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L’usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la gestion des crises internationales Études des cas d’Afghanistan (1979) et d’Ukraine (2014) Mémoire Sophie Marineau Maitrise en histoire Maitre ès arts (M.A.) Québec, Canada © Sophie Marineau, 2017

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Page 1: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

L’usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la gestion des crises internationales

Études des cas d’Afghanistan (1979) et d’Ukraine (2014)

Mémoire

Sophie Marineau

Maitrise en histoire

Maitre ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Sophie Marineau, 2017

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RÉSUMÉ

Le 27 février 2014, des troupes non identifiées envahissent la péninsule de Crimée au sud

de l’Ukraine, puis l’Est de l’Ukraine. À la suite d’un référendum contesté, la Crimée est

annexée à la Fédération de Russie, alors que la guerre civile fait rage dans les territoires de

l’Est du pays. Rapidement, les États-Unis et l’Union européenne prennent des mesures

diplomatiques envers la Russie. Après plus de cinq mois de conflit et plusieurs incidents,

les Occidentaux optent finalement pour des mesures économiques devant avoir un impact

considérable sur l’économie russe. L’objectif poursuivi est ainsi d’amener la Russie à

négocier une situation viable pour l’Ukraine. Comme dans tout autre régime de sanctions,

la question de l’efficacité se pose. Est-ce que les mesures économiques prises par l’Union

européenne sont suffisantes pour initier un changement de politique étrangère en Russie?

Après plus de trois ans sous sanctions, l’économie russe a subi d’importants dommages.

Ce n’est toutefois pas la première fois que la Russie se retrouve sous sanctions. En 1979,

alors que l’URSS – son prédécesseur – envahi l’Afghanistan dans le contexte de la Guerre

froide, les États-Unis et plusieurs États de l’Europe de l’Ouest imposent de sévères

sanctions à l’URSS. Dès lors, que peut-on tirer de l’analyse de ce régime de sanctions afin

de mieux comprendre la réaction actuelle de la Russie ?

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé p.iii

Table des matières p.iv

Remerciements p.viii

Introduction p.1

Présentation du sujet et problématique p.1

Définition de concepts clés p.5

Historiographie p.6

L’historiographie sur les différents régimes de sanctions p.6

La guerre d’Afghanistan p.10

Les relations russo-ukrainiennes p.12

Corpus de sources p.14

Les documents officiels p.14

Les statistiques p.16

Les journaux p.17

Les sources publiées p.18

Méthodologie p.18

Plan du mémoire p.20

Chapitre 1 – Les sanctions imposées à l’URSS après l’invasion d’Afghanistan p.23

L’élection du Président Jimmy Carter, la fin de la détente, et l’invasion de

l’Afghanistan (1975-1979) p.27

L’Europe et les États-Unis condamnent l’invasion soviétique à l’ONU p.30

La réaction du gouvernement des États-Unis et du Président Carter p.31

La mise en place du régime de sanctions contre l’URSS par le gouvernement

des États-Unis p.36

La réaction internationale face à la réaction américaine p.40

Les politiques européennes et le régime de sanctions américaines p.43

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La fin du conflit en Afghanistan et le résultat des sanctions p.49

Conclusion p.53

Chapitre 2 – Les relations entre l’Ukraine et la Russie (1991-2013) p.55

Un partenariat difficile entre les États russe et ukrainien (1991-1999) p.56

Une forte dépendance économique au lendemain de l’indépendance

politique p.56

À qui revient l’héritage soviétique et la flotte de la mer Noire? p.58

Le mouvement sécessionniste de Crimée p.60

L’enjeu des armes nucléaires soviétiques sur le territoire ukrainien p.63

L’Ukraine, de sphère d’influence russe au réveil de la société civile

(2000-2004) p.65

Des mesures incitatives et des menaces p.65

L’ingérence politique et le réveil de la société civile ukrainienne :

la Révolution orange p.69

Une politique de plus en plus exigeante à l’égard de l’Ukraine

(2005-2013) p.70

La présidence de Victor Iouchtchenko, des relations difficiles avec

la Russie (2004-2010) p.71

La présidence de Ianoukovitch : beaucoup de concessions politiques

pour des gains économiques (2010-2013) p.74

Conclusion p.76

Chapitre 3 – La crise ukrainienne (2013-2014) p.78

Le Partenariat oriental et le Sommet de Vilnius : prélude à la contestation

de masse p.78

Le Maïdan : de manifestations pacifiques aux affrontements armés p.83

Les petits hommes verts armés et sans drapeau : l’invasion de la Crimée p.90

L’annexion de la Crimée : illégale selon le droit international p.93

L’Est sécessionniste : les combats dans le Donbass p.97

L’écrasement du vol MH17 p.99

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vi

L’effort diplomatique de la communauté internationale en vue d’un

cessez-le-feu durable p.102

Conclusion p.105

Chapitre 4 – Les sanctions imposées à la Russie à la suite de l’invasion de

l’Ukraine et de l’annexion de la Crimée p.107

L’efficacité des sanctions économiques et politiques mises en place par

l’Union européenne p.109

La réussite et l’échec d’un régime de sanctions p.110

Les facteurs favorisant le succès d’un régime de sanctions p.111

Les facteurs limitant l’efficacité d’un régime de sanctions p.113

L’impact des sanctions sur l’économie russe p.118

Le déficit causé par le pétrole p.118

Portrait global de la situation économique en Russie p.120

La fuite des investissements étrangers p.122

Le commerce des armes et du matériel militaire p.126

Plusieurs Chevaliers noirs: le lobbysme anti sanctions en Europe p.130

Viktor Orban et la Hongrie p.130

La Grèce doit relancer son économie p.132

L’Italie, économie avant politique p.133

L’Espagne : la société civile en désaccord avec ses élites politiques p.135

Des considérations économiques partout en Europe p.136

Le tournant pro-asiatique de la Russie p.137

La société civile russe : un conformisme passif p.141

Le support à la guerre qui n’en est pas une p.141

L’appui au gouvernement : un désir de stabilité p.142

La perception des sanctions et la crise économique p.143

Conclusion p.145

Conclusion p.147

Bibliographie p.151

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vii

Annexes p.170

Annexe I : Organigramme des organes législatifs de l’Union européenne p.170

Annexe II : Carte du Moyen-Orient et des accès aux mers chaudes p.171

Annexe III : Panneau retrouvé à Simféropol avant le référendum du 16 mars

2014, « Le 16 mars nous votons » p.172

Annexe IV : Résolution A/68/262 – l’intégralité territoriale de l’Ukraine p.173

Annexe V : What is the best way to guarantee the national security of

Ukraine p.174

Annexe VI : La région du Donbass en guerre p.175

Annexe VII : Les exportations de pétrole de la Russie p.176

Annexe VIII : Indicateurs économique pour la Fédération de Russie p.178

Annexe IX : Échanges commerciaux de la Fédération de Russie p.179

Annexe X : Cours du rouble (2014-2017) p.180

Annexe XI : Investissements étrangers vers la Russie p.181

Annexe XII : Commerce d’armes et de matériel militaire p.183

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REMERCIEMENTS

Tout d’abord, je souhaite remercier mon directeur de recherche, le Professeur Renéo Lukic,

pour ses conseils. Son écoute et sa disponibilité pendant mes recherches et lors de la

rédaction ont permis la réalisation de ce mémoire, le plus grand accomplissement de mon

parcours académique.

Je tiens également à exprimer ma reconnaissance envers ma famille et mes amis qui m’ont

soutenue et encouragée dans les moments plus difficiles. J’aimerais aussi souligner l’aide et

l’appui de Raphaël; ses compétences et sa patience infinie m’ont grandement aidée dans la

réalisation de mon mémoire. Merci énormément.

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INTRODUCTION

Présentation du sujet et problématique

À partir du début des années 1990, les puissances occidentales s’intéressent et interviennent

de plus en plus dans les affaires d’États non-démocratiques. Ce phénomène s’accroit en

raison de la fin de la Guerre froide, car ces mêmes puissances ne craignent plus que leurs

sanctions à l’encontre d’un État paria poussent celui-ci vers le bloc ennemi.1 Selon le

diplomate britannique Jeremy Greenstock, qui siégea au Conseil de Sécurité de l’ONU

entre 1998 et 2003, la popularité des sanctions vient du fait que, entre les mots et

l’affrontement armé, peu de possibilités s’offrent aux gouvernements pour faire pression

sur un autre État. Lorsque les pressions verbales ne suffisent pas, quel choix reste-t-il?2

Pour Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne depuis novembre 2014,

les sanctions se présentent comme une alternative à la guerre. Des sanctions efficaces

permettraient d’éviter des conflits armés et d’influencer positivement un État paria à revenir

dans le droit chemin. À la fin de l’année 2014, on dénombrait ainsi 34 États ou entités non

étatiques sanctionnés par l’Union européenne.3 Cependant, la proposition du président de la

Commission pose certains problèmes. Comment déterminer si un régime de sanctions sera,

ou est assez efficace pour que celui-ci influence le comportement et la politique étrangère

de l’État sanctionné?

Plusieurs chercheurs et professeurs spécialistes des relations internationales, d’économie et

de sciences politiques se sont déjà posé la question. En fait, dès les premières sanctions

postguerre froide, ils s’interrogent quant à leur efficacité. Si tous les régimes de sanctions

sont différents, il est toutefois possible de retracer quelques ressemblances et points

communs qui sont à l’origine de l’échec ou de la réussite des sanctions. Dans des cas

comme l’Irak ou l’Iran, où les régimes de sanctions ont été considérés comme efficaces, les

experts concluent que l’économie du pays en question fût très durement touchée. Dans ces

1 Tim Niblock, « Irak, Libye, Soudan : efficacité des sanctions ? », Politique étrangère, 2000, Vol. 1 n°1,

p. 95 2 Jonathan Marcus, « Analysis : Do economic sanctions work ? », BBC News, 26 juillet 2010,

http://www.bbc.com/news/world-middle-east-10742109 3 Bastien Nivet, « Les sanctions internationales de l’Union européenne : soft power, hard power ou puissance

symbolique ? », Revue internationale et stratégique, 2015 Vol. 1 N° 97, p. 129

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deux cas, des changements politiques se sont opérés, car la situation économique n’était

plus viable. Dans d’autres cas, comme celui de la Lybie ou du Soudan, les régimes de

sanctions imposés furent des échecs. L’opinion internationale s’est positionnée contre ces

deux régimes, et la société civile se rallia derrière ses dirigeants au lieu d’exiger des

changements.4 En Iran, en Irak, en Lybie et au Soudan, les régimes de sanctions furent tous

levés. Cependant, beaucoup d’autres régimes sont, à l’heure actuelle, encore en vigueur et

les résultats tardent ou les effets escomptés ne se produisent pas.

La situation de Cuba, qui subit un embargo américain depuis 1960, est un cas frappant où

les sanctions n’ont pas été suffisantes pour provoquer un changement de politique intérieure

qui était exigé par les États-Unis.5 À partir de l’année 1960, Fidel Castro se rapproche

progressivement des États communistes, en signant notamment des accords commerciaux

avec la Bulgarie, la Chine, la Hongrie, la Pologne, avec la Roumanie et la Tchécoslovaquie,

ainsi que des accords diplomatiques avec la Corée du Nord et le Vietnam du Nord.6 En se

rapprochant des États communistes, Fidel Castro nationalise progressivement des propriétés

des États-Unis en sol cubain, à la suite de quoi le pays sera placé sous embargo. En plus de

restrictions de voyage, les États-Unis n’achètent plus rien en provenance de l’ile, mais le

gouvernement cubain peut encore s’approvisionner aux États-Unis pour certains produits.7

Cependant, comme Carole Gomez et Bastien Nivet le soulignent, il est très difficile d’isoler

un État et, en ce qui concerne Cuba, les États-Unis ont certainement contribué au sous-

développement de l’ile, mais les Soviétiques, pendant la Guerre froide, ont remplacé les

produits américains, minimisant dès lors l’effet de l’embargo.8 À partir de la fin de la

Guerre froide, la situation a évolué aux États-Unis. Avec le Cuban Democracy Act de 1992,

le gouvernement américain exige des changements de politique intérieure concernant le

respect des droits de l’homme et des valeurs démocratiques.9 La désintégration de l’Union

4 Op. Cit. Tim Niblock, p. 99

5 Michael J. Totten « Letter from Cuba : To Embargo or Not » World Affairs, 2014, Vol. 176, N°6, p. 31

6 National Security Agency, Chronology of Specific Events Relating to the Military Buildup in Cuba

January 2, 1959 to August 29, 1962,

http://nsarchive.gwu.edu/nsa/cuba_mis_cri/590102_620827%20Chronology%202.pdf 7 Op. Cit. Michael J. Totten, p. 32

8 Carole Gomez, Bastien Nivet, « Sanctionner et punir. Coercition, normalisation et exercice de la puissance

dans une société internationale hétérogène », Revue internationale et stratégique, 2015, Vol. 1 N°97, p. 67 9 102

nd United States Congress, Cuban Democracy Act (CDA), 23 octobre 1992

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soviétique marque la fin de la menace communiste aux États-Unis. Cuba n’est plus une

menace idéologique, elle ne supporte plus les groupes révolutionnaires dans le tiers-monde

et n’est plus armée par l’URSS. Castro implante également quelques réformes économiques

pour attirer de nouveaux investisseurs.10

Avec l’arrivée de Raúl Castro au pouvoir en 2011,

le régime marxiste-léniniste introduit quelques progressivement quelques réformes et le

rapprochement avec les États-Unis s’initie, notamment avec la réouverture de l’ambassade

américaine à la Havane au mois d’aout 2015.11

L’embargo demeure toutefois en place

malgré ces rapprochements diplomatiques. Les sanctions américaines contre Cuba sont en

vigueur depuis plus d’un demi-siècle et elles ont affecté l’économie fragile de l’ile,

cependant, le régime communiste cubain déficient est davantage responsable de la situation

économique précaire du pays. Les mesures économiques n’ont pas atteint leur objectif de

mener à des changements politiques, mais avec le changement de gouvernement en 2011 et

le rapprochement entamé par le gouvernement américain à la fin de l’année 2014,12

les

relations semblaient s’améliorer. Or, depuis l’élection du président Donald Trump en 2016,

partisan de politiques beaucoup plus sévères envers Cuba, il semble peu probable que

l’embargo soit levé dans les prochaines années.13

Il est également possible de conclure à un lamentable échec lorsqu’il s’agit de la Corée du

Nord qui ne réagit pas du tout à toutes les sanctions imposées pour l’isoler encore

davantage.14

L’étude des différents régimes imposés par les gouvernements occidentaux

depuis le début des années 1990 démontre que les résultats des sanctions sont toujours

incertains. Néanmoins, elles demeurent extrêmement utilisées par plusieurs puissances

occidentales comme alternatives à la passivité ou à la guerre. Les États-Unis ont, dans cette

optique, sanctionné plus de 80 États différents dans les 25 dernières années.15

Les

nombreuses études démontrent que dans plusieurs situations, les sanctions furent

10

Indira Rampersad, « The Anti-Cuban Embargo Movement in the United States » Peace Review, 2014,

Vol. 26, N°3, p. 407 11

Will Grant, « Trump’s new Cuba policy : What’s at stake for the island? », BBC News, 10 juin 2017,

http://www.bbc.com/news/world-latin-america-40231074 12

Op. Cit. Michael J. Totten, p. 32 13

Op. Cit. Will Grant 14

Pierre Grosser, « Des histoires sans leçons ? De l’efficacité et de la pertinence des sanctions

contemporaines », Revue internationale et stratégique, 2015, Vol. 1 N° 97, p. 89 15

Fanny Coulomb, Sylvie Matelly, « Bien-fondé et opportunité des sanctions économiques à l’heure de la

mondialisation », Revue internationale et stratégique 2015, Vol. 1 N° 97, p. 106

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importantes, mais dans aucune on affirme que celles-ci furent déterminantes. En l’absence

de résultats certains et concrets, comment expliquer que de nombreuses puissances

privilégient ce moyen de pression contre les États malfaisants?16

Les études récentes portant sur les sanctions imposées par les organisations internationales

définissent comme une part importante la fonction symbolique de celles-ci. Des

organisations comme l’Union européenne ou encore l’ONU, qui n’ont, à proprement parler,

pas de forces militaires nécessaires pour forcer un État à modifier son comportement, se

retrouvent souvent avec les sanctions comme seule possibilité acceptable lorsque la

diplomatie a atteint ses limites. Il s’agit alors d’un outil de politique étrangère pour

démontrer l’insatisfaction de l’organisation face à un comportement déviant de la part d’un

État ou, encore, d’un outil de protection lorsqu’elle sent sa sécurité menacée. Si la guerre ne

peut être une option, la sanction démontre alors que même sans moyen pour forcer un

changement, il est possible d’exprimer, au moins symboliquement et diplomatiquement son

désaccord.17

À l’heure actuelle, les organisations internationales comme l’UE et l’OTAN tentent de

trouver un moyen de régler une crise régionale, qui compromet cependant la sécurité de

l’Europe, entre l’Ukraine et la Russie. Depuis l’annexion de la péninsule de Crimée par la

Russie au mois de mars 2014, les organisations internationales adoptent de plus en plus de

mesures et de sanctions contre la Russie afin de la convaincre de retirer ses troupes de l’est

de l’Ukraine ainsi que de la Crimée. Jusqu’ici, aucune mesure ne semble être suffisante

même si celles-ci touchent de plus en plus de personnes et d’entités. Comme dans tous les

autres régimes de sanctions imposés avant, la question de leur efficacité se pose. L’objectif

est ultimement que la Russie renonce à la péninsule et cesse les combats dans l’est de

l’Ukraine, mais est-ce que les sanctions symboliques, diplomatiques et économiques des

organisations internationales auront assez d’impacts pour avoir des conséquences dans les

décisions politiques russes? Il faut également noter qu’une difficulté s’ajoute en ce qui

concerne la Russie, car elle est une partenaire économique plus que primordiale pour

beaucoup de pays de l’Union européenne. Les exportations en gaz et en pétrole vers

16 Op. Cit. Pierre Grosser, p. 99 17

Op. Cit. Bastien Nivet, p. 133

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l’Europe sont beaucoup trop importantes pour qu’elle accepte de s’en priver. L’Europe doit

donc demeurer prudente et ne peut pas imposer de sanctions trop sévères, car si Moscou

décide de couper l’approvisionnement en gaz, comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises

entre 2004 et 2010, plusieurs pays pourraient se retrouver dans le noir et dans le froid.18

Comment alors est-il possible d’imposer des sanctions efficaces à la Russie, et surtout,

comment mesurer leur efficacité, en tenant compte du fait qu’elles sont en place depuis

trois ans et qu’aucun changement concret n’a eu lieu?

Définition de concepts clés

Avant de poursuivre notre analyse, il va de soi de définir certains concepts, certaines idées,

que nous utiliserons tout au long de notre analyse et dont la définition et la compréhension

sont tout à fait impératives pour notre recherche.

L’Étranger proche : En utilisant les termes étrangers proches, nous nous référons aux

populations russes vivant en dehors des frontières de la Russie, dans les différents États

frontaliers, ou aux États indépendants depuis la désintégration de l’URSS, qui faisaient

partie de l’Union avant son démembrement. Pour les Russes de la nouvelle fédération,

« l’Autre est désormais Autre mais ne l’est pas entièrement; il est étranger, mais un étranger

avec lequel on a partagé une histoire commune est-il totalement étranger? »19 Les autorités

politiques russes voient dans cet espace géographique des territoires qui leur sont vitaux et

elles tiennent à préserver cet espace de la présence et de l’influence des Occidentaux.

Régime de sanctions : Nous définissons le concept ou l’action diplomatique – militaire –

« régime de sanctions » par l’ensemble des sanctions imposées à un pays lors d’un conflit

ou d’une guerre. Le régime de sanctions peut être composé de mesures diplomatiques,

financières, économiques, militaires, etc. Cette expression sera particulièrement utilisée

dans le premier chapitre lorsque nous traiterons des mesures imposées par les États-Unis à

l’URSS après l’invasion de l’Afghanistan, ainsi que dans le quatrième chapitre, lorsque

18

Op. Cit. Fanny Coulomb, Sylvie Matelly, p. 108 19

Jean-Christophe Romer, « La politique du voisinage est-elle l’étranger proche de l’UE ? Des voisins en

commun » Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2010, Vol. 1 N° 97-98, p. 30

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nous ferons référence aux mesures actuellement en place contre la Russie après l’annexion

de la Crimée et la guerre dans l’est de l’Ukraine.

Historiographie

Il est possible de diviser notre historiographie en trois catégories. D’abord, celle qui occupe

la place la plus importante pour l’analyse de l’efficacité du régime de sanctions appliqué

actuellement en Russie est l’historiographie concernant l’étude de l’efficacité des différents

régimes de sanctions du siècle dernier. Les différentes études portant sur l’efficacité des

régimes de sanctions permettent de définir les facteurs favorisant la réussite d’un régime,

ainsi que les facteurs limitant la réussite de sanctions. Un argument de taille soulevé par

toutes ces études est cependant que chaque régime est différent et que les situations

politiques et économiques de chacun sont déterminantes pour la réussite d’un régime de

sanctions. La Fédération russe est pour la première fois sous sanctions depuis la

désintégration de l’Union soviétique. Or, l’URSS a déjà été la cible de sanctions

américaines et européennes, notamment en 1980 après l’invasion et le changement de

régime en Afghanistan. Bien que l’URSS regroupait plusieurs républiques en son sein, ce

régime de sanctions imposé contre Moscou offre un point de comparaison avec le régime

de sanctions en place depuis 2014. Ainsi, nous nous intéresserons par la suite à cette

historiographie sur la guerre d’Afghanistan et les sanctions imposées à l’URSS à partir de

1980. Finalement, nous nous servirons d’études sur l’histoire des relations entre la Russie et

l’Ukraine afin d’analyser les raisons qui poussent Moscou à violer l’intégralité territoriale

de son voisin un peu plus de 20 ans après son indépendance. Cette section sera également

composée d’études récentes sur la crise en Ukraine – depuis 2014 – ainsi que des résultats

actuels des sanctions contre la Russie.

L’historiographie sur les différents régimes de sanctions

Lors de l’analyse des différentes études sur les régimes de sanctions, deux courants se

distinguent clairement. L’historiographie française tend à être beaucoup plus pessimiste sur

leur efficacité que l’est, par exemple, l’historiographie britannique ou encore américaine.

Dans une entrevue accordée au journal Le Monde en 2011, le chercheur et professeur

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7

Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales à l’Institut d’Études Politiques de

Paris, expose les principaux problèmes des régimes de sanctions contemporains. Ses

explications résument bien le sentiment général des chercheurs français quant aux facteurs

favorisant l’échec des régimes, le plus important étant les nombreux échanges

internationaux. « Le grand problème tient au fait que la mondialisation enlève une partie de

son efficacité au régime des sanctions, et donc risque de le conduire d'autant plus à l'échec.

[…] La mondialisation offre une palette beaucoup plus large de substitutions : lorsqu'un

groupe d'États sanctionne un gouvernement déviant, celui-ci peut trouver dans l'extrême

variété des autres États des moyens de compenser la pression ou la privation dont il est

victime. La Chine, en particulier, excelle dans l'accomplissement de ce rôle de

substitution. »20

Ce point de vue est également partagé par Fanny Coulomb et Sylvie Matelly qui

soutiennent que « la mondialisation, en amplifiant la dépendance au commerce mondial,

tant au niveau des approvisionnements que des débouchés, limite le potentiel dissuasif de

l’arme économique. […] La mondialisation démultiplie les flux financiers et commerciaux,

les rendant de facto plus complexes à identifier et, a fortiori, à contrôler. Le respect des

sanctions économiques devient ainsi plus difficile à contrôler et les possibilités de les

contourner, y compris pour des acteurs économiques originaires du pays les imposant, sont

plus nombreuses. »21

Bastien Nivet estime quant à lui que « les sanctions internationales de

l’UE confirment que l’action internationale de l’Union répond parfois autant à une volonté

d’exister, de se faire reconnaître comme acteur porteur d’une identité incarnée par des

valeurs et principes spécifiques, qu’à une volonté de transformer son environnement

stratégique. Souvent peu efficaces, parfois coûteuses parce que suscitant des représailles,

elles permettent néanmoins de coaliser les États membres sur une question donnée, de

mettre en avant l’existence d’une vision et d’une action commune de leur part, de faire

reconnaître que l’UE existe. »22

Tim Niblock renforce cette position en soutenant que

souvent, les sanctions ont comme effet contre-productif de renforcer le régime sanctionné

plutôt que de l’affaiblir. Ce postulat s’applique davantage lorsque la population est

20

Le Monde, « Bertrand Badie : La sanction internationale est plus associée à la puissance qu’au consensus »,

Le Monde, 16 décembre 2011 21

Op. Cit. Fanny Coulomb, Sylvie Matelly, p. 108 22

Op. Cit. Bastien Nivet, p. 138

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8

dépendante de son gouvernement, notamment dans des domaines comme

l’approvisionnement alimentaire ou en eau potable. Il est alors impossible pour la société

civile de se positionner contre son gouvernement ce qui minimise l’effet recherché par des

sanctions économiques.23

Les chercheurs anglo-saxons estiment quant à eux qu’un régime de sanctions a de

meilleures chances de réussir si les objectifs demeurent plutôt modestes. Cinq types

d’objectifs sont ainsi dégagés de ces études :

Des changements modestes dans la politique (droits humains, persécutions

religieuses, soutien au terrorisme avant le 11 septembre)

Un changement de régime et de politique

L’arrêt d’aventures militaires

La réduction du potentiel militaire du pays cible (typiquement, les armes de

destruction massive)

D’autres changements politiques majeurs (retrait d’un territoire occupé, changement

d’alliance)24

Au même titre que les chercheurs français, l’historiographie anglo-saxonne demeure

toutefois très critique quant à l’efficacité des sanctions. La tendance générale expose

d’ailleurs certains facteurs, qui sont souvent hors de contrôle pour l’État ou l’entité

sanctionneur, qui peuvent limiter ou entraver totalement la réussite des sanctions. Les

principaux étant la dissidence entre les États sanctionneurs (s’ils sont plusieurs), les alliés

de l’État sanctionné qui peuvent fournir une aide ou un marché alternatif dans le cas de

sanctions économiques et finalement, le phénomène de ralliement de la société civile

derrière les autorités en place.25

D’une manière plus générale, l’historiographie sur les sanctions révèle un plus grand

optimisme avant les années 1990, même si les études des années 1960 et 1970 concluent

23

Op. Cit. Tim Niblock, p. 106-107 24

Eurocrise Agence d’Intelligence Stratégique, Étude Prospective et Stratégique n°2014-10 : Pertinence des

sanctions / rétorsions au XXIème

siècle : Mutations, objectifs et moyens, Paris, 29 avril 2015, p. 13 25

Ibid, p. 75

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que les sanctions ne sont jamais aussi efficaces qu’une intervention militaire.26

La première

étude, qui se veut exhaustive, sur les régimes de sanctions est rédigée par Gary Hufbauer,

Jeffrey Schott et Kimberly Ann Elliot, est publiée en 1985 puis rééditée en 1990. Dans cette

étude, ils répertorient 115 régimes de sanctions différents entre 1914 et 1990. Ils concluent

au succès de 40 d’entre eux pour un taux de réussite avoisinant les 40 %.27

Ces conclusions

seront toutefois très contestées, notamment par le professeur et chercheur universitaire en

science politique Robert A. Pape, qui multiplie les études et les articles démontrant que les

résultats des régimes de sanctions sont toujours beaucoup plus incertains et que même si les

sanctions ont un impact direct sur l’économie du pays sanctionné, très peu de régimes

atteignent leur objectif premier qui est de mener à des changements politiques.28

Pour David Baldwin, également professeur et docteur en sciences politiques, il n’y a pas de

théorie établie pour définir l’efficacité d’un régime de sanctions. Selon lui, si des sanctions

atteignent considérablement l’économie de l’État paria, même si elles ne mènent pas à des

changements politiques directs, elles devraient être considérées comme réussies.29

Baldwin

souligne que L’efficacité est subjective, que sa définition à lui est beaucoup plus nuancée

que la définition de son collègue Robert Pape par exemple. Elizabeth Rogers, associée du

Programme pour la Sécurité Internationale à la Harvard Kennedy School soutient

également que même si les sanctions ne permettent pas de mettre fin à une guerre où

d’obtenir de réelles concessions politiques dans la majorité des cas, elles permettent

néanmoins d’atteindre certains buts plus modestes. Les sanctions sont beaucoup plus

efficaces pour contenir un conflit que pour en prévenir.30

Plusieurs études suivant celle de

Baldwin vont aussi dans le même sens, arguant que les régimes de sanctions atteignent

toujours certains objectifs plus modestes non négligeables et que bien qu’il est difficile

d’affirmer que les sanctions sont toujours déterminantes, elles n’en demeurent pas moins

26

Robert A. Pape, « Why economic sanctions do not work », International Security, Automne 1997, Vol. 22

N° 2, p. 91 27

Ibid, p. 92 28

Ibid, p. 93 29

David A. Baldwin, Robert A. Pape, « Evaluation Economic Sanctions », International Security,

Automne 1998, Vol. 23 N° 2, p. 196 30

Elizabeth S. Rogers « Using economic sanctions to control regional conflicts », Security Studies, 1996,

Vol. 5 N°4, p. 44

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importantes dans la majorité des cas.31

Plusieurs études soulignent également que

l’historiographie concernant les sanctions s’intéresse uniquement aux cas où elles ont été

appliquées alors que les cas où certains États ont été menacés par des sanctions qui auraient

pu être extrêmement dommageables ne sont jamais étudiés. Plusieurs études omettent de

prendre en compte les cas où les pays ont été menacés de sanctions et que la menace a été

suffisante pour changer leur comportement sans avoir besoin d’imposer des sanctions.

Selon Daniel Drezner, la menace doit compter comme un succès des sanctions.32

La guerre d’Afghanistan

L’Historiographie portant sur la guerre d’Afghanistan et le régime de sanctions qui en

découla est également très dense. L’invasion soviétique en Afghanistan a été largement

analysée, notamment par des études s’intéressant à la Guerre froide en général. À cet effet,

les ouvrages de Raymond L. Garthoff, John Lewis Gaddis, Pierre Grosser, Éric Bachelier et

Jacques Lévesque comptent parmi les piliers de cette historiographie.33

Il est également

possible d’étudier cette campagne à travers les revues scientifiques portant spécifiquement

sur la Guerre froide, comme Cold War History, Journal of Cold War Studies, et Cold War

International History Project.

31

À cet égard, consultez notamment Dean Lacy, Emerson M. S. Niou, « A theory of economic sanctions and

issue linkage : The roles of preferences, information, and threats », Journal of Politics, février 2004, Vol. 66

N°1, p. 25 à 42, Peter A. G. Van Bergeijk, « Success and failure of economic sanctions », Kyklos, 1989,

Vol. 42, N°3, p. 385 à 404, A. Cooper Drury, « Revisiting ‘Economic Sanctions Reconsidered’ », Journal of

Peace Research, Juillet 1998 Vol. 35 N°4, p. 497 à 509, Bruce Bueno de Mesquita, James D. Morrow,

Randolph M. Siverson, Alastair Smith, « An institutional explanation for the democratic peace », American

Political Science Review, Décembre 1999, Vol. 93 N°4, p. 791 à 807 32

Daniel W. Drezner, « Outside the box : Explaining sanctions in pursuit of foreign economic goals »,

International Interactions, 2001, Vol. 26 N°4, p. 379 à 410, voir également San Ling Lam, « Economic

sanctions and the success of foreign policy goals : A critical evaluation », Japan and the World Economy

2 Septembre 1990, Vol.2 N°3, p. 239 à 248 33

Consultez notamment Raymond L. Garthoff, Détente and Confrontation, American-Soviet Relations from

Nixon to Reagan, The Brookings Institution, Waghington D.C. 1994, 1206 pages, John Lewis Gaddis, We

Now Know. Rethinking Cold War History, Clarendon Press, Oxford, 1997, 425 pages, Pierre Grosser, Les

temps de la guerre froide : réflexions sur l'histoire de la guerre froide et sur les causes de sa fin, Éditions

Complexes, Bruxelles, 1995, 465 pages, Jacques Lévesque, L’URSS en Afghanistan, De l’invasion au retrait,

Éditions Complexe, Bruxelles, 1990, 282 pages et Éric Bachelier, L’Afghanistan en guerre, la fin du grand

jeu soviétique, Presses Universitaires de Lyon, coll. Conflits contemporains, Lyon, 1992, 135 pages

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Certains auteurs se concentrent aussi plus spécifiquement sur la Guerre froide dans le tiers-

monde, en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient.34

Les campagnes dans le tiers-

monde sont généralement présentées comme étant de moindre importance pour l’issu final

du conflit. Globalement, l’objectif de ces campagnes était de démontrer sa puissance et son

influence géopolitique sur l’échiquier mondial. L’URSS et les États-Unis soutenaient et

exacerbaient des crises en y envoyant du matériel militaire, des armes et des fonds. La

campagne d’Afghanistan est toutefois présentée comme la plus importante puisque les

Soviétiques sont intervenus directement avec leurs forces armées.35

Il s’agit d’un

changement de politique important qui déstabilise les alliés occidentaux et qui pousse les

États-Unis à réagir vigoureusement.

Dans l’historiographie sur la Guerre froide, l’invasion soviétique de l’Afghanistan apparait

comme étant l’événement marquant la fin de la détente instaurée graduellement dans les

années 1960.36

Les nombreuses analyses portant sur le régime de sanctions qui suivi cette

intervention soulignent l’insatisfaction européenne par rapport aux décisions américaines.

Au centre des préoccupations européennes, on retrouve l’ingérence américaine dans leur

commerce avec l’URSS et dans l’établissement de nouvelles relations économiques.37

La

situation géopolitique de l’Europe de l’Ouest, différente de celle des États-Unis, rend les

négociations entourant les sanctions beaucoup plus laborieuses. En raison de plusieurs

difficultés analysées notamment dans le chapitre 1 de notre mémoire, la majorité des études

sur le régime de sanctions imposé à l’URSS à la suite de l’invasion de l’Afghanistan,

concluent à un échec de ce régime de sanctions.

34

Notons ici l’ouvrage de Robert J. McMahon, The Cold War in the Third World, Oxford Unviersity Press,

Oxford, 2013, 256 pages et celui de Artemy Kalinovsky, Sergey Radchenko, The End of the Cold War and

the Third World, New Perspectives on Regional Conflict, Routledge, Londres, 2011, 328 pages 35

Frederico Romero, Cold War historiography at the crossroads », Cold War History, 2014, Vol.14 N°4, p.15 36

Fait souligné par des auteurs comme Dale C. Copeland, « Trade expectations and the outbreak of peace :

Détente 1970-74 and the end of the Cold War 1985-91 » Security Studies, 1999, Vol. 9 N°1-2, p.15 à 58 ou

Jerzy Pawlowicz, « The concept of détente and peaceful coexistance » World Futures, 1988, Vol. 24 N°1-4,

p.135 à 157 37

À ce sujet, lire notamment Patrizio Merciai, « The Euro-Siberian Gas Pipeline Dispute – A Compelling

Case for the Adoption of Jurisdictional Codes of Conduct », Maryland Journal of International Law, 1984,

Vol. 8 N°1, 52 pages, Hubert Bonin, « Business interests versus geopolitics: The case of the Siberian pipeline

in the 1980s », Business History, 2007, Vol. 49 N°2, p.235 à 254, Ed A. Hewett, The Pipeline Connection :

Issues for the Alliance, The Brookings Review, Automne 1982, Vol. 1 N°1, p.15 à 20, Gary H. Perlow,

« Taking Peacetime Trade Sanctions to the Limit : The Soviet Pipeline Embargo », Case Western Reserve

Journal of International Law, 1983, Vol. 15, N°2, p.253 à 272, 37

Stanley Hoffman, « L’Europe et les États-

Unis, entre la discorde et l’harmonie », Politique étrangère, 1981, N°3, p.553 à 567

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Les relations russo-ukrainiennes

Toutes les études portant sur les relations entre l’Ukraine et la Russie soulignent la tension

entre les deux pays qui marque profondément les relations après l’indépendance de

l’Ukraine en 1991. Néanmoins, on remarque que dans les premières années, les deux États

tentent de régler leurs différends concernant notamment le statut de la flotte de la mer Noire

et les armes nucléaires soviétiques sur le sol ukrainien par les moyens pacifiques.38

Sous la

présidence de Boris Eltsine, on distingue des efforts venant de la Russie pour normaliser les

relations avec l’Ukraine et tous ses voisins alors que des crises internes, en Tchétchénie

particulièrement, occupent la Russie.39

Paul Kubicek définira la politique étrangère russe

comme imprévisible au lendemain de la dissolution de l’URSS. Tantôt le gouvernement

russe semble désireux de se rapprocher de ses homologues européens, tantôt il préfère

confronter les Occidentaux quant à sa sphère d’influence en Europe de l’Est.40

Entre 1999

et 2004, plusieurs chercheurs s’intéressent à l’attention de plus en plus grande portée par le

Kremlin envers son étranger proche. Oles Smolansky et John Dunlop soulignent que cet

intérêt renouvelé pour les États de l’ex-URSS coïncide avec l’arrivée au pouvoir du

nouveau président Vladimir Poutine.41

Les recherches portant sur cette période étudient

avec inquiétude l’ingérence politique de plus en plus grande de la Russie vis-à-vis de son

voisin ukrainien.42

Entre 2004 et 2010, l’historiographie se concentre beaucoup sur la Révolution orange de

2004 et le gouvernement élu par la suite. Deux courants se distinguent alors; plusieurs

études se concentrent uniquement sur la Révolution orange43

, les causes ayant mené à ce

38

Anne de Tinguy, L’Ukraine, nouvel acteur du jeu international, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 9 39

Gwendolyn Sasse, James Hughes, « Power ideas and conflict : ideology, linkage and leverage in Crimea

and Chechnya », East European Politics, 2016, Vol. 32 N°3, p. 318 40

Paul Kubicek « Russian Foreign Policy and the West », Political Science Quarterly, Vol. 114, N°. 4 (Hiver,

1999-2000), p. 547 41

Oles M. Smolansky « Ukraine and Russia : An Evolving Marriage of Incovenience », Foreign Policy

Research Institute, Hiver 2004, p. 119 42

John B. Dunlop, « Reintegrating Post-Soviet Space » Journal of Democracy, Juillet 2000, Vol. 11 N°3,

p. 39 43

Voir notamment Paul D’Anieri, et all. Orange Revolution and Aftermath : Mobilization, Apathy, and the

State in Ukraine, Woodrow Wilson Center Press, Washington D.C., 2010, 316 pages, Taras Kuzio, « Russian

Policy toward Ukraine during Elections », Demokratizatsiya, automne 2005, Vol. 13 N° 4, p. 491 à 517,

James Sherr, « La Révolution orange : un défi pour l’Ukraine, la Russie et l’Europe », Politique étangère,

Printemps 2005, N°1, p. 9 à 20, Michal Mc Faul, « Ukraine Imports Democracy : External Influences on the

Orange Revolution », International Security, 2007, Vol. 32 N°2, p. 45 à 83

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soulèvement de la société civile ainsi que les conséquences, alors que d’autres chercheurs

tentent d’expliquer cette révolution dans un mouvement plus grand des sociétés civiles qui

se lèvent contre l’ingérence russe ou contre leur gouvernement un peu partout dans les États

de l’ex-URSS.44

Le gouvernement issu de la Révolution orange est très souvent jugé et

critiqué sévèrement. Dans les études les plus récentes, plusieurs spécialistes soutiennent

que l’échec de ce gouvernement a mené à l’élection de Viktor Ianoukovitch et à l’ingérence

grandissante du Kremlin dans l’économie et la politique ukrainienne.45

Cette période est

marquée par de nombreux conflits entre les gouvernements russes et ukrainiens, plusieurs

chercheurs et plusieurs journalistes soulignent dans leurs études et dans leurs articles

notamment les guerres du gaz et les fois où l’Union européenne a dû s’en mêler.46

Les relations se normalisent légèrement sous Ianoukovitch, quoique aucun spécialiste ne

dépeint cette période comme bénéfique pour l’Ukraine. Les manifestations éclatant à la fin

de l’année 2013 amènent les chercheurs à se détourner de l’économie et de la politique pour

se concentrer davantage sur la société civile.47

On analyse ce mouvement civique comme

étant le plus important depuis la Révolution orange, alors que plusieurs études tentent

d’analyser et de comparer les deux mouvements entre eux.48

Depuis le début de la crise en

Ukraine, les études sur les relations entre l’Ukraine et la Russie depuis la désintégration de

l’URSS se multiplient, elles analysent la crise comme étant une continuité et un

aboutissement de mauvaises relations et d’ingérence grandissante d’un voisin très puissant

44

Voir notamment Theodor Tudoroiu, « Rose, Orange, and Tulip : The failed post-Soviet revolutions »,

Communist and Post-Communist Studies, 2007, Vol. 40, p. 315 à 342 45

Concernant le gouvernement de la Révolution orange et le gouvernement Ianoukovitch : Andrew Wilson,

Ukraine Crisis, What it means for the West, Yale University Press, Londres, 2014, 236 pages, Rajan Menon,

Eugene Rumer, Conflict in Ukraine, The unwinding of the Post-Cold War Order, Cambridge, The MIT Press,

2015, 220 pages, Maria Raquel Freire, Roger E. Kenet Russia and it’s Near Neighbours : identity, interests

and foreign policy, Palgrave Macmillan, New York, 2012, 295 pages Serhy Yekelchyk, The Conflit in

Ukraine – What everyone need to know, Oxford University Press, New York, 2015, 186 pages 46

Anne Applebaum « Playing Politics with Pipelines », The Washington Post, 4 janvier 2006 47

Voir notamment Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, L’Ukraine : Entre déchirements et

recompositions, L’Harmattan, Paris, 2015, 211 pages, Galia Ackerman, « Ukraine : les arrières pensées de

Moscou », Politique Internationale, Été 2014, N° 144, Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, Ukraine Between

the EU and Russia, The Integration Challenge, Palgrave Macmillan, New York, 2015, p. 87, Marples,

Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil Revolution, Ibidem Press, Stuttgart,

2015, 292 pages, Andriy Portnov, Tetiana Portnova, « The Ukrainian ‘‘Eurorevolution’’ Dynamics and

Meaning » in Viktor Stepanenko, Yaroslav Pylynskyi (eds), Ukraine after the Euromaidan, Challenges and

hopes, Peter Lang, Berne, 2015, 271 pages 48

Olga Onuch, « Maidans Past and Present : Comparing the Orange Revolution and the Euromaidan » in

David R. Marples, Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil Revolution, Ibidem

Press, Stuttgart, 2015, 292 pages

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dans la politique ukrainienne. Ces dernières études offrent également une base pour notre

analyse des sanctions. Quelques chercheurs incluent un chapitre ou une section à l’analyse

des sanctions, mais cette historiographie est encore légère puisque les sanctions sont tout de

même récentes et la situation toujours en évolution.49

Cette historiographie est absolument

essentielle à notre analyse, car comme les dernières études, notre analyse perçoit la crise en

Ukraine et les sanctions contre la Russie comme une continuité et un aboutissement des

relations russo-ukrainiennes depuis les années 1990.

Corpus de sources

Le corpus utilisé pour notre mémoire se composera de quatre différents types de sources

qui sont complémentaires. Le premier type de sources se trouve à la base de l’analyse. Il

s’agit des documents officiels des organisations internationales; de l’Union européenne et

de l’ONU. Nous utiliserons également beaucoup de statistiques, particulièrement pour le

dernier chapitre où nous tenterons de dégager l’impact des sanctions sur l’économie russe.

Nous utiliserons également des articles de presse, principalement de la presse américaine,

britannique et française. La dernière partie de notre corpus sera composée de sources

publiées, c’est-à-dire de mémoires, de discours et de communiqués de différents hommes

politiques.

Les documents officiels

Les organisations internationales ont dénoncé l’agression armée de la Russie dès son

premier jour. Elles se sont impliquées pour régler le conflit dès le début et rendent

disponibles non seulement un compte rendu de l’évolution de la crise, mais également de

leurs décisions ainsi que des sommets qui se tiennent entre les différents États occidentaux

au sujet du conflit. L’Union européenne a mis en ligne tous les documents concernant ses

décisions par rapport à la crise ainsi que les rapports de toutes les rencontres des différents

49

Voir Andrew Wilson, Ukraine Crisis, What it means for the West, Yale University Press, Londres, 2014,

236 pages, Serhy Yekelchyk, The Conflit in Ukraine – What everyone need to know, Oxford University Press,

New York, 2015, 186 pages, Richard Sakwa, Frontline Ukraine Crisis in the Borderlands, I.B. Tauris,

Londres, 2015, 297 pages, Frédérick Lavoie, Ukraine à Fragmentation, Éditions la Peuplade, Chicoutimi,

2015, 251 pages, Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, Ukraine Between the EU and Russia, The Integration

Challenge, Palgrave Macmillan, New York, 2015, 148 pages

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comités.50

L’OTAN quant à elle n’a pris aucune décision, mais elle encourage tous ses

membres à aligner leurs politiques sur celles de l’Union européenne. Les États ne faisant

pas partie de l’UE, c’est-à-dire le Canada et les États-Unis, ont, quant à eux, pris leurs

propres mesures, et les sanctions appliquées par ces deux pays demeurent en vigueur

jusqu’à ce qu’un changement drastique du comportement de la Russie s’effectue. À défaut

d’adopter des mesures au nom de tous ses membres, l’OTAN va publier des articles ainsi

que des statistiques afin d’évaluer la portée et les impacts des sanctions, adoptées par ses

membres européens et américains depuis 2014, sur l’économie russe.51

Au sein de l’Union européenne, les décisions concernant les sanctions sont prises par le

Conseil de l’Union européenne, qui est un organe exécutif, législatif, ainsi que l’un des

organes les plus importants de l’Union. Deux autres conseils élaborent des projets de

sanctions avant de les soumettre au Conseil de l’Union européenne. Il s’agit du Conseil des

affaires étrangères qui rassemble les ministres des Affaires étrangères de tous les États

membres de l’Union européenne, ainsi que du Conseil européen qui rassemble les chefs

d’état des États membres. Le Conseil européen n’est pas un organe législatif ou exécutif, il

s’occupe cependant de l’orientation des politiques de l’Union européenne et suggère parfois

des projets au Conseil de l’Union européenne. Le Conseil des affaires étrangères fait quant

à lui partie d’un des dix comités du Conseil de l’Union européenne. Gérer la politique

étrangère, la défense, et la sécurité de l’Union sont d’ailleurs des objectifs de ce comité.

Comme il n’y a pas de hiérarchie parmi les différents comités du Conseil de l’Union

européenne, le Conseil des affaires étrangères peut adopter des résolutions au nom du

Conseil, notamment en ce qui a trait aux sanctions vis-à-vis d’un État.52

Ces documents composent le point de départ de notre recherche. Dans ces documents, nous

retrouvons l’ensemble des sanctions et le calendrier de leur application. Ils remplissent une

fonction utilitaire essentielle, mais ne feront pas l’objet d’une analyse plus poussée. Cette

partie du corpus ne permet pas une analyse complète, mais permet néanmoins de répondre

50

Les documents sont tous disponibles sur le site internet de l’Union européenne. Consultez notamment le

site suivant pour la liste exhaustive des mesures et des sanctions prises par l’UE au sujet de la crise en

Ukraine. http://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/ukraine-crisis/history-ukraine-crisis/ 51

OTAN, Annexion de la Crimée : les sanctions sont-elles efficaces? 13 juillet 2015,

http://www.nato.int/docu/review/2015/Russia/sanctions-after-crimea-have-they-worked/FR/index.htm 52

Voir Annexe I - organigramme des institutions consultatives, législatives et exécutives de l’Union

européenne

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16

partiellement à notre question de recherche. Dans quelle mesure pouvons-nous évaluer

l’efficacité d’une sanction uniquement en nous basant sur les décisions? Dans le cas qui

nous concerne, l’évolution des sanctions depuis les deux dernières années permet de

comprendre que les premières n’ont pas eu les résultats escomptés. En effet, les sanctions

imposées initialement étaient davantage diplomatiques et symboliques.53

Cependant, à

partir des mois de juillet et d’aout 2014, les sanctions se diversifient, ciblent davantage

l’économie, touchent de plus en plus de personnes et d’entités, et deviennent de plus en

plus intransigeantes. L’exportation d’armes, de matériel militaire, et de technologies

pouvant servir au développement du secteur de l’énergie – les hydrocarbures

principalement – est notamment interdite. Les investissements étrangers dans ces domaines

clés sont également prohibés.54

Les statistiques

Les statistiques seront à la base de l’analyse portant sur l’efficacité des sanctions.

Principalement utilisées dans le dernier chapitre, les données des organisations

internationales dont nous nous servirons sont tirées d’Eurostat, l’Office statistique de

l’Union européenne, de la United Nations Statistics Division de l’ONU, ainsi que de la

Banque mondiale. Nous aurons également recours aux données de Statistique Canada, du

State Statistics Service of Ukraine et de la Banque centrale de Russie. Ces statistiques nous

permettront d’avoir un portrait global des secteurs de l’économie russe touchés par les

sanctions. Nous nous intéresserons particulièrement aux investissements étrangers55

des

différents États de l’Union européenne en Russie ainsi que certains alliés comme le Canada

et les États-Unis. Nous serons alors en mesure de calculer les pertes subies par la Russie

depuis le début de la crise et des sanctions. Les données de l’ONU nous permettront quant à

elles de calculer les sommes perdues à la suite de la chute du cours du pétrole. L’économie

russe ne doit actuellement pas faire face uniquement à un régime de sanctions, mais

53

Voir entre autres Ria Novosti, APCE : la Russie privée de son droit de vote, 10 avril 2014

http://fr.ria.ru/world/20140410/200945008.html et Ria Novosti, Pologne : le chef du Bureau de sécurité

nationale annule sa visite en Russie, 4 avril 2014 http://fr.ria.ru/world/20140404/200909023.html 54

Conseil de l’Union européenne, Mesures restrictives de l'UE eu égard à la situation dans l'est de l'Ukraine

et à l'annexion illégale de la Crimée, Bruxelles, 29 juillet 2014 55

Nous utiliserons les investissements étrangers directs pour connaitre les valeurs totales investies par chaque

État dans différents secteurs de l’économie russe ainsi que les variations depuis le début de la crise par rapport

aux investissements avant la crise. Les données les plus récentes sont celles de 2015.

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également à la chute des prix des hydrocarbures qui représentent plus de 65 % des

exportations.56

En ce qui a trait aux exportations d’armes et aux revenus générés par ce

secteur, nous utiliserons les données du Stockholm International Peace Research Institute

(SIPRI), un institut international indépendant qui concentre ses recherches sur les conflits,

l’armement et le désarmement. Ces données nous permettront de connaitre les acheteurs

d’armes et de technologies militaires russes, ainsi que les gains générés par ce commerce.

Un autre type de statistiques sera également utilisé pour tenter d’analyser les positions de la

société civile russe et ukrainienne. Les centres de recherches indépendants comme le

Levada Center de Moscou et le Razumkov Center de Kiev sondent souvent l’opinion

publique quant aux évènements ou aux décisions politiques. Ces données permettent de

connaitre l’opinion de la société civile russe par rapport aux sanctions, au conflit en

Ukraine de l’Est, à l’annexion de la Crimée, à la situation économique, et à sa satisfaction

globale à l’égard de son gouvernement. Nous utiliserons ces données particulièrement dans

le dernier chapitre pour analyser la réaction des sociétés civiles russes et ukrainiennes et les

impacts qu’elles peuvent avoir sur le pouvoir politique en place et le succès des sanctions.

Les journaux

La troisième partie de notre corpus sera composée de journaux américains, français, et

britanniques. La production journalistique est plus qu’abondante et c’est pour cette raison

que nous nous concentrons principalement sur les grands quotidiens ainsi que certains

auteurs. Le premier journal utilisé sera le New York Times. Grâce à sa place importante

dans la ville cosmopolite qu’est New York, la demande pour les nouvelles internationales

est de plus en plus importante après la Première Guerre mondiale. En plus d’être parmi les

plus grands périodiques américains, les nouvelles internationales occupent une place

importante depuis cette période de l’entre-deux-guerres. Le second journal sera le

Washington Post. Nous nous intéressons principalement aux articles d’Anne Applebaum,

journaliste spécialiste de l’Europe de l’Est et du monde communiste. Nous utiliserons

également des grands quotidiens français, essentiellement Le Monde et le Figaro. Dans Le

Monde, les dossiers spécialisés du Monde Économie sont particulièrement intéressants

56

United Nations Conference on Trade and Development, General Profil : Russian Federation, Informations

for 2015, 9 décembre 2016, http://unctadstat.unctad.org

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quand ils analysent brièvement l’évolution de l’économie russe depuis le début de

l’application des sanctions en 2014.

Les sources publiées

Finalement, nous utiliserons également des sources publiées, principalement des mémoires

et des discours. Pour le premier chapitre de notre étude, nous utiliserons les mémoires du

président Jimmy Carter, du conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski et du

secrétaire d’État Cyrus Vance pour connaitre et analyser la position américaine par rapport

aux sanctions post-Afghanistan. Nous utiliserons également les mémoires d’Helmut

Schmidt et de quelques hommes politiques britanniques pour avoir le point de vue européen

sur la question. Nous utiliserons également quelques discours de Jimmy Carter pour ce

même chapitre. En ce qui concerne les sections concernant l’Ukraine, nous utiliserons les

discours de Valdimir Poutine lui-même ainsi que des hommes politiques russes au pouvoir.

Les mémoires ont tous été publiés en français ou en anglais, alors que les discours sont tous

disponibles en ligne, principalement en anglais.

Méthodologie

La méthode privilégiée pour répondre à notre problématique fut l’analyse quantitative.

Cette méthode nous permet d’obtenir des données statistiques qui seront à la base de notre

analyse. Ces données permettent d’appuyer notre analyse et de conclure à certains faits. Il

va de soi que l’analyse va bien au-delà des chiffres tirés des statistiques, ils serviront à

confirmer ou à infirmer l’impact espéré des sanctions sur l’économie russe. Dans tous les

cas, ils permettront de connaitre la portée réelle d’une sanction et ses limites.57

L’analyse

quantitative sera utilisée principalement dans le dernier chapitre dédié entièrement à

l’analyse des sanctions. Pour l’élaboration des trois premiers chapitres, la méthode retenue

fut toutefois l’analyse de contenu. Cette méthode prétend analyser le contenu de nos

références et de nos sources dans la plus grande objectivité pour rendre une analyse

impartiale et juste.58

57

Olivier Martin, « Analyse quantitative », in Paugam Serge (dir.), Les 100 mots de la sociologie, Paris,

Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? »,109 pages 58

Marc Alain Descamps, l’Analyse de contenu, page consultée le 28 mars 2017,

http://www.europsy.org/marc-alain/analysecontenu.html

Page 27: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

19

Notre analyse se base d’abord sur une historiographie scientifique complète portant sur les

sanctions économiques comme instrument de diplomatie, mais également sur un cas

particulier de sanctions imposées contre l’URSS après la violation de l’intégrité territoriale

de l’Afghanistan en 1979. Le régime de sanctions imposé par les États-Unis après cette

invasion nous permettra de comparer ce régime avec celui actuellement en place contre la

Russie. Nous baserons notre analyse autour des facteurs qui ont limité l’impact de ces

sanctions ainsi que les moyens pris par l’Union soviétique pour minimiser le plus possible

leurs effets.

Une part importante de notre analyse est basée sur des statistiques économiques provenant

de plusieurs bases de données. L’élaboration de tableaux permet quand à elle une analyse

plus facile pour l’ensemble des données. Nous avons d’abord sélectionné les

investissements étrangers des États de l’Union européenne, des États-Unis et du Canada.

Nous avons dressé un tableau pour connaitre la différence dans les investissements

étrangers, avant et depuis l’imposition des sanctions. Nous avons également dressé des

tableaux afin d’analyser le commerce des armes et du matériel militaire entre la Russie et

d’autres États, avant et depuis l’imposition des sanctions. Pour ces tableaux, nous avons eu

recours aux données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) ainsi que

du United Nations Commodity Trade Statistics Database. Les données de l’ONU ont

également servi à l’élaboration des tableaux sur les importations et les exportations de la

Russie avant et depuis l’imposition des sanctions, ainsi que pour connaitre les pertes

monétaires encourues depuis la chute du prix du baril de pétrole. Les hydrocarbures

représentent une part importante des exportations russes et les estimations budgétaires ont

été faites avec un baril se détaillant à 50 $ USD alors que depuis quelques années, le baril

de pétrole varie entre 30 $ USD et 50 $ USD. Pour connaitre le réel impact des sanctions, il

est donc primordial de différencier les pertes encourues en raison des sanctions et les pertes

encourues en raison de la chute du prix du baril de pétrole. Nous avons également suivi le

cours du rouble depuis 2013 et suivi sa dévaluation depuis le début des sanctions, ainsi que

le cours de l’inflation et du chômage à l’aide des données de la Banque mondiale et du

Fonds monétaire international. Ces statistiques sont également disponibles via la Banque

centrale de la Fédération de Russie, mais les données diffèrent. Une partie de notre analyse

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20

se concentrera sur ces différences, mais nous utiliserons principalement les statistiques des

organisations internationales, comme certains pays – la Grèce ou encore l’Italie – ont par le

passé embelli leurs états financiers.59

Plan du mémoire

Afin de répondre à notre problématique s’intéressant à l’efficacité des sanctions imposées à

la Russie par l’Union européenne en raison de la crise en Ukraine, nous élaborerons notre

argument en quatre chapitres. Le premier chapitre se concentrera sur le régime de sanctions

imposé à l’URSS à la suite de l’invasion de l’Afghanistan au mois de décembre 1979. Nous

débuterons par une contextualisation de l’invasion de l’Afghanistan. Nous analyserons par

la suite la réaction de la communauté internationale et la condamnation de l’invasion par les

Nations Unies. En comparaison, nous analyserons la réaction des États-Unis sous la

présidence de Jimmy Carter ainsi que les différents points de vue des hommes politiques

américains. Par la suite, nous nous intéresserons à la mise en place du régime des sanctions

et aux problèmes rencontrés dès l’application de ces sanctions. Nous terminerons par

l’analyse de la communauté européenne ainsi que son implication dans l’application des

sanctions. Finalement, la conclusion portera sur le résultat des sanctions ainsi que sur la fin

du conflit.

Dans le deuxième chapitre, nous nous intéresserons aux relations entre la Russie et

l’Ukraine, de 1991 à 2013. La première partie portera sur les relations entre les deux États

sous la présidence de Boris Eltsine, sur les différends concernant la dépendance

économique de Kiev vis-à-vis de Moscou, le statut de la flotte de la mer Noire stationnée à

Sébastopol, le transfert des armes soviétiques sur le territoire ukrainien vers la Russie ainsi

que le mouvement indépendantiste de Crimée. Nous poursuivrons ensuite sur l’évolution

des relations lors de l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine ainsi que lors de son premier

mandat qui se soldera par la Révolution orange en 2004 et la manifestation évidente du

mécontentement de la société civile ukrainienne quant à l’ingérence russe dans le processus

électoral. Dans la dernière partie, nous analyserons les complications rencontrées par le

59

Claire Gatinois, Marion Van Renterghem, « La Grèce au bal des hypocrites », Le Monde, 19 février 2010

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21

président Poutine avec le gouvernement issu de la Révolution orange, dont l’échec mènera

ultimement Viktor Ianoukovitch à la présidence en 2010. Les relations demeureront

tendues, malgré l’éloignement de l’Ukraine des organisations internationales occidentales.

Nous terminerons par l’analyse de la présidence de Ianoukovitch, notamment sur ses

nombreuses erreurs qui mènent aux manifestations sur le Maïdan qui débutent en

novembre 2013.

Le troisième chapitre portera spécifiquement sur la période allant du mois de

novembre 2013 à 2017. Dans un premier temps, nous expliquerons comment le sommet de

Vilnius agit comme élément déclencheur et comme catalyseur pour le soulèvement de la

société civile. Par la suite, nous nous attarderons au mouvement du Maïdan, sa constitution,

ses revendications, et son passage de manifestations pacifiques à mouvement engagé et aux

affrontements armés. Nous analyserons ensuite la crise de manière chronologique, les

réactions du gouvernement Ianoukovitch face au mouvement Maïdan, la destitution du

président et sa fuite vers la Russie, l’invasion de la Crimée par les soldats russes, sa

déclaration d’indépendance, et son annexion par la Russie. Nous poursuivrons notre

analyse avec les évènements en Ukraine de l’Est, le début des manifestations, l’appui

militaire et matériel russe, l’attaque du vol de la Malaysia Airlines, ainsi que les réactions

de la communauté internationale. Nous terminerons en comparant les situations en Crimée

et dans l’est du pays et en analysant les objectifs de la Russie dans ce genre de conflit.

Dans le dernier chapitre, nous nous concentrerons sur l’élaboration, la mise en place des

sanctions par l’Union européenne ainsi que sur leurs conséquences et résultats. Nous nous

attarderons tout d’abord sur les différentes sanctions imposées ainsi que leurs effets sur

l’économie russe. Nous poursuivrons avec une analyse de l’efficacité des sanctions selon

certains facteurs principaux que nous comparerons avec l’historiographie qui nous révèle

quels sont les facteurs pouvant favoriser l’échec d’un régime de sanctions et quels sont les

facteurs pouvant favoriser le succès d’un régime de sanctions. Nous baserons notre analyse

sur les investissements étrangers, les importations et les exportations d’armes, de gaz et

d’hydrocarbure ainsi que sur certains indicateurs économiques généraux comme le PIB,

l’inflation, le chômage, le cours du rouble, etc. Nous traiterons ensuite du lobbyisme anti-

sanction au sein de l’Union européenne, ainsi que des moyens pris par la Russie pour

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22

limiter le plus possible les effets négatifs des sanctions, notamment en optant pour un

tournant proasiatique dans ses politiques économiques.

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23

CHAPITRE 1 – LES SANCTIONS IMPOSÉES À L’URSS APRÈS

L’INVASION D’AFGHANISTAN (1979-1988)

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe occidentale est en crise économique alors

que les Soviétiques font pression politiquement sur des États comme la Grèce et la Turquie.

Les États-Unis semblent se retirer progressivement alors que l’influence des partis

communistes grandit. Staline espère ainsi être en mesure de contrôler non seulement les

États de l’Est reconquis aux nazis, mais également les États de l’Ouest par l’entremise de

ces partis communistes.60

Il doit cependant changer de tactique lorsque les États-Unis

présentent la Doctrine Truman, par laquelle le président américain souhaite apporter une

aide économique et financière aux États d’Europe occidentale afin de maintenir la stabilité

politique et économique, permettant ainsi à ces États de résister aux poussées

expansionnistes de l’URSS. Le Plan Marshall pour le redressement économique de

l’Europe est élaboré et présenté aux États de l’Europe de l’Est, de l’Ouest ainsi qu’à

l’URSS en avril 1947.61

À peine quelques mois après l’annonce du Plan Marshall, l’URSS

élabore la Doctrine Jdanov, offrant un support économique aux États de l’Europe de l’Est,

afin d’empêcher ces États de recevoir l’aide américaine. Les dirigeants soviétiques créent

également le Kominform, une organisation internationale dont l’objectif est de contrôler et

de coordonner les politiques des partis communistes à travers le monde.62

Les premières crises de la Guerre froide ont lieu en 1948, avec le Coup de Prague et le

blocus de Berlin, alors que Staline démontre aux Occidentaux sa volonté d’étendre son

pouvoir sur les États d’Europe. En Tchécoslovaquie, après la démission massive des

députés, les dirigeants soviétiques font pression pour placer au pouvoir un gouvernement

formé de députés socialistes et communistes.63

En 1947, les alliés créent la trizone, divisant

ainsi l’Allemagne en deux. Les Soviétiques qui souhaitaient une Allemagne unie – avec un

gouvernement socialiste – s’opposent à cette idée et instaure en juin 1948 le blocus de

60

David Reynolds, The Origins of the Cold war in Europe, International perspectives, Yale University Press,

London, 1994, p. 4 61

Georges-Henri Soutu, La guerre de Cinquante Ans : Les relations Est-Ouest 1943 – 1990, Paris, Fayard,

2001, p. 164 et 176 62

Ibid, p. 183 63

Op. Cit. David Reynolds, p. 60

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24

Berlin – en bloquant tous les accès routiers et ferroviaires de Berlin-Est et de Berlin-Ouest

– afin de démontrer leur opposition à cette division de l’Allemagne. Ce blocus sera

toutefois un échec, car les États-Unis et leurs alliés mettent en place un pont aérien –

opération qui coutera la vie à 73 pilotes alliés – qui permet d’approvisionner Berlin-Ouest.

Pendant les 11 mois du blocus, les alliés réussissent à transporter 2,3 millions de tonnes de

nourriture par plus de 277 500 vols. Le blocus sera levé en mai 1949 faute de résultats

concluants.64

En 1950, Staline supporte également la Corée du Nord qui s’oppose à la

Corée du Sud, soutenue par les États-Unis. Jusqu’à sa mort, il entretiendra ce projet

d’expansion en Europe, et de confrontation avec les États-Unis par l’entremise d’alliés.65

Après la mort de Staline, les nouveaux dirigeants soviétiques semblent enclins à négocier

avec les États-Unis peu réceptifs. Il s’agit d’une opportunité manquée de détendre les

relations alors que les Soviétiques entament la déstalinisation progressive de l’URSS. Dès

lors, il semble que l’Union soviétique se concentre davantage sur la défense de son glacis

de protection que sur son expansion en Europe occidentale.66

Les relations vont cependant

se dégrader à partir de 1958, lorsque Nikita Khrouchtchev, alors à la tête de l’URSS,

demande aux alliés de se retirer de Berlin-Ouest. À la suite du refus des alliés,

Khrouchtchev réitère sa demande pendant trois ans, Eisenhower, puis Kennedy refusant

toujours, l’idée d’un mur est élaborée en 1961 afin de stopper l’immigration de Berlin-Est

vers Berlin-Ouest, et le mur est érigé à partir du 13 aout de la même année.67

En 1962, les

relations se dégradent encore davantage lorsque les Soviétiques installent des missiles de

moyenne portée à Cuba. Ces missiles ayant des têtes nucléaires permettent non seulement

de défendre l’ile contre une éventuelle attaque américaine, mais ils permettent également de

rétablir l’équilibre des forces. Lors des négociations pour le retrait de ces missiles, les

dirigeants soviétiques exigent en contrepartie, le retrait des missiles américains de la

Turquie. À la suite de cette crise, les États-Unis et l’URSS décident d’installer une hotline

et d’entamer des négociations pour limiter les armes nucléaires. Les dernières années au

64

Tony Judt, Post War : A History of Europe Since 1945, New York, Pengouin Books, 2005, p.146 65

Odd Arne Westad, La guerre froide globale, Payot, Paris, 2005, p. 55 66

Vladislav Zubok, Constantine Pleshakov, « The Soviet Union » in David Reynolds, The Origins of the Cold

war in Europe, International perspectives, Yale University Press, London, 1994, p. 69 67

Op. Cit. Tony Judt, p. 251

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pouvoir de Khrouchtchev sont caractérisées par l’instauration d’une coexistence pacifique,

une détente dans les relations entre les deux États.68

Entre 1964 et 1968, lorsque Léonid Brejnev, beaucoup plus conservateur que son

prédécesseur, prend le pouvoir, les relations se compliquent avec une nouvelle course aux

armements, la guerre des Six Jours, la guerre du Vietnam, le Printemps de Prague. Pendant

toutes ces campagnes, Brejnev démontre qu’il est prêt à utiliser la force afin de promouvoir

et de préserver les intérêts soviétiques à travers le monde. Il démontre également sa volonté

de s’opposer aux États-Unis qui – selon Moscou – tentent d’étendre leur hégémonie sur

tous les continents.69

La situation changera toutefois en 1968 pendant la guerre du Vietnam

qui pèse sur les finances américaines, tout en étant impopulaire chez la majorité des alliés

des États-Unis. Après près de 20 ans de Guerre froide, les États-Unis et les Soviétiques

semblent dès lors soucieux de « remédier au désordre mondial »70

et convaincus que la

coopération entre les superpuissances ne serait que bénéfique pour les deux États. En

décembre 1968, Léonid Brejnev soulignait, dans un discours devant le Comité central de

l’Union soviétique que la technologie était absolument nécessaire au développement et à la

croissance économique de l’URSS, alors que les Occidentaux avaient une énorme avance

dans le domaine.71

Aux États-Unis, le concept d’une détente émerge également dans les

années 1960 alors que des hommes tels que John F. Kennedy ou encore Dwight

Eisenhower affirment qu’une collaboration doit s’établir entre les États-Unis et l’Union

soviétique pour garantir la sécurité mondiale.

Une proposition sera donc portée en 1969 par Richard Nixon, nouveau président des États-

Unis devant le 11e Congrès, pour ouvrir des négociations avec les pays socialistes dans une

conférence pour la Sécurité européenne.72

La coexistence pacifique se définit par la

normalisation des relations entre des États ainsi que par la coopération et la collaboration,

68

Op. Cit. Georges-Henri Soutu, p. 436 69

Op. Cit. Tony Judt, p. 446 70

Op. Cit. Odd Arne Westad, p. 197 71

Dale C. Copeland, « Trade expectations and the outbreak of peace : Détente 1970-74 and the end of the

Cold War 1985-91 » Security Studies, 1999, Vol. 9 N°1-2, p. 28 72

Jerzy Pawlowicz, « The concept of détente and peaceful coexistance » World Futures, 1988, Vol. 24 N°1-4,

p. 140

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26

notamment économique, pour mettre fin aux tensions existantes.73

À Washington, le

président Nixon espère qu’une collaboration économique et de nombreux échanges

commerciaux suffiront pour que les Soviétiques acceptent de coopérer sur la scène

internationale, en réduisant notamment leur production d’armes et en aidant les Américains

à mettre fin à la guerre du Vietnam. Pour Henry Kissinger, alors conseiller à la défense

nationale des États-Unis, de forts liens économiques avec Moscou permettraient aux

Soviétiques de voir non seulement des bénéfices dans cette détente, mais également le prix

à payer s’ils orientent leurs politiques à nouveau vers la confrontation.74

À Moscou,

nombreux sont les membres du Politburo qui supportent cette possibilité de détente. Le

ministre des Affaires étrangères Andrei Gromyko et le chef du Comité pour la Sécurité de

l’État (KGB) Yuri Andropov estiment qu’il sera beaucoup plus facile pour l’Union

soviétique de consolider ses positions à l’international dans un climat de paix.75

Le 24 octobre 1970, l’Assemblée générale de l’ONU adopte ainsi la Déclaration relative

aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre

les États conformément à la Charte des Nations Unies (A/RES/25/2625), dans laquelle on

stipule que les États n’utiliseront pas la force et n’interviendront pas inutilement contre

d’autres États, que les États doivent collaborer et coopérer pour le maintien de la paix et

que toutes les nations souveraines sont égales entre elles.76

Suivant cette déclaration, les

États-Unis et l’Union soviétique signeront une série d’accords renforçant leurs liens

commerciaux et économiques. Ainsi, en novembre 1971, un accord pour l’achat de grain

d’une valeur de 136 millions de dollars américains sera signé ainsi que plusieurs contrats

entre les firmes américaines et les firmes soviétiques, totalisant une valeur de 125 millions

de dollars américains. Ces contrats furent tous appuyés par le secrétaire du Commerce

Maurice Stans. En février 1972, des licences pour la manufacture de véhicules furent

également accordées, pour une somme d’environ 400 millions de dollars américains.77

En

73

Ibid, p. 137 74

Op. Cit. Dale C. Copeland, p. 29 75

Vladislav Zubok, « The Soviet Union and détente of the 1970s » Cold War History, 2008, Vol. 8 N°4,

p. 428 76

Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 2625 Déclaration relative aux principes du droit

international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des

Nations Unies (A/RES/25/2625) Sixième Session extraordinaire d’urgence, 25ème

session de la 6e commission

plénière, 24 octobre 1970 77

Op. Cit. Dale C. Copeland, p. 29

Page 35: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

27

échange, Brejnev fit pression sur ses homologues vietnamiens pour suspendre les attaques

sur le sud du pays en retardant la livraison d’armes et de matériel militaire. L’appui de

l’URSS pour le règlement de la guerre du Vietnam mena aux accords de Paris en janvier

1973 et le président Nixon fût alors convaincu que la collaboration commerciale réussit à

modérer le comportement des Soviétiques sur la scène internationale.78

La situation se compliqua toutefois avec le scandale du Watergate de 1972 à 1974. En effet,

avec les nombreuses accusations portées contre le président et son entourage pour des

pratiques de campagnes frauduleuses et d’espionnage, plusieurs voix dissidentes

s’attaquèrent aux politiques de Nixon, celles concernant les relations avec les pays

socialistes n’y échappant pas.79

Les contrats et les prêts accordés à l’Union soviétique pour

l’achat de technologies américaines furent réduits un à un. En décembre 1974, les

Soviétiques réinstaurent alors les livraisons d’armes vers le nord du Vietnam ainsi que vers

les dissidents gauchistes angolais.80

L’élection du président Jimmy Carter, la fin de la détente et l’invasion de

l’Afghanistan (1975-1979)

Avec l’élection de Jimmy Carter comme président en 1975, les relations avec l’URSS se

compliquent encore davantage. Le président Carter milite pour les droits de l’homme et

avertit les Soviétiques que sa politique étrangère envers l’Est sera définie par leur volonté

de supporter les droits de l’homme qu’ils croient bafoués en Union soviétique. Pour des

hommes politiques comme Gromyko, il s’agit d’une tentative d’ingérence américaine dans

les affaires internes de l’URSS. Harold Brown, alors secrétaire à la défense défend cette

position en affirmant que les Soviétiques n’ont pas respecté la détente, que malgré leur

ratification du traité SALT I, ils ont continué leur course à l’armement. Il dira ainsi devant

le Congrès en 1979 « when we build weapons, they build; when we stop, they nevertheless

78

Ibid, p. 32 79

Michael Schudson, « Notes on Scandal and the Watergate Legacy » American Behaviour Scientist, 2004,

Vol. 47 N°9, p. 1232 80

Op. Cit. Dale C. Copeland, p. 39

Page 36: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

28

continue to build »81

. Entre 1976 et 1979, les Soviétiques réorientent leurs politiques en

déployant notamment des missiles SS-18 et SS-20 en Europe de l’Est et en soutenant des

mouvements dissidents dans le tiers-monde, notamment en Angola en 1975 et en Éthiopie

en 1977.82

Les Soviétiques n’ont pas officiellement renoncé à la détente, mais comme les

Américains n’ont pas respecté l’entièreté des contrats et des accords signés sous la

présidence de Nixon, Brejnev consent à démontrer son mécontentement d’une manière qui

fera réaliser aux États-Unis qu’ils ont aussi intérêt à préserver la coexistence pacifique

établie entre les États socialistes et l’Occident. L’invasion de l’Afghanistan marquera

cependant définitivement la fin de la détente entre les deux États.

Au début du mois de décembre 1979, les services de renseignements américains signalent

que les Soviétiques massent des troupes près de la frontière afghane, mais ce premier avis

sera plus ou moins ignoré par les autorités qui se concentrent davantage sur l’Iran et la prise

d’otages à Téhéran.83

C’est donc avec surprise que la communauté internationale est

informée de l’invasion soviétique de l’Afghanistan le 25 décembre 1979. Depuis le coup

d’État perpétré par Hafizullah Amin et Nour Mohammad Taraki en avril 1978, le nouveau

régime rencontre de plus en plus de résistance, particulièrement à partir de l’hiver 1978-

1979. La tension est palpable un peu partout dans le pays et l’armée de conscrits ne

parvient pas à contenir les résistances. Plusieurs fois lors de l’année 1979 (entre 14 et 18

fois selon les différentes sources) les autorités afghanes demandent l’aide des Soviétiques

ainsi qu’une intervention militaire.84

Le 25 décembre, le gouvernement afghan approuve

donc l’intervention soviétique dans le pays. Ce que le gouvernement n’a cependant

certainement pas approuvé, c’est l’opération Tempête qui consistait en un assaut sur le

Palais Tajbeg et le remplacement d’Amin au pouvoir par Babrak Karmal, l’ambassadeur

afghan en Tchécoslovaquie.85

81

Thomas M. Nichols « Carter and the Soviets: The Origins of the US Return to a Strategy of Confrontation »

Diplomacy & Statecraft, 2002, Vol. 13 N°2, p. 27 82

National Security Agency Archives, Interview with President Jimmy Carter, 1980,

http://nsarchive.gwu.edu/coldwar/interviews/episode-18/carter4.html 83

Nour Ahmad Nazim, La situation en Afghanistan, son règlement politique et les efforts de paix des Nations

Unies (1978-1989), Helbing & Lichtenhahn, coll. Neuchâteloise, Bâle, 2003, p. 119 84

Raymond L. Garthoff, Détente and Confrontation, American-Soviet Relations from Nixon to Reagan, The

Brookings Institution, Waghington D.C. 1994, p. 1043 85

Peggy L. Falkenheim, « Post Afghanistan Sanctions » in The Utility of International Economic Sanctions,

Croom Helm, New South Wales, 1987, p. 105

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Comme les Soviétiques étaient invités par le régime, l’armée ne rencontra aucune

résistance dans le pays, les seuls combats eurent lieu contre la garde personnelle du

président Amin lors de la prise de son palais présidentiel.86

Amin est remplacé par Karmal,

car celui-ci semble être plus loyal à Moscou qu’Amin ne l’était. Les Soviétiques craignent

que s’ils n’interviennent pas, le régime puisse vouloir se tourner vers les États-Unis comme

d’autres l’ont fait, notamment le président Égyptien Sadat et le général Somalien Siad.87

Un

État plus ou moins hostile au Kremlin aux frontières de l’URSS serait un désavantage

majeur pour l’Union soviétique. Un président plus favorable aux bonnes relations entre les

deux États et aux régimes marxistes sera donc mis en place. Lorsque Karmal arrive à

Kaboul à bord d’un avion soviétique, Amin a déjà été exécuté et la sécurité de Karmal est

assurée par l’armée.88

À plusieurs reprises pendant la Guerre froide, l’Union soviétique participera ou soutiendra

des conflits dans différentes régions du monde; au tiers-monde dans les années 1970,

pendant la guerre entre l’Inde et le Pakistan en 1971, en Angola, en Éthiopie, au

Cambodge, à Cuba, etc. Cependant, la campagne d’Afghanistan représente un tournant

majeur puisque pour la première fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale,

l’URSS emploie la force militaire contre un État ne faisant pas partie du pacte de

Varsovie.89

Cette agression suscitera de vives réactions, notamment de l’administration

Carter à Washington qui proposera des mesures sévères pour punir l’Union soviétique de

ses agissements. À l’ONU, les réactions seront plus nuancées; si la communauté

internationale demande par majorité le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, peu

nombreux sont les États qui sont prêts à prendre des mesures pour forcer ce retrait. Les

États-Unis tenteront toutefois d’influencer leurs alliés pour tenter de maintenir une pression

sur le Kremlin. La réaction de la communauté internationale et particulièrement des alliés

occidentaux des États-Unis aura un impact considérable sur le régime de sanctions mis en

place au lendemain de l’invasion.

86

Op. Cit. Raymond L. Garthoff, p. 1020 87

Ibid, p. 1030 88

Department of State United States of America, Our Assessment of Recent Events in Afghanistan,

28 décembre 1979 89

James D. J. Brown « Oil Fueled? The Soviet Invasion of Afghanistan » Post-Soviet Affairs, 2013, Vol. 29

N°1, p. 57

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30

L’Europe et les États-Unis condamnent l’invasion soviétique à l’ONU

« Le 14 janvier 1980, l’Assemblée générale de l’ONU adopte par 104 voix contre 18 et

18 abstentions une résolution demandant le retrait immédiat, inconditionnel et total de

toutes les troupes étrangères d’Afghanistan. »90

La question est largement discutée et les

États ne s’entendent pas tous sur la légitimité de la résolution des Nations Unies. L’URSS

affirmera qu’il ne s’agit pas d’une agression, comme ce sont les autorités afghanes qui ont

demandé une assistance militaire et qu’il ne s’agit pas d’une menace à la paix et à la

sécurité internationale, mais bien de relations bilatérales entre deux États.91

Le nouveau

régime afghan fait également pression sur le Conseil de Sécurité avant le vote de

l’Assemblée pour que la question de l’Afghanistan ne soit pas davantage étudiée. Le

ministre des Affaires étrangères Shah Mohammad Dost maintient qu’il s’agit d’une

ingérence de la communauté internationale dans les affaires intérieures de l’Afghanistan.92

Cette proposition sera appuyée par d’autres États, sans surprise ceux faisant partie du pacte

de Varsovie, comme la République démocratique allemande, la Pologne, la

Tchécoslovaquie et la Bulgarie, et par d’autres États communistes comme le Laos et le

Vietnam.93

D’autres États comme le Madagascar affirment que, comme l’Afghanistan a dit

ne pas vouloir que l’ONU étudie la question, le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale

n’auraient pas dû poursuivre les démarches.94

À l’inverse, plusieurs États comme le

Guatemala, la Grèce, le Suriname, la Tanzanie, les États-Unis, la Norvège, le Japon,

l’Arabie saoudite, la Nouvelle-Zélande et le Canada sont d’avis que c’est la responsabilité

du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale d’œuvrer pour le maintien de la paix

partout dans le monde et que l’intervention soviétique en Afghanistan était une menace

directe à la sécurité internationale.95

Si l’invasion est contestable, « en renversant le

gouvernement de l’époque et en imposant à l’Afghanistan celui de Karmal, l’URSS a violé

l’indépendance politique de l’État afghan ainsi que le droit à l’autodétermination du peuple

90

Éric Bachelier, L’Afghanistan en guerre, la fin du grand jeu soviétique, Presses Universitaires de Lyon,

coll. Conflits contemporains, Lyon, 1992, p. 36 91

Op. Cit. Nour Ahmad Nazim, p. 167 92

Ibid, p. 178 93

Ibid, p. 192 94

Service de l’information de l’Organisation des Nations Unies, ONU Chroniques mensuelles, Mars 1980,

Vol.17 N°2, p. 6 95

Ibid, p. 8 à 19

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afghan. Il s’agit d’une violation flagrante et sans équivoque de l’article 2, § 4, de la Charte

des Nations Unies et d’une règle impérative du droit international interdisant l’agression

armée. »96

Selon cette Charte, lors d’une agression, ou lors d’un acte qui menace la paix, Le Conseil

de sécurité peut décider quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée

doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des

Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l'interruption

complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires,

maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de

communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques.97

La résolution de

l’Assemblée générale de l’ONU demande au Conseil de sécurité l’étude de moyens pour

résoudre le conflit d’Afghanistan. Cependant, on n’y retrouve aucune proposition pour une

action commune de la communauté internationale ou pour des mesures contraignantes pour

l’URSS.98

La réaction du gouvernement des États-Unis et du président Carter

La réaction du gouvernement américain fut beaucoup plus vive et beaucoup plus rapide que

celle de la communauté internationale et de l’ONU. Avant même la résolution de

l’Assemblée, le président Carter affirmait qu’il s’agissait « de la plus grande menace à la

paix depuis la Seconde Guerre mondiale. »99

Dès le lendemain de l’invasion, le

26 décembre 1979, Zbigniew Brzezinski conseiller à la sécurité nationale affirme au

président Carter que selon lui, cette invasion fait partie d’une crise régionale de plus grande

envergure que l’Afghanistan seule. Le 30 décembre, le président affirme à la presse

américaine que l’invasion de l’Afghanistan n’est pas un épisode isolé, qu’il s’agit d’une

stratégie soviétique pour étendre son influence dans le golfe Persique et bloquer la route du

96

Op. Cit. Nour Ahmad Nazim, p. 165 97

Organisation des Nations Unies, Chartes des Nations Unies, article 41 98

Assemblée générale des Nations Unies, Résolution ES-6/2. La situation en Afghanistan et ses conséquences

pour la paix et la sécurité internationale, Sixième Session extraordinaire d’urgence, 7e séance plénière,

14 janvier 1980 99

Jacques Lévesque, L’URSS en Afghanistan, De l’invasion au retrait, Éditions Complexe, Bruxelles, 1990,

p. 127

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pétrole indispensable aux États-Unis.100

À Washington, Brzezinski fait partie de ceux qui

croient que l’URSS est une puissance expansionniste et agressive qui désire étendre son

hégémonie vers le golfe Persique et l’océan Indien.101

L’Afghanistan apparaissait comme la

première étape d’une invasion qui viserait par la suite l’Iran ou le Pakistan. Avec la

situation déjà précaire en Iran, Washington redoute que l’URSS mette la main sur ces

énormes réserves de pétrole. De plus, stratégiquement, à partir du territoire iranien, les

Soviétiques pourraient éventuellement bloquer le transport du pétrole dans le golfe Persique

et empêcher l’approvisionnement des États-Unis.102

Logistiquement, il est peu probable que

les troupes soviétiques renversent le pouvoir en Afghanistan pour par la suite se rendre en

Iran puisque l’URSS a une frontière commune avec l’Iran. Si l’objectif principal avait été

l’Iran, l’Armée rouge aurait pu directement traverser cette frontière. De plus, politiquement,

le renversement du Shah d’Iran quelques mois plus tôt aurait été une occasion pour les

Soviétiques d’envahir le pays si tel avait été l’objectif principal. La situation politique

précaire aurait certainement facilité un coup d’État, mais Moscou ne semblait alors pas

intéressé. Il est donc fort peu probable qu’après quelques mois, les Soviétiques décident

d’envahir l’Iran. De L’Afghanistan, l’URSS avait également la possibilité de faire pression

sur le Pakistan, un allié de longue date des États-Unis. L’Afghanistan était un point central

qui permettait à Moscou de consolider ses positions en Asie du Sud-Ouest et de faire

pression sur plusieurs voisins à partir de Kaboul. À Washington, on estime que le président

Brejnev pourrait tenter de prendre des mesures de rétorsion vis-à-vis de l’OTAN, en raison

de son rapprochement avec la Chine, en faisant pression sur des alliés américains ou en

ébranlant l’équilibre politique de la région.103

William Casey, directeur de la CIA, allant dans le même sens que Brzezinski, ajoute que

l’URSS a toujours eu des visées expansionnistes vers les mers chaudes et que l’Afghanistan

n’était que le premier pas vers les réserves pétrolières du Moyen-Orient et l’accès à l’océan

100

Zbigniew Brzezinski, Power and Principle : Memoirs of the National Security Adviser 1977-1981, Farrar

Straus Giroux, New York, 1983, p. 429-430 101

Op. Cit. Nour Ahmad Nazim, p. 120 102

Zbigniew Brzezinski, Memorandum for the President, Reflections on Soviet Intervention in Afghanistan,

26 décembre 1979 103

Cyrus Vance, Hard Choices : critical years in America’s foreign policy, Simon and Schuster, New York,

1983, p. 388

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Indien.104

À son avis, « la politique extérieure de l’URSS, dans ses tendances de fond, n’est

que la continuation de celle de la Russie impériale. À cet égard, c’était la recherche par la

Russie tsariste de débouchés sur les mers chaudes et sa poussée expansionniste vers le sud

tant du côté des détroits turcs que plus spécifiquement ici, du côté du golfe Persique et de

l’océan Indien qui étaient invoqués. »105

Stratégiquement, il semble que pour réaliser cet

objectif, l’Iran aurait été un meilleur choix que l’Afghanistan, donnant accès directement au

golfe Persique, alors qu’à partir de l’Afghanistan, il faut encore traverser le Pakistan pour

accéder à l’océan Indien.

À l’opposé, le secrétaire d’État Cyrus Vance, son conseiller pour les affaires soviétiques

Marshall Shulman, et George Kennan, ancien ambassadeur américain à Moscou, sont

d’avis que les Soviétiques sont intervenus pour préserver leurs intérêts qu’ils croyaient en

danger avec Amin comme président.106

Si les résistances continuaient contre le régime en

place, Brejnev craignait que le gouvernement soit renversé et remplacé par un

gouvernement islamique hostile à l’URSS. À la fin de l’année 1979, les relations avec les

États-Unis n’étaient pas bonnes, les négociations entourant le traité SALT II n’avançaient

pas et les Soviétiques avaient énormément de difficulté à se procurer des biens et

technologies américains. Pour plusieurs membres du gouvernement soviétique, l’URSS

avait peu à perdre d’une dégradation des relations avec les États-Unis. L’URSS aurait alors

décidé d’intervenir elle-même pour remplacer Amin par un président plus conciliant et plus

favorable au régime communiste. L’Armée rouge permit de repousser les résistants

islamistes pour sécuriser le nouveau régime. L’invasion de l’Afghanistan ne faisait donc

pas partie d’un plan d’expansion vers le sud pour menacer les intérêts américains dans la

région. Il s’agissait d’une réaction plutôt préventive de l’URSS qui craignait la montée d’un

mouvement islamiste à ses frontières, qui pourrait se répercuter à l’intérieur de ses

frontières, dans les États actuels du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Turkménistan, du

Tadjikistan et de l’Ouzbékistan, régions peuplées dans la grande majorité par des

musulmans.107

Vance et Shulman partagent cependant le même avis que Brzezinski en ce

qui concerne les précédentes interventions soviétiques en Afrique ou en Asie; l’absence de

104

Op. Cit. Éric Bachelier, p. 41 105

Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 118 106

Op. Cit. Éric Bachelier, p. 41 107

Op. Cit. Cyrus Vance, p. 388

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réactions des États-Unis a pu encourager Moscou à repousser les limites en intervenant

directement hors des frontières du pacte de Varsovie.108

Avec la déclassification des archives de l’Union soviétique, les recherches récentes tendent

à confirmer le point de vue du secrétaire d’État Vance quant aux motifs de l’invasion. En

tenant compte des documents émanant du Politburo et du KGB, il semble que les

Soviétiques craignaient énormément les récents choix politiques de président Amin. À

partir de l’automne 1979, plusieurs hommes politiques affirment qu’Amin tente de se

rapprocher davantage des États-Unis, du Pakistan et de la Chine, ce qui nuirait grandement

aux intérêts soviétiques dans la région.109

Les Moudjahidines, de plus en plus nombreux,

menacent également le régime communiste d’Afghanistan. Le président Amin s’est emparé

de tous les ministères clés en y installant ses amis et en assassinant son premier ministre.

L’insatisfaction est palpable à travers tout le pays, l’Afghanistan est alors en guerre civile.

Dès lors, on estime à Moscou que pour préserver le régime en place et rétablir l’ordre dans

le pays, les Soviétiques doivent renverser Amin et mettre en place un nouveau président.110

Un peu plus récemment, Terry Lynn Karl, professeure de science politique spécialisée dans

les États exportateurs de pétrole, avance une théorie soutenant que l’Union soviétique avait

un intérêt particulier à maintenir l’instabilité politique au Moyen-Orient. Dans les années

1970, et plus tard dans les années 1990, la hausse drastique du prix du baril de pétrole est

souvent liée à la situation politique dans les régions productrices. En 1971, le baril

augmente ainsi extrêmement rapidement à la suite du coup d’État en Lybie en 1969, et

après la chute du Shah d’Iran en 1979. En 1990, le prix augmentera également après

l’invasion du Koweit par l’Irak. Certains pays exportateurs auraient donc intérêt à préserver

une situation politique précaire dans les régions productrices pour augmenter les revenus

générés par les exportations de pétrole.111

Cette théorie est également défendue par James

D. J. Brown professeur à l’université Temple à Tokyo, qui souligne qu’en 1979, l’URSS

108

Zbigniew Brzezinski, Memorandum for the President, Our Response Soviet Intervention in Afghanistan,

29 décembre 1979 109

David N. Gibbs, « Reassessing Soviet motives for invading Afghanistan: A declassified history », Critical

Asian Studies, 2006, Vol. 38 N°2, p. 255-256 110

A. Z. Hilali, « The soviet decision making for intervention in Afghanistan and its motives » The Journal of

Slavic Military Studies, 2003, Vol. 16 N°2, p. 116 111

Terry Lynn Karl, The Paradox of Plenty : Oil Booms and Petro-States, University of California Press,

Berkeley, 1997, p. 7

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produit 11 805 barils de pétrole par jour, mais qu’environ seulement 2 millions de barils

sont exportés en dehors de l’URSS et de l’Europe de l’Est. Avec les évènements d’Iran, le

prix du baril de pétrole qui s’échangeait à 17,50 $ américains en janvier 1979, monte à 38 $

en mai et atteint 40 $ en novembre 1979. Alors que l’économie de l’URSS stagnait, cette

soudaine hausse doublait les revenus générés par l’exportation du pétrole, revenus qui

pouvaient alors être injectés dans divers secteurs pour stimuler la croissance de l’économie

soviétique.112

Cependant, James D. J. Brown reconnait les limites de cette théorie,

soutenant que le pétrole était fort probablement un facteur important de la décision, mais

que cette variable seule n’était pas suffisante pour motiver l’invasion sans les autres

facteurs avancés par Vance, Schulman et Kennan.113

Toutefois, le président Carter et le gouvernement américain adopteront une position plus

rigide que celle du secrétaire d’État; le 4 janvier lors d’un discours diffusé à la radio et à la

télévision, il dira « Récemment s’est produit un nouvel évènement, très grave, qui menace

le maintien de la paix dans le Sud-Ouest asiatique. Des forces soviétiques ont envahi

massivement une petite nation souveraine non alignée, l’Afghanistan, qui jusqu’à présent

n’avait pas compté parmi les satellites occupés par l’Union soviétique […] Cette invasion

représente un danger extrêmement grave pour la paix, car elle fait peser la menace d’une

nouvelle expansion soviétique dans les pays voisins du Sud-Ouest asiatique. »114

Alors que

le gouvernement américain tente de régler la crise des otages à Téhéran, l’invasion de

l’Afghanistan est perçue comme une défiance, un affront direct à la puissance

américaine.115

La réaction américaine sera beaucoup plus intense que ce que les Soviétiques

avaient anticipé. Washington décida dès janvier 1980 que Moscou paierait un prix élevé

pour cette violation de l’intégrité territoriale et politique de l’Afghanistan. Carter désirait

rendre cette campagne la plus coûteuse possible pour forcer le retrait des troupes de

l’Armée rouge.116

Washington élabora une politique ayant deux objectifs principaux, le

premier étant une mesure punitive et la seconde préventive. D’abord, les Soviétiques

112

Op. Cit. James D. J. Brown, p. 80-81 113

Ibid, p. 88 114

USA-Document, International Communication Agency, ambassade des États-Unis, Paris, 7 janvier 1980,

reproduit in Documents d’Actualité Internationale, La Documentation française, N° 12-13-14, 1980, p. 254-

256 115

Op. Cit. Zbigniew Brzezinski 116

Op. Cit. Cyrus Vance, p. 389

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devaient se retirer ou payer un prix élevé pour s’opposer aux États-Unis. Ensuite,

l’administration Carter devait trouver un moyen pour décourager Moscou d’envahir

d’autres États dans la région du golfe Persique. Le président justifiera cette politique en

soutenant qu’aucun président américain ne pouvait se permettre de perdre le contrôle sur la

région. Les États-Unis n’hésiteraient pas à employer la force pour préserver leurs intérêts

dans la région.117

La mise en place du régime de sanctions contre l’URSS par le

gouvernement des États-Unis

Dès le 3 janvier 1980, le président Carter annonce qu’il ajourne les discussions concernant

la ratification du traité SALT II. Washington est conscient que la signature du traité est

indispensable pour la sécurité nationale, mais que dans les circonstances d’une violation de

la Charte des Nations Unies par l’URSS, la ratification était impossible pour le moment.118

Le lendemain, il déclare dans un discours télévisé « un embargo sur les exportations de

céréales américaines à destination de l’URSS. Dans le cadre d’un accord de 5 ans conclu

avec l’URSS en 1975, les États-Unis devaient lui vendre annuellement, un minimum de

8 millions de tonnes de céréales. Des ventes supplémentaires pouvant faire l’objet

d’ententes spécifiques entre les deux gouvernements. L’URSS en raison des mauvaises

récoltes de 1979 avait demandé à acheter 17 millions de tonnes supplémentaires en 1980 et

des accords avaient déjà été conclus pour l’achat de 14 de ces 17 millions de tonnes. Ce

sont ces livraisons supplémentaires que visait l’embargo qui devaient correspondre à 50 %

du total des importations céréalières prévues par Moscou. »119

Il reporte également l’ouverture d’un consulat américain à Kiev et d’un consulat soviétique

à New York. En ce qui concerne les échanges commerciaux, en plus de l’embargo sur les

céréales, Jimmy Carter interdit la vente de haute technologie, d’ordinateurs de grande

capacité et les technologies permettant les forages pétroliers à l’URSS. Il retire les droits de

pêche aux bateaux soviétiques dans les eaux américaines et émet un avertissement quant

117

Op. Cit. Raymond L. Garthoff, p. 1082 118

Henry S. Bradsher, Afghanistan and the Soviet Union, Duke Press Policy Studies, Durham, 1983, p. 194 119

Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 138

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aux Jeux olympiques de Moscou l’été suivant. Si l’Armée rouge ne se retire pas, la

délégation américaine boycottera les Jeux.120

À la fin du mois de janvier, Carter interdit

aussi la vente de phosphates, indispensables à la production d’engrais. Après de mauvaises

récoltes, cette mesure aurait pu avoir un impact considérable puisque les États-Unis

produisent 90 % de l’acide super phosphorique mondial en 1980. Levée par Reagan en

avril 1981, cette sanction n’aura qu’un impact négligeable sur l’agriculture soviétique.121

Le secrétaire à la défense Harold Brown est envoyé à Pékin au début du mois de janvier.

L’administration Carter souhaite conclure une vente d’équipement militaire avec le

gouvernement chinois pour tenter de balancer un peu les forces dans la région. La Chine ne

possède qu’une frontière commune de 90 kilomètres avec l’Afghanistan et avant l’invasion

soviétique de 1979, il n’y avait pas d’enjeu réel pour le gouvernement chinois autour de

cette frontière.122

Cependant, avec le renversement du pouvoir, les dirigeants chinois

affirment que la sécurité nationale de la Chine est menacée et acceptent de collaborer avec

les États-Unis pour renforcer les Moudjahidines en leur vendant des armes sophistiquées.123

Le 20 janvier, Carter propose que, si l’Armée rouge occupe toujours l’Afghanistan à la fin

du mois de février, les États-Unis tenteraient de retarder ou de déménager les Jeux

olympiques dans une autre ville, ce que le comité international olympique refusa. Le

12 avril, le comité américain pour les Olympiques vote le boycott des Jeux d’été. Carter

tentera de dissuader ses alliés de participer aux Jeux en affirmant qu’il s’agit d’une question

éthique, que les démocraties ne devraient pas se présenter à Moscou comme ils ont fait à

Berlin en 1936 alors que les nazis étaient au pouvoir. Cinquante-cinq États boycottèrent les

Jeux, mais 79, incluant Porto Rico participèrent aux Jeux. Carter se dit insatisfait de ce

résultat,124

notamment parce que parmi ses principaux alliés, la France, la Grande-Bretagne

et l’Italie envoyèrent leur délégation. Le Canada, la Chine, les États-Unis, la République

fédérale allemande et le Japon brillaient toutefois par leur absence et surtout, par l’absence

120

Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 194 à 196 121

Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 141 122

A.Z. Hilali, « China's response to the Soviet invasion of Afghanistan », Central Asian Survey, 2001,

Vol. 20 N°3, p. 323-324 123

Ibid, p. 338 124

Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 196

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d’une compétition importante pour les athlètes soviétiques.125

L’embargo concernant l’exportation des céréales rencontra plus de difficultés, notamment à

l’échelle nationale. D’abord, il y eut un malentendu sur la cible et l’objectif principal de

l’embargo. L’URSS produisait assez de grains pour nourrir sa population, elle était

toutefois dépendante des importations pour nourrir les animaux. Moscou investissait des

sommes considérables depuis une dizaine d’années pour augmenter sa production animale,

notamment pour la viande et pour les produits laitiers. La consommation de ces produits

était très faible et le Kremlin achetait beaucoup de grains à l’étranger pour parvenir à

grossir les troupeaux et améliorer l’alimentation de sa population. L’embargo de Carter

visait donc les productions animales, il ne souhaitait pas affamer les populations. Selon les

estimations de la CIA, en étant privés de grains, les Soviétiques devraient abattre beaucoup

plus d’animaux, ne pouvant plus les nourrir. Une fois les troupeaux réduits

considérablement, le gouvernement se devrait de négocier avec les États-Unis. La

production et la consommation de lait et de viande réduisirent, mais les animaux ne furent

pas abattus en masse comme l’avait calculé la CIA.126

À l’échelle nationale, cette mesure est largement contestée par les agriculteurs du Midwest.

Beaucoup de fermiers étaient dépendants des exportations vers l’URSS. Comme

susmentionné, après de mauvaises récoltes, les États-Unis s’étant engagés à vendre 25

millions de tonnes de grains à la demande de l’URSS. Un contrat signé en 1975 entre les

deux États stipulait que Washington devait vendre un minimum de 8 millions de tonnes de

grains par an aux Soviétiques, mais que des surplus pouvaient être vendus par contrat s’il y

avait une demande de Moscou et si les stocks étaient disponibles aux États-Unis. Carter

bloque l’exportation de ce grain supplémentaire, malgré les contrats déjà signés, ce qui

déplait autant aux compagnies américaines qu’à l’Union soviétique.127

En janvier 1980, le

gouvernement promet de racheter les surplus aux fermiers, pour les vendre à la Chine ou au

Mexique et gagne ainsi le support de 60 % des agriculteurs. Cependant, dès le mois d’avril,

le American Farm Bureau soutient que Washington ne réussit pas à dédommager

convenablement les fermiers touchés durement. Le Midwest, soutenu par les sénateurs du

125

Daniel Vernet, « Soulagement », Le Monde, 4 aout 1980 126

Op. Cit. Peggy L. Falkenheim, p. 111 127

Op. Cit Henry S. Bradsher, p. 195

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Kansas et d’Iowa, s’oppose dès lors à l’embargo et supportera le candidat Reagan pour

battre Carter aux élections du mois de novembre.128

Les multinationales réussissent

cependant à contourner l’embargo en utilisant un intermédiaire de plus comme la

compagnie espagnole Continental Hispanica, filiale de la compagnie américaine

Continental Grain, qui achète une quantité impressionnante de grains qui sera par la suite

vendue à l’URSS. D’autres compagnies vendent à des gouvernements, comme la Hongrie,

qui achète le grain américain pour sa consommation nationale et vend sa propre production

aux Soviétiques.129

Cette mesure impopulaire chez les fermiers comme chez les

multinationales contribue à l’impopularité du président Carter qui, en cette année

électorale, était au plus bas dans les sondages.

L’embargo concernant les technologies fût respecté davantage par les firmes américaines,

quoique les filiales internationales posèrent problème, comme nous le verrons dans la

prochaine section. D’abord, les premières mesures restrictives concernaient les

technologies pour l’usage militaire davantage que pour l’usage civil, mais celui-ci fût

éventuellement étendu aux hautes technologies – les ordinateurs de haute capacité et les

instruments nécessaires aux forages pétroliers – dans l’ensemble ce qui fût très

problématique pour les Soviétiques qui achetaient en grande quantité les nouvelles

technologies américaines pour moderniser et améliorer leur secteur industriel. Au cours de

l’année 1980, les exportations de technologie vers l’Union soviétique réduisirent d’environ

50 %.130

Les chercheurs soviétiques échappèrent toutefois à l’embargo; tous ceux ayant

obtenu des visas et des autorisations pour se servir des nouvelles technologies dans les

instituts américains purent demeurer aux États-Unis et poursuivre leurs recherches sans être

troublés par ces nouvelles mesures.131

Après l’examen de chacun des contrats, les

compagnies américaines en conservent environ la moitié. Plusieurs licences sont

suspendues et plusieurs exportations bloquées après le mois de septembre 1980. Après la

défaite de Carter en novembre, Reagan conservera cette mesure et l’étendra à l’équipement

nécessaire aux Soviétiques pour l’extraction et le transport du gaz et du pétrole. Cette

128

Marie-Hélène Labbé, « L’Embargo céréalier de 1980 ou les limites de l’arme verte », Politique étrangère,

1986, Vol. 51, N°3, p. 774 129

Ibid, p. 778 130

J-M. Q. « Les ventes américaines de haute technologie à l’Union soviétique sont peu importantes », Le

Monde, 31 décembre 1981 131

Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 194

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mesure sera beaucoup plus problématique que celle imposée par Carter, car Reagan voudra

notamment empêcher toutes les filiales américaines, incluant celles à l’international, de

fournir les matériaux nécessaires à l’URSS.132

La réaction internationale face aux sanctions américaines

Si les sanctions ne font pas l’unanimité à l’échelle nationale, à l’échelle internationale, elles

seront encore plus contestées. Les États d’Europe de l’ouest, principaux alliés des États-

Unis sont beaucoup plus réservés quant à l’utilisation de sanctions économiques.

« L’Europe occidentale, en première ligne face au Pacte de Varsovie, préfère la discussion

à la rupture. »133

Si les Européens condamnent tous l’invasion de l’Afghanistan, ils

préféraient démontrer leur désaccord par des mesures diplomatiques que par des mesures

économiques. La Communauté européenne (CE) était d’accord pour boycotter les Jeux

olympiques, ou pour demander à leurs ambassadeurs de ne pas se présenter à la parade

commémorant la victoire soviétique lors de la Deuxième Guerre mondiale le 9 mai 1945

pour la Journée nationale des Soviétiques sur la place Rouge à Moscou.

Le gouvernement britannique s’est montré plus ouvert donnant sont appui au gouvernement

américain lorsque celui-ci a tenté de faire relocaliser les Jeux à l’extérieur de l’Union

soviétique. Les deux gouvernements étant convaincus que la relocalisation des Jeux

olympiques était la solution optimale, Margaret Thatcher et Jimmy Carter travaillèrent

ensemble pour porter cette mesure devant le Comité International Olympique.134

Cependant, plusieurs gouvernements européens expriment leur mécontentement au

secrétaire d’État Vance à la fin du mois de février 1980. Les Allemands et les Français

soulignent qu’ils ont accepté de supporter les États-Unis à l’ONU et qu’il faut démontrer

aux Soviétiques que la communauté internationale n’acceptera pas d’autres agressions dans

les pays voisins de l’Afghanistan. Toutefois, ils soutiennent que les États-Unis ont pris des

décisions concernant des sanctions économiques et une conduite diplomatique à adopter

132

Marshall L. Brown Junior, « Soviet Reaction to the U.S. Pipeline Embargo : the Impact on Future Soviet

Economic Relations With the West », Maryland Journal of International Law, 1984, Vol. 8 N°1, p. 144 133

Op. Cit. Éric Bachelier, p. 38 134

Daniel James Lahey, « The Thatcher government’s reponse to the Soviet invasion of Afghanistan, 1979-

1980 », Cold War History, 2013, Vol.13, N°1, p. 37

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envers l’URSS qui ne leur conviennent pas. Le gouvernement américain ne les a pas

consultés avant d’adopter des politiques qui pourraient nuire aux intérêts politiques et

économiques européens alors que ce sont eux qui partagent leurs frontières avec les

Soviétiques.135

La relation entre les Américains et les Soviétiques est compliquée à la fin des années 1970,

mais la détente est instaurée en Europe et elle fonctionne très bien. Les Européens ne sont

pas prêts à sacrifier la détente et leurs intérêts pour exprimer leur désaccord quant à une

crise en Asie, ils ne veulent pas revivre les tensions des années 1960 alors que la situation

s’est stabilisée.136

Washington fait pression sur ses alliés soutenant qu’il s’agit de la crise la

plus importante depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et que l’Occident se devait

de répondre adéquatement et sévèrement. Helmut Schmidt, alors chancelier de la RFA,

souligna que la crise la plus importante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale était

Berlin, et bien qu’il désapprouvait l’invasion d’Afghanistan, il ne risquerait jamais la

stabilité politique de l’Allemagne pour un pays si éloigné.137

Dans une période de

récession, plusieurs gouvernements européens étaient désireux de conserver de bonnes

relations commerciales avec l’URSS et d’honorer les différents contrats déjà signés. Ils

voulaient continuer les discussions sur le contrôle des armes pour éventuellement limiter la

course à l’armement, et éviter à tout prix la rupture de la détente.138

Pour le président Carter, il était regrettable que les Européens n’alignent pas leurs

politiques sur celles des États-Unis, il savait que le succès des sanctions imposées reposait

sur l’application de celles-ci par ses alliés, mais malheureusement, il ne trouva pas le

support qu’il recherchait au sein des gouvernements français et ouest-allemand. Le

président français Giscard d’Estaing soutenait que la France devait suivre sa propre

politique poursuivant ses propres intérêts. « On estimait à l’Élysée que la situation n’était

pas aussi dramatique qu’on l’affirmait à Washington et que la ruine de la détente ne pouvait

que renforcer la bipolarisation du monde et réduire les marges de manœuvre de

135

Op. Cit. Cyrus Vance, p. 392-393 136

Op. Cit. Raymond L. Garthoff, p. 1087-1088 137

Op. Cit. Cyrus Vance, p. 393 138

Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 199

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l’indépendance de la France. »139

Le gouvernement américain trouva le plus grand soutien

dans la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher. Le gouvernement britannique supportait les

mesures prises par le gouvernement américain, mais la situation économique de la Grande-

Bretagne était alors précaire et la première ministre n’était pas disposée à réduire les

relations économiques entre l’URSS et la Grande-Bretagne. Dès le 8 janvier 1980, le

Groupe Officiel de l’Afghanistan fût mis en place à Londres pour évaluer les potentielles

conséquences de l’application des sanctions sur l’économie britannique. Les exportations

de biens manufacturés vers l’URSS pourraient facilement être remplacés par des produits

français, italiens ou allemands, la Grande-Bretagne perdrait un revenu important et de

nombreux contrats. De plus, le Groupe souligne que l’efficacité des sanctions n’est pas du

tout garantie et que la Grande-Bretagne devrait soutenir les États-Unis symboliquement en

évitant l’emploi de sanctions économiques.140

Elle déplora toutefois les accusations de

Washington lorsqu’ils critiquèrent la loyauté des Européens. Selon Margaret Thatcher,

l’obstination et l’intransigeance de Carter face à ses alliés européens s’expliquaient par son

impopularité à la veille de l’élection présidentielle.141

La situation européenne n’était pas bien comprise à Washington. À de nombreuses reprises,

le chancelier allemand tenta d’expliquer que Berlin et l’Allemagne étaient à la merci des

Soviétiques. Si Washington avait consulté ses alliés avant d’adopter une position ferme et

sévère, cette situation embarrassante aurait pu être évitée. L’Allemagne restait une alliée

des États-Unis, mais elle ne pouvait pas se permettre de suivre aveuglément ses politiques

sans craindre des représailles à Berlin.142

Les politiques allemandes permettaient aux

Berlinois de l’Ouest de visiter facilement leur famille dans l’Est, une situation difficilement

gagnée à laquelle les Allemands tenaient énormément. La société civile allemande soutenait

les politiques de son gouvernement et ne souhaitait en aucun cas que l’Afghanistan réanime

les tensions à Berlin.143

Si Carter campe sur ses positions, le secrétaire d’État Vance tentera

de faire l’intermédiaire entre son gouvernement et ses homologues européens. Il était d’avis

qu’il fallait instaurer une politique conjointe, claire, mais qu’il ne fallait pas risquer la

139

Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 146 140

Op. Cit. Daniel James Lahey, p. 27-28 141

Helmut Schmidt, Des puissances et des hommes, PLON, Paris 1987, p. 232-233 142

Ibid p. 228 143

Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 199

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stabilité européenne. Il désirait conserver un dialogue entre Moscou et Washington, mais

plusieurs fois, le président refusa que Vance communique avec Brejnev ou son ministre des

affaires étrangères Andreï Gromyko. Il propose également de se déplacer à Moscou ou d’y

envoyer son conseiller pour les affaires soviétiques Marshall Shulman, mais Carter refuse

toujours. Vance finira par démissionner de son poste de secrétaire d’État le 28 avril 1980, à

la suite d’une tentative pour sauver les otages de Téhéran; il n’avait pas été mis au

courant.144

Les États-Unis trouvèrent cependant des alliés en Asie, la Chine et le Japon

réduisant considérablement leurs échanges avec l’Union soviétique.145

Les politiques européennes et le régime de sanctions américaines

Les désaccords entre les États-Unis et ses alliés compliquèrent nettement l’application des

différentes sanctions. Le succès de l’embargo céréalier, l’embargo sur les technologies, et

le boycott des Olympiques reposaient sur la volonté de la communauté internationale

d’adapter ses politiques à celles des États-Unis. En ce qui concerne l’embargo céréalier,

l’URSS devait importer un total de 37,5 millions de tonnes de grains en 1980, dont

25 millions devaient provenir des États-Unis. Lorsque Carter décrète l’embargo sur

17 millions de tonnes, le Canada, l’Australie et les différents pays d’Europe occidentale

soutiennent partiellement la mesure américaine; ils n’appliqueront pas un embargo complet,

mais ils n’exporteront pas plus que la quantité normale de grains pour pallier aux

exportations américaines annulées. La décision européenne relève alors de la Communauté

européenne, ancêtre de l’Union européenne. La Commission en charge d’étudier le dossier

met en place les mesures administratives nécessaires afin que les « courants d’échanges

traditionnels ne soient pas modifiés »146

, mais elle assure toutefois que l’embargo sera

appliqué sur les exportations supplémentaires. Le président français souligna quant à lui

qu’il s’agissait d’un moyen efficace pour démontrer leur désaccord sans mettre en péril la

détente. La France honorera ses contrats, mais n’exportera pas davantage de céréales vers

144

Op. Cit. Cyrus Vance, p. 394-395 145

Op. Cit. Peggy L. Falkenheim, p. 110 146

Philippe Lemaitre, « La Commission européenne décide un embargo de fait des exportations de céréales

vers l’URSS », Le Monde, 12 janvier 1980

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l’URSS.147

L’Argentine, qui était alors une dictature militaire refusa quant à elle de faire partie de

l’accord; elle n’était pas une alliée proche des États-Unis, comme les autorités américaines

déploraient les violations des Droits de l’homme commises dans le pays. Les prix attrayants

eurent raison des dirigeants argentins qui remplacèrent une partie des exportations de

céréales américaines.148

Au Canada, la mesure était supportée par le premier ministre Joe

Clark, mais les chefs de l’opposition Pierre-Eliott Trudeau et Ed Broadbent s’y opposent

farouchement. Ils soutiennent que de remplacer les exportations américaines pourrait être

extrêmement lucratif pour les provinces des prairies et que comme l’Union soviétique était

déjà un marché important pour les fermiers de l’Ouest canadien, le gouvernement devrait

permettre la hausse des exportations. Dans les faits, le Canada se permit une interprétation

plutôt large du terme quantité normale et augmenta nettement ses exportations en 1980 et

1981. En novembre 1980, le ministre d’État chargé de la commission du blé, Hazen Argue,

annonce que le Canada reprendra ses exportations normales de céréales vers l’URSS.149

De nouveaux fournisseurs permettront également à l’URSS de remplacer les exportations

américaines presque dans la totalité. Des pays d’Europe de l’Ouest, d’Europe de l’Est, et

même d’Asie achetèrent des quantités de céréales importantes sur le marché international et

aux États-Unis pour revendre leur propre production locale. Comme mentionné plus haut,

les multinationales américaines se servent de ces intermédiaires pour écouler leurs stocks,

mais les gouvernements de l’Espagne, de l’Inde et de nombreux pays du pacte de Varsovie

achètent directement des céréales du gouvernement américain à de bons prix pour vendre

leurs productions à des prix plus élevés à l’Union soviétique. Au final, l’URSS put importer

un total de 31 millions de tonnes de céréales, soit environ 90 % des 37,5 millions de tonnes

prévues initialement. Elle dut cependant débourser environ 1 milliard de dollars de plus que

ce qu’elle devait et les importations furent moins régulières, ce qui provoqua tantôt des

147

Jacques Grall, « MM. Giscards d’Estaing et Schmidt tentent de dégager une position européenne : l’arme

alimentaire », Le Monde, 10 janvier 1980 148

Jimmy Carter, Mémoires d’un président, PLON, Paris, 1982, p. 367 149

Le Monde « Ottawa met fin à l’embargo partiel sur les ventes de céréales à l’URSS », Le Monde,

21 novembre 1980

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ruptures de stock, tantôt des surplus dans certaines régions.150

Les États-Unis eux-mêmes

furent accusés par leurs homologues européens de contourner leur propre sanction en

acceptant de vendre sur le marché international à des États qui vendaient ouvertement à

l’Union soviétique. Les Européens exportateurs, la France notamment, se permirent alors

d’interpréter également la quantité normale qui devait être vendue pour hausser leurs

exportations vers l’URSS.151

La Communauté économique européenne, après avoir décrété

un embargo sur les céréales en janvier 1980 reprendra ses exportations en octobre de la

même année.152

Si l’embargo sur les céréales est approuvé, quoique contourné par les alliés des États-Unis,

l’embargo sur les hautes technologies sera quant à lui dénoncé rapidement et publiquement

par les Européens. Le 29 décembre 1981, le président Reagan interdit aux compagnies

américaines de vendre les équipements nécessaires à l’extraction et au transport du pétrole

et du gaz soviétique. Le 18 juin 1982, l’interdiction s’applique également aux filiales

internationales des compagnies américaines ainsi qu’aux compagnies internationales

détenant des licences américaines.153

Cette mesure est renforcée à la suite du décret de la loi

martiale en Pologne au mois de décembre 1981. La situation politique et économique de la

Pologne au début de l’année 1980 est chaotique. L’OTAN prévoyait une intervention

soviétique comme à Prague en 1968, mais un coup d’État du général Jaruzelski le

13 décembre 1981, et l’instauration de la loi martiale modifie la situation. Pour les États-

Unis, il s’agit d’une intervention directe de l’URSS alors qu’en Europe on estime que si le

général Jaruzelski a sans doute le soutien de l’URSS, il n’y aura pas d’intervention militaire

de l’Union soviétique ce qui est un soulagement pour plusieurs États.154

Initialement, cet embargo devait concerner uniquement les hautes technologies à usage

militaire. Par la suite, le président américain inclut les technologies à double usage, civil et

militaire, soucieux que les technologies américaines puissent contribuer d’une quelconque

manière au développement militaire soviétique. Les alliés de Washington contestèrent cette

150

Op. Cit. Marie-Hélène Labbé, p. 779 151

J.G. « La France demande à la C.E.E. l’autorisation d’exporter 600 000 tonnes de blé vers l’URSS », Le

Monde, 16 mars 1981 152 Philippe Lemaitre, « La C.E.E. reprend ses ventes d’orge à l’URSS », Le Monde, 25 octobre 1980 153

Op. Cit. Marshall L. Brown Junior, p. 145 154

Jean Wetz « En visite en R.D.A. M. Schmidt se dit d’accord avec M. Honecker pour éviter toute ingérence

dans la crise », Le Monde, 15 décembre 1981

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nouvelle mesure qui touchait des contrats et des projets en développement entre l’Europe

de l’Ouest et l’URSS,155

notamment l’oléoduc – The North Siberian Project – reliant

l’URSS à l’Europe occidentale par la mer Baltique et devant alimenter en gaz l’Autriche, la

Belgique, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, la République fédérale

allemande, la Suède et la Suisse.156

Les Européens devaient fournir les crédits nécessaires à

l’Union soviétique pour que celle-ci puisse se procurer les matériaux essentiels à la

construction de l’oléoduc, mais le gouvernement américain s’y opposa en soutenant que ces

crédits permettraient aux Soviétiques d’augmenter leur budget dédié à l’industrie militaire,

ce qui remettait en cause la sécurité internationale.157

Déjà à l’époque, le président Reagan

soutenait qu’il était dangereux qu’une dépendance se crée vis-à-vis de l’URSS puisque

celle-ci pourrait par la suite se servir de ces livraisons de gaz pour obtenir des concessions

de la part des Européens.158

En 1949, les États-Unis crée une organisation qui a pour but de coordonner et de contrôler

les exportations de technologies et de matériel stratégique vers les pays communistes. En

janvier 1950, le Coordinating Committee for Multilateral Export Controls (CoCom) débute

ses activités avec comme membres, la Belgique, les États-Unis, la France, la Grande-

Bretagne, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. S’ajouteront cette même année

l’Allemagne de l’Ouest, le Canada, le Danemark et la Norvège. En 1952, le Portugal

s’ajoute à la liste ainsi que la Grèce, le Japon et la Turquie en 1953.159

CoCom fonctionne

avec trois listes, pour les technologies militaires (1), pour l’énergie nucléaire (2), et pour les

biens industriels et commerciaux (3). Ces listes peuvent être modifiées avec la proposition

d’un ou plusieurs États, et les modifications doivent être approuvées par consentement

unanime.160

Initialement, l’organisation n’aurait pas dû modifier ses listes lors de différents

régimes de sanctions, mais après l’invasion de l’Afghanistan, les États-Unis introduisent de

155

Le Monde « Deux ans de conflit », Le Monde, 16 novembre 1982 156

Patrizio Merciai, « The Euro-Siberian Gas Pipeline Dispute – A Compelling Case for the Adoption of

Jurisdictional Codes of Conduct », Maryland Journal of International Law, 1984, Vol. 8 N°1, p. 3 157

Ed A. Hewett, The Pipeline Connection : Issues for the Alliance, The Brookings Review, Automne 1982,

Vol. 1 N°1, p. 19 158

Hubert Bonin, « Business interests versus geopolitics: The case of the Siberian pipeline in the 1980s »,

Business History, 2007, Vol. 49 N°2, p. 241 159

John H. Gibbons et al. Technology and East-West Trade, U.S. Governement printing Office, Washington,

1979, p. 153 160

Richard T. Cupitt, Suzette R. Grillot, « COCOM is Dead, Long Live COCOM : Persistence and Change in

Multilateral Security Institutions », British Journal of Political Science, Juillet 1997, Vol. 27, N° 3, p. 364

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nouvelles règles et de nouvelles restrictions voulant ainsi façonner les politiques du CoCom

sur leur propres politiques commerciales. Ces nouvelles politiques furent contestées par les

membres européens du CoCom, car, selon eux, le commerce ne devrait pas être affecté par

des considérations géopolitiques.161

Pour les Européens, cet oléoduc permettait non seulement d’être moins dépendants du

Moyen-Orient pour les hydrocarbures, mais ce projet permettait également un

développement des relations économiques entre l’Europe de l’Ouest et l’URSS comme le

souhaitaient les partisans de la détente et de l’Ost politique allemande. Comme l’expliqua le

Chancelier allemand Schmidt, chaque rapprochement avec Moscou permet de détendre la

situation à Berlin-Ouest et dans la région allemande de Silésie dont certaines parties ont été

annexées à la Pologne après les accords de Potsdam.162

L’Union soviétique devait repayer

ses créanciers avec des livraisons de gaz une fois l’oléoduc terminé.163

Pour les

gouvernements français et ouest-allemand, il était important de diversifier ses fournisseurs

d’hydrocarbures, car leurs réserves nationales étaient très petites. Selon eux, l’Europe est

plus à risque de souffrir d’une crise des hydrocarbures que les États-Unis qui possèdent

eux-mêmes de grandes richesses.164

Au début des années 1980, le principal fournisseur (85 %) de matériaux pour l’oléoduc est

Caterpillar qui est une compagnie américaine. Cependant, 85 % des biens manufacturés par

Caterpillar sont produits par la compagnie japonaise Komatsu qui exporte directement vers

l’URSS. Avec la restriction de Reagan, les Soviétiques doivent trouver de nouveaux

fournisseurs, ce qui représente des couts supplémentaires pour Moscou, mais également

une perte de contrat lucratif pour Komatsu.165

La République fédérale allemande (RFA)

exprima rapidement son mécontentement, soutenant que les contrats étaient signés depuis le

mois de juillet 1980 et que le président Carter n’avait alors exprimé aucune objection.166

L’Italie et la France soutinrent la RFA en exprimant clairement que malgré l’interdiction

161

Op. Cit. Hubert Bonin, p. 243 162

George W. Ball, « The Case Against Sanctions», The New York Times, 12 septembre 1982 163

Op. Cit. Patrizio Merciai, p. 3 164

Op. Cit. George W. Ball 165

Kevin F.F. Quigley and William J. Long, « Moving Beyond Economic Containment », World Policy

Journal, hiver 1989-1990, Vol. 7. N°1, p. 177 166

Gary H. Perlow, « Taking Peacetime Trade Sanctions to the Limit : The Soviet Pipeline Embargo », Case

Western Reserve Journal of International Law, 1983, Vol. 15, N°2, p. 253

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américaine, ils honoreraient leurs contrats et entretiendraient leurs échanges commerciaux

avec l’URSS. Le Canada et la Grande-Bretagne offrirent un plus grand soutien à

Washington, en imposant des restrictions sur les technologies à double usage, en indiquant

que les possibilités de contrats ne seraient pas toutes refusées, mais plutôt étudiées

minutieusement.167

Pour les gouvernements ouest-européens, l’imposition de cet embargo est un signe que la

Maison-Blanche est incapable d’analyser le problème sous une perspective européenne.

L’URSS est un gigantesque voisin avec lequel il vaut mieux construire des liens. Les

dirigeants soviétiques estiment eux-mêmes que des liens commerciaux plus importants avec

l’Ouest permettraient d’instaurer en Europe un climat de confiance et une coexistence

pacifique.168

Les Européens, au même titre que les Soviétiques, ont besoin de cette

coopération. Les prix de Moscou sont beaucoup plus intéressants que ceux de l’Afrique du

Nord ou du Moyen-Orient pour les hydrocarbures et pour plusieurs États, les sommes

épargnées pourraient être injectées dans un système de sécurité sociale.169

Lord Arthur

Cockfield, alors secrétaire d’État au commerce en Grande-Bretagne, conteste cette mesure

en soutenant qu’il s’agit d’une tentative américaine pour interférer dans les échanges

commerciaux d’autres États et qu’il est tout à fait inacceptable que l’administration Reagan

tente d’étendre sa juridiction à l’extérieur des États-Unis.170

Le secrétaire d’État américain

George Shultz émet également certaines réserves, affirmant que les États-Unis ne peuvent

pas intervenir dans l’octroi de contrats d’autres États et que cet épisode a un effet pervers

sur les compagnies américaines qui paraissent peu fiables alors qu’à l’international, les

filiales américaines sont délaissées au profit d’autres compagnies, souvent locales.171

La

Communauté européenne n’appliqua jamais les mesures américaines concernant les hautes

technologies, Washington dut gérer une crise avec ses homologues européens jusqu’à ce

que Reagan lève l’embargo le 13 novembre 1982, en soutenant qu’il avait atteint ses

objectifs qui étaient de démontrer que leur politique oppressive et agressive entrainait des

167

Op. Cit. Peggy L. Falkenheim, p. 120 168

Op. Cit. Marshall L. Brown Junior, p. 146-147 169

Stanley Hoffman, « L’Europe et les États-Unis, entre la discorde et l’harmonie », Politique étrangère,

1981, N°3, p. 557 170

Lord Arthur Cockfiled, « United Kingdom Statement and Order Concerning the American Export

Embargo With Regard to the Soviet Gas Pipeline », International Legal Materials, Juillet 1982, Vol. 21 N°4,

p. 851-852 171

Op. Cit. George W. Ball

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couts substantiels.172

Dans les faits, l’URSS ne ressentit pratiquement pas les effets de cette

mesure puisqu’elle trouva des alternatives aux produits américains chez les firmes

européennes de l’Ouest ou de l’Est.173

Cependant, l’oléoduc ne fût pas construit selon le

trajet initial. Entre 1982 et 1984, les Européens financèrent la construction de tronçons

d’oléoduc qui traversaient le territoire ukrainien avant de se rendre en Europe.

La fin du conflit en Afghanistan et le résultat des sanctions

En 1986, les combats en Afghanistan s’intensifient. Avec le nouveau secrétaire du Parti

communiste de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev, l’État major soviétique commence à remettre

la guerre en question. La résistance afghane est maintenant équipée de missiles Stinger qui

leur permet d’abattre les avions et les hélicoptères soviétiques et de multiplier les pertes

chez leurs envahisseurs. Selon les rapports émis et rendus publics en 1988, les pertes

soviétiques pour toute la campagne s’élèveraient à 13 000 morts, 35 000 blessés et environ

300 disparus.174

Le 13 novembre 1986, Gorbatchev s’adresse aux membres du Politburo,

soulignant que la guerre fait rage depuis près de 7 ans et que les objectifs fixés initialement

n’ont pas été atteints. L’URSS n’a pas réussi à instaurer un gouvernement stable, ni à

contenir les résistances et les Moudjahidines. Sergeï Akhromeïev, alors chef de l’État-

Major soviétique, qui avait participé activement à la planification de l’invasion

d’Afghanistan, soutient la proposition de Gorbatchev. Il souligne que les soldats de

l’Armée rouge ont ratissé chaque centimètre du sol afghan, et qu’ils n’ont pourtant pas

réussi à contenir les Moudjahidines.175

Les États-Unis et les Européens demeurent cependant très critiques par rapport à cette

proposition jusqu’à l’annonce officielle du retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan le

8 février 1988. Le 14 avril de la même année, sont signés à Genève des accords prévoyant

le retrait progressif de l’Armée sur une période de 10 mois. Le 15 mai marque le début de

172

Op. Cit. Marshall L. Brown Junior, p. 153 173

Le Monde « La France ne s’est pas substituée aux États-Unis pour la fourniture d’une aciérie à l’URSS

indique le Quai d’Orsay », Le Monde, 19 septembre 1980 174

Central Committee of the Communist Party of the USSR, letter on Afghanistan, 10 mai 1988 175

Paul Dibb, « The Soviet experience in Afghanistan : lessons to be learned », Australian Journal of

International Affairs, 2010, Vol. 64 N°5, p. 498

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la retraite et le 15 février 1989, les derniers soldats soviétiques quittent le sol afghan.176

Les

soldats soviétiques avaient été entrainés pour une guerre rapide avec un appui important des

divisions blindées. Malheureusement, les résistants Moudjahidines entrainent l’Armée

rouge dans une guérilla à travers tout le territoire. L’incapacité des Soviétiques à s’adapter

à ce type de combat mena inévitablement à leur défaite.177

Pour plusieurs chercheurs, le régime de sanctions imposé contre l’URSS pendant la

campagne d’Afghanistan est une variable importante, mais pas déterminante dans la

décision de Gorbatchev concernant le retrait des troupes soviétiques. L’impact causé par

l’embargo sur les céréales est limité; Moscou a pu importer 90 % des stocks prévus

initialement et remplacer Washington par plusieurs autres fournisseurs. La somme

déboursée en supplément était le prix à payer défini par le président Carter, mais il ne fût

pas assez élevé pour que le Kremlin reconsidère sa position en Afghanistan.178

Néanmoins,

l’URSS a dû débourser plus d’un milliard de dollars supplémentaires pour ses importations,

somme considérable, surtout pour une économie stagnante comme celle de l’Union

soviétique à l’époque.

L’embargo du président Reagan sur les hautes technologies non plus n’a pas eu d’effet

direct sur la politique de l’Union soviétique. Cette mesure fut si rapidement dénoncée et

contestée par les alliés de Washington que Moscou put trouver de nouveaux fournisseurs et

mener à bien beaucoup de ses projets avec, dans quelques cas, un peu de retard.

Néanmoins, le projet d’oléoduc sera relocalisé.179

Il faudra plus d’une vingtaine d’années

pour qu’un oléoduc relie directement la Russie à l’Allemagne.180

Initialement, les sanctions

ont été mises en place pour forcer un retrait complet de l’Armée rouge. Cependant, comme

cet objectif semblait irréaliste, Carter et Reagan utilisèrent l’arme économique pour

démontrer aux dirigeants soviétiques qu’une intervention militaire dans un État non-aligné

avait un cout élevé.181

Un autre objectif du gouvernement américain était de dissuader

176

Op. Cit. Éric Bachelier, p. 58-60 177

Op. Cit. Paul Dibb, p. 499 178

Op. Cit. Philippe Lemaitre 179

Op. Cit Le Monde 180

Il faut en effet attendre le North Stream, gazoduc reliant la Russie et l’Allemagne en passant vers la Mer

Baltique. Il est inauguré en 2011 par Vladimir Poutine. http://www.nord-stream.com 181

Op. Cit. Cyrus Vance, p. 389

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l’URSS d’intervenir dans d’autres États.182

Toutefois, l’appui au général Jaruzelski lors de

son coup d’État à Varsovie en décembre 1981 démontre que les sanctions n’avaient

toujours pas assez d’impact pour remplir cet objectif secondaire. En 1985, une étude des

sanctions économiques, qui se voulait exhaustive, publiée sous la direction de Gary Clyde

Hufbauer détermine que le régime de sanctions imposé à l’URSS pendant la guerre

d’Afghanistan est un échec total. Les sanctions n’ont pas poussé le Kremlin à se retirer

d’Afghanistan, elles n’ont pas réussi à provoquer un changement dans les politiques de

Moscou, ni même à affaiblir le potentiel militaire de l’URSS. Selon cette étude, les

sanctions ne furent pas déterminantes, le retrait aurait été motivé uniquement par les

changements militaires; l’URSS n’a pas le contrôle sur le territoire, les nouvelles armes

font des ravages, les morts et les blessés augmentent drastiquement. Pour Gary Clyde

Haufbauer et ses collègues, les sanctions ne furent pas une variable importante et c’est

pourquoi ils concluent à un échec de ce régime de sanctions.183

David Baldwin propose toutefois une interprétation plus nuancée en soutenant que les

sanctions n’ont certes pas provoqué un retrait militaire, mais que l’embargo sur les céréales

peut être considéré comme partiellement efficace. L’URSS n’a pas réussi à tout importer ce

qui était prévu; elle a dû débourser une somme considérable pour atteindre ce résultat; il y

eut quand même plusieurs ruptures de stock, car les livraisons n’étaient pas du tout

constantes; les planificateurs soviétiques durent travailler beaucoup plus pour réorganiser

l’approvisionnement et les transports de marchandises. Selon lui, l’embargo a certainement

rempli une partie de l’objectif du gouvernement américain, car l’URSS a dû débourser

beaucoup plus que la somme prévue initialement. Elle a eu un prix à payer. L’embargo a

même atteint Moscou d’une façon qui n’avait pas été anticipée par la Maison-Blanche; les

Soviétiques n’ont pas boycotté le grain américain. Ils n’ont pas remplacé la totalité des

céréales américaines par des céréales d’autres fournisseurs, car ils ne pouvaient pas se

passer de cette quantité. Selon Baldwin, Brejnev dut ravaler sa fierté et acheter toutes les

céréales disponibles aux États-Unis, ce qui peut certainement être considéré comme un

182

Op. Cit. Zbigniew Brzezinski, p. 430 183

Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, Economic Sanctions

Reconsidered 3e edition, Peterson Institute for International Economics, Washington, 2007, p. 72-75

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camouflet infligé à une grande puissance.184

Kim Richard Nossal soutient également cet argument en soutenant que le succès d’un

régime de sanctions dépend des objectifs initiaux du pays qui l’impose. Plus les objectifs

sont humbles, plus il y a de chances que le régime les remplisse. Rares sont les cas où des

sanctions vont forcer un État à changer drastiquement ses politiques, mais si le succès est

lié au cout imposé à un État ou pour punir un État, le succès est presque assuré. De plus,

dans un cas comme l’Afghanistan, l’arme économique est beaucoup moins risquée que

l’intervention militaire, et même s’il y a un cout imposé au pays instigateur des sanctions,

le cout ne peut pas dépasser celui d’une campagne militaire. Les fermiers américains et les

compagnies de technologies américaines ont certainement souffert des embargos décrétés

par Washington, mais les sommes qu’aurait dû débourser la Maison-Blanche pour une

intervention directe dépassent largement les pertes encourues au niveau national.185

Les embargos américains contre l’URSS furent extrêmement difficiles à appliquer.

Initialement, le président Carter savait que le succès de son embargo dépendrait beaucoup

de la réaction de ses alliés, notamment le Canada, l’Australie, et l’Europe de l’Ouest.186

Selon l’analyse de Gary Hufbauer, c’est principalement pour cette raison que les sanctions

sur les importations sont moins utilisées que les sanctions sur les exportations. Beaucoup

trop de variables sont à prendre en considération pour la réussite d’une telle mesure. Si le

pays sous sanction trouve des fournisseurs alternatifs qui sont prêts à contourner le régime

pour un gain monétaire intéressant, la sanction sera beaucoup moins efficace.187

Les

Soviétiques eux-mêmes ont affirmé que cette mesure serait un échec dès son imposition en

janvier 1980, car ils savaient pertinemment que les possibles bénéfices économiques offerts

à plusieurs États seraient suffisants pour faire obstacle à l’embargo.188

Les Européens ont

offert un soutien partiel au gouvernement américain, condamnant l’intervention soviétique

à l’ONU et votant en faveur de la résolution de l’Assemblée générale pour le retrait de

l’Armée rouge du territoire afghan. Ils ont aussi partiellement soutenu le boycott des Jeux

184

David A. Baldwin, Economic Statecraft, Princeton University Press, New Jersey, 1985, p. 269 185

Kim Richard Nossal, « International Sanctions as International Punishment », International Organization,

Été 1989, Vol. 43, N°2, p. 322 186

Op. Cit. Jimmy Carter, p. 416 187

Op. Cit. Hufbauer et all. p. 45 188

Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 139

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olympiques, mais ils furent beaucoup moins enclins à supporter Washington pour les

mesures économiques. Mis à part les exportations de produits alimentaires, les Européens

entretenaient des relations commerciales beaucoup plus importantes avec l’URSS que les

États-Unis, et la situation géopolitique est beaucoup plus difficile pour les Européens que

pour les Américains.189

Conclusion

Après la crise des otages en Iran, l’invasion soviétique de l’Afghanistan déclenche une

réaction extrêmement forte aux États-Unis. Rapidement le gouvernement américain

imposera un régime de sanctions sévères, afin de punir l’agression soviétique contre un État

non-aligné. L’URSS soutint un changement de régime craignant que le pouvoir ne se fasse

renverser par des résistants islamiques hostiles au régime communiste et à la collaboration

avec Moscou. Les nombreux alliés de Washington dénoncent cette intervention militaire et

exigent le retrait des troupes soviétiques du territoire afghan. Ils supportent également, dans

la majorité, les sanctions diplomatiques imposées par les États-Unis, mais sont beaucoup

plus réticents à utiliser l’arme économique contre l’URSS qui pourrait déstabiliser l’Europe

de l’Ouest à tout moment en commençant par Berlin. Le chancelier allemand et le président

français émettent d’ailleurs plusieurs réserves quant à l’implication de leur pays dans les

embargos américains qui, pour avoir une chance de réussir, nécessitent l’appui de la

communauté internationale.

L’embargo sur les technologies semble également démontrer la disposition du

gouvernement américain à tenter d’étendre sa juridiction à l’extérieur de ses frontières pour

imposer ses idées à ses homologues européens. Les États-Unis tenteront de contraindre la

Communauté économique européenne à l’aide du CoCom et de nouvelles restrictions, mais

après deux années d’embargo, les contestations européennes auront raison de cette mesure

économique. Le président Reagan reconnaitra lui-même les limites de cette mesure en

admettant qu’il ne fait que retarder la construction de l’oléoduc, tout en altérant ses

189

Op. Cit. Peggy L. Falkenheim, p. 119

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relations avec l’Europe et les membres de l’OTAN. 190

Les Européens ne perçoivent pas la crise comme les Américains. Ils jugent que

l’Afghanistan est bien loin comparé à Berlin dont la situation est précaire depuis la fin de la

Seconde Guerre mondiale. L’embargo sur les céréales décrété au mois de janvier par la

Communauté économique européenne ne sera en vigueur qu’environ 10 mois. La C.E.E.

tient à démontrer son support à Washington, mais il n’est pas dans son intérêt d’appliquer

les embargos américains puisque les échanges commerciaux entre les États d’Europe de

l’Ouest et l’URSS sont beaucoup plus importants que ceux entre l’URSS et les États-Unis,

et que la situation géopolitique – en Allemagne particulièrement – est beaucoup plus

risquée. Durant cette crise, les différents États d’Europe occidentale répondirent aux

sanctions américaines d’une seule voix, par la Communauté économique européenne. Bien

qu’il y ait eu des divergences d’opinion au sein de la communauté ainsi qu’une application

plus ou moins rigide des sanctions, les États membres alignèrent leurs politiques sur celles

de la Communauté comme ils le feront également par la suite lors d’autres crises, comme

celle d’Ukraine actuellement.

Néanmoins, les sanctions imposées contre l’URSS à la suite de l’invasion de l’Afghanistan

sont très critiquées et leur réussite est limitée. Cependant, comme le souligne Baldwin et

Nossal, certaines sanctions ont réussies partiellement – les sanctions symboliques,

diplomatiques et l’embargo sur les céréales – alors que d’autres ont été plus difficiles –

l’embargo sur les technologies. Certains objectifs modestes ont été remplis, et il est

possible de conclure que les sanctions ont influencé le retrait soviétique d’Afghanistan,

même s’il ne s’agit pas d’un motif décisif. Malgré les nombreuses critiques, Jimmy Carter

dira lui-même qu’une réaction était nécessaire, car « History teaches perhaps very few

lessons. But surely one lesson learned by the world at great cost is that aggression

unopposed is a contagious disease. »191

190

Op. Cit. Hubert Bonin, p. 248 191

Kim Richard Nossal, p. 318

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CHAPITRE 2 – LES RELATIONS ENTRE L’UKRAINE ET LA

RUSSIE (1991-2013)

Le 24 aout 1991, quelques mois avant la désintégration de l’Union soviétique, la

République socialiste d’Ukraine déclare son indépendance. Le 1er

décembre 1991, cette

indépendance sera confirmée par un référendum où 90 % des Ukrainiens se prononcent en

faveur.192

Cette indépendance est mal reçue en Russie, qui imagine mal son futur sans

l’Ukraine. « La Russie reconnait le 3 décembre 1991, par la voix du président Boris Eltsine,

l’indépendance ukrainienne. Mais aux yeux de nombreux hommes politiques et

intellectuels russes, toutes tendances politiques confondues, l’État ukrainien n’est qu’une

création artificielle temporaire, l’indépendance ukrainienne, un contresens historique. »193

Alexandre Soljenitsyne affirme même qu’il ne peut s’imaginer une Russie qui se limite à la

Russie soviétique sans inclure aucune autre république comme l’Ukraine, la Moldavie et la

Biélorussie. Plusieurs intellectuels – le philosophe Aleksandr Tsipko, l’historien Iouri

Afanassiev, le politologue Andranik Migranian – vont jusqu’à décrire l’Ukraine comme

« une formation ethnopolitique fragile, artificielle et hétérogène, dépourvue de toute réelle

chance de former son propre État. »194

Ces quelques observations reflètent bien le courant

de pensée qui se répand en Russie postsoviétique et laissent déjà entrevoir des relations

difficilement égales entre les deux nouveaux pays.

Les relations entre la Russie et l’Ukraine n’évolueront cependant pas de manière constante

à travers le temps. Les années 1990 sous la présidence de Boris Eltsine seront caractérisées

davantage par des tentatives de partenariats, certes difficiles, mais la coopération sera

ultimement un but, alors que les années avec Vladimir Poutine à la tête de la Fédération

russe seront bien plus difficiles. En effet, dès son arrivée au pouvoir, et tout au long de son

premier mandat, jusqu’en 2004, le président Poutine tentera de repositionner l’Ukraine dans

la sphère d’influence de la Russie en s’ingérant progressivement dans l’économie

ukrainienne, mais aussi dans la sphère politique et dans le processus électoral. Cette

192

Chrystyna Lapychak, « Ukraine, Russia sign interim bilateral pact » Kiev Press Bureau,

1er

septembre 1991, http://www.ukrweekly.com/old/archive/1991/359102.shtml 193

Anne de Tinguy, L’Ukraine, nouvel acteur du jeu international, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 11 194

Ibid, p. 13

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ingérence culminera en 2004 lorsque le candidat favori des Russes sera élu comme

président et que cette élection sera contestée et déclarée invalide. À partir de ce moment et

jusqu’à aujourd’hui, l’objectif de la Russie de Vladimir Poutine ne sera plus de collaborer

avec l’Ukraine, mais bien de positionner celle-ci comme vassale de la Fédération russe.

Un partenariat difficile entre les États russe et ukrainien (1991-1999)

Lors de la présidence de Boris Eltsine, les points de discorde avec l’Ukraine sont

nombreux, mais le président de la Fédération russe se montrera toujours prudent à l’égard

de ses homologues ukrainiens. Malgré son indépendance récente, l’Ukraine demeure très

dépendante économiquement de Moscou, dépendance dont le Kremlin se sert pour exercer

des pressions sur le nouvel État. Le statut de la flotte anciennement soviétique stationnée à

Sébastopol en Crimée est également un point de discorde sans oublier la dénucléarisation

de l’Ukraine, souhaitée autant par les États-Unis que par la Russie. Finalement, il faut

également mentionner que les tentatives de l’Ukraine pour développer des relations

bilatérales avec d’autres États dans l’espace ex-soviétique sans passer par la Russie et son

désir de rapprochement avec l’Occident et l’OTAN achèvent d’agacer Moscou.

Une forte dépendance économique au lendemain de l’indépendance politique

Au lendemain de son indépendance, la situation économique ukrainienne est

particulièrement difficile. Entre 1989 et 1992, la croissance économique chute d’environ

20 %. En 1992, c’est environ la moitié des Ukrainiens qui vivent sous le seuil de la

pauvreté. Les salaires augmentent, mais le pouvoir d’achat diminue constamment tellement

l’inflation est incontrôlable. En 1993, l’inflation atteint 10 000 %, réduisant ainsi le pouvoir

d’achat de 63 %. Les personnes habitant la campagne, les personnes âgées et les retraités

récents sont les plus touchés par cette inflation démesurée. Le président Léonid Kravchuk

se concentre davantage sur les besoins politiques; le besoin de créer un pays, une identité

nationale. Il ne se soucie que très peu d’une économie prise entre un marché qui ne se

développe pas, et une économie planifiée qui ne fonctionne plus. Beaucoup d’Ukrainiens

habitant dans les régions de l’est du pays trouvent du travail de l’autre côté de la frontière.

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57

Plusieurs travaillent comme journaliers au sein des grandes compagnies de construction

russes et y achètent des biens et de la nourriture qu’ils ne retrouvent pas en Ukraine.195

En Russie postsoviétique, Boris Eltsine tenta d’abord de se concentrer davantage sur ses

relations avec l’Occident plutôt qu’avec les républiques qui formaient l’Union. Lorsque ses

tentatives de rapprochement économiques et politiques échouent partiellement, celui-ci se

tourne vers les républiques qu’il avait délaissées.196

La Russie se sert de cette dépendance

économique envers l’Ukraine quand elle désire obtenir quelque chose. Le président

ukrainien lui-même dira qu’il avait peur que ce soit la fin de l’Ukraine indépendante

lorsqu’à la fin de 1993 et au début de 1994, la Russie hausse les prix du pétrole. La

dépendance énergétique ukrainienne est telle que le pays vacille une fois de plus à

l’automne 1996 lorsque le président Eltsine décide « d’imposer à partir du 1er

septembre

une taxe de 20 % sur les importations en provenance de l’Ukraine puis un quota sur celles

de sucre. »197

En 1999, 40 % des exportations de l’Ukraine vont vers la Russie qui est un

acheteur plus qu’essentiel, surtout pour les entreprises de l’est du pays. En ce qui a trait à la

dépendance énergétique, la jeune république peine à produire respectivement 12 % et 20 %

du pétrole et du gaz qu’elle consomme annuellement. La grande majorité des importations

de ces matières viennent du territoire russe et dans une moindre mesure du

Turkménistan.198

Au milieu des années 1990, elle tentera de se défaire de cette dépendance avec le projet

d’un oléoduc pour acheminer le pétrole de la mer Caspienne en transitant par la Géorgie

sans passer par la Russie. Cependant, à la suite de mésententes avec les compagnies

pétrolières, ce projet avortera et l’oléoduc ne sera pas utilisé à cette fin. Ce projet était

particulièrement intéressant, car Kiev aurait par la suite pu rediriger les excédents vers la

Pologne plus que satisfaite de faire affaire avec son homologue ukrainien plutôt qu’avec

Moscou. Nul besoin de rajouter que l’avortement du projet, qui déplaisait au plus haut point

à la Russie, est une très bonne nouvelle pour les dirigeants du Kremlin. Cette tentative

195

Rajan Menon, Eugene Rumer, Conflict in Ukraine, The unwinding of the Post-Cold War Order,

Cambridge, The MIT Press, 2015, p. 25-26 196

Oles M. Smolansky « Ukraine and Russia : An Evolving Marriage of Incovenience », Foreign Policy

Research Institute, Hiver 2004, p. 119 197

Op. Cit. Anne de Tinguy, p. 22 198

Idem

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58

s’inscrit dans un projet plus large, le GUAM, qui prend forme en 1997, lorsque les

gouvernements de l’Ukraine, de Moldavie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie s’unissent pour

tenter de résister davantage aux projets d’intégration russe au sein des États de l’ex-URSS.

En 1999, l’Ouzbékistan rejoint le groupe et les États tentent de coordonner leur politique

étrangère et leur politique de sécurité. Cette alliance est vue de Moscou comme une traitrise

et l’Ukraine comme le cerveau de cette alliance d’États qui aurait comme but principal

d’isoler la Russie. Cette alliance créée sous l’œil vigilant de Washington, qui désire limiter

le pouvoir de Moscou dans la région de l’ex-URSS, restera cependant bien plus symbolique

qu’efficace.199

Malgré tout, l’Ukraine n’est pas totalement fermée aux partenariats avec la

Russie. Elle signe d’ailleurs un accord permettant la création du MEK,200

le Comité

économique interétatique qui lie les États de l’ex-URSS.201

À qui revient l’héritage soviétique et la flotte de la mer Noire ?

Le dilemme entourant la flotte de la mer Noire se pose dès 1991 et ne sera officiellement

réglé qu’en 1997 avec la signature d’un traité d’amitié. Appartenant officiellement à

l’Ukraine, « en janvier 1992, la Commission des Affaires étrangères, alors présidée par

Vladimir Loukine, tente de remettre en cause la validité de l’acte de 1954. À l’époque, la

flotte est composée de plus de 300 navires de combat, de 14 sous-marins, et d’environ

300 avions, hydravions et hélicoptères.202

Le 21 mai 1992, le parlement russe déclare cet

acte illégal et sans force de loi. Par la suite, il revient à la charge à plusieurs reprises. Si le

pire ne se produit pas, c’est notamment parce que le président Eltsine se montre

prudent. »203

Le président russe affirme toutefois que cette flotte fut toujours russe et

qu’elle le demeurera. En avril 1992, le président ukrainien Léonid Kravchuk décide de

nationaliser la flotte de la mer Noire, mais affirme ouvertement qu’il est prêt à négocier

avec la Russie pour un partage équitable de la flotte. Eltsine tentera alors de négocier en

199

Op. Cit. Oles M. Smolansky, p. 118 200

Ce comité a pour but d’établir une zone de libre-échange, une union douanière et un système de paiements

communs. Il tente de coordonner le développement économique global dans les États de la CEI en renforçant

la coopération dans les domaines scientifiques et technologiques, les échanges commerciaux, les stratégies

d’investissement, la politique monétaire, l’exploitation des ressources naturelles, etc. L’objectif de ce comité

est de normaliser les relations entre les États successeurs de l’Union soviétique qui acceptent toujours de

collaborer avec la Russie. 201

Margot Light, « La Galaxie CEI 1991-2006 », Le Courrier des Pays de l’Est, 2006, Vol. 3, N°1055, p. 18 202

Gwendolyn Sasse, The Crimea Question : Identity, Transition, and Conflict, Harvard University Press,

Cambridge, 2007, p. 225 203

Op. Cit. Anne de Tinguy, p. 28

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offrant à Kiev de réduire la dette qu’elle peine à rembourser en raison des importations de

gaz et de pétrole et en échange la Russie achètera sa partie de la flotte à l’Ukraine. Pour

augmenter encore davantage la pression, pendant l’hiver de 1993 à 1994, Gazprom, géant

russe du gaz naturel, ira même jusqu’à réduire ses exportations vers le territoire

ukrainien.204

Plusieurs réunions ont lieu en 1992, 1993 et 1994 au sujet du partage des avoirs de l’Union

soviétique, mais celles-ci n’aboutissent à rien. Un accord sera finalement trouvé lors d’une

réunion à Moscou le 15 avril 1994. Il faudra cependant attendre plus de trois ans pour que

ce même accord soit finalement signé le 28 mai 1997, puis deux autres années avant qu’il

soit ratifié en février 1999.205

Lors de ces négociations, Boris Eltsine doit toujours se

montrer très prudent. À la suite d’une déclaration publique du secrétaire du Conseil de

Sécurité en Russie qui réaffirme en 1996 que la ville de Sébastopol en Crimée, où est

stationnée la flotte de la mer Noire, doit rester russe, le premier vice-ministre des Affaires

étrangères en Ukraine s’empresse de déclarer publiquement le désir ukrainien d’adhérer à

l’OTAN. Le nouveau président Léonid Koutchma, à la tête du pays depuis 1994, ajoutera à

la déclaration de son vice-ministre que « Si les Russes continuent à avoir à notre égard la

politique agressive qu’ils mènent actuellement, ils nous poussent eux-mêmes vers

l’OTAN. »206

La signature du traité de 1997 par la Russie a donc pour effet de normaliser

les relations très tendues entre les deux pays. L’accord octroie finalement 82 % de la flotte

à la Russie, alors que l’Ukraine en conserve 18 %. L’accord permet aussi à l’Ukraine de

mettre la main sur une rente annuelle de 97,75 millions de dollars pour l’occupation de la

ville et du port de Sébastopol par la marine russe. Cette rente lui permettra de rembourser, à

long terme, sa dette s’élevant à plus de 3 milliards de dollars pour la consommation

nationale de gaz et de pétrole.207

204

Paul Kubicek « Russian Foreign Policy and the West » Political Science Quarterly, Vol. 114, N°4 (Hiver,

1999-2000), p. 558 205

Op. Cit. Anne de Tinguy, p. 29 206

Ibid, p. 30 207 Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 27-28

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Le mouvement sécessionniste de Crimée

Au lendemain de l’indépendance ukrainienne, le territoire de Crimée, habité

majoritairement par des Russes et embrassant les valeurs soviétiques, se retrouve sous la

juridiction de Kiev et d’une Ukraine souveraine. Le président Kravtchuk, dont le principal

souci est de créer une unité dans son pays, sous-estime le besoin de reconnaissance de

certaines minorités. Sous Kravtchuk, le mouvement sécessionniste russe prendra

rapidement de l’ampleur, le président ukrainien devra annuler plusieurs référendums pour

empêcher la Crimée de se séparer. Avec l’élection de Léonid Koutchma et la guerre de

Tchétchénie qui occupe grandement la Russie, la Crimée s’intègrera progressivement à

l’Ukraine à partir de 1995.208

Pendant son mandat, le président Kravtchuk ne développera pas de politiques précises

concernant les régions et les minorités qui demandent une reconnaissance particulière de

leurs coutumes – la langue russe – ou une plus grande autonomie politique. En absence de

politique fédérale, les autorités régionales de Crimée rédigent plusieurs textes

constitutionnels, soutenant que la langue et la culture russe profondément ancrées en

Crimée sont essentielles pour la définition d’une identité. Les Russes habitant la péninsule

craignent une discrimination ou une assimilation à la population ukrainienne alors qu’ils

jugent être très différents.209

La péninsule est habitée par de nombreux militaires de la flotte

de la mer Noire ou des vétérans de la Seconde Guerre mondiale qui s’identifient

grandement à la Russie. L’idée d’un référendum et d’une Crimée intégrée au territoire de la

Russie est élaborée rapidement après la désintégration de l’URSS, et le 5 mai 1992 la

Crimée déclare son indépendance.210

La résolution d’indépendance est votée au parlement

et adoptée par une majorité de 118 en faveur et 28 contre. Un référendum doit cependant

être organisé pour que la population se prononce sur le statut de la péninsule.211

Les leaders

du mouvement ne cachent pas leur inclinaison favorable pour la Russie, ils travaillent sur le

référendum et tentent d’orienter la question pour déterminer si les citoyens sont prêts à

208

Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 200 209

Leslie Shepherd, « Crimean Parliament Approves Constitution », Associated Press, 6 mai 1992 210

Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 144 211

Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 3

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soutenir une Crimée indépendante pouvant s’allier à d’autres États.212

Pour Yuri Meshkov,

qui est à la tête du mouvement sécessionniste, le résultat du vote – 118 en faveur et 28

contre – est une victoire totale, un premier pas vers l’indépendance complète et une alliance

avec la Russie.213

Cette déclaration d’indépendance complique évidemment les relations entre Kiev et

Moscou. La situation en Crimée est directement reliée aux négociations concernant la flotte

de la mer Noire. La Russie supporte le référendum de 1992, soutenant que la Crimée a été

illégalement donnée à l’Ukraine en 1954 et qu’elle devrait faire partie intégrante de la

Fédération russe. En mai 1992, le parlement russe déclare d’ailleurs ce transfert comme

illégal et encourage le Parlement de Crimée dans ses démarches de référendum.214

Les

parlementaires russes estiment que la péninsule est russe, que la langue principale des

habitants est le russe, et qu’historiquement, la Russie a un droit acquis sur la Crimée,

depuis qu’elle fût annexée à l’empire par Catherine II. Évidemment, Kiev affirme que

Moscou a reconnu ses frontières lors de la déclaration d’indépendance, et que faisant partie

de l’État soviétique, l’Ukraine a autant de droits sur la Crimée que la Russie.215

En 1954,

c’est par souci de logistique que Nikita Khrouchtchev transfère la responsabilité de la

Crimée à l’Ukraine. La Russie n’est pas reliée à la péninsule qui est dépendante du

territoire ukrainien pour plus de 80 % de son approvisionnement en eau et plus de 90 % de

son électricité. Entre 1992 et 1994, Kiev se servira de cette dépendance comme levier pour

négocier avec les dirigeants de Crimée. Plusieurs fois, Kravtchuk tentera de négocier avec

Simféropol, mais en l’absence d’accord et de politique concrète, le mouvement prend

encore de l’ampleur.216

En 1994, l’élection de Léonid Koutchma est interprétée différemment par Kiev et par

Simféropol. Le président Koutchma est un homme de l’Est, qui devrait être en faveur d’un

rapprochement considérable avec Moscou. Après l’indépendance de la Crimée et son

212

Serge Schmemann, « Crimea Parliament Votes to Back Independence from Ukraine », New York Times,

6 mai 1992 213

Op. Cit. Leslie Shepherd 214

Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 3 215

Op. Cit. Serge Schmemann 216

Gwendolyn Sasse, James Hughes, « Power ideas and conflict: ideology, linkage and leverage in Crimea

and Chechnya », East European Politics, 2016, Vol. 32 N°3, p. 318

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unification avec la Russie, l’Ukraine de Koutchma devrait également emprunter le même

chemin. À Kiev, cette élection est perçue comme étant une volonté réelle de la Crimée de

rester au sein de l’Ukraine avec une reconnaissance de la culture et de la langue russe

puisque la péninsule est la seule province ukrainienne à être majoritairement russophone.

Koutchma est élu le 26 juin 1994, date à laquelle le conseil municipal de Sébastopol sonde

les conseillers pour connaitre leur avis sur le statut de la ville. 89 % des membres du conseil

municipal supportent un statut de ville russe en raison de la flotte de la mer Noire.217

En

Crimée, les élections de 1994 portent au pouvoir Russia bloc, avec comme président Yuri

Meshkov qui l’emporte avec 67 % des voix. Son premier voyage officiel sera vers Moscou,

où lui et Eltsine discuteront d’une coopération économique importante entre la péninsule et

la Russie.218

Juste avant l’élection de Koutchma, Meshkov organise un référendum où il

demande aux citoyens de se prononcer sur la possibilité d’avoir une plus grande autonomie

régionale, une double citoyenneté criméenne et ukrainienne, et que le président de la

Crimée ait de plus grands pouvoirs. Le référendum sera annulé par Kravtchuk, même si les

trois questions obtinrent respectivement 78,4 %, 82,8 % et 77,9 % de votes favorables.219

Malgré la popularité incontestable de Meshkov, le mouvement sécessionniste s’essoufflera

rapidement après son arrivée au pouvoir. D’abord, son parti n’avait pas d’objectif clair

quant à l’avenir de la péninsule et son statut au sein de l’Ukraine, comme État indépendant,

ou comme État s’unissant à la Fédération russe. De plus, alors que Moscou semblait

démontrer une amélioration de la situation économique, la Crimée était toujours en

récession, au même titre que l’Ukraine.220

À partir de 1994 et jusqu’en 1996, le Kremlin

doit également gérer un mouvement sécessionniste en Tchétchénie, à l’intérieur de ses

frontières, lui laissant beaucoup moins de temps à accorder aux mouvements

sécessionnistes prorusses en dehors des frontières de la Fédération.221

Koutchma en profite

alors pour négocier plus sérieusement avec Simféropol les conditions d’une autonomie pour

la péninsule au sein de l’État ukrainien.222

Eltsine se distance également lui-même un peu

217

Taras Kuzio, « The Crimea and European security » European Security, 1994, Vol. 3 N°4, p. 751 218

Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 163 219

Op Cit. Taras Kuzio, p. 742 220

David R. Marples, David F. Duke, « Ukraine, Russia, and the question of Crimea » Nationalities Papers,

1995, Vol. 23 N°2, p. 284 221

Op. Cit. Gwendolyn Sasse, James Hughes, p. 318 222

Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 200

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du conflit. Sous Kravtchuk, les nombreuses réunions concernant le statut de la flotte de la

mer Noire ne mènent à rien. Cependant, avec la guerre de Tchétchénie, il devient beaucoup

plus soucieux de régler cette impasse, assistant au rapprochement entre l’Ukraine et la

Crimée sans s’y opposer.223

Certains membres du gouvernement russe comme le vice-

président Alexander Rutskoi ou le ministre des Affaires étrangères Andrei Kozyrev tentent

toutefois de raviver le conflit en soutenant notamment que le russe devrait être une langue

officielle. Le rapprochement est toutefois bien entamé, les provocations de Moscou ne

suffisent pas à ralentir les démarches entre Koutchma et les parlementaires de Crimée. En

1998, le parlement ukrainien ratifie la constitution de la République autonome de Crimée

en Ukraine, ce qui scelle définitivement le statut de la péninsule.224

L’appui de Moscou au

mouvement sécessionniste de Crimée retardera et compliquera les négociations au sujet de

la flotte de la mer Noire, mais avec la guerre de Tchétchénie et les politiques beaucoup plus

claires de Koutchma concernant les régions et les minorités, l’indépendance de la péninsule

ne sera jamais officialisée et le mouvement perdra de son importance à partir de 1995.

L’enjeu des armes nucléaires soviétiques sur le territoire ukrainien

Depuis son indépendance, l’Ukraine affirme sa neutralité et son choix de devenir un État

non nucléaire. Cependant son attitude change dans les années 1992-1993 lorsque les États-

Unis et la Russie demandent à l’Ukraine de transférer les armes nucléaires de l’héritage

soviétique à la Russie. L’autre possibilité, proposée par Moscou, est l’envoi de personnel

russe en Ukraine pour administrer les armes nucléaires qui resteront en territoire ukrainien.

Géopolitiquement, le territoire ukrainien était un endroit stratégique pour positionner des

armes nucléaires. Encore sur le territoire soviétique, mais beaucoup plus près de l’Europe,

lorsque l’Ukraine devient indépendante, l’arsenal soviétique demeuré en territoire ukrainien

fait de ce pays la 3e puissance nucléaire mondiale. Cependant, même si Kiev avait toujours

accès à l’équipement, le contrôle des armes demeurait aux mains des Russes.225

L’enjeu est

néanmoins énorme pour Washington et pour Moscou, devant faire face à un nouveau voisin

beaucoup trop armé. En octobre 1993, le parlement ukrainien réaffirme sa volonté de

devenir un État dénucléarisé, mais il proclame également que les armes nucléaires

223

Op. Cit. David R. Marples, David F. Duke, p. 275 224

Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 219 225

Serhy Yekelchyk, The Conflit in Ukraine – What everyone need to know, Oxford University Press,

New York, 2015, p. 67

Page 72: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

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soviétiques sur son territoire sont la propriété de l’État ukrainien et non pas de la Russie.226

Pour le gouvernement, ces armes sont vues comme un des seuls moyens que l’Ukraine

possède pour contrer les pressions économiques et politiques exercées par la Russie sur le

nouvel État. D’un autre côté, « à trop jouer la carte nucléaire, l’Ukraine risque d’apparaitre

comme une menace pour la sécurité internationale. »227

La Russie est en constant contact

avec les États-Unis qui désirent voir l’Ukraine se départir de ses armes au plus vite.

Plusieurs fois, les Russes affirment que les Ukrainiens tentent de prendre contrôle sur les

armes et que des accidents nucléaires sont possibles.

En janvier 1994, le président américain Bill Clinton se rend à Moscou pour signer un

accord avec Kiev et Moscou. Il affirme que si l’Ukraine livre les armes à la Russie, Eltsine

et lui-même sont en mesure de garantir l’intégrité territoriale, la sécurité et une aide

économique pour le nouvel État. L’accord est signé le 14 janvier 1994 et le transfert des

armes se termine le 1er

juin 1996. Depuis cet accord, Kiev se rapproche de plus en plus de

l’Occident tout en tentant de conserver de bonnes relations avec Moscou. En 1994, un

nouveau président, Léonid Koutchma, prend le pouvoir à Kiev en promettant « Fewer

Walls, More Bridges » avec Moscou. Lors de son premier mandat, celui-ci se rapproche

tout de même considérablement de l’Occident et de l’OTAN, car Washington encourage le

pluralisme politique et le rapprochement avec l’Ouest pour les républiques ex-soviétiques

pour empêcher la Russie de regagner de l’influence dans la région. En échange, l’aide

occidentale se fait tout de même généreuse. Kiev estime néanmoins que l’aide occidentale

n’est pas comparable aux sommes amassées par la Russie à la suite du démantèlement de

son arsenal et de la vente de l’uranium aux États-Unis. 228

En 1997, le Fonds monétaire

international (FMI) fait tout de même un prêt de plus de 3,7 milliards de dollars américains

à l’Ukraine, en plus d’être le troisième plus grand bénéficiaire de l’aide américaine

apportée à l’étranger derrière Israël et l’Égypte.229

Malgré les points de discorde, La Russie et l’Ukraine arrivent à régler des différends

d’envergure durant cette période où Boris Eltsine est au pouvoir. Avec l’aide occidentale,

226

Op. Cit. Paul Kubicek p. 559 227

Op. Cit. Anne de Tinguy, p. 37 228

Arnaud Dubien, « La seconde indépendance de l’Ukraine », Politique Internationale, N°106, Hiver 2005 229

Op. Cit. Paul Kubicek p. 559

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Kiev réussit à s’affirmer comme État indépendant et ne s’écroule pas sous les pressions

exercées par la Russie qui tente de retrouver peu à peu de l’influence sur la région autrefois

dominée par l’Union soviétique. Les relations entre les deux pays sont rarement d’égal à

égal, mais le président Eltsine reconnait tout de même l’indépendance de l’Ukraine et

n’encourage pas les mouvements plus extrémistes en Russie qui proclame l’invalidité de

l’acte de 1954 qui donne la Crimée à l’Ukraine, ou, encore, ceux qui veulent tout

simplement le rattachement de la nouvelle république à la Russie comme sous l’Union

soviétique. Ces relations déjà plutôt ordinaires ne s’amélioreront pas avec l’arrivée du

nouveau président russe Vladimir Poutine au Kremlin qui semble plus déterminé que son

prédécesseur à faire revenir l’Ukraine dans la sphère d’influence russe.

L’Ukraine, de sphère d’influence russe au réveil de la société civile (2000-

2004)

Le premier mandat de Vladimir Poutine comme président de la Russie sera caractérisé par

une série de mesures et d’accords avec ou contre l’Ukraine pour que celle-ci ne s’éloigne

jamais trop du grand frère russe. L’ingérence russe dans les domaines économique et

politique culminera en 2004, lorsque l’élection présidentielle, initialement remportée par un

candidat prorusse, sera déclarée invalide. La société civile ukrainienne se soulèvera pour

soutenir son gouvernement contre les interventions russes qui se font de plus en plus

fréquentes.

Des mesures incitatives et des menaces

Tout comme Eltsine, Poutine tente d’améliorer les liens entre la Russie et les anciennes

républiques soviétiques. Cependant, à la différence de l’ancien président, il veut également

rétablir l’influence de la Russie dans les sphères économiques et politiques des États. Il

veut augmenter les exportations notamment vers l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie qui

faisait alors partie du GUAM, cette entité perçue par la Russie comme une force voulant

contrer le désir russe de reconquérir l’espace soviétique. Coup de chance en Ukraine, au

début des années 2000, le président Koutchma se tourne progressivement vers Vladimir

Poutine lorsque l’Occident lui reproche de ne pas avoir fait assez de réformes économiques

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et politiques malgré toute l’aide financière fournie. Cette aide provient essentiellement du

gouvernement américain qui s’est engagé, lors des accords trilatéraux dans le cadre du

mémorandum de Budapest230

, à fournir une aide financière d’au moins 175 millions de

dollars américains à l’Ukraine. Cet accord est également accompagné d’assistance pour la

fermeture sécuritaire et la création d’un nouveau sarcophage pour le réacteur de

Tchernobyl. Le FMI, la Banque Mondiale et les États-Unis collaborent pour dédommager

monétairement l’Ukraine qui remet à la Russie toutes les armes nucléaires soviétiques, mais

également pour créer en Ukraine une économie de marché stable au lendemain de son

indépendance.231

De plus, lors de son deuxième mandat, le président ukrainien se retrouve lié au scandale

entourant le meurtre du journaliste de l’opposition Georgy Gongadze. Son choix se tourne

alors vers la Russie qui saisit l’opportunité.232

Il rappelle alors à Koutchma que, comme la

majorité du gaz en provenance de Russie transite par l’Ukraine avant de se rendre en

Europe, son pays a réussi à dérober pour plus de 900 millions de dollars en gaz naturel

détourné des pipelines russes vers les installations ukrainiennes, et ce, au courant des

années 1999-2000. Le président russe propose alors au président Koutchma de rembourser

une partie de cette dette en laissant les riches industriels russes acheter des industries et des

entreprises ukrainiennes. Comme l’Ukraine était incapable de rembourser cette dette, les

industriels russes mirent la main sur des entreprises parmi les plus profitables du jeune État

en plus de reprendre le contrôle sur certains gazoducs et certains oléoducs de l’époque

soviétique en territoire ukrainien. En échange, le gouvernement ukrainien promit de cesser

la pratique de vol de ressources.233

Après un déclin important des échanges économiques entre les deux pays entre 1998 et

2000, en 2001, le marché commercial ukrainien est submergé par les investisseurs russes. À

cette date, l’Ukraine a cumulé une dette de plus de 4 milliards de dollars en gaz et en

pétrole vis-à-vis de la Russie. Les coffres de l’État sont vides et le régime Koutchma n’a

230

Steven Pifer, The Trilateral Process : The United States, Ukraine, Russia and Nuclear Weapons,

Washington, 2011 231

Idem 232

Op. Cit. Oles M. Smolansky, p. 118 233

Ibid, p. 120

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pas les moyens de rembourser. La privatisation s’effectue dans un contexte de corruption

totale. Plusieurs compagnies, mines de charbon, aciéries, stations de télévision sont

vendues au plus offrant, mais avec d’énormes restrictions sur les acheteurs potentiels. Des

compagnies existantes ou des hommes d’affaires de l’ouest du pays se voient refuser la

possibilité de déposer une offre d’achat. Les Russes, les grands oligarques de l’est du pays

et Koutchma lui-même mettent la main sur les entreprises les plus prospères du nouvel

État.234

Même certaines des plus grandes banques ukrainiennes sont partiellement ou

complètement contrôlées par Moscou. Cette mainmise sur l’économie se transpose

tranquillement sur la politique alors qu’en octobre 2000, le président Koutchma se sent

dans l’obligation de faire une déclaration officielle à la suite du renvoi du ministre pro-

occidental des Affaires étrangères Borys Tarasyuk. Koutchma céda aux pressions du

Kremlin et renvoya son ministre, mais voulut rassurer le peuple ukrainien qu’il ne devait

pas craindre la Russie, que Moscou et Kiev étaient des partenaires économiques

stratégiques et que Poutine n’essayait en rien de ressusciter l’empire soviétique, ni de forcer

l’Ukraine à adhérer à la Communauté des États Indépendants (CEI).235

En octobre 2001, les

premiers ministres russe et ukrainien signent un accord pour que le gaz en direction de

l’Europe continue de transiter par l’Ukraine. Plus tard en 2002, les deux présidents cette

fois signent un second accord pour développer les réseaux d’oléoducs traversant

l’Ukraine.236

Pour Moscou, cet accord a un double objectif. Il s’agit non seulement d’un

moyen pour assurer les exportations massives de pétrole et de gaz vers l’Europe, comme le

commerce d’hydrocarbures représente une part importante des revenus annuels de la

Russie, mais pour le Kremlin, c’est aussi une façon de contrôler les infrastructures

énergétiques et de pallier aux vols d’hydrocarbures.237

Les années 2003 et 2004 verront naitre une série d’accords entre les deux pays qui

renforceront leurs liens économiques, mais également la dépendance de Kiev envers

Moscou, comme le Kremlin le souhaitait. En avril 2003, les deux présidents se rencontrent

en Crimée pour « l’établissement d’une zone économique commune comprenant l’Ukraine,

234

Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 30-31 235

Op. Cit. Oles M. Smolansky, p. 128 236

Ibid, p. 121-122 237

Arnaud Dubien, Gérard Duchêne, « Ukraine 2003, À la veille d’un scrutin présidentiel décisif », Le

Courrier des pays de l’Est, 2004, Vol. 1 N°1041, p. 44

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la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan »238

Plus tard en juillet, les deux partis signent un

accord sur la vente d’armes puis enfin, sur l’utilisation du pipeline construit par l’Ukraine

sur la ligne Odessa-Brody pour s’approvisionner en pétrole sans avoir besoin de transiter

par la Russie. Moscou mettra la main sur cet oléoduc et l’utilisera pour faire transiter ses

propres ressources.239

En juillet 2004, les présidents Poutine et Koutchma se rencontrent

pour une énième fois à Yalta. Ils se félicitent des rapprochements russo-ukrainiens dans la

sphère économique avant la dernière visite du président Poutine à Kiev en octobre 2004. À

cette occasion et à la veille des élections présidentielles, Vladimir Poutine n’hésite pas à

soutenir, lors d’une interview, le dauphin du président Koutchma, Viktor Ianoukovitch, le

candidat prorusse de cette campagne.240

Les multiples rencontres et accords entre les deux présidents servent bien l’État russe qui

avait pour objectif de distancer l’Ukraine de l’Occident et de la ramener dans sa sphère

d’influence. Initialement, lors de son premier mandat, le président Koutchma s’était

toujours montré prudent par rapport à Moscou. Encouragée par les États-Unis, l’Ukraine

avait plusieurs fois essayé de se rapprocher des autres pays de l’ex-Union soviétique en

évitant le plus possible la Russie. Il s’agissait de développer des relations bilatérales

davantage que des accords, même si l’Ukraine s’est laissée tenter lorsqu’elle a créé le

GUAM. Avec le recul des États-Unis au début des années 2000 en raison de la stagnation

des réformes, l’Ukraine se tourne vers Moscou qui semble alors la meilleure alternative

pour le jeune État. Dès lors, Poutine mettra tout en œuvre pour garder cette orientation

prorusse en Ukraine en mettant progressivement la main sur les banques et les entreprises

les plus fructueuses du pays. « Cette pénétration du capital russe en Ukraine a été favorisée

par deux éléments : l’opacité du processus de privatisation et la connaissance incomparable

qu’ont les hommes de Moscou d’une administration ukrainienne profondément

corrompue. »241

Une fois cette mainmise économique bien établie, les pressions politiques

qui suivent confirment son dessin de contrôler l’Ukraine comme sous la bannière de

l’Union soviétique. L’ingérence politique se fera, tout comme pour la sphère économique,

238

Ibid, p. 59 239

Arnaud Dubien, Gérard Duchêne, « Ukraine 2004, l’heure des choix », Le Courrier des pays de l’Est,

2005, Vol. 1 N°1047, p. 38 240

Ibid, p. 58 241

Op. Cit. Arnaud Dubien, p.39

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de façon graduelle. Cependant, la société civile en Ukraine n’acceptera pas cette ingérence

bien longtemps et se soulèvera contre son propre gouvernement.

L’ingérence politique et le réveil de la société civile ukrainienne : la Révolution orange

Depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine en Russie, l’ingérence de Moscou, non seulement

dans la sphère politique, mais également dans le processus électoral lui-même, s’accroitra

progressivement avant de culminer en 2004 lors des élections présidentielles. Le but

premier de cette ingérence est de coordonner les politiques étrangères de l’Ukraine et de la

Russie vis-à-vis de l’Occident, de l’OTAN et de l’Union européenne.242

En 2004, Moscou

soutient le candidat du bloc de l’Est du pays, Viktor Ianoukovitch qui s’oppose au candidat

pro-ouest Viktor Iouchtchenko. Durant cette campagne, le Kremlin ne ménagera pas les

efforts pour salir la réputation et discréditer Iouchtchenko. Il mettra en place un site web

sans oublier de mettre ses appels sous écoute. Moscou ouvrira un centre de presse à Kiev

qui sera au cœur de la désinformation russe lors de cette campagne.243

Malgré tous les efforts russes, après la première ronde Iouchtchenko est le candidat sortant

avec une maigre avance. Il obtient 39,9 % des voix alors que Ianoukovitch obtient 39,3 %.

Après cette première ronde, le troisième candidat qui a reçu moins de voies se rallie à

Iouchtchenko. Les sondages prédirent alors la victoire de ce dernier, mais le

21 novembre 2004, à la suite du deuxième tour, la commission électorale déclarait

Ianoukovitch vainqueur avec 49,5 % des voix alors que Iouchtchenko aurait obtenu 46,6 %

des voix.244

Immédiatement ces résultats furent contestés et les gens sortirent dans les rues

de Kiev pour manifester. De gigantesques manifestations bloquèrent la circulation,

l’administration gouvernementale et les menaces de grève générale émanaient de partout.

Ces manifestations eurent lieu non seulement à Kiev, mais également à Lviv, ainsi que dans

beaucoup d’autres grandes villes de l’est du pays.245

Le régime de Koutchma voulut utiliser

la force pour disperser les manifestants et mettre fin à cette révolution entretenue par le

candidat « défait » Iouchtchenko ainsi que son équipe, mais l’ampleur des évènements a

242

Taras Kuzio, « Russian Policy toward Ukraine during Elections », Demokratizatsiya, automne 2005,

Vol. 13 N° 4, p. 491-492 243

Ibid, p. 493 244

Theodor Tudoroiu, « Rose, Orange, and Tulip : The failed post-Soviet revolutions », Communist and Post-

Communist Studies, 2007, Vol. 40 p. 327 245

Op. Cit. Arnaud Dubien

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rendu cette répression par la force impossible. Le 27 novembre, la Cour suprême annonce

qu’elle n’est pas en mesure de publier officiellement les résultats, puisque Iouchtchenko a

demandé une révision en revendiquant que le vote a été manipulé par Moscou et le régime

Koutchma. Le même jour, le parlement déclarait l’élection invalide. Le 26 décembre 2004,

il y eut un second vote à la suite duquel Iouchtchenko sortit vainqueur avec 52 % des voix

contre Ianoukovitch qui obtint 44,2 % des voix.

246

La Révolution orange est souvent perçue comme le réveil de la société civile en Ukraine.

Après le second mandat de Koutchma et l’ingérence graduelle de la Russie en Ukraine,

cette contestation massive contre les nouvelles politiques prorusses est sans précédent. Les

gens se soulèvent pour que l’Ukraine cesse d’être un satellite de la Russie et se rapproche

de l’Occident comme Koutchma l’avait fait lors de son premier mandat. Iouchtchenko,

parce qu’il est beaucoup plus libéral et qu’il était ministre sous Koutchma dans les

premières années, semble le candidat idéal pour accomplir cet objectif. La société civile

ukrainienne placera beaucoup d’espoir en lui alors que Vladimir Poutine avait tout misé

pour que le candidat successeur du régime Koutchma conserve le pouvoir. Les acquis de

Moscou en Ukraine auraient été beaucoup plus faciles à conserver qu’avec un président

pro-ouest au pouvoir. Cette révolution et le programme de Iouchtchenko sont très

prometteurs. Cependant, la Russie ne s’avoue pas vaincue pour autant. Comme il sera de

plus en plus difficile de collaborer avec le gouvernement ukrainien qui prend officiellement

un tournant occidental au lendemain de l’élection présidentielle, Poutine devra utiliser la

force et la menace pour mener à terme son projet de vassaliser l’Ukraine à la Russie.

Une politique de plus en plus exigeante à l’égard de l’Ukraine (2005-2013)

Lors du mandat de Victor Iouchtchenko, les relations entre la Russie et l’Ukraine seront

très tendues. Le gouvernement ukrainien se rapproche dangereusement de l’OTAN et de

l’Union européenne, ce qui déplait au plus haut point au régime Poutine. Tous les moyens

sont alors bons pour ramener l’Ukraine vers la Russie. Coup de chance pour le président

Poutine lorsque Iouchtchenko ne sera pas réélu pour un second mandat en 2010. C’est alors

246

Op. Cit. Theodor Tudoroiu, p. 328

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Victor Ianoukovitch, le candidat prorusse officiellement défait en 2004 qui prend les rênes

du pouvoir. Entre 2010 et la fin de l’année 2013, comme ce président est résolu à se tourner

davantage vers Moscou que vers l’Occident, les relations seront dès lors plus faciles.

La présidence de Victor Iouchtchenko, des relations difficiles avec la Russie (2004-

2010)

À la suite de l’élection de Iouchtchenko, Moscou change de tactique. En mars 2005,

Poutine crée un nouveau département pour promouvoir les intérêts russes dans l’espace

postsoviétique. La nouvelle approche préconisée par ce département spécial est

d’encourager les investissements dans les organisations et les infrastructures non

gouvernementales. Ces organismes pourront par la suite servir d’acteurs déstabilisateurs

contre les mesures gouvernementales pro-ouest. Du même coup, la Russie de Poutine tente

de se transformer elle-même. Si, sous la bannière de l’URSS Moscou était une puissance

militaire, le nouvel objectif est davantage de devenir une puissance dans le domaine de

l’énergie. La Russie a les ressources nécessaires et les moyens financiers pour devenir une

puissance internationale dans le domaine de l’énergie, avec le pétrole et le gaz naturel

notamment, et selon le nouveau département spécial, cette puissance s’accompagnera d’une

influence sur son étranger proche, et donc, en Ukraine. L’objectif poursuivi par Vladimir

Poutine n’est pas de supprimer la démocratie dans ces pays de l’étranger proche, mais bien

d’exporter sa propre vision de la démocratie qui, disons-le, se rapproche davantage de

l’autoritarisme bien plus que de la « démocratie », via l’énergie, le commerce, la présence

d’investisseurs russes à l’étranger, la culture et la langue. Le but poursuivi est de

reconquérir l’espace ex-soviétique, non pas par la force militaire, mais par le soft power.

Comme Ivan Krastev le dira, « Russia will not fight democracy in these countries. Russia

will fight for democracy – its kind of democracy »247

Plusieurs fois pendant cette période la Russie optera pour un type de pressions bien

particulier : l’arrêt d’approvisionnement en gaz. Le 26 décembre 2005, Gazprom, la plus

grosse compagnie de gaz russe, coupait l’approvisionnement à l’Ukraine pour non-

paiement de ses dettes et de la facture mensuelle envoyée par la Russie. Cette première

247

Ivan Krastev, « Russia’s post-orange empire », Open Democracy [En ligne], 20 octobre 2005

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coupure ne dura pas très longtemps, car le gaz qui transite en Ukraine approvisionne bien

d’autres pays. L’Autriche, la France, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, la Slovaquie, etc.

s’empressèrent de protester contre ces coupures qui les pénalisaient eux également et la

Russie fût forcée de recommencer l’acheminement de gaz via les pipelines ukrainiens.

Même si la coupure ne dura que quelques jours, le conflit entre l’Ukraine et la Russie, sur

le prix et les dettes par rapport au gaz, qui paraissait jusque-là être un problème régional

devenait un problème international. Poutine venait de démontrer qu’il n’hésiterait pas à

mettre ses menaces à exécution et à pénaliser d’autres États alors qu’il s’agissait

initialement d’une mésentente entre un État et un autre. Poutine a confirmé la proposition

du comité spécial selon laquelle la domination russe dans le domaine de l’énergie peut

ramener la Russie au rang de grande puissance.248

En février 2008, une fois de plus Gazprom menace de suspendre l’approvisionnement en

gaz à l’Ukraine jusqu’à ce que celle-ci lui rembourse en totalité la dette de 1,5 milliard de

dollars américains. Poutine et Iouchtchenko durent trouver un arrangement, mais comme

Kiev ne payait pas, le 3 mars, Gazprom coupa l’approvisionnement de 25 % puis d’un autre

10 % dans les jours qui suivirent. Le 5 mars, la dette fût remboursée et l’approvisionnement

reprit son cours normal jusqu’au début de l’année 2009 où, encore une fois, Gazprom coupa

net les exportations vers l’Ukraine. Malgré les dires du Kremlin, l’opinion publique voyait

ces coupures non pas seulement comme un moyen de se faire rembourser, mais également

comme une pression politique que les autorités russes utilisaient pour ralentir le

gouvernement ukrainien dans ses démarches d’intégration avec les organisations

internationales. En 2009, les Russes accélérèrent un projet de gazoduc, le Black Sea South

Steam qui devait acheminer le gaz en Europe en contournant l’Ukraine. Évidemment cette

mesure ne plut pas à Iouchtchenko puisque le transit de gaz est très lucratif pour son pays.

Encore une fois, le gouvernement de Vladimir Poutine démontrait sa capacité à bloquer, du

moins temporairement, des projets politiques par des pressions économiques.249

Au lendemain de la Révolution orange, les Ukrainiens ont placé énormément d’espoir en

leur nouveau président libéral. Malheureusement, son programme très chargé qui promettait

248

Anne Applebaum, « Playing Politics with Pipelines », The Washington Post, 4 janvier 2006 249

Maria Raquel Freire, Roger E. Kenet Russia and it’s Near Neighbours : identity, interests and foreign

policy, Palgrave Macmillan, New York, 2012, p. 226

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la création de 5 millions d’emplois, l’augmentation des pensions, la réduction des taxes, et

par-dessus tout la refonte des institutions politiques et une fin imminente de la corruption

dans ce domaine, ne fût jamais réalisé. Les premiers mois de son mandat devaient être

marqués par des changements politiques importants, mais celui-ci n’en fît rien. Son mandat

fût celui qui vît le moins de changements et le moins de propositions de loi jamais faits au

parlement depuis l’indépendance. Sa politique s’inscrit à la suite de celle de son

prédécesseur, et à peine deux ans après la Révolution orange, tous les espoirs ukrainiens

pour un État plus démocratique s’estompaient.

La corruption était très présente sous le régime Koutchma, mais elle le sera davantage sous

Iouchtchenko. Sa première ministre Iulia Timoshenko sera licenciée en septembre 2005, car

ses idées ne s’alignaient pas sur celles du nouveau président et de Petro Poroshenko, à la

tête du Conseil pour la Sécurité Nationale. Elle reviendra toutefois comme première

ministre en 2007. La situation économique rattrape rapidement le nouveau régime; en 2004,

l’inflation atteint 12,3 % et grimpe jusqu’à 16,6 % en 2006. Grâce à un prêt de

16,5 milliards de dollars du FMI, l’Ukraine connait une croissance économique de 7 % en

2006, 8 % en 2007, mais uniquement 2 % en 2008. Le chômage grimpe également, de

6,8 % en 2006, à 9 % en 2009, et 8 % en 2010. La dette augmente de manière encore plus

drastique, passant de 15,9 % du PIB en 2006 à 37,7 % du PIB en 2010. Le Transparency

International’s corruption ranking place l’Ukraine au 146e rang en 2009, à égalité avec le

Zimbabwe, alors qu’elle était en 122e place sous Koutchma.

250 La Révolution orange et

Iouchtchenko ont certainement réussi à déloger le régime autoritaire du président

Koutchma, mais Iouchtchenko a échoué à démocratiser le système politique et électoral en

Ukraine. 251

En 2010, à la fin de son premier mandat, il ne sera pas réélu. Sa présidence

déçut énormément tous ceux qui croyaient que c’était l’opportunité pour l’Ukraine de se

défaire une bonne fois pour toutes de l’influence de la Russie. Ce sera finalement Viktor

Ianoukovitch qui prendra le pouvoir, ce qui plut à Poutine qui vît cette élection comme une

opportunité pour la Russie de reprendre le contrôle sur l’Ukraine et de la distancer des

organisations internationales occidentales : l’OTAN et l’Union européenne.

250

Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 38 251

Op. Cit. Theodor Tudoroiu, p. 331

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La présidence de Ianoukovitch : beaucoup de concessions politiques pour des gains

économiques (2010-2013)

L’élection de Ianoukovitch en 2010 est due davantage à l’échec du gouvernement de la

Révolution orange qu’à sa popularité. En effet, la majorité des Ukrainiens se sentent trahis

par le gouvernement d’Iouchtchenko et de Timoshenko qui, malgré leurs belles promesses,

n’ont pas réussi à redresser la situation économique de l’Ukraine ni à la rapprocher de

l’Europe.252

Dès son arrivée au pouvoir, l’opinion publique affirme que Ianoukovitch est un

président prorusse, ce qui n’est pas totalement faux, mais pas tout à fait la vérité non plus.

Ianoukovitch a plusieurs fois tenté de jouer sur les deux tableaux, européen et russe. Lors

de son élection, il a mentionné très clairement vouloir conserver l’orientation occidentale

de son pays alors que peu de temps après, il promettait aux Russes que jamais l’Ukraine ne

rejoindrait l’OTAN. Si Ianoukovitch a choisi de se tourner davantage vers Moscou dès le

début de son mandat, c’est parce que les avantages à court terme d’un partenariat avec les

Russes étaient beaucoup plus intéressants. Bien évidemment, Poutine saura se servir de

l’appétit sans fond de son homologue pour les bénéfices immédiats.253

En juin 2010, Ianoukovitch affirme le non-alignement de l’Ukraine dans les relations

internationales. Cette déclaration enchante le Kremlin qui préfère une Ukraine non alignée

à une Ukraine faisant partie de l’OTAN. Le président ukrainien se retrouve alors avec une

plus grande capacité de négociations, manœuvrant entre la Russie, l’Europe et les États-

Unis.254

Suivant cette ligne de pensée, un premier accord sera signé le 21 avril 2010 entre

Ianoukovitch et Poutine. Cet accord consent à prolonger de 25 ans le droit de la flotte de la

mer Noire à demeurer ancrée à Sébastopol, le 25 ans commençant après 2017, date qui était

déjà convenue. En échange, Poutine accorde une réduction de 100 dollars américains sur

chaque 1 000 mètres cubes de gaz exporté vers l’Ukraine.255

En 2012, le Parti vote une loi

sur les langues qui plait également beaucoup à Moscou. Désormais, toute villes ou régions

étant peuplées de plus de 10 % de russophones, peut donner le titre de langue officielle au

russe. En Crimée, où 76,6 % de la population reconnait le russe comme étant sa langue

première, la loi est tout de suite appliquée. Dans l’Est, à Donetsk et à Louhansk où

252

Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 45 253

Op. Cit. Maria Raquel Freire, Roger E. Kenet p. 227 254

Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 45 255

Op. Cit. Maria Raquel Freire, Roger E. Kenet, p. 227

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respectivement 74,9 % et 68,6 % de la population reconnaissent être russophones, la loi est

également mise en application très rapidement.256

Dès 2011, le nouveau régime au pouvoir fait taire ses opposants politiques en les accusant

de fraudes ou d’avoir dépassé leurs fonctions. Ainsi, Iulia Timoshenko sera enfermée, tout

comme le seront quatre ministres et cinq députés élus lors de la Révolution orange.257

Pour

asseoir son pouvoir, Ianoukovitch se sert des oligarques de l’est et du sud du pays. La

plupart de ses oligarques se font octroyer de nombreux contrats extrêmement lucratifs pour

construire des stades sportifs à Kiev, Lviv, Kharkiv et Donetsk, de nombreux aéroports, des

grands projets routiers et des réseaux de trains grande vitesse.258

L’Ukraine, cohôte avec la

Pologne de l’Euro 2012, fait construire un énorme stade. La corruption est révélée par

plusieurs agences, notamment The Economist, affirmant que l’administration Ianoukovitch

n’a pas réellement fait d’appel d’offres pour la construction du stade qui aurait couté plus

de 14 milliards de dollars américains, soit plus que le budget total utilisé par le

gouvernement britannique pour les Jeux olympiques de Londres en 2012.259

Ces grands

projets créent un déficit budgétaire colossal, mettant l’Ukraine au bord de la banqueroute,

sans toutefois initier de réformes économiques comme le président Ianoukovitch l’avait

promis lors de son élection en 2010. Alors que les grands oligarques s’enrichissent à même

le budget fédéral, les petites compagnies arrivent à peine à survivre.260

Il remplace

également les différents gouverneurs des provinces et les parlementaires par des membres

de sa famille et par des oligarques, majoritairement de l’Est du pays, qui lui sont loyaux.

Cette mainmise sur l’économie et la vie politique est de plus en plus contestée par le peuple

qui attend toujours les réformes économiques et un rapprochement avec l’Union

européenne.261

Les relations avec l’Union européenne se compliquent énormément à partir de 2013. L’UE

exige la libération de Timoshenko ainsi que des changements radicaux dans le système mis

en place par Ianoukovitch. Évidemment, l’Ukraine s’exécute le plus lentement possible,

256 Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 46-47 257

Andrew Wilson, Ukraine Crisis, What it means for the West, Yale University Press, Londres, 2014, p. 51 258

Op. Cit. Serhy Yekelchyk, p. 103 259

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 55 260

Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 47 261

Op. Cit. Serhy Yekelchyk, p. 103

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affirmant souvent qu’à chaque rapprochement avec l’Union, la Russie augmente la

pression, notamment par l’approvisionnement de gaz, et que l’Ukraine devrait être

bénéficiaire d’une plus grande aide occidentale pour les risques qu’elle prend. Pour les

parlementaires européens, les négociations avec l’Ukraine sont particulièrement

éprouvantes, car le régime en place ne semble vouloir faire aucune concession. Confrontée

par ses homologues européens, l’Ukraine élabore un nouveau code criminel ainsi que des

possibles réformes pour le système judiciaire. Poutine est conscient que les oligarques et

Ianoukovitch lui-même ne souhaitent pas se rapprocher trop de l’Union européenne qui

exige des changements politiques et la fin de leur système extrêmement profitable. Durant

l’été 2013, plusieurs rencontres avec Ianoukovitch et sa famille permettent au président

russe d’élaborer un projet, une solution à proposer au président ukrainien pour le distancer

de l’Union européenne. Alors que la Russie élabore un accord avec le président, le premier

ministre ukrainien Azarov se présente devant ses homologues européens avec une

estimation des couts reliés à l’implantation d’un nouveau régime politique, soit environ

13 milliards d’euros annuellement, et aux compensations qui devraient être versées à

l’Ukraine qui perdrait certainement des contrats commerciaux avec la Russie, soit environ

12 milliards d’euros annuellement. Azarov propose alors un plan de compensation,

demandant un total de 150 milliards d’Euros262

pour que l’Ukraine signe un accord avec

l’Union européenne. Ce double jeu politique de l’année 2013 culminera en novembre 2013,

au sommet de Vilnius, où les Européens refuseront le chantage du président ukrainien qui

devra alors se tourner vers son dernier allié : la Russie.

Conclusion

La politique étrangère de la Russie envers l’Ukraine n’évolua pas du tout de manière

constante depuis la désintégration de l’URSS. Les années Eltsine sont caractérisées par des

tentatives de partenariat alors que sous les différents mandats de Poutine, la politique de la

Russie se durcira progressivement. Lors de son premier mandat entre 2000 et 2004, le but

poursuivi était de conserver une mainmise sur l’économie et les infrastructures qui dataient

de la période soviétique ainsi qu’une influence sur les décisions et orientations politiques de

262

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 65

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l’État ukrainien. Toutefois, après une mobilisation à l’échelle nationale de la société civile

contre cette ingérence lors de la Révolution orange, Poutine changera de tactique et

l’objectif ne sera plus de conserver une influence notable, mais bien d’asservir l’Ukraine

pour éviter que des soulèvements de la société civile viennent encore contrecarrer ses plans.

Lors de la prise de pouvoir de Ianoukovitch en 2010, la Russie est ouverte aux

négociations, quelques accords et quelques projets de loi enchanteront Moscou, mais la

situation se dégradera lorsque la société civile, ne voyant pas d’avantages aux énormes

projets d’infrastructures, demande qu’on respecte les promesses initiales. En 2013, le

double jeu de Ianoukovitch est révélé au grand jour lors du sommet de Vilnius; après 3 ans

de corruption, de censure des médias et de l’opposition politique, Ianoukovitch perd le

contrôle sur son pays où il régnait en roi.

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CHAPITRE 3 – LA CRISE UKRAINIENNE (2013-2014)

Si les relations entre l’Ukraine et la Russie n’ont jamais été faciles, à partir de la présidence

de Ianoukovitch en 2010 et plus spécifiquement à partir du sommet de Vilnius, organisé par

l’Union européenne, les 28 et 29 novembre 2013, les relations entre les deux États

s’enveniment comme jamais. Les Ukrainiens veulent une Ukraine européenne, ils veulent

une réelle indépendance par rapport à la Russie. Le mouvement Maïdan263

est un second

réveil de la société civile, dans le sillage de la Révolution orange de 2004, qui s’oppose aux

décisions de son gouvernement. Quand le régime en place tente de réprimer la population

par la force, le mouvement s’amplifie, les gens investissent la rue et la Place de

l’Indépendance, jour et nuit, exigeant la démission du président et du premier ministre. Le

Maïdan déclenchera un mouvement de contestation semblable dans l’est du pays,

s’opposant au Maïdan, en support à l’ordre en place et à un rapprochement avec la Russie.

Plusieurs sources indépendantes signalent que Moscou est l’instigateur de ce mouvement

qui prendra de l’ampleur avant de culminer par l’annexion de la Crimée en mars 2014 et un

conflit toujours en cours dans la région ouvrière du Donbass, peuplée par une majorité de

russophones. Le Sommet de Vilnius marque ainsi le début d’une période extrêmement

difficile pour les Ukrainiens qui tentent de se défaire de l’emprise de Moscou, laquelle

essaie tant bien que mal de conserver un certain contrôle sur cet étranger proche qui

souhaite s’éloigner de plus en plus.

Le Partenariat oriental et le Sommet de Vilnius : Prélude à la contestation

de masse

Les 28 et 29 novembre 2013 se tient à Vilnius un sommet pour le « Partenariat oriental »264

auquel devaient participer notamment les 28 membres de l’Union européenne ainsi que les

six autres pays du partenariat oriental; l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l’Arménie, la

263

Le Maïdan désigne la Place de l’Indépendance à Kiev sur laquelle se rassemblent les manifestants entre

novembre 2013 et février 2014. La contestation anti-gouvernementale commence sur cette place. 264

Le Partenariat oriental a comme objectif de promouvoir l’intégration politique et économique graduelle de

l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine.

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Biélorussie et l’Ukraine.265

L’Union Européenne justifie son intérêt dans ce partenariat en

exprimant sa volonté « d’avoir des voisins de l’Est sécuritaires, stables, économiquement

forts et proeuropéens. Notre objectif est d’avoir une politique de partenariat de l’Est

proactive et efficace qui apportera des résultats tangibles pour ces pays et leurs peuples.

Cela pourrait être réalisé grâce aux efforts conjoints des institutions de l’UE, des États

membres de l’UE et des partenaires de l’Est eux-mêmes. Grâce au partenariat oriental, l’UE

renforce sa coopération bilatérale et multilatérale avec les six partenaires d’Europe

orientale : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine, soutient les

processus de réforme de ces pays et cherche à les rapprocher de l’UE. »266

Par ce partenariat, les membres de l’Union européenne souhaitent créer des liens

économiques solides dans un objectif d’indépendance économique vis-à-vis de la Russie.

Tomas Janeliūnas, politologue et professeur à l’Institut de Sciences politiques et Relations

internationales (TSPMI) à l’Université de Vilnius, est d’avis que « la création d’un espace

commercial commun entre l’UE et l’Ukraine est vraiment nécessaire tant pour l’Ukraine et

ses efforts pour continuer à rechercher des liens plus étroits avec l’UE et renforcer son

indépendance économique et politique vis-à-vis de la Russie, que pour la stimulation de la

croissance économique de l’UE. »267

Cet espace commercial est une première étape vers

une intégration européenne grandissante de l’Ukraine, à la suite duquel l’Union européenne

pourrait encourager les réformes démocratiques sans craindre les foudres de Moscou sur

une économie fragile et dépendante. Ce partenariat ne se veut pas euro-exclusif; tous les

pays pourraient continuer de commercer avec les autres puissances, en Amérique, comme

en Orient, il s’agit davantage d’une possibilité de libre-échange entre l’Ukraine et la zone

euro, ce qui permettrait d’ouvrir le marché ukrainien aux investisseurs européens comme

l’Allemagne, la Pologne et la Suède qui supportent grandement ce partenariat.268

265

Jérôme Legrand, Wanda Troszczyńska Van Genderen, Fiches techniques sur l’Union européenne – les

pays du Partenariat oriental, dernière mise à jour novembre 2016,

http://www.europarl.europa.eu/atyourservice/fr/displayFtu.html?ftuId=FTU_6.5.5.html 266

Présidence Lithuanienne du Conseil de l’Union Européenne 2013, Troisième sommet du partenariat

oriental, 28 novembre 2013, http://www.eu2013.lt/fr/vilnius-summit 267

Patricija Babrauskaitė, Le Partenariat oriental : la diplomatie culturelle comme moteur pour de bonnes

relations étrangères entre les pays voisins, 15 novembre 2013 http://www.eu2013.lt/fr/news/articles/le-

partenariat-orientalla-diplomatie-culturelle-comme-moteur-pour-de-bonnes-relations-etrangeres-entre-les-

pays-voisins 268

Pierre Rousselin « L’Ukraine entre Poutine et Bruxelles », Le figaro, 16 octobre 2013

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Cependant, pour la Russie, ce partenariat est intolérable. Selon Poutine et le gouvernement

russe qui dirige le pays actuellement, les États successeurs de l’URSS appartiennent à sa

sphère d’influence directe. Une plus grande intégration européenne en Europe de l’Est est

perçue par le Kremlin comme un premier pas vers l’Union européenne, mais également

vers l’OTAN, encore à ce jour définie comme l’ennemie de la Fédération russe. Pour les

dirigeants russes, les avancées de l’OTAN en Europe de l’Est, en direction des frontières

russes, violent les principes de sécurité établis entre les deux et mènent à la création de

nouvelles divisions sur le continent européen.269

Aux mois d’octobre et novembre 2013, le

président Poutine organise deux rencontres secrètes avec le président ukrainien

Ianoukovitch. Poutine propose un prêt de 15 milliards de dollars ainsi qu’une baisse

considérable des tarifs de gaz pour l’Ukraine.270

Il souhaite également convaincre l’Ukraine

de joindre l’Union douanière de la Russie qui devrait devenir une Union eurasienne d’ici

2015271

si Ianoukovitch ne signe pas l’accord à Vilnius. Il accompagne cependant cette

offre avec des menaces, souhaitant faire comprendre aux dirigeants ukrainiens que la

signature de cet accord entrainerait des conséquences directes sur les proches du président

Ianoukovitch.272

Dans l’est du pays, plusieurs oligarques font également pression sur leur

président pour qu’il accepte de signer l’accord avec le Kremlin et refuse l’intégration

européenne à Vilnius. Nombreux sont les oligarques qui entretiennent des liens étroits avec

Moscou. Ces riches hommes d’affaires redoutent l’ouverture de leur marché aux

investisseurs européens qui pourraient mettre en péril les accords et le commerce avec le

grand voisin russe.273

À la veille du sommet de Vilnius, Ianoukovitch se retrouve pris entre la population

ukrainienne, les oligarques, la Russie et l’Union européenne. Maintes fois, la société civile

a démontré sa volonté de vivre dans une Ukraine européenne et l’UE s’est également

montrée prête à faire les efforts pour renflouer les caisses à Kiev par le biais d’accords

269

The Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation, Concept of the Foreign Policy of the Russian

Federation, 18 février 2013 270

Galia Ackerman, « Ukraine : les arrières pensées de Moscou », Politique Internationale, Été 2014, N° 144 271

Anne de Tinguy, « Vladimir Poutine et la crise ukrainienne : l'obsession de la puissance », Huffington

Post, 3 décembre 2015 272

Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, Ukraine Between the EU and Russia, The Integration Challenge,

Palgrave Macmillan, New York, 2015, p. 87 273

Piotr Smolar, « Ukraine : la tentation européenne », Le Monde, 25 septembre 2013

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commerciaux. Le Fonds Monétaire International (FMI) était également prêt à offrir des

prêts à l’Ukraine. En contrepartie, cette dernière devrait œuvrer à réduire considérablement

la corruption et ouvrir son marché. Pour l’Ukraine, l’offre de l’Union européenne était la

meilleure option, aussi pénible pouvait-elle être dans les premières années. Pour

Ianoukovitch cependant, l’offre de la Russie était beaucoup plus attrayante. Le Kremlin

n’exigerait pas de changements politiques majeurs, bien au contraire, un président

ukrainien à la solde de Moscou était ce qui pouvait arriver de mieux pour Poutine.

Ianoukovitch n’était pas particulièrement prorusse, mais il était conscient que les

changements politiques radicaux exigés par l’Union européenne et le FMI risquaient de

mettre en péril la position de plusieurs grands hommes d’affaires, membres du

gouvernement, ainsi que son propre poste de président.274

Le prêt accordé par la Russie

permettait également de financer la prochaine campagne présidentielle de Ianoukovitch en

2015, en plus de fournir une aide financière immédiate, alors que les changements proposés

par l’Union européenne pourraient prendre des années avant de fournir des bénéfices

monétaires. En dépit de sa réserve à l’égard de Ianoukovitch, Poutine soutient un régime

plutôt favorable à la Russie et détourne son voisin de l’Union européenne.275

Le premier

ministre ukrainien Azarov, au même titre que Ianoukovitch, assure jusqu’à la toute dernière

minute que l’Ukraine se prépare à signer l’accord à Vilnius. Le président ukrainien tentera

cependant de faire monter les enchères à la dernière minute, en révélant à ses homologues

européens la possibilité que l’Ukraine signe un accord plus avantageux pour elle avec la

Russie. Cependant, il se dit bien ouvert au partenariat européen si l’UE accepte de

« compenser » les pertes qu’entrainerait le partenariat si Moscou décide de réduire les

échanges commerciaux avec Kiev. Celui-ci estime qu’une somme supérieure à celle offerte

par la Russie, environ 20 milliards de dollars américains, devra être offerte en prêt à

l’Ukraine pour que le partenariat soit ratifié par son gouvernement.276

Les représentants

européens ne cédant pas à son chantage, la délégation ukrainienne ne se présente pas pour

la signature de l’accord, ni pour le Sommet business du Partenariat oriental.277

274

Richard Sakwa, Frontline Ukraine Crisis in the Borderlands, I.B. Tauris, Londres, 2015, p. 79 275

Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p. 86-87 276

Op. Cit. Galia Ackerman 277

Herman Van Rompuy, Remarks by President of the European Council Herman Van Rompuy at the press

conference of the Eastern Partnership summit in Vilnius, Vilnius, 29 novembre 2013

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De retour à Kiev, Ianoukovitch présente ce tournant aux citoyens de l’Ukraine comme

temporaire. Avant de signer un tel accord, l’Ukraine a besoin d’analyser davantage les

répercussions économiques qu’entrainerait une baisse des échanges commerciaux avec la

Russie et les bénéfices à court terme que l’Ukraine retirerait du Partenariat oriental. Avec

ses homologues européens, Ianoukovitch insistera sur la nécessité d’obtenir rapidement de

l’aide financière afin de pallier aux pertes encourues en raison de la baisse des échanges

commerciaux avec la Russie. Il se présente comme soucieux de l’avenir économique de son

pays et ne souhaitant pas l’aggraver, il exige des garanties d’aide notamment du FMI et de

la Banque mondiale. Il assure cependant que l’intégration européenne reste la priorité de

l’Ukraine, alors que son double jeu se fait de plus en plus évident pour tous les partis.

L’Union européenne perçoit ce chantage comme étant un manque de valeurs européennes

et un manque de volonté de démocratisation pour l’Ukraine de Ianoukovitch alors que la

société civile estime qu’un rapprochement avec la Russie représente la dégradation de

l’appareil démocratique, la suppression de l’opposition politique, la détérioration des droits

et libertés et la montée de la corruption.278

Le Sommet de Vilnius agit alors comme

catalyseur pour la mobilisation de la société civile déjà échaudée par son gouvernement et

son président qui s’était fait élire sur des promesses de rapprochement avec l’Europe, de

transparence et d’augmentation du niveau de vie pour la classe moyenne et inférieure.

Après près de quatre années au pouvoir, Ianoukovitch démontre son incapacité à

fonctionner sans l’aide du Kremlin, l’intégration européenne n’est encore qu’une promesse

parmi d’autres, sans engagemens et sans avancement notoire depuis le début du mandat.

Les États-Unis, tout comme l’UE, encouragent Ianoukovitch à honorer ses promesses et à

suivre la voie européenne comme le réclament ses citoyens.279

L’annonce de l’échec du

sommet de Vilnius déclenche donc des manifestations de masse des citoyens et citoyennes

qui seront à l’origine de la chute précipitée du gouvernement Ianoukovitch.

278

Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p.89-90-95 279

John Kerry, « Statement on Ukraine », The New York Times, 10 décembre 2013

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Le Maïdan : de manifestations pacifiques aux affrontements armés

Les premières manifestations commencent avant le Sommet de Vilnius, le

21 novembre 2013, lorsque Ianoukovitch commence à exprimer des réserves quant au

Partenariat oriental. Le mouvement prend cependant de l’ampleur lors de l’annonce de la

Rada – parlement ukrainien – sur la non-signature de l’accord et l’acceptation de l’offre du

Kremlin, le Maïdan devient un mouvement de masse à partir du 30 novembre et ne cessera

de prendre de l’ampleur jusqu’à la fuite de Ianoukovitch le 21 février 2014.280

Depuis le

tout début, le Maïdan est un mouvement social, mené par des citoyens sans allégeance

politique pour la majorité (92 % selon un sondage mené au début du mois de

décembre 2013).281

Le mouvement ne fût pas démarré par les partis de l’opposition – qui

n’y sont que faiblement représentés au début –, mais bien par des activistes sociaux ainsi

que des étudiants. Il s’agit toutefois d’un mouvement évolutif qui rassemblera de plus en

plus de personnes, de groupes d’âge et de situations sociales différentes. Au mois de

décembre, environ 18 % des manifestants viennent d’un milieu rural et environ la moitié

des manifestants viennent de Kiev. En février, 88 % des manifestants viennent d’ailleurs au

pays pour manifester leur insatisfaction vis-à-vis du régime.282

On distingue dans le

mouvement trois groupes différents. Le premier groupe est constitué des jeunes et des

étudiants, qui se réclament être les initiateurs du mouvement. Ils expriment leur colère vis-

à-vis du gouvernement et la génération avant eux qui a laissé le régime échouer dans ses

tentatives de démocratisation. Le deuxième groupe est formé d’adultes déjà sur le marché

du travail. Ils estiment quant à eux être les piliers du mouvement et avoir un poids politique

plus important que les jeunes et les étudiants comme ils représentent les travailleurs et les

votants de la société civile. Ils ont des demandes davantage axées sur la sécurité

économique, l’élimination de la violence d’État et une plus grande ouverture vers l’Europe.

280

Olga Onuch, « Maidans Past and Present : Comparing the Orange Revolution and the Euromaidan » in

David R. Marples, Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil Revolution, Ibidem

Press, Stuttgart, 2015, p. 34 281

Viktor Stepanenko, « Ukraine’s Revolution as De-Institutionalisation of the Post-Soviet Order » in Viktor

Stepanenko, Yaroslav Pylynskyi (eds), Ukraine after the Euromaidan, Challenges and hopes, Peter Lang,

Berne, 2015, p. 38-39 282

Anna Chebotariova, « Voices of Resistance and Hope : On the Motivations and Expectations of

Euromaidaners » in David R. Marples, Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil

Revolution, Ibidem Press, Stuttgart, 2015, p. 167

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84

Le dernier groupe est constitué de retraités qui se voient comme les gardiens du

mouvement. Ils estiment que c’est leur devoir de manifester pour tous ceux qui travaillent,

étudient, et pour ceux qui sont dans l’incapacité de se déplacer pour exprimer leur

mécontentement. L’âge moyen sur le Maïdan est de 36 ans et les hommes sont un peu plus

nombreux que les femmes, représentant environ 59 % des manifestants.283

Ayant chacun

des points de vue différents, les manifestants de tous les groupes s’entendent cependant sur

certaines demandes primordiales : tous désirent des changements au gouvernement, de

profondes réformes politiques, contre la corruption, et économiques, vers l’Union

européenne.284

Pour l’économiste ukrainien Anatoly Halchynsky, le Maïdan s’inscrit dans

la continuité des mouvements sociaux qui ont mené à l’indépendance de l’Ukraine en 1991

et la Révolution orange de 2004. Tous ces mouvements réclamaient l’indépendance et la

souveraineté de l’Ukraine et la fin de la mainmise de la Russie sur la société ukrainienne. À

son avis, l’intégration de l’Ukraine à l’Europe est le meilleur moyen d’achever ces

objectifs.285

À partir du 23 novembre 2013, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestent sur

la place de la Révolution à Kiev. Il s’agit du plus gros rassemblement social depuis la

Révolution orange de 2004. Les manifestants crient des slogans supportant l’intégration

européenne de l’Ukraine.286

Certains vont plus loin en utilisant des slogans contre l’accord

proposé par la Russie, notamment en scandant que « Nous ne vendrons pas notre liberté

pour du gaz ».287

Les premières interventions policières violentes auront lieu dans la nuit du

29 au 30 novembre à la suite d’une manifestation pacifique d’étudiants qui créèrent une

chaîne humaine dans la journée du 29 novembre pour manifester contre la décision du

président Ianoukovitch de renoncer à l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union

européenne.288

L’unité spéciale de la police ukrainienne, les Berkut, envahit la place

283

Op. Cit. Olga Onuch, p .47 284

Op. Cit. Anna Chebotariova, p. 172 285

Mykola Riabchuk, Andrej N. Lushnycky, « Ukraine’s Third Attempt» in Viktor Stepanenko, Yaroslav

Pylynskyi (eds), Ukraine after the Euromaidan, Challenges and hopes, Peter Lang, Berne, 2015, p. 49-50 286

Andriy Portnov, Tetiana Portnova, « The Ukrainian ‘‘Eurorevolution’’ Dynamics and Meaning » in Viktor

Stepanenko, Yaroslav Pylynskyi (eds), Ukraine after the Euromaidan, Challenges and hopes, Peter Lang,

Berne, 2015, p. 59 287

Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p. 95 288

Le Monde, « Ukraine : un mouvement épidermique et spontané qui bouscule l’échiquier politique », Le

Monde, 2 décembre 2013

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85

centrale de Kiev dans le but de sécuriser l’érection du sapin de Noël de la ville. Une

dizaine d’étudiants seront battus et agressés par les Berkut. L’annonce de cet incident au

matin du 30 novembre fera descendre dans la rue davantage de citoyens, environ 100 000

manifestants. Des femmes avec leurs enfants se joignent notamment aux manifestants pour

demander l’arrêt de la violence. À la suite de cette annonce, plusieurs membres du

parlement du Parti des Régions – avec à sa tête le président Ianoukovitch – remettront leur

démission. Les slogans en faveur de l’intégration européenne furent alors accompagnés par

la demande de la démission du président Ianoukovitch et du premier ministre Azarov.289

À

partir de ce moment, les occupants du Maïdan commencèrent également à ériger des

barricades et à développer une armée de volontaires étant capables et voulant défendre le

mouvement. Cette armée nommée The Hundreds (Les Cents) s’organisa comme une milice,

avec des divisions et un centre de commandement, sans toutefois avoir d’armes en

quantité.290

Les manifestants, en plus d’exiger la démission de leur gouvernement, demandent la

libération des prisonniers politiques comme Ioulia Timochenko, la suspension des

poursuites criminelles contre les manifestants du Maïdan, et la démission ainsi que

l’arrestation des officiers Berkut ayant ordonné l’utilisation de la violence contre les

manifestants non armés et pacifiques. Le Maïdan s’étend alors jusqu’aux édifices

gouvernementaux, dont l’accès sera bloqué pour la plupart. Certains seront également

investis et saisis par des manifestants à partir du début du mois de décembre 2013.291

Certains parlementaires joignent également les rangs des manifestants, Petro Poroshenko,

alors membre du Parti des Régions fera partie de ces parlementaires. Plusieurs membres des

partis de l’opposition saisissent également cette chance et le mouvement se politise

davantage.292

Pour ces politiciens de l’opposition, le Maïdan représentait un outil politique

incroyable et une possibilité de changer le gouvernement à leur avantage. Pour les

manifestants, ces nouveaux membres permettaient l’expression de leurs demandes

beaucoup plus facilement envers le gouvernement, les parlementaires agissant comme

289

Op. Cit. Andriy Portnov, Tetiana Portnova, p. 60 290

Op. Cit. Viktor Stepanenko, p. 41 291

Julie Connan, « Ukraine : le pouvoir met la pression sur les manifestants pro-européens », Le Figaro,

10 décembre 2013 292

Idem

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86

intermédiaires. Ils permettaient aussi une certaine sécurité de leurs installations et une façon

de se procurer certaines ressources, que ce soit techniques, financières, ou simplement de la

nourriture et des abris, les politiciens permettaient de se procurer ce qui était nécessaire

rapidement, et de garantir un certain approvisionnement. Les deux partis trouvaient des

avantages à accepter l’autre.293

Des représentants étrangers arrivent également sur le

Maïdan dans les premières semaines de décembre. On y retrouve notamment le premier

ministre moldave Vilat Filat et l’ancien président géorgien Mikheil Saakashvili.294

Une deuxième tentative pour déloger les manifestants et démanteler leurs barricades aura

lieu dans la nuit du 9 au 10 décembre 2013. La version officielle annonçait toutefois que

c’était pour permettre une meilleure circulation pour le trafic automobile dans le centre-

ville. L’Opération échouera lorsque la Cathédrale Mikhaïlovski fît sonner les cloches à

l’approche des corps policiers. Plusieurs milliers de manifestants et de citoyens se sont

alors rassemblés autour du Maïdan pour empêcher les Berkut de chasser les manifestants et

de détruire les barricades. L’opération policière dut être annulée quelques heures plus

tard.295

Le 17 décembre, ignorant tout des réclamations du Maïdan, Ianoukovitch signe

avec le président Poutine un accord Russie-Ukraine formé de « 14 accords de coopération

économique, commerciale, gazière et industrielle […] en plus d’une allocation de crédit de

15 milliards de dollars américains par des achats de bons du Trésor ukrainiens par

Moscou. »296

Ianoukovitch affirme que l’Union européenne n’a offert aucun bénéfice

économique à court terme pour l’Ukraine déjà dans une situation précaire. Il affirme ne pas

pouvoir se permettre de faire une croix sur les échanges commerciaux avec la Russie sans

compter les nombreux avantages de ces accords.297

Le 22 décembre, le gouvernement

Ianoukovitch vote une loi pour poursuivre en justice les manifestants occupant les

bâtiments administratifs de l’État. Le même jour, l’Association Maïdan panukrainienne est

créée par les partis d’opposition et plusieurs manifestants. Cependant, à la veille de la

293

Op. Cit. Viktor Stepanenko, p. 39 294

Benoit Viktine, « À Kiev, la cure de jouvence révolutionnaire de Mikheïl Saakachvili », Le Monde,

7 décembre 2013 295

Op. Cit. Andriy Portnov, Tetiana Portnova, p. 61 296

Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, L’Ukraine : Entre déchirements et recompositions,

L’Harmattan, Paris, 2015, p. 32-33 297

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 79

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nouvelle année, avec le froid et la stagnation de la situation politique, de moins en moins de

manifestants occupent le Maïdan.298

Pour les habitants des régions de l’est qui supportent le parti des Régions, le Maïdan est une

distraction, les manifestants devraient retourner au travail, et selon Viktor Ruzyenko, un

travailleur du Donbass, le gouvernement devrait utiliser la force militaire pour les déloger

s’ils ne quittent pas eux-mêmes. Sergey Yermolenko, un autre travailleur, partage ce point

de vue, et ajoute que pour plusieurs travailleurs du Donetsk, l’est du pays pourvoit l’argent

alors que l’ouest le dépense. À son avis, la Russie est un partenaire indispensable pour

l’Ukraine alors que l’Europe ne l’est pas. L’industrie lourde, les chemins de fer, les usines

ne peuvent se passer de la Russie. Le bassin industriel de l’est a besoin de la Russie.299

Après quelques semaines de manifestations, les divergences entre l’est et l’ouest du pays se

font sentir. Dans l’est, on estime que le mouvement Maïdan ne fait qu’aggraver la situation,

que les manifestations encouragent la partition est – ouest et que les conséquences seront

dévastatrices pour le pays. Si Ianoukovitch est élu quelques années après la Révolution

orange, c’est bien parce que les révolutions ne durent pas et que le système en place

fonctionne.

Le 16 janvier 2014, le gouvernement Ianoukovitch vote des lois antimanifestations qui

empêchent les manifestants d’installer tentes et barricades. Les contrevenants seront

traduits devant la justice et peuvent être condamnés à une peine allant jusqu’à 15 ans de

pénitencier.300

La violence contre les manifestants augmente sans cesse, certains blessés

sont violemment sortis de leur lit d’hôpital, d’autres activistes sont enlevés la nuit, battus et

abandonnés dans les forêts autour de Kiev. Alors que les manifestants se mobilisent de plus

en plus, la répression gouvernementale se fait, quant à elle, de plus en plus brutale et

violente. Certains leaders d’opposition tentent de négocier avec le gouvernement, mais

Ianoukovitch est inflexible.301

Le 22 janvier, le premier manifestant est tué par les forces

spéciales. Le lendemain, les manifestations dans l’ouest du pays prennent de l’ampleur.

298

Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 33 299

Andrew Roth « In Ukraine’s East, a message for the Protesters : Stop », The New York Times,

12 décembre 2013 300

Will Englund, « Harsh anti-protest laws in Ukraine spur anger », The Washington Post, 17 janvier 2014 301

Andrew Wilson, Ukraine Crisis, What it means for the West, Yale University Press, Londres, 2014, p. 86

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Dans des villes comme Lviv, Ternopil ou Rivne, les manifestants investissent des bâtiments

administratifs de l’État, le mouvement devient une révolution.302

Sur le Maïdan, les

manifestants contribuent à l’escalade de la violence en formant des divisions de

protestataires armés. Le 28 janvier, le premier ministre Mykola Azarov remet sa démission,

mais les manifestants exigent la démission du président également. Le parlement ukrainien

abolit les lois du 16 janvier et entreprend de profonds changements législatifs, d’ailleurs

soutenus par l’Union européenne.303

Au mois de février, la situation s’envenime davantage. Le 18 février « 20 000 activistes du

Maïdan défilent pacifiquement en direction de la Rada pour demander le retour à la

Constitution de 2004. […] Le bureau central du Parti des Régions est rapidement pris

d’assaut par les manifestants : en réaction, les forces de police du ministère de l’Intérieur

lancent un ultimatum aux casseurs en leur demandant d’évacuer les abords du quartier

gouvernemental, situé derrière la place du Maïdan. Les tentatives violentes de dispersion

des manifestants par les forces de sécurité galvanisent d’autant les contestataires. Dans la

nuit du 18 au 19, on dénombrera 25 morts : quinze manifestants, un journaliste et neuf

policiers, alors que la Maison des Syndicats, cet immense bâtiment de béton donnant sur la

place de l’Indépendance, prendra feu. »304

En réaction aux évènements de la veille, les

députés venant de l’est de l’Ukraine et de la Crimée réclament l’instauration de l’état

d’urgence, alors que dans l’ouest, les partisans investissent à nouveau les bâtiments de la

police et de l’administration locale.305

Le gouvernement fait également appel à un autre

type de contrôle de foule. Il engage des Titushki; des citoyens mercenaires nouveau genre à

la solde du régime qui provoquent les manifestants avant de se battre violemment, souvent

avec des armes blanches ou même parfois avec une petite arme à feu dissimulée. Ces

mercenaires sont responsables d’au moins six morts le 18 février, et au moins un dans la

matinée du 19 février 2014. Avec un pays qui est déjà au bord de la guerre civile, le

20 février, Ianoukovitch autorise les forces spéciales à tirer à balles réelles sur les

manifestants. Les premiers tirs de snipers commencent en matinée. Postés sur les toits

environnant le Maïdan, notamment à l’hôtel Ukraïna, à la Banque Nationale, au Cabinet des

302

Op. Cit Richard Sakwa, p. 83 303

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 86 304

Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 36 305

Le Monde, « Face-à-face meurtrier et impasse politique à Kiev », Le Monde, 19 février 2014

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ministres et à l’hôtel Kozatsky,306

les snipers ainsi que les forces spéciales feront en cette

unique journée 82 morts et plus de 600 blessés. La nuit même, le parlement interdit

l’utilisation de balles réelles par les forces spéciales contre les manifestants. Les États-Unis

et l’Union européenne menaceront une vingtaine de parlementaires de sanctions,

notamment de suspension de visas, s’ils n’arrêtent pas immédiatement le bain de sang.

Certains députés du Parti des Régions rejoignent également l’opposition et commencent à

soutenir les manifestations. Le vendredi 21 février, 17 députés du Parti démissionnent,

5 autres les suivront avant la fin de la soirée.307

Les ministres des Affaires étrangères de la France, de la Pologne et de l’Allemagne tentent

de négocier une paix pour mettre fin définitivement aux violences et contenter les

manifestants. Ils veulent diminuer les pouvoirs du président Ianoukovitch, retourner à la

constitution de 2004, votée à la suite de la Révolution orange, et avancer les élections

présidentielles en décembre 2014. Ces nouvelles conditions ne suffisent toutefois pas à

calmer les manifestants qui veulent une démission immédiate de leur président. Craignant

pour sa vie, Ianoukovitch s’enfuit discrètement dans l’Est.308

Le 22 février, « le président

de la Rada, Volodomyr Rybak annonçait sa démission pour raisons de santé. Le vice-

président Kaletnik quittait également son poste. Le bloc parlementaire du Parti des Régions

annonce une défection de 41 de ses membres à l’ouverture de la Rada. Le président

Ianoukovitch sera destitué à l’unanimité des 328 votants inscrits à la Rada ce jour-là pour

violations massives des droits de l’homme et incapacité constitutionnelle à exercer ses

fonctions. Depuis Kharkiv où il s’était exilé, le président dénoncera un coup d’État et

refusera de quitter son poste.»309

Le Maïdan a finalement atteint son but de renverser le

gouvernement, il laisse toutefois l’Ukraine avec une profonde division est-ouest et le bilan

est plutôt sombre, entre le 30 novembre 2013 et le 20 février 2014, plus de 100 personnes

perdirent la vie, dont au moins 15 officiers de police, en plus des 1 000 blessés.310

306

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 88-89 307

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 91 308

Op. Cit. Galia Ackerman 309

Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 39 310

Iryna Demisheva, Anastasiya Kolomoyets, « Construction of Reality in the Context of Signing the

Agreement about Regulation of the Crisis in Ukraine on 21 February 2014 » in European Journal of

Transformation Studies, 2014, Vol. 2 N°1, p. 27

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À peine sortie de ses manifestations, l’Ukraine connaitra un autre mouvement de

contestation, cette fois-ci dans l’est du pays, qui sera d’abord reconnu comme un anti-

Maïdan. Ces manifestations commencèrent à la suite d’une décision mal calculée du

nouveau gouvernement à Kiev. En effet, le 23 février, la Rada vote le retrait du statut de

langue officielle au russe. Les russophones de l’est du pays et de la Crimée – encouragés

par le Kremlin – commenceront à se lever comme les manifestants l’ont fait à Kiev.311

Ils

investiront les bâtiments administratifs dans plusieurs villes et hisseront au sommet le

drapeau tricolore russe. Plusieurs fois ces drapeaux seront décrochés et les manifestants

chassés, mais ils reviendront à la charge et reprendront les édifices plusieurs fois. Si

plusieurs russophones étaient frileux quant au départ de leur président et à la mise en place

d’un nouveau gouvernement, la nouvelle loi concernant le statut des langues officielles

suffit à embraser la population qui craint que le nouveau gouvernement proeuropéen

punisse les minorités russes du pays.312

Ces manifestations seront à l’origine d’un

mouvement beaucoup plus important qui entrainera l’annexion de la Crimée ainsi qu’une

guerre civile dans l’Est du pays qui fait rage depuis maintenant trois ans.

Les petits hommes verts armés et sans drapeau : l’invasion de la Crimée

Avec les changements de gouvernement à Kiev, Moscou avait une occasion en or pour

envahir son voisin et rencontrer très peu de résistance. Les autorités compétentes étant

quelque peu paralysées par les changements, l’invasion de la Crimée s’est faite sans

échanger de coup de feu.313

Le 27 février au matin, 60 hommes en uniforme vert non

identifiés entrent à Sébastopol armé de Kalachnikov. Sous la menace des fusils, le

gouvernement et les autorités de la Crimée furent changés sous prétexte qu’ils ne

remplissaient pas leurs fonctions. C’est Sergueï Axionov, connu pour ses positions

prorusses, qui prendra la tête du gouvernement en Crimée.314

Ces hommes ne sont

cependant pas des soldats ordinaires, le président Poutine s’assure d’envoyer en Ukraine

311

The Washington Post, « Pro-Russia rally draws thousands in eastern Ukraine », Video Channels,

24 février 2014, https://www.washingtonpost.com/posttv/world/pro-russia-rally-draws-thousands-in-eastern-

ukraine/2014/02/24/c7bd4e8a-9d74-11e3-878c-65222df220eb_video.html 312

Frédérick Lavoie, Ukraine à Fragmentation, Éditions la Peuplade, Chicoutimi, 2015, p. 65 313

Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p. 102 314

Louis Imbert, « Sergueï Axionov, l’homme de Moscou en Crimée », Le Monde, 3 mars 2014

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des mercenaires expérimentés ainsi que des agents des services de sécurité comme Igor

Strelkov, qui prit part aux deux guerres de Tchétchénie de 1994 à 1996 et de 1999 à

2000.315

Sous ces contraignants invités, une motion sera également passée pour

l’organisation d’un référendum pour l’indépendance de la Crimée et éventuellement son

rattachement à la Fédération de Russie. Les communications du parlement avec l’extérieur

furent coupées pendant les votes, les cellulaires des parlementaires confisqués, et les

membres du gouvernement étaient accompagnés et suivis jusque dans les toilettes. Les

sources ukrainiennes affirment qu’il n’y avait qu’entre 35 et 37 membres du parlement

cette journée alors que le quorum minimum est fixé à 40 membres. Les motions ne seraient

donc pas valides. Les sources russes affirment évidemment le contraire en maintenant qu’il

y avait 64 membres du parlement lors de la prise de décisions; les motions seraient donc

valides. Néanmoins, une date est fixée pour le référendum qui devait initialement avoir lieu

le 25 mai, avant d’être devancée au 30 mars, et finalement au 16 mars 2014. Les petits

hommes verts étaient pour la plupart des membres de forces (Berkut) spéciales de Crimée

assistés par les forces spéciales russes du 45e régiment aéroporté. Même s’il n’y a

réellement pas de doute sur leurs origines, aucun ne porte un insigne ou un drapeau qui

permettrait de les identifier clairement. Les forces spéciales Berkut saisissent le dépôt

d’armes de Sébastopol et bloquent l’isthme qui relie la presqu’île de Crimée au reste de

l’Ukraine. Dans la nuit du 27 au 28 février 2014, les militaires russes présents prennent le

contrôle des aéroports de Sébastopol et de Simféropol; la Crimée est désormais

complètement isolée.316

Le conflit en Crimée est très particulier; la Russie a le droit d’avoir en permanence jusqu’à

25 000 membres du personnel sur la base de Sébastopol selon l’accord existant entre les

deux pays sur l’occupation de cette base navale par la marine russe. Cet accord permet

d’ailleurs à la Russie, lorsqu’elle est accusée d’avoir envahi la Crimée, de nier les faits et de

soutenir qu’il n’y avait pas plus de Russes sur le territoire que ce qu’autorisait l’accord. Il y

avait cependant violation de l’accord car les forces russes opéraient hors du périmètre

315

Anne Applebaum, « The Malaysia Airlines crash in the end of Russia’s fairy tale », The Washington Post,

18 juillet 2014 316

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 110-111

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délimité par l’accord.317

Comme mentionné précédemment, même si aucun doute ne plane

sur l’origine des petits hommes verts, leurs uniformes non identifiés ainsi que les masques

portés par la majorité rendent impossible leur identification formelle et complique les

accusations. De plus, c’est avec une pointe de sarcasme et de cynisme que Vladimir Poutine

soulignera dans son discours du 18 mars qu’il n’avait jamais vu une invasion sans coup de

feu, en faisant référence à la retraite rapide des forces ukrainiennes de Crimée.318

Comme

l’accord concernant la flotte de la mer Noire permettait aux Russes d’avoir jusqu’à 25 000

soldats stationnés à Sébastopol en tout temps, et ce, jusqu’en 2042, les forces ukrainiennes,

peu nombreuses, qui étaient présentes sur le territoire furent vite débordées. Comme il était

également impossible de vérifier l’identité des assaillants, dans cette ambiguïté, Kiev a

ordonné le retrait rapide sans combat.319

Le 4 mars, lors d’une intervention télévisée, Vladimir Poutine affirme que le coup d’État en

Ukraine ayant mené à la mise en place du nouveau gouvernement était illégitime. Celui-ci

ne sera pas reconnu par le Kremlin qui envisage maintenant de devoir protéger les

minorités russes d’Ukraine contre ce nouvel ordre politique. Il affirme également que le

premier ministre de Crimée, Sergey Axionov, aurait demandé l’assistance de la Russie dans

la protection de ses concitoyens russophones et que Moscou ne peut pas ignorer cette

demande. La population russophone de Crimée descend dans les rues de Simféropol

brandissant des drapeaux russes alors que la population ukrainophone et les Tatars font de

même avec les drapeaux ukrainiens. Ces derniers manifestent contre les petits hommes

verts qui ont envahi leur région et leurs villes. À la télévision le 4 mars 2014, un soldat

interviewé avouera qu’il est d’origine russe et qu’il a été déployé en Crimée pour contrer

d’éventuels actes terroristes. Les russophones quant à eux manifestent leur désaccord avec

le nouveau pouvoir en place qu’ils affirment être fasciste et antirusse.320

Le terme fasciste

sera par la suite utilisé par la propagande russe pour dépeindre le gouvernement de Kiev et

encourager les Criméens à voter pour la sécession de la Crimée et son rattachement à la

317

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 103 318

Vladimir Poutine, Address by President of the the Russian Federation, The Kremlin, Moscow,

18 mars 2014 319

Op. Cit. Galia Ackerman 320

Op. Cit. Frédérick Lavoie, p. 54-55

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Fédération de Russie.321

Le 11 mars, « 78 des 81 députés locaux encore présents se

prononceront pour leur indépendance et celle de la ville de Sébastopol lors d’une session

extraordinaire du Parlement […] et annonceront la tenue ultérieure d’un référendum destiné

à interroger la population quant à sa volonté d’être rattachée à la Russie, même si

l’indépendance de la Crimée n’était pas reconnue par la communauté internationale. »322

Le

lendemain, le nouveau gouvernement ukrainien annonce que l’armée n’interviendra pas si

la Crimée fait sécession.323

L’annexion de la Crimée : illégale selon le droit international

Le 16 mars, après la tenue du référendum, les résultats tombent. 96,7 % de la population

aurait voté en faveur d’un rattachement de la Crimée à la Russie. Ce résultat est par la suite

réajusté et l’annonce officielle affirme que 83,1 % de la population aurait voté en faveur du

rattachement à la Fédération russe. Ethniquement, ces résultats sont très douteux comme

24 % de la population est ukrainienne et 13 % sont des Tatars. Ces deux groupes

soutenaient le nouveau gouvernement ukrainien lors des manifestations des semaines

précédentes. Si les Russes sont habitués aux majorités dictatoriales, les Ukrainiens comme

la majorité des pays à l’ONU rejetteront la validité du vote et du référendum.324

Néanmoins, le 18 mars, la Russie confirme l’annexion de la Crimée à son territoire,

devenant la 22e République autonome, et depuis, « toute attaque contre la Crimée constitue

une déclaration de guerre à la Fédération de Russie »325

Moscou affirme que le taux de

participation au référendum aurait dépassé les 80 %, mais le leader Tatars Moustafa

Djemilev de son côté soutient que le taux de vote n’aurait pas dépassé 34 % et pas plus de

la moitié des votants aurait confirmé vouloir le rattachement de la Crimée à la Russie.326

De

son côté, Vladimir Poutine affirme dans son discours du 18 mars que le référendum a été

fait selon les normes internationales et avec des procédures démocratiques. Selon lui, le

résultat du référendum prouve que la majorité des 1,5 million de Russes,

321

Voir Annexe III, panneau publicitaire retrouvé à Sébastopol en Crimée Roland Gauron, « Ukraine, les

enjeux du référendum sur la Crimée », Le Figaro, 12 mars 2014 322

Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 77 323

Idem 324

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 113 325

Op. Cit. Galia Ackerman 326

Idem

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350 000 Ukrainiens parlant majoritairement le russe, et les 300 000 Tatars soutiennent la

Russie, indépendamment de leurs origines. Il réfute les accusations d’invasion en attestant

que les militaires russes n’ont pas violé l’intégralité territoriale de l’Ukraine comme ceux-ci

ont été invités par la Chambre haute du Parlement de Crimée qui aurait également autorisé

l’emploi de la force, mais que la Russie n’a pas envoyé de soldats et qu’il s’agissait

uniquement du personnel de la base de Sébastopol. Il assure également que jamais le

nombre de soldats russes sur le sol ukrainien n’a dépassé le quota permis par l’accord entre

les deux nations.327

Partout en Russie des manifestations de joie éclatent. Plus de 90 % des Russes appuient

l’annexion de la Crimée.328

Pour la majorité, cette annexion permet de corriger une erreur

datant de 1954, c’est-à-dire le don de la Crimée à l’Ukraine par Nikita Khrouchtchev, alors

que pour le régime, c’est une manière d’exprimer sa volonté de conserver une sphère

d’intérêts autour de la Russie et de montrer aux dirigeants ukrainiens qu’un tournant

proeuropéen n’était peut-être pas la meilleure option pour leur pays.329

Il faut également

souligner que pour une puissance révisionniste, voire impérialiste comme la Russie, une

conquête territoriale comme celle de la Crimée ne peut que satisfaire les concitoyens. Cette

annexion est pour plusieurs le signe que la Russie est toujours une grande puissance et

qu’elle peut prendre la place d’une grande puissance sur la scène internationale si elle se

donne les moyens nécessaires. Plusieurs opposants de Vladimir Poutine expriment même

leur satisfaction à l’égard du président dont la popularité monte en flèche. Il atteint des

sommets inégalés depuis sa prise de pouvoir 14 ans plus tôt. Après avoir graduellement

descendu dans les sondages depuis 2010, au mois de mars 2014, le taux de satisfaction de la

population envers le président russe dépasse les 80 %.330

En ce qui concerne la logistique,

les Russes, comme leur administration, sont très confiants qu’un pont construit au-dessus

du détroit de Kertch permettra l’accès et l’approvisionnement de la péninsule sans aucun

problème.331

L’importance de la Crimée pour la Russie s’explique par différents facteurs, le

plus important étant certainement l’emplacement stratégique de la flotte de la mer Noire et

327

Op. Cit. Vladimir Poutine 328

Op. Cit. Galia Ackerman 329

Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p. 103 330

Levada Center, Putin’s Approval Rating, janvier 2017, http://www.levada.ru/en/ratings/ 331

Op. Cit. Frédérick Lavoie, p. 58

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son statut. Malgré des années de recherches pour trouver un port donnant accès à une mer

chaude, Sébastopol reste le meilleur endroit pour la marine russe. Avec un gouvernement

proeuropéen, l’administration Poutine craint de perdre ce privilège et de devoir déménager

sa base navale.332

Il est également important de souligner que si l’Ukraine rejoint l’OTAN

et l’Union européenne, la Russie se trouve avec des installations militaires dans un pays

membre d’une organisation internationale toujours perçue comme une ennemie. Suivant

cette logique, le président Poutine réassure publiquement dans son discours du 18 mars

2014, que la Russie ne s’oppose pas à une coopération avec l’Union européenne et

l’OTAN, mais elle ne prendra pas le risque de voir s’établir une organisation militaire

adverse à ses frontières.333

La communauté internationale se prononcera sur ce référendum lors d’une session à l’ONU

le 27 mars 2014. À la fin de la session, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la

résolution 68/262 sur l’intégralité territoriale de l’Ukraine et l’invalidité de l’annexion russe

de la Crimée. Cette résolution est adoptée par 100 États, alors que 11 se prononcent contre,

58 s’abstiennent et 24 États sont absents lors de cette décision.334

Les États-Unis dénoncent

le référendum, affirmant qu’il ne peut être valide sans l’accord de Kiev. Évidemment,

l’administration Poutine rappelle à l’Occident qu’un référendum avait été permis au

Kosovo sans l’accord de Belgrade, et que les États-Unis avaient déclaré à la suite de cette

indépendance « qu’une déclaration unilatérale d’indépendance d’une partie d’un État ne

violait aucune norme du droit international. » 335

Selon le président Poutine, pour la tenue

de ce référendum, le Conseil Suprême de Crimée s’est référé à la Charte des Nations Unies

qui garantit le droit des nations à l’autodétermination. Se basant sur le cas du Kosovo336

, les

autorités de Simféropol auraient conclu que pour tenir le référendum, l’accord du

gouvernement central n’était donc pas nécessaire.337

Ces allégations, quoique contestables,

sont soutenues par quelques experts dans le domaine. Notamment « Théodore Christakis,

332

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 102 333

Op. Cit. Vladimir Poutine, 18 mars 2014 334

Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 68/262 Intégrité territoriale de l’Ukraine,

27 mars 2014 335

Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 80 336

Cour Internationale de Justice, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale

d’indépendance relative au Kosovo, Avis consultatif, le 22 juillet 2010, http://www.icj-cij.org/files/case-

related/141/16013.pdf 337

Op. Cit. Vladimir Poutine, 18 mars 2014

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professeur de droit international à l’Université de Grenoble/Alpes, également directeur du

Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (CESICE) qui

livrera pour sa part une analyse selon laquelle le droit international serait, dans le cas

présent, favorable à la position russe. En effet, selon lui, la tenue d’un référendum

concernant le statut futur d’un territoire n’est pas, en principe, illégale du point de vue du

droit international, pas plus qu’une éventuelle déclaration d’indépendance à la suite d’un tel

référendum. »338

Point de vue également partagé par l’ancien chancelier allemand Gerhard

Schroeder, même si l’Allemagne de Merkel soutient l’illégalité du référendum.

D’autres experts se sont également penchés sur la question pour arriver à des conclusions

beaucoup plus nuancées. William W. Burke-White, spécialiste du droit international gradué

de Harvard et de Cambridge affirme que le cas du Kosovo est très différent de l’Ukraine,

principalement car la crise du Kosovo eut lieu en 1999 alors que l’indépendance fût

prononcée en 2008. En Crimée, le référendum eut lieu en pleine crise, beaucoup trop

rapidement, avant que les citoyens puissent assimiler et digérer les évènements. De plus, la

question du référendum n’était pas assez explicite ; les votants devaient choisir entre deux

propositions, la première étant de réunifier la Crimée à la Russie en devenant une région à

part entière de la Fédération, ou de revenir à la constitution de 1992 incluant le statut de la

Crimée comme province de l’Ukraine.339

Christian Marxsen, également spécialiste du droit

international à l’institut Max Planck à Heidelberg, estime quant à lui, que la situation est

extrêmement délicate; la Russie affirme avoir défendu les droits et libertés des

communautés russes et la preuve de ses allégations demeure assez faible. Normalement,

pour qu’un État intervienne militairement dans les affaires internes d’un autre État, la

situation est plutôt extrême, ce qui est loin d’être le cas pour les citoyens de la Crimée. De

plus, selon la constitution ukrainienne, pour qu’une province puisse faire sécession, le

référendum doit être à l’échelle nationale et pas uniquement dans le territoire séparatiste, le

référendum de Crimée est donc inconstitutionnel. De plus, la présence des militaires partout

sur le territoire est davantage concentrée dans les grandes villes ne permet pas de conclure

que le référendum s’est déroulé selon les normes internationales et avec des procédures

338

Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 80 339

William W. Burke-White, « Crimea and the International Legal Order », Survival Global Politics and

Strategy, 2014, Vol. 56 N°4, p. 72

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démocratiques. Sa conclusion est la même que la résolution A/68/262 de l’ONU, la

communauté internationale ne peut pas reconnaitre les résultats comme légitimes.340

Selon

Thomas D. Grant, professeur de droit international à l’Université de Cambridge, la situation

relève quelque peu de l’ironie. Lors de l’indépendance du Kosovo, la Russie s’était

profondément opposée à cette indépendance, maintenant qu’il fallait une situation vraiment

extrême comme une attaque de l’État contre une partie de sa population pour légitimer une

intervention extérieure menant à un référendum et à une déclaration d’indépendance. Il

réfute également l’argument selon lequel la Russie serait intervenue à la suite de la

demande de Ianoukovitch pour ramener l’ordre dans le pays. L’intervention eut lieu après

la destitution du président. Ianoukovitch avouera lui-même, le 2 avril 2014, qu’il n’a jamais

fait une telle demande.341

Malgré les allégations du président Poutine et de son

administration, la Russie a bel et bien violé l’intégralité territoriale de l’Ukraine en

envahissant et en annexant la Crimée. Un accord sur le stationnement de militaires

n’autorise pas pour autant ces militaires à renverser les autorités en place et organiser la

tenue d’un vote pour la sécession d’un territoire.

L’Est sécessionniste : les combats dans le Donbass

« Le 3 mars, dans la continuité des évènements de Crimée et en réaction à la suppression du

russe de la liste des langues officielles d’Ukraine, trois cents manifestants prorusses

investiront le bâtiment administratif régional de Donetsk. De même à Odessa, des

manifestants tenteront de hisser le drapeau russe au sommet du bâtiment de l’administration

régionale et demanderont un référendum sur l’établissement d’une République autonome

d’Odessa. »342

Le conflit connaitra une rapide escalade à partir du 6 avril, lorsque des

manifestants réussissent à investir et à garder le contrôle de plusieurs bâtiments

administratifs dans les villes de Donetsk, Louhansk et Kharkiv. Le lendemain, la

République de Donetsk déclare son indépendance, ce qui ne semble pas trop inquiéter les

340

Christian Marxsen, « The Crimea Crisis – An International Law Perspective », Heidelberg Journal of

International Law, 2014, Vol. 72 N°2, p. 374 et 391 341

Thomas D. Grant, « Annexation of Crimea » The American Journal of International Law, Janvier 2015,

Vol. 109, N°1, p. 72 et 81 342

Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 88

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autorités à Kiev.343

Le 9 avril, c’est au tour de la République de Louhansk de déclarer son

indépendance. Le même jour, la Russie communique à Kiev que si les forces ukrainiennes

emploient la force contre les rebelles, elle devrait alors assurer la sécurité des citoyens

russophones comme elle l’avait fait en Crimée.344

Le 12 avril, des soldats russes sous le

commandement de Strelkov traversent de la Crimée à la ville de Slaviansk dans l’est de

l’Ukraine. Accueillis par les volontaires locaux, ils prennent sans trop d’efforts le poste de

police et son dépôt d’armes ainsi que les bâtiments de l’administration. « Des policiers, des

agents spéciaux, des fonctionnaires et même la mairesse de la ville s’engagent dans la

rébellion. »345

Les sécessionnistes prennent le contrôle de la ville, installant des barrages

routiers et étendant graduellement la rébellion aux villes avoisinantes. À Kharkiv et Odessa,

les autorités ukrainiennes reprennent le contrôle et rétablissent l’ordre rapidement après les

premiers soulèvements. Ailleurs dans le Donbass, la plupart des anciennes autorités fuient

la région. Les manifestants s’arment et s’organisent, ils investissent rapidement les postes

de police dans les différentes villes pour saisir le contenu du dépôt d’armes. La rébellion

touche de plus en plus de villes, la Rada ukrainienne est obligée d’annoncer une opération

antiterroriste dans l’Est du pays.346

Le service de sécurité ukrainien est déployé à la mi-

avril et il reprend le contrôle sur plusieurs grandes villes, dont Marioupol, Kirovsk,

Yampol, etc.347

Le 17 avril s’ouvre à Genève des pourparlers entre la Russie, l’Ukraine, les États-Unis ainsi

que l’Union européenne, pour la désescalade de la violence dans l’est du pays. Les accords

exigent « le désarmement des groupes armés illégaux actuellement actifs en Ukraine et

l'évacuation des bâtiments occupés. »348

Ils demandent également la fin des actes de

violence et affirment qu’une « amnistie doit être accordée aux manifestants prorusses qui

ont participé à l'insurrection, à l'exception de ceux qui se sont rendus coupables de

crimes. »349

Ces accords ne seront jamais respectés; les rebelles ne cessent de demander un

appui militaire de la Russie qui annonce d’ailleurs une série d’exercices militaires près de la

343

Serge Schmemann, « The World Goes to the Polls », The New York Times, 11 avril 2014 344

Benoit Vitkine, « Comment les séparatistes prorusses ont gagné », Le Monde, 12 mai 2014 345

Op. Cit. Frédérick Lavoie, p. 69-70 346

Ibid, p. 71 347

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 151 348

Le Monde, « Accord diplomatique pour une résolution de la crise en Ukraine », Le Monde, 17 avril 2014 349

Idem

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99

frontière ukrainienne avec notamment plus de 200 blindés.350

Les sécessionnistes du

Donbass imitent leurs homologues de Crimée en proclamant un référendum pour le 11 mai

2014. Les rebelles contrôlent plusieurs villes et plusieurs routes principales, sans toutefois

avoir la mainmise sur la région complète.351

Le 7 mai, Vladimir Poutine tente de repousser

la date du référendum, mais les rebelles refusent. À Donetsk comme à Louhansk, la

question posée aux citoyens est simple; « supportez-vous la création de la République

Populaire de Donetsk ? (Louhansk) ». Les rebelles assurent ensuite que dans les deux

républiques, le taux de vote aurait atteint 75 % et que les votants auraient répondu

positivement à 89 % pour Donetsk et 96 % pour Louhansk. Tout comme le référendum de

Crimée, ni Kiev, ni la communauté internationale ne reconnaitront ces nouvelles

républiques. Néanmoins, celles-ci signent un accord commun pour créer la Novorossiya, la

Nouvelle Russie le 24 mai 2014.352

Le 26 mai, les forces aériennes ukrainiennes

bombardent les positions de rebelles de la République Populaire de Donetsk. Cette attaque

fera des victimes chez les rebelles, mais aussi chez les civils habitant la région. L’aéroport

de Donetsk sera au cœur de plusieurs affrontements pendant l’été. Récemment rénové, le

bâtiment n’est plus qu’un tas de ruines autour duquel les rebelles et les forces ukrainiennes

s’affrontent pour en garder le contrôle.353

L’écrasement du vol MH17

Entre les mois de mai et de juillet 2014, les combats se durcissent davantage. L’armée

ukrainienne n’était pas préparée pour ce conflit contre les milices armées par la Russie. La

plupart de leurs armes ont été vendues et celles qui demeurent sont souvent en mauvais état.

Dans une armée de 80 000 soldats, à peine 6 000 étaient prêts pour le combat, l’armée

régulière manquant d’entrainement et d’expérience. L’utilisation des missiles contre les

insurgés dans les zones civiles envenime davantage la situation, le nombre de victimes

grimpe en flèche.354

Le gouvernement ukrainien demande un cessez-le-feu entre le 20 et le

30 juin. Malheureusement, ce dernier ne sera respecté que des forces ukrainiennes, les

350

Andrii Deshchytsia, « La charge du ministre ukrainien des Affaires étrangères contre Vladimir Poutine »,

Le Figaro, 9 mai 2014 351

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 131 352

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 154 353

Maria Turchenkova, « En Ukraine, les morts de Donetsk rapatriés en Russie », Le Monde, 30 mai 2014 354

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 159-160

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rebelles faisant 27 victimes durant cette période. À la reprise des combats le 1er

juillet,

l’armée ukrainienne est beaucoup mieux organisée et les succès se multiplient, l’armée

réussit à reprendre Slaviansk et à forcer les rebelles à se retrancher près de Louhansk et de

Donetsk.355

Plusieurs milliers de volontaires joignent les rangs de l’armée ukrainienne. Des

industriels et des entrepreneurs locaux font don de plusieurs milliers de dollars pour

permettre à l’armée d’acheter des armes et des équipements adéquats. Les États-Unis eux-

mêmes assistent les Ukrainiens avec plus de 20 millions de dollars pour de l’équipement

militaire divers ainsi que pour des provisions.356

Cependant, lorsque les rebelles perdent

trop de territoire ou sont débordés par l’armée ukrainienne, la Russie tente de rééquilibrer le

combat en fournissant une aide matérielle, notamment avec des armes sophistiquées, et des

instructeurs russes qui montrent aux rebelles comment utiliser ce nouveau matériel, ainsi

qu’avec des soldats mieux entrainés de l’armée régulière.357

Ces armes sophistiquées

fournies par la Russie permettent d’ailleurs aux rebelles d’abattre plusieurs avions et

hélicoptères de l’armée ukrainienne, ce qui forcera les autorités ukrainiennes à fermer

l’espace aérien au-dessus du Donetsk sous 32 000 pieds pour tous les transports

commerciaux le 14 juillet 2014. Les lignes aériennes peuvent toutefois continuer d’utiliser

l’espace aérien à plus haute altitude. Pour le gouvernement ukrainien, cette décision permet

de toujours percevoir les revenus dus à l’utilisation des lignes aériennes par les compagnies

à l’international. Pour les compagnies aériennes, changer les trajets représente des couts et

du temps, l’utilisation des corridors au-dessus du Donetsk était une alternative beaucoup

moins onéreuse. Malheureusement, le 17 juillet 2014, les rebelles prorusses abattront un vol

commercial de la Malaysia Airlines entre Amsterdam et Kuala Lumpur, tuant les 298

passagers et membres du personnel à bord.358

Même si les rebelles tentent de nier leur implication dans l’attaque, les preuves sont

incontestables. L’avion s’écrase près de la ville de Torez, à 40 kilomètres à peine de la

frontière russe, dans un territoire étant sous le contrôle des militants prorusses. Après

355

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 138-139 356

David M. Herszenhorn, « Ukraine Military Finds its Footing Against Pro-Russian Rebels », The New York

Times, 6 juillet 2014 357

Rajan Menon, Eugene Rumer, Conflict in Ukraine, The unwinding of the Post-Cold War Order,

Cambridge, The MIT Press, 2015, p. 85 358

Serhy Yekelchyk, The Conflit in Ukraine – What everyone need to know, Oxford University Press, New

York, 2015, p. 149

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l’examen des débris par les services allemands et américains, il devient évident que la

destruction a été causée par un missile ayant heurté l’appareil. Or, comme les forces

prorusses n’avaient pas de forces aériennes à proprement parler, l’armée ukrainienne ne

s’était pas équipée de missiles pour contrer les attaques aériennes. Elle n’avait pas le

matériel nécessaire pour abattre un avion volant à une telle altitude.359

De plus, plusieurs

missiles russes de type BUK ont traversé la frontière russe dans les jours précédant

l’écrasement selon les sources ukrainiennes, et le Duch Safety Board affirme avec certitude

que le tir provenait bien de la zone contrôlée par les rebelles.360

Finalement, le commandant

russe Strelkov lui-même annoncera sur son site Internet que « nous venons tout juste

d’abattre un avion AN-26 près de Torez, il a crashé tout près de la mine. Nous les avons

avertis de ne pas voler dans notre ciel. » Le message sera rapidement retiré et Strelkov

blâmera les Cosaques de Tchernoukhine, mais personne ne croira à ses allégations.361

En

juin, les médias russes avaient également publié des photos des missiles BUK sur Internet,

affirmant que les séparatistes dans l’est de l’Ukraine, avaient mis la main sur plusieurs

exemplaires. Après l’écrasement du vol MH17, ces photos, comme le message de Strelkov,

furent retirés des différents sites.362

Au mois d’aout, les combats s’intensifient encore avant

le cessez-le-feu du 5 septembre 2014. Les forces ukrainiennes semblent plus motivées que

jamais à reprendre le contrôle sur la région. Plusieurs fois à partir de la mi-aout, des soldats

russes doivent traverser la frontière et se battre auprès des séparatistes pour éviter de perdre

le contrôle sur la région lorsqu’ils encerclent Louhansk et Donetsk.363

Du 24 au 28 aout

2014, une unité mécanisée russe traverse la frontière pour venir en aide aux séparatistes

encerclés et déroute le groupe d’armées ukrainien du sud en deux jours.364

359

Ibid, p. 150 360

Charles-Henry Groult « Comment les enquêteurs ont prouvé que le vol MH17 a été abattu par un missile

russe », Le Monde, 29 septembre 2016 361

Op. Cit. Andrew Wilson, p. 141 362

Op. Cit. Anne Applebaum 363

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 173 364

Chrystia Freeland « Why #RussiaInvadedUkraine Matters », The New York Times, 5 septembre 2014

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L’effort diplomatique de la communauté internationale en vue d’un

cessez-le-feu durable

À la fin du mois d’aout 2014, la chancelière allemande Angela Merkel appelle les deux

belligérants à signer un cessez-le-feu pour mettre fin aux combats dans l’Est de l’Ukraine.

Les premières rencontres entre Vladimir Poutine, Petro Poroshenko et l’Organisation pour

la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont ainsi lieu le 26 aout à Minsk en

Biélorussie.365

L’accord (Minsk I) signé le 5 septembre prévoit non seulement la cessation

des hostilités, mais également la libération des otages pour les deux côtés, l’envoi de

convois humanitaires vers les zones civiles, ainsi que la mise en place d’une zone

démilitarisée de 30 kilomètres pour éviter que les bombardements ukrainiens n’atteignent

les zones urbaines toujours habitées par les civils.366

Le président du Conseil européen

Herman Van Rompuy annonce également que l’Union européenne pourrait accepter de

revoir l’application des sanctions si le cessez-le-feu était durable et que la Russie et les

séparatistes prorusses acceptent de négocier une sortie de crise.367

Cet accord ne dure

cependant que 30 heures, alors que les tirs d’artillerie reprennent quelques jours après à

Marioupol et à Donetsk, dans le secteur de l’aéroport. Les soldats ukrainiens affirment

appliquer le cessez-le-feu le plus possible, qu’ils répliquent uniquement lorsque leurs vies

sont menacées, mais que l’accord n’est qu’une illusion, les rebelles refusent de cesser les

combats, ils reprendront normalement d’ici peu.368

De nouvelles négociations entre les belligérants seront entamées au mois de février 2015

dans la capitale biélorusse comme lors des précédentes négociations. L’objectif poursuivi

est le même; l’Union européenne souhaite faire respecter les termes de l’accord de Minsk I

signé en septembre 2014. Le 11 février 2015, François Hollande, Angela Merkel, Petro

Poroshenko et Vladimir Poutine entament les négociations entourant les clauses de

365

Le Monde, « Ukraine : Merkel appelle à un cessez-le-feu bilatéral », Le Monde, 23 aout 2014 366

Le Monde, « Les séparatistes prorusses et Kiev annoncent un accord de cessez-le-feu », Le Monde,

4 septembre 2014 367

Le Monde, « L’UE prête à revenir sur ses sanctions si le cessez-le-feu tient en Ukraine », Le Monde,

7 septembre 2014 368

Stéphane Siohan, « Fin de la trêve dans l’est de l’Ukraine », Le Figaro, 7 septembre 2014

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l’accord.369

Le 12 février, l’Ukraine et la Russie signent ainsi le protocole de Minsk II,

s’engageant à respecter les termes antérieurement violés maintes fois pendant l’automne

précédant.370

Cet accord ne sera pas respecté plus longtemps que le précédent, dès le 18

février les tirs d’artillerie reprennent. Le sénateur américain John McCain dira de ce cessez-

le-feu qu’il n’est qu’une illusion, que les rebelles prorusses n’en veulent pas et qu’il est

temps pour l’Occident de donner à l’Ukraine les moyens nécessaires pour se défendre.371

Depuis 2015, le protocole de Minsk II sera violé maintes fois par les deux partis. Au mois

de décembre 2016, Angela Merkel, François Hollande et Petro Poroshenko demandent un

cessez-le-feu pour la nouvelle année. Il entre en vigueur dans la nuit du 23 au 24 décembre

2016, mais les affrontements reprennent à la fin du mois de janvier 2017.372

À la fin du mois d’aout 2014, l’agence des réfugiés des Nations Unies rapporte que déjà

plus de 285 000 personnes ont dû fuir leur foyer en raison des bombardements, 70 000 ont

d’ailleurs trouvé refuge en passant la frontière russe, alors que 30 000 ont trouvé refuge

dans des camps aménagés à cette fin. Un rapport du Human Rights Watch soutient

également que les deux camps ont bombardé plusieurs fois des zones civiles, violant les

lois de la guerre.373

En 3 ans de conflit, le nombre de victimes a atteint 10 000 et les

affrontements entre les rebelles et les forces ukrainiennes continuent, épisodiquement.374

En

février 2015, Petro Poroshenko alors président de l’Ukraine affirme que « plus de

9 000 soldats russes avec plus de 500 chars, pièces d'artillerie lourde et véhicules de

transport de troupes » étaient alors dans son pays.375

La situation dans l’est de l’Ukraine est bien différente de la situation en Crimée. Les

combats qui font rage depuis trois ans ont un but complètement différent. D’abord, il faut

dire qu’une des premières actions posées par les séparatistes fût de prendre le contrôle des

369

Neil MacFarquhar, « World Leaders Meet in Belarus to Negociate Cease-Fire in Ukraine », The New York

Times, 11 février 2015 370

Alexis Feertchak, « Guerre en Ukraine : vers une sortie de crise ? », Le Figaro, 18 février 2015 371

John McCain, « John McCain : The Russia-Ukraine cease-fire is a fiction », The Washington Post,

26 juin 2015 372

Le Monde, « L’UE s’inquiète de la rupture flagrante du cessez-le-feu en Ukraine », Le Monde,

31 janvier 2017 373

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 166 et 170 374

Roman Olearchyk, Kathrin Hille, Stefan Wagstyl, « Fighting escalates in eastern Ukraine », The Financial

Times, Londres, 30 janvier 2017, https://www.ft.com/content/57fc2d60-e6d1-11e6-967b-c88452263daf 375

Le Monde, « Ukraine : Des progrès perceptibles pour faire cesser les hostilités », Le Monde,

22 février 2015

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médias dans l’Est. Les informations russes sont diffusées au détriment des informations

ukrainiennes, une incroyable machine de propagande se met en branle dès le début des

opérations. Les médias soulignent sans cesse le caractère particulier de la région, ce qui

encourage les insurgés à demander une plus grande autonomie vis-à-vis de Kiev. La plupart

des citoyens ne veulent cependant pas rejoindre la Russie pour plusieurs raisons. D’abord,

les industriels et les hommes d’affaires locaux savent pertinemment qu’ils ne sont pas de

taille pour se battre contre les géants russes de l’industrie, dans un éventuel rattachement à

la Fédération.376

Ainsi, un sondage mené par le Pew Research Center en mai 2014 souligne

que 70 % des Ukrainiens de l’Est (dont 58 % de russophones) désirent toujours faire partie

de l’Ukraine, avec cependant une plus grande redistribution de fonds dans les régions et

une plus grande autonomie par rapport au gouvernement trop centralisé377

parmi la

population de l’Est du pays, le mécontentement envers le gouvernement est grandissant.

Depuis décembre 2014, « le gouvernement a cessé de payer les fonctionnaires et les

retraités restés dans les républiques autoproclamées. Il a arrêté de financer les écoles, les

universités, les hôpitaux et les autres services. La Banque Nationale d’Ukraine a ordonné

aux banques de fermer leurs succursales dans ces zones et y a interrompu toute transaction

financière. »378

Les bombardements ukrainiens sont craints par tous les civils et le Maïdan

est vu très négativement dans ces régions. « Le sentiment général du Donbass ouvrier est

que le rêve européen était un caprice de bourgeois nationalistes. Ici, la prospérité se bâtit en

piochant dans une mine ou en forgeant le métal, insinue Andreï. Pas en pelletant des

nuages. »379

En encourageant les rebelles et en équilibrant le combat, la Russie ne cherche pas à annexer

la région. En fait, un conflit demeurant dans une impasse comme actuellement sert les

intérêts russes davantage qu’une annexion. Les conflits gelés ayant déjà fait leurs preuves

en Transnistrie (Moldavie) en Abkhazie et en Ossétie du Sud (Géorgie) permettent à la

Russie de déstabiliser ses voisins par le biais de forces nationalistes prorusses en place. Ces

petites zones permettent à la Russie de préserver ses intérêts dans la région, et avec des

376

Op. Cit. Galia Ackerman 377

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 149 378

Op. Cit. Frédérick Lavoie, p. 131 379

Ibid. p. 141

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105

frontières contestées, ces États ne peuvent pas adhérer aux organisations internationales.380

L’objectif principal de la Russie est d’empêcher l’adhésion de l’Ukraine à l’Union

européenne et à l’OTAN. Se basant sur l’expansion des deux organisations en Europe de

l’Est depuis la désintégration de l’URSS, le Kremlin en conclut qu’un rapprochement avec

l’UE est très souvent synonyme d’un éventuel rapprochement avec l’OTAN et qu’un conflit

gelé est un bon moyen de repousser ces alliances.381

Un sondage mené par le Sociological

Service of the Razumkov Centre au mois de novembre 2015 démontre que la majorité de la

population ukrainienne ne croyait pas que la meilleure manière de garantir la sécurité

nationale de l’Ukraine était de faire partie de l’OTAN. En fait, avant la crise, 42 % de la

population était d’avis que la meilleure façon était d’adopter un statut d’État non-aligné,

26 % pensait que c’était par une alliance avec la Russie alors que seulement 13 % de la

population soutenait l’adhésion à l’OTAN. Depuis le début de la crise, ce chiffre est passé à

32 % en mai 2014 pour atteindre finalement 45 % lors du sondage en novembre 2015.

Paradoxalement, l’intervention russe a joué en défaveur du Kremlin.382

Conclusion

Au sommet de Vilnius en novembre 2013, le gouvernement Ianoukovitch démontre, avec

son refus de signer les accords proposés par l’Union européenne que l’Ukraine a besoin de

profonds changements politiques. Les résistances du gouvernement entrainent des

manifestations qui dégénèrent, frôlant la guerre civile pendant l’hiver 2014. Épisode qui se

soldera par la fuite et la destitution du président Ianoukovitch, le pouvoir mis en place en

Ukraine semble fin prêt à prendre un tournant européen. Ce nouvel objectif ne plaisant pas

du tout aux dirigeants russes, Moscou déstabilise complètement le nouveau pouvoir en

place en envahissant et en annexant la Crimée au mois de mars 2014, avant d’embraser

l’Est du pays. La communauté internationale condamne les actions russes en Crimée et en

Ukraine de l’Est sans toutefois réussir à déloger les Russes et les rebelles de leurs positions.

380

Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 83 381

Dmitri Trenin, « Russia’s Goal in Ukraine Remains the Same : Keep NATO Out », Al Jazeera America,

2 juin 2014, http://america.aljazeera.com/articles/2014/6/2/russiaa-s-goal-

inukraineremainsthesametokeepnatoout.html 382

Razumkov Center, What is the best way to guarantee the national security of Ukraine ? (2007-2015),

Sociological poll, [En ligne] http://www.razumkov.org.ua/eng/poll.php?poll_id=1082 page consultée le

8 décembre 2016

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Trois ans après le début du conflit, la situation en Ukraine semble évoluer de plus en plus

vers un conflit gelé qui servirait les intérêts russes. Cependant, cette intervention militaire

musclée violant l’intégralité territoriale de l’Ukraine ne sera pas sans conséquence pour la

Russie. Depuis l’été 2014, des sanctions économiques sont en place pour faire pression sur

la politique étrangère du gouvernement russe. Les puissances occidentales exigent que la

Russie change sa politique vis-à-vis de son voisin, les militaires doivent quitter la région du

Donbass et de la Crimée. L’OTAN renforce ses positions en Europe de l’Est, mais rien ne

permet de croire que les militaires vont s’affronter directement lors d’une guerre déclarée.

L’Union européenne ainsi que ses alliés à l’OTAN utilisent plutôt les armes diplomatiques

et économiques pour tenter d’amener Vladimir Poutine à la table des négociations. En effet,

malgré les accords de Minsk en place depuis le 19 septembre 2014, les combats se

poursuivent alors que les dirigeants européens prolongent les sanctions chaque six mois.

Cependant, pour créer un changement drastique de la politique étrangère russe, les

sanctions doivent être suffisamment efficaces, ce qui semble toujours être incertain.

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107

CHAPITRE 4 - LES SANCTIONS IMPOSÉES À LA RUSSIE À LA

SUITE DE L’INVASION DE L’UKRAINE ET L’ANNEXION DE LA

CRIMÉE

« En réponse à l’annexion illégale de la Crimée et à la déstabilisation délibérée d’un pays

souverain frontalier par la Fédération de Russie, l’UE a imposé des mesures restrictives à

ce pays. »383

Selon le règlement N°692/2014 du Conseil de l’Union européenne concernant le territoire

de la Crimée et Sébastopol, « l’UE a imposé de substantielles restrictions portant sur les

échanges économiques avec ces territoires. Ces dernières comprennent :

• une interdiction des importations de biens en provenance de Crimée ou de

Sébastopol, sauf s’ils sont accompagnés d’un certificat d’origine ukrainien;

• l’interdiction d’investir en Crimée. Les entreprises européennes ou installées dans

l’UE ne sont plus autorisées à acheter de l’immobilier ou des entités en Crimée.

Elles ne peuvent plus non plus financer des entreprises de Crimée ou leur offrir

leurs services. En outre, il leur est interdit d’investir dans des projets

d’infrastructure dans six secteurs;

• une interdiction d’offrir des services touristiques en Crimée ou à Sébastopol. Les

bateaux de croisière européens ne peuvent plus faire escale dans la péninsule de

Crimée, sauf urgence. Cette décision s’applique à l’ensemble des navires

appartenant à ou sous contrôle d’Européens, ou battant pavillon d’un État membre

de l’UE;

• une interdiction d’exportation, vers des entreprises de Crimée ou pour un usage en

Crimée, des biens et technologies relatifs aux secteurs des transports, des

télécommunications et de l’énergie ou utilisés dans l’exploration pétrolière, gazière

383

Conseil de l’Union européenne, Sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie concernant la crise en

Ukraine, http://europa.eu/newsroom/highlights/special-coverage/eu-sanctions-against-russia-over-ukraine-

crisis_fr

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108

et minérale; une interdiction de prester des services d’assistance technique, de

courtage, de construction ou d’ingénierie relatifs aux infrastructures de ces mêmes

secteurs. »384

L’Union européenne adopte également des mesures concernant « la coopération sectorielle

et les échanges avec la Russie.

• Les ressortissants et entreprises européennes n’ont plus le droit d’acheter ou vendre

de nouvelles obligations, actions ou instruments financiers similaires, d’une durée

de plus de 30 jours, émis par :

cinq grandes banques d’État russes;

cinq grandes compagnies énergétiques russes;

trois grandes entreprises de la défense russes;

les filiales d’entités précitées basées en dehors de l’UE, et celles agissant en

leur nom ou sous leur direction.

• Les services relatifs à l’émission de ces instruments financiers sont également

interdits.

• Les ressortissants et entreprises de l’UE ne peuvent consentir de prêts de plus de

30 jours aux entités précitées.

• Un embargo est en place sur les importations et exportations d’armes et de matériel

connexe de et vers la Russie. Il couvre les éléments repris dans la liste commune des

équipements militaires de l’UE, à quelques exceptions près.

• Les exportations de biens à double usage et de technologies à des fins militaires en

Russie ou à usage final militaire par les Russes sont interdites. L’ensemble des

éléments de la liste des biens à double usage de l’UE sont concernés par cette

interdiction. Les exportations de biens à double usage vers neuf utilisateurs finaux

mixtes sont aussi interdites.

384

Idem

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109

• Les exportations vers la Russie de certains équipements et technologies liés au

secteur énergétique seront soumises à une autorisation préalable par les autorités

compétentes des États membres. Les licences d’exportation ne seront pas octroyées

si les produits exportés sont destinés à l’exploration et la production pétrolières en

eau profonde (plus de 150 mètres de profondeur) ou au large du cercle arctique, ou

encore à des projets de potentielle production pétrolière à partir de ressources tirées

de formation schisteuses par fracturation hydraulique.

• Les services suivants, nécessaires dans le cadre des projets précités, ne sont pas non

plus autorisés : forage, essais de puits, exploitation forestière, services

d’achèvement, et octroi de vaisseaux spécialisés. »385

L’efficacité des sanctions économiques et politiques mises en place par

l’Union européenne

Rapidement après l’invasion russe de Crimée le 27 février 2014, les premières sanctions

sont adoptées. Le 3 mars, lors d’une session extraordinaire du Conseil des Affaires

étrangères de l’Union européenne, les dirigeants condamnent l’action militaire russe en

Ukraine et demandent au président russe de rappeler ses forces militaires en Russie ou sur

la base de Sébastopol, sans quoi, les États de l’Union européenne membres du G8 ne se

présenteront pas à la prochaine réunion du conseil prévue pour le mois de juin 2014.386

Le 6

mars 2014, les États-Unis adoptent des restrictions de visa et de voyage contre les

personnes de l’entourage de Vladimir Poutine, jugées responsables de l’invasion en Crimée

ainsi qu’un gel de leurs avoirs aux États-Unis.387

Le 17 mars, l’Union européenne adopte

elle aussi un gel des avoirs pour 21 personnes et entités ainsi que des interdictions de

385

Idem 386

Conseil des Affaires étrangères, Session N°3305, L’UE condamne les actions menées par la Russie en

Ukraine, lance un appel au dialogue et se tient prête à prendre de nouvelles mesures, Bruxelles, 3 mars 2014,

http://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/fac/2014/03/03/ 387

The White House, Office of the Press Secretary, Executive Order – Blocking Property of Certain Persons

Contributing to the Situation in Ukraine, Washington 6 mars 2014,

https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2014/03/06/executive-order-blocking-property-

certain-persons-contributing-situation

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110

voyage et de visa.388

Cette liste de personnes et d’entités soumises à des restrictions de

voyage et un gel des avoirs atteint 149 personnes ainsi que 37 entités en septembre 2015.389

Les premières sanctions économiques visant la Russie sont, quant à elles, adoptées au mois

de juillet 2014 suivant l’écrasement du vol de la Malaysia Airlines au dessus du territoire

Est ukrainien. Les membres de l’Union européenne doivent maintenant suspendre tout

commerce relié à l’armement et au matériel militaire avec la Russie. Les importations et

exportations de technologies à double usage, civil et militaire, provenant ou à destination de

la Russie sont également interdites. Les exportations de technologies pouvant servir à

l’exploration ou à l’exploitation des nappes de pétrole en eaux profondes seront également

interdites.390

Ces sanctions s’ajoutent aux gels des avoirs et aux interdictions de voyage et

de visa déjà en vigueur. À la suite de leur application, ces sanctions seront prolongées

chaque six mois par le Conseil de l’Union européenne. Le 13 mars 2017, trois ans après le

début du conflit, l’Union européenne prolonge ces sanctions jusqu’au 15 septembre

2017.391

Se pose dès lors la question de leur efficacité : est-ce que les sanctions sont

suffisantes pour avoir un impact sur la politique étrangère russe? À l’heure actuelle, les

sanctions n’ont provoqué aucun changement politique, mais elles ont un impact

considérable sur l’économie russe. Dans le prochain chapitre, nous nous intéresserons ainsi

aux différents facteurs pouvant favoriser l’échec ou le succès des sanctions imposées à la

Russie et aux effets des sanctions sur l’économie russe.

La réussite et l’échec d’un régime de sanctions

Avant de poursuivre notre analyse de l’efficacité des sanctions imposées à la Russie, il va

de soi de définir cette efficacité à l’aide de certains facteurs et indicateurs. À l’inverse, nous

388

Conseil de l’Union européenne, L’EU adopts restrictive measures against actions threatening Ukraine’s

territorial integrity, Bruxelles, 17 mars 2014 389

Conseil de l’Union européenne, List of persons and entities under EU restrictive measures over the

territorial integrity of Ukraine, Bruxelles, 15 septembre 2015 390

Conseil de l’Union européenne, Adoption des mesures restrictives décidées en égard au rôle de la Russie

dans l’est de l’Ukraine, Bruxelles, 31 juillet 2014,

http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/EN/foraff/144205.pdf 391

Conseil de l’Union européenne, L’UE proroge jusqu’au 15 septembre 2017 les sanctions liées aux actions

menées contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine, Bruxelles, 13 mars 2017,

http://www.consilium.europa.eu/press-releases-pdf/2017/3/47244656119_fr.pdf

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identifierons également les facteurs favorisant l’échec d’un régime de sanctions. Par la

suite, nous analyserons les impacts et la situation en Russie afin de la comparer à

l’historiographie et aux recherches précédentes. Ainsi, nous serons en mesure de conclure si

les sanctions ont plus de chances de provoquer un changement de politique étrangère ou

d’échouer. L’efficacité des sanctions est toujours incertaine, lors de l’application d’un

régime de sanctions, il est impossible de prévoir quel cout économique sera suffisant pour

avoir une incidence sur la politique de l’État sanctionné.392

Cependant, l’application des

sanctions parait souvent comme une alternative plutôt sécuritaire pour signaler son

insatisfaction quant à la politique d’un autre État. Il s’agit aussi d’une mesure qui plait

généralement davantage à l’opinion publique qu’un conflit armé.393

Finalement, d’une

manière générale, l’imposition de sanctions est un instrument politique relativement peu

couteux, en comparaison à un conflit armé. À titre comparatif, la Guerre du Golfe couta aux

États-Unis et à ses alliés plus de 130 milliards USD pour une campagne de 2 ans, alors que

les sanctions imposées en 1987 contre l’Irak ont couté environ 7 milliards au gouvernement

américain.394

Les facteurs favorisant le succès d’un régime de sanctions

D’abord, un des facteurs les plus importants pour la réussite d’un régime de sanctions est

bien évidemment le cout économique relié aux mesures. Ce facteur est ainsi défini par

l’étude de Gary Haufbauer et ses collègues comme le facteur le plus déterminant. Dans leur

étude, les 70 cas qu’ils jugent comme étant réussis avaient imposé des couts considérables à

l’État paria.395

Plus le cout imposé à un État est élevé, plus l’État sera porté à tenter de

modifier ses politiques pour ne plus devoir supporter un régime de sanctions. Un autre

élément important soutenu notamment par Robert Pape, Kim Nossal, Irfan Nooruddin,

Bruce Bueno de Mesquita et Dina Al-Sowayel, est que les sanctions sont beaucoup plus

efficaces lorsqu’employées contre une démocratie, que contre une autocratie. Le dirigeant

politique d’un État démocratique sera beaucoup plus enclin à chercher une solution sans

utiliser la violence, la société civile d’un État démocratique est rarement favorable à la

392

Op. Cit. William H. Kaempfer, Anton D. Lowenberg, p. 870 393

Op. Cit. James Mayall, p. 633 et 638 394

Elizabeth S. Rogers, « Using economic sanctions to control regional conflicts », Security Studies, 1996,

Vol.5 N°4, p. 45 395

Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, Economic Sanctions

Reconsidered 3e edition, Peterson Institute for International Economics, Washington, 2007, p. 159

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déclaration d’une guerre et la stabilité politique définit généralement un bon dirigeant. Pour

ses citoyens et pour sa propre position à la tête du gouvernement, le chef d’un État

démocratique ne laissera pas la situation économique de son pays se détériorer

longtemps.396

À l’inverse, le chef d’un gouvernement autocratique n’a généralement aucune

crainte quant à sa position au sein de l’État, il peut ainsi poursuivre ses propres politiques

sans trop se soucier de l’opinion publique ou de la société civile. Sa survie dépend

davantage de sa capacité à satisfaire son entourage ou ses supporteurs politiques. Un

autocrate sera ainsi beaucoup moins susceptible de tenter de trouver une solution politique

dans un objectif de paix.397

Suivant cette logique, Haufbauer et ses collègues expliquent

ainsi qu’il est difficile d’intimider un intimidateur.398

Dans le même ordre d’idée, l’instabilité politique et l’instabilité économique sont

également des facteurs favorisant le succès d’un régime de sanctions. Si un régime est

plutôt faible, que le pays est au bord de la guerre civile – ou en guerre civile – que la

population est affamée, ou que le régime a tout simplement une opposition importante et

grandissante, les sanctions ont beaucoup plus de chances d’être efficaces (Venezuela 2017).

Les opposants au régime seront tentés de se rallier aux États qui imposent les sanctions, ou

promettront à la population de prendre le pouvoir pour mettre fin aux sanctions. Un État

souffrant de problèmes économiques comme des taux de chômage et d’inflation très élevés

sera également plus vulnérable à l’application d’un régime de sanctions. Même un

autocrate peu soucieux du bien-être de sa population aura de la difficulté à gérer un État au

bord du chaos. Si la situation économique ne permet pas de nourrir sa population par

exemple, le régime sera extrêmement vulnérable aux embargos ou aux mesures touchant les

produits indispensables.399

Pour que les sanctions soient efficaces, la relation économique entre l’État qui sanctionne et

l’État qui se fait sanctionner doit être importante et développée. Plus les liens économiques

396

Bruce Bueno de Mesquita, James D. Morrow, Randolph M. Siverson, Alastair Smith, « An institutional

explanation for the democratic peace », American Political Science Review, Décembre 1999, Vol. 93 N°4,

p. 792 397

Ibid, p. 794 et 799 398

Op. Cit. Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, p. 166 399

Peter A. G. Van Bergeijk, « Success and failure of economic sanctions », Kyklos, 1989, Vol. 42, N°3,

p. 395

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sont étroits, plus les sanctions imposées auront des chances de succès. Si les échanges

commerciaux sont importants, l’État sous sanctions perdra une source de revenus plus

importante que si les échanges sont limités. Un régime de sanctions est ainsi beaucoup plus

efficace s’il est appliqué par un ou des partenaires économiques majeurs. Pour être

optimales, les sanctions doivent toucher des secteurs primordiaux dont les biens importés

seront difficilement remplaçables par d’autres États. Il y a cependant également un risque

pour l’État qui applique les sanctions contre un partenaire économique important; l’État qui

sanctionne n’est pas à l’abri des contrecoups économiques, son économie est également à

risque de souffrir des sanctions.400

Finalement, les sanctions ont beaucoup plus de chances de réussite lorsque les objectifs

sont modestes. Un changement politique majeur est plus difficilement atteignable, alors

qu’un objectif visant à punir un État est presque assuré de réussite. Pour David Baldwin,

l’augmentation des couts pour une production ou pour des importations ou, encore,

l’atteinte à la réputation d’un État devraient être considérées comme des réussites, les buts

modestes ont tout de même des impacts et des conséquences non négligeables. Même si à

eux seuls ils ne motivent pas de grands changements, ils font partie d’un tout formé par

toutes ces petites réussites modestes, qui ensemble, ont un plus grand impact. Il rappelle

ainsi la théorie des sanctions économiques selon laquelle la dépravation économique

entraine la désintégration économique, laquelle entraine même la dépravation politique qui

généralement devrait mener un État à se conformer au droit international.401

Plusieurs de

ces facteurs peuvent cependant rencontrer certaines limites, les régimes de sanctions et les

États sont tous différents, les difficultés rencontrées dépendent du régime, du dirigeant, de

la société civile, et comme mentionné plus haut, de la situation politique et économique de

l’État sanctionné.

Les facteurs limitant l’efficacité d’un régime de sanctions

Les effets des régimes de sanctions peuvent être limités par plusieurs facteurs. Notons

d’abord que toutes sanctions économiques doivent être accompagnées d’un effort

diplomatique important. James Mayall explique ainsi que les sanctions doivent être

400

A. Cooper Drury, « Revisiting ‘Economic Sanctions Reconsidered’ », Journal of Peace Research,

Juillet 1998 Vol. 35 N°4, p. 502 401

Op. Cit. David A. Baldwin, p. 136

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appliquées par la majorité des partenaires économiques de l’État sanctionné pour

maximiser leurs chances de réussite. Lorsqu’il y a un manque de cohésion à l’international,

l’État sous sanctions peut trouver des fournisseurs alternatifs à celui qui impose les

sanctions.402

Les sanctions imposées par les États-Unis contre l’URSS lors de l’invasion de

l’Afghanistan au mois de décembre 1979 ont souffert de ce manque de cohésion, les effets

ont été limités car les Soviétiques ont pu trouver des fournisseurs attirés par les profits

substantiels de ces échanges. L’engagement d’une ou des organisations internationales lors

de l’imposition d’un régime de sanctions aide toutefois à conserver cette cohésion au sein

des différents alliés et partenaires.403

Selon les résultats de l’étude de Gary Haufbauer et ses

collègues, plus le nombre d’États nécessaires à l’implantation des sanctions est élevé, plus

les difficultés d’application seront grandes. En fait, la cohésion des débuts s’érode

rapidement lorsqu’un État appliquant les sanctions rencontre lui-même des difficultés

économiques. La cohésion internationale est une variable plutôt incertaine, elle peut être

bénéfique lorsqu’elle isole diplomatiquement et économiquement l’État sanctionné, mais

elle peut également être problématique si l’un des alliés se retire. Cette possibilité est non

négligeable, car si l’État sanctionné trouve des alliés parmi ceux qui imposent les sanctions,

les effets seront beaucoup plus limités et les chances de réussite beaucoup moins

grandes.404

Un régime de sanctions demeure toutefois vulnérable aux Chevaliers noirs,405

ces États qui

sont attirés par les profits potentiels minent l’effort général de cohésion. Ces États peuvent

être des partenaires avares ou des États qui préfèrent leurs profits personnels à la sécurité

internationale, le respect du droit international et la souveraineté d’un État. Dans certains

cas, ces États ne reconnaissent pas la nécessité d’imposer des sanctions à un partenaire

important, ils estiment leurs échanges commerciaux plus importants que la situation, ou le

conflit qui justifie l’imposition des sanctions. Plusieurs fois lors de la guerre froide, des

régimes de sanctions ont été sapés par l’URSS ou par les États-Unis qui appuyaient leurs

alliés contre les sanctions de l’ennemi. L’URSS a ainsi remplacé les produits américains

mis sous embargo à Cuba dans les années 1960. Les États-Unis ont fait de même lors de

402

Op. cit. James Mayall, p. 639 403

Op. Cit. A. Cooper Drury p. 503 404

Op. Cit. Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, p. 172 405

Op. Cit. Elizabeth S. Rogers, p. 47

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l’application de sanctions par l’URSS contre la Yougoslavie en 1948, limitant dans les

deux cas l’effet désiré initialement.406

Les sanctions peuvent également avoir un effet non désirable sur la société civile; il s’agit

du phénomène du rally around the flag. Dans certains cas, si la société civile juge que son

pays ne devrait pas être placé sous sanctions, les sanctions créent une certaine cohésion

nationale de support pour le parti au pouvoir et le dirigeant.407

Il devient alors extrêmement

difficile d’exiger d’un État qu’il se conforme au droit international. Si la société civile juge

que son gouvernement n’est pas à blâmer, elle sera prête à accepter plus de sacrifices, il

s’agit d’une mentalité de siège. Si l’État résiste aux sanctions, il en sortira gagnant, il

démontrera sa volonté et sa force de résistance lorsqu’il poursuit un but précis. Ce

phénomène peut également s’opérer dans un tout autre ordre d’idées. Si un peuple est trop

dépendant de ses dirigeants pour son approvisionnement en nourriture et en biens de

première nécessité, la société civile pourrait se rallier derrière ses dirigeants car, comme

l’explique Andrei Kolesnikov, professeur de droit à l’université de Moscou, « They’d better

vote for the hand that feeds them or there might be nothing to eat at all. »408

Dans certaines situations, l’État sanctionné estime que le cout des sanctions n’est pas

suffisamment élevé pour justifier un changement de ses politiques. Si le cout des sanctions

est moins élevé que celui du retrait, l’État sanctionné ne modifiera pas son comportement et

choisira plutôt d’adapter son économie aux sanctions. Un État peut choisir cette position

lorsqu’il veut par exemple préserver sa réputation de dur, il préfère endurer les sanctions et

conserver sa réputation, plutôt que de sécuriser son économie et de voir sa réputation se

dégrader.409

Pour Dean Lacy et San Ling Lam, il faut également tenir compte que les

sanctions qui sont normalement les plus dommageables, ne sont généralement pas mises en

application. Si un État est conscient que les sanctions qui risquent de lui être imposées

auront des conséquences considérables, il changera son comportement avant même leur

application. Les sanctions les plus efficaces demeureraient au stade de menaces. Dès lors, si

406

Idem 407

Op. Cit. James Mayall, p. 631 408

Andrei Kolesnikov, « Frozen Russia », Carnegie Moscow Center, Moscou, 16 octobre 2016 409

Jonathan Eaton, Maxim Engers, « Sanctions: Some simple analytics », American Economic Review Papers

and Proceedings of the One Hundred Eleven Annual Meeting of the American Economic Association,

Mai 1999, Vol. 89 N°2, p. 411

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un régime de sanctions est appliqué, ses chances de réussite seraient moins élevées, car

l’État visé juge lui-même qu’il peut surmonter les inconvénients causés par ces mesures.410

Le temps est également une variable non négligeable qui peut limiter les impacts d’un

régime de sanctions. Après l’analyse de plusieurs régimes de sanctions,411

il est possible de

conclure qu’en moyenne, les sanctions demeurent en place pendant 16 ans. Certains

régimes se concluent par l’État sanctionné qui se conforme finalement, alors que d’autres

régimes sont levés, faute de résultats convaincants.412

Dans tous les cas, il faut tenir compte

des couts imposés non seulement à l’État sanctionné, mais également les pertes causées aux

États imposant les sanctions. Comme mentionné plus haut, les États-Unis ont subi, en une

seule année, des pertes totalisant près de 7 milliards USD pendant la Guerre du Golfe, il

semble donc que l’application des sanctions n’est pas si bon marché après tout.413

Bien

évidemment, les sanctions coutent moins cher qu’un conflit armé, mais les États appliquant

les sanctions subissent également les conséquences de leurs politiques. Néanmoins, comme

le conflit n’est pas toujours une alternative envisageable – contre une puissance nucléaire

comme la Russie ou antérieurement l’URSS – les sanctions peuvent être une des seules

possibilités réalisables. Suivant l’analyse de Haufbauer, le temps limite les impacts des

sanctions. Les sanctions économiques les plus efficaces sont celles qui imposent des pertes

économiques considérables rapidement.414

Les sanctions forcent souvent les États

sanctionnés à se replier sur eux-mêmes. Ils doivent donc développer leurs propres

industries pour s’autosuffire. À long terme, ce phénomène a pour conséquence de rendre

l’État sanctionné plus apte à vivre en autarcie et moins dépendant des importations et des

biens d’autres États. Si un État peut s’autosuffire, les effets des sanctions deviennent

extrêmement limités, il est dès lors presque impossible que les mesures influencent son

comportement ou ses politiques.415

410

Dean Lacy, Emerson M. S. Niou, « A theory of economic sanctions and issue linkage : The roles of

preferences, information, and threats », Journal of Politics, Février 2004, Vol. 66 N°1, p. 25 411

Étude qui se veut exhaustive, Op. Cit. Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott,

Barbara Oegg 412

Sean M. Bolks, Dina Al-Sowayel, « How long do economic sanctions last? Examining the sanctioning

process through duration », Political Research Quarterly, Juin 2000, Vol. 53 N°2, p. 242 413

Idem 414

Op. Cit. Peter A. G. Van Bergeijk, p. 398 et 400 415

Op. Cit. William H. Kaempfer, Anton D. Lowenberg, p. 870

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Pour réussir, les sanctions doivent donc être imposées à un État qui a une forte dépendance

économique vis-à-vis de ses voisins.416

Plus l’État sanctionné est indépendant dans ses

productions, plus les impacts des sanctions seront limités. Dans certains cas, les États

sanctionnés importent des biens dont ils ne font pas la production, mais dont ils auraient

cependant les ressources nécessaires pour les produire. Pour Gerhard Roiss, chef exécutif

de la compagnie autrichienne OMV, il s’agit de la division des tâches et des ressources,

certains États choisissent de ne pas produire certains biens car ils peuvent en importer

facilement tout en concentrant leur production autour de certains produits exportables et

rentables.417

Il est donc possible qu’un État riche en ressources de tout genre, choisisse

délibérément de concentrer sa production autour de produits en particulier, et d’importer

des produits qu’il pourrait lui-même produire. Lors de l’application de sanctions, ces États

sont plus susceptibles de réformer et de réorienter leur production afin de devenir

autosuffisant et d’une certaine manière, immunisé aux pressions internationales.418

Finalement, comme le souligne Elizabeth S. Rogers, les sanctions sont souvent plus

efficaces pour contenir un conflit que pour le prévenir ou l’arrêter.419

Certaines sanctions

sont également tout simplement insuffisantes pour provoquer des changements politiques

majeurs. Les sanctions diplomatiques, comme le rappel d’ambassadeurs, la fermeture

d’ambassades, la suspension des négociations internationales et le bannissement de certains

comités font généralement partie des sanctions appliquées rapidement, elles n’ont

cependant aucun impact considérable qui pourrait justifier un changement de politiques

majeur.420

Les premières mesures économiques généralement employées sont ensuite celles

qui visent des entités ou des personnes en particulier. Il s’agit généralement d’interdiction

de voyage et de gel des avoirs à l’étranger. Ces mesures ont également des effets limités car

elles n’affectent pas la majorité de la population. Elles peuvent être cependant plus

dangereuses lorsqu’elles sont dirigées vers un régime autocratique et vers le cercle restreint

qui contrôle le gouvernement. Si certains officiels veulent retrouver tous leurs avantages,

416

Op. Cit. James Mayall, p. 631 417

Op. Cit. Richard Sakwa, p. 191-192 418

Op. Cit. James Mayall, p. 631 419

Op. Cit. Elizabeth S. Rogers, p. 44 420

Christian Dreger, Jarko Fidrmuc, Konstantin A. Kholodilin, Dirk Ulbricht, « Between the hammer and the

anvil : The impact of economic sanctions and oil prices on Russia’a ruble », Journal of Comparative

Economic, Mai 2016, Vol. 44 N°2, p. 298

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leurs propriétés, leurs avoirs, etc. à l’étranger, ils pourraient être tentés de s’opposer au

pouvoir. Si la cohésion des élites est plutôt faible, ce type de mesures peut influencer

l’issue du conflit.421

Ce type de sanctions est souvent priorisé car ces mesures n’ont

absolument aucun impact économique sur les États choisissant de les appliquer.422

En

résumé, un régime de sanctions a des chances de réussite limitées si l’État visé est fort,

stable politiquement et économiquement, s’il est hostile et autocratique.423

L’impact des sanctions sur l’économie russe

Nous débuterons notre analyse à l’aide de certaines statistiques des organisations

internationales afin de dresser un portrait global – chômage et inflation – de la situation

économique actuelle de la Russie. Nous nous intéresserons également aux échanges

commerciaux – importations et exportations – entre la Russie et ses nombreux partenaires

pour pouvoir calculer la part des revenus perdus dans ces échanges depuis le début de la

crise. Considérant aussi les secteurs touchés par les sanctions de l’Union européenne, nous

procéderons à l’analyse de l’évolution du commerce d’armes et de matériel militaire entre

la Russie et ses partenaires internationaux. Nous nous intéresserons finalement aux

investissements étrangers perdus en partie en raison de l’interdiction d’investissement dans

le secteur de l’énergie. Cependant, avant toute chose, nous devons analyser les

conséquences d’une autre variable, indépendante aux mesures économiques, qui frappe la

Russie depuis le mois d’aout 2015; la chute du prix du pétrole.

Le déficit causé par le pétrole

La Russie est un pays extrêmement riche en matières premières et en hydrocarbures qui

représentent 65 % des exportations du pays en 2015.424

Le cours du pétrole dégringole à

partir de 2014 en raison d’une guerre des prix entre l’Arabie saoudite et les États-Unis. La

421

Lidia Shevtsova, « The Sanctions on Russia : How Hard Do They Bite ? », The American Interest,

4 avril 2016, http://www.the-american-interest.com/2016/04/04/the-sanctions-on-russia-how-hard-do-they-

bite/ 422

Op. Cit. Elizabeth S. Rogers, p. 52 423

Op. Cit. Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, p. 167 424

United Nations Conference On Trade and development, General Profil : Russian Federation,

9 décembre 2016, http://unctadstat.unctad.org/CountryProfile/GeneralProfile/en-GB/643/index.html

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119

Russie doit alors faire face aux sanctions économiques ainsi qu’à des revenus

d’exportations beaucoup plus faibles.425

En effet, En 2013, la Russie a exporté

vers l’Europe et les États-Unis

environ 1 128 050 359 barils de

pétrole pour une somme de

120 507 241 978 $ USD. En 2015,

elle exporte 1 089 831 521 barils, soit

environ 38 millions de barils de moins

qu’en 2013, pour une somme de 55 185 251 578 $ USD.426

En 2013, le baril de pétrole

s’échangeait à environ 105 $ USD alors qu’en 2015, il descend sous la barre des 50 $ USD,

pour la première fois depuis 2009.427

Le gouvernement russe se retrouve dès lors avec deux

possibilités; une hausse de production et des exportations, ou une baisse drastique des

revenus. En décembre 2014, la production de pétrole russe atteint un niveau inégalé depuis

1991, mais l’offre mondiale est beaucoup plus importante que la demande et la

consommation. L’Arabie saoudite, plus grand producteur mondial a cependant intérêt à

conserver le prix du baril au plus bas afin d’éliminer la compétition. Plusieurs petits

producteurs ne peuvent plus exporter leur pétrole qui coute désormais plus cher à extraire

qu’il ne rapporte. Comme l’extraction du pétrole des sables bitumineux ou de l’huile de

schiste coute beaucoup plus cher que l’extraction du pétrole conventionnel, le Canada et les

États-Unis souffrent également de cette chute de prix.428

Le cours du pétrole s’effondre au même moment que l’Union européenne impose ses

sanctions économiques à la Russie. La détérioration de la situation économique russe

depuis l’été 2014 est, dès lors, causée par deux variables distinctes : la chute du prix du

baril de pétrole et les sanctions économiques. Les prédictions budgétaires russes pour 2015

425

Mathilde Damgé, « Trois graphiques pour comprendre la baisse des cours de pétrole », Le Monde,

2 décembre 2014 426

United Nations Commodity Trade Statistics Database, voir en annexe les différentes statistiques sur

l’économie russe. 427

Jean-Michel Bézat, « Pétrole : les raisons de la chute continue de prix », Le Monde, 6 janvier 2015 428

Anne Eveno, « Dans la chute des cours du pétrole, l’Arabie Saoudite détient les clés du jeu », Le Monde,

16 octobre 2014

Les exportations russes de pétrole vers l’UE et

les USA

Années Quantité de

barils exportés

Revenus provenant

des exportations en

USD

2013 1 128 050 359 120 507 241 978 $

2014 998 638 908 99 151 601 296 $

2015 1 089 831 521 55 185 251 578 $

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avaient été faites en fonction d’un baril s’échangeant à 100 $ USD et les hydrocarbures

représentent environ 50 % des revenus gouvernementaux.429

Le manque à gagner est donc

énorme. En 2014, la Russie exporte près d’un milliard de barils de pétrole pour une somme

de cent milliards de dollars USD. En 2015, même si elle exporte davantage, elle retire 55

milliards de dollars USD uniquement.430

Elle comble le déficit à même ses réserves qui

atteignent, à leur plus haut, 537 milliards USD en 2012. En 2015, après avoir comblé le

déficit, les réserves russes comprennent encore 368 milliards USD.431

Lorsque cette réserve

a été mise en place il y a environ 15 ans, le ministre des Finances Alexei Kudrin avait

affirmé qu’elle servirait à pallier à une crise économique ou à une chute drastique du prix

des hydrocarbures, qu’elle absorberait les déficits pendant que l’économie russe s’adapte à

la nouvelle situation.432

Le gouvernement russe a par la suite ajusté ses prévisions

budgétaires pour 2017, 2018 et 2019, avec le prix du baril de pétrole estimé à 40 $ USD, un

prix beaucoup plus conservateur que celui de 2015433

. En analysant l’impact des sanctions

contre la Russie, il faut donc tenir compte de cette variable, qui, en une seule année est

responsable d’une perte de revenus de 65 milliards USD.

Portrait global de la situation économique en Russie

À la suite de l’imposition des sanctions, la situation économique de la Russie se dégrade.

D’abord, en ce qui a trait à l’inflation des prix à la consommation, la Russie a toujours

connu des taux plutôt élevés; en 1993 après la désintégration de l’URSS, l’inflation atteint

875 %. Elle dégringole rapidement jusqu’en 1997, mais remonte à 85 % en 1999 à la suite

de la crise économique qui frappe le pays très durement au cours de l’année 1998. Depuis

les années 2000, l’inflation demeure toujours sous la barre des 20 %, malgré la crise

économique de 2008 et celle actuellement en cours en raison des sanctions.434

Avant

429

Department of State United States of America, Russia Investment Climate Statement 2015, Mai 2015, p. 3 430

United Nations Commodity Trade Statistics Database 431

Banque mondiale, Fédération de Russie – Total des Réserves (comprend l’or, USD courant),

http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FI.RES.TOTL.CD?locations=RU&view=chart 432

Anton Tabakh, « How Long Until Russia’s Financial Reserves Run Out ? » Carnegie Moscow Center,

Moscou, 27 octobre 2016 433

World Bank Group Macroeconomics & Fiscal Management, Russia Economic Report, The Russian

Economy inches Forward : Will that suffice to turn the tide ? Novembre 2016 434

Banque mondiale, Inflation, prix à la consommation (% annuel), Fédération de Russie,

http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FP.CPI.TOTL.ZG?end=2016&locations=RU&start=1993

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l’invasion de la Crimée, la Russie a fixé son objectif d’inflation entre 5 % et 6 %,435

sans

jamais réussir à atteindre son objectif. En 2012, l’inflation est à son plus bas depuis la

désintégration de l’URSS, elle dépasse à peine la barre des 5 %, en 2013 cependant, elle

grimpe à 6,76 %, 7,83 % en 2014, et en 2015, elle atteint 15,9 % en raison des sanctions et

de la chute du prix du baril de pétrole.436

À moyen terme, le gouvernement russe fixe son

objectif d’inflation à 4 %.437

L’inflation ayant déjà ralenti à 7,05 % en 2016, la Banque

centrale de Russie estime que cet objectif sera réalisé et stabilisé en 2019.438

Le commerce international de la Russie a également ralenti depuis le début de la crise. Ses

exportations ont dégringolé en raison des sanctions adoptées par l’Union européenne et ses

alliés, alors que les importations ont chuté en raison des contre-sanctions mises en place par

la Russie qui touchent les produits alimentaires.439

Le commerce avec l’Union européenne

ralentit davantage que le commerce avec le reste du monde, entre 2013 et 2015, les

exportations vers l’Union européenne dégringolent de 45 % (environ 123 milliards USD)

alors que les exportations de l’Union européenne vers la Russie chutent également de 49 %

(environ 77 milliards USD). Avec le reste du monde, les pertes sont également importantes,

les exportations russes vers ses différents partenaires diminuent de 35 % (environ

183 milliards USD) et les importations totales de la Russie réduisent de 42 % (environ

131,5 milliards USD).440

Entre 2013 et 2014, les échanges diminuent mais c’est entre 2014

et 2015 que les échanges déprécient le plus. Entre 2013 et 2014, les importations totales de

la Russie déclinent de 9 % (environ 28 milliards USD) alors qu’entre 2014 et 2015 elles

décroissent de 36 % (environ 103 milliards USD). Les importations en provenance de l’UE

sont également réduites de 14 % (environ 22,7 milliards USD) entre 2013 et 2014, et 40 %

435

The Central Bank of the Russian Federation (Bank of Russia), Monetary Policy report, Moscou, Octobre

2013, N°4, p. 16 436

Op. Cit. Banque mondiale 437

Central Bank News, Inflation Targets Table for 2017, http://www.centralbanknews.info/p/inflation-

targets.html 438

The Central Bank of the Russian Federation (Bank of Russia), Monetary Policy report, Moscou,

Mars 2017, N°1, p. 25 439

Sont touchés : la viande bovine, le porc, toutes les volailles, les produits dérivés de viandes, les poissons,

les crustacés, les fruits de mer, les produits laitiers, les légumes, les fruits, les noix, les préparations

alimentaires. ПРАВИТЕЛЬСТВО РОССИИСКОИ ФЕДЕРАЦИИ, ПОСТАНОВЛЕНИЕ г. No 830

ПЕРЕЧЕНЬ сельскохозяиственнои продукции, сырья и продовольствия, странои происхождения

которых являются Соединенные Штаты Америки, страны Европеиского союза, Канада, Австралия и

Королевство Норвегия и которые сроком на один год запрещены к ввозу в Россиискую Федерацию,

МОСКВА, от 20 августа 2014, http://government.ru/media/files/41d4fd237c91ea4213b0.pdf 440

United Nations Commodity Trade Statistics Database

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(environ 54,5 milliards USD) entre 2014 et 2015. Les exportations suivent la même

logique, entre 2013 et 2014, les exportations totales de la Russie chutent de 9 % (environ

29 milliards USD) et 31 % (environ 154 milliards USD) entre 2014 et 2015. Les

exportations vers l’Union européenne déclinent également de 19 % (environ

53 milliards USD) entre 2013 et 2014 et de 31,5 % (environ 69,6 milliards USD) entre

2014 et 2015.441

Le taux de chômage demeure quant à lui plutôt stable depuis l’invasion de la Crimée,

malgré la crise économique et les sanctions. En 2013, le taux de chômage en Russie était

d’environ 5,4 %, en 2014, il décroît à 5,2 % avant de remonter à 5,6 % en 2015 et 5,7 % en

2016.442

À titre comparatif, le taux de chômage moyen pour l’Union européenne (28) pour

la même période est de 10,8 % en 2013, 10,2 % en 2014, 9,4 % en 2015, et 8,5 % en 2016.

De manière générale, l’Allemagne a toujours un taux de chômage inférieur à celui de la

Russie, alors que le Royaume-Uni et les États-Unis avaient un taux de chômage supérieur à

celui de la Russie avant le début de la crise économique, et inférieur depuis 2015. La

majorité des autres États comme la France – qui a un taux de chômage généralement

constant de 10 % – la Belgique et les Pays-Bas ont un taux de chômage plus élevé que la

Russie, et ce, même depuis l’invasion de la Crimée et l’imposition des sanctions.443

La fuite des investissements étrangers

Avant même l’imposition des sanctions économiques, l’Union européenne avait estimé

qu’entre l’invasion de la Crimée le 27 février 2014 et le début du mois d’avril de la même

année, la Russie avait déjà subi une perte d’investissements étrangers d’environ 50

milliards USD.444

Le climat d’investissement en Russie est teinté par la corruption, un

risque politique élevé, ainsi que par l’absence de transparence. En 2013, avant la crise en

Ukraine, la Russie occupait le 127e rang sur 176 pays notés sur la corruption, à égalité avec

l’Azerbaïdjan, les Comores, la Gambie, le Liban, le Madagascar, le Mali, le Nicaragua et le

Pakistan. En 2014, la situation se détériore, la Russie se voit rétrogradée à la 132e position,

441

United Nations Commodity Trade Statistics Database 442

Banque mondiale, Chômage, total (% de la population), Fédération de Russie,

http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SL.UEM.TOTL.ZS?locations=RU&view=chart 443

OCDE, Taux de chômage (indicateur), 2017, https://data.oecd.org/fr/unemp/taux-de-chomage.htm 444

Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, p. 161

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à égalité avec le Kirghizistan. En 2015, elle remonte au 119e rang, à égalité avec

l’Azerbaïdjan, la Guyane et le Sierra Leone avant de replonger à la 131e position en 2016, à

égalité avec l’Iran, le Kazakhstan, le Népal et l’Ukraine.445

Avant le début de la crise, le

climat d’investissement en Russie était adéquat, mais il présentait des risques plus ou moins

élevés en raison d’une situation politique et économique toujours un peu précaire pour les

investisseurs. Depuis la fin de 2014, le climat d’investissement est cependant devenu

beaucoup plus incertain.446

Les placements étrangers sont beaucoup plus vulnérables aux

changements économiques et politiques, les rendements offerts sont extrêmement élevés,

mais les risques sont considérables quant à la capacité du débiteur de rembourser ses

investisseurs. Ces cotes de crédit ont également un impact sur les possibilités d’emprunt de

la Russie. Si le gouvernement, les entreprises, ou les individus veulent emprunter à

l’international, le taux d’intérêt sur chaque emprunt sera beaucoup plus élevé en raison de

ce climat économique précaire.447

La Russie a ainsi perdu énormément d’investisseurs, en

plus de devoir limiter ses emprunts à l’étranger.448

Afin de pallier à cette fuite de capitaux, le gouvernement russe tente d’attirer les

investisseurs avec des réductions de taxes, des parcs industriels équipés avec la plus haute

technologie ainsi que plusieurs autres avantages fiscaux.449

Cependant, le gouvernement

demeure extrêmement sélectif quant à ses investisseurs. Certains secteurs clés pour la

Défense ou pour la Sécurité nationale sont entièrement contrôlés par l’État. Dans plus de 45

secteurs différents, les possibilités d’investissement sont étudiées minutieusement et

nécessitent l’approbation du gouvernement fédéral et du président lui-même.450

La Russie

souffre également de la mainmise de l’État sur les compagnies les plus rentables du pays.

L’État possède plus de 4 100 entreprises et les revenus reliés au secteur public représentent

71 % du PIB en 2015, ce qui ne laisse pas réellement beaucoup de place pour les

445

Transparency International, Corruption Perceptions Index, www.transparency.org/cpi 446

Les agences internationales de crédit Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, note la Russie « Lower

Medium Grade » (BBB ou Baa1) avant la crise et « Non-Investment grade » (BB+ ou Ba1) depuis la fin de

2014. http://www.tradingeconomics.com/russia/rating 447

Bankers Almanac, Standard & Poor’s definition, 20 septembre 2010,

http://www.bankersalmanac.com/addcon/infobank/credit_ratings/standardandpoors.aspx 448

Evsey Gurvich, « The impact of sanctions on Russia : Negligible now, disastrous later » Global Europe,

22 juin 2015 449

Op. Cit. Department of State United States of America, p. 13 450

Ibid, p. 5

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investisseurs étrangers. Parmi ces 4 100 entreprises, 176 sont catégorisées comme

« stratégiques » alors que 128 sont détenues à 100 % par le gouvernement fédéral et ne

peuvent être privatisées. Plus la situation économique se détériore, plus la mainmise de

l’État sur l’économie est importante.451

Le système bancaire est aussi vulnérable, quoique l’État tente de le normaliser

graduellement. Au début de l’année 2015, on compte 827 différentes banques en Russie.

Après plusieurs restructurations, on en compte 733 au début de l’année 2016 et 649 en date

du 1er

octobre 2016, et le gouvernement annonce d’autres restructurations pour le futur. Les

banques fermées sont celles qui étaient les moins enclines à évoluer et à se restructurer

selon les volontés de l’État, et celles qui acceptaient les opérations et les placements les

plus risqués.452

Le secteur bancaire demeure cependant dominé par les banques appartenant

à l’État qui possède six des huit plus grandes banques de Russie, dont Sberbank,

Vnechtorgbank (VTB), Rosbank Rosselkhozbank et VEB. Les banques privées les plus

lucratives étant Alfa Bank et Otkrytie.453

Les sanctions touchant le secteur bancaire se

limitent aux banques détenues à plus de 50 % par l’État. Les membres et citoyens de

l’Union européenne ne peuvent plus racheter de bons ou de dettes de ces banques depuis

l’adoption des sanctions le 31 juillet 2014.454

Entre 2002 et 2008, les investissements étrangers en Russie passent de moins de 1 % du

PIB à 4,5 % du PIB. La crise économique qui frappe durement le pays en 2008 provoque

une fuite des investisseurs. Le gouvernement russe doit ainsi attendre l’année 2013 pour

retrouver un niveau intéressant d’investissements – 3,1 % du PIB – cependant, avec

l’invasion de la Crimée en mars 2014, avec les investisseurs étrangers qui se retirent de

beaucoup de projets, les investissements peinent à atteindre 1 % du PIB. En 2015, la

situation se détériore encore lorsque la Russie atteint durement 0,5 % de son PIB en

investissements étrangers.455

451

Ibid, p. 20 452

Op. Cit. World Bank Group Macroeconomics & Fiscal Management, p. 22 453

Op. Cit. Department of State United States of America, p. 18 454

Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, p. 162 455

Banque Mondiale, Investissements étrangers directs, entrées nettes (% du PIB) – Fédération de Russie,

http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/BX.KLT.DINV.WD.GD.ZS?locations=RU&view=chart

Page 133: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

125

En ce qui a trait à l’Europe, il y eu une baisse globale des investissements étrangers vers la

Russie depuis le début de la crise, même si plusieurs membres de l’Union européenne n’ont

pas modifié leurs politiques d’investissements. En 2013, avant le commencement de la

crise, la Russie reçoit plus de 192 147 millions d’Euros d’investissements en provenance de

l’Union européenne. En 2014, cette somme dépasse à peine 162 654 millions, mais en

2015, il y a un regain des investissements qui totalisent 171 844 millions d’euros.456

En

2014, après la crise, la Russie perd en une année 30 000 millions de capital des

investisseurs européens et 2 000 millions de ses investisseurs américains.457

Certains pays

comme l’Allemagne – qui est passée de 21 783 millions d’euros investis en 2013 à

14 537 millions en 2014 et 16 277 millions d’euros en 2015 – ont réduit considérablement

leurs investissements depuis le déclenchement de la crise, alors que d’autres membres

comme les Pays-Bas, plus grand partenaire économique de la Russie en 2015, n’ont pas

modifié leurs politiques économiques avec l’application des sanctions.458

Les

investissements de l’Estonie, de la Lituanie, et de la Slovénie sont également restés stables,

alors que la Belgique, la Bulgarie, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, le Royaume-Uni, la

Slovaquie, et la Suède ont augmenté considérablement.459

Cette hausse des investissements

en Russie pour certains États peut s’expliquer par la mise en place d’une politique par le

gouvernement russe qui constitue à garder la valeur du rouble faible par rapport aux autres

devises pour attirer les investisseurs étrangers qui obtiennent beaucoup plus pour le même

montant investi actuellement qu’avant le début de la crise en Ukraine et l’adoption des

sanctions économiques.460

En plus des banques, les sanctions atteignent également le secteur de l’énergie et le

complexe militaro-industriel, dominés par les compagnies d’État. Ces deux domaines sont

456

Eurostat, Position, Flux et revenus de l’investissement direct de l’UE, ventilation par pays partenaires

(BPM6), dernière mise à jour le 23 février 2017. Pour les statistiques complètes, consultez les tableaux à

l’Annexe XI. 457

Les données citées dans cette section proviennent de la base de données Eurostat, l’Office statistique de

l’Union européenne. Cette agence rassemble les informations fournies par chacun de ses membres quant à

leurs investissements étrangers dans les différents pays du globe. Nous baserons notre analyse sur ces

statistiques. Par contre, par souci de comparaison, nous avons également mis en annexe les mêmes données,

en provenance de la Banque centrale de Russie. Il y a une différence notoire entre les chiffres des deux

agences, mais ces différences ne feront pas l’objet d’une analyse plus poussée. 458

Idem, Les investissements directs des Pays bas totalisent 55 286 millions d’euros en 2013, 51 430 millions

d’euros en 2014 et 52 985 millions d’euros en 2015. 459

Idem 460

Op. Cit. Department of State United States of America, p. 19

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126

visés par les sanctions, et la situation économique précaire de la Russie n’attire pas les

investisseurs étrangers prudents. De nombreuses entreprises de ces secteurs souffrent

également de la chute du rouble,461

voyant leur pouvoir d’achat à l’étranger diminuer

grandement. Les entreprises dépendantes de matériaux ou de biens importés ont de plus en

plus de difficultés à s’approvisionner et à rester concurrentielles.462

Le cours du rouble est

affecté par les sanctions à partir de la fin de l’année 2014, mais son cours dégringole

lorsque le prix du baril de pétrole chute drastiquement durant l’été 2015. L’économie de la

Russie étant fortement liée à l’exportation des hydrocarbures, le cours du rouble évolue

proportionnellement au prix du baril de pétrole. Il subit donc un certain regain à partir du

mois de mars 2016, lorsque la valeur du pétrole augmente également sensiblement.463

Afin

de limiter les effets négatifs, l’État comble les déficits à même la réserve nationale et le

budget fédéral. Pour les années 2017 à 2019, le gouvernement russe a réduit de 1,8 % du

PIB les dépenses pour la défense nationale, de 0,5 % du PIB les dépenses dans les services

sociaux, et de 0,4 % du PIB les dépenses de la sécurité nationale.464

Plusieurs secteurs et

plusieurs entités qui ne sont pas directement visés par les sanctions se retrouvent donc tout

de même affectés, malgré les efforts du gouvernement fédéral pour limiter les dégâts.

Le commerce des armes et du matériel militaire

Le complexe militaro-industriel russe souffre des sanctions depuis leur adoption, mais de

manière irrégulière. Après la mise en place des sanctions, une chute drastique des

exportations impacte plusieurs compagnies de production d’armes ou de services militaires

russes. En 2014, 20 compagnies russes465

font partie des 100 plus grosses entreprises

militaires au monde. En 2015, on en compte 13.466

En 2013, les exportations d’armes de la

Russie totalisent un peu plus de 4,5 milliards USD, dont environ 200 millions avec les

461

Voir à l’Annexe X le cours du rouble depuis 2013 462

Evsey Gurvich, Ilya Prilepskiy, « The impact of financial sanctions on the Russian economy », Russian

Journal of Economic, Décembre 2015, Vol. 1 N°4, p. 361 463

Op. Cit. World Bank Group Macroeconomics & Fiscal Management, p. 20 464

Ibid, p. 8 465

Stockholm International Peace Research Institute, The SIPRI top 100 armes-producing and military

services compagnies in the world excluding China 2002-2015, SIPRI Arms Industry Database,

Décembre 2016 466

En 2015, les 13 compagnies russes faisant partie du top 100 sont Almaz-Antey, United Aircraft Corp.,

United Shipbuilding Corp., Russian Helicopters, Tactical Missiles Corp., United Instrument Manufacturing

Corp., High Precision Systems, KRET, United Engine Corp., UMPO, Uralvagonzavod, Admiralty Shipyards,

RTI Group. En 2014, on y retrouvrait également Sukhoi, Sozvezdie, Irkut, Sevmach, RAC MIG, Zvezdochka

et Shvabe. À titre comparatif, 43 compagnies américaines se retrouvent sur cette liste.

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127

membres de l’Union européenne et ses alliés. En 2014, les exportations totalisent à peine

189 millions USD et l’Union européenne et ses alliés ont importé du matériel militaire pour

27 millions. En 2015, il y a un regain des exportations qui atteignent 1,5 milliard USD,

malgré les importations encore moins importantes d’à peine 10 millions pour l’Europe et

ses alliés.467

Certaines catégories d’armes ne sont cependant pas touchées durement par ces

sanctions, alors que plusieurs pays asiatiques, africains et sud-américains, augmentent leurs

échanges avec la Russie dans ce secteur. En 2014, la Russie augmente ses exportations

d’armes navales, d’avions de combats, de satellites et de véhicules blindés. Les

exportations de pièces d’artillerie, de bateaux de guerre, de défenses antiaériennes et de

missiles plongent toutefois avec l’application des sanctions. Dans toutes ces différentes

catégories, il y eut un récent regain des exportations, à partir de la fin de l’année 2015 et de

l’année 2016.468

Depuis l’imposition des sanctions, le commerce des armes et du matériel militaire russe est

demeuré plutôt stable avec la Chine et l’Inde, dont les importations en 2015 atteignaient

respectivement 713 millions USD et 1,5 milliard USD. D’autres États comme l’Algérie,

l’Angola, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Bangladesh, la Biélorussie, l’Iran, l’Irak, le

Kazakhstan, le Nicaragua, le Nigéria, le Pakistan, le Soudan, le Turkménistan et le Vietnam

ont toutefois augmenté considérablement leurs importations de matériel militaire russe. En

2014, les exportations d’armes et de matériel miliaire ont également rejoint un nouveau

client, les rebelles de l’Ukraine de l’Est, qui ont importé en territoire sécessionniste pour

environ 24 millions USD.469

Parmi ces pays qui ont conservé un commerce d’armes

important avec la Russie, c’est sans réelle surprise que l’on constate que seuls deux –

l’Azerbaïdjan et le Nigéria – ont voté en faveur de la résolution 68/262 de l’Assemblée

générale de l’ONU qui condamnait l’invasion et l’annexion de la Crimée, et la violation de

l’intégrité territoriale de l’Ukraine le 17 mars 2014. En effet, l’Algérie, l’Angola, le

Bangladesh, la Chine, l’Irak, l’Inde, le Kazakhstan, le Pakistan et le Vietnam ne se sont pas

467

United Nations Commodity Trade Statistics Database 468

Stockholm International Peace Research Institute, Trend Indicator Values of arms exports from Russia,

2000-2016, 2017, http://armstrade.sipri.org/armstrade/page/values.php 469

Idem

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128

prononcés. L’Arménie, la Biélorussie, le Nicaragua et le Soudan ont voté contre la

résolution, alors que l’Iran et le Turkménistan ne se sont pas présentés.470

En 2008, le président Poutine instaure des réformes militaires et il augmente le budget du

département de la Défense de manière considérable, alors que les exportations d’armes de

la Russie dépassaient à peine 50 millions USD. En 2009, à la suite des premières refontes,

les exportations d’armes et de matériel militaire atteignent plus de 500 millions USD et

2,3 milliards USD en 2010. De 2010 à 2013, les exportations de ce secteur augmentent sans

cesse atteignant jusqu’à 4,5 milliards USD avant le début de la crise en Ukraine.471

Comme

définie dans la politique étrangère russe, l’OTAN demeure l’ennemie472

; toute avancée

militaire est perçue comme une menace. Depuis 2008, c’est cette conception de l’OTAN et

de son développement militaire qui motive les réformes entreprises par Vladimir Poutine et

son gouvernement. En 2015, 4,2 % du budget sont allouées aux dépenses militaires. Les

réformes de Vladimir Poutine ont modernisé énormément l’armée russe décrépite. Le

potentiel militaire de la Russie augmente sans cesse et la production d’armes atteint, au

début de l’année 2016, une valeur de 10 milliards USD.473

Au début de 2016, les défenses

antimissiles balistiques américaines sont également considérées comme une menace directe

par la Russie. Toutefois, avec l’application des sanctions et la situation économique

précaire, le budget fédéral doit réduire les sommes allouées à la défense et ralentir la

production d’armes.474

Globalement, les pertes de la Russie peuvent être attribuées à la chute du prix du pétrole, à

la fuite des capitaux étrangers et à la dégradation du commerce avec ses partenaires

internationaux. Entre 2013 et 2015, les pertes liées à la chute du prix du baril de pétrole

atteignent plus de 65 milliards USD si l’on ne calcule que les exportations à destination de

l’Union européenne et de ses alliés. L’économie russe a également perdu des

investissements étrangers en provenance de l’Union européenne d’une valeur d’environ

470

Voir carte de la Résolution A/68/262 – L’Intégrité territoriale de l’Ukraine à l’Annexe IV 471

United Nations Commodity Trade Statistics Database 472

The Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation, Concept of the Foreign Policy of the Russian

Federation, 18 février 2013 473

Andrey Movchan, « Ins and Outs of the Russian Economy », Carnegie Moscow Center, Moscou,

24 mars 2016 474

Dmitri Trenin, The Revival of the Russian Military : How Moscow Reloaded », Foreign Affairs, Mai-

Juin 2016, Vol. 96, N°3, p. 28

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20,3 milliards d’Euros (environ 22 milliards USD) entre 2013 et 2015. Les pertes reliées

aux exportations sont donc les plus importantes, avec des pertes totalisant plus de

183 milliards USD entre 2013 et 2015. Sur ces 183 milliards USD, les pertes reliées au

commerce entre l’Union européenne et la Russie représentent 67 %, soit

123 milliards USD. L’effet des pertes reliées aux exportations est cependant miné par la

volonté du gouvernement russe de remplacer les produits européens par des produits

locaux, de moins bonne qualité dans la plupart des cas. Le gouvernement russe a réduit

considérablement ses importations pour affliger le plus de pertes à l’UE. Les sommes

épargnées par cette action ont été partiellement investies dans les entreprises locales pour

les encourager à produire ce que le parlement russe refuse d’importer.475

Sergei Ivanov,

chef de l’administration fédérale avoue lui-même que les sanctions économiques causent du

tort à la Russie, que Moscou n’a jamais tenté de nier ce fait. Les sanctions n’ont, pour

l’heure, initié aucun changement de la politique étrangère russe, mais elles ont cependant

forcé le président Poutine à chercher des partenaires commerciaux alternatifs à l’Union

européenne.476

En basant notre analyse sur celle de l’historiographie, il est possible de conclure que le cout

imposé à la Russie est considérable pour un régime de sanctions en place depuis un peu

moins de trois ans. Cependant, la Russie est un État fort, stable politiquement, et assez

stable économiquement pour conserver un taux d’inflation contrôlé – à l’exception de 2015

– ainsi qu’un taux de chômage également relativement bas, plus bas que la majorité des

pays de l’Union européenne. En ce qui a trait à la dépendance économique, il est vrai que

l’UE est le plus grand partenaire de la Russie, qu’elle est dès lors la mieux placée pour

infliger un cout important à son voisin. Toutefois, l’économie russe semble plutôt stable,

les réserves comblent une grande partie du déficit, et ses ressources que l’on pourrait

qualifier d’inépuisables peuvent subvenir à la demande nationale pour beaucoup de

produits. L’analyse des variables économiques permet de conclure à un cout élevé pour les

premières années du régime de sanctions. Néanmoins, plusieurs facteurs politiques ne

doivent pas être négligés afin d’analyser précisément l’impact des sanctions sur la Russie.

475

Denis Volkov, « Are Russians Feeling the Economic Crisis » Carnegie Moscow Center, Moscou,

1er

mars 2016 476

Lidia Shevtsova, « The Sanctions on Russia : How Hard Do They Bite ? », The American Interest, 4 avril

2016, http://www.the-american-interest.com/2016/04/04/the-sanctions-on-russia-how-hard-do-they-bite/æ

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130

Plusieurs Chevaliers noirs : le lobbysme anti-sanctions en Europe

Avant même le début de la crise en Ukraine, la Russie tentait de trouver des partenaires en

Europe qui seraient favorables à ses positions. Déjà en 2007 et plus tard en 2011, la

Hongrie, la Grèce, l’Italie et Chypre étaient identifiés comme des partenaires européens

stratégiques pour la Russie.477

Afin de conserver de bonnes relations avec ces États, la

Russie utilise souvent les moyens économiques, en signant plusieurs accords, pour l’usage

des ports de Chypre, pour être le seul fournisseur d’énergie nucléaire de la Hongrie et pour

la construction d’un oléoduc reliant la Russie à la Grèce sans passer par les pays plus au

nord.478

Malgré tous ces efforts, la totalité de l’Europe condamnera la Russie lors du vote

de l’Assemblée générale de l’ONU par la résolution 68/262 pour la violation de l’intégrité

territoriale de l’Ukraine. Seuls la Serbie et la Bosnie-Herzégovine ne se présentent pas alors

que l’Arménie – géographiquement en Eurasie – se prononce contre.479

Depuis le début de

la crise en Ukraine, certains États ou certains partis politiques expriment cependant leur

mécontentement quant à l’imposition des sanctions, des contre-sanctions et des

conséquences négatives pour leurs pays.480

La Grèce s’y oppose ouvertement, le

gouvernement hongrois également, l’Italie désire conserver ses liens économiques avec la

Russie, et les banques de Chypre ne veulent pas se fermer aux investisseurs et aux

oligarques russes.481

Viktor Orban et la Hongrie

Depuis le début de la crise, la Russie se rapproche énormément de la Hongrie à l’aide de

projets et d’investissements économiques. En janvier 2014, le gouvernement hongrois

annonce que ce sera la compagnie russe Rosatom qui a obtenu le contrat pour la

construction du centre nucléaire.482

Ce projet est contesté dès le départ non seulement par la

477

Mitchell A. Orenstein and R. Daniel Kelemen, « Trojan Horses in EU Foreign Policy », Journal of

Common Market Studies, Janvier 2017, Vol. 55 N°1, p. 92 478

Ibid, p. 87 479

Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 68/262 Intégrité territoriale de l’Ukraine,

27 mars 2014 480

Fredrik Wesslau, « Putin’s Friends in Europe », European Council on Foreign Relations, Londres,

19 octobre 2016, http://www.ecfr.eu/article/commentary_putins_friends_in_europe7153 481

Op. Cit, Mitchell A. Orenstein and R. Daniel Kelemen p. 97 482

Global Security, Hungary - Russia Relations, 13 janvier 2017,

http://www.globalsecurity.org/military/world/europe/hu-forrel-ru.htm

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131

Commission Européenne, mais également par la société civile hongroise qui questionne le

rapprochement de ses élites avec les dirigeants russes.483

Pour le premier ministre Viktor

Orban, la Hongrie a un intérêt particulier à entretenir des relations ouvertes et transparentes

avec la Russie puisque les sanctions ont causé des pertes au pays de plus de 6,5 milliards

d’Euros d’exportations en moins de trois ans.484

De plus, le gouvernement russe est un

important acheteur de bons du trésor hongrois, il aide le gouvernement à financer ses dettes.

Pour le premier ministre Orban, la Russie est un partenaire économique primordial et

l’amélioration des relations économiques ne pourrait qu’être bénéfique pour le pays.485

En réalité, la Hongrie est de plus en plus dépendante de la Russie, qui approvisionne le pays

pour 99 % de son pétrole et 74 % de son gaz naturel.486

Ainsi, en 2016, le gouvernement

hongrois prolonge son accord gazier avec le géant russe Gazprom jusqu’en 2019.487

À

l’exception des autres membres de l’Union européenne, la Russie est le plus grand

partenaire économique de la Hongrie, et malgré les sanctions, les rencontres sont fréquentes

entre le premier ministre Orban et Vladimir Poutine, ainsi qu’entre les ministres des affaires

étrangères Sergueï Lavrov et Péter Szijjártó.488

Néanmoins, même si la Hongrie s’oppose

publiquement aux sanctions, il est peu probable qu’elle bloque leur prolongement. Orban a

voté en faveur de l’adoption des sanctions ainsi que pour leur prolongement à chaque fois

depuis leur application. Son pays est membre de l’Union européenne et, même si le

gouvernement hongrois semble tiraillé entre son appartenance à l’Europe et son partenariat

commercial avec la Russie, il est peu probable que la Hongrie s’oppose aux décisions du

Conseil de l’Union européenne, le premier ministre Orban ne voulant pas risquer d’altérer

483

Daniel Hegedüs, « How should Europe respond to Russia? The Hungarian vie », European Council on

Foreign Relations, Londres, 22 janvier 2015,

http://www.ecfr.eu/article/commentary_how_should_europe_respond_to_russia_the_hungarian_view406 484

Euronews, Hungary's Orban warmly welcomes Russian President Putin, 2 février 2017,

http://www.euronews.com/2017/02/02/budapest-s-warm-welcome-for-russian-president-putin 485

Op. Cit. Daniel Hegedüs 486

Idem 487

Zsuzsanna Vegh, « View From Budapest : The status quo might just do », European Council on Foreign

Relations, Londres, 14 octobre 2016,

http://www.ecfr.eu/article/commentary_view_from_budapest_the_status_quo_might_just_do7147 488

The Economist, « The Viktor and Vladimir show; Hungary and Russia » The Economist, Londres,

Vol. 414, N°8925, p. 47

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ses relations avec d’autres pays de l’Union européenne – notamment la Pologne –

également d’importants partenaires.489

La Grèce doit relancer son économie

Au contraire de la Hongrie, le gouvernement russe et Vladimir Poutine obtiennent un

soutien important en Grèce, où 74 % de la population soutient le partenariat avec la

Russie.490

La Grèce désire entretenir de bonnes relations avec la Russie car le

gouvernement russe se montre prêt à investir pour relancer l’économie grecque qui n’attire

plus les investisseurs prudents depuis plusieurs années en raison de la récession. En juin

2015, après l’annulation des projets South Stream et Turkish Stream causée par les

sanctions,491

la compagnie russe Rosneft et son homologue grec Petroleum signent un

accord de coopération, minant ainsi l’effort européen pour varier ses fournisseurs

d’hydrocarbures.492

Le gouvernement grec soutient que la tension économique actuelle

entre l’Union européenne et la Russie – les sanctions européennes et les contre-sanctions

russes – freinent les investisseurs russes qui devaient financer plusieurs projets de

privatisation afin d’aider la Grèce à se sortir de la récession.493

Les nombreuses rencontres entre le premier ministre grec Alexis Tsipras et le président

Poutine se soldent par la signature de plusieurs accords. Dans les neuf premiers mois de

2015, le gouvernement russe aurait investi plus de 586 millions d’euros dans les

compagnies grecques. Le tourisme russe en Grèce est également à la hausse depuis que les

relations entre la Russie et la Turquie se sont compliquées, à la suite du bombardement

d’un avion russe par l’armée turque en novembre 2015.494

Cependant, l’économie grecque a

besoin des investissements européens au même titre que les investissements russes. La

Grèce a soutenu l’adoption des sanctions en 2014, elle soutient également leur

prolongement à chaque six mois et il est fort peu probable, comme la Hongrie, que celle-ci

489

Op. Cit. Zsuzsanna Vegh 490

George Tzygopoulos, « View from Athens, Towing the line », European Council on Foreign Relations,

Londres, 14 octobre 2016, http://www.ecfr.eu/article/commentary_view_from_athens_towing_the_line7148 491

Alessandra Vernile, « Greek-Russian relations into perspective: where do they lead? », Mediterranean

Affairs, 20 juin 2016, http://mediterraneanaffairs.com/greek-russian-relations-into-perspective-where-do-they-

lead/ 492

Op. Cit, Mitchell A. Orenstein and R. Daniel Kelemen p. 97 493

Op. Cit. George Tzygopoulos 494

Op. Cit. Alessandra Vernile

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s’oppose au reste des membres de l’Union européenne lors des prochaines discussions au

Conseil de l’Union européenne. Dans tous les cas, le gouvernement grec cherche des

moyens pour relancer ses exportations de produits agricoles vers la Russie, en particulier

les produits n’étant pas définis précisément par les contre-sanctions russes.495

L’Italie, économie avant politique

La relation entre l’Italie et la Russie est purement économique. Elle fonctionne sur le

principe que l’une ne s’intéresse ou n’interfère pas dans les affaires internes de l’autre.

Chacune reconnait les sphères d’intérêts économiques de sa partenaire, s’attardant aux

partenariats économiques exclusivement. Au même titre que l’Allemagne qui se

préoccupait davantage de la détente à Berlin plutôt que de l’invasion soviétique

d’Afghanistan, l’Italie se préoccupe davantage de ses problèmes régionaux, de la crise des

réfugiés syriens qui arrivent parfois par la Méditerranée, de la montée des mouvements

islamistes notamment en Lybie, déjà chaotique.496

Rome ne s’intéresse pas particulièrement

aux anciennes républiques de l’Union soviétique ou aux anciens États du Pacte de

Varsovie. Elle préfère développer ses liens commerciaux et tirer des bénéfices de cette

relation, plutôt que de s’ingérer dans les affaires politiques du gouvernement russe.497

Comme plusieurs autres États, la coopération énergétique avec la Russie est primordiale

pour l’Italie. Au début des années 2000, l’Italie a comme fournisseurs de gaz principaux

l’Algérie et la Russie à part égale. Cependant, depuis 2012, la Russie prend de plus de parts

de marché à l’Algérie qui se voit relégué à la seconde position. À court et moyen terme,

l’Italie ne pourrait pas se passer de la Russie comme partenaire énergétique – au même titre

que Moscou qui n’a pas nécessairement beaucoup d’autres alternatives, puisque 90 % de

ses exportations de gaz se dirigent vers l’Europe.498

L’objectif italien est donc davantage de

495

Ibid 496

Angelantonio Rosato, A marriage of convenience ? The future of Italy – Russia relations », European

Council on Foreign Relations, Londres, 15 Juillet 2016,

http://www.ecfr.eu/article/commentary_a_marriage_of_convenience_the_future_of_italyrussia_relations 497

Nathalie Tocci, « How should Europe respond to Russia ? The Italian View », European Council on

Foreign Relations, Londres, 18 Novembre 2014,

http://www.ecfr.eu/article/commentary_how_should_europe_respond_to_russia_the_italian_view353 498

Op. Cit. Angelantonio Rosato

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trouver une source d’énergie et un fournisseur fiable, même si des compromis sur la

sécurité ou la politique sont nécessaires.499

Le gouvernement italien soutient que les pertes en exportations liées aux sanctions et aux

contre-sanctions totalisaient plus de 6 milliards d’euros et que le maintien des sanctions est

aussi dommageable pour les économies européennes que pour l’économie russe. Certaines

régions ou municipalités commencent à reconnaitre le référendum et l’indépendance de la

Crimée, proclamant que les sanctions font davantage de dégâts à l’économie italienne qu’à

la Russie et qu’elles devraient être levées purement et simplement. En mai 2016, le conseil

de la région de Vénétie déclare ainsi que les sanctions affectant énormément l’économie de

la région, celle-ci ne les appliquera plus et recommencera ses échanges commerciaux avec

la Russie. Le 29 juin 2016, la région de Ligurie – abritant la ville de Gênes notamment –

adopte une position similaire à celle de la Vénétie.500

L’Italie se montre prudente lors du prolongement des sanctions, depuis juin 2016, la

Chambre haute du Parlement italien s’est opposée au renouvellement automatique des

sanctions, les ministres italiens expriment toujours leur mécontentement quant à ces

mesures au Conseil de l’Union européenne. Cependant,501

tout comme les autres États,

l’Italie ne s’oppose pas au prolongement des sanctions. Elle aligne sa politique sur celle de

l’Union européenne, en soutenant cependant qu’elle s’opposera à l’ajout d’autres sanctions

qui pourraient avoir des répercussions importantes sur son économie.502

Récemment, le

ministre des Affaires étrangères italien s’est d’ailleurs opposé à l’adoption de nouvelles

sanctions à la Russie pour son soutien au régime syrien de Bachar al-Assad, après que

celui-ci ait utilisé une arme chimique contre ses propres citoyens.503

499

Gobal Security, Italy – Russia Relations, 20 Janvier 2017,

http://www.globalsecurity.org/military/world/europe/it-forrel-ru.htm 500

Op. Cit. Angelantonio Rosato 501

Op. Cit. Gobal Security 502

Op. Cit. Nathalie Tocci 503

Baris Seçkin, « Le G7 ne parvient pas à un consensus sur les sanctions contre la Russie », Anadolou Post,

11 avril 2017, http://aa.com.tr/fr/politique/le-g7-ne-parvient-pas-à-un-consensus-sur-les-sanctions-contre-la-

russie-/794471

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L’Espagne : la société civile en désaccord avec ses élites politiques

Comme en Hongrie, la société civile espagnole ressent un certain dédain pour le président

Poutine, alors que les élites depuis mars 2015, demandent la levée des sanctions, acceptant

la politique étrangère russe quant à l’Ukraine et à la Syrie.504

Les élites espagnoles sont

d’avis que l’Union européenne devrait tenter de comprendre ses homologues russes, que la

Crimée a été donnée à l’Ukraine en 1954 par Khrouchtchev, et que le président Poutine ne

fait que rétablir le territoire historique de la Russie. Cette position est extrêmement

contestée par plusieurs membres du Conseil de l’Union européenne qui estiment que

l’Espagne tente de justifier les actions russes alors qu’il s’agit d’une violation de

l’intégralité territoriale d’un État par un autre.505

Plusieurs membres de l’Union européenne

déplorent la coopération espagnole avec la Russie. Depuis le début du conflit, l’Espagne

n’a jamais fermé ses ports à la marine russe. Plus de 25 navires de guerre russes se sont

ainsi approvisionnés dans les ports espagnols. Plusieurs d’entre eux avaient d’ailleurs

comme destination la Syrie, pour soutenir le régime de Bachar al-Assad.506

Alors que l’Espagne défend le gouvernement russe en demandant la levée des sanctions qui

ne sont bénéfiques pour personne, elle ne peut même pas prétendre à des échanges

commerciaux importants avec la Russie.507

Les liens économiques entre l’Espagne et la

Russie sont faibles, la Russie n’a jamais fait partie des partenaires économiques importants

pour l’Espagne, même si les élites espagnoles prétendent qu’ils veulent justement

développer ce marché. Actuellement, la seule source de revenus considérable pour

l’Espagne est le tourisme russe. Néanmoins, à Madrid, on estime que dans la situation

mondiale actuelle, avec la montée du terrorisme islamiste, l’Europe aurait intérêt à avoir la

Russie comme alliée pour lutter contre le terrorisme et les menaces extérieures.508

504

Francisco De Borja Lasheras, « View from Madrid : The many-faced Janus », European Council on

Foreign Relations, Londres, 14 Octobre 2016,

http://www.ecfr.eu/article/commentary_view_from_madrid_the_many_faced_janus7143 505

Francisco De Borja Lasheras, « Spain’s balancing act with Russia», European Council on Foreign

Relations, Londres, 26 juillet 2016,

http://www.ecfr.eu/article/commentary_spains_balancing_act_with_russia 506

Luke Coffey, « As Aleppo Burns, Spain Resupplies the Russian Navy », The Huffington Post,

21 octobre 2016, http://www.huffingtonpost.com/entry/as-aleppo-burns-spain-resupplies-the-russian-

navy_us_5808b794e4b00483d3b5d06a 507

Andrew Rettman, Spain : Russia sanctions ‘Beneficial for no one’, Bruxelles, 10 mars 2015,

https://euobserver.com/foreign/127940 508

Op. Cit. Francisco De Borja Lasheras

Page 144: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

136

Des considérations économiques partout en Europe

Plusieurs membres de l’Union européenne soulèvent des problèmes et des questions quant à

l’issue des sanctions. La relation entre l’Autriche et la Russie est, au même titre que l’Italie,

purement économique. La position actuelle de l’Autriche trahit sa position de pays neutre,

qui n’adhère à aucun bloc militaire, travaillant pour son propre développement

économique.509

Pour le président autrichien Heinz Fischer, les sanctions ne sont bénéfiques

pour personne, l’Europe aurait beaucoup à gagner de la levée de ces sanctions. Il soutient

également que depuis la mise en place des contre-sanctions russes, les exportations

autrichiennes de produits agricoles ont chuté de 50 %, les pertes économiques pour son

économie sont énormes.510

La Russie pourvoit plus de 70 % du gaz autrichien, les touristes

russes représentent également plus de 10 % du tourisme global de l’Autriche, générant des

revenus majeurs par leur gout du luxe – pour les oligarques – et pour leur penchant majeur

pour les voyages dans les Alpes autrichiennes.511

Les échanges commerciaux sont

extrêmement importants pour l’économie autrichienne, mais son président affirme qu’il

reste avant tout membre de l’Union européenne, et que l’Autriche n’ira pas contre le

consensus européen sur les sanctions et sur leur prolongement.512

La position autrichienne

est également partagée par les élites slovaques, qui ressentent la baisse des revenus générés

par les touristes russes.513

La Russie est un partenaire économique important, surtout dans

le domaine de l’énergie. Le gouvernement slovaque demande donc lui aussi la levée des

sanctions puisque celles-ci ont échoué à produire des changements, et que l’économie de

plusieurs États est extrêmement touchée.514

Les Chevaliers noirs, identifiés précédemment comme étant un facteur favorisant l’échec

d’un régime de sanctions, sont actuellement nombreux en Europe. Plusieurs pays signalent

509

Gustav Gressel, « How Should EU responds to Russia, The Austrian View », European Council on

Foreign Relations, Londres, 21 janvier 2015,

http://www.ecfr.eu/article/commentary_how_should_europe_respond_to_russia_the_austrian_view405 510

Alex Gorka, « Going against the Anti-Russian EU Sanctions Regime: Austria Wants Closer Relationship

With Russia », Global Research, 7 avril 2016, http://www.globalresearch.ca/going-against-the-anti-russian-

eu-sanctions-regime-austria-wants-closer-relationship-with-russia/5519148 511

Op. Cit. Gustav Gressel 512

Op. Cit. Alex Gorka 513

Jana Kobzova, « View from Bratislava : Slovakia changes course on Russia », European Council on

Foreign Relations, Londres, 9 mars 2015,

http://www.ecfr.eu/article/commentary_slovakia_changes_course_on_russia311312 514

Aleksandra Eriksson, Slovakia’s Fico goes to Russia, Bruxelles, 23 aout 2016,

https://euobserver.com/foreign/134722

Page 145: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

137

leur mécontentement quant aux sanctions et à l’impact des contre-sanctions sur l’économie

de plusieurs membres de l’Union européenne. Cependant, il semble qu’aucun de ces États

ne soient prêts à aller contre le consensus européen. Malgré les allégations publiques contre

les sanctions, plusieurs membres de l’Union européenne ont besoin de la Russie comme

partenaire économique, comme ils ont besoin des autres membres de l’UE. Il semble donc

que cette variable soit pour le moment latente. Alors qu’en 2015, Simond De Galbert,

Conseiller des Affaires étrangères pour l’ambassade française à Washington, estimait que

l’Union européenne et les États-Unis devraient augmenter les sanctions envers la Russie si

la situation en Ukraine ne s’améliorait pas,515

il est fort peu probable qu’à l’heure actuelle,

les différents belligérants européens acceptent de nouvelles sanctions. Il se peut qu’un

développement provoque une prise de position plus ferme de ces États pour la levée des

sanctions, mais actuellement il semble que le consensus prime au Conseil de l’Union

européenne.

Le tournant proasiatique de la Russie

Pour la Chine, la crise en Ukraine était une opportunité à ne pas manquer de développer

davantage ses liens économiques avec la Russie et d’ouvrir ce marché longtemps fermé aux

investisseurs et aux industries chinoises. Dès l’invasion de la Crimée, la Chine a manifesté

son désir de rester neutre, de ne pas se positionner en faveur des sanctions du côté

américain et européen, tout en soutenant qu’elle n’approuvait pas non plus la décision

russe. La Chine préfère plutôt ne pas interférer dans les affaires internes d’un autre État,

espérant que les autres États s’abstiendront d’interférer dans les affaires internes de la

Chine dans un avenir plus ou moins proche.516

Les dirigeants chinois désirent toutefois

développer une relation économique, politique et militaire avec la Russie.517

Dès

l’application des premières sanctions, le gouvernement russe tente de trouver des marchés

alternatifs à l’Union européenne. Comme Simond De Galbert le soulignait dans son étude

515

Simond de Galbert, « A Year of Sanctions against Russia – Now What? » Center for Strategic &

International Studies, Octobre 2015, p.18 516

Liang Fook Lye, « The Crisis in Ukraine : China’s Response and Implications », East Asian Institute

Background Brief, N° 917, 7 mai 2014 517

Alexander Gabuev « A ‘‘Soft Alliance’’ ? Russia-China Relations After the Ukraine Crisis », European

Council on Foreign Relations, Londres, 10 Février 2015, p. 7

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138

sur les sanctions, une coopération plus importante avec la Chine permettrait à la Russie non

seulement de limiter les effets immédiats des sanctions, mais à plus long terme, l’économie

russe, moins dépendante de ses échanges commerciaux avec l’Union européenne, pourrait

plus facilement résister aux pressions économiques extérieures.518

Les dirigeants chinois et russes ont ainsi signé une série d’accords de coopération entre les

deux pays, concernant notamment les hydrocarbures, les armes, les investissements chinois

en Russie et l’importation de technologie. Depuis le début de la crise, l’image de la Russie

en Chine s’est beaucoup améliorée, notamment auprès des jeunes qui perçoivent désormais

la Russie comme résistant à l’hégémonie internationale occidentale. Le tourisme chinois en

Russie a également augmenté de manière considérable suivant l’application des

sanctions.519

Toutefois, les échanges économiques ne se développent pas au rythme espéré

par les dirigeants russes, les investisseurs chinois demeurant assez prudents. Malgré la

condamnation des sanctions par les élites chinoises, les investisseurs et les grandes banques

préfèrent encore le marché stable et lucratif des États-Unis et de l’Europe au marché risqué

de la Russie.520

En 2014, après plusieurs rencontres, les dirigeants chinois et les dirigeants russes

définissent des objectifs d’échanges commerciaux d’une valeur de 100 milliards USD pour

2015 et de 200 milliards USD pour 2020.521

En novembre 2014, Sberbank signe également

un accord avec la compagnie de télécommunications chinoise Huawei pour l’installation de

nouveaux systèmes et après une interdiction informelle de plus de 15 ans, les entreprises

chinoises se voient finalement autorisées à soumissionner pour des contrats

d’infrastructures majeures en Russie.522

Malgré tous ces efforts, les échanges commerciaux

entre les deux États totaliseront à peine 69 milliards USD en 2015, alors qu’en 2014, les

échanges commerciaux avaient atteint une valeur de 95 milliards USD. Les dirigeants

518

Op. Cit. Simond de Galbert, p.15 519

François Godement, Mathieu Duchâtel, Alexandre Sheldon-Duplaix, Michal Makocki, Marc Julienne,

« China and Russia : Gaming the West ? », European Council on Foreign Relations, Londres,

2 novembre 2016, p. 4 520

Alexander Gabuev « A Pivot to Nowhere : The Realities of Russia’s Asia Policy», Carnegie Moscow

Center, Moscou, 22 avril 2016 521

Olga V. Grigorenko, Denis A. Klyuchnikov, Aleksandra V. Gridchina, Inna L. Litvinenko, Eugeny P.

Kolpak, « The Development of Russian-Chinese Relations: Prospects for Cooperation in Crisis »,

International Journal of Economics and Financial Issues, Vol. 6 N°1, p. 259 522

Op. Cit. Alexander Gabuev, p. 6-7

Page 147: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

139

chinois estiment cependant que les échanges ont été plus importants en 2015 qu’en 2014,

mais que la valeur totale des exportations est moins élevée en raison de la chute drastique

du prix du baril de pétrole. La Russie a en fait exporté vers la Chine 28 % de plus de pétrole

en 2015 qu’en 2014.523

Cependant, comme les exportations d’hydrocarbures vers la Chine

représentent plus de 70 % des exportations totales, le prix du pétrole influence

considérablement la valeur des échanges entre les deux États.524

Le secteur énergétique étant au centre des échanges commerciaux, les dirigeants chinois et

les dirigeants russes signent un accord pour la construction d’un oléoduc qui reliera deux

nouveaux champs gaziers de Sibérie à la Chine. La construction a commencé en 2015,

malgré quelques problèmes de financement du côté russe. Cet oléoduc devrait délivrer à la

Chine plus de 38 milliards de mètres cube d’ici 2030, les deux côtés étant confiants que la

construction s’effectuera à un rythme soutenu.525

La Russie s’est également taillée une

place parmi les plus grands fournisseurs de pétrole de la Chine. En 2013, elle était 4e – avec

9,1 % des importations totales chinoises de pétrole – derrière l’Arabie saoudite qui assume

20 % des importations chinoises de pétrole, l’Angola (15 %) et Oman (9,5 %). En 2015,

elle se classe deuxième avec 13,3 %, dépassant périodiquement l’Arabie saoudite qui assure

encore 15,9 % des livraisons totales de pétrole vers la Chine.526

D’autres accords ont également été signés, notamment dans le domaine de l’armement.

Pendant plus de 10 ans, la Russie a refusé de vendre certains types d’armes à la Chine.

D’abord, Moscou craignait que ces armes soient un jour utilisées contre la Russie. Ensuite,

les Chinois ont toujours eu la réputation de copier les armes et les technologies qui leurs

étaient vendues. Ainsi, le complexe militaro-industriel russe redoutait de vendre des armes

qui seraient copiées et ensuite vendues comme produits concurrentiels à ceux des Russes.

L’interdiction informelle a été levée lorsque de nombreux analystes russes ont évalué que la

technologie chinoise en armement était beaucoup plus avancée que la technologie russe,

523

Op. Cit. François Godement, Mathieu Duchâtel, Alexandre Sheldon-Duplaix, Michal Makocki, Marc

Julienne p. 8 524

Op. Cit. Olga V. Grigorenko, Denis A. Klyuchnikov, Aleksandra V. Gridchina, Inna L. Litvinenko,

Eugeny P. Kolpak, p. 257 525

Alexander Gabuev « Friends with Benefits? Russian-Chinese Relations After the Ukraine Crisis »,

Carnegie Moscow Center, Moscou, Juin 2016, p. 12 526

Op. Cit. Alexander Gabuev, p. 14

Page 148: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

140

qu’il y avait donc peu de risques que ceux-ci copient les produits achetés. La Russie a ainsi

accepté de vendre pour 3 milliards USD de missiles en septembre 2014, 24 avions de

combat SU-35 pour 2 milliards USD à la fin de l’année 2015.527

En 2013, après l’affaire

Edward Snowden et la surveillance électronique américaine par la National Security

Agency, la Russie a également décidé de remplacer ses importations de technologies

américaines par des technologies chinoises. En 2015, les systèmes informatiques

américains utilisés par le gouvernement russe ont été remplacés, dans la majorité, par de

nouvelles technologies chinoises.528

Les échanges commerciaux entre la Chine et la Russie se sont considérablement développés

depuis le début de la crise en Ukraine. Ce partenariat stratégique est bénéfique pour les

deux États; la Russie remplace une partie des investissements et des exportations de

l’Europe par les produits et les investisseurs chinois. La Chine, quant à elle, a vu

l’ouverture du marché russe comme une opportunité à ne pas manquer. De plus, comme la

Russie est dans une situation économique précaire, les dirigeants chinois ont une capacité

de négociation plus importante en ce qui a trait au prix des hydrocarbures. Ces nombreux

échanges commerciaux ne permettent pas de remplacer la valeur totale du commerce entre

l’Europe et la Russie, néanmoins, la Chine parait comme la solution la plus rentable à court

terme. Actuellement, les dirigeants russes semblent plus soucieux de trouver des partenaires

rapidement pour écouler leurs hydrocarbures et les produits généralement importés par

l’Union européenne que de développer de nouveaux partenariats variés. Les échanges avec

la Chine ne permettront pas à la Russie de retrouver une situation optimale, mais elles

permettent de renflouer graduellement la réserve nationale et d’atténuer les effets, les

conséquences, des sanctions imposées par l’Union européenne et les États-Unis.529

527

Ibid, p. 23-24 528

Ibid, p. 22 529

Op. Cit. Alexander Gabuev, p. 2

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La société civile russe : un conformisme passif

Une dernière variable se doit de faire partie de notre analyse afin d’expliquer l’effet des

sanctions sur la Russie. Dans cette dernière section, nous nous intéresserons à la société

civile russe, à sa perception de la crise en Ukraine, à sa perception des sanctions et de la

crise économique, et à son appréciation de son gouvernement. Comme mentionné plus

haut, plusieurs auteurs identifient la réaction de la société civile comme déterminante dans

la réussite ou dans l’échec de sanctions. En ce qui concerne la Russie, notre objectif est

donc de déterminer si la société civile russe est en accord ou en désaccord avec les

décisions de son gouvernement, et comment elle réagit à la situation en général.

Le support à la guerre qui n’en est pas une

D’abord, la majorité des Russes – 65 % à 70 % – nie complètement que la Russie est en

guerre ou qu’elle est responsable des évènements qui se déroulent actuellement dans l’Est

de l’Ukraine (95 %-96 %).530

Le gouvernement s’assure de présenter l’annexion de la

Crimée non pas comme un acte de guerre, mais bien comme le règlement d’une injustice

historique. La Crimée est russe depuis qu’elle a été conquise par l’Armée de Catherine II,

elle a été transférée administrativement à la République soviétique d’Ukraine car c’était

beaucoup plus simple pour Kiev d’approvisionner la péninsule, mais les frontières des

républiques soviétiques n’ont jamais été pensées par l’administration centrale comme étant

des futures frontières d’États indépendants. La Crimée aurait dû rester russe, la Crimée est

russe.531

Évidemment, la propagande du régime est efficace, elle présente la campagne de Crimée et

ensuite l’aide aux séparatistes du Donbass comme une manière de se défendre contre

l’expansion de l’OTAN. De cette façon, la Russie semble se défendre contre l’Occident. La

population est d’avis que c’est du devoir du gouvernement de protéger ce qui lui revient, la

Russie n’attaque pas un État indépendant, elle défend ses intérêts. L’opinion nationale

soutient aussi que les États-Unis et l’Union européenne sont hostiles à la Russie et que la

530

Denis Volkov « Supporting a War that isn’t : Russian Public Opinion and the Ukraine Conflict », Carnegie

Moscow Center, 9 septembre 2015 531

Maria Lipman, « How Putin Silences Dissent : Inside the Kremlin’s Crackdown », Foreign Affairs, Mai-

Juin 2016, Vol. 96, N°3, p. 44

Page 150: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

142

crise en Ukraine n’est qu’une opportunité pour l’affaiblir.532

Depuis le début de la crise,

cette position de la société civile transparait dans de nombreux sondages menés par le

Centre Levada, centre de recherche russe non gouvernemental.533

Depuis le mois de janvier

2014, plus de 50 % de la population perçoit l’Union européenne et les États-Unis de

manière négative.534

L’aide aux séparatistes dans l’Est de l’Ukraine est également perçue

de manière assez positive puisqu’il y a très peu de pertes russes. Si la Russie doit mener une

campagne militaire, celle-ci semble peu couteuse car peu de soldats sont impliqués. Il s’agit

principalement de matériel militaire.535

L’appui au gouvernement : un désir de stabilité

Lorsqu’ils furent interrogés par le Centre Levada quant à leur degré de satisfaction par

rapport au gouvernement actuel, la majorité des candidats répondirent qu’ils soutenaient le

président Poutine (82 %), beaucoup plus que le gouvernement russe dans son ensemble

(46 %).536

Étonnamment, la majorité des participants n’était pas non plus en accord avec la

pluralité et l’opposition politique. L’explication était simple, la pluralité politique amenait

des changements de gouvernance et de présidence, ce qu’ils ne souhaitaient pas

particulièrement.537

Évidemment, il peut paraitre plus simple pour un participant de

répondre qu’il approuve son gouvernement que le contraire, surtout dans un État

autocratique, mais en Russie, ce type de réponse ne traduit pas uniquement la peur, il s’agit

davantage d’indifférence et de conformisme.538

Après les années mouvementées qui

suivirent la désintégration de l’Union soviétique, puis la crise économique de 1998, le

citoyen russe semble extrêmement attaché à la stabilité politique.539

Il est également fort

peu probable que la société civile russe se retourne contre son gouvernement même si la

situation économique devient de plus en plus difficile. En Russie, les protestations sociales

sont rarement transformées en contestations politiques. En fait, il semble que la population

532

Op. Cit. Denis Volkov 533

Les sondages reflètent l’opinion de 1 600 personnes provenant de 130 villes ou villages différents, qui eux-

mêmes sont établis dans 45 régions différentes. http://www.levada.ru/en/methods/omnibus/ 534

Levada Center, Attitude to the EU – Attitude to the US, Mars 2017, http://www.levada.ru/en/ratings/ 535

Andrei Kolesnikov, « Do Russians Want War » Carnegie Moscow Center, Moscou, Juin 2016, p. 1 536

Levada Center, Putin’s Approval Rating – Approval of the Government, Avril 2017,

http://www.levada.ru/en/ratings/ 537

Op. Cit. Andrei Kolesnikov, p. 13 538

Andrei Kolesnikov « Two Years After Crimea : The Evolution of Political Regime », Carnegie Moscow

Center, Moscou, 21 mars 2016 539

Op. Cit. Maria Lipman, p. 46

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ne tient pas son gouvernement responsable pour la situation économique actuelle.540

Depuis

l’invasion de la Crimée, plus de 50 % – 52 % exactement en avril 2017541

– de la

population estime que le gouvernement est sur la bonne voie et que l’Occident est

responsable de la crise économique actuelle.542

La population s’inquiète d’avoir toujours

accès, par exemple, à son système de santé, alors qu’elle ne se préoccupe pas des dépenses

massives du gouvernement dans le secteur de la défense. Lorsque interrogés quant au

budget fédéral par le Centre Levada, les participants estimaient que les sommes allouées à

la défense devraient représenter environ 50 % du budget total de l’État.543

La perception des sanctions et la crise économique

Actuellement, 80 % de la population croit que la Russie est en crise économique.544

Cependant, au mois d’aout 2016 plus de 60 % de la population estimait que les sanctions

avaient peu ou pas d’impacts du tout sur l’économie russe. Ainsi, 70 % de la population est

d’avis que la Russie devrait poursuivre ses politiques indépendamment des sanctions et

58 % que les contre sanctions imposées par la Russie ont déjà produit des effets politiques

positifs, la Russie est beaucoup plus respectée à l’international depuis l’adoption de ces

mesures.545

La société civile russe ressent donc les effets de la crise économique.

Cependant, l’optimisme demeure car la population approuve la décision de son

gouvernement quant à l’annexion de la Crimée.546

Valentina Matvienko, actuelle présidente

du Conseil de la fédération (Chambre haute) dira elle-même « Russia is a different country

since the historic event of Crimea’s reunification with Russia. It’s been a long time since

our citizens have experienced such pride, patriotism, and national solidarity. Support for the

president’s policy has not been this unanimous in all of Russia’s contemporary history.»547

La crise économique de 1998 teinte encore le sentiment général. Actuellement, les ménages

à faible revenu qui arrivent uniquement à se nourrir représentent environ 17 % de la

540

Op. Cit. Andrei Kolesnikov 541

Levada Center, Assessment of Situation in the Country, avril 2017, http://www.levada.ru/en/ratings/ 542

Op. Cit. Andrei Kolesnikov 543

Idem 544

Op. Cit. Denis Volkov 545

Levada Center, Sanctions, 5 septembre 2016, http://www.levada.ru/en/2016/09/05/sanctions-3/ 546

Op. Cit. Evsey Gurvich 547

Op. Cit. Andrei Kolesnikov

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population. En 1998, ces ménages représentaient 84 % de la population. Plusieurs familles

doivent remplacer les produits dispendieux par des produits de qualité inférieure, ou

doivent cesser la consommation de certains produits. Cependant, il semble que, ayant vécu

une crise beaucoup plus aigue, la majorité de la population semble être en mesure de

s’adapter à la crise actuelle.548

La classe moyenne n’est pas la seule à devoir composer avec

une situation particulière, les élites russes ont aussi leur lot de désagrément. Plusieurs

proches de Poutine déplorent les interdictions de voyage qui les empêchent d’avoir accès à

certains traitements médicaux occidentaux ou d’avoir accès à leurs propriétés à

l’étranger.549

Néanmoins, il semble que la société civile soit prête à sacrifier son confort et

à s’habituer à une diminution de la qualité de vie pour la gloire nationale.550

Le conformisme de la société civile russe joue actuellement en faveur du Kremlin. La

population soutient l’annexion de la Crimée et l’aide aux séparatistes. Depuis le début de

cette campagne, la popularité de Vladimir Poutine est montée en flèche, la Russie semble

reprendre graduellement sa position de grande puissance dans le monde auprès des États-

Unis. Le pays doit s’opposer à l’expansion de l’OTAN et de l’Union européenne dans les

États de l’ancienne URSS. La Russie a la capacité militaire pour réussir, elle doit se faire

respecter et apprécier à sa juste valeur sur la scène internationale. S’il peut être difficile de

concevoir que la société civile soit prête à accepter un niveau de vie moins élevé pour

démontrer sa satisfaction quant aux décisions de son gouvernement, en Russie, la grandeur

nationale prévaut sur le confort personnel. Les citoyens ont vu leur pays – l’URSS –

s’écrouler il y a 25 ans. Aujourd’hui, la Russie retrouve enfin le statut qu’elle mérite avec la

reconquête de territoires qui lui reviennent historiquement.

548

Op. Cit. Denis Volkov 549

Op. Cit. Lidia Shevtsova 550

Op. Cit. Andrei Kolesnikov

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145

Conclusion

Ayant défini les variables favorisant la réussite et les variables favorisant l’échec d’un

régime de sanctions, nous sommes en mesure de conclure que la Russie souffre

actuellement des sanctions imposées par l’Union européenne. En calculant les pertes liées

aux investissements étrangers et à la baisse des échanges commerciaux, il est possible de

conclure que la Russie a subi une baisse de revenus – en provenance de l’Union

européenne – de plus de 200 milliards USD en deux ans (les données les plus récentes étant

celles de 2015). Facteur déterminant pour la réussite d’un régime de sanctions, les couts à

court terme y étant reliés sont considérables. Une autre variable, indépendante aux

sanctions est également responsable de pertes de plus de 65 millions USD en deux ans; la

chute du baril de pétrole qui amplifie l’effet des sanctions.

Même si ces pertes sont considérables, la situation économique russe semble plutôt stable.

La réserve nationale a été constituée spécifiquement pour aider le pays à surmonter une

crise économique grave. En se référant également à quelques indicateurs, il est possible de

conclure que l’année 2015 a été plus difficile – l’inflation ayant doublé par rapport à 2014 –

mais que le gouvernement russe a pu stabiliser la situation en 2016. La Russie est

actuellement en récession, mais en 2016, elle a tout de même réussi à enregistrer une petite

croissance, sans oublier que le taux de chômage demeure plutôt bas.

Un autre élément déterminant pour la réussite des sanctions était l’absence de Chevalier

noir. Actuellement, la Russie a pu trouver des appuis – limités – au sein de l’Union

européenne. Plusieurs États se positionnent contre les sanctions, soulignant qu’elles sont

plus dommageables pour les économies européennes que pour l’économie russe, et que

personne ne retire de bénéfice de leur application. Ces États ont cependant soutenu qu’ils

n’iraient pas contre le consensus européen, il s’agit donc d’une variable latente pour le

moment. La présence de ces Chevaliers noirs pourrait cependant être décisive

éventuellement, il est peu probable que la position de tous ces pays évolue en faveur des

sanctions dans un avenir plus ou moins proche. La Chine demeure actuellement la seule

véritable alliée qui bénéficie des sanctions en se rapprochant de la Russie et en augmentant

ses échanges commerciaux, ce qui a comme résultat de saper les effets des sanctions. Ces

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146

échanges sont toutefois encore limités, principalement en raison de la chute du prix du

pétrole, car ils sont basés presque exclusivement sur l’échange d’hydrocarbures russes.

Néanmoins, la Chine n’est pas en mesure de remplacer la totalité des échanges que la

Russie entretenaient avec l’Union européenne, il s’agit cependant de la solution la plus

rentable à court terme.

Finalement, la société civile semble prête à supporter son président et ses décisions malgré

un cout plutôt élevé. Cette variable est également déterminante pour la réussite d’un régime

de sanctions, les pressions extérieures ne suffiront pas à modifier la politique de la Russie si

la société civile juge que les actions de son gouvernement sont légitimes. Les sanctions ont

donc un impact économique sur la Russie. Cet impact est cependant limité en raison des

échanges avec la Chine et de la position de la société civile. Près de trois ans après leur

application, les sanctions ne sont pas suffisamment efficaces pour provoquer un

changement de politique étrangère en ce qui a trait à la position russe en Crimée et en

Ukraine.

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CONCLUSION

Depuis une cinquantaine d’années, nombreux sont les chercheurs qui se sont intéressés à

l’étude des régimes de sanctions dans les relations internationales. Cette arme diplomatique

et économique étant de plus en plus utilisée par les États et les organisations internationales

pour contenir ou mettre fin à des conflits entre États. L’efficacité des sanctions est ainsi

débattue dans de nombreuses études. Alors que plusieurs chercheurs considèrent que, pour

être efficace, un régime de sanctions doit impérativement mener à la fin d’un conflit,

plusieurs autres spécialistes affirment que l’efficacité doit également être considérée lors de

l’atteinte d’objectifs plus modestes. Certains régimes de sanctions appliqués antérieurement

sont ainsi considérés comme des échecs totaux par certains chercheurs, alors que d’autres

estiment qu’il est possible d’y dégager certains succès.

Dans notre mémoire nous nous sommes penché sur l’emploi des sanctions économiques,

politiques et diplomatiques dans la gestion des crises internationales durant la Guerre froide

(Afghanistan 1979), ainsi que durant la période post-guerre froide (Ukraine 2014). Pour la

période de la Guerre froide nous avons choisi l’Afghanistan en raison de la spécificité de

cette crise dans le conflit Est-Ouest. Tandis que l’Ouest s’accommodait, non sans

difficultés, des interventions de l’URSS dans sa sphère d’intérêt (le pacte de Varsovie),

l’intervention militaire de l’URSS contre l’Afghanistan, un État non-aligné, était perçu par

les États-Unis comme un affront auquel il a fallu répondre par une myriade de sanctions.

Inversement, les alliés européens, plus préoccupés du maintien de la détente en Europe, ne

partageaient pas cette certitude. Notre recherche démontre l’efficacité relative des sanctions

imposées par l’Occident contre l’URSS. Ainsi, dans le cas de l’Afghanistan les résultats de

notre recherche complémentent les travaux des historiens et politicologues tel que David

Baldwin ou Elizabeth Rogers qui soutiennent qu’un régime de sanctions doit être considéré

comme partiellement efficace si les mesures atteignent certains objectifs, même modestes.

Notre deuxième cas d’étude analyse les effets des sanctions imposées par l’Union

européenne à la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée, un territoire appartenant à

l’Ukraine. La violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine s’est produite dans un système

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international nommé par les historiens « post-guerre froide ». Depuis le début de ce régime

de sanctions, comme dans tout autre régime, la question de l’efficacité se pose. À l’heure

actuelle, elles n’ont produit aucun changement politique. Cependant, notre étude montre

que les sanctions imposées par l’Union Européenne et les États-Unis ont affecté l’économie

russe par une réduction des investissements étrangers ainsi que par un ralentissement des

échanges commerciaux entre l’UE et la Russie. Selon de nombreux chercheurs, l’efficacité

d’un régime de sanctions repose d’abord sur le cout imposé par ces mesures à l’État

sanctionné. Nous avons préalablement déterminé que le cout économique imposé à la

Russie était considérable, ainsi, même s’il est impossible de conclure à une réussite totale

des sanctions à l’heure actuelle, nous sommes en mesure de conclure qu’elles remplissent

certains objectifs.

Comme dans le cas de l’Afghanistan, les États européens – l’UE ou la CEE – répondent

d’une seule voix à l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Les sanctions mises en place

par la suite sont le résultat d’un consensus entre les différents États européens qui

favorisent la réponse commune. Ainsi, les premières sanctions diplomatiques contre la

Russie sont adoptées par l’Union européenne le 3 mars 2014. Elles visent des entités et des

personnes directement, interdisant les voyages et les demandes de visa, et bloquant leurs

avoirs à l’étranger. Après l’écrasement du vol de la Malaysia Airlines, l’Union européenne

adopte également des sanctions économiques visant les importations et les exportations de

technologies à usage civil ou militaire et les exportations de technologies pouvant servir à

l’exploration ou à l’exploitation des nappes de pétrole en eaux profondes. Il y a aussi une

interdiction totale de commercer avec la Crimée.

L’historiographie portant sur les régimes de sanctions démontre que plusieurs facteurs

favorisent la réussite alors que d’autres limitent considérablement leur efficacité. Nous

avons ainsi déterminé que pour réussir, le pays sous sanctions doit être dépendant

économiquement des pays qui imposent les sanctions. L’instabilité politique et économique

favorise aussi le succès, alors que parmi les facteurs limitant la réussite, les sanctions ont

généralement moins de succès lorsqu’elles sont appliquées contre une dictature ou une

autocratie ou s’il y a présence de Chevalier noir ou du phénomène rally around the flag de

la part de la société civile, il y a peu de chances de succès.

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Dans le cas de la Russie, nous avons ainsi déterminé que la situation économique russe

n’était pas si dramatique, l’inflation est modérée – à l’exception de l’année 2015 – le

chômage est bas, mais le commerce international a décliné énormément. En effet, les pertes

reliées au ralentissement du commerce international totalisent plus de 183 milliards USD

entre 2013 et 2015. Par contre, la Russie réussit à combler le déficit du budget à l’aide de la

réserve nationale conçue pour les temps difficiles. Le climat d’investissement en Russie

s’est également dégradé, la corruption est importante et les investisseurs prudents préfèrent

trouver des marchés alternatifs. Les pertes reliées aux investissements étrangers en

provenance de l’Union européenne représentent environ 20 milliards USD. En ce qui

concerne le commerce des armes et du matériel militaire, il y eut une baisse globale des

exportations, mais les clients les plus importants de la Russie ont continué leur commerce.

Une autre variable est également importante, il s’agit de la chute du prix du baril de pétrole.

Entre 2013 et 2015, la Russie a ainsi perdu plus de 65 milliards USD en raison de cette

baisse de prix. Ces pertes aucunement liées aux sanctions impactent de manière

considérable l’économie russe. Néanmoins, en tenant compte des facteurs favorisant le

succès d’un régime de sanctions – la diminution des exportations et la fuite des capitaux

étrangers – nous sommes en mesure de conclure que le cout économique lié aux sanctions,

facteur primordial, est très important.

Cependant, nous devons également tenir compte du lobbysme anti-sanctions présent en

Europe qui pourrait à long terme miner l’efficacité des sanctions. Pour la Hongrie, la Grèce,

l’Italie, l’Autriche, l’Espagne, la Slovaquie, etc. les sanctions sont extrêmement

dommageables et devraient être retirées. Selon les facteurs limitant l’efficacité des

sanctions, ces Chevaliers noirs peuvent être potentiellement nuisibles pour les sanctions.

Toutefois, tous ces pays admettent qu’ils n’iront pas contre le consensus européen encore

en faveur des sanctions. Il s’agit d’une menace potentielle pour les sanctions qui n’a pas eu

de réels impacts dans les dernières années. Or, à l’heure actuelle, la Chine est parmi les

seuls alliés de la Russie avec les membres BRICS – le Brésil, l’Inde, et l’Afrique du Sud –

qui minent directement les effets des sanctions. Depuis 2014, la Russie et la Chine ont

développé un commerce de plus en plus important. Cependant, la Chine à elle seule ne

réussit pas à remplacer le commerce de l’Union européenne dans sa totalité, elle offre une

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solution à court terme, car la Russie peut exporter ses hydrocarbures vers un autre client

important, mais la coopération avec l’UE n’a pas d’égal.

Finalement, nous sommes également en mesure de conclure qu’en Russie, la société civile

supporte ses élites, limitant ainsi l’efficacité des sanctions. Pour la majorité des Russes, la

guerre en Ukraine n’est pas une vraie guerre. De même, l’annexion de la Crimée n’est pas

une violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine car ce territoire n’aurait jamais dû être

donné à l’Ukraine en 1954. De plus, la société civile russe est extrêmement attachée à la

stabilité politique. Ainsi, dans la crise ukrainienne, elle préfère s’aligner derrière ses

dirigeants plutôt que de se retourner contre eux. En Russie, les protestations sociales ne

sont pas des protestations politiques, lorsque les Russes demandent un changement, ils

demandent au gouvernement en place de changer une situation, ils ne demandent pas le

changement du gouvernement pour arriver au changement désiré. Il n’en demeure pas

moins que les Russes sont conscients que leur pays est en crise économique. Cependant,

plus de la moitié de la population ne tient pas son gouvernement responsable pour la

dégradation de la situation économique et estime que l’invasion de la Crimée et le soutien

aux rebelles ne sont pas responsables non plus de la situation économique. L’Occident est

encore tenu comme bouc émissaire de la situation. De plus, la crise économique actuelle

n’est pas aussi importante que celle de 1998. La plupart des familles qui ont vécu une crise

bien pire sont prêtes à sacrifier leur confort au nom de la gloire nationale. La société civile

russe est patriotique, et elle désire que l’on reconnaisse son pays comme une

superpuissance sur la scène internationale.

Trois ans après la mise en place des premières sanctions économiques, les résultats sont

mitigés. Les sanctions économiques mises en place dans le but de cibler des secteurs clés

de l’économie russe n’ont toujours pas motivé un changement de politique étrangère en

Russie. Elles n’ont pas non plus mené à de réelles négociations concernant l’Est de

l’Ukraine. Nous inscrivons nos conclusions dans le sillon des recherches de David

Baldwin. Nous reconnaissons les succès partiels des sanctions imposées actuellement à la

Russie, mais le changement politique souhaité à la suite des accords de Minsk se fait encore

attendre.

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ANNEXE I : Organigramme des organes législatifs de l’Union

européenne

Source : www.cantal.fr/_fichiers/voscotes/1397467608_les-institutions.jpg

Page 179: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

171

ANNEXE II : Carte du Moyen-Orient et des accès aux mers chaudes

Source : http://origins.osu.edu/article/2195/maps/

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172

ANNEXE III : Panneau retrouvé à Simféropol avant le référendum du 16

mars 2014

« Le 16 mars nous votons »

Source : Roland Gauron, « Ukraine, les enjeux du référendum sur la Crimée » Le Figaro,

12 mars 2014

Page 181: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

173

ANNEXE IV : Résolution A/68/262 – L’Intégrité territoriale de l’Ukraine

Source :

https://en.wikipedia.org/wiki/United_Nations_General_Assembly_Resolution_68/262

En faveur

En désaccord

Abstention

Absent

Non membre de l’ONU

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174

ANNEXE V : What is the best way to guarantee the national security of

Ukraine ?

Source : Razumkov Center, What is the best way to guarantee the national security of

Ukraine? (2007-2015), Sociological poll, [En ligne]

http://www.razumkov.org.ua/eng/poll.php?poll_id=1082 page consultée le 8 décembre

2016

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ANNEXE VI : La région du Donbass en guerre

Source : Roman Olearchyk, Kathrin Hille, Stefan Wagstyl, « Fighting escalates in eastern

Ukraine », The Financial Times, Londres, 30 janvier 2017,

https://www.ft.com/content/57fc2d60-e6d1-11e6-967b-c88452263daf

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176

ANNEXE VII : Les exportations de pétrole de la Russie

Pays Acheteurs Exportations de pétrole brut (en USD)

2013 2014 2015

Albanie N/A N/A N/A

Allemagne 14 335 543 430 11 907 717 785 7 520 387 498

Australie N/A 26 909 520 N/A

Autriche N/A N/A N/A

Belgique N/A 202 416 444 13 145 771

Bulgarie 901 727 959 54 989 376 873 525 310

Canada N/A N/A N/A

Chypre N/A N/A N/A

Croatie 1 130 150 133 1 216 593 179 816 714 735

Danemark 187 110 290 777 698 702 244 832 129

Espagne 3 493 408 359 1 904 268 546 912 336 891

Estonie 101 763 959 83 598 707 253 711 237

États-Unis 1 268 196 427 82 019 463 328 847 915

Finlande 7 246 932 839 5 558 648 881 3 306 344 699

France 797 925 794 585 062 018 340 056 056

Grèce 3 456 419 454 1 574 088 997 721 274 721

Hongrie 3 842 248 977 3 712 423 171 1 681 569 397

Irlande N/A N/A N/A

Islande N/A N/A N/A

Italie 16 606 649 973 15 627 384 373 7 682 020 291

Lichtenstein N/A N/A N/A

Lettonie 219 883 34 798 523 38 671 529

Lituanie 2 718 763 747 1 823 956 761 820 970 134

Luxembourg N/A N/A N/A

Malte N/A N/A 61 805 240

Monténégro N/A N/A N/A

Norvège 53 593 876 85 583 105 173 077 843

Pays-Bas 33 254 956 166 30 824 062 558 16 348 362 191

Pologne 16 178 259 613 12 605 197 404 6 838 656 920

Portugal 262 865 459 N/A 183 354 714

République Tchèque 3 011 446 930 2 581 102 979 1 450 811 198

Roumanie 958 184 994 443 689 796 819 400 185

Royaume-Uni 2 822 011 911 236 270 658 34 271 525

Slovaquie 4 391 116 394 3 566 809 019 2 072 737 879

Slovénie N/A N/A N/A

Suède 2 171 856 317 2 751 633 283 980 188 249

Turquie 1 004 510 596 635 217 511 668 118 288

Ukraine 311 378 498 249 460 537 59 033

Total 120 507 241 978 99 151 601 296 55 185 251 578

Source : United Nations Commodity Trade Statistics Database, mis à jour octobre 2016

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177

Pays Acheteurs Quantité de barils vendus

2013 2014 2015

Albanie N/A N/A N/A

Allemagne 134 933 227 124 491 637 152 398 672

Australie N/A 233 368 N/A

Autriche N/A N/A N/A

Belgique N/A 1 874 502 246 151

Bulgarie 8 343 912 517 697 17 721 384

Canada N/A N/A N/A

Chypre N/A N/A N/A

Croatie 10 531 865 11 942 713 15 119 445

Danemark 1 644 032 8 161 644 4 488 666

Espagne 32 592 030 18 243 272 18 502 396

Estonie 932 492 733 641 3 682 014

États-Unis 11 330 994 721 158 5 805 082

Finlande 68 109 918 55 460 549 66 881 887

France 7 274 543 5 430 649 6 316 348

Grèce 32 041 200 15 311 754 13 506 867

Hongrie 36 573 922 38 857 805 35 196 091

Irlande N/A N/A N/A

Islande N/A N/A N/A

Italie 153 172 827 150 744 667 141 567 408

Lichtenstein N/A N/A N/A

Lettonie 3 628 310 321 729 207

Lituanie 25 655 795 18 932 174 15 896 556

Luxembourg N/A N/A N/A

Malte N/A N/A 973 199

Monténégro N/A N/A N/A

Norvège 463 541 844 580 3 321 585

Pays-Bas 312 129 634 307 895 711 325 748 687

Pologne 152 285 901 130 294 447 138 009 122

Portugal 2 486 066 N/A 3 931 558

République Tchèque 28 432 044 26 648 030 28 433 680

Roumanie 8 920 663 4 759 308 15 841 069

Royaume-Uni 25 448 230 2 115 749 699 404

Slovaquie 41 945 473 38 345 094 43 059 158

Slovénie N/A N/A N/A

Suède 20 660 675 27 737 943 19 051 076

Turquie 9 243 222 5 825 795 12 703 921

Ukraine 2 894 525 2 204 700 888

Total 1 128 050 359 998 638 908 1 089 831 521

Source : United Nations Commodity Trade Statistics Database, mis à jour octobre 2016

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178

ANNEXE VIII : Indicateurs économiques pour la Fédération de Russie

Source : Banque mondiale

Années Investissements

étrangers (% du PIB)

Inflation, prix à la

consommation

(% annuel)

Total des Réserves

(comprend l’or en

milliards USD)

2000 1 % 20,8 % 27,656 $

2007 4,3 % 9,0 % 478,822 $

2008 4,5 % 14,1 % 426,279 $

2009 3,0 % 11,7 % 439,342 $

2010 2,8 % 6,8 % 479,410 $

2011 2,7 % 8,4 % 497,410 $

2012 2,3 % 5,1 % 537,816 $

2013 3,1 % 6,8 % 509,692 $

2014 1,1 % 7,8 % 386,216 $

2015 0,5 % 15,5 % 368,043 $

2016 ND 7,1 % ND

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179

ANNEXE IX : Échanges commerciaux de la Fédération de Russie

Source : United Nations Commodity Trade Statistics Database

Années Importations de la Russie (en USD) Exportations de la Russie (en USD)

Monde Entier UE (28) Monde Entier UE (28)

2000 33 880 091 843 20 905 610 304 103 092 748 421 58 676 070 355

2001 41 865 361 958 28 282 464 442 99 868 397 027 58 990 809 047

2002 46 176 985 039 32 620 380 728 106 691 997 872 61 601 837 957

2003 57 345 988 014 42 122 391 588 133 655 685 163 79 910 326 978

2004 75 569 014 526 57 360 099 819 181 600 379 150 105 608 784 441

2005 98 707 255 772 70 398 808 587 241 451 656 882 141 571 676 876

2006 137 811 059 897 91 001 662 250 301 550 665 536 179 255 372 216

2007 199 725 954 506 122 421 535 285 352 266 398 771 201 510 232 288

2008 267 051 243 546 154 994 791 090 467 993 954 576 255 417 602 363

2009 170 826 590 309 91 716 708 986 301 796 058 824 166 668 542 673

2010 228 911 658 149 114 019 089 483 397 067 520 996 212 788 588 139

2011 306 091 490 306 151 061 738 307 516 992 618 221 280 185 193 774

2012 316 192 918 041 158 535 696 784 524 766 420 613 276 499 782 857

2013 314 945 094 987 158 985 409 156 527 265 918 851 274 191 098 337

2014 286 648 776 878 136 267 308 389 497 833 528 848 220 906 068 020

2015 183 442 530 428 81 727 847 551 343 907 651 828 151 314 418 714

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180

ANNEXE X : Cours du rouble (2014-2017)

Source :

http://www.exchange-rates.org

Date

(JJ-MM-AA)

Dollars

américain

Rouble Euro Rouble

01/01/14 1 32,8555 1 45.2354

01/02/14 1 35,1160 1 47.3715

01/03/14 1 36,0845 1 49.7912

01/04/14 1 35,0790 1 48.4006

01/05/14 1 35,6385 1 49.4199

01/06/14 1 34,8747 1 47.6029

01/07/14 1 34,3360 1 47.0104

01/08/14 1 35,7860 1 48.0647

01/09/14 1 37,2910 1 48.9661

01/10/14 1 39,6990 1 50.0571

01/11/14 1 43,0275 1 53.8683

01/12/14 1 51,6460 1 64.5017

01/01/15 1 60,5433 1 73.2483

01/02/15 1 69,6134 1 78.7473

01/03/15 1 61,5426 1 68.8099

01/04/15 1 57,6277 1 62.0367

01/05/15 1 51,9274 1 58.1743

01/06/15 1 53,5760 1 58.5146

01/07/15 1 55,8365 1 61.7175

31/07/15 1 61,7385 1 67.8133

01/09/15 1 67,0785 1 75.8484

01/10/15 1 65,6463 1 73.4352

01/11/15 1 64,0763 1 70.6922

01/12/15 1 66,6857 1 70.8536

01/01/16 1 73,0925 1 79.4004

01/02/16 1 77,3370 1 84.2046

01/03/16 1 73,1996 1 79.5511

01/04/16 1 67,6756 1 77,1079

01/05/16 1 65,6669 1 75,2802

01/06/16 1 67,1087 1 75,0631

01/07/16 1 63,8018 1 71,0707

01/08/16 1 67,0170 1 74,8128

01/09/16 1 65,9846 1 73,8843

01/09/30 1 62,8335 1 70,6359

01/11/16 1 63,3114 1 70,0148

01/12/16 1 63,9387 1 68,1606

01/01/17 1 61,6036 1 64, 8101

01/02/17 1 60,1280 1 64, 7347

01/03/17 1 58.2766 1 61,4789

31/03/17 1 56,2481 1 59,9329

01/05/17 1 56,9870 1 62,1187

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181

ANNEXE XI : INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS VERS LA RUSSIE

Pays Investissements directs étrangers vers la Russie en millions d’Euros

2012 2013 2014 2015

Albanie* Non disponible Non disponible Non disponible Non disponible

Allemagne 20 261 21 783 14 537 16 277

Australie* Confidentiel Confidentiel Confidentiel Confidentiel

Autriche 8 577 Confidentiel Confidentiel Confidentiel

Belgique 279 1 545 1 785 1 772

Bulgarie 21 24 44 38

Canada* 1 955 2 258 1 440 1 564

Chypre 733 33 996 23 137 24 556

Croatie 45 44 21 26

Danemark 921 761 641 469

Espagne 1 192 1 030 634 608

Estonie 246 214 206 219

États-Unis* 10 661 9 630 7 641 8 451

Finlande 3 197 Confidentiel Confidentiel Confidentiel

France 13 779 12 294 8 211 8 786

Grèce 47 73 82 82

Hongrie 593 544 387 303

Irlande 94 66 289 355

Islande* 49 59 33 Non disponible

Italie 7 986 7 194 7 419 8 374

Lichtenstein* Non disponible Non disponible Non disponible Non disponible

Lettonie 32 47 86 98

Lituanie 111 66 56 71

Luxembourg Confidentiel Confidentiel Confidentiel Confidentiel

Malte 240 Confidentiel 5 11

Monténégro* 6 Non disponible Non disponible Non disponible

Norvège* 449 572 427 Non disponible

Pays-Bas 5 375 55 286 51 430 52 985

Pologne 1 076 893 651 589

Portugal 19 Confidentiel Confidentiel Confidentiel

Rép. Tchèque 185 196 158 157

Roumanie 2 Confidentiel Confidentiel 1

Royaume-Uni 7 555 16 681 17 583 19 795

Slovaquie 15 Confidentiel 12 23

Slovénie 329 360 308 305

Suède 5 633 5 340 6 178 6 769

Turquie* 474 Confidentiel 465 Non disponible

Ukraine* 268 332 180 113

Union européenne 193 457 192 147 162 654 171 844

Sources : Eurostat, Australian Bureau of statistics, Statistiques Canada, State Statistics

Service of Ukraine, mis à jour avril 2017 (*Non membre de l’Union européenne)

Page 190: L'usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la ... · Une politique de plus en plus exigeante à légard de lUkraine (2005-2013) p.70 La présidence de Victor Iouchtchenko,

182

Investissements directs étrangers vers la Russie en millions de dollars américains

Pays 2012 2013 2014 2015

Albanie* 16 11 7 0

Allemagne 18 969 19 177 13 926 13 643

Australie* 65 62 44 35

Autriche 9 764 12 207 8 003 5 541

Belgique 2 285 2 958 1 469 1 063

Bulgarie 62 54 38 33

Canada* 106 176 132 154

Chypre 179 332 193 640 110 545 94 417

Croatie 16 32 24 22

Danemark 471 519 591 553

Espagne 278 300 237 205

Estonie 207 221 190 178

États-Unis* 3 520 18 583 2 776 2 381

Finlande 4 293 4 349 2 728 6 761

France 14 617 14 112 9 673 9 995

Grèce 48 12 89 90

Hongrie 1 084 1 023 626 422

Irlande 19 087 29 064 26 421 31 727

Islande* 3 38 24 19

Italie 1 458 1 158 722 966

Lichtenstein* 178 196 136 149

Lettonie 213 451 615 712

Lituanie 218 232 154 142

Luxembourg 29 858 42 929 39 378 41 061

Malte 33 43 77 93

Monténégro* 31 24 14 15

Norvège* 244 320 268 155

Pays-Bas 56 079 64 538 53 302 40 373

Pologne 304 141 323 324

Portugal 23 21 18 16

République Tchèque 464 460 393 253

Roumanie 11 12 10 9

Royaume-Uni 7 002 23 050 7 951 6 835

Slovaquie 4 8 22 22

Slovénie 177 209 154 152

Suède 15 402 16 200 3 289 2 446

Turquie* 561 759 784 749

Ukraine* 294 376 247 199

Total 366 777 447 665 285 400 261 910

Monde 514 926 565 654 366 452 342 423

Source : Banque centrale de Russie (*non membre de l’Union européenne)

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183

ANNEXE XII : Commerce d’armes et de matériel militaire

Exportations d’armes et de matériel militaire de la Russie par catégories en millions de

USD

Catégories 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016

Armes navales 16 15 30 37 34 51 44 41

Artillerie 19 5 48 52 73 39 12 4

Avions 2385 2908 4645 3127 2437 2235 2942 2905

Bateaux 10 559 526 1689 1819 660 386 764

Capteurs 15 174 161 186 127 14 149 120

Défense anti

aériennes

535 687 979 604 1079 264 402 462

Missiles 1446 826 1094 1060 1230 645 689 729

Moteurs 139 218 249 372 506 544 415 411

Satellites 100

Véhicules blindés 411 727 921 1185 476 553 443 924

Autres 54 54 6 6 72 72

Total 5030 6172 8658 8317 7779 5103 5554 6432

Source : Stockholm International Peace Research Institute (les totaux peuvent ne pas

correspondre en raison de l’arrondissement). Mis à jour avril 2017

Source : Stockholm International Peace Research Institute, partenaires importants

seulement, mis à jour avril 2017, les valeurs peuvent être influencées à la baisse par le

cours du rouble qui déprécie.

Exportations d’armes de la Russie vers les pays partenaires en millions USD

Pays 2013 2014 2015 2016

Algérie 246 118 502 1 548

Angola 27 39

Arménie 16 79

Azerbaïdjan 319 559 207

Biélorussie 75 60 87 178

Chine 803 713 758 643

Inde 3 647 1 570 1 776 1590

Irak 51 301 420 300

Iran 22 4 4 374

Kazakhstan 54 28 412 176

Nicaragua 13 15 86

Nigéria 58 87 23

Pakistan 24 25 35 41

Soudan 51 51

Turkménistan 13 17 50 36

Ukraine (de

l’Est)

24

Vietnam 313 983 722 1039