelles politiques et les actes du gouvernement sont interprétés - Impulsions destructrices - A quoi s'acharne la colère aveugle — Méfiance contre les chefs naturels », etc. (46). En justifiant a posteriori la fin de l'entracte révolutionnaire, Taine dit bien en fait ce que cachent les principes professés depuis près d'un siècle : la dêmokratia, c'est une affaire de temps. « Prenez le cerveau encore si brut de l'un de nos paysans contemporains, et retranchez-en toutes les idées qui, depuis quatre-vingts ans, y entrent par tant de voies, par l'école primaire instituée dans chaque village, par le retour des conscrits après sept ans de service, par la multiplication prodigieuse des livres, des journaux, des routes, des chemins de fer, des voyages et des communications de toute espèce. Tâchez de vous figurez le paysan d'alors, clos et parqué de père en fils dans son hameau, sans chemins vicinaux, sans nouvelles, sans autre enseignement que le prône du dimanche, tout entier au souci du pain quotidien et de l'impôt, "avec son aspect misérable et desséché" , n'osant réparer sa maison, tou-

(42) Cité par LECUYER, 1981, p. 173. (43) TARDE, 1979 et 1989.LEBON, 1991 et LECUYER, 1981, p. 187. (44) De toutes les métaphores utilisées pour parler de l'opinion publique, celle du tribunal (an unpaid and incorruptible judicatory, disait Bentham) est certainement l'une des plus courantes. Elle renvoie aussi à une réalité. Comme l'écrit Moore (1984, p. 112), la punition du fautif était, dans la sphère publique athénienne, l'acte unificateur par excellence de l'opinion. L'époque moderne l'a aussi compris, qui a fait du jury l'une des institutions propre à représenter la voxpopuli. (45) Cité par STOURDZÉ, 1972, p. 50. (46) TAINE, 1877, p. 489.

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jours tourmenté, défiant, l'esprit rétréci et, pour ainsi dire, racorni par la misère. Sa condition est presque celle de son bœuf ou de son âne, et il a les idées de sa condition. Pendant longtemps il est resté engourdi ; "il manque même d'instinct". » (47).

Comment les dictionnaires du siècle passé, la littérature savante ou romanesque est ainsi un passage obligé pour se prémunir encore d'une vision par trop idéalisée de la renaissance moderne de l'opinion publique. Les vieilles ambivalences demeurent. Il y a la doxa ; il y a aussi l'opinion des poètes auxquels Platon fait appel pour qu'ils condamnent publiquement ce vice qu'est la pédérastie. Ceux auxquels nous attribuons trop vite de ne penser que politique, raison, universalité, ont bien souvent la tête ailleurs. L'opinion, c'est moins souvent cette religion civile dont parle Rousseau dans Du contrat social que tout bonnement la réputation, le jugement des autres, même s'il est envisagé dans ses implications sociales ou politiques. Il n'est certes guère étonnant de trouver dans Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos une telle acception de l'expression opinion publique. Il l'est plus d'en constater la perpétuelle présence chez les penseurs « politiques », depuis quelques siècles et pour longtemps encore. A quoi pense ainsi Shakespeare lorsqu'il imagine Henri IV réprimandant son fils, le futur Henri V, parce qu'il se montre trop souvent en mauvaise compagnie, lui rappelant que c'est à l'opinion qu'il doit sa couronne ? (48) Machiavel recommande de même au Prince de ne pas négliger ce qu'il appelle commune opinione ou pub- blica voce, bref de « soigner les apparences », les gens du commun n'étant sensibles qu'à cela (ce qui signifie, en passant, que la question d'une liaison entre opinion et légitimité n'apparaît pas, elle non plus, avec la disparition du pouvoir du sang). En ce même XVIe siècle, dans ses Essais, Montaigne, qui serait le premier, plutôt que Rousseau toujours cité, à avoir

parlé à1 opinion publique, y fait référence surtout pour justifier le soin qu'il prend à s'habiller : la politique, c'est encore et d'abord la lutte d'un descendant de marchands de vins et de teintures pour le droit à ces signes de distinction sociale dont le roi réserve encore le privilège à la noblesse, par des lois somptuaires mesquines. Ne réduisons cependant pas l'apport de Montaigne à la connaissance des mécanismes de l'opinion à ces seules préoccupations vestimentaires. Ne lui doit-on pas encore l'aphorisme fameux sur la relativité de toute vérité qu'un accident de terrain peut convertir en erreur ; l'idée aussi que l'homme peut bien penser ce qu'il veut en son for intérieur, sa vie publique l'oblige à se rallier aux coutumes ou aux modes, à l'opinion des autres.

De l'opinion entendue en premier lieu au sens de réputation, il sera encore question chez les philosophes politiques du XVIIe, comme Locke, tout autant que chez ceux du siècle suivant, comme Rousseau, que l'on crédite d'une toute autre conception du terme. Il ne vaudrait guère la peine d'insister plus sur ce point, si cette assimilation de l'opinion publique à une forme de contrôle social ne recelait pas d'autres ambiguïtés, qui expliqueront les longues hésitations à faire entrer les principes dans les faits, à s'en remettre à l'opinion pour gouverner le monde. John Locke pose le premier clairement la question. L'homme en société ne peut vivre en affrontant perpétuellement la désapprobation des autres : l'opinion des autres pousse au conformisme. Mais comme elle est aussi versatile, il est inutile d'en attendre une quelconque sagesse politique.

David Hume sera bien le seul à juger avec un optimisme sans partage cette capacité des individus appartenant à une même nation à accorder leurs « humeurs » et leurs manières de penser, capacité en laquelle il situe la légitimité du pouvoir. C'est sur l'opinion qu'un gouvernement repose : la phrase inspirera les « pères fondateurs » de la Constitution américaine (49). Bien

(47) Ibid., p. 489 et 490. (48) J'emprunte cet exemple, ainsi que la plupart de ceux qui vont suivre, à NOELLE-NEUMANN, 1984, p. 64 et suivantes. (49) Ibid., 1984, p. 74 et suivantes.

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d'autres seront moins affirmatifs. Rousseau, on Га vu avec Arendt, voit dans la pression de l'opinion un dilemme majeur, la cause d'un conflit entre le privé et le public. S'il voit dans la volonté générale le fondement de la société, au sens politique aussi bien que moral (la loi, dit-il dans Du contrat social, en est l'expression authentique), il n'en déplore pas moins que ce qui peut être bon pour tous ne le soit pas pour l'individu, dès lors que l'opinion, c'est aussi la réputation. Quand, dans une phrase toujours citée, il fait de l'opinion « la reine du monde », ne va-t-il ainsi pas jusqu'à affirmer que même les rois en sont les esclaves ? Rousseau a parfois des accents d'un Sahlins - on revient à l'anthropologie - lorsqu'il oppose la liberté du sauvage aux tyrannies de la vie dans les sociétés policées. L'ataraxie du stoïcien, écrit-il, n'approche pas la profonde indifférence du primitif à tout ce qui l'entoure, car il faudrait pour cela « que ces mots, puissance et réputation, eussent un sens dans son esprit, qu'il apprît qu'il y a une sorte d'hommes qui comptent pour quelque chose les regards du reste de l'univers, qui savent être heureux et contents d'eux-mêmes sur le témoignage ď autrui plutôt que sur le leur propre (...): le Sauvage vit en lui-même ; l'homme sociable toujours hors de lui ne sait vivre que dans l'opinion des autres, et c'est, pour ainsi dire, de leur jugement au 'il tire le sentiment de sa propre existence » (50).

Tocque ville sera plus net encore, quand il s'agira de faire la part des choses, entre les lois de la conscience et les lois de l'opinion dont parle Rousseau dans VÉmile. Cette fois, c'est ce que Norbert Elias appellera autocontrainte et Richard Sennett autorépression qui est anticipé : la domination du qu'en dira-t-on sur le quant-à-soi quitte un terrain ambigu, celui de la morale, pour concerner les structures culturelles, celles de la personnalité en public, et les structures politiques, le fonctionne-

(50) ROUSSEAU, 1964. (51) TOCQUEVILLE, 1951 , Tome 1 , p. 267. (52) Ibid., p. 266 et 267. (53) /ЫЛ., Tome 2, p. 19. (54) Ibid., p. 18.

ment même de la démocratie. L'envers immédiat de cet individualisme moderne en lequel on a voulu voir le principe générateur d'une nouvelle nécessité, l'argumentation, c'est ce conformisme despotique auquel conduit le pouvoir reconnu à l'opinion majoritaire, que Tocqueville constate aux États-Unis. Parce que « la majorité (y vit) dans une perpétuelle adoration d'elle-même » (51), écrit-il « Je ne connais pas de pays où il règne, en général, moins d'indépendance d'esprit et de véritable liberté de discussion qu'en Amérique (...). L'inquisition n'a jamais pu empêcher qu'il ne circulât en Espagne des livres contraires à la religion du plus grand nombre. L'empire de la majorité fait mieux aux États-Unis : elle a ôté jusqu'à la pensée d'en publier » (52).

Avec Tocqueville se mettent ainsi en place les éléments d'un questionnement sur et d'une définition de l'opinion publique à la fois normatifs, descriptifs et idéologiques, les uns encore reliés à une conception étroite du contrôle social, les autres aux structures relationnelles et à l'organisation politique dans les démocraties, les derniers aux interrogations que celles-ci portent sur elles-mêmes. Étonnant mélange de vieilles interrogations, sorties de chez Platon, d'observations empiriques et d'intruitions théoriques que la sociologie ne redécouvre que depuis peu. On comprend son embarras (et le nôtre, lorsqu'il faut trier tout cela). « Je vois clairement dans l'égalité deux tendances », écrit-il : « l'une qui porte l'esprit de chaque homme vers des pensées nouvelles, et l'autre qui le réduirait volontiers a ne plus penser » (53). Cette opinion « qui mené le monde » (54), est-ce la raison, le savoir ou est-ce la croyance ? La question, platonicienne dans sa forme, exprime tout le dilemme d'une époque, parce que « l'opinion commune est le seul guide qui reste a la raison individuelle chez les peuples démocratiques », mais aussi parce

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que cette opinion commune est faite de croyances que le public impose et «fait pénétrer dans les âmes par une sorte de pression immense de l'esprit de tous sur V intelligence de chacun » (55). La réponse sera aussi partiellement empruntée à Platon, mais dans un vocabulaire qui rappelle parfois une bien contemporaine sociologie : « L'expérience, les mœurs et l'instruction finissent presque toujours par créer chez les démocratie cette sorte de sagresse pratique de tous les jours et cette science des petits événements de la vie qu'on nomme le bon sens. Le bon sens suffit au train ordinaire de la société (...) » (56).

Le marché aux idées

On quittera ici Tocqueville, non sans préciser que ce dernier débat est loin d'être clos. Habermas nous le rappelle : pour les penseurs d'aujourd'hui, les communications de toute espèce en lesquelles Taine semblait mettre ses espoirs ont failli à leur tâche. Comment former une opinion publique « a partir de cette masse de penchants, d'idées confuses, de points de vue vulgarisés, tels ceux répandus par les media » (57) ? Il n'y a plus dès lors que deux solutions : renoncer au principe d'universalité et s'en remettre à des institutions ouvertes à une élite informée de citoyens (la véritable opinion publique, douée de raison) ou, plus simple encore, considérer les élus comme incarnation de la volonté générale (58).

Somme toute, parler d'opinion publique, c'est aussi retracer l'histoire des contradictions du libéralisme, de ce qui sépare les représentations qu'il a des principes sur lesquels il se fonde et les représentations qu'il se fait de la réalité sociale. La théorie démocratique a inventé le citoyen, comme l'écrit Offerlé (59), mais s'interroge sans

cesse sur l'existence de celui-ci. Et cette impasse majeure l'a conduite à un éclatement qui l'a obligée à bricoler une solution de remplacement à son modèle universel et rationnel de l'opinion, basé sur la confrontation publique des arguments, grâce notamment à cette autre invention, propre au XXe siècle, que sont ces deux institutions symboliquement quasi équivalentes : l'isoloir, qui renvoie l'opinion à la sphère privée et contre lequel a lutté une extrême- gauche qui croyait encore aux principes, et plus récemment bien sûr le sondage d'opinion, qui individualise lui aussi l'opinion, sérialise les individus en postulant que l'opinion publique n'est que la somme des opinions privées. On ne fera ici qu'évoquer les sondages, pensum de toute analyse en la matière. Précisons seulement qu'en rapprochant l'isoloir, introduit en France à la veille de la Première Guerre mondiale, et le sondage, officialisé par la création en 1938 de l'IFOP, nous rejoignons d'une certaine façon Slávko Spli- chal et sa critique des critiques traditionnelles de l'empirisme : « II conviendrait de souligner que les méthodes concretes de la recherche sur l'opinion publique n'ont pas intrinsèquement un caractère antidémocratique mais que /'objet de la recherche lui-même, c' est-a-dire l'opinion publique, est le résultat d'une évolution non démocratique et с 'est précisément a de telles évolutions que le but de la recherche est subordonnée » (60). On pourrait dire aussi, dans un autre vocabulaire, que ce que l'isoloir représente et que le sondage mesure, c'est le processus de serialisation de l'individu dont parlait Sartre dans sa Critique de la raison dialectique (61).

Mais nous n'en sommes pas encore là : il faut encore s'attarder sur l'invention première et sur un autre type de déconstruction du sens commun de la science, ce qui

(55) Ibid. (56) Ibid, (souligné par nous). (57) HENNIS, cité par HABERMAS, 1986, p. 248. (58) HABERMAS, 1986, p. 248-249. (59) Voir OFFERLÉ, 1985. (60) SPLICHAL, 1987, p. 252. (61) Voir Sartre (1960), qui prend cet exemple du vote dans l'isoloir comme indice du processus plus général qu'il désigne sous ce terme - voir aussi à ce sujet OFFERLÉ, 1986.

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n'est pas là encore sans danger. Keane le dit justement : la critique de la fiction du citoyen omnicompétent, passage obligé de toute réflexion sur la genèse de la notion d'opinion publique, cette critique risque fort de se construire sur une autre fiction, celle d'une théorie démocratique classique et homogène (62). Et il faut encore parler de cet autre écueil vers lequel peut conduire la mise en parallèle critique, aujourd'hui courante, de cette théorie et de celle de l'économie politique libérale. Dire que le citoyen omnicompétent de l'une et ce qui lui correspond dans l'autre, l'individu rationnel aussi bien dans ses choix économiques que politiques, sont une seule et même fiction n'est peut-être pas faux en soi. Mais cela peut aussi dissimuler l'assujettissement pour certains déjà achevé du système politique au marché, même si celui-ci ne fonctionne pas comme l'avait rêvé ceux qui un jour crurent découvrir cette étonnante prédisposition de l'homme à savoir faire toujours, en ce qui le concerne, le meilleur choix possible. Difficile, donc, de choisir ses mots pour dire que l'opinion n'est plus ce qu'elle n'a jamais été, tout en s'en rapprochant sur certains points. Aux deux extrêmes des positions théoriques en ce domaine, ne parle- t-on pas ici de « marketplace of ideas », là de clientèle et at produits politiques ?

Ces précautions prises, il convient néanmoins de rappeler que c'est à la fois dans le vocabulaire de la philosophie politique et dans celui de l'économie politique qu'il faut aller chercher conjointement les définitions et les attributs modernes de la notion d'opinion publique. L'une et l'autre, on le sait, partent d'une notion commune (le souverain), d'un même espace (l'espace peuple/nation chez Rousseau, l'espace du marché comme surface d'échange chez Adam Smith (63)). L'une et l'autre ont développé une même vision de Y échange social, où les notions de rationalité et d'individualisme occupent

une place centrale. Mills est sans doute celui qui a mis le plus clairement à jour ces parentés. « L'idée d'opinion publique au XVIIIe siècle peut être mise en parallèle avec la notion économique de marché de libre concurrence. Ici, le public composé de cercles de discussion, pairs couronnés par le Parlement ; la, un marché de libre concurrence entre entrepreneurs. De la même façon que le prix est le résultat d'une négociation entre individus anonymes et deforce égale, l'opinion publique est le résultat de la réflexion de chaque individu contribuant de par son poids à la formation générale de l'opinion » (64).

Dire ainsi - ce qui est presque devenu conventionnel - qu'à la rationalité utilita- riste de Yhomo œconomicus correspond celle de l'électeur est un point de départ, peut-être aussi et sous une autre forme un point d'arrivée, mais n'est cependant pas d'un grand secours pour comprendre le destin d'une notion telle que celle d'opinion publique. Certes - revenons à ce que nous venons d'appeler point d'arrivée - ce n'est pas que facilité anecdotique que de relever que les grands instituts de sondage d'opinion ne sont souvent que des départements d'organismes d'études de marché ; que, surtout, la vieille relation entre Yhomo politicus et Yhomo œconomicus se retrouve théoriquement et méthodologiquement justifiée par la pratique majoritaire de ces instituts qui ont fait leur les principes de Y individualisme méthodologique , de même que la définition que donne de l'opinion publique l'un des derniers en date des dictionnaires de sociologie : « Agrégation d'opinions individuelles semblables sur des problèmes d'intérêt public » (65).

Le problème est là qu'il n'est pas du tout certain qu'entre le point de départ et le point d'arrivée, il y ait cette filiation évidente qu'on veut bien nous faire croire. Ce sujet, « supposé totalement libre de toute appartenance de groupe, de classe, de nation et uniquement agi par des compor-

(62) KEANE, 1982, p. 13 et p. 39 et 40, note 6. Voir aussi à ce sujet KEANE, 1984. (63) Voir à ce propos МАШЕТ, in SMITH, 1976. (64) MILLS, cité par PADIOLEAU, 1981 , p. 166. (65) BOUDON et al., 1989, p. 142.

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tements rationnels » (66), est-ce bien le même — nous parlons là au niveau des représentations - que celui imaginé au XVIIIe siècle, comme de trop faciles et trop rapides sauts historiques semblent vouloir le faire croire ? Rien n'est moins sûr.

Entre-temps, la réalité s'est chargée de faire évoluer les théories, de nouvelles théories ont aussi fait évoluer les réalités. Et

c'est bien en cela que réside l'une des difficultés majeures qu'il y a à parler de l'opinion publique, dans une perspective nécessairement historique et sociologique. Ce que l'on a seulement voulu dire ici, c'est qu'on ne peut repenser cette notion sans lui restituer, dans tous ses aspects et dans leur superposition, cette profondeur temporelle propre à tous les objets des sciences sociales.

(66) SPIRE, 1983, p. 40.

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