chronique de jurisprudence

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JURISPRUDENCE CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE oeUVRES PROTEGEES 1) Interfaces d'ordinateur Une décision de la Cour de District (juridiction de premier degré) du Massachusetts de 1990 (Lotus Development Corp. c/ Paperback Software International) a tranché un litige relatifà la protégeabilité des interfaces d'ordinateur ("userinterface") (1). Les défendeurs (Paperback) ont produit un logiciel (VP planning) reproduisant l'interface du produit de son concurrent, le Lotus 1.2.3. Le très long jugement se prononce sur deux questions : a) L'interface est une "oeuvre" par nature protégeable, sous réserve d'originalité ; b) l'interface reproduit satisfait à la condition d'originalité. a) Les défendeurs contestaient la protégeabilité par nature de l'interface, au motifque laprotection par le droitd'auteur ne s'applique qu'aux éléments "littéraires" (1)"Expertises" nov. 1990 a publié un extrait du jugement avec un commentaire de Françoise Gilbert, Gordon et Glickson. 151

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Page 1: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

JURISPRUDENCE

C H R O N I Q U E D E J U R I S P R U D E N C E

oeUVRES PROTEGEES

1) Interfaces d'ordinateur

Une décision de la Cour de District (juridiction de premier degré) du

Massachusetts de 1990 (Lotus Development Corp. c/ Paperback Software

International) a tranché un litige relatif à la protégeabilité des interfaces d'ordinateur

("user interface") (1).

Les défendeurs (Paperback) ont produit un logiciel (VP planning) reproduisant

l'interface du produit de son concurrent, le Lotus 1.2.3.

Le très long jugement se prononce sur deux questions : a) L'interface est une

"oeuvre" par nature protégeable, sous réserve d'originalité ; b) l'interface reproduit

satisfait à la condition d'originalité.

a) Les défendeurs contestaient la protégeabilité par nature de l'interface, au

motif que la protection par le droit d'auteur ne s'applique qu'aux éléments "littéraires"

(1 ) "Expertises" nov. 1990 a publié un extrait du jugement avec un commentaire

de Françoise Gilbert, Gordon et Glickson.

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Page 2: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

des logiciels. Or, l'interface est une structure de commande permettant

l'interopérabilité avec un autre ordinateur ("command structure" regroupant dans une

certaine configuration non seulement ces textes mais des éléments matériels tels

que écrans, curseurs, claviers, touches).

L'argument des défendeurs n'était pas sans force. La loi américaine applique la

protection du droit d'auteur aux logiciels en tant qu'ils constituent des instructions,

donc des textes. D'une manière plus générale, le courant de pensée qui a conduit à

protéger le logiciel par le droit d'auteur dans un grand nombre de pays industrialisés

s'appuie sur ce que, au moins pour le code objet, les programmes sont des textes de

forme littéraire et que ni le fait que ces instructions sont destinées à une machine et

non à l'homme, ni celui que ces instructions ont pour objet de produire un certain

résultat, ne doivent faire obstacle à la protection due à tout texte de forme littéraire

originale. Il en résulte que cette protection ne devrait pas être étendue à des éléments matériels.

Pour écarter ces arguments, le juge a transposé le droit relatif aux compilations

permettant de protéger les éléments non littéraires des oeuvres classiques et qui

sont le classement, la composition, l'arrangement ou l'organisation en un tout

d'éléments qui, en eux-mêmes, peuvent ne pas être protégeables, à condition que

cette organisation ne soit ni une simple idée ni un classement dépourvu d'originalité.

Cette théorie, estime le juge, est transposable aux structures de commande d'un ordinateur.

b) Au cas particulier, l'interface était plus qu'une idée car elle se matérialisait

en une expression, et l'originalité se déduit du seul fait qu'une structure de ce type

est exprimable "en un grand, sinon illimité, nombre de manières". Choisir une de ces

manières possibles est faire preuve d'originalité emportant droit à protection.

A l'aune de la pluralité des modalités d'expression, cet interface serait donc

plus original que le célèbre fragment du "Bourgeois Gentilhomme" dans lequel le

maître en littérature enseigne à M. Jourdain que la phrase "Belle marquise, vos

beaux yeux me font mourir d'amour" est exprimable de plusieurs façons ("D'amour

vos beaux yeux ... etc.). Cette pluralité n'est pas infinie et trouve sa limite dans le

nombre des formulations possibles des mots compatibles avec le sens. Autrement

dit, le critère de la pluralité des moyens d'expression ne traduit qu'un niveau

appauvri du concept classique (en France) de l'originalité conçu comme l'empreinte dans l'oeuvre de la personnalité de l'auteur.

Il est vrai que s'agissant de l'originalité d'un logiciel, le choix entre une pluralité

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Page 3: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

d'approches constitue l'appréciation la moins imparfaite de l'empreinte personnelle

du "créateur". Si on ajoute que, dans la jurisprudence américaine, et contrairement à

la jurisprudence française (1), la quantité de travail intellectuel est regardée comme un critère pertinent de protégeabilité (elle est refusée si ce travail est "insuffisant",

rapport final du CONTU, commission parlementaire spécialisée), la solution retenue

par le juge américain ne paraît pas atypique. Le jugement n'ayant pas été frappé

d'appel, on peut dire que dans l'état actuel de la jurisprudence, la protégeabilité des

interfaces est admise, sous condition d'originalité.

Le projet de Directive communautaire adopté le 13 décembre 1990 ne tranche

pas explicitement la question réglée par le juge américain. Mais il semble que la solution implicite est identique à la lumière des considérants suivants de l'exposé des

motifs :

1. Les "programmes" protégés comprennent ceux "qui sont incorporés au

matériel";

2. Il est rappelé qu'un programme est appelé à communiquer avec d'autres

éléments d'un système informatique et qu'à cet effet un lien logique ou physique

d'interconnexion est nécessaire pour permettre un fonctionnement satisfaisant.

Les considérants éclairent l'article 6 intitulé "décompilation" : il permet la

reproduction ou la traduction des codes "au sens de l'article 4" (qui mentionne non

les codes eux-mêmes mais les ''programmes"), sans l'autorisation du titulaire lorsque

cette reproduction est nécessaire pour obtenir l'interopérabilité, Mais cette exception

ne bénéfice qu'au licencié, ce qui, a priori, semble exclure l'utilisation par un

concurrent. En dehors de cette exception, la reproduction des matériels d'interface

complétés des parties de programmes incorporées dans de tels matériels est

soumise au droit exclusif de reproduction.

Néanmoins, le texte de la Directive traduit une certaine hésitation à admettre la

protection d'éléments non littéraires, c'est-à-dire autres que les seuls codes, et donc

"matériels", protection que le juge américain accorde explicitement. C'est en

admettant que la protection s'étend aux programmes "incorporés dans un matériel",

précision qui figure dans l'exposé des motifs et non dans le texte lui-même, que la

Directive permet, autant qu'on puisse comprendre, une position favorable à la protection des inte. faces sous réserve d'une faculté de décompilation ouverte au

licencié en vue d'assurer l'interopérabilité. Cette question rebondira peut-être

(1) Cass. lère Ch. Civ. 2 mai 1989, SARL Publications pour l'Expansion

Industrielle (à propos d'un organigramme), RIDA 143, p. 309.

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Page 4: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

lorsqu'il s'agira de traduire la Directive dans les législations nationales. Peut-être,

disons-nous, ou plutôt probablement pas, car l'expérience montre que les autorités

nationales hésitent à proposer leur propre interprétation de passages obscurs des

directives et se contentent de reproduire servilement, dans leurs textes nationaux,

toutes les équivoques entachant les textes communautaires.

Une note de Mme Shira Perlmutter, sous le jugement commenté, exprime le

point de vue d'un juriste américain sur cette importante question, tant sur le plan

théorique que sur le plan économique.

2) Oeuvres de collaboration et oeuvres composites

La loi française a introduit dans la catégorie des oeuvres protégées des sous-

catégories juridiques, notamment quand l'oeuvre doit sa naissance à une pluralité de

créateurs, en particulier celle d"'oeuvres composites" et d"'oeuvres de collaboration".

Les droits respectifs des coauteurs sont régis par des dispositions légales différentes.

Le Tribunal de grande instance de Nanterre, dans un jugement du 6 mars

1991, saisi d'un litige entre le compositeur et le parolier d'une chanson, a écarté la

qualification d'oeuvre composite bien que les paroles aient préexisté à la création de

la chanson, pour retenir celle d'oeuvre de collaboration, au motif que les deux

coauteurs avaient poursuivi un "but commun" tendant à la création d'une oeuvre d'un

genre bien défini, et avaient ainsi témoigné d'une "communauté d'inspiration". Le

juge écarte l'absence d'une déclaration "expresse" de ce but commun ainsi que

l'absence d'une déclaration commune à une société de perception, affirmant ainsi

qu'il lui appartient, au-delà de manifestations formelles, de rechercher les conditions

effectives de la création de la chanson en les appréciant par rapport à la loi.

Ce faisant, le Tribunal nous paraît donner une interprétation exacte des deux

premiers alinéas de l'article 9 de la loi du 11 mars 1957. L'oeuvre de collaboration est

celle à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes. L'oeuvre composite est

l'oeuvre nouvelle incorporant une oeuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de

cette dernière. Au cas d'espèce, même si une des contributions était préexistante, les

deux coauteurs ont bien "concouru" à la création de l'oeuvre litigieuse.

3) Oeuvre : fait historique et idée

L'oeuvre, pour être protégée, doit être distinguée de l'idée non formalisée,

insusceptible en elle-même de protection. Les juges sont fréquemment confrontés

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Page 5: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

au problème de distinguer entre l'idée" et l'oeuvre":

Un synopsis relatant un épisode réel de la carrière d'un chef d'orchestre

célèbre, en l'associant à une idylle amoureuse imaginée, ne constitue pas une

oeuvre préexistante qu'aurait contrefaite l'auteur d'un film reposant sur ces deux

éléments. L'épisode est un fait historique "de libre parcours" et l'association du

chef d'orchestre à une idylle amoureuse n'est qu'une idée, non protégeable en

elle-même. La contrefaçon n'aurait pu naître que de similitudes dans

l'expression de cette idée. En énonçant que "le fait de bâtir une histoire d'amour

autour (de l'épisode historique) n'a rien que de très banal", que "seule l'identité ou la similitude des situations amoureuses pourrait servir de base à une action

en contrefaçon", et que l'auteur argué de contrefaçon, loin d'emprunter à

l'expression de l'idée de son adversaire, avait au contraire traité cette idée "en y

imposant sa marque personnelle", le Tribunal de grande instance de Paris (7

mars 1990, Figueiredo c/ Zefirelli - non reproduit) a motivé le rejet de l'action en

contrefaçon d'une manière convainquante.

QUALITE D'AUTEUR

Dans sa décision du 29 mars 1989 (Rutman, RIDA 141 juillet 1989, p. 262),

la Cour de Cassation (Ière Civ.) énonçait que la "détermination de la qualité

d'auteur d'une oeuvre protégée relève exclusivement de la loi". Pour être

protégée, une oeuvre doit remplir ces conditions légales, et la volonté de ceux

qui sont en rapport avec cette oeuvre ne peut suppléer au défaut de ces

conditions.

I) Le jugement du Tribunal de grande instance de Paris (27 juin 1990, Bonnet c/

Joyeux et Agostini) fait application de cette jurisprudence dans un cas où la qualité

de coauteur avait été attribuée par contrat. M. Philippe Gaudrat, Maître de

conférence à Paris IX Dauphine, éclaire parfaitement le lecteur sur les obligations qui

pèsent sur le juge conduit à concilier l'autonomie de la volonté des parties et la règle

de droit dégagée par la Cour Suprême.

2) Le jugement du Tribunal de grande instance de Paris (17 janvier 1991,

Sipriot c/ SCAM) peut-il être relié à la jurisprudence Rutman ? En l'espèce, il ne

s'agit pas de la qualité d'auteur mais du classement des oeuvres d'un auteur dans les

catégories établies par une société de perception en vue du calcul des

rémunérations de l'auteur. Mais une note très approfondie de Me Denise Gaudel

montre que ce déclassement est lié à un changement de qualification juridique des

oeuvres (oeuvre de compilation, au lieu d'oeuvre de création). Le déclassement était

intervenu en conformité des statuts de la Société.

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Page 6: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Le juge estime qu'il n'a pas à se substituer aux organes statutaires et que son

contrôle sur les décisions statutaires doit être limité à vérifier que la décision

n'excède pas les limites de l'objet social ou n'est pas entachée d'irrégularité, abus de

droit, fraude ou détournement de l'objet social.

La note de Me Gaudel analyse en profondeur toutes les implications juridiques

de ce jugement qui peut, en tout état de cause, se réclamer de puissants motifs

d'opportunité.

DROITS PATRIMONIAUX - ETENDUE ET EXCEPTIONS

L'arrêt de la Cour d'appel de Paris (4e Ch.) du 1er octobre 1990 (Le Figaro c/

SAVAM) est une des rares décisions qui illustrent la notion de copies à usage privé

"destinées à des utilisations collectives", qualification qui fait échec à l'exception au

droit de reproduction résultant de l'article 41.2° de la loi du 11 mars 1957 (note A.

Kéréver).

L'arrêt est également intéressant en ce qu'il admet au rang des oeuvres

protégées une "forme graphique", en l'espèce celle utilisée par un journal. La Cour

relève brièvement mais suffisamment les éléments constitutifs de l'originalité requise

pour emporter le droit à protection (graphisme, encadrement des pages, liseré et

présentation particulière).

DROIT MORAL

Un arrêt de la Cour d'appel de Paris (Ière Ch.) du 4 mars 1991 (La Cinq -

non reproduit) confirme entièrement, et par les mêmes motifs, un jugement du

Tribunal de grande instance de Paris du 11 mars 1990 qui avait pris en bonne

garde le droit moral des auteurs d'une oeuvre audiovisuelle, en l'espèce un

feuilleton télévisé, conçu pour être programmé par épisodes. Comme le TGI, la

Cour d'appel a retenu comme atteinte au droit au respect de l'oeuvre l'omission de

certains épisodes dans la programmation, la projection consécutive, en continuité,

de deux épisodes conçus pour être programmés séparément, l'incrustation d'un

logo non imposée par des considérations techniques ou artistiques. La Cour

d'appel a seulement précisé que ces pratiques contrevenaient non seulement aux articles 16 et 47 de la loi du 11 mars 1957, spécifiques aux oeuvres audiovisuelles,

mais également à l'article 6 de la loi. Ajout judicieux, les articles 16 et 47 ne sont

qu'un cas particulier des règles générales énoncées à l'article 6 qui définissent le contenu des droits moraux.

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Page 7: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

CESSION DES DROITS

1) Oeuvres publicitaires

Soucieux de préserver les droits des créateurs de ces oeuvres, le législateur de

1985 a réglementé les contrats de cession de leurs droits. En désignant par

"producteur" le cessionnaire de ces droits, le législateur a renoncé à distinguer entre

l'agence et l'annonceur, Il n'est donc pas étonnant de rencontrer des litiges portant

sur le point de savoir lequel de ces deux opérateurs est cessionnaire des droits.

Dans son arrêt du 6 novembre 1990 (Manoukian), la Cour de cassation

réaffirme que le mode de cession de droits entre agence et annonceur sur des

oeuvres publicitaires ne déroge pas au droit commun, et notamment à l'article 29 de

la loi du 11 mars 1957 qui dissocie la propriété incorporelle de la propriété de l'objet

matériel support de l'oeuvre. Il en résulte qu'un annonceur ne peut licitement

réutiliser les oeuvres originales créées par une agence que si les deux parties sont "convenues entre elles" de la cession des droits de propriété intellectuelle portant sur

ces oeuvres.

L'arrêt du 15 novembre 1990 (Société Source Perrier) de la Cour d'appel de

Paris est-il conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation susmentionné, en

jugeant qu'en l'absence de contrat écrit entre annonceur et agence les deux parties

étaient liées par le contrat type du 19 septembre 1961 selon lequel le règlement des

sommes convenues par l'annonceur implique, à son profit, la cession automatique

des droits de propriété intellectuelle ? La Cour justifie sa solution en invoquant les

usages professionnels selon lesquels le silence des parties engendre une

présomption pour l'application du contrat type. L'arrêt de la Cour suprême approuvait les juges du fond d'avoir recherché les éléments de preuve sur le point de savoir si

un accord de cession de droits avait été conclu. Cette formulation n'exige pas

formellement un acte explicite, et oblige seulement le juge du fond à dégager la

commune volonté des parties. Il semble que la Cour d'appel a pu apprécier

souverainement la volonté des parties de procéder à la cession des droits en

interprétant les usages professionnels, le silence des parties et la teneur du contrat

type.

L'arrêt de la Cour de cassation ci-dessus commenté a également approuvé les

juges du fond d'avoir admis l'originalité protégeable d'une création consistant en une

présentation particulière de photos de mode associée, et selon une disposition

caractéristique, à un logo. L'originalité est reconnue à la composition d'ensemble

indépendamment, semble-t-il, de l'originalité ou de l'absence d'originalité des

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Page 8: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

éléments rassemblés (photos et logo).

2) Contrat d'édition - Pacte de préférence

Le litige tranché par la Cour d'appel de Paris (29 janvier 1991, Michel Jonasz) est relatif au contentieux né de trois contrats de la même date étroitement liés : un

contrat de prêt et deux pactes de préférence, dont le premier seulement respectait la limite de cinq ans fixée par l'article 34 de la loi du 11 mars 1957. Une note de M. le

Professeur Pierre-Yves Gautier jette toute la clarté désirable sur cette affaire

complexe, tout en dégageant les points de droit réglés par l'arrêt.

3) Contrat d'édition - Résolution

La Cour d'appel de Paris (25 septembre 1990, Editions Gyldendal) devait

résoudre un contentieux né de l'exécution d'un contrat d'édition passé en 1953. Le

contrat contenait une clause résolutoire selon laquelle l'ouvrage étant épuisé,

l'éditeur disposait d'un délai d'un an à l'issue duquel il avait l'obligation de le

réimprimer. Une carence l'exposait à la perte de ses droits d'édition récupérés par

l'auteur ou ses ayants droit, deux mois après mise en demeure de rééditer demeurée

infructueuse.

En l'espèce, le délai d'un an était largement dépassé. Mais la Cour retient

l'absence de mise en demeure alors que l'auteur ne pouvait ignorer la survenance

de l'épuisement de l'ouvrage. L'auteur ne pouvait donc valablement reprendre

possession de ses droits d'édition et les céder à un tiers.

Débouté sur le terrain de la résolution contractuelle, l'ayant droit de l'auteur

tente d'obtenir la résolution judiciaire en invoquant des manquements à des

obligations contractuelles à la charge de l'éditeur, d'assurer une exploitation

permanente et suivie, et de rendre des comptes. Mais pour des motifs de fait qui

s'expliquent d'eux-mêmes, la Cour rejette ces griefs.

Enfin, l'auteur invoquait une violation de ses droits moraux par l'éditeur

résultant de ce que ce dernier n'aurait reédité qu'une partie de l'oeuvre, divisée

en quatre tomes. Mais le moyen manque de fait, alors surtout que le tiers auquel

l'auteur, se croyant à tort dégagé du contrat avec le premier éditeur, avait cédé

ses droits, avait lui-même limité la réédition aux deux premiers tomes. Le moyen

manquant en fait, il n'est pas possible de déduire a contrario du considérant que

la résolution aurait été prononcée si la reédition critiquée n'avait été que

partielle.

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Page 9: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

En revanche, l'éditeur qui vient aux droits de l'éditeur partie au contrat argué de

résolution n'est pas fondé à obtenir réparation du préjudice résultant du harcèlement

judiciaire provenant du tiers auquel avaient été irrégulièrement cédés les droits

d'édition. Cette indulgence est motivée par le fait que ce tiers, qui avait contracté

avec la fille de l'auteur, pouvait se croire cessionnaire régulier des droits d'édition, et

parce que, ayant procédé à la réédition des ouvrages litigieux, l'éditeur ne peut se

prévaloir d'aucun préjudice indemnisable né du harcèlement, Si l'on comprend bien

ce second motif, qui se suffisait à lui-même, la Cour considère que les notifications

et sommations adressées par le tiers à l'éditeur régulier n'ont pas empêché ce

dernier d'exploiter l'oeuvre litigieuse en la rééditant.

DROIT D'AUTEUR ET DROIT INTERNATIONAL PRIVE

Au moins lorsque le droit moral n'est pas en cause, et que seuls les droits

patrimoniaux sont concernés, la détermination de la qualité de titulaire initial du droit

d'auteur doit être distinguée du contenu de la protection due à l'auteur. La question

de savoir qui doit être protégé se distingue de la question comment protéger. Si le

droit moral est en cause, les deux questions deviennent si étroitement imbriquées

qu'on peut se demander si elles ne sont pas indivisibles.

Les conventions internationales de droit d'auteur définissent le contenu de la

protection par référence à la loi du pays où la protection est réclamée, mais ne

traitent pas de l'attribution de la qualité d'auteur ni même de la titularité de droits,

sous la réserve impórtante de l'article 14 bis de la Convention de Berne pour les

oeuvres cinématographiques et télévisuelles.

Dans un litige opposant une société de droit italien recherchant en contrefaçon

en France des "mannequins portant des têtes d'homme ou de femme", sur le

fondement de la loi du 11 mars 1957, deux autres sociétés, la Cour d'appel de Paris

(4e Ch.) relève justement l'absence de toute indication donnée par la Convention de

Berne "sur la désignation du bénéficiaire de (la) protection".

Elle en déduit que, par application du droit commun, du droit international privé,

la règle française du conflit de lois remet à la loi du pays d'origine à définition du

"titulaire des droits d'origine". Le choix entre la loi du pays d'origine et la loi du pays

de protection (loi française) a donné lieu à des variations jurisprudentielles. La même

formation, dans un arrêt du 13 juin 1985 (AGC c/ Markus, RDPI 1982, 2.116), avait

jugé que la détermination du premier titulaire sur des oeuvres publiées par des

personnes morales étrangères en France s'établissait par application de la loi

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Page 10: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

française, dans un considérant d'autant plus remarqué qu'il était surabondant. En

effet, après avoir jugé que la société de droit américain ne pouvait se prévaloir

d'aucun copyright acquis en conformité avec la loi américaine, la Cour d'appel

poursuit en énonçant que "de surcroît, les oeuvres en cause ne peuvent bénéficier de

la loi du 11 mars 1957 comme toute oeuvre publiée par une personne morale

française pour la première fois en France que si, en application de cette loi, elles ont

été créées par une personne physique qui a cédé ses droits d'auteur à la personne

morale, ou s'il s'agit d'une oeuvre collective (au sens de la loi française)...".

Dans la présente affaire, la Cour d'appel inverse la solution de l'arrêt du 13 juin

1985 et pose comme une règle française de droit commun en matière de conflits de

lois l'application de la loi du pays d'origine en vue de déterminer le "titulaire des

droits d'origine"; les règles de cession intervenant entre ce "premier titulaire" et les

cessionnaires étant gouvernées par la "loi" dite d'autonomie (libre choix par les

contractants de la loi appelée à régir leurs rapports contractuels).

Sur l'aspect doctrinal de ces questions, nous faisons nôtres les conclusions de

Mme Jane Ginsburg, Professeur à Columbia University School of Law, dans son

étude "Les conflits de lois relatifs au titulaire initial du droit d'auteur" (RDPI février

1986) selon laquelle cette titularité s'apprécie selon la loi du pays d'origine (l'origine

étant, selon Mme Ginsburg, une notion complexe où interviennent le lieu de première

publication, la nationalité ou le domicile du créateur), sous la réserve déjà exprimée

de l'application de l'article 14 bis de la Convention de Berne, de la spécificité du droit

moral et des exigences éventuelles de l'ordre public international qui peuvent

conduire à écarter la loi étrangère normalement applicable si elle heurte trop

gravement les valeurs fondamentales inspirant la loi française.

Dans la précédente affaire, ni l'article 14 bis de la Convention de Berne, ni

les droits moraux, ni l'ordre public international français, ne sont en cause, de telle

sorte que l'application de la loi italienne (pays de réalisation et de divulgation des

oeuvres litigieuses) à la détermination du premier titulaire doit être approuvée.

Cette loi donne à l'entreprise personne morale les droits économiques qui

s'attachent à l'oeuvre créée dans l'entreprise et dans le cadre de son activité par

un ou plusieurs salariés.

Il est à noter que l'interprétation d'une loi étrangère est regardée comme une

question de fait et non de droit soumise à l'appréciation souveraine des juges du

fond, sauf dénaturation : c'est bien ce que révèle la lecture de l'arrêt commenté, où

l'on voit la Cour interpréter la loi italienne à l'aide d'un "certificat de coutume"

émanant d'un juriste italien et des "indications données en France par la doctrine".

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Page 11: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Après avoir réglé ce point, la Cour devait trancher une longue et délicate discussion

sur l'originalité des oeuvres arguées de contrefaçon. Il était en effet opposé à l'action en

contrefaçon que les modèles litigieux relevaient des "arts appliqués" protégés en Italie

uniquement par une législation spéciale sans cumul possible des protections et que, par suite, cette Cour devait appliquer l'article 2 § 7 de la Convention de Berne : "Pour les

oeuvres protégées uniquement comme dessins et modèles dans le pays d'origine, il ne

peut être réclamé dans un autre pays de l'Union que la protection spéciale accordée

dans ce pays aux dessins et modèles". Mais cependant la loi italienne protège par le droit

d'auteur les oeuvres des arts appliqués dans la mesure où leur valeur artistique est

séparable du caractère industriel du produit auquel elles sont associées. Le demandeur,

bon connaisseur de la loi italienne, avait pris la précaution de limiter son action en

contrefaçon à la reproduction non autorisée, non du modèle pris dans son entier mais

des seules "têtes humaines", éléments d'ordre esthétique remplissant la condition de

séparabilité du caractère industriel du support.

Il ne restait plus à la Cour d'appel que d'apprécier l'originalité de ces "têtes"

d'après les critères de la loi française applicable pour déterminer le contenu de la

protection. Elle trouve, au terme de cet examen, que ces têtes ont leur individualité

propre et expriment la personnalité de l'auteur (avec, semble-t-il, un "plus" pour la

tête de femme qui "dégage un mystère lointain et oriental").

DROIT DE LA CONCURRENCE (DROIT COMMUNAUTAIRE)

Un arrêt du 12 décembre 1990 de la Cour de Justice des Communautés

Européennes (Cholay et Bizon's Club-non reproduit) tranche exactement le même

litige que celui soulevé dans l'affaire Basset (9 avril 1987, RIDA 133 juillet 1987, p.

168) concernant la licéité de la "redevance complémentaire de reproduction

mécanique" perçue à l'occasion de la diffusion publique des phonogrammes. La

CJCE ne peut que rappeler cette dernière décision par laquelle elle a jugé que cette redevance ne contrevenait pas aux articles 30 et 36 du Traité de Rome.

A D D E N D U M

L'arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 1991, cassant et annulant l'arrêt

rendu le 6 juillet 1989 par la Cour d'appel de Paris (RIDA 143 janvier 1990, p. 329)

rejetant les demandes des héritiers Huston tendant, sur le fondement du droit moral,

à interdire la diffusion d'une version colorisée d'un film "noir et blanc" dont John

Huston est coauteur, a été divulgué trop tardivement pour être inséré dans la

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Page 12: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

chronique de jurisprudence. Cette décision importante fait ici l'objet d'une première

réaction et d'une première impression.

La note de M. le Professeur Françon sous l'arrêt déféré à la Cour de cassation

relevait que le droit au respect de l'oeuvre dans la législation française est garanti

non seulement par l'article 6 de la loi du 11 mars 1957, mais aussi par le 2e alinéa

de l'article 1er de la loi du 8 juillet 1964 (sur la réciprocité) sous le vocable de droit

(interdiction de porter atteinte) à l'intégrité" de l'oeuvre.

L'arrêtiste avait donc déjà dégagé le raisonnement juridique sur lequel repose la

cassation: quelle que soit la nature de l'oeuvre protégée et quel que soit le pays d'origine

de l'oeuvre, toute atteinte à l'intégrité de l'oeuvre est interdite par le législateur français. Si

l'oeuvre bénéficie de la protection de la loi française, le droit au respect est positivement

assuré. Si l'oeuvre n'en bénéficie pas, aucune atteinte à son intégrité n'est tolérée.

Objectivement, cette protection s'attache à l'oeuvre. Quelle personne peut la revendiquer ? C'est l'auteur du seul fait de la création. La détermination du bénéficiaire de la

protection particulière des droits moraux dépend uniquement de l'acte de création et ne peut

être remise en cause par une loi étrangère. C'est ce qu'avait voulu signifier le jugement du

Tribunal de grande instance en disant que rien ne peut effacer le fait de la création.

Les dispositions qui interdisent toute atteinte à l'intégrité de l'oeuvre et

protègent ainsi tout créateur, indépendamment de sa nationalité, de celle de ses

contractants éventuels, du lieu de divulgation, confèrent à ces règles le caractère

d'une loi de police selon la doctrine qui attribue ce caractère à tout texte qui

détermine unilatéralement son champ d'application (cf. Loussouarn et Bourel, Précis

Dalloz "Droit international privé", 3e éd., p. 174).

Quels sont les effets attachés à une loi de police ? La doctrine dominante

répond ainsi (ouvrage précité, p. 171) : "... Confronté à un problème de droit

international privé, le juge devrait d'abord commencer par se demander si sa propre

loi est une loi de police et si, en conséquence, elle requiert impérativement (souligné

par nous) d'être impliquée aux faits de la cause. Si la réponse est affirmative, on ne

va pas plus loin. Dans la négative, on revient à la méthode traditionnelle de conflit de

lois". Ainsi, l'obligation impérative d'appliquer une loi de police tue dans l'oeuf le

conflit de lois naissant. Faute de l'avoir aperçu, l'arrêt encourt la cassation par

violation d'une règle de droit résultant de son refus d'application.

Il restera évidemment à la juridiction de renvoi le soin de dire si le moyen d'atteinte

à l'intégrité de l'oeuvre, examiné à la lumière de ces lois de police, est ou non fondé. La

162

Page 13: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Cour d'appel avait effleuré cette question, par des considérants groupés sous le sous-

titre "Sur la colorisation", puisqu'elle relevait que, selon le "Bureau des auteurs du

Congrès des Etats-Unis", la version colorisée serait une "adaptation" de l'oeuvre en noir

et blanc qui "pourrait être reconnue comme telle par la loi française". Et les juges du fond

semblaient estimer que cette "adaptation" ne violerait pas le droit moral des auteurs, à

supposer qu'il puisse être invoqué (ce qu'ils niaient), les consorts Huston n'invoquant aucune "défectuosité de la qualité de l'adaptation".

L'arrêt commenté semble bien indiquer que la Cour suprême n'a pas estimé

que ces derniers motifs puissent pallier le refus d'appliquer l'article 1er de la loi du 8

juillet 1964, et prévenu la cassation, ce qui arrive lorsque le juge du fond ayant

avancé plusieurs motifs se suffisant chacun à lui-même pour justilier une solution, il

est constaté qu'au moins un de ces motifs est fondé ; la censure des autres motifs

laisse alors intact l'arrêt entrepris. Il est vrai que la Cour d'appel n'a pas

expressément examiné au fond le moyen des consorts Huston, puisqu'elle énonce

que l"'adaptation" colorisée "pourrait être reconnue comme telle par la loi française". L'emploi du conditionnel interdisait, en tout état de cause, de voir dans cette

appréciation un motif substituable au motif expressément censuré.

André KEREVER

ETATS-UNIS

Cour de District du Massachusetts

28 juin 1990

OEUVRES PROTEGEES.

Logiciels - Interfaces d'ordinateur - Loi des Etats-Unis d'Amérique - Loi 17

U.S.C. article 101 (1988).

Caractère non "littéral" ne faisant pas obstacle à la protection des

interfaces par le droit d'auteur, sous réserve de l'originalité de la structure.

CONDITION D'ORIGINALITE : Structure non réductible à une simple idée

- Pluralité des manières d'établir une structure répondant à certaines

fonctions - Originalité d'une structure retenue par un producteur de

logiciels.

LOTUS DEVELOPMENT Corp. c./ PAPERBACK SOFTWARE Int.

163

Page 14: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

[...]

Cette affaire (1) concerne deux programmes d'application concurrents Lotus 1-

2-3 et VP-Planner - qui sont principalement des tableurs, mais qui possèdent

également d'autres fonctions telles que la gestion limitée de bases de données et la

création de graphiques. Parce qu'ils peuvent accomplir différents types de fonctions,

de tels programmes sont appelés des programmes d'application "intégrée".

Le Congrès a donné du "programme d'ordinateur" la définition suivante :

Un "programme d'ordinateur" est un ensemble d'énoncés ou d'instructions qui

sont utilisés directement ou indirectement dans un ordinateur afin de parvenir à un

certain résultat.

17 U.S.C. J 101 (1988)

Cet "ensemble d'énoncés ou d'instructions", dans sa manifestation littérale ou

écrite, peut prendre la forme d'un code objet ou d'un code source. Il peut aussi être

représenté, sous une manifestation partiellement littérale, par un organigramme...

Les parties acceptent, comme proposition générale, que les manifestations littérales d'un programme d'ordinateur - y inclus aussi bien le code source que le

code objet -, dans la mesure où elles sont originales, peuvent être protégées par le droit d'auteur...

Il apparaît aussi que les organigrammes sont susceptibles d'être protégés par le droit d'auteur, si ils sont suffisamment détaillés et originaux.

Les organigrammes ... sont des oeuvres de l'esprit dans lesquelles le droit

d'auteur subsiste, à la condition qu'ils constituent le produit d'un travail intellectuel

suffisant pour surmonter l'obstacle du travail intellectuel insuffisant" ...

Commission Nationale des Nouvelles Utilisations Technologiques des Oeuvres

(1) NDLR : Dans cette affaire, la Société Paperback Software International,

concurrent de la Société Lotus Development Corporation, avait reproduit les

affichages à l'écran et certains éléments de l'interface de l'utilisateur, dont

notamment les valeurs données aux touches des fonctions, mais cela sans copier les

séquences d'instructions.

164

Page 15: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Protégées par le Droit d'Auteur, Rapport Final et Recommandations 43 (1978) (ci-

après "Rapport Final"), reproduit dans Droit d'Auteur 5, Congrès et Technologie : Le

Rapport Public (N. Henry, ed. 1980), cité en l'approuvant dans Whelan Associates, Inc. c/ Jaslow Dental Laboratory, Inc., 797 F.2d 1222, 1241 (3d Cir.1986), pourvoi en

cassation rejeté, 479 U.S. 1031, 107 S.Ct. 877, 93 L.Ed.2d 831 (1987).

Cependant, les défendeurs contestent vigoureusement que les éléments non

littéraux des programmes d'ordinateur puissent être protégés par le droit d'auteur.

Ainsi, les défendeurs soutiennent que seules les manifestations littérales des

programmes d'ordinateur peuvent être protégées par le droit d'auteur. De son coté,

le demandeur maintient que la protection par le droit d'auteur s'étend à tous les

éléments des programmes d'ordinateur qui renferment une expression originale,

qu'elle soit littérale ou non littérale, y incluse toute expression originale renfermée

dans "l'interface de l'utilisateur" du programme.

L'une des difficultés avec l'argument du demandeur est la nature informe

des éléments "non littéraux" des programmes d'ordinateur. A la différence du

code écrit d'un programme ou d'un organigramme qui peut être imprimé sur

papier, les éléments non littéraux - y compris des éléments tels que

l'organisation d'ensemble d'un programme, la structure du système de

commande d'un programme, et la présentation de l'information sur l'écran - ne

peuvent pas être représentés de façon aussi tangible. Pour juger cette affaire, la question centrale est de déterminer si ces éléments peuvent être protégés par le

droit d'auteur, et si oui, comment identifier les éléments non littéraux qui peuvent

être protégés par le droit d'auteur.

La Loi sur le Droit d'Auteur de 1976

Comme la loi sur le droit d'auteur de 1909, la loi sur le droit d'auteur de 1976

évite de donner une liste limitative des oeuvres qui peuvent être protégées par le

droit d'auteur :

La protection du droit d'auteur subsiste, conformément à ce titre, dans des

oeuvres de l'esprit originales dont le support peut être tout moyen d'expression

tangible connu aujourd'hui ou développé par la suite, grâce auquel elles peuvent être perçues, reproduites, ou autrement communiquées, soit directement, soit avec l'aide

d'une machine ou d'un appareil.

17 U.S.C. J 102(a) (1988) (le soulignement a été rajouté)

165

Page 16: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Cependant, comme toutes les autres oeuvres de l'esprit, les programmes

d'ordinateur, même si certains de leurs éléments peuvent être protégés par le droit

d'auteur, ne sont pas susceptibles de bénéficier d'une protection illimitée. En ce qui

concerne cette affaire, la limite suivante est la plus significative :

En aucun cas, la protection par le droit d'auteur d'une oeuvre de l'esprit

originale ne s'étend à une idée, une procédure, un procédé, un système, une

méthode de fonctionnement, un concept, un principe, ou une découverte, quels qu'ils

soient, et quelle que soit la forme dans laquelle ils sont décrits, expliqués, illustrés, ou incorporés dans cette oeuvre.

17 U.S.C. J 102(b) (1988) (le soulignement a été rajouté).

En remarquant que ce paragraphe s'applique aux programmes d'ordinateur, le

Rapport de la Chambre des Représentants déclare : "Le paragraphe 102(b) est

destiné, entre autres choses, à préciser que l'expression adoptée par le

programmeur est l'élément qui peut être protégé par le droit d'auteur dans un

programme d'ordinateur, et que les véritables procédés ou méthodes incorporés

dans le programme ne rentrent pas dans le champ d'application de la loi sur le droit

d'auteur." Rapport de la Chambre des Représentants, page 57, reproduit page 5670

(le soulignement a été rajouté); et aussi page 54, reproduit page 5667 (les

programmes d'ordinateur peuvent être protégés par le droit d'auteur uniquement "dans la mesure où ils incorporent une ceuvre de l'esprit dans l'expression, par le

programmeur, d'idées originales, par opposition aux idées elles-mêmes") (le soulignement a été rajouté).

LE TEST JURIDIQUE POUR LA PROTECTION DU DROIT D'AUTEUR

APPLICABLE A CETTE AFFAIRE

A. Fonctionnalité, Objets Utiles, et la Distinction de l'Utile et de l'Expressif

Les défendeurs suggèrent que l'interface de l'utilisateur de Lotus 1-2-3 est un

objet utile et "fonctionnel" comme la disposition fonctionnelle des vitesses sous la

forme de la lettre "H" sur une transmission standard, l'affectation fonctionnelle des

lettres aux touches sur un clavier QWERTY standard, et la configuration fonctionnelle

des commandes sur un instrument de musique (par exemple, les touches d'un

piano). Les défendeurs soutiennent que la protection du droit d'auteur n'est pas applicable à ces "objets utiles" et "fonctionnels".

Une analogie similaire a été faite dans l'affaire Synercom où la Cour concluait

qu'une séquence d'entrées de données pour un programme d'analyse de statistiques

166

Page 17: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

ressemblait au motif "en forme de lettre H" d'une transmission standard. 462 F.Supp.

page 1013. L'arrêt Synercom avait cependant été publié moins d'un mois après la

publication du Rapport CONTU (qu'il ne cite jamais) et bien avant les amendements

de 1980. Depuis lors, le développement législatif et jurisprudentiel de la protection des programmes informatiques par le droit d'auteur a considérablement avancé, et la

proposition centrale de l'arrêt Synercom - à savoir que l'expression d'une séquence

et d'un ordre non littéraux est inséparable de l'idée et ne peut pas, par conséquent,

être protégée par le droit d'auteur - a été explicitement rejetée par plusieurs

tribunaux. Par exemple, Whelan, V. Jaslaw, 797 F.2d pages 1240, 1248 ("la

protection du droit d'auteur des programmes informatiques peut s'étendre au-delà du

code littéral des programmes pour s'appliquer à leur structure, séquence, et organisation"); Broderbund Software, Inc. c/ Unison World, Inc., 648 F.Supp. 1127,

1133 (N.D.Cal.1986) ("la protection du droit d'auteur n'est pas seulement limitée aux

aspects littéraux d'un programme informatique, mais... s'étend aussi à la structure

d'ensemble d'un programme, y compris ses affichages audiovisuels"). En outre, même les tribunaux qui n'ont pas été aussi loin que les arrêts Whelan et Broderbund

ont tout de même été beaucoup plus loin dans la protection des programmes informatiques que l'arrêt Synercom. Par exemple, SAS Institute, Inc. c/ S H

Computer Systems, Inc., 605 F.Supp. 816, 830 (M.D.Tenn.1985) ("la copie des

détails d'organisation et de structure" peut constituer la base d'une contrefaçon);

Manufacturers Technologies, Inc. c/ CAMS, Inc., 706 F.Supp. 984, 993

(D.Conn.1989) (peuvent être protégés par le droit d'auteur "les affichages à l'écran

ou l'interface de l'utilisateur"); Johnson Controls, Inc. c/ Phoenix Control Systems,

Inc., 886 F.2d 1173, 1175 (9th Cir.1989) (les aspects non littéraux tels que "la

structure, la séquence et/ou l'organisation du programme, l'interface de l'utilisateur,

et la fonction, ou l'objet, du programme", peuvent être protégés par le droit d'auteur,

dans la mesure où ils manifestent une expression plutôt qu'une idée).

De toute façon, les formats d'entrée de l'arrêt Synercom sont complètement

différents, et se distinguent des aspects non littéraux de 1-2-3 qui sont au centre de

cette affaire...

En outre, ma conclusion est que les allégations des défendeurs, dans la

mesure où elles sont similaires à la proposition centrale de l'arrêt Synercom, ... sont

incompatibles avec les travaux parlementaires et les dispositions légales expliquées ci-dessus. Si, dans un contexte tel que celui de l'arrêt Synercom ou de cette affaire,

une idée et son expression étaient tenues pour inséparables, l'expression ne

pouvant être par conséquent protégée par le droit d'auteur, la loi sur le droit d'auteur

n'assurerait jamais, dans la pratique, aux programmes d'ordinateur, une protection

aussi importante que celle édictée par le Congrès - protection destinée à s'étendre

167

Page 18: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

aux éléments d'expression originaux, quelle que soit la façon dont ils sont

incorporés. J'accrédite le témoignage des experts selon lequel la plus grande partie du travail créatif est constituée par la conceptualisation d'un programme d'ordinateur

et l'interface de l'utilisateur, plutôt que par son encodage, et selon laquelle créer un

interface de l'utilisateur adéquat est une tâche intellectuelle plus difficile, qui requiert

une plus grande créativité, originalité, et perspicacité, que convertir l'architecture de l'interface de l'utilisateur en instructions à la machine.

Les allégations des défendeurs attriburaient à la loi l'intention de protéger

seulement une partie étroitement définie du développement créatif des programmes

d'ordinateur, et d'exclure de la protection des éléments créatifs du processus encore

plus considérables. Un tel résultat est fondamentalement incompatible avec les buts

poursuivis par le législateur..

Par ailleurs, l'allégation des défendeurs aurait aussi pour conséquence que les

programmeurs d'ordinateur seraient, dans le meilleur des cas, à peine plus protégés, en ce qui concerne les éléments d'expression non littéraux incorporés dans leurs

oeuvres de l'esprit originales, qu'ils ne le sont déjà par le droit du secret de fabrique. Si l'effort intellectuel et la créativité incorporés dans un interface de l'utilisateur

pouvaient seulement être protégés par le droit du secret de fabrication, la durée de

protection des programmes d'ordinateur serait très courte - à savoir, simplement le

temps nécessaire pour examiner un programme et ensuite en copier les éléments

non littéraux sur un nouveau programme d'ordinateur. Cette courte période de

protection est fondamentalement incompatible avec les buts de la loi sur le droit d'auteur...

APPLICATION DU TEST JURIDIQUE A LOTUS 1-2-3

A. "Aspect et impression" ("Look and feel")

Dans les oeuvres musicales, dramatiques, cinématographiques et littéraires, les

éléments non littéraux qui peuvent être protégés par le droit d'auteur ont parfois été

décrits comme la "conception et l'impression d'ensemble" d'une oeuvre, Roth Greeting

Cards [c. United Card Co.], 429 F.2d [1106] à 1110 [(9th Cir.1970)]; [Sid Marty] Krofft

Television [Productions, Inc, c. McDonald's Corp.], [562 F.2d 1157] à 1167 [(9th

Cir.1977)], "l'essence ou structure fondamentales" d'une oeuvre, 3 M. Nimmer D.

Nimmer, Nimmer on Copyright J 13.03[A][1](1989), ou "le "modèle" de l'oeuvre",

Chaffee, Réflexions sur le droit d'auteur : 1ère Partie, 45 Colum.L.Rev. 503, 513 (1945).

Dans le contexte des programmes d'ordinateur, les éléments non littéraux sont souvent

mentionnés comme l"'aspect et l'impression" ("look and feel") du programme.

168

Page 19: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Au début, le demandeur faisait aussi référence à ces éléments comme "l'aspect

et l'impression", bien qu'il n'ait pas - au cours du procès, tout du moins - fondé ses

allégations principalement sur cette terminologie.

Malgré son usage répandu dans le public sur la protection par le droit d'auteur

des éléments non littéraux des programmes d'ordinateur, je n'ai pas trouvé que le

concept de "l'aspect et de l'impression", seul, soit d'une aide particulière pour

distinguer les éléments non littéraux d'un programme d'ordinateur qui peuvent être

protégés par le droit d'auteur de ceux qui ne peuvent pas l'être.

On peut soutenir que l'expression "aspect et impression" est analogue au test du

"concept et impression d'ensemble" développé dans l'affaire Roth Greeting Cards, 429

F.2d page 1110, et utilisé dans l'affaire Krofft Television, 562 F.2d page 1167. Cependant,

dans ces affaires, le test du "concept et impression d'ensemble" n'était pas invoqué - tout

du moins, explicitement - comme une aide pour la Cour pour déterminer quels éléments

non littéraux pouvaient être protégés par le droit d'auteur et pourquoi. Les juges ont plutôt

utilisé le concept, non pour déterminer si la protection du droit d'auteur était applicable,

mais, apparemment, en supposant l'application de la protection du droit d'auteur, et en

appliquant le test de la similitude substantielle pour déterminer si une reproduction

interdite avait eu lieu. Par exemple, dans l'affaire Roth Greeting Cards, la Cour a examiné

si le "texte, la disposition du texte, le travail artistique, et l'association entre le travail

artistique et le texte" des cartes de voeux des défendeurs étaient substantiellement

similaires à (par exemple, ont copié le "concept et impression d'ensemble" des) ces mêmes éléments des cartes de voeux des demandeurs. 429 F.2d page 1109...

Il est peut-être vrai que les questions de l'application de la protection du droit

d'auteur et de la similitude substantielle sont si imbriquées que ces précédents sont

significatifs. Il n'en demeure pas moins qu'elles ne sont pas primordiales pour déterminer

si la protection du droit d'auteur s'applique dans cette affaire. En outre, le concept de

"l'aspect et de l'impression" constitue une conclusion, alors que l'utilité et l'applicabilité

d'un précédent dépend des motifs qui ont fondé la conclusion dans un contexte

particulier, et non de la conclusion elle-même. Ainsi, en essayant de comprendre

l'importance des précédents où était utilisée la notion de "concept et impression", nous

devons examiner les faits qui, dans ces affaires, ont provoqué la conclusion, plutôt que d'examiner seulement la conclusion sans considérer ses fondements...

B. L'interface de l'utilisateur

Dans la présente affaire, le demandeur n'insiste pas sur le fait que l'expression

"aspect et impression" constitue une description satisfaisante des éléments de Lotus

169

Page 20: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

1-2-3 qui peuvent être protégés par le droit d'auteur, mais suggère que les éléments

non littéraux qui peuvent être protégés par le droit d'auteur sont décrits de façon plus

appropriée par l'expression "interface de l'utilisateur". Selon le demandeur,

l"'interface de l'utilisateur" de 1-2-3 inclut des éléments tels que "les menus (ainsi que

leur structure et organisation), les messages d'assistance ("long prompts"), les

écrans sur lesquels ils apparaissent, les attributions des touches de fonction, [et] les

commandes et langage macro". Je vais maintenant examiner ces éléments de plus

près.

Comme les feuilles de calculs manuelles, les feuilles de calculs électroniques

présentent un formulaire imprimé sur lequel des données numériques, statistiques,

financières ou autres peuvent être assimilées, organisées, manipulées et calculées.

Aussi bien dans Lotus 1-2-3 et dans VP-Planner, comme dans beaucoup d'autres

tableurs électroniques, un élément mis en relief de l'affichage à l'écran de base

ressemble à un "L" incliné à quatre-vingt-dix degrés dans le sens des aiguilles d'une

montre avec des lettres en haut pour désigner des colonnes, et des nombres en bas

à gauche pour désigner des lignes. Voir Multiplan, qui possède aussi un affichage à l'écran en forme de "L" incliné, mais qui utilise des nombres et pour les colonnes et

pour les lignes. L'intersection de chaque colonne et de chaque ligne est une "cellule"

dans laquelle une valeur (par exemple, 31,963), une formule (par exemple, une

formule qui ajoute une colonne de nombres), ou une étiquette (par exemple, "Coût

des Marchandises") peuvent être entrées.

Les deux programmes utilisent un "menu à curseur mobile de deux lignes", qui

présente à l'utilisateur une liste de choix de commandes (par exemple, "file", "copy",

"quit") et un curseur mobile pour communiquer ("entrer") le choix. Le menu est

appelé à l'écran en pressant la touche barre oblique ("/"), et est situé soit au-dessus

du "L" incliné (comme dans 1-2-3) ou en-dessous du "L" incliné (comme dans VP-

Planner). Voir Multiplan, qui utilise un menu avec un curseur mobile de trois lignes, et

Excel (1), qui possède des menus à barre coulissante.

La ligne supérieure du menu à deux lignes contient une série de mots, dont

chacun représente une commande différente. Par exemple, on lit sur la ligne

supérieure du premier, ou principal, menu du programme 1-2-3 : "Worksheet Range

Copy Move File Graph Data Quit".

(1) NDLR : Multiplan et Excel étaient deux programmes "spread sheet" concurrents qui n'avaient copié ni les écrans ni les "look and feel" de Lotus.

170

Page 21: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Le premier mot de la ligne est mis en relief pour signifier la commande qui sera

choisie si on appuie sur la touche "entrée"; le point mis en relief, ou "curseur", se

déplace à droite ou à gauche selon que l'on appuie sur la touche du curseur droit ou

gauche.

La deuxième ligne du menu affiche un message d'assistance, qui contient

plus d'information sur la commande mise en relief. Dans certains cas, le

message d'assistance est une description de la commande mise en relief (par

exemple, pour la commande Copy", le message d'assistance se lit : "Copy a cell

or range of cells"); dans d'autres cas, le message d'assistance donne une liste

des sous-commandes du menu qui seront disponibles si la commande mise en

relief est choisie (par exemple, pour la commande "Worksheet", le message

d'assistance affiche : "Global, Insert, Delete, Column-Width, Erase, Titlec,

Window, Status".

Dans le dernier cas, si la commande mise en relief est ultérieurement choisie,

les mots qui apparaissaient dans le message d'assistance apparaîtront maintenant

comme des choix de commande du menu de deuxième niveau sur la ligne

supérieure du menu, et un nouveau message d'assistance prendra sa place sur la

deuxième ligne.

En plus d'avoir l'option de sélectionner une commande en déplaçant le curseur

sur la commande et en appuyant sur la touche "entrée", un utilisateur peut aussi

appuyer sur la touche représentant la première lettre du mot de commande (par

exemple, "C" pour "Copy", "W" pour "Worksheet"). Pour cette raison, le mot qui

représente chaque commande sur une ligne de menu donnée doit commencer par

une lettre différente.

Les touches de fonction présentent un moyen supplémentaire pour permettre à

l'utilisateur de communiquer avec l'ordinateur programmé, et de faire fonctionner ce

dernier. Chaque programme affecte certaines commandes fréquemment utilisées aux

diverses "touches de fonction" (appelées "FI", "F2", "F3", etc.) du clavier. Par

exemple, dans le programme 1-2-3, "FI" correspond à la commande "Help", et "F2" à

la commande "Edit".

En revanche, le programme VP-Planner attribue les touches de fonction aux

commandes sur la ligne supérieure du menu. Ainsi, par exemple, quand le

programme VP-Planner est utilisé dans le cadre du menu principal, "FI" correspond à

la commande "Help", "F2" à la commande "Worksheet", "F3" à la commande

"Range", "F4" à la commande "Copy", et ainsi de suite.

171

Page 22: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

D'une manière générale, les utilisateurs adaptent des feuilles de calculs

particulières à leurs besoins spécifiques. Supposez, par exemple, que, afin de

parvenir à un résultat voulu, un utilisateur doive accomplir la même séquence de

commandes à maintes reprises afin que l'ordinateur exécute les mêmes fonctions à

maintes reprises (par exemple, calculer une dépréciation basée sur certaines

données financières, ou garder la feuille de calcul et en imprimer une copie). Plutôt

que de procéder pas à pas en suivant la même séquence de commandes chaque

fois qu'une fonction particulière doit être exécutée, l'utilisateur peut mettre en réserve

une séquence de termes de commandes à titre de "macroinstruction", communément

appelée une "macro", et ensuite, en actionnant une commande qui appelle la macro,

faire exécuter à l'ordinateur programmé la séquence entière de commandes.

Dans le programme 1-2-3, les termes de commande à l'intérieur d'une macro

peuvent consister en des choix de menu (par exemple, "/C" pour copier une cellule

ou rangée de cellules, ou "/PPRAI.F19{enter}AGQ" - pour la séquence de

commandes "Print, Printer, Range, Cell A1 to Cell F19, Align, Go, Quit" - pour

imprimer la rangée de cellules spécifiée de la feuille de calcul). Une macro peut aussi

inclure des commandes de clavier (telles que les touches de fonction, les touches de

curseur, ou la touche "entrée"), et des commandes macro spéciales appelées par la

commande "/X" (par exemple, "/XI" est une commande macro qui exécute une

fonction logique "si-alors"). Parce que les macros peuvent contenir plusieurs choix de

menus, la hiérarchie exacte - ou structure, séquence et organisation du système du

menu est une partie fondamentale de la fonctionnalité des macros. En outre, parce

que les commandes macro sont habituellement appelées en entrant la première

lettre des choix de commandes (par exemple, "/C" pour copier,

"/PPRA1.F19{enter}AGQ" pour imprimer la rangée spécifiée de cellules), la première lettre de chaque choix de commande dans un menu particulier est un élément

essentiel de la fonctionnalité des macros.

C. Eléments de l'interface usager en tant qu'expression

En appliquant au programme 1-2-3 le test juridique exposé plus haut, je

m'interroge d'abord où, sur l'échelle de l'abstraction, concevoir l"'idée" dans le but de

distinguer l'idée de son expression

Au niveau le plus général de l'échelle des abstractions, les programmes

d'ordinateur en cause dans cette affaire, et les autres programmes d'ordinateur qui

ont été examinés au cours du procès, sont des expressions de l'idée d'un

programme d'ordinateur pour une feuille de calcul électronique. Par conséquent, les

défendeurs ont presque raison lorsqu'ils soutiennent que l'idée de développer une

172

Page 23: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

feuille de calcul électronique ne peut pas être protégée par le droit d'auteur - que l'idée essentielle d'une telle feuille de calcul est à la fois fonctionnelle et évidente,

même pour les utilisateurs d'ordinateur qui n'ont aucune compétence technique.

Ainsi, même si des programmes comme VisiCalc, 1-2-3, Multiplan, SuperCalc4,et Excel sont très différents dans leur structure, aspect, et méthode de fonctionnement,

chacun d'eux est seulement, au tout premier niveau, une façon différente d'exprimer

la même idée : la feuille de calculs électronique. Cependant, cela ne veut pas dire

que toute méthode possible pour élaborer une feuille de calculs métaphorique est

évidente, ou qu'aucune forme pour exprimer l'idée de la métaphore de la feuille de

calculs ne peut avoir l'originalité qui est requise pour bénéficier de la protection du

droit d'auteur, en allant au-delà de l'évident, ou encore qu'aucune forme particulière

d'une feuille de calculs métaphorique ne peut constituer une expression distinctive

d'une méthode particulière pour préparer une information financière.

L'idée d'un menu à curseur mobile de deux lignes est aussi fonctionnelle et

évidente, et est d'ailleurs utilisée dans une grande variété de programmes

d'ordinateur y inclus les tableurs. Néanmoins, cela ne veut pas dire qu'aucune

méthode possible pour élaborer un système de menu qui inclut un curseur mobile sur

deux lignes ne peut être protégée par le droit d'auteur.

Bien sûr, si une expression particulière de l'idée d'une feuille de calculs

électronique ne donne aucun détail au-delà de ceux qui sont essentiels pour

exprimer l'idée elle-même, cette expression ne bénéficierait pas alors de la

protection du droit d'auteur. La question ici est de déterminer si le programme Lotus

1-2-3 va effectivement au-delà des détails qui sont essentiels à toute expression de

l'idée, et contient des éléments d'expression substantiels, distinctifs et originaux, qui

peuvent par conséquent être protégés par le droit d'auteur.

L'idée d'une feuille de calculs électronique a été en premier traduite dans la

pratique commerciale par Daniel Bricklin. Etudiant à Harvard Business School à la fin

des années 1970, Bricklin eut l'idée d'un "tableau noir magique" qui recalculerait les

chiffres automatiquement dès lors que des changements étaient faits à d'autres

endroits de la feuille de calculs. Finalement, avec l'aide d'autres personnes, il

transforma cette idée en VisiCalc, la première feuille de calculs électronique

commerciale.

L'idée de Bricklin pour VisiCalc constituait un progrès révolutionnaire dans le

domaine de la programmation informatique.

Bien que Visicalc était un succès commercial, ses caractéristiques d'exécution

173

Page 24: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

limitaient l'étendue et la durée de sa possibilité de commercialisation en tant que

feuille de calculs. Plus particulièrement, VisiCalc était programmé à l'origine pour être

utilisé sur un ordinateur Apple II, qui avait une mémoire limitée (32K de RAM), des

capacités d'affichage à l'écran limitées (seulement 40 caractères par ligne), et des

touches disponibles sur le clavier limitées (aucune touche de fonction et aucune

touche de curseur pour se déplacer vers le haut et vers le bas). Lorsque VisiCalc a

été par la suite réécrit pour être utilisé sur un IBM PC (qui a été présenté en août

1981), il a été transféré avec des modifications minimes et sans profiter de plusieurs

capacités plus importantes du PC.

Mitchell Kapor et Jonathan Sachs, les auteurs d'origine du programme 1-2-3,

ont exploité cette opportunité. En partant de l'idée révolutionnaire de Bricklin d'une

feuille de calculs électronique, Kapor et Sachs ont exprimé cette idée de façon

différente et plus puissante. 1-2-3 a profité de la plus grande mémoire et des

capacités d'affichage à l'écran et de clavier plus larges de l'IBM PC. 1-2-3, comme

de nombreux tableurs électroniques depuis, pouvait ainsi être considéré comme un

produit évolutionniste qui avait été construit à partir de VisiCalc.

Tout comme 1-2-3 exprimait l'idée d'une feuille de calculs électronique d'une

manière différente de VisiCalc, Microsoft's Excel faisait de même. Ecrit à l'origine

pour l'ordinateur Apple Macintosh, il exploite les capacités graphiques accrues de

Macintosh, ainsi que le périphérique d'entrée souris qui est habituel dans Macintosh.

Excel possède des menus à barre coulissante plutôt qu'un menu à curseur mobile de

deux lignes, et une hiérarchie de commande de menu très différente.

Comme nous l'avons déjà remarqué, ces trois produits - VisiCalc, 1-2-3, et

Excel - partagent l'idée générale d'une feuille de calculs électronique, mais l'ont

exprimée de façon très différente. Ces produits partagent aussi certains éléments,

mais à un degré un peu plus détaillé ou spécifique sur l'échelle des abstractions. Un

des éléments partagé par ces programmes et par plusieurs autres, est l'affichage à l'écran de la feuille de calculs de base qui ressemble à un "L" incliné.

Bien que Excel utilise un affichage à l'écran de la feuille de calculs de base différent,

qui ressemble plus à une feuille de calculs en papier, le nombre de moyens pour faire ressembler un écran d'ordinateur à une feuille de calculs est en réalité plutôt limité. En

conséquence, cet aspect des programmes d'ordinateur de feuilles de calculs électroniques,

même s'il n'est pas présent dans toutes les expressions d'un tel programme, est présent

dans la plupart des expressions. Ainsi, le deuxième élément du test juridique pèse

lourdement contre le traitement de l'affichage à l'écran à "L" incliné comme un élément d'un

programme d'ordinateur qui peut être protégé par le droit d'auteur.

174

Page 25: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Un autre élément expressif qui se fond avec l'idée d'une feuille de

calculs électronique - c'est-à-dire, qui est un détail essentiel dans la majorité

sinon toutes les expressions d'une feuille de calculs électronique - est la

désignation d'une touche particulière qui, lorsqu'on appuie dessus, appellera le système de commande du menu. Le nombre de touches disponibles pour

cette désignation est limité pour deux raisons. En premier lieu, comme la

plupart des touches du clavier concernent soit des valeurs (par exemple, les

touches à chiffres et les touches à opérations mathématiques) soit des

étiquettes (par exemple, les touches à lettres), il reste seulement quelques

touches qui peuvent en fait être utilisées pour appeler le système de

commande du menu. Sans quelque chose de plus, l'ordinateur programmé interpréterait la pression de l'une de ces touches comme la tentative de la part

de l'utilisateur de saisir une valeur ou une étiquette dans une cellule. En

second lieu, comme les utilisateurs ont besoin d'appeler souvent le système

de commandes, la touche désignée à cet effet doit être facilement accessible.

Par exemple, l'utilisateur ne devrait pas être obligé d'appuyer sur deux

touches en même temps (comme par exemple sur les touches "Shift", "Ait", ou

"Ctrl" et en même temps sur une autre touche).

Comme nous venons de le remarquer, lorsque toutes les touches à lettres, à

chiffres, et arithmétiques sont exclues, le nombre de touches restant qui pourraient

être utilisées pour appeler le système de commandes du menu est assez limité. Il

s'agit de la touche barre oblique ("/") et de la touche point-virgule (";"). Le choix des

auteurs de VisiCalc de désigner la touche barre oblique ("/") pour appeler le système

de commandes du menu n'est pas surprenant. C'est un choix parmi très peu

d'options pratiques. Ainsi, le deuxième élément du test juridique pèse lourdement

contre l'application de la protection du droit d'auteur à cet aspect de VisiCalc - et de

1-2-3. Cette expression se fond avec l'idée de disposer d'une méthode facilement

disponible pour appeler le système de commandes du menu.

D'autres éléments d'expression qu'un juge peut considérer comme essentiels à

toute expression d'une feuille de calculs électronique, ou tout du moins "évidents", à

défaut d'essentiels, incluent l'utilisation des touches "+" pour indiquer une addition, "-"

pour une soustraction, "*" pour une multiplication, "/" (il s'agit d'une touche de

formules) pour une division, et "enter" pour placer les entrées de frappes de touches

dans les cellules.

Chacun des éléments qui viennent d'être décrits est au moins présent dans la

majorité sinon toutes les expressions d'un programme d'ordinateur de feuilles de

calculs électroniques. Cependant, d'autres aspects de ces programmes ne sont pas

175

Page 26: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

nécessaires dans toute expression d'une feuille de calculs électronique. Un exemple

de détails d'expression distinctifs est fourni par la précision de "la structure,

séquence, et organisation", Whelan, 797 F.2d page 1248, du système de commandes du menu.

Examinons en premier lieu le système de commandes du menu de VisiCalc. La

ligne de commandes du menu principal affiche : "Command : BCDEFGIMPRSTVW-

"... Chacune de ces lettres (ou, pour employer la terminologie que préfèrent les

experts des défendeurs, "marques symboliques") représente une commande

différente - dans ce cas : Blank, Clear, Delete, Edit, Format, Global, Insert, Move,

Print, Replicate, Storage, Titles, Version Number, Window, et "-" pour "Label

Repeating". Plusieurs de ces commandes appellent des sous-menus qui contiennent

aussi une série de lettres, dont chacune représente un choix de commande du sous- menu.

Cette expression particulière de structure du menu n'est pas essentielle à l'idée

de feuille de calculs électronique, ni ne se confond avec l'idée un peu moins abstraite

d'une structure de menu pour une feuille de calculs électronique. L'idée d'une

structure de menu - qui inclut la structure d'ensemble, l'ordre des commandes sur

chaque ligne du menu, le choix de lettres, de mots, ou de "marques symboliques"

pour représenter chaque commande, la présentation de ces marques symboliques

sur l'écran (par exemple, première lettre seulement, abréviations, mots en entier,

mots en entier avec une ou plusieurs lettres capitales ou soulignées), le type de

système de menu utilisé (par exemple, menus à curseur mobile de une, deux ou trois

lignes, menus coulissants, ou interfaces pilotés par des commandes), et les

messages d'assistance pourrait être exprimée par un nombre très important, pour ne pas dire bel et bien illimité, de manières.

Le fait que certains de ces termes de commande spécifiques sont plutôt évidents

ou se confondent avec l'idée de tel terme de commande particulier, n'exclut pas

l'application de la protection du droit d'auteur à la structure des commandes prise dans

son ensemble. Si des caractéristiques particulières, qui ne sont pas individuellement

distinctives, ont été agencées de telle manière que 1"'ensemble" devient une expression

distinctive d'une idée - une des diverses manières possibles de l'exprimer -, la protection

du droit d'auteur peut alors s'appliquer à 1"'ensemble". Les dispositions législatives

relatives à la "compilation", 17 U.S.C. §§ 101, 103, ne sont pas fondamentales pour cette

conclusion, mais constituent une bonne confirmation. Une structure globale différente

peut être développée même à partir d'éléments individuels qui sont assez similaires et

limités dans leur nombre. Pour déterminer si la protection du droit d'auteur est applicable,

un tribunal n'a pas besoin de - et, en effet, ne devrait pas - disséquer chaque élément de

176

Page 27: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

l'oeuvre que l'on prétend protégée. Le tribunal doit plutôt seulement identifier les éléments

qui peuvent être protégés par le droit d'auteur, et ensuite déterminer si ces éléments,

considérés comme un tout, ont été l'objet d'une copie prohibée. Atari Games Corp. c.

Oman, 888 F.2d 878, 882-83 (D.C.Cir.1989) (qui rejette "l'analyse élément-par-élément", et qui décide à la place que l'intérêt doit être en fin de compte porté sur ,"l'oeuvre comme

un tout").

Il est clair que le demandeur n'a pas effectué une copie prohibée d'éléments de

Visicalc protégés par le droit d'auteur. Lotus 1-2-3 utilise une structure de menu très

différente. Par opposition au menu principal d'une ligne de Visicalc qui affiche

"Command : BCDEFGIMPRSTVW-", le menu principal de Lotus 1-2-3, qui utilise un

système de menu à curseur mobile de deux lignes, affiche : "Worksheet Range Copy

Move File Graph Data Quit". De la même façon, la majorité des sous-menus

présentent une liste allant jusqu'à environ dix choix de menu en toutes lettres,

présentés dans l'ordre de leur fréquence d'utilisaüon prévisible plutôt que dans

l'ordre alphabétique.

D'autres tableurs ont aussi exprimé leurs structures de commandes de façon

tout à fait différente.

J'en conclus qu'une structure de commande de menu est susceptible d'être

exprimée en un grand, sinon illimité, nombre de manières, et que la structure de

commande de 1-2-3 constitue une manière originale et non évidente d'exprimer une

structure de commande.

En conséquence, la structure du menu, prise comme un tout - et comprenant le

choix des termes de commande, la structure et l'ordre de ces termes, leur

présentation sur l'écran, et les messages d'assistance constitue un aspect du

programme 1-2-3 qui ne se retrouve pas dans toute expression d'une feuille de

calculs électronique...

Je déclare que l'application de la protection du droit d'auteur à l'interface de

l'utilisateur du programme 1-2-3 est établie.

REPRODUCTION DU PROGRAMME LOTUS 1-2-3

Non seulement, dans cette affaire, la reproduction est à ce point "évidente et

générale" qu'elle exclut, en droit, toute allégation de création indépendante, mais en

outre, les défendeurs ont reconnu dans cette affaire qu'ils ont copié les éléments

dont l'expression est protégée.

177

Page 28: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

[...]

Les défendeurs... ont reconnu le succès de 1-2-3 et sont parvenus à la

conclusion qui a engendré ce litige : pour que VP-Planner soit un succès

commercial, il devrait être "compatible" avec 1-2-3. Les défendeurs croyaient que

"l'unique façon pour atteindre ce résultat", "était de faire en sorte que la disposition et les noms des commandes et des menus du VP-Planner soient conformes à celle et à

ceux du Lotus 1-2-3".

Une telle compatibilité permettrait aux utilisateurs de transférer les feuilles de

calculs créées dans le programme 1-2-3 sur le programme VP-Planner sans que les

macros de la feuille de calculs perdent leur fonctionnalité. En outre, une telle

compatibilité permettrait aux utilisateurs de se transférer du 1-2-3 au VP-Planner

sans qu'une formation au fonctionnement du VP-Planner soit nécessaire.

Au moins à un certain niveau, les prémisses des défendeurs se sont révélées

incorrectes après réflexion. C'est-à-dire, en premier lieu, comme Excel l'a prouvé, un

tableur n'a pas à être exactement compatible avec le programme 1-2-3 pour être un

succès commercial. En second lieu, la reproduction de la structure du menu n'était

pas le seul moyen pour réaliser les aspects de cette compatibilité souhaitée. Par

exemple, les défendeurs auraient pu ajouter à la place une capacité de conversion macro comme l'ont fait avec succès les auteurs d'Excel (the Microsoft Excel Macro

Translation Assistant), et auraient pu prévoir une fonction d'aide en-ligne qui aurait montré aux utilisateurs l'équivalent sur le VP-Planner des commandes du 1-2-3.

Néanmoins, ces différents points ne sont pas d'une importance majeure dans

cette décision, parce que même si autrement VP-Planner avait été un échec

commercial, et même si il n'existait aucun autre moyen technologique pour réaliser la

compatibilité du macro et du menu, le désir de réaliser "une compatibilité" ou "une

standardisation" ne peut pas passer outre les droits des auteurs à un monopole limité

sur l'expression incorporée dans leur "oeuvre" intellectuelle.

Les défendeurs admettent que, une fois ces décisions capitales prises par

Stephenson et Osborne, ils ont converti le VP-Planner en un programme qui

ressemblait plus au 1-2-3 - programme dont ils ont en effet fait la publicité en le

qualifiant de programme "fonctionnant comme le 1-2-3". Il est indéniable que, dans

le procédé, ils ont reproduit les éléments expressifs du 1-2-3 que la Cour a jugés

comme pouvant bénéficier de la protection du droit d'auteur :

"Effectuer les modifications nécessaires pour la compatibilité du macro signifiait

178

Page 29: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

que nous devions réviser les éléments existants de l'interface de l'utilisateur de la

feuille de calculs du VP-Planner, y compris la structure hiérarchique du menu; faire

en sorte que les séquences de frappe des touches apporteraient le même résultat

opérationnel dans les deux programmes; ajouter certains éléments fonctionnels

rencontrés dans Lotus 1-2-3 et que VP-Planner ne possédait pas encore; et

abandonner certaines caractéristiques qui, bien qu'avantageuses, ne concordaient

pas avec les exigences de la compatibilité du macro...

Différents types de changements étaient nécessaires dans le programme VP-

Planner pour réaliser la compatibilité macro de la frappe des touches. Tout d'abord,

la structure du menu devait être modifiée de telle façon que toutes les commandes

du menu auraient la même première lettre et seraient situées au même endroit dans

la hiérarchie du menu que dans le programme 1-2-3."

Ces modifications une fois faites, le manuel du VP-Planner pouvait déclarer en

toute vérité :

"VP-Planner est conçu pour fonctionner comme Lotus 1-2-3, frappe de touche

pour frappe de touche... La page de travail du VP-Planner fonctionne trait par trait comme le 1-2-3. Il fait des macros. Il a le même arbre de commande. Il permet le

même genre de calculs, le même genre d ' information numérique . Tout ce que le 1-

2-3 fait, VP-Planner le fait ."

La comparaison faite par la Cour de la hiérarchie de commandes du menu du 1-

2-3 et de la hiérarchie du menu du VP-Planner, confirme que VP-Planner "a le même

arbre de commandes" que 1-2-3 - c ' est-à-dire que les défendeurs ont copié

l'expression incorporée dans la hiérarchie du menu de 1-2-3. Il est vrai qu'il existe

quelques différences entre la structure du menu du 1-2-3 et la structure du menu du

VP-Planner. Par exemple, la plupart des lignes du menu du VP-Planner commencent

par une commande d'aide ("?"), et quelques commandes supplémentaires sont

comprises à la fin de certaines lignes du menu (c'est-à-dire, "DBase,

Multidimensional" sur la ligne du menu "/File Erase"; et "Page , No Page , Row/Col.

, Stop Row Col. , Background" sur la ligne du menu "/Print Printer Options Other"). D'autres différences entre les deux programmes apparaissent dans les écrans de

démarrage, la disposition les lignes du menu sur l'écran, le libellé exact des

messages d'assistance, l'organisation des écrans d'aide, la largeur accrue de l'écran

du VP-Planner, et la capacité du VP-Planner de dissimuler certaines colonnes.

Néanmoins, les oeuvres sont en effet substantiellement et de façon frappante

similaires. Comme le Juge Learned Hand l'a estimé dans une affaire de droit d'auteur

179

Page 30: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

concernant un motif sur un rouleau d'étoffe qui avait été utilisé pour faire des robes,

une contrefaçon peut être retenue malgré quelques différences entre deux oeuvres :

"l'observateur ordinaire, à moins qu'il n'ait pour but de détecter les différences,

serait enclin à les négliger, et à considérer leur attrait esthétique comme identique.

Cela est suffisant; et en effet, c'est tout ce que l'on peut dire, à moins que la

protection contre la contrefaçon doive être refusée à cause de variantes sans rapport

avec le but pour lequel le dessin est conçu."

Peter Pan Fabrics, Inc. c. Martin Weiner Corp., 274 F.2d 487, 489 (2d Cir. 1960),

Du point du vue d'un observateur expert et aussi d'un observateur ordinaire, les

similitudes effacent les différences. Ainsi, comme dans l'affaire Peter Pan Fabrics,

les deux oeuvres en jeu sont substantiellement similaires. En effet, en utilisant

l'option du VP-Planner qui permet à un utilisateur de déplacer le menu du bas de

l'écran vers le haut de l'écran, un utilisateur pourrait facilement penser que le

programme utilisé était le 1-2-3 plutôt que le VP-Planner. Sans aucun doute, les

personnes qui achèteraient un livre destiné à apprendre aux utilisateurs comment

maîtriser le 1-2-3, qui serait distribué avec des exemplaires de démonstration du VP-

Planner, risqueraient de négliger les différences entre le 1-2-3 et le VP-Planner.

En outre, même si certains éléments du VP-Planner étaient très différents, cela ne

donnerait pas aux défendeurs une licence pour copier mot pour mot d'autres éléments

substantiels. Si quelqu'un publie un livre de 1.000 pages dont seulement un passage de

10 pages est une reproduction interdite d'un produit protégé par le droit d'auteur, et si le

passage de 10 pages est une part importante en qualité de l'oeuvre protégée, le fait que

le livre soit à 99 % différent du produit protégé ne constitue pas un moyen de défense

contre une demande en justice pour contrefaçon.

SAS Institute, 605 F.Supp. pages 829-30. Ainsi, la preuve des défendeurs

selon laquelle le programme VP-Planner possède plusieurs caractéristiques

différentes du Lotus 1-2-3 n'est pas pertinente. En effet, la question qu'il convient

plutôt de se poser est la suivante : le VP-Planner possède-t-il des caractéristiques

importantes qui sont substantiellement similaires au Lotus 1-2-3 ? D'après les

preuves apportées, ma conclusion est que cette question ne soulève aucune

discussion véritablement pertinente. La réponse à cette question ne peut être que "oui".

En conséquence, je conclus qu'il est incontestable que les défendeurs ont

copié des éléments substantiels, pouvant être protégés par le droit d'auteur, de

180

Page 31: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

l'oeuvre des demandeurs protégée par le droit d'auteur. J'en déduis, par conséquent

que, sous réserve de l'examen d'autres arguments avancés par les défendeurs, la

responsabilité a été établie.

LES ARGUMENTS DE PRINCIPE DES DEFENDEURS FONDES SUR LE

PRINCIPE OTSOG

Un autre argument de principe des défendeurs mérite l'attention. En dépit des

dispositions législatives confirmant la conclusion selon laquelle les éléments de

l'interface de l'utilisateur du 1-2-3 sont susceptibles d'être protégés par le droit

d'auteur, les défendeurs soutiennent que la nécessité de réaliser la compatibilité et la

normalisation oblige à rejeter cette conclusion pour des raisons de principe. La

protection par le droit d'auteur de l'interface de l'utilisateur, soutiennent-ils, ira à

l'encontre de l'intérêt du public dans la possibilité pour les programmeurs d'innover en "empruntant" et en améliorant les idées des autres programmeurs, et minera les

tentatives de compatibilité et de normalisation entre les différents programmes. Les

défendeurs affirment que, en particulier dans le domaine capital des interfaces de

l'utilisateur, la protection par le droit d'auteur aura des conséquences néfastes sur

l'incitation à l'innovation et sur l'intérêt général.

L'affirmation générale des défendeurs - selon laquelle "le progrès de la science

et des arts utiles" ne peut s'opérer à moins que les auteurs et les inventeurs aient le

privilège d'améliorer les progrès et innovations antérieurs- a longtemps été une

hypothèse pratiquement incontestée dans toutes les branches du droit de la

propriété intellectuelle. Une première manifestation de cette-question se trouve dans

la déclaration de Newton : "Si j'ai vu plus loin, c'est en me jetant sur des épaules

de Géants". Sir Isaac Newton, lettre à Robert Hooke, 5 février 1675/1676, citée dans

R. Merton, "On the Shoulders of Giants: A shandean Postcript 31 (1965)". Ce

principe a été appelé "OTSOG" (selon la version moderne "on the shoulders of

giants" (sur des épaules de géants)... Les défendeurs, toutefois, essaient de retirer

quelque chose de la pierre angulaire OTSOG qui ne s'y trouve pas.

Deux applications possibles de O T S O G dans le domaine de la

programmation d'ordinateur sont pertinentes dans cette affaire. Premièrement,

l'innovation dans la programmation d'ordinateur fait un pas en avant quand

chaque programmeur améliore les idées des programmeurs précédents. Deuxièmement, certaines idées innovatrices peuvent être énoncées d'une

manière particulière tellement efficace ou effective que l'expression devient

normalisée dans l'ensemble du domaine en question même si l'idée est

181

Page 32: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

susceptible d'être exprimée d'autres manières - c'est-à-dire même si l'expression

particulière n'est pas un détail essentiel à toute expression de cette idée. Bien

que ces deux corollaires de OTSOG soient importants pour l'avenir de la

programmation d'ordinateur, aucun n'a été adopté par le Congrès ( comme précisé ci-dessous) d'une manière telle à fouler aux pieds l'intérêt du public dans le fait de conférer à un auteur un droit à un monopole limité sur son "oeuvre".

Les "épaules de géants" métaphoriques sur lesquelles les successeurs peuvent

légalement monter, ne sont pas aussi larges que les défendeurs l'affirment. Les

épaules légalement concernées des géants qui programment sont leurs idées - et ne

s'étendent pas à toutes leurs manifestations. L'incitation à l'innovation ne requiert

pas plus. Il suffit que les programmeurs aient le privilège d'emprunter et d'améliorer

les idées antérieures - comme les idées pour une page écran électronique et un

menu à curseur mobile de deux lignes. Il reste une place suffisante pour l'innovation

même si les successeurs n'ont pas le droit de copier les expressions particulières

des auteurs précédents - telles que la structure spécifique, la séquence, et

l'organisation d'un système de commande de menu.

Bien évidemment, si l'idée d'un programmeur antérieur peut être exprimée

uniquement d'une seule manière ou en un petit nombre de manières - comme

l'affichage à l'écran en forme de "L" incliné ou l'utilisation de la touche "barre oblique"

pour appeler le système de commande de menu alors, l'expression, aussi, peut être

copiée. Lorsque, par opposition, l'idée est susceptible d'être exprimée sous

d'innombrables formes, permettre aux programmeurs de copier la manière

particulière dont les idées ont été exprimées par d'autres, promouvrait seulement un

clone (copie conforme) peu coûteux et non l'innovation.

Le deuxième corollaire du principe "OTSOG" pertinent dans cette affaire est

relatif à la standardisation. Les défendeurs ont argumenté que le 1-2-3, et

particulièrement la structure du menu et le système de commande macro du 1-2-3, a

institué une norme industrielle de facto pour toutes les pages écran électroniques.

Ainsi, les défendeurs soutiennent qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de copier ces

éléments expressifs du 1-2-3. S'ils n'avaient pas copié ces éléments (y compris le

système macro), les utilisateurs, qui avaient été formés sur le 1-2-3 et avaient écrit

des macros complexes destinés aux pages écran du 1-2-3, refuseraient de passer

au VP-Planner. Le VP-Planner aurait été un échec commercial. Ni le prédicat factuel,

ni le prédicat juridique de l'argument n'est soutenable.

Tout d'abord, l'argument des défendeurs ignore le succès commercial d'Excel,

un tableur innovateur qui n'est pas compatible avec le 1-2-3, ni dans la structure de

182

Page 33: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

son menu, ni dans son système de commande macro. L'argument des défendeurs

ignore aussi les alternatives à une reproduction directe qui étaient légalement à leur

disposition.

Comme nous l'avons déjà expliqué, dans la mesure où les auteurs du VP-

Planner étaient intéressés par la compatibilité par rapport aux macros écrits à

l'origine pour le 1-2-3, ils auraient pu munir le VP-Planner d'un instrument de

traduction qui pourrait lire les macros du 1-2-3, et les convertir automatiquement en

des macros pouvant être utilisés sur le VP-Planner. Microsoft Corporation a, avec

succès, inclut une telle capacité dans Excel, et Lotus lui-même a élaboré une telle

capacité pour traduire des macros dans des versions de langage différent du 1-2-3.

Les défendeurs n'ont pas apporté de preuve convaincante démontrant qu'ils

n'auraient pas pu faire la même chose avec le VP-Planner. Le fait que "cela aurait

été une tâche extrêmement compliquée" et qui aurait coûté plus cher aux

défendeurs, ne constitue pas un motif pour refuser la protection du droit d'auteur au

1-2-3. La protection du droit d'auteur entraîne toujours des conséquences de ce type.

En outre, dans la mesure où le VP-Planner marque un progrès important sur le

1-2-3 de par ses capacités de base de données multidimensionnelle, les défendeurs auraient pu (1) demander une licence pour utiliser la structure du menu et le système

de commande du 1-2-3; (2) proposer à Lotus de lui vendre leur nouvelle expression

d'idées pour l'inclure dans les versions futures du 1-2-3; ou (3) commercialiser le VP-

Planner comme un "complément" au 1-2-3.

Un programme "complément" est un programme conçu pour être utilisé

conjointement avec un autre programme. Par exemple, HAL est un programme qui

est utilisé conjointement avec le 1-2-3 - un utilisateur doit avoir et HAL et 1-2-3 - ce

qui permet à un utilisateur du 1-2-3 d'entrer des commandes sous forme de phrases

simples comme "copie colonne B sur E" plutôt que de sélectionner des commandes

des menus.

Pour encourager la création de programmes complémentaires (ce qui, en

retour, rend le programme 1-2-3 plus intéressant pour les clients potentiels), Lotus a

publié un livre appelé Les outils de l'exploitant de Lotus ("Lotus Developer Tools")

qui aide les exploitants à écrire des programmes complémentaires.

Ainsi, même si les défendeurs trouvaient les deux premières alternatives

inintéressantes ou inaccessibles (par exemple, à cause du refus de Lotus ou de son

accord mais à des conditions désavantageuses), ils auraient pu commercialiser leur

capacité de base de données multidimensionnelle comme un "complément" pour

183

Page 34: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

ceux des utilisateurs intéressés par cette capacité. Le nouveau produit pourrait faire

les frais de l'opération et de la commercialisation sous-tendues par la troisième

option, à moins que ses caractéristiques innovatrices le rendent très intéressant aux

utilisateurs potentiels, mais cet effet fonctionnel du droit de la propriété intellectuelle

serait tout à fait conforme aux objets et principes de ce droit tels qu'ils se manifestent

dans la législation sur le droit d'auteur et les précédents judiciaires. En vendant à la

place un produit autonome qui remplace complètement le 1-2-3, les défendeurs n'ont

pas simplement vendu et profité de leur seule expression additionnelle accrue. Ils

recherchent plutôt la permission de tirer aussi profit de la reproduction de l'expression protégée de Lotus.

L'argument des défendeurs sur la normalisation est imparfait pour une autre raison.

Comme nous l'avons expliqué plus haut, un des objets du droit de la propriété

intellectuelle est de protéger l'expression afin d'encourager l'innovation. Il s'ensuit par

conséquent que plus l'expression d'une idée est innovatrice, plus la protection de cette

expression par le droit de la propriété intellectuelle est importante. En soutenant que le 1-

2-3 était à ce point innovateur qu'il était le seul sur le marché et établissait une norme

industrielle de facto, et que, par conséquent, les défendeurs étaient libres de copier

l'expression des demandeurs, les défendeurs ont porté atteinte au droit d'auteur. Le droit

de la propriété intellectuelle serait mauvais s'il protégeait seulement les améliorations

banales et laisserait sans protection comme faisant partie du domaine public ceux des

progrès qui constituent une innovation plus remarquable.

Enfin, l'argument relatif à la normalisation en son entier peut être contesté pour

une raison plus fondamentale. Les défendeurs n'ont cité aucune disposition

législative, ni aucun précédent, qui aurait déclaré que la normalisation, lorsqu'elle

n'est pas réalisée de jure, est nécessairement pour le bien public. La Cour est

consciente qu'il n'existe pas un tel précédent ou une telle loi. Il suffit d'un instant de

réflexion pour montrer que l'intérêt public dans une normalisation étendue est une question vivement discutable.

De toute façon, la méthode particulière avec laquelle ils souhaiteraient que la

Cour tranche ce litige, méthode qui réduirait la protection du droit d'auteur bien en-

dessous des dispositions de la loi sur le droit d'auteur, est un argument décisif contre l'affirmation des défendeurs.

(Extraits choisis par Shira PERLMUTTER)

(Traduction française de Salvatrice ROBERTI)

184

Page 35: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

NOTE

Introduction

Les tribunaux américains continuent de débattre de la question de l'étendue de

la protection des logiciels informatiques par le droit d'auteur. L'année dernière, les

milieux du droit d'auteur et de l'informatique ont suivi avec un grand intérêt l'évolution

de deux procès intentés par un leader de l'industrie, Lotus Development Corp.,

contre des sociétés qui avaient créé des versions qui fonctionnaient de manière

semblable au programme de tableur Lotus 1-2-3, programme qui a eu un succès

important. La question qui se posait était celle de savoir jusqu'à quel degré il était permis à un concurrent de reproduire la structure de commande du menu Lotus 1-2-3

en créant son propre interface utilisateur.

Dans un jugement, d'une longueur importante, rendu dans l'une des deux

affaires, le 28 juin 1990, le Tribunal de Première Instance (Tribunal du District Fédéral

du Massachusetts) a décidé que le programme de tableur de Lotus pouvait être

protégé par le droit d'auteur et était contrefait par les parties défenderesses copiant

la structure de commande du menu (1). Ces conclusions ne sont pas surprenantes,

étant donné les faits présentés: un programme créatif très fortement copié. L'analyse

par le Tribunal du principe du droit applicable, même en laissant de côté les quelques

faux pas mineurs et en fin de compte sans importance pour le raisonnement, ne

représente pas une percée importante du droit. En fait, en dépit du nombre de pages

important qu'il a fallu au Tribunal pour déterminer la norme juridique applicable et

pour arriver à sa conclusion, la décision est tout à fait cohérente avec le courant

principal de la jurisprudence antérieure (2). La décision est toutefois remarquable

dans son interprétation de plusieurs arguments d'ordre politique avancés par les

parties défenderesses - des orientations qui pourraient jouer un rôle sérieux dans les

affaires futures concernant le logiciel.

Les programmes des parties

Lotus 1-2-3

Lotus 1-2-3 est un programme de tableur électronique conçu principalement

pour assister la gestion d'entreprises au moyen de l'organisation et de la

manipulation de données. Le programme propose à l'utilisateur un écran constitué

d'un tableau vide, avec l'écran divisé en colonnes et lignes qui s'entrecroisent, créant

185

Page 36: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

des cellules vides dans lesquelles des chiffres ou des mots peuvent être saisis. Une

série de mots est listée horizontalement à travers la ligne supérieure, chacun

représentant une commande qui peut être communiquée à l'ordinateur. Sous chaque

commande se trouve un "long prompt", c'est-à-dire une phrase ou une liste de mots

qui fournit des informations supplémentaires au sujet d'une commande.

Sur l'écran figure également un curseur qui se déplace, moyen pour l'utilisateur

de communiquer la commande de son choix. Cela s'obtient en appuyant sur des

touches qui déplacent le curseur dans différentes directions jusqu'à ce que celui-ci

atteigne le mot pour la commande souhaitée, puis en appuyant sur la touche "retour".

Les commandes peuvent également être communiquées de deux autres

manières : (I) en appuyant sur la touche représentant la première lettre du mot de la

commande appropriée, ou (2) dans le cas de certaines commandes utilisées de

manière fréquente, en appuyant sur la "touche fonction" correspondant à la

commande souhaitée.

Une fois que l'utilisateur communique une commande à l'ordinateur, la

configuration de l'écran changera, présentant une nouvelle liste de choix de

commandes ("subcommands") associée à la commande déjà demandée, ainsi que

des nouveaux "long prompt" correspondant aux sous-commandes.

V-P Planner

Les parties défenderesses ont commencé le développement de leur propre

programme, V-P Planner, de manière indépendante, sans utiliser Lotus 1-2-3 comme

modèle. Durant le processus de développement, mais après avoir créé une version

opérationnelle du programme, y compris les commandes de menu pour son interface

utilisateur, ils ont pris une décision lourde de conséquences. Parce que Lotus 1-2-3

avait eu tellement de succès, ils ont déterminé que leur programme, afin d'être

commercialisable, devait être compatible avec Lotus 1-2-3, permettant ainsi aux

utilisateurs de passer d'un programme à l'autre, sans avoir à effectuer une nouvelle

formation, et de permettre le transfert de tableurs entre les programmes. Afin

d'obtenir ce résultat, les parties défenderesses ont changé les noms de leurs

commandes de menu, ainsi que leur structure et disposition pour ceux utilisés dans

Lotus 1-2-3. En conséquence, l'utilisateur de chacun des deux programmes se verrait

présenter les mots identiques à l'écran, dans le même ordre, dont chacun rappellerait

les mêmes mots en sous-commandes.

Les interfaces utilisateurs du produit final étaient si proches de Lotus 1-2-3 que

les parties défenderesses ont pu affirmer dans le manuel d'utilisation que :

186

Page 37: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

"VP-Planner est conçu pour fonctionner comme Lotus 1-2-3, touche pour touche... La feuille de calcul de VP-Planner fonctionne de manière semblable à Lotus

1-2-3 trait pour trait. Il fait des macros. Il a le même arbre de commande..."

L'étendue de protection par le droit d'auteur de Lotus 1-2-3

Il n'a jamais été soutenu que le programme Lotus 1-2-3 était une oeuvre

protégeable par le droit d'auteur, dans sa totalité, dans le cadre du droit américain.

Ainsi qu'il en a été convenu entre les deux parties, le langage littéral dans lequel un

programmme est écrit - qu'il s'agisse du code source ou du code objet - entrait dans

le champ d'application du droit d'auteur comme l'avaient décidé de nombreuses

décisions antérieures (3). Aucune partie de ces codes, toutefois, n'avait été utilisée

dans VP-Planner. Le problème auquel faisait face le Tribunal était de savoir si la

structure de commande du menu de Lotus 1-2-3 - le seul élément du programme

repris par les parties défenderesses - constituait elle-même un élément protégeable selon le droit d'auteur par rapport à l'oeuvre dans sa totalité.

Après avoir longuement passé en revue l'historique du texte législatif sur le droit d'auteur et de nombreuses doctrines d'un intérêt inégal dans cette affaire, le Tribunal est

arrivé à la conclusion évidente que le critère applicable était la dichotomie idée/forme

d'expression (4). Si la structure de commande du menu était une simple idée ou concept,

elle n'entrait pas dans le cadre du droit d'auteur de Lotus; si, par contre, elle contenait en

elle-même la forme d'expression d'une idée, elle était protégée.

La mise en oeuvre du critère impliquait l'analyse du tableur électronique en

général, aussi bien que l'analyse point par point des divers composants de Lotus 1-2-

3, et une comparaison de la constitution d'autres programmes de tableurs. Le

Tribunal a conclu que certains de ces composants n'étaient pas protégeables, que ce

soit parce qu'ils sont essentiels pour la mise en oeuvre de l'idée sous-jacente au

tableur électronique ou parce qu'il n'y avait que très peu d'alternatives possibles. Les

composants non protégeables comprenaient l'utilisation d'un menu avec un curseur

de deux lignes qui peut se déplacer; le format de base de l'écran avec une

présentation sous forme de L; la désignation d'une touche particulière à appuyer afin

d'appeler un système de commande de menu; l'utilisation des touches "+," "-," "*" et

"/" dans des formules mathématiques pour indiquer les fonctions respectives

d'addition, soustraction, multiplication et division ; et l'utilisation de la touche "retour"

pour communiquer les commandes et saisir les données dans les cellules (5).

Par ailleurs, le Tribunal a retenu une forme protégeable constituée de la

structure, la séquence et l'organisation dans l'ordre de commande du menu, le tout

187

Page 38: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

considéré dans un ensemble. Même si les commandes individuelles étaient

évidentes, ou permettaient peu de variation, leur combinaison dans une ensemble

distinct - y compris l'ordre, la forme de présentation, le type de système de menu et

des "long prompts" - était originale et ainsi répondait aux normes de protection par le

droit d'auteur (6). L'essentiel, pour le Tribunal, était le fait qu'un autre programme de

tableur utilisait des structures de commande de menu tout à fait différentes (les

preuves ont été apportées avec, au moins, huit programmes appartenant à des tiers).

En jugeant la structure de commande du menu Lotus 1-2-3 protégeable par le

droit d'auteur, le Tribunal a rejeté un argument intéressant avancé par les parties

défenderesses. Parce que les commandes, dans la structure dans laquelle elles

étaient organisées, pouvaient être combinées par les utilisateurs pour créer des

"macros", des séquences fixes de commandes pouvaient être programmées dans la

mémoire de l'ordinateur et par la suite communiquées par un nombre limité de

touches prédéterminées, les parties défenderesses ont plaidé que la structure de

commande constituait un langage de programmation et ne pouvait ainsi être

protégée. Le Tribunal a jugé ce raisonnement non seulement faux, mais, pour une

raison inconnue, choquant. Le Tribunal a suggéré qu'un langage qui serait une

création originale d'un être humain, tel que l'Esperanto, pouvait être protégeable par le droit d'auteur, mais il a indiqué qu'une oeuvre pouvait, en même temps, servir de

langage de programmation et d'ensemble de formules ou d'instructions pouvant être

qualifiés de "programme d'ordinateur", selon. la définition du Copyright Act (7), sans

que cette dualité puisse empêcher la protection par le droit d'auteur (8).

La conclusion du Tribunal, selon laquelle la structure de commande du menu est un

élément pouvant bénéficier du droit d'auteur attribué au programme de tableur de Lotus

1-2-3, semble éminemment raisonnable. La nécessité d'aborder cette question,

cependant, était douteuse. Même un regard rapide sur les programmes des parties révèle

une ressemblance frappante dans ce qui paraît à l'écran lorsqu'un utilisateur appelle

chaque programme. Les formats de présentation sont structurés visuellement de manière

identique, avec deux lignes de commande et des "long prompts" correspondant,

respectivement, à travers le haut de l'écran; les mots utilisés sont quasiment identiques.

Bien que les parties défenderesses aient pu ne pas copier un mot de code source ou de

code objet, leur reprise de la présentation de l'écran - aussi bien dans son aspect

graphique que dans le choix des mots - était évidente et étendue. L'affaire aurait pu être

jugée sur ce seul fondement, sans examen du caractère protégeable de la séquence non

littérale du programme, sa structure et son organisation (9).

La décision de protéger la séquence, la structure et l'organisation était

néanmoins en rapport avec la jurisprudence dominante. La plupart des autres

188

Page 39: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

juridictions, ayant à résoudre la question de la distinction entre idée et forme dans un

logiciel, avaient abouti à la même conclusion (10), faisant l'analogie entre les

programmes d'ordinateur et des types traditionnels d'oeuvres littéraires, qui ont non

seulement été protégés depuis longtemps contre la copie du dialogue même mais aussi contre la reproduction de la structure générale (11). Ces décisions ont estimé

protégeable "séquence, structure et organisation", ou une variante quelconque de

ceux-ci, dans l'ordre interne des commandes de programmes (12) aussi bien que

dans la disposition visuelle des écrans (13).

La décision Lotus se distingue toutefois de certaines décisions antérieures

relatives au logiciel, par son analyse de la dichotomie idée/forme d'expression.

L'application de la dichotomie idée/forme d'expression est difficile dans le contexte de

programme d'ordinateur où le but final est fonctionnel plutôt qu'esthétique et où les

moyens d'expression alternatifs sont limités pour des raisons d'efficacité. La

séparation faite par le Tribunal dans l'affaire Lotus entre une idée et une forme

d'expression est meilleure par rapport à celle effectuée dans les autres décisions.

Dans cette affaire, en particulier, cette décision montre une plus grande

compréhension des nuances de la distinction que ne l'a fait la principale décision

antérieure, au niveau des Cours d'Appel relative à cette question, rendue dans

l'affaire Whelan Associates, Inc. V. Jaslow Dental Laboratory, Inc. (14). Dans l'affaire

Whelan, la Cour d'appel, étudiant l'étendue de la protection par le droit d'auteur d'un

programme conçu pour aider la gestion de laboratoires dentaires, a distingué l'idée

de la forme de façon grossière. La Cour d'appel a défini l'idée d'un programme

comme étant sa fonction ou finalité, et chaque aspect du programme non nécessaire

à cette fonction comme constituant une expression. Cette distinction était

malencontreuse, puisqu'il peut y avoir de nombreuses idées non protégeables qui ne

sont pas nécessaires mais qui sont utilisées pour accomplir la fonction globale d'un

programme. De plus, la Cour, dans l'affaire Whelan, a interprété la fonction du

programme en question de manière si générale qu'il a rendu quasiment chaque

élément protégeable en tant qu'expression: la fonction était définie comme étant celle

"destinée à aider dans les opérations d'affaires d'un laboratoire dentaire" (15). Par

contre, bien que le Tribunal, dans l'affaire Lotus, se soit référé à l'affaire Whelan, il a

discerné l'existence de plusieurs éléments non protégeables du logiciel et cela en

examinant le programme de façon plus détaillée au lieu de s'interroger simplement

sur sa finalité globale. Une application exacte de l'approche retenue par les juges,

dans l'affaire Whelan, aurait conduit à une étendue de protection bien plus large pour

Lotus 1-2-3, puisque le Tribunal aurait identifié "l'idée" du programme comme

"assistant à la manipulation électronique de données", ce qui aurait conféré à Lotus

la possibilité de bloquer quasiment le marché des tableurs similaires.

189

Page 40: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Une analyse plus fine, plus proche dans son résultat, sinon dans son raisonnement, de la décision Lotus, a été appliquée dans l'affaire Softklone (16). La

question posée était relative à l'étendue de la protection du "status screen" conçu

pour permettre aux ordinateurs de communiquer entre eux les données. Le Tribunal,

dans l'affaire Softklone, a interprété l'idée du "status screen", comme étant le

processus ou la manière par lequel il opérait, et son expression comme étant la

manière suivant laquelle l'idée a été communiquée à l'utilisateur. Comme le Tribunal,

dans l'affaire Lotus, il a passé en revue les éléments individuels constituant l'oeuvre

de la partie demanderesse, classifiant chacun selon qu'il est une idée ou une forme.

Ses conlusions étaient similaires: l'utilisation d'un écran pour communiquer avec

l'utilisateur, l'utilisation de commandes pour faire un progamme et l'appui de deux touches pour transmettre une commande ont été considérés comme des idées. La

disposition particulière et la présentation des termes de commande, incluant

différents choix de symboles pour transmettre les commandes, n'étaient pas

nécessaires à ces idées et constituaient une expression protégeable. Du point de vue

du Tribunal, et du fait de cette disposition originale, le statut de l'écran qualifiait de

"compilation" des termes de commandes entrant dans le champ de la législation sur

le droit d'auteur (17).

Peut-être parce que le Tribunal, dans l'affaire Lotus, ne s'est pas limité à la

prise en considération de la présentation de l'écran de Lotus 1-2-3, mais est allé au-

delà, à la structure sous-tendant le programme, il n'a pas classé l'oeuvre comme

étant une compilation. Le Tribunal a cependant estimé le fait d'être auteur de la

structure de commande du menu, comme analogue au fait d'être auteur d'une

compilation basée sur des actes de sélection, coordination et disposition d'éléments

individuellement non protégeables ou pré-existants (18).

Refus du test "Apparence et Toucher" ("look and feel) pour l'analyse de la

protection par le droit d'auteur

Egalement louable était le refus du Tribunal, dans l'affaire Lotus, de considérer

comme critère de la protection par le droit d'auteur "l'apparence et le toucher" du

programme de la partie demanderesse. Bien que certains tribunaux américains et

certains auteurs aient identifié "l'apparence et le toucher" général de l'interface utilisateur

d'un programme comme étant un élément non littéral protégeable du progamme (19),

cette approche est dangereuse, dans la mesure où elle tend à une protection excessive.

"L'apparence et le toucher" d'un programmme, bien que pouvant être précisément la

source de satisfaction des utilisateurs, incluera quasiment inévitablement des éléments

non protégeables, tels que les idées et le style.

190

Page 41: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Bien que le Tribunal, dans l'affaire Lotus, n'ait pas soulevé cette difficulté, il a

correctement décrit le concept de "l'apparence et du toucher" comme n'étant pas

"utile, de manière significative, pour distinguer, parmi des éléments non littéraux d'un

programme informatique, ceux qui sont protégeables par le droit d'auteur et ceux qui

ne le sont pas" (20). "L'apparence et le toucher", un concept apparemment dérivé d'une décision de 1970 concernant des cartes de voeux (21), était utilisé à l'origine

pour permettre de déterminer une similitude substantielle au stade de la contrefaçon.

Quel que soit son mérite dans ce contexte, son application à l'étendue de la

protection pour des programmes d'ordinateur est pour le moins discutable (22).

Dans l'affaire Lotus, le Tribunal a également reconnu que le concept de

"l'apparence et du toucher" devait être perçu comme n'étant rien de plus qu'une

conclusion, obtenue après une analyse juridique complète, incluant l'application d'utilisations futures légitimes. Ainsi, par exemple, des concurrents devraient être

libres de copier des idées telles qu'un curseur de deux lignes pouvant se déplacer -

aussi bien que des formes qui sont inséparables des idées - par exemple, la forme

de présentation de l'écran en L couché. Et la discussion du Tribunal sur la question

de la compatibilité indique qu'il est peut-être permis de traduire des macros au

moyen d'un programme de conversion, en contraste avec la simple reproduction de

la même structure de menu, afin de permettre leur saisie directe (23). Evidemment, il

reste à savoir si d'autres tribunaux jugeront une telle utilisation de façon aussi

bienveillante.

En conclusion, le texte du jugement est inutilement long, le résultat correct et

son raisonnement inégal. De manière générale, ce jugement accroît le nombre de

décisions qui vont dans le même sens et ne constitue pas une étape dans une

direction nouvelle; une décision qui devrait, tout compte fait, faire plus de bien que de mal.

Shira Perlmutter

Professeur Assistant

Université Catholique d'Amérique

Washington, D.C.

(I) Lotus Development Corp. v. Paperback Software International, 710 F. Supp.

37 (D. Mass. 1990). Ce cas a depuis été résolu à l'amiable, excluant ainsi le recours

à un appel. La décision l'accompagnant, Lotus Development Corp. v. Mosaic

Software, action civile N° 87-74-K (D.Mass.) est toujours en instance devant le même

juge, qui a émis une interdiction préliminaire le 1er avril 1991, concernant la

191

Page 42: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

distribution du programme de la partie défenderesse jusqu'à la décision définitive.

Dans l'attente, Mosaic Software a fait appel à l'intervention d'un administrateur

judiciaire pour protéger ses intérêts.

(2) La longueur inutile de la décision (cinquante pages imprimées) est attribuable à une combinaison d'éléments: (1) l'insistance du Tribunal à commencer

son analyse à partir des premiers principes du droit d'auteur et essentiellement à

réinventer la roue; (2) son énumération et discussion détaillée de chaque doctrine

relative au Droit américain du droit d'auteur qui pouvait être considérée, même de

façon marginale, comme utile à la réflexion sur le cas; (3) les longues citations de

décisions antérieures, dont la plupart ne relèvent pas du domaine des logiciels

informatiques, assorties de descriptions; (4) une critique répétée des avocats de la

partie défenderesse pour avoir adopté une stratégie et des arguments apparemment incontestables.

(3) Voir, e.q., Johnson Controls, Inc. v. Phoenix Control Systems, Inc., 886 F.2d

1173, 1175 (9th Cir. 1989); Whelan Associates, Inc. v. Jaslow Dental Laboratory, Inc.,

797 F.2d 1222, 1233 (3d Cir. 1986), cert. denied, 479 U.S. 1031 (1987); Apple

Computer, Inc. v. Franklin Computer Corp., 714 f; 2d 1240, 1249 (3d cir. 1983), cert. dismissed, 464 U.S. 1033 (1984).

(4) 740 F. Supp. page 54. Voir 17 U.S.C. paragraphe 102(b) (1978) ("En aucun

cas, la protection d'une oeuvre de l'esprit originale par le droit d'auteur, ne s'étend à

une idée, une procédure, un processus, un système, une méthode d'opération, un

concept, un principe ou une découverte, quelle que soit la forme dans laquelle elle

est écrite, expliquée, illustrée ou incorporée dans une telle oeuvre").

(5) 740 F. Supp. pages 66-67.

(6) 740 F. Supp. pages 67-68.

(7) 17 U.S.C. paragraphe 101.

(8) 740 F. Supp. pages 72-73.

(9) Cf. Manufacturers Technologies, Inc. v. Cams, Inc., 706 F. Supp. 984 (D.

Conn. 1989); Digital Communications Associates, Inc. v. Softklone Distributing Corp.,

659 F. Supp. 449 (N.D. Ga. 1987); Broderbund Software, Inc. v. Unison World, Inc.,

648 F. Supp. 1127 (N.D. Cal. 1986) (chacune accordant une protection à la

configuration de l'écran).

192

Page 43: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

(10) Voir Johnson Controls, Inc. v. Phoenix Control Systems, Inc., 886 F. 2d

1173, 1175 (9th Cir. 1989) (reconnaissant la possibilité que la séquence, la structure

et l'organisation constituent une expression); Whelan Associates, Inc. v. Jaslow

Dental Laboratory, Inc., 797 F. 2d 1222 (3d cir, 1986), cert. denied, 479 U.S. 1031

(1987); Digital Communications Associates, Inc. v. Softklone Distributing Corp., 659

F. Supp. 449 (N.D. N.Y 1985); SAS Institute, Inc. v. Hoffman H Computer Systems,

Inc., 605 F. Supp. 816, 830 (M.D. Tenn. 1985). Cf. Plains Cotton Cooperative

Association v. Goodpasture Computer Service, Inc., 807 F. 2d 1256, 1262 (5th Cir.),

cert. denied, 484 U.S. 821 (1987) (refusant de juger que la séquence et l'organisation

d'un logiciel ne peuvent constituer une "idée" non protégeable, lorsque celles-ci sont

influencées de manière significative par des facteurs du marché).

(11) Voir Nichols v. Universal Pichtures Corp., 45 F. 2d 119 (2d Cir. 1930), cert.

denied, 282 U.S. 902 (1931).

(12) Voir, e.q., Whelan Associates, Inc. v. Jaslow Dental Laboratory, Inc. 797

F.2d 1222, 1239 (3d Cir. 1986), cert; denied,, 479 U.S. 1031 (1987).

(13) Voir, e.q., Broderbund Software, Inc. v. Unison World, Inc., 648 F. Supp.

1127, 1133 (N.D. Cal. 1986).

(14) 797 F.2d 1222 (3d Cir. 1986), cert. denied, 479 U.S. 1031 (1987).

(15) Id. page 1238. Voir aussi Broderbund Software, Inc. v. Unison Wprld, Inc.,

648 F. Supp. 1127 (N.D. Cal. 1986) (identifiant comme l'idée non protégée du

progamme la création de cartes de voeux, bannières, affiches et enseignes).

(16) Digital Communications Associates, Inc. v. Softklone Distributing Corp.,

659 F. Supp. 449 (N.D. Ga. 1987).

(17) Voir 17 U.S.C § 101

(18) 740 F. Supp. page 67. La décision récente de la Cour Suprême des Etats-Unis

dans l'affaire Feist Publication, Inc. v. Rural Telephone Service Co., Inc., 111 S. Ct. 1282

(1991), jugeant les pages blanches de l'annuaire téléphonique non protégeables, décide

que la Constitution requiert un degré de créativité pour de tels actes de sélection,

coordination et disposition pour mériter la protection par le droit d'auteur.

(19) Voir, e.g., Telemarketing Resources v. Symantec Corp., 12 U.S.P.Q. 1991,

1993 (N.D. Cal. 1989); A. Clapes, Software, Copyright, and Competition: "The Look

193

Page 44: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

and Feel" of the Law (Quorum Books 1989); Samuelson Glushko, "Comparing the

Views of Lawyers and User Interface Designers on the Software Copyright 'Look and

Feel' Lawsuits," 30 Jurimetrics 121 (1989).

20) 740 F. Supp. page 62

(21) Roth Greeting Cards v. United Cards Co. 429 F. 2d 1106, 1110 (9th Cir.

1970 (reposant sur la similitude de "concept et toucher totaux" entre les cartes de

voeux des parties afin d'établir la contrefaçon.

(22) Voir E.F. Johnson Co. v. Uniden Corp., 623 F. Supp. 1485, 1492-93 (D.

Minn. 1985) (notant différentes approches suggérées pour le programme

d'ordinateur). Cf. Digital Communications Associates, Inc. v. Softklone Distributing

Corp., 659 F. Supp. 449, 465 (N.D. Ga. 1987); Broderbund Software, Inc., v. Unison

World, Inc., 648 F. Supp. 1127, 1137 (N.D. Cal. 1986) (décisions d'une similitude

substantielle basée sur "total concept and feel" de la présentation des écrans du

programme).

(23) Dans la mesure où des macros sont créés par des utilisateurs individuels

du programme plutôt que par le responsable du développement du programme, les

droits sur ces macros n'appartiendraient pas, bien entendu, au développeur du

programme initial; Lotus est l'illustration de ce principe.

(Traduction établie par Philip R. Kimbrough, Kimbrough et Associés)

FRANCE

COUR DE CASSATION

Chambre Commerciale, financière et économique

6 novembre 1990

OEUVRES PROTEGEES - OEUVRES GRAPHIQUES.

Présentation particulière de photographies associées, selon une disposition

caractéristique, à un logo. OEUVRES PUBLICITAIRES - EXPLOITATION DES DROITS D'AUTEUR

Annonceur ne pouvant licitement réutiliser les oeuvres originales créées par

194

Page 45: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

une agence de publicité, que si les deux parties sont convenues de la

cession des droits de propriété intellectuelle sur lesdites créations, sans

préjudice des droits pouvant appartenir aux auteurs des oeuvres

préexistantes incorporées dans les créations - Absence de dérogation à

l'article 29 de la loi du 11 mars 1957 (propriété incorporelle indépendante de

la propriété de l'objet matériel) au profit de l'annonceur entendant continuer

l'exploitation d'une création publicitaire présentée par une agence. PROCEDURE - POUVOIRS DU JUGE DE CASSATION ET DES JUGES

DU FOND : Appréciation souveraine des juges du fond - Originalité justifiant

la protection par le droit d'auteur des créations publicitaires déduite de

constatations non dénaturées des juges du fond.

Sté. Alain MANOUKIAN c./ Sté. SAFRONOFF

[...]

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, 29 septembre 1988) que la

société Tricots Alain Manoukian (société Manoukian) a confié pendant plusieurs

années l'organisation de ses campagnes de publicité à la société Safronoff, avec

laquelle elle a interrompu ses relations en 1985 ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que la société Manoukian fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à des

dommages-intérêts pour rupture brutale de ses relations avec son agent de publicité,

alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt ne pouvait, sans contradiction,

prétendre que les relations entre les parties avaient perduré pendant cinq ans comme un tout indivisible sous la forme d'un contrat d'agence de publicité, tout en

reconnaissant expressément que la preuve d'un tel type de contrat, qui incombait au

demandeur, la société Safronoff, n'était rapportée que pour les deux dernières

années 1983 et 1984 ; et que cette contradiction traduit une violation des articles 455

et 458 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, que, dans la

mesure où il ressort seulement avec certitude des constatations de l'arrêt que le

contrat non écrit et non régi par le contrat-type de 1961 ne pouvait être qualifié de

contrat d'agence de publicité que pour les seules années 1983 et 1984, ce contrat ne

pouvait être déclaré à durée indéterminée, sa durée étant nécessairement fonction

de chacune des deux campagnes publicitaires annuelles qui sont inévitablement

préparées à la fin de l'année précédente ; qu'il pouvait donc être résilié valablement

et sans indemnité à l'annonceur à l'expiration de l'année 1984 ; que l'arrêt est ainsi

entaché d'un défaut de base légale par violation de l'article 1134 du Code civil ;

195

Page 46: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel ne s'est pas contredite en

énonçant d'un côté quelle avait été la durée totale des relations suivies entre la

société Manoukian et son agence de publicité et en analysant spécialement d'un autre côté les missions accomplies au cours des deux dernières années ;

Attendu d'autre part, qu'après avoir relevé qu'aucun écrit n'évoquait un terme

annuel pour leurs relations, que dans leurs réunions ou leurs correspondances, elles

traitaient simultanément de programmes publicitaires afférents à des années

différentes, que les interventions successives de la société Safronoff étaient

indivisibles, et que les missions assumées par elle s'amplifiaient progressivement, la

cour d'appel a pu retenir que le contrat liant les deux parties avait une durée

indéterminée ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé dans aucune de ses branches ;

Sur le second moyen pris en ses deux branches :

Attendu que la société Manoukian fait également grief à l'arrêt de l'avoir

condamnée pour contrefaçon de la présentation des visuels créés par la société

Safronoff, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il est légalement impossible

d'assimiler à une "signature" de l'agent de publicité la présentation d'un logo et d'un

slogan, propriétés de l'annonceur, surtout si la dénomination en question est

également le nom commercial de celui-ci ; que les premiers juges ont constaté que

l'annonceur Manoukian était propriétaire des droits d'exploitation des documents

photographiques présentés, ainsi que créateur du logo et du slogan représentant la marque "Alain Manoukian" dont ils constituaient le support et qui était aussi la

dénomination commerciale de l'annonceur ; que l'arrêt a donc violé les articles 1 et

suivants de la loi du 11 mars 1957, ainsi que les articles 1 et suivants de la loi

modifiée du 31 décembre 1964 ; et alors, d'autre part, qu'il est de toute manière

constant qu'une création publicitaire présentée par l'agent de publicité qui a été

exploitée par l'annonceur peut continuer à être exploitée par le même annonceur en

dérogation avec le droit commun de la propriété artistique ; que l'arrêt a donc

faussement appliqué en la cause l'article 29 de la loi du 11 mars 1957 ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté que les maquettes fournies par la

société Safronoff réalisaient une présentation particulière de photographie de mode,

associées, selon une disposition caractéristique, à un logo, la cour d'appel qui en a

souverainement déduit qu'elles constituaient des oeuvres originales, a exactement retenu

qu'elles faisaient l'objet des droits institués par la loi du 11 mars 1957, sans préjudice des

droits pouvant appartenir aux auteurs des oeuvres préexistantes, qui s'y trouvent incorporées;

196

Page 47: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Attendu, d'autre part, que le client d'une agence de publicité ne peut réutiliser les

créations graphiques de celle-ci que s'ils sont convenus entre eux de la cession des

droits de propriété intellectuelle ; qu'en l'espèce, en recherchant, au vu des éléments de

preuve versés au débat, si un tel accord avait été conclu par les parties, la cour d'appel,

loin de violer l'article 29 de la loi du 11 mars 1957, en a fait une exacte application ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé dans aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS ;

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Tricots Alain Manoukian, envers la société Safronoff, aux

dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt .

M. DEFONTAINE, Président

M. LECLERCQ, Rapporteur MM. HATOUX, LE TALLEC, PEYRAT, BEARD,

VIGNERON, DUMAS et Mme LOREAU, Conseillers

Mme GEERSSEN, Conseiller référendaire

M. JEOL, Avocat Général

Mme CHOUCROY, Avocat

COUR DE CASSATION

lère Chambre Civile

28 mal 1991

DROIT INTERNATIONAL PRIVE - CONFLIT DE LOIS (NON) : Loi de

police impérativement applicable dispensant le juge de régler un conflit de

fois. DROIT MORAL : Article 6 de la loi du 11 mars 1957 définissant les droits

moraux nés sur la tête de l'auteur du seul fait de la création - 2e alinéa de

197

Page 48: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

la loi du 8 juillet 1964 interdisant de porter atteinte à l'intégrité d'une

oeuvre littéraire ou artistique quel que soit le pays de première divulgation - Règles revêtant le caractère de "lois de police".

PROCEDURE - CASSATION : Violation d'une règle de droit par refus d'application d'une loi de police - Cassation.

Consorts HUSTON et autres c./ Sté. Turner Entertainment, Sté. La Cinq et autres

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi des consorts

Huston, ainsi que sur le troisième moyen du pourvoi du Syndicat des artistes

interprètes et autres personnes morales :

Vu l'article 1 er, 2e alinéa, de la loi n° 64-689 du 8 juillet 1964, ensemble l'article 6 de la loi du 11 mars 1957 ;

Attendu, selon le premier de ces textes, qu'en France, aucune atteinte ne peut

être portée à l'intégrité d'une oeuvre littéraire ou artistique, quel que soit l'Etat sur le

territoire duquel cette oeuvre a été divulguée pour la première fois ; que la personne qui en est l'auteur du seul fait de sa création est investie du droit moral institué à son

bénéfice par le second des textes susvisés ; que ces règles sont des lois

d'application impérative ;

Attendu que les consorts Huston sont les héritiers de John Huston.

coréalisateur du film "Asphalt Jungle" ("Quand la ville dort"), créé en noir et blanc,

mais dont la société Turner, ayant droit du producteur, a établi une version colorée ;

que, se prévalant de leur droit à faire respecter l'intégrité de l'oeuvre de John Huston,

les consorts Huston, à qui se sont jointes les diverses personnes morales également

demanderesses au pourvoi, ont demandé aux juges du fond d'interdire à la société

de télévision "la Cinq" de procéder à la diffusion de cette nouvelle version ; que la

cour d'appel les a déboutés au motif que les éléments de fait et de droit relevés par

elle "interdisaient l'éviction de la loi américaine et la mise à l'écart des contrats"

conclus entre le producteur et les réalisateurs, qui dénient à ces derniers la qualité d'auteurs du film "Asphalt Jungle" ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés

par refus d'application ;

198

Page 49: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des

pourvois :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 juillet

1989, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait

droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne, pour les pourvois n° G/89-19.522 et n° D/89-19.725, la société

Turner Entertainment compagnie et la Société d'exploitation de la cinquième chaîne

et pour le pourvoi n° G/89-19.522 également la Société des réalisateurs de films, aux

dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt.

M. MASSIP, Président

M. GREGOIRE, Rapporteur MM. ZENNARO, B. de SAINT-AFFRIQUE, THIERRY, AVERSENG,

LEMONTEY et GELINEAU-LARRIVET, Conseillers

M. SAVATIER, Conseiller référendaire

M. LUPI, Avocat Général SCP LYON-CAEN, FABIANI THIRIEZ, SCP RICHE THOMAS-RAQUIN,

SCP de CHAISEMARTIN et Mme DELVOLVE, Avocats

COUR D'APPEL DE PARIS

1ère Chambre

25 septembre 1990

oeUVRES PROTEGEES - oeUVRE LITTERAIRE - DROITS

PATRIMONIAUX - CESSION - CONTRAT D'EDITION (conclu le 5 février

1953). Clause résolutoire permettant à l'auteur de recouvrer ses droits si l'éditeur

laisse écouler sans réimprimer un délai d'un an après épuisement de

l'édition - Clause subordonnée à mise en demeure - Défaut de mise en

demeure préalable faisant obstacle à la récupération des droits.

199

Page 50: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Demande de résolution judiciaire fondée sur de prétendus manquements

de l'éditeur (non) - Manquements non établis.

Editions GYLDENDAL et Mme NEXO HAHN c.lSté. MESSIDOR

Les Editions Gyldendal et Mme May Nexo-Hahn sont appelantes du jugement

rendu le 14 décembre 1988 par le Tribunal de Grande Instance de Paris

(1° Chambre 1° Section) qui les a déboutées de leur demande tendant à interdire à

la société Messidor de procéder à la réédition de l'ouvrage de Martin Andersen Nexo

intitulé "Pellé le conquérant".

Référence étant faite au jugement déféré pour un plus ample exposé des faits

et de la procédure antérieure, il suffit de rappeler les éléments suivants :

Entre 1906 et 1910 , l'écrivain danois Martin Andersen Nexo a publié un roman en quatre volumes intitulé "Pelle Erobreren".

Par contrat du 5 février 1953, il a confié à la Société "Les Editeurs Français

Réunis" qui devait être absorbée en 1981 par la Société Messidor, le soin de

procéder à sa publication en langue française sous le titre : "Pellé le conquérant".

A la suite de l'adaptation cinématographique de ce roman, la société Messidor a entrepris sa réédition en 1988.

Faisant valoir que la fille de l'auteur décédé en 1954, Mme May Nexo Hahn,

leur avait concédé le 21 août 1978 l'exclusivité des droits de traduction de toute

l'oeuvre littéraire de son père et qu'elles .avaient confié le 27 mai 1988 à la société

suisse F.I.E.L. le droit de publier "Pellé le conquérant" en langue française, les

Editions danoises Gyldendal ont par divers courriers notifié à la Société Messidor

leur opposition à la réédition projetée.

Ces mises en demeure n'ayant pas été suivies d'effet, les Editions Gyldendal et

Mme Nexo Hahn ont, après avoir en vain demandé en référé la saisie des

exemplaires en cours. de fabrication, assigné à jour fixe les Editions Messidor en

demandant de prononcer la résolution du contrat du 5 février 1953, d'ordonner l'arrêt

sous astreinte de la réédition par elles entreprise et de les condamner au paiement

de dommages-intérêts.

Mais par jugement du 14 décembre 1988, le Tribunal de Grande Instance de

Paris a rejeté l'intégralité de leurs prétentions, tout en déboutant la Société Messidor

de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Après avoir interjeté appel le 4 avril 1989, les Editions Gyldendal et Mme May Nexo Hahn ont conclu le 21 novembre suivant à la réformation de ce

200

Page 51: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

jugement en demandant de :

- constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue à l'article 9 du contrat du

5 février 1953 liant Martin Andersen Nexo aux Editeurs Français Réunis,

- subsidiairement, constater que les multiples manquements des Editions

Messidor à leurs obligations justifient que soit prononcée la résolution judiciaire du

contrat, - ordonner l'arrêt de la reproduction illicite par les Editions Messidor de

l'ouvrage de Martin Andersen Nexo intitulé "Pellé le conquérant" sous astreinte de

200 F par infraction constatée après l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la

signification de la décision , - autoriser la saisie des exemplaires en cours de fabrication ou déjà fabriqués

ainsi que celle des recettes provenant de leur vente,

- condamner les Editions Messidor à payer à chacun des appelants la somme

de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une somme globale de 10 000 F

en application de l'article 700 NCPC.

La Société Messidor a conclu le 8 février 1990 à la confirmation du jugement

entrepris en ce qu'il a rejeté les diverses demandes formées à son encontre. Puis,

formant appel incident quant au rejet de sa demande reconventionelle, elle a sollicité

la condamnation de la Société Gyldendal à lui payer la somme de 50 000 F à titre de

dommages-intérêts et celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

Après avoir répliqué le 27 février 1990 aux conclusions de l'intimée, les

appelants ont, postérieurement à l'ordonnance de clôture rendue le 13 mars 1990,

signifié le 14 juin 1990 de nouvelles conclusions demandant sa révocation pour leur

permettre de verser une nouvelle pièce aux débats. Mais la société Messidor a

conclu au rejet de cette production tardive.

CELA EXPOSE, LA COUR,

-Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture :

Considérant que les appelantes sollicitent la révocation de l'ordonnance de clôture

pour pouvoir faire état d'une attestation rédigée par Mme May Nexo Hahn le 21 mai 1990

et tendant à établir que contrairement à ce qui était soutenu dans les conclusions de

l'intimée du 8 février 1990, elle n'aurait pas accepté les versements qui lui ont été

adressés par la Société Messidor à l'occasion de la réédition incriminée.

Mais considérant que la rédaction de cette attestation ne saurait constituer une

"cause grave" susceptible d'autoriser, conformément aux dispositions de l'article 784

201

Page 52: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

du NCPC, la révocation de l'ordonnance de clôture, dès lors-que Mme Nexo Hahn,

étant personnellement partie à la procédure, était parfaite.nent en mesure de faire

connaître ses observations sur les divers moyens de l'irtimée dans ses conclusions

en réplique du 27 février 1990.

Considérant qu'il n'y a pas lieu en conséquence de faire droit à la demande de

révocation de l'ordonnance de clôture et que la pièce produite le 14 juin 1990, soit

plus de trois mois après cette ordonnance, sera donc rejetée des débats.

- Sur l'appel principal :

Considérant que les Editions Messidor fondant leur droit de procéder à la

réédition de l'ouvrage litigieux sur le contrat conclu le 5 février 1953 entre l'auteur lui-

même et la Société des Editeurs Français Réunis, aux droits de laquelle se trouve la

Société Messidor, les appelantes demandent essentiellement de constater que la

clause résolutoire qu'il comportait se trouve acquise ou subsidiairement de

prononcer sa résolution judiciaire.

- Sur la clause résolutoire :

Considérant que le contrat susvisé comportait en son article 9 la clause

suivante : "Au cas où l'ouvrage étant épuisé, les Editeurs laisseraient écouler un

délai d'une année sans le réimprimer, le propriétaire recouvrerait la libre disposition

de ses droits d'édition deux mois après la mise en demeure de rééditer

communiquée par lettre recommandée, sauf cas de force majeure motivant une

extension de délai".

Considérant que les appelantes demandent de constater que la clause

résolutoire insérée à cet article se trouvait acquise dès 1960, en relevant que les

Editions Messidor ont elles-mêmes reconnu que la première édition de l'ouvrage

réalisée en 1954 se trouvait épuisée en 1959 et qu'elles ont attendu l'année 1988

pour procéder à sa réédition.

Considérant que l'intimée ayant répliqué que cette clause résolutoire n'a pu

produire effet en l'absence de la délivrance préalable d'une mise en demeure de

réédition par les ayants droit de l'auteur, les appelantes invoquent les dispositions de

l'article 1178 du Code civil, aux termes duquel "la condition est réputée accomplie

lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché

l'accomplissement" ; qu'elles soutiennent à cet effet que les héritiers de l'auteur n'ont

pu délivrer de mise en demeure, faute par l'éditeur de les avoir informées de la

202

Page 53: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

cession de son fonds et de l'épuisement du premier tirage.

Mais considérant que Madame Nexo Hahn ne pouvait ignorer que ce premier

tirage se trouvait épuisé, alors qu'elle reconnaît elle-même dans une attestation du

21 juin 1988 que le dernier versement des droits correspondants a été effectué en

1959 ; que dès lors il lui appartenait pour recouvrer la libre disposition de l'oeuvre

litigieuse de mettre en demeure l'éditeur choisi par son père de procéder à sa

réédition et que faute par elle de l'avoir fait, elle ne pouvait valablement transférer en

1978 à la Société Gyldendal les droits dont la société Editeurs Français Réunis se

trouvait toujours titulaire ; qu'enfin son objection relative à l'absorption de cette

Société par la Société Messidor est totalement inopérante, dès lors qu'elle n'est

intervenue qu'en 1981, soit trois ans après la conclusion du contrat à tort invoqué par

la société Gyldendal.

Considérant qu'il s'ensuit que les dispositions de l'article 1178 du code civil ne

sauraient recevoir application en l'espèce et qu'en l'absence de toute mise en

demeure préalable, la clause résolutoire insérée au contrat du 5 février 1953 n'a pu

produire effet.

- Sur la résolution judiciaire :

Considérant que les appelantes demandent en second lieu de prononcer la

résolution judiciaire du contrat conclu avec les Editeurs Français Réunis et transféré

à la Société Messidor, en reprochant à ces éditeurs divers manquements à leurs

obligations contractuelles.

Considérant que Mme Nexo Hahn fait tout d'abord grief aux Editeurs Français

Réunis de ne pas avoir assuré à l'oeuvre une exploitation permanente et suivie en

s'abstenant de procéder à sa réédition.

Mais considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats qu'après avoir

procédé en 1954 et 1955 à la publication de l'ouvrage litigieux en quatre volumes, les

Editeurs Français Réunis ont également assuré en 1963 sa diffusion sous forme de

feuilleton dans la revue "Heures Claires" et qu'il ne peut leur être reproché de ne pas

avoir procédé à sa réédition pendant plusieurs années, dès lors que ni la veuve, ni la

fille de l'auteur qui se sont successivement occupées de la gestion de son oeuvre ne

leur avait adressé de mise en demeure à cet effet ; qu'il convient en revanche de

relever que la Société Messidor, venant aux droits des Editeurs Français Réunis, a

spontanément entrepris cette réédition, dès que l'adaptation cinématographique de

l'oeuvre permettait d'envisager une nouvelle diffusion auprès du public que dès lors

203

Page 54: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

ce premier grief n'apparaît pas fondé ;

Considérant que Mme Nexo Hahn allègue en second lieu au soutien de sa

demande de résolution que l'éditeur se serait abstenu d'établir les arrêtés de

comptes permettant à l'auteur et à ses héritiers de contrôler le montant des droits qui

leur sont dus.

Mais considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que ces droits ont

été versés à la veuve et à la fille de l'auteur jusqu'en 1963, soit neuf ans après la

parution de l'ouvrage en 1954, et qu'il ne peut être fait grief à l'intimée de ne pouvoir

produire de documents comptables relatifs à cette exploitation, dès lors que l'article

16 du code du commerce ne prescrit leur conservation que pendant une durée de dix

années.

Considérant que Mme Nexo Hahn ne justifie d'ailleurs d'aucune réclamation

aux Editeurs Français Réunis à ce sujet et qu'elle ne saurait en conséquence, 25 ans

après le dernier versement, invoquer une quelconque carence sur ce point pour tenter de fonder sa demande de résolution.

Considérant enfin que la Société Messidor justifie avoir régulièrement adressé

les relevés de comptes relatifs à la seconde édition à Mme Nexo Hahn qui lui en a

toujours accusé réception, contrairement à ce qui était insinué dans sa déclaration

produite après l'ordonnance de clôture.

Considérant que Mme Nexo Hahn reproche enfin à la société Messidor d'avoir

porté atteinte à son droit moral en ne mettant en vente qu'une partie de l'ceuvre au

lieu de la rediffuser dans son intégralité.

Mais considérant que cette société justifie avoir publié les quatre tomes de

"Pellé le conquérant" en reprenant sur chacun d 'entre eux les mêmes sous-titres

que ceux qui figuraient dans la publication initiale ; que dès lors ce grief apparait dénué de tout fondement, étant observé au surplus que les Editions Gyldendal

n'avaient pour leur part demandé à la Société F.I.E.L. de ne procéder qu'à la

publication des deux premiers tomes ;

Considérant qu'il s'ensuit qu'aucun des moyens invoqués par les

appelantes pour demander de constater ou de prononcer la résolution du contrat

par lequel Martin Andersen Nexo avait confié aux Editeurs Français Réunis le

soin de publier son oeuvre en langue française ne peut être retenu et que le

bénéfice de ce contrat ayant été régulièrement transmis à la Société Messidor,

204

Page 55: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

celle-ci se trouve habilitée à poursuivre l'exploitation de l'oeuvre ainsi cédée,

sans que le contrat irrégulièrement conclu avec la société Gyldendal puisse lui

être opposé.

Considérant qu'il convient en conséquence de débouter les appelantes de

l'intégralité de leurs prétentions et que le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.

- Sur l'appel incident :

Considérant que la Société Messidor demande pour sa part de réformer le

jugement entrepris en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle de dommages-

intérêts par elle formée contre la société Gyldendal ; qu'elle invoque à cet effet les

diverses notifications et sommations qu'elle a reçues de la part de cette Société et de

la Société F.I.E.L.

Mais considérant que ces diverses mises en demeure, étant fondées sur un

contrat émanant de la fille de l'auteur, ne sauraient être tenues pour fautives ; que

par ailleurs la Société Messidor, ayant procédé à la réédition par elle projetée, ne

peut invoquer aucun préjudice susceptible de fonder sa demande de dommages-

intérêts ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges l'ont déboutée de cette

demande ;

- Sur l'article 700 NCPC :

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la

Société Messidor la totalité des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer du

fait de cet appel injustifié et qu'il convient de condamner la société Gyldendal à lui

payer la somme de 6 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

PAR CES MOTIFS

- Dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture.

- Déclare la société Gyldendal et Mme May Nexo Hahn mal fondées en leur

appel ; les déboute de toutes leurs demandes ;

- Déclare la Société Messidor mal fondée en son appel incident ; l'en déboute ;

- CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions

205

Page 56: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

- Y ajoutant,

- Condamne la Société Gyldendal à payer à la Société Messidor la somme de

6 000 F en application de l'article 700 NCPC.

- Condamne la Société Gyldendal et Mme Nexo Hahn aux dépens d'appel qui

pourront être recouvrés directement par la S.C.P. Varin-Petit, titulaire d'un office

d'avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du N.C.P.C.

M. VENGEON, Président MM. GUERIN et BERGOUGNAN, Conseillers

Mme BENAS, Avocat Général

Me BERNABE et SCP VARIN-PETIT, Avoués

Mes Th. LEVY et MATARASSO, Avocats

COUR D'APPEL DE PARIS

4e Chambre

1 er octobre 1990

oeUVRES PROTEGEES : Forme graphique de présentation d'un

périodique. DROITS PATRIMONIAUX - DROIT DE REPRODUCTION - EXCEPTION AUX

DROITS DE REPRODUCTION (Art. 41.2 de la loi du 11 mars 1957) :

Reproductions "strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" - Reproductions non autorisées diffusées

à 2 000 exemplaires - a) auprès de ses actionnaires : copies destinées à

l'usage privé du copiste, mais en vue d'une utilisation collective ; b) auprès de

la presse spécialisée : tiers par rapport à la société.

Conditions légalement requises pour la dispense d'autorisation non

remplies. CONTREFACON - ETENDUE ET EVALUATION DU PREJUDICE :

Atteinte au droit moral et atteinte patrimoniale résultant de la perte du prix

de l'autorisation - Préjudice non atténué par la "publicité indirecte" résultant de l'utilisation illicite.

LE FIGARO c./ Sté. SAVAM

206

Page 57: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Statuant sur l'appel de la société Le Figaro et sur l'appel incident de la société

Savam contre un jugement rendu par la 18ème chambre du Tribunal de commerce

de Paris le 9 juin 1989.

FAITS ET PROCEDURE :

Ayant pris contact avec la société Le Figaro, sans aboutir à un accord, pour

obtenir l'autorisation de publier son rapport annuel selon une forme graphique

imitant celle du "Figaro Economique", supplément paraissant avec ce journal

chaque lundi, la société Savam a néanmoins composé son rapport annuel de

l'année 1987 selon une présentation reproduisant celle du supplément, en a fait

tirer 2 000 exemplaires et les a adressés, sous lettre missive, à ses actionnaires

connus et à divers établissements ou analystes financiers . Ce rapport était

distribué avant l'assemblée générale annuelle de la société Savam fixée au

29 juin 1988. L'année 1987 était celle à la fin de laquelle cette société de

transport et de manutention avait été admise à la cote au second marché de la

Bourse de Paris.

Le 18 novembre 1988 Le Figaro assignait la Savam devant le Tribunal de

commerce pour qu'elle soit déclarée coupable de contrefaçon sur le fondement de la

loi du 11 mars 1957 et sur le fondement de l'article 1382 du code civil, qu'elle soit

condamnée à lui payer 500 000 F de dommages-intérêts et 20 000 F au titre de

l'article 700 du NCPC et qu'il soit ordonné publication du jugement dans trois

journaux au choix du Figaro et aux frais de Savam.

Par le jugement dont appel le Tribunal a dit Savam coupable de contrefaçon

vis-à-vis de la société Le Figaro et, estimant que celle-ci n'avait pas subi de préjudice

commercial du fait de l'action fautive de Savam qui lui aurait plutôt procuré une

publicité gratuite, l'a condamnée à payer à la demanderesse 30 000 F pour

réparation de son préjudice moral, 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code

de procédure civile et a rejeté le surplus des demandes.

La société Le Figaro, appelante par déclaration du 13 juillet 1989 conclut à la

confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la contrefaçon à l'encontre de Savam

et à son infirmation pour le surplus, reprenant ses demandes originelles en paiement

de 500 000 F de dommages-intérêts, de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC et

en publication de la décision dans trois journaux aux frais de Savam.

Savam conclut à l'infirmation du jugement, au rejet des demandes du Figaro et

à sa condamnation à lui payer 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

207

Page 58: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

DISCUSSION :

CONSIDERANT que Savam ne conteste pas que par son graphisme,

l'encadrement des pages par un fin liseré et sa présentation particulière, le

supplément hebdomadaire "le Figaro Economie" constitue une oeuvre originale qui

bénéficie de la protection de la loi du 11 mars 1957 ;

CONSIDERANT que la reproduction de cette oeuvre graphique, formant le

cadre du texte d'information, est intégrale aux pages 2 et 3 du rapport annuel de

Savam pour 1987, presque intégrale à la page 1 et partielle pour les autres parties

de ce rapport ; que Savam ne nie pas l'emprunt et l'admet même, en minorant son

importance dans une mention de la page 2 du rapport annuel ainsi rédigée : "nous

remercions tout particulièrement la rédaction du Figaro Economie pour la conception de son supplément du lundi dont nous nous sommes inspirés" ;

CONSIDERANT que Savam ne soutient plus qu'elle aurait obtenu l'autorisation

de reproduire la présentation du Figaro Economie ; qu'elle expose, d'une part, qu'il n'y a pas contrefaçon, la loi du 11 mars 1957 ne protégeant l'auteur d'une revue que

contre sa reproduction dans des publications ou éditions de même nature destinées

au public, ce qui ne serait pas le cas d'un rapport tiré à 2 000 exemplaires et adressé

par lettres missives à un nombre restreint de destinataires, d'autre part, que les

conditions d'application de l'article 1382 du Code civil ne sont pas remplies, aucune

confusion n'étant possible entre les deux documents qui n'ont pas la même nature et

aucun détournement de clientèle ne pouvant avoir lieu dès lors que Savam et Le

Figaro ne sont pas des entreprises concurrentes ;

CONSIDERANT que la loi du 11 mars 1957 définit la reproduction d'une oeuvre

comme sa fixation matérielle par tout procédé qui permet de la communiquer au

public de manière indirecte ; que la composition et le tirage en 2 000 exemplaires du

rapport annuel de Savam constituent une telle fixation de l'oeuvre partiellement,

reproduite,dans la présentation du document ; que la notion de public auquel l'oeuvre

reproduite sera communiquée pour constituer la contrefaçon est définie par

l'article 41 de la loi qui spécifie les cas dans lesquels la communication n'est pas

publique ; que le cas d'exclusion auquel se réfère implicitement Savam ne saurait

être "les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans le cercle

de famille mais seulement "les copies ou reproductions strictement réservées à

l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" ; qu'en effet,

d'une part, si le document fourni aux actionnaires de Savam peut être considéré

comme destiné à l'usage du copiste, cet usage est collectif, d'autre part, les

destinataires du rapport sont aussi des tiers à Savam s'agissant d'organismes ou

208

Page 59: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

d'analystes financiers auxquels une société cotée en bourse ne saurait se dispenser

de fournir son rapport d'activité de l'année ; qu'ainsi, la reproduction de l'oeuvre et sa

communication au public ont bien été effectuées au sens de la loi du 11 mars 1957,

quand bien même cela n'aurait pas été sous forme de publication de presse ou

d'édition, en violation du droit exclusif pour l'auteur et ses ayants droit d'autoriser une

utilisation de l'oeuvre ; qu'ainsi c'est à juste titre que le Tribunal a retenu le grief de

contrefaçon ;

CONSIDERANT que si la loi, par un texte de nature pénale, sanctionne et punit

la contrefaçon, c'est que celle-ci provoque toujours un préjudice au titulaire des droits d'auteur qui s'en plaint ; qu'à tout le moins il subit une atteinte à son droit moral

d'autoriser ou non telle repro duction ou représentation qui lui paraît de nature à avilir

son oeuvre ou une atteinte patrimoniale par le manque à gagner qui le frappe pour n'avoir pu négocier une autorisation qui devait lui être demandée ; que c'est à tort

que le Tribunal a estimé qu'Une utilisation de l'oeuvre, illicite selon le texte même de

l'article 40 de la loi du 11 mars 1957, aurait comporté un bénéfice pour le titulaire de

droits du fait de la publicité indirecte qui en résultait pour lui ; qu'un tel raisonnement

réduit à la seule renommée - dans le cas où la reproduction n'avilit pas l'oeuvre - les

droits d'auteur et est directement contraire à la loi qui garantit aux créateurs les

profits de la création ;

CONSIDERANT, en l'espèce, que Le Figaro a subi un préjudice commercial

certain, par la perte du prix de l'autorisation ; qu'il a subi également un préjudice du fait de la reproduction sans autorisation qui lui a fait perdre tout contrôle des

conditions dans lesquelles son oeuvre était reproduite ; qu'il y a lieu, au vu du

dossier, d'évaluer son préjudice total à 100 000 F.

CONSIDERANT qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande au titre de la

concurrence déloyale en l'absence de faits distincts de ceux ayant constitué la

contrefaçon ;

CONSIDERANT que les circonstances de l'espèce ne rendent pas une

publication nécessaire pour protéger les intérêts de la société Le Figaro ; qu'il n'y a

donc lieu de l'ordonner ;

CONSIDERANT qu'il est conforme à l'équité de faire application de l'article 700

du NCPC en faveur du Figaro , à hauteur de 5 000 F pour la procédure d'appel ;

PAR CES MOTIFS et ceux non contraires des premiers juges ;

209

Page 60: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Infirme le jugement rendu par la 18ème chambre du Tribunal de commerce de

Paris le 9 juin 1989 en ce qu'il a condamné la société Savam à payer 30 000 F de

dommages-intérêts à la société Le Figaro. Statuant à nouveau de ce chef ;

Condamne la société Savam à payer 100 000 F de dommages-intérêts à la

société Le Figaro ;

Le confirme pour le surplus ;

Y ajoutant :

Condamne la société Savam à payer à la société Le Figaro la somme

complémentaire de 5 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

Rejette toute autre ou plus ample demande ;

Condamne la société Le Figaro aux dépens ;

Admet la SCP d'Auriac - Guizard, avoué, au bénéfice de l'article 699 du

NCPC;

Mme ROSNEL, Président

M. POULLAIN et Mme MANDEL, Conseillers

SCP TEYTAUD et SCP d'AURIAC-GUIZARD, Avoués

Mes GREFFE et LALANDE, Avocats

NOTE

Cet arrêt est intéressant à deux titres : 1) il illustre la notion d"'utilisation

collective" de reproductions réputées répondre à la condition d'être "réservées à

l'usage privé du copiste", utilisation collective qui supprime le bénéfice de l'exception

et réintègre ces reproductions sous l'emprise du droit exclusif ; 2) il précise la nature

et l'évaluation du préjudice résultant d'un acte de contrefaçon.

1) En l'espèce, l'oeuvre reproduite est la forme graphique de présentation d'un

journal dont le caractère protégeable n'est contesté par aucune des parties.

Cette forme a été reproduite et diffusée à 2 000 exemplaires par une société

commerciale à l'occasion de l'assemblée générale de ses actionnaires. Selon la

Cour d'appel, les destinataires de ces exemplaires comprennent deux catégories de

personnes :

210

Page 61: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Des journalistes de la presse spécialisée, qui sont des tiers par rapport à la

société. Encore que l'arrêt ne l'indique pas expressément, il affirme implicitement

que ces copies litigieuses ne sont pas strictement réservées à l'usage privé du

copiste. Il y a en effet dissociation entre le copiste (la société qui réunit ses

actionnaires) et les destinataires (les journalistes). La condition du 2e de

l'article 41 de la loi du 1 1 mars 1957 pour justifier l'exception au droit de

reproduction n'est donc pas remplie (1).

En revanche, les copies destinées aux actionnaires sont regardées comme

remplissant cette condition : le destinataire de copies est toujours la personne

morale qui réunit ses actionnaires. Copistes et destinataires des copies

coïncident donc. Mais l'exception légale est écartée parce que ces copies font

l'objet d'une.utilisation collective.

Cette dernière analyse ne va pas de soi. Il aurait pu être soutenu que les

destinataires (les actionnaires) sont distincts du copiste (la personne morale),

comme on pourrait estimer que les élèves destinataires de copies d'oeuvres

protégées sont distincts du copiste qu'est l'établissement d'enseignement qui a déterminé le texte que les élèves devront étudier.

Mais ce raisonnement suivi par la Cour a au moins l'avantage de

caractériser la notion d"'utilisation collective".

Ni Desbois ni Colombet ne peuvent citer une décision jurisprudentielle

antérieure et doivent se référer aux travaux préparatoires pour relever que cette

"exception à l'intérieur de l'exception au droit exclusif" a pour but "d'interdire la

pratique qui pourrait être celle d'entreprises, d'associations et de syndicats qui

reproduiraient (une oeuvre) et la diffuseraient en grand nombre auprès de leurs

succursales ou adhérents" (Colombet, Propriété Littéraire et Artistique, 5e

édition, p. 226).

L'arrêt commenté illustre et confirme cette analyse : le copiste perd le

bénéfice de l'exception s'il diffuse en grand nombre, et sans doute

simultanément, les exemplaires reproduits même auprès de destinataires qui

pourraient ne pas être regardés comme des tiers par rapport au copiste.

2) L'arrêt réforme le jugement du Tribunal de grande instance qui avait

(I) Cass. lère Civ. 7 mars 1984, Rannou-Graphie, RIDA juillet 1984, p. 151.

211

Page 62: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

réduit le montant du préjudice indemnisable résultant de l'acte de contrefaçon au

motif de l'effet promotionnel et publicitaire dont aurait profité l'auteur contrefait.

Cette solution appelle un commentaire, moins pour son contenu que pour sa motivation un peu embarrassée. C'est sans doute une erreur matérielle qui

fait écrire à l'arrêt que l'auteur contrefait subit une atteinte à son droit moral ou

une atteinte patrimoniale, puisque, par la suite, ce même arrêt reconnaît et un

préjudice commercial par la perte de prix de l'autorisation et un préjudice moral

du fait que l'acte de contrefaçon a fait perdre à l'auteur le contrôle des conditions

de la reproduction de l'oeuvre.

On ne peut qu'être d'accord avec l'arrêt pour reconnaître qu'un acte de

contrefaçon affecte tant les droits moraux que les droits patrimoniaux. Mais est-il

nécessaire de passer par cette distinction et de rappeler que la contrefaçon est

un délit pour justifier l'existence d'un préjudice, alors que la Cour de Cassation a

très fermement souligné, à propos de droits voisins (mais dans des termes

parfaitement transposables au droit d'auteur) "qu'en relevant qu'ils avaient été privés de la contrepartie qu'ils étaient en droit d'attendre de leur autorisation, la

Cour d'appel a constaté l'existence du préjudice subi par (les titulaires du droit),

qu'elle ne s'est nullement contredite en relevant que l'avantage promotionnel

qu'ils pouvaient avoir retiré de la diffusion de leurs oeuvres n'impliquait pas qu'ils

aient renoncé à leurs prérogatives" (Cass. 1ère Civ., 25 janvier 1984, SNEPA /

Radio France, RIDAjuillet 1984, p. 148).

L'atteinte à un droit privatif est, par elle-même, constitutive d'un préjudice

indemnisable. L'auteur, dont le droit a été méconnu, n'a ni à prouver un "damnum

emergens", ni se voir opposer les retombées prétendument favorables de la

contrefaçon dont il est victime.

André KEREVER

212

Page 63: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

COUR D'APPEL DE PARIS

1ère chambre 15 novembre 1990 *

OEUVRES PROTEGEES.

Oeuvre graphique - "Habillage" publicitaire d'une bouteille. QUALITE D'AYANT DROIT DE L'AUTEUR : Tiers au contrat de cession

irrecevable à se prévaloir de la méconnaissance de l'article 35 de la loi du

11 mars 1957 (obligation de rémunérer l'auteur) pour invoquer la

prétendue nullité du contrat de cession.

Annonceur publicitaire : qualité de tiers au contrat entre l'agence et le

créateur de l'oeuvre publicitaire.

DROITS PATRIMONIAUX (DROIT DE REPRODUCTION) - CESSION :

Absence de contrat écrit entre annonceur et agence publicitaire entraînant

application du contrat type conclu entre les deux professions prévoyant "la

cession automatique à l'annonceur de tous les droits de reproduction

résultant de la propriété littéraire et artistique". Conséquence : annonceur ayant réglé les travaux de création publicitaire

devenu cessionnaire des droits de reproduction et ne commettant aucun

acte de contrefaçon en reproduisant l'oeuvre litigieuse.

SOCIETE GENERALE DE GRANDES SOURCES D'EAUX MINERALES

FRANCAISES ET Sté. SOURCE PERRIER

c./ Sté. ETABLISSEMENTS SERRE et Sté. SOGEC MARKETING

La Société Générale Des Grandes Sources d'Eaux Minérales Française

(S.G.G.S.E.M.F.) a confié à la Société Sogec Marketing en septembre 1984, l'étude

et la réalisation d'une campagne de promotion et de publicité qui devait avoir lieu

pendant les fêtes de fin d'année.

A cette occasion, la Société Sogec Marketing a édité un modèle d'habillage

extérieur de la bouteille Perrier, destiné à être vendu dans un certain nombre de

restaurants.

Ce modèle, conçu par le styliste Erick Grand auquel la Société Sogec

* A rapprocher de Cass. Com. 6 novembre 1990

213

Page 64: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Marketing s'est adressée, est constitué par un manchon rétractable, noir et blanc,

représentant l'image stylisée d'un smoking, et un carton noir évoquant un papillon.

L'impression des manchons a été confiée par la Société Sogec Marketing à son imprimeur, la Société Etablissements Serre.

Les opérations promotionnelles ont été reconduites en 1985, 1986 et 1987.

Le 7 octobre 1988, la direction de Perrier avisait la Société Sogec Marketing

qu'elle avait déposé la bouteille "Perrier Smoking" au nom de la Société La Source Perrier le 17 avril 1987 et qu'elle mettait fin à leur collaboration.

Le modèle d'habillage de la bouteille fut encore réédité pour les campagnes du

nouvel an 1989-1990 par la Société La Source Perrier qui a eu recours, pour

l'impression des manchons, à la Société Etablissements Serre.

La Société Sogec Marketing a assigné la S.G.G.S.E.M.F, la Société Source

Perrier et la Société des Etablissements Serre pour faire juger que, le modèle

d'habillage de la bouteille dont elle était propriétaire étant protégé au titre du droit

d'auteur par la loi du 11 mars 1957, le dépôt de modèle fait le 17 avril 1987 au nom de la Société La Source Perrier était nul.

Par le jugement présentement déféré en appel en date du 9 juillet 1990, le Tribunal de Commerce de Paris a fait droit à cette demande.

Il a estimé que la S.G.G.S.E.M.F et la Société Source Perrier, en vendant des

bouteilles reproduisant le modèle sans l'autorisation de la Société Sogec Marketing,

et la Société des ETABLISSEMENTS SERRE, en fabriquant les manchons du

modèle contrefaisant, ont commis des actes de contrefaçons.

La Société Source Perrier et la S.G.G.S.E.M.F., ont été condamnées in solidum

à payer à la Société Sogec Marketing 380 000 F à titre de dommages-intérêts, et la

Société des Etablissements Serre, 20 000 F.

Le tribunal a ordonné la confiscation des objets et documents contrefaisants

ainsi que des outillages ayant servi à la contrefaçon et, à titre de complément de

réparation, la publication du jugement de condamnation.

La S.G.G.S.E.M.F et la Société Source Perrier ont interjeté appel à jour fixe du

jugement, enregistré au Répertoire Général de la Cour sous le numéro 90.18143,

214

Page 65: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

contre la Société Sogec Marketing. Elle a dénoncé sa procédure d'appel à la Société

Etablissements Serre.

La Société Etablissements Serre a également formé appel inscrit au Répertoire

Général de la Cour sous le numéro 90.18680, en intimant la Société Sogec

Marketing, la S.G.G.S.E.M.F. et la Société Source Perrier.

La Société Source Perrier et la Société S.G.G.S.E.M.F demandent à la Cour

d'infirmer le jugement et de dire que la Société Sogec Marketing est sans qualité

pour agir, en application des dispositions des articles 35 de la loi du 11 mars 1957 et

122 du Nouveau Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elles soutiennent que les droits de la Société Sogec

Marketing sur le modèle de la bouteille Perrier leur ont été cédés automatiquement,

en application du contrat type régissant les rapports entre annonceurs et agences de

publicité.

Elles sollicitent la condamnation de la Société Sogec Marketing au paiement

d'une somme de 50 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

La Société Etablissements Serre sollicite elle aussi l'infirmation de la décision,

en faisant valoir notamment que les manchons imprimés par elle n'ont constitué

qu'une partie, inutilisable en l'état, de l'élément décoratif des bouteilles Perrier. Elle

demande à la Cour de dire qu'elle n'a pas commis personnellement des actes de

contrefaçon au préjudice de la Société Sogec Marketing et qu'elle a été de bonne foi

en refusant toute commande dès qu'elle a eu connaissance du contentieux opposant

la Société Sogec Marketing aux Sociétés Perrier.

En tout état de cause, elle sollicite la garantie par la S.G.G.S.E.M.F. et la

Société Source Perrier, des condamnations qui pourraient être mises à sa charge, et

réclame à celles-ci une somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 susvisé.

La Société Sogec Marketing conclut à la confirmation du jugement en toutes

ces dispositions.

Elle soutient, notamment, qu'elle rapporte la preuve de ce qu'elle est

propriétaire des droits patrimoniaux de l'auteur sur ce modèle ; qu'elle est fondée, en

effet, à invoquer l'article 8 de la loi du 11 mars 1957 aux termes duquel la qualité

d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui sous le nom de qui l'oeuvre est

divulguée ; qu'elle vient aux droits du créateur, le styliste Erick Grand, ainsi que celui-

215

Page 66: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

ci l'a confirmé dans un écrit en date du 8 septembre 1989, puis dans un acte du 25 février 1990.

A cet égard, elle soutient que les Sociétés Perrier, tiers au contrat de cession,

ne sauraient valablement contester la validité de la cession au motif que les

modalités de rémunération prévues par l'article 35 de la loi du 11 mars 1957

n'auraient pas été respectées.

Elle prétend en outre que les droits d'auteur n'ont pu être transmis aux Sociétés

Perrier, en leur qualité d'annonceur, par application du contrat type du 19 septembre

1961 régissant les rapports entre annonceurs et agences de publicité, alors qu'en

l'absence de manifestation expresse de volonté des parties, celles-ci n'étaient pas liées par ce contrat.

La Société Sogec Marketing conclut en conséquence à la confirmation du

jugement en toutes ses dispositions.

Elle demande la condamnation des Sociétés Source Perrier, S.G.G.S.E.M.F et

Serre, in solidum, à lui payer une indemnité complémentaire de 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

sur quoi, la Cour :

Considérant qu'il y a lieu de joindre, vu leur connexité, les procédures inscrites au Répertoire Général de la Cour sous les numéros 90.18143 et 90.18680 ;

Sur le défaut de qualité pour agir :

Considérant que la Société Source Perrier et la S.G.G.S.E.M.F. font

valoir que la Société Sogec Marketing ne peut valablement soutenir qu'elle est

cessionnaire des droits de l'auteur du modèle, le styliste Erick Grand, alors

que, n'ayant versé aucune rémunération proportionnelle ou forfaitaire au

prétendu cédant, ainsi qu'il résulterait d'une attestation de ce dernier, la

cession serait nulle pour l'inobservation des dispositions de l'article 35 de la loi du 11 mars 1957 ;

Mais considérant que la règle de l'article 35 de ladite loi est protectrice de

l'auteur ; que la Société Source Perrier et la S.G.G.S.E.M.F, tiers au contrat de

cession, ne sont pas recevables à se prévaloir de l'inobservation de ces dispositions ;

216

Page 67: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Qu'il y a lieu, dès lors, de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité

de la Société Sogec Marketing à agir ;

Au fond :

Considérant qu'il est constant qu'aucun contrat écrit n'a été passé entre la

Société Sogec Marketing et la S.G.G.S.E.M.F.

Considérant, en conséquence, que c'est à juste titre que celle-ci se réclame de

l'application du contrat type du 19 septembre 1961, établi entre annonceurs et agents

de publicité pour régler leurs rapports, et qui stipule que "l'exploitation par l'agence pour le compte de l'annonceur de tous ses travaux de création publicitaire ou leur

réglement, implique la cession automatique à l'annonceur de tous les droits de

reproduction résultant notamment de la propriété littéraire et artistique tels qu'ils sont

définis par la législation en vigueur" ; Considérant qu'en vain la Société Sogec Marketing soutient que le fait pour

l'agence de publicité et l'annonceur de ne pas s'être référés à ce contrat implique

qu'ils ont entendu en écarter l'application ; que, traduisant en langue juridique les usages qui s'étaient instaurés entre les agents de publicité et leurs clients, il est à

présumer, au contraire, qu'en gardant le silence les parties sont censées s'y être

tacitement soumises ;

Considérant, en conséquence, qu'en réglant les travaux de création publicitaire, la Société S.G.G.S.E.M.F. est devenue titulaire des droits de la Société Sogec

Marketing sur le modèle d'habillage de la bouteille Perrier, de sorte que,

contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le dépôt ultérieur de ce modèle

par la Société Source Perrier ne peut avoir été fait en fraude des droits de la Société

Sogec Marketing ;

Considérant, dès lors, qu'aucun acte de contrefaçon ne pouvant être retenu à la

charge de quiconque, il convient d'infirmer le jugement et de débouter la Société

Sogec Marketing de toutes ses demandes ;

Considérant qu'il y a lieu d'allouer aux Sociétés Source Perrier et

S.G.G.S.E.M.F. la somme de 10 000 F en remboursement de leurs frais irrépétibles

de procédure qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge ;

Considérant qu'il n' y a pas lieu d'accueillir la demande formée sur l'article 700

du NCPC formée par la Société Etablissements Serre contre les Sociétés Source

217

Page 68: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Perrier et S.G.G.S.E.M.F. lesquelles ne doivent supporter aucuns dépens ;

PAR CES MOTIFS :

Joint, comme connexes les procédures inscrites au Répertoire Général de la Cour sous les numéros 90.18143 et 90.18680 ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Statuant à nouveau :

Déboute la Société Sogec Marketing de toutes ses demandes ;

La condamne à payer aux Sociétés Source Perrier et S.G.G.S.E.M.F. la somme

de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;

Rejette la demande de la Société Etablissements Serre fondée sur ce même

texte ;

Comdamne la Société Sogec Marketing aux dépens de première instance et

d'appel ; Admet, chacune en ce qui la concerne, la Société civile professionnelle Barrier

et Monin et la Société civile professionnelle Bernabe et Ricard au bénéfice des

dispositions de l'article 699 du NCPC.

Mme GIE, Président

MM. TAILHAN et DURIEUX, Conseillers

Mme BENAS, Avocat Général

SCP BARRIER MONIN, SCP BERNABE RICARD et

Me VALENTIE, Avoués

Mes BARTFELD, LANGLOIS et STENGER, Avocats

218

Page 69: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

COUR D'APPEL DE PARIS

1ére chambre

29 janvier 1991

OEUVRES PROTEGEES - OEUVRES MUSICALES (CHANSONS) - DROITS PATRIMONIAUX - REGLES GENERALES DES CONTRATS

D'EXPLOITATION - DROIT DE PREFERENCE (ART. 34 DE LA LOI DU

11 MARS 1957). DROITS PATRIMONIAUX - CONTRAT D'EDITION : Obligations de

l'éditeur (art. 57 et 59 de la loi du 11 mars 1957) : Article 34 de la loi du

11 mars 1957 limitant la validité du contrat de préférence à une période de

5 ans à compter du jour de la signature du contrat d'édition conclu pour la

première oeuvre - Conclusion, le même jour, de deux pactes de préférence

dont le premier est conforme aux prescriptions légales et le second sans

limitation de durée, passé avec un tiers, et assorti d'une rétrocession au

profit de l'éditeur bénéficiaire du premier pacte - Second contrat entaché

de fraude, non avenu et ne pouvant avoir pour effet de prolonger la durée

du premier. Points de départ du délai de 5 ans prévu par l'article 34 : Date du contrat

de cession de la première oeuvre intervenu après la conclusion du pacte

de préférence. Méconnaissance par l'éditeur de l'obligation, imposée par l'article 57,

"d'assurer à l'oeuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion

commerciale, conformément aux usages de la profession" (non) -

Conformité aux "usages de la profession" prouvée par une attestation de

la chambre Syndicale de l'Edition Musicale.

Méconnaissance par l'éditeur de l'obligation, imposée par l'article 59, de

"rendre compte" (oui) - Méconnaissance ne justifiant pas à elle seule la

résiliation du contrat dès lors que l'auteur ne justifie d'aucun préjudice né

de cette défaillance.

Michel JONASZ ET EURL MUSIQUE DES ANGES

c./ SKB SONGS FRANCE et APRIL MUSIC HOLLAND

Michel Jonasz et la Société Musique des Anges sont appelants du jugement rendu

le 17 novembre 1988 par le Tribunal de grande instance de Paris (3ème Chambre -

2ème Section) dans le litige les opposant aux Sociétés EMI Songs France et EMI Songs

Hollande, précédemment dénommées April Music, CBS Songs et SBK Songs.

219

Page 70: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Référence étant faite au jugement déféré pour un plus ample exposé des faits

et de la procédure antérieure, il suffit de rappeler les éléments suivants :

Après avoir, au terme de deux contrats de cession et d'édition d'oeuvres

musicales datés du 3 novembre 1981, confié aux éditions April Music le soin

d'exploiter vingt-six chansons de sa composition, Michel Jonasz a, pour pouvoir procéder à l'acquisition d'une maison, obtenu de cette société le 12 février 1982 la

signature d'un contrat de prêt portant sur la somme de 1 450 000 F, dont le

remboursement devait être effectué à hauteur de 1 045 000 F par les droits de

reproduction mécanique à provenir de ses quatre prochains albums 30 centimètres

qu'aux termes d'un contrat de préférence signé le même jour il s'engageait à

proposer à la même société éditrice, et dont le solde, 405 000 F, lui resterait acquis

par parts successives à l'occasion de la signatu re de chacun des contrats de cession

devant intervenir pour ces quatre albums.

Un autre contrat de préférence portant sur un "cinquième disque 30

centimètres" a également été conclu le 12 février 1982 entre Michel Jonasz et la

Société April Music Hollande.

Si ce dernier contrat ne comportait aucune limitation de durée, le contrat de

préférence conclu avec la Société d'Editions Musicales April Music précisait qu'il était

d'une durée limitée à cinq ans à compter de la signature du contrat de cession et

d'édition de la première oeuvre nouvelle de Michel Jonasz enregistrée par lui pour un

disque de 30 centimètres.

Quatre nouvelles chansons ont fait l'objet de deux contrats de cession signés le

15 avril 1982, mais une convention signée la veille les avait par anticipation exclues

du cadre du contrat de préférence.

Les dix chansons devant composer le premier album ont fait l'objet de quatre

contrats de cession signés le 25 février 1983 et dix autres chansons regroupées sur

le deuxième album ont donné lieu à la signature de deux nouveaux contrats de

cession le 10 janvier 1985.

Ayant appris que Michel Jonasz présentait quinze nouvelles chansons à "La

Cigale", la Société April Music, devenue depuis lors SBK Songs, l'a mis en demeure

par lettre recommandée du 22 janvier 1988 de signer à leur sujet le contrat de

cession prévu par le pacte de préférence du 12 février 1982.

C'est dans ces conditions que Michel Jonasz a assigné le 5 février 1988 la

Société SBK Songs France et la Société April Music Hollande en demandant :

- de prononcer l'annulation des pactes de préférence par lui conclus ; - subsidiairement de dire que la convention du 14 avril 1982 étant de nul effet,

le pacte de préférence conclu avec la Société April Music France a pris fin le 15 avril

1987 et d'annuler le pacte de préférence conclu avec la Société April Music

Hollande ; - en tout état de cause de prononcer la résolution ou à défaut la résiliation de

220

Page 71: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

l'ensemble des contrats de cession signés au profit de la Société April Music

devenue SBK Songs ; - de dire que cette société devra rembouser l'intégralité des sommes par elle

perçues au sujet des oeuvres sur lesquelles ils portaient, de la condamner au

paiement de la somme de deux millions de francs à titre de provision et de désigner

un expert pour faire les comptes entre les parties ; - de condamner en outre les Sociétés SBK Songs France et April Music

Hollande in solidum au paiement de la somme de 500 000 F à titre de dommages et

intérêts et de celle de 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Concluant au rejet de toutes ces demandes, la Société SBK Songs a demandé

reconventionnellement de condamner Michel, Jonasz a lui payer :

- 500 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice

commercial par elle subi du fait de la rupture de ses engagements ;

- la somme de 405 000 F majorée des intérêts conventionnels de 12% à compter du

22 janvier 1988 et celle de 400 000 F conformément aux dispositions du contrat de prêt ;

ainsi que 50 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Par ailleurs, constatant que les quinze nouvelles chansons litigieuses étaient

éditées par la Société Musique des Anges, gérée par Michel Jonasz, la Société SBK

Songs l'a appelé en intervention forcée dans la cause en demandant :

- de prononcer l'annulation des contrats de cession de ces chansons

regroupées sur un album intitulé "La fabuleuse histoire de Mister Swing" ;

- de la comdamner in solidum avec Michel Jonasz à lui reverser les sommes

par elle perçues à leur sujet et à lui payer un million de francs de dommages et

intérêts pour la violation concertée du contrat de préférence du 12 février 1982

relativement au troisième album qui lui était promis.

Elle a en outre demandé de condamner Michel Jonasz au paiement d'une

somme complémentaire d'un million de francs au titre de son manque à gagner sur le

quatrième album visé au contrat et de la somme de 100 000 F pour procédure

abusive.

La Société SBK Songs Hollande a pour sa part conclu à la validité de son

contrat au regard des dispositions de la loi néerlandaise.

Sur ces diverses demandes, le jugement déféré a :

- déclaré prescripte l'action en nullité du pacte de préférence conclu avec April

Music France ;

- déclaré valable le pacte de préférence conclu avec April Music Hollande ;

221

Page 72: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

- prononcé la résiliation aux torts réciproques des parties des contrats de

cession passés entre Michel Jonasz et la Société SBK Songs France venant aux

droits de la Société April Music ;

- condamné cette société à payer à Michel Jonasz la somme de 30 000 F à titre

de dommages et intérêts ;

- prononcé la nullité des contrats de cession et d'édition des quinze chansons

de l'album "Mister Swing" conclus entre Michel Jonasz et la société Musique des

Anges ;

- condamné Michel Jonasz in solidum avec cette société à payer à la société

SBK Songs France la somme de 22 000 F à titre de dommages et intérêts pour le

troisième album ;

- condamné en outre Michel Jonasz à lui payer la même somme pour le

quatrième album et à lui rembouser la somme de 405 000 F avec intérêts au taux de

12% à compter du 22 janvier 1988 ; - rejeté toutes autres demandes des parties ;

- et dit que chacune d'entre elles conservera la charge de ses propres dépens.

Michel Jonasz conclut à la réformation de cette décision et réitère devant la

Cour l'intégralité des demandes par lui présentées en première instance.

Formant appel incident, la Société EMI Songs France, venant aux droits de

la Société SBK Songs, demande pour sa part de réformer le jugement entrepris

en ce qu'il a prononcé la résiliation des contrats de cession conclus à son profit

et limité les mesures réparatrices par elle sollicitées. Elle demande de

condamner Michel Jonasz et la Société Musique des Anges solidairement à lui

restituer, sous le contrôle d'un expert, les sommes par eux perçues au sujet des

quinze chansons de l'album "Mister Swing" et à lui payer un million de francs à

titre de provision, ainsi que la somme de 500 000 F à titre de dommages et

intérêts en réparation de son préjudice commercial, les sommes de 405 000 F et

de 400 000 F en exécution du contrat de prêt et celle de 150 000 F sur le

fondement de l'article 700 du NCPC.

La Société EMI Songs Hollande conclut pour ce qui la concerne à la

confirmation du jugement entrepris et demande la condamnation des appelants à lui

payer une indemnité de 30 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

La Société Musique des Anges sollicite sa mise hors de cause et la

condamnation des intimées à lui payer la somme de 30 000 F à titre de dommages et

intérêts pour procédure abusive et une somme du même montant en application de l'article 700 du NCPC.

222

Page 73: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Enfin la Chambre Syndicale de l'Edition Musicale a signifié des conclusions

d'intervention pour faire état des "usages de la profession" visés à l'article 57 de la loi

du 11 mars 1957.

Sur ce, la Cour,

Considérant que la Chambre Syndicale de l'Edition Musicale, qui justifie être régulièrement habilitée pour ce faire, doit être déclarée recevable en son intervention

tendant à la défense des intérêts collectifs de la profession ; qu'il convient de lui en

donner acte ;

Sur la violation du pacte de préférence : ,

Considérant que les appelants font grief au jugement déféré d'avoir estimé que

la diffusion de l'album "Mister Swing" en janvier 1988 constituait une violation du

pacte de préférence conclu par Michel Jonasz avec April Music le 12 février 1982 et

de les avoir condamnés à réparer le préjudice résultant de cette violation, en

soutenant que le pacte qui leur est imposé doit être déclaré nul ou tout au moins qu'il

avait cessé de produire effet à compter du 15 avril 1987, soit antérieurement à

l'enregistrement incriminé ; Considérant qu'il est constant que Michel Jonasz a signé simultanément le 12

février 1982 avec la Société d'Editions Musicales April Music un contrat de prêt

précisant que le remboursement s'effectuerait par la production de quatre albums 30

centimètres et un contrat de préférence aux termes duquel il s'engageait à soumettre

ses prochaines oeuvres musicales à cette société pendant une durée de cinq années

à compter de la date de signature du contrat de cession et d'édition de la première

oeuvre nouvelle enregistrée pour un disque 30 centimètres ; qu'il fait grief à la

Société April Music d'avoir irrégulièrement prolongé cette durée correspondant à la

limite fixée par l'article 34 de la loi du 11 mars 1957 en lui faisant signer le même jour

un autre contrat de préférence aux termes duquel il réservait à la Société April Music

Hollande la production d'un cinquième disque 30 centimètres et soutient que ce second contrat ne prévoyant aucune limitation de durée doit entraîner la nullité de

son engagement ;

Considérant que cette demande, ayant été présentée moins de quinze jours

après la réception d'une mise en demeure tendant à prolonger la durée de cet

engagement au-delà de la période de cinq ans fixée par la loi, ne saurait être rejetée

pour cause de prescription ; Considérant qu'il existe un lien évident entre les trois contrats susvisés conclus

le même jour et que dans une attestation du 28 septembre 1988, M. Hebrard,

ancien dirigeant de la Société April Music, devait reconnaître expressément que le

223

Page 74: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

second pacte de préférence, dont la rétrocession au profit de cette société était

d'ailleurs prévue dans un document distinct du même jour, n'avait d'autre but que de

la faire bénéficier d'un contrat supérieur à cinq ans pour mieux garantir son

remboursement ; Considérant que Michel Jonasz est en conséquence fondé à soutenir que ce

second contrat, revêtant un caractère frauduleux, doit être tenu pour non avenu et ne

saurait avoir pour effet de prolonger la durée du premier ; Considérant en revanche que le vice affectant ce second contrat ne saurait

entraîner la nullité du pacte de préférence principal, dont la durée se trouve conforme

aux dispositions légales ; Considérant qu'aux termes de ce contrat, cette durée de cinq années

commençait à courir à compter du contrat de cession et d'édition de la première

oeuvre nouvelle de Michel Jonasz enregistrée par lui pour un disque 30 centimètres

33 tours ;

Considérant que l'appelant demande de constater que cette durée a pris fin le

15 avril 1987 en invoquant les contrats de cession par lui signés le 15 avril 1982 au

sujet de quatre chansons, tandis que l'intimée lui oppose une convention datée du

14 avril 1982 prévoyant que ces quatre chansons seraient exclues du champ

d'application du pacte de préférence ; Considérant qu'il convient de relever à ce sujet d'une part que cette convention,

précisant qu'elle ne comportait "aucune novation" par rapport aux dispositions du

pacte de préférence, ne pouvait valablement prolonger sa durée telle qu'elle avait été initialement fixée conformément à la loi du 11 mars 1957, d'autre part que l'une des

chansons cédées à cette date, "Lucille", a été composée par Michel Jonasz et

enregistrée par lui sur son prochain disque 30 centimètres ; Considérant que dès lors, même si elle a également fait l'objet d'un autre

enregistrement par un autre interprète et si elle a donné lieu à un contrat ultétieur

pour tenir compte des arrangements de Michel Coeutiot, elle n'en constitue pas

moins la première oeuvre nouvelle de Michel Jonasz intégrée dans son premier

album 30 centimètres ayant suivi la conclusion du pacte de préférence ; que

l'appelant est en conséquence bien fondé à soutenir que le contrat de cession conclu

à son sujet le 15 avril 1982 constitue le point de départ du délai de cinq ans prévu à

l'article 8 de ce pacte et que celui-ci a pris fin le 15 avril 1987 ;

Considérant qu'il s'ensuit que les oeuvres faisant l'objet de l'album "Mister

Swing", ayant été enregistrées à "La Cigale" entre le 5 janvier et le 27 février

1988, se trouvaient exclues de son champ d'application, dès lors qu'il n'est

nullement établi qu'elles aient été achevées avant le 15 avril 1987 ; que les

demandes présentées à leur sujet à l'encontre de Michel Jonasz et de la Société

Musique des Anges ne peuvent donc être accueillies et que le jugement déféré

sera réformé de ce chef ;

224

Page 75: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Sur l'inexécution des dispositions prévues au contrat de prêt :

Considérant qu'il est constant que Michel Jonasz n'a livré à la Société April

Music que deux des quatre albums prévus au contrat de prêt ; que si cette société

reconnaît que les droits de reproduction mécanique relatifs à leur exploitation lui ont

permis de récupérer la somme de 1 045 000 F, elle demande de condamner Michel

Jonasz à lui payer la somme de 405 000 F correspondant au solde de la somme

prêtée et ce avec intérêts au taux de 12% à compter du 22 janvier 1988 ainsi que

celle de 400 000 F à titre d'indemnité contractuelle ;

Mais considérant qu'il était prévu au contrat que la somme de 405 000 F

resterait acquise à Michel Jonasz à concurrence du quart, soit 101 250 F, pour

chacun des disques cédés ; que dès lors deux de ces disques ayant été livrés, la

Société EMI Songs ne peut, conformément aux dispositions contractuelles, prétendre

qu'au paiement d'une somme de 202 500 F et qu'il n'y a pas lieu de la majorer des

intérêts conventionnels à compter de la mise en demeure du 22 janvier 1988 puisqu'il

a été vu plus haut que celle-ci n'était pas justifiée ;

Considérant que l'intimée est en revanche fondée à demander le paiement

d'une indemnité forfaitaire de 200 000 F par album non livré conformément aux

dispositions contractuelles, et qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de

réduction de cette clause pénale présentée par l'appelant, dans la mesure où il a

bénéficié d'un prêt important sans respecter l'intégralité des engagements par lui

souscrits en contrepartie des avantages qui lui avaient été consentis ;

Sur la résiliation des contrats de cession :

Considérant que l'intimée demande par ailleurs de réformer le jugement

entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation de l'ensemble des contrats de cession

qui lui avaient été consentis par Michel Jonasz , tandis que celui-ci réitère cette

demande en faisant grief à la société éditrice de ne pas avoir rempli les obligations

mises à sa charge par les articles 57 et 59 de la loi du 11 mars 1957 ;

Considérant que la Société EMI Songs justifie par les pièces versées au débat

avoir donné aux oeuvres de Michel Jonasz une exploitation permanente et suivie

conformément aux usages de la profession et que celui-ci ne saurait se plaindre

d'une insuffisance d'exploitation graphique, dès lors qu'il ressort d'une attestation du

Président de la Chambre Syndicale de l'Edition Musicale que les partitions musicales

ne donnent généralement lieu qu'à un premier tirage de cent exemplaires, ce qui a

été fait en l'espèce, et que l'intimée justifie en outre avoir ultérieurement procédé à

225

Page 76: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

une réimpression en plus de deux cents exemplaires des chansons faisant l'objet des

contrats de 1981 et édité sous forme de recueils en dix mille exemplaires les

chansons constituant les deux albums livrés dans le cadre du pacte de préférence ;

Considérant par ailleurs que si l'intimée reconnaît ne pas avoir transmis de

relevés de comptes entre les contrats du 12 février 1982 et le 15 avril 1986, Michel

Jonasz ne justifie d'aucun préjudice du fait de cette défaillance, puisqu'il ne produit aucune réclamation antérieure à ce sujet, que sa lettre du 19 novembre 1987 ne

tendait qu'à connaître le montant du solde restant dû pour le remboursement du prêt

et qu'il lui a été répondu le 25 novembre suivant qu'il restait devoir à l'époque une

somme de 45 906 F ; qu'il s'ensuit que ce seul grief ne saurait suffire à justifier la

résiliation des contrats de cession par lui conclus et que le jugement déféré sera

également réformé de ce chef ;

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive et sur l'article 700

du Nouveau Code de Procédure Civile :

Considérant que la mise en cause de la Société Musique des Anges ne revêt

aucun caractère abusif, dès lors que, contrairement à ce qu'elle a prétendu, il ressort

des pièces versées aux débats qu'elle était l'éditrice de l'album litigieux ; qu'il n'y a

pas lieu en conséquence de faire droit à sa demande de dommages et intérêts et

qu'eu égard aux circonstances de la cause, il ne paraît pas inéquitable de laisser à

sa charge les frais irrépétibles par elle exposés dans le cadre de cette instance ;

Considérant par ailleurs que Michel Jonasz et les Sociétés EMI Songs

succombant partiellement en leurs prétentions respectives, il n'y a pas lieu de faire

droit à leurs demandes fondées sur l'article 700 du NCPC et qu'il convient de laisser

à chacun d'entre eux la charge de leurs propres dépens ;

Par ces motifs

REFORMANT le jugement déféré et STATUANT à nouveau,

DECLARE la Chambre Syndicale de l'Edition Musicale recevable en son

intervention ;

PRONONCE l'annulation du pacte de préférence conclu le 12 février 1982

entre Michel Jonasz et la Société April Music Hollande ;

226

Page 77: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

CONSTATE que le pacte de préférence par lui conclu le 12 février 1982 avec la

Société d'Editions Musicales April Music a pris fin le 15 avril 1987, la convention

conclue le 14 avril 1982 ne pouvant avoir pour effet de prolonger sa durée au-delà de

cette date ;

DEBOUTE la Société EMI SONGS FRANCE de l'ensemble des demandes par

elle formulées à l'encontre de Michel Jonasz et de la Société Musique des Anges au

sujet de la publication en janvier 1988 de l'album intitulé "La fabuleuse histoire de

Mister Swing" ;

DEBOUTE Michel Jonasz de sa demande en résiliation des contrats de cession

par lui conclus avec la Société April Music ;

Le CONDAMNE à payer à la Société EMI Songs France, en exécution du

contrat de prêt consenti par la Société April Music aux droits de laquelle elle se

trouve, les sommes de DEUX CENT DEUX MILLE CINQ CENTS FRANCS

(202 500 F) et de QUATRE CENT MILLE FRANCS (400 000 F) ;

REJETTE toutes autres demandes des parties ;

LAISSE à la charge de chacune d'entre elles les dépens par elles exposés.

M. VENGEON, Président

MM. GUERIN et BERGOUGNAN, Conseillers

M. DELAFAYE, Avocat Général

Me BAUFUME et SCP FISSELIER, CHILOUX BOULAY, Avoués

Mes ENNOCHI, JARAUD et SCP GOLDSMITH, Avocats

NOTE

1. L'arrêt "Jonasz" rendu par la Cour de Paris le 29 janvier 1991 illustre

l'importance du droit des obligations dans le domaine artistique, mais aussi, ce qui

est moins positif, la tendance des praticiens (surtout dans le secteur musical) à

instituer des relations contractuelles complexes, qu'ils ont parfois eux-mêmes du mal

à démêler :

L'auteur-compositeur Michel Jonasz conclut, en février 1982, le même jour, trois

227

Page 78: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

conventions étroitement liées, en fait avec le même partenaire (premier indice

d'opacité suspecte: il s'agissait de deux sociétés apparemment distinctes, mais elles

appartenaient au même groupe international et on eût pu, à cet égard, s'interroger en

termes de droit international privé et de fraude à la loi, ce qui semble avoir été

esquivé) : le premier contrat était un prêt important accordé à l'auteur, dont le

remboursement devait se faire partiellement par dation en paiement des redevances

à provenir de l'exploitation des oeuvres cédées en application du deuxième contrat;

celui-ci portait pacte de préférence pour la cession (on dirait plutôt la gestion, car

c'est la Sacem qui recevra les oeuvres) de ses titres futurs, exprimés en termes

d'albums (pratique courante), au cours des cinq prochaines années, ce qui respectait

le plafond édicté par l'art. 34, L 1957; enfin, le troisième contrat, conclu avec l'autre

société du groupe portait nouveau pacte de préférence, sans limitation de durée,

pour un autre album.

Deux mois plus tard, les premières oeuvres arrivaient, mais les parties

convenaient de les exclure du premier pacte (deuxième indice d'opacité suspecte); puis, un certain nombre de titres, rentrant cette fois dans son exécution, étaient

transmis à l'éditeur, apurant pour le plus clair la dette du chanteur.

En 1988, le compositeur créait de nouveaux titres, s'apprêtant à les céder à sa

propre maison d'édition; l'éditeur le mettait au contraire en demeure de le faire

bénéficier de sa préemption, de sorte que l'artiste l'assignait, ainsi que le comparse

étranger, devant le Tribunal Civil de Paris, en invoquant un certain nombre de

moyens tenant à la nullité et à l'inexécution des conventions.

Les premiers juges rendaient une décision assez défavorable au chanteur, qui

interjetait donc appel ; la Cour de Paris a prononcé un arrêt plus équilibré, dont nous

relèverons les traits les plus saillants, en examinant la nullité (I), puis l'inexécution

(II) des contrats litigieux.

1 : Nullité des conventions

Quatre points méritent l'attention.

2. Prescription. M. Jonasz invoquait la nullité du second pacte, pour un motif

de fond que l'on verra au n° suivant ; ses adversaires lui rétorquaient que sa

demande était prescrite, ce que le tribunal avait constaté ; on croit comprendre que le

contrat ayant été conclu en février 1982, le délai quinquennal des actions en nullité

serait expiré en février 1987, or l'auteur n'a assigné qu'un an plus tard ; la Cour

répond que l'auteur a agi dès après réception de la mise en demeure.

Peu importe, en vérité: il suffisait de relever (on voudra bien admettre que c'est

la loi française qui s'appliquait) que le pacte étant nul, pour objet illicite, ce qui constitue une nullité absolue, l'action se prescrivait par dix ans - on est en matière

228

Page 79: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

d'actes mixtes - de sorte que la prescription n'était point consommée (voy. notre

Manuel de propriété littéraire et artistique, Droit fondamental, Presses

Universitaires de France 1991, n°s 196 et 208).

On pouvait aussi, considérant que l'article 34 étant d'ordre public, c'est

surtout dans l'intérêt individuel de l'auteur, tenir la nullité pour relative, tout en

rappelant que la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil ne court

normalement que du jour de la découverte du vice et non point du jour de la

signature du contrat (notre Manuel, passim et pour une telle qualification, notre

note sous la décision "Musumarra", TGI Paris 12 janv. 1988, cette Revue juill.

1988, p. 116, ainsi que J. Ghestin, Traité de droit civil. obligations, 2è éd., n°s

778 et 781, qui raisonne sur le cas, proche, de l'art. 35, L 1957; c'est au demeurant la position de la Cour de cassation : Civ. 1 è 6 févr. 1973, "Dhéry", GP

1973.1. 406).

3. Nullité du second pacte. Il l'était pour de nombreuses raisons: d'abord, il y

avait manifestement fraude à la loi française, par cette soumission artificielle à une loi

étrangère (voy. Batiffol et Lagarde, droit international privé, T. I, 7è éd., n°s 370 et

s.), d'autant que l'arrêt nous apprend que la société étrangère prétendument bénéficiaire devait aussitôt rétrocéder le pacte à l'éditeur français ; ensuite, et comme

le relève la Cour, aucune limitation temporelle n'était envisagée ; mais en vérité, peu

importe : même si le pacte avait eu une durée déterminée, inférieure à cinq ans, il

restait nul, car il est constant que la pratique consistant à conclure des pactes

successifs ou concomitants, afin de tourner le plafond de l'article 34, est frappée

d'inefficacité pour fraude (voy. notre Manuel, n° 194).

4. Conséquences sur la validité du premier pacte. M. Jonasz plaidait la

nullité subséquente du premier pacte, en d'autres termes l'indivisibilité entre les deux

contrats, la nullité de l'un infectant l'autre des mêmes v i c e s .

La Cour refuse de l'admettre et nous l'approuvons, sur le terrain des nullités

partielles : il n'apparaît pas que le second contrat, accessoire, ait été la cause

impulsive et déterminante du premier, principal (sur l'étendue des nullités en droit

d'auteur, voy. notre Manuel n° 196).

Un doute, cependant : la notion d'indivisibilité dans les groupes de contrats

s'épanouit à l'heure actuelle en droit positif : les parties n'avaient-elles pas voulu faire

des trois contrats, un ensemble indissociable (la date identique de conclusion est

déjà un indice), ce que la Cour relève elle-même ? En ce cas, la nullité globale

pourrait être envisagée (voy. Ghestin, op. cit., n°s 888 et 890; l'indivisibilité a même

été consacrée dans notre discipline par l'arrêt préc. "Dhéry").

Mais gare aux restitutions : le chanteur s'est-il avisé qu'il faudrait que lui aussi

rende tout (car il faudrait aussi comprendre le prêt), sous réserve de sa bonne foi ?

229

Page 80: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

5. Calcul du point de départ des effets du pacte. Quand avait commencé à

courir le délai d'exécution du premier pacte ? Etait-ce du jour de remise des premiers

titres, auquel cas l'éditeur n'avait rien à reprocher à l'auteur, puisque le terme du contrat était intervenu ? Etait-ce à celui de remise des titres suivants, les parties

ayant exclu les premiers du délai, auquel cas, le commerçant pouvait encore appréhender les nouvelles oeuvres ?

La Cour de Paris répond très fermement que c'est la première date qui

s'impose : c'est poser nettement que la volonté (novatoire, quoiqu'il ait été stipulé)

des parties est impuissante à modifier le calcul de la durée du pacte; en d'autres

termes, que l'article 34 n'est point une disposition supplétive, mais impérative.

_ sommes moins sûr, compte tenu du fait qu'il s'agit de protéger les

intérêts individuels de l'auteur et point ceux de la société ; rappelons ainsi que

l'auteur peut confirmer une nullité (voy. notre Manuel, n° 196 et l'arrêt "Dhéry"

préc.); il est vrai qu'ici, la confirmation eût été anticipée.

Reste une question intéressante, qu'aborde incidemment la Cour : quand

l'obligation de l'auteur, de proposer la préférence au bénéficiaire du pacte, devient-

elle exigible ? Il semble que les magistrats aient hésité entre le jour de l'achèvement

de l'oeuvre, et celui de son enregistrement ; pour éviter le casse-tête bien connu de

la détermination du moment d'achèvement, nous prendrons parti pour celui de

l'enregistrement, plus simple et plus sûr.

II : Inexécution des conventions

Deux points sont à étudier.

6. Combinaison et effets des deux premiers contrats. La Cour opère

l'articulation entre la convention de prêt et le pacte de préférence, valable, en

exécution duquel les cessions ont eu lieu ; elle applique les stipulations voulues par

les parties (déductions, abattements, etc.), y compris la clause pénale à la charge

de l'artiste, n'ayant pas complètement rempli ses obligations; de ce point de vue, elle refuse la réduction prévue par l'article 1152 du Code civil, estimant ainsi que la

clause n'est pas "manifestement excessive" (sur les clauses pénales en droit

d'auteur, voy. notre Manuel. n° 206, avec les réf.).

7. Résiliation des contrats d'application. M. Jonasz réclamait en outre la

résiliation des contrats d'application du pacte, principalement au motif d'une absence

"d'exploitation permanente et suivie" des formats et d'une carence dans la reddition

des comptes ; la Cour rejette les deux griefs.

Le premier avait en effet peu de chances d'aboutir, car l'on sait que de nos

jours, l'exploitation graphique représente une part mineure, par rapport à

230

Page 81: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

l'exploitation mécanique (voy. notre Manuel. n° 218) ; de toute façon, les magistrats

prennent soin de constater, en fait, une bonne exploitation, conforme à l'article 57, L

1957. En revanche, on se montrera plus réservé sur la mise à l'écart, un peu brutale,

du second grief : si l'éditeur n'a effectivement pas remis de comptes pendant quatre ans, il a nettement méconnu les articles 59 et 60, L 1957 (voy. notre Manuel n° 220) ;

et peu importe que l'auteur ne les lui ait point réclamés, d'abord parce qu'il s'agit

d'une obligation légale, ensuite, parce que (hormis en droit des marques...) la

tolérance n'est point constitutive de droits ; quant à l'absence de préjudice, ceci

procède quoique peu de l'affirmation. Certes, il n'y avait peut-être pas lieu à résiliation, mais éventuellement à

dommages-intérêts, de sorte que les magistrats auraient pu prononcer une

compensation judiciaire avec les sommes que l'artiste était de son côté condamné à

verser à l'éditeur.

Pierre-Yves Gautier

Professeur à la faculté de droit et des sciences

politiques de Caen.

COUR D'APPEL DE PARIS

4e Chambre

14 mars 1991

OEUVRES PROTEGEES - MODELES : Mannequins portant des têtes

stylisées d'homme et de femme. DESSINS ET MODELES D'ORIGINE ETRANGERE : Protection par la loi

du pays d'origine résultant soit d'une loi spéciale, soit du droit d'auteur,

sans cumul de protection - Protection par le droit d'auteur du pays

d'origine (Italie) limitée aux éléments esthétiques séparables du caractère

industriel du produit auquel ils sont incorporés. APPLICATION DE LA CONVENTION DE BERNE : Condition de

réciprocité matérielle pour la protection des dessins et modèles (art. 2 § 7

de la Convention) - Non-application de la loi du droit d'auteur du pays où

la protection est réclamée (France) aux éléments protégés par la loi

spéciale du pays d'origine - Conséquence : limitation de la protection par

la loi française du droit d'auteur aux seuls éléments "esthétiques"

231

Page 82: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

séparables de l'aspect industriel.

Eléments esthétiques (têtes stylisées) exprimant la personnalité de

l'auteur - Condition d'originalité remplie au regard de la loi française -

Auteur ou ayant droit de l'auteur fondé à invoquer en France la violation

du droit de reproduction prévu par la loi du 11 mars 1957.

QUALITE D'AUTEUR : Détermination du premier titulaire du droit d'auteur. CONFLIT DE LOIS sur la détermination.

En l'absence d'indication de la Convention de Berne sur la désignation du

bénéficiaire de la protection, application de la loi du pays d'origine où les

oeuvres protégées ont été créées et divulguées (Italie) - Loi italienne de la

propriété littéraire et artistique attribuant à l'entreprise personne morale les droits patrimoniaux sur l'oeuvre créée par ses salariés dans le cadre de

son activité - Conséquence : entreprise demanderesse ayant qualité pour exercer en France l'action en contrefaçon - Moyen inopérant et d'ailleurs

non fondé tiré d'une prétendue violation de la loi française concernant

l'acquisition de la titularité des droits.

Sté. LA ROSA c/ Sté. ALMAX et Sté. COFRAD.

La société de droit italien Almax International a poursuivi en contrefaçon de

modèles, par application de l'article 70 de la loi du 11 mars 1957, la Société Cofrad et la Société de droit italien La Rosa. Les circonstances de la cause sont exactement

rapportées au jugement. Il suffit de rappeler que Cofrad a acheté à Almax , de

décembre 1982 à juin 1983, bon nombre de mannequins portant la tête d'homme

référencée chez Almax S2 et la tête de femme J12 et a, au milieu de l'année 1983,

remis un exemplaire de chacune de ces têtes à La Rosa pour qu'elle les reproduise

et lui fournisse 200 mannequins ornés de ces têtes. Les mannequins commandés à

La Rosa ont été livrés en France et loués ou vendus par Cofrad ,notamment pour

une part importante d'entre eux aux Galeries Lafayette.

Par jugement du 30 novembre 1988, la 3ème Chambre du Tribunal de

Commerce de Paris a estimé que la loi française devait seule régir les droits des

parties et, notamment, permettre de déterminer la qualité d'Almax à agir en tant que titulaire de droits d'auteur sur les modèles. Il a considéré que cette personne morale

était titulaire des droits d'auteur sur les têtes de mannequins du fait qu'il s'agissait

d'une oeuvre collective réalisée par ses salariés, sous sa direction artistique. Il a

retenu que les deux têtes étaient des oeuvres nouvelles et originales et bénéficiaient

de la protection de la loi du 11 mars 1957, que celles ayant fait l'objet de la saisie

232

Page 83: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

contrefaçon en "étaient la copie conforme" et "paraissaient sortir du même moule" et

que La Rosa, industriel averti, ne pouvail ignorer la provenance des modèles qu'on

lui demandait de réaliser. Il a reconnu le bien fondé des demandes en contrefaçon

contre les deux sociétés défenderesses qui avaient violé, en collusion, les droits d'Almax. En conséquence, il a dit Almax International recevable en son action sur le

fondement de l'article 70 de la loi du 11 mars 1957, l'a déclarée partiellement fondée

en sa demande en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon

commis par Cofrad et La Rosa, a condamné solidairement ces sociétés à lui payer

100 000 F de dommages-intérêts, a validé les saisies-contrefaçons pratiquées le

28 mars 1986 dans les locaux des Galeries Lafayette et dans ceux de Cofrad, a

ordonné la confiscation et la remise à Almax des articles contrefaisants saisis et de

tous autres se trouvant en stock dans les locaux des Galeries Lafayette et de Cofrad,

a fait défense à Cofrad et à La Rosa de fabriquer, vendre ou louer à l'avenir les

articles contrefaisants, sous astreinte de 1 000 F par infraction, à ordonné, aux frais

des sociétés défenderesses, solidairement, l'insertion du jugement dans cinq

journaux ou revues au choix d'Almax, le coût de chaque insertion ne pouvant

dépasser 5 000 F, a condamné solidairement les défenderesses à payer 30 000 F à

Almax au titre de l'article 700 du NCPC et a rejeté le surplus des demandes.

La Rosa a fait appel le 15 février 1989. Elle conclut à l'infirmation du jugement,

demande à la Cour de déclarer Almax irrecevable en ses demandes et de l'en

débouter, subsidiairement, de les rejeter comme mal fondées, très subsidiairement,

de dire que Cofrad devra la garantir de toute condamnation, enfin, de condamner

Almax, subsidiairement Cofrad, à lui payer 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Cofrad conclut à l'infirmation du jugement, à l'irrecevabilité des demandes

d'Almax, subsidiairement, à leur rejet comme étant mal fondées, très

subsidiairement, à la garantie de toute condamnation par La Rosa et à la réduction

de la réparation accordée à Almax, enfin, à la condamnation d'Almax,

subsidiairement de La Rosa, à lui payer 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Almax demande la confirmation du jugement la condamnation solidaire de

Cofrad et La Rosa aux intérêts de droit, et au paiement de 30 000 F au titre de

l'article 700 du NCPC pour la procédure d'appel. Subsidiairement, elle demande à la

Cour d'entendre, par enquête à la barre, Giancarlo Cisorio et Luigi Zucca, ses

employés, qui ont procédé à la sculpture des têtes, sous sa direction, dans le cadre de leur contrat de travail.

SUR CE, LA COUR,

A. Sur une prétendue demande en concurrence déloyale :

Considérant que si, dans ses conclusions du 5 décembre 1989, Almax a

233

Page 84: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

"noté" que "l'on est en présence de copies serviles", de "contrefaçons de

commande" des têtes de mannequins fabriquées par la société Almax

International et "que ces faits justifieraient à eux seuls la recevabilité et le bien

fondé d'une action en concurrence déloyale intentée par la société Almax

International, au cas où par extraordinaire on lui nierait tout droit de propriété

artistique sur les têtes litigieuses", cette considération qui apparaît en fin de la

15ème page d'un jeu de conclusions qui en comporte 21 ne saurait, contrairement

à ce qu'elle a fait plaider, constituer une demande en concurrence déloyale; qu'il

s'agit d'une simple notation de moralité dans laquelle, à défaut de toute

réclamation précise formée à ce titre, on ne peut voir le fondement d'aucune des

demandes qui reposent toutes clairement, dans le corps des conclusions et dans

le dispositif, sur la contrefaçon ; que d'ailleurs, Almax avait rédigé, dans les

mêmes termes, cette considération, dans ses conclusions de première instance ;

que le tribunal n'a pas mentionné la concurrence déloyale dans son jugement qui

fonde toutes les condamnations sur la contrefaçon et qu'Almax ne demande

qu'une rectification au jugement, à savoir d'apprécier sa qualité de titulaire de

droits d'auteur en vertu de la loi italienne et non de la loi française ; qu'ainsi, il n'y a

pas lieu d'examiner les faits sous l'angle de la concurrence déloyale ;

B. sur la recevabilité d'Almax à agir en contrefaçon :

a) loi applicable pour déterminer si cette société est titulaire de droits

d'auteur :

Considérant que selon Almax sa qualité de titulaire de droits d'auteur, à

laquelle la loi française applicable à la poursuite, soumet la recevabilité de l'action en

contrefaçon, doit être appréciée au regard de la loi italienne ;

Considérant, qu'à l'inverse, La Rosa et Cofrad soutiennent qu'en vertu du

principe de territorialité posé sans restrictions par la Convention d'Union de Berne, la

loi française s'applique à l'ensemble des questions, et notamment à la définition et à

la désignation du titulaire des droits d'auteur, question qui commande la recevabiiité

de l'action en contrefaçon intentée par Almax ; qu'elles invoquent notamment l'article 5 de la Convention de Berne, telle qu'elle résulte de la Convention de Paris

du 14 novembre 1971, aux termes duquel "l'étendue de la protection ainsi que les

moyens de recours garantis à l'auteur pour sauvegarder ses droits se règlent

exclusivement d'après la législation du pays où la protection est réclamée", étant

précisé que "la jouissance et l'exercice des droits de l'auteur dans un pays de l'Union

sont indépendants de la protection dans le pays d'origine de l'oeuvre en dehors de

toute formalité" ;

234

Page 85: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Considérant qu'Almax répond que si la Convention de Berne fait régir par la loi

du pays où elle est demandée la protection de l'auteur, tant dans ses modalités que

dans son étendue, elle ne donne, à la différence de certaines conventions spéciales,

aucune indication sur la loi à appliquer pour régler le problème de la "titularité" des

droits d'auteur, c'est-à-dire pour désigner le titulaire des droits d'auteur, soit à titre

originel, soit par suite de cession de droits, ou, si l'on préfère, pour définir les règles

selon lesquelles ces droits sont acquis et cédés ; qu'elle en déduit qu'il convient,

pour régler cette question, d'appliquer la règle générale du conflit de lois laquelle,

selon elle, en droit international français, désigne la loi du pays d'origine de l'oeuvre, la loi italienne dans le cas présent ;

Considérant qu'en l'absence de toute indication donnée par la Convention de

Berne qui définit la loi applicable à la protection des droits, sur celle qui doit désigner

le bénéficiaire de cette protection, il convient d'en revenir, sur ce point, au droit

commun; que, comme le soutient exactement Almax, la règle française de conflit de

lois remet à la loi d'origine la définition du titulaire des droits d'origine; qu'au surplus,

la loi d'autonomie définit les règles de fonds d'une cession; qu'en l'espèce, la loi

d'origine est la loi italienne, les têtes de mannequins ayant été conçues et réalisées

en Italie, pays où elles ont été divulguées par la publicilé commerciale d'Almax,

notamment par les annonces qu'elle a fait publier dans la revue Vetrina dont elle

verse au dossier les numéros datés de 1982 et 1983; qu'il convient donc d'appliquer

la loi italienne pour déterminer qui est titulaire des droits d'auteur et, par suite, a

qualité pour exercer l'action en contrefaçon ;

b) le contenu de la loi italienne :

Considérant qu'il résulte d'un certificat de coutume délivré le 7 mai 1987 par

Giuseppe Sena, professeur de droit industriel à la faculté de Milan et avocat inscrit

au Barreau de la même ville, qu'en vertu non pas d'un texte précis mais de la

jurisprudence, "le droit italien de la propriété artistique donne à l'entreprise personne

morale les droits économiques qui s'attachent à l'oeuvre créée dans ladite entreprise

et dans le cadre de son activité par un ou plusieurs salariés" ;

Considérant que ce certificat de coutume a été donné en toute connaissance

de cause pour être produit dans un litige opposant Almax à Cofrad et La Rosa ;

Considérant que Cofrad prétend que ce certificat montre qu'en droit italien, tout

comme en droit français, une personne morale ne peut être titulaire de droits

d'auteur sur une oeuvre artistique que s'il s'agit d'une oeuvre collective créée dans

les conditions définies à la loi du 11 mars 1957 ou que lorsque les droits d'auteur lui

235

Page 86: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

ont été cédés par la personne physique qui en était titulaire à l'origine, mais qu'une

telle lecture du certificat de coutume en dénature le contenu ;

Considérant que La Rosa exprime des doutes sur la teneur de la loi italienne

mais s'est bornée, à l'audience, à faire citer par son avocat des articles du code civil

italien, selon une édition dont il n'a pu donner la date; que le fait que les textes lus

n'aient fait aucune allusion à la question, bien loin de contredire les indications du

professeur Sena, les confirme, puisqu'il a pris soin de préciser que l'attribution des

droits patrimoniaux sur l'oeuvre créée dans le cadre d'un contrat de travail a reçu sa

solution en droit positif de la jurisprudence et non de la loi ;

Considérant qu'il y a donc lieu de tenir pour certaines les indications données

par le certificat de coutume dont on remarquera qu'il est en parfaite concordance

avec les indications données en France par la doctrine, notamment par l'article du

professeur Giovanni Pellegrino dans "le traité des dessins et modèles" de MM. Pierre

et François Greffe ;

c) application de la loi italienne :

Considérant que Almax établit par des attestations signées en mai 1987 par

Luiggi Zucca, son employé, et par Giancarlo Cisorio, son ancien employé, que les

têtes d'homme et de femme stylisées portant ses références "S2" et "J12" ont été

réalisées sous sa direction technico-artistique chacune par l'un de ces sculpteurs,

dans le cadre de leur contrat de travail, pour son seul usage et qu'ils lui ont cédé

tous droits d'auteur et de reproduction; que rien ne permet de mettre en doute la

sincérité de ces attestations, leurs auteurs étant clairement identifiés, par leur date et

lieu de naissance, leur adresse et la copie de leur permis de conduire, et ayant eu

conscience de s'engager par un acte qui serait produit "lors d'un procès en cours

devant l'autorité judiciaire française" ;

Considérant que les critiques faites à ces certificats de ne pas respecter les

règles de l'article 31 de la loi du 11 mars 1957 sont inopérantes, d'une part, parce

que ce texte est fait pour protéger les auteurs et non ceux qui sont poursuivis pour

contrefaçon, d'autre part, parce qu'elles ne sauraient s'appliquer à une cession

intervenue en Italie dans le cadre d'un contrat de travail régi par la loi italienne ;

Considérant que le fait que ces attestations aient été rédigées et signées

pour les besoins de la cause ne les rend en rien moins crédibles dès lors qu'il

n'apparaît nullement que les droits d'Almax sur ces têtes, affirmés publiquement

notamment par les publications parues, avec revendication de copyright, en 1982

236

Page 87: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

et 1983, auraient été contestés avant la présente instance ;

Considérant que les attestations sont claires, précisent bien les circonstances

de fait et de droit, que le contrat de travail est surabondamment établi par la

production de feuilles de paye, et que la désignation des modèles par des références

de la société Almax ne permet aucune hésitation sur l'identité des oeuvres; que les

dates indiquées pour leur réalisation sont corroborées par celles des publications de

Vetrina et Inspiration où elles sont présentées peu après; qu'il convient donc de les

tenir comme des moyens de preuve suffisants des conditions de création des

modèles de têtes prétendument contrefaits et de la cession de tous droits

patrimoniaux des sculpteurs à leur employeur Almax ;

Considérant que La Rosa prétend que les cessions seraient nulles comme

ayant porté sur des droits moraux incessibles et inaliénables ;

Considérant que les attestations, signées par des personnes simples et dans doute ignorantes des subtilités du droit, affirment que tous les droits ont été

cédés à Almax, d'une part, parce que l'oeuvre a été réalisée sous sa direction

artistico-commerciale, d'autre part, parce que les accords en vigueur - il s'agit du

contrat de travail - prévoyaient que tout ce que réaliserait l'employé pour le

compte d'Almax resterait à l'entière disposition et à l'usage exclusif de cette

société ; que de telles dispositions qui permettent seulement d'affirmer

qu'Almax - qui dans la présente instance ne revendique aucun droit moral -

dispose, à titre originaire du droit d'exploitation et de reproduction et en aurait, à

tout le moins, disposé à titre de cession si ces droits avaient pu naître à l'origine

sur la personne de ses employés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; que ces

conséquences du contrat de travail sont la simple application du droit italien et

qu'elles ne sont en rien contraires à l'ordre public tel que l'entend le droit

international privé français ; qu'on notera de plus que le moyen tiré de l'incessibilité du droit moral aurait pu, le cas échéant, être soulevé par les

titulaires d'un tel droit mais ne saurait l'être utilement par les défendeurs à une

action en contrefaçon qui n'ont en rien participé à la création de l'oeuvre;

d) jouissance des droits d'auteur d'Almax, selon la loi française :

Considérant qu'ayant acquis ses droits selon la loi italienne, Almax, personne

morale, peut en jouir selon la loi française qui n'exclut pas qu'une personne morale soit titulaire de droits d'auteur, soit à titre originaire, soit par l'effet d'une cession;

qu'elle peut également, selon la loi française, exercer ses droits en mettant elle-

même en oeuvre une poursuite civile en contrefaçon ;

237

Page 88: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

C. sur la nouveauté et l'originalité des modèles :

a) la nouveauté:

Considérant que pour dénier aux oeuvres le droit à la protection légale, La

Rosa dénie à la tête d'homme tout caractère de nouveauté; qu'elle soutient que

"la tête d'homme est tout à fait proche d'une oeuvre de Leone Ludi et que l'on

retrouve (sic) dans différentes oeuvres (sculptures et même affiches) des

sculpteurs italiens et allemands des années 1930", qu'elle ajoute "le style de la tête d'homme dérive des oeuvres de Donatello, notamment de la statue du

prophète Abacuc dit Lo Zuccone (Florence)"

Considérant qu'il est aisé de comprendre, et de constater à l'examen des

reproductions produites des oeuvres citées, que le reproche n'est pas celui du défaut

de nouveauté, mais celui de s'être "inspiré" d'oeuvres d'autrui, d'en avoir copié "le

style", c'est-à-dire non pas d'avoir reproduit une oeuvre antérieure mais d'en avoir

produit une qui serait dépourvue d'originalité ; que dès lors il y a lieu de retenir la

nouveauté de la tête d'homme ;

b) contestation de l'originalité :

Considérant que Cofrad et La Rosa prétendent que la protection légale ne

saurait être accordée aux têtes de mannequins d'Almax qui manquent d'originalité,

que La Rosa expose, notamment, que les têtes ne sauraient être considérées

comme des "oeuvres esthétiques" faisant "partie intégrante d'un mannequin qui est

lui-même le support de présentation de vêtements ; les mannequins sont des

éléments fonctionnels qui n'ont aucune vocation artistique ; les clients qui voient un

mannequin s'intéressent uniquement aux vêtements dont il est couvert et non pas à

sa conformation physique et non pas à sa tête" ; que l'on trouve en écho de ce

développement la phrase suivante des conclusions de Cofrad : "les mannequins ont

un caractère simplement utilitaire et non esthétique" ;

Considérant qu'ensuite, la discussion se porte davantage sur l'originalité,

caractéristique de l'oeuvre où transparaît la personnalité de son auteur - qualité

que Cofrad déniera aux têtes d'Almax qui "s'inspirent d'un genre" étant donné

qu'un "genre ne s'identifie à aucune oeuvre particulière. Il est loin de fournir un

facteur d'individualisation et donc d'originalité", qu'elle conclura que les deux

têtes ne sont pas originales dès lors qu'elles "ne peuvent être attribuées à un

auteur particulier puisqu'elles ont été faites par deux personnes différentes, mais

dans un style identique, style caractéristique du début du XXe siècle (période

238

Page 89: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

1900/1940 environ), qu'elles ne font état d'aucun effort d'imagination" ;

c) portée de ces critiques du défaut d'originalité :

Considérant que les sociétés défenderesses reprochent aux modèles qui leur

sont opposés, d'une part, d'appartenir à un genre d'art appliqué, esthétique mais non

artistique, et, d'autre part, de n'être pas des oeuvres individuelles par lesquelles se

révèle la personnalité de leur auteur ;

Considérant que dans un procès où seul le droit français interne serait

concerné le premier type d'argument serait dénué de toute pertinence puisque la loi

du 11 mars 1957 protège les oeuvres de l'esprit "quelqu'en soit le genre, la forme

d'expression, le mérite ou la destination" ; que dans le cas présent, il ne s'agit pas

d'un argument sur l'originalité mais d'un moyen, esquissé plus que développé,

auquel Almax n'a pas répondu faute de l'avoir perçu ;

Considérant en effet que la loi italienne n'accorde la protection à des objets

déterminés qu'au titre, ou de la loi sur la propriété littéraire et artistique ou de la loi

sur les modèles ornementaux; qu'elle ne permet pas, comme la loi française, un

cumul des deux protections; que d'autre part, la Convention d' Union de Berne, telle

que révisée à Paris en 1971 a, pour ne pas défavoriser les pays accordant la double

protection, posé la règle, dans l'article 2 § 7, que : "Pour les oeuvres protégées

uniquement comme dessins et modèles dans le pays d'origine, il ne peut être

réclamé dans un autre pays de l'Union que la protection spéciale accordée dans ce

pays aux dessins et modèles".

Considérant qu'en droit italien - tel que l'expose en France Giuseppe

Pellegrino, déjà cité - la protection des "formes ornementales" suppose la délivrance

d'un titre et dépend d'une législation spéciale ; que le "modèle ornemental", protégé

dès lors qu'il est nouveau et original, c'est-à-dire qu'il n'est pas la "simple

modification facile et banale de ce qui est déjà connu" n'est pas protégé par la loi sur

la propriété artistique ; que pourtant, une oeuvre appelée "modèle" en France peut bénéficier de cette protection, mais à la condition d'entrer dans la catégorie des

"formes esthétiques", ce qui l'exclut de celle des "formes ornementales"; que la

distinction résulte de la loi du 22 avril 1941 qui protège comme formes esthétiques

"les oeuvres de la sculpture, de la peinture, de l'art et du dessin, de la gravure et des

arts figuratifs similaires, y compris la scénographie pourvu que leur valeur

artistique soit séparable du caractère industriel du produit auquel elles sont

associées" ;

239

Page 90: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Considérant que la "séparabilité" est le critère de distinction entre les formes

esthétiques et les formes ornementales; qu'il est éclairé par la citation d'un arrêt de

la Cour de cassation du 25 janvier 1933 aux termes duquel : "si l'élément de l'art fait

partie intégrante du produit qui de ce fait acquiert seulement un aspect esthétique, la

protection est celle du privilège attaché au modèle ou dessin" ; qu'un second arrêt

indique, de façon encore plus claire, que : "l'oeuvre d'art appliquée à l'industrie

conserve son individualité artistique tandis que les modèles et les dessins tendant

seulement à rendre plus esthétique et plus agréable le produit n'ont pas une valeur

esthétique autonome de représentation et ne peuvent donc se concevoir comme des

oeuvres en soi, disjointes du produit même" ; qu'ils ont pour unique finalité "d'exploiter les ressources artistiques afin de rendre plus facile la vente du produit" ;

d) nature des têtes J12 et S2 selon la loi italienne, "modèles

ornementaux" ou "oeuvres esthétiques" :

Considérant qu'il résulte de l'exposé de La Rosa, société de droit italien,

spécialisée dans la fabrication et le commerce des mannequins, qui apparaît bien

connaître le droit italien en la matière, qu'elle soulève le moyen selon lequel les têtes

S2 et J12 étant des formes ornementales et non des formes esthétiques, elles ne

sauraient être protégées en France au titre de la protection des oeuvres littéraires et

artistiques; qu'elle n'a pas cité expressément l'article 2 § 7 de la Convention de

Berne, règle de droit français que le juge doit connaître, non plus d'ailleurs que la loi

italienne dans son articulation des protections exclusives, se fiant en cela à la règle

qui exclut la possibilité pour le juge de ne pas appliquer la loi étrangère au motif que

les parties n'en auraient pas établi le contenu; que pourtant le moyen est soulevé de

façon implicite mais certaine ; qu'il n'y a donc pas lieu d'appeler les défenderesses à

le développer davantage ; Considérant que le moyen ayant été esquissé sans être exposé en droit d'une

façon suffisamment explicite pour qu'Almax ait pu y répondre en toute connaissance de cause, il conviendrait de réouvrir les débats pour permettre une telle défense si

elle s'avérait utile à la sauvegarde des intérêts de cette société ; qu'en l'espèce, il

résulte des écritures et des pièces fournies par La Rosa et Cofrad que le moyen

n'est pas fondé; que dès lors, bien loin de sauvegarder les intérêts d'Almax, différer

la solution du présent litige ne pourrait que donner une prime aux sociétés

poursuivies pour contrefaçon, en différant la sanction encourue à raison d'une

présentation quelque peu abstruse de leur défense qu'il convient donc, d'examiner

dès à présent, le moyen tiré de l'article 2 § 7 de la Convention d'Union de Berne ;

Considérant que La Rosa prétend que les têtes J12 et S2 seraient des modèles

ornementaux et non des formes esthétiques;

240

Page 91: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Considérant que pourtant, elle ne verse au dossier aucun indice permettant de

penser qu'elles ont été déposées, par Almax, pour être protégées comme telles,

précaution qui eût normalement dû être prise par un professionnel moyennement

avisé pour la protection de modèles ornementaux, alors tout spécialement que ces

"formes" apparaissent avoir été un argument de vente essentiel pour les mannequins

d'Almax puisque toutes les réclames versées au dossier présentent en gros plan, et

de façon séparée, les têtes dont les mannequins peuvent être équipés selon les

choix exprimés par la clientèle;

Considérant qu'Almax dans son assignation a demandé la protection de la loi à

raison de la contrefaçon, non pas de ses mannequins dans leur ensemble, ce qu'elle

aurait pu faire tout aussi bien selon la loi française, mais à raison de la contrefaçon

des "têtes J12 et S2" dont ils sont équipés; qu'elle a fondé son action sur la loi du

11 mars 1957 et a, au moins au moment où elle a saisi son défenseur français,

distingué, selon la loi italienne, ce qui lui apparaissait protégeable au titre de la

propriété artistique, puisqu'elle n'a réclamé aucune protection pour les corps, qui, à l'

évidence, seraient des "modèles ornementaux" dont l'esprit esthétique n'est pas

séparable de la fonction utilitaire; qu'ainsi, il apparaît qu'Almax n'a demandé la

protection de la loi du 11 mars 1957 que sur des formes qui au regard de la loi

italienne devaient, selon son appréciation passée et présente, être protégées comme

des oeuvres artistiques ;

Considérant que la discussion menée sur l'originalité de ces têtes par les

sociétés défenderesses à l'action en contrefaçon démontre le bien fondé d'une telle

appréciation; que pour combattre l'originalité des têtes de mannequins d'Almax, La Rosa comme Cofrad les compare immédiatement à des sculptures d'artistes

celèbres et dont personne n'a jamais contesté qu'elles existent en tant qu'oeuvres

indépendantes de tout aspect utilitaire à fins industrielles ou commerciales ; qu'ainsi, en comparant la tête d'homme à une oeuvre de Donatello. et aussi à une oeuvre de

Ludi et celle de femme à une oeuvre de Brancusi et à diverses oeuvres de

Giacometti pour discuter de leur individualité propre au sein de courants artistiques

ou de genres auxquels elles appartiendraient, les défenderesses, tout comme le

Professeur Mandel, directeur de l'Institut d'Histoire de l'Art de Milan, dont elles ont

produit les consultations, ont situé immédiatement les têtes d'Almax dans le domaine

de l'art pur, et leur ont, en fait, reconnu le statut d'oeuvres indépendamment de toute

finalité utilitaire ; qu'il est de plus remarquable qu'à aucun moment elles n'ont cité,

pour les y comparer, un seul objet de décoration ayant pour objet de faciliter la mise

en valeur commerciale d'un produit industriel ; qu'enfin, il est à noter que La Rosa

compare ces productions à des courants artistiques des années 1910-1915 et 1930

à 1940, alors qu'elles ont été réalisées en 1980, 1982, et que, de façon générale, les

241

Page 92: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

formes seulement décoratives tendent à se fondre dans le goût de leur époque, ou à

évoquer une période passée bien définie, ce qui n'apparaît pas être le cas en

l'espéce ;

Considérant, surtout, que l'examen des têtes S2 et J12 permet de constater

directement qu'elles ont bien une vocation artistique et non seulement une fonction

de décor et de présentation esthétique d'objets utilitaires ; qu'il convient dès lors de

retenir leur nature de formes artistiques, au sens de la loi italienne, et par suite de

recevoir la demande de leur protection en France sur le fondement de la loi du 11

mars 1957 ;

e) originalité au regard de la loi du 11 mars 1957 :

Considérant que le fait qu'une oeuvre soit classable dans un style ou un

courant artistique ne saurait exclure son originalité; qu'il ressort de l'examen des

têtes S2 et J12 qu'elles sont tout aussi différentes des oeuvres dont les rapprochent

les défenderesses que ces oeuvres sont différentes entre elles; qu'il est tout a fait

inexact de prétendre comme le fait Cofrad qu'elles appartiennent toutes deux au

même style, ce dont elle tire un argument qui d'ailleurs n'emporterait pas la

conviction ; qu'en effet, l'art, tout en force, des sculptures allemandes et italiennes

des années 30 auxquelles est comparée la tête d'homme, qui d'ailleurs a bien peu

en commun avec la sculpture de Donatello où la force des structures fait ressortir la

vie intérieure intense des personnages, ne saurait être confondu avec celui de

Brancusi et de Giacometti, lesquels ont été en leur temps mis en marge de la vie

artistique par les officiels grands amateurs des premiers artistes cités ;

Considérant qu'il est pour le moins étrange de dénier toute originalité à la tête

d'homme en la comparant à la fois à une oeuvre de Donatello et à celles de

sculpteurs italiens de l'époque fasciste et allemands de la période du nazisme; que la

tête dont Almax demande la protection ne traduit aucune émotion forte du

personnage, comme le fait celle de Donatello, et est beaucoup moins anguleuse que

celle de Ludi; qu'elle peut être rapprochée des oeuvres des sculpteurs cités des

années 30, mais qu'elle n'est semblable à aucune d'entre elles en particulier ; qu'en

bref, elle a son individualité propre, exprime la personnalité de son auteur et est

originale ; qu'elle est donc protégeable par la loi du 11 mars 1957 ;

Considérant de même que la tête de femme, qui peut être rapprochée d'un

courant d'art, plus minoritaire et raffiné, d'une période antérieure à 1930, ne se

confond en rien avec les oeuvres citées par les sociétés défenderesses ; qu'elle est

beaucoup moins stylisée que la statue de muse endormie de Brancusi et, près d'elle,

242

Page 93: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

pourrait presque être qualifiée de réaliste ; qu'elle se distingue, de la même façon,

des oeuvres de Giacometti produites au dossier; qu'elle dégage un mystère lointain

et oriental, et traduit elle aussi la personnalité de son auteur ; qu'elle sera donc, elle

aussi, qualifiée d'originale et, à ce titre, protégeable par la loi du 11 mars 1957 ;

D. sur la contrefaçon :

Considérant que les faits invoqués par Almax sont démontrés par des pièces

précises et non contestées; qu'après avoir acheté de nombreux mannequins Almax, entre décembre 1982 et juin 1983, équipés des têtes S2 et J12, Cofrad a fait

reproduire ces têtes par La Rosa et s'est fait livrer en France, par cette société, 200

mannequins portant les têtes issues de ces moulages, et les a loués ou revendus ;

Considérant que ni Cofrad, ni La Rosa ne contestent les faits matériels de la

contrefaçon; qu'elles se bornent l'une et l'autre à contester l'importance du préjudice

tel qu'évalué par le tribunal et à demander chacune à être garantie par l'autre de

toute condamnation qui serait prononcée au profit d'Almax ;

Considérant que même s'il n'y a pas de nécessité absolue à commander

l'ensemble de mannequins dont les diverses pièces sont semblables au

fournisseur du buste comportant la tête que l'on a choisie, une telle façon de

procéder est la plus simple et certainement la plus habituelle ; qu'il n'est

nullement établi qu'il en serait autrement; qu'au vu de l'ensemble des éléments

fournis à la Cour il n'apparaît nullement que l'évaluation du préjudice faite par le

tribunal devrait être réduite ; qu'ainsi, dès lors qu'Almax ne demande pas

d'augmenter le montant des dommages-intérêts qui lui sont dus, cette évaluation

sera confirmée ;

Considérant que c'est à juste titre que le tribunal a rejeté les demandes en

garantie, tant de Cofrad, instigateur de la contrefaçon, que de La Rosa, concurrent

immédiat d'Almax qui ne pouvait ignorer ses modèles faisant l'objet d'une active

publicité, notamment dans les revues Vetrina et Inspiration, depuis les années 1982

et 1983 ;

E. sur les autres demandes :

Considérant que les autres dispositions du jugement n'étant pas critiquées en

elles-mêmes elles seront maintenues, sauf à préciser que la confiscation ne portera

pas sur les mannequins propriété des Galeries Lafayette, société qui n'a pas été

mise en cause à la présente procédure ;

243

Page 94: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'intérêts formée par

Almax, les intérêts réclamés étant dus de plein droit en application de l'article 1354-1

du code civil ;

Considérant qu'il est conforme à l'équité de faire application de l'article 700 du

NCPC, comme il sera dit ci-après, au seul profit d'Almax ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement en ce qu'il a prononcé la confiscation des mannequins

vendus par Cofrad aux Galeries Lafayette;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions;

Y ajoutant :

Condamne in solidum les Sociétés Cofrad et La Rosa à payer à la Société

Almax International la somme de trente'mille (30 000) francs par application de l'article 700 du NCPC,

Les condamne, in solidum, aux dépens et admet la SCP d'avoués BOLLET et

BASKAL au recouvrement direct prévu par l'article 699 du NCPC,

Rejette toute autre demande.

M. POULLAIN, Président

MM. GOUGE et AUDOUARD, Conseillers

SCP BOMMART FORSTER, SCP BOLLET BASKAL et

SCP VERDUN GASTOU, Avoués

Mes BOUDRIOT, DESMAZIERES de SECHELLES et

BOUSQUET, Avocats

244

Page 95: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

1ère Chambre

27 juin 1990

OEUVRES PROTEGEES - CONDITION D'ORIGINALITE : Idée non mise

en forme non constitutive d'une oeuvre protégée - Travail de recherche ne

présentant pas, en lui-même, le caractère d'une oeuvre protégée.

Compilation de documents ne portant pas l'empreinte d'un apport

personnel du compilateur et ne témoignant pas d'une activité créative

originale protégeable. QUALITE D'AUTEUR : Clause contractuelle désignant le compilateur

comme un coauteur d'un scénario et qualifiant sa rémunération de droits

d'auteur sans influence sur la qualification juridique des contributions du

bénéficiaire de la clause - Contribution ne remplissant pas les conditions

légales pour être regardées comme une oeuvre protégée - Conséquence :

qualité de coauteur non reconnue.

Manuel BONNET c./ Odette JOYEUX et autres

Le 2 décembre 1982, Manuel Bonnet, descendant par la ligne maternelle de

Nicéphore Niepce, inventeur de la photographie, a fait part à Odette Joyeux et à

Philippe Agostini de son'projet d'écrire l'histoire de son ancêtre. Ces derniers,

intéressés par ce sujet, ont proposé à Manuel Bonnet de réaliser une série télévisée

sur la vie de Niepce. Le 9 décembre suivant, Manuel Bonnet a déposé à la S.A.C.D.

un synopsis présentant en deux pages un projet de film pour la télévision. Le

lendemain, Odette Joyeux a présenté, à son tour, un synopsis de sept pages au

Ministère de la Culture afin d'obtenir une subvention pour le film envisagé. Une lettre

contrat a été signée, le 17 décembre 1982, par Odette Joyeux, Philippe Agostini et

Manuel Bonnet dans les termes suivants :

Les soussignés, Odette Joyeux, Philippe Agostini et Manuel Bonnet, ont décidé de collaborer à l'établissement d'un scénario pour une émission dramatique ou un

film évoquant l'invention de la photographie à travers la vie romancée de Nicéphore

Niepce, intitulée provisoirement "La vie de la famille Niepce". Ils établiront en

collaboration le scénario et Odette Joyeux écrira les dialogues. Les droits d'auteur

seront répartis de la façon suivante :

245

Page 96: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

- pour Odette Joyeux, collaboration au scénario 20 %, dialogues 40 %,

- Philippe Agostini, collaboration au scénario 20 %,

- Manuel Bonnet, collaboration au scénario, 20 %.

Le 4 mars 1983, Odette Joyeux et Philippe Agostini ont adressé au Fonds de

Création Audiovisuelle un schéma de scénario dit "continuité" de 14 pages et ont

obtenu, au profit de la Société Cat's Films, société de production, une aide à l'écriture

du scénario d'un montant de 70 000 F. Au mois de juin 1984 ils ont remis au

Ministère de la Culture le scénario en six épisodes d'une série télévisée intitulée "les

oeuvres du Soleil ou la vie romancée de Nicéphore Niepce, inventeur de la

photographie", et l'ont déposé à la S.A.C.D. le 9 octobre suivant.

Par ailleurs, Odette Joyeux a, le 30 juin 1983, conclu un contrat d'édition avec

la Société Ramsay en vue de la publication d'une biographie romancée de Nicéphore

Niepce. L'ouvrage est paru, le 13 mars 1990 sous le titre "Le Troisième oeil. La vie de

Nicéphore Niepce".

C'est dans ces circonstances que, reprochant à Odette Joyeux d'avoir commis

des actes de contrefaçon du scénario dont il se prétend coauteur, Manuel Bonnet a,

par acte du 5 avril 1990, assigné celle-ci, Philippe Agostini, la Société des Editions

Ramsay et la Société Cat's Films afin de voir :

- ordonner la saisie du roman publié par Odette Joyeux,

- condamner Odette Joyeux à lui payer la somme de 150 000 F de provision à

valoir sur son préjudice matériel à déterminer par expertise, 100 000 F en réparation de son préjudice moral, et 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de

procédure civile, - interdire à Odette Joyeux d'utiliser certains documents photographiques pour

illustrer son roman,

- ordonner la publication du jugement à intervenir.

A l'appui de sa demande, Manuel Bonnet soutient que la structure du roman

suit les six épisodes du scénario et que des passages entiers de celui-ci sont repris

servilement dans le roman. Il fait valoir, en outre, qu'il a accompli un travail personnel

d'analyse et de synthèse qui mérite protection en rassemblant toute une

documentation sur Niepce. Enfin, il observe que l'accord du 17 décembre ne

prévoyait pas une adaptation du scénario en roman, par un des coauteurs.

Par ailleurs, il reproche à Odette Joyeux d'avoir reproduit sans autorisation

dans son ouvrage un portrait de Niepce et des documents d'archives.

246

Page 97: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Le 25 avril 1990, Odette Joyeux, Philippe Agostini et la Société Cat's Films ont

conclu au rejet de la demande.

Faisant valoir que Manuel Bonnet ne peut être considéré comme coauteur du

scénario litigieux, ils soulignent qu'il ne peut se plaindre de l'adaptation réalisée par

Odette Joyeux. Par ailleurs, ils observent que les textes déposés par Manuel Bonnet

sont dépourvus d'originalité et que les personnages qui y sont évoqués appartiennent

à l'histoire. Enfin, ils soutiennent que Manuel Bonnet n'a pas qualité pour se plaindre

de la reproduction de documents historiques. Ils sollicitent reconventionnellement la

somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

A l'audience, les Editions Ramsay ont conclu oralement au rejet de la demande

en exposant que le travail de documentation réalisé par Manuel Bonnet n'est pas une

oeuvre originale susceptible de protection. Subsidiairement, elles font valoir qu'elles

pouvaient légitimement penser que le manuscrit d'Odette Joyeux était original.

Attendu que les défendeurs reconnaissent dans leurs écritures que le roman

écrit par Odette Joyeux est une adaptation du scénario qui a été déposé à la

S.A.C.D. sous le titre "Les oeuvres du soleil ou la vie romancée de Nicéphore Niepce,

inventeur de la photographie" ; qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner les ressemblances existant entre ces deux oeuvres, mais de rechercher si Manuel

Bonnet est coauteur du scénario ;

SUR LA QUALITE DE COAUTEUR DE MANUEL BONNET

Attendu que la lettre-contrat du 17 décembre 1982 prévoit, au profit de Manuel

Bonnet, des droits d'auteur de 20 % pour sa "collaboration au scénario" ; que cette

convention doit être interprétée en recherchant quelle a été la commune intention des

parties contractantes ;

Attendu que Manuel Bonnet a déposé à la S.A.C.D., le 9 décembre 1982, un

synopsis de 2 pages qui expose l'idée du film, retracer la vie de la famille Niepce

centrée sur Nicéphore et ses inventions, et le situe dans son contexte historique ;

qu'Odette Joyeux a, simultanément, écrit un synopsis plus élaboré permettant déjà

d'imaginer le cadre, l'atmosphère du téléfilm ; que tant la "continuité" que le scénario

en six épisodes achevés respectivement en mars 1983 et en juin 1984, sont rédigés

par Odette Joyeux comme l'attestent les manuscrits versés au dossier ;

Que si Manuel Bonnet a réalisé un travail important de compilation de

documentation sur Niepce, sa contribution personnelle à l'élaboration définitive du

247

Page 98: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

scénario, sous une forme exploitable par la télévision, n'est pas établie ; que le résumé écrit par lui sous le titre "La vie de la famille Niepce" déposé le 28 décembre

1987 à la S.A.C.D. est postérieur au scénario ; qu'il reconnaît, d'ailleurs, que sa

participation s'est limitée à une activité de documentaliste dans un projet de contrat

daté du 16 mars 1988, signé par lui et ainsi libellé :

"Manuel Bonnet a entrepris de très importantes recherches dans de nombreux

services d'archives et mis en forme par écrit le fruit desdites recherches sous forme

de fichiers manuscrits et de dossiers dactylographiés. A ce travail d'écriture et

d'analyse sur "La vie de la famille Niepce" ; il faut ajouter un très important travail de

documentation proprement dite que Manuel Bonnet a réalisé en rassemblant dans

diverses bibliothèques, sous forme de photocopies, des informations imprimées. Ces

travaux, conformément à l'accord du 17 décembre 1982... ont servi à l'écriture du scénario..."

"Le scénario qui a fait l'objet de l'accord du 17 décembre 1982... est aujourd'hui

achevé. A son titre provisoire, "La vie de la famille Niepce", Philippe Agostini et

Odette Joyeux ont préféré "Les oeuvres du soleil". "Les oeuvres du soleil" est bien

écrit par Philippe Agostini et Odette Joyeux, en collaboration avec Manuel Bonnet

dans les conditions rapportées paragraphes 3 et 4" ;

Attendu que ce document émanant de Manuel Bonnet éclaire la lettre contrat

du 17 décembre 1982 et en limite la portée ; qu'il apparaît, en effet, que les droits

d'auteur revenant à Manuel Bonnet représentent la rémunération de son travail de

recherche ; que la compilation de douments réalisée ne porte pas l'empreinte d'un

apport personnel de Manuel Bonnet, que la documentation est rassemblée sous

forme de fiches ; que ni le texte, ni la forme du manuscrit de 550 pages versé aux

débats ne témoignent d'une activité créative originale, protégeable au sens de la loi du 11 mars 1957 ;

Attendu, en conséquence, que Manuel Bonnet ne peut être considéré comme coauteur du scénario ;

SUR LA CONTREFACON

Attendu que Manuel Bonnet n'ayant pas la qualité de coauteurdu scénario

litigieux, il est mal fondé à reprocher à Odette Joyeux d'avoir sans son autorisation

écrit un roman qui en est l'adaptation ;

Attendu que Manuel Bonnet reproche, en outre, à Odette Joyeux d'avoir

248

Page 99: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

emprunté la documentation qu'il a rassemblée pour écrire ce roman ;

Attendu que si Manuel Bonnet a apporté aux défendeurs l'idée de faire

connaître Niepce au grand public, seule l'expression de cette idée, sa mise en forme

est protégeable ;

Attendu qu'à la fin du roman, Odette Joyeux "remercie la Société Cat's Films"

d'avoir mis à (sa) disposition la documentation rassemblée en partie par Manuel

Bonnet, notamment sur la famille Niepce dont il est un descendant" ;

Qu'elle reconnaît donc avoir puisé dans les documents étudiés par Manuel

Bonnet ;

Mais attendu que le genre utilisé par Odette Joyeux, la biographie sous une

forme romancée, suppose le respect de la chronologie des événements historiques

et de l'identité des personnages entourant le sujet central ; qu'en dehors de ces

ressemblances, le roman d'Odette Joyeux ne peut être considéré comme la

reproduction des travaux de Manuel Bonnet ; que la mise en forme des idées, la

recherche du style confèrent à l'oeuvre un caractère totalement original ; que les

passages énumérés par Manuel Bonnet dans son acte introductif d'instance ne sont

jamais reproduits littéralement ou sont écrits en caractères italiques ;

Attendu que Manuel Bonnet doit donc être déclaré mal fondé en son action en

contrefaçon ;

SUR L'UTILISATION DES DOCUMENTS PHOTOGRAPHIQUES

Attendu que Manuel Bonnet fait grief aux défendeurs d'avoir reproduit dans le

roman incriminé la photographie d'un portrait peint de Nicéphore Niepce ;

Mais attendu qu'il ne justifie d'aucun droit sur ce document qu'il reconnaît

appartenir à la famille Laforge ; que cette demande sera donc rejetée ;

Attendu qu'il reproche, par ailleurs, à Odette Joyeux, l'utilisation sans

autorisation de documents photographiques émanant d'archives, de musées ou de

bibliothèques ;

Mais attendu que seuls ces derniers auraient qualité pour se prévaloir d'une

reproduction illicite de ces documents ; que Manuel Bonnet doit donc être débouté de

ce chef ;

249

Page 100: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Attendu que l'ensemble des demandes de Manuel Bonnet étant rejeté, il sera

condamné aux dépens ;

Attendu que l'équité commande qu'il soit alloué à Odette Joyeux, à Philippe

Agostini et à la Société Cat's Films la somme globale de 8 000 F sur le fondement de

l'article 700 du NCPC ;

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

Statuant contradictoirement,

Déclare mal fondée l'action de Manuel Bonnet à l'encontre d'Odette Joyeux, de

Philippe Agostini, de la Société Cat's Films et de la Société Editions Ramsay ; le

déboute de toutes ses demandes ;

Condamne Manuel Bonnet à payer à Odette Joyeux, Philippe Agostini et à la

Société Cat's Films la somme globale de Huit mille francs (8 000) sur le fondement

de l'article 700 du NCPC ;

Condamne Manuel Bonnet aux dépens ;

Autorise la S.C.P. B. Y Baudelot à recouvrer directement

ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.

M. LAUTRU, Premier Substitut

Mme LE FOYER DE COSTIL, Président

M. COULON, Vice-Président

Mme MAGUEUR, Juge

Mes PEBERAY, CIANTAR, Yves BAUDELOT

et SOULEZ-LARIVIERE, Avocats

NOTE

Un descendant de Nicéphore Niepce, Manuel Bonnet, a l'idée d'écrire l'histoire

de son ancêtre. Il s'ouvre de son projet, en décembre 1982, à Odette Joyeux et

250

Page 101: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Philippe Agostini qui, plutôt que d'écrire l'histoire, lui proposent de réaliser une série télévisée. Manuel Bonnet dépose un synopsis de deux pages à la SACD et, de son

côté, pour obtenir une subvention, Odette Joyeux fait une démarche auprès du

Ministère de la Culture, sur la base d'un synopsis plus développé de sept pages. Un

accord est passé entre les trois protagonistes leur reconnaissant la qualité de

coauteur et répartissant les droits sur l'oeuvre audiovisuelle à venir. En vertu de cet

accord, M. Bonnet obtient 20 % des droits pour sa collaboration au scénario. Les

démarches progressent; une société de production est intéressée à l'opération (Cat's

films) et six mois plus tard, un scénario découpé en six épisodes -écrit par Odette

Joyeux et Philippe Agostini- est remis au Ministère de la Culture.

Le différend survient lorsque Manuel Bonnet apprend, à l'occasion de la

publication d'une biographie de Niepce, sept ans plus tard, qu'Odette Joyeux a également signé, en 1983, un contrat d'édition avec les Editions Ramsay pour écrire

une histoire romancée de la vie de Nicéphore Niepce. On reconnaîtra que le procédé

n'est guère élégant puisque l'écriture d'une biographie était l'idée initiale de Manuel Bonnet; mais une chose est de savoir se comporter dans la vie, une autre est de

méconnaître le droit d'auteur. Estimant que le roman est une contrefaçon du scénario

dont il est coauteur, estimant que l'ouvrage édité reproduit sans autorisation des

documents d'archives par lui communiqués, M. Bonnet assigne en contrefaçon

Odette Joyeux, Philippe Agostini, les Editions Ramsay et la société de production.

La reproduction des documents d'archives est rapidement mise hors de cause

par le tribunal : à supposer qu'ils soient encore protégés, le demandeur n'établit

nullement sa titularité et donc sa qualité à agir. Au regard de la contrefaçon du

scénario, l'examen est plus attentif. L'auteur du livre ayant, d'une part, reconnu que

l'ouvrage était une adaptation du scénario et n'étant, d'autre part, pas en mesure

d'exciper d'une autorisation du coauteur demandeur à l'action, la contrefaçon est

établie... à condition que Manuel Bonnet soit bien coauteur. S'il n'est pas coauteur, il

perd sa qualité à agir en même temps que la contrefaçon disparaît. Or, à juste titre, le tribunal n'accueille ni la convention, ni la nature de sa contribution, pour faire preuve

de sa qualité de coauteur. Ce faisant, la décision rapportée du Tribunal de grande

instance de Paris précise et illustre de manière tout à fait intéressante, deux points

souvent controversés : la valeur d'une clause attribuant la qualité d'auteur (I°) et la

notion d'oeuvre (II°).

I°) En attribuant à Manuel Bonnet 20% des droits d'auteur sur l'oeuvre à venir à

raison de sa collaboration au scénario, la convention le reconnaît implicitement, à

l'égal des consorts Agostini, comme un des coauteurs du scénario. Quelle est la

valeur de cette clause pour établir son titre?

D'une part, les juges sont tenus par la convention des parties sous réserve

d'interprétation (art.1134 c.civ.) mais, d'autre part, les juges sont libres de requalifier

251

Page 102: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

les fait et les actes qui leur sont soumis (art. 12 al. 2 du NCPC). Le tribunal recherche

la solution dans l'interprétation de la convention (A); sans que cela ne remette en

cause la solution, il nous semble plutôt qu'elle procède d'une requalification de

l'apport de Bonnet (B).

A) Attendu, (nous dit le jugement), que la lettre-contrat du 17 décembre 1982

prévoit au profit de Manuel Bonnet des droits d'auteur de 20 % pour sa collaboration

au scénario; que cette convention doit être interpétée en recherchant quelle a été la

commune intention des parties contractantes.

La convention est la loi des parties. Les magistrats ne peuvent pas plus s'en

affranchir que de la loi. Il entre néanmoins dans leur fonction de l'interpréter -comme

la loi- au cas où une obscurité en empêcherait l'application. Mais, la convention

signée entre les trois protagonistes ne comporte aucune ambiguïté. Elle met les trois

signataires sur un même plan : "ils établiront en collaboration le scénario et Odette

Joyeux écrira les dialogues. Les droits d'auteur seront répartis de la façon suivante :

pour Odette Joyeux, collaboration au scénario 20 %... Philippe Agostini,

collaboration au scénario, 20 %". Au moment où elles ont signé cet accord, les trois

parties avaient sans aucun doute l'intention de se reconnaître réciproquement la

qualité de coauteur du scénario parce qu'elles s'engageaient, aussi, à l'écrire en commun. Non seulement la convention est claire et n'appelle aucune interprétation

mais toute interprétation contraire à son sens -qui fait de Bonnet un coauteur-

pourrait être constitutif d'une dénaturation.

La particularité toutefois de cet accord c'est qu'il reconnaît un titre (coauteur)

dont la collation doit normalement découler de l'éxécution de l'engagement stipulé

(collaborer à la création). Tant que l'engagement n'est pas exécuté, le titre n'est pas

acquis. Mis à part, en effet, les cas de l'oeuvre collective et du logiciel de mission (L.

1985 art. 45), la loi de 1957 reste fondée sur le principe selon lequel c'est la création

qui fait l'auteur, en même temps qu'elle détermine l'apparition de l'oeuvre et la naissance des droits. L'article 9 précise que l'oeuvre de collaboration est l'oeuvre à la

création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques et l'article 14

dispose : ont la qualité d'auteur d'une oeuvre audiovisuelle la ou les personnes qui

réalisent la création intellectuelle de cette oeuvre. Il ne fait aucun doute que, au

regard des textes, ce qui détermine la qualité d'auteur est, sauf exception (dont ne

relève pas l'espèce étudiée), la participation à la création.

En qualifiant droit d'auteur les sommes promises, la lettre-contrat anticipe sur

l'éxécution. A supposer que, contrairement à l'engagement de 1982, Bonnet n'ait pas

participé à la création du scénario, ce qui ferait difficulté serait l'éxécution de la

convention, voire la cause du versement promis, non l'intention des parties. Mais

précisément, ce qui est allégué, n'est ni l'inéxécution de la convention, ni le défaut de

cause du versement, mais bien plutôt la nature juridique de la participation de

Bonnet. La difficulté semble donc relever de la qualification judiciaire d'un fait plutôt

252

Page 103: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

que de l'interprétation de la volonté des parties.

B) La qualification juridique donnée par la convention de la somme due à

Bonnet, lie-t-elle ou non les juges?

Si la qualification lie les juges, ils ne peuvent revenir sur la volonté des parties.

La somme perçue est un droit d'auteur : Manuel Bonnet est coauteur. Il peut agir en

contrefaçon. Si la qualification donnée par les parties ne lie pas les juges, ceux-ci

peuvent requalifier cette somme en constatant que la cause de son versement ne gît

pas dans une participation à la création du scénario mais dans une prestation d'une

autre nature. Il conserve son droit à rémunération mais perd celui d'agir en

contrefaçon. Que doit-on faire prévaloir de la lettre de la convention ou de la réalité

des faits ?

Il est constant que la qualification donnée par les parties d'une convention

qu'elles ont passée peut être redressée par les juges. Faudrait-il raisonner différemment lorsque c'est la convention qui qualifie un fait ou un acte ? La

qualification d'une convention est déjà une convention sur la qualification ; si la

qualification qui en résulte peut être remise en cause par les juges, toute qualification

conventionnelle doit pouvoir être redressée judiciairement. La convention ne peut

donc prévaloir sur la faculté de requalification dont disposent les juges à l'égard de la

participation de celui qui se prévaut de la qualité de coauteur. Ce que doivent

qualifier les juges c'est la participation effective de Bonnet à la création du scénario.

La convention peut intervenir comme un indice ; elle peut jouer comme une

présomption mais elle ne saurait prévaloir sur la réalité des faits. En ne s'arrêtant pas

aux termes de la convention, le Tribunal de grande instance de Paris a justement

requalifié l'acte de participation auquel s'est livré Manuel Bonnet ainsi qu'il en avait le

pouvoir. La seule vraie question, à laquelle se devait de répondre le tribunal, était

donc bien la suivante : l'apport de Bonnet est-il de l'ordre d'une oeuvre protégeable?

II°) Si l'on reprend les étapes successives d'élaboration de l'oeuvre de

collaboration, Bonnet a écrit un synopsis de deux pages, développé en un synopsis

de sept pages par Odette Joyeux pour présenter le projet au Ministère de la Culture,

à partir de quoi le scénario n'a été écrit que par Odette Joyeux et Philippe Agostini.

Bonnet a, certes, écrit tardivement un résumé du scénario, mais comme l'indique la

nature de cette prestation, ce résumé est une oeuvre dérivée du scénario. Bonnet n'a

donc aucunement participé à l'écriture du scénario dont il prétend que le roman est

une contrefaçon. N'ayant pris aucune part directe à la création du scénario, il n'a

aucun droit à se prévaloir de la contrefaçon. Tout au plus peut-il essayer d'établir qu'il

est l'auteur d'une oeuvre primaire à partir de laquelle le scénario a été écrit et à

laquelle emprunterait, par voie de conséquence, le roman... Deux voies s'ouvrent à

lui dans ce sens : l'écriture du premier synopsis (A) et l'oeuvre documentaire réalisée

pour les besoins de la série télévisée (B).

253

Page 104: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

(A) Les défendeurs dénient toute originalité aux écrits de Bonnet. C'est plus

maladroit qu'opportun : le résumé, quoique dérivé du scénario, n'en est pas moins

relativement original selon la terminologie de Desbois ; quant au premier synopsis, il n'y a a priori aucune raison de dénier toute originalité à sa forme d'expression. A tout

le moins faudrait-il le démontrer. Vraisemblablement son "contenu" n'est-il pas

original ? Mais le contenu n'est pas la forme et ce que protège la propriété littéraire

ne gît que dans la forme. Or, on sait que dans le domaine des oeuvres littéraires, la

paternité fait présumer l'originalité. De façon plus pertinente le tribunal recherche si

ce premier synopsis contient les éléments formels constitutifs de l'oeuvre

prétendument contrefaite. Usant de son pouvoir souverain d'appréciation, le tribunal

retient que ce premier synopsis n'expose que l'idée de la série sans donner aucun

élément de ce que sera la forme de l'oeuvre. Il observe, par ailleurs, que seul le

synopsis en sept pages développé d'Odette Joyeux fait pressentir l'atmosphère d'un téléfilm et qu'il faut encore attendre un stade plus évolué pour faire apparaître la

structure de l'oeuvre. En d'autres termes, même si le premier synopsis est une

oeuvre originale, le roman n'emprunte pas à sa forme ; il n'emprunte qu'à l'idée et au

personnage. Or, ni l'un, ni l'autre de ces emprunts n'est protégeable. En ce qui

concerne l'idée, la solution est de principe. En ce qui concerne le personnage, elle

pourrait, à la rigueur, se discuter s'il s'agissait d'un personnage de fiction (1), mais en

l'occurence il s'agit d'un personnage historique ; Bonnet ne peut en rien prétendre

avoir fait acte de créateur à son égard. Etant un descendant de Niepce on devrait

plutôt inverser le rapport... Au surplus, même s'il envisage un apport romanesque dans le traitement de l'oeuvre, l'idée implique un respect de la vérité historique. Le

personnage historique, appartenant au monde réel et constituant un donné à partir

duquel sera créée l'oeuvre, se trouve nécessairement absorbé dans la non protection de l'idée.

(B) Reste le travail documentaire. L'idée n'est pas mauvaise. A l'heure où les

banques de données cherchent à se faire reconnaître un droit d'auteur, où la doctrine

fléchit, où la Cour de cassation hésite, où la Commission des Communautés

s'apprête, à son habitude, à garantir des intérêts économiques en utilisant le droit

d'auteur sans se préoccuper de ses possibilités, la question mérite réflexion. A

l'évidence Manuel Bonnet a réalisé un gros travail de documentation. Personne ne le

conteste. Il produit d'ailleurs un manuscrit de 550 pages rassemblant ses fiches de

travail et d'autres documents d'archives. Reste à savoir si tout travail concrétisé dans

un volumineux dossier constitue une oeuvre protégeable comme certains seraient

prêts à le soutenir...

(1) V.G. Bigle, "Les droits dérivés, Licensing et Character merchandising"

Encycl. Delmas pour la Vie des affaires, 1ère ed. 1987.

254

Page 105: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Malheureusement pour le demandeur, le Tribunal de grande instance de Paris

est respectueux de l'orthodoxie : "la compilation de documents réalisée ne porte pas

l'empreinte de l'apport personnel de Manuel Bonnet... ni le texte, ni la forme du

manuscrit de 550 pages versé aux débats ne témoignent d'une activité créative

originale, protégeable au sens de la loi du 11 mars 1957". La formule est

irréprochable. Elle combine le pouvoir d'appréciation des juges du fond et les

directives de la Cour de cassation dans l'arrêt Coprosa : "Attendu qu'en statuant

ainsi, alors qu'un travail de compilation d'information n'est pas protégé en soi par la

loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et que l'arrêt ne précise pas

en quoi le texte ou la forme graphique de cette publication comporterait un apport intellectuel de l'auteur caractérisant une création originale, la Cour d'appel n'a pas

donné de base légale à sa décision... " (2). Ce travail de documentation cause indubitablement le versement des 20% qui

lui sont dus sur les droits d'exploitation ; il ne lui permet pas de s'opposer à la

publication du livre écrit par Odette Joyeux (3).

Philippe GAUDRAT Maitre de conférences à l'Université

de Paris IX - Dauphine

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

3e Chambre

17 janvier 1991

SOCIETE DE PERCEPTION ET DE REPARTITION DE DROITS

D'AUTEUR.

Contestation par un sociétaire d'une décision de la société relative au

classement de ses oeuvres en vue de la répartition des droits perçus par la

société.

PROCEDURE - POUVOIRS DU JUGE : Contrôle du juge saisi d'une

(2) Cass, civ. 1ère, 2 mai 1989, RIDA 1990, n° 143, p. 309; RDIT 90/2, p. 38

note Ph. Gaudrat.

(3) Dans le même sens, quoique statuant en matière informatique, v. Cass.

com. 23 oct. 1990, aff Kauffman c./Remont, RDIT 91/1, p. 38, note Gaudrat.

255

Page 106: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

contestation d'une décision prise par une société dans le cadre de son

objet social, limité à la régularité formelle de la décision et à la vérification

d'absence d'abus de droit, de fraude ou de détournement de l'objet social, à l'exclusion de la vérification du bien-fondé de la décision.

Pierre SIPRIOT c./ S.C.A.M.

Pierre SIPRIOT, journaliste, a été responsable jusqu'au 1er mars 1990, d'une

émission programmée par "France-Culture" intitulée "Un livre, des voix".

Par courrier du 9 mars 1989, la "Société Civile des Auteurs Multimédia" ci-après

désignée S.C.A.M., département droit d'auteur, lui a indiqué qu'à la suite d'une révision des classements des oeuvres du répertoire, sa participation à la série sus-

indiquée "Un livre, des voix" se voyait attribuer la catégorie 3 et ce à partir de l'année

1988.

Cette catégorie 3 recouvre "l'oeuvre de compilation ou d'arrangement dérivée

de faits contemporains, de documents biographiques où la part d'élaboration reste

importante". La catégorie 2 anciennement attribuée à M. Sipriot est réservée à "l'oeuvre de

création littéraire, documentaire utilisant des faits réels".

Ce courrier du 9 mars 1989 précisait à M. Sipriot qu'il pouvait contester cette

décision devant le Président de la Commission du Répertoire Sonore.

La réclamation de M. Sipriot ayant été rejetée, il a fait assigner par acte du 11

mai 1990, la SCAM devant ce tribunal, afin de voir juger que cette société ne pouvait

modifier unilatéralement ses conditions de rémunération de droits d'auteur.

Il réclame en outre sa condamnation, d'une part à calculer les sommes dues

pour les années 1988-1989, à partir du prix minute pour la catégorie 2, d'autre part à

une indemnité provisionnelle de 25 000 F, une somme de 10 000 F pour le préjudice

moral, et de 5 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure

civile.

La SCAM conclut au débouté aux motifs que M. Sipriot n'avait aucun droit

acquis à un classement donné, qui, au demeurant, a varié dans le temps, que la modification du classement d'un seul des trois éléments composant l'émission de M.

Sipriot résulte d'une décision du Conseil d'Administration, régulièrement prise, en

application des statuts de la Société, que M. Sipriot a acceptés en adhérant à cette

société ; que par suite il n'appartient pas au Tribunal d'apprécier si ce reclassement

est justifié. La SCAM forme une demande reconventionnelle en paiement de la somme de

10 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire, et 20 000 F en

application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

256

Page 107: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

M. Sipriot maintient ses prétentions et conclut au rejet de la demande reconventionnelle.

MOTIFS SUR LA DEMANDE PRINCIPALE

Il est constant que M. Sipriot, en adhérant à la SCAM le 22 octobre 1984, a pris

l'engagement exprès, en signant son acte d'adhésion, "d'exécuter fidèlement les

prescriptions des statuts et du règlement général de la SCAM", que d'après ces

statuts l'objet social de la SCAM est, d'une façon générale, la défense des intérêts

matériels et moraux de ses membres", qu'elle a en charge notamment la perception

et la répartition des redevances provenant des droits des oeuvres de ses membres.

Plus précisément, les statuts de la SCAM prévoient dans leur article 19, que

c'est le Conseil d'Administration investi des pouvoirs les plus étendus pour

l'administration de la société, qui fixe la répartition des droits d'auteur entre les

diverses oeuvres, diffusées, conformément au barème établi par lui, suivant la nature

et la durée des oeuvres ; que ce barème doit être approuvé par l'assemblée générale,

et ne peut être modifié que par une autre assemblée générale ; que dans sa tâche le

Conseil d'Administration est secondé par les travaux des commissions, et en

l'espèce par la Commission du Répertoire Sonore, qui ont pour mission de proposer

les solutions appropriées.

Le Tribunal constate que la demande dont M. Sipriot l'a saisi, s'analyse en un

recours contre une décision du Conseil d'Administration de la SCAM ; que plus

précisément, il critique le bien-fondé de cette décision ; qu'ainsi il prétend que sa

participation depuis dix ans à l'émission "Un livre, des voix" a toujours été classée en

catégorie 2, qu'il a d'ailleurs toujours fait l'objet d'un classement dans cette catégorie,

et que lorsqu'il s'est vu attribuer la catégorie 3, il a fait un recours qui a été

favorablement accueilli ; que d'autre part il estime son oeuvre discréditée par ce

déclassement au rang d'une oeuvre de compilation.

La SCAM fait observer que le classement de l'émission "Un livre, des voix"

qu'assure M. Sipriot a fait l'objet de classements variables dans le temps : en 1973,

elle était classée en catégorie c, puis en 1978 en catégorie b et en 1982 en

catégorie 2.

Ceci exposé, il convient de rappeler que le Tribunal ne peut connaître du

recours contre une décision prise par une société, dans les limites de son objet

social, qu'en cas d'irrégularité, abus de droit, fraude, ou bien détournement de l'objet

social au détriment de l'associé ; ...

Qu'en revanche il n'est pas concevable que le Tribunal se substitue aux

organes statutaires investis du pouvoir de décider pour contrôler le bien-fondé de leur

décision ; qu'en l'espèce il convient de constater que M. Sipriot ne conteste pas la

257

Page 108: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

régularité formelle de cette décision ; qu'en ce qui concerne sa conformité à l'objet

social, pour connaître la raison d'être du reclassement il peut se référer au rapport

présenté par M.B.Jérome à la Commission du Répertoire des Oeuvres Sonores ;

Qu'il est indiqué dans ce rapport que le reclassement est provoqué par la

nécessité d'un rééquilibre devant l'augmentation numérique des droits d'auteur sans

contrepartie de ressources ; que ce reclassement a été rendu difficile en raison des

oeuvres qui ne correspondent pas exactement à une catégorie et auxquelles on peut

accorder un plus, ou un moins ; que jusque là, en cas d'hésitation, la tendance avait

été de leur accorder un plus, ce qui n'était plus possible en raison des nouvelles

contraintes financières.

Il s'ensuit que la décision dont se plaint aujourd'hui M. Sipriot s'inscrit dans

l'exercice même de l'activité sociale, objet de la SCAM ; qu'elle n'est nullement

discriminatoire, d'autres membres suivant le même sort ; que l'oeuvre de M. Sipriot

fait certes partie de celles où l'hésitation, selon M. Jérome, est permise et que dans

le cadre de rééquilibrage nécessaire, elle a été classée dans la catégorie inférieure ;

que cette décision n'est pas arbitraire mais a été prise par l'organe et selon la

procédure statutaire prévue ; qu'elle est le fruit de l'orientation du moment, choisie

par le Conseil d'orientation et l'assemblée générale de la SCAM en réponse à une

conjoncture défavorable ; qu'il n'appartient pas au Tribunal de s'immiscer dans la

conduite de cette activité dès lors qu'elle ne présente aucune irrégularité formelle ou

abus ; qu'il s'ensuit que la demande de M. Sipriot doit être rejetée.

SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

Il a été dit ci-dessus que la participation en cause de M. SIPRIOT appartient à

une catégorie où l'hésitation est permise ; que cette observation suffit à retirer tout

caractère abusif à sa procédure.

La demande reconventionnelle sera donc rejetée.

SUR L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE

En toute équité chacune des parties supportera la totalité de ses frais

irrépitibles.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

Statuant tant sur la demande principale que reconventionnelle,

258

Page 109: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Déboute chacune des parties de ses demandes respectives.

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure

Civile.

Laisse les dépens à la charge de M. Sipriot avec la faculté pour Me Marchand

Avocat, de recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu

provision.

Mme DISSLER, Vice- Président

Mmes BLUM et TARDO-DINO, Juges

Mes MONOSSON et MARCHAND, Avocats

NOTE

Dans l'espèce soumise au Tribunal un auteur, Pierre Sipriot , se plaint de ce

que la société de perception dont il est membre, la S.C.A.M.,a décidé que les

émissions de la série qu'il réalisait sous le titre "Un livre, des voix" passeraient de la

catégorie "oeuvre de création littérraire documentaire utilisant des faits réels" à celle

d'oeuvres de compilation ou d'arrangement dérivée de faits contemporains, de documents biographiques où la part d'élaboration reste importante".

L'enjeu du litige est, à première vue, économique dès lors qu'il concerne le montant des redevances dues pour l'exploitation des oeuvres.

Le Tribunal n'a pas accepté d'examiner les doléances de fond de M. Sipriot, il

l'a débouté en plaçant le débat sur le seul plan du droit des sociétés au motif qu'il "ne

pouvait connaître de recours contre une décision prise par une société, dans les

limites de son objet social, qu'en cas d'irrégularité, abus de droit, fraude ou bien

détournement de l'objet social au détriment de l'associé" et que dès lors d'une part

que Pierre Sipriot ne contestait pas la régularité formelle de la décision et que d'autre

part, cette décision avait été prise conformément à l'objet social de la Société, la demande était mal fondée.

1 - Dans une première analyse, les juges ont eu parfaitement raison de rappeler

qu'une société de perception est une personne morale comme les autres.

Tout au plus, relèvera-t-on que l'article 38 de la loi du 3 juillet 1985 a imposé à une semblable entité d'exercer son activité sous la forme de société civile.

Mais, quelles que soient les critiques que certains pensent pouvoir formuler à

l'égard d'un tel choix et même s'il a été jugé que cette catégorie de société présente

259

Page 110: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

des caractéristiques particulières (Paris 2 févr. 1990, RIDA juil. 1990 p. 365), il est indiscutable que du moment où un auteur devient associé d'une société de

perception, il s'oblige contractuellement à adhérer au pacte social et à en accepter le

mécanisme.

On remarquera à ce sujet qu'en l'espèce, l'instance dont émanait la décision

critiquée le Conseil d'Administration, la Commission dont il avait eu à apprécier la

pertinence des choix, étaient des cellules d'essence purement conventionnelle dont

l'autorité ne s'imposait qu'aux associés puisque les seuls organes de décision d'une

société civile prévus par la loi sont le gérant et l'assemblée générale.

On notera que le Tribunal relève que le barème devrait être approuvé par

l'assemblée générale sans indiquer d'une manière précise si cette assemblée avait

entériné la décision critiquée par l'auteur.

On ne peut nier que le fonctionnement normal d'une société de perception est

de nature à quelque peut affecter l'absolue liberté à laquelle les créateurs sont si

profondément attachés. Ils auraient tort cependant d'avoir à ce sujet des

appréhensions car les modes d'exploitation des oeuvres de l'esprit prennent à notre

époque de telles dimensions que l'exercice individuel des droits devient en pratique,

dans un certain nombre de domaines, à peu près impossible alors que seule la

gestion collective permet une protection efficace des auteurs et une exploitation

adaptée de leurs droits patrimoniaux.

Il - Mais l'aire d'activité des sociétés de perception est strictement d'essence

économique et l'intervention de ces organismes ne saurait avoir pour effet de mettre

en cause les principes fondamentaux d'ordre public de la propriété littéraire et

artistique. La Cour Suprême a déjà jugé que la détermination de la qualité d'auteur d'une

oeuvre protégée relevait exclusivement de la loi et non des règles posées par les sociétés d'auteurs en vue de la fixation du montant des redevances (Cass. civ. 1ère.

ch. 29 mars 1989, RIDA juil. 1989 p. 262 - Cf. dans le même sens Bourges 1er juin

1965, D. 1966. II. 45). Dans l'espèce ici commentée, on doit constater que la portée de la décision du

Conseil d'Administration de la S.C.A.M. ne se limite pas à la seule fixation des

rémunérations de l'auteur :

Pour approuver la portée de la décision concernant le barème applicable, ce

Conseil d'Administration a eu à se prononcer sur la qualification des oeuvres de

Pierre Sipriot et, après avoir admis antérieurement qu'il s'agissait d'oeuvres simples, a cru pouvoir revenir sur cette opinion en les qualifiant d'oeuvres de compilation c'est-

à-dire d'oeuvres dérivées.

Il n'est certes pas niable que le but poursuivi était de fixer une redevance, mais

le choix opéré à cette fin dépasse, semble-t-il, sensiblement les limites de la gestion

260

Page 111: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

des droits patrimoniaux de l'auteur. Le législateur de 1957 a pris soin de fixer précisément le statut des oeuvres de

l'esprit selon le nombre de leurs auteurs et le moment où se situe la contribution de

ceux-ci. Le choix d'une catégorie, au-delà des conséquences financières qui le commande, a une incidence tant sur la part que le ou les auteurs ont sur leur création

que sur l'étendue de leur prérogative d'essence morale.

Il n'appartient pas aux personnes juridiques de déroger dans ce domaine aux

règles impératives de la loi. D'ailleurs, décider que l'oeuvre de Pierre Sipriot n'est pas

due à son seul génie mais constitue une compilation est une ingérence dans la

détermination de sa qualité d'auteur dont la Cour Suprême a rappelé qu'elle

échappait aux sociétés de perception pour être du seul domaine de la loi.

On peut se demander par ailleurs si disqualifier une oeuvre simple pour la

présenter comme une oeuvre composite n'est pas susceptible de porter atteinte au

droit moral de l'auteur.

Sans doute, le droit pour celui-ci de faire respecter son oeuvre le garantit

ordinairement contre toute atteinte, déformation ou amputation de l'oeuvre elle-même

mais, Henri Desbois le souligne dans son traité " Le respect est dû non seulement à

l'oeuvre elle-même mais au frontispice, à la préface, à l'avant-propos. Le titre lui-

même ne peut être modifié car, même si, considéré isolément il ne donne pas prise

aux droits d'auteur, du moins il fait corps avec l'oeuvre dont il constitue le pavillon"

(Desbois, Le Droit d'Auteur en France édit. 1978 n° 447).

Certaines décisions, antérieures à la loi du 11 mars 1957, citées par le

Professeur Desbois ont, dans le même ordre d'idée, considéré que la modification du

titre de certaines oeuvres plastiques constituaient une faute que les juridictions

situaient au même niveau que des atteintes à l'intégrité des oeuvres (Trib. civ. Seine

25 avril 1922, Ann. 1923,88 ; 22 décemb. 1920, Ann. 1921, 292). On relève par ailleurs dans un arrêt récent de la Cour de Cassation rendu dans

une espèce concernant l'adjonction d'un avertissement à un film que "C'est

exclusivement à l'auteur d'une oeuvre de l'esprit qu'il appartient d'y apporter, s'il

l'estime utile, toute adjonction ou modification destinée à expliciter la signification et

la portée qu'il conviendrait de lui donner" (Cass. civ. 1è. ch. 4 avril 1991, Images

juridiques n° 82 p. 4). De la même manière qu'un titre ou que la légende accompagnant la

reproduction d'une oeuvre plastique, la qualification donnée aux émissions, objet du

présent litige, peut s'analyser comme une adjonction destinée à expliciter la

signification et la portée qu'il convient d'apporter à ces oeuvres. Si l'on définit en effet lesdites oeuvres comme entrant dans la catégorie de

création littéraire documentaire utilisant des faits réels - lesquels sont du domaine du

fond et non de la forme - comme l'avait fait dans un premier temps la S.C.A.M., on

consacre la qualité d'auteur unique de Pierre Sipriot.

261

Page 112: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Si au contraire, on considère que ces oeuvres sont des "oeuvres de compilation

ou d'arrangement de ..... documents biographiques" on amenuise très sensiblement

la part créatrice de l'auteur de l'oeuvre dérivée même si l'on prend soin, comme c'est

le cas dans la décision attaquée, de préciser que "la part d'élaboration reste

importante". De ce fait, on affecte la signification et la portée de cette oeuvre.

On peut en conclure que décider d'une qualification constitue une intrusion

dans le domaine du droit inaliénable que possède l'auteur de faire respecter l'intégrité de son oeuvre.

On peut également se demander si le droit au respect de sa qualité que prévoit l'article 6 de la loi du 11 mars 1957 au profit de l'auteur ne pourrait pas également

être mis en jeu.

Il n'existe à ce sujet aucune jurisprudence significative et les auteurs de

doctrine, tels que le Professeur Desbois et le Professeur Colombet, considèrent qu'il

faut entendre par qualité les titres honorifiques et universitaires dont peut se parer le

créateur. Mais il n'est pas exclu, qu'en contemplation des dispositions de l'article

6 bis de la Convention de Berne, le respect de la qualité de l'auteur oblige à

présenter celui-ci d'une manière qui ne soit pas préjudiciable à son honneur et à sa

réputation. Or, limiter la part créatrice de cet auteur est de nature à affecter sa

réputation.

En toute hypothèse, s'aventurer dans l'appréciation de la valeur créatrice de la

contribution d'un auteur met en jeu le droit attaché à la personnalité de celui-ci de

voir reconnaître l'importance exacte et la qualité de cette contribution.

Il est certain que l'objet d'une société de perception telle que la S.C.A.M. ne

comporte pas de dispositions autorisant cette société à trancher des questions du

domaine de la loi telles que la détermination de la qualité d'auteur et le statut de l'oeuvre.

Il est certain également qu'aucun des éléments de cet objet n'est de nature à

affecter le droit moral voire les droits de la personnalité du créateur. Aussi lorsque le

Tribunal décide que la décision rendue par le Conseil d'Administration de la S.C.A.M.

est conforme à son objet social au motif que cette décision a une finalité purement

financière, on peut redouter qu'il n'ait trop limité la portée de ladite décision puisque,

nous l'avons vu, elle prend un parti qui l'amène apparemment à trancher dans un

domaine réservé à la loi et à s'aventurer dans celui du droit moral de l'auteur.

Il est certain que l'affaire Sipriot pose un problème délicat à résoudre. En effet,

l'auteur demande à juste titre que les droits essentiels que lui reconnaît la loi d'ordre

public sur la propriété littéraire et artistique soient respectés mais la société d'auteurs

doit avoir les moyens d'apporter à ses membres l'aide économique efficace que

ceux-ci attendent d'elle et poursuive à cette fin les actions que ces derniers lui ont

donné mission de mener à bien en adhérant à ses statuts.

L'équilibre entre ces deux préoccupations éminentes est certainement difficile à

262

Page 113: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

trouver. Il n'est pas certain cependant que les motifs adoptés par le Tribunal soient

satisfaisants.

Denise GAUDEL

Avocat à la Cour

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

1ère Chambre

6 mars 1991

oeUVRES PROTEGEES - OEUVRE DE COLLABORATION.

Chanson créée en utilisant les paroles d'un auteur sur la musique d'un

compositeur - Auteur et compositeur ayant concouru de façon non

équivoque à la poursuite d'un but commun.

Conséquences : obligation faite aux coauteurs "d'exercer leur droit, d'un

commun accord, sur une oeuvre" propriété commune des coauteurs -

Possibilité d'exploiter séparément chaque contribution subordonnée à trois

conditions : a) appartenance des contributions à des genres différents ; b)

absence de convention contraire ; c) absence de préjudice à l'exploitation

de l'oeuvre commune.

Exploitation de la musique de manière indépendante portant préjudice à

celle de l'oeuvre commune, alors même qu'elle s'exprime dans une langue

différente de celle de l'oeuvre commune - Manquement à l'obligation

constitutif d'un préjudice indemnisable et justifiant l'arrêt de l'exploitation

concurrente.

Dany YOUNES c./ Tony RALLO et autres

263

Page 114: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Par actes des 11 décembre 1989 et 16 mars 1990 Dany Younes, auteur

compositeur, a assigné:

1° Tony Rallo

2° Stéphanie Capocci dite M. Michaele 3° la Société Slogan Music N° 1

4° et la Société Binko Music N°1

pour voir dire et juger que la chanson "Never be a stranger" enregistrée en

1989 par le chanteur américain Alan Kaup sur une musique de Tony Rallo et des

paroles de M. Michaele n'est que la contrefaçon de la chanson "Telephono" qu'il

avait créée quelques mois auparavant en collaboration avec Tony Rallo, et

demander en conséquence, outre le retrait du commerce de tous

enregistrements graphiques, phonographiques et vidéographiques reproduisant l'oeuvre litigieuse et la destruction des stocks existants, le paiement d'une

indemnité provisionnelle de 500 000 F à valoir sur le préjudice subi à déterminer

par expertise.

Il réclame en outre 10 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Dany Younes expose qu'en mars 1988, utilisant les paroles d'une chanson qu'il

avait écrites quelque temps auparavant et déclarées le 2 novembre 1987 à la

SACEM sous le titre "Senza te", il a participé à la création d'une chanson dont Tony

Rallo a composé la musique, enregistrée par le chanteur Italien Enzo, sous le titre

"Telephono".

Au cours du premier semestre 1989, il a constaté que Tony Rallo, reprenant la

musique dont il était l'auteur, avait créé, en collaboration avec M. Michaele, une

version anglaise de la chanson sous le titre "Never be a stranger" et entrepris de

l'exploiter.

Estimant que l'oeuvre initialement créée, qui procède, selon lui, d'une inspiration commune et forme un tout indivisible, est une oeuvre de collaboration

soumise aux dispositions de l'article 10 de la loi du 11 mars 1957, Dany Younes

soutient que Tony Rallo ne pouvait, sans son autorisation, exploiter de façon

indépendante la musique dont il était l'auteur, pour crééer une version différente et concurrente.

Il prétend subir de ce fait un préjudice dont il demande réparation dans les termes sus-visés.

264

Page 115: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Subsidiairement, si le Tribunal devait estimer que l'oeuvre initiale est une

oeuvre composite et non de collaboration, il entend faire valoir que, la chanson

"Telephono" constitue l'adaptation musicale du texte préexistant dont il est l'auteur,

adaptation qu'il n'a autorisée que dans la mesure où elle constituait une oeuvre de

collaboration. Il prétend que la chanson anglaise est la "sous-adaptation de

l'adaptation de l'oeuvre originale préexistante", nécessitant de ce fait son autorisation

expresse.

A défaut d'avoir donné une telle autorisation, il estime qu'en tout état de cause les défendeurs ont commis une contrefaçon dont ils doivent répondre.

Tony Rallo et la société Slogan Musique N°1 concluent au rejet des prétentions de leur adversaire.

Ils soutiennent que les chansons en cause, résultant de la simple juxtaposition

de deux apports intellectuels indépendants, sans aucune intention de créer une

indivision juridique indissoluble entre eux, ne constituent pas des oeuvres de

collaboration et que Tony Rallo était en conséquence en droit d'exploiter de façon

indépendante, sans avoir à solliciter du coauteur une quelconque autorisation,

l'apport qui lui était personnel .

Ils contestent, en l'abence de tout rapport entre les textes des chansons

litigieuses, que l'une puisse être l'adaptation de l'autre.

Ils font valoir que la chanson "Telephono" n'a pas dépassé le stade d'un simple

projet, n'ayant fait l'objet ni de déclaration commune, ni d'exploitation réelle ou

sérieuse, et dénient de ce fait le préjudice invoqué par leur contradicteur.

Si par impossible le Tribunal faisait application à l'oeuvre initiale du statut des

oeuvres de collaboration, ils revendiquent les dispositions de l'article 10 de la loi du

11 mars 1957 faisant valoir qu'en l'absence de confusion possible entre les deux

versions, l'exploitation qui peut être faite de chacun des apports n'est pas de nature à nuire à l'exploitation de l'oeuvre commune.

Réfutant ainsi l'argumentation de leur adversaire, ils estiment que les

accusations portées par M. Younes, en incitant la Société Carrère à suspendre

l'exploitation de la chanson anglaise, les ont privés des redevances auxquelles ils

étaient, selon eux, en droit prétendre et réclament, de ce fait, 50 000 F chacun de

dommages-intérets pour procédure abusive outre 5 000 F chacun au titre de l'article 700 du NCPC.

265

Page 116: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Stephanie Sand Capocci et la société Bingo Music N°1 bien que régulièrement

assignées n'ont pas constitué avocat.

Dany Younes rejetant les prétentions de ses adversaires, maintient l'intégralité

de ses prétentions.

SUR CE

Attendu que la chanson "Telephono" enregistrée en mars 1988 dans les studios

Versailles Station par le chanteur italien Enzo, en ce qu'elle procède d'une inspiration

identique et concrétise la poursuite d'un but commun tendant à la création d'une

oeuvre d'un genre bien défini comme l'est celui des chansons "à la mode", qui ont

notamment vocation à concourir dans les "tops 50" et autres classements

médiatiques, constitue, même en l'absence de déclaration expresse en ce sens, une

oeuvre de collaboration au sens de l'article 9 de la loi du 11 mars 1957.

Attendu qu'en ne disconvenant pas. dans sa réponse adressée le 25 juillet

1989 à Dany Younes, avoir travaillé avec lui, Tony Rallo a reconnu lui-même, de

facon non équivoque, avoir poursuivi ce but commun.

Que cette communauté d'inspiration et de but poursuivi qui a présidé à

l'élaboration de l'oeuvre litigieuse, confère à celle-ci, même si les paroles ont

préexisté à la musique, un caractère indivisible justifiant l'exploitation commune des

éléments qui la composent.

Que l'absence de déclaration commune à la SACEM, non légalement requise,

est inopérante et ne saurait réduire à néant l'oeuvre créée.

Attendu qu'aux termes de l'article 10 de la loi de 1957, "lorsque la participation

de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun pourra, sauf convention

contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter

préjudice à l'exploitation de l'oeuvre commune"

Que Tony Rallo et la société Slogan prétendent à tort que la version anglaise

créée et diffusée avant même qu'ait pû l'être la version italienne, dans un marché

aussi difficile et éphémère que celui des chansons à la mode, soumises à une

concurrence particulièrement dure, n'était pas de nature à porter préjudice à

l'exploitation de l'"oeuvre commune", alors que s'agissant d'un produit similaire, il

266

Page 117: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

s'adressait à un public identique et créait, malgré la différence de langues qui, dans ce domaine musical et compte tenu de la nature de celles-ci est de moindre

importance, une concurrence non négligeable.

Que cette exploitation, contraire aux dispositions de l'article 10 de la loi de

1957, porte atteinte aux droits du demandeur, et justifie la suspension de

l'exploitation de l'oeuvre litigieuse entreprise et de la destruction des stocks

constitués au mépris des droits susvisés.

Attendu qu'en procédant à l'exploitation litigieuse, Tony Rallo a privé Dany Younes d'une chance de poursuivre dans des conditions satisfaisantes l'exploitation

de l'oeuvre initiale et de percevoir corrélativement les redevances y afférentes,

causant à celui-ci un préjudice qui, compte tenu des circonstances de la cause, et

sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise, sera entièrement réparé

par l'allocation d'une somme de 50 000 F à l'exclusion de toute autre.

Que les codéfendeurs en participant en toute connaissance de cause à

l'exploitation litigieuse ont contribué à la réalisation de l'entier dommage et doivent en

conséquence être condamnés in solidum avec Tony Rallo.

Attendu que l'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire, est

nécessaire et doit être ordonnée, à l'exclusion toutefois pour la destruction des

stocks existants.

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser au demandeur la charge de ses frais

irrépétibles, une somme de 8 000 F devant lui être allouée de ce chef.

Attendu qu'en raison de la solution donnée au litige, les défendeurs sont mal

fondés en leurs demandes reconventionnelles y compris au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

Ordonne le retrait du commerce de tous enregistrements graphiques,

phonographiques et vidéographiques reproduisant l'oeuvre intitulée "Never be a

stranger", sous astreinte, à compter de la signification de la présente décision, de

2 000 F par infraction constatée,

Ordonne la destruction des stocks existants de la chanson litigieuse,

267

Page 118: CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Condamne in solidum Tony Rallo, Stéphanie Sand Capocci, les Sociétés Slogan Music N°1 et Bingo Music N°1 à payer à Dany Younes 50 000 F à titre de

dommages-intérêts,

Ordonne l'exécution provisoire de ces chefs à l'exclusion de la destruction des

stocks,

Condamne in solidum les défendeurs à payer au demandeur la somme de

8 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Rejette la demande formée au titre de l'article 700 du NCPC par Tony Rallo et

la Société Slogan Music N° 1,

Condamne in solidum les défendeurs aux dépens.

Mme MARAIS, Président

Mmes PINOCHET et MARTINEZ, Juges

Mes TAHAR et SCHMIDT, Avocats

268