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136 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVIII - n ° 4 - juillet-août 2015 DOSSIER Les MICI Traitement médical ou chirurgical en cas de maladie de Crohn compliquée ? Medical or surgical treatment for complicated Crohn’s disease? David Laharie* L a maladie de Crohn (MC) est une affection chronique et transmurale du tube digestif. Pour des raisons encore mal comprises, en partie sous-tendues par une prédisposition géné- tique, cette maladie a la faculté d’occasionner des lésions anatomiques intestinales dans la plupart des cas. À un stade symptomatique pour le patient, ces dégâts morphologiques définissent ce que l’on appelle aujourd’hui la “maladie de Crohn compli- quée”. Les complications alors observées sont de 2 ordres : les sténoses et les fistules, ces dernières regroupant les abcès, phlegmons et perforations. La résection chirurgicale du segment anatomique lésé a longtemps constitué le seul traitement possible, si bien que la séquence temporelle inflammation-com- plication-résection et sa répétition au cours de la vie illustre l’histoire naturelle de la MC. Ce caractère dynamique de la maladie au cours du temps, occa- sionnant une destruction progressive de l’appareil digestif, est maintenant pris en compte par l’indice de Lémann (1). Au-delà de ce constat, les avancées thérapeutiques très significatives de ces dernières années ont tenté de modifier cette histoire naturelle dans l’objectif de réduire le taux de chirurgie, soit par un traitement plus précoce, avant la survenue de complications, soit par le traitement médical des formes compliquées. Nous verrons, dans cette mise au point, dans quelles situations le traitement médical d’une MC compliquée peut être discuté. Maladie de Crohn sténosante Définition de la sténose La MC évolue sur un mode fibrosténosant dans 30 % des cas après 10 ans d’évolution. Si la survenue d’une sténose est une complication classique de la MC, il n’en existe aucune définition précise. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il s’agit d’un rétrécissement anatomique du calibre du tube digestif responsable de symptômes obstructifs, voire d’une véritable occlusion. Cependant, il existe une très mauvaise corrélation anatomoclinique pour les formes sténosantes de MC. En effet, la symptomatologie peut être absente ou très intermittente – 1 ou 2 fois par an, par exemple – alors qu’il existe un rétrécissement très serré de la lumière intestinale. La première difficulté pour définir une forme sténosante est donc sa présentation clinique. Elle est peu spéci- fique. La clinique est dominée par des symptômes d’obstruction, ou syndrome de König, caractérisés par la survenue d’un météorisme douloureux de l’abdomen déclenché par la prise alimentaire, associé à une augmentation des borborygmes et secondairement soulagé par l’émission de vomissements, de gaz ou de selles liquides. De tels symptômes sont mal pris en compte par le Crohn’s Disease Activity Index (CDAI) et l’indice de Harvey-Bradshaw, qui sont les scores cliniques les plus souvent utilisés dans la MC. C’est ainsi que, afin de mieux caractériser cliniquement ces formes sténosantes, le Groupe d’étude thérapeutique des affections inflammatoires du tube digestif (GETAID) a récemment proposé un score d’obstruction de la MC, le Crohn’s Disease Obstructive Score (CDOS) [tableau I], qui tient compte de l’intensité et de la fréquence des symptômes obstructifs sur une période de 8 semaines (2). À ce jour, le CDOS n’a pas été validé. Le deuxième écueil est l’absence de définition morphologique d’une sténose. Selon le dernier consensus de l’European Crohn’s and Colitis Orga- * Service d’hépato-gastroentéro- logie, hôpital Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux ; laboratoire de bacté- riologie, université de Bordeaux.

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136 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVIII - n° 4 - juillet-août 2015

DOSSIERLes MICI

Traitement médical ou chirurgical en cas de maladie de Crohn compliquée ?Medical or surgical treatment for complicated Crohn’s disease?David Laharie*

La maladie de Crohn (MC) est une affection chronique et transmurale du tube digestif. Pour des raisons encore mal comprises, en

partie sous-tendues par une prédisposition géné-tique, cette maladie a la faculté d’occasionner des lésions anatomiques intestinales dans la plupart des cas. À un stade symptomatique pour le patient, ces dégâts morphologiques définissent ce que l’on appelle aujourd’hui la “maladie de Crohn compli-quée”. Les complications alors observées sont de 2 ordres : les sténoses et les fistules, ces dernières regroupant les abcès, phlegmons et perforations. La résection chirurgicale du segment anatomique lésé a longtemps constitué le seul traitement possible, si bien que la séquence temporelle inflammation-com-plication-résection et sa répétition au cours de la vie illustre l’histoire naturelle de la MC. Ce caractère dynamique de la maladie au cours du temps, occa-sionnant une destruction progressive de l’appareil digestif, est maintenant pris en compte par l’indice de Lémann (1). Au-delà de ce constat, les avancées thérapeutiques très significatives de ces dernières années ont tenté de modifier cette histoire naturelle dans l’objectif de réduire le taux de chirurgie, soit par un traitement plus précoce, avant la survenue de complications, soit par le traitement médical des formes compliquées. Nous verrons, dans cette mise au point, dans quelles situations le traitement médical d’une MC compliquée peut être discuté.

Maladie de Crohn sténosante

Définition de la sténose

La MC évolue sur un mode fibrosténosant dans 30 % des cas après 10 ans d’évolution. Si la survenue d’une

sténose est une complication classique de la MC, il n’en existe aucune définition précise. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il s’agit d’un rétrécissement anatomique du calibre du tube digestif responsable de symptômes obstructifs, voire d’une véritable occlusion.Cependant, il existe une très mauvaise corrélation anatomoclinique pour les formes sténosantes de MC. En effet, la symptomatologie peut être absente ou très intermittente – 1 ou 2 fois par an, par exemple – alors qu’il existe un rétrécissement très serré de la lumière intestinale. La première difficulté pour définir une forme sténosante est donc sa présentation clinique. Elle est peu spéci-fique. La clinique est dominée par des symptômes d’obstruction, ou syndrome de König, caractérisés par la survenue d’un météorisme douloureux de l’abdomen déclenché par la prise alimentaire, associé à une augmentation des borborygmes et secondairement soulagé par l’émission de vomissements, de gaz ou de selles liquides. De tels symptômes sont mal pris en compte par le Crohn’s Disease Activity Index (CDAI) et l’indice de Harvey-Bradshaw, qui sont les scores cliniques les plus souvent utilisés dans la MC. C’est ainsi que, afin de mieux caractériser cliniquement ces formes sténosantes, le Groupe d’étude thérapeutique des affections inflammatoires du tube digestif (GETAID) a récemment proposé un score d’obstruction de la MC, le Crohn’s Disease Obstructive Score (CDOS) [tableau I], qui tient compte de l’intensité et de la fréquence des symptômes obstructifs sur une période de 8 semaines (2). À ce jour, le CDOS n’a pas été validé.Le deuxième écueil est l’absence de définition morphologique d’une sténose. Selon le dernier consensus de l’European Crohn’s and Colitis Orga-

* Service d’hépato-gastroentéro-logie, hôpital Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux ; laboratoire de bacté-riologie, université de Bordeaux.

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Points forts » L’entéro-IRM est devenue l’examen clé pour caractériser une sténose compliquant une maladie de Crohn. » Lorsque la décision chirurgicale est envisagée pour une maladie de Crohn compliquée, la corticothérapie

est à éviter, car elle augmente la morbidité de l’intervention. » Grâce à l’étude CREOLE, nous disposons désormais de critères objectifs permettant de choisir entre

traitement médical et traitement chirurgical pour une sténose du grêle. » Des études prospectives sont en cours afin d’évaluer le bénéfice des anti-TNF dans la maladie de Crohn

fistulisante.

Mots-clésMaladie de Crohn

Sténose

Fistule

Anti-TNF

Chirurgie

Highlights » MRI has become the best

tool for assessing stricturing Crohn’s disease.

» Steroids should be avoided or withdrawn in case of surgical management of complicated Crohn’s disease.

» According to the data from the CREOLE study, simple predictive factors are available for choosing between anti-TNF or surgery front of symptomatic small bowel stricturing Crohn’s disease.

» Prospective studies are ongoing to determine predictors for the medical management of fistulizing Crohn’s disease.

KeywordsCrohn’s diseaseStrictureFistulaAnti-TNFSurgery

nisation (ECCO) sur la MC, les meilleurs critères pour définir une sténose en imagerie sont son caractère localisé, persistant, et surtout l’exis-tence d’une dilatation intestinale en amont (3). La définition d’une sténose endoscopique est plus subjective encore. Il existe en effet toute une palette d’aspects possibles, de la sténose infran-chissable par le gastroscope au simple rétrécisse-ment visuel de la lumière franchie sans difficulté par le coloscope.

Quand envisager le traitement médical ?

Nous n’aborderons dans cette partie que la prise en charge des sténoses symptomatiques. Il est important de rappeler que, avant toute décision thérapeutique, il faut une confirmation morpho-logique de la sténose par un examen d’imagerie. Le scanner ou l’IRM sont ici indispensables. L’examen en imagerie de coupe demandé permettra alors, et dans un premier temps, d’écarter une complication fistulisante associée (4). En effet, une perforation survient le plus souvent sur une sténose, probable-ment en raison de l’association de lésions muqueuses inflammatoires et d’une augmentation de pres-sion en amont sur cette zone de faiblesse anato-mique. Dans un second temps, l’imagerie donnera

la possibilité de caractériser la sténose. Comme nous le verrons plus loin, l’IRM apporte désormais les informations les plus précises qui permettront d’envisager le traitement, si bien que cet examen supplante progres sivement le scanner dans le bilan des sténoses.

Quels éléments prendre en compte pour choisir entre traitement médical et traitement chirurgical ?

La vision binaire opposant les sténoses cicatricielles, dont le traitement serait chirurgical, aux sténoses inflammatoires, pour lesquelles le traitement médical serait possible, est caricaturale et fausse. En effet, pour qu’une sténose ancienne devienne symptomatique, il faut nécessairement qu’elle soit inflammatoire, et des sténoses récentes peuvent être déjà fibreuses. Il faut donc considérer toutes les sténoses comme ayant à la fois un contingent inflammatoire et un contingent fibreux. Des données histologiques récentes ont même observé une corré-lation entre l’intensité de la fibrose et de l’inflam-mation, si bien que, plus une sténose est fibreuse, plus elle est inflammatoire (5).Les principales caractéristiques à prendre en compte pour traiter une sténose symptomatique compliquant une MC sont présentées dans le tableau II (p. 138).

Tableau I. Crohn’s Disease Obstructive Score (CDOS) : score clinique évaluant les signes d’obstruction intestinale au cours des 8 dernières semaines (2).

Niveau Description

0 Aucune douleur obstructive

1 Douleur obstructive*, sans vomissement ni occlusion**, survenue pendant moins de 4 jours au cours de la période

2 Douleur obstructive*, sans vomissement ni occlusion**, survenue pendant 4 jours ou plus au cours de la période

3 Douleur obstructive* avec vomissement ou occlusion**, résolutive sans hospitalisation et survenue pendant 1 ou 2 jours au cours de la période

4 Douleur obstructive* avec vomissement ou occlusion**, résolutive sans hospitalisation et survenue entre 3 et 8 jours au cours de la période

5 Douleur obstructive* avec vomissement ou occlusion**, résolutive sans hospitalisation et survenue pendant 8 jours ou plus au cours de la période

6 Au moins un épisode d’occlusion ayant nécessité une hospitalisation au cours de la période

* Survenue après les repas ou majorée par la prise alimentaire, associée à une augmentation des bruits intestinaux qui soulagent la douleur ; ** météorisme avec arrêt des gaz.

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Traitement médical ou chirurgical en cas de maladie de Crohn compliquée ?DOSSIER

Les MICI

D’une manière générale, le traitement chirurgical sera à privilégier en cas de sténose unique, courte et localisée sur le grêle. À l’inverse, en cas de sténoses multiples, étendues, rectales, voire coliques, l’option médicale sera à proposer en premier lieu.

Quel traitement médical envisager ?

La corticothérapie systémique, qui inclut le budé-sonide, constitue généralement la première option thérapeutique en cas de sténose symptomatique, a fortiori par voie injectable chez un malade “occlus” en occlusion. La réponse aux corticoïdes est alors souvent considérée par le clinicien comme discriminant les sténoses inflammatoires des sténoses fibreuses. Si les corticoïdes permettent de “passer un cap”, il faut rappeler qu’en cas de décision chirurgicale ils consti-tueront ensuite un écueil, augmentant la morbidité de l’intervention et le risque de stomie temporaire, surtout quand la cure est prolongée et fortement dosée. La dose de 20 mg/j d’équivalent prednisolone constitue alors le seuil critique pour les chirurgiens. En d’autres termes, si une décision chirurgicale rapide est prise, la corticothérapie est à éviter.Les immunosuppresseurs conventionnels que sont les thiopurines ou le méthotrexate n’ont fait l’objet d’au-cune étude spécifique dédiée aux formes sténosantes de MC. Étant donné leur délai d’action progressif et leur efficacité inférieure à celle des anti-TNF, ils ne

constituent pas le traitement de première intention dans cette situation. L’indication résiduelle des thio-purines en monothérapie dans ce sous-groupe de patients est constituée par les sténoses paucisympto-matiques d’évolution corticodépendante à faible enjeu chirurgical (localisation iléale unique et peu étendue). Désormais, les immunosuppresseurs conventionnels sont considérés comme des traitements à associer aux anti-TNF, afin d’en améliorer l’efficacité et d’en réduire l’immunogénicité.Jusqu’à il y a peu, les données publiées au sujet de l’efficacité des anti-TNF chez les malades ayant une sténose intestinale symptomatique étaient contradictoires. D’un côté, plusieurs cas d’occlu-sion survenue sous infliximab ont été observés, et une étude pilote prospective incluant des malades ayant une sténose du grêle symptomatique, traités par infliximab a été prématurément interrompue car 4 des 6 premiers malades inclus ont dû être opérés dans les premières semaines en raison de la survenue d’un abcès ou d’une occlusion sous traitement (6). D'un autre côté, il n’a pas été signalé de surcroît d’occlusion sous anti-TNF dans les grands essais randomisés. De plus, dans une série rétrospective française de 18 malades traités par infliximab en raison d’une sténose iléale symptomatique, l’effi-cacité du traitement était bonne. Elle se maintenait au cours du temps et permettait d’éviter la chirurgie dans la majorité des cas (7).Afin de déterminer le taux d’efficacité des anti-TNF en cas de sténose symptomatique du grêle, mais aussi et surtout d’identifier les meilleurs candidats à un traitement médical, une étude de cohorte appelée CREOLE a été menée par le GETAID. Ses résultats ont été présentés tout récemment (2). Parmi les 98 malades inclus, tous traités par adalimumab, 61 % étaient en succès thérapeutique à 6 mois, celui-ci étant défini par l’absence de recours à un traite-ment systémique, à une dilatation endoscopique ou à une résection chirurgicale, ou l'absence d’arrêt du traitement pour intolérance. Tous les malades avaient été évalués par une entéro-IRM avant de commencer l’adalimumab. Il a ainsi été possible d’identifier des facteurs prédictifs du succès du trai-tement médical (tableau III). Il s’agissait de facteurs cliniques (symptômes sévères d’obstruction, d’ins-tallation récente), thérapeutiques (association avec un immunosuppresseur) et surtout morphologiques en entéro-IRM (absence de fistule, rehaussement tardif après injection de gadolinium et rétrodilata-tion modérée du grêle d’amont). Un score simple, combinant ces 6 facteurs selon le poids de chacun d’entre eux, a ainsi été construit afin de prédire les

Tableau II. Critères de choix en faveur du traitement médical ou chirurgical d’une sténose symptomatique compliquant une maladie de Crohn.

Critères Traitement médical Traitement chirurgical

Cliniques

Durée des symptômes obstructifs Récente Ancienne

Intensité des symptômes obstructifs Importante* Modérée

Morphologiques

Étendue de la sténose Longue Courte

Nombre de sténoses Multiples Unique ou contiguës

Localisation de la sténose Colorectale Grêlique

Fistule associée Absente Présente

Dilatation en amont** Modérée (18-30 mm) Importante (> 30 mm)

Rehaussement tardif en T1 (IRM) Présent Absent

Biologiques

Taux de protéine C réactive Élevé ? Normal

Thérapeutiques

Antécédents de résection chirurgicale Multiples Aucun

Réponse aux corticoïdes Présente Absente

Traitement immunosuppresseur Oui Non

* Crohn’s Disease Obstructive Score (CDOS) > 5 ; ** uniquement en cas de sténose grêlique.

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DOSSIERLes MICI

chances de succès du traitement anti-TNF devant une sténose symptomatique. Pour un score entre 0 et 7 points, la probabilité d’un bénéfice de l’adalimumab était très faible en cas de score inférieur à 3, bonne en cas de score supérieur à 3 et moyenne, en cas de score égal à 3. Ce score reste à valider dans une cohorte indépendante. Pour la première fois, grâce à l’étude CREOLE, nous disposons de critères objectifs permettant de choisir entre le traitement médical et le traitement chirurgical d’une sténose du grêle.

Maladie de Crohn fistulisante

La MC luminale évolue sur un mode fistulisant dans près de 50 % des cas après 10 ans d’évolution. La perforation intestinale survient alors sur des lésions muqueuses de MC qui sont généralement associées à une sténose. Le site de la perforation définit l’ori-fice primaire qui est responsable de complications intrapéritonéales, rétropéritonéales ou pelviennes à type d’abcès, de phlegmon ou de fistule interne, l’organe victime étant alors le siège de l’orifice secon-daire. En raison de la sclérolipomatose mésentérique, la MC fistulisante se complique exceptionnellement de péritonites généralisées.

Prise en charge initiale

Le diagnostic d’une complication fistulisante repose sur un examen d’imagerie de coupe qui peut aussi bien être un scanner qu’une IRM. Les performances de ces 2 examens sont voisines dans cette situation.Une fois la suppuration intra-abdominale ou rétro-péritonéale confirmée, l’objectif de la prise en charge initiale est de préparer le malade au traitement à venir, qu’il soit médical ou chirurgical. Ses principes sont simples et ont été rappelés par l'ECCO dans le consensus sur la MC (3) :

➤ hospitalisation dans une unité médicochirurgicale spécialisée ;

➤ drainage par voie radiologique ou chirurgicale chaque fois que cela est possible ;

➤ antibiothérapie systémique couvrant les germes digestifs ;

➤ mise au repos du tube digestif et support nutri-tionnel parfois nécessaires ;

➤ prévention des complications thromboembo-liques.Au stade de la suppuration, l’usage des corticoïdes ou des anti-TNF est formellement contre-indiqué. De tels traitements sont dangereux, exposant le malade

à une péritonite généralisée par décloisonnement d’un abcès non ou mal drainé. Plusieurs cas mortels ont été signalés sous anti-TNF (8).Le succès du traitement initial doit être apprécié très précocement, après quelques jours, par la résolution des signes cliniques d’irritation périto-néale et de la fièvre, la normalisation du taux de protéine C réactive et la disparition de la collection sur le scanner de contrôle. En l’absence de tous ces critères, le malade doit être confié au chirurgien.

Prise en charge à distance : résection ou traitement médical ?

Il n’existe aucune étude contrôlée ayant évalué l’efficacité des traitements médicaux sur la MC luminale compliquée de fistule. Pour mémoire, moins de 10 % des malades de l’essai ACCENT II avaient une fistule entérique. Le traitement de réfé-rence de la MC fistulisante est donc la chirurgie. Celle-ci a pour but de réséquer le segment digestif siège de l’orifice primaire et de réparer − ou parfois réséquer également − l’organe siège de l’orifice secondaire en cas de fistule interne. La cœlioscopie est devenue un standard dans cette indication. Le risque de complication anastomotique et donc de stomie transitoire est également bien identifié. Il augmente en cas de dénutrition, de corticothérapie systémique et d’abcès péri-opératoire. Ces critères soulignent toute l’importance de la prise en charge initiale.L’effet des anti-TNF sur la MC luminale fistulisante n’a été que peu mesuré jusqu’à présent. Les seules données disponibles sont rétrospectives. La plus large étude correspond à l’expérience de la Mayo Clinic, qui a colligé l’évolution de 55 malades traités médicalement pour un abcès intra-abdominal. Avec un délai de suivi de 45 mois, le taux de récidive de l’abcès était de 31 %. Le recours aux anti-TNF, qui ne concernait que 26 de ces malades, était associé à un taux plus faible de récidive (9).

Tableau III. Facteurs associés au succès du traitement par adalimumab dans l’étude CREOLE (2).

Facteur Odds-ratio p Nombre de points

Immunosuppresseur associé 3,40 0,027 1

Durée des symptômes depuis moins de 5 semaines 4,28 0,036 1

CDOS > 4 4,14 0,018 1

Rehaussement tardif en T1 4,30 0,007 1

Absence de fistule 5,57 0,007 1

Diamètre maximal du grêle en amont de la sténose entre 18 et 29 mm

9,50 0,0001 2

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Traitement médical ou chirurgical en cas de maladie de Crohn compliquée ?DOSSIER

Les MICI

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Références bibliographiques

En ce qui concerne les fistules entérocutanées, le GETAID a publié les résultats de l’infliximab chez 48 malades. Avec un recul de 3 ans, le taux de ferme-ture était de 33 %, et la moitié de ces malades rechu-taient par la suite (10). Enfin, une série espagnole, présentée jusqu’à présent seulement sous la forme de résumé, a colligé l’évolution de 33 patients traités par anti-TNF en raison d’une fistule entérovésicale. Le taux de rémission clinique et radiologique sans chirurgie était de 42 % (11).Les données disponibles actuellement ne suffisent donc pas pour recommander les anti-TNF en trai-tement de la MC fistulisante. Des travaux sont en cours afin de préciser quels seraient les malades candidats à un traitement médical plutôt que chirurgical dans cette indication. Ainsi et selon des modalités voisines de celles de l’étude CREOLE, le GETAID mène actuellement un travail prospectif (l’étude MICA) ayant pour but d’établir les chances de succès du traitement anti-TNF en cas d’abcès intra-abdominal compliquant une MC et surtout d’identifier les facteurs prédictifs de succès et d’échec d’un tel traitement.

Conclusion

La chirurgie est longtemps demeurée le traitement de la MC compliquée de sténose et/ou de fistule. Les progrès thérapeutiques considérables qui ont été obtenus au cours des dernières années avec l’arrivée des biothérapies permettent désormais de traiter médicalement certaines de ces situations. Il a tout récemment été identifié des critères clini-coradiologiques simples autorisant la sélection des patients candidats à un traitement médical en cas de MC sténosante. De tels critères, s’ils existent, restent à établir pour la maladie fistulisante. Des études en cours sont menées en ce sens. Pour la pratique, la prise en charge de la MC compliquée reste bien difficile et doit faire l’objet d’une décision concertée entre radiologues, gastroentérologues et chirurgiens. Enfin, il convient de rappeler que le choix entre médicament et chirurgie n’est pas exclusif, car les malades en échec des anti-TNF finiront par être opérés, et les anti-TNF sont les traitements les plus efficaces en prévention de la récidive postopératoire de la maladie. ■

Toute l’équipe d’Edimark vous souhaite un très bel été d’évasionet de réfl exion… Nous vous donnons rendez-vous dès la rentrée pour vous accompagner dans votre pratique.

Très belles lectures, Claudie Damour-Terrasson

David Laharie déclare avoir des liens d’intérêts avec AbbVie,

Ferring, Janssen, MSD, Pfizer, Takeda.

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