la comptabilité publique au défi des frontières

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HAL Id: hal-01630733 https://hal.umontpellier.fr/hal-01630733 Submitted on 9 Nov 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. La comptabilité publique au défi des frontières organisationnelles Le cas du traitement des immobilisations corporelles dans le secteur public local Sylvie Rascol-Boutard, Pascale Amans, Ariel Eggrickx To cite this version: Sylvie Rascol-Boutard, Pascale Amans, Ariel Eggrickx. La comptabilité publique au défi des frontières organisationnelles Le cas du traitement des immobilisations corporelles dans le secteur public local. 36ème congrès de l’ Association Francophone de Comptabilité, May 2015, Toulouse, France. hal- 01630733

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HAL Id: hal-01630733https://hal.umontpellier.fr/hal-01630733

Submitted on 9 Nov 2017

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

La comptabilité publique au défi des frontièresorganisationnelles Le cas du traitement des

immobilisations corporelles dans le secteur public localSylvie Rascol-Boutard, Pascale Amans, Ariel Eggrickx

To cite this version:Sylvie Rascol-Boutard, Pascale Amans, Ariel Eggrickx. La comptabilité publique au défi des frontièresorganisationnelles Le cas du traitement des immobilisations corporelles dans le secteur public local.36ème congrès de l’ Association Francophone de Comptabilité, May 2015, Toulouse, France. �hal-01630733�

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La comptabilité publique au défi des frontières organisationnelles

Le cas du traitement des immobilisations corporelles dans le secteur public local

Sylvie Rascol-Boutard, Maître de Conférences HDR, Montpellier Recherche Management, Université de Montpellier,

[email protected]

Pascale Amans, Maître de Conférences, Laboratoire Gouvernance et Contrôle Organisationnel, Université Toulouse 3,

[email protected]

Ariel Eggrickx, Maître de Conférences HDR, Montpellier Recherche Management, Université de Montpellier

[email protected] Résumé : La question des frontières est un défi conceptuel, méthodologique et pratique, qui se pose aux organisations, et plus particulièrement au secteur public local français qui doit s’aligner sur la comptabilité privée. Nous avons réalisé plusieurs études de terrain dans un SDIS et une quinzaine de collectivités territoriales, afin d’explorer les modalités de mise en œuvre de cet alignement, dans le cas du traitement des immobilisations corporelles. Nous montrons que cette mise en œuvre implique une mise en question des frontières organisationnelles, pour identifier et valoriser les biens mis à disposition dans le cadre de transfert de compétences. Des consensus doivent émerger pour la distinction entre charges et immobilisations. Enfin, l’enregistrement des immobilisations et l’établissement des inventaires supposent d’organiser des processus transversaux. Pour produire une image fidèle du patrimoine, le traitement des immobilisations corporelles impose de développer des coopérations intra et inter-organisationnelles qui dépassent les frontières existantes. Mots clés : comptabilité publique, immobilisations corporelles, secteur public local, frontières organisationnelles

Abstract: . The issue of boundaries constitutes a theoretical, methodological and practical challenge which organizations have to face, especially in the French local public sector which has to align with private accounting. We focus on the case of tangible assets. Several field studies have been carried out, within a local fire and rescue service and 16 local communities. We show that organizational boundaries have to be questioned in order to identify and value tangible assets that are made available when powers are transferred. Consensus has to be reached when it comes to distinguish between charges and fixed assets. The recording of fixed assets and inventories are based on cooperation between and within organizations, which transcends boundaries. Keywords: Public sector accounting, tangible assets, local public sector, organizational boundaries

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Introduction

La convergence entre la comptabilité publique et la comptabilité privée date de plusieurs siècles. Ainsi, dès la fin du XVIème siècle, on aperçoit dans la comptabilité de la Maison Royale de Castille les premières traces d’utilisation dans le secteur public de la technique de la partie double des marchands italiens (Nikitin, 2000, 2001). En France, l’alignement avec la comptabilité privée a d’abord concerné les collectivités territoriales, avant de s’appliquer à l’Etat avec la promulgation en 2001 de la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF). Cette dernière a contribué par un « jeu d’influences croisées entre le national et le local » à faire évoluer la comptabilité des collectivités territoriales (Steckel, 2010). La comptabilité publique s’appuie sur les normes françaises et les normes internationales IAS/IFRS1 en matière de comptabilité privée, ainsi que sur les normes élaborées pour le secteur public par le Conseil des normes comptables internationales du secteur public, l’IPSAS2 Board. Plus généralement, cet alignement est à replacer dans le contexte général du New Public Management (NPM), qui préconise la mobilisation des méthodes de management du secteur privé (Laufer, 2008), une mobilisation dont le secteur public peut espérer une légitimation de son action (Laufer et Burlaud, 1980). Selon Lande et Rocher (2008), la réforme du cadre comptable pour le secteur public local français découle de la mise en place en 1982 d’un nouveau plan comptable, des conséquences des lois de décentralisation de 1982-83 et des affaires financières ayant frappé certaines collectivités dans les années 1980. Plus précisément, c’est l’instruction M14 pour les communes, qui a introduit les concepts de patrimoine, d’engagement et de résultat comptable, ainsi que l’obligation de comptabiliser des dotations aux amortissements (pour les communes de plus de 3 500 habitants). La M14 marque le point de départ d’une transformation en profondeur de la comptabilité publique locale (Lande et Rocher, 2008). Outre l’introduction de la comptabilité d’engagement, les changements les plus notables concernent la valorisation des immobilisations corporelles et financières (Cellier, 2006). L’importance de ces changements est à l’origine de notre programme de recherche sur les modalités de mise en œuvre des règles de comptabilisation des immobilisations et amortissements dans les collectivités territoriales.

Le programme de recherche comprend plusieurs études de terrain. Dans une première phase, nous avons mené des études de terrain dans un Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS) ainsi que dans six collectivités territoriales. Dans une seconde phase, nous avons répliqué l’étude dans le SDIS et l’une des six collectivités territoriales et nous avons également mené la même étude dans dix autres collectivités territoriales. Les résultats de ces recherches montrent que la comptabilisation des immobilisations corporelles dans le secteur public local soulève la question des frontières organisationnelles. En effet, les transferts de compétences se traduisent par de nombreuses opérations de démembrement de la propriété (mise à disposition, etc.) difficiles à appréhender dans les comptes, faute d’information suffisantes. De plus, la mise en œuvre des processus pour l’identification et l’enregistrement des immobilisations conduit à bouleverser les frontières d’une part entre les services à l’intérieur des organisations, d’autre part entre les organisations et entre l’ordonnateur et le comptable public.

1 Les normes International Accounting Standard, IAS et International Financial Reporting Standard, IFRS. 2 International Public Sector Accounting Standards.

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La transposition du modèle de la comptabilité privée au secteur public est à l’origine de notre programme de recherche avec ses différentes phases (1). L’analyse des règles de la comptabilité publique et les résultats de recherche révèlent les problèmes de frontières, soulevés par la comptabilisation et valorisation des immobilisations corporelles (2), et leur suivi à travers l’inventaire physique et l’inventaire comptable (3). Pour atteindre l’objectif d’image fidèle du patrimoine, les organisations publiques doivent surmonter le double défi posé par les frontières interservices et inter-organisations, et la relative instabilité des frontières organisationnelles (4).

1 De la convergence entre la comptabilité publique et privée

Afin d’explorer les problématiques liées à la mise en œuvre d’une comptabilité publique de plus en plus alignée sur le modèle de la comptabilité privée malgré les spécificités du secteur public (1.1), nous avons mené plusieurs recherches dans des organisations du secteur public local (1.2).

1.1 Repères contextuels et théoriques

Le secteur public présente des spécificités qui peuvent rendre problématique l’alignement de sa comptabilité sur celle du secteur privé.

1.1.1 Des spécificités du secteur public

Le secteur public présente par rapport au secteur privé des spécificités fortes (Santo et Verrier, 1993), même si la frontière public/privé est relativement floue. Les organisations publiques sont extraverties, leur rationalité de fonctionnement se situe à l’extérieur d’elles-mêmes, tandis que les organisations privées, introverties, trouvent en elles-mêmes leurs propres moyens (Chevallier, 1997). Les organisations publiques ont une mission d’intérêt général, avec des finalités externes définies et imposées par la loi. Elles sont donc traversées certes par une rationalité économique mais aussi, fondamentalement, par une rationalité politique à rattacher aux missions de souveraineté de l’Etat (Burlaud et Gibert, 1984). En particulier, les collectivités territoriales prennent en compte l’intérêt général et ne recherchent pas le profit, au contraire des entreprises, même si elles doivent comme elles gérer au mieux des ressources limitées (Kerviler, 2006).

Ces spécificités du secteur public plaident en faveur de règles comptables propres à ce secteur. Ainsi, selon Biondi (2008, p. 5), les finalités des organisations publiques, l’existence également de « catégories d’actifs et passifs, charges et produits, qui n’existent pas dans les entreprises », constituent autant d’arguments en faveur de règles particulières. Dans son White Paper de 2006, le Governmental Accounting Standards Board (GASB) développe en quoi il est essentiel de disposer, en matière d’information comptable et financière, de règles propres aux organisations publiques, du fait de la particularité de leurs objectifs, de la façon dont leurs ressources sont générées, de leurs parties prenantes, des obligations budgétaires et, enfin, de leur longévité. Les spécificités des immobilisations du secteur public ont été soulignées notamment par Mautz (1981, 1988), Pallot (1990) et, plus récemment par l’IPSAS Board dans la préface de son cadre conceptuel (2014).

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Certes, les comptabilités publique et privée présentent des points communs. La comptabilité publique, comme la comptabilité privée, est un instrument de contrôle et d’information financier. Les organisations publiques et privées ont des obligations communes, parmi lesquelles figurent le respect des principes généraux du droit comptable, l’établissement de comptes normés, la transparence financière, le respect de l’objet de la structure (Laurent, 2006). Cependant, il existe aussi des différences majeures. Mattret (2010) relève quatre éléments distinctifs dans les organisations publiques : l’exécution d’un budget, l’origine fiscale des ressources, l’absence de capital et un mode différent de désignation des dirigeants. Les objectifs de ces deux comptabilités divergent également : la comptabilité publique vise principalement le contrôle des opérations en termes de conformité, tandis que la comptabilité privée doit permettre aux actionnaires de vérifier la rentabilité de l’entreprise (Demeestère, 2007). La comptabilité publique vise plutôt le contrôle des opérations en termes de conformité et a longtemps été une comptabilité de caisse. Selon l’article 49 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, cette dernière « a pour objet la description et le contrôle des opérations ainsi que l’information des autorités de contrôle et de gestion. ». La comptabilité privée quant à elle se doit de présenter une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat, afin de garantir la qualité de l’information pour les diverses parties prenantes de l’entreprise (actionnaires, établissements financiers, etc.). Selon l’article 121-1 du Règlement N° 2014-03 du 5 juin 2014 relatif au plan comptable général, « la comptabilité est un système d’organisation de l’information financière permettant de saisir, classer, enregistrer des données de base chiffrées et présenter des états reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la date de clôture. ». Malgré ces différences importantes, la comptabilité publique tend à s’aligner sur la comptabilité privée, alignement qui fait l’objet de la sous-section suivante.

1.1.2 A l’alignement de la comptabilité publique sur la comptabilité privée.

L’alignement de la comptabilité publique sur la comptabilité privée est supposé contribuer à une meilleure performance, dans le prolongement des réformes du NPM déjà mises en place dans les organisations publiques dans les années 1980. Ainsi, ces réformes proposent à la fois un modèle conceptuel de la performance publique et un ensemble de préconisations de pratiques pour atteindre cette performance (Pollitt et Dan, 2011). Hood (1991) résume les composants doctrinaux du NPM en sept points, parmi lesquels la performance, ses standards, sa mesure, l’efficience occupent une place prépondérante.

Cet alignement soulève la question de la pertinence de l’application au secteur public de modes de gestion issus du privé, pertinence qui ne va pas de soi, même si cet alignement est perçu comme une évidence par les politiques (Dupuy et Naro, 2009), et fait consensus, comme le note Lande (1998) au sujet de la consolidation dans le secteur public. L’application de normes, auxquelles sont étroitement liées les idées de reproductibilité et d’homogénéité, à des organisations du secteur public « a-normées, voire anormales » (Dupuy et Naro, 2009, p. 14), peut paraître paradoxal et problématique. Plus généralement, cet alignement renvoie à la question de l’utilisation de représentations comptables identiques universelles pour des organisations dissemblables et donc à la question de l’objectivation de l’organisation (Dupuy, 1999) ainsi qu’à celle de ses frontières. Comme le souligne Laufer (2008), le NPM a pour effet de brouiller les frontières entre les organisations du secteur public et celles du secteur privé.

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Le Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts Comptables a créé, en 1988, un comité ‘secteur public’ dont l’une des vocations est d’« adapter les outils de gestion du secteur privé au secteur public afin d’aider les collectivités territoriales à accroître leurs performances économiques » (Kerviler, 2006, p. 35). Par exemple, la méconnaissance du patrimoine entraînait une gestion approximative de ce dernier. La Cour des comptes, dans son rapport public annuel pour l’année 2005, soulignait d’ailleurs ce problème pour la ville de Paris et indiquait que « les réformes comptables doivent être pour les ordonnateurs locaux l’occasion de procéder à un inventaire complet de leurs immobilisations ou de réviser l’inventaire existant et ce, en liaison avec le comptable public » (p. 718). Dans le cas des communes, l’instruction budgétaire M14 devrait faciliter une meilleure gestion du patrimoine et permettre de fournir les informations utiles à l’élaboration du budget de la commune. Connaître précisément l’actif, son état et son affectation, permet de savoir de quels moyens les organisations du secteur public local disposent. Cela permet en particulier de savoir sur quelles immobilisations corporelles les organisations du secteur public local peuvent s’appuyer, où ces immobilisations sont affectées, d’en connaître leur valeur, leur état, ainsi que d’en évaluer le coût d’entretien et de renouvellement. La Cour des comptes dans son rapport pour l’année 2009 souligne que la fiabilité de la comptabilité patrimoniale repose, en partie, sur un inventaire des immobilisations. Les organisations du secteur public local peuvent ainsi gérer au mieux ce patrimoine et mettre en place des politiques publiques en adéquation avec les moyens dont elles disposent, en utilisant ces moyens avec efficience et en améliorant la qualité de service. Cela implique que les organisations en question délimitent le parc de leurs immobilisations, c’est-à-dire explicitent les frontières de ce dernier.

La nomenclature utilisée en comptabilité publique « s’inspire du plan comptable général approuvé par arrêté du ministre des finances. » (Article 53 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique). Les cadres réglementaires ont été modulés en fonction de la diversité des organisations du secteur public local (Laurent, 2006). Ainsi, l’instruction budgétaire M523 réforme budgétairement et comptablement les Départements en 2004, la M614 s’applique aux Services Départementaux d’Incendie et de Secours, la M715 aux Régions. En 1994, les instructions budgétaires M11 et M12, qui décrivent les obligations comptables des communes, sont remplacées par l’instruction M146, laquelle prend en compte les notions de patrimoine, d’engagement ainsi que de résultat comptable. Même s’il était possible avant la M14 de comptabiliser les amortissements et engagements, peu de communes le faisaient (Bricard et Scheid, 2006). Avec la M14, les communes doivent notamment désormais comptabiliser les opérations dès leur engagement et non plus lors de leur décaissement.

Il est intéressant d’examiner, plusieurs années après, comment a été appliquée cette injonction législative et ce qu’elle a créé dans les organisations concernées. Tel est le cadre contextuel et théorique de cette recherche. La sous-section suivante expose notre démarche de recherche.

3 Arrêté du 16 décembre 2010 relatif à l'instruction budgétaire et comptable M52 des départements et de leurs établissements publics administratifs, paru au Journal Officiel n°0297 du 23 décembre 2010. 4 Inspirée du règlement n°99-03 du 19 avril 1999 du comité de la réglementation relatif à la réécriture du PCG, elle a été généralisée à l’ensemble des SDIS au 1er janvier 2004. 5 Arrêté du 16 décembre 2010 relatif à l'instruction budgétaire et comptable M. 71 des régions paru au Journal Officiel n°0297 du 23 décembre 2010. 6 Loi n°94-504 du 22 juin 1994 portant dispositions budgétaires et comptables relatives aux collectivités locales.

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1.2 Repères méthodologiques

Cette recherche s’appuie sur trois travaux de terrain, qui se sont déroulés sur trois années consécutives dans le cadre d’un programme de recherche portant sur le traitement et la gestion des immobilisations dans le secteur public local. Les étudiants qui ont mené les études, sous la direction de l’un des auteurs de l’article, sont issus du même Master 27, co-habilité pro et recherche. Ce travail constituait pour eux une initiation à la recherche et nous les avons pour cela accompagnés point par point, depuis la formulation de la question de recherche jusqu’à l’analyse des résultats, en passant par la phase de terrain.

Le premier travail de terrain consiste en une étude monographique du traitement comptable des immobilisations d’un Service Départemental d’Incendie et de Secours (SDIS 1). Cette étude a été menée in situ au sein du service financier du SDIS 1 par un observateur, tout au long d’une année d’immersion. Ce dernier était un observateur-participant ayant pour mission d’aider à transformer une partie du système comptable et financier du SDIS, démarche de recherche-intervention au sens de David (2001). Cette position privilégiée au sein d’une organisation lui a permis d’être en contact avec les acteurs en charge de la comptabilité, de se trouver lui-même au cœur du traitement comptable des immobilisations et lui a donné accès à la littérature ainsi qu’à la documentation professionnelle. Les entretiens et observations auxquels il a procédé ainsi que ses analyses ont été complétés par des entretiens non directifs réalisés par nos soins auprès de la responsable du service financier de ce SDIS et de l’adjointe de cette dernière. Les données recueillies concernaient le traitement comptable des immobilisations et notamment la réforme de l’inventaire comptable. Les résultats de cette observation ont conduit à une deuxième phase de terrain, étendue cette fois à d’autres organisations du secteur public local.

A partir des observations réalisées dans la première étude de cas, plutôt exploratoire, l’objectif était de voir si des invariants pouvaient être détectés dans d’autres organisations du secteur public local. La deuxième vague du programme de recherche consistait donc à déceler les pratiques, en matière de traitement des immobilisations, de collectivités territoriales de différentes tailles et de différents types : Conseil Régional, Conseil Général et commune. L’objectif final était de mettre en lumière les modalités de mise en œuvre de la transposition de la comptabilité privée à la comptabilité publique locale pour le traitement des immobilisations corporelles, les interrogations et difficultés éventuelles rencontrées, les effets induits.

Un guide d’entretien a été utilisé à cette fin ; il comporte des questions relatives à l’intérêt du traitement des immobilisations, à la procédure de valorisation du patrimoine, ainsi qu’aux aspects managériaux et relationnels de la procédure. Après avoir testé leur guide d’entretien auprès du SDIS 1 et d’une mairie, les enquêteurs ont mené des entretiens de type semi-directif dans 6 collectivités, auprès du responsable du traitement des immobilisations au sein du service financier de chacune de ces collectivités. Pour chaque entretien, le choix a été fait de laisser parler leur interlocuteur, pour ensuite relancer par des questions si nécessaire et ce jusqu’à épuisement du guide. Dans le Département 1 et dans les communes, un seul entretien par collectivité a été nécessaire, un unique responsable du traitement des immobilisations étant clairement identifiable. En revanche, dans le Département 2 comme dans la Région, les

7 Nous tenons à remercier les étudiants qui ont participé à ce programme de recherche : ANONYMAT

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interlocuteurs étant multiples, les enquêteurs ont procédé à respectivement deux et trois entretiens. Enfin, un dernier entretien a été réalisé auprès d’un représentant du Trésor Public, l’un des acteurs du traitement des immobilisations. Les entretiens ont été complétés par la lecture des documents et de la littérature professionnels fournis par les collectivités territoriales étudiées.

A l’issue de cette deuxième phase de la recherche, une troisième étude s’est avérée nécessaire pour d’une part confirmer les résultats des deux études précédentes et d’autre part pour aller plus avant dans l’état des lieux des pratiques de gestion du patrimoine dans les collectivités territoriales. Cette dernière étude se compose d’entretiens et du traitement de questionnaires réalisés grâce aux résultats des deux phases précédentes. Deux entretiens en profondeur ont été réalisés auprès d’organisations déjà rencontrées : le SDIS 1, deux ans après la première étude et l’un des Départements, un an après le premier entretien. Ils ont permis d’obtenir des résultats longitudinaux en suivant ces organisations, en observant comment elles avaient dépassé des difficultés, mais aussi quelles nouvelles questions se posaient à elles.

Le questionnaire auquel ont répondu les collectivités territoriales se compose de questions relatives à l’application de la réglementation, aux moyens humains et matériels mis en place par la collectivité territoriale en matière de traitement des immobilisations et à la stratégie utilisée par la collectivité pour la gestion des immobilisations. Tableau 1 : Démarche et organisations étudiées lors des trois études successives

Phase de la recherche Organisation Axe principal de la recherche Phase 1 Monographie exploratoire

Service Départemental d’Incendie et de Secours 1

Exploration dans une organisation du secteur public local de la mise en place en pratique d’une injonction législative relative au traitement des immobilisations corporelles. Investigations principalement axées sur l’inventaire comptable et physique.

Phase 2 Entretiens semi-directifs

Commune 1 (12.000 habitants) Extension de l’exploration à d’autres organisations du secteur public local et extension des interrogations relatives au traitement des immobilisations corporelles. Investigations principalement axées sur le traitement des immobilisations corporelles pendant toute leur durée de vie : de leur entrée à leur sortie du patrimoine.

Commune 2 (19.000 habitants) Commune 3 (17.750 habitants) Département 1 (850.000 habitants) Département 2 (650.000 habitants) Région 1 (2.500.000 habitants) Trésor Public 1

Phase 3 Entretiens semi-directifs et questionnaires

Service Départemental d’Incendie et de Secours 1

Extension de la recherche à d’autres organisations du secteur public local, retour sur deux organisations déjà interrogées, extension des interrogations à la gestion stratégique des immobilisations corporelles. Investigations principalement axées sur les stratégies de gestion du patrimoine corporel.

Service Départemental d’Incendie et de Secours 2 Service Départemental d’Incendie et de Secours 3 Commune 4 (135.000 habitants) Commune 5 (2.200.000 habitants) Commune 6 (30.000 habitants) Commune 7 (21.000 habitants) Commune 8 (19.000 habitants) Département 2 (650.000 habitants) Département 3 (730.000 habitants) Région 2 (401.800 habitants) Communauté d’Agglomération (281.000 habitants)

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Cette mise en perspective des spécificités des organisations publiques au regard de l’alignement de la comptabilité publique sur la comptabilité privée interpelle sur les modalités de mise en œuvre de la comptabilité publique. Pour répondre à cette problématique de la mise en œuvre, nous avons mené des recherches dans différentes organisations du secteur public local. Dans la prochaine partie, nous exposons les difficultés que rencontrent ces organisations pour se conformer aux règles de la comptabilité publiques.

2 De la difficile comptabilisation des immobilisations corporelles

L’analyse des règles de la comptabilité publique au regard de la comptabilité privée, ainsi que les études empiriques, montrent les adaptations faites pour tenir compte des spécificités des missions et des mécanismes de la TVA (2.1). Dans les organisations publiques, les multiples formes de démembrement de la propriété liées aux mises à disposition de biens (transferts de compétences, etc.) induisent des difficultés d’identification du patrimoine (2.2) et plus particulièrement des problèmes de valorisation des immobilisations (2.3).

2.1 Une définition des immobilisations adaptée pour le secteur public

Comme indiqué précédemment, la comptabilité publique locale s’inspire amplement de la comptabilité privée. Le Plan Comptable Général (PCG) définit une immobilisation corporelle comme « un actif physique détenu, soit pour être utilisé dans la production ou la fourniture de biens ou de services, soit pour être loué à des tiers, soit à des fins de gestion interne et dont l'entité attend qu’il soit utilisé au-delà de l’exercice en cours ». Les instructions M14 (Communes), M51 (Régions), M52 (Départements), M61 (Services Départementaux d'Incendie et de Secours - SDIS) donnent une définition des immobilisations corporelles très proche de celle du PCG. Cependant, il existe une différence fondamentale. En effet, si le PCG précise que l’élément (immobilisation) doit être porteur d’avantages économiques futurs pour l’entité, il ajoute pour le secteur public que les avantages économiques futurs peuvent être associés au potentiel de services attendus qui doit profiter à des tiers ou à l’entité conformément à sa mission ou à son objet (PCG 1999, art 211-2). Pour souligner les différences entre la comptabilité privée et la comptabilité publique, nous rappelons dans le tableau suivant les définitions d’une immobilisation pour les organisations privées (première colonne) et pour les organisations du secteur public local (seconde colonne). Ce tableau récapitule aussi les règles relatives à la distinction entre les immobilisations et les charges, ainsi que les incidences de la TVA. Dans cet article, l’ensemble des tableaux de synthèse, mettant en regard la comptabilité privée et la comptabilité publique locale, sont présentés de la même manière. Tableau 2 : Définition d’une immobilisation corporelle, distinction entre charge et immobilisation, incidences de la TVA

Comptabilité privée Comptabilité publique locale Définition d’une immobilisation corporelle

Une immobilisation corporelle est un actif physique détenu, soit pour être utilisé dans la production ou la fourniture de biens ou de services, soit pour être loué à des tiers, soit à des fins de gestion interne et dont

Les dépenses qui ont pour résultat l’entrée d’un bien destiné à rester durablement dans le patrimoine de la collectivité constituent des immobilisations. (Circulaire NOR/INT/B/02/00059C du 26 février 2002

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l'entité attend qu’il soit utilisé au-delà de l’exercice en cours. Art. 211-6 - Règlement ANC 2014-03 8 Une immobilisation corporelle, est comptabilisée à l’actif lorsque les conditions suivantes sont simultanément réunies : 1) il est probable que l’entité bénéficiera des avantages économiques futurs correspondants 2) son coût ou sa valeur peut être évalué avec une fiabilité suffisante. Art. 212-1 Règlement ANC n°2014-03

qui rappelle et précise les règles d’imputation des dépenses du secteur public local telles qu’elles ont été fixées par les instructions budgétaires et comptables M14, M51, M52, M61). Une immobilisation corporelle, est comptabilisée à l’actif lorsque les conditions suivantes sont simultanément réunies : 1) il est probable que l’entité bénéficiera du potentiel de services attendus pour les entités qui relèvent du secteur public, 2) son coût ou sa valeur peut être évalué avec une fiabilité suffisante. Art. 212-1 Règlement ANC n°2014-03

Distinctions entre immobilisation et charge Une immobilisation corporelle est un actif physique détenu, soit pour être utilisé dans la production ou la fourniture de biens ou de services, soit pour être loué à des tiers, soit à des fins de gestion interne et dont l'entité attend qu’il soit utilisé au-delà de l’exercice en cours. Article 211-6 Règlement ANC 2014-03 Les éléments d’actifs non significatifs peuvent ne pas être inscrits au bilan ; dans ce cas, ils sont comptabilisés en charges de l’exercice. Article 212-6 Règlement ANC n°2014-03 Si le bien est utilisé sur une période inférieure à 12 mois ou de valeur unitaire inférieure à 500 € HT, il peut être inscrit en charges (tolérance fiscale)

Les dépenses portant sur des biens déjà immobilisés ont le caractère de charges si elles ont pour effet de maintenir le bien dans un état normal d’utilisation jusqu’à la fin de leur durée d’utilisation. (Circulaire NOR/INT/B/02/00059C du 26 février 2002) Depuis le 1er janvier 2002, le seuil au-dessous duquel les biens meubles ne figurant pas dans la liste sont comptabilisés à la section de fonctionnement est fixé à 500 euros toutes taxes comprises (Arrêté NOR/INT/BO100692A du 26 octobre 2001)

Incidence de la TVA Pour les entreprises assujetties la TVA, comptabilisation pour leur valeur hors taxes. (Articles 271 et suivants du Code général des impôts)

Comptabilisation des immobilisations pour leur valeur toutes taxes comprises, sauf en cas d’assujettissement à la TVA Mécanisme du FCTVA : assure la compensation (à certaines conditions) à un taux forfaitaire de la TVA acquittée sur les dépenses d’investissement ; ne s’applique pas aux dépenses de fonctionnement. (Circulaire NOR INT/B/94/00257C du 23 septembre 1994). Le FCTVA est comptabilisé au compte 1022 « Fonds d’investissement »

Pour connaître le patrimoine d’une entité, qu’il s’agisse de l’Etat ou d’une organisation du secteur public local, il convient d’identifier le périmètre des droits et des obligations de celle-ci, d’évaluer les biens et de les comptabiliser selon la nomenclature des actifs et des passifs9. Cette définition du périmètre peut s’avérer difficile avec les modifications liées aux évolutions législatives, par exemple en cas de transfert de compétence, ou encore avec la constitution de regroupements (communauté de communes, etc.).

L’opérationnalisation de la distinction entre immobilisation et charges est délicate. La circulaire interministérielle relative aux critères d’imputation en section d’investissement10, 8 Depuis la publication du Règlement N° 2014-03 du 5 juin 2014 relatif au plan comptable général de l’Autorité des Normes Comptables (ANC), toute référence au règlement CRC n° 99-03 (abrogé) est remplacée par la référence au règlement ANC n° 2014-XX. 9 Cadre conceptuel de la comptabilité de l’Etat, Recueil des normes comptables de l’Etat, mars 2009. 10 Circulaire interministérielle NOR INT B0200059C datée du 26 février 2002 relative aux règles d’imputation des dépenses du secteur public local, qui expose les règles d’imputation comptable des dépenses du secteur public local et actualise la nomenclature des biens meubles qui figurait en annexe de la circulaire du 28 avril 1987 désormais abrogée.

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qui éclaire cette question, laisse une certaine latitude aux administrations pour l’imputation d’un bien en section d’investissement, c’est-à-dire pour placer la frontière entre charges et immobilisations. En particulier, cette imputation peut concerner des biens meubles non mentionnés, ou des biens d’un montant unitaire de moins de 500 € TTC dont la liste a fait l’objet d’une délibération cadre de l’assemblée délibérante. Ainsi, le Conseil d’Administration du SDIS 1 a dans un premier temps opté pour une affectation de l’habillement professionnel à la section d’investissement. Etaient donc comptabilisés dans cette dernière des casques d’intervention, des survêtements de sport et même des chaussettes ou des galons. Cependant, le responsable du Département Finances s’est dans un second temps demandé si l’habillement professionnel participait réellement à valoriser le patrimoine de l’organisation. Après étude, il a finalement été décidé de comptabiliser la majorité des habillements professionnels comme une charge, à l’exception des biens indispensables aux missions de sapeurs-pompiers, tels les casques, les bottes ou encore les gants. Il faut noter que les dispositions particulières du règlement ANC 2014-03 (Art. 212-7) prévoient la possibilité de conserver à l'actif pour une quantité et une valeur fixes les immobilisations corporelles qui sont constamment renouvelées et dont la valeur globale est d'importance secondaire, si leur quantité, leur valeur et leur composition ne varient pas sensiblement d'un exercice à l'autre. Cette disposition pourrait s’appliquer pour les biens indispensables aux missions de sapeurs-pompiers, dès lors que les effectifs sont relativement stables, et que la valeur globale est d’importance secondaire. Cependant, si l’application de cette disposition permet de simplifier les opérations d’inventaire, elle fait perdre l’avantage financier lié au mécanisme FCTVA. Elle complique en outre sensiblement l’inventaire physique de ces biens.

Les répondants ont souligné que le FCTVA constituait pour leurs organisations une incitation financière à enregistrer les investissements dans les postes d’immobilisations. En effet, ce fonds compense, sur la base d’un taux forfaitaire, la TVA acquittée sur les investissements par les collectivités territoriales, si cette TVA n’a pu être récupérée autrement. Les collectivités sont donc incitées, lors de la transmission au comptable public de leur liste des dépenses éligibles à ce Fonds, à n’oublier aucun investissement. Toutefois, la procédure, décrite dans la circulaire NOR INT/B/94/00257C du 23 septembre 1994, est longue et fastidieuse. Ainsi, les dépenses d’investissement d’une année donnée doivent être enregistrées dans le compte administratif de la collectivité, lequel doit être voté avant la fin du mois de juin de l’année d’après. Ces éléments sont ensuite transmis au représentant de l’Etat et font l’objet d’un contrôle. Les versements, attribués par arrêté, sont en général effectués au cours du premier trimestre de l’année civile qui suit et, au plus tard, le premier jour ouvrable de juin. Le remboursement de la TVA intervient donc au minimum plus d’un an après l’engagement de l’investissement, voire même plus de deux ans après, si cette dépense a eu lieu en début d’année civile. Ce décalage peut expliquer la règle d’enregistrement des immobilisations pour le montant TTC dans le secteur public local.

2.2 Une identification difficile du patrimoine

Une autre question délicate à laquelle sont confrontées les organisations du secteur public local concerne les opérations de démembrement du droit de propriété, lesquelles rendent difficile l’identification du propriétaire. En effet, les transferts de compétence, par la loi ou dans le cadre d’Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (ou EPCI), entraînent

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la mise à disposition des biens, afin que l’organisation désignée puisse exercer les compétences qui lui ont été transférées. Cette mise à disposition ne constitue pas un transfert de propriété, comprenant le droit d’aliéner, mais simplement la transmission des droits et obligations du propriétaire. Selon Laurent (2006), les notions de mise à disposition ou d’affectation de biens ont dans le secteur public des conséquences comptables sans équivalent dans le secteur privé11. En effet, les opérations de démembrement de la propriété peuvent intervenir sous différentes formes, notamment : la mise à disposition dans le cadre d’un transfert de compétence obligatoire ou volontaire, la mise en concession, l’affermage ou encore l’affectation de biens à des établissements dotés ou non de l’autonomie juridique. Ces opérations consistent à transférer à un tiers les droits et obligations rattachés au bien, à titre gratuit ou non, tout en conservant la propriété du bien.

Pour l’entité affectante, la mise à disposition à une entité dotée de l’autonomie juridique impose un reclassement des immobilisations en compte 24 « Immobilisations affectées, concédées, affermées ou mises à disposition ». En règle générale, cette mise à disposition s’accompagne du transfert des subventions et emprunts liés à l’entité affectataire. Selon les cas de figure, l’entité affectataire doit comptabiliser les immobilisations en compte 217 (transfert de compétence) ou 22 (concession ou affermage). Parallèlement, l’entité affectataire doit assumer la charge de la dette, la poursuite du plan d’amortissement des immobilisations (avec modification du plan en cas de règles incompatibles avec celles de l’entité bénéficiaire) et subventions liées. Enfin, si le transfert se fait à une entité non dotée de l’autonomie juridique (budget annexe, ou régie dotée de la seule autonomie financière), le transfert impose une sortie des immobilisations par le compte 18 (compte de liaison) pour l’entité affectante, et la comptabilisation des immobilisations (et le cas échéant : subventions et emprunts liés à l’immobilisation) par le compte 18 pour l’entité affectataire. Le tableau suivant récapitule la classification des immobilisations dans le cas d’une acquisition ou d’un apport, ainsi que la classification pour l’entité affectataire et la reclassification pour l’entité affectante dans le cadre d’un transfert de jouissance à une autre entité. Tableau 3 : Classification des immobilisations pour le secteur public local

Acquisition ou apport Apport en nature Comptes 21/28, 13/139, 16 par un crédit du 1021 (régie à personnalité morale) ou 193 pour les autres cas

Construction sur sol d’autrui Compte 214 Compte 2053 Droits à construire sur sol d’autrui

Acquisition (ou production) Comptes 21

Opérations de démembrement de la propriété Entité affectante : démembrement de la propriété

au profit d’établissements dotés de l’autonomie juridique (opération non budgétaire) Immobilisations affectées, concédées, affermées ou mises à disposition

Compte 24 par le crédit du compte 249 Droits du remettant Poursuite de l’amortissement par le groupement ou la collectivité bénéficiaire

Immobilisations concédées, affermées Compte 241

Immobilisations mises à disposition dans le cadre d’un transfert de compétence Compte 242 (dans l’attente du transfert de propriété correspondant : dans le cadre du transfert de

Immobilisations affectées Compte 243 pour les immobilisations affectées aux régies dotées de la personnalité morale Compte 248 pour les immobilisations mises en

11 En l’absence de position des organismes comptables compétents, le Lefebvre comptable 2010 § 1345 préconise pour le secteur privé l’inscription du bien acquis en nue-propriété dans le bilan du nu-propriétaire, et l’enregistrement de l’usufruit (droit réel sur le bien) en immobilisation incorporelle dans le bilan de l’usufruitier.

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compétences: SDIS (loi du 3 mai 1996), constructions scolaires et terrains de sport mis à disposition des Départements et Région

affectation aux ententes ou syndicats mixtes en dehors du cadre d’un transfert de compétences

Entité affectataire (doté de l’autonomie juridique) Cas général : Compte 22 par le crédit du compte 229 « Droits de l’affectant » 12

Immobilisations reçues au titre d’une mise à disposition dans le cadre d’un transfert de compétence (obligatoire ou volontaire) Compte 217

Transfert à un budget annexe ou régie dotée de la seule autonomie financière L’affectant constate la sortie des immobilisations, subventions et emprunts liés par le compte 181 L’affectataire constate l’entrée des immobilisations reçues en affectation dans les comptes 211, 216, 218

Ce tableau montre que la classification des immobilisations nécessite une forte maîtrise des opérations juridiques puis comptables. Pour pouvoir affecter ou réaffecter l’immobilisation dans le compte approprié, il faut s’interroger sur la qualité de l’affectataire (doté ou non de la personnalité morale), sur le type d’opération de démembrement de la propriété (concession et affermage, ou mise à disposition), ainsi que sur le caractère obligatoire ou non de cette opération (transfert de compétence imposé par la loi ou non). Il faut également prendre en compte l’ensemble des opérations liées au démembrement de la propriété, notamment la valeur des immobilisations (valeur brute, amortissements comptabilisés par l’entité affectante), les subventions (dont quote-part de subventions réintégrées par l’affectante) et emprunts liés aux immobilisations concernées. Les deux entités (affectante et affectataire) doivent donc disposer de l’ensemble des informations comptables, juridiques et financières pour comptabiliser ou réaffecter l’immobilisation. Par exemple, dans le cadre du transfert de compétences obligatoires dans le domaine de l’enseignement, les collèges sont mis à disposition des Départements dans l’attente d’un transfert de propriété ultérieur (obligatoire pour l’Etat, facultatif pour les collectivités territoriales : communes et intercommunalité). En théorie, chaque commune devait établir une convention de mise à disposition du foncier au Département pour les collèges. En l’absence de finalisation de certaines conventions, le Département se trouve de fait dans l’impossibilité de procéder à la totalité des enregistrements. Outre ces difficultés, l’enregistrement des mises à disposition peut fortement se complexifier suivant l’historique des opérations. Ainsi, l’un des Départements étudiés s’est rendu compte que le foncier pour certains collèges pouvait appartenir historiquement à la commune, avant d’être mis à disposition de la communauté de communes.

Autre difficulté, comment procéder lorsqu’un ensemble de biens étroitement liés les uns aux autres sont contrôlés par différentes organisations, chacune ayant sous son contrôle une partie du tout ? Ainsi, dans les cas étudiés figure l’exemple d’un site où coexistent un gymnase communal, un collège mis à disposition du Département par l’Etat, un bâtiment d’enseignement technologique construit par ce même Département sur un terrain communal et une cantine appartenant à la Région. Chacun de ces biens constitue une partie d’un tout cohérent dont il est difficilement dissociable. Dès lors, valoriser une partie seulement de cet

12 Compte 282 par le débit du 229 pour les amortissements précédemment comptabilisés, et s’il y a aussi transfert des emprunts et subventions attachés à l’immobilisation, enregistrement au crédit du 13 et 16 par le débit du 229. En d’autres termes, les droits du concédant correspondent à la valeur nette des immobilisations diminuées du montant des subventions non rapportées au résultat et des emprunts repris.

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ensemble constitue une tâche particulièrement ardue, rendant difficile l’enregistrement comptable.

Aux problèmes posés par ces questions de comptabilisation correspondent également des enjeux juridiques. En effet, les obligations et les responsabilités, par exemple en termes d’assurance, ne sont pas les mêmes selon que l’on est propriétaire, utilisateur ou locataire d’un bien. Cette question soulève plus globalement celle du périmètre des droits et obligations de l’organisation13, la délimitation de ses frontières par rapport aux autres organisations.

2.3 Une difficile valorisation des immobilisations

Après l’identification des immobilisations corporelles et opérations de démembrement de la propriété, les organisations du secteur public local doivent encore procéder à l’évaluation de ces immobilisations. A la date d’entrée des biens dans le patrimoine, les immobilisations corporelles sont comptabilisées selon la valeur d’apport, le prix d’acquisition, ou encore le coût réel de production du bien14. Le tableau ci-dessous synthétise les règles auxquelles elles doivent se conformer. Tableau 4 : Règle d’évaluation d’une immobilisation

Comptabilité privée Comptabilité publique locale Les immobilisations corporelles ou incorporelles et les stocks, répondant aux conditions de définition et de comptabilisation définies aux articles 211-1 et suivants et 212-1 et suivants, doivent être évalués initialement à leur coût. A leur date d'entrée dans le patrimoine de l'entité, la valeur des actifs est déterminée dans les conditions suivantes : • les actifs acquis à titre onéreux sont comptabilisés à leur coût d'acquisition ; • les actifs produits par l'entité sont comptabilisés à leur coût de production ; • les actifs acquis à titre gratuit sont comptabilisés à leur valeur vénale ; • les actifs acquis par voie d’échange sont comptabilisés à leur valeur vénale. Art. 213-1 Règlement ANC n°2014-03

Idem PCG mais avec des particularités pour les biens historiques et culturels (guide des opérations d’inventaire juin 2014) et les biens transférés ou mis à disposition. Ces biens transférés ou mis à disposition doivent être comptabilisés selon : • la valeur nette comptable chez l’organisation affectante lors de l’opération de démembrement, avec reprise de la valeur brute et des amortissements et dépréciations pratiqués • à défaut et de façon restrictive, la valeur estimée par France Domaine

Compte tenu que l’obligation d’enregistrer les immobilisations est récente pour les organisations publiques, le coût historique est souvent indéterminable. La valeur de marché peut alors servir de base pour déterminer une valeur d’entrée dans le patrimoine (Mattret, 2004). Pour les biens immobiliers spécifiques comme les monuments historiques, la collectivité territoriale pouvait retenir une valeur symbolique. Depuis la publication de l’avis du Conseil de Normalisation des Comptes Publics de 2012 (à effet non rétroactif), les biens historiques et culturels acquis à titre onéreux sont comptabilisés au coût d’acquisition; les biens reçus à titre gratuit (dons, dations ou legs) sont comptabilisés à la valeur dite « fiscale » 13 Des remaniements sont envisagés sur cette question des périmètres des différentes collectivités territoriales. 14 La comptabilisation dans les comptes d’immobilisation se fait par le crédit, suivant les cas : d’une subdivision d’un des comptes 1021, 1025 ou 13 pour les acquisitions par dons et legs, à titre gratuit ou à l’euro symbolique ; du compte 181 ou 229 pour les biens affectés (chez l’affectataire) ; du compte 1027 pour les biens reçus au titre d’une mise à disposition dans le cadre d’un transfert de compétences.

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ou à la valeur à dire d’expert. Enfin, lorsque ces biens sont d’ores et déjà contrôlés sans avoir été comptabilisés, ils sont comptabilisés à l’euro symbolique. Le Département 2 a initié une démarche active de traitement des immobilisations ; il a fait le choix de l’évaluation par le marché pour certaines immobilisations, notamment les œuvres d’art (comptes 216 selon la M 52), le terrain de golf dont il est propriétaire, et même le couvent avec chapelle. Pour estimer la valeur du couvent et de la chapelle, ce Département a cherché à déterminer les utilisations potentielles, les éventuels acquéreurs et les prix possibles.

Les biens transférés ou mis à disposition posent des difficultés plus importantes pour la valorisation. En principe, l’organisation qui met à disposition doit déterminer en amont la valeur du bien, notamment à partir de ses propres enregistrements comptables. La valeur doit figurer dans la délibération et le procès-verbal contradictoire de mise à disposition. Cependant, dans la Région 1, un exemple parmi d’autres, aucun procès-verbal de mise à disposition n’avait été émis cinq ans après la décision de transfert des lycées. En effet, si l’Etat avait transmis une description détaillée des bâtiments, celle-ci était insuffisante pour valoriser les immobilisations. La Région 1 avait donc fait appel au service du Domaine pour déterminer leur valeur à l’aide de cette fiche descriptive. Cinq ans après la décision de transfert, la Région 1 a envoyé au Domaine 14 premières fiches. En attendant la réponse de France domaine, la Région n’a pu faire figurer dans son bilan que la valeur des lycées qu’elle a construits, soit à peine 10% de l’ensemble des lycées qu’elle gère. Un tel décalage de plusieurs années entre la mise à disposition légale et l’enregistrement des biens en comptabilité interpelle sur la capacité des comptes annuels à refléter une image fidèle du patrimoine des collectivités territoriales.

Ces estimations difficiles sont loin d’être anecdotiques dans le secteur public local. Or, si les organisations de ce secteur souhaitent aboutir à une image fidèle, elles ne peuvent en faire l’économie. Les collectivités territoriales peuvent faire appel à France Domaine (antérieurement service du Domaine) lorsque l’Etat n’a pas pu, faute d’enregistrement comptable, donner la valeur des actifs corporels transférés dans le cadre de la décentralisation. Parmi ces actifs figurent ainsi les lycées, transférés aux Régions, les collèges, transférés aux Départements, les musées, ports et aéroports. Faute de transaction de référence, France Domaine peut éprouver des difficultés pour évaluer les biens, ce qui génère des risques de sous-évaluation ou de surévaluation. Cependant, le cas des transferts d’actifs liés à un transfert de compétences est plus problématique. En effet, selon le guide des opérations d’inventaire de juin 2014, l’enregistrement comptable doit être effectué à partir de la valeur figurant dans la délibération et le procès-verbal contradictoire de mise à disposition. A contrario, les autres transferts d’actifs (hors transferts de compétences) peuvent être enregistrés pour la valeur vénale si le bien n’était pas comptabilisé dans l’entité remettante. Il faut aussi noter que la comptabilisation de ces transferts d’actifs nécessite l’établissement du procès-verbal de mise à disposition, retraçant l’ensemble des biens mis à disposition, leur valeur historique ainsi que les amortissements éventuellement pratiqués par la collectivité propriétaire.

Finalement, en matière d’évaluation à l’entrée, plusieurs types de questions se dessinent, certaines liées à la nature même des immobilisations, d’autres liées aux opérations de mises à disposition. La distinction entre les charges et les immobilisations pose le problème de frontière temporelle (durée d’utilisation). Plus fondamentalement, la comptabilisation des biens mis à disposition d’une collectivité pose des problèmes de frontière organisationnelle.

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Comment comptabiliser dans la collectivité bénéficiaire si la collectivité propriétaire du bien tarde ou éprouve des difficultés pour collecter et transmettre les informations nécessaires : valeur historique et amortissements pratiqués. Lorsque ces problèmes de frontières organisationnelles conduisent à ne comptabiliser dans le patrimoine que 10% des lycées mis à disposition, ce sont les objectifs même de la comptabilité publique qui sont mis en défaut tant dans l’entité bénéficiaire que dans l’entité propriétaire. Les états comptables ne peuvent en aucun cas refléter une image fidèle du patrimoine.

3 Au problème de suivi des immobilisations

Afin de tenir compte des spécificités des organisations publiques, la responsabilité du suivi des immobilisations est partagée entre l’ordonnateur et le comptable public. Ce partage impose la mise en place d’un système d’information pertinent et le développement de relations de coopération entre les acteurs, qu’ils soient à l’intérieur ou l’extérieur de l’organisation (3.1). L’inventaire comptable, et notamment les obligations en matière de dotations aux amortissements, intègrent un certain nombre d’aménagements afin de tenir compte des spécificités des organisations publiques (3.2).

3.1 L’inventaire physique des immobilisations

Si, comme dans le secteur privé, les organisations publiques doivent assurer un suivi des immobilisations, les modalités d’organisation de l’inventaire physique diffèrent. En effet, dans les organisations publiques, la responsabilité du suivi est assumée de manière conjointe par l’ordonnateur et le comptable public. Nous récapitulons dans le tableau suivant les modes d’organisation de l’inventaire. Tableau 5 : Organisation de l’inventaire

Comptabilité privée Comptabilité publique locale Organisation de l’inventaire

Toute entité doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l’existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l’entreprise (Code de Commerce art. L 123-12, al 2)

La responsabilité du suivi des immobilisations incombe, de manière conjointe, à l'ordonnateur et au comptable public. Le premier est chargé plus spécifiquement du recensement des biens et de leur identification : il tient l'inventaire physique, registre justifiant la réalité physique des biens et l’inventaire comptable qui permet de connaître les immobilisations sur le plan financier. Le second assure une tenue de l’actif immobilisé, conforme à l’inventaire comptable de l’ordonnateur, et une tenue de la comptabilité générale patrimoniale. A ce titre, il tient l'état de l'actif ainsi que le fichier des immobilisations, documents comptables justifiant les soldes des comptes apparaissant à la balance et au bilan. L'inventaire et l'état de l'actif ont des finalités différentes mais doivent, en toute logique, correspondre. Ces dispositions concernent tant les immobilisations dont la collectivité est propriétaire que celles dont elle est affectataire ou bénéficiaire au titre d'une mise à disposition. (M14 et M61)

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En pratique, la mise en place du suivi passe par l’organisation de l’inventaire physique et comptable. Les questions relatives à la définition et à l’identification des immobilisations, ainsi que les choix faits lors de la comptabilisation à l’entrée, ont des conséquences au niveau du suivi de ces dernières. Chaque année, l’inventaire doit théoriquement être mis à jour par l’ordonnateur. Pour ce faire, le passage de l’inventaire réglementaire à l’inventaire physique est incontournable. En effet, l’inventaire règlementaire ne donne que peu, voire pas d’informations sur la qualité et l’état des constructions, sur leur conformité aux normes. L’inventaire physique permet de vérifier l’opérationnalité des biens, et de contrôler l’existence de ces derniers à l’endroit où ils sont censés être. En effet, la comptabilisation par nature et par fonctions (Services généraux, Enseignement, Culture, Action économique, etc.) impose de vérifier que les biens sont toujours utilisés pour la fonction concernée ; dans le cas contraire, il faut virer l’immobilisation dans la fonction concernée. Se pose alors la question du coût de cet inventaire physique, avec la multiplication des immobilisations de relativement faible valeur et difficiles à « tracer physiquement ».

Dans le SDIS 1, les difficultés pour réaliser l’inventaire physique ont incité à repenser la question des habillements professionnels (survêtements, etc.), considérés désormais comme une charge avec une dotation annuelle, à l’exception des biens indispensables aux missions de sapeurs-pompiers. Par cet arbitrage, le traitement comptable s’est trouvé allégé, en permettant par exemple d’éviter le suivi des chaussettes. Mais le choix effectué rend encore délicat le suivi et l’inventaire des nombreux éléments composant le petit matériel (casques, gants), d’autant plus que l’inventaire physique est principalement mené à bien par les opérationnels. Ces derniers sont susceptibles de considérer ce travail d’inventaire comme une perte de temps : typiquement, les pompiers rechignent à compter les tapis de sol de leurs camions. D’ailleurs, plusieurs répondants des organisations étudiées ont qualifié l’inventaire physique de travail fastidieux et coûteux, à tel point que ces organisations avouent avoir un retard important dans cette procédure.

Une autre catégorie d’immobilisations pose des difficultés : les travaux d’amélioration qui peuvent avoir des impacts importants sur la valeur de l’immobilisation. Par exemple, l’amélioration de la performance énergétique d’un bien, illustration qui nous a été donnée par un répondant, augmente la valeur de ce bien. Mais les répondants ont eu des difficultés pour rattacher le coût de tels travaux aux biens concernés. D’une part, il est en pratique fastidieux de rattacher à un bien tous les coûts des travaux qui l’ont amélioré. Ainsi, il est impossible pour les répondants de rattacher plusieurs mandats à un seul et même numéro d’inventaire. Or, pour chaque nouvelle facture, un nouveau mandat est créé, ainsi qu’un nouveau numéro d’inventaire. Les agents doivent alors faire les rattachements manuellement entre les numéros d’inventaire et le bien en question. D’autre part, se pose la question de la répartition du coût d’une amélioration entre les différents biens qu’elle concerne. Par exemple, pour l’installation d’un réseau de fibre optique, la Région 1 a renoncé à ventiler ces améliorations pour chaque bâtiment.

Outre le caractère fastidieux et coûteux, le suivi des immobilisations est de fait subordonné à la mise en place d’une organisation qui le rend possible, c’est-à-dire qui implique compréhension et coopération entre les différents acteurs et services concernés, mais aussi la mise en place des outils informatiques nécessaires. A ce titre, le guide des opérations d’inventaire de juin 2014 définit les modalités d’attribution du numéro d’inventaire et les

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objectifs et données devant figurer sur les fiches d’inventaire. Dans le SDIS 1, l’observateur participant a eu pour mission d’organiser l’inventaire des biens et notamment des immobilisations corporelles. Il a créé des tableaux de bord pour le suivi des opérations d’investissement, avec le recensement des données techniques, financières et humaines, afin d’avoir une approche globale de tout investissement. La mise en place d’un logiciel de gestion financière15 a permis de remplacer les livres d’inventaire (qui ont perduré jusqu’en 2006), et de créer des fiches pour les biens intégrés en section d’investissement. Les agents concernés se sont fortement mobilisés pour passer des livres d’inventaires et des tableaux sur Excel à l’enregistrement sur le logiciel choisi. Des erreurs ou omissions ont été détectées. L’équipe a d’ailleurs embauché plusieurs apprentis sur plusieurs années pour les aider à mettre en place le logiciel. Certaines organisations du secteur public local, le Département 2 par exemple, ont choisi d’utiliser des codes-barres pour repérer leur matériel depuis l’achat.

Le suivi des immobilisations devrait permettre une meilleure gestion de ces dernières et la mise en place de politiques en adéquation avec les moyens de l’organisation, avec comme nous l’avons signalé plus haut une efficience et une qualité de service accrues. Par exemple, suite à l’analyse de la dotation de chacun des collèges du Département 2 en matériel et mobilier, le Conseil Général de ce département a retravaillé la répartition du parc informatique des collèges pour plus d’équité. Autre exemple, dans le SDIS 1, les techniciens proposent dorénavant à leurs élus une programmation des investissements avec la possibilité de prioriser ces derniers, de telle sorte que les sapeurs-pompiers puissent disposer de matériels récents et opérants, ainsi que de locaux adaptés, conditions déterminantes pour un service de qualité. La préparation budgétaire n’est en effet plus limitée à la présentation des recettes et des dépenses ; elle tient désormais compte des dotations aux amortissements et des choix à faire en termes d’investissements. La dimension du long terme est donc intégrée, dépassant ainsi une approche d’exercice unique : l’on passe ici d’une approche budgétaire à une approche patrimoniale liant les exercices les uns aux autres. Les acteurs intègrent les questions de frontière temporelle, entre le court, moyen et long terme en ce qui concerne la gestion des immobilisations. Cependant, cette intégration de la dimension temporelle est de facto limitée par les problèmes de frontière inter-organisationnelle en ce qui concerne les biens mis à disposition. Pour ces biens, les collectivités territoriales ne disposent pas d’informations suffisantes, ce qui restreint les possibilités de programmations des investissements.

3.2 L’inventaire comptable des immobilisations

Au-delà de ces aspects organisationnels, se pose la question de l’évaluation des immobilisations à l’arrêté des comptes. Dans la M14 comme dans la M52 notamment, il est préconisé que les immobilisations susceptibles de se déprécier soient « assorties de correction de valeur qui prennent la forme d’amortissements et de provisions pour dépréciation ». Cependant, l’amortissement des immobilisations posant la question des conséquences sur l’équilibre budgétaire par section, les instructions stipulent divers aménagements. Les

15 Module Patrimoine du logiciel Civitas.

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provisions pour dépréciation16 étant traitées de façon similaire en comptabilité privée et comptabilité publique, nous ne traitons dans le tableau suivant que les dotations aux amortissements.

Tableau 6 : Dotations aux amortissements

Comptabilité privée Comptabilité publique locale Dotations aux amortissements

Comptabilisation d’une dotation aux amortissements pour chaque actif amortissable. « A la clôture de l’exercice, une dotation aux amortissements est comptabilisée conformément au plan d'amortissement pour chaque actif amortissable même en cas d’absence ou d’insuffisance de bénéfice ». (Article 214-10 Règlement ANC 2014-03) ⇨ intérêt fiscal de l’amortissement : charge déductible du revenu imposable

Les particularités des instructions par rapport à la comptabilité privée : M14 : l’amortissement obligatoire pour les communes de plus de 3 500 habitants (et ses établissements publics) porte sur : – les biens meubles autres que les collections et œuvres d’art ; – les biens immeubles productifs de revenus, y compris ceux loués, ou mis à disposition d’un tiers privé contre paiement d’un droit d’usage, et non affectés directement ou indirectement à l’usage du public ou à un service public administratif ; – les immobilisations incorporelles autres que les frais d’études et d’insertion suivies de réalisation. Les autres communes ou groupements (-3 500 habitants) pourront pratiquer les amortissements de manière facultative. Ils doivent cependant, quelle que soit leur taille, procéder à l’amortissement des subventions d’équipement versées. M52 et M71 : amortissement obligatoire pour toutes les immobilisations corporelles et incorporelles sauf œuvres d’art, terrains et voirie. Neutralisation possible sous certaines conditions dans la M52 et M71, mais pas pour les M14 et M61.

L’obligation de comptabilisation des amortissements subit plusieurs restrictions selon le caractère récent de l’immobilisation, la nature de l’immobilisation ou encore les impacts sur l’équilibre budgétaire. En premier lieu, l’obligation de constater les dotations aux amortissements est récente, comme le souligne Baranger (2010). Les Communes ne sont obligées d’amortir que les biens acquis à compter du 1er janvier 1996, les Départements et les SDIS, les biens acquis depuis le 1er janvier 2004, les Régions les biens acquis à partir du 1er janvier 2005. En second lieu, il faut préciser que, comme dans le PCG, certaines immobilisations sont par nature non amortissables, par exemple : les terrains, les œuvres d’art et voiries. Enfin, le champ d’application des amortissements est volontairement réduit pour des considérations d’équilibre budgétaire (Lande, 2002). En effet, si le budget primitif par section était déséquilibré du fait des amortissements, la collectivité devrait normalement procéder à des augmentations d’impôts. Les instructions M14, M52 et M71 prévoient expressément la possibilité de ne pas comptabiliser d’amortissement pour certaines immobilisations corporelles, tels les bâtiments administratifs ne produisant pas de revenu, (cas des communes de plus de 3 500 habitants), ou de neutraliser l’amortissement par une écriture

16 Les provisions pour dépréciation procèdent de la constatation d’un amoindrissement de la valeur d’un élément de l’actif immobilisé résultant de causes dont les effets ne sont pas nécessaires irréversibles (Guide des opérations d’inventaire juin 2014 : p 39)

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comptable (cas des Départements et des Régions pour les bâtiments publics scolaires et administratifs).

Si l’immobilisation doit faire l’objet d’un amortissement, se pose alors la question de la durée de vie du bien pour établir le plan d’amortissement. La durée de l’amortissement doit correspondre à la durée de vie du bien, ce qui pose problème pour les immobilisations dont la durée de vie est très longue voire indéterminée. Les nomenclatures prévoient des fourchettes de durée d’amortissement pour les catégories de biens, à charge pour la collectivité territoriale de fixer la durée par délibération. Ces différentes possibilités laissent des marges de manœuvre aux collectivités concernées pour délibérer et construire les représentations comptables. Les délibérations prises ne sont pas toujours cohérentes avec la durée réelle des biens. Par exemple, dans la Région 1, le matériel de bureau (comme les calculatrices, lampes, dictaphones etc.) est amorti sur 10 ans, ce qui ne correspond guère à la durée de vie du bien ou à son renouvellement, selon les répondants.

Malgré ces multiples restrictions et problèmes de marge de manœuvre, les répondants ont souligné les avantages liés au calcul de l’amortissement, notamment la possibilité d’anticiper et donc de planifier les événements. En effet, la fin de l’amortissement correspond théoriquement à la nécessité de renouveler le bien. Contrairement à la Région qui amortit sur dix ans du petit matériel de bureau, certaines organisations du secteur public local font le choix de préciser via une assemblée délibérante que, par exemple, les biens d’une valeur inférieure à tel montant seront amortis sur une année. Ces montants et durées sont proposés par le gestionnaire du patrimoine. Autre exemple, dans le SDIS 1, l’observateur a décelé des différences dans les durées d’amortissement pour des biens semblables. La refonte de l’inventaire fut l’occasion de s’intéresser à ce problème. Des groupes de travail ont été constitués pour vérifier la cohérence entre les plans d’amortissement et les durées de vie effectives des biens.

Au final, l’ensemble des questions inhérentes à la mise en œuvre de la transposition de la comptabilité privée à la comptabilité publique peut être résumé dans le tableau ci-dessous. Certaines de ces difficultés sont propres au service public local, par exemple les notions de mise à disposition et d’affectation de biens. Mais la plupart d’entre elles, révélées par l’étude spécifique du traitement des immobilisations corporelles dans le service public local, sont inhérentes à toutes les organisations Tableau 7 : Mise en œuvre d’une comptabilité patrimoniale et problèmes de frontières

Etape de la mise en œuvre Questions posées Entrée en comptabilité : identification des immobilisations à retenir

Question de la définition d’une immobilisation : notamment, arbitrage entre l’inscription en charge et l’inscription en immobilisation, lequel a une incidence en matière de TVA Question de l’identification du propriétaire ou de celui qui contrôle les biens, notamment, question des mises à disposition et des biens contrôlés par plusieurs organisations Question de la valorisation d’une partie d’un tout cohérent

Entrée en comptabilité : évaluation à l’entrée

Question de l’évaluation des biens immobiliers spécifiques Question des biens transférés ou mis à disposition

Suivi des immobilisations : aspects organisationnels

Mise en place d’un SI adapté ? Supports informatiques adéquats Compréhension, coopération et implication des acteurs

Suivi des immobilisations : évaluation des immobilisations

Question de la durée d’amortissement Question du suivi des travaux ayant augmenté la valeur du bien

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4 Comptabilité publique : une question de frontières organisationnelles ?

Pour les collectivités territoriales, les frontières organisationnelles sont relativement instables en raison des multiples opérations de démembrement de la propriété liées notamment aux transferts de compétences. Cette relative instabilité des frontières constitue un obstacle pour atteindre l’objectif d’image fidèle du patrimoine (4.1). La recherche montre que la comptabilité publique contribue à redessiner les frontières intra-organisationnelles ou frontières entre les services (4.2). Enfin, la comptabilité publique redéfinit les responsabilités respectives de l’ordonnateur et du comptable public, ce qui conduit en règle générale à développer de nouvelles formes de coopération inter-organisationnelle (4.2).

4.1 Les frontières organisationnelles : un défi pour l’image fidèle du patrimoine ?

L’un des objectifs des réformes comptables est d’avoir une meilleure connaissance et une plus juste représentation du patrimoine, ce que traduit le principe d’image fidèle. Les nouvelles dispositions, notamment la comptabilité d’engagement, devraient en effet conduire à des états financiers offrant une vision plus complète de la situation patrimoniale que celle fondée exclusivement sur les encaissements et les décaissements. Disposer d’une vue actuelle et exhaustive du patrimoine et notamment des immobilisations corporelles en tant qu’éléments de l’actif devrait permettre d’aboutir à une meilleure connaissance (en interne) et à une meilleure représentation (interne et externe) du patrimoine, en d’autres termes à une image « plus fidèle » du patrimoine et de la situation financière, et donc à une meilleure connaissance et à une meilleure affirmation de l’identité de l’organisation. Cette connaissance plus fine du patrimoine a pour objectif d’améliorer la programmation des investissements. Cependant, l’application de ces nouvelles dispositions soulève des questions nouvelles : les questions de délimitation entre les immobilisations et les charges, et surtout les questions d’intégration dans la comptabilité des opérations de mise à disposition (d’entrée pour le bénéficiaire et de réaffectation des immobilisations pour le propriétaire).

Dès l’entrée en comptabilité des immobilisations, se posent les questions de l’identification des immobilisations à retenir et ainsi que de leur valorisation. Par exemple, la difficulté d’opérationnaliser la définition des immobilisations est bien visible dans les organisations étudiées, et notamment la nature de certains biens illustre clairement le caractère flou de la frontière entre immobilisations et charges, comme le montre par exemple le cas de l’habillement professionnel des pompiers du SDIS 1. Identifier les immobilisations à retenir pose les questions, éminemment identitaires, de la délimitation du patrimoine.

Cette question est encore plus cruciale pour les biens transférés ou mis à disposition, ce qui pose explicitement la question des frontières de l’organisation tant pour l’entité bénéficiaire que pour l’entité affectataire. Les réponses apportées à ces différentes questions influencent directement et de façon significative la définition du patrimoine de l’organisation et la représentation de ce dernier. Au regard de ces questions, les questions de durée d’amortissement semblent plus mineures, même si elles ne sont pas sans conséquence sur les représentations comptables. En théorie, l’image fidèle est une image construite sur la base des représentations des acteurs. Cette image fidèle est issue de décisions prises en matière de choix comptables, qui elles-mêmes résultent de négociations en interne mais passent également par l’intervention de partenaires extérieurs. Elles sont fondées sur l’interaction de

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représentations au sens de Weick (1979). Dans les faits, dans les collectivités territoriales, l’image fidèle est difficile à construire vu l’impossibilité d’enregistrer les biens mis à disposition en l’absence de procès-verbal émis par la collectivité propriétaire, précisant la valeur historique des biens transférés ainsi que les amortissements pratiqués

Il s’agit ici d’un véritable bouleversement pour les organisations du secteur public local, qui doivent dorénavant prendre et apprendre à prendre en compte dans les représentations de leur patrimoine des éléments qui ne l’étaient pas, ce qui, d’une certaine façon, impacte leur identité. En substance, la recherche montre ici que pour l’ensemble des organisations étudiées, la définition des éléments à retenir comme l’évaluation de ces éléments sont des images construites par tâtonnements et relevant de négociations. Cependant, ces images construites sont très éloignées de la réalité faute de pouvoir obtenir les informations utiles des collectivités propriétaires, et donc intégrer en comptabilité les valeurs des biens transférés ou mis à disposition. Ces dernières sont d’ailleurs probablement peu disposées à officialiser dans les comptes la réduction de leurs frontières.

4.2 Une comptabilité publique au défi des frontières interservices

La recherche a aussi mis en évidence la nécessité d’une coopération accrue entre les différents acteurs et services concernés par l’inventaire. La coopération intra-organisationnelle implique des relations accrues non seulement entre les services de la collectivité mais également avec les élus et le comptable public. De nouveaux circuits d’information sont créés, réorganisant les périmètres de pouvoir des différents acteurs.

Les nouvelles tâches de suivi nécessitent de mettre en place un système d’information avec des supports informatiques adéquats. La compréhension et la coopération entre les acteurs concernés, internes et externes à l’organisation, sont elles aussi essentielles, de même que l’implication de tous, pour la qualité du suivi. Ces nouvelles tâches sont susceptibles de bouleverser les équilibres de pouvoir. Ces résultats rejoignent ceux de Berland et Dreveton (2006) qui montrent, à partir de deux études de cas, que les systèmes de contrôle ont reconfiguré les réseaux de pouvoir dans les organisations, changé les pouvoirs des parties prenantes et amené les membres de l’organisation à repenser leur activité. Enfin, ces nouvelles tâches peuvent aussi permettre de révéler des insuffisances ou des absences de coopérations.

Au-delà de la mise en place de moyens adéquats, la coopération entre les membres des différents services -services opérationnel, du marché public et financier- susceptibles d’intervenir dans la circulation de l’information relative au bien, et l’implication de ces membres, s’avèrent en effet cruciales. L’implication très relative des opérationnels a été relevée comme un problème par les gestionnaires des immobilisations. Le peu d’appétence de certains opérationnels pour les tâches d’inventaire physique ou de réception des marchandises, parfois vues comme purement rébarbatives (certains utilisent le terme de « corvée ») si leur finalité n’a pas été expliquée, conduit à des erreurs d’enregistrement. La transmission des informations des agents techniques aux gestionnaires des immobilisations est elle aussi source de problèmes. Ainsi, en cas de mise au rebut ou de destruction du bien, il est courant que le service financier n’en soit pas informé par les services opérationnels, même quand des procès-verbaux de destruction sont censés être dressés/remplis. De même, la réception des travaux n’est pas toujours communiquée par les opérationnels au service

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financier. La teneur même des informations transmises peut constituer une source de problèmes. Les chargés de la gestion des immobilisations soulignent qu’il est difficile de comprendre les libellés de mandats rédigés par certains opérationnels, jugés trop vagues pour permettre d’identifier si le bien constitue une immobilisation ou encore s’il doit être rattaché à un autre bien. Le SDIS 1 et une commune ont d’ailleurs fait le choix d’un interlocuteur unique pour écrire l’ensemble des libellés ; les personnes chargées de la gestion des immobilisations en voient leur tâche facilitée. Cependant cette solution est difficilement praticable dans les très grandes organisations du secteur public local. Pour les agents chargés du traitement des immobilisations rencontrés, le travail transversal, intra-organisationnel, est incontournable. Les défauts éventuels de coopérations intra-organisationnelles sont ici révélés par la mise en place du traitement des immobilisations. En outre, l’on peut remarquer que les équilibres de pouvoir s’en trouvent changés : des services qui jusque-là n’avaient que peu de contacts avec les services financiers doivent maintenant compter et rendre des comptes. Pour créer du sens, les représentations comptables doivent être liées à ce que l’organisation produit et aux jeux de pouvoir qui s’y développent. Comme le souligne Dupuy (1999), le sens et la cohérence de ces représentations tiennent à l’existence d’une structure organisationnelle délimitée et décomposée en zones cohérentes. Ici les zones de compétences sont redéfinies et recomposées en zones qui peinent à trouver leur cohérence.

4.3 Une comptabilité publique au défi des frontières inter-organisationnelles

La coopération entre agents n’est pas uniquement intra-organisationnelle. En effet, la responsabilité du suivi des immobilisations incombe ici à la fois à un agent de l’organisation concernée -l’ordonnateur pour les collectivités territoriales- et au comptable, agent des impôts, qui tient la comptabilité officielle de la collectivité. L’ordonnateur recense et identifie les biens, en suit l’évolution physique et la traduit budgétairement, le comptable les enregistre et les suit à l’actif du bilan, tenant ainsi l’état de l’actif et le fichier des immobilisations. Le travail du comptable public s’est lui aussi retrouvé bouleversé par les réformes. Auparavant, l’état de l’actif qu’il tenait pouvait être inexistant voire lacunaire, ce qui arrivait fréquemment ainsi que les répondants l’ont relevé. En fin d’exercice, un rapprochement est effectué entre les documents comptables des deux acteurs. Peuvent alors apparaître des écarts dont il faut trouver la source afin de les corriger, ce qui peut nécessiter une vérification de la réalité de la propriété, au besoin en procédant à une vérification sur place. Et les anomalies sont loin d’être anecdotiques. Par exemple, pour l’exercice 2007 au SDIS 1, 16 biens, pour une valeur de plus de 400 000 euros, étaient concernés. Après enquête pour recherche d’anomalie, se sont révélés un manque de pièces justificatives, des erreurs de marché, de mauvaises imputations ou saisies de montant. Ces biens ont finalement été soustraits du listing du service finances du SDIS 1. En cas de désaccord persistant, l’état de l’actif du comptable public est celui qui primera. La difficulté soulignée ici est que les comptables ne sont pas obligatoirement tenus informés des engagements avant paiement. Lande (2002) relève elle aussi les limites liées à cette organisation bicéphale et notamment la difficulté qu’il y a à garantir la fiabilité des informations comptables communiquées. Le comptable public ne peut en effet comptabiliser et suivre les informations transmises par l’agent de la collectivité car il n’en a pas formellement le pouvoir. Des relations cordiales entre ce dernier et le comptable public sont d’ailleurs soulignées comme étant fondamentales par les répondants. Nous avons rencontré, lors de nos étude, un cas, celui du SDIS 2, qui décrivait ses relations avec la Trésorerie

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comme très difficiles, ce qui occasionnait des retards dans le traitement des rapprochements comptables, la Trésorerie ne transmettant pas au SDIS 2 l’état d’actif comptable.

Enfin, parmi les difficultés soulevées par les gestionnaires des immobilisations rencontrés, figure le manque d’implication de certains élus, lesquels ne considèrent pas toujours la valorisation du patrimoine comme stratégique. En effet, le traitement des immobilisations n’entraîne pas de gain immédiat ni d’impact direct apparent sur la population. La procédure de traitement des immobilisations est, selon les agents interrogés, longue à mettre en œuvre et nécessite des moyens conséquents. Par exemple la correction des erreurs par rapport au compte de gestion du comptable du Trésor Public peut nécessiter plusieurs allers-retours, des vérifications et investigations. Des organisations du secteur public local font le choix d’embaucher un gestionnaire des immobilisations, c’est le cas de celles qui ont été étudiées, et se dotent d’outils informatiques pour procéder au traitement des immobilisations. Cependant d’autres organisations ne font pas ce choix, si elles connaissent par exemple des difficultés financières, et peuvent préférer prendre des mesures plus visibles, en faveur des citoyens. Dans nombre de collectivités, les politiques préfèrent satisfaire les besoins jugés prioritaires de la collectivité (citoyens et usagers) plutôt que d’allouer des fonds pour la gestion interne de la collectivité locale.

Finalement, compréhension et coopération sont nécessaires entre les acteurs concernés, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’organisation. Les nouveaux enjeux impliqués par les réformes comptables ont reconfiguré les pouvoirs au sein de ces organisations, faisant des services financiers des acteurs centraux des circuits d’information à l’intérieur et l’extérieur de l’organisation.

CONCLUSION

Dans le contexte général de l’alignement comptable du secteur public sur le secteur privé, nous avons plus particulièrement étudié le traitement des immobilisations corporelles dans le secteur public local français. Cette recherche s’appuie sur trois études successives, travaux de terrain qui avaient pour objet d’étudier la mise en œuvre de cet alignement. Elle a permis de mettre en exergue une problématique transversale à toute organisation : celle des frontières. Cette problématique se déploie tout d’abord au niveau des pratiques de comptabilisation et donc de prise en compte de l’immobilisation corporelle. Elle se pose également en termes de suivi de cette immobilisation. L’incidence d’un changement comptable a des incidences pratiques et théoriques importantes, que l’on retrouve dans l’ensemble des organisations interrogées et, ce, malgré la diversité des cas explorés et des applications techniques différentes. Est ainsi posée, à chaque fois, la question de ce qu’est une immobilisation, de son identité, de la valeur à lui attribuer. D’un point de vue méthodologique, cette recherche rappelle l’intérêt de se pencher sur les organisations publiques pour le chercheur. Dans ces organisations en effet, les changements comptables entraînent, via la comptabilisation d’immobilisations jusque-là non enregistrées en comptabilité, des bouleversements sans équivalent dans le secteur privé. D’un point de vue pratique, le travail de terrain nous a permis de mettre en exergue et d’illustrer certains des effets de l’alignement comptable, des questions inhérentes tant à la première comptabilisation des immobilisations corporelles qu’à leur suivi lors des différents inventaires. Tout d’abord, la difficile définition des immobilisations corporelles soulève le

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problème du positionnement de la frontière entre charges et immobilisations ; les opérations de démembrement du droit de propriété modifient les frontières organisationnelles, et complexifient la classification et la valorisation des immobilisations. En raison des multiples opérations de démembrement, il est difficile d’obtenir une image fidèle du patrimoine. Le suivi des immobilisations corporelles implique quant à lui des coopérations entre les acteurs. Plus généralement, l’ensemble de la mise en œuvre du traitement des immobilisations corporelles repose sur des coopérations intra et inter-organisationnelles transcendant les frontières susceptibles d’exister entre les acteurs. Une étude quantitative permettrait de confirmer ou d’enrichir les résultats pour le secteur public local. Nous avons pu également souligner que l’élaboration des représentations comptables s’appuie dans ces organisations sur un processus de construction par l’ensemble des acteurs. Nous souhaitons à présent plonger au cœur de ce processus de construction, pour étudier plus en détails ses modalités, voir quelles formes il prend suivant les organisations et si, au-delà de la diversité des organisations concernées, se dégage « une logique de création d’une méthode propre au secteur public local » (Lande et Rocher, 2008, p. 4).

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