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43 ANTHROPOZOOLOGICA • 2004 39 (1) © Publications Scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris. Le poney musey et les pratiques vétérinaires (région de Gobo, Nord-Cameroun) Éric CARDINALE CIRAD, Élevage et médecine vétérinaire, Campus international de Baillarguet, F-34398 Montpellier cedex 5 (France) [email protected] Christian SEIGNOBOS IRD, 2 rue des Dominicains, F-13200 Arles (France) [email protected] Cardinale É. & Seignobos C. 2004. – Le poney musey et les pratiques vétérinaires (région de Gobo, Nord-Cameroun). Anthropozoologica 39 (1) : 43-60. RÉSUMÉ Le poney a, chez les Musey, un statut spécifique, qui le situe entre l’homme et l’animal. Sa carrière est jalonnée de rituels qui s’apparentent fortement aux rites de passage de la vie d’un Musey. Les affections du poney et les soins qui s’y rattachent prennent en compte cette part d’humanité. La pharmacopée musey dispose d’un important registre relatif au poney et qui recoupe, en partie, celui réservé à l’homme. L’originalité s’exprime aussi dans les interventions auxquelles se livrent les Musey sur leurs équidés pour soigner des maladies cutanées et des affections de l’appareil locomoteur. Ces savoirs sont, néanmoins, en recul devant des formes de soins relevant d’aires culturelles plus vastes et intéressant d’autres races équines. ABSTRACT The Musey pony and veterinary practices (Gobo region, northern Cameroon). Among the Musey people, the pony has a specific status, situated between animal and human. Its career is marked by rituals which are closely related to rites of passage in the life of a Musey. The treatments used for physical disorders in the pony demonstrate the close- ness to humans. The Musey pharmacopeia contains a wide range relative to the pony and which overlaps in part that reserved for humans. Originality may also be seen in the treatments used by the Musey on their equines to cure skin diseases and disorders of the locomotor system. This knowledge is however in retreat, confronted by forms of treatment related to larger cultural areas and concerning other horse breeds. MOTS CLÉS Poney, Musey, pharmacopée, soins vétérinaires, Nord-Cameroun, Tchad. KEY WORDS Pony, Musey, pharmacopoeia, veterinary care, northern Cameroon, Chad.

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43ANTHROPOZOOLOGICA • 2004 • 39 (1) © Publications Scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris.

Le poney musey et les pratiques vétérinaires(région de Gobo, Nord-Cameroun)

Éric CARDINALECIRAD,

Élevage et médecine vétérinaire,Campus international de Baillarguet, F-34398 Montpellier cedex 5 (France)

[email protected]

Christian SEIGNOBOSIRD,

2 rue des Dominicains, F-13200 Arles (France)[email protected]

Cardinale É. & Seignobos C. 2004. – Le poney musey et les pratiques vétérinaires (régionde Gobo, Nord-Cameroun). Anthropozoologica 39 (1) : 43-60.

RÉSUMÉLe poney a, chez les Musey, un statut spécifique, qui le situe entre l’homme etl’animal. Sa carrière est jalonnée de rituels qui s’apparentent fortement auxrites de passage de la vie d’un Musey.Les affections du poney et les soins qui s’y rattachent prennent en comptecette part d’humanité. La pharmacopée musey dispose d’un importantregistre relatif au poney et qui recoupe, en partie, celui réservé à l’homme.L’originalité s’exprime aussi dans les interventions auxquelles se livrent les Museysur leurs équidés pour soigner des maladies cutanées et des affections de l’appareillocomoteur. Ces savoirs sont, néanmoins, en recul devant des formes de soinsrelevant d’aires culturelles plus vastes et intéressant d’autres races équines.

ABSTRACTThe Musey pony and veterinary practices (Gobo region, northern Cameroon).Among the Musey people, the pony has a specific status, situated betweenanimal and human. Its career is marked by rituals which are closely related torites of passage in the life of a Musey.The treatments used for physical disorders in the pony demonstrate the close-ness to humans. The Musey pharmacopeia contains a wide range relative tothe pony and which overlaps in part that reserved for humans.Originality may also be seen in the treatments used by the Musey on theirequines to cure skin diseases and disorders of the locomotor system. Thisknowledge is however in retreat, confronted by forms of treatment related tolarger cultural areas and concerning other horse breeds.

MOTS CLÉSPoney, Musey,

pharmacopée, soins vétérinaires, Nord-Cameroun,

Tchad.

KEY WORDSPony,

Musey, pharmacopoeia, veterinary care,

northern Cameroon, Chad.

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Dans les plaines du moyen Logone, les Museypratiquent un élevage qui pouvait être qualifié derelictuel il y a une vingtaine d’années encore,celui du poney. Au XIXe siècle, en revanche, cetéquidé était encore présent dans la plupart despopulations du bassin méridional du lac Tchad.Aujourd’hui, seuls les Musey — et les Marba quileur sont apparentés — vivant entre Logone etbasse Tandjilé, à la fois sur le Cameroun et sur leTchad, sont dépositaires de cette civilisation pas-sée du cheval (Fig. 1). Le cheval est toujours àl’honneur pour la classe des vieux adultes, alorsque les jeunes le réduisent de plus en plus à unsimple animal de trait.Notre étude portera essentiellement sur lesMusey du canton de Gobo, au Cameroun, maislimitrophes du Tchad (Fig. 2).

UN PONEY MI-HOMME, MI-BÊTE

Les assertions des Musey à propos de leur poneyont de quoi surprendre. « C’est un homme, maispas tout à fait un homme… » et cette ambiguïtésera à la base des relations du Musey et de samonture.

LE PONEY : LA RICHESSE PAR EXCELLENCE

Le poney est — ou était jusque dans les années1950 — au centre du système social musey. Ilservait des sociétés tournées vers la chasse et larapine, contrôlées par une oligarchie guerrière(saa ngolda). Il représentait la richesse et l’unitéde base des dots. En fait, les bons chevaux,rapides et résistants, kuluma, faisaient l’objet detout un enjeu de pouvoir. Quant aux autres, lesbuluma, ils se comptabilisaient en unités de dot ettransitaient dans les concessions au gré deséchanges matrimoniaux. Par des ventes ostenta-toires et des prêts, le poney irriguait tout le sys-tème des relations sociales. Un Musey tiraitorgueil des chevaux qu’il avait possédés, de leur

renommée et du prix auquel il les avait acquisou cédés.

LA CARRIÈRE D’UN PONEY ET LES ÉTAPES

DE LA VIE D’UN MUSEY

Seule la carrière d’un kuluma est retenue. À lanaissance d’un poney, le propriétaire récite,comme pour celle d’un enfant, les formules dechance, en rythmant ses propos selon les chiffresréservés à chaque sexe. On organise les mêmesréjouissances que pour la naissance d’un enfant, ycompris dans le cas de jumeaux où l’on reprendtous les symboles de couleurs et de choix de nour-ritures. À cette occasion, des rites carnavalesquesont encore lieu dans certains villages (Garine1975). On donne à la jument des alimentsreconstitutifs comme à la jeune femme relevantde couches. Le poulain subit également, commeles nourrissons musey, un gavage d’eau addition-née de dépuratifs (ciida). Si la jument manque delait, on lui administre des lactifères et on faitboire aux poulains du lait de vache dans des bibe-rons en cucurbitacées. On pratique, comme pourles enfants, une ablation dite « de la luette » surles filets de la bouche.La première taille de la crinière, rituel plus oumoins complexe selon les sociétés villageoisesmusey, est souvent comparée à l’initiation desjeunes gens. Le poulain subit, en effet, un certainnombre d’épreuves et reçoit un nom. La montepeut alors commencer.Comme pour l’homme, le poney est soumis àl’interdit de l’inceste1 (yoona). Si la jument estcouverte par un « fils », un « frère », il faut sansdélais exiler la jument, voire les deux fautifs, chezdes neveux utérins des propriétaires, qui vont secharger de les vendre. Un cas de bestialité entraî-nait le bannissement du village pour le coupableet la vente de l’animal.L’acquisition d’un poney suit les mêmesdémarches que pour la recherche d’une épouse,avec la participation de témoins (Garine 1975).

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1. Les lignées devaient être suivies et les saillies recherchées se paient parfois cher. Dans la réalité, toutefois, les« accidents » sont nombreux et la pratique de l’infibulation (pratiquée chez les Marba) ne résolvait rien dans lamesure où elle n’était pas systématique.

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On n’achète pas, en effet, un poney, on le« dote ». On ne peut le quérir qu’à l’extérieur deson lignage, comme pour une femme : « Là où tupeux doter une femme, tu peux doter un poney. »À sa mort, le kuluma est toujours pleuré, parfoisavec des tambours de deuil comme pour ungrand guerrier. On vient de loin présenter sescondoléances au propriétaire éploré et on le sou-tient dans sa veillée funèbre. On enterrait leponey, jusque vers les années 1950, près des che-mins fréquentés et on fichait sur sa tombe despieux qui, suivant une sémiologie complexe, rap-

pelait ses exploits, comme sur les tombeaux desguerriers.

COMMENT ENTRETENIR ET SOIGNER

UN TEL ANIMAL ?Pour les Musey, le poney posséderait les mêmesviscères qu’un homme et ils réfutent qu’il soitexclusivement herbivore. Ils lui font boire dusang et pilent des morceaux de viande avec du milqu’ils lui donnent avant et après les grandes chasses.Ils affirment que la gestation d’une jument est entout point semblable à celle d’une femme. Les

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FIG. 1. – Carte de la région de Gobo (Nord-Cameroun) (dessin S. Bertrand, IRD).

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questions à propos de la castration du poney oude la consommation de sa viande déclenchentune réaction scandalisée.Le poney manifesterait, dans bien des cas, desqualités supérieures à celle d’un humain. Ilmarche et nage sans se fatiguer ; il pressent ledanger, en particulier la présence d’un fauve ; ilest nyctalope (grâce aux châtaignes sur les anté-rieurs, appelées hidi cengeda, les « yeux de la nuit »)et il ramène son maître chez lui à travers les plusépaisses ténèbres.Le Musey a toutefois sur sa monture un doublediscours, l’un « idéologique » quant à son huma-nité et un autre issu d’une promiscuité quotidienne,et qui se révèle plus proche des comportementshabituellement relevés chez un animal.Nous avons essayé, dans un premier temps, d’at-tirer les Musey sur les grilles classificatoires de nosconnaissances en matière d’affections équines,pour ensuite tenter de passer par le prisme desintéressés eux-mêmes.

LES PRINCIPALES AFFECTIONS DUPONEY MUSEY ET LEURS TRAITEMENTS

Pour plus de commodité, les affections reconnuespar les Musey sont exposées à travers la nomen-clature vétérinaire formelle, tout en sachantqu’elles ne s’y intègrent que partiellement. Lesmaladies hors nomenclature, mais désignéescomme telles par les Musey, seront décrites àpart.

LES MALADIES INFECTIEUSES

Bwotna, la peste équineLe terme musey bwotna kulmina signifie « épidé-mie des chevaux » et fait référence aux vaguesépidémiques qui ont frappé les équidés dans lepassé.Les signes de la forme pulmonaire, jetage spu-meux, hyperthermie et mort par asphyxie en 24ou 48 heures, nous ont été plusieurs fois décrits.Ces manifestations, parfaitement connues et

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FIG. 2. – Cavaliers et poneys musey de la région de Gobo (dessin C. Seignobos).

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conduisant à des mortalités importantes, prou-vent que cette maladie a existé sous forme épizoo-tique. Toutefois, dans cette zone d’enzooties, lesformes fébriles bénignes peuvent prendre le relaisdes manifestations spectaculaires et sont alorsmalaisément décelables en tant que peste équine.La maladie existe encore. Elle a été mise en évi-dence dans la région de Maroua vers 1950, à par-tir de prélèvements de poumons et de foies dechevaux barbes, venus du Tchad.

Eleona, maladie vénérienne, syphilisEleona signifie « maladie vénérienne », « syphi-lis ». Elle est considérée par les Musey commeune maladie commune à l’homme et au poney2.Elle serait la conséquence de rapports contami-nants avec des bêtes malades. Elle pourrait rendrecompte d’une contamination autre, l’animalbroutant l’herbe après le passage d’un chevalatteint par eleona. Certains informateurs, jeunes,incriminent également les mouches.C’est l’affection jugée la plus grave. Elle apparaîtsous forme de gros boutons à l’intérieur despattes postérieures, puis ils gagnent tout le corpset laissent échapper un liquide comme de la glairequi évolue vers le pus. Ces signes se rapprochentde ceux de la vérole3. Les symptômes de la morveont parfois été décrits avec une grande précision,dessins sur le sable à l’appui4. La forme cutanée,avec présence d’ulcères libérant un pus huileux,d’hypertrophies ganglionnaires et de lym-phangites — les premières désignées comme des« boules » et les seconds comme des « cordes » —est la plus visible, partant la plus fréquemmentévoquée5.Le diagnostic différentiel avec la lymphangiteépizootique fondé uniquement sur les descrip-tions des éleveurs est toutefois difficile à réaliser6.

Certains considèrent eleona comme une patholo-gie rapidement mortelle, d’autres la décriventcomme une affection plutôt bénigne, maislongue.On met en quarantaine l’animal atteint. Les trai-tements sont alors très variables et, selon lesMusey, il n’existe pas de médication spécifique etsûre pour traiter eleona. On observe néanmoins,parmi la trentaine d’éleveurs de poneys qui ontdû soigner leurs bêtes atteintes par eleona, l’utili-sation la plus fréquente de certains composantsvégétaux.On cherche, dans un premier temps, à faireouvrir les boutons en les massant avec une décoc-tion de racines de Ziziphus mucronata (way virna)et de Pseudocedrela kotschy (biyuna). On peutfrotter les boutons à l’aide de teuleka, sorte deflèche à tête d’argile que l’on fait chauffer au feu.On l’applique sur le cheval entravé, sans provo-quer d’incision. Dans un deuxième temps, oncouche l’animal, entravé, un homme lui tenant latête pendant que le propriétaire ou un spécialisteouvre les boutons à l’aide d’un couteau chauffésur un foyer. Certains massent les petits boutonsavec de l’huile de Ricinus communis (tenena) etdes cendres issues de lixiviation du sel de potasse,le couteau chauffé étant réservé aux ganglionshypertrophiés.On place ensuite sur les plaies des poudres issuesde racines pilées de Calotropis procera (furuga), deCassia nigricans (songrhonga), en mélange avec dela poudre de Loranthus (venga), de Mitragynainermis (dehesa). On lave ces plaies tous les deuxjours avec un décocté de racine ou d’écorce dePiliostigma thonningii (bagasa).Les ingrédients peuvent varier. Certains éleveurssoignent les plaies avec des poudres de racines deCommiphora pedunculata (laflaflayna), de Grewia

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2. Eleona pourrait être la morve. Dans ce cas, la transmission du cheval à l’homme est avérée, comme l’avaitsignalé Jean Hameau dès 1820 (Wilkinson 1992).3. Une sorte de syphilis, la dourine, existe également au Tchad.4. Dans leurs descriptions des maladies des poneys, les tradipraticiens désignent généralement sur leur proprecorps les emplacements touchés.5. L’OIE (Office International des Épizooties) considère que le Cameroun est encore atteint par la morve.6. Des épidémies de lymphangite épizootique sont courantes au Tchad, comme celles qui ont sévi au Kanemdans les années 1950. Les éleveurs du Kanem opèrent et enlèvent les cordes lymphatiques.

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bicolor et de Ximenia americana (otlotloda).D’autres mettent seulement de la poudre deracine de Cassia nigricans, particulièrement amère,qui chasse les mouches et cicatrise. Tous les deuxjours, on soigne avec une décoction de Pilostigmaou même de Cassia nigricans à l’aide de tamponsde fibres de Grewia villosa (holeyda). Ces soinspeuvent durer de trois semaines à un mois.Il est possible d’administrer, en même temps, parvoie orale, un décocté de racine de Ziziphusmucronata pour « lui faire uriner sa maladie ».Très souvent, pour eleona, on fait venir un spé-cialiste ou bien on lui confie l’animal. DouniaDayge, du village de Dom-Moutmara, soignesouvent eleona. Lors de notre visite, il venaitd’achever un traitement sur une bête venue duTchad. Il masse les parties malades avec les ingré-dients précédemment signalés en y ajoutant de lacendre d’Hyptis spicigera qu’il applique surtoutaprès incision. Il enduit les ulcères avec de lapoudre de racine de Securidaca longepedunculata,Blepharis linariifolia et Pistia stratiotes. Il lave lesplaies tous les trois jours et recommence cesapplications une dizaine de fois. Il cherche à lesfaire cicatriser avec du latex de Calotropis proceraet d’Euphorbia unispina (udusina). Il parachève letraitement en appliquant de la graisse de moutonet de la cendre de Faiherbia albida (cutna) et deGrewia bicolor.Ce traitement peut être complété par des fumiga-tions à l’intérieur d’une écurie, avec des poudresde racines diverses, où dominent celles deStereospermum kunthianum (rhegekna) et de lapoudre de Sanseveria liberica (kumoda).La phase de remise en forme du poney, aprèseleona ou d’autres affections graves, peut être à lacharge du spécialiste, moyennant un supplémentde prix. Elle est basée sur une nourriture sé-lectionnée : sorgho rouge et petit mil pilés etbouillis, drêches de bière de mil. Auparavant, oncultivait pour lui des variétés de niébé dont le litkatanga (niébé textile), semé tardivement pour nerécolter que ses fanes. On lui donne un mélangede feuilles de Leptadenia hastata (wulida), deStereospermum kunthianum et d’Afzelia africana(gulgulna). On l’emmenait également faire descures de terre salée (yolda).

LES AFFECTIONS DE L’APPAREIL DIGESTIF

Les affections parasitairesLes parasites les plus fréquemment observés sontdes vers rouges (juvul slawna) et des vers blancs(sisiida), visibles dans les fèces. On trouve égale-ment de longs ascaris (suksukuda).Les parasites rouges sont des pupes de gastro-philes et les vers blancs, des proglottis d’anoplo-cephalidés. Ils se développent surtout pendant lasaison des pluies. Les fortes infestations se tradui-sent par des troubles digestifs chroniques, uneanémie suivie d’un amaigrissement et d’unaffaiblissement de l’animal. Les cultivateurs qui,depuis peu, utilisent le poney comme animal detrait, considèrent ces parasites comme trèsgênants pendant la période des labours.Dans ce cas, les traitements sont relativementhomogènes et, semble-t-il, efficaces. On donne àl’animal, soit des arachides pilées dont une partieavec la coque et des fruits d’Anogeissus leiocarpus(sigitna), soit on fait germer du mil pénicillairetoujours mélangé avec des fruits d’Anogeissus leio-carpus. Plus rarement, on observe un mélange desorgho rouge germé et de fleurs et boutons deMimosa pigra (gikna).Avant d’administrer ces médications, on fait jeû-ner l’animal pendant 24 heures. On les répartiten une ou deux prises selon la quantité de para-sites. On peut aussi donner de l’eau où a macérédu sorgho rouge avec un décocté d’écorce deVitellaria paradoxa (gudida) et de la poudre dePericopsis laxiflora. L’eau du sorgho rouge peutêtre mélangée à du natron, comme cela se pra-tique chez les Peuls, chez qui les fruits d’Ano-geissus étaient également une médication de base.D’autres traitements existent, mais ils sont moinsusités, comme celui qui associe le sorgho rouge etla graisse d’un poisson fouisseur, Heterobranchusbidorsalis (gimilna), accompagnée d’une consom-mation répétée de feuilles de diwotwolna (?).Les Musey peuvent pratiquer à cette occasion ungavage d’eau, essentiellement à base de filtratd’écorce de caïlcédrat, le cheval étant maintenuentravé et couché. Si le parasitage est faible, ouaprès traitement, on fait brouter à l’animal,autour des mares, Echinochloa stagnina (tleyna).On lui donne aussi des décoctés d’écorce de Vitex

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doniana (kukulumba) et, parfois, comme pourles enfants, un décocté de fruits de Detariummicrocarpum (kaskasa), présenté comme unremontant.

Ayam bwa, ventre gonflé, ou tugdida, les coliquesLes coliques du poney sont considérées commedes maux qui font gonfler le ventre, d’où l’appel-lation ayam bwa, « ventre gonflé ». Les symp-tômes associés sont l’anorexie et la constipation.Des douleurs abdominales intenses entraînent descoups répétés des membres postérieurs dansl’abdomen. Comme disent les Musey, « l’animaln’est pas tranquille ». Cette affection survientdurant la saison sèche chaude.Les coliques observées sont liées, dans la plupartdes cas, à une surcharge de l’intestin, qui résultede la consommation, vers la fin de la saison sèche,d’aliments fibreux, tiges de mil et fanes sèchess’agglomérant dans le gros côlon. Ce type decolique provoque une distension abdominale etdes spasmes irréguliers.Le premier traitement paraît assez expéditif. Sil’on a une queue de gazelle (tuuk happa), onl’introduit, enduite d’une pâte faite de punaisesrouges (barina) écrasées, dans le rectum del’animal, et cela assez profondément (un avant-bras). Le manipulateur opère des mouvementsénergiques de va-et-vient. Le résultat est immé-diat.On peut intervenir différemment, avec une dé-coction de racines de Vetiveria nigritana (dumara),de Parkia biglobosa (jijida) et de Piliostigma reti-culatum (bagasa), additionnée ou non de natron.Un bâton creux de Ricinus communis est introduitdans l’anus et on souffle de cette décoction àquatre ou cinq reprises.On peut contraindre un jeune animal à prendre,par voie orale, un décocté de feuilles de Tama-rindus indica (cinda) et de Flacourtia flavescens

(kuluda), deux fois par jour pendant quatrejours7.On rencontre aussi des éleveurs faisant undécocté, réputé particulièrement amer, de racinesde riz sauvage (Oryza barthii), qu’ils administrentà leurs bêtes, notamment dans le cas de rétentiond’urine. Si l’urine est sombre, comme pour unictère, le Musey préconise un décocté d’écorce deSterculia setigera et de la racine tubéreuse deCochlospermum tinctorium (kabura), que l’ondose en fonction de la taille de l’animal8.

UNE AFFECTION DE L’APPAREIL RESPIRATOIRE

Doyda, le rhumeLe « rhume » se traduit par un écoulement nasal,plus ou moins purulent, et s’accompagne parfoisde toux. Cette affection particulière de la saisonsèche froide apparaît en parallèle avec l’harmat-tan, vent sec qui dessèche les muqueuses etprovoque des irritations, voire une véritableinflammation de la pituitaire.On confectionne alors un macéré d’écorces piléesde Parkia biglobosa et de racines de Vetiverianigritana, que l’on laisse au soleil. On l’insuffle,ensuite, dans les narines à l’aide d’une corne degazelle rufifrons. Puis, on force le cheval à courir.On peut faire la même chose avec la poudre d’unépiphyte de Parkia biglobosa et la poudre deracines de Celtis integrifolia (slikana) additionnéede natron.On pratique aussi, indépendamment ou parallè-lement, des fumigations dans une case close, avecun feu de son de mil et d’Eleusine coracana. Onpeut utiliser des os et même du tissu et diriger lafumée directement dans les narines, avec des tigesde ricin ou de maïs aménagées à cet effet.La technique du gavage est reprise pour cetteaffection. On couche le cheval entravé, et, en luiprenant la langue, on le contraint, matin et soir, àingurgiter une décoction encore chaude de Sclero-

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7. La constipation, appelée haydi buta, est quelquefois définie comme une affection propre. On la traite un peude la même façon, avec des décoctés ou des infusés d’écorces de Sclerocarya birrea et de néré, administrés par voieorale.8. On est surpris du peu d’emploi de Cochlospermum tinctorium dans la pharmacopée musey, sans doute enraison de l’abondance et de la fréquence de l’utilisation de sa fécule, lors de chaque soudure et disette. Le passagede produit de cueillette à celui d’aliment le déclasse généralement du registre « médicament ».

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carya birrea (yoyogoda) et de Lonchocorpus laxifo-rus (gukalakna), et cela pendant dix jours.Les états fébriles du poney, liés ou non au rhume,sont traités avec des décoctés de racines de Ficusplatyphylla (bona) et de Nauclea latifolia, avec desfeuilles de tamarinier. On lave en même tempsl’animal avec le même décocté.

LES AFFECTIONS DE L’ŒIL

Hidi tida, les conjonctivitesCaractérisées par des rougeurs et des douleurs àl’œil, les conjonctivites s’accompagnent d’écoule-ments, plus ou moins purulents. Elles survien-nent pendant la saison sèche froide.Les conjonctivites catarrhales aiguës se traduisentpar de la photophobie, un gonflement de laconjonctivite et un écoulement oculaire séreux ouséro-muqueux. Les chevaux y associent souventun prurit violent. Ces conjonctivites résultentd’une action du froid et de l’harmattan porteurde poussières irritantes.Les conjonctivites d’origine parasitaire, liées àTheilazia lacrymalis, existent aussi.Les traitements varient peu. On pile de l’ocre(siyda) que l’on met dans l’eau et on l’appliquesur l’œil malade. On râpe une racine tubéreuse,Stylochiton hypogaeus (jeeda), très irritante et onen frictionne l’œil.On peut également mettre de la suie recueillie surune bassine ou une jarre, émanant d’un feu deracines de Capparis sp. (Lururna). On peut entirer une solution mélangée à la décoction depoudre de racines d’une graminée, Eragrostis gan-getica, à moins qu’on ne la remplace par de lapoudre de racines ou de la cendre de l’écorce deGardenia erubescens.Certains appliquent simplement de petits tam-pons de feuilles de Balanites aegyptiaca (connoda)sur l’œil atteint. Ces mêmes feuilles, mâchées,sont appliquées également à la fin des traitementsprécédents.

Teoda, les cataractesOn peut mettre des emplâtres de feuilles deCassia mimosoïdes ou encore de Balanites. Quel-ques éleveurs vont chercher, parfois fort loin, uneargile très fine pour en frotter l’œil. D’autres,

enfin, conduisent leur monture chez les Marba,voisins méridionaux des Musey réputés plusexperts qu’eux, en matière de soins des chevaux(villages de Djo-Gogor ou Tchinre-Gogor). Cesderniers opéreraient avec des éclats de tiges demil, faisant ainsi sauter la cataracte. Cette inter-vention peut également être pratiquée surl’homme.

LES AFFECTIONS DE L’APPAREIL GÉNITAL

Humindida, les avortementsLes « avortements » sont, pour les Musey, l’expul-sion d’un fœtus mort avant la date de la mise bas.Les juments qui avortent plus de deux fois sont,en général, écartées de la reproduction.L’étiologie de ces avortements peut être diverse :infections, déséquilibres hormonaux, gestationgémellaire, carences dans l’alimentation.Les traitements restent sommaires. On faitbouillir des feuilles de Combretum glutinosum(yamata) et de Piliostigma reticulatum, que l’onadministre après décantation, par voie orale. Onpeut aussi faire boire des décoctés d’écorce dekarité et de néré « pour lui faire évacuer le pus ».On fait également boire l’eau où a bouilli du sor-gho rouge additionné de natron et d’un sel depotasse particulier (vukosida), après avoir privéd’eau l’animal pendant 24 heures. On administrecette potion quatre à cinq fois.

La stérilitéLes éleveurs musey parlent de stérilité lorsque lafemelle qui a été couverte ne donne pas de petit.La stérilité n’est pas considérée comme irréver-sible, elle signale une rupture dans le cycle nor-mal du déroulement des naissances.Les Musey remettent, en général, les juments à lasaillie dans les dix jours suivant la parturition. Ilsrecherchent une fécondation immédiate, pendantles chaleurs du poulinage (qui se produisent entrele 5e et le 18e jour post partum). Les chances desuccès de fécondation pendant ces chaleurssont minces et dépendent de plusieurs facteurs :accouchement rapide et normal, jeune jument,délivrance dans les deux jours suivant le part,retour en chaleurs supérieur ou égal à dix jours,etc. La stérilité semble donc bien relative.

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Quand on demande aux Musey de s’expliquer surde telles pratiques, ils répondent que le poney estla « richesse » et qu’ils cherchent à l’accroître.Pour lever la stérilité, certains éleveurs dégagent lecanal salivaire sous les dents, à l’aide d’un poin-çon chauffé au feu. Ils cassent également lescanines (cegeda) jugées trop grosses.Pour remédier à la stérilité, on glisse dans unautre registre, celui des protections occultes. Onréoriente la porte de l’écurie afin de ne pas rece-voir la poudre de certains épiphytes, portés etenvoyés par le vent ou par des voisins jaloux. Ondouble les protections de géophytes et autres,comme Amorphophallus aphyllus (zaneyna). Oncreuse un petit fossé près de l’écurie pour y fairetrébucher les mauvais esprits.

Les parts dystociquesLes causes des mises bas difficiles restent, selon leMusey, diverses. On invoque le cas de jumentsayant été accouplées à des mâles de trop grandetaille. Dans ce cas, on fabrique une solutionmucilagineuse avec des géophytes (taytayda), leslibers de Grewia mollis et, maintenant, de feuillesde Ceratotheca sesamoïdes (dekdehota), avec la-quelle le propriétaire s’enduit les avant-bras. Lesactions manuelles ressemblent aux techniques desmatrones lors d’accouchements difficiles. Cesgestes s’accompagnent d’actions mécaniques, depressions sur le ventre de la jument.

LES AFFECTIONS DE L’APPAREIL LOCOMOTEUR

Dalida, boiterie, entorse et luxationLes boiteries, qu’elles soient liées à des entorses, àdes luxations, à des blessures ou à des infections,ne sont qu’une seule et même pathologie pour laplupart des éleveurs. Seuls les spécialistes desmaladies des chevaux modifient leurs traitementsen fonction du type de boiterie.Les boiteries les plus fréquentes sont celles d’ori-gine mécanique. La lymphangite épizootique

apparaît aussi comme responsable de quelques casde boiteries que seuls les spécialistes reconnaissentet savent traiter.Un troisième type de boiterie relève plus d’uneassociation entre une asthénie importante du che-val et une affection qui aurait son siège au niveaudu boulet des antérieurs.S’il y a plaie sur boiterie, on fait intervenir la sem-piternelle poudre de feuilles ou de racines deCassia nigricans. Si la plaie s’avère profonde, on laremplit de graines de mil pénicillaire. On la cica-trisera avec de la poudre de Jatropha curcas ouseulement à l’aide de son latex.En cas d’enflure, on incise la partie au couteaurougi au feu, on y met de la poudre de Cassianigricans ou de racines de Prosopis africana(hoyna), on recouvre le tout d’un emplâtre d’ar-gile fine maintenu par des liens d’Hibiscus canna-binus. On renouvelle l’opération tous les troisjours.On fait également un emplâtre de racines piléesde Lonchocarpus laxiflorus, prises dans des feuillesde Combretum glutinosum qui se collent en-semble. Enlevé tous les trois jours, ce pansementest renouvelé cinq à six fois. Pour laver et masserla partie malade, on utilise un décocté dans lequelintervient la poudre d’un épiphyte de Hymeno-cardia acida (sibelna) réputé pour la dureté de sonbois. Il est censé guérir et fortifier la patte.On confectionne également des emplâtres avecdes fèces humains, séchés, brûlés et pilés9. Onpeut apposer sur ces emplâtres des attelles (biditna)de tiges de sorgho fendues, ligaturées par desfibres de Grewia cissoides et de Piliostigma écraséesau maillet. Les fibres de Vigna unguiculata var.Textilis (lit katanga) peuvent parfois aussi servir àcet usage10.En fin de traitement, on conduit éventuellementl’animal pour une cure de bains d’eau et de bouedans le lac de Kama à Holom-Walang, en paysmusey tchadien.

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9. On utilisait, en revanche, pour les hommes, la cendre de crottin frais, en application sur certaines plaies, àl’oreille et à la bouche pour faire passer boucle et labret.10. Certaines fractions musey l’utilisent, d’autres pas. Les connotations de ce litna restent trop marquées dans lamesure où les femmes se servaient de ses fibres comme ceintures pelviennes et étaient même enterrées avec ces fibres.

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Pour la lymphangite épizootique (palda), onmasse la partie malade avec un décocté de racinede Ziziphus mucronata, de Jatropha curcas et deGrewia bicolor. On applique ensuite unemplâtre de racines pilées d’Annona senegalensis(kosoda).Lorsque la patte enfle beaucoup, les Musey dési-gnent cette enflure du terme de lawda, « éléphan-tiasis ». On appose alors un emplâtre tiède deracines pilées de Guiera senegalensis (fulafula) etde Piliostigma et on le masse ensuite avec undécocté des mêmes plantes. Pour ce qui est unesimple élongation, on applique un fer de hachepréalablement mis au feu.Quant à la boiterie dite zoyda, il s’agit de petitséléments situés dans chaque boulet, appelézoyda sem kuluma, « le pois de terre du pied ducheval ». La partie enflée, légèrement chaude,est incisée et on retire ce qui semble être lessesamoïdes : deux petites boules dures etblanches (rappelant les pois de terre) sur lesmembres antérieurs. Le cheval, bien attaché,subit cette opération exécutée par un spécialis-te. Parfois, le propriétaire la pratique lui-même,lorsque le cheval a deux ans, afin de prévenircette boiterie.

Kusa, les fracturesLorsque les fractures des membres sont hautes(humérus, radius, fémur, tibia), les traitementspratiqués, de l’aveu même des éleveurs, ne seraientpas très efficaces. Néanmoins, les animaux échap-pent à l’abattage et continuent à vivre à proximitédes concessions.Le Musey réalise des attelles à base de tiges de sor-gho maintenues par des fibres d’Hibiscus cannabi-nus et des cordes tressées d’Imperata cylindrica(gabianga) et de Sporobolus pyramidalis. On laissel’attelle plus d’un mois et on s’abstient de monterl’animal pendant six mois à un an.

Gasada, la hernieElle est jugée comme une maladie héréditairepour certaines lignées de chevaux. L’utilisation deracines de Nauclea latifolia (kumkummuda),d’Annona senegalensis et de Maytenus senegalensissemblerait prépondérante.

LES AFFECTIONS DE LA PEAU

Mbil holna, les plaies dorsalesLe docteur Vogel (1860 : 224) est le premier àsignaler des plaies dorsales à propos des poneysélevés par les Musgum, groupe au nord du paysmusey : « Les chevaux de ce peuple ont peu d’appa-rence, mais sont d’une grande persévérance.Comme on les monte sans selle et sans étriers, ils’est créé chez les Musgo une coutume très bar-bare : pour tenir bien assis, on entretient sur le dosde l’animal une plaie, et même, en cas de nécessité,on se blesse soi-même à la cuisse pour tenir grâce àson propre sang. ». Cette « coutume très barbare »est reprise par H. Barth (1861 : vol. III, 37) et elleest encore signalée par G. Nachtigal (1880 : 378 ;382) chez les Sumray de l’interfleuve Chari-Logone, voisins orientaux des Musey. Ces premiersvoyageurs ne font que rapporter une interprétationphantasmée véhiculée par leurs informateursmusulmans tant bornouans que baguirmiens. Unfait est toutefois avéré auprès des intéressés : avantles batailles ou les grandes chasses collectives au feu,les cavaliers, pour mieux faire corps avec leursmontures, entaillaient très légèrement l’intérieur deleurs cuisses et la partie correspondante du flanc duponey pour renforcer cette proximité de l’hommeet du cheval dans ces moments culminants de la vied’un Musey. Quoi qu’il en soit, les plaies dorsalesdu poney devaient être très fréquentes et on enobserve encore aujourd’hui.Ces plaies dorsales constituent pour les éleveurs undes handicaps les plus sérieux dans l’utilisation deleurs montures (Fig. 3). Près d’une bête sur deuxserait touchée par ces plaies. Elles sont localisées àla base de l’encolure ou près du garrot, mais sur-tout au niveau des vertèbres dorsales. Ces plaiessont, dans la majorité des cas, infectées et il seforme des abcès, dont la taille peut varier de celled’une noix à celle d’une pastèque. Ces plaies sontliées au frottement régulier du cavalier montant àcru et, plus récemment, au collier de traction àarmature de bois, garni de tissu et de chambre à air.On met sur la plaie des poudres de racines deProsopis africana, d’Afzelia africana, d’Imperatacylindrica et de la cendre du péricarpe du fruit deSterculia setigera. On couvre le tout avec la peaud’un batracien (luuda). On renouvelle le traite-

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ment tous les trois jours et on lave la plaie avec undécocté d’écorce de Prosopis. Un macéré d’écorcesde Prosopis peut être administré parallèlement parvoie orale.Lorsque le dos est enflé et pour empêcher le retourde cette mbil holna, on pratique une opération. Unspécialiste s’en charge pour le prix de 3 500 FCFA(tarif de 1998). Il ouvre la partie enflée, là où s’as-soie le cavalier et incise jusqu’à l’os. Il va enlever le« fil noir » (sadiina), les conjonctifs sous-cutanés,des deux côtés et sur un demi-empan. Avec uneaiguille passée au feu, il soulève ce ligament dorsalbrun foncé et le coupe en prenant soin de ne pastoucher aux apophyses. On place alors un mélangecomplexe, composé de cendre de sabot de bœuf,de poudre d’écorce de tamarinier, de Ziziphusmucronata et de cendre d’une graminée, Pennisetumpedicellatum (cemcemna). On recouvre de feuillesde Combretum glutinosum qui vont se coller entreelles. D’autres éleveurs musey mettent de la cendrede carapace de tortue, des péricarpes des fruits deSterculia setigera, du sésame rouge préalablementmâché, le tout recouvert de feuilles de Combretumglutinosum.La poudre d’écorce de Prosopis et la graisse demouton serviront pour la cicatrisation. Pendantl’ensemble du traitement, le cheval a la tête blo-quée dans deux faisceaux de tiges de mil mainte-nus par un collier de contention, tressé en fibresde Hibiscus asper (tlemna) aux légers piquants.Ainsi, il lui sera impossible de se lécher le dos etd’enlever les emplâtres.Les soins apportés aux plaies du dos suscitent leplus de variantes. Quelques éleveurs prennent descendres de tiges de tabac et d’une graminée,Eragrostis gangetica (lamlamayna) ; d’autres, de lacendre d’Echinochloa stagnina, de la poudre deDaniellia oliveri (mahasa), de Lannea schimperi,de tamarinier, et, toujours de la cendre ou de lapoudre de racines de Cassia nigricans.

Les parasitoses cutanées– Dakakna, les pouxLes poux provoquent du prurit, entraînant desmordillements et des dépilations. Ils se retrouventsurtout au niveau de la crinière et à la base de laqueue. Présents toute l’année, ils se manifestent

plus intensivement pendant la saison des pluies.Les plus fortes infestations sont remarquées surles poulains.Beaucoup de poneys rencontrés présentaienteffectivement une phtiriase. Le parasite respon-sable est Haematopinus asini.Pour déparasiter les animaux, on prend des feuil-les de ricin, de la cendre de vieilles pailles char-gées du goudron de la fumée des cuisines et on enmasse le corps à l’aide de filets de Grewia mollis.D’autres préfèrent un macéré d’écorces de caïlcé-drat et de son d’Eleusine coracana ou encore fontappel à de la cendre de borborda (?), mêlée à del’huile de karité et dont on frictionne les partiesinfestées. D’autres encore utilisent de la poudrede racine de Guiera senegalensis et de la cendreissue de la lixiviation du sel de potasse.Aujourd’hui, les Musey utilisent de plus en plusle pétrole, avec du natron et des feuilles pilées deneem, Azadirachta indica (geyena).

– Sekneona, les tiquesLes tiques sont abondants lors de la saison despluies. Ils provoquent des dépilations au niveaude la tête, du dos et des flancs. Cette dermatoserégresse après les dernières pluies. Les différentesespèces de tiques rencontrées sont, dans un ordredécroissant : Variegatum (amblyomma), Trunca-tum (hyalomma), Boophilus et Dermacentor.La dermatose évoquée correspond, sans aucun

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FIG. 3. – Poney entravé pour soigner une plaie dorsale (dessinC. Seignobos).

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logie qu’à la psychologie du poney, telle que laperçoit le Musey.Ces affections servent directement ou indirecte-ment les disciplines d’élevage du poney et tententaussi de couvrir le domaine de l’inconnu.

Karauna, la luetteLe terme de karauna désigne la luette chezl’homme et, chez le poney, les filets vasculaires dela langue, car le poney doit avoir, tout commel’homme, une luette. Les Musey, et la plupart deleurs voisins, pratiquent chez l’enfant l’ablationde la luette et karauna désigne aussi une maladiequi frapperait par étouffement ou asthénie. « Sion ne coupe pas karauna, elle tue. ». L’opérationrevêt un caractère obligatoire.Pour une pouliche, on coupe les filets de chaquecôté de la langue et, pour un poulain, on enlèveégalement le filet central. Le chiffre deux corres-pond à la féminité et trois, à la virilité. Cetteopération, comme celle de la luette des enfants,est effectuée à l’aide d’un fer recourbé et tran-chant (velda), par un spécialiste. Elle se situe,pour le poney, avant ou pendant la premièrecoupe de la crinière, autrement dit vers sa pre-mière année.

Pereta delda, pretelda, les épisL’épi ou les épis sur la robe des chevaux, en parti-culier le cou, sont regardés comme les symptômesd’un mal. L’animal en a hérité et, pour certains,ces manifestations seraient la conséquence d’in-cestes produits dans la lignée. Le comportementdu poney risque d’être inattendu, en particulier,jadis lors des guerres et des grandes chasses, ilpouvait, lors d’une volte, se débarrasser de soncavalier et le tuer.Le cavalier musey dressait son cheval à sauter,bien sûr, et aussi à coucher la tête sur le côtéd’une certaine façon (slate del kuluma) afin delancer les couteaux de jet. Pretelda aurait rendupérilleux cet exercice.Le propriétaire brûle les poils de l’épi avec de labraise et fera cicatriser la blessure avec de la poudre

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11. Dans la région du moyen Logone, c’est une médication couramment appliquée sur les lésions des lépreux.

doute, à la dermatophilose (gidiirina). L’infectionde Dermatophilus congoensis se produit pendant lapériode humide, au niveau de petites lésions cuta-nées (piqûres d’insectes, blessures de harnache-ment).Les traitements les plus communs consistent enun décocté d’écorces de Ficus platyphylla, admi-nistré par voie orale. En même temps, onapplique une poudre de feuilles de tamarinier surles lésions cutanées, après avoir lavé l’animal avecdu savon artisanal noir (garla), à base de cendrede Balanites. Toujours en soin externe, on mélan-ge des cendres de tiges de sorghos et dePennisetum pedicellatum avec un décocté defeuilles de ricin et le poney est oint plusieurs foisavec cette solution. La cendre de péricarpe desfruits de Sterculia setigera sert aussi à frictionnerles partie touchées par la dermatophilose11.Les tiques peuvent engendrer une piroplasmoseéquine, la babesiose, présentant les symptômesd’une peau raide et d’un fort amaigrissement carl’animal refuse la nourriture. Le Musey reprendles mêmes soins que pour chasser les tiques, maisavec un rythme plus soutenu et une applicationplus minutieuse.

– Beberingna, la galeOn la soigne à l’aide de cendres de Pennisetumpedicellatum et de tiges de sorgho rouge trèsanthyociannées, dont on frictionne l’animal avecdes tampons de fibres de Grewia. On utilise aussila cendre de champignons poussant sur le boismort et de résidu de cendre de sel de potasse dansde l’huile de karité. Les parties malades sontfrictionnées en trois ou quatre séances. On lave lecorps de l’animal avec un décocté de Cochlo-spermum tinctorium.

LES AFFECTIONS RECONNUES PROPRES AU PONEY

PAR LES MUSEY

Un certain nombre d’affections signalées par lesMusey trouvent malaisément leur place dans lespratiques vétérinaires formelles. Elles ressortissentà d’autres registres, qui touchent moins à l’étho-

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de racines de Combretum aculeatum et de feuillesde Cassia nigricans, en quelques applications.

DurusaDurusa est également appelée « maladie du verssous la dent ». Les symptômes apparaissent sur lesjeunes chevaux qui refusent de s’alimenter. Onvoit apparaître des boutons sous les incisives :« un ver se met sous la dent, tu le chasses avec lepoinçon rougi au feu, il tombe, mais tu ne peuxpas le voir... ». Il s’agirait, en fait, de libérer lecanal salivaire.C’est une maladie, mais, par sa constance, durusaou tunrusa devient presque un rite de passagedans l’élevage du poulain, comme celui de couperla « luette ». Parallèlement, on frotte la langueavec un tesson de poterie et on incise les gencives.Cette pratique est connue ailleurs, en Camarguepar exemple, on l’appelle le « parodent12 ». Il estégalement exécuté sur les animaux jeunes afinqu’ils recouvrent l’appétit. Après avoir frotté les« boutons » des gencives, on met du sel de potasse,puis on lui donne des fanes tendres de niébé.

BridingaBridinga est le nom d’une punaise (Aradidae) decouleur sombre, impressionnante par sa taille(Fig. 4). On la trouverait sous les écorces desarbres et elle n’apparaît que pendant la saison despluies. On la confond aussi avec honlokna, grossepunaise prédatrice (Belostomatidae) vivant dansl’eau et qui en sort à la tombée du jour. Elleeffraie aussi par sa taille et ses deux « crocs », quisont des pattes ravisseuses.Pour les Musey, « sa piqûre est comme celle duserpent », mais les effets sont différés, une annéeet plus. En fait, les Musey associent cet insecte àtoutes les affections graves dont ils identifient malla provenance.Certains symptômes de bridinga pourraient êtreliés à la mouche tsé-tsé (slipma). Réputé trypano-tolérant, le poney peut, affaibli et de passage surles rives boisées de la Kabia, subir des levées detrypano-tolérance.

Lorsque bridinga est diagnostiqué, l’animal estconduit chez un spécialiste. Ici, tout l’arsenal despoudres, décoctés, infusés, etc. est sollicité aveccomplexité, voire raffinement. Entrer dans ledomaine du spécialiste, c’est entrer dans celui dusecret. Nous avons donc collecté des prescrip-tions, plus ou moins tronquées, dans lesquellesressortent surtout les ingrédients, « génériques » sil’on peut dire, les plus connus, déjà en partieévoqués.S’il y a enflure, on retrouve en soins les poudresde racines de Ficus platyphylla, de Terminaliamacroptera. S’il y a plaie, le fer rougi apparaîtpour tuer les « œufs » de bridinga. On soigne lesplaies avec de la poudre de racines de Guierasenegalensis, de Cassia nigricans, de Ziziphusmucronata, etc.Si le tour des yeux enfle, on applique des em-plâtres d’épiphytes de Mitragyna inermis. Lapoudre de racines de Securidaca longepedunculata,utilisée contre les morsures de serpent, est reprisedans le cas de bridinga.Avec bridinga, on voit percer l’autre volet de lapharmacopée, celui qui fait intervenir les géo-phytes à bulbe, tamasa, kuseda, les Loranthus

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FIG. 4. – Bridinga Hydrocyrius columbial (Belostomatidae)(dessin C. Seignobos).

12. Le lampas des vétérinaires du début du siècle : gonflement des muqueuses de la bouche que l’on scarifie.

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poussant sur certaines essences rares et doncrecherchés, les Cissus quadrangularis (dumuna),Adenia venenata et différentes Euphorbiacées. Ona autant recours à la brousse qu’au jardin deplantes médicinales et protectrices généralementhéritées par les spécialistes des soins aux chevaux.Dans les jardins de ces tradipraticiens, on notetoujours plusieurs dizaines de types de géophyteset autres plantes médicamenteuses, concernant lecheval et parfois l’homme et le cheval :– tamasa vakalangi pour les protections occultes ;– tamasa gujaka contre les fractures, y compris enprévention ;– tamasa gukarida, géophyte aux feuilles tache-tées, pour la tenue du cheval, sa fringance, etc. ;– tamasa guvuda pour la fécondité.La préoccupation constante du Musey vise à pro-téger sa monture contre toute menace directe ouocculte. Pour empêcher que le cheval ne soit volé,on l’oint de graisse de chien ; même vendu, lecheval reviendra alors chez son premier maître.Pour « blinder » le poney pour la chasse, on utili-se certains Loranthus comme celui de Cissuspupulnea (godota), Strychnos inocua, Hymeno-cardia acida, etc. Les charmes pour la chassevisant à protéger la monture et à obtenir un boncomportement sont légion et presque toujours àbase d’épiphytes.Pour les Musey, les pratiques vétérinaires intéres-sant le poney, que nous venons d’évoquer, sontpeu importantes comparées à l’arsenal depratiques occultes qui entoure le couple cheval-cavalier.

UNE PHARMACOPÉE, CLASSIQUE DANS LE CHOIX DES INGRÉDIENTS, ORIGINALE DANS LEUR APPLICATION

Les médicaments et leur conditionnement ren-voient à des classiques de la pharmacopée. Il s’agitdu macéré, de l’infusé et du décocté d’écorces oude racines (parfois de parties bien spécifiques) uti-

lisés en bain ou administrés par voie orale.Racines, écorces et feuilles, réduites en poudre,sont employées en emplâtres, en pulvérisation oumélangées à des macérés, décoctés ou eau simple.Les racines se taillent manifestement une partprépondérante.Un grand nombre des plantes utilisées semblentinterchangeables. On observe, en revanche, peud’excipients généraux, comme le décocté de fruitset de feuilles de tamarinier des Peuls voisins.On constate, comme dans toutes les pharmaco-pées, l’application de la « théorie des signatures »de Pracelse : aspect, couleur, saveur d’une planteprésentent autant d’indices pour ses propriétésmédicinales. On emploie, par exemple, Kigeliaafricana, avec ses gros fruits allongés, pour luttercontre la stérilité ; Euphorbia hirta est une plantegalactogène en raison de la blancheur de sonsuc, etc.On retrouve aussi les grands classiques médicaux,y compris pour les hommes :– Combretum glutinosum, pour ses feuilles endécocté dépuratif et en diurétique. Elles se pré-sentent comme l’élément principal ou annexed’une médication13 ;– Guiera senegalensis. Le décocté de ses feuilles estdonné comme antitussif, le décocté de ses racinescomme anti-inflammatoire. En emplâtre ou enapplication avec massage, il a une fonction anal-gésique ;– Balanites aegyptiaca en massage de décocté deses racines, et en emplâtre de ses feuilles commeanti-inflammatoire ;– Cassia occidentalis et Sterculia setigera. Les feuillesdu premier et les péricarpes du second ont uneaction dépurative, laxative et antihelmintique ;– Tamarindus indica est bien connu pour les pro-priétés laxatives de ses feuilles et de ses fruits ;– Khaya senegalenis et Nauclea latifolia offrent desdécoctés de leurs racines et de leurs écorcescomme fébrifuges et dépuratifs ;– Piliostigma reticulatum fournit des fibres pourles pansements et les ceintures pelviennes. Ses

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13. Dans la région du Moyen Logone, les feuilles de Combretum glutinosum permettent de se débarrasser de tousles parasites, y compris, par fumigation, des ravageurs du grenier.

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racines, en poudre, constituent un hémostatique,antiseptique et anti-inflammatoire ;– Sclerocarya birrea est un anti-dysentériquerecherché et, plus généralement, un purgatif,mais il couvre beaucoup d’autres indicationsétant donné l’importance des prélèvements sur lespieds de Sclerocarya dans le pays musey ;– Ficus platyphylla. Son latex n’est pas utilisé quepour piéger les oiseaux. La sollicitation des troncset des branches maîtresses indiquent que la médi-cation est généralisée ;– Securidaca longepedunculata est un antiveni-meux (racines en poudre) et soulage, en emplâtre,les douleurs articulaires ;– Vitex doniana fournit un décocté anti-asthénique.

Une utilisation plus particulière est faite decertains ligneux et sous-arbrisseaux. Il s’agit deZiziphus mucronata, dont le décocté des racinesest antihelmintique. Les fruits d’Anogeissus leio-carpus sont retenus comme antidiarrhéique, demême que les écorces de Faidherbia albida.Cassia nigricans (feuilles et racines) concernetoutes les affections externes, comme antisep-tique, et pour le soin des ulcères. Enfin, le décoc-té des racines et des écorces de Prosopis africanaest requis pour les soins les plus divers, plaies,ulcères, boiterie... Avec Prosopis, on entre chez lesMusey dans le domaine du symbolisme, parti-culièrement riche en ce qui concerne cetteessence14.La composition des ingrédients pour soigner telleou telle affection passe souvent par une grilled’association symbolique. Nous donneronsl’exemple de la fête de l’an nouveau (vun tilla), à

Gounou-Gaya, avec le rite de l’onction d’huile(Karamba 1988). On pile, dans un mortier, lesgraines de sésame, puis une branchette deHymenocardia acida, ensuite une de Prosopis afri-cana et, enfin, une de Terminalia macroptera. Onasperge cette huile sur les hommes et les chevaux.Ces essences, comme bien d’autres, sont chargées,en plus des principes actifs qu’elles véhiculent,d’un « pouvoir » supplémentaire dans tel ou teldomaine et qui varie en fonction des fractions,voire des lignages musey.L’originalité dans les soins donnés aux chevauxpar les Musey tient sans doute plus dans leur côtéformel, qu’il s’agisse de petites interventions chi-rurgicales ou du raffinement dans le traitementdes différents types de blessures et de plaies.La pharmacopée du poney se transforme sousl’effet de plusieurs causes combinées. Toutd’abord, la pharmacopée des poneys chez lesMusey du Nord serait, de leur propre aveu,moins développée que celle de leurs voisins méri-dionaux, Musey et surtout Marba. Sans doute,dans leur esprit, s’agit-il plus de protectionsoccultes et de charmes.Les Musey insistent sur le fait que posséder plu-sieurs chevaux et les élever n’était pas à la portéede n’importe qui (Fig. 5). Une sorte d’aristocratieavait seule les moyens d’acheter des kuluma et depayer les dots avec des buluma. Les pères et lesgrands-pères, déjà éleveurs, avaient ainsi légué unsavoir et des « médicaments » concernant les che-vaux. Parmi eux, certains étaient des praticiensreconnus en matière d’hippiatrie.La connaissance sur les poneys ne se partage pas.Les spécialistes en vivent, les autres en ont hérité,dont certaines formules sous le sceau du secret.

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14. Prosopis africana est lié à l’homme, à la guerre et à la mort. Cet arbre, au bois imputrescible, ne peut être abat-tu que par des hommes d’âge mûr et dans le but de dresser des tombeaux (plusieurs dizaines de pieux fichés enterre). On ne peut frapper quelqu’un avec un bois de Prosopis sans entraîner à court terme sa mort. Seuls leshommes peuvent dormir sur des lits de planches de hoyna. Les femmes sont soumises à un interdit et celles en âgede procréer ne peuvent utiliser son bois pour cuisiner. Elles s’en servent, en revanche, dans des cas exceptionnels,les branchettes feuillues tressées servent de garniture et d’antiseptique post partum, l’accouchement les ayantexposées à la mort. Les femmes ont encore recours à des ceintures de branchettes de Prosopis au cours du ritepurificatoire de sortie de veuvage. Quant au poney, les rapports avec hoyna semblent varier selon les fractionsmusey. Pour certaines, on ne peut attacher un poney à un pieu de Prosopis, ni construire avec ce bois le plancherde sa litière car, « comme les femmes, le poney fait partie de la richesse de l’homme et il s’acquiert de la mêmefaçon ».

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FIG. 5. – Prise de vue de poneys musey à Gobopar Yann Arthus-Bertrand les 14 et 15 mars 2002pour le livre Chevaux (Arthus-Bertrand 2003)(photos C. Seignobos).

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Ils n’osent parfois en faire bénéficier leurs voisins,car si l’animal meurt, ils en seront rendus res-ponsables.

CONCLUSION

Depuis la fin des années 1980, l’interdit de fairetravailler les chevaux a été progressivement levépar la gérontocratie, véritable censeur de la socié-té musey. Il fallait lâcher du lest et encourager lesjeunes candidats à l’émigration dans la Bénoué àrester au pays15. Dans le canton de Gobo, cer-tains hommes âgés eux-mêmes s’y mettent àpartir de 1995-1996.Ce sont, toutefois, les Peuls installés auprès desMusey qui ont, les premiers, adopté le poneycomme animal de trait. Son prix modique et sonendurance constituent des atouts. De plus, leponey, suffisamment fort pour tracter une char-rue moyenne, offre une progression optimale parrapport à la conduite trop rapide d’un cheval etson passage produit moins de dégats sur les lignesde culture qu’un attelage bovin.La commercialisation des poneys a été relancéedans les années 1990 par l’infléchissement auCameroun du bassin cotonnier vers le sud. Leszébus, à la différence du poney, ne pouvaientrésister aux glossines et la lourde mécanisationbibovine s’avérait coûteuse et partant trop ris-quée. Dans ces mêmes régions (à Touboro), lesexpériences de motorisation légère avaient tournécourt. Le poney, trypano-tolérant, paraissait unedes solutions les mieux adaptées.On assiste donc, dans les années 2000, à unesorte de démocratisation de l’élevage du poneycomme animal de trait. Le pays musey tout entierdevient un « pays naisseur » pour cet équidé.Dans le seul canton de Gobo, le nombre deponeys (120 en 1981, Seignobos et al. 1987 : 61)a plus que triplé en 2002. Le cheval continue tou-jours à focaliser la société musey, mais différem-ment. Les familles des saa ngolda entretiennent

encore des poneys, car l’éducation équestre desjeunes garçons fait toujours partie d’un apprentis-sage social valorisé. Les nouveaux éleveurs museyont néanmoins tendance à s’aligner sur les Peuls,copiant le harnachement de labour, en partiecodifié par la Sodecoton (Société de développe-ment de la culture du coton). On constate mêmedes emprunts à la pharmacopée peule pour le soindes chevaux. Le poney promu animal de trait auservice de la spéculation cotonnière peut, par cebiais, bénéficier des traitements délivrés par lesservices d’encadrement vétérinaire de laSodecoton. Les soins du poney deviennent à lafois plus cosmopolites et plus sommaires.L’élevage se « laïcise » et les pratiques intéressantla « part d’humanité » du poney s’effacent peu àpeu.

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Le poney musey et les pratiques vétérinaires (région de Gobo, Nord-Cameroun)

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15. Elle l’a fait en même temps qu’elle donnait son accord pour la mise en culture de bas-fonds, dans des zonesréservées à la chasse, pour des sorghos repiqués empruntés aux Peuls.

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Soumis le 10 août 2002 ;accepté le 2 août 2003.

Cardinale É.

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