L’usage des sanctions économiques et diplomatiques dans la gestion des crises internationales
Études des cas d’Afghanistan (1979) et d’Ukraine (2014)
Mémoire
Sophie Marineau
Maitrise en histoire
Maitre ès arts (M.A.)
Québec, Canada
© Sophie Marineau, 2017
iii
RÉSUMÉ
Le 27 février 2014, des troupes non identifiées envahissent la péninsule de Crimée au sud
de l’Ukraine, puis l’Est de l’Ukraine. À la suite d’un référendum contesté, la Crimée est
annexée à la Fédération de Russie, alors que la guerre civile fait rage dans les territoires de
l’Est du pays. Rapidement, les États-Unis et l’Union européenne prennent des mesures
diplomatiques envers la Russie. Après plus de cinq mois de conflit et plusieurs incidents,
les Occidentaux optent finalement pour des mesures économiques devant avoir un impact
considérable sur l’économie russe. L’objectif poursuivi est ainsi d’amener la Russie à
négocier une situation viable pour l’Ukraine. Comme dans tout autre régime de sanctions,
la question de l’efficacité se pose. Est-ce que les mesures économiques prises par l’Union
européenne sont suffisantes pour initier un changement de politique étrangère en Russie?
Après plus de trois ans sous sanctions, l’économie russe a subi d’importants dommages.
Ce n’est toutefois pas la première fois que la Russie se retrouve sous sanctions. En 1979,
alors que l’URSS – son prédécesseur – envahi l’Afghanistan dans le contexte de la Guerre
froide, les États-Unis et plusieurs États de l’Europe de l’Ouest imposent de sévères
sanctions à l’URSS. Dès lors, que peut-on tirer de l’analyse de ce régime de sanctions afin
de mieux comprendre la réaction actuelle de la Russie ?
iv
TABLE DES MATIÈRES
Résumé p.iii
Table des matières p.iv
Remerciements p.viii
Introduction p.1
Présentation du sujet et problématique p.1
Définition de concepts clés p.5
Historiographie p.6
L’historiographie sur les différents régimes de sanctions p.6
La guerre d’Afghanistan p.10
Les relations russo-ukrainiennes p.12
Corpus de sources p.14
Les documents officiels p.14
Les statistiques p.16
Les journaux p.17
Les sources publiées p.18
Méthodologie p.18
Plan du mémoire p.20
Chapitre 1 – Les sanctions imposées à l’URSS après l’invasion d’Afghanistan p.23
L’élection du Président Jimmy Carter, la fin de la détente, et l’invasion de
l’Afghanistan (1975-1979) p.27
L’Europe et les États-Unis condamnent l’invasion soviétique à l’ONU p.30
La réaction du gouvernement des États-Unis et du Président Carter p.31
La mise en place du régime de sanctions contre l’URSS par le gouvernement
des États-Unis p.36
La réaction internationale face à la réaction américaine p.40
Les politiques européennes et le régime de sanctions américaines p.43
v
La fin du conflit en Afghanistan et le résultat des sanctions p.49
Conclusion p.53
Chapitre 2 – Les relations entre l’Ukraine et la Russie (1991-2013) p.55
Un partenariat difficile entre les États russe et ukrainien (1991-1999) p.56
Une forte dépendance économique au lendemain de l’indépendance
politique p.56
À qui revient l’héritage soviétique et la flotte de la mer Noire? p.58
Le mouvement sécessionniste de Crimée p.60
L’enjeu des armes nucléaires soviétiques sur le territoire ukrainien p.63
L’Ukraine, de sphère d’influence russe au réveil de la société civile
(2000-2004) p.65
Des mesures incitatives et des menaces p.65
L’ingérence politique et le réveil de la société civile ukrainienne :
la Révolution orange p.69
Une politique de plus en plus exigeante à l’égard de l’Ukraine
(2005-2013) p.70
La présidence de Victor Iouchtchenko, des relations difficiles avec
la Russie (2004-2010) p.71
La présidence de Ianoukovitch : beaucoup de concessions politiques
pour des gains économiques (2010-2013) p.74
Conclusion p.76
Chapitre 3 – La crise ukrainienne (2013-2014) p.78
Le Partenariat oriental et le Sommet de Vilnius : prélude à la contestation
de masse p.78
Le Maïdan : de manifestations pacifiques aux affrontements armés p.83
Les petits hommes verts armés et sans drapeau : l’invasion de la Crimée p.90
L’annexion de la Crimée : illégale selon le droit international p.93
L’Est sécessionniste : les combats dans le Donbass p.97
L’écrasement du vol MH17 p.99
vi
L’effort diplomatique de la communauté internationale en vue d’un
cessez-le-feu durable p.102
Conclusion p.105
Chapitre 4 – Les sanctions imposées à la Russie à la suite de l’invasion de
l’Ukraine et de l’annexion de la Crimée p.107
L’efficacité des sanctions économiques et politiques mises en place par
l’Union européenne p.109
La réussite et l’échec d’un régime de sanctions p.110
Les facteurs favorisant le succès d’un régime de sanctions p.111
Les facteurs limitant l’efficacité d’un régime de sanctions p.113
L’impact des sanctions sur l’économie russe p.118
Le déficit causé par le pétrole p.118
Portrait global de la situation économique en Russie p.120
La fuite des investissements étrangers p.122
Le commerce des armes et du matériel militaire p.126
Plusieurs Chevaliers noirs: le lobbysme anti sanctions en Europe p.130
Viktor Orban et la Hongrie p.130
La Grèce doit relancer son économie p.132
L’Italie, économie avant politique p.133
L’Espagne : la société civile en désaccord avec ses élites politiques p.135
Des considérations économiques partout en Europe p.136
Le tournant pro-asiatique de la Russie p.137
La société civile russe : un conformisme passif p.141
Le support à la guerre qui n’en est pas une p.141
L’appui au gouvernement : un désir de stabilité p.142
La perception des sanctions et la crise économique p.143
Conclusion p.145
Conclusion p.147
Bibliographie p.151
vii
Annexes p.170
Annexe I : Organigramme des organes législatifs de l’Union européenne p.170
Annexe II : Carte du Moyen-Orient et des accès aux mers chaudes p.171
Annexe III : Panneau retrouvé à Simféropol avant le référendum du 16 mars
2014, « Le 16 mars nous votons » p.172
Annexe IV : Résolution A/68/262 – l’intégralité territoriale de l’Ukraine p.173
Annexe V : What is the best way to guarantee the national security of
Ukraine p.174
Annexe VI : La région du Donbass en guerre p.175
Annexe VII : Les exportations de pétrole de la Russie p.176
Annexe VIII : Indicateurs économique pour la Fédération de Russie p.178
Annexe IX : Échanges commerciaux de la Fédération de Russie p.179
Annexe X : Cours du rouble (2014-2017) p.180
Annexe XI : Investissements étrangers vers la Russie p.181
Annexe XII : Commerce d’armes et de matériel militaire p.183
viii
REMERCIEMENTS
Tout d’abord, je souhaite remercier mon directeur de recherche, le Professeur Renéo Lukic,
pour ses conseils. Son écoute et sa disponibilité pendant mes recherches et lors de la
rédaction ont permis la réalisation de ce mémoire, le plus grand accomplissement de mon
parcours académique.
Je tiens également à exprimer ma reconnaissance envers ma famille et mes amis qui m’ont
soutenue et encouragée dans les moments plus difficiles. J’aimerais aussi souligner l’aide et
l’appui de Raphaël; ses compétences et sa patience infinie m’ont grandement aidée dans la
réalisation de mon mémoire. Merci énormément.
1
INTRODUCTION
Présentation du sujet et problématique
À partir du début des années 1990, les puissances occidentales s’intéressent et interviennent
de plus en plus dans les affaires d’États non-démocratiques. Ce phénomène s’accroit en
raison de la fin de la Guerre froide, car ces mêmes puissances ne craignent plus que leurs
sanctions à l’encontre d’un État paria poussent celui-ci vers le bloc ennemi.1 Selon le
diplomate britannique Jeremy Greenstock, qui siégea au Conseil de Sécurité de l’ONU
entre 1998 et 2003, la popularité des sanctions vient du fait que, entre les mots et
l’affrontement armé, peu de possibilités s’offrent aux gouvernements pour faire pression
sur un autre État. Lorsque les pressions verbales ne suffisent pas, quel choix reste-t-il?2
Pour Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne depuis novembre 2014,
les sanctions se présentent comme une alternative à la guerre. Des sanctions efficaces
permettraient d’éviter des conflits armés et d’influencer positivement un État paria à revenir
dans le droit chemin. À la fin de l’année 2014, on dénombrait ainsi 34 États ou entités non
étatiques sanctionnés par l’Union européenne.3 Cependant, la proposition du président de la
Commission pose certains problèmes. Comment déterminer si un régime de sanctions sera,
ou est assez efficace pour que celui-ci influence le comportement et la politique étrangère
de l’État sanctionné?
Plusieurs chercheurs et professeurs spécialistes des relations internationales, d’économie et
de sciences politiques se sont déjà posé la question. En fait, dès les premières sanctions
postguerre froide, ils s’interrogent quant à leur efficacité. Si tous les régimes de sanctions
sont différents, il est toutefois possible de retracer quelques ressemblances et points
communs qui sont à l’origine de l’échec ou de la réussite des sanctions. Dans des cas
comme l’Irak ou l’Iran, où les régimes de sanctions ont été considérés comme efficaces, les
experts concluent que l’économie du pays en question fût très durement touchée. Dans ces
1 Tim Niblock, « Irak, Libye, Soudan : efficacité des sanctions ? », Politique étrangère, 2000, Vol. 1 n°1,
p. 95 2 Jonathan Marcus, « Analysis : Do economic sanctions work ? », BBC News, 26 juillet 2010,
http://www.bbc.com/news/world-middle-east-10742109 3 Bastien Nivet, « Les sanctions internationales de l’Union européenne : soft power, hard power ou puissance
symbolique ? », Revue internationale et stratégique, 2015 Vol. 1 N° 97, p. 129
2
deux cas, des changements politiques se sont opérés, car la situation économique n’était
plus viable. Dans d’autres cas, comme celui de la Lybie ou du Soudan, les régimes de
sanctions imposés furent des échecs. L’opinion internationale s’est positionnée contre ces
deux régimes, et la société civile se rallia derrière ses dirigeants au lieu d’exiger des
changements.4 En Iran, en Irak, en Lybie et au Soudan, les régimes de sanctions furent tous
levés. Cependant, beaucoup d’autres régimes sont, à l’heure actuelle, encore en vigueur et
les résultats tardent ou les effets escomptés ne se produisent pas.
La situation de Cuba, qui subit un embargo américain depuis 1960, est un cas frappant où
les sanctions n’ont pas été suffisantes pour provoquer un changement de politique intérieure
qui était exigé par les États-Unis.5 À partir de l’année 1960, Fidel Castro se rapproche
progressivement des États communistes, en signant notamment des accords commerciaux
avec la Bulgarie, la Chine, la Hongrie, la Pologne, avec la Roumanie et la Tchécoslovaquie,
ainsi que des accords diplomatiques avec la Corée du Nord et le Vietnam du Nord.6 En se
rapprochant des États communistes, Fidel Castro nationalise progressivement des propriétés
des États-Unis en sol cubain, à la suite de quoi le pays sera placé sous embargo. En plus de
restrictions de voyage, les États-Unis n’achètent plus rien en provenance de l’ile, mais le
gouvernement cubain peut encore s’approvisionner aux États-Unis pour certains produits.7
Cependant, comme Carole Gomez et Bastien Nivet le soulignent, il est très difficile d’isoler
un État et, en ce qui concerne Cuba, les États-Unis ont certainement contribué au sous-
développement de l’ile, mais les Soviétiques, pendant la Guerre froide, ont remplacé les
produits américains, minimisant dès lors l’effet de l’embargo.8 À partir de la fin de la
Guerre froide, la situation a évolué aux États-Unis. Avec le Cuban Democracy Act de 1992,
le gouvernement américain exige des changements de politique intérieure concernant le
respect des droits de l’homme et des valeurs démocratiques.9 La désintégration de l’Union
4 Op. Cit. Tim Niblock, p. 99
5 Michael J. Totten « Letter from Cuba : To Embargo or Not » World Affairs, 2014, Vol. 176, N°6, p. 31
6 National Security Agency, Chronology of Specific Events Relating to the Military Buildup in Cuba
January 2, 1959 to August 29, 1962,
http://nsarchive.gwu.edu/nsa/cuba_mis_cri/590102_620827%20Chronology%202.pdf 7 Op. Cit. Michael J. Totten, p. 32
8 Carole Gomez, Bastien Nivet, « Sanctionner et punir. Coercition, normalisation et exercice de la puissance
dans une société internationale hétérogène », Revue internationale et stratégique, 2015, Vol. 1 N°97, p. 67 9 102
nd United States Congress, Cuban Democracy Act (CDA), 23 octobre 1992
3
soviétique marque la fin de la menace communiste aux États-Unis. Cuba n’est plus une
menace idéologique, elle ne supporte plus les groupes révolutionnaires dans le tiers-monde
et n’est plus armée par l’URSS. Castro implante également quelques réformes économiques
pour attirer de nouveaux investisseurs.10
Avec l’arrivée de Raúl Castro au pouvoir en 2011,
le régime marxiste-léniniste introduit quelques progressivement quelques réformes et le
rapprochement avec les États-Unis s’initie, notamment avec la réouverture de l’ambassade
américaine à la Havane au mois d’aout 2015.11
L’embargo demeure toutefois en place
malgré ces rapprochements diplomatiques. Les sanctions américaines contre Cuba sont en
vigueur depuis plus d’un demi-siècle et elles ont affecté l’économie fragile de l’ile,
cependant, le régime communiste cubain déficient est davantage responsable de la situation
économique précaire du pays. Les mesures économiques n’ont pas atteint leur objectif de
mener à des changements politiques, mais avec le changement de gouvernement en 2011 et
le rapprochement entamé par le gouvernement américain à la fin de l’année 2014,12
les
relations semblaient s’améliorer. Or, depuis l’élection du président Donald Trump en 2016,
partisan de politiques beaucoup plus sévères envers Cuba, il semble peu probable que
l’embargo soit levé dans les prochaines années.13
Il est également possible de conclure à un lamentable échec lorsqu’il s’agit de la Corée du
Nord qui ne réagit pas du tout à toutes les sanctions imposées pour l’isoler encore
davantage.14
L’étude des différents régimes imposés par les gouvernements occidentaux
depuis le début des années 1990 démontre que les résultats des sanctions sont toujours
incertains. Néanmoins, elles demeurent extrêmement utilisées par plusieurs puissances
occidentales comme alternatives à la passivité ou à la guerre. Les États-Unis ont, dans cette
optique, sanctionné plus de 80 États différents dans les 25 dernières années.15
Les
nombreuses études démontrent que dans plusieurs situations, les sanctions furent
10
Indira Rampersad, « The Anti-Cuban Embargo Movement in the United States » Peace Review, 2014,
Vol. 26, N°3, p. 407 11
Will Grant, « Trump’s new Cuba policy : What’s at stake for the island? », BBC News, 10 juin 2017,
http://www.bbc.com/news/world-latin-america-40231074 12
Op. Cit. Michael J. Totten, p. 32 13
Op. Cit. Will Grant 14
Pierre Grosser, « Des histoires sans leçons ? De l’efficacité et de la pertinence des sanctions
contemporaines », Revue internationale et stratégique, 2015, Vol. 1 N° 97, p. 89 15
Fanny Coulomb, Sylvie Matelly, « Bien-fondé et opportunité des sanctions économiques à l’heure de la
mondialisation », Revue internationale et stratégique 2015, Vol. 1 N° 97, p. 106
4
importantes, mais dans aucune on affirme que celles-ci furent déterminantes. En l’absence
de résultats certains et concrets, comment expliquer que de nombreuses puissances
privilégient ce moyen de pression contre les États malfaisants?16
Les études récentes portant sur les sanctions imposées par les organisations internationales
définissent comme une part importante la fonction symbolique de celles-ci. Des
organisations comme l’Union européenne ou encore l’ONU, qui n’ont, à proprement parler,
pas de forces militaires nécessaires pour forcer un État à modifier son comportement, se
retrouvent souvent avec les sanctions comme seule possibilité acceptable lorsque la
diplomatie a atteint ses limites. Il s’agit alors d’un outil de politique étrangère pour
démontrer l’insatisfaction de l’organisation face à un comportement déviant de la part d’un
État ou, encore, d’un outil de protection lorsqu’elle sent sa sécurité menacée. Si la guerre ne
peut être une option, la sanction démontre alors que même sans moyen pour forcer un
changement, il est possible d’exprimer, au moins symboliquement et diplomatiquement son
désaccord.17
À l’heure actuelle, les organisations internationales comme l’UE et l’OTAN tentent de
trouver un moyen de régler une crise régionale, qui compromet cependant la sécurité de
l’Europe, entre l’Ukraine et la Russie. Depuis l’annexion de la péninsule de Crimée par la
Russie au mois de mars 2014, les organisations internationales adoptent de plus en plus de
mesures et de sanctions contre la Russie afin de la convaincre de retirer ses troupes de l’est
de l’Ukraine ainsi que de la Crimée. Jusqu’ici, aucune mesure ne semble être suffisante
même si celles-ci touchent de plus en plus de personnes et d’entités. Comme dans tous les
autres régimes de sanctions imposés avant, la question de leur efficacité se pose. L’objectif
est ultimement que la Russie renonce à la péninsule et cesse les combats dans l’est de
l’Ukraine, mais est-ce que les sanctions symboliques, diplomatiques et économiques des
organisations internationales auront assez d’impacts pour avoir des conséquences dans les
décisions politiques russes? Il faut également noter qu’une difficulté s’ajoute en ce qui
concerne la Russie, car elle est une partenaire économique plus que primordiale pour
beaucoup de pays de l’Union européenne. Les exportations en gaz et en pétrole vers
16 Op. Cit. Pierre Grosser, p. 99 17
Op. Cit. Bastien Nivet, p. 133
5
l’Europe sont beaucoup trop importantes pour qu’elle accepte de s’en priver. L’Europe doit
donc demeurer prudente et ne peut pas imposer de sanctions trop sévères, car si Moscou
décide de couper l’approvisionnement en gaz, comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises
entre 2004 et 2010, plusieurs pays pourraient se retrouver dans le noir et dans le froid.18
Comment alors est-il possible d’imposer des sanctions efficaces à la Russie, et surtout,
comment mesurer leur efficacité, en tenant compte du fait qu’elles sont en place depuis
trois ans et qu’aucun changement concret n’a eu lieu?
Définition de concepts clés
Avant de poursuivre notre analyse, il va de soi de définir certains concepts, certaines idées,
que nous utiliserons tout au long de notre analyse et dont la définition et la compréhension
sont tout à fait impératives pour notre recherche.
L’Étranger proche : En utilisant les termes étrangers proches, nous nous référons aux
populations russes vivant en dehors des frontières de la Russie, dans les différents États
frontaliers, ou aux États indépendants depuis la désintégration de l’URSS, qui faisaient
partie de l’Union avant son démembrement. Pour les Russes de la nouvelle fédération,
« l’Autre est désormais Autre mais ne l’est pas entièrement; il est étranger, mais un étranger
avec lequel on a partagé une histoire commune est-il totalement étranger? »19 Les autorités
politiques russes voient dans cet espace géographique des territoires qui leur sont vitaux et
elles tiennent à préserver cet espace de la présence et de l’influence des Occidentaux.
Régime de sanctions : Nous définissons le concept ou l’action diplomatique – militaire –
« régime de sanctions » par l’ensemble des sanctions imposées à un pays lors d’un conflit
ou d’une guerre. Le régime de sanctions peut être composé de mesures diplomatiques,
financières, économiques, militaires, etc. Cette expression sera particulièrement utilisée
dans le premier chapitre lorsque nous traiterons des mesures imposées par les États-Unis à
l’URSS après l’invasion de l’Afghanistan, ainsi que dans le quatrième chapitre, lorsque
18
Op. Cit. Fanny Coulomb, Sylvie Matelly, p. 108 19
Jean-Christophe Romer, « La politique du voisinage est-elle l’étranger proche de l’UE ? Des voisins en
commun » Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2010, Vol. 1 N° 97-98, p. 30
6
nous ferons référence aux mesures actuellement en place contre la Russie après l’annexion
de la Crimée et la guerre dans l’est de l’Ukraine.
Historiographie
Il est possible de diviser notre historiographie en trois catégories. D’abord, celle qui occupe
la place la plus importante pour l’analyse de l’efficacité du régime de sanctions appliqué
actuellement en Russie est l’historiographie concernant l’étude de l’efficacité des différents
régimes de sanctions du siècle dernier. Les différentes études portant sur l’efficacité des
régimes de sanctions permettent de définir les facteurs favorisant la réussite d’un régime,
ainsi que les facteurs limitant la réussite de sanctions. Un argument de taille soulevé par
toutes ces études est cependant que chaque régime est différent et que les situations
politiques et économiques de chacun sont déterminantes pour la réussite d’un régime de
sanctions. La Fédération russe est pour la première fois sous sanctions depuis la
désintégration de l’Union soviétique. Or, l’URSS a déjà été la cible de sanctions
américaines et européennes, notamment en 1980 après l’invasion et le changement de
régime en Afghanistan. Bien que l’URSS regroupait plusieurs républiques en son sein, ce
régime de sanctions imposé contre Moscou offre un point de comparaison avec le régime
de sanctions en place depuis 2014. Ainsi, nous nous intéresserons par la suite à cette
historiographie sur la guerre d’Afghanistan et les sanctions imposées à l’URSS à partir de
1980. Finalement, nous nous servirons d’études sur l’histoire des relations entre la Russie et
l’Ukraine afin d’analyser les raisons qui poussent Moscou à violer l’intégralité territoriale
de son voisin un peu plus de 20 ans après son indépendance. Cette section sera également
composée d’études récentes sur la crise en Ukraine – depuis 2014 – ainsi que des résultats
actuels des sanctions contre la Russie.
L’historiographie sur les différents régimes de sanctions
Lors de l’analyse des différentes études sur les régimes de sanctions, deux courants se
distinguent clairement. L’historiographie française tend à être beaucoup plus pessimiste sur
leur efficacité que l’est, par exemple, l’historiographie britannique ou encore américaine.
Dans une entrevue accordée au journal Le Monde en 2011, le chercheur et professeur
7
Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales à l’Institut d’Études Politiques de
Paris, expose les principaux problèmes des régimes de sanctions contemporains. Ses
explications résument bien le sentiment général des chercheurs français quant aux facteurs
favorisant l’échec des régimes, le plus important étant les nombreux échanges
internationaux. « Le grand problème tient au fait que la mondialisation enlève une partie de
son efficacité au régime des sanctions, et donc risque de le conduire d'autant plus à l'échec.
[…] La mondialisation offre une palette beaucoup plus large de substitutions : lorsqu'un
groupe d'États sanctionne un gouvernement déviant, celui-ci peut trouver dans l'extrême
variété des autres États des moyens de compenser la pression ou la privation dont il est
victime. La Chine, en particulier, excelle dans l'accomplissement de ce rôle de
substitution. »20
Ce point de vue est également partagé par Fanny Coulomb et Sylvie Matelly qui
soutiennent que « la mondialisation, en amplifiant la dépendance au commerce mondial,
tant au niveau des approvisionnements que des débouchés, limite le potentiel dissuasif de
l’arme économique. […] La mondialisation démultiplie les flux financiers et commerciaux,
les rendant de facto plus complexes à identifier et, a fortiori, à contrôler. Le respect des
sanctions économiques devient ainsi plus difficile à contrôler et les possibilités de les
contourner, y compris pour des acteurs économiques originaires du pays les imposant, sont
plus nombreuses. »21
Bastien Nivet estime quant à lui que « les sanctions internationales de
l’UE confirment que l’action internationale de l’Union répond parfois autant à une volonté
d’exister, de se faire reconnaître comme acteur porteur d’une identité incarnée par des
valeurs et principes spécifiques, qu’à une volonté de transformer son environnement
stratégique. Souvent peu efficaces, parfois coûteuses parce que suscitant des représailles,
elles permettent néanmoins de coaliser les États membres sur une question donnée, de
mettre en avant l’existence d’une vision et d’une action commune de leur part, de faire
reconnaître que l’UE existe. »22
Tim Niblock renforce cette position en soutenant que
souvent, les sanctions ont comme effet contre-productif de renforcer le régime sanctionné
plutôt que de l’affaiblir. Ce postulat s’applique davantage lorsque la population est
20
Le Monde, « Bertrand Badie : La sanction internationale est plus associée à la puissance qu’au consensus »,
Le Monde, 16 décembre 2011 21
Op. Cit. Fanny Coulomb, Sylvie Matelly, p. 108 22
Op. Cit. Bastien Nivet, p. 138
8
dépendante de son gouvernement, notamment dans des domaines comme
l’approvisionnement alimentaire ou en eau potable. Il est alors impossible pour la société
civile de se positionner contre son gouvernement ce qui minimise l’effet recherché par des
sanctions économiques.23
Les chercheurs anglo-saxons estiment quant à eux qu’un régime de sanctions a de
meilleures chances de réussir si les objectifs demeurent plutôt modestes. Cinq types
d’objectifs sont ainsi dégagés de ces études :
Des changements modestes dans la politique (droits humains, persécutions
religieuses, soutien au terrorisme avant le 11 septembre)
Un changement de régime et de politique
L’arrêt d’aventures militaires
La réduction du potentiel militaire du pays cible (typiquement, les armes de
destruction massive)
D’autres changements politiques majeurs (retrait d’un territoire occupé, changement
d’alliance)24
Au même titre que les chercheurs français, l’historiographie anglo-saxonne demeure
toutefois très critique quant à l’efficacité des sanctions. La tendance générale expose
d’ailleurs certains facteurs, qui sont souvent hors de contrôle pour l’État ou l’entité
sanctionneur, qui peuvent limiter ou entraver totalement la réussite des sanctions. Les
principaux étant la dissidence entre les États sanctionneurs (s’ils sont plusieurs), les alliés
de l’État sanctionné qui peuvent fournir une aide ou un marché alternatif dans le cas de
sanctions économiques et finalement, le phénomène de ralliement de la société civile
derrière les autorités en place.25
D’une manière plus générale, l’historiographie sur les sanctions révèle un plus grand
optimisme avant les années 1990, même si les études des années 1960 et 1970 concluent
23
Op. Cit. Tim Niblock, p. 106-107 24
Eurocrise Agence d’Intelligence Stratégique, Étude Prospective et Stratégique n°2014-10 : Pertinence des
sanctions / rétorsions au XXIème
siècle : Mutations, objectifs et moyens, Paris, 29 avril 2015, p. 13 25
Ibid, p. 75
9
que les sanctions ne sont jamais aussi efficaces qu’une intervention militaire.26
La première
étude, qui se veut exhaustive, sur les régimes de sanctions est rédigée par Gary Hufbauer,
Jeffrey Schott et Kimberly Ann Elliot, est publiée en 1985 puis rééditée en 1990. Dans cette
étude, ils répertorient 115 régimes de sanctions différents entre 1914 et 1990. Ils concluent
au succès de 40 d’entre eux pour un taux de réussite avoisinant les 40 %.27
Ces conclusions
seront toutefois très contestées, notamment par le professeur et chercheur universitaire en
science politique Robert A. Pape, qui multiplie les études et les articles démontrant que les
résultats des régimes de sanctions sont toujours beaucoup plus incertains et que même si les
sanctions ont un impact direct sur l’économie du pays sanctionné, très peu de régimes
atteignent leur objectif premier qui est de mener à des changements politiques.28
Pour David Baldwin, également professeur et docteur en sciences politiques, il n’y a pas de
théorie établie pour définir l’efficacité d’un régime de sanctions. Selon lui, si des sanctions
atteignent considérablement l’économie de l’État paria, même si elles ne mènent pas à des
changements politiques directs, elles devraient être considérées comme réussies.29
Baldwin
souligne que L’efficacité est subjective, que sa définition à lui est beaucoup plus nuancée
que la définition de son collègue Robert Pape par exemple. Elizabeth Rogers, associée du
Programme pour la Sécurité Internationale à la Harvard Kennedy School soutient
également que même si les sanctions ne permettent pas de mettre fin à une guerre où
d’obtenir de réelles concessions politiques dans la majorité des cas, elles permettent
néanmoins d’atteindre certains buts plus modestes. Les sanctions sont beaucoup plus
efficaces pour contenir un conflit que pour en prévenir.30
Plusieurs études suivant celle de
Baldwin vont aussi dans le même sens, arguant que les régimes de sanctions atteignent
toujours certains objectifs plus modestes non négligeables et que bien qu’il est difficile
d’affirmer que les sanctions sont toujours déterminantes, elles n’en demeurent pas moins
26
Robert A. Pape, « Why economic sanctions do not work », International Security, Automne 1997, Vol. 22
N° 2, p. 91 27
Ibid, p. 92 28
Ibid, p. 93 29
David A. Baldwin, Robert A. Pape, « Evaluation Economic Sanctions », International Security,
Automne 1998, Vol. 23 N° 2, p. 196 30
Elizabeth S. Rogers « Using economic sanctions to control regional conflicts », Security Studies, 1996,
Vol. 5 N°4, p. 44
10
importantes dans la majorité des cas.31
Plusieurs études soulignent également que
l’historiographie concernant les sanctions s’intéresse uniquement aux cas où elles ont été
appliquées alors que les cas où certains États ont été menacés par des sanctions qui auraient
pu être extrêmement dommageables ne sont jamais étudiés. Plusieurs études omettent de
prendre en compte les cas où les pays ont été menacés de sanctions et que la menace a été
suffisante pour changer leur comportement sans avoir besoin d’imposer des sanctions.
Selon Daniel Drezner, la menace doit compter comme un succès des sanctions.32
La guerre d’Afghanistan
L’Historiographie portant sur la guerre d’Afghanistan et le régime de sanctions qui en
découla est également très dense. L’invasion soviétique en Afghanistan a été largement
analysée, notamment par des études s’intéressant à la Guerre froide en général. À cet effet,
les ouvrages de Raymond L. Garthoff, John Lewis Gaddis, Pierre Grosser, Éric Bachelier et
Jacques Lévesque comptent parmi les piliers de cette historiographie.33
Il est également
possible d’étudier cette campagne à travers les revues scientifiques portant spécifiquement
sur la Guerre froide, comme Cold War History, Journal of Cold War Studies, et Cold War
International History Project.
31
À cet égard, consultez notamment Dean Lacy, Emerson M. S. Niou, « A theory of economic sanctions and
issue linkage : The roles of preferences, information, and threats », Journal of Politics, février 2004, Vol. 66
N°1, p. 25 à 42, Peter A. G. Van Bergeijk, « Success and failure of economic sanctions », Kyklos, 1989,
Vol. 42, N°3, p. 385 à 404, A. Cooper Drury, « Revisiting ‘Economic Sanctions Reconsidered’ », Journal of
Peace Research, Juillet 1998 Vol. 35 N°4, p. 497 à 509, Bruce Bueno de Mesquita, James D. Morrow,
Randolph M. Siverson, Alastair Smith, « An institutional explanation for the democratic peace », American
Political Science Review, Décembre 1999, Vol. 93 N°4, p. 791 à 807 32
Daniel W. Drezner, « Outside the box : Explaining sanctions in pursuit of foreign economic goals »,
International Interactions, 2001, Vol. 26 N°4, p. 379 à 410, voir également San Ling Lam, « Economic
sanctions and the success of foreign policy goals : A critical evaluation », Japan and the World Economy
2 Septembre 1990, Vol.2 N°3, p. 239 à 248 33
Consultez notamment Raymond L. Garthoff, Détente and Confrontation, American-Soviet Relations from
Nixon to Reagan, The Brookings Institution, Waghington D.C. 1994, 1206 pages, John Lewis Gaddis, We
Now Know. Rethinking Cold War History, Clarendon Press, Oxford, 1997, 425 pages, Pierre Grosser, Les
temps de la guerre froide : réflexions sur l'histoire de la guerre froide et sur les causes de sa fin, Éditions
Complexes, Bruxelles, 1995, 465 pages, Jacques Lévesque, L’URSS en Afghanistan, De l’invasion au retrait,
Éditions Complexe, Bruxelles, 1990, 282 pages et Éric Bachelier, L’Afghanistan en guerre, la fin du grand
jeu soviétique, Presses Universitaires de Lyon, coll. Conflits contemporains, Lyon, 1992, 135 pages
11
Certains auteurs se concentrent aussi plus spécifiquement sur la Guerre froide dans le tiers-
monde, en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient.34
Les campagnes dans le tiers-
monde sont généralement présentées comme étant de moindre importance pour l’issu final
du conflit. Globalement, l’objectif de ces campagnes était de démontrer sa puissance et son
influence géopolitique sur l’échiquier mondial. L’URSS et les États-Unis soutenaient et
exacerbaient des crises en y envoyant du matériel militaire, des armes et des fonds. La
campagne d’Afghanistan est toutefois présentée comme la plus importante puisque les
Soviétiques sont intervenus directement avec leurs forces armées.35
Il s’agit d’un
changement de politique important qui déstabilise les alliés occidentaux et qui pousse les
États-Unis à réagir vigoureusement.
Dans l’historiographie sur la Guerre froide, l’invasion soviétique de l’Afghanistan apparait
comme étant l’événement marquant la fin de la détente instaurée graduellement dans les
années 1960.36
Les nombreuses analyses portant sur le régime de sanctions qui suivi cette
intervention soulignent l’insatisfaction européenne par rapport aux décisions américaines.
Au centre des préoccupations européennes, on retrouve l’ingérence américaine dans leur
commerce avec l’URSS et dans l’établissement de nouvelles relations économiques.37
La
situation géopolitique de l’Europe de l’Ouest, différente de celle des États-Unis, rend les
négociations entourant les sanctions beaucoup plus laborieuses. En raison de plusieurs
difficultés analysées notamment dans le chapitre 1 de notre mémoire, la majorité des études
sur le régime de sanctions imposé à l’URSS à la suite de l’invasion de l’Afghanistan,
concluent à un échec de ce régime de sanctions.
34
Notons ici l’ouvrage de Robert J. McMahon, The Cold War in the Third World, Oxford Unviersity Press,
Oxford, 2013, 256 pages et celui de Artemy Kalinovsky, Sergey Radchenko, The End of the Cold War and
the Third World, New Perspectives on Regional Conflict, Routledge, Londres, 2011, 328 pages 35
Frederico Romero, Cold War historiography at the crossroads », Cold War History, 2014, Vol.14 N°4, p.15 36
Fait souligné par des auteurs comme Dale C. Copeland, « Trade expectations and the outbreak of peace :
Détente 1970-74 and the end of the Cold War 1985-91 » Security Studies, 1999, Vol. 9 N°1-2, p.15 à 58 ou
Jerzy Pawlowicz, « The concept of détente and peaceful coexistance » World Futures, 1988, Vol. 24 N°1-4,
p.135 à 157 37
À ce sujet, lire notamment Patrizio Merciai, « The Euro-Siberian Gas Pipeline Dispute – A Compelling
Case for the Adoption of Jurisdictional Codes of Conduct », Maryland Journal of International Law, 1984,
Vol. 8 N°1, 52 pages, Hubert Bonin, « Business interests versus geopolitics: The case of the Siberian pipeline
in the 1980s », Business History, 2007, Vol. 49 N°2, p.235 à 254, Ed A. Hewett, The Pipeline Connection :
Issues for the Alliance, The Brookings Review, Automne 1982, Vol. 1 N°1, p.15 à 20, Gary H. Perlow,
« Taking Peacetime Trade Sanctions to the Limit : The Soviet Pipeline Embargo », Case Western Reserve
Journal of International Law, 1983, Vol. 15, N°2, p.253 à 272, 37
Stanley Hoffman, « L’Europe et les États-
Unis, entre la discorde et l’harmonie », Politique étrangère, 1981, N°3, p.553 à 567
12
Les relations russo-ukrainiennes
Toutes les études portant sur les relations entre l’Ukraine et la Russie soulignent la tension
entre les deux pays qui marque profondément les relations après l’indépendance de
l’Ukraine en 1991. Néanmoins, on remarque que dans les premières années, les deux États
tentent de régler leurs différends concernant notamment le statut de la flotte de la mer Noire
et les armes nucléaires soviétiques sur le sol ukrainien par les moyens pacifiques.38
Sous la
présidence de Boris Eltsine, on distingue des efforts venant de la Russie pour normaliser les
relations avec l’Ukraine et tous ses voisins alors que des crises internes, en Tchétchénie
particulièrement, occupent la Russie.39
Paul Kubicek définira la politique étrangère russe
comme imprévisible au lendemain de la dissolution de l’URSS. Tantôt le gouvernement
russe semble désireux de se rapprocher de ses homologues européens, tantôt il préfère
confronter les Occidentaux quant à sa sphère d’influence en Europe de l’Est.40
Entre 1999
et 2004, plusieurs chercheurs s’intéressent à l’attention de plus en plus grande portée par le
Kremlin envers son étranger proche. Oles Smolansky et John Dunlop soulignent que cet
intérêt renouvelé pour les États de l’ex-URSS coïncide avec l’arrivée au pouvoir du
nouveau président Vladimir Poutine.41
Les recherches portant sur cette période étudient
avec inquiétude l’ingérence politique de plus en plus grande de la Russie vis-à-vis de son
voisin ukrainien.42
Entre 2004 et 2010, l’historiographie se concentre beaucoup sur la Révolution orange de
2004 et le gouvernement élu par la suite. Deux courants se distinguent alors; plusieurs
études se concentrent uniquement sur la Révolution orange43
, les causes ayant mené à ce
38
Anne de Tinguy, L’Ukraine, nouvel acteur du jeu international, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 9 39
Gwendolyn Sasse, James Hughes, « Power ideas and conflict : ideology, linkage and leverage in Crimea
and Chechnya », East European Politics, 2016, Vol. 32 N°3, p. 318 40
Paul Kubicek « Russian Foreign Policy and the West », Political Science Quarterly, Vol. 114, N°. 4 (Hiver,
1999-2000), p. 547 41
Oles M. Smolansky « Ukraine and Russia : An Evolving Marriage of Incovenience », Foreign Policy
Research Institute, Hiver 2004, p. 119 42
John B. Dunlop, « Reintegrating Post-Soviet Space » Journal of Democracy, Juillet 2000, Vol. 11 N°3,
p. 39 43
Voir notamment Paul D’Anieri, et all. Orange Revolution and Aftermath : Mobilization, Apathy, and the
State in Ukraine, Woodrow Wilson Center Press, Washington D.C., 2010, 316 pages, Taras Kuzio, « Russian
Policy toward Ukraine during Elections », Demokratizatsiya, automne 2005, Vol. 13 N° 4, p. 491 à 517,
James Sherr, « La Révolution orange : un défi pour l’Ukraine, la Russie et l’Europe », Politique étangère,
Printemps 2005, N°1, p. 9 à 20, Michal Mc Faul, « Ukraine Imports Democracy : External Influences on the
Orange Revolution », International Security, 2007, Vol. 32 N°2, p. 45 à 83
13
soulèvement de la société civile ainsi que les conséquences, alors que d’autres chercheurs
tentent d’expliquer cette révolution dans un mouvement plus grand des sociétés civiles qui
se lèvent contre l’ingérence russe ou contre leur gouvernement un peu partout dans les États
de l’ex-URSS.44
Le gouvernement issu de la Révolution orange est très souvent jugé et
critiqué sévèrement. Dans les études les plus récentes, plusieurs spécialistes soutiennent
que l’échec de ce gouvernement a mené à l’élection de Viktor Ianoukovitch et à l’ingérence
grandissante du Kremlin dans l’économie et la politique ukrainienne.45
Cette période est
marquée par de nombreux conflits entre les gouvernements russes et ukrainiens, plusieurs
chercheurs et plusieurs journalistes soulignent dans leurs études et dans leurs articles
notamment les guerres du gaz et les fois où l’Union européenne a dû s’en mêler.46
Les relations se normalisent légèrement sous Ianoukovitch, quoique aucun spécialiste ne
dépeint cette période comme bénéfique pour l’Ukraine. Les manifestations éclatant à la fin
de l’année 2013 amènent les chercheurs à se détourner de l’économie et de la politique pour
se concentrer davantage sur la société civile.47
On analyse ce mouvement civique comme
étant le plus important depuis la Révolution orange, alors que plusieurs études tentent
d’analyser et de comparer les deux mouvements entre eux.48
Depuis le début de la crise en
Ukraine, les études sur les relations entre l’Ukraine et la Russie depuis la désintégration de
l’URSS se multiplient, elles analysent la crise comme étant une continuité et un
aboutissement de mauvaises relations et d’ingérence grandissante d’un voisin très puissant
44
Voir notamment Theodor Tudoroiu, « Rose, Orange, and Tulip : The failed post-Soviet revolutions »,
Communist and Post-Communist Studies, 2007, Vol. 40, p. 315 à 342 45
Concernant le gouvernement de la Révolution orange et le gouvernement Ianoukovitch : Andrew Wilson,
Ukraine Crisis, What it means for the West, Yale University Press, Londres, 2014, 236 pages, Rajan Menon,
Eugene Rumer, Conflict in Ukraine, The unwinding of the Post-Cold War Order, Cambridge, The MIT Press,
2015, 220 pages, Maria Raquel Freire, Roger E. Kenet Russia and it’s Near Neighbours : identity, interests
and foreign policy, Palgrave Macmillan, New York, 2012, 295 pages Serhy Yekelchyk, The Conflit in
Ukraine – What everyone need to know, Oxford University Press, New York, 2015, 186 pages 46
Anne Applebaum « Playing Politics with Pipelines », The Washington Post, 4 janvier 2006 47
Voir notamment Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, L’Ukraine : Entre déchirements et
recompositions, L’Harmattan, Paris, 2015, 211 pages, Galia Ackerman, « Ukraine : les arrières pensées de
Moscou », Politique Internationale, Été 2014, N° 144, Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, Ukraine Between
the EU and Russia, The Integration Challenge, Palgrave Macmillan, New York, 2015, p. 87, Marples,
Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil Revolution, Ibidem Press, Stuttgart,
2015, 292 pages, Andriy Portnov, Tetiana Portnova, « The Ukrainian ‘‘Eurorevolution’’ Dynamics and
Meaning » in Viktor Stepanenko, Yaroslav Pylynskyi (eds), Ukraine after the Euromaidan, Challenges and
hopes, Peter Lang, Berne, 2015, 271 pages 48
Olga Onuch, « Maidans Past and Present : Comparing the Orange Revolution and the Euromaidan » in
David R. Marples, Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil Revolution, Ibidem
Press, Stuttgart, 2015, 292 pages
14
dans la politique ukrainienne. Ces dernières études offrent également une base pour notre
analyse des sanctions. Quelques chercheurs incluent un chapitre ou une section à l’analyse
des sanctions, mais cette historiographie est encore légère puisque les sanctions sont tout de
même récentes et la situation toujours en évolution.49
Cette historiographie est absolument
essentielle à notre analyse, car comme les dernières études, notre analyse perçoit la crise en
Ukraine et les sanctions contre la Russie comme une continuité et un aboutissement des
relations russo-ukrainiennes depuis les années 1990.
Corpus de sources
Le corpus utilisé pour notre mémoire se composera de quatre différents types de sources
qui sont complémentaires. Le premier type de sources se trouve à la base de l’analyse. Il
s’agit des documents officiels des organisations internationales; de l’Union européenne et
de l’ONU. Nous utiliserons également beaucoup de statistiques, particulièrement pour le
dernier chapitre où nous tenterons de dégager l’impact des sanctions sur l’économie russe.
Nous utiliserons également des articles de presse, principalement de la presse américaine,
britannique et française. La dernière partie de notre corpus sera composée de sources
publiées, c’est-à-dire de mémoires, de discours et de communiqués de différents hommes
politiques.
Les documents officiels
Les organisations internationales ont dénoncé l’agression armée de la Russie dès son
premier jour. Elles se sont impliquées pour régler le conflit dès le début et rendent
disponibles non seulement un compte rendu de l’évolution de la crise, mais également de
leurs décisions ainsi que des sommets qui se tiennent entre les différents États occidentaux
au sujet du conflit. L’Union européenne a mis en ligne tous les documents concernant ses
décisions par rapport à la crise ainsi que les rapports de toutes les rencontres des différents
49
Voir Andrew Wilson, Ukraine Crisis, What it means for the West, Yale University Press, Londres, 2014,
236 pages, Serhy Yekelchyk, The Conflit in Ukraine – What everyone need to know, Oxford University Press,
New York, 2015, 186 pages, Richard Sakwa, Frontline Ukraine Crisis in the Borderlands, I.B. Tauris,
Londres, 2015, 297 pages, Frédérick Lavoie, Ukraine à Fragmentation, Éditions la Peuplade, Chicoutimi,
2015, 251 pages, Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, Ukraine Between the EU and Russia, The Integration
Challenge, Palgrave Macmillan, New York, 2015, 148 pages
15
comités.50
L’OTAN quant à elle n’a pris aucune décision, mais elle encourage tous ses
membres à aligner leurs politiques sur celles de l’Union européenne. Les États ne faisant
pas partie de l’UE, c’est-à-dire le Canada et les États-Unis, ont, quant à eux, pris leurs
propres mesures, et les sanctions appliquées par ces deux pays demeurent en vigueur
jusqu’à ce qu’un changement drastique du comportement de la Russie s’effectue. À défaut
d’adopter des mesures au nom de tous ses membres, l’OTAN va publier des articles ainsi
que des statistiques afin d’évaluer la portée et les impacts des sanctions, adoptées par ses
membres européens et américains depuis 2014, sur l’économie russe.51
Au sein de l’Union européenne, les décisions concernant les sanctions sont prises par le
Conseil de l’Union européenne, qui est un organe exécutif, législatif, ainsi que l’un des
organes les plus importants de l’Union. Deux autres conseils élaborent des projets de
sanctions avant de les soumettre au Conseil de l’Union européenne. Il s’agit du Conseil des
affaires étrangères qui rassemble les ministres des Affaires étrangères de tous les États
membres de l’Union européenne, ainsi que du Conseil européen qui rassemble les chefs
d’état des États membres. Le Conseil européen n’est pas un organe législatif ou exécutif, il
s’occupe cependant de l’orientation des politiques de l’Union européenne et suggère parfois
des projets au Conseil de l’Union européenne. Le Conseil des affaires étrangères fait quant
à lui partie d’un des dix comités du Conseil de l’Union européenne. Gérer la politique
étrangère, la défense, et la sécurité de l’Union sont d’ailleurs des objectifs de ce comité.
Comme il n’y a pas de hiérarchie parmi les différents comités du Conseil de l’Union
européenne, le Conseil des affaires étrangères peut adopter des résolutions au nom du
Conseil, notamment en ce qui a trait aux sanctions vis-à-vis d’un État.52
Ces documents composent le point de départ de notre recherche. Dans ces documents, nous
retrouvons l’ensemble des sanctions et le calendrier de leur application. Ils remplissent une
fonction utilitaire essentielle, mais ne feront pas l’objet d’une analyse plus poussée. Cette
partie du corpus ne permet pas une analyse complète, mais permet néanmoins de répondre
50
Les documents sont tous disponibles sur le site internet de l’Union européenne. Consultez notamment le
site suivant pour la liste exhaustive des mesures et des sanctions prises par l’UE au sujet de la crise en
Ukraine. http://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/ukraine-crisis/history-ukraine-crisis/ 51
OTAN, Annexion de la Crimée : les sanctions sont-elles efficaces? 13 juillet 2015,
http://www.nato.int/docu/review/2015/Russia/sanctions-after-crimea-have-they-worked/FR/index.htm 52
Voir Annexe I - organigramme des institutions consultatives, législatives et exécutives de l’Union
européenne
16
partiellement à notre question de recherche. Dans quelle mesure pouvons-nous évaluer
l’efficacité d’une sanction uniquement en nous basant sur les décisions? Dans le cas qui
nous concerne, l’évolution des sanctions depuis les deux dernières années permet de
comprendre que les premières n’ont pas eu les résultats escomptés. En effet, les sanctions
imposées initialement étaient davantage diplomatiques et symboliques.53
Cependant, à
partir des mois de juillet et d’aout 2014, les sanctions se diversifient, ciblent davantage
l’économie, touchent de plus en plus de personnes et d’entités, et deviennent de plus en
plus intransigeantes. L’exportation d’armes, de matériel militaire, et de technologies
pouvant servir au développement du secteur de l’énergie – les hydrocarbures
principalement – est notamment interdite. Les investissements étrangers dans ces domaines
clés sont également prohibés.54
Les statistiques
Les statistiques seront à la base de l’analyse portant sur l’efficacité des sanctions.
Principalement utilisées dans le dernier chapitre, les données des organisations
internationales dont nous nous servirons sont tirées d’Eurostat, l’Office statistique de
l’Union européenne, de la United Nations Statistics Division de l’ONU, ainsi que de la
Banque mondiale. Nous aurons également recours aux données de Statistique Canada, du
State Statistics Service of Ukraine et de la Banque centrale de Russie. Ces statistiques nous
permettront d’avoir un portrait global des secteurs de l’économie russe touchés par les
sanctions. Nous nous intéresserons particulièrement aux investissements étrangers55
des
différents États de l’Union européenne en Russie ainsi que certains alliés comme le Canada
et les États-Unis. Nous serons alors en mesure de calculer les pertes subies par la Russie
depuis le début de la crise et des sanctions. Les données de l’ONU nous permettront quant à
elles de calculer les sommes perdues à la suite de la chute du cours du pétrole. L’économie
russe ne doit actuellement pas faire face uniquement à un régime de sanctions, mais
53
Voir entre autres Ria Novosti, APCE : la Russie privée de son droit de vote, 10 avril 2014
http://fr.ria.ru/world/20140410/200945008.html et Ria Novosti, Pologne : le chef du Bureau de sécurité
nationale annule sa visite en Russie, 4 avril 2014 http://fr.ria.ru/world/20140404/200909023.html 54
Conseil de l’Union européenne, Mesures restrictives de l'UE eu égard à la situation dans l'est de l'Ukraine
et à l'annexion illégale de la Crimée, Bruxelles, 29 juillet 2014 55
Nous utiliserons les investissements étrangers directs pour connaitre les valeurs totales investies par chaque
État dans différents secteurs de l’économie russe ainsi que les variations depuis le début de la crise par rapport
aux investissements avant la crise. Les données les plus récentes sont celles de 2015.
17
également à la chute des prix des hydrocarbures qui représentent plus de 65 % des
exportations.56
En ce qui a trait aux exportations d’armes et aux revenus générés par ce
secteur, nous utiliserons les données du Stockholm International Peace Research Institute
(SIPRI), un institut international indépendant qui concentre ses recherches sur les conflits,
l’armement et le désarmement. Ces données nous permettront de connaitre les acheteurs
d’armes et de technologies militaires russes, ainsi que les gains générés par ce commerce.
Un autre type de statistiques sera également utilisé pour tenter d’analyser les positions de la
société civile russe et ukrainienne. Les centres de recherches indépendants comme le
Levada Center de Moscou et le Razumkov Center de Kiev sondent souvent l’opinion
publique quant aux évènements ou aux décisions politiques. Ces données permettent de
connaitre l’opinion de la société civile russe par rapport aux sanctions, au conflit en
Ukraine de l’Est, à l’annexion de la Crimée, à la situation économique, et à sa satisfaction
globale à l’égard de son gouvernement. Nous utiliserons ces données particulièrement dans
le dernier chapitre pour analyser la réaction des sociétés civiles russes et ukrainiennes et les
impacts qu’elles peuvent avoir sur le pouvoir politique en place et le succès des sanctions.
Les journaux
La troisième partie de notre corpus sera composée de journaux américains, français, et
britanniques. La production journalistique est plus qu’abondante et c’est pour cette raison
que nous nous concentrons principalement sur les grands quotidiens ainsi que certains
auteurs. Le premier journal utilisé sera le New York Times. Grâce à sa place importante
dans la ville cosmopolite qu’est New York, la demande pour les nouvelles internationales
est de plus en plus importante après la Première Guerre mondiale. En plus d’être parmi les
plus grands périodiques américains, les nouvelles internationales occupent une place
importante depuis cette période de l’entre-deux-guerres. Le second journal sera le
Washington Post. Nous nous intéressons principalement aux articles d’Anne Applebaum,
journaliste spécialiste de l’Europe de l’Est et du monde communiste. Nous utiliserons
également des grands quotidiens français, essentiellement Le Monde et le Figaro. Dans Le
Monde, les dossiers spécialisés du Monde Économie sont particulièrement intéressants
56
United Nations Conference on Trade and Development, General Profil : Russian Federation, Informations
for 2015, 9 décembre 2016, http://unctadstat.unctad.org
18
quand ils analysent brièvement l’évolution de l’économie russe depuis le début de
l’application des sanctions en 2014.
Les sources publiées
Finalement, nous utiliserons également des sources publiées, principalement des mémoires
et des discours. Pour le premier chapitre de notre étude, nous utiliserons les mémoires du
président Jimmy Carter, du conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski et du
secrétaire d’État Cyrus Vance pour connaitre et analyser la position américaine par rapport
aux sanctions post-Afghanistan. Nous utiliserons également les mémoires d’Helmut
Schmidt et de quelques hommes politiques britanniques pour avoir le point de vue européen
sur la question. Nous utiliserons également quelques discours de Jimmy Carter pour ce
même chapitre. En ce qui concerne les sections concernant l’Ukraine, nous utiliserons les
discours de Valdimir Poutine lui-même ainsi que des hommes politiques russes au pouvoir.
Les mémoires ont tous été publiés en français ou en anglais, alors que les discours sont tous
disponibles en ligne, principalement en anglais.
Méthodologie
La méthode privilégiée pour répondre à notre problématique fut l’analyse quantitative.
Cette méthode nous permet d’obtenir des données statistiques qui seront à la base de notre
analyse. Ces données permettent d’appuyer notre analyse et de conclure à certains faits. Il
va de soi que l’analyse va bien au-delà des chiffres tirés des statistiques, ils serviront à
confirmer ou à infirmer l’impact espéré des sanctions sur l’économie russe. Dans tous les
cas, ils permettront de connaitre la portée réelle d’une sanction et ses limites.57
L’analyse
quantitative sera utilisée principalement dans le dernier chapitre dédié entièrement à
l’analyse des sanctions. Pour l’élaboration des trois premiers chapitres, la méthode retenue
fut toutefois l’analyse de contenu. Cette méthode prétend analyser le contenu de nos
références et de nos sources dans la plus grande objectivité pour rendre une analyse
impartiale et juste.58
57
Olivier Martin, « Analyse quantitative », in Paugam Serge (dir.), Les 100 mots de la sociologie, Paris,
Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? »,109 pages 58
Marc Alain Descamps, l’Analyse de contenu, page consultée le 28 mars 2017,
http://www.europsy.org/marc-alain/analysecontenu.html
19
Notre analyse se base d’abord sur une historiographie scientifique complète portant sur les
sanctions économiques comme instrument de diplomatie, mais également sur un cas
particulier de sanctions imposées contre l’URSS après la violation de l’intégrité territoriale
de l’Afghanistan en 1979. Le régime de sanctions imposé par les États-Unis après cette
invasion nous permettra de comparer ce régime avec celui actuellement en place contre la
Russie. Nous baserons notre analyse autour des facteurs qui ont limité l’impact de ces
sanctions ainsi que les moyens pris par l’Union soviétique pour minimiser le plus possible
leurs effets.
Une part importante de notre analyse est basée sur des statistiques économiques provenant
de plusieurs bases de données. L’élaboration de tableaux permet quand à elle une analyse
plus facile pour l’ensemble des données. Nous avons d’abord sélectionné les
investissements étrangers des États de l’Union européenne, des États-Unis et du Canada.
Nous avons dressé un tableau pour connaitre la différence dans les investissements
étrangers, avant et depuis l’imposition des sanctions. Nous avons également dressé des
tableaux afin d’analyser le commerce des armes et du matériel militaire entre la Russie et
d’autres États, avant et depuis l’imposition des sanctions. Pour ces tableaux, nous avons eu
recours aux données du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) ainsi que
du United Nations Commodity Trade Statistics Database. Les données de l’ONU ont
également servi à l’élaboration des tableaux sur les importations et les exportations de la
Russie avant et depuis l’imposition des sanctions, ainsi que pour connaitre les pertes
monétaires encourues depuis la chute du prix du baril de pétrole. Les hydrocarbures
représentent une part importante des exportations russes et les estimations budgétaires ont
été faites avec un baril se détaillant à 50 $ USD alors que depuis quelques années, le baril
de pétrole varie entre 30 $ USD et 50 $ USD. Pour connaitre le réel impact des sanctions, il
est donc primordial de différencier les pertes encourues en raison des sanctions et les pertes
encourues en raison de la chute du prix du baril de pétrole. Nous avons également suivi le
cours du rouble depuis 2013 et suivi sa dévaluation depuis le début des sanctions, ainsi que
le cours de l’inflation et du chômage à l’aide des données de la Banque mondiale et du
Fonds monétaire international. Ces statistiques sont également disponibles via la Banque
centrale de la Fédération de Russie, mais les données diffèrent. Une partie de notre analyse
20
se concentrera sur ces différences, mais nous utiliserons principalement les statistiques des
organisations internationales, comme certains pays – la Grèce ou encore l’Italie – ont par le
passé embelli leurs états financiers.59
Plan du mémoire
Afin de répondre à notre problématique s’intéressant à l’efficacité des sanctions imposées à
la Russie par l’Union européenne en raison de la crise en Ukraine, nous élaborerons notre
argument en quatre chapitres. Le premier chapitre se concentrera sur le régime de sanctions
imposé à l’URSS à la suite de l’invasion de l’Afghanistan au mois de décembre 1979. Nous
débuterons par une contextualisation de l’invasion de l’Afghanistan. Nous analyserons par
la suite la réaction de la communauté internationale et la condamnation de l’invasion par les
Nations Unies. En comparaison, nous analyserons la réaction des États-Unis sous la
présidence de Jimmy Carter ainsi que les différents points de vue des hommes politiques
américains. Par la suite, nous nous intéresserons à la mise en place du régime des sanctions
et aux problèmes rencontrés dès l’application de ces sanctions. Nous terminerons par
l’analyse de la communauté européenne ainsi que son implication dans l’application des
sanctions. Finalement, la conclusion portera sur le résultat des sanctions ainsi que sur la fin
du conflit.
Dans le deuxième chapitre, nous nous intéresserons aux relations entre la Russie et
l’Ukraine, de 1991 à 2013. La première partie portera sur les relations entre les deux États
sous la présidence de Boris Eltsine, sur les différends concernant la dépendance
économique de Kiev vis-à-vis de Moscou, le statut de la flotte de la mer Noire stationnée à
Sébastopol, le transfert des armes soviétiques sur le territoire ukrainien vers la Russie ainsi
que le mouvement indépendantiste de Crimée. Nous poursuivrons ensuite sur l’évolution
des relations lors de l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine ainsi que lors de son premier
mandat qui se soldera par la Révolution orange en 2004 et la manifestation évidente du
mécontentement de la société civile ukrainienne quant à l’ingérence russe dans le processus
électoral. Dans la dernière partie, nous analyserons les complications rencontrées par le
59
Claire Gatinois, Marion Van Renterghem, « La Grèce au bal des hypocrites », Le Monde, 19 février 2010
21
président Poutine avec le gouvernement issu de la Révolution orange, dont l’échec mènera
ultimement Viktor Ianoukovitch à la présidence en 2010. Les relations demeureront
tendues, malgré l’éloignement de l’Ukraine des organisations internationales occidentales.
Nous terminerons par l’analyse de la présidence de Ianoukovitch, notamment sur ses
nombreuses erreurs qui mènent aux manifestations sur le Maïdan qui débutent en
novembre 2013.
Le troisième chapitre portera spécifiquement sur la période allant du mois de
novembre 2013 à 2017. Dans un premier temps, nous expliquerons comment le sommet de
Vilnius agit comme élément déclencheur et comme catalyseur pour le soulèvement de la
société civile. Par la suite, nous nous attarderons au mouvement du Maïdan, sa constitution,
ses revendications, et son passage de manifestations pacifiques à mouvement engagé et aux
affrontements armés. Nous analyserons ensuite la crise de manière chronologique, les
réactions du gouvernement Ianoukovitch face au mouvement Maïdan, la destitution du
président et sa fuite vers la Russie, l’invasion de la Crimée par les soldats russes, sa
déclaration d’indépendance, et son annexion par la Russie. Nous poursuivrons notre
analyse avec les évènements en Ukraine de l’Est, le début des manifestations, l’appui
militaire et matériel russe, l’attaque du vol de la Malaysia Airlines, ainsi que les réactions
de la communauté internationale. Nous terminerons en comparant les situations en Crimée
et dans l’est du pays et en analysant les objectifs de la Russie dans ce genre de conflit.
Dans le dernier chapitre, nous nous concentrerons sur l’élaboration, la mise en place des
sanctions par l’Union européenne ainsi que sur leurs conséquences et résultats. Nous nous
attarderons tout d’abord sur les différentes sanctions imposées ainsi que leurs effets sur
l’économie russe. Nous poursuivrons avec une analyse de l’efficacité des sanctions selon
certains facteurs principaux que nous comparerons avec l’historiographie qui nous révèle
quels sont les facteurs pouvant favoriser l’échec d’un régime de sanctions et quels sont les
facteurs pouvant favoriser le succès d’un régime de sanctions. Nous baserons notre analyse
sur les investissements étrangers, les importations et les exportations d’armes, de gaz et
d’hydrocarbure ainsi que sur certains indicateurs économiques généraux comme le PIB,
l’inflation, le chômage, le cours du rouble, etc. Nous traiterons ensuite du lobbyisme anti-
sanction au sein de l’Union européenne, ainsi que des moyens pris par la Russie pour
22
limiter le plus possible les effets négatifs des sanctions, notamment en optant pour un
tournant proasiatique dans ses politiques économiques.
23
CHAPITRE 1 – LES SANCTIONS IMPOSÉES À L’URSS APRÈS
L’INVASION D’AFGHANISTAN (1979-1988)
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe occidentale est en crise économique alors
que les Soviétiques font pression politiquement sur des États comme la Grèce et la Turquie.
Les États-Unis semblent se retirer progressivement alors que l’influence des partis
communistes grandit. Staline espère ainsi être en mesure de contrôler non seulement les
États de l’Est reconquis aux nazis, mais également les États de l’Ouest par l’entremise de
ces partis communistes.60
Il doit cependant changer de tactique lorsque les États-Unis
présentent la Doctrine Truman, par laquelle le président américain souhaite apporter une
aide économique et financière aux États d’Europe occidentale afin de maintenir la stabilité
politique et économique, permettant ainsi à ces États de résister aux poussées
expansionnistes de l’URSS. Le Plan Marshall pour le redressement économique de
l’Europe est élaboré et présenté aux États de l’Europe de l’Est, de l’Ouest ainsi qu’à
l’URSS en avril 1947.61
À peine quelques mois après l’annonce du Plan Marshall, l’URSS
élabore la Doctrine Jdanov, offrant un support économique aux États de l’Europe de l’Est,
afin d’empêcher ces États de recevoir l’aide américaine. Les dirigeants soviétiques créent
également le Kominform, une organisation internationale dont l’objectif est de contrôler et
de coordonner les politiques des partis communistes à travers le monde.62
Les premières crises de la Guerre froide ont lieu en 1948, avec le Coup de Prague et le
blocus de Berlin, alors que Staline démontre aux Occidentaux sa volonté d’étendre son
pouvoir sur les États d’Europe. En Tchécoslovaquie, après la démission massive des
députés, les dirigeants soviétiques font pression pour placer au pouvoir un gouvernement
formé de députés socialistes et communistes.63
En 1947, les alliés créent la trizone, divisant
ainsi l’Allemagne en deux. Les Soviétiques qui souhaitaient une Allemagne unie – avec un
gouvernement socialiste – s’opposent à cette idée et instaure en juin 1948 le blocus de
60
David Reynolds, The Origins of the Cold war in Europe, International perspectives, Yale University Press,
London, 1994, p. 4 61
Georges-Henri Soutu, La guerre de Cinquante Ans : Les relations Est-Ouest 1943 – 1990, Paris, Fayard,
2001, p. 164 et 176 62
Ibid, p. 183 63
Op. Cit. David Reynolds, p. 60
24
Berlin – en bloquant tous les accès routiers et ferroviaires de Berlin-Est et de Berlin-Ouest
– afin de démontrer leur opposition à cette division de l’Allemagne. Ce blocus sera
toutefois un échec, car les États-Unis et leurs alliés mettent en place un pont aérien –
opération qui coutera la vie à 73 pilotes alliés – qui permet d’approvisionner Berlin-Ouest.
Pendant les 11 mois du blocus, les alliés réussissent à transporter 2,3 millions de tonnes de
nourriture par plus de 277 500 vols. Le blocus sera levé en mai 1949 faute de résultats
concluants.64
En 1950, Staline supporte également la Corée du Nord qui s’oppose à la
Corée du Sud, soutenue par les États-Unis. Jusqu’à sa mort, il entretiendra ce projet
d’expansion en Europe, et de confrontation avec les États-Unis par l’entremise d’alliés.65
Après la mort de Staline, les nouveaux dirigeants soviétiques semblent enclins à négocier
avec les États-Unis peu réceptifs. Il s’agit d’une opportunité manquée de détendre les
relations alors que les Soviétiques entament la déstalinisation progressive de l’URSS. Dès
lors, il semble que l’Union soviétique se concentre davantage sur la défense de son glacis
de protection que sur son expansion en Europe occidentale.66
Les relations vont cependant
se dégrader à partir de 1958, lorsque Nikita Khrouchtchev, alors à la tête de l’URSS,
demande aux alliés de se retirer de Berlin-Ouest. À la suite du refus des alliés,
Khrouchtchev réitère sa demande pendant trois ans, Eisenhower, puis Kennedy refusant
toujours, l’idée d’un mur est élaborée en 1961 afin de stopper l’immigration de Berlin-Est
vers Berlin-Ouest, et le mur est érigé à partir du 13 aout de la même année.67
En 1962, les
relations se dégradent encore davantage lorsque les Soviétiques installent des missiles de
moyenne portée à Cuba. Ces missiles ayant des têtes nucléaires permettent non seulement
de défendre l’ile contre une éventuelle attaque américaine, mais ils permettent également de
rétablir l’équilibre des forces. Lors des négociations pour le retrait de ces missiles, les
dirigeants soviétiques exigent en contrepartie, le retrait des missiles américains de la
Turquie. À la suite de cette crise, les États-Unis et l’URSS décident d’installer une hotline
et d’entamer des négociations pour limiter les armes nucléaires. Les dernières années au
64
Tony Judt, Post War : A History of Europe Since 1945, New York, Pengouin Books, 2005, p.146 65
Odd Arne Westad, La guerre froide globale, Payot, Paris, 2005, p. 55 66
Vladislav Zubok, Constantine Pleshakov, « The Soviet Union » in David Reynolds, The Origins of the Cold
war in Europe, International perspectives, Yale University Press, London, 1994, p. 69 67
Op. Cit. Tony Judt, p. 251
25
pouvoir de Khrouchtchev sont caractérisées par l’instauration d’une coexistence pacifique,
une détente dans les relations entre les deux États.68
Entre 1964 et 1968, lorsque Léonid Brejnev, beaucoup plus conservateur que son
prédécesseur, prend le pouvoir, les relations se compliquent avec une nouvelle course aux
armements, la guerre des Six Jours, la guerre du Vietnam, le Printemps de Prague. Pendant
toutes ces campagnes, Brejnev démontre qu’il est prêt à utiliser la force afin de promouvoir
et de préserver les intérêts soviétiques à travers le monde. Il démontre également sa volonté
de s’opposer aux États-Unis qui – selon Moscou – tentent d’étendre leur hégémonie sur
tous les continents.69
La situation changera toutefois en 1968 pendant la guerre du Vietnam
qui pèse sur les finances américaines, tout en étant impopulaire chez la majorité des alliés
des États-Unis. Après près de 20 ans de Guerre froide, les États-Unis et les Soviétiques
semblent dès lors soucieux de « remédier au désordre mondial »70
et convaincus que la
coopération entre les superpuissances ne serait que bénéfique pour les deux États. En
décembre 1968, Léonid Brejnev soulignait, dans un discours devant le Comité central de
l’Union soviétique que la technologie était absolument nécessaire au développement et à la
croissance économique de l’URSS, alors que les Occidentaux avaient une énorme avance
dans le domaine.71
Aux États-Unis, le concept d’une détente émerge également dans les
années 1960 alors que des hommes tels que John F. Kennedy ou encore Dwight
Eisenhower affirment qu’une collaboration doit s’établir entre les États-Unis et l’Union
soviétique pour garantir la sécurité mondiale.
Une proposition sera donc portée en 1969 par Richard Nixon, nouveau président des États-
Unis devant le 11e Congrès, pour ouvrir des négociations avec les pays socialistes dans une
conférence pour la Sécurité européenne.72
La coexistence pacifique se définit par la
normalisation des relations entre des États ainsi que par la coopération et la collaboration,
68
Op. Cit. Georges-Henri Soutu, p. 436 69
Op. Cit. Tony Judt, p. 446 70
Op. Cit. Odd Arne Westad, p. 197 71
Dale C. Copeland, « Trade expectations and the outbreak of peace : Détente 1970-74 and the end of the
Cold War 1985-91 » Security Studies, 1999, Vol. 9 N°1-2, p. 28 72
Jerzy Pawlowicz, « The concept of détente and peaceful coexistance » World Futures, 1988, Vol. 24 N°1-4,
p. 140
26
notamment économique, pour mettre fin aux tensions existantes.73
À Washington, le
président Nixon espère qu’une collaboration économique et de nombreux échanges
commerciaux suffiront pour que les Soviétiques acceptent de coopérer sur la scène
internationale, en réduisant notamment leur production d’armes et en aidant les Américains
à mettre fin à la guerre du Vietnam. Pour Henry Kissinger, alors conseiller à la défense
nationale des États-Unis, de forts liens économiques avec Moscou permettraient aux
Soviétiques de voir non seulement des bénéfices dans cette détente, mais également le prix
à payer s’ils orientent leurs politiques à nouveau vers la confrontation.74
À Moscou,
nombreux sont les membres du Politburo qui supportent cette possibilité de détente. Le
ministre des Affaires étrangères Andrei Gromyko et le chef du Comité pour la Sécurité de
l’État (KGB) Yuri Andropov estiment qu’il sera beaucoup plus facile pour l’Union
soviétique de consolider ses positions à l’international dans un climat de paix.75
Le 24 octobre 1970, l’Assemblée générale de l’ONU adopte ainsi la Déclaration relative
aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre
les États conformément à la Charte des Nations Unies (A/RES/25/2625), dans laquelle on
stipule que les États n’utiliseront pas la force et n’interviendront pas inutilement contre
d’autres États, que les États doivent collaborer et coopérer pour le maintien de la paix et
que toutes les nations souveraines sont égales entre elles.76
Suivant cette déclaration, les
États-Unis et l’Union soviétique signeront une série d’accords renforçant leurs liens
commerciaux et économiques. Ainsi, en novembre 1971, un accord pour l’achat de grain
d’une valeur de 136 millions de dollars américains sera signé ainsi que plusieurs contrats
entre les firmes américaines et les firmes soviétiques, totalisant une valeur de 125 millions
de dollars américains. Ces contrats furent tous appuyés par le secrétaire du Commerce
Maurice Stans. En février 1972, des licences pour la manufacture de véhicules furent
également accordées, pour une somme d’environ 400 millions de dollars américains.77
En
73
Ibid, p. 137 74
Op. Cit. Dale C. Copeland, p. 29 75
Vladislav Zubok, « The Soviet Union and détente of the 1970s » Cold War History, 2008, Vol. 8 N°4,
p. 428 76
Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 2625 Déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des
Nations Unies (A/RES/25/2625) Sixième Session extraordinaire d’urgence, 25ème
session de la 6e commission
plénière, 24 octobre 1970 77
Op. Cit. Dale C. Copeland, p. 29
27
échange, Brejnev fit pression sur ses homologues vietnamiens pour suspendre les attaques
sur le sud du pays en retardant la livraison d’armes et de matériel militaire. L’appui de
l’URSS pour le règlement de la guerre du Vietnam mena aux accords de Paris en janvier
1973 et le président Nixon fût alors convaincu que la collaboration commerciale réussit à
modérer le comportement des Soviétiques sur la scène internationale.78
La situation se compliqua toutefois avec le scandale du Watergate de 1972 à 1974. En effet,
avec les nombreuses accusations portées contre le président et son entourage pour des
pratiques de campagnes frauduleuses et d’espionnage, plusieurs voix dissidentes
s’attaquèrent aux politiques de Nixon, celles concernant les relations avec les pays
socialistes n’y échappant pas.79
Les contrats et les prêts accordés à l’Union soviétique pour
l’achat de technologies américaines furent réduits un à un. En décembre 1974, les
Soviétiques réinstaurent alors les livraisons d’armes vers le nord du Vietnam ainsi que vers
les dissidents gauchistes angolais.80
L’élection du président Jimmy Carter, la fin de la détente et l’invasion de
l’Afghanistan (1975-1979)
Avec l’élection de Jimmy Carter comme président en 1975, les relations avec l’URSS se
compliquent encore davantage. Le président Carter milite pour les droits de l’homme et
avertit les Soviétiques que sa politique étrangère envers l’Est sera définie par leur volonté
de supporter les droits de l’homme qu’ils croient bafoués en Union soviétique. Pour des
hommes politiques comme Gromyko, il s’agit d’une tentative d’ingérence américaine dans
les affaires internes de l’URSS. Harold Brown, alors secrétaire à la défense défend cette
position en affirmant que les Soviétiques n’ont pas respecté la détente, que malgré leur
ratification du traité SALT I, ils ont continué leur course à l’armement. Il dira ainsi devant
le Congrès en 1979 « when we build weapons, they build; when we stop, they nevertheless
78
Ibid, p. 32 79
Michael Schudson, « Notes on Scandal and the Watergate Legacy » American Behaviour Scientist, 2004,
Vol. 47 N°9, p. 1232 80
Op. Cit. Dale C. Copeland, p. 39
28
continue to build »81
. Entre 1976 et 1979, les Soviétiques réorientent leurs politiques en
déployant notamment des missiles SS-18 et SS-20 en Europe de l’Est et en soutenant des
mouvements dissidents dans le tiers-monde, notamment en Angola en 1975 et en Éthiopie
en 1977.82
Les Soviétiques n’ont pas officiellement renoncé à la détente, mais comme les
Américains n’ont pas respecté l’entièreté des contrats et des accords signés sous la
présidence de Nixon, Brejnev consent à démontrer son mécontentement d’une manière qui
fera réaliser aux États-Unis qu’ils ont aussi intérêt à préserver la coexistence pacifique
établie entre les États socialistes et l’Occident. L’invasion de l’Afghanistan marquera
cependant définitivement la fin de la détente entre les deux États.
Au début du mois de décembre 1979, les services de renseignements américains signalent
que les Soviétiques massent des troupes près de la frontière afghane, mais ce premier avis
sera plus ou moins ignoré par les autorités qui se concentrent davantage sur l’Iran et la prise
d’otages à Téhéran.83
C’est donc avec surprise que la communauté internationale est
informée de l’invasion soviétique de l’Afghanistan le 25 décembre 1979. Depuis le coup
d’État perpétré par Hafizullah Amin et Nour Mohammad Taraki en avril 1978, le nouveau
régime rencontre de plus en plus de résistance, particulièrement à partir de l’hiver 1978-
1979. La tension est palpable un peu partout dans le pays et l’armée de conscrits ne
parvient pas à contenir les résistances. Plusieurs fois lors de l’année 1979 (entre 14 et 18
fois selon les différentes sources) les autorités afghanes demandent l’aide des Soviétiques
ainsi qu’une intervention militaire.84
Le 25 décembre, le gouvernement afghan approuve
donc l’intervention soviétique dans le pays. Ce que le gouvernement n’a cependant
certainement pas approuvé, c’est l’opération Tempête qui consistait en un assaut sur le
Palais Tajbeg et le remplacement d’Amin au pouvoir par Babrak Karmal, l’ambassadeur
afghan en Tchécoslovaquie.85
81
Thomas M. Nichols « Carter and the Soviets: The Origins of the US Return to a Strategy of Confrontation »
Diplomacy & Statecraft, 2002, Vol. 13 N°2, p. 27 82
National Security Agency Archives, Interview with President Jimmy Carter, 1980,
http://nsarchive.gwu.edu/coldwar/interviews/episode-18/carter4.html 83
Nour Ahmad Nazim, La situation en Afghanistan, son règlement politique et les efforts de paix des Nations
Unies (1978-1989), Helbing & Lichtenhahn, coll. Neuchâteloise, Bâle, 2003, p. 119 84
Raymond L. Garthoff, Détente and Confrontation, American-Soviet Relations from Nixon to Reagan, The
Brookings Institution, Waghington D.C. 1994, p. 1043 85
Peggy L. Falkenheim, « Post Afghanistan Sanctions » in The Utility of International Economic Sanctions,
Croom Helm, New South Wales, 1987, p. 105
29
Comme les Soviétiques étaient invités par le régime, l’armée ne rencontra aucune
résistance dans le pays, les seuls combats eurent lieu contre la garde personnelle du
président Amin lors de la prise de son palais présidentiel.86
Amin est remplacé par Karmal,
car celui-ci semble être plus loyal à Moscou qu’Amin ne l’était. Les Soviétiques craignent
que s’ils n’interviennent pas, le régime puisse vouloir se tourner vers les États-Unis comme
d’autres l’ont fait, notamment le président Égyptien Sadat et le général Somalien Siad.87
Un
État plus ou moins hostile au Kremlin aux frontières de l’URSS serait un désavantage
majeur pour l’Union soviétique. Un président plus favorable aux bonnes relations entre les
deux États et aux régimes marxistes sera donc mis en place. Lorsque Karmal arrive à
Kaboul à bord d’un avion soviétique, Amin a déjà été exécuté et la sécurité de Karmal est
assurée par l’armée.88
À plusieurs reprises pendant la Guerre froide, l’Union soviétique participera ou soutiendra
des conflits dans différentes régions du monde; au tiers-monde dans les années 1970,
pendant la guerre entre l’Inde et le Pakistan en 1971, en Angola, en Éthiopie, au
Cambodge, à Cuba, etc. Cependant, la campagne d’Afghanistan représente un tournant
majeur puisque pour la première fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale,
l’URSS emploie la force militaire contre un État ne faisant pas partie du pacte de
Varsovie.89
Cette agression suscitera de vives réactions, notamment de l’administration
Carter à Washington qui proposera des mesures sévères pour punir l’Union soviétique de
ses agissements. À l’ONU, les réactions seront plus nuancées; si la communauté
internationale demande par majorité le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, peu
nombreux sont les États qui sont prêts à prendre des mesures pour forcer ce retrait. Les
États-Unis tenteront toutefois d’influencer leurs alliés pour tenter de maintenir une pression
sur le Kremlin. La réaction de la communauté internationale et particulièrement des alliés
occidentaux des États-Unis aura un impact considérable sur le régime de sanctions mis en
place au lendemain de l’invasion.
86
Op. Cit. Raymond L. Garthoff, p. 1020 87
Ibid, p. 1030 88
Department of State United States of America, Our Assessment of Recent Events in Afghanistan,
28 décembre 1979 89
James D. J. Brown « Oil Fueled? The Soviet Invasion of Afghanistan » Post-Soviet Affairs, 2013, Vol. 29
N°1, p. 57
30
L’Europe et les États-Unis condamnent l’invasion soviétique à l’ONU
« Le 14 janvier 1980, l’Assemblée générale de l’ONU adopte par 104 voix contre 18 et
18 abstentions une résolution demandant le retrait immédiat, inconditionnel et total de
toutes les troupes étrangères d’Afghanistan. »90
La question est largement discutée et les
États ne s’entendent pas tous sur la légitimité de la résolution des Nations Unies. L’URSS
affirmera qu’il ne s’agit pas d’une agression, comme ce sont les autorités afghanes qui ont
demandé une assistance militaire et qu’il ne s’agit pas d’une menace à la paix et à la
sécurité internationale, mais bien de relations bilatérales entre deux États.91
Le nouveau
régime afghan fait également pression sur le Conseil de Sécurité avant le vote de
l’Assemblée pour que la question de l’Afghanistan ne soit pas davantage étudiée. Le
ministre des Affaires étrangères Shah Mohammad Dost maintient qu’il s’agit d’une
ingérence de la communauté internationale dans les affaires intérieures de l’Afghanistan.92
Cette proposition sera appuyée par d’autres États, sans surprise ceux faisant partie du pacte
de Varsovie, comme la République démocratique allemande, la Pologne, la
Tchécoslovaquie et la Bulgarie, et par d’autres États communistes comme le Laos et le
Vietnam.93
D’autres États comme le Madagascar affirment que, comme l’Afghanistan a dit
ne pas vouloir que l’ONU étudie la question, le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale
n’auraient pas dû poursuivre les démarches.94
À l’inverse, plusieurs États comme le
Guatemala, la Grèce, le Suriname, la Tanzanie, les États-Unis, la Norvège, le Japon,
l’Arabie saoudite, la Nouvelle-Zélande et le Canada sont d’avis que c’est la responsabilité
du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale d’œuvrer pour le maintien de la paix
partout dans le monde et que l’intervention soviétique en Afghanistan était une menace
directe à la sécurité internationale.95
Si l’invasion est contestable, « en renversant le
gouvernement de l’époque et en imposant à l’Afghanistan celui de Karmal, l’URSS a violé
l’indépendance politique de l’État afghan ainsi que le droit à l’autodétermination du peuple
90
Éric Bachelier, L’Afghanistan en guerre, la fin du grand jeu soviétique, Presses Universitaires de Lyon,
coll. Conflits contemporains, Lyon, 1992, p. 36 91
Op. Cit. Nour Ahmad Nazim, p. 167 92
Ibid, p. 178 93
Ibid, p. 192 94
Service de l’information de l’Organisation des Nations Unies, ONU Chroniques mensuelles, Mars 1980,
Vol.17 N°2, p. 6 95
Ibid, p. 8 à 19
31
afghan. Il s’agit d’une violation flagrante et sans équivoque de l’article 2, § 4, de la Charte
des Nations Unies et d’une règle impérative du droit international interdisant l’agression
armée. »96
Selon cette Charte, lors d’une agression, ou lors d’un acte qui menace la paix, Le Conseil
de sécurité peut décider quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée
doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des
Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l'interruption
complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires,
maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de
communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques.97
La résolution de
l’Assemblée générale de l’ONU demande au Conseil de sécurité l’étude de moyens pour
résoudre le conflit d’Afghanistan. Cependant, on n’y retrouve aucune proposition pour une
action commune de la communauté internationale ou pour des mesures contraignantes pour
l’URSS.98
La réaction du gouvernement des États-Unis et du président Carter
La réaction du gouvernement américain fut beaucoup plus vive et beaucoup plus rapide que
celle de la communauté internationale et de l’ONU. Avant même la résolution de
l’Assemblée, le président Carter affirmait qu’il s’agissait « de la plus grande menace à la
paix depuis la Seconde Guerre mondiale. »99
Dès le lendemain de l’invasion, le
26 décembre 1979, Zbigniew Brzezinski conseiller à la sécurité nationale affirme au
président Carter que selon lui, cette invasion fait partie d’une crise régionale de plus grande
envergure que l’Afghanistan seule. Le 30 décembre, le président affirme à la presse
américaine que l’invasion de l’Afghanistan n’est pas un épisode isolé, qu’il s’agit d’une
stratégie soviétique pour étendre son influence dans le golfe Persique et bloquer la route du
96
Op. Cit. Nour Ahmad Nazim, p. 165 97
Organisation des Nations Unies, Chartes des Nations Unies, article 41 98
Assemblée générale des Nations Unies, Résolution ES-6/2. La situation en Afghanistan et ses conséquences
pour la paix et la sécurité internationale, Sixième Session extraordinaire d’urgence, 7e séance plénière,
14 janvier 1980 99
Jacques Lévesque, L’URSS en Afghanistan, De l’invasion au retrait, Éditions Complexe, Bruxelles, 1990,
p. 127
32
pétrole indispensable aux États-Unis.100
À Washington, Brzezinski fait partie de ceux qui
croient que l’URSS est une puissance expansionniste et agressive qui désire étendre son
hégémonie vers le golfe Persique et l’océan Indien.101
L’Afghanistan apparaissait comme la
première étape d’une invasion qui viserait par la suite l’Iran ou le Pakistan. Avec la
situation déjà précaire en Iran, Washington redoute que l’URSS mette la main sur ces
énormes réserves de pétrole. De plus, stratégiquement, à partir du territoire iranien, les
Soviétiques pourraient éventuellement bloquer le transport du pétrole dans le golfe Persique
et empêcher l’approvisionnement des États-Unis.102
Logistiquement, il est peu probable que
les troupes soviétiques renversent le pouvoir en Afghanistan pour par la suite se rendre en
Iran puisque l’URSS a une frontière commune avec l’Iran. Si l’objectif principal avait été
l’Iran, l’Armée rouge aurait pu directement traverser cette frontière. De plus, politiquement,
le renversement du Shah d’Iran quelques mois plus tôt aurait été une occasion pour les
Soviétiques d’envahir le pays si tel avait été l’objectif principal. La situation politique
précaire aurait certainement facilité un coup d’État, mais Moscou ne semblait alors pas
intéressé. Il est donc fort peu probable qu’après quelques mois, les Soviétiques décident
d’envahir l’Iran. De L’Afghanistan, l’URSS avait également la possibilité de faire pression
sur le Pakistan, un allié de longue date des États-Unis. L’Afghanistan était un point central
qui permettait à Moscou de consolider ses positions en Asie du Sud-Ouest et de faire
pression sur plusieurs voisins à partir de Kaboul. À Washington, on estime que le président
Brejnev pourrait tenter de prendre des mesures de rétorsion vis-à-vis de l’OTAN, en raison
de son rapprochement avec la Chine, en faisant pression sur des alliés américains ou en
ébranlant l’équilibre politique de la région.103
William Casey, directeur de la CIA, allant dans le même sens que Brzezinski, ajoute que
l’URSS a toujours eu des visées expansionnistes vers les mers chaudes et que l’Afghanistan
n’était que le premier pas vers les réserves pétrolières du Moyen-Orient et l’accès à l’océan
100
Zbigniew Brzezinski, Power and Principle : Memoirs of the National Security Adviser 1977-1981, Farrar
Straus Giroux, New York, 1983, p. 429-430 101
Op. Cit. Nour Ahmad Nazim, p. 120 102
Zbigniew Brzezinski, Memorandum for the President, Reflections on Soviet Intervention in Afghanistan,
26 décembre 1979 103
Cyrus Vance, Hard Choices : critical years in America’s foreign policy, Simon and Schuster, New York,
1983, p. 388
33
Indien.104
À son avis, « la politique extérieure de l’URSS, dans ses tendances de fond, n’est
que la continuation de celle de la Russie impériale. À cet égard, c’était la recherche par la
Russie tsariste de débouchés sur les mers chaudes et sa poussée expansionniste vers le sud
tant du côté des détroits turcs que plus spécifiquement ici, du côté du golfe Persique et de
l’océan Indien qui étaient invoqués. »105
Stratégiquement, il semble que pour réaliser cet
objectif, l’Iran aurait été un meilleur choix que l’Afghanistan, donnant accès directement au
golfe Persique, alors qu’à partir de l’Afghanistan, il faut encore traverser le Pakistan pour
accéder à l’océan Indien.
À l’opposé, le secrétaire d’État Cyrus Vance, son conseiller pour les affaires soviétiques
Marshall Shulman, et George Kennan, ancien ambassadeur américain à Moscou, sont
d’avis que les Soviétiques sont intervenus pour préserver leurs intérêts qu’ils croyaient en
danger avec Amin comme président.106
Si les résistances continuaient contre le régime en
place, Brejnev craignait que le gouvernement soit renversé et remplacé par un
gouvernement islamique hostile à l’URSS. À la fin de l’année 1979, les relations avec les
États-Unis n’étaient pas bonnes, les négociations entourant le traité SALT II n’avançaient
pas et les Soviétiques avaient énormément de difficulté à se procurer des biens et
technologies américains. Pour plusieurs membres du gouvernement soviétique, l’URSS
avait peu à perdre d’une dégradation des relations avec les États-Unis. L’URSS aurait alors
décidé d’intervenir elle-même pour remplacer Amin par un président plus conciliant et plus
favorable au régime communiste. L’Armée rouge permit de repousser les résistants
islamistes pour sécuriser le nouveau régime. L’invasion de l’Afghanistan ne faisait donc
pas partie d’un plan d’expansion vers le sud pour menacer les intérêts américains dans la
région. Il s’agissait d’une réaction plutôt préventive de l’URSS qui craignait la montée d’un
mouvement islamiste à ses frontières, qui pourrait se répercuter à l’intérieur de ses
frontières, dans les États actuels du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Turkménistan, du
Tadjikistan et de l’Ouzbékistan, régions peuplées dans la grande majorité par des
musulmans.107
Vance et Shulman partagent cependant le même avis que Brzezinski en ce
qui concerne les précédentes interventions soviétiques en Afrique ou en Asie; l’absence de
104
Op. Cit. Éric Bachelier, p. 41 105
Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 118 106
Op. Cit. Éric Bachelier, p. 41 107
Op. Cit. Cyrus Vance, p. 388
34
réactions des États-Unis a pu encourager Moscou à repousser les limites en intervenant
directement hors des frontières du pacte de Varsovie.108
Avec la déclassification des archives de l’Union soviétique, les recherches récentes tendent
à confirmer le point de vue du secrétaire d’État Vance quant aux motifs de l’invasion. En
tenant compte des documents émanant du Politburo et du KGB, il semble que les
Soviétiques craignaient énormément les récents choix politiques de président Amin. À
partir de l’automne 1979, plusieurs hommes politiques affirment qu’Amin tente de se
rapprocher davantage des États-Unis, du Pakistan et de la Chine, ce qui nuirait grandement
aux intérêts soviétiques dans la région.109
Les Moudjahidines, de plus en plus nombreux,
menacent également le régime communiste d’Afghanistan. Le président Amin s’est emparé
de tous les ministères clés en y installant ses amis et en assassinant son premier ministre.
L’insatisfaction est palpable à travers tout le pays, l’Afghanistan est alors en guerre civile.
Dès lors, on estime à Moscou que pour préserver le régime en place et rétablir l’ordre dans
le pays, les Soviétiques doivent renverser Amin et mettre en place un nouveau président.110
Un peu plus récemment, Terry Lynn Karl, professeure de science politique spécialisée dans
les États exportateurs de pétrole, avance une théorie soutenant que l’Union soviétique avait
un intérêt particulier à maintenir l’instabilité politique au Moyen-Orient. Dans les années
1970, et plus tard dans les années 1990, la hausse drastique du prix du baril de pétrole est
souvent liée à la situation politique dans les régions productrices. En 1971, le baril
augmente ainsi extrêmement rapidement à la suite du coup d’État en Lybie en 1969, et
après la chute du Shah d’Iran en 1979. En 1990, le prix augmentera également après
l’invasion du Koweit par l’Irak. Certains pays exportateurs auraient donc intérêt à préserver
une situation politique précaire dans les régions productrices pour augmenter les revenus
générés par les exportations de pétrole.111
Cette théorie est également défendue par James
D. J. Brown professeur à l’université Temple à Tokyo, qui souligne qu’en 1979, l’URSS
108
Zbigniew Brzezinski, Memorandum for the President, Our Response Soviet Intervention in Afghanistan,
29 décembre 1979 109
David N. Gibbs, « Reassessing Soviet motives for invading Afghanistan: A declassified history », Critical
Asian Studies, 2006, Vol. 38 N°2, p. 255-256 110
A. Z. Hilali, « The soviet decision making for intervention in Afghanistan and its motives » The Journal of
Slavic Military Studies, 2003, Vol. 16 N°2, p. 116 111
Terry Lynn Karl, The Paradox of Plenty : Oil Booms and Petro-States, University of California Press,
Berkeley, 1997, p. 7
35
produit 11 805 barils de pétrole par jour, mais qu’environ seulement 2 millions de barils
sont exportés en dehors de l’URSS et de l’Europe de l’Est. Avec les évènements d’Iran, le
prix du baril de pétrole qui s’échangeait à 17,50 $ américains en janvier 1979, monte à 38 $
en mai et atteint 40 $ en novembre 1979. Alors que l’économie de l’URSS stagnait, cette
soudaine hausse doublait les revenus générés par l’exportation du pétrole, revenus qui
pouvaient alors être injectés dans divers secteurs pour stimuler la croissance de l’économie
soviétique.112
Cependant, James D. J. Brown reconnait les limites de cette théorie,
soutenant que le pétrole était fort probablement un facteur important de la décision, mais
que cette variable seule n’était pas suffisante pour motiver l’invasion sans les autres
facteurs avancés par Vance, Schulman et Kennan.113
Toutefois, le président Carter et le gouvernement américain adopteront une position plus
rigide que celle du secrétaire d’État; le 4 janvier lors d’un discours diffusé à la radio et à la
télévision, il dira « Récemment s’est produit un nouvel évènement, très grave, qui menace
le maintien de la paix dans le Sud-Ouest asiatique. Des forces soviétiques ont envahi
massivement une petite nation souveraine non alignée, l’Afghanistan, qui jusqu’à présent
n’avait pas compté parmi les satellites occupés par l’Union soviétique […] Cette invasion
représente un danger extrêmement grave pour la paix, car elle fait peser la menace d’une
nouvelle expansion soviétique dans les pays voisins du Sud-Ouest asiatique. »114
Alors que
le gouvernement américain tente de régler la crise des otages à Téhéran, l’invasion de
l’Afghanistan est perçue comme une défiance, un affront direct à la puissance
américaine.115
La réaction américaine sera beaucoup plus intense que ce que les Soviétiques
avaient anticipé. Washington décida dès janvier 1980 que Moscou paierait un prix élevé
pour cette violation de l’intégrité territoriale et politique de l’Afghanistan. Carter désirait
rendre cette campagne la plus coûteuse possible pour forcer le retrait des troupes de
l’Armée rouge.116
Washington élabora une politique ayant deux objectifs principaux, le
premier étant une mesure punitive et la seconde préventive. D’abord, les Soviétiques
112
Op. Cit. James D. J. Brown, p. 80-81 113
Ibid, p. 88 114
USA-Document, International Communication Agency, ambassade des États-Unis, Paris, 7 janvier 1980,
reproduit in Documents d’Actualité Internationale, La Documentation française, N° 12-13-14, 1980, p. 254-
256 115
Op. Cit. Zbigniew Brzezinski 116
Op. Cit. Cyrus Vance, p. 389
36
devaient se retirer ou payer un prix élevé pour s’opposer aux États-Unis. Ensuite,
l’administration Carter devait trouver un moyen pour décourager Moscou d’envahir
d’autres États dans la région du golfe Persique. Le président justifiera cette politique en
soutenant qu’aucun président américain ne pouvait se permettre de perdre le contrôle sur la
région. Les États-Unis n’hésiteraient pas à employer la force pour préserver leurs intérêts
dans la région.117
La mise en place du régime de sanctions contre l’URSS par le
gouvernement des États-Unis
Dès le 3 janvier 1980, le président Carter annonce qu’il ajourne les discussions concernant
la ratification du traité SALT II. Washington est conscient que la signature du traité est
indispensable pour la sécurité nationale, mais que dans les circonstances d’une violation de
la Charte des Nations Unies par l’URSS, la ratification était impossible pour le moment.118
Le lendemain, il déclare dans un discours télévisé « un embargo sur les exportations de
céréales américaines à destination de l’URSS. Dans le cadre d’un accord de 5 ans conclu
avec l’URSS en 1975, les États-Unis devaient lui vendre annuellement, un minimum de
8 millions de tonnes de céréales. Des ventes supplémentaires pouvant faire l’objet
d’ententes spécifiques entre les deux gouvernements. L’URSS en raison des mauvaises
récoltes de 1979 avait demandé à acheter 17 millions de tonnes supplémentaires en 1980 et
des accords avaient déjà été conclus pour l’achat de 14 de ces 17 millions de tonnes. Ce
sont ces livraisons supplémentaires que visait l’embargo qui devaient correspondre à 50 %
du total des importations céréalières prévues par Moscou. »119
Il reporte également l’ouverture d’un consulat américain à Kiev et d’un consulat soviétique
à New York. En ce qui concerne les échanges commerciaux, en plus de l’embargo sur les
céréales, Jimmy Carter interdit la vente de haute technologie, d’ordinateurs de grande
capacité et les technologies permettant les forages pétroliers à l’URSS. Il retire les droits de
pêche aux bateaux soviétiques dans les eaux américaines et émet un avertissement quant
117
Op. Cit. Raymond L. Garthoff, p. 1082 118
Henry S. Bradsher, Afghanistan and the Soviet Union, Duke Press Policy Studies, Durham, 1983, p. 194 119
Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 138
37
aux Jeux olympiques de Moscou l’été suivant. Si l’Armée rouge ne se retire pas, la
délégation américaine boycottera les Jeux.120
À la fin du mois de janvier, Carter interdit
aussi la vente de phosphates, indispensables à la production d’engrais. Après de mauvaises
récoltes, cette mesure aurait pu avoir un impact considérable puisque les États-Unis
produisent 90 % de l’acide super phosphorique mondial en 1980. Levée par Reagan en
avril 1981, cette sanction n’aura qu’un impact négligeable sur l’agriculture soviétique.121
Le secrétaire à la défense Harold Brown est envoyé à Pékin au début du mois de janvier.
L’administration Carter souhaite conclure une vente d’équipement militaire avec le
gouvernement chinois pour tenter de balancer un peu les forces dans la région. La Chine ne
possède qu’une frontière commune de 90 kilomètres avec l’Afghanistan et avant l’invasion
soviétique de 1979, il n’y avait pas d’enjeu réel pour le gouvernement chinois autour de
cette frontière.122
Cependant, avec le renversement du pouvoir, les dirigeants chinois
affirment que la sécurité nationale de la Chine est menacée et acceptent de collaborer avec
les États-Unis pour renforcer les Moudjahidines en leur vendant des armes sophistiquées.123
Le 20 janvier, Carter propose que, si l’Armée rouge occupe toujours l’Afghanistan à la fin
du mois de février, les États-Unis tenteraient de retarder ou de déménager les Jeux
olympiques dans une autre ville, ce que le comité international olympique refusa. Le
12 avril, le comité américain pour les Olympiques vote le boycott des Jeux d’été. Carter
tentera de dissuader ses alliés de participer aux Jeux en affirmant qu’il s’agit d’une question
éthique, que les démocraties ne devraient pas se présenter à Moscou comme ils ont fait à
Berlin en 1936 alors que les nazis étaient au pouvoir. Cinquante-cinq États boycottèrent les
Jeux, mais 79, incluant Porto Rico participèrent aux Jeux. Carter se dit insatisfait de ce
résultat,124
notamment parce que parmi ses principaux alliés, la France, la Grande-Bretagne
et l’Italie envoyèrent leur délégation. Le Canada, la Chine, les États-Unis, la République
fédérale allemande et le Japon brillaient toutefois par leur absence et surtout, par l’absence
120
Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 194 à 196 121
Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 141 122
A.Z. Hilali, « China's response to the Soviet invasion of Afghanistan », Central Asian Survey, 2001,
Vol. 20 N°3, p. 323-324 123
Ibid, p. 338 124
Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 196
38
d’une compétition importante pour les athlètes soviétiques.125
L’embargo concernant l’exportation des céréales rencontra plus de difficultés, notamment à
l’échelle nationale. D’abord, il y eut un malentendu sur la cible et l’objectif principal de
l’embargo. L’URSS produisait assez de grains pour nourrir sa population, elle était
toutefois dépendante des importations pour nourrir les animaux. Moscou investissait des
sommes considérables depuis une dizaine d’années pour augmenter sa production animale,
notamment pour la viande et pour les produits laitiers. La consommation de ces produits
était très faible et le Kremlin achetait beaucoup de grains à l’étranger pour parvenir à
grossir les troupeaux et améliorer l’alimentation de sa population. L’embargo de Carter
visait donc les productions animales, il ne souhaitait pas affamer les populations. Selon les
estimations de la CIA, en étant privés de grains, les Soviétiques devraient abattre beaucoup
plus d’animaux, ne pouvant plus les nourrir. Une fois les troupeaux réduits
considérablement, le gouvernement se devrait de négocier avec les États-Unis. La
production et la consommation de lait et de viande réduisirent, mais les animaux ne furent
pas abattus en masse comme l’avait calculé la CIA.126
À l’échelle nationale, cette mesure est largement contestée par les agriculteurs du Midwest.
Beaucoup de fermiers étaient dépendants des exportations vers l’URSS. Comme
susmentionné, après de mauvaises récoltes, les États-Unis s’étant engagés à vendre 25
millions de tonnes de grains à la demande de l’URSS. Un contrat signé en 1975 entre les
deux États stipulait que Washington devait vendre un minimum de 8 millions de tonnes de
grains par an aux Soviétiques, mais que des surplus pouvaient être vendus par contrat s’il y
avait une demande de Moscou et si les stocks étaient disponibles aux États-Unis. Carter
bloque l’exportation de ce grain supplémentaire, malgré les contrats déjà signés, ce qui
déplait autant aux compagnies américaines qu’à l’Union soviétique.127
En janvier 1980, le
gouvernement promet de racheter les surplus aux fermiers, pour les vendre à la Chine ou au
Mexique et gagne ainsi le support de 60 % des agriculteurs. Cependant, dès le mois d’avril,
le American Farm Bureau soutient que Washington ne réussit pas à dédommager
convenablement les fermiers touchés durement. Le Midwest, soutenu par les sénateurs du
125
Daniel Vernet, « Soulagement », Le Monde, 4 aout 1980 126
Op. Cit. Peggy L. Falkenheim, p. 111 127
Op. Cit Henry S. Bradsher, p. 195
39
Kansas et d’Iowa, s’oppose dès lors à l’embargo et supportera le candidat Reagan pour
battre Carter aux élections du mois de novembre.128
Les multinationales réussissent
cependant à contourner l’embargo en utilisant un intermédiaire de plus comme la
compagnie espagnole Continental Hispanica, filiale de la compagnie américaine
Continental Grain, qui achète une quantité impressionnante de grains qui sera par la suite
vendue à l’URSS. D’autres compagnies vendent à des gouvernements, comme la Hongrie,
qui achète le grain américain pour sa consommation nationale et vend sa propre production
aux Soviétiques.129
Cette mesure impopulaire chez les fermiers comme chez les
multinationales contribue à l’impopularité du président Carter qui, en cette année
électorale, était au plus bas dans les sondages.
L’embargo concernant les technologies fût respecté davantage par les firmes américaines,
quoique les filiales internationales posèrent problème, comme nous le verrons dans la
prochaine section. D’abord, les premières mesures restrictives concernaient les
technologies pour l’usage militaire davantage que pour l’usage civil, mais celui-ci fût
éventuellement étendu aux hautes technologies – les ordinateurs de haute capacité et les
instruments nécessaires aux forages pétroliers – dans l’ensemble ce qui fût très
problématique pour les Soviétiques qui achetaient en grande quantité les nouvelles
technologies américaines pour moderniser et améliorer leur secteur industriel. Au cours de
l’année 1980, les exportations de technologie vers l’Union soviétique réduisirent d’environ
50 %.130
Les chercheurs soviétiques échappèrent toutefois à l’embargo; tous ceux ayant
obtenu des visas et des autorisations pour se servir des nouvelles technologies dans les
instituts américains purent demeurer aux États-Unis et poursuivre leurs recherches sans être
troublés par ces nouvelles mesures.131
Après l’examen de chacun des contrats, les
compagnies américaines en conservent environ la moitié. Plusieurs licences sont
suspendues et plusieurs exportations bloquées après le mois de septembre 1980. Après la
défaite de Carter en novembre, Reagan conservera cette mesure et l’étendra à l’équipement
nécessaire aux Soviétiques pour l’extraction et le transport du gaz et du pétrole. Cette
128
Marie-Hélène Labbé, « L’Embargo céréalier de 1980 ou les limites de l’arme verte », Politique étrangère,
1986, Vol. 51, N°3, p. 774 129
Ibid, p. 778 130
J-M. Q. « Les ventes américaines de haute technologie à l’Union soviétique sont peu importantes », Le
Monde, 31 décembre 1981 131
Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 194
40
mesure sera beaucoup plus problématique que celle imposée par Carter, car Reagan voudra
notamment empêcher toutes les filiales américaines, incluant celles à l’international, de
fournir les matériaux nécessaires à l’URSS.132
La réaction internationale face aux sanctions américaines
Si les sanctions ne font pas l’unanimité à l’échelle nationale, à l’échelle internationale, elles
seront encore plus contestées. Les États d’Europe de l’ouest, principaux alliés des États-
Unis sont beaucoup plus réservés quant à l’utilisation de sanctions économiques.
« L’Europe occidentale, en première ligne face au Pacte de Varsovie, préfère la discussion
à la rupture. »133
Si les Européens condamnent tous l’invasion de l’Afghanistan, ils
préféraient démontrer leur désaccord par des mesures diplomatiques que par des mesures
économiques. La Communauté européenne (CE) était d’accord pour boycotter les Jeux
olympiques, ou pour demander à leurs ambassadeurs de ne pas se présenter à la parade
commémorant la victoire soviétique lors de la Deuxième Guerre mondiale le 9 mai 1945
pour la Journée nationale des Soviétiques sur la place Rouge à Moscou.
Le gouvernement britannique s’est montré plus ouvert donnant sont appui au gouvernement
américain lorsque celui-ci a tenté de faire relocaliser les Jeux à l’extérieur de l’Union
soviétique. Les deux gouvernements étant convaincus que la relocalisation des Jeux
olympiques était la solution optimale, Margaret Thatcher et Jimmy Carter travaillèrent
ensemble pour porter cette mesure devant le Comité International Olympique.134
Cependant, plusieurs gouvernements européens expriment leur mécontentement au
secrétaire d’État Vance à la fin du mois de février 1980. Les Allemands et les Français
soulignent qu’ils ont accepté de supporter les États-Unis à l’ONU et qu’il faut démontrer
aux Soviétiques que la communauté internationale n’acceptera pas d’autres agressions dans
les pays voisins de l’Afghanistan. Toutefois, ils soutiennent que les États-Unis ont pris des
décisions concernant des sanctions économiques et une conduite diplomatique à adopter
132
Marshall L. Brown Junior, « Soviet Reaction to the U.S. Pipeline Embargo : the Impact on Future Soviet
Economic Relations With the West », Maryland Journal of International Law, 1984, Vol. 8 N°1, p. 144 133
Op. Cit. Éric Bachelier, p. 38 134
Daniel James Lahey, « The Thatcher government’s reponse to the Soviet invasion of Afghanistan, 1979-
1980 », Cold War History, 2013, Vol.13, N°1, p. 37
41
envers l’URSS qui ne leur conviennent pas. Le gouvernement américain ne les a pas
consultés avant d’adopter des politiques qui pourraient nuire aux intérêts politiques et
économiques européens alors que ce sont eux qui partagent leurs frontières avec les
Soviétiques.135
La relation entre les Américains et les Soviétiques est compliquée à la fin des années 1970,
mais la détente est instaurée en Europe et elle fonctionne très bien. Les Européens ne sont
pas prêts à sacrifier la détente et leurs intérêts pour exprimer leur désaccord quant à une
crise en Asie, ils ne veulent pas revivre les tensions des années 1960 alors que la situation
s’est stabilisée.136
Washington fait pression sur ses alliés soutenant qu’il s’agit de la crise la
plus importante depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et que l’Occident se devait
de répondre adéquatement et sévèrement. Helmut Schmidt, alors chancelier de la RFA,
souligna que la crise la plus importante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale était
Berlin, et bien qu’il désapprouvait l’invasion d’Afghanistan, il ne risquerait jamais la
stabilité politique de l’Allemagne pour un pays si éloigné.137
Dans une période de
récession, plusieurs gouvernements européens étaient désireux de conserver de bonnes
relations commerciales avec l’URSS et d’honorer les différents contrats déjà signés. Ils
voulaient continuer les discussions sur le contrôle des armes pour éventuellement limiter la
course à l’armement, et éviter à tout prix la rupture de la détente.138
Pour le président Carter, il était regrettable que les Européens n’alignent pas leurs
politiques sur celles des États-Unis, il savait que le succès des sanctions imposées reposait
sur l’application de celles-ci par ses alliés, mais malheureusement, il ne trouva pas le
support qu’il recherchait au sein des gouvernements français et ouest-allemand. Le
président français Giscard d’Estaing soutenait que la France devait suivre sa propre
politique poursuivant ses propres intérêts. « On estimait à l’Élysée que la situation n’était
pas aussi dramatique qu’on l’affirmait à Washington et que la ruine de la détente ne pouvait
que renforcer la bipolarisation du monde et réduire les marges de manœuvre de
135
Op. Cit. Cyrus Vance, p. 392-393 136
Op. Cit. Raymond L. Garthoff, p. 1087-1088 137
Op. Cit. Cyrus Vance, p. 393 138
Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 199
42
l’indépendance de la France. »139
Le gouvernement américain trouva le plus grand soutien
dans la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher. Le gouvernement britannique supportait les
mesures prises par le gouvernement américain, mais la situation économique de la Grande-
Bretagne était alors précaire et la première ministre n’était pas disposée à réduire les
relations économiques entre l’URSS et la Grande-Bretagne. Dès le 8 janvier 1980, le
Groupe Officiel de l’Afghanistan fût mis en place à Londres pour évaluer les potentielles
conséquences de l’application des sanctions sur l’économie britannique. Les exportations
de biens manufacturés vers l’URSS pourraient facilement être remplacés par des produits
français, italiens ou allemands, la Grande-Bretagne perdrait un revenu important et de
nombreux contrats. De plus, le Groupe souligne que l’efficacité des sanctions n’est pas du
tout garantie et que la Grande-Bretagne devrait soutenir les États-Unis symboliquement en
évitant l’emploi de sanctions économiques.140
Elle déplora toutefois les accusations de
Washington lorsqu’ils critiquèrent la loyauté des Européens. Selon Margaret Thatcher,
l’obstination et l’intransigeance de Carter face à ses alliés européens s’expliquaient par son
impopularité à la veille de l’élection présidentielle.141
La situation européenne n’était pas bien comprise à Washington. À de nombreuses reprises,
le chancelier allemand tenta d’expliquer que Berlin et l’Allemagne étaient à la merci des
Soviétiques. Si Washington avait consulté ses alliés avant d’adopter une position ferme et
sévère, cette situation embarrassante aurait pu être évitée. L’Allemagne restait une alliée
des États-Unis, mais elle ne pouvait pas se permettre de suivre aveuglément ses politiques
sans craindre des représailles à Berlin.142
Les politiques allemandes permettaient aux
Berlinois de l’Ouest de visiter facilement leur famille dans l’Est, une situation difficilement
gagnée à laquelle les Allemands tenaient énormément. La société civile allemande soutenait
les politiques de son gouvernement et ne souhaitait en aucun cas que l’Afghanistan réanime
les tensions à Berlin.143
Si Carter campe sur ses positions, le secrétaire d’État Vance tentera
de faire l’intermédiaire entre son gouvernement et ses homologues européens. Il était d’avis
qu’il fallait instaurer une politique conjointe, claire, mais qu’il ne fallait pas risquer la
139
Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 146 140
Op. Cit. Daniel James Lahey, p. 27-28 141
Helmut Schmidt, Des puissances et des hommes, PLON, Paris 1987, p. 232-233 142
Ibid p. 228 143
Op. Cit. Henry S. Bradsher, p. 199
43
stabilité européenne. Il désirait conserver un dialogue entre Moscou et Washington, mais
plusieurs fois, le président refusa que Vance communique avec Brejnev ou son ministre des
affaires étrangères Andreï Gromyko. Il propose également de se déplacer à Moscou ou d’y
envoyer son conseiller pour les affaires soviétiques Marshall Shulman, mais Carter refuse
toujours. Vance finira par démissionner de son poste de secrétaire d’État le 28 avril 1980, à
la suite d’une tentative pour sauver les otages de Téhéran; il n’avait pas été mis au
courant.144
Les États-Unis trouvèrent cependant des alliés en Asie, la Chine et le Japon
réduisant considérablement leurs échanges avec l’Union soviétique.145
Les politiques européennes et le régime de sanctions américaines
Les désaccords entre les États-Unis et ses alliés compliquèrent nettement l’application des
différentes sanctions. Le succès de l’embargo céréalier, l’embargo sur les technologies, et
le boycott des Olympiques reposaient sur la volonté de la communauté internationale
d’adapter ses politiques à celles des États-Unis. En ce qui concerne l’embargo céréalier,
l’URSS devait importer un total de 37,5 millions de tonnes de grains en 1980, dont
25 millions devaient provenir des États-Unis. Lorsque Carter décrète l’embargo sur
17 millions de tonnes, le Canada, l’Australie et les différents pays d’Europe occidentale
soutiennent partiellement la mesure américaine; ils n’appliqueront pas un embargo complet,
mais ils n’exporteront pas plus que la quantité normale de grains pour pallier aux
exportations américaines annulées. La décision européenne relève alors de la Communauté
européenne, ancêtre de l’Union européenne. La Commission en charge d’étudier le dossier
met en place les mesures administratives nécessaires afin que les « courants d’échanges
traditionnels ne soient pas modifiés »146
, mais elle assure toutefois que l’embargo sera
appliqué sur les exportations supplémentaires. Le président français souligna quant à lui
qu’il s’agissait d’un moyen efficace pour démontrer leur désaccord sans mettre en péril la
détente. La France honorera ses contrats, mais n’exportera pas davantage de céréales vers
144
Op. Cit. Cyrus Vance, p. 394-395 145
Op. Cit. Peggy L. Falkenheim, p. 110 146
Philippe Lemaitre, « La Commission européenne décide un embargo de fait des exportations de céréales
vers l’URSS », Le Monde, 12 janvier 1980
44
l’URSS.147
L’Argentine, qui était alors une dictature militaire refusa quant à elle de faire partie de
l’accord; elle n’était pas une alliée proche des États-Unis, comme les autorités américaines
déploraient les violations des Droits de l’homme commises dans le pays. Les prix attrayants
eurent raison des dirigeants argentins qui remplacèrent une partie des exportations de
céréales américaines.148
Au Canada, la mesure était supportée par le premier ministre Joe
Clark, mais les chefs de l’opposition Pierre-Eliott Trudeau et Ed Broadbent s’y opposent
farouchement. Ils soutiennent que de remplacer les exportations américaines pourrait être
extrêmement lucratif pour les provinces des prairies et que comme l’Union soviétique était
déjà un marché important pour les fermiers de l’Ouest canadien, le gouvernement devrait
permettre la hausse des exportations. Dans les faits, le Canada se permit une interprétation
plutôt large du terme quantité normale et augmenta nettement ses exportations en 1980 et
1981. En novembre 1980, le ministre d’État chargé de la commission du blé, Hazen Argue,
annonce que le Canada reprendra ses exportations normales de céréales vers l’URSS.149
De nouveaux fournisseurs permettront également à l’URSS de remplacer les exportations
américaines presque dans la totalité. Des pays d’Europe de l’Ouest, d’Europe de l’Est, et
même d’Asie achetèrent des quantités de céréales importantes sur le marché international et
aux États-Unis pour revendre leur propre production locale. Comme mentionné plus haut,
les multinationales américaines se servent de ces intermédiaires pour écouler leurs stocks,
mais les gouvernements de l’Espagne, de l’Inde et de nombreux pays du pacte de Varsovie
achètent directement des céréales du gouvernement américain à de bons prix pour vendre
leurs productions à des prix plus élevés à l’Union soviétique. Au final, l’URSS put importer
un total de 31 millions de tonnes de céréales, soit environ 90 % des 37,5 millions de tonnes
prévues initialement. Elle dut cependant débourser environ 1 milliard de dollars de plus que
ce qu’elle devait et les importations furent moins régulières, ce qui provoqua tantôt des
147
Jacques Grall, « MM. Giscards d’Estaing et Schmidt tentent de dégager une position européenne : l’arme
alimentaire », Le Monde, 10 janvier 1980 148
Jimmy Carter, Mémoires d’un président, PLON, Paris, 1982, p. 367 149
Le Monde « Ottawa met fin à l’embargo partiel sur les ventes de céréales à l’URSS », Le Monde,
21 novembre 1980
45
ruptures de stock, tantôt des surplus dans certaines régions.150
Les États-Unis eux-mêmes
furent accusés par leurs homologues européens de contourner leur propre sanction en
acceptant de vendre sur le marché international à des États qui vendaient ouvertement à
l’Union soviétique. Les Européens exportateurs, la France notamment, se permirent alors
d’interpréter également la quantité normale qui devait être vendue pour hausser leurs
exportations vers l’URSS.151
La Communauté économique européenne, après avoir décrété
un embargo sur les céréales en janvier 1980 reprendra ses exportations en octobre de la
même année.152
Si l’embargo sur les céréales est approuvé, quoique contourné par les alliés des États-Unis,
l’embargo sur les hautes technologies sera quant à lui dénoncé rapidement et publiquement
par les Européens. Le 29 décembre 1981, le président Reagan interdit aux compagnies
américaines de vendre les équipements nécessaires à l’extraction et au transport du pétrole
et du gaz soviétique. Le 18 juin 1982, l’interdiction s’applique également aux filiales
internationales des compagnies américaines ainsi qu’aux compagnies internationales
détenant des licences américaines.153
Cette mesure est renforcée à la suite du décret de la loi
martiale en Pologne au mois de décembre 1981. La situation politique et économique de la
Pologne au début de l’année 1980 est chaotique. L’OTAN prévoyait une intervention
soviétique comme à Prague en 1968, mais un coup d’État du général Jaruzelski le
13 décembre 1981, et l’instauration de la loi martiale modifie la situation. Pour les États-
Unis, il s’agit d’une intervention directe de l’URSS alors qu’en Europe on estime que si le
général Jaruzelski a sans doute le soutien de l’URSS, il n’y aura pas d’intervention militaire
de l’Union soviétique ce qui est un soulagement pour plusieurs États.154
Initialement, cet embargo devait concerner uniquement les hautes technologies à usage
militaire. Par la suite, le président américain inclut les technologies à double usage, civil et
militaire, soucieux que les technologies américaines puissent contribuer d’une quelconque
manière au développement militaire soviétique. Les alliés de Washington contestèrent cette
150
Op. Cit. Marie-Hélène Labbé, p. 779 151
J.G. « La France demande à la C.E.E. l’autorisation d’exporter 600 000 tonnes de blé vers l’URSS », Le
Monde, 16 mars 1981 152 Philippe Lemaitre, « La C.E.E. reprend ses ventes d’orge à l’URSS », Le Monde, 25 octobre 1980 153
Op. Cit. Marshall L. Brown Junior, p. 145 154
Jean Wetz « En visite en R.D.A. M. Schmidt se dit d’accord avec M. Honecker pour éviter toute ingérence
dans la crise », Le Monde, 15 décembre 1981
46
nouvelle mesure qui touchait des contrats et des projets en développement entre l’Europe
de l’Ouest et l’URSS,155
notamment l’oléoduc – The North Siberian Project – reliant
l’URSS à l’Europe occidentale par la mer Baltique et devant alimenter en gaz l’Autriche, la
Belgique, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, la République fédérale
allemande, la Suède et la Suisse.156
Les Européens devaient fournir les crédits nécessaires à
l’Union soviétique pour que celle-ci puisse se procurer les matériaux essentiels à la
construction de l’oléoduc, mais le gouvernement américain s’y opposa en soutenant que ces
crédits permettraient aux Soviétiques d’augmenter leur budget dédié à l’industrie militaire,
ce qui remettait en cause la sécurité internationale.157
Déjà à l’époque, le président Reagan
soutenait qu’il était dangereux qu’une dépendance se crée vis-à-vis de l’URSS puisque
celle-ci pourrait par la suite se servir de ces livraisons de gaz pour obtenir des concessions
de la part des Européens.158
En 1949, les États-Unis crée une organisation qui a pour but de coordonner et de contrôler
les exportations de technologies et de matériel stratégique vers les pays communistes. En
janvier 1950, le Coordinating Committee for Multilateral Export Controls (CoCom) débute
ses activités avec comme membres, la Belgique, les États-Unis, la France, la Grande-
Bretagne, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. S’ajouteront cette même année
l’Allemagne de l’Ouest, le Canada, le Danemark et la Norvège. En 1952, le Portugal
s’ajoute à la liste ainsi que la Grèce, le Japon et la Turquie en 1953.159
CoCom fonctionne
avec trois listes, pour les technologies militaires (1), pour l’énergie nucléaire (2), et pour les
biens industriels et commerciaux (3). Ces listes peuvent être modifiées avec la proposition
d’un ou plusieurs États, et les modifications doivent être approuvées par consentement
unanime.160
Initialement, l’organisation n’aurait pas dû modifier ses listes lors de différents
régimes de sanctions, mais après l’invasion de l’Afghanistan, les États-Unis introduisent de
155
Le Monde « Deux ans de conflit », Le Monde, 16 novembre 1982 156
Patrizio Merciai, « The Euro-Siberian Gas Pipeline Dispute – A Compelling Case for the Adoption of
Jurisdictional Codes of Conduct », Maryland Journal of International Law, 1984, Vol. 8 N°1, p. 3 157
Ed A. Hewett, The Pipeline Connection : Issues for the Alliance, The Brookings Review, Automne 1982,
Vol. 1 N°1, p. 19 158
Hubert Bonin, « Business interests versus geopolitics: The case of the Siberian pipeline in the 1980s »,
Business History, 2007, Vol. 49 N°2, p. 241 159
John H. Gibbons et al. Technology and East-West Trade, U.S. Governement printing Office, Washington,
1979, p. 153 160
Richard T. Cupitt, Suzette R. Grillot, « COCOM is Dead, Long Live COCOM : Persistence and Change in
Multilateral Security Institutions », British Journal of Political Science, Juillet 1997, Vol. 27, N° 3, p. 364
47
nouvelles règles et de nouvelles restrictions voulant ainsi façonner les politiques du CoCom
sur leur propres politiques commerciales. Ces nouvelles politiques furent contestées par les
membres européens du CoCom, car, selon eux, le commerce ne devrait pas être affecté par
des considérations géopolitiques.161
Pour les Européens, cet oléoduc permettait non seulement d’être moins dépendants du
Moyen-Orient pour les hydrocarbures, mais ce projet permettait également un
développement des relations économiques entre l’Europe de l’Ouest et l’URSS comme le
souhaitaient les partisans de la détente et de l’Ost politique allemande. Comme l’expliqua le
Chancelier allemand Schmidt, chaque rapprochement avec Moscou permet de détendre la
situation à Berlin-Ouest et dans la région allemande de Silésie dont certaines parties ont été
annexées à la Pologne après les accords de Potsdam.162
L’Union soviétique devait repayer
ses créanciers avec des livraisons de gaz une fois l’oléoduc terminé.163
Pour les
gouvernements français et ouest-allemand, il était important de diversifier ses fournisseurs
d’hydrocarbures, car leurs réserves nationales étaient très petites. Selon eux, l’Europe est
plus à risque de souffrir d’une crise des hydrocarbures que les États-Unis qui possèdent
eux-mêmes de grandes richesses.164
Au début des années 1980, le principal fournisseur (85 %) de matériaux pour l’oléoduc est
Caterpillar qui est une compagnie américaine. Cependant, 85 % des biens manufacturés par
Caterpillar sont produits par la compagnie japonaise Komatsu qui exporte directement vers
l’URSS. Avec la restriction de Reagan, les Soviétiques doivent trouver de nouveaux
fournisseurs, ce qui représente des couts supplémentaires pour Moscou, mais également
une perte de contrat lucratif pour Komatsu.165
La République fédérale allemande (RFA)
exprima rapidement son mécontentement, soutenant que les contrats étaient signés depuis le
mois de juillet 1980 et que le président Carter n’avait alors exprimé aucune objection.166
L’Italie et la France soutinrent la RFA en exprimant clairement que malgré l’interdiction
161
Op. Cit. Hubert Bonin, p. 243 162
George W. Ball, « The Case Against Sanctions», The New York Times, 12 septembre 1982 163
Op. Cit. Patrizio Merciai, p. 3 164
Op. Cit. George W. Ball 165
Kevin F.F. Quigley and William J. Long, « Moving Beyond Economic Containment », World Policy
Journal, hiver 1989-1990, Vol. 7. N°1, p. 177 166
Gary H. Perlow, « Taking Peacetime Trade Sanctions to the Limit : The Soviet Pipeline Embargo », Case
Western Reserve Journal of International Law, 1983, Vol. 15, N°2, p. 253
48
américaine, ils honoreraient leurs contrats et entretiendraient leurs échanges commerciaux
avec l’URSS. Le Canada et la Grande-Bretagne offrirent un plus grand soutien à
Washington, en imposant des restrictions sur les technologies à double usage, en indiquant
que les possibilités de contrats ne seraient pas toutes refusées, mais plutôt étudiées
minutieusement.167
Pour les gouvernements ouest-européens, l’imposition de cet embargo est un signe que la
Maison-Blanche est incapable d’analyser le problème sous une perspective européenne.
L’URSS est un gigantesque voisin avec lequel il vaut mieux construire des liens. Les
dirigeants soviétiques estiment eux-mêmes que des liens commerciaux plus importants avec
l’Ouest permettraient d’instaurer en Europe un climat de confiance et une coexistence
pacifique.168
Les Européens, au même titre que les Soviétiques, ont besoin de cette
coopération. Les prix de Moscou sont beaucoup plus intéressants que ceux de l’Afrique du
Nord ou du Moyen-Orient pour les hydrocarbures et pour plusieurs États, les sommes
épargnées pourraient être injectées dans un système de sécurité sociale.169
Lord Arthur
Cockfield, alors secrétaire d’État au commerce en Grande-Bretagne, conteste cette mesure
en soutenant qu’il s’agit d’une tentative américaine pour interférer dans les échanges
commerciaux d’autres États et qu’il est tout à fait inacceptable que l’administration Reagan
tente d’étendre sa juridiction à l’extérieur des États-Unis.170
Le secrétaire d’État américain
George Shultz émet également certaines réserves, affirmant que les États-Unis ne peuvent
pas intervenir dans l’octroi de contrats d’autres États et que cet épisode a un effet pervers
sur les compagnies américaines qui paraissent peu fiables alors qu’à l’international, les
filiales américaines sont délaissées au profit d’autres compagnies, souvent locales.171
La
Communauté européenne n’appliqua jamais les mesures américaines concernant les hautes
technologies, Washington dut gérer une crise avec ses homologues européens jusqu’à ce
que Reagan lève l’embargo le 13 novembre 1982, en soutenant qu’il avait atteint ses
objectifs qui étaient de démontrer que leur politique oppressive et agressive entrainait des
167
Op. Cit. Peggy L. Falkenheim, p. 120 168
Op. Cit. Marshall L. Brown Junior, p. 146-147 169
Stanley Hoffman, « L’Europe et les États-Unis, entre la discorde et l’harmonie », Politique étrangère,
1981, N°3, p. 557 170
Lord Arthur Cockfiled, « United Kingdom Statement and Order Concerning the American Export
Embargo With Regard to the Soviet Gas Pipeline », International Legal Materials, Juillet 1982, Vol. 21 N°4,
p. 851-852 171
Op. Cit. George W. Ball
49
couts substantiels.172
Dans les faits, l’URSS ne ressentit pratiquement pas les effets de cette
mesure puisqu’elle trouva des alternatives aux produits américains chez les firmes
européennes de l’Ouest ou de l’Est.173
Cependant, l’oléoduc ne fût pas construit selon le
trajet initial. Entre 1982 et 1984, les Européens financèrent la construction de tronçons
d’oléoduc qui traversaient le territoire ukrainien avant de se rendre en Europe.
La fin du conflit en Afghanistan et le résultat des sanctions
En 1986, les combats en Afghanistan s’intensifient. Avec le nouveau secrétaire du Parti
communiste de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev, l’État major soviétique commence à remettre
la guerre en question. La résistance afghane est maintenant équipée de missiles Stinger qui
leur permet d’abattre les avions et les hélicoptères soviétiques et de multiplier les pertes
chez leurs envahisseurs. Selon les rapports émis et rendus publics en 1988, les pertes
soviétiques pour toute la campagne s’élèveraient à 13 000 morts, 35 000 blessés et environ
300 disparus.174
Le 13 novembre 1986, Gorbatchev s’adresse aux membres du Politburo,
soulignant que la guerre fait rage depuis près de 7 ans et que les objectifs fixés initialement
n’ont pas été atteints. L’URSS n’a pas réussi à instaurer un gouvernement stable, ni à
contenir les résistances et les Moudjahidines. Sergeï Akhromeïev, alors chef de l’État-
Major soviétique, qui avait participé activement à la planification de l’invasion
d’Afghanistan, soutient la proposition de Gorbatchev. Il souligne que les soldats de
l’Armée rouge ont ratissé chaque centimètre du sol afghan, et qu’ils n’ont pourtant pas
réussi à contenir les Moudjahidines.175
Les États-Unis et les Européens demeurent cependant très critiques par rapport à cette
proposition jusqu’à l’annonce officielle du retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan le
8 février 1988. Le 14 avril de la même année, sont signés à Genève des accords prévoyant
le retrait progressif de l’Armée sur une période de 10 mois. Le 15 mai marque le début de
172
Op. Cit. Marshall L. Brown Junior, p. 153 173
Le Monde « La France ne s’est pas substituée aux États-Unis pour la fourniture d’une aciérie à l’URSS
indique le Quai d’Orsay », Le Monde, 19 septembre 1980 174
Central Committee of the Communist Party of the USSR, letter on Afghanistan, 10 mai 1988 175
Paul Dibb, « The Soviet experience in Afghanistan : lessons to be learned », Australian Journal of
International Affairs, 2010, Vol. 64 N°5, p. 498
50
la retraite et le 15 février 1989, les derniers soldats soviétiques quittent le sol afghan.176
Les
soldats soviétiques avaient été entrainés pour une guerre rapide avec un appui important des
divisions blindées. Malheureusement, les résistants Moudjahidines entrainent l’Armée
rouge dans une guérilla à travers tout le territoire. L’incapacité des Soviétiques à s’adapter
à ce type de combat mena inévitablement à leur défaite.177
Pour plusieurs chercheurs, le régime de sanctions imposé contre l’URSS pendant la
campagne d’Afghanistan est une variable importante, mais pas déterminante dans la
décision de Gorbatchev concernant le retrait des troupes soviétiques. L’impact causé par
l’embargo sur les céréales est limité; Moscou a pu importer 90 % des stocks prévus
initialement et remplacer Washington par plusieurs autres fournisseurs. La somme
déboursée en supplément était le prix à payer défini par le président Carter, mais il ne fût
pas assez élevé pour que le Kremlin reconsidère sa position en Afghanistan.178
Néanmoins,
l’URSS a dû débourser plus d’un milliard de dollars supplémentaires pour ses importations,
somme considérable, surtout pour une économie stagnante comme celle de l’Union
soviétique à l’époque.
L’embargo du président Reagan sur les hautes technologies non plus n’a pas eu d’effet
direct sur la politique de l’Union soviétique. Cette mesure fut si rapidement dénoncée et
contestée par les alliés de Washington que Moscou put trouver de nouveaux fournisseurs et
mener à bien beaucoup de ses projets avec, dans quelques cas, un peu de retard.
Néanmoins, le projet d’oléoduc sera relocalisé.179
Il faudra plus d’une vingtaine d’années
pour qu’un oléoduc relie directement la Russie à l’Allemagne.180
Initialement, les sanctions
ont été mises en place pour forcer un retrait complet de l’Armée rouge. Cependant, comme
cet objectif semblait irréaliste, Carter et Reagan utilisèrent l’arme économique pour
démontrer aux dirigeants soviétiques qu’une intervention militaire dans un État non-aligné
avait un cout élevé.181
Un autre objectif du gouvernement américain était de dissuader
176
Op. Cit. Éric Bachelier, p. 58-60 177
Op. Cit. Paul Dibb, p. 499 178
Op. Cit. Philippe Lemaitre 179
Op. Cit Le Monde 180
Il faut en effet attendre le North Stream, gazoduc reliant la Russie et l’Allemagne en passant vers la Mer
Baltique. Il est inauguré en 2011 par Vladimir Poutine. http://www.nord-stream.com 181
Op. Cit. Cyrus Vance, p. 389
51
l’URSS d’intervenir dans d’autres États.182
Toutefois, l’appui au général Jaruzelski lors de
son coup d’État à Varsovie en décembre 1981 démontre que les sanctions n’avaient
toujours pas assez d’impact pour remplir cet objectif secondaire. En 1985, une étude des
sanctions économiques, qui se voulait exhaustive, publiée sous la direction de Gary Clyde
Hufbauer détermine que le régime de sanctions imposé à l’URSS pendant la guerre
d’Afghanistan est un échec total. Les sanctions n’ont pas poussé le Kremlin à se retirer
d’Afghanistan, elles n’ont pas réussi à provoquer un changement dans les politiques de
Moscou, ni même à affaiblir le potentiel militaire de l’URSS. Selon cette étude, les
sanctions ne furent pas déterminantes, le retrait aurait été motivé uniquement par les
changements militaires; l’URSS n’a pas le contrôle sur le territoire, les nouvelles armes
font des ravages, les morts et les blessés augmentent drastiquement. Pour Gary Clyde
Haufbauer et ses collègues, les sanctions ne furent pas une variable importante et c’est
pourquoi ils concluent à un échec de ce régime de sanctions.183
David Baldwin propose toutefois une interprétation plus nuancée en soutenant que les
sanctions n’ont certes pas provoqué un retrait militaire, mais que l’embargo sur les céréales
peut être considéré comme partiellement efficace. L’URSS n’a pas réussi à tout importer ce
qui était prévu; elle a dû débourser une somme considérable pour atteindre ce résultat; il y
eut quand même plusieurs ruptures de stock, car les livraisons n’étaient pas du tout
constantes; les planificateurs soviétiques durent travailler beaucoup plus pour réorganiser
l’approvisionnement et les transports de marchandises. Selon lui, l’embargo a certainement
rempli une partie de l’objectif du gouvernement américain, car l’URSS a dû débourser
beaucoup plus que la somme prévue initialement. Elle a eu un prix à payer. L’embargo a
même atteint Moscou d’une façon qui n’avait pas été anticipée par la Maison-Blanche; les
Soviétiques n’ont pas boycotté le grain américain. Ils n’ont pas remplacé la totalité des
céréales américaines par des céréales d’autres fournisseurs, car ils ne pouvaient pas se
passer de cette quantité. Selon Baldwin, Brejnev dut ravaler sa fierté et acheter toutes les
céréales disponibles aux États-Unis, ce qui peut certainement être considéré comme un
182
Op. Cit. Zbigniew Brzezinski, p. 430 183
Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, Economic Sanctions
Reconsidered 3e edition, Peterson Institute for International Economics, Washington, 2007, p. 72-75
52
camouflet infligé à une grande puissance.184
Kim Richard Nossal soutient également cet argument en soutenant que le succès d’un
régime de sanctions dépend des objectifs initiaux du pays qui l’impose. Plus les objectifs
sont humbles, plus il y a de chances que le régime les remplisse. Rares sont les cas où des
sanctions vont forcer un État à changer drastiquement ses politiques, mais si le succès est
lié au cout imposé à un État ou pour punir un État, le succès est presque assuré. De plus,
dans un cas comme l’Afghanistan, l’arme économique est beaucoup moins risquée que
l’intervention militaire, et même s’il y a un cout imposé au pays instigateur des sanctions,
le cout ne peut pas dépasser celui d’une campagne militaire. Les fermiers américains et les
compagnies de technologies américaines ont certainement souffert des embargos décrétés
par Washington, mais les sommes qu’aurait dû débourser la Maison-Blanche pour une
intervention directe dépassent largement les pertes encourues au niveau national.185
Les embargos américains contre l’URSS furent extrêmement difficiles à appliquer.
Initialement, le président Carter savait que le succès de son embargo dépendrait beaucoup
de la réaction de ses alliés, notamment le Canada, l’Australie, et l’Europe de l’Ouest.186
Selon l’analyse de Gary Hufbauer, c’est principalement pour cette raison que les sanctions
sur les importations sont moins utilisées que les sanctions sur les exportations. Beaucoup
trop de variables sont à prendre en considération pour la réussite d’une telle mesure. Si le
pays sous sanction trouve des fournisseurs alternatifs qui sont prêts à contourner le régime
pour un gain monétaire intéressant, la sanction sera beaucoup moins efficace.187
Les
Soviétiques eux-mêmes ont affirmé que cette mesure serait un échec dès son imposition en
janvier 1980, car ils savaient pertinemment que les possibles bénéfices économiques offerts
à plusieurs États seraient suffisants pour faire obstacle à l’embargo.188
Les Européens ont
offert un soutien partiel au gouvernement américain, condamnant l’intervention soviétique
à l’ONU et votant en faveur de la résolution de l’Assemblée générale pour le retrait de
l’Armée rouge du territoire afghan. Ils ont aussi partiellement soutenu le boycott des Jeux
184
David A. Baldwin, Economic Statecraft, Princeton University Press, New Jersey, 1985, p. 269 185
Kim Richard Nossal, « International Sanctions as International Punishment », International Organization,
Été 1989, Vol. 43, N°2, p. 322 186
Op. Cit. Jimmy Carter, p. 416 187
Op. Cit. Hufbauer et all. p. 45 188
Op. Cit. Jacques Lévesque, p. 139
53
olympiques, mais ils furent beaucoup moins enclins à supporter Washington pour les
mesures économiques. Mis à part les exportations de produits alimentaires, les Européens
entretenaient des relations commerciales beaucoup plus importantes avec l’URSS que les
États-Unis, et la situation géopolitique est beaucoup plus difficile pour les Européens que
pour les Américains.189
Conclusion
Après la crise des otages en Iran, l’invasion soviétique de l’Afghanistan déclenche une
réaction extrêmement forte aux États-Unis. Rapidement le gouvernement américain
imposera un régime de sanctions sévères, afin de punir l’agression soviétique contre un État
non-aligné. L’URSS soutint un changement de régime craignant que le pouvoir ne se fasse
renverser par des résistants islamiques hostiles au régime communiste et à la collaboration
avec Moscou. Les nombreux alliés de Washington dénoncent cette intervention militaire et
exigent le retrait des troupes soviétiques du territoire afghan. Ils supportent également, dans
la majorité, les sanctions diplomatiques imposées par les États-Unis, mais sont beaucoup
plus réticents à utiliser l’arme économique contre l’URSS qui pourrait déstabiliser l’Europe
de l’Ouest à tout moment en commençant par Berlin. Le chancelier allemand et le président
français émettent d’ailleurs plusieurs réserves quant à l’implication de leur pays dans les
embargos américains qui, pour avoir une chance de réussir, nécessitent l’appui de la
communauté internationale.
L’embargo sur les technologies semble également démontrer la disposition du
gouvernement américain à tenter d’étendre sa juridiction à l’extérieur de ses frontières pour
imposer ses idées à ses homologues européens. Les États-Unis tenteront de contraindre la
Communauté économique européenne à l’aide du CoCom et de nouvelles restrictions, mais
après deux années d’embargo, les contestations européennes auront raison de cette mesure
économique. Le président Reagan reconnaitra lui-même les limites de cette mesure en
admettant qu’il ne fait que retarder la construction de l’oléoduc, tout en altérant ses
189
Op. Cit. Peggy L. Falkenheim, p. 119
54
relations avec l’Europe et les membres de l’OTAN. 190
Les Européens ne perçoivent pas la crise comme les Américains. Ils jugent que
l’Afghanistan est bien loin comparé à Berlin dont la situation est précaire depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale. L’embargo sur les céréales décrété au mois de janvier par la
Communauté économique européenne ne sera en vigueur qu’environ 10 mois. La C.E.E.
tient à démontrer son support à Washington, mais il n’est pas dans son intérêt d’appliquer
les embargos américains puisque les échanges commerciaux entre les États d’Europe de
l’Ouest et l’URSS sont beaucoup plus importants que ceux entre l’URSS et les États-Unis,
et que la situation géopolitique – en Allemagne particulièrement – est beaucoup plus
risquée. Durant cette crise, les différents États d’Europe occidentale répondirent aux
sanctions américaines d’une seule voix, par la Communauté économique européenne. Bien
qu’il y ait eu des divergences d’opinion au sein de la communauté ainsi qu’une application
plus ou moins rigide des sanctions, les États membres alignèrent leurs politiques sur celles
de la Communauté comme ils le feront également par la suite lors d’autres crises, comme
celle d’Ukraine actuellement.
Néanmoins, les sanctions imposées contre l’URSS à la suite de l’invasion de l’Afghanistan
sont très critiquées et leur réussite est limitée. Cependant, comme le souligne Baldwin et
Nossal, certaines sanctions ont réussies partiellement – les sanctions symboliques,
diplomatiques et l’embargo sur les céréales – alors que d’autres ont été plus difficiles –
l’embargo sur les technologies. Certains objectifs modestes ont été remplis, et il est
possible de conclure que les sanctions ont influencé le retrait soviétique d’Afghanistan,
même s’il ne s’agit pas d’un motif décisif. Malgré les nombreuses critiques, Jimmy Carter
dira lui-même qu’une réaction était nécessaire, car « History teaches perhaps very few
lessons. But surely one lesson learned by the world at great cost is that aggression
unopposed is a contagious disease. »191
190
Op. Cit. Hubert Bonin, p. 248 191
Kim Richard Nossal, p. 318
55
CHAPITRE 2 – LES RELATIONS ENTRE L’UKRAINE ET LA
RUSSIE (1991-2013)
Le 24 aout 1991, quelques mois avant la désintégration de l’Union soviétique, la
République socialiste d’Ukraine déclare son indépendance. Le 1er
décembre 1991, cette
indépendance sera confirmée par un référendum où 90 % des Ukrainiens se prononcent en
faveur.192
Cette indépendance est mal reçue en Russie, qui imagine mal son futur sans
l’Ukraine. « La Russie reconnait le 3 décembre 1991, par la voix du président Boris Eltsine,
l’indépendance ukrainienne. Mais aux yeux de nombreux hommes politiques et
intellectuels russes, toutes tendances politiques confondues, l’État ukrainien n’est qu’une
création artificielle temporaire, l’indépendance ukrainienne, un contresens historique. »193
Alexandre Soljenitsyne affirme même qu’il ne peut s’imaginer une Russie qui se limite à la
Russie soviétique sans inclure aucune autre république comme l’Ukraine, la Moldavie et la
Biélorussie. Plusieurs intellectuels – le philosophe Aleksandr Tsipko, l’historien Iouri
Afanassiev, le politologue Andranik Migranian – vont jusqu’à décrire l’Ukraine comme
« une formation ethnopolitique fragile, artificielle et hétérogène, dépourvue de toute réelle
chance de former son propre État. »194
Ces quelques observations reflètent bien le courant
de pensée qui se répand en Russie postsoviétique et laissent déjà entrevoir des relations
difficilement égales entre les deux nouveaux pays.
Les relations entre la Russie et l’Ukraine n’évolueront cependant pas de manière constante
à travers le temps. Les années 1990 sous la présidence de Boris Eltsine seront caractérisées
davantage par des tentatives de partenariats, certes difficiles, mais la coopération sera
ultimement un but, alors que les années avec Vladimir Poutine à la tête de la Fédération
russe seront bien plus difficiles. En effet, dès son arrivée au pouvoir, et tout au long de son
premier mandat, jusqu’en 2004, le président Poutine tentera de repositionner l’Ukraine dans
la sphère d’influence de la Russie en s’ingérant progressivement dans l’économie
ukrainienne, mais aussi dans la sphère politique et dans le processus électoral. Cette
192
Chrystyna Lapychak, « Ukraine, Russia sign interim bilateral pact » Kiev Press Bureau,
1er
septembre 1991, http://www.ukrweekly.com/old/archive/1991/359102.shtml 193
Anne de Tinguy, L’Ukraine, nouvel acteur du jeu international, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 11 194
Ibid, p. 13
56
ingérence culminera en 2004 lorsque le candidat favori des Russes sera élu comme
président et que cette élection sera contestée et déclarée invalide. À partir de ce moment et
jusqu’à aujourd’hui, l’objectif de la Russie de Vladimir Poutine ne sera plus de collaborer
avec l’Ukraine, mais bien de positionner celle-ci comme vassale de la Fédération russe.
Un partenariat difficile entre les États russe et ukrainien (1991-1999)
Lors de la présidence de Boris Eltsine, les points de discorde avec l’Ukraine sont
nombreux, mais le président de la Fédération russe se montrera toujours prudent à l’égard
de ses homologues ukrainiens. Malgré son indépendance récente, l’Ukraine demeure très
dépendante économiquement de Moscou, dépendance dont le Kremlin se sert pour exercer
des pressions sur le nouvel État. Le statut de la flotte anciennement soviétique stationnée à
Sébastopol en Crimée est également un point de discorde sans oublier la dénucléarisation
de l’Ukraine, souhaitée autant par les États-Unis que par la Russie. Finalement, il faut
également mentionner que les tentatives de l’Ukraine pour développer des relations
bilatérales avec d’autres États dans l’espace ex-soviétique sans passer par la Russie et son
désir de rapprochement avec l’Occident et l’OTAN achèvent d’agacer Moscou.
Une forte dépendance économique au lendemain de l’indépendance politique
Au lendemain de son indépendance, la situation économique ukrainienne est
particulièrement difficile. Entre 1989 et 1992, la croissance économique chute d’environ
20 %. En 1992, c’est environ la moitié des Ukrainiens qui vivent sous le seuil de la
pauvreté. Les salaires augmentent, mais le pouvoir d’achat diminue constamment tellement
l’inflation est incontrôlable. En 1993, l’inflation atteint 10 000 %, réduisant ainsi le pouvoir
d’achat de 63 %. Les personnes habitant la campagne, les personnes âgées et les retraités
récents sont les plus touchés par cette inflation démesurée. Le président Léonid Kravchuk
se concentre davantage sur les besoins politiques; le besoin de créer un pays, une identité
nationale. Il ne se soucie que très peu d’une économie prise entre un marché qui ne se
développe pas, et une économie planifiée qui ne fonctionne plus. Beaucoup d’Ukrainiens
habitant dans les régions de l’est du pays trouvent du travail de l’autre côté de la frontière.
57
Plusieurs travaillent comme journaliers au sein des grandes compagnies de construction
russes et y achètent des biens et de la nourriture qu’ils ne retrouvent pas en Ukraine.195
En Russie postsoviétique, Boris Eltsine tenta d’abord de se concentrer davantage sur ses
relations avec l’Occident plutôt qu’avec les républiques qui formaient l’Union. Lorsque ses
tentatives de rapprochement économiques et politiques échouent partiellement, celui-ci se
tourne vers les républiques qu’il avait délaissées.196
La Russie se sert de cette dépendance
économique envers l’Ukraine quand elle désire obtenir quelque chose. Le président
ukrainien lui-même dira qu’il avait peur que ce soit la fin de l’Ukraine indépendante
lorsqu’à la fin de 1993 et au début de 1994, la Russie hausse les prix du pétrole. La
dépendance énergétique ukrainienne est telle que le pays vacille une fois de plus à
l’automne 1996 lorsque le président Eltsine décide « d’imposer à partir du 1er
septembre
une taxe de 20 % sur les importations en provenance de l’Ukraine puis un quota sur celles
de sucre. »197
En 1999, 40 % des exportations de l’Ukraine vont vers la Russie qui est un
acheteur plus qu’essentiel, surtout pour les entreprises de l’est du pays. En ce qui a trait à la
dépendance énergétique, la jeune république peine à produire respectivement 12 % et 20 %
du pétrole et du gaz qu’elle consomme annuellement. La grande majorité des importations
de ces matières viennent du territoire russe et dans une moindre mesure du
Turkménistan.198
Au milieu des années 1990, elle tentera de se défaire de cette dépendance avec le projet
d’un oléoduc pour acheminer le pétrole de la mer Caspienne en transitant par la Géorgie
sans passer par la Russie. Cependant, à la suite de mésententes avec les compagnies
pétrolières, ce projet avortera et l’oléoduc ne sera pas utilisé à cette fin. Ce projet était
particulièrement intéressant, car Kiev aurait par la suite pu rediriger les excédents vers la
Pologne plus que satisfaite de faire affaire avec son homologue ukrainien plutôt qu’avec
Moscou. Nul besoin de rajouter que l’avortement du projet, qui déplaisait au plus haut point
à la Russie, est une très bonne nouvelle pour les dirigeants du Kremlin. Cette tentative
195
Rajan Menon, Eugene Rumer, Conflict in Ukraine, The unwinding of the Post-Cold War Order,
Cambridge, The MIT Press, 2015, p. 25-26 196
Oles M. Smolansky « Ukraine and Russia : An Evolving Marriage of Incovenience », Foreign Policy
Research Institute, Hiver 2004, p. 119 197
Op. Cit. Anne de Tinguy, p. 22 198
Idem
58
s’inscrit dans un projet plus large, le GUAM, qui prend forme en 1997, lorsque les
gouvernements de l’Ukraine, de Moldavie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie s’unissent pour
tenter de résister davantage aux projets d’intégration russe au sein des États de l’ex-URSS.
En 1999, l’Ouzbékistan rejoint le groupe et les États tentent de coordonner leur politique
étrangère et leur politique de sécurité. Cette alliance est vue de Moscou comme une traitrise
et l’Ukraine comme le cerveau de cette alliance d’États qui aurait comme but principal
d’isoler la Russie. Cette alliance créée sous l’œil vigilant de Washington, qui désire limiter
le pouvoir de Moscou dans la région de l’ex-URSS, restera cependant bien plus symbolique
qu’efficace.199
Malgré tout, l’Ukraine n’est pas totalement fermée aux partenariats avec la
Russie. Elle signe d’ailleurs un accord permettant la création du MEK,200
le Comité
économique interétatique qui lie les États de l’ex-URSS.201
À qui revient l’héritage soviétique et la flotte de la mer Noire ?
Le dilemme entourant la flotte de la mer Noire se pose dès 1991 et ne sera officiellement
réglé qu’en 1997 avec la signature d’un traité d’amitié. Appartenant officiellement à
l’Ukraine, « en janvier 1992, la Commission des Affaires étrangères, alors présidée par
Vladimir Loukine, tente de remettre en cause la validité de l’acte de 1954. À l’époque, la
flotte est composée de plus de 300 navires de combat, de 14 sous-marins, et d’environ
300 avions, hydravions et hélicoptères.202
Le 21 mai 1992, le parlement russe déclare cet
acte illégal et sans force de loi. Par la suite, il revient à la charge à plusieurs reprises. Si le
pire ne se produit pas, c’est notamment parce que le président Eltsine se montre
prudent. »203
Le président russe affirme toutefois que cette flotte fut toujours russe et
qu’elle le demeurera. En avril 1992, le président ukrainien Léonid Kravchuk décide de
nationaliser la flotte de la mer Noire, mais affirme ouvertement qu’il est prêt à négocier
avec la Russie pour un partage équitable de la flotte. Eltsine tentera alors de négocier en
199
Op. Cit. Oles M. Smolansky, p. 118 200
Ce comité a pour but d’établir une zone de libre-échange, une union douanière et un système de paiements
communs. Il tente de coordonner le développement économique global dans les États de la CEI en renforçant
la coopération dans les domaines scientifiques et technologiques, les échanges commerciaux, les stratégies
d’investissement, la politique monétaire, l’exploitation des ressources naturelles, etc. L’objectif de ce comité
est de normaliser les relations entre les États successeurs de l’Union soviétique qui acceptent toujours de
collaborer avec la Russie. 201
Margot Light, « La Galaxie CEI 1991-2006 », Le Courrier des Pays de l’Est, 2006, Vol. 3, N°1055, p. 18 202
Gwendolyn Sasse, The Crimea Question : Identity, Transition, and Conflict, Harvard University Press,
Cambridge, 2007, p. 225 203
Op. Cit. Anne de Tinguy, p. 28
59
offrant à Kiev de réduire la dette qu’elle peine à rembourser en raison des importations de
gaz et de pétrole et en échange la Russie achètera sa partie de la flotte à l’Ukraine. Pour
augmenter encore davantage la pression, pendant l’hiver de 1993 à 1994, Gazprom, géant
russe du gaz naturel, ira même jusqu’à réduire ses exportations vers le territoire
ukrainien.204
Plusieurs réunions ont lieu en 1992, 1993 et 1994 au sujet du partage des avoirs de l’Union
soviétique, mais celles-ci n’aboutissent à rien. Un accord sera finalement trouvé lors d’une
réunion à Moscou le 15 avril 1994. Il faudra cependant attendre plus de trois ans pour que
ce même accord soit finalement signé le 28 mai 1997, puis deux autres années avant qu’il
soit ratifié en février 1999.205
Lors de ces négociations, Boris Eltsine doit toujours se
montrer très prudent. À la suite d’une déclaration publique du secrétaire du Conseil de
Sécurité en Russie qui réaffirme en 1996 que la ville de Sébastopol en Crimée, où est
stationnée la flotte de la mer Noire, doit rester russe, le premier vice-ministre des Affaires
étrangères en Ukraine s’empresse de déclarer publiquement le désir ukrainien d’adhérer à
l’OTAN. Le nouveau président Léonid Koutchma, à la tête du pays depuis 1994, ajoutera à
la déclaration de son vice-ministre que « Si les Russes continuent à avoir à notre égard la
politique agressive qu’ils mènent actuellement, ils nous poussent eux-mêmes vers
l’OTAN. »206
La signature du traité de 1997 par la Russie a donc pour effet de normaliser
les relations très tendues entre les deux pays. L’accord octroie finalement 82 % de la flotte
à la Russie, alors que l’Ukraine en conserve 18 %. L’accord permet aussi à l’Ukraine de
mettre la main sur une rente annuelle de 97,75 millions de dollars pour l’occupation de la
ville et du port de Sébastopol par la marine russe. Cette rente lui permettra de rembourser, à
long terme, sa dette s’élevant à plus de 3 milliards de dollars pour la consommation
nationale de gaz et de pétrole.207
204
Paul Kubicek « Russian Foreign Policy and the West » Political Science Quarterly, Vol. 114, N°4 (Hiver,
1999-2000), p. 558 205
Op. Cit. Anne de Tinguy, p. 29 206
Ibid, p. 30 207 Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 27-28
60
Le mouvement sécessionniste de Crimée
Au lendemain de l’indépendance ukrainienne, le territoire de Crimée, habité
majoritairement par des Russes et embrassant les valeurs soviétiques, se retrouve sous la
juridiction de Kiev et d’une Ukraine souveraine. Le président Kravtchuk, dont le principal
souci est de créer une unité dans son pays, sous-estime le besoin de reconnaissance de
certaines minorités. Sous Kravtchuk, le mouvement sécessionniste russe prendra
rapidement de l’ampleur, le président ukrainien devra annuler plusieurs référendums pour
empêcher la Crimée de se séparer. Avec l’élection de Léonid Koutchma et la guerre de
Tchétchénie qui occupe grandement la Russie, la Crimée s’intègrera progressivement à
l’Ukraine à partir de 1995.208
Pendant son mandat, le président Kravtchuk ne développera pas de politiques précises
concernant les régions et les minorités qui demandent une reconnaissance particulière de
leurs coutumes – la langue russe – ou une plus grande autonomie politique. En absence de
politique fédérale, les autorités régionales de Crimée rédigent plusieurs textes
constitutionnels, soutenant que la langue et la culture russe profondément ancrées en
Crimée sont essentielles pour la définition d’une identité. Les Russes habitant la péninsule
craignent une discrimination ou une assimilation à la population ukrainienne alors qu’ils
jugent être très différents.209
La péninsule est habitée par de nombreux militaires de la flotte
de la mer Noire ou des vétérans de la Seconde Guerre mondiale qui s’identifient
grandement à la Russie. L’idée d’un référendum et d’une Crimée intégrée au territoire de la
Russie est élaborée rapidement après la désintégration de l’URSS, et le 5 mai 1992 la
Crimée déclare son indépendance.210
La résolution d’indépendance est votée au parlement
et adoptée par une majorité de 118 en faveur et 28 contre. Un référendum doit cependant
être organisé pour que la population se prononce sur le statut de la péninsule.211
Les leaders
du mouvement ne cachent pas leur inclinaison favorable pour la Russie, ils travaillent sur le
référendum et tentent d’orienter la question pour déterminer si les citoyens sont prêts à
208
Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 200 209
Leslie Shepherd, « Crimean Parliament Approves Constitution », Associated Press, 6 mai 1992 210
Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 144 211
Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 3
61
soutenir une Crimée indépendante pouvant s’allier à d’autres États.212
Pour Yuri Meshkov,
qui est à la tête du mouvement sécessionniste, le résultat du vote – 118 en faveur et 28
contre – est une victoire totale, un premier pas vers l’indépendance complète et une alliance
avec la Russie.213
Cette déclaration d’indépendance complique évidemment les relations entre Kiev et
Moscou. La situation en Crimée est directement reliée aux négociations concernant la flotte
de la mer Noire. La Russie supporte le référendum de 1992, soutenant que la Crimée a été
illégalement donnée à l’Ukraine en 1954 et qu’elle devrait faire partie intégrante de la
Fédération russe. En mai 1992, le parlement russe déclare d’ailleurs ce transfert comme
illégal et encourage le Parlement de Crimée dans ses démarches de référendum.214
Les
parlementaires russes estiment que la péninsule est russe, que la langue principale des
habitants est le russe, et qu’historiquement, la Russie a un droit acquis sur la Crimée,
depuis qu’elle fût annexée à l’empire par Catherine II. Évidemment, Kiev affirme que
Moscou a reconnu ses frontières lors de la déclaration d’indépendance, et que faisant partie
de l’État soviétique, l’Ukraine a autant de droits sur la Crimée que la Russie.215
En 1954,
c’est par souci de logistique que Nikita Khrouchtchev transfère la responsabilité de la
Crimée à l’Ukraine. La Russie n’est pas reliée à la péninsule qui est dépendante du
territoire ukrainien pour plus de 80 % de son approvisionnement en eau et plus de 90 % de
son électricité. Entre 1992 et 1994, Kiev se servira de cette dépendance comme levier pour
négocier avec les dirigeants de Crimée. Plusieurs fois, Kravtchuk tentera de négocier avec
Simféropol, mais en l’absence d’accord et de politique concrète, le mouvement prend
encore de l’ampleur.216
En 1994, l’élection de Léonid Koutchma est interprétée différemment par Kiev et par
Simféropol. Le président Koutchma est un homme de l’Est, qui devrait être en faveur d’un
rapprochement considérable avec Moscou. Après l’indépendance de la Crimée et son
212
Serge Schmemann, « Crimea Parliament Votes to Back Independence from Ukraine », New York Times,
6 mai 1992 213
Op. Cit. Leslie Shepherd 214
Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 3 215
Op. Cit. Serge Schmemann 216
Gwendolyn Sasse, James Hughes, « Power ideas and conflict: ideology, linkage and leverage in Crimea
and Chechnya », East European Politics, 2016, Vol. 32 N°3, p. 318
62
unification avec la Russie, l’Ukraine de Koutchma devrait également emprunter le même
chemin. À Kiev, cette élection est perçue comme étant une volonté réelle de la Crimée de
rester au sein de l’Ukraine avec une reconnaissance de la culture et de la langue russe
puisque la péninsule est la seule province ukrainienne à être majoritairement russophone.
Koutchma est élu le 26 juin 1994, date à laquelle le conseil municipal de Sébastopol sonde
les conseillers pour connaitre leur avis sur le statut de la ville. 89 % des membres du conseil
municipal supportent un statut de ville russe en raison de la flotte de la mer Noire.217
En
Crimée, les élections de 1994 portent au pouvoir Russia bloc, avec comme président Yuri
Meshkov qui l’emporte avec 67 % des voix. Son premier voyage officiel sera vers Moscou,
où lui et Eltsine discuteront d’une coopération économique importante entre la péninsule et
la Russie.218
Juste avant l’élection de Koutchma, Meshkov organise un référendum où il
demande aux citoyens de se prononcer sur la possibilité d’avoir une plus grande autonomie
régionale, une double citoyenneté criméenne et ukrainienne, et que le président de la
Crimée ait de plus grands pouvoirs. Le référendum sera annulé par Kravtchuk, même si les
trois questions obtinrent respectivement 78,4 %, 82,8 % et 77,9 % de votes favorables.219
Malgré la popularité incontestable de Meshkov, le mouvement sécessionniste s’essoufflera
rapidement après son arrivée au pouvoir. D’abord, son parti n’avait pas d’objectif clair
quant à l’avenir de la péninsule et son statut au sein de l’Ukraine, comme État indépendant,
ou comme État s’unissant à la Fédération russe. De plus, alors que Moscou semblait
démontrer une amélioration de la situation économique, la Crimée était toujours en
récession, au même titre que l’Ukraine.220
À partir de 1994 et jusqu’en 1996, le Kremlin
doit également gérer un mouvement sécessionniste en Tchétchénie, à l’intérieur de ses
frontières, lui laissant beaucoup moins de temps à accorder aux mouvements
sécessionnistes prorusses en dehors des frontières de la Fédération.221
Koutchma en profite
alors pour négocier plus sérieusement avec Simféropol les conditions d’une autonomie pour
la péninsule au sein de l’État ukrainien.222
Eltsine se distance également lui-même un peu
217
Taras Kuzio, « The Crimea and European security » European Security, 1994, Vol. 3 N°4, p. 751 218
Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 163 219
Op Cit. Taras Kuzio, p. 742 220
David R. Marples, David F. Duke, « Ukraine, Russia, and the question of Crimea » Nationalities Papers,
1995, Vol. 23 N°2, p. 284 221
Op. Cit. Gwendolyn Sasse, James Hughes, p. 318 222
Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 200
63
du conflit. Sous Kravtchuk, les nombreuses réunions concernant le statut de la flotte de la
mer Noire ne mènent à rien. Cependant, avec la guerre de Tchétchénie, il devient beaucoup
plus soucieux de régler cette impasse, assistant au rapprochement entre l’Ukraine et la
Crimée sans s’y opposer.223
Certains membres du gouvernement russe comme le vice-
président Alexander Rutskoi ou le ministre des Affaires étrangères Andrei Kozyrev tentent
toutefois de raviver le conflit en soutenant notamment que le russe devrait être une langue
officielle. Le rapprochement est toutefois bien entamé, les provocations de Moscou ne
suffisent pas à ralentir les démarches entre Koutchma et les parlementaires de Crimée. En
1998, le parlement ukrainien ratifie la constitution de la République autonome de Crimée
en Ukraine, ce qui scelle définitivement le statut de la péninsule.224
L’appui de Moscou au
mouvement sécessionniste de Crimée retardera et compliquera les négociations au sujet de
la flotte de la mer Noire, mais avec la guerre de Tchétchénie et les politiques beaucoup plus
claires de Koutchma concernant les régions et les minorités, l’indépendance de la péninsule
ne sera jamais officialisée et le mouvement perdra de son importance à partir de 1995.
L’enjeu des armes nucléaires soviétiques sur le territoire ukrainien
Depuis son indépendance, l’Ukraine affirme sa neutralité et son choix de devenir un État
non nucléaire. Cependant son attitude change dans les années 1992-1993 lorsque les États-
Unis et la Russie demandent à l’Ukraine de transférer les armes nucléaires de l’héritage
soviétique à la Russie. L’autre possibilité, proposée par Moscou, est l’envoi de personnel
russe en Ukraine pour administrer les armes nucléaires qui resteront en territoire ukrainien.
Géopolitiquement, le territoire ukrainien était un endroit stratégique pour positionner des
armes nucléaires. Encore sur le territoire soviétique, mais beaucoup plus près de l’Europe,
lorsque l’Ukraine devient indépendante, l’arsenal soviétique demeuré en territoire ukrainien
fait de ce pays la 3e puissance nucléaire mondiale. Cependant, même si Kiev avait toujours
accès à l’équipement, le contrôle des armes demeurait aux mains des Russes.225
L’enjeu est
néanmoins énorme pour Washington et pour Moscou, devant faire face à un nouveau voisin
beaucoup trop armé. En octobre 1993, le parlement ukrainien réaffirme sa volonté de
devenir un État dénucléarisé, mais il proclame également que les armes nucléaires
223
Op. Cit. David R. Marples, David F. Duke, p. 275 224
Op. Cit. Gwendolyn Sasse, p. 219 225
Serhy Yekelchyk, The Conflit in Ukraine – What everyone need to know, Oxford University Press,
New York, 2015, p. 67
64
soviétiques sur son territoire sont la propriété de l’État ukrainien et non pas de la Russie.226
Pour le gouvernement, ces armes sont vues comme un des seuls moyens que l’Ukraine
possède pour contrer les pressions économiques et politiques exercées par la Russie sur le
nouvel État. D’un autre côté, « à trop jouer la carte nucléaire, l’Ukraine risque d’apparaitre
comme une menace pour la sécurité internationale. »227
La Russie est en constant contact
avec les États-Unis qui désirent voir l’Ukraine se départir de ses armes au plus vite.
Plusieurs fois, les Russes affirment que les Ukrainiens tentent de prendre contrôle sur les
armes et que des accidents nucléaires sont possibles.
En janvier 1994, le président américain Bill Clinton se rend à Moscou pour signer un
accord avec Kiev et Moscou. Il affirme que si l’Ukraine livre les armes à la Russie, Eltsine
et lui-même sont en mesure de garantir l’intégrité territoriale, la sécurité et une aide
économique pour le nouvel État. L’accord est signé le 14 janvier 1994 et le transfert des
armes se termine le 1er
juin 1996. Depuis cet accord, Kiev se rapproche de plus en plus de
l’Occident tout en tentant de conserver de bonnes relations avec Moscou. En 1994, un
nouveau président, Léonid Koutchma, prend le pouvoir à Kiev en promettant « Fewer
Walls, More Bridges » avec Moscou. Lors de son premier mandat, celui-ci se rapproche
tout de même considérablement de l’Occident et de l’OTAN, car Washington encourage le
pluralisme politique et le rapprochement avec l’Ouest pour les républiques ex-soviétiques
pour empêcher la Russie de regagner de l’influence dans la région. En échange, l’aide
occidentale se fait tout de même généreuse. Kiev estime néanmoins que l’aide occidentale
n’est pas comparable aux sommes amassées par la Russie à la suite du démantèlement de
son arsenal et de la vente de l’uranium aux États-Unis. 228
En 1997, le Fonds monétaire
international (FMI) fait tout de même un prêt de plus de 3,7 milliards de dollars américains
à l’Ukraine, en plus d’être le troisième plus grand bénéficiaire de l’aide américaine
apportée à l’étranger derrière Israël et l’Égypte.229
Malgré les points de discorde, La Russie et l’Ukraine arrivent à régler des différends
d’envergure durant cette période où Boris Eltsine est au pouvoir. Avec l’aide occidentale,
226
Op. Cit. Paul Kubicek p. 559 227
Op. Cit. Anne de Tinguy, p. 37 228
Arnaud Dubien, « La seconde indépendance de l’Ukraine », Politique Internationale, N°106, Hiver 2005 229
Op. Cit. Paul Kubicek p. 559
65
Kiev réussit à s’affirmer comme État indépendant et ne s’écroule pas sous les pressions
exercées par la Russie qui tente de retrouver peu à peu de l’influence sur la région autrefois
dominée par l’Union soviétique. Les relations entre les deux pays sont rarement d’égal à
égal, mais le président Eltsine reconnait tout de même l’indépendance de l’Ukraine et
n’encourage pas les mouvements plus extrémistes en Russie qui proclame l’invalidité de
l’acte de 1954 qui donne la Crimée à l’Ukraine, ou, encore, ceux qui veulent tout
simplement le rattachement de la nouvelle république à la Russie comme sous l’Union
soviétique. Ces relations déjà plutôt ordinaires ne s’amélioreront pas avec l’arrivée du
nouveau président russe Vladimir Poutine au Kremlin qui semble plus déterminé que son
prédécesseur à faire revenir l’Ukraine dans la sphère d’influence russe.
L’Ukraine, de sphère d’influence russe au réveil de la société civile (2000-
2004)
Le premier mandat de Vladimir Poutine comme président de la Russie sera caractérisé par
une série de mesures et d’accords avec ou contre l’Ukraine pour que celle-ci ne s’éloigne
jamais trop du grand frère russe. L’ingérence russe dans les domaines économique et
politique culminera en 2004, lorsque l’élection présidentielle, initialement remportée par un
candidat prorusse, sera déclarée invalide. La société civile ukrainienne se soulèvera pour
soutenir son gouvernement contre les interventions russes qui se font de plus en plus
fréquentes.
Des mesures incitatives et des menaces
Tout comme Eltsine, Poutine tente d’améliorer les liens entre la Russie et les anciennes
républiques soviétiques. Cependant, à la différence de l’ancien président, il veut également
rétablir l’influence de la Russie dans les sphères économiques et politiques des États. Il
veut augmenter les exportations notamment vers l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie qui
faisait alors partie du GUAM, cette entité perçue par la Russie comme une force voulant
contrer le désir russe de reconquérir l’espace soviétique. Coup de chance en Ukraine, au
début des années 2000, le président Koutchma se tourne progressivement vers Vladimir
Poutine lorsque l’Occident lui reproche de ne pas avoir fait assez de réformes économiques
66
et politiques malgré toute l’aide financière fournie. Cette aide provient essentiellement du
gouvernement américain qui s’est engagé, lors des accords trilatéraux dans le cadre du
mémorandum de Budapest230
, à fournir une aide financière d’au moins 175 millions de
dollars américains à l’Ukraine. Cet accord est également accompagné d’assistance pour la
fermeture sécuritaire et la création d’un nouveau sarcophage pour le réacteur de
Tchernobyl. Le FMI, la Banque Mondiale et les États-Unis collaborent pour dédommager
monétairement l’Ukraine qui remet à la Russie toutes les armes nucléaires soviétiques, mais
également pour créer en Ukraine une économie de marché stable au lendemain de son
indépendance.231
De plus, lors de son deuxième mandat, le président ukrainien se retrouve lié au scandale
entourant le meurtre du journaliste de l’opposition Georgy Gongadze. Son choix se tourne
alors vers la Russie qui saisit l’opportunité.232
Il rappelle alors à Koutchma que, comme la
majorité du gaz en provenance de Russie transite par l’Ukraine avant de se rendre en
Europe, son pays a réussi à dérober pour plus de 900 millions de dollars en gaz naturel
détourné des pipelines russes vers les installations ukrainiennes, et ce, au courant des
années 1999-2000. Le président russe propose alors au président Koutchma de rembourser
une partie de cette dette en laissant les riches industriels russes acheter des industries et des
entreprises ukrainiennes. Comme l’Ukraine était incapable de rembourser cette dette, les
industriels russes mirent la main sur des entreprises parmi les plus profitables du jeune État
en plus de reprendre le contrôle sur certains gazoducs et certains oléoducs de l’époque
soviétique en territoire ukrainien. En échange, le gouvernement ukrainien promit de cesser
la pratique de vol de ressources.233
Après un déclin important des échanges économiques entre les deux pays entre 1998 et
2000, en 2001, le marché commercial ukrainien est submergé par les investisseurs russes. À
cette date, l’Ukraine a cumulé une dette de plus de 4 milliards de dollars en gaz et en
pétrole vis-à-vis de la Russie. Les coffres de l’État sont vides et le régime Koutchma n’a
230
Steven Pifer, The Trilateral Process : The United States, Ukraine, Russia and Nuclear Weapons,
Washington, 2011 231
Idem 232
Op. Cit. Oles M. Smolansky, p. 118 233
Ibid, p. 120
67
pas les moyens de rembourser. La privatisation s’effectue dans un contexte de corruption
totale. Plusieurs compagnies, mines de charbon, aciéries, stations de télévision sont
vendues au plus offrant, mais avec d’énormes restrictions sur les acheteurs potentiels. Des
compagnies existantes ou des hommes d’affaires de l’ouest du pays se voient refuser la
possibilité de déposer une offre d’achat. Les Russes, les grands oligarques de l’est du pays
et Koutchma lui-même mettent la main sur les entreprises les plus prospères du nouvel
État.234
Même certaines des plus grandes banques ukrainiennes sont partiellement ou
complètement contrôlées par Moscou. Cette mainmise sur l’économie se transpose
tranquillement sur la politique alors qu’en octobre 2000, le président Koutchma se sent
dans l’obligation de faire une déclaration officielle à la suite du renvoi du ministre pro-
occidental des Affaires étrangères Borys Tarasyuk. Koutchma céda aux pressions du
Kremlin et renvoya son ministre, mais voulut rassurer le peuple ukrainien qu’il ne devait
pas craindre la Russie, que Moscou et Kiev étaient des partenaires économiques
stratégiques et que Poutine n’essayait en rien de ressusciter l’empire soviétique, ni de forcer
l’Ukraine à adhérer à la Communauté des États Indépendants (CEI).235
En octobre 2001, les
premiers ministres russe et ukrainien signent un accord pour que le gaz en direction de
l’Europe continue de transiter par l’Ukraine. Plus tard en 2002, les deux présidents cette
fois signent un second accord pour développer les réseaux d’oléoducs traversant
l’Ukraine.236
Pour Moscou, cet accord a un double objectif. Il s’agit non seulement d’un
moyen pour assurer les exportations massives de pétrole et de gaz vers l’Europe, comme le
commerce d’hydrocarbures représente une part importante des revenus annuels de la
Russie, mais pour le Kremlin, c’est aussi une façon de contrôler les infrastructures
énergétiques et de pallier aux vols d’hydrocarbures.237
Les années 2003 et 2004 verront naitre une série d’accords entre les deux pays qui
renforceront leurs liens économiques, mais également la dépendance de Kiev envers
Moscou, comme le Kremlin le souhaitait. En avril 2003, les deux présidents se rencontrent
en Crimée pour « l’établissement d’une zone économique commune comprenant l’Ukraine,
234
Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 30-31 235
Op. Cit. Oles M. Smolansky, p. 128 236
Ibid, p. 121-122 237
Arnaud Dubien, Gérard Duchêne, « Ukraine 2003, À la veille d’un scrutin présidentiel décisif », Le
Courrier des pays de l’Est, 2004, Vol. 1 N°1041, p. 44
68
la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan »238
Plus tard en juillet, les deux partis signent un
accord sur la vente d’armes puis enfin, sur l’utilisation du pipeline construit par l’Ukraine
sur la ligne Odessa-Brody pour s’approvisionner en pétrole sans avoir besoin de transiter
par la Russie. Moscou mettra la main sur cet oléoduc et l’utilisera pour faire transiter ses
propres ressources.239
En juillet 2004, les présidents Poutine et Koutchma se rencontrent
pour une énième fois à Yalta. Ils se félicitent des rapprochements russo-ukrainiens dans la
sphère économique avant la dernière visite du président Poutine à Kiev en octobre 2004. À
cette occasion et à la veille des élections présidentielles, Vladimir Poutine n’hésite pas à
soutenir, lors d’une interview, le dauphin du président Koutchma, Viktor Ianoukovitch, le
candidat prorusse de cette campagne.240
Les multiples rencontres et accords entre les deux présidents servent bien l’État russe qui
avait pour objectif de distancer l’Ukraine de l’Occident et de la ramener dans sa sphère
d’influence. Initialement, lors de son premier mandat, le président Koutchma s’était
toujours montré prudent par rapport à Moscou. Encouragée par les États-Unis, l’Ukraine
avait plusieurs fois essayé de se rapprocher des autres pays de l’ex-Union soviétique en
évitant le plus possible la Russie. Il s’agissait de développer des relations bilatérales
davantage que des accords, même si l’Ukraine s’est laissée tenter lorsqu’elle a créé le
GUAM. Avec le recul des États-Unis au début des années 2000 en raison de la stagnation
des réformes, l’Ukraine se tourne vers Moscou qui semble alors la meilleure alternative
pour le jeune État. Dès lors, Poutine mettra tout en œuvre pour garder cette orientation
prorusse en Ukraine en mettant progressivement la main sur les banques et les entreprises
les plus fructueuses du pays. « Cette pénétration du capital russe en Ukraine a été favorisée
par deux éléments : l’opacité du processus de privatisation et la connaissance incomparable
qu’ont les hommes de Moscou d’une administration ukrainienne profondément
corrompue. »241
Une fois cette mainmise économique bien établie, les pressions politiques
qui suivent confirment son dessin de contrôler l’Ukraine comme sous la bannière de
l’Union soviétique. L’ingérence politique se fera, tout comme pour la sphère économique,
238
Ibid, p. 59 239
Arnaud Dubien, Gérard Duchêne, « Ukraine 2004, l’heure des choix », Le Courrier des pays de l’Est,
2005, Vol. 1 N°1047, p. 38 240
Ibid, p. 58 241
Op. Cit. Arnaud Dubien, p.39
69
de façon graduelle. Cependant, la société civile en Ukraine n’acceptera pas cette ingérence
bien longtemps et se soulèvera contre son propre gouvernement.
L’ingérence politique et le réveil de la société civile ukrainienne : la Révolution orange
Depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine en Russie, l’ingérence de Moscou, non seulement
dans la sphère politique, mais également dans le processus électoral lui-même, s’accroitra
progressivement avant de culminer en 2004 lors des élections présidentielles. Le but
premier de cette ingérence est de coordonner les politiques étrangères de l’Ukraine et de la
Russie vis-à-vis de l’Occident, de l’OTAN et de l’Union européenne.242
En 2004, Moscou
soutient le candidat du bloc de l’Est du pays, Viktor Ianoukovitch qui s’oppose au candidat
pro-ouest Viktor Iouchtchenko. Durant cette campagne, le Kremlin ne ménagera pas les
efforts pour salir la réputation et discréditer Iouchtchenko. Il mettra en place un site web
sans oublier de mettre ses appels sous écoute. Moscou ouvrira un centre de presse à Kiev
qui sera au cœur de la désinformation russe lors de cette campagne.243
Malgré tous les efforts russes, après la première ronde Iouchtchenko est le candidat sortant
avec une maigre avance. Il obtient 39,9 % des voix alors que Ianoukovitch obtient 39,3 %.
Après cette première ronde, le troisième candidat qui a reçu moins de voies se rallie à
Iouchtchenko. Les sondages prédirent alors la victoire de ce dernier, mais le
21 novembre 2004, à la suite du deuxième tour, la commission électorale déclarait
Ianoukovitch vainqueur avec 49,5 % des voix alors que Iouchtchenko aurait obtenu 46,6 %
des voix.244
Immédiatement ces résultats furent contestés et les gens sortirent dans les rues
de Kiev pour manifester. De gigantesques manifestations bloquèrent la circulation,
l’administration gouvernementale et les menaces de grève générale émanaient de partout.
Ces manifestations eurent lieu non seulement à Kiev, mais également à Lviv, ainsi que dans
beaucoup d’autres grandes villes de l’est du pays.245
Le régime de Koutchma voulut utiliser
la force pour disperser les manifestants et mettre fin à cette révolution entretenue par le
candidat « défait » Iouchtchenko ainsi que son équipe, mais l’ampleur des évènements a
242
Taras Kuzio, « Russian Policy toward Ukraine during Elections », Demokratizatsiya, automne 2005,
Vol. 13 N° 4, p. 491-492 243
Ibid, p. 493 244
Theodor Tudoroiu, « Rose, Orange, and Tulip : The failed post-Soviet revolutions », Communist and Post-
Communist Studies, 2007, Vol. 40 p. 327 245
Op. Cit. Arnaud Dubien
70
rendu cette répression par la force impossible. Le 27 novembre, la Cour suprême annonce
qu’elle n’est pas en mesure de publier officiellement les résultats, puisque Iouchtchenko a
demandé une révision en revendiquant que le vote a été manipulé par Moscou et le régime
Koutchma. Le même jour, le parlement déclarait l’élection invalide. Le 26 décembre 2004,
il y eut un second vote à la suite duquel Iouchtchenko sortit vainqueur avec 52 % des voix
contre Ianoukovitch qui obtint 44,2 % des voix.
246
La Révolution orange est souvent perçue comme le réveil de la société civile en Ukraine.
Après le second mandat de Koutchma et l’ingérence graduelle de la Russie en Ukraine,
cette contestation massive contre les nouvelles politiques prorusses est sans précédent. Les
gens se soulèvent pour que l’Ukraine cesse d’être un satellite de la Russie et se rapproche
de l’Occident comme Koutchma l’avait fait lors de son premier mandat. Iouchtchenko,
parce qu’il est beaucoup plus libéral et qu’il était ministre sous Koutchma dans les
premières années, semble le candidat idéal pour accomplir cet objectif. La société civile
ukrainienne placera beaucoup d’espoir en lui alors que Vladimir Poutine avait tout misé
pour que le candidat successeur du régime Koutchma conserve le pouvoir. Les acquis de
Moscou en Ukraine auraient été beaucoup plus faciles à conserver qu’avec un président
pro-ouest au pouvoir. Cette révolution et le programme de Iouchtchenko sont très
prometteurs. Cependant, la Russie ne s’avoue pas vaincue pour autant. Comme il sera de
plus en plus difficile de collaborer avec le gouvernement ukrainien qui prend officiellement
un tournant occidental au lendemain de l’élection présidentielle, Poutine devra utiliser la
force et la menace pour mener à terme son projet de vassaliser l’Ukraine à la Russie.
Une politique de plus en plus exigeante à l’égard de l’Ukraine (2005-2013)
Lors du mandat de Victor Iouchtchenko, les relations entre la Russie et l’Ukraine seront
très tendues. Le gouvernement ukrainien se rapproche dangereusement de l’OTAN et de
l’Union européenne, ce qui déplait au plus haut point au régime Poutine. Tous les moyens
sont alors bons pour ramener l’Ukraine vers la Russie. Coup de chance pour le président
Poutine lorsque Iouchtchenko ne sera pas réélu pour un second mandat en 2010. C’est alors
246
Op. Cit. Theodor Tudoroiu, p. 328
71
Victor Ianoukovitch, le candidat prorusse officiellement défait en 2004 qui prend les rênes
du pouvoir. Entre 2010 et la fin de l’année 2013, comme ce président est résolu à se tourner
davantage vers Moscou que vers l’Occident, les relations seront dès lors plus faciles.
La présidence de Victor Iouchtchenko, des relations difficiles avec la Russie (2004-
2010)
À la suite de l’élection de Iouchtchenko, Moscou change de tactique. En mars 2005,
Poutine crée un nouveau département pour promouvoir les intérêts russes dans l’espace
postsoviétique. La nouvelle approche préconisée par ce département spécial est
d’encourager les investissements dans les organisations et les infrastructures non
gouvernementales. Ces organismes pourront par la suite servir d’acteurs déstabilisateurs
contre les mesures gouvernementales pro-ouest. Du même coup, la Russie de Poutine tente
de se transformer elle-même. Si, sous la bannière de l’URSS Moscou était une puissance
militaire, le nouvel objectif est davantage de devenir une puissance dans le domaine de
l’énergie. La Russie a les ressources nécessaires et les moyens financiers pour devenir une
puissance internationale dans le domaine de l’énergie, avec le pétrole et le gaz naturel
notamment, et selon le nouveau département spécial, cette puissance s’accompagnera d’une
influence sur son étranger proche, et donc, en Ukraine. L’objectif poursuivi par Vladimir
Poutine n’est pas de supprimer la démocratie dans ces pays de l’étranger proche, mais bien
d’exporter sa propre vision de la démocratie qui, disons-le, se rapproche davantage de
l’autoritarisme bien plus que de la « démocratie », via l’énergie, le commerce, la présence
d’investisseurs russes à l’étranger, la culture et la langue. Le but poursuivi est de
reconquérir l’espace ex-soviétique, non pas par la force militaire, mais par le soft power.
Comme Ivan Krastev le dira, « Russia will not fight democracy in these countries. Russia
will fight for democracy – its kind of democracy »247
Plusieurs fois pendant cette période la Russie optera pour un type de pressions bien
particulier : l’arrêt d’approvisionnement en gaz. Le 26 décembre 2005, Gazprom, la plus
grosse compagnie de gaz russe, coupait l’approvisionnement à l’Ukraine pour non-
paiement de ses dettes et de la facture mensuelle envoyée par la Russie. Cette première
247
Ivan Krastev, « Russia’s post-orange empire », Open Democracy [En ligne], 20 octobre 2005
72
coupure ne dura pas très longtemps, car le gaz qui transite en Ukraine approvisionne bien
d’autres pays. L’Autriche, la France, la Hongrie, l’Italie, la Pologne, la Slovaquie, etc.
s’empressèrent de protester contre ces coupures qui les pénalisaient eux également et la
Russie fût forcée de recommencer l’acheminement de gaz via les pipelines ukrainiens.
Même si la coupure ne dura que quelques jours, le conflit entre l’Ukraine et la Russie, sur
le prix et les dettes par rapport au gaz, qui paraissait jusque-là être un problème régional
devenait un problème international. Poutine venait de démontrer qu’il n’hésiterait pas à
mettre ses menaces à exécution et à pénaliser d’autres États alors qu’il s’agissait
initialement d’une mésentente entre un État et un autre. Poutine a confirmé la proposition
du comité spécial selon laquelle la domination russe dans le domaine de l’énergie peut
ramener la Russie au rang de grande puissance.248
En février 2008, une fois de plus Gazprom menace de suspendre l’approvisionnement en
gaz à l’Ukraine jusqu’à ce que celle-ci lui rembourse en totalité la dette de 1,5 milliard de
dollars américains. Poutine et Iouchtchenko durent trouver un arrangement, mais comme
Kiev ne payait pas, le 3 mars, Gazprom coupa l’approvisionnement de 25 % puis d’un autre
10 % dans les jours qui suivirent. Le 5 mars, la dette fût remboursée et l’approvisionnement
reprit son cours normal jusqu’au début de l’année 2009 où, encore une fois, Gazprom coupa
net les exportations vers l’Ukraine. Malgré les dires du Kremlin, l’opinion publique voyait
ces coupures non pas seulement comme un moyen de se faire rembourser, mais également
comme une pression politique que les autorités russes utilisaient pour ralentir le
gouvernement ukrainien dans ses démarches d’intégration avec les organisations
internationales. En 2009, les Russes accélérèrent un projet de gazoduc, le Black Sea South
Steam qui devait acheminer le gaz en Europe en contournant l’Ukraine. Évidemment cette
mesure ne plut pas à Iouchtchenko puisque le transit de gaz est très lucratif pour son pays.
Encore une fois, le gouvernement de Vladimir Poutine démontrait sa capacité à bloquer, du
moins temporairement, des projets politiques par des pressions économiques.249
Au lendemain de la Révolution orange, les Ukrainiens ont placé énormément d’espoir en
leur nouveau président libéral. Malheureusement, son programme très chargé qui promettait
248
Anne Applebaum, « Playing Politics with Pipelines », The Washington Post, 4 janvier 2006 249
Maria Raquel Freire, Roger E. Kenet Russia and it’s Near Neighbours : identity, interests and foreign
policy, Palgrave Macmillan, New York, 2012, p. 226
73
la création de 5 millions d’emplois, l’augmentation des pensions, la réduction des taxes, et
par-dessus tout la refonte des institutions politiques et une fin imminente de la corruption
dans ce domaine, ne fût jamais réalisé. Les premiers mois de son mandat devaient être
marqués par des changements politiques importants, mais celui-ci n’en fît rien. Son mandat
fût celui qui vît le moins de changements et le moins de propositions de loi jamais faits au
parlement depuis l’indépendance. Sa politique s’inscrit à la suite de celle de son
prédécesseur, et à peine deux ans après la Révolution orange, tous les espoirs ukrainiens
pour un État plus démocratique s’estompaient.
La corruption était très présente sous le régime Koutchma, mais elle le sera davantage sous
Iouchtchenko. Sa première ministre Iulia Timoshenko sera licenciée en septembre 2005, car
ses idées ne s’alignaient pas sur celles du nouveau président et de Petro Poroshenko, à la
tête du Conseil pour la Sécurité Nationale. Elle reviendra toutefois comme première
ministre en 2007. La situation économique rattrape rapidement le nouveau régime; en 2004,
l’inflation atteint 12,3 % et grimpe jusqu’à 16,6 % en 2006. Grâce à un prêt de
16,5 milliards de dollars du FMI, l’Ukraine connait une croissance économique de 7 % en
2006, 8 % en 2007, mais uniquement 2 % en 2008. Le chômage grimpe également, de
6,8 % en 2006, à 9 % en 2009, et 8 % en 2010. La dette augmente de manière encore plus
drastique, passant de 15,9 % du PIB en 2006 à 37,7 % du PIB en 2010. Le Transparency
International’s corruption ranking place l’Ukraine au 146e rang en 2009, à égalité avec le
Zimbabwe, alors qu’elle était en 122e place sous Koutchma.
250 La Révolution orange et
Iouchtchenko ont certainement réussi à déloger le régime autoritaire du président
Koutchma, mais Iouchtchenko a échoué à démocratiser le système politique et électoral en
Ukraine. 251
En 2010, à la fin de son premier mandat, il ne sera pas réélu. Sa présidence
déçut énormément tous ceux qui croyaient que c’était l’opportunité pour l’Ukraine de se
défaire une bonne fois pour toutes de l’influence de la Russie. Ce sera finalement Viktor
Ianoukovitch qui prendra le pouvoir, ce qui plut à Poutine qui vît cette élection comme une
opportunité pour la Russie de reprendre le contrôle sur l’Ukraine et de la distancer des
organisations internationales occidentales : l’OTAN et l’Union européenne.
250
Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 38 251
Op. Cit. Theodor Tudoroiu, p. 331
74
La présidence de Ianoukovitch : beaucoup de concessions politiques pour des gains
économiques (2010-2013)
L’élection de Ianoukovitch en 2010 est due davantage à l’échec du gouvernement de la
Révolution orange qu’à sa popularité. En effet, la majorité des Ukrainiens se sentent trahis
par le gouvernement d’Iouchtchenko et de Timoshenko qui, malgré leurs belles promesses,
n’ont pas réussi à redresser la situation économique de l’Ukraine ni à la rapprocher de
l’Europe.252
Dès son arrivée au pouvoir, l’opinion publique affirme que Ianoukovitch est un
président prorusse, ce qui n’est pas totalement faux, mais pas tout à fait la vérité non plus.
Ianoukovitch a plusieurs fois tenté de jouer sur les deux tableaux, européen et russe. Lors
de son élection, il a mentionné très clairement vouloir conserver l’orientation occidentale
de son pays alors que peu de temps après, il promettait aux Russes que jamais l’Ukraine ne
rejoindrait l’OTAN. Si Ianoukovitch a choisi de se tourner davantage vers Moscou dès le
début de son mandat, c’est parce que les avantages à court terme d’un partenariat avec les
Russes étaient beaucoup plus intéressants. Bien évidemment, Poutine saura se servir de
l’appétit sans fond de son homologue pour les bénéfices immédiats.253
En juin 2010, Ianoukovitch affirme le non-alignement de l’Ukraine dans les relations
internationales. Cette déclaration enchante le Kremlin qui préfère une Ukraine non alignée
à une Ukraine faisant partie de l’OTAN. Le président ukrainien se retrouve alors avec une
plus grande capacité de négociations, manœuvrant entre la Russie, l’Europe et les États-
Unis.254
Suivant cette ligne de pensée, un premier accord sera signé le 21 avril 2010 entre
Ianoukovitch et Poutine. Cet accord consent à prolonger de 25 ans le droit de la flotte de la
mer Noire à demeurer ancrée à Sébastopol, le 25 ans commençant après 2017, date qui était
déjà convenue. En échange, Poutine accorde une réduction de 100 dollars américains sur
chaque 1 000 mètres cubes de gaz exporté vers l’Ukraine.255
En 2012, le Parti vote une loi
sur les langues qui plait également beaucoup à Moscou. Désormais, toute villes ou régions
étant peuplées de plus de 10 % de russophones, peut donner le titre de langue officielle au
russe. En Crimée, où 76,6 % de la population reconnait le russe comme étant sa langue
première, la loi est tout de suite appliquée. Dans l’Est, à Donetsk et à Louhansk où
252
Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 45 253
Op. Cit. Maria Raquel Freire, Roger E. Kenet p. 227 254
Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 45 255
Op. Cit. Maria Raquel Freire, Roger E. Kenet, p. 227
75
respectivement 74,9 % et 68,6 % de la population reconnaissent être russophones, la loi est
également mise en application très rapidement.256
Dès 2011, le nouveau régime au pouvoir fait taire ses opposants politiques en les accusant
de fraudes ou d’avoir dépassé leurs fonctions. Ainsi, Iulia Timoshenko sera enfermée, tout
comme le seront quatre ministres et cinq députés élus lors de la Révolution orange.257
Pour
asseoir son pouvoir, Ianoukovitch se sert des oligarques de l’est et du sud du pays. La
plupart de ses oligarques se font octroyer de nombreux contrats extrêmement lucratifs pour
construire des stades sportifs à Kiev, Lviv, Kharkiv et Donetsk, de nombreux aéroports, des
grands projets routiers et des réseaux de trains grande vitesse.258
L’Ukraine, cohôte avec la
Pologne de l’Euro 2012, fait construire un énorme stade. La corruption est révélée par
plusieurs agences, notamment The Economist, affirmant que l’administration Ianoukovitch
n’a pas réellement fait d’appel d’offres pour la construction du stade qui aurait couté plus
de 14 milliards de dollars américains, soit plus que le budget total utilisé par le
gouvernement britannique pour les Jeux olympiques de Londres en 2012.259
Ces grands
projets créent un déficit budgétaire colossal, mettant l’Ukraine au bord de la banqueroute,
sans toutefois initier de réformes économiques comme le président Ianoukovitch l’avait
promis lors de son élection en 2010. Alors que les grands oligarques s’enrichissent à même
le budget fédéral, les petites compagnies arrivent à peine à survivre.260
Il remplace
également les différents gouverneurs des provinces et les parlementaires par des membres
de sa famille et par des oligarques, majoritairement de l’Est du pays, qui lui sont loyaux.
Cette mainmise sur l’économie et la vie politique est de plus en plus contestée par le peuple
qui attend toujours les réformes économiques et un rapprochement avec l’Union
européenne.261
Les relations avec l’Union européenne se compliquent énormément à partir de 2013. L’UE
exige la libération de Timoshenko ainsi que des changements radicaux dans le système mis
en place par Ianoukovitch. Évidemment, l’Ukraine s’exécute le plus lentement possible,
256 Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 46-47 257
Andrew Wilson, Ukraine Crisis, What it means for the West, Yale University Press, Londres, 2014, p. 51 258
Op. Cit. Serhy Yekelchyk, p. 103 259
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 55 260
Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 47 261
Op. Cit. Serhy Yekelchyk, p. 103
76
affirmant souvent qu’à chaque rapprochement avec l’Union, la Russie augmente la
pression, notamment par l’approvisionnement de gaz, et que l’Ukraine devrait être
bénéficiaire d’une plus grande aide occidentale pour les risques qu’elle prend. Pour les
parlementaires européens, les négociations avec l’Ukraine sont particulièrement
éprouvantes, car le régime en place ne semble vouloir faire aucune concession. Confrontée
par ses homologues européens, l’Ukraine élabore un nouveau code criminel ainsi que des
possibles réformes pour le système judiciaire. Poutine est conscient que les oligarques et
Ianoukovitch lui-même ne souhaitent pas se rapprocher trop de l’Union européenne qui
exige des changements politiques et la fin de leur système extrêmement profitable. Durant
l’été 2013, plusieurs rencontres avec Ianoukovitch et sa famille permettent au président
russe d’élaborer un projet, une solution à proposer au président ukrainien pour le distancer
de l’Union européenne. Alors que la Russie élabore un accord avec le président, le premier
ministre ukrainien Azarov se présente devant ses homologues européens avec une
estimation des couts reliés à l’implantation d’un nouveau régime politique, soit environ
13 milliards d’euros annuellement, et aux compensations qui devraient être versées à
l’Ukraine qui perdrait certainement des contrats commerciaux avec la Russie, soit environ
12 milliards d’euros annuellement. Azarov propose alors un plan de compensation,
demandant un total de 150 milliards d’Euros262
pour que l’Ukraine signe un accord avec
l’Union européenne. Ce double jeu politique de l’année 2013 culminera en novembre 2013,
au sommet de Vilnius, où les Européens refuseront le chantage du président ukrainien qui
devra alors se tourner vers son dernier allié : la Russie.
Conclusion
La politique étrangère de la Russie envers l’Ukraine n’évolua pas du tout de manière
constante depuis la désintégration de l’URSS. Les années Eltsine sont caractérisées par des
tentatives de partenariat alors que sous les différents mandats de Poutine, la politique de la
Russie se durcira progressivement. Lors de son premier mandat entre 2000 et 2004, le but
poursuivi était de conserver une mainmise sur l’économie et les infrastructures qui dataient
de la période soviétique ainsi qu’une influence sur les décisions et orientations politiques de
262
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 65
77
l’État ukrainien. Toutefois, après une mobilisation à l’échelle nationale de la société civile
contre cette ingérence lors de la Révolution orange, Poutine changera de tactique et
l’objectif ne sera plus de conserver une influence notable, mais bien d’asservir l’Ukraine
pour éviter que des soulèvements de la société civile viennent encore contrecarrer ses plans.
Lors de la prise de pouvoir de Ianoukovitch en 2010, la Russie est ouverte aux
négociations, quelques accords et quelques projets de loi enchanteront Moscou, mais la
situation se dégradera lorsque la société civile, ne voyant pas d’avantages aux énormes
projets d’infrastructures, demande qu’on respecte les promesses initiales. En 2013, le
double jeu de Ianoukovitch est révélé au grand jour lors du sommet de Vilnius; après 3 ans
de corruption, de censure des médias et de l’opposition politique, Ianoukovitch perd le
contrôle sur son pays où il régnait en roi.
78
CHAPITRE 3 – LA CRISE UKRAINIENNE (2013-2014)
Si les relations entre l’Ukraine et la Russie n’ont jamais été faciles, à partir de la présidence
de Ianoukovitch en 2010 et plus spécifiquement à partir du sommet de Vilnius, organisé par
l’Union européenne, les 28 et 29 novembre 2013, les relations entre les deux États
s’enveniment comme jamais. Les Ukrainiens veulent une Ukraine européenne, ils veulent
une réelle indépendance par rapport à la Russie. Le mouvement Maïdan263
est un second
réveil de la société civile, dans le sillage de la Révolution orange de 2004, qui s’oppose aux
décisions de son gouvernement. Quand le régime en place tente de réprimer la population
par la force, le mouvement s’amplifie, les gens investissent la rue et la Place de
l’Indépendance, jour et nuit, exigeant la démission du président et du premier ministre. Le
Maïdan déclenchera un mouvement de contestation semblable dans l’est du pays,
s’opposant au Maïdan, en support à l’ordre en place et à un rapprochement avec la Russie.
Plusieurs sources indépendantes signalent que Moscou est l’instigateur de ce mouvement
qui prendra de l’ampleur avant de culminer par l’annexion de la Crimée en mars 2014 et un
conflit toujours en cours dans la région ouvrière du Donbass, peuplée par une majorité de
russophones. Le Sommet de Vilnius marque ainsi le début d’une période extrêmement
difficile pour les Ukrainiens qui tentent de se défaire de l’emprise de Moscou, laquelle
essaie tant bien que mal de conserver un certain contrôle sur cet étranger proche qui
souhaite s’éloigner de plus en plus.
Le Partenariat oriental et le Sommet de Vilnius : Prélude à la contestation
de masse
Les 28 et 29 novembre 2013 se tient à Vilnius un sommet pour le « Partenariat oriental »264
auquel devaient participer notamment les 28 membres de l’Union européenne ainsi que les
six autres pays du partenariat oriental; l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l’Arménie, la
263
Le Maïdan désigne la Place de l’Indépendance à Kiev sur laquelle se rassemblent les manifestants entre
novembre 2013 et février 2014. La contestation anti-gouvernementale commence sur cette place. 264
Le Partenariat oriental a comme objectif de promouvoir l’intégration politique et économique graduelle de
l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine.
79
Biélorussie et l’Ukraine.265
L’Union Européenne justifie son intérêt dans ce partenariat en
exprimant sa volonté « d’avoir des voisins de l’Est sécuritaires, stables, économiquement
forts et proeuropéens. Notre objectif est d’avoir une politique de partenariat de l’Est
proactive et efficace qui apportera des résultats tangibles pour ces pays et leurs peuples.
Cela pourrait être réalisé grâce aux efforts conjoints des institutions de l’UE, des États
membres de l’UE et des partenaires de l’Est eux-mêmes. Grâce au partenariat oriental, l’UE
renforce sa coopération bilatérale et multilatérale avec les six partenaires d’Europe
orientale : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine, soutient les
processus de réforme de ces pays et cherche à les rapprocher de l’UE. »266
Par ce partenariat, les membres de l’Union européenne souhaitent créer des liens
économiques solides dans un objectif d’indépendance économique vis-à-vis de la Russie.
Tomas Janeliūnas, politologue et professeur à l’Institut de Sciences politiques et Relations
internationales (TSPMI) à l’Université de Vilnius, est d’avis que « la création d’un espace
commercial commun entre l’UE et l’Ukraine est vraiment nécessaire tant pour l’Ukraine et
ses efforts pour continuer à rechercher des liens plus étroits avec l’UE et renforcer son
indépendance économique et politique vis-à-vis de la Russie, que pour la stimulation de la
croissance économique de l’UE. »267
Cet espace commercial est une première étape vers
une intégration européenne grandissante de l’Ukraine, à la suite duquel l’Union européenne
pourrait encourager les réformes démocratiques sans craindre les foudres de Moscou sur
une économie fragile et dépendante. Ce partenariat ne se veut pas euro-exclusif; tous les
pays pourraient continuer de commercer avec les autres puissances, en Amérique, comme
en Orient, il s’agit davantage d’une possibilité de libre-échange entre l’Ukraine et la zone
euro, ce qui permettrait d’ouvrir le marché ukrainien aux investisseurs européens comme
l’Allemagne, la Pologne et la Suède qui supportent grandement ce partenariat.268
265
Jérôme Legrand, Wanda Troszczyńska Van Genderen, Fiches techniques sur l’Union européenne – les
pays du Partenariat oriental, dernière mise à jour novembre 2016,
http://www.europarl.europa.eu/atyourservice/fr/displayFtu.html?ftuId=FTU_6.5.5.html 266
Présidence Lithuanienne du Conseil de l’Union Européenne 2013, Troisième sommet du partenariat
oriental, 28 novembre 2013, http://www.eu2013.lt/fr/vilnius-summit 267
Patricija Babrauskaitė, Le Partenariat oriental : la diplomatie culturelle comme moteur pour de bonnes
relations étrangères entre les pays voisins, 15 novembre 2013 http://www.eu2013.lt/fr/news/articles/le-
partenariat-orientalla-diplomatie-culturelle-comme-moteur-pour-de-bonnes-relations-etrangeres-entre-les-
pays-voisins 268
Pierre Rousselin « L’Ukraine entre Poutine et Bruxelles », Le figaro, 16 octobre 2013
80
Cependant, pour la Russie, ce partenariat est intolérable. Selon Poutine et le gouvernement
russe qui dirige le pays actuellement, les États successeurs de l’URSS appartiennent à sa
sphère d’influence directe. Une plus grande intégration européenne en Europe de l’Est est
perçue par le Kremlin comme un premier pas vers l’Union européenne, mais également
vers l’OTAN, encore à ce jour définie comme l’ennemie de la Fédération russe. Pour les
dirigeants russes, les avancées de l’OTAN en Europe de l’Est, en direction des frontières
russes, violent les principes de sécurité établis entre les deux et mènent à la création de
nouvelles divisions sur le continent européen.269
Aux mois d’octobre et novembre 2013, le
président Poutine organise deux rencontres secrètes avec le président ukrainien
Ianoukovitch. Poutine propose un prêt de 15 milliards de dollars ainsi qu’une baisse
considérable des tarifs de gaz pour l’Ukraine.270
Il souhaite également convaincre l’Ukraine
de joindre l’Union douanière de la Russie qui devrait devenir une Union eurasienne d’ici
2015271
si Ianoukovitch ne signe pas l’accord à Vilnius. Il accompagne cependant cette
offre avec des menaces, souhaitant faire comprendre aux dirigeants ukrainiens que la
signature de cet accord entrainerait des conséquences directes sur les proches du président
Ianoukovitch.272
Dans l’est du pays, plusieurs oligarques font également pression sur leur
président pour qu’il accepte de signer l’accord avec le Kremlin et refuse l’intégration
européenne à Vilnius. Nombreux sont les oligarques qui entretiennent des liens étroits avec
Moscou. Ces riches hommes d’affaires redoutent l’ouverture de leur marché aux
investisseurs européens qui pourraient mettre en péril les accords et le commerce avec le
grand voisin russe.273
À la veille du sommet de Vilnius, Ianoukovitch se retrouve pris entre la population
ukrainienne, les oligarques, la Russie et l’Union européenne. Maintes fois, la société civile
a démontré sa volonté de vivre dans une Ukraine européenne et l’UE s’est également
montrée prête à faire les efforts pour renflouer les caisses à Kiev par le biais d’accords
269
The Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation, Concept of the Foreign Policy of the Russian
Federation, 18 février 2013 270
Galia Ackerman, « Ukraine : les arrières pensées de Moscou », Politique Internationale, Été 2014, N° 144 271
Anne de Tinguy, « Vladimir Poutine et la crise ukrainienne : l'obsession de la puissance », Huffington
Post, 3 décembre 2015 272
Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, Ukraine Between the EU and Russia, The Integration Challenge,
Palgrave Macmillan, New York, 2015, p. 87 273
Piotr Smolar, « Ukraine : la tentation européenne », Le Monde, 25 septembre 2013
81
commerciaux. Le Fonds Monétaire International (FMI) était également prêt à offrir des
prêts à l’Ukraine. En contrepartie, cette dernière devrait œuvrer à réduire considérablement
la corruption et ouvrir son marché. Pour l’Ukraine, l’offre de l’Union européenne était la
meilleure option, aussi pénible pouvait-elle être dans les premières années. Pour
Ianoukovitch cependant, l’offre de la Russie était beaucoup plus attrayante. Le Kremlin
n’exigerait pas de changements politiques majeurs, bien au contraire, un président
ukrainien à la solde de Moscou était ce qui pouvait arriver de mieux pour Poutine.
Ianoukovitch n’était pas particulièrement prorusse, mais il était conscient que les
changements politiques radicaux exigés par l’Union européenne et le FMI risquaient de
mettre en péril la position de plusieurs grands hommes d’affaires, membres du
gouvernement, ainsi que son propre poste de président.274
Le prêt accordé par la Russie
permettait également de financer la prochaine campagne présidentielle de Ianoukovitch en
2015, en plus de fournir une aide financière immédiate, alors que les changements proposés
par l’Union européenne pourraient prendre des années avant de fournir des bénéfices
monétaires. En dépit de sa réserve à l’égard de Ianoukovitch, Poutine soutient un régime
plutôt favorable à la Russie et détourne son voisin de l’Union européenne.275
Le premier
ministre ukrainien Azarov, au même titre que Ianoukovitch, assure jusqu’à la toute dernière
minute que l’Ukraine se prépare à signer l’accord à Vilnius. Le président ukrainien tentera
cependant de faire monter les enchères à la dernière minute, en révélant à ses homologues
européens la possibilité que l’Ukraine signe un accord plus avantageux pour elle avec la
Russie. Cependant, il se dit bien ouvert au partenariat européen si l’UE accepte de
« compenser » les pertes qu’entrainerait le partenariat si Moscou décide de réduire les
échanges commerciaux avec Kiev. Celui-ci estime qu’une somme supérieure à celle offerte
par la Russie, environ 20 milliards de dollars américains, devra être offerte en prêt à
l’Ukraine pour que le partenariat soit ratifié par son gouvernement.276
Les représentants
européens ne cédant pas à son chantage, la délégation ukrainienne ne se présente pas pour
la signature de l’accord, ni pour le Sommet business du Partenariat oriental.277
274
Richard Sakwa, Frontline Ukraine Crisis in the Borderlands, I.B. Tauris, Londres, 2015, p. 79 275
Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p. 86-87 276
Op. Cit. Galia Ackerman 277
Herman Van Rompuy, Remarks by President of the European Council Herman Van Rompuy at the press
conference of the Eastern Partnership summit in Vilnius, Vilnius, 29 novembre 2013
82
De retour à Kiev, Ianoukovitch présente ce tournant aux citoyens de l’Ukraine comme
temporaire. Avant de signer un tel accord, l’Ukraine a besoin d’analyser davantage les
répercussions économiques qu’entrainerait une baisse des échanges commerciaux avec la
Russie et les bénéfices à court terme que l’Ukraine retirerait du Partenariat oriental. Avec
ses homologues européens, Ianoukovitch insistera sur la nécessité d’obtenir rapidement de
l’aide financière afin de pallier aux pertes encourues en raison de la baisse des échanges
commerciaux avec la Russie. Il se présente comme soucieux de l’avenir économique de son
pays et ne souhaitant pas l’aggraver, il exige des garanties d’aide notamment du FMI et de
la Banque mondiale. Il assure cependant que l’intégration européenne reste la priorité de
l’Ukraine, alors que son double jeu se fait de plus en plus évident pour tous les partis.
L’Union européenne perçoit ce chantage comme étant un manque de valeurs européennes
et un manque de volonté de démocratisation pour l’Ukraine de Ianoukovitch alors que la
société civile estime qu’un rapprochement avec la Russie représente la dégradation de
l’appareil démocratique, la suppression de l’opposition politique, la détérioration des droits
et libertés et la montée de la corruption.278
Le Sommet de Vilnius agit alors comme
catalyseur pour la mobilisation de la société civile déjà échaudée par son gouvernement et
son président qui s’était fait élire sur des promesses de rapprochement avec l’Europe, de
transparence et d’augmentation du niveau de vie pour la classe moyenne et inférieure.
Après près de quatre années au pouvoir, Ianoukovitch démontre son incapacité à
fonctionner sans l’aide du Kremlin, l’intégration européenne n’est encore qu’une promesse
parmi d’autres, sans engagemens et sans avancement notoire depuis le début du mandat.
Les États-Unis, tout comme l’UE, encouragent Ianoukovitch à honorer ses promesses et à
suivre la voie européenne comme le réclament ses citoyens.279
L’annonce de l’échec du
sommet de Vilnius déclenche donc des manifestations de masse des citoyens et citoyennes
qui seront à l’origine de la chute précipitée du gouvernement Ianoukovitch.
278
Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p.89-90-95 279
John Kerry, « Statement on Ukraine », The New York Times, 10 décembre 2013
83
Le Maïdan : de manifestations pacifiques aux affrontements armés
Les premières manifestations commencent avant le Sommet de Vilnius, le
21 novembre 2013, lorsque Ianoukovitch commence à exprimer des réserves quant au
Partenariat oriental. Le mouvement prend cependant de l’ampleur lors de l’annonce de la
Rada – parlement ukrainien – sur la non-signature de l’accord et l’acceptation de l’offre du
Kremlin, le Maïdan devient un mouvement de masse à partir du 30 novembre et ne cessera
de prendre de l’ampleur jusqu’à la fuite de Ianoukovitch le 21 février 2014.280
Depuis le
tout début, le Maïdan est un mouvement social, mené par des citoyens sans allégeance
politique pour la majorité (92 % selon un sondage mené au début du mois de
décembre 2013).281
Le mouvement ne fût pas démarré par les partis de l’opposition – qui
n’y sont que faiblement représentés au début –, mais bien par des activistes sociaux ainsi
que des étudiants. Il s’agit toutefois d’un mouvement évolutif qui rassemblera de plus en
plus de personnes, de groupes d’âge et de situations sociales différentes. Au mois de
décembre, environ 18 % des manifestants viennent d’un milieu rural et environ la moitié
des manifestants viennent de Kiev. En février, 88 % des manifestants viennent d’ailleurs au
pays pour manifester leur insatisfaction vis-à-vis du régime.282
On distingue dans le
mouvement trois groupes différents. Le premier groupe est constitué des jeunes et des
étudiants, qui se réclament être les initiateurs du mouvement. Ils expriment leur colère vis-
à-vis du gouvernement et la génération avant eux qui a laissé le régime échouer dans ses
tentatives de démocratisation. Le deuxième groupe est formé d’adultes déjà sur le marché
du travail. Ils estiment quant à eux être les piliers du mouvement et avoir un poids politique
plus important que les jeunes et les étudiants comme ils représentent les travailleurs et les
votants de la société civile. Ils ont des demandes davantage axées sur la sécurité
économique, l’élimination de la violence d’État et une plus grande ouverture vers l’Europe.
280
Olga Onuch, « Maidans Past and Present : Comparing the Orange Revolution and the Euromaidan » in
David R. Marples, Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil Revolution, Ibidem
Press, Stuttgart, 2015, p. 34 281
Viktor Stepanenko, « Ukraine’s Revolution as De-Institutionalisation of the Post-Soviet Order » in Viktor
Stepanenko, Yaroslav Pylynskyi (eds), Ukraine after the Euromaidan, Challenges and hopes, Peter Lang,
Berne, 2015, p. 38-39 282
Anna Chebotariova, « Voices of Resistance and Hope : On the Motivations and Expectations of
Euromaidaners » in David R. Marples, Frederick V. Mills (Eds.) Ukraine’s Euromaidan, Analyses of a Civil
Revolution, Ibidem Press, Stuttgart, 2015, p. 167
84
Le dernier groupe est constitué de retraités qui se voient comme les gardiens du
mouvement. Ils estiment que c’est leur devoir de manifester pour tous ceux qui travaillent,
étudient, et pour ceux qui sont dans l’incapacité de se déplacer pour exprimer leur
mécontentement. L’âge moyen sur le Maïdan est de 36 ans et les hommes sont un peu plus
nombreux que les femmes, représentant environ 59 % des manifestants.283
Ayant chacun
des points de vue différents, les manifestants de tous les groupes s’entendent cependant sur
certaines demandes primordiales : tous désirent des changements au gouvernement, de
profondes réformes politiques, contre la corruption, et économiques, vers l’Union
européenne.284
Pour l’économiste ukrainien Anatoly Halchynsky, le Maïdan s’inscrit dans
la continuité des mouvements sociaux qui ont mené à l’indépendance de l’Ukraine en 1991
et la Révolution orange de 2004. Tous ces mouvements réclamaient l’indépendance et la
souveraineté de l’Ukraine et la fin de la mainmise de la Russie sur la société ukrainienne. À
son avis, l’intégration de l’Ukraine à l’Europe est le meilleur moyen d’achever ces
objectifs.285
À partir du 23 novembre 2013, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestent sur
la place de la Révolution à Kiev. Il s’agit du plus gros rassemblement social depuis la
Révolution orange de 2004. Les manifestants crient des slogans supportant l’intégration
européenne de l’Ukraine.286
Certains vont plus loin en utilisant des slogans contre l’accord
proposé par la Russie, notamment en scandant que « Nous ne vendrons pas notre liberté
pour du gaz ».287
Les premières interventions policières violentes auront lieu dans la nuit du
29 au 30 novembre à la suite d’une manifestation pacifique d’étudiants qui créèrent une
chaîne humaine dans la journée du 29 novembre pour manifester contre la décision du
président Ianoukovitch de renoncer à l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union
européenne.288
L’unité spéciale de la police ukrainienne, les Berkut, envahit la place
283
Op. Cit. Olga Onuch, p .47 284
Op. Cit. Anna Chebotariova, p. 172 285
Mykola Riabchuk, Andrej N. Lushnycky, « Ukraine’s Third Attempt» in Viktor Stepanenko, Yaroslav
Pylynskyi (eds), Ukraine after the Euromaidan, Challenges and hopes, Peter Lang, Berne, 2015, p. 49-50 286
Andriy Portnov, Tetiana Portnova, « The Ukrainian ‘‘Eurorevolution’’ Dynamics and Meaning » in Viktor
Stepanenko, Yaroslav Pylynskyi (eds), Ukraine after the Euromaidan, Challenges and hopes, Peter Lang,
Berne, 2015, p. 59 287
Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p. 95 288
Le Monde, « Ukraine : un mouvement épidermique et spontané qui bouscule l’échiquier politique », Le
Monde, 2 décembre 2013
85
centrale de Kiev dans le but de sécuriser l’érection du sapin de Noël de la ville. Une
dizaine d’étudiants seront battus et agressés par les Berkut. L’annonce de cet incident au
matin du 30 novembre fera descendre dans la rue davantage de citoyens, environ 100 000
manifestants. Des femmes avec leurs enfants se joignent notamment aux manifestants pour
demander l’arrêt de la violence. À la suite de cette annonce, plusieurs membres du
parlement du Parti des Régions – avec à sa tête le président Ianoukovitch – remettront leur
démission. Les slogans en faveur de l’intégration européenne furent alors accompagnés par
la demande de la démission du président Ianoukovitch et du premier ministre Azarov.289
À
partir de ce moment, les occupants du Maïdan commencèrent également à ériger des
barricades et à développer une armée de volontaires étant capables et voulant défendre le
mouvement. Cette armée nommée The Hundreds (Les Cents) s’organisa comme une milice,
avec des divisions et un centre de commandement, sans toutefois avoir d’armes en
quantité.290
Les manifestants, en plus d’exiger la démission de leur gouvernement, demandent la
libération des prisonniers politiques comme Ioulia Timochenko, la suspension des
poursuites criminelles contre les manifestants du Maïdan, et la démission ainsi que
l’arrestation des officiers Berkut ayant ordonné l’utilisation de la violence contre les
manifestants non armés et pacifiques. Le Maïdan s’étend alors jusqu’aux édifices
gouvernementaux, dont l’accès sera bloqué pour la plupart. Certains seront également
investis et saisis par des manifestants à partir du début du mois de décembre 2013.291
Certains parlementaires joignent également les rangs des manifestants, Petro Poroshenko,
alors membre du Parti des Régions fera partie de ces parlementaires. Plusieurs membres des
partis de l’opposition saisissent également cette chance et le mouvement se politise
davantage.292
Pour ces politiciens de l’opposition, le Maïdan représentait un outil politique
incroyable et une possibilité de changer le gouvernement à leur avantage. Pour les
manifestants, ces nouveaux membres permettaient l’expression de leurs demandes
beaucoup plus facilement envers le gouvernement, les parlementaires agissant comme
289
Op. Cit. Andriy Portnov, Tetiana Portnova, p. 60 290
Op. Cit. Viktor Stepanenko, p. 41 291
Julie Connan, « Ukraine : le pouvoir met la pression sur les manifestants pro-européens », Le Figaro,
10 décembre 2013 292
Idem
86
intermédiaires. Ils permettaient aussi une certaine sécurité de leurs installations et une façon
de se procurer certaines ressources, que ce soit techniques, financières, ou simplement de la
nourriture et des abris, les politiciens permettaient de se procurer ce qui était nécessaire
rapidement, et de garantir un certain approvisionnement. Les deux partis trouvaient des
avantages à accepter l’autre.293
Des représentants étrangers arrivent également sur le
Maïdan dans les premières semaines de décembre. On y retrouve notamment le premier
ministre moldave Vilat Filat et l’ancien président géorgien Mikheil Saakashvili.294
Une deuxième tentative pour déloger les manifestants et démanteler leurs barricades aura
lieu dans la nuit du 9 au 10 décembre 2013. La version officielle annonçait toutefois que
c’était pour permettre une meilleure circulation pour le trafic automobile dans le centre-
ville. L’Opération échouera lorsque la Cathédrale Mikhaïlovski fît sonner les cloches à
l’approche des corps policiers. Plusieurs milliers de manifestants et de citoyens se sont
alors rassemblés autour du Maïdan pour empêcher les Berkut de chasser les manifestants et
de détruire les barricades. L’opération policière dut être annulée quelques heures plus
tard.295
Le 17 décembre, ignorant tout des réclamations du Maïdan, Ianoukovitch signe
avec le président Poutine un accord Russie-Ukraine formé de « 14 accords de coopération
économique, commerciale, gazière et industrielle […] en plus d’une allocation de crédit de
15 milliards de dollars américains par des achats de bons du Trésor ukrainiens par
Moscou. »296
Ianoukovitch affirme que l’Union européenne n’a offert aucun bénéfice
économique à court terme pour l’Ukraine déjà dans une situation précaire. Il affirme ne pas
pouvoir se permettre de faire une croix sur les échanges commerciaux avec la Russie sans
compter les nombreux avantages de ces accords.297
Le 22 décembre, le gouvernement
Ianoukovitch vote une loi pour poursuivre en justice les manifestants occupant les
bâtiments administratifs de l’État. Le même jour, l’Association Maïdan panukrainienne est
créée par les partis d’opposition et plusieurs manifestants. Cependant, à la veille de la
293
Op. Cit. Viktor Stepanenko, p. 39 294
Benoit Viktine, « À Kiev, la cure de jouvence révolutionnaire de Mikheïl Saakachvili », Le Monde,
7 décembre 2013 295
Op. Cit. Andriy Portnov, Tetiana Portnova, p. 61 296
Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, L’Ukraine : Entre déchirements et recompositions,
L’Harmattan, Paris, 2015, p. 32-33 297
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 79
87
nouvelle année, avec le froid et la stagnation de la situation politique, de moins en moins de
manifestants occupent le Maïdan.298
Pour les habitants des régions de l’est qui supportent le parti des Régions, le Maïdan est une
distraction, les manifestants devraient retourner au travail, et selon Viktor Ruzyenko, un
travailleur du Donbass, le gouvernement devrait utiliser la force militaire pour les déloger
s’ils ne quittent pas eux-mêmes. Sergey Yermolenko, un autre travailleur, partage ce point
de vue, et ajoute que pour plusieurs travailleurs du Donetsk, l’est du pays pourvoit l’argent
alors que l’ouest le dépense. À son avis, la Russie est un partenaire indispensable pour
l’Ukraine alors que l’Europe ne l’est pas. L’industrie lourde, les chemins de fer, les usines
ne peuvent se passer de la Russie. Le bassin industriel de l’est a besoin de la Russie.299
Après quelques semaines de manifestations, les divergences entre l’est et l’ouest du pays se
font sentir. Dans l’est, on estime que le mouvement Maïdan ne fait qu’aggraver la situation,
que les manifestations encouragent la partition est – ouest et que les conséquences seront
dévastatrices pour le pays. Si Ianoukovitch est élu quelques années après la Révolution
orange, c’est bien parce que les révolutions ne durent pas et que le système en place
fonctionne.
Le 16 janvier 2014, le gouvernement Ianoukovitch vote des lois antimanifestations qui
empêchent les manifestants d’installer tentes et barricades. Les contrevenants seront
traduits devant la justice et peuvent être condamnés à une peine allant jusqu’à 15 ans de
pénitencier.300
La violence contre les manifestants augmente sans cesse, certains blessés
sont violemment sortis de leur lit d’hôpital, d’autres activistes sont enlevés la nuit, battus et
abandonnés dans les forêts autour de Kiev. Alors que les manifestants se mobilisent de plus
en plus, la répression gouvernementale se fait, quant à elle, de plus en plus brutale et
violente. Certains leaders d’opposition tentent de négocier avec le gouvernement, mais
Ianoukovitch est inflexible.301
Le 22 janvier, le premier manifestant est tué par les forces
spéciales. Le lendemain, les manifestations dans l’ouest du pays prennent de l’ampleur.
298
Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 33 299
Andrew Roth « In Ukraine’s East, a message for the Protesters : Stop », The New York Times,
12 décembre 2013 300
Will Englund, « Harsh anti-protest laws in Ukraine spur anger », The Washington Post, 17 janvier 2014 301
Andrew Wilson, Ukraine Crisis, What it means for the West, Yale University Press, Londres, 2014, p. 86
88
Dans des villes comme Lviv, Ternopil ou Rivne, les manifestants investissent des bâtiments
administratifs de l’État, le mouvement devient une révolution.302
Sur le Maïdan, les
manifestants contribuent à l’escalade de la violence en formant des divisions de
protestataires armés. Le 28 janvier, le premier ministre Mykola Azarov remet sa démission,
mais les manifestants exigent la démission du président également. Le parlement ukrainien
abolit les lois du 16 janvier et entreprend de profonds changements législatifs, d’ailleurs
soutenus par l’Union européenne.303
Au mois de février, la situation s’envenime davantage. Le 18 février « 20 000 activistes du
Maïdan défilent pacifiquement en direction de la Rada pour demander le retour à la
Constitution de 2004. […] Le bureau central du Parti des Régions est rapidement pris
d’assaut par les manifestants : en réaction, les forces de police du ministère de l’Intérieur
lancent un ultimatum aux casseurs en leur demandant d’évacuer les abords du quartier
gouvernemental, situé derrière la place du Maïdan. Les tentatives violentes de dispersion
des manifestants par les forces de sécurité galvanisent d’autant les contestataires. Dans la
nuit du 18 au 19, on dénombrera 25 morts : quinze manifestants, un journaliste et neuf
policiers, alors que la Maison des Syndicats, cet immense bâtiment de béton donnant sur la
place de l’Indépendance, prendra feu. »304
En réaction aux évènements de la veille, les
députés venant de l’est de l’Ukraine et de la Crimée réclament l’instauration de l’état
d’urgence, alors que dans l’ouest, les partisans investissent à nouveau les bâtiments de la
police et de l’administration locale.305
Le gouvernement fait également appel à un autre
type de contrôle de foule. Il engage des Titushki; des citoyens mercenaires nouveau genre à
la solde du régime qui provoquent les manifestants avant de se battre violemment, souvent
avec des armes blanches ou même parfois avec une petite arme à feu dissimulée. Ces
mercenaires sont responsables d’au moins six morts le 18 février, et au moins un dans la
matinée du 19 février 2014. Avec un pays qui est déjà au bord de la guerre civile, le
20 février, Ianoukovitch autorise les forces spéciales à tirer à balles réelles sur les
manifestants. Les premiers tirs de snipers commencent en matinée. Postés sur les toits
environnant le Maïdan, notamment à l’hôtel Ukraïna, à la Banque Nationale, au Cabinet des
302
Op. Cit Richard Sakwa, p. 83 303
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 86 304
Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 36 305
Le Monde, « Face-à-face meurtrier et impasse politique à Kiev », Le Monde, 19 février 2014
89
ministres et à l’hôtel Kozatsky,306
les snipers ainsi que les forces spéciales feront en cette
unique journée 82 morts et plus de 600 blessés. La nuit même, le parlement interdit
l’utilisation de balles réelles par les forces spéciales contre les manifestants. Les États-Unis
et l’Union européenne menaceront une vingtaine de parlementaires de sanctions,
notamment de suspension de visas, s’ils n’arrêtent pas immédiatement le bain de sang.
Certains députés du Parti des Régions rejoignent également l’opposition et commencent à
soutenir les manifestations. Le vendredi 21 février, 17 députés du Parti démissionnent,
5 autres les suivront avant la fin de la soirée.307
Les ministres des Affaires étrangères de la France, de la Pologne et de l’Allemagne tentent
de négocier une paix pour mettre fin définitivement aux violences et contenter les
manifestants. Ils veulent diminuer les pouvoirs du président Ianoukovitch, retourner à la
constitution de 2004, votée à la suite de la Révolution orange, et avancer les élections
présidentielles en décembre 2014. Ces nouvelles conditions ne suffisent toutefois pas à
calmer les manifestants qui veulent une démission immédiate de leur président. Craignant
pour sa vie, Ianoukovitch s’enfuit discrètement dans l’Est.308
Le 22 février, « le président
de la Rada, Volodomyr Rybak annonçait sa démission pour raisons de santé. Le vice-
président Kaletnik quittait également son poste. Le bloc parlementaire du Parti des Régions
annonce une défection de 41 de ses membres à l’ouverture de la Rada. Le président
Ianoukovitch sera destitué à l’unanimité des 328 votants inscrits à la Rada ce jour-là pour
violations massives des droits de l’homme et incapacité constitutionnelle à exercer ses
fonctions. Depuis Kharkiv où il s’était exilé, le président dénoncera un coup d’État et
refusera de quitter son poste.»309
Le Maïdan a finalement atteint son but de renverser le
gouvernement, il laisse toutefois l’Ukraine avec une profonde division est-ouest et le bilan
est plutôt sombre, entre le 30 novembre 2013 et le 20 février 2014, plus de 100 personnes
perdirent la vie, dont au moins 15 officiers de police, en plus des 1 000 blessés.310
306
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 88-89 307
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 91 308
Op. Cit. Galia Ackerman 309
Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 39 310
Iryna Demisheva, Anastasiya Kolomoyets, « Construction of Reality in the Context of Signing the
Agreement about Regulation of the Crisis in Ukraine on 21 February 2014 » in European Journal of
Transformation Studies, 2014, Vol. 2 N°1, p. 27
90
À peine sortie de ses manifestations, l’Ukraine connaitra un autre mouvement de
contestation, cette fois-ci dans l’est du pays, qui sera d’abord reconnu comme un anti-
Maïdan. Ces manifestations commencèrent à la suite d’une décision mal calculée du
nouveau gouvernement à Kiev. En effet, le 23 février, la Rada vote le retrait du statut de
langue officielle au russe. Les russophones de l’est du pays et de la Crimée – encouragés
par le Kremlin – commenceront à se lever comme les manifestants l’ont fait à Kiev.311
Ils
investiront les bâtiments administratifs dans plusieurs villes et hisseront au sommet le
drapeau tricolore russe. Plusieurs fois ces drapeaux seront décrochés et les manifestants
chassés, mais ils reviendront à la charge et reprendront les édifices plusieurs fois. Si
plusieurs russophones étaient frileux quant au départ de leur président et à la mise en place
d’un nouveau gouvernement, la nouvelle loi concernant le statut des langues officielles
suffit à embraser la population qui craint que le nouveau gouvernement proeuropéen
punisse les minorités russes du pays.312
Ces manifestations seront à l’origine d’un
mouvement beaucoup plus important qui entrainera l’annexion de la Crimée ainsi qu’une
guerre civile dans l’Est du pays qui fait rage depuis maintenant trois ans.
Les petits hommes verts armés et sans drapeau : l’invasion de la Crimée
Avec les changements de gouvernement à Kiev, Moscou avait une occasion en or pour
envahir son voisin et rencontrer très peu de résistance. Les autorités compétentes étant
quelque peu paralysées par les changements, l’invasion de la Crimée s’est faite sans
échanger de coup de feu.313
Le 27 février au matin, 60 hommes en uniforme vert non
identifiés entrent à Sébastopol armé de Kalachnikov. Sous la menace des fusils, le
gouvernement et les autorités de la Crimée furent changés sous prétexte qu’ils ne
remplissaient pas leurs fonctions. C’est Sergueï Axionov, connu pour ses positions
prorusses, qui prendra la tête du gouvernement en Crimée.314
Ces hommes ne sont
cependant pas des soldats ordinaires, le président Poutine s’assure d’envoyer en Ukraine
311
The Washington Post, « Pro-Russia rally draws thousands in eastern Ukraine », Video Channels,
24 février 2014, https://www.washingtonpost.com/posttv/world/pro-russia-rally-draws-thousands-in-eastern-
ukraine/2014/02/24/c7bd4e8a-9d74-11e3-878c-65222df220eb_video.html 312
Frédérick Lavoie, Ukraine à Fragmentation, Éditions la Peuplade, Chicoutimi, 2015, p. 65 313
Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p. 102 314
Louis Imbert, « Sergueï Axionov, l’homme de Moscou en Crimée », Le Monde, 3 mars 2014
91
des mercenaires expérimentés ainsi que des agents des services de sécurité comme Igor
Strelkov, qui prit part aux deux guerres de Tchétchénie de 1994 à 1996 et de 1999 à
2000.315
Sous ces contraignants invités, une motion sera également passée pour
l’organisation d’un référendum pour l’indépendance de la Crimée et éventuellement son
rattachement à la Fédération de Russie. Les communications du parlement avec l’extérieur
furent coupées pendant les votes, les cellulaires des parlementaires confisqués, et les
membres du gouvernement étaient accompagnés et suivis jusque dans les toilettes. Les
sources ukrainiennes affirment qu’il n’y avait qu’entre 35 et 37 membres du parlement
cette journée alors que le quorum minimum est fixé à 40 membres. Les motions ne seraient
donc pas valides. Les sources russes affirment évidemment le contraire en maintenant qu’il
y avait 64 membres du parlement lors de la prise de décisions; les motions seraient donc
valides. Néanmoins, une date est fixée pour le référendum qui devait initialement avoir lieu
le 25 mai, avant d’être devancée au 30 mars, et finalement au 16 mars 2014. Les petits
hommes verts étaient pour la plupart des membres de forces (Berkut) spéciales de Crimée
assistés par les forces spéciales russes du 45e régiment aéroporté. Même s’il n’y a
réellement pas de doute sur leurs origines, aucun ne porte un insigne ou un drapeau qui
permettrait de les identifier clairement. Les forces spéciales Berkut saisissent le dépôt
d’armes de Sébastopol et bloquent l’isthme qui relie la presqu’île de Crimée au reste de
l’Ukraine. Dans la nuit du 27 au 28 février 2014, les militaires russes présents prennent le
contrôle des aéroports de Sébastopol et de Simféropol; la Crimée est désormais
complètement isolée.316
Le conflit en Crimée est très particulier; la Russie a le droit d’avoir en permanence jusqu’à
25 000 membres du personnel sur la base de Sébastopol selon l’accord existant entre les
deux pays sur l’occupation de cette base navale par la marine russe. Cet accord permet
d’ailleurs à la Russie, lorsqu’elle est accusée d’avoir envahi la Crimée, de nier les faits et de
soutenir qu’il n’y avait pas plus de Russes sur le territoire que ce qu’autorisait l’accord. Il y
avait cependant violation de l’accord car les forces russes opéraient hors du périmètre
315
Anne Applebaum, « The Malaysia Airlines crash in the end of Russia’s fairy tale », The Washington Post,
18 juillet 2014 316
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 110-111
92
délimité par l’accord.317
Comme mentionné précédemment, même si aucun doute ne plane
sur l’origine des petits hommes verts, leurs uniformes non identifiés ainsi que les masques
portés par la majorité rendent impossible leur identification formelle et complique les
accusations. De plus, c’est avec une pointe de sarcasme et de cynisme que Vladimir Poutine
soulignera dans son discours du 18 mars qu’il n’avait jamais vu une invasion sans coup de
feu, en faisant référence à la retraite rapide des forces ukrainiennes de Crimée.318
Comme
l’accord concernant la flotte de la mer Noire permettait aux Russes d’avoir jusqu’à 25 000
soldats stationnés à Sébastopol en tout temps, et ce, jusqu’en 2042, les forces ukrainiennes,
peu nombreuses, qui étaient présentes sur le territoire furent vite débordées. Comme il était
également impossible de vérifier l’identité des assaillants, dans cette ambiguïté, Kiev a
ordonné le retrait rapide sans combat.319
Le 4 mars, lors d’une intervention télévisée, Vladimir Poutine affirme que le coup d’État en
Ukraine ayant mené à la mise en place du nouveau gouvernement était illégitime. Celui-ci
ne sera pas reconnu par le Kremlin qui envisage maintenant de devoir protéger les
minorités russes d’Ukraine contre ce nouvel ordre politique. Il affirme également que le
premier ministre de Crimée, Sergey Axionov, aurait demandé l’assistance de la Russie dans
la protection de ses concitoyens russophones et que Moscou ne peut pas ignorer cette
demande. La population russophone de Crimée descend dans les rues de Simféropol
brandissant des drapeaux russes alors que la population ukrainophone et les Tatars font de
même avec les drapeaux ukrainiens. Ces derniers manifestent contre les petits hommes
verts qui ont envahi leur région et leurs villes. À la télévision le 4 mars 2014, un soldat
interviewé avouera qu’il est d’origine russe et qu’il a été déployé en Crimée pour contrer
d’éventuels actes terroristes. Les russophones quant à eux manifestent leur désaccord avec
le nouveau pouvoir en place qu’ils affirment être fasciste et antirusse.320
Le terme fasciste
sera par la suite utilisé par la propagande russe pour dépeindre le gouvernement de Kiev et
encourager les Criméens à voter pour la sécession de la Crimée et son rattachement à la
317
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 103 318
Vladimir Poutine, Address by President of the the Russian Federation, The Kremlin, Moscow,
18 mars 2014 319
Op. Cit. Galia Ackerman 320
Op. Cit. Frédérick Lavoie, p. 54-55
93
Fédération de Russie.321
Le 11 mars, « 78 des 81 députés locaux encore présents se
prononceront pour leur indépendance et celle de la ville de Sébastopol lors d’une session
extraordinaire du Parlement […] et annonceront la tenue ultérieure d’un référendum destiné
à interroger la population quant à sa volonté d’être rattachée à la Russie, même si
l’indépendance de la Crimée n’était pas reconnue par la communauté internationale. »322
Le
lendemain, le nouveau gouvernement ukrainien annonce que l’armée n’interviendra pas si
la Crimée fait sécession.323
L’annexion de la Crimée : illégale selon le droit international
Le 16 mars, après la tenue du référendum, les résultats tombent. 96,7 % de la population
aurait voté en faveur d’un rattachement de la Crimée à la Russie. Ce résultat est par la suite
réajusté et l’annonce officielle affirme que 83,1 % de la population aurait voté en faveur du
rattachement à la Fédération russe. Ethniquement, ces résultats sont très douteux comme
24 % de la population est ukrainienne et 13 % sont des Tatars. Ces deux groupes
soutenaient le nouveau gouvernement ukrainien lors des manifestations des semaines
précédentes. Si les Russes sont habitués aux majorités dictatoriales, les Ukrainiens comme
la majorité des pays à l’ONU rejetteront la validité du vote et du référendum.324
Néanmoins, le 18 mars, la Russie confirme l’annexion de la Crimée à son territoire,
devenant la 22e République autonome, et depuis, « toute attaque contre la Crimée constitue
une déclaration de guerre à la Fédération de Russie »325
Moscou affirme que le taux de
participation au référendum aurait dépassé les 80 %, mais le leader Tatars Moustafa
Djemilev de son côté soutient que le taux de vote n’aurait pas dépassé 34 % et pas plus de
la moitié des votants aurait confirmé vouloir le rattachement de la Crimée à la Russie.326
De
son côté, Vladimir Poutine affirme dans son discours du 18 mars que le référendum a été
fait selon les normes internationales et avec des procédures démocratiques. Selon lui, le
résultat du référendum prouve que la majorité des 1,5 million de Russes,
321
Voir Annexe III, panneau publicitaire retrouvé à Sébastopol en Crimée Roland Gauron, « Ukraine, les
enjeux du référendum sur la Crimée », Le Figaro, 12 mars 2014 322
Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 77 323
Idem 324
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 113 325
Op. Cit. Galia Ackerman 326
Idem
94
350 000 Ukrainiens parlant majoritairement le russe, et les 300 000 Tatars soutiennent la
Russie, indépendamment de leurs origines. Il réfute les accusations d’invasion en attestant
que les militaires russes n’ont pas violé l’intégralité territoriale de l’Ukraine comme ceux-ci
ont été invités par la Chambre haute du Parlement de Crimée qui aurait également autorisé
l’emploi de la force, mais que la Russie n’a pas envoyé de soldats et qu’il s’agissait
uniquement du personnel de la base de Sébastopol. Il assure également que jamais le
nombre de soldats russes sur le sol ukrainien n’a dépassé le quota permis par l’accord entre
les deux nations.327
Partout en Russie des manifestations de joie éclatent. Plus de 90 % des Russes appuient
l’annexion de la Crimée.328
Pour la majorité, cette annexion permet de corriger une erreur
datant de 1954, c’est-à-dire le don de la Crimée à l’Ukraine par Nikita Khrouchtchev, alors
que pour le régime, c’est une manière d’exprimer sa volonté de conserver une sphère
d’intérêts autour de la Russie et de montrer aux dirigeants ukrainiens qu’un tournant
proeuropéen n’était peut-être pas la meilleure option pour leur pays.329
Il faut également
souligner que pour une puissance révisionniste, voire impérialiste comme la Russie, une
conquête territoriale comme celle de la Crimée ne peut que satisfaire les concitoyens. Cette
annexion est pour plusieurs le signe que la Russie est toujours une grande puissance et
qu’elle peut prendre la place d’une grande puissance sur la scène internationale si elle se
donne les moyens nécessaires. Plusieurs opposants de Vladimir Poutine expriment même
leur satisfaction à l’égard du président dont la popularité monte en flèche. Il atteint des
sommets inégalés depuis sa prise de pouvoir 14 ans plus tôt. Après avoir graduellement
descendu dans les sondages depuis 2010, au mois de mars 2014, le taux de satisfaction de la
population envers le président russe dépasse les 80 %.330
En ce qui concerne la logistique,
les Russes, comme leur administration, sont très confiants qu’un pont construit au-dessus
du détroit de Kertch permettra l’accès et l’approvisionnement de la péninsule sans aucun
problème.331
L’importance de la Crimée pour la Russie s’explique par différents facteurs, le
plus important étant certainement l’emplacement stratégique de la flotte de la mer Noire et
327
Op. Cit. Vladimir Poutine 328
Op. Cit. Galia Ackerman 329
Op. Cit. Rilka Dragneva, Kataryna Wolczuk, p. 103 330
Levada Center, Putin’s Approval Rating, janvier 2017, http://www.levada.ru/en/ratings/ 331
Op. Cit. Frédérick Lavoie, p. 58
95
son statut. Malgré des années de recherches pour trouver un port donnant accès à une mer
chaude, Sébastopol reste le meilleur endroit pour la marine russe. Avec un gouvernement
proeuropéen, l’administration Poutine craint de perdre ce privilège et de devoir déménager
sa base navale.332
Il est également important de souligner que si l’Ukraine rejoint l’OTAN
et l’Union européenne, la Russie se trouve avec des installations militaires dans un pays
membre d’une organisation internationale toujours perçue comme une ennemie. Suivant
cette logique, le président Poutine réassure publiquement dans son discours du 18 mars
2014, que la Russie ne s’oppose pas à une coopération avec l’Union européenne et
l’OTAN, mais elle ne prendra pas le risque de voir s’établir une organisation militaire
adverse à ses frontières.333
La communauté internationale se prononcera sur ce référendum lors d’une session à l’ONU
le 27 mars 2014. À la fin de la session, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la
résolution 68/262 sur l’intégralité territoriale de l’Ukraine et l’invalidité de l’annexion russe
de la Crimée. Cette résolution est adoptée par 100 États, alors que 11 se prononcent contre,
58 s’abstiennent et 24 États sont absents lors de cette décision.334
Les États-Unis dénoncent
le référendum, affirmant qu’il ne peut être valide sans l’accord de Kiev. Évidemment,
l’administration Poutine rappelle à l’Occident qu’un référendum avait été permis au
Kosovo sans l’accord de Belgrade, et que les États-Unis avaient déclaré à la suite de cette
indépendance « qu’une déclaration unilatérale d’indépendance d’une partie d’un État ne
violait aucune norme du droit international. » 335
Selon le président Poutine, pour la tenue
de ce référendum, le Conseil Suprême de Crimée s’est référé à la Charte des Nations Unies
qui garantit le droit des nations à l’autodétermination. Se basant sur le cas du Kosovo336
, les
autorités de Simféropol auraient conclu que pour tenir le référendum, l’accord du
gouvernement central n’était donc pas nécessaire.337
Ces allégations, quoique contestables,
sont soutenues par quelques experts dans le domaine. Notamment « Théodore Christakis,
332
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 102 333
Op. Cit. Vladimir Poutine, 18 mars 2014 334
Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 68/262 Intégrité territoriale de l’Ukraine,
27 mars 2014 335
Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 80 336
Cour Internationale de Justice, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale
d’indépendance relative au Kosovo, Avis consultatif, le 22 juillet 2010, http://www.icj-cij.org/files/case-
related/141/16013.pdf 337
Op. Cit. Vladimir Poutine, 18 mars 2014
96
professeur de droit international à l’Université de Grenoble/Alpes, également directeur du
Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes (CESICE) qui
livrera pour sa part une analyse selon laquelle le droit international serait, dans le cas
présent, favorable à la position russe. En effet, selon lui, la tenue d’un référendum
concernant le statut futur d’un territoire n’est pas, en principe, illégale du point de vue du
droit international, pas plus qu’une éventuelle déclaration d’indépendance à la suite d’un tel
référendum. »338
Point de vue également partagé par l’ancien chancelier allemand Gerhard
Schroeder, même si l’Allemagne de Merkel soutient l’illégalité du référendum.
D’autres experts se sont également penchés sur la question pour arriver à des conclusions
beaucoup plus nuancées. William W. Burke-White, spécialiste du droit international gradué
de Harvard et de Cambridge affirme que le cas du Kosovo est très différent de l’Ukraine,
principalement car la crise du Kosovo eut lieu en 1999 alors que l’indépendance fût
prononcée en 2008. En Crimée, le référendum eut lieu en pleine crise, beaucoup trop
rapidement, avant que les citoyens puissent assimiler et digérer les évènements. De plus, la
question du référendum n’était pas assez explicite ; les votants devaient choisir entre deux
propositions, la première étant de réunifier la Crimée à la Russie en devenant une région à
part entière de la Fédération, ou de revenir à la constitution de 1992 incluant le statut de la
Crimée comme province de l’Ukraine.339
Christian Marxsen, également spécialiste du droit
international à l’institut Max Planck à Heidelberg, estime quant à lui, que la situation est
extrêmement délicate; la Russie affirme avoir défendu les droits et libertés des
communautés russes et la preuve de ses allégations demeure assez faible. Normalement,
pour qu’un État intervienne militairement dans les affaires internes d’un autre État, la
situation est plutôt extrême, ce qui est loin d’être le cas pour les citoyens de la Crimée. De
plus, selon la constitution ukrainienne, pour qu’une province puisse faire sécession, le
référendum doit être à l’échelle nationale et pas uniquement dans le territoire séparatiste, le
référendum de Crimée est donc inconstitutionnel. De plus, la présence des militaires partout
sur le territoire est davantage concentrée dans les grandes villes ne permet pas de conclure
que le référendum s’est déroulé selon les normes internationales et avec des procédures
338
Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 80 339
William W. Burke-White, « Crimea and the International Legal Order », Survival Global Politics and
Strategy, 2014, Vol. 56 N°4, p. 72
97
démocratiques. Sa conclusion est la même que la résolution A/68/262 de l’ONU, la
communauté internationale ne peut pas reconnaitre les résultats comme légitimes.340
Selon
Thomas D. Grant, professeur de droit international à l’Université de Cambridge, la situation
relève quelque peu de l’ironie. Lors de l’indépendance du Kosovo, la Russie s’était
profondément opposée à cette indépendance, maintenant qu’il fallait une situation vraiment
extrême comme une attaque de l’État contre une partie de sa population pour légitimer une
intervention extérieure menant à un référendum et à une déclaration d’indépendance. Il
réfute également l’argument selon lequel la Russie serait intervenue à la suite de la
demande de Ianoukovitch pour ramener l’ordre dans le pays. L’intervention eut lieu après
la destitution du président. Ianoukovitch avouera lui-même, le 2 avril 2014, qu’il n’a jamais
fait une telle demande.341
Malgré les allégations du président Poutine et de son
administration, la Russie a bel et bien violé l’intégralité territoriale de l’Ukraine en
envahissant et en annexant la Crimée. Un accord sur le stationnement de militaires
n’autorise pas pour autant ces militaires à renverser les autorités en place et organiser la
tenue d’un vote pour la sécession d’un territoire.
L’Est sécessionniste : les combats dans le Donbass
« Le 3 mars, dans la continuité des évènements de Crimée et en réaction à la suppression du
russe de la liste des langues officielles d’Ukraine, trois cents manifestants prorusses
investiront le bâtiment administratif régional de Donetsk. De même à Odessa, des
manifestants tenteront de hisser le drapeau russe au sommet du bâtiment de l’administration
régionale et demanderont un référendum sur l’établissement d’une République autonome
d’Odessa. »342
Le conflit connaitra une rapide escalade à partir du 6 avril, lorsque des
manifestants réussissent à investir et à garder le contrôle de plusieurs bâtiments
administratifs dans les villes de Donetsk, Louhansk et Kharkiv. Le lendemain, la
République de Donetsk déclare son indépendance, ce qui ne semble pas trop inquiéter les
340
Christian Marxsen, « The Crimea Crisis – An International Law Perspective », Heidelberg Journal of
International Law, 2014, Vol. 72 N°2, p. 374 et 391 341
Thomas D. Grant, « Annexation of Crimea » The American Journal of International Law, Janvier 2015,
Vol. 109, N°1, p. 72 et 81 342
Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, Mathieu Boulègue, p. 88
98
autorités à Kiev.343
Le 9 avril, c’est au tour de la République de Louhansk de déclarer son
indépendance. Le même jour, la Russie communique à Kiev que si les forces ukrainiennes
emploient la force contre les rebelles, elle devrait alors assurer la sécurité des citoyens
russophones comme elle l’avait fait en Crimée.344
Le 12 avril, des soldats russes sous le
commandement de Strelkov traversent de la Crimée à la ville de Slaviansk dans l’est de
l’Ukraine. Accueillis par les volontaires locaux, ils prennent sans trop d’efforts le poste de
police et son dépôt d’armes ainsi que les bâtiments de l’administration. « Des policiers, des
agents spéciaux, des fonctionnaires et même la mairesse de la ville s’engagent dans la
rébellion. »345
Les sécessionnistes prennent le contrôle de la ville, installant des barrages
routiers et étendant graduellement la rébellion aux villes avoisinantes. À Kharkiv et Odessa,
les autorités ukrainiennes reprennent le contrôle et rétablissent l’ordre rapidement après les
premiers soulèvements. Ailleurs dans le Donbass, la plupart des anciennes autorités fuient
la région. Les manifestants s’arment et s’organisent, ils investissent rapidement les postes
de police dans les différentes villes pour saisir le contenu du dépôt d’armes. La rébellion
touche de plus en plus de villes, la Rada ukrainienne est obligée d’annoncer une opération
antiterroriste dans l’Est du pays.346
Le service de sécurité ukrainien est déployé à la mi-
avril et il reprend le contrôle sur plusieurs grandes villes, dont Marioupol, Kirovsk,
Yampol, etc.347
Le 17 avril s’ouvre à Genève des pourparlers entre la Russie, l’Ukraine, les États-Unis ainsi
que l’Union européenne, pour la désescalade de la violence dans l’est du pays. Les accords
exigent « le désarmement des groupes armés illégaux actuellement actifs en Ukraine et
l'évacuation des bâtiments occupés. »348
Ils demandent également la fin des actes de
violence et affirment qu’une « amnistie doit être accordée aux manifestants prorusses qui
ont participé à l'insurrection, à l'exception de ceux qui se sont rendus coupables de
crimes. »349
Ces accords ne seront jamais respectés; les rebelles ne cessent de demander un
appui militaire de la Russie qui annonce d’ailleurs une série d’exercices militaires près de la
343
Serge Schmemann, « The World Goes to the Polls », The New York Times, 11 avril 2014 344
Benoit Vitkine, « Comment les séparatistes prorusses ont gagné », Le Monde, 12 mai 2014 345
Op. Cit. Frédérick Lavoie, p. 69-70 346
Ibid, p. 71 347
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 151 348
Le Monde, « Accord diplomatique pour une résolution de la crise en Ukraine », Le Monde, 17 avril 2014 349
Idem
99
frontière ukrainienne avec notamment plus de 200 blindés.350
Les sécessionnistes du
Donbass imitent leurs homologues de Crimée en proclamant un référendum pour le 11 mai
2014. Les rebelles contrôlent plusieurs villes et plusieurs routes principales, sans toutefois
avoir la mainmise sur la région complète.351
Le 7 mai, Vladimir Poutine tente de repousser
la date du référendum, mais les rebelles refusent. À Donetsk comme à Louhansk, la
question posée aux citoyens est simple; « supportez-vous la création de la République
Populaire de Donetsk ? (Louhansk) ». Les rebelles assurent ensuite que dans les deux
républiques, le taux de vote aurait atteint 75 % et que les votants auraient répondu
positivement à 89 % pour Donetsk et 96 % pour Louhansk. Tout comme le référendum de
Crimée, ni Kiev, ni la communauté internationale ne reconnaitront ces nouvelles
républiques. Néanmoins, celles-ci signent un accord commun pour créer la Novorossiya, la
Nouvelle Russie le 24 mai 2014.352
Le 26 mai, les forces aériennes ukrainiennes
bombardent les positions de rebelles de la République Populaire de Donetsk. Cette attaque
fera des victimes chez les rebelles, mais aussi chez les civils habitant la région. L’aéroport
de Donetsk sera au cœur de plusieurs affrontements pendant l’été. Récemment rénové, le
bâtiment n’est plus qu’un tas de ruines autour duquel les rebelles et les forces ukrainiennes
s’affrontent pour en garder le contrôle.353
L’écrasement du vol MH17
Entre les mois de mai et de juillet 2014, les combats se durcissent davantage. L’armée
ukrainienne n’était pas préparée pour ce conflit contre les milices armées par la Russie. La
plupart de leurs armes ont été vendues et celles qui demeurent sont souvent en mauvais état.
Dans une armée de 80 000 soldats, à peine 6 000 étaient prêts pour le combat, l’armée
régulière manquant d’entrainement et d’expérience. L’utilisation des missiles contre les
insurgés dans les zones civiles envenime davantage la situation, le nombre de victimes
grimpe en flèche.354
Le gouvernement ukrainien demande un cessez-le-feu entre le 20 et le
30 juin. Malheureusement, ce dernier ne sera respecté que des forces ukrainiennes, les
350
Andrii Deshchytsia, « La charge du ministre ukrainien des Affaires étrangères contre Vladimir Poutine »,
Le Figaro, 9 mai 2014 351
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 131 352
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 154 353
Maria Turchenkova, « En Ukraine, les morts de Donetsk rapatriés en Russie », Le Monde, 30 mai 2014 354
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 159-160
100
rebelles faisant 27 victimes durant cette période. À la reprise des combats le 1er
juillet,
l’armée ukrainienne est beaucoup mieux organisée et les succès se multiplient, l’armée
réussit à reprendre Slaviansk et à forcer les rebelles à se retrancher près de Louhansk et de
Donetsk.355
Plusieurs milliers de volontaires joignent les rangs de l’armée ukrainienne. Des
industriels et des entrepreneurs locaux font don de plusieurs milliers de dollars pour
permettre à l’armée d’acheter des armes et des équipements adéquats. Les États-Unis eux-
mêmes assistent les Ukrainiens avec plus de 20 millions de dollars pour de l’équipement
militaire divers ainsi que pour des provisions.356
Cependant, lorsque les rebelles perdent
trop de territoire ou sont débordés par l’armée ukrainienne, la Russie tente de rééquilibrer le
combat en fournissant une aide matérielle, notamment avec des armes sophistiquées, et des
instructeurs russes qui montrent aux rebelles comment utiliser ce nouveau matériel, ainsi
qu’avec des soldats mieux entrainés de l’armée régulière.357
Ces armes sophistiquées
fournies par la Russie permettent d’ailleurs aux rebelles d’abattre plusieurs avions et
hélicoptères de l’armée ukrainienne, ce qui forcera les autorités ukrainiennes à fermer
l’espace aérien au-dessus du Donetsk sous 32 000 pieds pour tous les transports
commerciaux le 14 juillet 2014. Les lignes aériennes peuvent toutefois continuer d’utiliser
l’espace aérien à plus haute altitude. Pour le gouvernement ukrainien, cette décision permet
de toujours percevoir les revenus dus à l’utilisation des lignes aériennes par les compagnies
à l’international. Pour les compagnies aériennes, changer les trajets représente des couts et
du temps, l’utilisation des corridors au-dessus du Donetsk était une alternative beaucoup
moins onéreuse. Malheureusement, le 17 juillet 2014, les rebelles prorusses abattront un vol
commercial de la Malaysia Airlines entre Amsterdam et Kuala Lumpur, tuant les 298
passagers et membres du personnel à bord.358
Même si les rebelles tentent de nier leur implication dans l’attaque, les preuves sont
incontestables. L’avion s’écrase près de la ville de Torez, à 40 kilomètres à peine de la
frontière russe, dans un territoire étant sous le contrôle des militants prorusses. Après
355
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 138-139 356
David M. Herszenhorn, « Ukraine Military Finds its Footing Against Pro-Russian Rebels », The New York
Times, 6 juillet 2014 357
Rajan Menon, Eugene Rumer, Conflict in Ukraine, The unwinding of the Post-Cold War Order,
Cambridge, The MIT Press, 2015, p. 85 358
Serhy Yekelchyk, The Conflit in Ukraine – What everyone need to know, Oxford University Press, New
York, 2015, p. 149
101
l’examen des débris par les services allemands et américains, il devient évident que la
destruction a été causée par un missile ayant heurté l’appareil. Or, comme les forces
prorusses n’avaient pas de forces aériennes à proprement parler, l’armée ukrainienne ne
s’était pas équipée de missiles pour contrer les attaques aériennes. Elle n’avait pas le
matériel nécessaire pour abattre un avion volant à une telle altitude.359
De plus, plusieurs
missiles russes de type BUK ont traversé la frontière russe dans les jours précédant
l’écrasement selon les sources ukrainiennes, et le Duch Safety Board affirme avec certitude
que le tir provenait bien de la zone contrôlée par les rebelles.360
Finalement, le commandant
russe Strelkov lui-même annoncera sur son site Internet que « nous venons tout juste
d’abattre un avion AN-26 près de Torez, il a crashé tout près de la mine. Nous les avons
avertis de ne pas voler dans notre ciel. » Le message sera rapidement retiré et Strelkov
blâmera les Cosaques de Tchernoukhine, mais personne ne croira à ses allégations.361
En
juin, les médias russes avaient également publié des photos des missiles BUK sur Internet,
affirmant que les séparatistes dans l’est de l’Ukraine, avaient mis la main sur plusieurs
exemplaires. Après l’écrasement du vol MH17, ces photos, comme le message de Strelkov,
furent retirés des différents sites.362
Au mois d’aout, les combats s’intensifient encore avant
le cessez-le-feu du 5 septembre 2014. Les forces ukrainiennes semblent plus motivées que
jamais à reprendre le contrôle sur la région. Plusieurs fois à partir de la mi-aout, des soldats
russes doivent traverser la frontière et se battre auprès des séparatistes pour éviter de perdre
le contrôle sur la région lorsqu’ils encerclent Louhansk et Donetsk.363
Du 24 au 28 aout
2014, une unité mécanisée russe traverse la frontière pour venir en aide aux séparatistes
encerclés et déroute le groupe d’armées ukrainien du sud en deux jours.364
359
Ibid, p. 150 360
Charles-Henry Groult « Comment les enquêteurs ont prouvé que le vol MH17 a été abattu par un missile
russe », Le Monde, 29 septembre 2016 361
Op. Cit. Andrew Wilson, p. 141 362
Op. Cit. Anne Applebaum 363
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 173 364
Chrystia Freeland « Why #RussiaInvadedUkraine Matters », The New York Times, 5 septembre 2014
102
L’effort diplomatique de la communauté internationale en vue d’un
cessez-le-feu durable
À la fin du mois d’aout 2014, la chancelière allemande Angela Merkel appelle les deux
belligérants à signer un cessez-le-feu pour mettre fin aux combats dans l’Est de l’Ukraine.
Les premières rencontres entre Vladimir Poutine, Petro Poroshenko et l’Organisation pour
la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont ainsi lieu le 26 aout à Minsk en
Biélorussie.365
L’accord (Minsk I) signé le 5 septembre prévoit non seulement la cessation
des hostilités, mais également la libération des otages pour les deux côtés, l’envoi de
convois humanitaires vers les zones civiles, ainsi que la mise en place d’une zone
démilitarisée de 30 kilomètres pour éviter que les bombardements ukrainiens n’atteignent
les zones urbaines toujours habitées par les civils.366
Le président du Conseil européen
Herman Van Rompuy annonce également que l’Union européenne pourrait accepter de
revoir l’application des sanctions si le cessez-le-feu était durable et que la Russie et les
séparatistes prorusses acceptent de négocier une sortie de crise.367
Cet accord ne dure
cependant que 30 heures, alors que les tirs d’artillerie reprennent quelques jours après à
Marioupol et à Donetsk, dans le secteur de l’aéroport. Les soldats ukrainiens affirment
appliquer le cessez-le-feu le plus possible, qu’ils répliquent uniquement lorsque leurs vies
sont menacées, mais que l’accord n’est qu’une illusion, les rebelles refusent de cesser les
combats, ils reprendront normalement d’ici peu.368
De nouvelles négociations entre les belligérants seront entamées au mois de février 2015
dans la capitale biélorusse comme lors des précédentes négociations. L’objectif poursuivi
est le même; l’Union européenne souhaite faire respecter les termes de l’accord de Minsk I
signé en septembre 2014. Le 11 février 2015, François Hollande, Angela Merkel, Petro
Poroshenko et Vladimir Poutine entament les négociations entourant les clauses de
365
Le Monde, « Ukraine : Merkel appelle à un cessez-le-feu bilatéral », Le Monde, 23 aout 2014 366
Le Monde, « Les séparatistes prorusses et Kiev annoncent un accord de cessez-le-feu », Le Monde,
4 septembre 2014 367
Le Monde, « L’UE prête à revenir sur ses sanctions si le cessez-le-feu tient en Ukraine », Le Monde,
7 septembre 2014 368
Stéphane Siohan, « Fin de la trêve dans l’est de l’Ukraine », Le Figaro, 7 septembre 2014
103
l’accord.369
Le 12 février, l’Ukraine et la Russie signent ainsi le protocole de Minsk II,
s’engageant à respecter les termes antérieurement violés maintes fois pendant l’automne
précédant.370
Cet accord ne sera pas respecté plus longtemps que le précédent, dès le 18
février les tirs d’artillerie reprennent. Le sénateur américain John McCain dira de ce cessez-
le-feu qu’il n’est qu’une illusion, que les rebelles prorusses n’en veulent pas et qu’il est
temps pour l’Occident de donner à l’Ukraine les moyens nécessaires pour se défendre.371
Depuis 2015, le protocole de Minsk II sera violé maintes fois par les deux partis. Au mois
de décembre 2016, Angela Merkel, François Hollande et Petro Poroshenko demandent un
cessez-le-feu pour la nouvelle année. Il entre en vigueur dans la nuit du 23 au 24 décembre
2016, mais les affrontements reprennent à la fin du mois de janvier 2017.372
À la fin du mois d’aout 2014, l’agence des réfugiés des Nations Unies rapporte que déjà
plus de 285 000 personnes ont dû fuir leur foyer en raison des bombardements, 70 000 ont
d’ailleurs trouvé refuge en passant la frontière russe, alors que 30 000 ont trouvé refuge
dans des camps aménagés à cette fin. Un rapport du Human Rights Watch soutient
également que les deux camps ont bombardé plusieurs fois des zones civiles, violant les
lois de la guerre.373
En 3 ans de conflit, le nombre de victimes a atteint 10 000 et les
affrontements entre les rebelles et les forces ukrainiennes continuent, épisodiquement.374
En
février 2015, Petro Poroshenko alors président de l’Ukraine affirme que « plus de
9 000 soldats russes avec plus de 500 chars, pièces d'artillerie lourde et véhicules de
transport de troupes » étaient alors dans son pays.375
La situation dans l’est de l’Ukraine est bien différente de la situation en Crimée. Les
combats qui font rage depuis trois ans ont un but complètement différent. D’abord, il faut
dire qu’une des premières actions posées par les séparatistes fût de prendre le contrôle des
369
Neil MacFarquhar, « World Leaders Meet in Belarus to Negociate Cease-Fire in Ukraine », The New York
Times, 11 février 2015 370
Alexis Feertchak, « Guerre en Ukraine : vers une sortie de crise ? », Le Figaro, 18 février 2015 371
John McCain, « John McCain : The Russia-Ukraine cease-fire is a fiction », The Washington Post,
26 juin 2015 372
Le Monde, « L’UE s’inquiète de la rupture flagrante du cessez-le-feu en Ukraine », Le Monde,
31 janvier 2017 373
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 166 et 170 374
Roman Olearchyk, Kathrin Hille, Stefan Wagstyl, « Fighting escalates in eastern Ukraine », The Financial
Times, Londres, 30 janvier 2017, https://www.ft.com/content/57fc2d60-e6d1-11e6-967b-c88452263daf 375
Le Monde, « Ukraine : Des progrès perceptibles pour faire cesser les hostilités », Le Monde,
22 février 2015
104
médias dans l’Est. Les informations russes sont diffusées au détriment des informations
ukrainiennes, une incroyable machine de propagande se met en branle dès le début des
opérations. Les médias soulignent sans cesse le caractère particulier de la région, ce qui
encourage les insurgés à demander une plus grande autonomie vis-à-vis de Kiev. La plupart
des citoyens ne veulent cependant pas rejoindre la Russie pour plusieurs raisons. D’abord,
les industriels et les hommes d’affaires locaux savent pertinemment qu’ils ne sont pas de
taille pour se battre contre les géants russes de l’industrie, dans un éventuel rattachement à
la Fédération.376
Ainsi, un sondage mené par le Pew Research Center en mai 2014 souligne
que 70 % des Ukrainiens de l’Est (dont 58 % de russophones) désirent toujours faire partie
de l’Ukraine, avec cependant une plus grande redistribution de fonds dans les régions et
une plus grande autonomie par rapport au gouvernement trop centralisé377
parmi la
population de l’Est du pays, le mécontentement envers le gouvernement est grandissant.
Depuis décembre 2014, « le gouvernement a cessé de payer les fonctionnaires et les
retraités restés dans les républiques autoproclamées. Il a arrêté de financer les écoles, les
universités, les hôpitaux et les autres services. La Banque Nationale d’Ukraine a ordonné
aux banques de fermer leurs succursales dans ces zones et y a interrompu toute transaction
financière. »378
Les bombardements ukrainiens sont craints par tous les civils et le Maïdan
est vu très négativement dans ces régions. « Le sentiment général du Donbass ouvrier est
que le rêve européen était un caprice de bourgeois nationalistes. Ici, la prospérité se bâtit en
piochant dans une mine ou en forgeant le métal, insinue Andreï. Pas en pelletant des
nuages. »379
En encourageant les rebelles et en équilibrant le combat, la Russie ne cherche pas à annexer
la région. En fait, un conflit demeurant dans une impasse comme actuellement sert les
intérêts russes davantage qu’une annexion. Les conflits gelés ayant déjà fait leurs preuves
en Transnistrie (Moldavie) en Abkhazie et en Ossétie du Sud (Géorgie) permettent à la
Russie de déstabiliser ses voisins par le biais de forces nationalistes prorusses en place. Ces
petites zones permettent à la Russie de préserver ses intérêts dans la région, et avec des
376
Op. Cit. Galia Ackerman 377
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 149 378
Op. Cit. Frédérick Lavoie, p. 131 379
Ibid. p. 141
105
frontières contestées, ces États ne peuvent pas adhérer aux organisations internationales.380
L’objectif principal de la Russie est d’empêcher l’adhésion de l’Ukraine à l’Union
européenne et à l’OTAN. Se basant sur l’expansion des deux organisations en Europe de
l’Est depuis la désintégration de l’URSS, le Kremlin en conclut qu’un rapprochement avec
l’UE est très souvent synonyme d’un éventuel rapprochement avec l’OTAN et qu’un conflit
gelé est un bon moyen de repousser ces alliances.381
Un sondage mené par le Sociological
Service of the Razumkov Centre au mois de novembre 2015 démontre que la majorité de la
population ukrainienne ne croyait pas que la meilleure manière de garantir la sécurité
nationale de l’Ukraine était de faire partie de l’OTAN. En fait, avant la crise, 42 % de la
population était d’avis que la meilleure façon était d’adopter un statut d’État non-aligné,
26 % pensait que c’était par une alliance avec la Russie alors que seulement 13 % de la
population soutenait l’adhésion à l’OTAN. Depuis le début de la crise, ce chiffre est passé à
32 % en mai 2014 pour atteindre finalement 45 % lors du sondage en novembre 2015.
Paradoxalement, l’intervention russe a joué en défaveur du Kremlin.382
Conclusion
Au sommet de Vilnius en novembre 2013, le gouvernement Ianoukovitch démontre, avec
son refus de signer les accords proposés par l’Union européenne que l’Ukraine a besoin de
profonds changements politiques. Les résistances du gouvernement entrainent des
manifestations qui dégénèrent, frôlant la guerre civile pendant l’hiver 2014. Épisode qui se
soldera par la fuite et la destitution du président Ianoukovitch, le pouvoir mis en place en
Ukraine semble fin prêt à prendre un tournant européen. Ce nouvel objectif ne plaisant pas
du tout aux dirigeants russes, Moscou déstabilise complètement le nouveau pouvoir en
place en envahissant et en annexant la Crimée au mois de mars 2014, avant d’embraser
l’Est du pays. La communauté internationale condamne les actions russes en Crimée et en
Ukraine de l’Est sans toutefois réussir à déloger les Russes et les rebelles de leurs positions.
380
Op. Cit. Rajan Menon, Eugene Rumer, p. 83 381
Dmitri Trenin, « Russia’s Goal in Ukraine Remains the Same : Keep NATO Out », Al Jazeera America,
2 juin 2014, http://america.aljazeera.com/articles/2014/6/2/russiaa-s-goal-
inukraineremainsthesametokeepnatoout.html 382
Razumkov Center, What is the best way to guarantee the national security of Ukraine ? (2007-2015),
Sociological poll, [En ligne] http://www.razumkov.org.ua/eng/poll.php?poll_id=1082 page consultée le
8 décembre 2016
106
Trois ans après le début du conflit, la situation en Ukraine semble évoluer de plus en plus
vers un conflit gelé qui servirait les intérêts russes. Cependant, cette intervention militaire
musclée violant l’intégralité territoriale de l’Ukraine ne sera pas sans conséquence pour la
Russie. Depuis l’été 2014, des sanctions économiques sont en place pour faire pression sur
la politique étrangère du gouvernement russe. Les puissances occidentales exigent que la
Russie change sa politique vis-à-vis de son voisin, les militaires doivent quitter la région du
Donbass et de la Crimée. L’OTAN renforce ses positions en Europe de l’Est, mais rien ne
permet de croire que les militaires vont s’affronter directement lors d’une guerre déclarée.
L’Union européenne ainsi que ses alliés à l’OTAN utilisent plutôt les armes diplomatiques
et économiques pour tenter d’amener Vladimir Poutine à la table des négociations. En effet,
malgré les accords de Minsk en place depuis le 19 septembre 2014, les combats se
poursuivent alors que les dirigeants européens prolongent les sanctions chaque six mois.
Cependant, pour créer un changement drastique de la politique étrangère russe, les
sanctions doivent être suffisamment efficaces, ce qui semble toujours être incertain.
107
CHAPITRE 4 - LES SANCTIONS IMPOSÉES À LA RUSSIE À LA
SUITE DE L’INVASION DE L’UKRAINE ET L’ANNEXION DE LA
CRIMÉE
« En réponse à l’annexion illégale de la Crimée et à la déstabilisation délibérée d’un pays
souverain frontalier par la Fédération de Russie, l’UE a imposé des mesures restrictives à
ce pays. »383
Selon le règlement N°692/2014 du Conseil de l’Union européenne concernant le territoire
de la Crimée et Sébastopol, « l’UE a imposé de substantielles restrictions portant sur les
échanges économiques avec ces territoires. Ces dernières comprennent :
• une interdiction des importations de biens en provenance de Crimée ou de
Sébastopol, sauf s’ils sont accompagnés d’un certificat d’origine ukrainien;
• l’interdiction d’investir en Crimée. Les entreprises européennes ou installées dans
l’UE ne sont plus autorisées à acheter de l’immobilier ou des entités en Crimée.
Elles ne peuvent plus non plus financer des entreprises de Crimée ou leur offrir
leurs services. En outre, il leur est interdit d’investir dans des projets
d’infrastructure dans six secteurs;
• une interdiction d’offrir des services touristiques en Crimée ou à Sébastopol. Les
bateaux de croisière européens ne peuvent plus faire escale dans la péninsule de
Crimée, sauf urgence. Cette décision s’applique à l’ensemble des navires
appartenant à ou sous contrôle d’Européens, ou battant pavillon d’un État membre
de l’UE;
• une interdiction d’exportation, vers des entreprises de Crimée ou pour un usage en
Crimée, des biens et technologies relatifs aux secteurs des transports, des
télécommunications et de l’énergie ou utilisés dans l’exploration pétrolière, gazière
383
Conseil de l’Union européenne, Sanctions de l’UE à l’encontre de la Russie concernant la crise en
Ukraine, http://europa.eu/newsroom/highlights/special-coverage/eu-sanctions-against-russia-over-ukraine-
crisis_fr
108
et minérale; une interdiction de prester des services d’assistance technique, de
courtage, de construction ou d’ingénierie relatifs aux infrastructures de ces mêmes
secteurs. »384
L’Union européenne adopte également des mesures concernant « la coopération sectorielle
et les échanges avec la Russie.
• Les ressortissants et entreprises européennes n’ont plus le droit d’acheter ou vendre
de nouvelles obligations, actions ou instruments financiers similaires, d’une durée
de plus de 30 jours, émis par :
cinq grandes banques d’État russes;
cinq grandes compagnies énergétiques russes;
trois grandes entreprises de la défense russes;
les filiales d’entités précitées basées en dehors de l’UE, et celles agissant en
leur nom ou sous leur direction.
• Les services relatifs à l’émission de ces instruments financiers sont également
interdits.
• Les ressortissants et entreprises de l’UE ne peuvent consentir de prêts de plus de
30 jours aux entités précitées.
• Un embargo est en place sur les importations et exportations d’armes et de matériel
connexe de et vers la Russie. Il couvre les éléments repris dans la liste commune des
équipements militaires de l’UE, à quelques exceptions près.
• Les exportations de biens à double usage et de technologies à des fins militaires en
Russie ou à usage final militaire par les Russes sont interdites. L’ensemble des
éléments de la liste des biens à double usage de l’UE sont concernés par cette
interdiction. Les exportations de biens à double usage vers neuf utilisateurs finaux
mixtes sont aussi interdites.
384
Idem
109
• Les exportations vers la Russie de certains équipements et technologies liés au
secteur énergétique seront soumises à une autorisation préalable par les autorités
compétentes des États membres. Les licences d’exportation ne seront pas octroyées
si les produits exportés sont destinés à l’exploration et la production pétrolières en
eau profonde (plus de 150 mètres de profondeur) ou au large du cercle arctique, ou
encore à des projets de potentielle production pétrolière à partir de ressources tirées
de formation schisteuses par fracturation hydraulique.
• Les services suivants, nécessaires dans le cadre des projets précités, ne sont pas non
plus autorisés : forage, essais de puits, exploitation forestière, services
d’achèvement, et octroi de vaisseaux spécialisés. »385
L’efficacité des sanctions économiques et politiques mises en place par
l’Union européenne
Rapidement après l’invasion russe de Crimée le 27 février 2014, les premières sanctions
sont adoptées. Le 3 mars, lors d’une session extraordinaire du Conseil des Affaires
étrangères de l’Union européenne, les dirigeants condamnent l’action militaire russe en
Ukraine et demandent au président russe de rappeler ses forces militaires en Russie ou sur
la base de Sébastopol, sans quoi, les États de l’Union européenne membres du G8 ne se
présenteront pas à la prochaine réunion du conseil prévue pour le mois de juin 2014.386
Le 6
mars 2014, les États-Unis adoptent des restrictions de visa et de voyage contre les
personnes de l’entourage de Vladimir Poutine, jugées responsables de l’invasion en Crimée
ainsi qu’un gel de leurs avoirs aux États-Unis.387
Le 17 mars, l’Union européenne adopte
elle aussi un gel des avoirs pour 21 personnes et entités ainsi que des interdictions de
385
Idem 386
Conseil des Affaires étrangères, Session N°3305, L’UE condamne les actions menées par la Russie en
Ukraine, lance un appel au dialogue et se tient prête à prendre de nouvelles mesures, Bruxelles, 3 mars 2014,
http://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/fac/2014/03/03/ 387
The White House, Office of the Press Secretary, Executive Order – Blocking Property of Certain Persons
Contributing to the Situation in Ukraine, Washington 6 mars 2014,
https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2014/03/06/executive-order-blocking-property-
certain-persons-contributing-situation
110
voyage et de visa.388
Cette liste de personnes et d’entités soumises à des restrictions de
voyage et un gel des avoirs atteint 149 personnes ainsi que 37 entités en septembre 2015.389
Les premières sanctions économiques visant la Russie sont, quant à elles, adoptées au mois
de juillet 2014 suivant l’écrasement du vol de la Malaysia Airlines au dessus du territoire
Est ukrainien. Les membres de l’Union européenne doivent maintenant suspendre tout
commerce relié à l’armement et au matériel militaire avec la Russie. Les importations et
exportations de technologies à double usage, civil et militaire, provenant ou à destination de
la Russie sont également interdites. Les exportations de technologies pouvant servir à
l’exploration ou à l’exploitation des nappes de pétrole en eaux profondes seront également
interdites.390
Ces sanctions s’ajoutent aux gels des avoirs et aux interdictions de voyage et
de visa déjà en vigueur. À la suite de leur application, ces sanctions seront prolongées
chaque six mois par le Conseil de l’Union européenne. Le 13 mars 2017, trois ans après le
début du conflit, l’Union européenne prolonge ces sanctions jusqu’au 15 septembre
2017.391
Se pose dès lors la question de leur efficacité : est-ce que les sanctions sont
suffisantes pour avoir un impact sur la politique étrangère russe? À l’heure actuelle, les
sanctions n’ont provoqué aucun changement politique, mais elles ont un impact
considérable sur l’économie russe. Dans le prochain chapitre, nous nous intéresserons ainsi
aux différents facteurs pouvant favoriser l’échec ou le succès des sanctions imposées à la
Russie et aux effets des sanctions sur l’économie russe.
La réussite et l’échec d’un régime de sanctions
Avant de poursuivre notre analyse de l’efficacité des sanctions imposées à la Russie, il va
de soi de définir cette efficacité à l’aide de certains facteurs et indicateurs. À l’inverse, nous
388
Conseil de l’Union européenne, L’EU adopts restrictive measures against actions threatening Ukraine’s
territorial integrity, Bruxelles, 17 mars 2014 389
Conseil de l’Union européenne, List of persons and entities under EU restrictive measures over the
territorial integrity of Ukraine, Bruxelles, 15 septembre 2015 390
Conseil de l’Union européenne, Adoption des mesures restrictives décidées en égard au rôle de la Russie
dans l’est de l’Ukraine, Bruxelles, 31 juillet 2014,
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/EN/foraff/144205.pdf 391
Conseil de l’Union européenne, L’UE proroge jusqu’au 15 septembre 2017 les sanctions liées aux actions
menées contre l’intégrité territoriale de l’Ukraine, Bruxelles, 13 mars 2017,
http://www.consilium.europa.eu/press-releases-pdf/2017/3/47244656119_fr.pdf
111
identifierons également les facteurs favorisant l’échec d’un régime de sanctions. Par la
suite, nous analyserons les impacts et la situation en Russie afin de la comparer à
l’historiographie et aux recherches précédentes. Ainsi, nous serons en mesure de conclure si
les sanctions ont plus de chances de provoquer un changement de politique étrangère ou
d’échouer. L’efficacité des sanctions est toujours incertaine, lors de l’application d’un
régime de sanctions, il est impossible de prévoir quel cout économique sera suffisant pour
avoir une incidence sur la politique de l’État sanctionné.392
Cependant, l’application des
sanctions parait souvent comme une alternative plutôt sécuritaire pour signaler son
insatisfaction quant à la politique d’un autre État. Il s’agit aussi d’une mesure qui plait
généralement davantage à l’opinion publique qu’un conflit armé.393
Finalement, d’une
manière générale, l’imposition de sanctions est un instrument politique relativement peu
couteux, en comparaison à un conflit armé. À titre comparatif, la Guerre du Golfe couta aux
États-Unis et à ses alliés plus de 130 milliards USD pour une campagne de 2 ans, alors que
les sanctions imposées en 1987 contre l’Irak ont couté environ 7 milliards au gouvernement
américain.394
Les facteurs favorisant le succès d’un régime de sanctions
D’abord, un des facteurs les plus importants pour la réussite d’un régime de sanctions est
bien évidemment le cout économique relié aux mesures. Ce facteur est ainsi défini par
l’étude de Gary Haufbauer et ses collègues comme le facteur le plus déterminant. Dans leur
étude, les 70 cas qu’ils jugent comme étant réussis avaient imposé des couts considérables à
l’État paria.395
Plus le cout imposé à un État est élevé, plus l’État sera porté à tenter de
modifier ses politiques pour ne plus devoir supporter un régime de sanctions. Un autre
élément important soutenu notamment par Robert Pape, Kim Nossal, Irfan Nooruddin,
Bruce Bueno de Mesquita et Dina Al-Sowayel, est que les sanctions sont beaucoup plus
efficaces lorsqu’employées contre une démocratie, que contre une autocratie. Le dirigeant
politique d’un État démocratique sera beaucoup plus enclin à chercher une solution sans
utiliser la violence, la société civile d’un État démocratique est rarement favorable à la
392
Op. Cit. William H. Kaempfer, Anton D. Lowenberg, p. 870 393
Op. Cit. James Mayall, p. 633 et 638 394
Elizabeth S. Rogers, « Using economic sanctions to control regional conflicts », Security Studies, 1996,
Vol.5 N°4, p. 45 395
Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, Economic Sanctions
Reconsidered 3e edition, Peterson Institute for International Economics, Washington, 2007, p. 159
112
déclaration d’une guerre et la stabilité politique définit généralement un bon dirigeant. Pour
ses citoyens et pour sa propre position à la tête du gouvernement, le chef d’un État
démocratique ne laissera pas la situation économique de son pays se détériorer
longtemps.396
À l’inverse, le chef d’un gouvernement autocratique n’a généralement aucune
crainte quant à sa position au sein de l’État, il peut ainsi poursuivre ses propres politiques
sans trop se soucier de l’opinion publique ou de la société civile. Sa survie dépend
davantage de sa capacité à satisfaire son entourage ou ses supporteurs politiques. Un
autocrate sera ainsi beaucoup moins susceptible de tenter de trouver une solution politique
dans un objectif de paix.397
Suivant cette logique, Haufbauer et ses collègues expliquent
ainsi qu’il est difficile d’intimider un intimidateur.398
Dans le même ordre d’idée, l’instabilité politique et l’instabilité économique sont
également des facteurs favorisant le succès d’un régime de sanctions. Si un régime est
plutôt faible, que le pays est au bord de la guerre civile – ou en guerre civile – que la
population est affamée, ou que le régime a tout simplement une opposition importante et
grandissante, les sanctions ont beaucoup plus de chances d’être efficaces (Venezuela 2017).
Les opposants au régime seront tentés de se rallier aux États qui imposent les sanctions, ou
promettront à la population de prendre le pouvoir pour mettre fin aux sanctions. Un État
souffrant de problèmes économiques comme des taux de chômage et d’inflation très élevés
sera également plus vulnérable à l’application d’un régime de sanctions. Même un
autocrate peu soucieux du bien-être de sa population aura de la difficulté à gérer un État au
bord du chaos. Si la situation économique ne permet pas de nourrir sa population par
exemple, le régime sera extrêmement vulnérable aux embargos ou aux mesures touchant les
produits indispensables.399
Pour que les sanctions soient efficaces, la relation économique entre l’État qui sanctionne et
l’État qui se fait sanctionner doit être importante et développée. Plus les liens économiques
396
Bruce Bueno de Mesquita, James D. Morrow, Randolph M. Siverson, Alastair Smith, « An institutional
explanation for the democratic peace », American Political Science Review, Décembre 1999, Vol. 93 N°4,
p. 792 397
Ibid, p. 794 et 799 398
Op. Cit. Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, p. 166 399
Peter A. G. Van Bergeijk, « Success and failure of economic sanctions », Kyklos, 1989, Vol. 42, N°3,
p. 395
113
sont étroits, plus les sanctions imposées auront des chances de succès. Si les échanges
commerciaux sont importants, l’État sous sanctions perdra une source de revenus plus
importante que si les échanges sont limités. Un régime de sanctions est ainsi beaucoup plus
efficace s’il est appliqué par un ou des partenaires économiques majeurs. Pour être
optimales, les sanctions doivent toucher des secteurs primordiaux dont les biens importés
seront difficilement remplaçables par d’autres États. Il y a cependant également un risque
pour l’État qui applique les sanctions contre un partenaire économique important; l’État qui
sanctionne n’est pas à l’abri des contrecoups économiques, son économie est également à
risque de souffrir des sanctions.400
Finalement, les sanctions ont beaucoup plus de chances de réussite lorsque les objectifs
sont modestes. Un changement politique majeur est plus difficilement atteignable, alors
qu’un objectif visant à punir un État est presque assuré de réussite. Pour David Baldwin,
l’augmentation des couts pour une production ou pour des importations ou, encore,
l’atteinte à la réputation d’un État devraient être considérées comme des réussites, les buts
modestes ont tout de même des impacts et des conséquences non négligeables. Même si à
eux seuls ils ne motivent pas de grands changements, ils font partie d’un tout formé par
toutes ces petites réussites modestes, qui ensemble, ont un plus grand impact. Il rappelle
ainsi la théorie des sanctions économiques selon laquelle la dépravation économique
entraine la désintégration économique, laquelle entraine même la dépravation politique qui
généralement devrait mener un État à se conformer au droit international.401
Plusieurs de
ces facteurs peuvent cependant rencontrer certaines limites, les régimes de sanctions et les
États sont tous différents, les difficultés rencontrées dépendent du régime, du dirigeant, de
la société civile, et comme mentionné plus haut, de la situation politique et économique de
l’État sanctionné.
Les facteurs limitant l’efficacité d’un régime de sanctions
Les effets des régimes de sanctions peuvent être limités par plusieurs facteurs. Notons
d’abord que toutes sanctions économiques doivent être accompagnées d’un effort
diplomatique important. James Mayall explique ainsi que les sanctions doivent être
400
A. Cooper Drury, « Revisiting ‘Economic Sanctions Reconsidered’ », Journal of Peace Research,
Juillet 1998 Vol. 35 N°4, p. 502 401
Op. Cit. David A. Baldwin, p. 136
114
appliquées par la majorité des partenaires économiques de l’État sanctionné pour
maximiser leurs chances de réussite. Lorsqu’il y a un manque de cohésion à l’international,
l’État sous sanctions peut trouver des fournisseurs alternatifs à celui qui impose les
sanctions.402
Les sanctions imposées par les États-Unis contre l’URSS lors de l’invasion de
l’Afghanistan au mois de décembre 1979 ont souffert de ce manque de cohésion, les effets
ont été limités car les Soviétiques ont pu trouver des fournisseurs attirés par les profits
substantiels de ces échanges. L’engagement d’une ou des organisations internationales lors
de l’imposition d’un régime de sanctions aide toutefois à conserver cette cohésion au sein
des différents alliés et partenaires.403
Selon les résultats de l’étude de Gary Haufbauer et ses
collègues, plus le nombre d’États nécessaires à l’implantation des sanctions est élevé, plus
les difficultés d’application seront grandes. En fait, la cohésion des débuts s’érode
rapidement lorsqu’un État appliquant les sanctions rencontre lui-même des difficultés
économiques. La cohésion internationale est une variable plutôt incertaine, elle peut être
bénéfique lorsqu’elle isole diplomatiquement et économiquement l’État sanctionné, mais
elle peut également être problématique si l’un des alliés se retire. Cette possibilité est non
négligeable, car si l’État sanctionné trouve des alliés parmi ceux qui imposent les sanctions,
les effets seront beaucoup plus limités et les chances de réussite beaucoup moins
grandes.404
Un régime de sanctions demeure toutefois vulnérable aux Chevaliers noirs,405
ces États qui
sont attirés par les profits potentiels minent l’effort général de cohésion. Ces États peuvent
être des partenaires avares ou des États qui préfèrent leurs profits personnels à la sécurité
internationale, le respect du droit international et la souveraineté d’un État. Dans certains
cas, ces États ne reconnaissent pas la nécessité d’imposer des sanctions à un partenaire
important, ils estiment leurs échanges commerciaux plus importants que la situation, ou le
conflit qui justifie l’imposition des sanctions. Plusieurs fois lors de la guerre froide, des
régimes de sanctions ont été sapés par l’URSS ou par les États-Unis qui appuyaient leurs
alliés contre les sanctions de l’ennemi. L’URSS a ainsi remplacé les produits américains
mis sous embargo à Cuba dans les années 1960. Les États-Unis ont fait de même lors de
402
Op. cit. James Mayall, p. 639 403
Op. Cit. A. Cooper Drury p. 503 404
Op. Cit. Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, p. 172 405
Op. Cit. Elizabeth S. Rogers, p. 47
115
l’application de sanctions par l’URSS contre la Yougoslavie en 1948, limitant dans les
deux cas l’effet désiré initialement.406
Les sanctions peuvent également avoir un effet non désirable sur la société civile; il s’agit
du phénomène du rally around the flag. Dans certains cas, si la société civile juge que son
pays ne devrait pas être placé sous sanctions, les sanctions créent une certaine cohésion
nationale de support pour le parti au pouvoir et le dirigeant.407
Il devient alors extrêmement
difficile d’exiger d’un État qu’il se conforme au droit international. Si la société civile juge
que son gouvernement n’est pas à blâmer, elle sera prête à accepter plus de sacrifices, il
s’agit d’une mentalité de siège. Si l’État résiste aux sanctions, il en sortira gagnant, il
démontrera sa volonté et sa force de résistance lorsqu’il poursuit un but précis. Ce
phénomène peut également s’opérer dans un tout autre ordre d’idées. Si un peuple est trop
dépendant de ses dirigeants pour son approvisionnement en nourriture et en biens de
première nécessité, la société civile pourrait se rallier derrière ses dirigeants car, comme
l’explique Andrei Kolesnikov, professeur de droit à l’université de Moscou, « They’d better
vote for the hand that feeds them or there might be nothing to eat at all. »408
Dans certaines situations, l’État sanctionné estime que le cout des sanctions n’est pas
suffisamment élevé pour justifier un changement de ses politiques. Si le cout des sanctions
est moins élevé que celui du retrait, l’État sanctionné ne modifiera pas son comportement et
choisira plutôt d’adapter son économie aux sanctions. Un État peut choisir cette position
lorsqu’il veut par exemple préserver sa réputation de dur, il préfère endurer les sanctions et
conserver sa réputation, plutôt que de sécuriser son économie et de voir sa réputation se
dégrader.409
Pour Dean Lacy et San Ling Lam, il faut également tenir compte que les
sanctions qui sont normalement les plus dommageables, ne sont généralement pas mises en
application. Si un État est conscient que les sanctions qui risquent de lui être imposées
auront des conséquences considérables, il changera son comportement avant même leur
application. Les sanctions les plus efficaces demeureraient au stade de menaces. Dès lors, si
406
Idem 407
Op. Cit. James Mayall, p. 631 408
Andrei Kolesnikov, « Frozen Russia », Carnegie Moscow Center, Moscou, 16 octobre 2016 409
Jonathan Eaton, Maxim Engers, « Sanctions: Some simple analytics », American Economic Review Papers
and Proceedings of the One Hundred Eleven Annual Meeting of the American Economic Association,
Mai 1999, Vol. 89 N°2, p. 411
116
un régime de sanctions est appliqué, ses chances de réussite seraient moins élevées, car
l’État visé juge lui-même qu’il peut surmonter les inconvénients causés par ces mesures.410
Le temps est également une variable non négligeable qui peut limiter les impacts d’un
régime de sanctions. Après l’analyse de plusieurs régimes de sanctions,411
il est possible de
conclure qu’en moyenne, les sanctions demeurent en place pendant 16 ans. Certains
régimes se concluent par l’État sanctionné qui se conforme finalement, alors que d’autres
régimes sont levés, faute de résultats convaincants.412
Dans tous les cas, il faut tenir compte
des couts imposés non seulement à l’État sanctionné, mais également les pertes causées aux
États imposant les sanctions. Comme mentionné plus haut, les États-Unis ont subi, en une
seule année, des pertes totalisant près de 7 milliards USD pendant la Guerre du Golfe, il
semble donc que l’application des sanctions n’est pas si bon marché après tout.413
Bien
évidemment, les sanctions coutent moins cher qu’un conflit armé, mais les États appliquant
les sanctions subissent également les conséquences de leurs politiques. Néanmoins, comme
le conflit n’est pas toujours une alternative envisageable – contre une puissance nucléaire
comme la Russie ou antérieurement l’URSS – les sanctions peuvent être une des seules
possibilités réalisables. Suivant l’analyse de Haufbauer, le temps limite les impacts des
sanctions. Les sanctions économiques les plus efficaces sont celles qui imposent des pertes
économiques considérables rapidement.414
Les sanctions forcent souvent les États
sanctionnés à se replier sur eux-mêmes. Ils doivent donc développer leurs propres
industries pour s’autosuffire. À long terme, ce phénomène a pour conséquence de rendre
l’État sanctionné plus apte à vivre en autarcie et moins dépendant des importations et des
biens d’autres États. Si un État peut s’autosuffire, les effets des sanctions deviennent
extrêmement limités, il est dès lors presque impossible que les mesures influencent son
comportement ou ses politiques.415
410
Dean Lacy, Emerson M. S. Niou, « A theory of economic sanctions and issue linkage : The roles of
preferences, information, and threats », Journal of Politics, Février 2004, Vol. 66 N°1, p. 25 411
Étude qui se veut exhaustive, Op. Cit. Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott,
Barbara Oegg 412
Sean M. Bolks, Dina Al-Sowayel, « How long do economic sanctions last? Examining the sanctioning
process through duration », Political Research Quarterly, Juin 2000, Vol. 53 N°2, p. 242 413
Idem 414
Op. Cit. Peter A. G. Van Bergeijk, p. 398 et 400 415
Op. Cit. William H. Kaempfer, Anton D. Lowenberg, p. 870
117
Pour réussir, les sanctions doivent donc être imposées à un État qui a une forte dépendance
économique vis-à-vis de ses voisins.416
Plus l’État sanctionné est indépendant dans ses
productions, plus les impacts des sanctions seront limités. Dans certains cas, les États
sanctionnés importent des biens dont ils ne font pas la production, mais dont ils auraient
cependant les ressources nécessaires pour les produire. Pour Gerhard Roiss, chef exécutif
de la compagnie autrichienne OMV, il s’agit de la division des tâches et des ressources,
certains États choisissent de ne pas produire certains biens car ils peuvent en importer
facilement tout en concentrant leur production autour de certains produits exportables et
rentables.417
Il est donc possible qu’un État riche en ressources de tout genre, choisisse
délibérément de concentrer sa production autour de produits en particulier, et d’importer
des produits qu’il pourrait lui-même produire. Lors de l’application de sanctions, ces États
sont plus susceptibles de réformer et de réorienter leur production afin de devenir
autosuffisant et d’une certaine manière, immunisé aux pressions internationales.418
Finalement, comme le souligne Elizabeth S. Rogers, les sanctions sont souvent plus
efficaces pour contenir un conflit que pour le prévenir ou l’arrêter.419
Certaines sanctions
sont également tout simplement insuffisantes pour provoquer des changements politiques
majeurs. Les sanctions diplomatiques, comme le rappel d’ambassadeurs, la fermeture
d’ambassades, la suspension des négociations internationales et le bannissement de certains
comités font généralement partie des sanctions appliquées rapidement, elles n’ont
cependant aucun impact considérable qui pourrait justifier un changement de politiques
majeur.420
Les premières mesures économiques généralement employées sont ensuite celles
qui visent des entités ou des personnes en particulier. Il s’agit généralement d’interdiction
de voyage et de gel des avoirs à l’étranger. Ces mesures ont également des effets limités car
elles n’affectent pas la majorité de la population. Elles peuvent être cependant plus
dangereuses lorsqu’elles sont dirigées vers un régime autocratique et vers le cercle restreint
qui contrôle le gouvernement. Si certains officiels veulent retrouver tous leurs avantages,
416
Op. Cit. James Mayall, p. 631 417
Op. Cit. Richard Sakwa, p. 191-192 418
Op. Cit. James Mayall, p. 631 419
Op. Cit. Elizabeth S. Rogers, p. 44 420
Christian Dreger, Jarko Fidrmuc, Konstantin A. Kholodilin, Dirk Ulbricht, « Between the hammer and the
anvil : The impact of economic sanctions and oil prices on Russia’a ruble », Journal of Comparative
Economic, Mai 2016, Vol. 44 N°2, p. 298
118
leurs propriétés, leurs avoirs, etc. à l’étranger, ils pourraient être tentés de s’opposer au
pouvoir. Si la cohésion des élites est plutôt faible, ce type de mesures peut influencer
l’issue du conflit.421
Ce type de sanctions est souvent priorisé car ces mesures n’ont
absolument aucun impact économique sur les États choisissant de les appliquer.422
En
résumé, un régime de sanctions a des chances de réussite limitées si l’État visé est fort,
stable politiquement et économiquement, s’il est hostile et autocratique.423
L’impact des sanctions sur l’économie russe
Nous débuterons notre analyse à l’aide de certaines statistiques des organisations
internationales afin de dresser un portrait global – chômage et inflation – de la situation
économique actuelle de la Russie. Nous nous intéresserons également aux échanges
commerciaux – importations et exportations – entre la Russie et ses nombreux partenaires
pour pouvoir calculer la part des revenus perdus dans ces échanges depuis le début de la
crise. Considérant aussi les secteurs touchés par les sanctions de l’Union européenne, nous
procéderons à l’analyse de l’évolution du commerce d’armes et de matériel militaire entre
la Russie et ses partenaires internationaux. Nous nous intéresserons finalement aux
investissements étrangers perdus en partie en raison de l’interdiction d’investissement dans
le secteur de l’énergie. Cependant, avant toute chose, nous devons analyser les
conséquences d’une autre variable, indépendante aux mesures économiques, qui frappe la
Russie depuis le mois d’aout 2015; la chute du prix du pétrole.
Le déficit causé par le pétrole
La Russie est un pays extrêmement riche en matières premières et en hydrocarbures qui
représentent 65 % des exportations du pays en 2015.424
Le cours du pétrole dégringole à
partir de 2014 en raison d’une guerre des prix entre l’Arabie saoudite et les États-Unis. La
421
Lidia Shevtsova, « The Sanctions on Russia : How Hard Do They Bite ? », The American Interest,
4 avril 2016, http://www.the-american-interest.com/2016/04/04/the-sanctions-on-russia-how-hard-do-they-
bite/ 422
Op. Cit. Elizabeth S. Rogers, p. 52 423
Op. Cit. Gary Clyde Haufbauer, Jeffrey J. Schott, Kimberly Ann Elliott, Barbara Oegg, p. 167 424
United Nations Conference On Trade and development, General Profil : Russian Federation,
9 décembre 2016, http://unctadstat.unctad.org/CountryProfile/GeneralProfile/en-GB/643/index.html
119
Russie doit alors faire face aux sanctions économiques ainsi qu’à des revenus
d’exportations beaucoup plus faibles.425
En effet, En 2013, la Russie a exporté
vers l’Europe et les États-Unis
environ 1 128 050 359 barils de
pétrole pour une somme de
120 507 241 978 $ USD. En 2015,
elle exporte 1 089 831 521 barils, soit
environ 38 millions de barils de moins
qu’en 2013, pour une somme de 55 185 251 578 $ USD.426
En 2013, le baril de pétrole
s’échangeait à environ 105 $ USD alors qu’en 2015, il descend sous la barre des 50 $ USD,
pour la première fois depuis 2009.427
Le gouvernement russe se retrouve dès lors avec deux
possibilités; une hausse de production et des exportations, ou une baisse drastique des
revenus. En décembre 2014, la production de pétrole russe atteint un niveau inégalé depuis
1991, mais l’offre mondiale est beaucoup plus importante que la demande et la
consommation. L’Arabie saoudite, plus grand producteur mondial a cependant intérêt à
conserver le prix du baril au plus bas afin d’éliminer la compétition. Plusieurs petits
producteurs ne peuvent plus exporter leur pétrole qui coute désormais plus cher à extraire
qu’il ne rapporte. Comme l’extraction du pétrole des sables bitumineux ou de l’huile de
schiste coute beaucoup plus cher que l’extraction du pétrole conventionnel, le Canada et les
États-Unis souffrent également de cette chute de prix.428
Le cours du pétrole s’effondre au même moment que l’Union européenne impose ses
sanctions économiques à la Russie. La détérioration de la situation économique russe
depuis l’été 2014 est, dès lors, causée par deux variables distinctes : la chute du prix du
baril de pétrole et les sanctions économiques. Les prédictions budgétaires russes pour 2015
425
Mathilde Damgé, « Trois graphiques pour comprendre la baisse des cours de pétrole », Le Monde,
2 décembre 2014 426
United Nations Commodity Trade Statistics Database, voir en annexe les différentes statistiques sur
l’économie russe. 427
Jean-Michel Bézat, « Pétrole : les raisons de la chute continue de prix », Le Monde, 6 janvier 2015 428
Anne Eveno, « Dans la chute des cours du pétrole, l’Arabie Saoudite détient les clés du jeu », Le Monde,
16 octobre 2014
Les exportations russes de pétrole vers l’UE et
les USA
Années Quantité de
barils exportés
Revenus provenant
des exportations en
USD
2013 1 128 050 359 120 507 241 978 $
2014 998 638 908 99 151 601 296 $
2015 1 089 831 521 55 185 251 578 $
120
avaient été faites en fonction d’un baril s’échangeant à 100 $ USD et les hydrocarbures
représentent environ 50 % des revenus gouvernementaux.429
Le manque à gagner est donc
énorme. En 2014, la Russie exporte près d’un milliard de barils de pétrole pour une somme
de cent milliards de dollars USD. En 2015, même si elle exporte davantage, elle retire 55
milliards de dollars USD uniquement.430
Elle comble le déficit à même ses réserves qui
atteignent, à leur plus haut, 537 milliards USD en 2012. En 2015, après avoir comblé le
déficit, les réserves russes comprennent encore 368 milliards USD.431
Lorsque cette réserve
a été mise en place il y a environ 15 ans, le ministre des Finances Alexei Kudrin avait
affirmé qu’elle servirait à pallier à une crise économique ou à une chute drastique du prix
des hydrocarbures, qu’elle absorberait les déficits pendant que l’économie russe s’adapte à
la nouvelle situation.432
Le gouvernement russe a par la suite ajusté ses prévisions
budgétaires pour 2017, 2018 et 2019, avec le prix du baril de pétrole estimé à 40 $ USD, un
prix beaucoup plus conservateur que celui de 2015433
. En analysant l’impact des sanctions
contre la Russie, il faut donc tenir compte de cette variable, qui, en une seule année est
responsable d’une perte de revenus de 65 milliards USD.
Portrait global de la situation économique en Russie
À la suite de l’imposition des sanctions, la situation économique de la Russie se dégrade.
D’abord, en ce qui a trait à l’inflation des prix à la consommation, la Russie a toujours
connu des taux plutôt élevés; en 1993 après la désintégration de l’URSS, l’inflation atteint
875 %. Elle dégringole rapidement jusqu’en 1997, mais remonte à 85 % en 1999 à la suite
de la crise économique qui frappe le pays très durement au cours de l’année 1998. Depuis
les années 2000, l’inflation demeure toujours sous la barre des 20 %, malgré la crise
économique de 2008 et celle actuellement en cours en raison des sanctions.434
Avant
429
Department of State United States of America, Russia Investment Climate Statement 2015, Mai 2015, p. 3 430
United Nations Commodity Trade Statistics Database 431
Banque mondiale, Fédération de Russie – Total des Réserves (comprend l’or, USD courant),
http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FI.RES.TOTL.CD?locations=RU&view=chart 432
Anton Tabakh, « How Long Until Russia’s Financial Reserves Run Out ? » Carnegie Moscow Center,
Moscou, 27 octobre 2016 433
World Bank Group Macroeconomics & Fiscal Management, Russia Economic Report, The Russian
Economy inches Forward : Will that suffice to turn the tide ? Novembre 2016 434
Banque mondiale, Inflation, prix à la consommation (% annuel), Fédération de Russie,
http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/FP.CPI.TOTL.ZG?end=2016&locations=RU&start=1993
121
l’invasion de la Crimée, la Russie a fixé son objectif d’inflation entre 5 % et 6 %,435
sans
jamais réussir à atteindre son objectif. En 2012, l’inflation est à son plus bas depuis la
désintégration de l’URSS, elle dépasse à peine la barre des 5 %, en 2013 cependant, elle
grimpe à 6,76 %, 7,83 % en 2014, et en 2015, elle atteint 15,9 % en raison des sanctions et
de la chute du prix du baril de pétrole.436
À moyen terme, le gouvernement russe fixe son
objectif d’inflation à 4 %.437
L’inflation ayant déjà ralenti à 7,05 % en 2016, la Banque
centrale de Russie estime que cet objectif sera réalisé et stabilisé en 2019.438
Le commerce international de la Russie a également ralenti depuis le début de la crise. Ses
exportations ont dégringolé en raison des sanctions adoptées par l’Union européenne et ses
alliés, alors que les importations ont chuté en raison des contre-sanctions mises en place par
la Russie qui touchent les produits alimentaires.439
Le commerce avec l’Union européenne
ralentit davantage que le commerce avec le reste du monde, entre 2013 et 2015, les
exportations vers l’Union européenne dégringolent de 45 % (environ 123 milliards USD)
alors que les exportations de l’Union européenne vers la Russie chutent également de 49 %
(environ 77 milliards USD). Avec le reste du monde, les pertes sont également importantes,
les exportations russes vers ses différents partenaires diminuent de 35 % (environ
183 milliards USD) et les importations totales de la Russie réduisent de 42 % (environ
131,5 milliards USD).440
Entre 2013 et 2014, les échanges diminuent mais c’est entre 2014
et 2015 que les échanges déprécient le plus. Entre 2013 et 2014, les importations totales de
la Russie déclinent de 9 % (environ 28 milliards USD) alors qu’entre 2014 et 2015 elles
décroissent de 36 % (environ 103 milliards USD). Les importations en provenance de l’UE
sont également réduites de 14 % (environ 22,7 milliards USD) entre 2013 et 2014, et 40 %
435
The Central Bank of the Russian Federation (Bank of Russia), Monetary Policy report, Moscou, Octobre
2013, N°4, p. 16 436
Op. Cit. Banque mondiale 437
Central Bank News, Inflation Targets Table for 2017, http://www.centralbanknews.info/p/inflation-
targets.html 438
The Central Bank of the Russian Federation (Bank of Russia), Monetary Policy report, Moscou,
Mars 2017, N°1, p. 25 439
Sont touchés : la viande bovine, le porc, toutes les volailles, les produits dérivés de viandes, les poissons,
les crustacés, les fruits de mer, les produits laitiers, les légumes, les fruits, les noix, les préparations
alimentaires. ПРАВИТЕЛЬСТВО РОССИИСКОИ ФЕДЕРАЦИИ, ПОСТАНОВЛЕНИЕ г. No 830
ПЕРЕЧЕНЬ сельскохозяиственнои продукции, сырья и продовольствия, странои происхождения
которых являются Соединенные Штаты Америки, страны Европеиского союза, Канада, Австралия и
Королевство Норвегия и которые сроком на один год запрещены к ввозу в Россиискую Федерацию,
МОСКВА, от 20 августа 2014, http://government.ru/media/files/41d4fd237c91ea4213b0.pdf 440
United Nations Commodity Trade Statistics Database
122
(environ 54,5 milliards USD) entre 2014 et 2015. Les exportations suivent la même
logique, entre 2013 et 2014, les exportations totales de la Russie chutent de 9 % (environ
29 milliards USD) et 31 % (environ 154 milliards USD) entre 2014 et 2015. Les
exportations vers l’Union européenne déclinent également de 19 % (environ
53 milliards USD) entre 2013 et 2014 et de 31,5 % (environ 69,6 milliards USD) entre
2014 et 2015.441
Le taux de chômage demeure quant à lui plutôt stable depuis l’invasion de la Crimée,
malgré la crise économique et les sanctions. En 2013, le taux de chômage en Russie était
d’environ 5,4 %, en 2014, il décroît à 5,2 % avant de remonter à 5,6 % en 2015 et 5,7 % en
2016.442
À titre comparatif, le taux de chômage moyen pour l’Union européenne (28) pour
la même période est de 10,8 % en 2013, 10,2 % en 2014, 9,4 % en 2015, et 8,5 % en 2016.
De manière générale, l’Allemagne a toujours un taux de chômage inférieur à celui de la
Russie, alors que le Royaume-Uni et les États-Unis avaient un taux de chômage supérieur à
celui de la Russie avant le début de la crise économique, et inférieur depuis 2015. La
majorité des autres États comme la France – qui a un taux de chômage généralement
constant de 10 % – la Belgique et les Pays-Bas ont un taux de chômage plus élevé que la
Russie, et ce, même depuis l’invasion de la Crimée et l’imposition des sanctions.443
La fuite des investissements étrangers
Avant même l’imposition des sanctions économiques, l’Union européenne avait estimé
qu’entre l’invasion de la Crimée le 27 février 2014 et le début du mois d’avril de la même
année, la Russie avait déjà subi une perte d’investissements étrangers d’environ 50
milliards USD.444
Le climat d’investissement en Russie est teinté par la corruption, un
risque politique élevé, ainsi que par l’absence de transparence. En 2013, avant la crise en
Ukraine, la Russie occupait le 127e rang sur 176 pays notés sur la corruption, à égalité avec
l’Azerbaïdjan, les Comores, la Gambie, le Liban, le Madagascar, le Mali, le Nicaragua et le
Pakistan. En 2014, la situation se détériore, la Russie se voit rétrogradée à la 132e position,
441
United Nations Commodity Trade Statistics Database 442
Banque mondiale, Chômage, total (% de la population), Fédération de Russie,
http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SL.UEM.TOTL.ZS?locations=RU&view=chart 443
OCDE, Taux de chômage (indicateur), 2017, https://data.oecd.org/fr/unemp/taux-de-chomage.htm 444
Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, p. 161
123
à égalité avec le Kirghizistan. En 2015, elle remonte au 119e rang, à égalité avec
l’Azerbaïdjan, la Guyane et le Sierra Leone avant de replonger à la 131e position en 2016, à
égalité avec l’Iran, le Kazakhstan, le Népal et l’Ukraine.445
Avant le début de la crise, le
climat d’investissement en Russie était adéquat, mais il présentait des risques plus ou moins
élevés en raison d’une situation politique et économique toujours un peu précaire pour les
investisseurs. Depuis la fin de 2014, le climat d’investissement est cependant devenu
beaucoup plus incertain.446
Les placements étrangers sont beaucoup plus vulnérables aux
changements économiques et politiques, les rendements offerts sont extrêmement élevés,
mais les risques sont considérables quant à la capacité du débiteur de rembourser ses
investisseurs. Ces cotes de crédit ont également un impact sur les possibilités d’emprunt de
la Russie. Si le gouvernement, les entreprises, ou les individus veulent emprunter à
l’international, le taux d’intérêt sur chaque emprunt sera beaucoup plus élevé en raison de
ce climat économique précaire.447
La Russie a ainsi perdu énormément d’investisseurs, en
plus de devoir limiter ses emprunts à l’étranger.448
Afin de pallier à cette fuite de capitaux, le gouvernement russe tente d’attirer les
investisseurs avec des réductions de taxes, des parcs industriels équipés avec la plus haute
technologie ainsi que plusieurs autres avantages fiscaux.449
Cependant, le gouvernement
demeure extrêmement sélectif quant à ses investisseurs. Certains secteurs clés pour la
Défense ou pour la Sécurité nationale sont entièrement contrôlés par l’État. Dans plus de 45
secteurs différents, les possibilités d’investissement sont étudiées minutieusement et
nécessitent l’approbation du gouvernement fédéral et du président lui-même.450
La Russie
souffre également de la mainmise de l’État sur les compagnies les plus rentables du pays.
L’État possède plus de 4 100 entreprises et les revenus reliés au secteur public représentent
71 % du PIB en 2015, ce qui ne laisse pas réellement beaucoup de place pour les
445
Transparency International, Corruption Perceptions Index, www.transparency.org/cpi 446
Les agences internationales de crédit Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, note la Russie « Lower
Medium Grade » (BBB ou Baa1) avant la crise et « Non-Investment grade » (BB+ ou Ba1) depuis la fin de
2014. http://www.tradingeconomics.com/russia/rating 447
Bankers Almanac, Standard & Poor’s definition, 20 septembre 2010,
http://www.bankersalmanac.com/addcon/infobank/credit_ratings/standardandpoors.aspx 448
Evsey Gurvich, « The impact of sanctions on Russia : Negligible now, disastrous later » Global Europe,
22 juin 2015 449
Op. Cit. Department of State United States of America, p. 13 450
Ibid, p. 5
124
investisseurs étrangers. Parmi ces 4 100 entreprises, 176 sont catégorisées comme
« stratégiques » alors que 128 sont détenues à 100 % par le gouvernement fédéral et ne
peuvent être privatisées. Plus la situation économique se détériore, plus la mainmise de
l’État sur l’économie est importante.451
Le système bancaire est aussi vulnérable, quoique l’État tente de le normaliser
graduellement. Au début de l’année 2015, on compte 827 différentes banques en Russie.
Après plusieurs restructurations, on en compte 733 au début de l’année 2016 et 649 en date
du 1er
octobre 2016, et le gouvernement annonce d’autres restructurations pour le futur. Les
banques fermées sont celles qui étaient les moins enclines à évoluer et à se restructurer
selon les volontés de l’État, et celles qui acceptaient les opérations et les placements les
plus risqués.452
Le secteur bancaire demeure cependant dominé par les banques appartenant
à l’État qui possède six des huit plus grandes banques de Russie, dont Sberbank,
Vnechtorgbank (VTB), Rosbank Rosselkhozbank et VEB. Les banques privées les plus
lucratives étant Alfa Bank et Otkrytie.453
Les sanctions touchant le secteur bancaire se
limitent aux banques détenues à plus de 50 % par l’État. Les membres et citoyens de
l’Union européenne ne peuvent plus racheter de bons ou de dettes de ces banques depuis
l’adoption des sanctions le 31 juillet 2014.454
Entre 2002 et 2008, les investissements étrangers en Russie passent de moins de 1 % du
PIB à 4,5 % du PIB. La crise économique qui frappe durement le pays en 2008 provoque
une fuite des investisseurs. Le gouvernement russe doit ainsi attendre l’année 2013 pour
retrouver un niveau intéressant d’investissements – 3,1 % du PIB – cependant, avec
l’invasion de la Crimée en mars 2014, avec les investisseurs étrangers qui se retirent de
beaucoup de projets, les investissements peinent à atteindre 1 % du PIB. En 2015, la
situation se détériore encore lorsque la Russie atteint durement 0,5 % de son PIB en
investissements étrangers.455
451
Ibid, p. 20 452
Op. Cit. World Bank Group Macroeconomics & Fiscal Management, p. 22 453
Op. Cit. Department of State United States of America, p. 18 454
Op. Cit. Christine Dugoin-Clément, p. 162 455
Banque Mondiale, Investissements étrangers directs, entrées nettes (% du PIB) – Fédération de Russie,
http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/BX.KLT.DINV.WD.GD.ZS?locations=RU&view=chart
125
En ce qui a trait à l’Europe, il y eu une baisse globale des investissements étrangers vers la
Russie depuis le début de la crise, même si plusieurs membres de l’Union européenne n’ont
pas modifié leurs politiques d’investissements. En 2013, avant le commencement de la
crise, la Russie reçoit plus de 192 147 millions d’Euros d’investissements en provenance de
l’Union européenne. En 2014, cette somme dépasse à peine 162 654 millions, mais en
2015, il y a un regain des investissements qui totalisent 171 844 millions d’euros.456
En
2014, après la crise, la Russie perd en une année 30 000 millions de capital des
investisseurs européens et 2 000 millions de ses investisseurs américains.457
Certains pays
comme l’Allemagne – qui est passée de 21 783 millions d’euros investis en 2013 à
14 537 millions en 2014 et 16 277 millions d’euros en 2015 – ont réduit considérablement
leurs investissements depuis le déclenchement de la crise, alors que d’autres membres
comme les Pays-Bas, plus grand partenaire économique de la Russie en 2015, n’ont pas
modifié leurs politiques économiques avec l’application des sanctions.458
Les
investissements de l’Estonie, de la Lituanie, et de la Slovénie sont également restés stables,
alors que la Belgique, la Bulgarie, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, le Royaume-Uni, la
Slovaquie, et la Suède ont augmenté considérablement.459
Cette hausse des investissements
en Russie pour certains États peut s’expliquer par la mise en place d’une politique par le
gouvernement russe qui constitue à garder la valeur du rouble faible par rapport aux autres
devises pour attirer les investisseurs étrangers qui obtiennent beaucoup plus pour le même
montant investi actuellement qu’avant le début de la crise en Ukraine et l’adoption des
sanctions économiques.460
En plus des banques, les sanctions atteignent également le secteur de l’énergie et le
complexe militaro-industriel, dominés par les compagnies d’État. Ces deux domaines sont
456
Eurostat, Position, Flux et revenus de l’investissement direct de l’UE, ventilation par pays partenaires
(BPM6), dernière mise à jour le 23 février 2017. Pour les statistiques complètes, consultez les tableaux à
l’Annexe XI. 457
Les données citées dans cette section proviennent de la base de données Eurostat, l’Office statistique de
l’Union européenne. Cette agence rassemble les informations fournies par chacun de ses membres quant à
leurs investissements étrangers dans les différents pays du globe. Nous baserons notre analyse sur ces
statistiques. Par contre, par souci de comparaison, nous avons également mis en annexe les mêmes données,
en provenance de la Banque centrale de Russie. Il y a une différence notoire entre les chiffres des deux
agences, mais ces différences ne feront pas l’objet d’une analyse plus poussée. 458
Idem, Les investissements directs des Pays bas totalisent 55 286 millions d’euros en 2013, 51 430 millions
d’euros en 2014 et 52 985 millions d’euros en 2015. 459
Idem 460
Op. Cit. Department of State United States of America, p. 19
126
visés par les sanctions, et la situation économique précaire de la Russie n’attire pas les
investisseurs étrangers prudents. De nombreuses entreprises de ces secteurs souffrent
également de la chute du rouble,461
voyant leur pouvoir d’achat à l’étranger diminuer
grandement. Les entreprises dépendantes de matériaux ou de biens importés ont de plus en
plus de difficultés à s’approvisionner et à rester concurrentielles.462
Le cours du rouble est
affecté par les sanctions à partir de la fin de l’année 2014, mais son cours dégringole
lorsque le prix du baril de pétrole chute drastiquement durant l’été 2015. L’économie de la
Russie étant fortement liée à l’exportation des hydrocarbures, le cours du rouble évolue
proportionnellement au prix du baril de pétrole. Il subit donc un certain regain à partir du
mois de mars 2016, lorsque la valeur du pétrole augmente également sensiblement.463
Afin
de limiter les effets négatifs, l’État comble les déficits à même la réserve nationale et le
budget fédéral. Pour les années 2017 à 2019, le gouvernement russe a réduit de 1,8 % du
PIB les dépenses pour la défense nationale, de 0,5 % du PIB les dépenses dans les services
sociaux, et de 0,4 % du PIB les dépenses de la sécurité nationale.464
Plusieurs secteurs et
plusieurs entités qui ne sont pas directement visés par les sanctions se retrouvent donc tout
de même affectés, malgré les efforts du gouvernement fédéral pour limiter les dégâts.
Le commerce des armes et du matériel militaire
Le complexe militaro-industriel russe souffre des sanctions depuis leur adoption, mais de
manière irrégulière. Après la mise en place des sanctions, une chute drastique des
exportations impacte plusieurs compagnies de production d’armes ou de services militaires
russes. En 2014, 20 compagnies russes465
font partie des 100 plus grosses entreprises
militaires au monde. En 2015, on en compte 13.466
En 2013, les exportations d’armes de la
Russie totalisent un peu plus de 4,5 milliards USD, dont environ 200 millions avec les
461
Voir à l’Annexe X le cours du rouble depuis 2013 462
Evsey Gurvich, Ilya Prilepskiy, « The impact of financial sanctions on the Russian economy », Russian
Journal of Economic, Décembre 2015, Vol. 1 N°4, p. 361 463
Op. Cit. World Bank Group Macroeconomics & Fiscal Management, p. 20 464
Ibid, p. 8 465
Stockholm International Peace Research Institute, The SIPRI top 100 armes-producing and military
services compagnies in the world excluding China 2002-2015, SIPRI Arms Industry Database,
Décembre 2016 466
En 2015, les 13 compagnies russes faisant partie du top 100 sont Almaz-Antey, United Aircraft Corp.,
United Shipbuilding Corp., Russian Helicopters, Tactical Missiles Corp., United Instrument Manufacturing
Corp., High Precision Systems, KRET, United Engine Corp., UMPO, Uralvagonzavod, Admiralty Shipyards,
RTI Group. En 2014, on y retrouvrait également Sukhoi, Sozvezdie, Irkut, Sevmach, RAC MIG, Zvezdochka
et Shvabe. À titre comparatif, 43 compagnies américaines se retrouvent sur cette liste.
127
membres de l’Union européenne et ses alliés. En 2014, les exportations totalisent à peine
189 millions USD et l’Union européenne et ses alliés ont importé du matériel militaire pour
27 millions. En 2015, il y a un regain des exportations qui atteignent 1,5 milliard USD,
malgré les importations encore moins importantes d’à peine 10 millions pour l’Europe et
ses alliés.467
Certaines catégories d’armes ne sont cependant pas touchées durement par ces
sanctions, alors que plusieurs pays asiatiques, africains et sud-américains, augmentent leurs
échanges avec la Russie dans ce secteur. En 2014, la Russie augmente ses exportations
d’armes navales, d’avions de combats, de satellites et de véhicules blindés. Les
exportations de pièces d’artillerie, de bateaux de guerre, de défenses antiaériennes et de
missiles plongent toutefois avec l’application des sanctions. Dans toutes ces différentes
catégories, il y eut un récent regain des exportations, à partir de la fin de l’année 2015 et de
l’année 2016.468
Depuis l’imposition des sanctions, le commerce des armes et du matériel militaire russe est
demeuré plutôt stable avec la Chine et l’Inde, dont les importations en 2015 atteignaient
respectivement 713 millions USD et 1,5 milliard USD. D’autres États comme l’Algérie,
l’Angola, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, le Bangladesh, la Biélorussie, l’Iran, l’Irak, le
Kazakhstan, le Nicaragua, le Nigéria, le Pakistan, le Soudan, le Turkménistan et le Vietnam
ont toutefois augmenté considérablement leurs importations de matériel militaire russe. En
2014, les exportations d’armes et de matériel miliaire ont également rejoint un nouveau
client, les rebelles de l’Ukraine de l’Est, qui ont importé en territoire sécessionniste pour
environ 24 millions USD.469
Parmi ces pays qui ont conservé un commerce d’armes
important avec la Russie, c’est sans réelle surprise que l’on constate que seuls deux –
l’Azerbaïdjan et le Nigéria – ont voté en faveur de la résolution 68/262 de l’Assemblée
générale de l’ONU qui condamnait l’invasion et l’annexion de la Crimée, et la violation de
l’intégrité territoriale de l’Ukraine le 17 mars 2014. En effet, l’Algérie, l’Angola, le
Bangladesh, la Chine, l’Irak, l’Inde, le Kazakhstan, le Pakistan et le Vietnam ne se sont pas
467
United Nations Commodity Trade Statistics Database 468
Stockholm International Peace Research Institute, Trend Indicator Values of arms exports from Russia,
2000-2016, 2017, http://armstrade.sipri.org/armstrade/page/values.php 469
Idem
128
prononcés. L’Arménie, la Biélorussie, le Nicaragua et le Soudan ont voté contre la
résolution, alors que l’Iran et le Turkménistan ne se sont pas présentés.470
En 2008, le président Poutine instaure des réformes militaires et il augmente le budget du
département de la Défense de manière considérable, alors que les exportations d’armes de
la Russie dépassaient à peine 50 millions USD. En 2009, à la suite des premières refontes,
les exportations d’armes et de matériel militaire atteignent plus de 500 millions USD et
2,3 milliards USD en 2010. De 2010 à 2013, les exportations de ce secteur augmentent sans
cesse atteignant jusqu’à 4,5 milliards USD avant le début de la crise en Ukraine.471
Comme
définie dans la politique étrangère russe, l’OTAN demeure l’ennemie472
; toute avancée
militaire est perçue comme une menace. Depuis 2008, c’est cette conception de l’OTAN et
de son développement militaire qui motive les réformes entreprises par Vladimir Poutine et
son gouvernement. En 2015, 4,2 % du budget sont allouées aux dépenses militaires. Les
réformes de Vladimir Poutine ont modernisé énormément l’armée russe décrépite. Le
potentiel militaire de la Russie augmente sans cesse et la production d’armes atteint, au
début de l’année 2016, une valeur de 10 milliards USD.473
Au début de 2016, les défenses
antimissiles balistiques américaines sont également considérées comme une menace directe
par la Russie. Toutefois, avec l’application des sanctions et la situation économique
précaire, le budget fédéral doit réduire les sommes allouées à la défense et ralentir la
production d’armes.474
Globalement, les pertes de la Russie peuvent être attribuées à la chute du prix du pétrole, à
la fuite des capitaux étrangers et à la dégradation du commerce avec ses partenaires
internationaux. Entre 2013 et 2015, les pertes liées à la chute du prix du baril de pétrole
atteignent plus de 65 milliards USD si l’on ne calcule que les exportations à destination de
l’Union européenne et de ses alliés. L’économie russe a également perdu des
investissements étrangers en provenance de l’Union européenne d’une valeur d’environ
470
Voir carte de la Résolution A/68/262 – L’Intégrité territoriale de l’Ukraine à l’Annexe IV 471
United Nations Commodity Trade Statistics Database 472
The Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation, Concept of the Foreign Policy of the Russian
Federation, 18 février 2013 473
Andrey Movchan, « Ins and Outs of the Russian Economy », Carnegie Moscow Center, Moscou,
24 mars 2016 474
Dmitri Trenin, The Revival of the Russian Military : How Moscow Reloaded », Foreign Affairs, Mai-
Juin 2016, Vol. 96, N°3, p. 28
129
20,3 milliards d’Euros (environ 22 milliards USD) entre 2013 et 2015. Les pertes reliées
aux exportations sont donc les plus importantes, avec des pertes totalisant plus de
183 milliards USD entre 2013 et 2015. Sur ces 183 milliards USD, les pertes reliées au
commerce entre l’Union européenne et la Russie représentent 67 %, soit
123 milliards USD. L’effet des pertes reliées aux exportations est cependant miné par la
volonté du gouvernement russe de remplacer les produits européens par des produits
locaux, de moins bonne qualité dans la plupart des cas. Le gouvernement russe a réduit
considérablement ses importations pour affliger le plus de pertes à l’UE. Les sommes
épargnées par cette action ont été partiellement investies dans les entreprises locales pour
les encourager à produire ce que le parlement russe refuse d’importer.475
Sergei Ivanov,
chef de l’administration fédérale avoue lui-même que les sanctions économiques causent du
tort à la Russie, que Moscou n’a jamais tenté de nier ce fait. Les sanctions n’ont, pour
l’heure, initié aucun changement de la politique étrangère russe, mais elles ont cependant
forcé le président Poutine à chercher des partenaires commerciaux alternatifs à l’Union
européenne.476
En basant notre analyse sur celle de l’historiographie, il est possible de conclure que le cout
imposé à la Russie est considérable pour un régime de sanctions en place depuis un peu
moins de trois ans. Cependant, la Russie est un État fort, stable politiquement, et assez
stable économiquement pour conserver un taux d’inflation contrôlé – à l’exception de 2015
– ainsi qu’un taux de chômage également relativement bas, plus bas que la majorité des
pays de l’Union européenne. En ce qui a trait à la dépendance économique, il est vrai que
l’UE est le plus grand partenaire de la Russie, qu’elle est dès lors la mieux placée pour
infliger un cout important à son voisin. Toutefois, l’économie russe semble plutôt stable,
les réserves comblent une grande partie du déficit, et ses ressources que l’on pourrait
qualifier d’inépuisables peuvent subvenir à la demande nationale pour beaucoup de
produits. L’analyse des variables économiques permet de conclure à un cout élevé pour les
premières années du régime de sanctions. Néanmoins, plusieurs facteurs politiques ne
doivent pas être négligés afin d’analyser précisément l’impact des sanctions sur la Russie.
475
Denis Volkov, « Are Russians Feeling the Economic Crisis » Carnegie Moscow Center, Moscou,
1er
mars 2016 476
Lidia Shevtsova, « The Sanctions on Russia : How Hard Do They Bite ? », The American Interest, 4 avril
2016, http://www.the-american-interest.com/2016/04/04/the-sanctions-on-russia-how-hard-do-they-bite/æ
130
Plusieurs Chevaliers noirs : le lobbysme anti-sanctions en Europe
Avant même le début de la crise en Ukraine, la Russie tentait de trouver des partenaires en
Europe qui seraient favorables à ses positions. Déjà en 2007 et plus tard en 2011, la
Hongrie, la Grèce, l’Italie et Chypre étaient identifiés comme des partenaires européens
stratégiques pour la Russie.477
Afin de conserver de bonnes relations avec ces États, la
Russie utilise souvent les moyens économiques, en signant plusieurs accords, pour l’usage
des ports de Chypre, pour être le seul fournisseur d’énergie nucléaire de la Hongrie et pour
la construction d’un oléoduc reliant la Russie à la Grèce sans passer par les pays plus au
nord.478
Malgré tous ces efforts, la totalité de l’Europe condamnera la Russie lors du vote
de l’Assemblée générale de l’ONU par la résolution 68/262 pour la violation de l’intégrité
territoriale de l’Ukraine. Seuls la Serbie et la Bosnie-Herzégovine ne se présentent pas alors
que l’Arménie – géographiquement en Eurasie – se prononce contre.479
Depuis le début de
la crise en Ukraine, certains États ou certains partis politiques expriment cependant leur
mécontentement quant à l’imposition des sanctions, des contre-sanctions et des
conséquences négatives pour leurs pays.480
La Grèce s’y oppose ouvertement, le
gouvernement hongrois également, l’Italie désire conserver ses liens économiques avec la
Russie, et les banques de Chypre ne veulent pas se fermer aux investisseurs et aux
oligarques russes.481
Viktor Orban et la Hongrie
Depuis le début de la crise, la Russie se rapproche énormément de la Hongrie à l’aide de
projets et d’investissements économiques. En janvier 2014, le gouvernement hongrois
annonce que ce sera la compagnie russe Rosatom qui a obtenu le contrat pour la
construction du centre nucléaire.482
Ce projet est contesté dès le départ non seulement par la
477
Mitchell A. Orenstein and R. Daniel Kelemen, « Trojan Horses in EU Foreign Policy », Journal of
Common Market Studies, Janvier 2017, Vol. 55 N°1, p. 92 478
Ibid, p. 87 479
Assemblée générale des Nations Unies, Résolution 68/262 Intégrité territoriale de l’Ukraine,
27 mars 2014 480
Fredrik Wesslau, « Putin’s Friends in Europe », European Council on Foreign Relations, Londres,
19 octobre 2016, http://www.ecfr.eu/article/commentary_putins_friends_in_europe7153 481
Op. Cit, Mitchell A. Orenstein and R. Daniel Kelemen p. 97 482
Global Security, Hungary - Russia Relations, 13 janvier 2017,
http://www.globalsecurity.org/military/world/europe/hu-forrel-ru.htm
131
Commission Européenne, mais également par la société civile hongroise qui questionne le
rapprochement de ses élites avec les dirigeants russes.483
Pour le premier ministre Viktor
Orban, la Hongrie a un intérêt particulier à entretenir des relations ouvertes et transparentes
avec la Russie puisque les sanctions ont causé des pertes au pays de plus de 6,5 milliards
d’Euros d’exportations en moins de trois ans.484
De plus, le gouvernement russe est un
important acheteur de bons du trésor hongrois, il aide le gouvernement à financer ses dettes.
Pour le premier ministre Orban, la Russie est un partenaire économique primordial et
l’amélioration des relations économiques ne pourrait qu’être bénéfique pour le pays.485
En réalité, la Hongrie est de plus en plus dépendante de la Russie, qui approvisionne le pays
pour 99 % de son pétrole et 74 % de son gaz naturel.486
Ainsi, en 2016, le gouvernement
hongrois prolonge son accord gazier avec le géant russe Gazprom jusqu’en 2019.487
À
l’exception des autres membres de l’Union européenne, la Russie est le plus grand
partenaire économique de la Hongrie, et malgré les sanctions, les rencontres sont fréquentes
entre le premier ministre Orban et Vladimir Poutine, ainsi qu’entre les ministres des affaires
étrangères Sergueï Lavrov et Péter Szijjártó.488
Néanmoins, même si la Hongrie s’oppose
publiquement aux sanctions, il est peu probable qu’elle bloque leur prolongement. Orban a
voté en faveur de l’adoption des sanctions ainsi que pour leur prolongement à chaque fois
depuis leur application. Son pays est membre de l’Union européenne et, même si le
gouvernement hongrois semble tiraillé entre son appartenance à l’Europe et son partenariat
commercial avec la Russie, il est peu probable que la Hongrie s’oppose aux décisions du
Conseil de l’Union européenne, le premier ministre Orban ne voulant pas risquer d’altérer
483
Daniel Hegedüs, « How should Europe respond to Russia? The Hungarian vie », European Council on
Foreign Relations, Londres, 22 janvier 2015,
http://www.ecfr.eu/article/commentary_how_should_europe_respond_to_russia_the_hungarian_view406 484
Euronews, Hungary's Orban warmly welcomes Russian President Putin, 2 février 2017,
http://www.euronews.com/2017/02/02/budapest-s-warm-welcome-for-russian-president-putin 485
Op. Cit. Daniel Hegedüs 486
Idem 487
Zsuzsanna Vegh, « View From Budapest : The status quo might just do », European Council on Foreign
Relations, Londres, 14 octobre 2016,
http://www.ecfr.eu/article/commentary_view_from_budapest_the_status_quo_might_just_do7147 488
The Economist, « The Viktor and Vladimir show; Hungary and Russia » The Economist, Londres,
Vol. 414, N°8925, p. 47
132
ses relations avec d’autres pays de l’Union européenne – notamment la Pologne –
également d’importants partenaires.489
La Grèce doit relancer son économie
Au contraire de la Hongrie, le gouvernement russe et Vladimir Poutine obtiennent un
soutien important en Grèce, où 74 % de la population soutient le partenariat avec la
Russie.490
La Grèce désire entretenir de bonnes relations avec la Russie car le
gouvernement russe se montre prêt à investir pour relancer l’économie grecque qui n’attire
plus les investisseurs prudents depuis plusieurs années en raison de la récession. En juin
2015, après l’annulation des projets South Stream et Turkish Stream causée par les
sanctions,491
la compagnie russe Rosneft et son homologue grec Petroleum signent un
accord de coopération, minant ainsi l’effort européen pour varier ses fournisseurs
d’hydrocarbures.492
Le gouvernement grec soutient que la tension économique actuelle
entre l’Union européenne et la Russie – les sanctions européennes et les contre-sanctions
russes – freinent les investisseurs russes qui devaient financer plusieurs projets de
privatisation afin d’aider la Grèce à se sortir de la récession.493
Les nombreuses rencontres entre le premier ministre grec Alexis Tsipras et le président
Poutine se soldent par la signature de plusieurs accords. Dans les neuf premiers mois de
2015, le gouvernement russe aurait investi plus de 586 millions d’euros dans les
compagnies grecques. Le tourisme russe en Grèce est également à la hausse depuis que les
relations entre la Russie et la Turquie se sont compliquées, à la suite du bombardement
d’un avion russe par l’armée turque en novembre 2015.494
Cependant, l’économie grecque a
besoin des investissements européens au même titre que les investissements russes. La
Grèce a soutenu l’adoption des sanctions en 2014, elle soutient également leur
prolongement à chaque six mois et il est fort peu probable, comme la Hongrie, que celle-ci
489
Op. Cit. Zsuzsanna Vegh 490
George Tzygopoulos, « View from Athens, Towing the line », European Council on Foreign Relations,
Londres, 14 octobre 2016, http://www.ecfr.eu/article/commentary_view_from_athens_towing_the_line7148 491
Alessandra Vernile, « Greek-Russian relations into perspective: where do they lead? », Mediterranean
Affairs, 20 juin 2016, http://mediterraneanaffairs.com/greek-russian-relations-into-perspective-where-do-they-
lead/ 492
Op. Cit, Mitchell A. Orenstein and R. Daniel Kelemen p. 97 493
Op. Cit. George Tzygopoulos 494
Op. Cit. Alessandra Vernile
133
s’oppose au reste des membres de l’Union européenne lors des prochaines discussions au
Conseil de l’Union européenne. Dans tous les cas, le gouvernement grec cherche des
moyens pour relancer ses exportations de produits agricoles vers la Russie, en particulier
les produits n’étant pas définis précisément par les contre-sanctions russes.495
L’Italie, économie avant politique
La relation entre l’Italie et la Russie est purement économique. Elle fonctionne sur le
principe que l’une ne s’intéresse ou n’interfère pas dans les affaires internes de l’autre.
Chacune reconnait les sphères d’intérêts économiques de sa partenaire, s’attardant aux
partenariats économiques exclusivement. Au même titre que l’Allemagne qui se
préoccupait davantage de la détente à Berlin plutôt que de l’invasion soviétique
d’Afghanistan, l’Italie se préoccupe davantage de ses problèmes régionaux, de la crise des
réfugiés syriens qui arrivent parfois par la Méditerranée, de la montée des mouvements
islamistes notamment en Lybie, déjà chaotique.496
Rome ne s’intéresse pas particulièrement
aux anciennes républiques de l’Union soviétique ou aux anciens États du Pacte de
Varsovie. Elle préfère développer ses liens commerciaux et tirer des bénéfices de cette
relation, plutôt que de s’ingérer dans les affaires politiques du gouvernement russe.497
Comme plusieurs autres États, la coopération énergétique avec la Russie est primordiale
pour l’Italie. Au début des années 2000, l’Italie a comme fournisseurs de gaz principaux
l’Algérie et la Russie à part égale. Cependant, depuis 2012, la Russie prend de plus de parts
de marché à l’Algérie qui se voit relégué à la seconde position. À court et moyen terme,
l’Italie ne pourrait pas se passer de la Russie comme partenaire énergétique – au même titre
que Moscou qui n’a pas nécessairement beaucoup d’autres alternatives, puisque 90 % de
ses exportations de gaz se dirigent vers l’Europe.498
L’objectif italien est donc davantage de
495
Ibid 496
Angelantonio Rosato, A marriage of convenience ? The future of Italy – Russia relations », European
Council on Foreign Relations, Londres, 15 Juillet 2016,
http://www.ecfr.eu/article/commentary_a_marriage_of_convenience_the_future_of_italyrussia_relations 497
Nathalie Tocci, « How should Europe respond to Russia ? The Italian View », European Council on
Foreign Relations, Londres, 18 Novembre 2014,
http://www.ecfr.eu/article/commentary_how_should_europe_respond_to_russia_the_italian_view353 498
Op. Cit. Angelantonio Rosato
134
trouver une source d’énergie et un fournisseur fiable, même si des compromis sur la
sécurité ou la politique sont nécessaires.499
Le gouvernement italien soutient que les pertes en exportations liées aux sanctions et aux
contre-sanctions totalisaient plus de 6 milliards d’euros et que le maintien des sanctions est
aussi dommageable pour les économies européennes que pour l’économie russe. Certaines
régions ou municipalités commencent à reconnaitre le référendum et l’indépendance de la
Crimée, proclamant que les sanctions font davantage de dégâts à l’économie italienne qu’à
la Russie et qu’elles devraient être levées purement et simplement. En mai 2016, le conseil
de la région de Vénétie déclare ainsi que les sanctions affectant énormément l’économie de
la région, celle-ci ne les appliquera plus et recommencera ses échanges commerciaux avec
la Russie. Le 29 juin 2016, la région de Ligurie – abritant la ville de Gênes notamment –
adopte une position similaire à celle de la Vénétie.500
L’Italie se montre prudente lors du prolongement des sanctions, depuis juin 2016, la
Chambre haute du Parlement italien s’est opposée au renouvellement automatique des
sanctions, les ministres italiens expriment toujours leur mécontentement quant à ces
mesures au Conseil de l’Union européenne. Cependant,501
tout comme les autres États,
l’Italie ne s’oppose pas au prolongement des sanctions. Elle aligne sa politique sur celle de
l’Union européenne, en soutenant cependant qu’elle s’opposera à l’ajout d’autres sanctions
qui pourraient avoir des répercussions importantes sur son économie.502
Récemment, le
ministre des Affaires étrangères italien s’est d’ailleurs opposé à l’adoption de nouvelles
sanctions à la Russie pour son soutien au régime syrien de Bachar al-Assad, après que
celui-ci ait utilisé une arme chimique contre ses propres citoyens.503
499
Gobal Security, Italy – Russia Relations, 20 Janvier 2017,
http://www.globalsecurity.org/military/world/europe/it-forrel-ru.htm 500
Op. Cit. Angelantonio Rosato 501
Op. Cit. Gobal Security 502
Op. Cit. Nathalie Tocci 503
Baris Seçkin, « Le G7 ne parvient pas à un consensus sur les sanctions contre la Russie », Anadolou Post,
11 avril 2017, http://aa.com.tr/fr/politique/le-g7-ne-parvient-pas-à-un-consensus-sur-les-sanctions-contre-la-
russie-/794471
135
L’Espagne : la société civile en désaccord avec ses élites politiques
Comme en Hongrie, la société civile espagnole ressent un certain dédain pour le président
Poutine, alors que les élites depuis mars 2015, demandent la levée des sanctions, acceptant
la politique étrangère russe quant à l’Ukraine et à la Syrie.504
Les élites espagnoles sont
d’avis que l’Union européenne devrait tenter de comprendre ses homologues russes, que la
Crimée a été donnée à l’Ukraine en 1954 par Khrouchtchev, et que le président Poutine ne
fait que rétablir le territoire historique de la Russie. Cette position est extrêmement
contestée par plusieurs membres du Conseil de l’Union européenne qui estiment que
l’Espagne tente de justifier les actions russes alors qu’il s’agit d’une violation de
l’intégralité territoriale d’un État par un autre.505
Plusieurs membres de l’Union européenne
déplorent la coopération espagnole avec la Russie. Depuis le début du conflit, l’Espagne
n’a jamais fermé ses ports à la marine russe. Plus de 25 navires de guerre russes se sont
ainsi approvisionnés dans les ports espagnols. Plusieurs d’entre eux avaient d’ailleurs
comme destination la Syrie, pour soutenir le régime de Bachar al-Assad.506
Alors que l’Espagne défend le gouvernement russe en demandant la levée des sanctions qui
ne sont bénéfiques pour personne, elle ne peut même pas prétendre à des échanges
commerciaux importants avec la Russie.507
Les liens économiques entre l’Espagne et la
Russie sont faibles, la Russie n’a jamais fait partie des partenaires économiques importants
pour l’Espagne, même si les élites espagnoles prétendent qu’ils veulent justement
développer ce marché. Actuellement, la seule source de revenus considérable pour
l’Espagne est le tourisme russe. Néanmoins, à Madrid, on estime que dans la situation
mondiale actuelle, avec la montée du terrorisme islamiste, l’Europe aurait intérêt à avoir la
Russie comme alliée pour lutter contre le terrorisme et les menaces extérieures.508
504
Francisco De Borja Lasheras, « View from Madrid : The many-faced Janus », European Council on
Foreign Relations, Londres, 14 Octobre 2016,
http://www.ecfr.eu/article/commentary_view_from_madrid_the_many_faced_janus7143 505
Francisco De Borja Lasheras, « Spain’s balancing act with Russia», European Council on Foreign
Relations, Londres, 26 juillet 2016,
http://www.ecfr.eu/article/commentary_spains_balancing_act_with_russia 506
Luke Coffey, « As Aleppo Burns, Spain Resupplies the Russian Navy », The Huffington Post,
21 octobre 2016, http://www.huffingtonpost.com/entry/as-aleppo-burns-spain-resupplies-the-russian-
navy_us_5808b794e4b00483d3b5d06a 507
Andrew Rettman, Spain : Russia sanctions ‘Beneficial for no one’, Bruxelles, 10 mars 2015,
https://euobserver.com/foreign/127940 508
Op. Cit. Francisco De Borja Lasheras
136
Des considérations économiques partout en Europe
Plusieurs membres de l’Union européenne soulèvent des problèmes et des questions quant à
l’issue des sanctions. La relation entre l’Autriche et la Russie est, au même titre que l’Italie,
purement économique. La position actuelle de l’Autriche trahit sa position de pays neutre,
qui n’adhère à aucun bloc militaire, travaillant pour son propre développement
économique.509
Pour le président autrichien Heinz Fischer, les sanctions ne sont bénéfiques
pour personne, l’Europe aurait beaucoup à gagner de la levée de ces sanctions. Il soutient
également que depuis la mise en place des contre-sanctions russes, les exportations
autrichiennes de produits agricoles ont chuté de 50 %, les pertes économiques pour son
économie sont énormes.510
La Russie pourvoit plus de 70 % du gaz autrichien, les touristes
russes représentent également plus de 10 % du tourisme global de l’Autriche, générant des
revenus majeurs par leur gout du luxe – pour les oligarques – et pour leur penchant majeur
pour les voyages dans les Alpes autrichiennes.511
Les échanges commerciaux sont
extrêmement importants pour l’économie autrichienne, mais son président affirme qu’il
reste avant tout membre de l’Union européenne, et que l’Autriche n’ira pas contre le
consensus européen sur les sanctions et sur leur prolongement.512
La position autrichienne
est également partagée par les élites slovaques, qui ressentent la baisse des revenus générés
par les touristes russes.513
La Russie est un partenaire économique important, surtout dans
le domaine de l’énergie. Le gouvernement slovaque demande donc lui aussi la levée des
sanctions puisque celles-ci ont échoué à produire des changements, et que l’économie de
plusieurs États est extrêmement touchée.514
Les Chevaliers noirs, identifiés précédemment comme étant un facteur favorisant l’échec
d’un régime de sanctions, sont actuellement nombreux en Europe. Plusieurs pays signalent
509
Gustav Gressel, « How Should EU responds to Russia, The Austrian View », European Council on
Foreign Relations, Londres, 21 janvier 2015,
http://www.ecfr.eu/article/commentary_how_should_europe_respond_to_russia_the_austrian_view405 510
Alex Gorka, « Going against the Anti-Russian EU Sanctions Regime: Austria Wants Closer Relationship
With Russia », Global Research, 7 avril 2016, http://www.globalresearch.ca/going-against-the-anti-russian-
eu-sanctions-regime-austria-wants-closer-relationship-with-russia/5519148 511
Op. Cit. Gustav Gressel 512
Op. Cit. Alex Gorka 513
Jana Kobzova, « View from Bratislava : Slovakia changes course on Russia », European Council on
Foreign Relations, Londres, 9 mars 2015,
http://www.ecfr.eu/article/commentary_slovakia_changes_course_on_russia311312 514
Aleksandra Eriksson, Slovakia’s Fico goes to Russia, Bruxelles, 23 aout 2016,
https://euobserver.com/foreign/134722
137
leur mécontentement quant aux sanctions et à l’impact des contre-sanctions sur l’économie
de plusieurs membres de l’Union européenne. Cependant, il semble qu’aucun de ces États
ne soient prêts à aller contre le consensus européen. Malgré les allégations publiques contre
les sanctions, plusieurs membres de l’Union européenne ont besoin de la Russie comme
partenaire économique, comme ils ont besoin des autres membres de l’UE. Il semble donc
que cette variable soit pour le moment latente. Alors qu’en 2015, Simond De Galbert,
Conseiller des Affaires étrangères pour l’ambassade française à Washington, estimait que
l’Union européenne et les États-Unis devraient augmenter les sanctions envers la Russie si
la situation en Ukraine ne s’améliorait pas,515
il est fort peu probable qu’à l’heure actuelle,
les différents belligérants européens acceptent de nouvelles sanctions. Il se peut qu’un
développement provoque une prise de position plus ferme de ces États pour la levée des
sanctions, mais actuellement il semble que le consensus prime au Conseil de l’Union
européenne.
Le tournant proasiatique de la Russie
Pour la Chine, la crise en Ukraine était une opportunité à ne pas manquer de développer
davantage ses liens économiques avec la Russie et d’ouvrir ce marché longtemps fermé aux
investisseurs et aux industries chinoises. Dès l’invasion de la Crimée, la Chine a manifesté
son désir de rester neutre, de ne pas se positionner en faveur des sanctions du côté
américain et européen, tout en soutenant qu’elle n’approuvait pas non plus la décision
russe. La Chine préfère plutôt ne pas interférer dans les affaires internes d’un autre État,
espérant que les autres États s’abstiendront d’interférer dans les affaires internes de la
Chine dans un avenir plus ou moins proche.516
Les dirigeants chinois désirent toutefois
développer une relation économique, politique et militaire avec la Russie.517
Dès
l’application des premières sanctions, le gouvernement russe tente de trouver des marchés
alternatifs à l’Union européenne. Comme Simond De Galbert le soulignait dans son étude
515
Simond de Galbert, « A Year of Sanctions against Russia – Now What? » Center for Strategic &
International Studies, Octobre 2015, p.18 516
Liang Fook Lye, « The Crisis in Ukraine : China’s Response and Implications », East Asian Institute
Background Brief, N° 917, 7 mai 2014 517
Alexander Gabuev « A ‘‘Soft Alliance’’ ? Russia-China Relations After the Ukraine Crisis », European
Council on Foreign Relations, Londres, 10 Février 2015, p. 7
138
sur les sanctions, une coopération plus importante avec la Chine permettrait à la Russie non
seulement de limiter les effets immédiats des sanctions, mais à plus long terme, l’économie
russe, moins dépendante de ses échanges commerciaux avec l’Union européenne, pourrait
plus facilement résister aux pressions économiques extérieures.518
Les dirigeants chinois et russes ont ainsi signé une série d’accords de coopération entre les
deux pays, concernant notamment les hydrocarbures, les armes, les investissements chinois
en Russie et l’importation de technologie. Depuis le début de la crise, l’image de la Russie
en Chine s’est beaucoup améliorée, notamment auprès des jeunes qui perçoivent désormais
la Russie comme résistant à l’hégémonie internationale occidentale. Le tourisme chinois en
Russie a également augmenté de manière considérable suivant l’application des
sanctions.519
Toutefois, les échanges économiques ne se développent pas au rythme espéré
par les dirigeants russes, les investisseurs chinois demeurant assez prudents. Malgré la
condamnation des sanctions par les élites chinoises, les investisseurs et les grandes banques
préfèrent encore le marché stable et lucratif des États-Unis et de l’Europe au marché risqué
de la Russie.520
En 2014, après plusieurs rencontres, les dirigeants chinois et les dirigeants russes
définissent des objectifs d’échanges commerciaux d’une valeur de 100 milliards USD pour
2015 et de 200 milliards USD pour 2020.521
En novembre 2014, Sberbank signe également
un accord avec la compagnie de télécommunications chinoise Huawei pour l’installation de
nouveaux systèmes et après une interdiction informelle de plus de 15 ans, les entreprises
chinoises se voient finalement autorisées à soumissionner pour des contrats
d’infrastructures majeures en Russie.522
Malgré tous ces efforts, les échanges commerciaux
entre les deux États totaliseront à peine 69 milliards USD en 2015, alors qu’en 2014, les
échanges commerciaux avaient atteint une valeur de 95 milliards USD. Les dirigeants
518
Op. Cit. Simond de Galbert, p.15 519
François Godement, Mathieu Duchâtel, Alexandre Sheldon-Duplaix, Michal Makocki, Marc Julienne,
« China and Russia : Gaming the West ? », European Council on Foreign Relations, Londres,
2 novembre 2016, p. 4 520
Alexander Gabuev « A Pivot to Nowhere : The Realities of Russia’s Asia Policy», Carnegie Moscow
Center, Moscou, 22 avril 2016 521
Olga V. Grigorenko, Denis A. Klyuchnikov, Aleksandra V. Gridchina, Inna L. Litvinenko, Eugeny P.
Kolpak, « The Development of Russian-Chinese Relations: Prospects for Cooperation in Crisis »,
International Journal of Economics and Financial Issues, Vol. 6 N°1, p. 259 522
Op. Cit. Alexander Gabuev, p. 6-7
139
chinois estiment cependant que les échanges ont été plus importants en 2015 qu’en 2014,
mais que la valeur totale des exportations est moins élevée en raison de la chute drastique
du prix du baril de pétrole. La Russie a en fait exporté vers la Chine 28 % de plus de pétrole
en 2015 qu’en 2014.523
Cependant, comme les exportations d’hydrocarbures vers la Chine
représentent plus de 70 % des exportations totales, le prix du pétrole influence
considérablement la valeur des échanges entre les deux États.524
Le secteur énergétique étant au centre des échanges commerciaux, les dirigeants chinois et
les dirigeants russes signent un accord pour la construction d’un oléoduc qui reliera deux
nouveaux champs gaziers de Sibérie à la Chine. La construction a commencé en 2015,
malgré quelques problèmes de financement du côté russe. Cet oléoduc devrait délivrer à la
Chine plus de 38 milliards de mètres cube d’ici 2030, les deux côtés étant confiants que la
construction s’effectuera à un rythme soutenu.525
La Russie s’est également taillée une
place parmi les plus grands fournisseurs de pétrole de la Chine. En 2013, elle était 4e – avec
9,1 % des importations totales chinoises de pétrole – derrière l’Arabie saoudite qui assume
20 % des importations chinoises de pétrole, l’Angola (15 %) et Oman (9,5 %). En 2015,
elle se classe deuxième avec 13,3 %, dépassant périodiquement l’Arabie saoudite qui assure
encore 15,9 % des livraisons totales de pétrole vers la Chine.526
D’autres accords ont également été signés, notamment dans le domaine de l’armement.
Pendant plus de 10 ans, la Russie a refusé de vendre certains types d’armes à la Chine.
D’abord, Moscou craignait que ces armes soient un jour utilisées contre la Russie. Ensuite,
les Chinois ont toujours eu la réputation de copier les armes et les technologies qui leurs
étaient vendues. Ainsi, le complexe militaro-industriel russe redoutait de vendre des armes
qui seraient copiées et ensuite vendues comme produits concurrentiels à ceux des Russes.
L’interdiction informelle a été levée lorsque de nombreux analystes russes ont évalué que la
technologie chinoise en armement était beaucoup plus avancée que la technologie russe,
523
Op. Cit. François Godement, Mathieu Duchâtel, Alexandre Sheldon-Duplaix, Michal Makocki, Marc
Julienne p. 8 524
Op. Cit. Olga V. Grigorenko, Denis A. Klyuchnikov, Aleksandra V. Gridchina, Inna L. Litvinenko,
Eugeny P. Kolpak, p. 257 525
Alexander Gabuev « Friends with Benefits? Russian-Chinese Relations After the Ukraine Crisis »,
Carnegie Moscow Center, Moscou, Juin 2016, p. 12 526
Op. Cit. Alexander Gabuev, p. 14
140
qu’il y avait donc peu de risques que ceux-ci copient les produits achetés. La Russie a ainsi
accepté de vendre pour 3 milliards USD de missiles en septembre 2014, 24 avions de
combat SU-35 pour 2 milliards USD à la fin de l’année 2015.527
En 2013, après l’affaire
Edward Snowden et la surveillance électronique américaine par la National Security
Agency, la Russie a également décidé de remplacer ses importations de technologies
américaines par des technologies chinoises. En 2015, les systèmes informatiques
américains utilisés par le gouvernement russe ont été remplacés, dans la majorité, par de
nouvelles technologies chinoises.528
Les échanges commerciaux entre la Chine et la Russie se sont considérablement développés
depuis le début de la crise en Ukraine. Ce partenariat stratégique est bénéfique pour les
deux États; la Russie remplace une partie des investissements et des exportations de
l’Europe par les produits et les investisseurs chinois. La Chine, quant à elle, a vu
l’ouverture du marché russe comme une opportunité à ne pas manquer. De plus, comme la
Russie est dans une situation économique précaire, les dirigeants chinois ont une capacité
de négociation plus importante en ce qui a trait au prix des hydrocarbures. Ces nombreux
échanges commerciaux ne permettent pas de remplacer la valeur totale du commerce entre
l’Europe et la Russie, néanmoins, la Chine parait comme la solution la plus rentable à court
terme. Actuellement, les dirigeants russes semblent plus soucieux de trouver des partenaires
rapidement pour écouler leurs hydrocarbures et les produits généralement importés par
l’Union européenne que de développer de nouveaux partenariats variés. Les échanges avec
la Chine ne permettront pas à la Russie de retrouver une situation optimale, mais elles
permettent de renflouer graduellement la réserve nationale et d’atténuer les effets, les
conséquences, des sanctions imposées par l’Union européenne et les États-Unis.529
527
Ibid, p. 23-24 528
Ibid, p. 22 529
Op. Cit. Alexander Gabuev, p. 2
141
La société civile russe : un conformisme passif
Une dernière variable se doit de faire partie de notre analyse afin d’expliquer l’effet des
sanctions sur la Russie. Dans cette dernière section, nous nous intéresserons à la société
civile russe, à sa perception de la crise en Ukraine, à sa perception des sanctions et de la
crise économique, et à son appréciation de son gouvernement. Comme mentionné plus
haut, plusieurs auteurs identifient la réaction de la société civile comme déterminante dans
la réussite ou dans l’échec de sanctions. En ce qui concerne la Russie, notre objectif est
donc de déterminer si la société civile russe est en accord ou en désaccord avec les
décisions de son gouvernement, et comment elle réagit à la situation en général.
Le support à la guerre qui n’en est pas une
D’abord, la majorité des Russes – 65 % à 70 % – nie complètement que la Russie est en
guerre ou qu’elle est responsable des évènements qui se déroulent actuellement dans l’Est
de l’Ukraine (95 %-96 %).530
Le gouvernement s’assure de présenter l’annexion de la
Crimée non pas comme un acte de guerre, mais bien comme le règlement d’une injustice
historique. La Crimée est russe depuis qu’elle a été conquise par l’Armée de Catherine II,
elle a été transférée administrativement à la République soviétique d’Ukraine car c’était
beaucoup plus simple pour Kiev d’approvisionner la péninsule, mais les frontières des
républiques soviétiques n’ont jamais été pensées par l’administration centrale comme étant
des futures frontières d’États indépendants. La Crimée aurait dû rester russe, la Crimée est
russe.531
Évidemment, la propagande du régime est efficace, elle présente la campagne de Crimée et
ensuite l’aide aux séparatistes du Donbass comme une manière de se défendre contre
l’expansion de l’OTAN. De cette façon, la Russie semble se défendre contre l’Occident. La
population est d’avis que c’est du devoir du gouvernement de protéger ce qui lui revient, la
Russie n’attaque pas un État indépendant, elle défend ses intérêts. L’opinion nationale
soutient aussi que les États-Unis et l’Union européenne sont hostiles à la Russie et que la
530
Denis Volkov « Supporting a War that isn’t : Russian Public Opinion and the Ukraine Conflict », Carnegie
Moscow Center, 9 septembre 2015 531
Maria Lipman, « How Putin Silences Dissent : Inside the Kremlin’s Crackdown », Foreign Affairs, Mai-
Juin 2016, Vol. 96, N°3, p. 44
142
crise en Ukraine n’est qu’une opportunité pour l’affaiblir.532
Depuis le début de la crise,
cette position de la société civile transparait dans de nombreux sondages menés par le
Centre Levada, centre de recherche russe non gouvernemental.533
Depuis le mois de janvier
2014, plus de 50 % de la population perçoit l’Union européenne et les États-Unis de
manière négative.534
L’aide aux séparatistes dans l’Est de l’Ukraine est également perçue
de manière assez positive puisqu’il y a très peu de pertes russes. Si la Russie doit mener une
campagne militaire, celle-ci semble peu couteuse car peu de soldats sont impliqués. Il s’agit
principalement de matériel militaire.535
L’appui au gouvernement : un désir de stabilité
Lorsqu’ils furent interrogés par le Centre Levada quant à leur degré de satisfaction par
rapport au gouvernement actuel, la majorité des candidats répondirent qu’ils soutenaient le
président Poutine (82 %), beaucoup plus que le gouvernement russe dans son ensemble
(46 %).536
Étonnamment, la majorité des participants n’était pas non plus en accord avec la
pluralité et l’opposition politique. L’explication était simple, la pluralité politique amenait
des changements de gouvernance et de présidence, ce qu’ils ne souhaitaient pas
particulièrement.537
Évidemment, il peut paraitre plus simple pour un participant de
répondre qu’il approuve son gouvernement que le contraire, surtout dans un État
autocratique, mais en Russie, ce type de réponse ne traduit pas uniquement la peur, il s’agit
davantage d’indifférence et de conformisme.538
Après les années mouvementées qui
suivirent la désintégration de l’Union soviétique, puis la crise économique de 1998, le
citoyen russe semble extrêmement attaché à la stabilité politique.539
Il est également fort
peu probable que la société civile russe se retourne contre son gouvernement même si la
situation économique devient de plus en plus difficile. En Russie, les protestations sociales
sont rarement transformées en contestations politiques. En fait, il semble que la population
532
Op. Cit. Denis Volkov 533
Les sondages reflètent l’opinion de 1 600 personnes provenant de 130 villes ou villages différents, qui eux-
mêmes sont établis dans 45 régions différentes. http://www.levada.ru/en/methods/omnibus/ 534
Levada Center, Attitude to the EU – Attitude to the US, Mars 2017, http://www.levada.ru/en/ratings/ 535
Andrei Kolesnikov, « Do Russians Want War » Carnegie Moscow Center, Moscou, Juin 2016, p. 1 536
Levada Center, Putin’s Approval Rating – Approval of the Government, Avril 2017,
http://www.levada.ru/en/ratings/ 537
Op. Cit. Andrei Kolesnikov, p. 13 538
Andrei Kolesnikov « Two Years After Crimea : The Evolution of Political Regime », Carnegie Moscow
Center, Moscou, 21 mars 2016 539
Op. Cit. Maria Lipman, p. 46
143
ne tient pas son gouvernement responsable pour la situation économique actuelle.540
Depuis
l’invasion de la Crimée, plus de 50 % – 52 % exactement en avril 2017541
– de la
population estime que le gouvernement est sur la bonne voie et que l’Occident est
responsable de la crise économique actuelle.542
La population s’inquiète d’avoir toujours
accès, par exemple, à son système de santé, alors qu’elle ne se préoccupe pas des dépenses
massives du gouvernement dans le secteur de la défense. Lorsque interrogés quant au
budget fédéral par le Centre Levada, les participants estimaient que les sommes allouées à
la défense devraient représenter environ 50 % du budget total de l’État.543
La perception des sanctions et la crise économique
Actuellement, 80 % de la population croit que la Russie est en crise économique.544
Cependant, au mois d’aout 2016 plus de 60 % de la population estimait que les sanctions
avaient peu ou pas d’impacts du tout sur l’économie russe. Ainsi, 70 % de la population est
d’avis que la Russie devrait poursuivre ses politiques indépendamment des sanctions et
58 % que les contre sanctions imposées par la Russie ont déjà produit des effets politiques
positifs, la Russie est beaucoup plus respectée à l’international depuis l’adoption de ces
mesures.545
La société civile russe ressent donc les effets de la crise économique.
Cependant, l’optimisme demeure car la population approuve la décision de son
gouvernement quant à l’annexion de la Crimée.546
Valentina Matvienko, actuelle présidente
du Conseil de la fédération (Chambre haute) dira elle-même « Russia is a different country
since the historic event of Crimea’s reunification with Russia. It’s been a long time since
our citizens have experienced such pride, patriotism, and national solidarity. Support for the
president’s policy has not been this unanimous in all of Russia’s contemporary history.»547
La crise économique de 1998 teinte encore le sentiment général. Actuellement, les ménages
à faible revenu qui arrivent uniquement à se nourrir représentent environ 17 % de la
540
Op. Cit. Andrei Kolesnikov 541
Levada Center, Assessment of Situation in the Country, avril 2017, http://www.levada.ru/en/ratings/ 542
Op. Cit. Andrei Kolesnikov 543
Idem 544
Op. Cit. Denis Volkov 545
Levada Center, Sanctions, 5 septembre 2016, http://www.levada.ru/en/2016/09/05/sanctions-3/ 546
Op. Cit. Evsey Gurvich 547
Op. Cit. Andrei Kolesnikov
144
population. En 1998, ces ménages représentaient 84 % de la population. Plusieurs familles
doivent remplacer les produits dispendieux par des produits de qualité inférieure, ou
doivent cesser la consommation de certains produits. Cependant, il semble que, ayant vécu
une crise beaucoup plus aigue, la majorité de la population semble être en mesure de
s’adapter à la crise actuelle.548
La classe moyenne n’est pas la seule à devoir composer avec
une situation particulière, les élites russes ont aussi leur lot de désagrément. Plusieurs
proches de Poutine déplorent les interdictions de voyage qui les empêchent d’avoir accès à
certains traitements médicaux occidentaux ou d’avoir accès à leurs propriétés à
l’étranger.549
Néanmoins, il semble que la société civile soit prête à sacrifier son confort et
à s’habituer à une diminution de la qualité de vie pour la gloire nationale.550
Le conformisme de la société civile russe joue actuellement en faveur du Kremlin. La
population soutient l’annexion de la Crimée et l’aide aux séparatistes. Depuis le début de
cette campagne, la popularité de Vladimir Poutine est montée en flèche, la Russie semble
reprendre graduellement sa position de grande puissance dans le monde auprès des États-
Unis. Le pays doit s’opposer à l’expansion de l’OTAN et de l’Union européenne dans les
États de l’ancienne URSS. La Russie a la capacité militaire pour réussir, elle doit se faire
respecter et apprécier à sa juste valeur sur la scène internationale. S’il peut être difficile de
concevoir que la société civile soit prête à accepter un niveau de vie moins élevé pour
démontrer sa satisfaction quant aux décisions de son gouvernement, en Russie, la grandeur
nationale prévaut sur le confort personnel. Les citoyens ont vu leur pays – l’URSS –
s’écrouler il y a 25 ans. Aujourd’hui, la Russie retrouve enfin le statut qu’elle mérite avec la
reconquête de territoires qui lui reviennent historiquement.
548
Op. Cit. Denis Volkov 549
Op. Cit. Lidia Shevtsova 550
Op. Cit. Andrei Kolesnikov
145
Conclusion
Ayant défini les variables favorisant la réussite et les variables favorisant l’échec d’un
régime de sanctions, nous sommes en mesure de conclure que la Russie souffre
actuellement des sanctions imposées par l’Union européenne. En calculant les pertes liées
aux investissements étrangers et à la baisse des échanges commerciaux, il est possible de
conclure que la Russie a subi une baisse de revenus – en provenance de l’Union
européenne – de plus de 200 milliards USD en deux ans (les données les plus récentes étant
celles de 2015). Facteur déterminant pour la réussite d’un régime de sanctions, les couts à
court terme y étant reliés sont considérables. Une autre variable, indépendante aux
sanctions est également responsable de pertes de plus de 65 millions USD en deux ans; la
chute du baril de pétrole qui amplifie l’effet des sanctions.
Même si ces pertes sont considérables, la situation économique russe semble plutôt stable.
La réserve nationale a été constituée spécifiquement pour aider le pays à surmonter une
crise économique grave. En se référant également à quelques indicateurs, il est possible de
conclure que l’année 2015 a été plus difficile – l’inflation ayant doublé par rapport à 2014 –
mais que le gouvernement russe a pu stabiliser la situation en 2016. La Russie est
actuellement en récession, mais en 2016, elle a tout de même réussi à enregistrer une petite
croissance, sans oublier que le taux de chômage demeure plutôt bas.
Un autre élément déterminant pour la réussite des sanctions était l’absence de Chevalier
noir. Actuellement, la Russie a pu trouver des appuis – limités – au sein de l’Union
européenne. Plusieurs États se positionnent contre les sanctions, soulignant qu’elles sont
plus dommageables pour les économies européennes que pour l’économie russe, et que
personne ne retire de bénéfice de leur application. Ces États ont cependant soutenu qu’ils
n’iraient pas contre le consensus européen, il s’agit donc d’une variable latente pour le
moment. La présence de ces Chevaliers noirs pourrait cependant être décisive
éventuellement, il est peu probable que la position de tous ces pays évolue en faveur des
sanctions dans un avenir plus ou moins proche. La Chine demeure actuellement la seule
véritable alliée qui bénéficie des sanctions en se rapprochant de la Russie et en augmentant
ses échanges commerciaux, ce qui a comme résultat de saper les effets des sanctions. Ces
146
échanges sont toutefois encore limités, principalement en raison de la chute du prix du
pétrole, car ils sont basés presque exclusivement sur l’échange d’hydrocarbures russes.
Néanmoins, la Chine n’est pas en mesure de remplacer la totalité des échanges que la
Russie entretenaient avec l’Union européenne, il s’agit cependant de la solution la plus
rentable à court terme.
Finalement, la société civile semble prête à supporter son président et ses décisions malgré
un cout plutôt élevé. Cette variable est également déterminante pour la réussite d’un régime
de sanctions, les pressions extérieures ne suffiront pas à modifier la politique de la Russie si
la société civile juge que les actions de son gouvernement sont légitimes. Les sanctions ont
donc un impact économique sur la Russie. Cet impact est cependant limité en raison des
échanges avec la Chine et de la position de la société civile. Près de trois ans après leur
application, les sanctions ne sont pas suffisamment efficaces pour provoquer un
changement de politique étrangère en ce qui a trait à la position russe en Crimée et en
Ukraine.
147
CONCLUSION
Depuis une cinquantaine d’années, nombreux sont les chercheurs qui se sont intéressés à
l’étude des régimes de sanctions dans les relations internationales. Cette arme diplomatique
et économique étant de plus en plus utilisée par les États et les organisations internationales
pour contenir ou mettre fin à des conflits entre États. L’efficacité des sanctions est ainsi
débattue dans de nombreuses études. Alors que plusieurs chercheurs considèrent que, pour
être efficace, un régime de sanctions doit impérativement mener à la fin d’un conflit,
plusieurs autres spécialistes affirment que l’efficacité doit également être considérée lors de
l’atteinte d’objectifs plus modestes. Certains régimes de sanctions appliqués antérieurement
sont ainsi considérés comme des échecs totaux par certains chercheurs, alors que d’autres
estiment qu’il est possible d’y dégager certains succès.
Dans notre mémoire nous nous sommes penché sur l’emploi des sanctions économiques,
politiques et diplomatiques dans la gestion des crises internationales durant la Guerre froide
(Afghanistan 1979), ainsi que durant la période post-guerre froide (Ukraine 2014). Pour la
période de la Guerre froide nous avons choisi l’Afghanistan en raison de la spécificité de
cette crise dans le conflit Est-Ouest. Tandis que l’Ouest s’accommodait, non sans
difficultés, des interventions de l’URSS dans sa sphère d’intérêt (le pacte de Varsovie),
l’intervention militaire de l’URSS contre l’Afghanistan, un État non-aligné, était perçu par
les États-Unis comme un affront auquel il a fallu répondre par une myriade de sanctions.
Inversement, les alliés européens, plus préoccupés du maintien de la détente en Europe, ne
partageaient pas cette certitude. Notre recherche démontre l’efficacité relative des sanctions
imposées par l’Occident contre l’URSS. Ainsi, dans le cas de l’Afghanistan les résultats de
notre recherche complémentent les travaux des historiens et politicologues tel que David
Baldwin ou Elizabeth Rogers qui soutiennent qu’un régime de sanctions doit être considéré
comme partiellement efficace si les mesures atteignent certains objectifs, même modestes.
Notre deuxième cas d’étude analyse les effets des sanctions imposées par l’Union
européenne à la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée, un territoire appartenant à
l’Ukraine. La violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine s’est produite dans un système
148
international nommé par les historiens « post-guerre froide ». Depuis le début de ce régime
de sanctions, comme dans tout autre régime, la question de l’efficacité se pose. À l’heure
actuelle, elles n’ont produit aucun changement politique. Cependant, notre étude montre
que les sanctions imposées par l’Union Européenne et les États-Unis ont affecté l’économie
russe par une réduction des investissements étrangers ainsi que par un ralentissement des
échanges commerciaux entre l’UE et la Russie. Selon de nombreux chercheurs, l’efficacité
d’un régime de sanctions repose d’abord sur le cout imposé par ces mesures à l’État
sanctionné. Nous avons préalablement déterminé que le cout économique imposé à la
Russie était considérable, ainsi, même s’il est impossible de conclure à une réussite totale
des sanctions à l’heure actuelle, nous sommes en mesure de conclure qu’elles remplissent
certains objectifs.
Comme dans le cas de l’Afghanistan, les États européens – l’UE ou la CEE – répondent
d’une seule voix à l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Les sanctions mises en place
par la suite sont le résultat d’un consensus entre les différents États européens qui
favorisent la réponse commune. Ainsi, les premières sanctions diplomatiques contre la
Russie sont adoptées par l’Union européenne le 3 mars 2014. Elles visent des entités et des
personnes directement, interdisant les voyages et les demandes de visa, et bloquant leurs
avoirs à l’étranger. Après l’écrasement du vol de la Malaysia Airlines, l’Union européenne
adopte également des sanctions économiques visant les importations et les exportations de
technologies à usage civil ou militaire et les exportations de technologies pouvant servir à
l’exploration ou à l’exploitation des nappes de pétrole en eaux profondes. Il y a aussi une
interdiction totale de commercer avec la Crimée.
L’historiographie portant sur les régimes de sanctions démontre que plusieurs facteurs
favorisent la réussite alors que d’autres limitent considérablement leur efficacité. Nous
avons ainsi déterminé que pour réussir, le pays sous sanctions doit être dépendant
économiquement des pays qui imposent les sanctions. L’instabilité politique et économique
favorise aussi le succès, alors que parmi les facteurs limitant la réussite, les sanctions ont
généralement moins de succès lorsqu’elles sont appliquées contre une dictature ou une
autocratie ou s’il y a présence de Chevalier noir ou du phénomène rally around the flag de
la part de la société civile, il y a peu de chances de succès.
149
Dans le cas de la Russie, nous avons ainsi déterminé que la situation économique russe
n’était pas si dramatique, l’inflation est modérée – à l’exception de l’année 2015 – le
chômage est bas, mais le commerce international a décliné énormément. En effet, les pertes
reliées au ralentissement du commerce international totalisent plus de 183 milliards USD
entre 2013 et 2015. Par contre, la Russie réussit à combler le déficit du budget à l’aide de la
réserve nationale conçue pour les temps difficiles. Le climat d’investissement en Russie
s’est également dégradé, la corruption est importante et les investisseurs prudents préfèrent
trouver des marchés alternatifs. Les pertes reliées aux investissements étrangers en
provenance de l’Union européenne représentent environ 20 milliards USD. En ce qui
concerne le commerce des armes et du matériel militaire, il y eut une baisse globale des
exportations, mais les clients les plus importants de la Russie ont continué leur commerce.
Une autre variable est également importante, il s’agit de la chute du prix du baril de pétrole.
Entre 2013 et 2015, la Russie a ainsi perdu plus de 65 milliards USD en raison de cette
baisse de prix. Ces pertes aucunement liées aux sanctions impactent de manière
considérable l’économie russe. Néanmoins, en tenant compte des facteurs favorisant le
succès d’un régime de sanctions – la diminution des exportations et la fuite des capitaux
étrangers – nous sommes en mesure de conclure que le cout économique lié aux sanctions,
facteur primordial, est très important.
Cependant, nous devons également tenir compte du lobbysme anti-sanctions présent en
Europe qui pourrait à long terme miner l’efficacité des sanctions. Pour la Hongrie, la Grèce,
l’Italie, l’Autriche, l’Espagne, la Slovaquie, etc. les sanctions sont extrêmement
dommageables et devraient être retirées. Selon les facteurs limitant l’efficacité des
sanctions, ces Chevaliers noirs peuvent être potentiellement nuisibles pour les sanctions.
Toutefois, tous ces pays admettent qu’ils n’iront pas contre le consensus européen encore
en faveur des sanctions. Il s’agit d’une menace potentielle pour les sanctions qui n’a pas eu
de réels impacts dans les dernières années. Or, à l’heure actuelle, la Chine est parmi les
seuls alliés de la Russie avec les membres BRICS – le Brésil, l’Inde, et l’Afrique du Sud –
qui minent directement les effets des sanctions. Depuis 2014, la Russie et la Chine ont
développé un commerce de plus en plus important. Cependant, la Chine à elle seule ne
réussit pas à remplacer le commerce de l’Union européenne dans sa totalité, elle offre une
150
solution à court terme, car la Russie peut exporter ses hydrocarbures vers un autre client
important, mais la coopération avec l’UE n’a pas d’égal.
Finalement, nous sommes également en mesure de conclure qu’en Russie, la société civile
supporte ses élites, limitant ainsi l’efficacité des sanctions. Pour la majorité des Russes, la
guerre en Ukraine n’est pas une vraie guerre. De même, l’annexion de la Crimée n’est pas
une violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine car ce territoire n’aurait jamais dû être
donné à l’Ukraine en 1954. De plus, la société civile russe est extrêmement attachée à la
stabilité politique. Ainsi, dans la crise ukrainienne, elle préfère s’aligner derrière ses
dirigeants plutôt que de se retourner contre eux. En Russie, les protestations sociales ne
sont pas des protestations politiques, lorsque les Russes demandent un changement, ils
demandent au gouvernement en place de changer une situation, ils ne demandent pas le
changement du gouvernement pour arriver au changement désiré. Il n’en demeure pas
moins que les Russes sont conscients que leur pays est en crise économique. Cependant,
plus de la moitié de la population ne tient pas son gouvernement responsable pour la
dégradation de la situation économique et estime que l’invasion de la Crimée et le soutien
aux rebelles ne sont pas responsables non plus de la situation économique. L’Occident est
encore tenu comme bouc émissaire de la situation. De plus, la crise économique actuelle
n’est pas aussi importante que celle de 1998. La plupart des familles qui ont vécu une crise
bien pire sont prêtes à sacrifier leur confort au nom de la gloire nationale. La société civile
russe est patriotique, et elle désire que l’on reconnaisse son pays comme une
superpuissance sur la scène internationale.
Trois ans après la mise en place des premières sanctions économiques, les résultats sont
mitigés. Les sanctions économiques mises en place dans le but de cibler des secteurs clés
de l’économie russe n’ont toujours pas motivé un changement de politique étrangère en
Russie. Elles n’ont pas non plus mené à de réelles négociations concernant l’Est de
l’Ukraine. Nous inscrivons nos conclusions dans le sillon des recherches de David
Baldwin. Nous reconnaissons les succès partiels des sanctions imposées actuellement à la
Russie, mais le changement politique souhaité à la suite des accords de Minsk se fait encore
attendre.
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ANNEXE II : Carte du Moyen-Orient et des accès aux mers chaudes
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ANNEXE III : Panneau retrouvé à Simféropol avant le référendum du 16
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ANNEXE IV : Résolution A/68/262 – L’Intégrité territoriale de l’Ukraine
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En faveur
En désaccord
Abstention
Absent
Non membre de l’ONU
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ANNEXE VII : Les exportations de pétrole de la Russie
Pays Acheteurs Exportations de pétrole brut (en USD)
2013 2014 2015
Albanie N/A N/A N/A
Allemagne 14 335 543 430 11 907 717 785 7 520 387 498
Australie N/A 26 909 520 N/A
Autriche N/A N/A N/A
Belgique N/A 202 416 444 13 145 771
Bulgarie 901 727 959 54 989 376 873 525 310
Canada N/A N/A N/A
Chypre N/A N/A N/A
Croatie 1 130 150 133 1 216 593 179 816 714 735
Danemark 187 110 290 777 698 702 244 832 129
Espagne 3 493 408 359 1 904 268 546 912 336 891
Estonie 101 763 959 83 598 707 253 711 237
États-Unis 1 268 196 427 82 019 463 328 847 915
Finlande 7 246 932 839 5 558 648 881 3 306 344 699
France 797 925 794 585 062 018 340 056 056
Grèce 3 456 419 454 1 574 088 997 721 274 721
Hongrie 3 842 248 977 3 712 423 171 1 681 569 397
Irlande N/A N/A N/A
Islande N/A N/A N/A
Italie 16 606 649 973 15 627 384 373 7 682 020 291
Lichtenstein N/A N/A N/A
Lettonie 219 883 34 798 523 38 671 529
Lituanie 2 718 763 747 1 823 956 761 820 970 134
Luxembourg N/A N/A N/A
Malte N/A N/A 61 805 240
Monténégro N/A N/A N/A
Norvège 53 593 876 85 583 105 173 077 843
Pays-Bas 33 254 956 166 30 824 062 558 16 348 362 191
Pologne 16 178 259 613 12 605 197 404 6 838 656 920
Portugal 262 865 459 N/A 183 354 714
République Tchèque 3 011 446 930 2 581 102 979 1 450 811 198
Roumanie 958 184 994 443 689 796 819 400 185
Royaume-Uni 2 822 011 911 236 270 658 34 271 525
Slovaquie 4 391 116 394 3 566 809 019 2 072 737 879
Slovénie N/A N/A N/A
Suède 2 171 856 317 2 751 633 283 980 188 249
Turquie 1 004 510 596 635 217 511 668 118 288
Ukraine 311 378 498 249 460 537 59 033
Total 120 507 241 978 99 151 601 296 55 185 251 578
Source : United Nations Commodity Trade Statistics Database, mis à jour octobre 2016
177
Pays Acheteurs Quantité de barils vendus
2013 2014 2015
Albanie N/A N/A N/A
Allemagne 134 933 227 124 491 637 152 398 672
Australie N/A 233 368 N/A
Autriche N/A N/A N/A
Belgique N/A 1 874 502 246 151
Bulgarie 8 343 912 517 697 17 721 384
Canada N/A N/A N/A
Chypre N/A N/A N/A
Croatie 10 531 865 11 942 713 15 119 445
Danemark 1 644 032 8 161 644 4 488 666
Espagne 32 592 030 18 243 272 18 502 396
Estonie 932 492 733 641 3 682 014
États-Unis 11 330 994 721 158 5 805 082
Finlande 68 109 918 55 460 549 66 881 887
France 7 274 543 5 430 649 6 316 348
Grèce 32 041 200 15 311 754 13 506 867
Hongrie 36 573 922 38 857 805 35 196 091
Irlande N/A N/A N/A
Islande N/A N/A N/A
Italie 153 172 827 150 744 667 141 567 408
Lichtenstein N/A N/A N/A
Lettonie 3 628 310 321 729 207
Lituanie 25 655 795 18 932 174 15 896 556
Luxembourg N/A N/A N/A
Malte N/A N/A 973 199
Monténégro N/A N/A N/A
Norvège 463 541 844 580 3 321 585
Pays-Bas 312 129 634 307 895 711 325 748 687
Pologne 152 285 901 130 294 447 138 009 122
Portugal 2 486 066 N/A 3 931 558
République Tchèque 28 432 044 26 648 030 28 433 680
Roumanie 8 920 663 4 759 308 15 841 069
Royaume-Uni 25 448 230 2 115 749 699 404
Slovaquie 41 945 473 38 345 094 43 059 158
Slovénie N/A N/A N/A
Suède 20 660 675 27 737 943 19 051 076
Turquie 9 243 222 5 825 795 12 703 921
Ukraine 2 894 525 2 204 700 888
Total 1 128 050 359 998 638 908 1 089 831 521
Source : United Nations Commodity Trade Statistics Database, mis à jour octobre 2016
178
ANNEXE VIII : Indicateurs économiques pour la Fédération de Russie
Source : Banque mondiale
Années Investissements
étrangers (% du PIB)
Inflation, prix à la
consommation
(% annuel)
Total des Réserves
(comprend l’or en
milliards USD)
2000 1 % 20,8 % 27,656 $
2007 4,3 % 9,0 % 478,822 $
2008 4,5 % 14,1 % 426,279 $
2009 3,0 % 11,7 % 439,342 $
2010 2,8 % 6,8 % 479,410 $
2011 2,7 % 8,4 % 497,410 $
2012 2,3 % 5,1 % 537,816 $
2013 3,1 % 6,8 % 509,692 $
2014 1,1 % 7,8 % 386,216 $
2015 0,5 % 15,5 % 368,043 $
2016 ND 7,1 % ND
179
ANNEXE IX : Échanges commerciaux de la Fédération de Russie
Source : United Nations Commodity Trade Statistics Database
Années Importations de la Russie (en USD) Exportations de la Russie (en USD)
Monde Entier UE (28) Monde Entier UE (28)
2000 33 880 091 843 20 905 610 304 103 092 748 421 58 676 070 355
2001 41 865 361 958 28 282 464 442 99 868 397 027 58 990 809 047
2002 46 176 985 039 32 620 380 728 106 691 997 872 61 601 837 957
2003 57 345 988 014 42 122 391 588 133 655 685 163 79 910 326 978
2004 75 569 014 526 57 360 099 819 181 600 379 150 105 608 784 441
2005 98 707 255 772 70 398 808 587 241 451 656 882 141 571 676 876
2006 137 811 059 897 91 001 662 250 301 550 665 536 179 255 372 216
2007 199 725 954 506 122 421 535 285 352 266 398 771 201 510 232 288
2008 267 051 243 546 154 994 791 090 467 993 954 576 255 417 602 363
2009 170 826 590 309 91 716 708 986 301 796 058 824 166 668 542 673
2010 228 911 658 149 114 019 089 483 397 067 520 996 212 788 588 139
2011 306 091 490 306 151 061 738 307 516 992 618 221 280 185 193 774
2012 316 192 918 041 158 535 696 784 524 766 420 613 276 499 782 857
2013 314 945 094 987 158 985 409 156 527 265 918 851 274 191 098 337
2014 286 648 776 878 136 267 308 389 497 833 528 848 220 906 068 020
2015 183 442 530 428 81 727 847 551 343 907 651 828 151 314 418 714
180
ANNEXE X : Cours du rouble (2014-2017)
Source :
http://www.exchange-rates.org
Date
(JJ-MM-AA)
Dollars
américain
Rouble Euro Rouble
01/01/14 1 32,8555 1 45.2354
01/02/14 1 35,1160 1 47.3715
01/03/14 1 36,0845 1 49.7912
01/04/14 1 35,0790 1 48.4006
01/05/14 1 35,6385 1 49.4199
01/06/14 1 34,8747 1 47.6029
01/07/14 1 34,3360 1 47.0104
01/08/14 1 35,7860 1 48.0647
01/09/14 1 37,2910 1 48.9661
01/10/14 1 39,6990 1 50.0571
01/11/14 1 43,0275 1 53.8683
01/12/14 1 51,6460 1 64.5017
01/01/15 1 60,5433 1 73.2483
01/02/15 1 69,6134 1 78.7473
01/03/15 1 61,5426 1 68.8099
01/04/15 1 57,6277 1 62.0367
01/05/15 1 51,9274 1 58.1743
01/06/15 1 53,5760 1 58.5146
01/07/15 1 55,8365 1 61.7175
31/07/15 1 61,7385 1 67.8133
01/09/15 1 67,0785 1 75.8484
01/10/15 1 65,6463 1 73.4352
01/11/15 1 64,0763 1 70.6922
01/12/15 1 66,6857 1 70.8536
01/01/16 1 73,0925 1 79.4004
01/02/16 1 77,3370 1 84.2046
01/03/16 1 73,1996 1 79.5511
01/04/16 1 67,6756 1 77,1079
01/05/16 1 65,6669 1 75,2802
01/06/16 1 67,1087 1 75,0631
01/07/16 1 63,8018 1 71,0707
01/08/16 1 67,0170 1 74,8128
01/09/16 1 65,9846 1 73,8843
01/09/30 1 62,8335 1 70,6359
01/11/16 1 63,3114 1 70,0148
01/12/16 1 63,9387 1 68,1606
01/01/17 1 61,6036 1 64, 8101
01/02/17 1 60,1280 1 64, 7347
01/03/17 1 58.2766 1 61,4789
31/03/17 1 56,2481 1 59,9329
01/05/17 1 56,9870 1 62,1187
181
ANNEXE XI : INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS VERS LA RUSSIE
Pays Investissements directs étrangers vers la Russie en millions d’Euros
2012 2013 2014 2015
Albanie* Non disponible Non disponible Non disponible Non disponible
Allemagne 20 261 21 783 14 537 16 277
Australie* Confidentiel Confidentiel Confidentiel Confidentiel
Autriche 8 577 Confidentiel Confidentiel Confidentiel
Belgique 279 1 545 1 785 1 772
Bulgarie 21 24 44 38
Canada* 1 955 2 258 1 440 1 564
Chypre 733 33 996 23 137 24 556
Croatie 45 44 21 26
Danemark 921 761 641 469
Espagne 1 192 1 030 634 608
Estonie 246 214 206 219
États-Unis* 10 661 9 630 7 641 8 451
Finlande 3 197 Confidentiel Confidentiel Confidentiel
France 13 779 12 294 8 211 8 786
Grèce 47 73 82 82
Hongrie 593 544 387 303
Irlande 94 66 289 355
Islande* 49 59 33 Non disponible
Italie 7 986 7 194 7 419 8 374
Lichtenstein* Non disponible Non disponible Non disponible Non disponible
Lettonie 32 47 86 98
Lituanie 111 66 56 71
Luxembourg Confidentiel Confidentiel Confidentiel Confidentiel
Malte 240 Confidentiel 5 11
Monténégro* 6 Non disponible Non disponible Non disponible
Norvège* 449 572 427 Non disponible
Pays-Bas 5 375 55 286 51 430 52 985
Pologne 1 076 893 651 589
Portugal 19 Confidentiel Confidentiel Confidentiel
Rép. Tchèque 185 196 158 157
Roumanie 2 Confidentiel Confidentiel 1
Royaume-Uni 7 555 16 681 17 583 19 795
Slovaquie 15 Confidentiel 12 23
Slovénie 329 360 308 305
Suède 5 633 5 340 6 178 6 769
Turquie* 474 Confidentiel 465 Non disponible
Ukraine* 268 332 180 113
Union européenne 193 457 192 147 162 654 171 844
Sources : Eurostat, Australian Bureau of statistics, Statistiques Canada, State Statistics
Service of Ukraine, mis à jour avril 2017 (*Non membre de l’Union européenne)
182
Investissements directs étrangers vers la Russie en millions de dollars américains
Pays 2012 2013 2014 2015
Albanie* 16 11 7 0
Allemagne 18 969 19 177 13 926 13 643
Australie* 65 62 44 35
Autriche 9 764 12 207 8 003 5 541
Belgique 2 285 2 958 1 469 1 063
Bulgarie 62 54 38 33
Canada* 106 176 132 154
Chypre 179 332 193 640 110 545 94 417
Croatie 16 32 24 22
Danemark 471 519 591 553
Espagne 278 300 237 205
Estonie 207 221 190 178
États-Unis* 3 520 18 583 2 776 2 381
Finlande 4 293 4 349 2 728 6 761
France 14 617 14 112 9 673 9 995
Grèce 48 12 89 90
Hongrie 1 084 1 023 626 422
Irlande 19 087 29 064 26 421 31 727
Islande* 3 38 24 19
Italie 1 458 1 158 722 966
Lichtenstein* 178 196 136 149
Lettonie 213 451 615 712
Lituanie 218 232 154 142
Luxembourg 29 858 42 929 39 378 41 061
Malte 33 43 77 93
Monténégro* 31 24 14 15
Norvège* 244 320 268 155
Pays-Bas 56 079 64 538 53 302 40 373
Pologne 304 141 323 324
Portugal 23 21 18 16
République Tchèque 464 460 393 253
Roumanie 11 12 10 9
Royaume-Uni 7 002 23 050 7 951 6 835
Slovaquie 4 8 22 22
Slovénie 177 209 154 152
Suède 15 402 16 200 3 289 2 446
Turquie* 561 759 784 749
Ukraine* 294 376 247 199
Total 366 777 447 665 285 400 261 910
Monde 514 926 565 654 366 452 342 423
Source : Banque centrale de Russie (*non membre de l’Union européenne)
183
ANNEXE XII : Commerce d’armes et de matériel militaire
Exportations d’armes et de matériel militaire de la Russie par catégories en millions de
USD
Catégories 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Armes navales 16 15 30 37 34 51 44 41
Artillerie 19 5 48 52 73 39 12 4
Avions 2385 2908 4645 3127 2437 2235 2942 2905
Bateaux 10 559 526 1689 1819 660 386 764
Capteurs 15 174 161 186 127 14 149 120
Défense anti
aériennes
535 687 979 604 1079 264 402 462
Missiles 1446 826 1094 1060 1230 645 689 729
Moteurs 139 218 249 372 506 544 415 411
Satellites 100
Véhicules blindés 411 727 921 1185 476 553 443 924
Autres 54 54 6 6 72 72
Total 5030 6172 8658 8317 7779 5103 5554 6432
Source : Stockholm International Peace Research Institute (les totaux peuvent ne pas
correspondre en raison de l’arrondissement). Mis à jour avril 2017
Source : Stockholm International Peace Research Institute, partenaires importants
seulement, mis à jour avril 2017, les valeurs peuvent être influencées à la baisse par le
cours du rouble qui déprécie.
Exportations d’armes de la Russie vers les pays partenaires en millions USD
Pays 2013 2014 2015 2016
Algérie 246 118 502 1 548
Angola 27 39
Arménie 16 79
Azerbaïdjan 319 559 207
Biélorussie 75 60 87 178
Chine 803 713 758 643
Inde 3 647 1 570 1 776 1590
Irak 51 301 420 300
Iran 22 4 4 374
Kazakhstan 54 28 412 176
Nicaragua 13 15 86
Nigéria 58 87 23
Pakistan 24 25 35 41
Soudan 51 51
Turkménistan 13 17 50 36
Ukraine (de
l’Est)
24
Vietnam 313 983 722 1039