notes du mont royal ← et remarquablesen vn peuple barbare et sauuage, et les autres brutales et...

239
Notes du mont Royal Cette œuvre est hébergée sur « No- tes du mont Royal » dans le cadre d’un exposé gratuit sur la littérature. SOURCE DES IMAGES Google Livres www.notesdumontroyal.com

Upload: others

Post on 17-Jul-2020

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

Notes du mont Royal

Cette œuvre est hébergée sur « No­tes du mont Royal » dans le cadre d’un

exposé gratuit sur la littérature.SOURCE DES IMAGES

Google Livres

www.notesdumontroyal.com 쐰

Page 2: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

LE

GRAND VOYAGE

DU

PAYS DES HURONS

Page 3: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

PARlS, lMPRlMERlE DE JOUAUST,

nu: Hun-nono". ’38.

Page 4: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

LE(3RAND’VOYAGEDU

PAYS, DES H URONSSitué en l’Amérique vers la Mer

douce, ès derniers confins

Dl LA

NOUVELLE FRANCEDITE

CANADAAVEC UN DICTIONNAIRE DE LA LANGUE HURONNE

PAR

F. GABRIEL îAGARD THEODATRemuer de S . François. de la province de S. Denys en France

NOUVELLE ÉDITION)-

IN"PUBLIER PAR Il. ÉlILI CHIVALIIR

PARI S

LIBRAIRIE TROSSî, Il]! NIUVI-DlS-PITITS CHAMPS

1865

al?

r Ch 52’. .E Mas il

Page 5: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu
Page 6: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

Encouragé par un public d’élite, nous poursuivons ar-

demment la collection des travaux historiques concernant

l’Amérique septentrionale, et nous réimprimons aujourd’hui

les très-remarquables ouvrages de SAGARD sur la Nouvelle

France.

Son Grand Voyage du Pays des Hurons est devenu une de

ces précieuses curiosités littéraires que les bibliographes

recherchent avec une avidité extrême, mais se procurent

difficilement, même à grand prix.’

On nous saura donc-gré sans doutezde refaire une édition

d’un livre aussi rare, etqui,Ïlquoique généralement peu con-

nu, mérite tant de l’être.

En tête du quatrième et dernier volume de l’Histoire du

Canada, par le même auteur, histoire dont la réimpression

a des l’apparition du tome premier reçu un accueil des plus

flatteurs dans le monde savant, - nous placerons une no-

tice critique sur Sagard et son œuvre.

Page 7: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

Cet accueil bienveillant, on nouspermettra de penser

qu’il est dû aux soins tout particuliers que nous apportons à

la réimpression des ouvrages singuliers publiés durant les

siècles derniers.

Pour ce qui regarde le vieux et naïf Sagard, notre édi-

tion actuelle de ses livres est, - on a déjà pu le remar-

quer, et pour l’Histoire du Canada et pour le Grand Voyage

au pays des Hurons, -.-- une copie complète, exacte , maté-

riellement aussi fidèle que possible.

EDwrN TROSS.

Page 8: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

LIÇURANU

VOYAGE JW m YJ.’rï» if. www gins. au;

rafla. ut mirs la in" leur;1

. r: univisrrs .usrivis a:. r7’ °. I LÀ ticrthtlel. lavur-

UÉÆÏtfl’ un lui: annal fr"

4 V ’ Je la 1:22sz luronne3’ ’ C ï l (Par cala-16] Clizqanl,1 l , V EQirrrlln-l dl: rîtçzaiwis

A? A . Âr l a pronom: ’«S’Ïfflfllents

. .1,4X .PA RIS Glu: 905w

(Elfortou. me 8’ gaulant: a! g

il! salanlanzfrr 1072.

il i I 2 ,i x(Ml un trait-tr il un. --a ,” tr il!!! F5! du pavs a .111 :7q . .. D’ fleurir wrmiu.’ daurades

in

Napalm!!!

,l’vllv in

Page 9: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu
Page 10: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

LE GRAND VOYAGEDV PAYS DES HVRONS,

fitué en l’Amerique vers la Mer

douce , és derniers confinsde la nouuelle France,

dite Canada.

où il efi amplement traité de tout ce qui cil du pays , desmœurth dunaturel des Sauua es, de leur ouuernemem&- façons de Faire ., tant dedans Élus pays,qu’a lans en voya-5mm leur foy 8L croyance-,Deleun con ferla a: guerres , se

e que! genre de tourmens ils font mourir leurs priionniers.Comme ils le marient & efleuent leurs enfans: De leurs Me.-decins , 8: des remedes dont ils vfent à leurs maladies : Deleurs dances 8c chaulons : De la chaire, delapcfche 8g desoyfeaux de animaux terreflres 8c aquatiques qu’ils ont . Desrichelî’es du pays: comme ils cultiuent les terres,& accom-modem leur Menefire. De leur deüil,pleurs 8; lamenta.tions,& comme ils enfeuelilfent & enterrent leurs morts.

Auec vn Diâion’aire de la langue Huronne,pour la commodi-té de ceux qui ont à voyÎËcr dans le pays, 8L n’ont

l’intelligence icelle langue.

Par F. G aux: si. SAGARD THEODAT, Ruelle: deS.Franpoit,de la Province des par]: en France

aï?

A PARIS,ChezD surs Monzav,ruëS.lacques,à

la Salamandre d’Argent.

M. DC. XXXI I.Jure Prinilege du Roy .

Page 11: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu
Page 12: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

R j v .l w g ç «a” :r- w ’ P s.)F) . Kênil l 4 4 t 9 l

AV ROY DES ROYSET TOVT PVISSANT

t MONARQUE DV CIEL ET DE LA TERRE

Insvs-Cr-uusr, Saumur du monde.

’Esràvous ô puissance et .bonté infinie! àqui ie m’a-

dresse, et devant qui ie meprosterne la face contreterre, et les ioües baignées

d’vn ruisseau de larmesqui affluent sans cesse deles ressentimens et amer--

turnes de mon cœur vrayement navré et àiuste titre affligé, de voir tant de pau-

a tu

Page 13: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

ures âmes Infideles et Barbares touioursgisantes dans les espaisses tenebres deleur infidélité. Vous sçauez (ô mon Sei-gneur et mon Dieu), que nous auons porténos vœux depuis tant d’années dans la Nou-

uelle France, et fait nostre possible pourretirer les âmes de cet esprit tenebreux ; maisle secours necessaire de l’Ancienne nous amanqué. Seigneur, nos prieres et nos re-monstrances ont de peu servy. Peut-estre, ômon tres-doux Jnsvs, que l’Ange tutelaireque vous bluy auez donné, a empesché lesecours que nous en esperions pour lanouuelle, coulant doucement dans le cœuret la pensée de ceux qui auoient quelque af-fection pour le bien du pays, que les tracas,les distractions et les diuers perils qui suyuentet sont annexez à la poursuitte d’vn si grandbien, estoient souuent cause (aux âmes foi-bles dans la vertu) d’en remporter desfruictscontraires àla vertu. Si cela est, faites, ô monDieu, s’il vous plaist, que l’Ange de la Nou-

uelle France remporte la victoire contreceluy de l’Ancienne ; car, bien que quelquesvns en fassent mal leur profit, beaucoup enpourront tirer de l’aduantage, assisté de cegrand Ange tutelaire, et principalement de

Page 14: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-VlI-vous, ô mon Dieu, qui pouuez tout, et dequi nous esperons tout le bien qui en peutreüssir; il y va de vostre gloire et de vostreseruice. Ayez donc pitié et compassion deces panures âmes, rachetées au prix devostre sang tres-precieux, ô mon Seigneur etmon Dieu, afin que retirées des tenebres del’infidelité, elles se conuertissent à vous, etqu’apres auoir vescu iusques à la mort, dansl’obseruance de vos diuins preceptes, ellespuissent aller iouyr de vous dans l’eternité,auec les Anges bien-heureux en Paradis, oùie prie vostre diuine Majesté me faire aussi lagrâce d’aller, aptes auoir vescu icy bas parle moyen de vos grâces, dans la mesme grâce,en l’obseruance de mon Institut, et de vosdiuins commandemens.

a iiij

Page 15: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu
Page 16: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

A TRES-lLLVSTRE

Genereux et puissant prince

HENRY DE LORRAINE

Court-z D’Ancovnr.

MONSEIGNEVR,

n. pour la vertu. Si ie prends la har-diesse de m’adresser à nostre grandeur, pour

luy faireiofire (comme ie fais en toutehumilité) de mon petit Voyage du paysdes Hurons. La faute, si i’en commets,

Page 17: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-..ï-.gaigne’ et doucement charmé par vostrevertu, en doit estre attribuée à l’esclat bril-lant de vostre mesme vertu. A quel Autelpouuois-je porter mes vœux plus meritoire-ment qu’au vostre? En qui pouuois-ie trou-uer plus d’appuy contre les enuieux et mal-veillans de mon Histoire, qu’en vn Princegenereux et victorieux comme vous, dont lesvertus sent tellement admirées entre lesGrands, qu’elles semblent donner loix auxPrinces les plus accomplis. Sous l’aislede vos-tre protection (si vous l’en daigner honorer),M ONSEIGNE VR, ce mien petit traitépeut, sans crainte des enuieux, fauorablelment parcourir tout l’Vniuers. Vostre nais-sance et extraction de la tres-ancienne,auguste et royale maison de Lorraine, qui aautre-fois passé les mers, subiugué les I nfi-deles, et possédé, comme Roy, vn si grandnombre d’années, tous les lieux saincts dela Palestine, vous donne du credit, etfaictvoler vostre nom parmy toutes les Nationsde la terre: de sorte que l’on dict d’elle,qu’elle a tousiours esté saincte, et n’a iamais

nourry de monstre dans son sein. C’est vneremarque et vn honneur éternel, que ie prieDieu vous conseruer.

Page 18: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

- x1 .-Acceptee donc, MONSEIGNEVR, les

bonnes volontq que i’ay pour vostre Gran-deur en ce petit present, en attendant que leCiel me fasse naistre d’autres moyens pluspropres, pour recognoistre les obligationsque vous auq acquises sur nostreReligieuseMaison, et sur moy particulierement, quisera] toute ma vie,

MONSEIGNEVR,

Vostre tus-humble serviteur en lasvs-Cnmsx ,1

FR. GABRIEL SAGARDÂIndigne Recollet.

De Paris, ce g! millet mu.

Page 19: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu
Page 20: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

, Ari.a?’ N me 3 il?"

AU LECTEVR

’EST vne verité cogneuë de tous, et deslnfideles mesmes (disoit un sage des Ga-

. ramantes au grand Roy Alexandre) que.9». la perfection des hommes ne consiste pointà voir beaucoup, ny à sçauoir beaucoup; mais en ac-complissant le vouloir et bon plaisir de Dieu. Cettepensée a tenu longtemps mon esprit en suspens , sça-uoîr si ie deuois demeurer dans le silence, ou agreerà tant d’âmes religieuses et seculieres , qui me sollici-

Page 21: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-XIV-toient de mettre au iour, et faire voir au public, lenarré du voyage que i’ay fait dans le pays des Hurons 3pource que de moi-mesme ie ne m’y pouuois resoudre.Mais enfin, apres auoir considéré de plus prés le bienqui en pouuoit reüssir à la gloire de Dieu , et au salutdu prochain, auec la licence de me: Superieurs i’aymis la main à la plume, et decrit dans cette Histoireet ce Voyage des Hurons, tout ce qui se peut dire dupays et de ses habitans. La lecture duquel sera d’autantplus agreable à toutes conditions de personnes, que celiure est parsemé de diuersité de choses : les vnes belleset remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, etles autres brutales et inhumaines à des créatures quidoiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieuqui les a mis en ce monde, pout iouyr aptes d’un Pa-radis. Quelqu’vn me pourra dire que ie deuois meseruir du style du temps, ou d’vne bonne plume,pour polir et enrichir mes mémoires , et leur donneriour au trauers de toutes les difficultez que les espritsenuieux (auiourd’huy trop frequens) me pourroientobîecter : et en effet , i’en ay eu la pensée , non pourm’attribuer le merite et la science d’autruy j. maispour contenter les plus curieux et difficiles dansles entretiens du temps. Au contraire , i’ay esté con-seillé de suiure plustost la naïfueté et simplicité demon style ordinaire (lequel agreera tousiours dauan-tage aux personnes vertueuses et de merite), que dem’amuser à la recherche d’vn discours poli et fardé,

qui auroit voilé ma face , et obscurci la candeur etsincerité de mon Histoire , qui ne doit auoir rien devain ny de superflu.

le m’arreste icy tout court, ie demeure icy en si-

Page 22: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-xv-lence, et preste mon oreille patiente aux aduertisse-mens salutaires de quelques zelans, qui me dirontque i’ay employé et ma plume et mon temps, dans

gvn sujet qui ne rauist pas les âmes comme vn autresainct Paul, iusqu’au troisiesme Ciel. Il est vray ,i’avouë mon manquement et mon demerite; mais iediray pourtant, et auec verité, que les bonnes âmes ytrouueront de quoy s’edifier, et louer Dieu qui nousa fait naistre dans vn pays Chrestien, ou son sainctnom est recogneu et adoré, au prix de tant d’lnfidelesqui viuent et meurent priuez de sa cognoissance et deson Paradis. Les plus. curieux aussi, et les moinsdeuots, qui n’ont autre sentiment que de se diuertiret d’apprendre dans l’Histoire l’humeur, le gouuer-nement, et les diuerses actions et ceremonies d’vnpeuple barbare, y trouueront aussi de quoy se con-tenter et satisfaire, et peut-estre leur salut, par la re-flexion qu’ils feront sur eux-mesmes.

De mesme , ceux qui poussez d’vn sainct mouue-ment desireront aller dans le pays pour la conuersiondes Sauuages, ou pour s’y habituer et viure chrestien-nement, y apprendront aussi quels seront les pays oùils auront à demeurer, et les peuples auec lesquels ilsauront a traicter, et ce qui leur sera besoin dans lepays, pour s’en munir auant que de se mettre enchemin. Puis nostre Dictionnaire leur apprendrad’abord toutes les choses principales et necessairesqu’ils auront à dire aux Hurons, et aux autres Pro-uinces et Nations, chez lesquels cette langue est envsage, comme aux Petuneux, à la Nation Neutre, àla Prouincc de Feu , à celle des Puants, à la Nationdes Bois, à celle de la Mine de Cuyvre, aux Yro-

Page 23: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--XVl--quois, a la Prouince des Cheueux-Releuez, et àplusieurs autres. Puis en celle des Sorciers , de ceuxde l’Isle , de la petite Nation et des Algoumequins ,qui la sçauent en partie, pour la necessité qu’ils enont lorsqu’ils voyagent, ou qu’ils ont à traicter auecquelques personnes de nos Prouinces Huronnes etSedentaires.

le responds à vostre pensée, que le Christianismeest bien peu aduancé dans le pays, nonobstant nostrauaux, le soin et la diligence que les Recollets yont apportés, bien loin des dix millions d’âmes quenos Religieux ont baptizé à succession de temps dansles Indes Orientales et Occidentales, depuis que lebien-heureux Frère Martin de Valence, et ses compa-gnons Recollets y eurent mis le pied , et fait les pre-miers la planche à tous nos autres Freres, qui y ontà present un grand nombre de Prouinces, rempliesde Couuents, et en suite à tous les Religieux des au-tres Ordres, qui y ont esté depuis.

C’est nostre regret et nostre desplaisir de n’y auoirpas esté secondez, et que les choses n’y ont passi heureusement aduancé , comme nos esperancesnous promettoient, foiblement fondées sur des Colo-nies de bons et vertueux François qu’on y deuoit esta-blir, sans lesquelles on n’y aduancera iamais gueresla gloire de Dieu et le Christianisme n’y sera iamaisbien fondé. C’est mon sentiment et celuy de tous lesgens de bien non seulement; mais de tous ceux quise gouuernent tant soit peu auec la lumiere de laraison.

Excuse, si le peu de temps que i’ay eu de composeret dresser mes Memoires et mon Dictionnaire (apres

Page 24: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

- XVll -la resolution prise de les mettre en lumiere) y a faitescouler quelques legeres fautes ou redites : car ytrauaillant auec vn esprit preoccupé de plusieurs au-tres charges et commissions , il ne me souuenoît passouvent en vn temps, ce que i’auois composé et escriten vn autre. Ce sont fautes qui portent le pardonqu’elles esperent de vostre charité, de laquelle i’im-plore aussi les prieres, à ce que Dieu m’exempte icydu peché, et me donne son Paradis en l’autre.

Page 25: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu
Page 26: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

TABLE DES CHAPITRES

CONTENVS EN CE LlVRE.

CHAP. l. Voyage du pays des Hurons, situé en l’Amerique, vers lamer douce, a derniers confins de la Nouvelle France, dite Canada.

CHAP. a. De nostre commencement, et suite de nostre voyage.

CHAP. 3. De Kebec, demeure des François , et des Peres Recollets.

CHAP. 4. Du cap de Victoire aux Hurons, et comme les Sauuages segouuernent allnns en voyage et par pays.

CHAP. 5. De nostre arriule au pays des Hurons, quels estoientnos exercices, et de nostre maniere de viure et gouuernement dansle pays.

CHAP. 6. Du pays des Hurons et de leurs villes, villages et caba-nes.

CHAP. 7. Exercice ordinaire des hommes et des femmes.

CHAP. 8. Comme ils defrischenl, sement et cultiuenl leurs terres, etapres comme ils accommodent le bled et les farines, et de la façond’apprester leur manger.

CHAP. 9. De leurs festins et carmines.e a;

Page 27: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

CHAP. I0. Des dances, chansons et autres ceremonies ridicules.

CHAP. n. De leur mariage et concubinage.

CHAP. 12. De la naissance, amour et nourriture que les Sauuagesont enuers leurs enfans.

CHAP. 1;. De l’exercice des ieunes garçons et ieunes filles.

CHAP. i4. De la forme, couleur etstature des Sauuages, et comme ilsne portent point de barbe.

CHAP. 15. Humeur des Sauuages , et comme ils ont recours auxDeuins, pour recouurer les choses durables.

CHAP. 16. Des cheueux et ornemens du corps.

CHAP. l7 De leurs conseils et guerres.

CHAP. 18. De la croyance et foy des Sauuages, du Crcateur, etcomme ils auoient recours à nos prieras.

CHAP. l9. Des ceremonies qu’ils obseruent à la peschc.

CHAP. 20. De la santé et maladie des Sauuages, et de leurs Merle-cins.

CHAP. 21. Des defluncts, et comme ils pleurent et ensevelissent lesmorts.

CHAP. 22. De la grandfeste des morts.

Page 28: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

- XXI --*

SECONDE PARTIE

Où il est traicté des Animaux terrestres et aquatiques, et desFruicts, Plantes et Richesses qui se retrouuent communementdans le pays de nos Sauuages; puis de nostre retour de la Pro.uince des Hurons en celle de Canada. Auec un petit Diction-naire des mots principaux de la langue Huronne, necessaire àceux qui n’ont l’intelligence d’icelle, et ont àtraicter auec lesdits

Humus.

CHAP. l. Des Oyseaux.

CHAP. 2. Des Animaux terrestres.

CHAP. ;. Des Poissons et bestes aquatiques.

CHAP. 4. Des Fruicts, Plantes, Arbres, et Richesses du pays.

CHAP. 5. De nostre retour du pays des Hurons en France, et de cequi nous arriua en chemin.

è in

Page 29: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

PRIVILÈGE DV ROY.

I v ovs par la grâce de Dieu , Roy dek France et de Nauarre,X, A nos amez et feaux conseillers, les gens

tenans nos Cours de Parlemens, Maistresdes Requestes ordinaires de nostre Hostel, Preuostde Paris, Baillifs, Seneschaux, et autres nos lus-ticiers et Officiers qu’il appartiendra, salut. Nostrebien amé Fr. Gabriel Sagard , Recollet, nous a faictremonstrer qu’il a composé vn liure intitulé : Le grandVoyage du pays des Hurons, situé en l’Amerique, vers la mer

douce, es derniers confins de la Nouuelle France, auec vn Dic-tionnaire de la langue Huronne. Lequel il desireroit mettreen lumiere, s’il auoit sur ce nos lettres. A ces causes,desirant bien et fauorablement traicter ledit suppliant,et qu’il ne soit frustré des fruicts de son labeur, luy

Page 30: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-- XXlll -auons permis, permettons et octroyons par ces pre-sentes, de nos grâces spéciales, d’imprimer ou faireimprimer en telle marge et caractere que bon luysemblera ledit liure, iceluy mettre et exposer envente et distribuer durant le temps de dix ans, deffen-dam à tous Imprimeurs et autres personnes, de quel-que qualité et condition qu’elle soient, d’imprimer

ou faire imprimer, mettre ny exposer en vente leditliure, sans le congé et permission dudit exposant, oude celuy ayant charge de luy, sur peine de confisca-tion d’iceux liures, d’amende arbitraire, et à tousdespens, dommages et interests enuers lui 3 à la charged’en mettre deux exemplaires en nostre Bibliothequepublique. Si vous mandons que du contenu en cespresentes vous fassiez, souffriez et laissiez iouyr etvser ledit exposant pleinement et paisiblement, et ace faire souffrir et obeyr tous ceux qu’il appartiendra,en mettant au commencement ou à la fin dudit liureces presentes , ou bref extraict d’icelles , voulonsqu’elles soient pour deuëment signifiées : Car tel estnostre plaisir. Donné à Paris le 21. iour de Iuillet,l’an de grace 1632, et de nostre regne le 23.

Par le Conseil.Hvor.

Pu sous-signé, consens que le sieur Denys Moreau,lequel i’ay choysi pour mon Imprimeur et Libraire,puisse imprimer mon liure, intitulé le Grand Voyage

Page 31: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-- XXIV --du pays des Hurons, à la charge de receuoir de moy,vn nouueau consentement , toutes les fois qu’il voudrale réimprimer. Età ces conditions ie luy remets monPriuilege que i’ay obtenu du Roy, pour imprimermondit liure.

Fait à Paris ce 29. Iuillet 1632.

Fr. GABRlEL Sacrum, Recollet.

Acheue’ d’imprimer pour la première fois le lot iour

d’Aoust 16;2.

APPROBATION DES PERES DE L’ORDRE.

Nous soussignez, Professeurs en la saincte Theolo-gie, Predicateurs et Confesseurs des Peres Recolletsde la Prouince de S. Denys en France,

Certifions auoir leu vn liure intitulé, Voyage dupays des Hurons, situé en l’Amerique, vers la mer douce, e’s

derniers confins de la Nouuelle France, dite Canada: ou il esttraité de tout ce qui est du pays, et du gouuernementdes Sauuages, auec vn Dictionnaire de la langue Hu-ronne; composé par Fr. Gabriel Sagard Theodat ,Religieux de nostre mesme Ordre et Institut; auquelnous n’auons rien trouué contraire à la Religion Ca-

Page 32: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-XXV-tholique, Apostolique et Romaine : ains tres vtile etnécessaire au public.

En foy de quoy nous auons signé de nostre main.

Fait en nostre Couuent de Paris le cinquiesmeiour de Iuillet 1632.

Fr. loues LE GAVLT, qui sup. Gardien duCouuent des Recollets de Paris.

Fr. IEAN MARIE L’Escmqu , qui sup.

F r. ANGE CARRIER, qui sup.

Page 33: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu
Page 34: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

Voyage du pays des Hurons, situé en l’Amerique, rers la mer

douce, és derniers confins de la Nouuelle France, diteCanada.

CHAPITRE PREMIER.

dit nostre Seigneur. C’est le com-mandement que Dieu donna à sesApostres , et en suite aux per-sonnes Apostoliques , de porter

pour en chasser l’Idolatrie, et polir les mœurs bar-bares des Gentils, et eriger les trophées des victoiresde sa Croix par son Euangile et la predication deson sainct nom. La vanité de sçauoir et apprendreles choses curieuses, et les mœurs et diuerses il fa-çons de philosopher, ont poussé ce grand ThianeusAppollonius de ne pardonner à aucun trauail, pourse remplir et rendre illustre par la cognoissancedes choses les plus belles et magnifiques de l’Vni-uers; c’est ce qui le fit courir de l’Egypte toute l’A-frique, passer les colomnes d’Hercules, traicter auec

A

Page 35: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

..-2-les grands hommes et sages d’Espagne, visiter nosDruides és Gaules , couler dans les delices de l’Italie ,

pour y voir la politesse, grandeur et gentillesse del’Empire Romain, de la se couler dans la Grèce , puispasser l’Elespont, pour voir les richesses d’Asie; etenfin penetrant les Perses, surmontant le Caucase,passant par les Albaniens , Scythes , Massagettes :bref, aptes auoir couru les puissans Royaumes del’Inde, trauersé le grand fleuue Phison , arriua enfinvers les Brachmanes, pour ouyr ce grand Hyarcasphilosopher de la nature et du mouuement des astres:et comme insatiable de sçauoir, apres auoir courutoutes les Prouinces où il pensa apprendre quelquechose d’excellent, pour se rendre plus diuin parmy leshommes ; de tous ses grands trauaux ne laissa rien dememorable qu’vn chetif liure, contenant les dogmesdes Pytagori- Il ciens, fagoté, poly, doré, qu’il feignoit

auoir appris dans l’Antre trophonine, qui fut receuauec tant d’applaudissement des Anciates, que poureternizer sa memoire ils le consacreront au plus hautfaite de leur plus magnifique Temple.

Ce grand homme, qui auoit acquis par ses voyagestant de suffisance et d’experience, que les Princes, etentr’autres l’Empereur Vespasien , estimoient sonamitié de telle sorte, que, soitque, ou par vanité, ou àbon escient, qu’il desira se seruir de luy en la conduitede son grand Empire, il le conuia de s’en venir à Romeauec ses attrayantes paroles, qu’il luy feroit part detout ce qu’il possedoit, sans en exclure l’Empire, pourmonstrer l’estime qu’il faisoit de ce grand personnage;neantmoins il croyoit n’auoir rien remarqué digne detant de trauail, puis qu’il n’auoit pû rencontrer vne

Page 36: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-3-egalité de iustice (à son aduis) en l’economie dumonde, puis que par tout il auoit trouué le fol com-mander au sage, le superbe à l’humble, le querelleuxau pacifique, l’impie au deuot. Et ce qui luy touchoitle plus le cœur, c’est qu’il n’auoit point trouué l’im-

mortalité en terre.Il Pour moy, qui ne fus iamais d’vne si enragée enuie

d’apprendre en voyageant, puis que nourry en l’es-cole du Fils de Dieu, sous la discipline reguliere del’Ordre Seraphique sainct François,où l’on apprend lascience solide des Saincts, et hors celle-là tout ce qu’onpeut apprendre n’est qu’vn vain amusement d’vnesprit curieux , i’ay voulu faire part au public de ceque i’auois veu en vn voyage de la Nouuelle France,que l’obeyssance de mes Superieurs m’auoit fait en-treprendre, pour secourir nos Peres qui y estoientdesia, pour tascher à y porter le flambeau de la cognois-sance du Fils de Dieu, et en chasser les ténèbres de labarbarie et infidélité, suyuant le commandement quenostre Dieu nous auoit faict en la personne de sesApostres, afin que, comme nos Peres de nostre Sera-phique Ordre de sainct François, auoient les premiersporté l’Euangile dans les Indes Orientales et Occiden-tales, et arboré l’estendart de nostre rédemption éspeuples qui n’en auoient iamais ouy parler, ny eu co-gnoissance, a leur imitation nous y portassions nostrezele et deuotion , afin de faire la mesme conqueste, eteriger les mesmes trophées Il de nostre salut , ou leDiable auoit demeuré paisible iusqu’à présent.

Ce ne sera pas à l’imitation d’Appollonius, pour ypolir mon esprit, et en deuenir plus sage, que ie visi-tera)! ces larges prouinces, ou la barbarie et la bruta-

Page 37: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

Liv

- 4 .-lité y ont pris tels aduantages, que la suite de ce dis-cours vous donnera en l’ame quelque compassion dela misere et aueuglement de ces pauures peuples, ou ievous feray voir quelles obligations nous auons à nostrebon lesvs, de nous auoir deliurez de telles tenebres etbrutalité, et poli nostre esprit iusqu’à le pouuoir co-gnoistre et aymer, et esperer l’adoption de ses enfans.Vous verrez comme en vn tableau de relief et en richetaille douce, la misere de la nature humaine, vitiée enson origine , priuée de la culture de la foy , destituéedes bonnes mœurs, et en proye à la plus funeste bar-barie que l’esloignement de la lumiere Céleste peutgrotesquement conceuoir. Le recit vous en sera d’au-tant plus agreable par la diuersité des choses que ievous -raconteray auoir remarquées, pendant enuirondeux ans que i’y ay demeuré, que ie me promets quela compassion que vous prendrez de la misere deceux qui participent auec vous de la nature hu-maine, tireront de vos cœurs des vœux, des larmes etdes souspirs, pour coniurer le Ciel à lancer sur cescœurs des lumieres Célestes, qui seules les peuuent af-franchir de la captiuité du Diable, embellir leurs rai-sons de discours salutaires, et polir leur rude barbariede la politesse des bonnes mœurs, afin qu’ayans co-gneu qu’ils sont hommes, ils puissent deuenir Chres-tiens et participer auec vous de cette foy qui nous ho-nore du riche titre d’enfans de Dieu , cohéritiers auecnostre doux Iasvs, de l’héritage qu’il nous a acquis au

prix de son sang, ou se trouuera cette immortalitéveritable, que la vanité d’Appollonius apres tant devoyages, n’auoit pû trouuer en terre, ou aussi elle n’a

garde de se pouuoir trouuer.

Page 38: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

De nostre commencement, et suite de nostre voyage.

CHAPITRE Il.

A à 05mn Congregation s’estant tenuë à Paris,.,, b i’eus commandement d’accompagner le

1, . . . .. à Pere Nicolas, Vieil Predicateur , pour aller, secourir nos Peres, qui auoient la mission

de la conuersion des peuples de la NouuelleFrance. Nous partismes de Paris auec la benedic-tion de nostre R. Pere Prouincial, le dix-huictiesmede Mars mil six cens vingt-quatre, à l’Apostolique, àpied, et auec l’equipage ordinaire des panures PeresRecollets Mineurs de nostre glorieux Pere S. Fran-çois. Nous arriuasmes à Dieppe en bonne santé, où lenauire fretté et prest, n’attendoit que le vent proprepour faire voile et commencer nostre heureux voyage :de sorte qu’a grand peine pusmes-nous prendre quel-

6

que repos, qu’il Il nous fallut embarquer le mesme 7iour de nostre arriuée , de sorte que nous partismesdés la my nuict auec vn vent assez bon ; mais qui parsa faneur inconstante nous laissa bien-tost, et fusmessurpris d’vn vent contraire , ioignant la coste d’Angle-

terre, qui causa vn mal de mer fort fascheux à moncompagnon , qui l’incommoda fort, et le contraignitde rendre le tribut à la mer, qui est l’vnique remède

au

.4

c . A

Ë?

Page 39: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-5-de la guérison de ces indispositions maritimes. Gracesà nostre Seigneur, nous auions desia sillonné enuironcent lieues de mer, auant que ie fusse contrainct a cesfascheuses maladies; mais i’en ressentis bien depuis ,et peux dire auec verité , que ie ne me fusse iamaisimaginé que le mal de mer fust si fascheux et en-nuyeux commeie l’experimentay,me semblant n’auoiriamais tant souffert corporellement au reste de ma vie,comme le soufl’ris pendant trois mois six iours de naui-gation, qu’il nous fallut (à cause des vents contraires),pour trauerser ce grand et espouuentable Ocean, etarriuer à Kebec, demeure de nos Peres.

Or, pour ce que le Capitaine de nostre vaisseauauoit commission d’aller charger ll du sel en Broüage,il nous y fallut aller et passer deuant la Rochelle, à larade de laquelle nous nous arrestasmes deux iours,pendant que nos gens allerent negotier à la ville pourleurs affaires particulieres. Il y auoit la vn grandnombre de nauires Hollandais, tant de guerre quemarchands, qui alloient charger du sel en Broüage, età la riuiere de Suedre , proche Mareine : nous enauions desia trouué en chemin enuiron quatre-vingtsou cent en diuerses flottes, et aucun n’auoit couru surnous , en tant que nostre pauillon nous faisoit co-gnoistre ; il y eut seulement vn pirate Hollandois quinous voulut attaquer et rendre combat, ayant desia àce dessein ouuert ses sabords, et fait boire et armer sesgens; mais pour n’estre assez forts, nous gaignasmesle deuant à petit bruit, ce miserable traisnoit desiaquant-et-soy vn autre nauire chargé de sucre et autresmarchandises, qu’il auoit volé sur des panures Fran-çois et Espagnols qui venoient d’Espagne.

Page 40: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-- 7 .-De la Rochelle, on prend d’ordinaire vn pilote de

louage, pour conduire les nauires qui vont à la riuierede Suedre , à cause de plusieurs lieux dangereux ouil ll conuient passer, et est nécessaire que ce soit vnpilote du pays qui conduise en ces endroicts, pour cequ’vn autre ne s’y oserait hazarder, il arriua néant-moins que ce pilote de la Rochelle pensa nous perdre;car n’ayant voulu ietter l’anchre par vn temps debruine, comme on luy conseilloit, se fiant à sa sonde,il nous eschoüa sur les quatre heures du soir, ce futalors pitié , car on pensoit n’en eschapper iamais : etde faict , si Dieu n’eust calmé le temps, et retenunostre nauire de se coucher du tout, c’estoit faict dunauire et de tout ce qui estoit dedans. On demeuraainsi iusques enuiron les six ou sept heures du len-demain matin, que la marée nous mit sur pied; en cetendroict nous n’estions pas à plus d’vn bon quart delieuë de terre, et nous ne pensions pas estre si proches,autrement on y oust conduit la pluspait de l’équipageauec la chaloupe pendant ce danger, pour deschar-ger d’autant le nauire, et se sauuer tous, au cas qu’ilse fust encore tant-soit-peu couché ; car il l’estoit desiatellement, que l’on ne pouuoit plus marcher debout,ains se traisnant et appuyant des mains. Tous estoientfort affligez, et aucun n’eut le courage de boire ny[l manger, encore que le souper fust prest et seruy, et

les bidons et gamelles des matelots remplis : pourmoy i’estois fort débile et eusse volontiers prisquel-que chose; mais la crainte de mal edifier m’empeschaet me fit ieusner comme les autres, et demeurer enpriere toute la nuict auec mon compagnon, attendantla misericorde et assistance du bon Dieu: nos gens

10

Page 41: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-3mparloient desia de ietter en mer le pilote qui nous auoiteschoüez. Vue partie vouloient guigner l’esquif pourtascher à se sauuer, et le Capitaine menaçoit d’vncoup de pistolet le premier qui s’y aduanceroit, car saraison estoit: sauuer tout, ou tout perdre, et nostreSeigneur ayant pitié de ma foiblesse me fit la grâced’estre fort peu esmeu et estonné pour le danger pre-sent et éminent, ny pour tous autres que nous eusmespendant nostre voyage, car il ne me vint iamais en lapensée (me confiant en la diuine bonté, aux méritesde la Vierge et de tous les Saincts) que deussions pe-rir, autrement il y auoir grandement suiet de craindrepour moy, puis que les plus expérimentez pilotes etmariniers n’estoient pas sans crainte, ce qui estonnoit

r l tout plein de personnes, vn des- Il quels, comme faschéde me voir sans appréhension, pendant vne furieusetourmente de huict iours, me dit par reproche, qu’ilauoit dans la pensée que le n’estois pas Chrestien, den’apprehender pas en des périls si eminens, ie luy disque nous estions entre les mains de Dieu, et qu’il nenous aduiendroit que selon sa saincte volonté, et queie m’estois embarqué en intention d’aller gaigner desames à nostre Seigneur au pays des Sauuages, et d’yendurer le martyre, si telle estoit sa saincte volonté :que si sa diuine misericorde vouloit que ie périsse enchemin, que ie ne deuois pas moins que d’en estrecontent, et que d’auoir tant d’apprehension n’estoit

pas bon signe; mais que chacun deuoit plustosttascher de bien mettre son âme auec Dieu , et apresfaire ce qu’on pourroit pour se deliurer du danger etnaufrage, puis laisser le reste du soin à Dieu, et quebien que ie fusse vn grand pecheur , que le ne per-

Page 42: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-. 9 ---drois pas pourtant l’espérance et la confiance que ie de-uois auoir à mon Seigneur et à ses Saincts , qui es-toient tesmoins de nostre disgrace et danger, duquel

’ils pouuoient nous deliurer, auec le bon plaisir de sadiuine Majesté, quand il leur plairoit.

Apres estre deliurés du péril de la mon, et de laperte du nauire , qu’on croyoit inenitable , nousmismes la voile au vent, et arriuasmes d’assez bonneheure à la riuiere de Suedre, ou l’on deuoit chargerdu sel des marais de Mareine. Nous nous desem-barquasmes, et n’estans qu’à deux bonnes lieuesde Broüage, nous y allasmes nous rafraischir, auecnos Freres de la prouince de la Conception,qui y ontvn assez beau Couuent, lesquels nous y receurent etaccommoderent auec beaucoup de charité. Nostre na-uire estant chargé, et prest à se remettre à la voile,nous retournasmes nous y rembarquer, auec vn nou-ueau pilote de Mareine, pour nous reconduire iusqu’ala Rochelle, lequel pensa encore nous eschoüer, cequ’indubitablement nous aurions esté, s’il eust faicttant soit peu obscur. cela luy osta la présomption etvanité insupportable de laquelle enflé, il s’estimoit leplus habile pilote de cette mer, aussi estoit-il de la pre-tenduë Religion, et des plus opiniastres, ainsi qu’es-toit le premier qui nous auoit eschoüez, quoy queplus retenu et modeste.

Il Vers la Rochelle ily a vne grande quantité de mar-souins, mais nos matelots ne se mirent point en peined’en harponner aucun, mais ils pescherent quantitéde seiches, qui font grandement bonnes fricassées, etsemblent des blancs d’œufs durs fricassez: ils prin-drent aussi des grondins auec des lignes et hameçons

l2

I3

Page 43: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

I4

-.Io.-qu’ils laissoient traisner apres le nauire; ce sont pois-sons vn peu plus gros que des rougets, et desquels onfaisoit du potage qui estoit assez bon, et le poissonaussi]: pendant que ie me trouuois mal cela me forti-’fia vn peu 3 mais ie me desplaisois grandement que leChirurgien qui auoit soin des malades estoit Hugue-not, et peu affectionné enuers les Religieux , c’estpourquoy i’aymois mieux patir que de le prier, aussin’estoit-il gueres courtois à personne. Passant deuantl’Isle de Ré, on remplit nos bariques d’eau douce pour

nostre voyage, on mit les voiles au vent, et le cap à laroute de Canada, puis nous cinglasmes par la Man-che en haute mer, à la garde du bon Dieu, et à lamercy des vents.

A deux ou trois cens lieuës de mer, vn pirate ouforban nous vint recognoistre, et par mocquerie etmenace nous dit qu’il II parleroit à nous apres souper,il ne luy fut rien respondu, mais parti d’aupres denous on tendit le pont de corde, et chacun se tint surses armes pour rendre combat, au cas qu’il fust re-uenu, comme il auoit dict: mais il ne retourna pointà nous, ayant bien opinion qu’il n’y auoit que descoups à gaigner, et non aucune marchandise : toutes-fois il fut encore trois ou quatre iours à voltiger et rô-der à nostre veuë, cherchant à faire quelque prise etpiraterie.

Il arriua vn accident dans nostre nauire, le premieriour du mois de May, qui nous affligea fort. C’est lacoustume en ce mesme iour, que tous les matelotss’arment au matin, et en ordre font vne salue d’es-coupeterie au Capitaine du vaisseau: vn bon garçon ,peu vsité aux armes, par mesgard et imprudence,

Page 44: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

donna vne double ou triple charge à vn meschantmousquet qu’il auoit, et pensant le tirer il se creua,et tua le matelot qui estoit à son costé, et en blessavn autre legerement à la main. le n’ay iamais rienveu de si résolu comme ce pauure homme blessé àla mort : car ayant toutes les parties naturelles coup-pées et emportées, et quelques peaux des II cuisseset du ventre qui luy pendoient : apres qu’il futreuenu de pasmoison, à laquelle il estoit tombé ducoup, luy-mesme appela le Chirurgien, et l’enharditde coudre sa playe, et d’y appliquer ses remedes, etiusqu’à la mort parla auec vn esprit aussi sain etarresté, et d’vne patience si admirable, que l’on nel’eust pas iugé malade à sa parole. Le bon Pere Ni-colas le confessa, et peu de temps après il mourut :apres il fut enueloppé dans sa paillasse, et mis lelendemain matin sur le tillac z nous dismes l’Oflicedes morts, et toutes les prieres accoustumées, puis lecorps ayant esté mis sur vne planche, fut faict glis-ser dans la mer, puis vn tison de feu allumé, et vncoup de canon tiré, qui est la pompe funebre qu’onrend d’ordinaire à ceux qui meurent sur mer.

Depuis, nous fusmes agitez d’vne tourmente si fu-rieuse, par l’espace de sept ou huict iours conti-nuels, qu’il sembloit que la mer se deust ioindre auCiel, de sorte que l’on auoit de l’appréhension qu’il

se vint à rompre quelque membre du nauire, pourles grands coups de mer qu’il soufiroit à tout mo-ment, ou que les vagues furieuses, qui donnoientiusques par dessus II la dunette, abysmassent nostrenauire : car elles auoient desia rompu et emporté lesgalleries, auec tout ce qui estoit dedans: c’est pour-

B

6 un

ï?

Page 45: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

18

....12-quoy on fut contrainct de mettre bas toutes les voi-les, et demeurer les bras croisez, portez à la mercydes flots, et ballottez d’vne estrange façon pendantces furies. Que s’il y auoit quelque coffre mal amarré,on l’entendoit rouler, et quelsquefois la marmite estoitrenuersée, et en disnant ou soupant si nous ne te-nions bien nos plats, ils voloient d’vn bout de latable à l’autre, et les falloit tenir aussi bien que latasse à boire, selon le mouuement du nauire, quenous laissions aller à la garde du bon Dieu, puisqu’il ne gouuemoit plus.

Pendant ce temps-là, les plus deuots prioyent Dieu;mais pour les matelots, ie vous asseure que c’est alorsqu’ils sont moins deuots, et qu’ils taschent de dissi-muler l’appréhension qu’ils ont du naufrage, de peur

que venans à en eschapper ils ne soient gaussez lesvns des autres, pour la crainte et la peur qu’ils au-roient temoignées par leurs dénotions, ce qui est vnevraye inuention du diable, pour faire perdre les per-sonnes en mauuais estat. Il est Il tres-bon de ne sepoint troubler, voire tres-nécessaire pour chose quiarriue, à cause qu’on en est moins apte de se tirer dudanger; mais il ne s’en faut pas monstrer plus inso-lent, ains se recommander à Dieu, et trauailler à ceà quoy on pense estre expédient et nécessaire à sonsalut et deliurance. Or, ces tempestes bien sonnentnous estoient présagées par les Marsouins, qui en-uironnoient nostre vaisseau par milliers, se ioüansd’vne façon fort plaisante, dont les vns ont le museaumousse et gros, et les autres pointu.

Au temps de cette tourmente ie me trouuay vnefois seul auec mon compagnon , dans la chambre du

Page 46: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-13-Capitaine, où ie lisois pour mon contentement spiri-tuel, les Méditations de S. Bonauenture, le dict Peren’ayant pas encore acheué son Office, le disoit à ge-noüils, proche la fenestre qui regarde sur la gallerie,qu’à mesme temps vn coup de mer rompit vn aiz dusiege de la chambre, entre dedans, sousleue vn peuen l’air ledit Pere, et m’enueloppe une partie ducorps, ce qui m’esbloüit toute la veuë : neantmoins,sans autrement m’estonner, ie me leue diligemmentd’où i’estois assis, à tastons, i’ouure Il la porte pour

donner cours à l’eau, me ressouuenant auoir ouy direqu’vn Capitaine auec son fils, se trouuerent vn iournoyez par vn coup de mer qui entra dans leur cham-bre. Nous eusme’s aussi par fois des ressaques ius-qu’au grand mast, qui sont des coups tres-dangereuxpour enfoncer vn nauire dans l’abysme des eauës.Quand la tempeste nous prit nous estions bien auantau delà des Isles Açores, qui sont au Roy d’Espagne,desquelles nous n’approchasmes pas plus prés qued’vne iournée.

Ordinairement, apres vne grande tempeste vientvn grand calme, comme en effet nous en auions quel-quesfois de bien importuns, qui nous empeschoientd’aduancer chemin , durant lesquels les Matelotsioüoient et dansoient sur le tillac; puis quand onvoyoit sortir de dessous l’horizon vn nuage espais,c’estoit lors qu’il falloit quitter ces exercices, et seprendre garde d’vn grain de vent qui estoit enue-loppé la dedans, lequel se desserrant, grondant etsifflant, estoit capable de renuerser nostre vaisseausens dessus-dessous, s’il n’y eust eu des gens prestsà executer ce que le maistre du nauire leur com-

l9

Page 47: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

20

21

- 14 .-mandoit. Or, le calme qui nous arriua apres cettegrande tempeste nous seruit fort à propos, pour tirerde la mer vn grand tonneau de tres-bonne huiled’oliue, que nous apperceusmes assez proche de nous,flottant sur les eauës, nous en apperceusmes encorevn autre deux ou trois iours aptes : mais la mer quicommençoit fort à s’enfler, nous osta le moyen del’auoir : ces tonneaux , comme il est à coniecturer,pouuoient estre de quelque nauire brizé en mer parces furieuses tourmentes et tempestes que nous auionssouffertes peu de temps auparauant.

Quelques iours après nous rencontrasmes vn petitnauire Anglois, qui disoit venir de la Virginie, et dequelqu’autre contrée, car il auoit quantité de palmes,

du petun, de la cochenille et des cuirs, il estoit toutdesmaté des coups de vent qu’il auoit souffert, etpour pouuoir s’en retourner au pays d’Angleterre etd’Escosse, d’où la pluspart de son équipage estoit ,ils auoient accommodé leur mast de misaine qui seulleur estoit resté, à la place du grand mast qui s’es-toit rompu, et les autres aussi. Il pensoit s’esquiuer .et fuite; mais nous allasmes à luy et l’ar- II restasmes,luy demandant, selon la coustume de la mer, à celuyqui est, ou pense estre le plus fort : d’où est le nauire,il respondit d’Angleterre, on luy répliqua: amenez,c’est à dire, abaissez vos voiles, sortez vostre cha-louppe, et venez nous faire voir vostre congé, pouren faire l’examen, que si on est trouué sans le congéde qui il appartient, on le faict passer par la loy etcommission de celuy qui le prend : mais il est vray.qu’en cela, comme en toute autre chose, il se com-met souuent de tres-grands abus, pour ce que tel

Page 48: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-]5.-.feint estre marchand, et auoir bonne commission,qui luy mesme est pirate et marchand tout ensem-ble, se seruant des deux qualitez selon les occasionset rencontres, et ainsi nos matelots désiroient-ils larencontre de quelque petit nauire Espagnol, où ilse trouue ordinairement de riches marchandises, pouren faire curée, et contenter leur conuoitise : c’estpourquoy il ne faut s’approcher d’aucun nauire enmer qu’à bonnes enseignes, de peur qu’vn forban nesoit pris par vn autre pirate. Que si demandant d’oùest le nauire on respond, de la mer, c’esta dire, escu-meur de mer, c’est qu’il faut venir à bord, et rendrecom- II bat, si on n’ayme mieux se rendre à leurmercy et discretion du plus fort.

C’est aussi la coustume en mer, que quand quel-que nauire particulier rencontre vn nauire Royal, dese mettre au dessous du vent, et se presenter nonpoint coste-à-coste; mais en biaisant, mesme d’abat-tre son enseigne (il n’est pas neantmoins de besoind’en auoir en si grand voyage sinon quand on ap-proche de terre, ou quand il se faut battre).

Pour reuenir à nos Anglois, ils vindrent enfin anous, sçauoir leur maistre de nauire, et quelques au-tres des principaux, non toutefois sans vne grandecrainte et contradiction, car ils pensoient qu’on lestraiteroit de la mesme sorte qu’ils ont accoustumé detraiter les François quand ils en ont le dessus : c’estpourquoy ce Maistre de nauire offrit en particuliera nostre Capitaine, moy présent, tout ce qu’ils auoientde marchandise en leur nauire, moyennant la viesaune, et qu’ainsi despoüillez de tout, fors d’vn peu

de viures, on les laissast aller; mais on ne leur fit

22

Page 49: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

23

s

-16.-.aucun tort, et refusa-t-on leur offre, seulement on ac-cepta un baril de patates (ce sont certaines racinesdes Indes, en forme de gros Il naueaux; mais d’vngoust beaucoup plus excellent) et vn autre de petun,qu’ils offrirent volontairement au Capitaine, et à moyvn cadran solaire que ie ne voulois accepter de peurde leur en incommoder: car mon naturel ne sçauroitaffliger l’affiigé, bien qu’il ne merite compassion.

Le Capitaine de nostre vaisseau, comme sage, nevoulut rien determiner en ce faict de say-mesme,sans l’auoir premierement communiqué aux princi-paux de son bord, et nous pria d’en dire nostre aduis,qui estoit celuy que principalement il desiroit sui-ure, pour ne rien faire contre sa conscience, ou quifust digne de reprehension. Pendant que nous es-tions en ce conseil, an suoit ennoyé quantité de noshommes dans ce nauire Anglais pour y estre les plusforts, et en ramener les principaux des leurs dans lenostre, excepté leur Capitaine lequel estoit malade,de laquelle maladie il mourut la nuict mesme. Apresauoir veu tous les papiers de ces panures gens, ettrouué prés d’vn boisseau de lettres qui s’adressaientà des particuliers d’Angleterre, on conclud qu’ils nepouuoient estre forbans, bien que leur congé ne fust

24 que trop vieux obtenu, attendu Il qu’outre qu’ilsestoient peu de monde, et encore fort faiblement ar-mez, ils auoient quelques charte-parties, puis toutesces lettres les mettoient hors de soupçon, et ainsi onles renuaya en leur nauire, apres nous auoir accom-pagnez trois iours, et pleurant d’ayse d’estre deliurezde l’esclauage ou de la mort [qu’ils attendoient : ils,nous firent mille remerciemens d’auoir parlé pour

Page 50: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-[7-.eux, et se prosternoient iusqu’en terre, contre leurcoustume, en nous disant adieu.

le me recreois par fois, selon que ie me trouuoisdisposé, à voir ietter l’esuent aux Baleines, et ioüerles petits Balenots, et en ay veu vne infinité, parti-culierement à Gaspé, ou elles nous empeschoientnostre repos par leurs soufflemens et les diuersescourses des Gibars et Baleines. Gibar est vne especede Baleine, ainsi appellée , àcause d’vne bosse qu’il

semble auoir, ayant le dos fort esleué, ou il portevne nageoire. Il n’est pas moins grand que les Ba-leines, mais non pas si espais ny si gros, et a lemuseau plus long et plus aigu , et vn tuyau sur lefront, par ou il iette l’eau de grande violence, quel-ques-vns à cette cause, l’appellent souffleur. Toutesles fe-[Imelles Baleines portent et font leurs petitstous vifs, les allaitent, conurent et contre-gardent deleurs nageoires. Les Gibars et autres Baleines dor-ment tenans leurs testes esleuées vn peu hors, telle-ment que ce tuyau est à descouuert et à fleur d’eau.Les Baleines se voyent et descouurent de loin parleur queuë qu’elles monstrent saunent s’enfonçansdans la mer, et aussi par l’eau qu’elles iettent parles esuans, qui est plus d’vn poinçon à la fois, et de

la hauteur de deux lances, et de cette eau que laBaleine iette, on peut iuger ce qu’elle peut rendred’huile. Il y en a telle d’où l’on en peut tirer iusqu’à

plus de quatre cens barriques, d’autres six-vingtspoinçons, et d’autres moins, et de la langue on entire ordinairement cinq et six barriques : et Plinerapporte , qu’il s’est trouué des Baleines de six cens

25

Page 51: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

26

27

.-.18-pieds de long, et trois cens soixante de large. Il y ena desquelles on en pourroit tirer dauantage.

A mon retour ie vis tres-peu de Baleines à Gaspé ,en comparaison de l’année precedente, et ne peuxen conceuoir la cause ny le pourquoy , sinon que cesoit en partie la grande abondance de sang que Ilrendit la playe d’vne grande Baleine, que par plaisirvn de nos Commis luy auoir faite d’vn coup d’ar-quebuse àcroc, chargée d’une double charge : ce n’est

neantmoins ny la façon , ny la manière de les auoir :car il y faut bien d’autre inuention , et des artificesdesquels les Basques se sçauent bien seruir, c’estpourquoy ie n’en fais point de mention , et me con-tente que d’autres Autheurs en ayent escrit.

La première Baleine que nous vismes en pleinemer estoit endormie , et passant tout auprès on de-tourna vn peu le nauire, craignant qu’à son resueilelle ne nous causast quelque accident. l’en vis vneentre les autres espouuentablement grosse, et telleque le Capitaine, et ceux qui la virent , dirent asseu-rement n’en auoir iamais veu de plus grosse. Ce quifit mieux recognoistre sa grosseur et grandeur est, quese demenant et soustenant contre la mer, elle faisaitvoir une partie de son grand corps. le m’estonnayfort d’vn Gibar , lequel auec sa nageoire ou de saqueuë, car ie ne pouuois pas bien discerner ou recog-noistre duquel c’estoit, frappoit si furieusement fortsur l’eau , qu’on le pouvoit entendre de fort loin , etme dit-on que c’estoit pour H estonner et amasser lepoisson, pour aptes s’en gorger. le vis vn iour vnpoisson de quelque dix ou douze pieds de longueur,

Page 52: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-.19-et gros à proportion, passer tout ioignant nostre na-uire : on me dit que c’estoit un Requiem, poisson faitfriand de chair humaine, c’est pourquoy qu’il ne faitpas bon se baigner où il y en a, pource qu’il ne man-que pas d’engloutir les personnes qu’il peut attraper,ou du moins quelque membre du corps, qu’il coupeaysement auec ses deux ou trois rangées de dentsqu’il a en sa gueule, et n’estoit qu’il luy convient tour-

ner le ventre en haut ou de costé pour prendre saproye, a cause que comme vn Esturgeon, il a sa gueulesous vn long museau, il devoreroit tout : mais il luyfaut du temps a se tourner, et par ainsi il ne faict pastout le mal qu’il feroit, s’il auoit sa gueule autrement.

Assez proche du Grand-Banc, vn de nos matelotsherponna vne Dorade, c’est, aman aduis, le plus beaupoisson de toute la mer 3 car il semble que la Naturese soit delectée et ait pris plaisir à l’embellir de ses di-uerses et viues couleurs : de sorte mesme qu’il es-blauit presque la veue Il des regardans, en se diuersi-fiant et changeant comme le Cameleon, et selon qu’ilapproche de sa mort il se diuersifie et se change enses viues couleurs. Il n’auoit pas plus de trois piedsde longueur, et sa nageoire qu’il auoir dessus le dosluy prenoit depuis la teste iusqu’à la queuë, toute do-rée et counerte comme d’vn or tres-fin : comme aussila queuë, ses aislerons ou nageoires, sinon que par-fois il paraissoit de petites taches de la couleur d’vntres-fin azur, et d’autres de vermillon, puis commed’vn argenté; le reste du corps est tout doré, argenté,

azuré, vermillonné, et de diuerses autres couleurs,il n’est pas gueres large sur le dos, ains estroict, et leventre aussi; mais il est haut et bien proportionné à.

28

Page 53: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

29

30

-2o....sa grandeur: nous le mangeasmes, et trouuasmestres-bon, sinon qu’il estoit un’peu sec, quand il fut pris

il suyuoit et se iouoit à nostre vaisseau,car le naturelde ce poisson suit volontiers les nauires : mais on envoit peu ailleurs qu’aux Molucques. Nous tirasmesaussi de la mer vn poisson mort, de mesme façonqu’vne grosse perche, qui auoit la moitié du corpsentierement rouge; mais aucun de nos gens ne peutiamais dire ny iuger quel poisson Il c’estoit. l’ay aussiquelquesfois veu voler hors de l’eau des petits pois-sons, enuiron de la longueur de quatre ou cinq pieds,fuyans de plus gros poissons qui les poursuyuoient.Nos matelots herponnerent vn gros Marsain femelle,qui en auait vn petit dans le ventre, lequel fut lardéet rosty en guise d’vn leuraut, puis mangé , et la fe-melle aussi, laquelle nous seruit plusieurs iours : cequi nous fut vne grande regale pour estre las de Sa-lines, qui est la viande ordinaire de la mer.

Assez prés du Grand-Banc il se voit vn grand nom-bre d’oyseaux de mer de diuerses especes, dont les plusfréquents sont des Godets, Happe-foyes et autres,que nous appelons Fouquets, ressemblans aucune-ment au pigeon , sinon qu’ils sont encor vne fois plusgros, ont les pattes d’ayes, et se repaissent de poisson.Ces oyseaux seruent de signal aux mariniers de l’ap-proche dudict Grand-Banc, et de certitude de leurdroicte route z mais ie m’esmcrueille, auec plusieursautres, ou ils peuuent faire leurs nids, et esclore leurspetits, estans si esloignez de terre. Il y en a qui asseu-rent, apres Pline, que sept iours auant, et sept ioursapres le Solstice d’hy- il uer la mer se tient calme , etque pendant ce temps-là les Alcyons font leurs nids,

Page 54: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-21...leurs œufs, et escloient leurs petits, et que la naui-gation en est beaucoup plus asseurée z mais d’autresne l’asseurent neantmoins que de la mer de Sicile,c’est pourquoy ie laisse la chose à decider a de plussages que moy. Nous prismes à Gaspé vn de ces Fou-quets auec vne longue ligne, à l’ain de laquelle yauoit des entrailles de moluës fraisches qui est l’in-uention dont on se sert pour les prendre. Nous enprismes encor vn autre de cette façon, vn de ces Fou-quets grandement affamé, voltigeoit à l’entour de no-stre nauire cherchant quelque proye : l’vn de nos ma-telots aduisé, luy presente vn hareng qu’il tenoiten sa main , et l’oyseau affamé y descend, et le gar-çon habile le prit par la patte, et fut pour nous. Nousle nourrismes et conseruasmes vn assez long tempsdans un seau couuert, ou il ne se demenait aucune-ment 3 mais il sçauoit fort bien pincer du bec quandon s’en vouloit approcher. Plusieurs appellent com-munement cet ayseau Happe-foyes, à cause de leurauidité a recueillir et se gorger des foyes des moluësque l’on iette en mer apres Il qu’on leur a ouuert leventre, desquels ils sont si frians, qu’ils se bazardentd’approcher du vaisseau et nauire, pour en attrappera quelque prix que ce soit.

Le Grand-Banc, duquel nous auons desia parlé, etau trauers duquel il nous conuenoit passer : cesont hautes montagnes, assises en la profonde racinedes abysmes des eaux, lesquelles s’esleuent iusqu’àtrente, quarante et soixante brasses de la surface de lamer. On le tient de six-vingts lieuës de long, d’autresdisent de deux cens, et soixante de large, passé lequel

I on ne trouue plus de fond, non plus que par-deçà,

31

Page 55: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

32

-22...iusqu’a ce qu’on aborde la terre. Nous y eusmes leplaisir de la pesche des moluës: car c’est le lieu ouplus particulierement on y en pesche grande quantité,et sont des meilleures de Terre-Neuue : en passantnous y en peschasmes vn grand nombre, et quelquesFlettans fort gros, qui est vn fort bon poisson; maisil faict grandement la guerre aux moluës, qu’ilmange en quantité, bien que sa gueule soit petite, àproportion de son corps , qui est presque faict en laforme d’vn turbot ou barbue, mais dix fois plusgrand : ils sont fort bons à manger grillés et H bouil-lis par tranches. Cela est admirable, combien les mo-luës sont aspres a aualler ce qu’elles rencontrent etleur vient au deuant, soit l’amorce, fer, pierre, outoute autre chose qui tombe dans la mer, que l’on re-trouue par-fois dans leur ventre, quand elles ne lepeuuent reuomir, c’est la cause pourquoy l’on enprend si grand quantité : car à mesme temps qu’ellesapperçoiuent l’amorce, elles l’engloulissent; mais il

faut estre soigneux de tirer promptement la ligne,- autrement elles reuomissent l’ain, et s’eschappent sou-

uent.Je ne sçay d’où en peut procéder la cause, mais il

fait continuellement vn brouillas humide, froid etpluuieux sur ce Grand-Banc, aussi bien en pleinEsté comme en Automne, et hors dudict Banc il n’ya rien de tout cela, c’est pourquoy il y feroit grande-ment ennuyeux et triste, n’estoit le divertissement etla recréation de la pesche. Vue chose, entr’autres,me donnoit bien de la peine lors que ie me portoismal : vne grande enuie de boire vn peu d’eau douce,et nous n’en auions point, par ce que la nostre estoit’

Page 56: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-33-.deuenue puante , à cause du long- temps quenous estions sur mer, et si le cidre ne me sembloit Ilpoint bon pendant ces indispositions, ct encore moinspouvois-ie vser d’eau de vie, ny sentir le pétun oumerluche, et beaucoup d’autres choses , sans metrouuer mal du cœur, qui m’estoit comme empoi-sonné, et souuent bondissant contre les meilleuresviandes et rafraischissemens : estre couché ou ap-puyé me donnoit quelque allegement, lors principa-lement que la mer n’estoit point trop haute; maislors qu’elle estoit fort enflée, i’estois bercé d’vne mer-

ueilleuse façon, tantost couché de caste, tantost lespieds esleuez en haut, puis la teste, et tousiours auecincommodité à l’ordinaire, que si on se portoit bientout cela ne seroit rien neantmoins, et s’y accoustu-meroit-on aussi gayement que les matelots : mais entoutes choses les commencemens sont tousiours difli-ciles, qui durent quelquesfois fort long-temps surmer, selon la complexion des personnes, et la force deleurs estomachs.

Quelque temps apres auoir passé le Grand-Banc,nous passasmes le Banc-à-Vers , ainsi nommé, acause qu’aux moluës qu’on y pesche, il s’y trouue

des petits boyaux comme vers, qui remuent : et sielles ne sont si bonnes ny si blanches a H mon aduis.Nous passasmes apres tout ioignant le Cap Breton (quiest estimé par la hauteur de 45. degrez 3. quarts de la-titude, et r4. degrez 50. minutes de déclinaison del’Aimant) entre ledict Cap Breton et l’Isle SainctPaul, laquelle Isle est inhabitée, et en partie pleinede rochers, et semble n’auoir pas plus d’vne lieuëde longueur ou enuiron 3 mais ledit Cap Breton que

33

34

Page 57: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

35

nous auions à main gauche, est vne grande Isle enforme triangulaire, qui a 80. ou IOO. lieuës de cir-cuit, et est vne terre eslevée, et me sembloit voirl’Angleterre selon qu’elle se presenta à mon obier,pendant les quatre iours que pour cause des ventscontraires nous conuiasmes contre la caste : cetteterre du Cap Breton est vne terre sterile, neantmoinsagreable en quelques endroicts, bien qu’on y voyepeu saunent des Sauuages, a ce qu’on nous dist. A lapoincte du Cap, qui regarde et est vis-à-vis de l’IsleSainct Paul, il y a vn Tertre esleué en forme quar-rée, et plate au-dessus, ayant la mer de trois castez,et vn fossé naturel qui le separe de la terre ferme : celieu semble auoir esté faict par industrie humaine,pour y bastir vne forteresse au dessus Il qui seroit im-prenable, mais l’ingratitude de la terre ne merite pasvne si grande despence, ny qu’on pense à s’habitueren lieu si miserable et sterile.

Estans entrez dans le Golfe, ou grande baye St.Laurent, par ou on va à Gaspé et Isle Percée, etc.,nous trouuasmes dés le lendemain l’Isle aux Oyseaux,tant renommée pour le nombre infiny d’oyseaux quil’habitent : elle est esloignée enuiron quinze ouseize lieuës de la Grand’Terre, de sorte que de la onne la peut aucunement descouvrir. Cette Isle est esti-mée en l’esleuation du Pale de 49. degrez 4o. minutes.Ce rocher ou Isle, aman aduis, plat un peu en talus,et a enuiron vne petite lieuë de circuit, et est presqueen aualle, et d’assez difficile accez : nous auions pro-posé d’y monter s’il eust faict calme, mais la mer vn

peu trop agitée nous en empescha. Quand il y faictvent, les oyseaux s’esleuent facilement de terre, autre-

Page 58: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-.25.-.ment il y en a de certaines especes qui ne peuuentpresque voler, et qu’on peut aysement assommer àcoups de bastons, comme auoient faict les matelotsd’vn autre nauire, qui auant nous en auoient emplyleur chalouppe , et plusieurs tonneaux des œufsqu’ils trouuèrent auxnids; mais ils y penserent tomberde faiblesse, pour la puanteur extrême des orduresdesdicts oyseaux. Ces oyseaux pour la pluspart, neviuent que de poisson, et bien qu’ils soient de diuer-ses especes, les vns plus gros, les autres plus petits,ils ne font point pour l’ordinaire, plusieurs trouppes;ains comme vne nuée espaisse volent ensemblementau dessus de l’Isle, et aux enuirons, et ne s’escartentque pour se’gayer, eslever et se plonger dans la mer:il y auoit plaisir à les voir librement approcher etroder à l’entour de nostre vaisseau, et puis se plongerpour un long temps dans l’eau, cherchant leur proye.Leurs nids sont tellement arrangez dans l’lsle selonleurs especes, qu’il n’y a aucune confusion , mais unbel ordre. Les grands oyseaux sont arrangez plus pro-ches de leurs semblables, et les moins gros ou d’autresespeces, auec ceux qui leur conuiennent, et de tousen si grande quantité, qu’à peine le pourroit-on ia-mais persuader a qui ne l’aurait veu. l’en mangeayd’vn, que les Matelots appellent Guillaume, et ceuxdu pays Apponath, de plumage blanc et noir, et groscomme vne poule, auec vne n courte queuë et de peti-tes aisles, qui ne cedoit en bonté à aucun gibier quenous ayons. Il y en a d’vne autre espèce, plus petitsque les autres, et sont appellez Godets. Il y en a aussid’vne autre sorte , mais plus grands, et blancs, sepa-rez des autres en vn canton de l’Isle, et sont tres-diffi-

36

Page 59: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

38

-26-ciles à prendre, pource qu’ils mordent comme chiens,et les appelloient M argaux. I

Proche de la mesme Isle il y en a vne autre plus pe-tite, et presque de la mesme forme, sur laquelle quel-ques-vns de nos Matelots estoient montez en vn autrevoyage precedent, lesquels me dirent et asseurerenty auoir trouué sur le bord de la mer, des poissons groscomme vn bœuf et qu’ils en tuerent vn, en luy don-nant plusieurs coups de leurs armes par dessousle ventre, ayans auparauant frappé en vain vne infi-nité de coups, et endommagé leurs armes sur les au-tres parties de son corps, sans le pouuoir blesser, pourla grand’ dureté de sa peau, bien que d’ailleurs ilsoitquasi sans deffence et fort massif.

Ce poisson est appellé par les Espagnols Maniti, etpar d’autres Hippotame, c’est à dire, chenal de riuiere,et pour moy ie le Il prendspourl’Elephant de mer: caroutre qu’il ressemble àvne grosse peau enflée, il a en-core deux, pieds qui sont ronds, avec quatre onglesfaicts comme ceux d’vn Elephant, a ses pieds il aaussi des aillerons ou nageoires, auec lesquelles il nage,et les nageoires qu’il a sur les espaules s’estendent parle milieu iusques à la queue.

Il est de poil tel que le loup marin, sçauoir gris ,brun, et vn peu rougeastres. Il a la teste petite commecelle d’vn bœuf, mais plus descharnée, et le poil plus

gros et rude, ayant deux rangs de dents de chacuncosté, entre lesquelles y en a deux en chacune part,pendant de la machoire supérieure en bas, de la formede ceux d’un jeune Elephant, desquelles cet animals’ayde pour grimper sur les rochers (a cause de cesdents, nos Mariniers l’appellent la beste àla grand’-

Page 60: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

....27-.dent). Il a les yeux petits, et les anreilles courtes, ilest long de vingt pieds, et gros de dix, et est si lourdqu’il n’est possible de plus. La femelle rend ses petits

comme la vache, sur la terre, aussi a-elle deux mam-melles pour les allaicter: en le mangeant il sembleplustost chair que poisson, quand il est fraiz vous di-riez H que ce seroit veau : et d’autant qu’il est des pois-

sons cetases, et portans beaucoup de lard, nos Basqueset autres Mariniers en tirent des huiles fort-bonnes,comme de la Baleine, et ne rancit point, ny ne sentiamais le vieil. Il a certaines pierres en la teste, des-quelles on se sert contre les douleurs de la pierre, etcontre le mal de caste. On le tue quand il paist del’herbe à la rine des rinieres on de la mer, on le prend

aussi auec les rets quand il est petit; mais pour ladifficulté qu’il y a a l’auoir, et le peu de profit quecela apporte, outre les hazards et dangers ou il se fautmettre, cela faict qu’on ne se met pas beaucoup enpeine d’en chercher et chasser. Nostre Pere Ioseph medit auoir veules dents de celuy qui fut pris, et qu’ellesestoient fort grosses, et longues a proportion.

Le lendemain nous eusmes la veuë de la montagne,que les Matelots ont surnommée Table de Roland, acause de sa hauteur , et les diverses entre coupuresqui sont au coupeau, puis peu à peu nous appro-chasmes des terres iusques a Gaspé, qui est estimé sousla hauteur de 4o. degrés deux tiers de latitude, ou nousposasmes l’anchre pour quelques iours. Cela nous"fut vne grande consolation: car outre le desir et

la neçessité que nous auions de nous approcher dufeu, à cause des humiditez de la mer, l’air de la terrenous sembloit grandement soüef : toute cette Baye es-

C

39

4o

Page 61: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

41

-28-toit tellement pleine de Baleines, qu’à la fin elles nousestoient fort importunes , et empeschoient nostre re-pos par leur continuel tracas , et le bruit de leurs es-uents. Nos Matelots y pescherent grande quantité deHomars , Truites et autres diuerses especes de pois-sons , entre lesquels y en auoir de fort laids , et quiressembloient aux crapeaux.

Toute cette contrée de terre est fort montagneuse ethaute presque par tout, ingrate et sterile, n’y ayant rienquedes Sapiniers, Bouleaux, et peu d’autres bois. De-uant la rade,en vn lieu vn peu esleué, on a fait vu petitjardin , que les Matelots cultiuent quand ils sont ar-riuez la, ils y sèment de l’ozeille et autres petites her-bes , lesquelles seruent a faire du potage : ce qu’il y ade plus commode et consolatif, apres la pesche et lachasse qui est médiocrement bonne, est un beau ruis-seau d’eau douce tres-bonne a boire, qui descend auport dans la mer , de dessus les Il hantes montagnesqui sont à l’opposite , sur le coupeau desquelles mepromenant par-fois, pour contempler l’embouchenredu grand fieuue Sainct Laurent, par lequel nous de-vions passer pour allerà Tadoussac : apres auoir don-blé cette langue de terre et Cap de Gaspé, i’y vis quel-ques lenranx et perdrix , comme celles que i’ay veuësdu depuis dans le pays de nos Hurons : et comme iedésirois m’employer tousiours à quelque chose depieux, et qui me fournit d’vn renouuellement de fer-uenr a la poursuite de mon dessein , ie grauois auecla poincte d’vn coustean dans l’escorce des plus grandsarbres, des Croix et des noms de lasvs, pour signifierà Satan et a ses supposts , que nous prenions posses-sion de cette terre pour le Royaume de Iesus-Christ,

Page 62: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

...29-.et que doresnauant il n’y auroit plus de pouuoir , etque le seul et vray Dieu y seroit recogneu et adoré.

Ayant laissé notre grand vaisseau au port, et donnéordre pour la pesche de la Moluë, nous nous embar-quasmesdans une pinace nommée la Magdeleine, pouraller a Tadoussac , la voile au vent , et le cap estantdoublé seulement au troisiesme Il iour , à cause desdes vents et marées contraires , nous passasmes tous-iours costoyans à main gauche , la terre qui est forthaute, et ensuite les Monts nostre Dame, pour lorsencore en partie counerts de neige , bien qu’il n’y eneust plus partout ailleurs. Or les matelots qui ordi-nairement ne demandent qu’à rire et se recreer, pouradoucir et mettre dans l’oubli les maux passez , fonticy des ceremonies ridicules à l’endroict des nouveauxvenus, (qui n’ont encore pû estre empeschées par lesReligieux ) vn d’entr’eux contrefait le Prestre , quifeint de les confesser, en marmottant quelques motsentre ses dents, puis auec vne gamelle ou grand platde bois , luy verse quantité d’eau sur la teste , auecdes ceremonies dignes des Matelots; mais pour en es-tre bien-test quittes, et n’encaurir une plus grande ri-gueur, il se faut racheter de quelque bouteille de vin,ou d’eau de vie, on bien ilse faut attendre d’estre bienmouillé. Que si on pense faire le mauuais ou le retif,l’on a la teste plongée iusques par sous les espaules,dans vn grand bacqnet d’eau qui est la disposé toutexprez, comme je vis faire à vn grand garçon quipensoit résister en la l] presence du Capitaine, et detous ceux qui assistoient à cette ceremonie; maiscomme le tout se faict selon leur coustume ancienne,par recreation : aussi ne veulent-ils point que l’on se

4a

43

Page 63: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-3o-desdaigne de passer par la loy , ains gayement et debonne volonté s’y sansmettre, i’entends les personnes

seculieres, et de mediocre condition, ausquelles sen-les on fait obseruer cette loy.

L’lsle d’Anticosty , on l’on tient qu’il y a des Ours

blancs monstrueusement grands , et qui deuorent leshommes comme en Noruegne , longue d’enuiran 3o.ou 4o. lieues , nous estoit a main droicte , et en suitedes terres plattes couvertes de Sapiniers, et autres pe-tits bois, iusqu’à la rade de Tadoussac. Cette Isle,auec le Cap de Gaspé, opposite, font l’embouchenre dece fieuue, que nous appelons de Sainct Laurent, admi-rable, en ce qu’il est vn des plus beaux fieunes dumonde , comme m’ont aduoné dans le pays des per-sonnes mesmes qui auoient faict le voyage des Moine-ques et Antipodes. Il a son entrée selon qu’on peutpresumer et iuger, prés de 20. ou 25.1ienës de large,plus de zoo. brasses de profondeur , et plus de 800.

44 lienës de cognoissance ; et au bout de H 400. lienës elleest encore aussi large que les plus grands flenues quenous ayons remarquez , remplie ’par endroicts) d’Isles

et de rochers innumerables; et pour moy ie peux as-senrer que l’endroict le plus estroict que i’ay veu, passela largeur de 3. et4. fois la riuiere de Seine, et ne pensepoint me tromper, et ce qui est plus admirable, quel-ques-vns tiennent que cette riuiere prend son originede l’un des lacs qui se rencontrent au fil de son cours,si bien (la chose estantainsi) qu’il faut qu’il yait deuxcours, l’vn en Orient vers la France, l’antre en 0c-cident, vers la mer du Su, et me semble que le lac desShequaneronons a de mesme deux descharges opposites,produisant une grande riuiere , qui se va rendre dans

Page 64: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-3;-le grands lac des Humus , et vne antre petite toute àl’opposite qui descend et prend son cours du costé deKebec, et se perd dans un lac qu’elle rencontre à 7. ou8. lieuës de sa source : ce fut le chemin par on mesSaunages me ramenerent des Hurons, pour retrouuernostre grand fleuue Sainct Laurent, qui conduit àKebec.

Continuant nostre route , et voguant sur nostrebeau fleuve, a quelques iours de la Il nous arrivasmesà la rade de Tadoussac , qui est à une lieuë du port ,et cent lienës de l’emboucheureçde la riuiere , qui n’a

en cet endroict plus que sept on huict lieuës de large :le lendemain nous doublasmes la pointe aux Vaches ,et entrasmes au port, qui est iusques ou peuuent allerles grands vaisseaux z c’est pourquoy on tient la desbarques et chaloupes exprez , pour descharger les na-uires, et porter ce qui est necessaire à Kebec, y ayantencor enuiron 50. lienës de chemin par la riuiere:car de penser y aller par terre, c’est ce qui ne se peutesperer, ou du moins semble-il impossible pour leshantes montagnes, rochers et precipices on il se con-uiendroit exposer et passer : ce lieu de Tadoussac estcomme vne anse à l’entrée de la riuiere de Saguenay,où il y a vne marée fort estrange pour sa vistesse, onquelques fois il vient des vents impetueux, qui amei-nent de grandes froidures : c’est pourquoy il y fait plusfroid qu’en plusieurs autres lieux plus esloignez duSoleil de quelques degrés.

Ce port est petit, et n’y pourroient s’abriter qu’en-

uiron 2o. on 25. vaisseaux au plus. Il y a de l’eau as-sez, et est àl’abry de la riuiere du Il Saguenay, et d’vne

petite Isle de rochers, qui est presque coupée de la

45

46

Page 65: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

47

-32...mer, le reste sont montagnes hantes esleuées , au il ya peu de terre, mais force rochers et sables remplis debois, comme Sapins et Bouleaux, puis vne petite prai-rie et forest auprès, tout ioignant la petite Isle de r0-chers, à main droicte tirant à Kebec, est la belle ri-uiere du Saguenay , bordée des deux costez de hauteset steriles montagnes , elle est d’vne profondeur in-croyable, comme de r 50. ou zoo. brasses, elle contientde large demie-lieue en des endroicts , et vn quart enson entrée , on il y a vn courant si grand , qu’il esttrois quarts de marée couru dedans la riuiere qu’elleporte encore dehors, c’est pourquoy on apprehendegrandement, ou que son courant ne reiette et empes-che d’entrer au port, on que la forte marée n’entraisne

dans la riuiere, comme il est vne fois àrriuéïa Mon-sieur de Pontgraué, lequel s’y pensa perdre, a ce qu’ilnous dit, pour ce qu’il n’y peut prendre fonds, ny nesçauoit comment en sortir, ses anchres ne lui seruansde rien, ny tontes les industries humaines, sans l’as-sistance particuliere de Dieu ., qui seul le sauna, etIl empescha de briser son infortuné nauire.

A la rade de Tadoussac , au lieu appelé la Poincteaux Vaches, estoit dressé au haut du mont, vn villagede Canadiens, fortifié à la façon simple et ordinairedes Hurons , pour crainte de leurs ennemis. Le na-uire y ayant ietté l’anchre, attendant le vent et la ma-rée propre pour entrer au port ie descendis à terre ,fus visiter le village , et entray dans les cabannes desSaunages , lesquels ie tronnay assez courtois , m’as-seant par-fois auprés d’eux , ie prenois plaisir a leurspetites façons de faire, et à voir trauailler les femmes,les vnes à matachier et peinturer leurs robes, et les

Page 66: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-33-.autres à coudre leurs escuelles d’escorces], et faireplusieurs antres petites ioliuetez auec des poinctes deporc-espics, teintes en rouge cramoisi. A la verité ietrounai leur manger maussade et fort a contre-cœur,comme n’estant accoustumé à ces mets saunages, quoyque leur courtoisie et ciuilité non saunage m’en offrit,comme aussi d’vn peu d’eau de riuiere à boire , quiestoit la dans vn chaudron fort mal net, de quoy ieles remerciay humblement. Apres, ie m’en allay auport par le chemin [I de la farest, auec quelques Fran- 48çois que i’auois de compagnie : mais à peine y fusmes-nous arrinez, et entrez dans nostre barque, qu’il pensanous y arriuer quelque disgrace. Ce fut que le prin-cipal Capitaine des Saunages, que nous nommons laForière , estant venu nous voir dans nostre barque ,et n’estant pas content du petit présent de figues quenostre Capitaine luy anoit faict au sortir du vaisseau,il les ietta dans la riuiere par despit, et aduisa ses Sau-nages d’entrer tous fil-à-fil dans nostre barque, et d’y

prendre et emporter toutes les marchandises qui leurfaisoient besoin , et d’en donner si peu de pelleteriesqu’ils voudraient, puis qu’on ne l’auoit pas contenté.

Ils y entrerent donc tous auec tant d’insolence et debrauade, qu’ayans eux-mesmes ouuert l’escoutille, ettiré hors de dessous les tillacs ce qu’ils voulurent , ilsn’en donnerent pour lors de pelleterie qu’a leur vo-lonté , sans que personne les en penst empescher ouresister . Le mal pour nous fut d’y en auoir trop lais-sé entrer a la fois, veu le peu de gens que nous es-tions, car nous n’y estions lors que six ou sept, lereste de l’équipage ayant esté ennoyé ailleurs : c’est

ce qui fit" filer doux a nos gens , et les laisser ainsi 49

Page 67: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

50

-34-faire , de peur d’estre assommez ou iettez dans la ri-uiere, comme ils en cherchoient l’occasion , ou quel-que conuertnre honneste pour le pouuoir librementfaire sans en estre blasmez.

Le soir , tout nostre eqnipage estant de retour, lesSauuages ayant crainte , on marris du tort qu’ilsauoient faict aux François, tindrent conseil entr’enx,et aduiserent en quoy et de combien ils les pouuoientauoir trompez , et s’estans cotisez apporterent autantde pelleteries, et plus que ne valloit le tort qu’ils a-uoient faict, ce que l’on receut , auec promesse d’ou-blier tout le passé, et de continuer tousiours dans l’a-mitié ancienne, et pour asseurance et confirmation depaix, on tira ’denx coups de canon, et les fit-on boirevn peu de vin, ce qui les contenta fort, et nous encorplus : car a dire vray, on craint plus de mescontenterles Saunages, qu’ils n’ont d’offenser les Marchands.

Ce Capitaine Sauvage m’importuna fort de luydonner nostre Croix et nostre Chapelet, qu’il appeloitIssus (du nom mesme qu’ils appellent le Soleil) pourpendre à son col; mais ie ne pus lui accor- Il der, pourestre en lien ou le n’en pouuois reconurer un antre.Pendant ce peu de iours que nous fusmes la, on pes-cha grande quantité de Harengs et des petits Onrsins,que nous amassions sur le bord de l’eau, et les man-gions en guise d’Huitres. Quelques-vns croyent enFrance que le Hareng frais meurt à mesme tempsqu’il sort de son element, i’en ay veu neantmoins sau-

ter vifs sur le tillac vn bien peu de temps, puis mou-roient; les Loups marins se gorgeoient aussi par-foisen nos filets des Harengs que nous y prenions, sansles en pouuoir empescher , et estoient si fins et si ru-

Page 68: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-35-sez, qu’ils sortoient parofois leurs testes hors de l’eau,pour se donner garde d’estre surpris, et voir de quelcasté estoient les pescheurs, puis rentroient dans l’eau,et pendant la nuict nous oyons saunent leurs voix,qui ressembloient presqu’à celles des Chats huans(chose contraire a l’opinion de ceux qui ont dict etescrit que les poissons n’auoient point de voix).

Proche de la, sur le chemin de Kebec, et l’Isle auxAllouettes, ainsi nommée, pour le nombre infiny quis’y troune par-fois. l’en ay en quelques-vnes en vie ,Il elles ontleurpetit capuce en teste comme les nostres, 5 r

mais elles sont vn peu plus petites, et de plumage vnpeu plus gris et moins obscur, mais le gonst de lachair en est de mesme. Cette isle presque conuerte ,pour la pluspart, que de sable, qui faict que l’on entue vn grand nombre d’vn seul (coup d’arqnebuse:car donnant à fleur de terre, le sable en tue plus quene faict la poudre de plomb , tesmoin celuy qui entua trois cens et plus d’vn seul coup.

Sur ce mesme chemin de Kebec, nous trouuasmesaussi en diners endroicts plusieurs grandes troupes deMarsouins, entierement et parfaictement blancs com-me neige par tout le corps, lesquels proche les vnsdes autres, se ioüoyent, et se sousleuant monstroientensemblement vne partie de leurs grands corpshors de l’eau, qui est, à peu prés, gros comme celuyd’vne vache, et long a proportion, et a cause de cettepesanteur, et que ce poisson ne peut seruir que pouren tirer de l’huile: l’on ne s’amuse pas à cette pesche,

partout ailleurs nous n’en auons point veu de blancsny de si gros : car ceux de la mer sont noirs, bons àmanger, et bean- [I coup plus petits. Il y a aussi en 52

Page 69: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

53

-36-chemin des Echos admirables, qui repetent et sonnenttellement les paroles, et si distinctement, qu’ils n’enobmettent vne seule syllabe, et diriez proprement quece soient personnes qui contrefont ou repetent ce quevous dites et chantez.

Nous passasmes apres, ioignans l’Isle aux Coudres,laquelle peut contenir enuiron vne lieuë et demie delong, elle est quelque peu vnie, venant en diminuantpar les deux bouts, assez agreable, à cause des boisqui l’enuironnent, distante de la terre du Nord d’en-uiron demye lienë. De l’Isle aux Cendres, costoyansla terre, nous fusmes an Cap de Tourmente, distantde Kebec sept on huict lienës: Il est ainsi nommé,d’autant que pour peu qu’il fasse de vent la mer s’y

esleue comme si elle estoit pleine, en ce lien l’eaucommence à estre douce, et les Hyuernaux de Kebecy vont prendre et amasser le foin en ces grandes prai-ries (en la saison) pour le bestail de l’habitation. De lanous fusmes à l’Isle d’Orleans, où il y a deux lieues,en laquelle du costé du Su, y a nombre d’Isles quisont basses, cannettes d’arbres, et fort agreables, rem-plies li de grandes prairies et force gibier, contenansles vnes enuiron deux lieuës. et les autres vn peu pluson moins. Autour d’icelles y a force rochers et basses,fort dangereuses à passer, qui sont esloignées enuironde deux lieuës de la grand’terre du Su. Ce lieu est lecommencement du beau et bon pays de la grande ri-uiere. An bout de l’Isle il y a vn saut ou torrentd’eau, appellé de Montmorency, du costé du Nord,qui tombe dans la grand’riuiere, auec grand bruit etimpétuosité. Il vient d’vn lac qui est quelques dixou douze lieuës dans les terres, et descend de dessus

Page 70: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

vne caste qui a prés de 25. toises de haut, au dessusde laquelle la terre est vnie et plaisante a voir, bienque dans le pays on voye des hautes montagnes quiparaissent, mais esloignées de plusieurs lieues.

Il De Kebec, demeure des François, et des Pares Recollets. 54

CHAPITRE III.

"(.3 a l’Isle d’Orleans nous voyons à plein Ke-

bec deuant nous, basty sur le bord d’vn, destroit, de la grande riuiere Sainct Lan-

,- , rent, qui n’a en cet endroict qu’ennironvn bon quart de lieuë de largeur, au pied d’vne mon-tagne, au sommet de laquelle est le petit fort de bais,basty pour la deffence du pays, pour Kebec, ou mai-son des Marchands : il est à present vn assez beau lo-gis, enuironné d’vne muraille en quarré, auec deuxpetites tourelles aux coins que l’on y a faictes depuispeu pour la seureté du .lieu. Il y a vn autre logis audessus de la terre hante, en lien fort commode, onl’on nourrit quantité de bestail qu’on y a mené deFrance, on y seme aussi tous les ans force bled d’lndeet des pois que l’on traicte par apres aux Saunagespour des pelleteries: le vis en ce desert vn ieune ll pom- 5 5mier, qui y auoit esté apporté de Normandie, chargéde fort belles pommes, et des ieunes plantes de vignesqui y estoient bien belles, et tout plein d’autres peti-

Page 71: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-38-tes choses qui tesmoignoient la bonté de la terre. Nos-tre petit couuent est a demye lieuë de la, en vn tres-bel endroict, et autant agréable qu’il s’en puisse trou-

uer, proche vne petite riuiere, que nous appellons deSainct Charles, qui a flux et reflux, la on les Saunagespeschent vne infinité d’anguilles en Automne, et lesFrançois tuent le gibier qui y vient à foison: les pe-tites prairies qui la bordent sont esmaillées en Esté deplusieurs petites fleurs, particulierement de celles quenous appellons Cardinales et des Managons, qui por-tent quantité de fleurs en vne tige, qui a prés de six,sept et huict pieds de haut, et les Saunages en man-gent l’oignon cuit sans la cendre qui est assez bon.Nous en auions apporté en France, auec des plantesde Cardinales, comme fleurs rares, mais elles n’y ontpoint profité , ny paruenu a la perfection , commeelles sont dans leur propre climat et terre natale.

56 Nostre iardin et verger est aussi tres- [I beau, et d’vnbon fond de terre; car toutes nos herbes et racines yviennent tres-bien, et mieux qu’en beancoup de jar-dins que nous auons en France, et n’estoit le nombreinfiny de Mousquites et Cousins qui s’y retrouuent,comme en tout autre endroict de Canada pendantl’Esté, ie ne sçay si on pourroit rencontrer vne plusagréable demeure : car outre la beauté et bonté de lacontrée auec le bon air, nostre logis est fort commodepour ce qu’il contient, ressemblant neantmoins plus-tost à vne petite maison de Noblesse des champs, quenon pas a vn Monastère de Frères Mineurs, ayans estécontraincts de le bastir ainsi, tant a cause de nostrepauureté, que pour se fortifier en tout cas contre lesSaunages, s’ils vouloient nous en dechasser. Le corps

Page 72: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

de logis est au milieu de la court, comme vn donjon ,puis les courtines et rempars faicts de bois, auec qua-tre petits bastions faicts de mesme aux quatre coins,esleuez enuiron de douze à quinze pieds du raiz deterre, sur lequel on a dressé et accommodé des petitsiardins, puis la grand’ porte auec vne tour quarrée audessus faicte de pierre, laquelle nous sert de Chapelle,et vn beau fossé ll naturel, qui circuit tout l’alentour .5 7de la maison et du iardin qui est ioignant, avec lereste de l’enclos, qui contient quelques six ou septarpens de terre, ou plus à mon adnis. Les Framboi-siers qui sont la és enuirons, y attirent tant de Tour-terelles (en la saison) que c’est vn plaisir d’y en voirdes arbres tous connerts, aussi les François de l’habi-tation y vont sonnent tirer, comme au meilleur en-droict et mains penible. Que si nos Religieux veulentaller a Kebec, ou ceux de Kebec venir chez nous, il ya à choisir de chemin, par terre ou par eau, selon letemps et la saison, qui n’est pas vne petite commoditéde laquelle les Saunages se seruent aussi pour nousvenir voir, et s’instruire auec nous du chemin du Ciel,et de la cognoissance d’vn Dieu faict homme, qu’ilsont ignoré iusques à present. On tient que ce lieude Kebec est par les 46. degrez et demy plus sud queParis, de prés de deux degrez, et neantmoinsl’Hy-ver y est plus long et le pays plus froid, tant a caused’vn vent de Nor-ouest qui y ameine ces furieusesfroidures quand il donne, que pour n’estre pas le paysencore gueres habité et deserté, et ce par la ll negligence 58et peu d’affection des Marchans qui se sont contenteziusques à present d’en tirer les pelleteries et le profit,sans y auoir voulu employer aucune despense, pour

Page 73: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

59

-4°.--la culture, peuplade ou aduance du pays, c’est pour-quoy ils n’y sont gueres plus avancez que le premieriour, par crainte, disent-ils, que les Espagnols ne lesen missent dehors, s’ils y auoient faict valoir la con-trée. Mais c’est une excuse bien faible,.et qui n’estnullement receuable entre gens d’esprit et d’expe-rience qui sanent tres-bien qu’on s’y peut tellement

accommoder et fortifier, si on y vouloit faire ladespense nécessaire, qu’on n’en pourroit estre chassé

par aucun ennemy; mais si on n’y veut rien fairedavantage que du passé, la France Antarctique auratousiours vn nom en l’air, et nous vne possessionimaginaire en la main d’autruy, et si la conuersiondes Saunages sera tousiours imparfaicte, qui ne sepeut faire que par l’assistance de quelques colonnes ’de bons et vertueux Chrestiens, auec la doctrine etl’exemple des bons Religieux.

Apres nous estre rafraischis deux ou trois ioursauec nos Freres dans nostre pe- ll tit Couuent, nousmontasmes auec les barques par la mesme riuiereSainct Laurent, iusques au Cap de Victoire, que lesHurons appellent Ombrandéen, pour y faire la traicte:car la s’estoient cabanez grand nombre de Saunagesde diuerses Nations; mais auant que d’y arriuer nouspassasmes par le lieu appelé de Saincte Croix, puispar les Trois Riuieres, qui est vn pays tres-beau, etremply de quantité de beaux arbres, et toute laroute vnie et fort plaisante, iusques a l’entrée duSaut Sainct Louis, on il y a de Kebec plus de 60. on7o. lieuës de chemin. Des Trois Riuieres nous pas-sasmes par le lac Sainct Pierre, qui contient quelqueshuict lieuës de longueur, et quatre de large, duquel

Page 74: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

l’eau y est presque dormante, et fort poissonneuse;puis, nous arriuasmes au Cap de Victoire le iour dela Saincte Magdeleine.

II Du Cap de Victoire aux Hurons, et comme les Saunages segouuernent allans en voyage et par pays.

CHAPITRE IIII.

à 1-: lieu du Cap de Victoire ou de Massacre,est a douze au quinze lieuës au deçà de la

f Riuiere des Prairies, ainsi nommée, poura . I ’ la quantité d’Isles plates et prairies agrea-

bles que cette riuiere, et vn beau et grand lac y con-tiennent; la riuiere des Yroqnois y aboutit a maingauche, comme celle des Ignierhonons, qui est en-core vne Nation d’Yroqnois, aboutit à celle du Capde Victoire : tontes ces contrées sont tres-agreables,et propres a y bastir des villes, les terres y sont plateset vnies, mais vn peu sablonneuses, les riuieres ysontpoissonneuses, et la chasse et l’air fort bons, iointque pour la grandeur et profondeur de la riuiere, lesbarques y peuuent aller à la voile quand les II ventssont bons, et a faute de bon vent on se peut seruird’auirons.

Pour reuenir donc au Cap de Victoire, la riuiereen cet endroict, n’a enuiron que demye lieuë de large,et dés l’entrée se voyent tout d’vn rang 6. on 7. Islesfort agreables et conuertes de beaux bois ; les Hurons

60

61

Page 75: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

62

-42....y ayans faict leur traite, et agréé pour quelques pe-tits presens de nous conduire en leur pays le PereIoseph, le Pere Nicolas et moy , nous partismes enmesme temps annec eux, apres auoir premierementinuoqué l’assistance de nostre Seigneur, a ce qu’ilnous conduisist et donnast vn bon et heureux succezà nostre voyage, le tout à sa gloire, à nostre salut, etau bien et conuersion de ces panures peuples.

Mais pour ce que les Hurons ne s’associent quecinq à cinq, ou six a six pour chacun canot, ces pe-tits vaisseaux n’en ponuans pour le plus, contenirqu’vn danantage auec leurs marchandises: il nousfallut necessairement separer, et nous accommoder àpart, chacun auec vne de ces societez ou petit canot,qui nous conduisirent iusques dans leur pays, sansnous plus renoir en chemin que les deux premiersIl iours que nous logeasmes auec le Pere Ioseph , et

puis plus, iusques à plusieurs sepmaines apres nostrearriuée au pays des Hurons; mais pour le Pere Ni-colas, ie le tronuay pour la premiere fais, enuirondeux cens lieuës de Kebec, en vne Nation que nousappellons Epicerinys on Sorciers, et en Huron Sque-kantronons.

Nostre premier giste fut à la riuiere des Prairies,qui est a cinq lienës au dessous du Saut Saint Louis,on nous trouuasmes desia d’autres Saunages cabanez,qui faisoient festin d’vn grand Ours, qu’ils auoientpris et poursuiuy dans la riuiere, pensant se sauneraux Isles voysines, mais la vitesse des Canots l’atai-gnit, et fut tué à coups de flesches et de massue. CesSaunages en leur festin, et caressans la chaudiere,chantoient tous ensemblement, pnisalternatiuement

Page 76: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

d’vn chant si doux et agréable, que i’en demeuraytout estonné, et rany d’admiration : de sorte que de-puis ie n’ay rien ouy de plus admirable entr’enx;car leur chant ordinaire est assez mal-gracieux.

Nous cabanasmes assez proche d’eux, et fismeschandiere a la Huronne, mais le ne p0 encore man-ger de leur Sagamité Il pour ce coup, pour n’y estrepas accoustumé, et me fallut ainsi coucher sans son-pet, car ils auoient aussi mangé en chemin vn petitsac de biscuit de mer que i’auois pris aux barques,pensant qu’il me deust durer iusques aux Hurons,mais ils n’y laisserent rien de reste pour le lendemain,tantils le trouuerent bon. Nostre lict fut la terre nué,auec vne pierre pour mon chenet, plus que n’auoientnos gens, qui n’ont accoustumé d’auoir la teste plushante que les pieds; nostre maison estoit deux escor-ces de Bouleau, posées contre. quatre petites perchesfichées en terre, et accommodées, en panchans, audessus de nous. Mais pour ce que leur façon de faire,et leur maniere de s’accommoder allans en voyage,est presque tousiours de mesme, ie diray succincte-ment cy-aprés comme ils s’y gouuernent.

C’est, que pour pratiquer la patience a bon escient,et patir au delà des forces humaines, il ne faut qu’en-treprendre des voyages auec les Saunages, et spécia-lement long-temps, comme nous fismes: car il se fautrésoudre d’y endurer et patir, outre le danger de pe-rir en chemin, plus que l’on ne sçauroit penser, tantde la faim, Il que de la puanteur que ces salles maus-sades rendent presque continuellement dans leursCanots, ce qui seroit capable de se desgonter du toutde si desagreables compagnies, que pour coucher

D

63

64

Page 77: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

65

- 44 -tousiours sur la terre nué par les champs, marcherauec grand traunail dans les eaux et lieux fangeux,et en quelques endroicts par des rochers et bois obs-curs et touffus, souffrir les pluyes sur le dos, toutesles ininres des saisons et du temps, et la morsured’vne infinie multitude de Mousquites et Cousins,auec la difficulté de la langue pour pouuoir s’expli-quer suffisamment, et manifester ses necessitez, etn’auoir aucun Chrestien auec soy pour se communi-quer et consoler au milieu de ses trauaux, bien qued’ailleurs les Saunages soient tontesfois assez humains(au moins l’estoient les miens) voire plus que ne sontbeaucoup de personnes plus polies et moins sauna-ges ; car me voyant passer plusieurs iours sans pou-uoir presque manger de leur Sagamité, ainsi sallementet pauurement accommodée , ils auoient quelquecompassion de moy, et m’encourageoient et assis-toient au mieux qu’il leur estoit possible, et ce qu’ilspouuoient estoit peu de chose : Il cela alloit bien pourmoy, qui m’estois résous de bonne heure à endurerde bon cœur tout ce qu’il plairoit à Dieu m’enuoyer;ou la mort, ou la vie : c’est pourquoy ie me mainte-nois assez ioyeux, nonobstant ma grande debilité, etchantois sonnent des Hymnes pour ma consolationspirituelle, et le contentement de mes Saunages, quim’en prioient par-fois, car ils n’ayment point à voir les

personnes tristes et chagrines, ny impatientes, pourestre eux-mesmes beaucoup plus patiens que ne sontcommunement nos François, ainsi l’ay-ie veu en vneinfinité d’occasions : ce qui me faisoit grandementrentrer en moy mesme, et admirer leur constance, etle pouuoir qu’ils ont sur leurs propres passions, et

Page 78: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

comme ils sçauent bien se supporter les vns les au-tres, et s’entresecourir et assister an besoin; et peuxdire auec Vérité, que i’ay trouué plus de bien en eux,que ie ne m’estois imaginé, et que l’exemple de leurpatience estoit cause que ie m’esforçois dauantage à

supporter ioyeusement et constamment tout ce quim’arrinoit de fascheux, pour l’amour de mon Dieu,et l’édification de mon prochain.

Il Estans donc par les champs, l’heure de se cabanervenue, ils cherchoient a se mettre en quelque endroictcommode sur le bord de la riuiere, ou antre part, onse pust aysement trouuer du bois sec a faire du feu,puis vn auoit sain d’en chercher et amasser, vu autrede dresser la Cabane, et le bois à pendre la chan-diere au feu, vn antre de chercher deux pierres pla-tes pour concasser le bled d’Inde sur vne peau esten-due contre terre, et apres le verser et faire bouillirdans la chandiere ; estant cuit fort clair, on dressoitle tout dans les escuelles d’escarces, que pour cet ef-fect nous portions quant-et-nons auec des grandescneilliers, comme petits plats, desquelles on se sert amanger cette Menestre et Sagamité soir et matin, quisont les deux fois seulement que l’on fait chandiereparieur, sçauoir quand on est cabané au soir, et aumatin auant que partir, et encore quelquesfois ne lefaisions-nous point, de haste que nous auions departir, et par-fois la faisions-nous auant iour: quesi nous nous rencontrions deux mesnages en vnemesme Cabane, chacun faisoit sa chandiere a part,puis tous ensemblement les mangions l’vne apresl’antre, sans au Il cun debat ny contention, et chacunparticipoit et a l’vne et à l’antre : mais pour moy ie

66

67

Page 79: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

68

me contentois, pour l’ordinaire, de la Sagamité desdeux qui m’agreoit danantage, bien qu’à l’vne et a

l’autre il y eust tousiours des salletez et ordures, acause,en partie, qu’on se seruoittous les iours de non-uelles pierres, et assez mal-nettes, pour concasser lebled, ioint que les escuelles ne pouuoient sentir gue-res bon : car ayans nécessité de faire de l’eau en leurCanot, ils s’en sernoient ordinairement en cette ac-tion : mais sur terre ils s’accroupissoient en quelquelieu à l’escart auec de l’honnesteté et de la modestiequi n’anait rien de saunage.

Ils faisoient par-fois chandiere de bled d’lnde nonconcassé, et bien qu’il fust tousiours fort dur, pourla difficulté qu’il y a à le faire cuire, il m’agreoitdanantage au commencement, pour ce que ie le pre-nois grain à grain, et par ainsi ie le mangeois nettevment et à loisir en marchant, et dans nostre Canot.Aux endroits de la riuiere et des lacs on ils pen-soient auoir du poisson, ils y laissoient traisner apreseux vne ligne, à l’ain de laquelle ils auoient accom-modé et lié de la peau Il de quelque grenouille qu’ilsauoient escorchée, et par-fois ils y prenoient du pois-son, qni seruoit à donner goust à la chandiere : maisquand le temps ne les pressoit point, comme lorsqu’ils descendoient pour la traicte, le soir ayans ca-bané, vne partie d’eux alloient tendre leurs rets dansla riuiere, en laquelle ils prenoient sonnent de bonspoissons, comme Brochets, Esturgeons et des Carpes,qui ne sont neantmoins telles, ny si bonnes, ny sigrosses que les nostres, puis plusieurs autres especesde poissons que nous n’auons pas par deçà.

Le bled d’inde que nous mangions en chemin, ils

Page 80: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

l’alloient chercher de deux en deux iours en de cer-tains lienx escartez, où ils l’auoient caché en descen-dans, dans de petits sacs d’escorces de Bouleau : carautrement ce leur seroit trop de peine de porter tons-iours quant-et-eux tout le bled qui leur est necessaireen leur voyage, et m’estonnois grandement commeils pouuoient si bien remarquer tous les endroicts onils l’auoient caché, sans se mesprendre aucunement,bien qu’il fust par-fois fort esloigné du chemin, etbien auant dans les bois, on enterré dans le sable.

Il La maniere etl’inuention qu’ils auoient àtirer du

feu, et laquelle est pratiquée par tous les peuplesSaunages, est telle. Ils prenoient deux bastons debois de saulx, tillet, ou d’autre espece, secs et légers,puis. en accommodoient vn d’enuiron la longueurd’vne coudée, ou peu moins, et espaiz d’vn doigt oud’enuiron, et ayans sur le bord de sa largeur vn peucané de la poincte d’vn coustean, ou de la dent d’vnCastor, vne petite fossette auec vn petit cran à costé,pour faire tomber à bas sur quelque bout de meiche,ou Chase propre à prendre feu, la poudre reduite enfeu, qui deuoit tomber du trou : ils mettoient lapoincte d’vn autre baston du mesme bois , groscomme le petit doigt, on peu moins, dans ce trouainsi commencé, et estans contre terre le genoüil surle bout du baston large, ils tournoient l’antre entreles mains si soudainement et si longtemps, que lesdeux bois estans bien eschautfez, la poudre qui ensortoit a cause de cette continuelle agitation, se con-uertissoit en feu, duquel ils allumoient vn bout deleur corde seiche, qui conserne le feu comme meiched’arquebuze : puis aptes auec vn peu de menu bois

69

Page 81: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

70 sec ils faisaient Il du feu pour faire chandiere. Mais

7 n

il faut noter que tout bois n’est propre à en tirer dufeu, ains de particulier que les Saunages sçauentchoisir. Or, quand ils auoient de la difficulté d’entirer, ils deminçoient dans ce trou vn peu de charbon,ou vn peu de bois sec en poudre qu’ils prenoient aquelque souche : s’ils n’auoient vn baston large,comme i’ay dict, ils en prenoient deux ronds, et leslioient ensemble par les deux bouts, et estans cou-chez le genoüil dessus pour les tenir, mettoient en.tre-deux la poincte d’vn autre baston de ce bais,faict de la façon d’vne nauette de tissier, et le tour-noient par l’autre bout entre les mains, comme i’aydict.

Pour reuenir donc a nostre voyage, nous ne fai-sions chandiere que deux fois le iour, et n’en pouuantgueres manger à la fois, pour n’y estre encore ac-coustumé, il ne faut pas demander si ie patissoisgrandement de necessité plus que mes Saunages, quiestoient acconstumez à cette maniere de viure, iointque pétunant assez sonnent durant le iour, cela leuramortissoit la faim.

L’humanité de mon haste estoit remarquable, ence que n’ayant pour toute cou- Il uerture qu’vne peaud’Ours à se counrir, encore m’en faisoit-il part quandil pleunoit la nuict, sans que ie l’en priasse,et mesmeme disposoit la place le soir, où ie deuois reposer lanuict, y accommodant quelques petits rameaux, etvne petite natte de jonc qu’ils ont accoustumé deporter quant-et-eux en de longs voyages, et compa-tissant a ma peine et faiblesse, il m’exemptoit de na-ger et de tenir l’aniron, qui n’estoit pas me deschar-

Page 82: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

ger d’vne petite peine, outre le seruice qu’il me fai-soit de porter mes hardes et mon pacquet aux Sanlts,bien qu’il fust desia assez chargé de sa marchandise,et du Canot qu’il portoit sur son espaule parmy desi fascheux et penibles chemins.

Vn iour ayant pris le deuant, comme ie faisois or-dinairement, pendant que mes Saunages deschar-geoient le Canot, pource qu’ils alloient (bien quechargez) d’vn pas beancoup plus viste que moy, etm’approchant d’vn lac, ie sentis la terre branslersans moy, comme vne Isle flottante sur les eauës; etde faict, ie m’en retiray bien doucement, et allayattendre mes gens sur vn grand Rocher la auprès,de peur que quelque inconnenient ne m’arri- Il uast z 72il nous falloit aussi par-fois passer par de fascheuxbourbiers, desquels a toute peine pauuions-nous reti-rer, et particulierement en vn certain marais ioignantvn lac, on l’on pourroit facilement enfoncer iusquespar-dessus la teste, comme il arriua à vn Françoisqui s’enfonça tellement, que s’il n’eust eu les jambes

escarquillées au large, il eust esté en grand danger,encore enfonça-il iusques aux reins. On a aussi quel-ques-fois bien de la peine à se faire passage auec lateste et les mains parmy les bois touffus, au il s’y enrencontre aussi grand nombre de pourris et tombezles vns sur les autres, qu’il faut enjamber, puis desrochers, pierres, et autres incammoditez qui aug-mentent le trauail du chemin, outre le nombre infinyde Mousquites qui nous faisoient incessamment vnetres-cruelle et faschense guerre, et n’eust esté le soinque ie portois à me conseruer les yeux, par le moyend’vne estamine que i’anois sur la face, ces mes-

Page 83: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

74

-. 50 -.chants animaux m’anroient rendu aueugle beaucoupde fois, comme on m’auoit aduerty, et ainsi en estoit-il arriué à d’autres, qui en perdirent la veuë par plu-sinrs iours, tant leur picquenre et morsure est II veni-meuse à l’endroict de ceux qui n’ont encore prisl’air du pays. Neantmoins pour tonte diligence queie pus apporter a m’en deiïendre, ie ne laissay pasd’en anoir,’le visage, les mains et les iambes offen-cés. Aux Hurons, à cause que le pays est descou-uert et habité, il n’y en a pas si grand nombre, sinonaux forests et lieux on les vents ne donnent point pen-dant les grandes chaleurs de l’Esté.

Nous passasmes par plusieurs Nations Saunages;mais nous n’arrestions qu’vne nuict à chacune, pourtousiours aduancer chemin, excepté aux Epicerinyset Sorciers, où nous seioumasmes deux iours, tantpour nous reposer de la fatigue du chemin, que pourtraicter quelque chose auec cette Nation. Cefnt laoùie trouuay le Pere Nicolas proche le lac, où il m’at-tendait. Cette heureuse rencontre et entre-veuë nousresiouyt grandement, et nous nous consolasmes auecquelques François, pendant le peu de seiour que nosgens firent la. Nostre festin fut d’vn peu de poissonque nous anions, et des Citrouilles cuittes dans l’eau,que ie trouuay meilleures que viande que i’aye ia-mais mangée, tant i’estais abbatu et extenué de ne-cessité, Il et puis fallut partir chacun separement àl’ordinaire auec ses gens. Ce peuple Epicerinyen estainsi surnommé Sorcier, pour le grand nombre qu’ily en a entr’enx, et des Magiciens, qui font professionde parler au Diable en des petites tours rondes et se-parées a l’escart, qu’ils font à dessein, pour y recenair

Page 84: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-51-.les Oracles, et predire ou apprendre quelque chose deleur Maistre. Ils sont aussi coustumiers adonner dessorts et de certaines maladies, qui ne se guerissentque par autre sort et remede extraordinaire, dont il yen a, du corps desquels sortent des serpents et deslongs boyaux, et quelquefois seulement à demy, puisrentrent, qui sont toutes choses diaboliques, et in-

.ventées par ces malheureux Sorciers : et hors cessorts magiques, et la communication qu’ils ont auecles Demons, ie les trouuois fort humains et cour-tais.

Ce fut en ce village, on par mesgard, ie perdis, amon tres-grand regret, tous les memoires que i’avoisfaits, des pays, chemins, rencontres et choses remar-quables que nous auions veuës depuis Dieppe enNormandie, iusques-la, et ne m’en apperceuz qu’a larencontre de deux Canots Il de Saunages, de la Nation 75du Bois : cette Nation est fort esloignée et dépendantedes Cheueux Relenez, qui ne connrent point du toutleur honte et nudité, sinon pour cause de grand froidet de longs voyages, qui les obligent a se seruir d’vneconuertnre de peau. Ils auoient à leur col de petitesfraises de plumes, et leurs cheueux accommodez demesme parure. Leur visage estoit peint de diuersescouleurs en huile, fort iolinement, les vnsestoient d’vncosté tout vert, et de l’autre rouge :autres sembloientauoir tout le visage conuert de passements naturels,et autres tout autrement. Ils ont aussi accoustumé dese peindre et matachier, particulierement quand ilsdoivent arriver, ou passer par quelqu’antre Nation,comme auoient faict mes Sauvages arriuans aux Sque-kaneronon: : c’est pour ce suiect qu’ils portent de ces

Page 85: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-52-peintnres et de l’huile auec eux en voyageans, etaussi a cause des festins, dances, on autres assemblées,afin de sembler plus beaux, et attirer les yeux desregardans sur eux.

Vne ionrnée, aptes auoir trouué ces Saunages,nous nous arrestames quelque temps en vn village

76 d’Algonmequins, et Il y entendant vn grand bruit, ie fus

77

curieux de regarder par la fente d’vne Cabane, poursçauoir que c’estoit, la on ie vis au dedans (ainsi quei’ay veu du depuis par plusieurs fois aux Hurons,pour semblables occasions) vne quantité d’hommes,my-partis en deux bandes, assis contre terre, et ar-rangez des deux costez de la Cabane, chaque bandeanoit deuant soy vne longue perche plate, large detrois ou quatre doigts, et tous les hommes ayanschacun vn baston en main, en frappoient continuel-lement ces perches plates, à la cadence du son desTortuëes, et de plusieurs chansons qu’ils chantaientde toute la force de leur voix. Le Loki on Médecin,qui estoit au haut bout auec sa grande Tortnë enmain, commençoit, et les autres a pleine testepaursnyuoient, et sembloit vn sabbat et vne vrayeconfusion et harmonie de Démons. Deux femmes ce-pendant tenoient l’enfant tout nnd, le ventre en hautproche d’eux, vis-à-vis du Loki, a quelque temps dela le Loki à quatre pattes, s’approchoit de l’enfant,auec des cris et hurlemens comme d’vn furieux Tan-reau, puis le souffloit enuiron les parties naturelles,et apres recommençoient" leur tintamarre et leurceremonie, qui finit par vn festin qui se disposait aubout de la Cabane : de sçauoir que denint l’enfant,et s’il fut gnery ou non, on si on y adiausta encore

Page 86: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-53...quelqu’autre ceremonie, ie n’en ay rien sceu depuis,pour ce qu’il nous fallut partir incontinent, apresauoir repen, et vn peu reposé.

De cette Nation nous allasmes cabaner en vn villaged’Andarahouats, que nous disons Chenenx on Poil lené,

qui s’estoient venus poser proche la mer douce, adessein de traicter avec les Hurons et antres qui re-tonmoient de la traicte de Kebec, et fusmes deux ioursà traicter et negotier auec eux. Ces Saunages, sontvne certaine Nation qui portent leurs Chenenx rele-uez sur le front, plus droicts que les perruques desDames, et les font tenir ainsi droicts par le moyend’vn fer, ou d’vne hache chaude, ce qui n’est pointautrement de mauuaise grace; ouy bien de ce que leshommes ne connrent point du tout leurs parties na-turelles, qu’ils tiennent a descouuert, auec tout lereste du corps, sans honte ny vergongne; mais pourles femmes, elles ont vn petit cuir à peu près grandcomme vne seruiette, ceint à l’entour Il des reins, etdescend iusques sur le milieu des cuisses, a la façondes Huronnes. Il y a vn grand peuple en cette Na-tion, et la pluspart des hommes sont grands guer-riers, chasseurs et pescheurs. Je vis là beaucoup defemmes et filles qui faisoient des nattes de ioncs,grandement bien tissnës, et embellies de diuersescouleurs, qu’elles traictaient par aptes pour d’au-tres marchandises, des Saunages de diuerses con-trées, qui abordoient en leur village. Ils sont er-rans, sinon que quelques villages d’entr’eux sementdes bleds d’Inde, et font la guerre à vne antre Na-tion, nommée Assitagueronon, qui vent dire gens defeu : car en langue Huronne Assista, signifie du feu,

78

Page 87: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

et Eronon, signifie Nation. Ils sont esloignez d’euxd’enuiron deux cens lienës et plus 3 ils vont partroupes en plusieurs regions et contrées, esloignéesde plus de quatre cens lieues (à ce qu’ils m’ont dit)on ils trafiquent de leurs marchandises, et eschangentpour des pelleteries, peintures, pourceleines, etautresfatras.

Les femmes viuent fort bien auec leurs marys, etont cette coustume auec toutes les autres femmes des

79 peuples errans, que Il lors qu’elles ont leurs mais,elles se retirent d’auec leurs marys, et la fille d’auecses pere et mere, et autres parents, et s’en vont en decertaines Cabanes escartées et esloignées de leur vil-lage, on elles sejournent et demeurent tout le tempsde ces incommoditez, sans auoir aucune compagnied’hommes, lesquels leur portent des viures et ce quileur est nécessaire, insqu’a leur retour, si elles-mesmesn’emportent suffisamment pour leur prouision, commeelles font ordinairement. Entre les Humus, et autrespeuples sedentaires, les femmes ny les filles ne sor-tent point de leur maison ou village, pour semblablesincammoditez : mais elles font leur manger en depetits pots à part pendant ce temps-là, et ne permet-tent a personne de manger de leurs viandes et me-nestres : de sorte qu’elles semblent imiter les luisues,lesquelles s’estimoient immondes pendant le temps deleurs fleurs. le n’ay peu apprendre d’on leur estoitarriué cette coustume de se separer ainsi, quoy queie l’estime pleine d’honnesteté.

Page 88: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-55-Il De nostre arrivée au pays des Hurons, quels estoient nos exer- 80

aces, et de nostre maniera de viure et gouuernement dans lepays.

CHAPITRE V.

. vis, qu’auec la grace du bon Dieu, nousv sommes arriuez iusques-là, que d’auoisiner

a I j le pays de nos Hurons, il est maintenant, ï temps que ie commence a en traicter plus

amplement, et de la façon de faire de ses habitans,non a la manière de certaines personnes, lesquellesdescrinans leurs Histoires, ne disent ordinairementque les choses principales, et les enrichissent encoretellement, quand on en vient à l’experience, on n’yvoit plus la face de l’Antheur : car i’escris non-seu-lement les choses principales, comme elles sont, maisaussi les moindres et plus petites, auec la mesmenaîfueté et simplicité que i’ay accoustumé. ’

II C’est pourquoy ie prie le Lecteur d’auoir pouragreable ma maniere de proceder, et d’excuser sipour mieux faire comprendre l’humeur de nos Sauna-ges, i’ay esté contrainct inserer icy plusieurs choses in-ciuiles et extrauagantes, d’autant que l’on ne peut pasdonner vne entiere cognoissance d’vn pays estranger,ny ce qui est de son gouuernement, qu’en faisantvoir auec le bien, le mal et l’imperfection qui s’yretrouue : autrement il ne m’eust fallu descrire lesmœurs des Saunages, s’il ne s’y trouuoit rien de san-nage, mais des mœurs polies et ciuiles, comme lespeuples qui sont cultiués par la religion et picté, oupar des Magistrats et Sages, qui par leurs bonnes

8x

Page 89: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-55-lois eussent donné quelque forme aux mœurs si dif-formes de ces peuples barbares, dans lesquels on voidbien peu reluire la lumiere de la raison, et la puretéd’vne nature espurée.

Deux iours auant nostre arriuée aux Hurons, noustrouuasmes la mer douce, sur laquelle ayans trauerséd’lsle en Isle, et pris terre au pays tant desiré, parvn iour de Dimanche, feste sainct Bernard, enuironmidy, que le Soleil donnoit à plomb, mes Saunages

82 ayans serré leur Canot en Il un bois la anprés mechargerent de mes hardes et pacquets, qu’ils auaientauparauant tousiours portez par le chemin : la causefut la grande distance qu’il y anait de là au Bourg,et qu’ils estoient desia plus que suffisamment char-gés de leurs marchandises. le portay donc mon pac-qnet auec vne tres-grande peine, tant pour sa pesan-teur, et de l’excessine chaleur qu’il faisoit, que pourune faiblesse et debilité grande que ie ressentois entous mes membres depuis vn long temps, ioinct quepour m’auoir fait prendre le deuant, comme ilsauoient accoustumé (à cause que ie ne pouuois lessnynre qu’à toute peine) ie me perdis du droict che-min, et me trouuay long temps seul, sans sçauoir oui’allois. A la fin, apres auoir bien marché et trauersépays, ie trouuay deux femmes Huronnes proche d’vnchemin croizé, et leur demanday par on il falloit al-ler au Bourg on ie me deuois rendre, ie n’en sçauoispas le nom, et moins lequel ie deuois prendre desdeux chemins : ces panures femmes se peinoient as-sez pour se faire entendre, mais il n’y anait encoremoyen. Enfin, inspiré de Dieu, ie pris le bon che-

’ 83 min, et an bout de quelque temps ie Il trouuay mes

Page 90: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

Saunages assis a l’ombre sous vn arbre en vne bellegrande prairie, on ils m’attendoient, bien en peineque i’estois deuenu ; ils me firent seoir anprés d’eux,et me donnerent des cannes de bled d’Inde à succerqu’ils auoient cueillies en vn champ tout proche dela. le pris garde comme ils en vsoient, et les trou-uay d’vn assez bon suc : aptes, passant par vn autrechamp plein de F ezolles i’en cueillis vn plein plat, queie fis par apres cniredans nostre Cabane auec de l’eau,ququne l’escorce en fust desia assez dure : cela nousserait pour vn second festin aptes nostre arriuée.

A mesme temps que ie fus apperceu de nostreville de Qyieuindahian, autrement nommée Téqueunon-Iciayé, lien assez bien fortifié à leur mode, et qui pou-uoit contenir deux on trois cens mesnages, en trenteon quarante Cabanes qu’il y anait, il s’eslena vn sigrand bruit par tonte la ville, que tous sortirentpresque de leurs Cabanes pour me venir voir, et fusainsi conduit auec grande acclamation iusque dansla Cabane de mon Saunage, et pour ce que la pressey estoit fort grande, ie fus contrainct de gaigner leIl haut de l’establie, et me desrober de leur presse.Les pore et mere de mon Sanuage me firent vn fortbon accueil à leur mode, et par des caresses extraor-dinaires, me tesmoignoient I’ayse et le contentementqu’ils avoient de ma venue, ils me traiterent aussidoucement que leur propre enfant, et me donnerenttout suiect de laüer Dieu, voyant l’humanité et fidé-

lité de ces pauvres gens, priuez de sa cognoissance.Ils prirent soin que rien ne se perdist de mes petiteshardes, et m’aduertirent de me donner garde deslarrons et des trompeurs, particulierement des Quim-

84

Page 91: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

85

-58...nantateronons, qui me venoient saunent voir, pour ti-rer quelque chose de moy z car entre les NationsSaunages celle-cy est l’vne des plus subtiles de ton-tes, en faict de tromperie et de vol.

Mon Saunage, qui me tenoit en qualité de frere,me donna aduis d’appeller sa mere Sendoué, c’est à

dire, ma mere, puis luy et ses freres Ataquen, monfrere, et le reste de ses parents en suite, selon les de-grez de consanguinité, et eux de mesme m’appeloientleur parent. La bonne femme disait Ayein, mon fils,et les autres Ataquon, mon frere, Earassé, mon cousin,Hi Il naîtrait, mon nepveu, Houatinoron, mon oncle ,Ayrtan, mon pere: selon l’aage des personnes i’estoisainsi appellé oncle ou nepueu, etc., et des autres quine me tenoient en qualité de parent, Yatoro, moncompagnon, mon camarade, et de ceux qui m’esti-maient danantage, Garihouanne, grand Capitaine.Voylà comme ce peuple n’est pas tant dans la rudesseet la rusticité qu’on l’estime.

Le festin qui nous fut faict à nostre arriuée, fut debled d’Inde pilé, qu’ils appellent Ottet, auec vn petitmorceau de poisson boucané à chacun, cuit en l’eau,car c’est toute la sanlce du pays, et mes Fezolles meservirent pour le lendemain : dés lors ie trouuaybonne la Sagamité qui estoit faicte dans nostre Ca-bane, pour estre assez nettement accommodée, ien’en pouuois seulement manger lorsqu’il y anait dupoisson puant demincé parmy, ou d’autres petits,qu’ils appellent Auhaitsique, ni aussi de Leindohy, quiest vn bled qu’ils font pourrir dans les fanges eteauës croupies et marescageuses, trais ou quatre maisdurant, duquel ils font neantmoins grand estat:

Page 92: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

nous mangions par-fois de Citraüilles du pays, cui-tes Il dans l’eau, ou bien sans la cendre chaude, queie trouuois fort bonnes, comme semblablement desespics de bled d’Inde que nous faisions rostir deuantle feu, et d’autre esgrené, grillé comme pois dans les

cendres : pour des Meures champestres nostre Sau-nagesse m’en apportoit sonnent au matin pour mondesienner, ou bien des Cannes d’Honneha à succer, etautre chose qu’elle pouuoit, et anait ce soin de fairedresser ma Sagamité la premiere, dans l’escuelle debois on d’escorce la plus nette large comme vn plat-bassin, et la cneillier auec laquelle ie mangeois,grande comme vn petit plat on sanciere. Pour mondepartement et quartier, ils me donnerent à moyseul, autant de place qu’en pouuoit occuper un petitmesnage, qu’ils firent sortir à mon occasion, dés lelendemain de mon arriuée z en quoy ie remarquayparticulierement leur bonne affection, et comme ilsdesiroient de me contenter, et m’assister et sernirauec tonte l’honnesteté et respect deus à vn grandCapitaine et chef de guerre, tel qu’ils me tenoient.Et pour ce qu’ils n’ont point accoustumé de se ser-vir de chenet, ie me seruois la nuict d’vn billot de

86

bois, ou d’v-Ilne pierre, que ie mettois sans ma 87teste, et au reste couché simplement sur la nattecomme eux, sans conuertnre ny forme de couche, eten lieu tellement dur, que le matin me lenant, leme trouuois tout rompu et brisé de la teste et ducorps.

Le matin, apres estre esueillé, et prié vn peu Dieu,ie desiennois de ce peu que nostre Sanuagesse m’a-noit apporté, puis ayant pris mon Cadran solaire, ie

E

Page 93: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

88

..50..sortois de la ville en quelque lieu escarté, pour pau-nair dire mon seruice en paix, et faire mes priereset meditations ordinaires: estant enuiron midy onvne heure, ie retournois à nostre Cabane pour disnerd’vn peu de Sagamité, ou de quelque Citrouillecuite; aptes disner ie lisois dans quel que petit liureque i’auois apporté, on bien i’escriuois, et obseruantsoigneusement les mots de la langue, que l’appre-nois, i’en dressois des memoires que i’estudiois, etrepetois deuant mes Saunages, lesquels y prenoientplaisir, et m’aydoient à m’y perfectionner auec vneassez bonne methode, m’y disant sonnent, Auiel, aulieu de Gabriel, qu’ils ne pouuoient prononcer, acause de la lettre B, qui ne se tronne point en tonteleurlangue, non Il plus que les autres lettres labiales,Asséhoua, Agnonra, et Séatonqua : Gabriel, prends taplume et escris, puis ils m’expliqnoient au mieuxqu’ils pouuoient ce que ie désirois sçauoir d’eux.

Et comme ils ne pouuoient par-fois me faire enten-dre leurs conceptions, ils me les demonstroient parfigures, similitudes et demonstrations exterienres,par-fois par discours, et quelquesfois auec vu baston,traçant la chose sur la terre, au mieux qu’ils pou-uoient, ou par le mouuement du corps, n’estans pashonteux d’en faire de bien indecents, pour se pou-uoir mieux donner à entendre par ces comparaisons,plustost que par longs discours et raisons qu’ilseussent p0 alleguer, pour estre leur langue assezpauure et disettenze de mots en plusieurs choses, etparticulierement en ce qui est des mysteres de nostresaincte Religion, lesquels nous ne leur pouuions ex-pliquer, ny mesme le Pater noster, sinon que par peri-

Page 94: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-5,-phrase, c’est à dire que pour vn de nos mots, il enfalloit vser de plusieurs des leurs :car entr’eux ilsne sçauent que c’est de Sanctification, de Regne ce-leste, du tres-sainct Sacrement, ny d’induire en ten-tation. Les II mots de Gloire, Trinité, Sainct Esprit,Anges, Resnrrection, Paradis, Enfer, Église, Foy,Esperance et Charité, et antres infinis, ne sont pasen vsage chez eux. De sorte qu’il n’y a pas besoin degens bien sçauants pour le commencement; maisbien de personnes craignans Dieu, patiens, et pleinsde charité : et voilà en quoy il faut principalementexceller pour conuertir ce pauure peuple, et le tirerhors du peché et de son aueuglement.. le sortois aussi fort sonnent par le Bourg, et les vi-sitois en leurs Cabanes et mesnages,ce qu’ils tron-uoient tres-bon , et m’en aymoient danantage,voyans que ie traictois doucement et affablementauec eux, autrement ils ne m’enssent point veu deban œil, et m’eussent creu superbe et desdaigneux,ce qui n’eust pas esté le moyen de rien gaigner sur-enx; mais plustost d’acquerir la disgrace d’vn cha-cun, et se faire hayr de tous : car à mesme tempsqu’vn Estranger adonné à l’vn d’eux quelque petit

suiect on ombrage de mescontentement on fascherie,il est aussi-tost sceu par tonte la ville de l’vn à l’an-tre :et comme le mal est plustost creu que le bien,ils vous estiment tel pour vn temps, que le II mescon-tent vous a depeint.

Nostre bourg estoit de ce costé-la le plus prochevoisin des Yroqnois, leurs ennemys mortels, c’estpourquoy on m’aduertissoit sonnent de me tenir surmes gardes, de peur de quelque surprise pendant

89

90

Page 95: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

QI

-62-que i’allais au bois pour prier Dieu, ou aux champscueillir des Meures champestres : mais ie n’y rencon-tray iamais aucun danger ny hazard (Dieu mercy) ily eut seulement vn Huron qui banda son arc contremoy, pensant que ie fusse ennemy : mais ayant parléil se rasseura, et me salua a la mode du pays, gray,puis il passa outre son chemin, et moi le mien.

le visitois aussi par-fois leur Cimetiere, qu’ils ap-pellent Agosayé, admirant le soin que ces panuresgens ont des corps morts de leurs parens et amis def-fnncts, et trouuois qu’en cela ils surpassoient lapieté des Chrestiens, puis qu’ils n’espargnent rienpour le soulagement de leurs ames, qu’ils croyentimmortelles, et auoir besoin du secours des vinans.Que si par-fois i’auois quelque petit ennuy, ie merecréois et consolois en Dieu par la priere, on enchantant des Hymnes et Cantiques spirituels à lalouange de sa diuine Majesté, lesquels les Saunagesescoutoient auec attention et contentement, et meprioyent de chanter sonnent, principalement apresque ie leur eus dict, que ces chants et Cantiques spi-rituels estoient des prières que ie faisois et adressoisà Dieu nostre Seigneur, pour leur salut et conuer-sion.

Pendant la nuict i’entendais aussi par-fois la merede mon Sanuage pleurer, et s’affliger grandement, acause des illusions du Diable. I’interrogeay mon Sau-nage pour en sçauoir le suiect, il me fit response quec’estoit le Diable qui la trauailloit et affligeoit, pardes songes et representations fascheuses de la mort deses parens, et antres imaginations. Cela est particu-lierement commun aux femmes plustost qu’aux hom-

Page 96: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-63-mes, à qui cela arriue plus rarement, bien qu’il s’yen tronne par-fois quelques-vns qui en deuiennentfols et furieux, selon leur forte imagination, et la foi-blesse de leur esprit, qui leur fait adiouster foy à cesresneries diaboliques.

Il se passa vn assez long temps apres mon arriuée,auant que i’ensse aucune ca-II gnoissance ny non-nelle du lieu on estoient arrinez mes Confreres, ius-ques à vn certain iour que le Pere Nicolas, accompa-gné d’vn Saunage, me vint trouuer de son village,qui n’estoit qu’à cinq lieuës du nostre. le fus fortresiouy de le voir en banne santé et disposition, non-obstant les pénibles trauaux et disettes qu’il anaitsouffertes depuis nostre département de la traicte;mes Saunages le receurent aussi volontiers à coucheren nostre Cabane, et luy firent festin de ce qu’ilspurent, àcause qu’il estoit mon Frere, et a nos autresFrançois, pour estre nos bans amys. Apres doncnous estre congratulez de nostre heureuse arriuée, etvn peu discouru de ce qui nous estoit arriué pen-dant vn si long et penible chemin, nous adnisas-mes d’aller trauner le Pere Ioseph, qui estoit demeu-rant en vn antre village, à quatre ou cinq lieues denous; car ainsi Dieu nous avoit-il faict la grace, quesans I’anair premedité, nous nous mismes à la can-duite de personnes qui demeurassent si proches lesvnes des autres : mais pource que i’estois fort ayméde Oonchiarey mon Saunage, et de la pluspart de sesparens, ie ne sçauois comment l’aduertir II de nostredessein, sans le mescontenter grandement. Noustrouuasmes enfin mayen de luy persuader que i’anoisquelque affaire à communiquer à nostre Frere los

92

93

Page 97: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

94

seph, et qu’allant vers luy il falloit necessarrementque i’y portasse tout ce que i’auois, qui estoit autantà luy comme à moy, afin de prendre chacun ce quiluy appartenoit, ce qu’ayant dict, ie pris congéd’eux, leur donnant esperance de reuenir en bref,ainsi ie partis auec le bon Pere Nicolas, et fusmestrouuer le Pere Ioseph, qui demeuroit à munirons-caran, on ie ne vous sçaurois expliquer la ioye et lecontentement que nous eusmes de nous reuoir toustrois ensemble, qui ne fut pas sans en rendre gracesà Dieu, le priant de benir nostre entreprise pour sagloire, et conuersion de ces pauures Infideles : ensuite nous fismes bastir vne Cabane pour nous loger,où à grand! peine eusmes-nous le loisir de nousentre-caresser, que ie vis mes Saunages (ennuyez demon absence) nous venir visiter, ce qu’ils reitererentplusieurs fois, et nous nous estudions à les receuoiret traicter si humainement et civilement, que nousles gaignasmes, en sorte , qu’ils sembloient de-ll battre de courtoisie à receuoir les François en leur

Cabane, lorsque la necessité de leurs affaires les iet-toit à la mercy de ces Saunages, que nous experi-mentasmes auoir este vtiles a ceux qui doiuent traic-ter auec eux, esperant par ce moyen de nous insinuerau principal dessein de leur conuersion, seul motifd’vn si long et fascheux voyage.

Or nous voyans parmy eux nous nous resolusmesd’y bastir un logement, pour prendre possession, aunom de Iesus Christ, de ce pays, afin d’y faire lesfonctions, et exercer les ministeres de nostre Mis-sion : ce qui fut cause que nous priasmes le Chef,qu’ils nomment Caribou Andionxra, c’est à dire, Capi-

Page 98: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--65- itaine et Chef de la police, de nous le permettre, cequ’il fit, apres auoir assemblé le Conseil des plus no-tables, et ouy leur aduis : et aptes qu’ils se furentefforcez de nous dissuader ce dessein, nous persua-dans de prendre plustost logement en leurs Cabanespour y estre mieux traitez. Nous obtinsmes ce quenous desirions, leur ayans faict entendre qu’il estoitainsi necessaire pour leur bien 3 car estans venus desi loing pays pour leur faire entendre ce qui concer-noit le salut de leurs [I ames, et le bien de la felicité 95eternelle, auec la cognoissance d’vn vray Dieu, parla predication de l’Euangile, il n’estoit pas possibled’estre assez illuminez du Ciel, pour les instruireparmy le tracas de la mesnagerie de leurs Cabanes,ioint que desirans leur conserver l’amitié des Fran-çois qui traictoient auec eux, nous aurions plus decredit a les conseruer ainsi à part, que non pas quandnous serions cabanez parmy eux. De sorte que s’es-tans laissez persuader par ces discours et autres sem-blables, ils nous dirent que nous fissions cesser lespluyes (qui pour lors estoient fort grandes et impor-tunes) en priant ce grand Dieu, que nous appelionsPere, et nous disions ses seruiteurs, afin qu’il lesfist cesser, pour pouuoir nous accommoder la Cabaneque nous desirions : si bien que Dieu fauorisant nosprieres (apres auoir passé la nuict suyvante à le solli-citer de ses promesses) il nous exauça, et les fit cessersi parfaictement, que nous eusmes vn temps fort se-rain 3 dequoy ils furent si estonnez et ranis, qu’ils lepublierent pour miracle, dont nous rendismes gracesà Dieu. Et ce qui les confirma dauantage, ce futqu’apres auoir" employé quelques iours à ce pieux 96

Page 99: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

97

..66-trenail, et aptes l’auoir mis a sa perfection, les pluyesrecommencerent : de sorte qu’ils publierent par toutla grandeur de nostre Dieu.

le ne puis obmettre vn gentil debat qui arriua en-tr’eux, a raison de nostre bastiment, d’vn ieune gar-çon lequel n’y trauaillant pas de bonne volonté, seplaignoit aux autres de la peine et du soin qu’ils sedonnoient, de bastir vne Cabane à des gens qui neleur estoient point parens, et eust volontiers desiréqu’on eust delaissé la chose imparfaite, et nous enpeine de loger auec eux dans leurs Cabanes, ou d’es-tre exposez à l’iniure de l’air, et incommodité dutemps z mais les autres Saunages portez de meilleurevolonté, ne luy voulurent point acquiescer, et le re-prirent de sa paresse, et du peu d’amitié qu’il tesmoi-gnoit à des personnes si recommandables, qu’ils de-uoient cherir comme parents et amys, bien qu’estran-gers, puis qu’ils n’estoient venus que pour leur pro-pre bien et profit.

Ces bons Saunages ont cette louable coustume en-tr’eux, que quand quelques-vns de leurs Conci-toyens n’ont point de Il Cabane à se loger, tous vna-nimement prestent la main, et luy en font vne, etne l’abandonnent point que la chose ne soit mise enla perfection, ou du moins que celuy ou ceux pourqui elle est destinée, ne la puissent aysement para-cheuer : et pour obliger vn chacun à vn si pieux etcharitable office, quand il est question d’y trauailler,la chose se decide tousiours en plein conseil, puis lecry s’en faict tous les iours par le Bourg, afin qu’vnchacun s’y trouue à l’heure ordonnée, ce qui est vn

tres-bel ordre, et fort admirable pour des personnes

Page 100: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

sauuages que nous croyons, et sont en effect, moinspolicées que nous. Mais pour nous, qui leur estionsestrangers, et arriuez de nouueau, c’estoit beaucoup,de se monstrer si humains que de nous en bastirauec vne si commune et vniuerselle affection, veuqu’ils ne donnent ordinairement rien pour rien auxestrangers, si ce n’est à des personnes qui le meri-tent, ou qui les ayent bien obligez, quoy qu’ils de-mandent tousiours, particulierement aux François,qu’ils appellent Agnonha, c’est à dire gens de fer, en

leur langue, et les Canadiens et Montagnais noussur-nomment Mistigoche, qui H signifie en leur lan-gue Canot ou Basteau de bois : ils nous appellentainsi, à cause que nos Nauires et Basteaux sont faictsde bois, et non d’escorces comme les leurs : maispour le nom que nous donnent les Hurons, il vientde ce qu’auparauant nous, il ne sçauoient que c’es-toit de fer, et n’en auoient aucun vsage, non plus quede tout autre metal ou minera].

Pour reuenir au paracheuement de nostre Cabane,ils la dresserent enuiron a deux portées de flesche loindu Bourg, en vn lieu que nous-mesmes auions choisipour le plus commode, sur le costeau d’vn fond, oùpassoit vn beau et agreable ruisseau, de l’eau duquelnous nous semions à boire, et à faire nostre Saga-mité, excepté pendant les grandes neiges de l’hyuer,que pour cause du fascheux chemin, nous prenionsde la neige proche de nous pour faire nostre manger,et ne nous en trouuasmes point mal, Dieu mercy. Ilest vray qu’on passe d’ordinaire les sepmaines et lesmois entiers sans boire : car ne mangeant iamais riende salé ny espicé, et son manger quotidien n’estant

98

Page 101: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

99

lOO

-53-que de ce bled d’Inde boüilly en eau, cela sert deboisson et de mangeaille, et nous [I nous trouuionsfort-bien de ne point manger de sel, aussi estions-nous pres de trois cens lieuës loin de toute eau salée,de laquelle eussions pu esperer du sel. Et à mon re-tour en Canada, ie me trouuois mal au commence-ment d’en manger, pour l’avoir discontinué troplong temps; ce qui me faict croire que le sel n’est pasnecessaire à la conseruation de la vie, ny à la santéde l’homme.

Nostre pauure Cabane pouuoir aouoir enuironvingt pieds de longueur , et dix ou douze de large,faicte en forme d’vn berceau de jardin, couuerte d’es-corce par tout, excepté au faiste, où on auoit laissévne fente et ouuerture exprez pour sortir la fumée:estant ainsi acheuée de nous-mesmes au mieux qu’ilnous fut possible, et auec quelques haches que nousauions apportées, nous fismes vne cloison de piecesde bois, separant nostre Cabane en deux : du costéde la porte estoit le lieu ou nous faisions nostre mes-nage , et prenions nostre repos , et la chambre inte-rieure nous seruoit de Chapelle, car nous y auionsdressé vn Autel pour dire la saincte Messe , et y ser-rions encore nos ornemens et autres petites commo-ditez, et H de peur de la main larronnesse des Sauua-gcs nous tenions la petite porte d’escorce, qui estoit àla cloison, fermée et attachée auec vne cordelette. Al’entour de nostre petit logis nous accommodasmes vnpetit iardin , fermé d’vne petite palissade, pour enoster le libre accez aux petits enfants Sauuages , quine cherchent qu’a mal faire pour la plus-part : lespois, herbes, et autres petites choses que nous auions

Page 102: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

semées en ce petit jardin , y profiterent assez bien ,encore que la terre en fust fort maigre, comme l’vndes pires et moindres endroicts du pays.

Mais , pour auoir faict nostre Cabane hors de sai-son, elle fut couuerte de tres-mauuaise escorce , quise decreua et fendit toute, de sorte qu’elle nous garan-tissoit peu ou point des pluyes qui nous tomboientpar tout, et ne nous en pouuions detfendre ny le iourny la nuict, non plus que des neiges pendant l’hyuer,de laquelle nous nous trouuions par-fois couuerts lematin en nous leuant. Si la pluye estoit aspre , elleesteignoit nostre feu,nous priuoit du disner, et nouscausoit tant d’autres incommoditez , que ie puis direauec verité , que iusqu’a ce que nous Il y eussions vnpeu remedié, qu’il n’y auoit pas vn seul petit coin ennostre Cabane, ou il ne pleust comme dehors, ce quinous contraignait d’y passer les nuicts entieres sansdormir , cherchans à nous tenir et ranger debout ouassis en quelque petit coin pendant ces orages.

La terre nuë ou nos genoüils, nous seruoient detable à prendre nostre repas, ainsi comme les Sauua-ges, et n’auions non plus de nappes ny seruiettes àes-suyer nos doigts, ny de coustean à couper nostre painou nos viandes : car le pain nous estoit interdict , etla viande nous estoit si rare, que nous auons passé des6 sepmaines , et deux ou trois mois entiers sans enmanger, encore n’estoi-ce quelque petit morceau deChien, d’Ours ou de Renard, qu’on nous donnoit enfestin, excepté vers Pasques et en l’Automne, quequelques François nous firent part de leur chasse etgibier. La chandelle de quoy nous nous seruions lanuict, n’estoit que de petits cornets d’escorce de Bou-

n01

Page 103: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

102

103

-70-leau , qui estoient de peu de durée , et la clairté dufeu nous seruoit pour lire, escrire, et faire autres pe-tites choses pendant de longues nuicts de l’hyuer, cequi n’estoit vne petite incommodité.

i5 Nostre vie et nourriture ordinaire estoit des mes-mes mets et viandes que celles que les Saunages vsentordinairement , sinon que celles de nos Sagamitésestoient vn peu plus nettement accommodées, et quenous y meslions encore par-fois de petites herbes ,comme de la Marjolaine saunage, et autres, pour luydonner goust et saveur, au lieu de sel et d’espice;mais les Saunages s’apperceuants qu’il y en auoit, ilsn’en vouloient nullement gouster, disant que cela sen-toit mauuais, et par ainsi ils nous la laissoient man-geren paix, sans nous en demander, comme ils a-uoient accoustumé de faire lors qu’il n’y en auoitpoint, et nous leur en donnions volontiers , aussi nenous en refusoient-ils point en leurs ’Cabanes quandnous leur en demandions, et eux-mesmes nous enoffroient souuent.

Au temps que les bois estoient en seue , nous fai-sions parafois vne fente dans l’escorce de quelque grosFouteau, et tenans au-dessous une escuelle, nous enreceuions le ius et la liqueur qui en distilloit, laquellenous seruoit pour nous fortifier le cœur lorsque nousnous en sentions incommodez : mais c’est neantmoinsvn reme- l] de bien simple et de peu d’effect, et quiaffadist plustost qu’il ne fortifie, et si nous nous enseruions , c’estoit faute d’autre .chose plus propre etmeilleure.

Auant que de partir pour aller a la mer douce , levin des Messes, que nous auions porté en un petit ba-

Page 104: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-7l-.ril de deux pots, estant failly, nous en fismes d’autreauec des raisins du pays, qui estoit tres-bon, et bouil-lit en nostre petit baril, et en deux autres bouteillesque nous auions, de mesme qu’il eust pu faire en desplus grands vaisseaux, et si nous en eussions encoreeu d’autres , il y auoit moyen d’en faire une assezbonne prouision , pour la grande quantité de vigneset de rasins qui sont en ce pays-là. Les Sauvages enmangent bien le raisin , mais ils ne les cultiuent nyn’en font aucun vin, pour n’en auoir l’inuention, ny

les instruments propres: Nostre mortier de bois , etvne seruiette de nostre Chapelle nous seruirent de pres-soir, et vn Anderoqua, ou sceau d’escorce, nous ser-uit de cuue : mais nos petits vaisseaux n’estans ca-pables de contenir tout nostre vin nouueau, nous fus-mes contraincts , pour ne point perdre le reste , d’enfaire du raisiné, qui fut aussi Il bon que celui que l’onfaict en France , lequel nous seruit aux iours de recrea-tion et bonne feste de l’année, à en prendre vn petitsur la poincte d’vn coustean.

Pendant les neiges nous estions contraincts de nousattacher des raquettes sous les pieds , aussi bien queles Saunages, pour aller querir du bois pour nouschauffer, qui est une tres-bonne inuention : car auecicelles on n’enfonce point dans les neiges, et si on faictbien du chemin en peu de temps. Ces raquettes, que nosSaunages ,Hurons appellent Agnonra , sont deux outrois fois grandes comme les nostres. Les Montagnais,Canadiens et Algoumequins, hommes, femmes, filleset enfans auec icelles suiuent la piste des animaux, etla beste estant trouuée, et abattue à coups de fiescheset espées emmanchées au bout d’vne demye picque ,

104

Page 105: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

...72-qu’ils savent dextrement darder : ils se cabanent, etla se consolent, et iouïssent du fruict de leur trauail,et sans ces raquettes ils ne pourroient courir l’Eslanny le Cerf, et par consequent il faudroit qu’ils mou-russent de faim en temps d’hyuer.

Pendant le iour nous estions continuellement visi-105 tez d’vn bon nombre de Sau Il uages, et à diuerses in-

tentions; car les vns y venoient pour l’amitié qu’ilsnous portoient, et pour s’instruire et entretenir de dis-cours auec nous : d’autres pour voir s’ils nous pour-roientrien desrober, ce qui arriuoitassez sonnent, ius-qu’a prendrede nos cousteaux,cueilliers,escuelles d’es-

corce ou de bois, et autres choses qui nous faisoientbesoin : et d’autres plus charitables nous apportoientde petis presens, comme du bled d’lnde, des Citrouil-les, des Fezolles, et quelquesfois des petits Poissonsboucanez, et en récompense nous leur donnions aussid’autres petits prescris, comme quelques aleines , fer afiesches, ou vn peu de rassade à pendre à leur col, oua leurs oreilles; et comme ils sont panures en meubles,empruntants quelqu’vn de nos chaudrons, ils nous lerendoient tousiours auec quelque reste de Sagamitédedans , et quand il arrivoit de faire festin pour undeffunct, plusieurs de ceux qui nous aymoient nousen ennoyoient, comme ils faisoient au reste de leursparens et amys, selon leur coustume. llsnous venoientaussi souuent prier de festin; mais nous n’y allions

106 que le plus rarement qu’il nous estoit possible, Il pourne nous obliger à leur en rendre , et pour plusieursautres bonnes raisons.

Quand quelque particulier Sauuage de nos amysvenoit nous visiter, entrant chez-nous , la salutation

Page 106: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-73-estoit ho, ho, ho, qui est vne salutation de ioye, etla seule voix ho, ho , ne se peut faire que ce ne soitquasi en riant, tesmoignans par la la ioye et le con-tentement qu’ils auoient de nous voir; car leur autresalutation wae, qui est comme si on disoit: Qu’est-ce , que dites-vous? se peut prendre en divers sens ,aussi est-elle commune enuers les amys, comme en-uers les ennemys, qui respondent en la mesme maniereQuoye , ou bien plus gracieusement Yatoro , qui est àdire, mon amy, mon compagnon, mon camarade, ou,disent Anaquen, mon frere, et aux filles Eadsé, ma bon-ne amie, ma compagne, et quelquesfois aux vieillardsYaistan, mon pere, Honratinoron, oncle, mon oncle, etc.

Ils nous demandoient aussi à petuner, et plus sou-uent pour espargner le pétun qu’ils auoient dans leursac; car ils n’en sont iamais desgarnis: mais commela foule y estoit souuent si grande, qu’à peine auions-nous place en nostre Cabane, nous Il ne pouuions pasleur en fournir à tous , et nous en excusions , en cequ’eux-mesmes nous traictoient ce peu que nous enauions, et cette raison les rendoit contens.

Vne grande invention du Diable, qui fait du singepar tout est que comme entre nous on salué de quel-que devote priere celui ou celle qui esternuë , eux aucontraire , poussez de Satan , et d’vn esprit de ven-geance, entendans esternuer quelqu’vn, leur salut or-dinaire n’est que des imprecations , des ininres et lamort mesme qu’ils souhaitent et désirent aux Yro-quois , et à tous leurs ennemys, dequoy nous les re-prenions , mais il n’estoit pas encore entré en leuresprit que ce fust mal faict, d’autant que la vengeanceleur est tellement coustumiere et ordinaire , qu’ils la

:07

Page 107: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

tiennent comme vertu à l’endroict de l’ennemy es-tranger, et non toutefois enuers ceux de la propreNation, desquels ils sçauent assez bien dissimuler ,et supporter vn tort ou iniure quand il faut. Et à cepropos de la vengeance îe diray que comme le Gene-ral de la flotte assisté des autres Capitaines de naui-res, eussent par certaine ceremonie, ieté vne espée dans

108 la rivière Sainct Laurens au temps de la Il traicte , enla presence de tous les Sauuages, pour asseuranceaux meurtriers Canadiens qui auoient tué deux Fran-çois, queleurfaute leur estoit entierement pardonnée,et enseuelie dans l’oubly, en la mesme sorte que cetteespée estoit perdue et enseuelie au fonds des eauës.Nos. Hurons, qui sanent bien dissimuler, et qui tien-nent bonnel’mine en cette action , estans de retourdans leur. pays tournerent toute cette ceremonie enrisée, et s’en mocquerent, disans que toute la coleredes François anait este noyée en cette espée , et quepour tuer un François on" en seroit dores-nauantquitte pour vne douzaine de castors.

Pendantl’hyuer, que les Epicerinys se vindrent ca-baner au pays de nos Hurons, a trois lieues de nous,ils venoient "soutient inous visiter en nostre Cabanepour nous voir, et pour s’entretenir de discours auecnous : car comme i’ay dict ailleurs, ils sont assez bon-nes gens, et sçauent les deux langues, la Huronne etla leur, ce que n’ont pas les Hurons, lesquels ne sça-uent ny n’apprennent autre langue que la leur, soitpar négligence, ou pour ce qu’ils ont moins affaire de

109 leurs voysins, que leurs Il voysins n’ont affaire d’eux.Ils nous parlerent par plusieurs fois d’vne certaineNation à laquelle ils vont tous les ans vne fois a la

Page 108: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

traite, n’en estans esloignez qu’enuiron vne Lune etdemye , qui est vn mois ou six sepmaines de chemintant par terre que par eau et riuiere. A laquelle vientaussi trafiquer vn certain peuple qui y aborde parmer , auec des grands basteaux ou nauires de bois ,chargez de diuerses marchandises , comme haches,faictes en queuë de perdrix, des bas de chausses, auecles souliers attachez ensemble , souples neantmoinscomme vn gand, et plusieurs autres choses qu’ils es-changent pour des pelleteries. Ils nous dirent aussique ces personnes-là ne portoient point de poil, ny àla barbe ny à la teste, (et pour ce par nous sur-nom-mez Testes pelées) et nous asseurerent que ce peu-ple leur auoit dict qu’il seroit fort ayse de nous voir,pour la façon de laquelle on nous avoit dépeinct enson endroict, ce qui nous fit coniecturer que ce pou-uoit estre quelque peuple et nation policée et habi-tuée vers la mer de la Chine , qui borne ce pays versl’Occident, comme il est aussi borné de la mer Océa-ne, enuiron les 4o. degrez vers l’Orient, Il et espérionsy faire vn voyage à la premiere commodité auec cesEpicerinys, comme ils nous en donnoient quelque es-perance , moyennant quelque petit present, si l’obé-dience ne m’eust rappellé trop tost en France : carbien que ces Epicerinys ne veulent pas mener deFrançois seculiers en leur voyage , non plus que lesMontagnais et Hurons n’en veulent point menerau Saguenay, de peur de descouurir leur bonne etmeilleure traicte, etle paysoù ils vont amasser quantitéde pelleteries : ils ne sont pas si resserrez en nostre en-droict , sçachans desia par expérience , que nous nenous meslons d’aucun autre trafic que de celui des

F

"0

Page 109: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

ames, que nous nous efforçons de gaigner a Iesus-Christ.

Quand nous allions voir et visiter nos Sauuagesen leurs Cabanes, ils en estoient pour la pluspartbien ayses, et le tenoient à honneur et faneur, seplaignans de ne nous y voir pas assez sonnent, etnous faisoient par-fois comme font ordinairementles Merciers et Marchands du Palais de Paris, nousappelans chacun a son foyer, et peut-estre sous es-perance de quelque aleine, ou d’vn petit bout deras- Il sade, de laquelle ils sont fort curieux a se parer.Ils nous faisoient aussi bonne place sur la natte au-prés d’eux au plus bel endroict, puis nous offroientà manger de leur Sagamité, y en ayant sonnentquelque reste dans leur pot : mais pour mon parti-culier i’en prenois fort rarement, tant à cause qu’ilsentoit pour l’ordinaire trop le poisson puant, quepour ce que les chiens y mettoient sonnent leur nez,et les enfants leur reste. Nous auions aussi fort àdégoust et à contre-cœur de voir les Sauuagessesmanger les pouls d’elles et de leurs enfants; car ellesles mangent comme si c’estoit chose fort excellenteet de bon goust. Puis comme par-deçà que l’on boitl’vn a l’autre, en presentant le verre a celuy à qui ona ben, ainsi les Sauuages qui n’ont que de l’eau àboire, pour toute boisson, voulans festoyer quel-qn’vn, et luy monstrer signe d’amitié, apres auoirpétuné luy présentent le petunoir tout allumé, etnous tenans en cette qualité d’amis et de parens, ilsnous en offroient et presentoient de fort bonne grace:Mais, comme ie ne me suis iamais voulu habituerau petun, ie les en remerciois, et n’en prenois nul-

Page 110: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

lement, dequoy ils estoient au com- Il mencement 112tous estonnez, pour n’y auoir personne en tous cespays-là, qui n’en prenne et vse, pour à faute de vinet d’espices eschaufi’er cet estomach, et aucunementcorrompre tant de cruditez prouenantes de leur mau-uaise nourriture.

Lorsque, pour quelque nécessité ou affaire, il nousfalloit aller d’vn village à vn autre, nous allions li-brement loger et manger en leurs Cabanes, aus-quelles ils nous recevoient et traictoient fort humai-nement, bien qu’ils ne nous eussent aucune obliga-tion : car ils ont cela de propre d’assister les passans,et receuoir courtoisement entr’eux toute personnequi ne leur est point ennemie : et à plus forte rai-son, ceux’ de leur propre Nation, qui se rendentl’hospitalité réciproque, et assistent tellement l’vnl’autre, qu’ils pouruoyent à la nécessité d’vn cha-

cun, sans qu’il y ait aucun pauure mendiant parmyleurs villes et villages, et trouuoient fort mauuaisentendans dire qu’il y anait en France grand nombrede ces nécessiteux et mendians, et pensoient que celafust faute de charité qui fust en nous, et nous enblasmoient grandement.

Page 111: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-78-1 1 3 Il Du pays des Hurons, et de leur: villes, villages et cabanes.

CHAPITRE VI.

. ’ .3 us, pour parler en général du pays des

Hurons, de sa situation, des mœurs deses habitants, et de leurs principales ce-

p . remonies et façonsde faire, disons pre-mierement, qu’il est situé sous la hauteur de qua-rante-quatre degrez et demy de latitude, et deuxcens trente lieues de longitude a l’Occident, et dixde latitude; pays fort déserté, beau et agréable, ettrauersé de ruisseaux qui se desgorgent dedans legrand lac. On n’y voit point vne face hydeuse degrands rochers et montagnes stériles, comme on voiten beaucoup d’autres endroicts és contrées Cana-

diennes et Algoumeqnines. ILe pays est plein de belles collines, campagnes, et

de tres-belles I et grandes prairies, qui portent quan-1x4 tiré de bonifoin, Il qui ne sert’qu’à y mettre le feu

. par plaisir, quand il est sec : et en plusieurs endroictsil y a quantité de froment saunage, qui a l’espiccomme seigle, et le grain comme de l’auoine : i’yfust trompé, pensant au commencement que i’en vis,que ce fussent champs qui eussent esté’ensemencezde bon grain z ie fus de mesme trompé aux pois sau-nages, ou il y en a en diuers endroicts aussi espais,comme s’ils y auoient esté semez et cultiuez z et pourmonstrer la bonté de la terre, vn Sauuage depToën-chen ayant planté vn peu de pois qu’il nuoit appor-

Page 112: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

tez de la traicte, rendirent leurs fruicts deux fois plusgros qu’a l’ordinaire, dequoy ie m’estonnay, n’en

ayant point veu de si gros, ny en France, ny en Ca-nada.

Il y a de belles forests, peuplées de gros Chesnes,Fonteaux, Herables, Cedres, Sapins, Ifs et autressortes de bois beaucoup plus beaux, sans comparai-son, qu’aux autres prouinces de Canada que nousayons veues : aussi le pays est-il plus chaud et plusbeau, et plus grasses et meilleures sont les terres,que plus on aduancé tirant au Sud : car du costéduNord les terres y sont plus pierreuses et sablonneuses,ainsi" que ie vis allant sur la mer douce, pour lapesche du grand poisson. ’

Il y a plusieurs contrées ou prouinces au pays denos Hurons qui portent diuers noms, aussi bien queles diuerses prouinces de France : car celle ou com-mandoit le grand Capitaine Azironta, s’appelle Enarlzo-non, celle d’Entauaque s’appelle Atigdgnorzgueha, et la

Nation des Ours, qui est celle ou nôus demeurions,sous le grand Capitaine Auoindaon, s’appelle Atingya-hointan, et en cette estendue de pays, il y a enuironvingt-cinq tant villes que villages, dont une partiene sont point clos ny fermez, et les autres sont forti-fiez de fortes palissades de bois à triple rang, entre-lassez les vns dans les autres, et redoublez par de-dans de grandes et grosses escorces, à la hauteur dehuict à neuf pieds, et par dessous il y a de grandsarbres posez de leur long, sur des fortes et courtesfourchettes des troncs des arbres : puis au dessus deces palissades il y a des galeries ou guerites, qu’ilsappellent Ondaqua, qu’ils garnissent de pierres en

115

Page 113: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

...8°-temps de guerre, pour ruer sur l’ennemy, et d’eaupour esteindre le feu qu’on pourroit appliquer contre

nô leurs palissades; nos Hurons "y montent par vneeschelle assez mal façonnée et difficile, [et detïendentleurs rempars auec beaucoup de courage et d’in-dnstrie.

Ces vingt-cinq villes et villages peuuent estre peu-plez de deux ou trois. mille hommes de guerre, auplus, sans y comprendre le commun, qui peut faireen nombre enuiron trente ou quarante mille âmesen tout. La principale ville auoit autre fois deux censgrandes Cabanes, pleines chacune de quantité demesnages; mais, depuis peu, à raison que les boisleur manquoient, et que les terres commençoient às’amaigrir, elle est diminuée de grandeur, séparée en

deux, et bastie en vn autre lien plus commode.Leurs villes frontieres et plus proches des ennemis,

sont tousiours les mieux fortifiées, tant en leurs en-ceintes et murailles, hautes de deux lances ou enui-ron, et les portes et entrées qui ferment à barres,par lesquelles on est contrainct de passer de costé,et non de plein saut, qu’en l’assiette des lieux qu’ilssçauent assez bien choisir, et aduiser que ce soit ioi-gnant quelque bon ruisseau, en lieu vn peu esleué,

1 r7 et enuironné d’vn fossé naturel, s’il se H peut, et que

l’enceinte et les murailles soient basties en rond, etla ville bien ramassée, laissans neantmoins vnegrande espace vuide entre les Cabanes et les mu-railles, pour pouuoir mieux combattre et se deffen-dre contre les ennemis qui les attaqueroient sanslaisser de faire des sorties aux occasions. ,

Il y a de certaines contrées ou ils changent leurs

Page 114: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

villes et villages, de dix, quinze ou trente ans, plusou moins, et le font seulement lorsqu’ils se trouuenttrop esloignez des bois; qu’il faut qu’ils portent surleur dos , attaché et lié auec vn collier, qui prend ettient sur le front; mais en hyuer ils ont accoustuméde faire de certaines traisnées qu’ils appellent Arocha,faictes de longues planchettes de bois de Cedre blanc,sur lesquelles ils mettent leur charge, et ayans des ra-quettes attachées sous leurs pieds, traisnent leur far-deau par-dessus les neiges, sans aucune difficulté. Ilschangent leur ville ou village, lors que par successionde temps les terres sont tellement fatiguées , qu’ellesne peuuent plus porter leur bled avec la perfectionordinaire, faute de fumier , et pour ne sçauoir culti-uer la terre, ny semer dans Il d’autres lieux, que dansles trous ordinaires.

Leurs Cabanes, qu’ilsappellent Gananchia, sont faic-tes, comme i’ay dict, en façon de tonnelles on berceauxde iardins, couuertes d’escorces d’arbres, de la longueur

de25.à 3o. toises, plus ou moins (car elles ne sont pastoutes égales en longueur), et six de large, laissans parle milieu vne allée de 10. à 12. pieds de large, qui vad’vn bout à l’autre ; aux deux costez il y a vne ma-nière d’establie de la hauteur de quatre ou cinq pieds;qui prend d’vn bout de la Cabane à l’autre, ou ilscouchent en esté, pour cuiter l’importunité des pu-ces,dont ils ont grande quantité, tant à cause de leurschiens qui leur en fournissent à bon escient, que pourl’eau que les enfants y font, et en hyuer ils couchenten bas sur des nattes proches du feu, pour estre pluschaudement, et sont arrangez les vns proches desantres , les enfans au lien plus chaud et éminent,

Page 115: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-82-pour l’ordinaire , et les pere et merc apres, et n’y apoint d’entre-deux ou de separation, ny de pied, nyde chenet], non plus en haut qu’en bas , et ne fontantre chose pour dormir, que de se coucher en la mes-

r 19 me place ou ils sont Il assis, et s’affnbler la teste auec

leur robe, sans antre conuertnre ny lict. .Ils emplissent de bois sec, pour brusler en hyuer,

tout le dessous de ces establies, qu’ils appellent Gariba-gueu et Eindichaguet : mais pour les gros troncs ou ti-sons appellez Aneincuny, qui seruent à entretenir le feu,esleuez vn peu en haut par vn des bouts, ils en. fontdes piles deuant leurs Cabanes, ou les serrent au de-dans des porches, qu’ils appellent Aque. Toutes lesfemmes s’aydent à faire cette prouision de bois , quise fait des le mois de Mars, et d’Auril, let auec cet or-dre en peu de iours chaque meSnage est fourny de cequi luy est nécessaire.

Ils ne se seruent que de tres-bon bois, aymantmieux l’aller chercher bien loin, que d’en prendre devert, ou qui fasse fumée; c’est pourquoy ils entre-tiennent tonsiours vn feu clairanec peu de bois : ques’ils ne rencontrent point d’arbres bien secs , ils enabattent de ceux qui ont les branches seiches , les-quelles ils mettent par esclats, et couppent d’vne égalelongueur, comme les cotrays de Paris. Ils ne se ser-.uent point du fagotage , non plus que du tronc des

120 plus gros arbres Il qu’ils abattent; car ils les laissentla pourrir sur la terre, pource qu’ils ’n’ont point descie pour les scier, ny l’industrie de les mettre enpieces qu’ils ne soient secs et pourris. Pour nous quin’y prenions pas garde de si prés, nous nous conten-tions de iceluy qui estoit plus proche de nostre Ca-

Page 116: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-83-bane, pour n’employer tout nostre temps à Vcetteroc-

cupation. l I , , UEnlvne Cabane il y a plusieurs feux, et à chaquefeu il y a deux mesnages, l’vn d’vn costé, l’autre del’autre, et telle Cabane aura iusqu’à huict, dix son;douze feux,qui font 24. mesnages, et lés autresmoins,selon qu’elles sont longues ou petites,,e.t on ilfumea bon escient, qui faict que plusieurs en reçoiuent detres-grandes incommoditez aux yeux, V,n’y ayant,mestre ny ouuerture, que celle qui est au dessus de.leur Cabane, .par ou la fumée sort. Aux deux boutsily a à chacun ’vn porche, et ces porches leurv.seruent,principalement à mettre leurs grandes ’cuue’s, autan--nes d’escorce, dans’quoy ils serrent leur bled d’Inde,,apres qu’il est bien Sec et e’sgrené. Au milieu de leur, ,logementil ’a’deux’ grosses perches,.suspenduésqu’ils appellent Ouaronai, ou ils, pen- Ildéntjyl’eur’çra-A 121

maliere, et mettent leurs habits, viures. et sans; c1 "07.,ses, depeur des souris,et pour tenir les choses seiche-,ment r Mais pour le poisson duquel ils font ’rouision.pour leur hiuer, apres qu’il est boucané,*ils lestement,en des tonneaux d’éscorce, qu’ils appellent Achat, ex-bcepté Leinchataori, qui est vu poisson qu’ilsün’esuenar

trent point, et lequel ils pendent au haut de leurCabane auec des cordelettes, pource qu’enfermécn.quelque tonneau il sentiroit trop mauuais, et sepourriroit-incontinent; ’ V V . q j Î " 4’47

Crainte du feu, auquel ils sont asse’z,.suiets’, ils;serrent sonnent en des tonneauxce qu’ils ont de plus I,precienx,et les enterrent en des fosses ’ profondes.

. qu’ils font dans leurs Cabanes, puis les connrent de 1la mesme terre, et cela les conserue’non seulement

Page 117: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

du feu, maisaussi de la main des larrons, pour n’a-. noir autre cofi’re ny armoire en tout leur mesnage,

que ces petits tonneaux. Il est vray qu’ils se font peusonnent du tort les vns aux autres; mais encore s’yen trouue-t-il par-fois de meschans, qui leur font dudesplaisir quand ils ne pensent estre descouuerts, etque ce soit principalement quelque chose à man-ger.

1 22 H Exercice ordinaire des hommes et des femmes.

CHAPITRE V1 I.

soit puny de mort. L’occupation de nos Sauuages estla pesche, la chasse et la guerre ;, aller à la traicte,faire des Cabanes et des Canots, ou les outils propresa cela. Le reste du temps ils le passent en oisiueté, ajouer, dormir, chanter, dancer, pétuner, ou aller enfestins, et ne veulent s’entremettre d’aucun autre ou-vrage qui ’soit du deuoir de la femme, sans grandenécessité.

L’exercice du jeu est tellement fréquent et coustu-mier entr’eux, qu’ils y employent beaucoup de temps,

et par-fois tant les hommes que les femmes ioüent

Page 118: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-35-tout ce qu’elles ont, et perdent aussi gayement. etIl patiemment, quand la chance ne leur en dict

point, que s’ils n’auoient rien perdu, et en ay veus’en retourner en leur village tous nuds, et chamans,apres auoir tout laissé aux nostres, et est arriué vnefois entre les autres, qu’vn Canadien perdit et safemme et ses enfants au jeu contre un François, quilui furent neantmoins rendus apres volontaire-ment.

Les hommes ne s’addonnent pas seulement au jeude paille, nommé Aescara, qui sont trois ou quatrecens de petits joncs blancs egalement couppez, de lagrandeur d’vn pied ou enuiron; mais aussi à plu-sieurs autres sortes de jeu g comme déprendre vnegrande escuelle de bois, et dans icelle auoir cinq ousix noyaux ou petites boulettes un peu plattes, de lagrosseur du bout du petit doigt, et peintes de noird’vn costé, et blanches et jaunes de l’autre : et estans

tous assis àterre en rond, a leur accoustumée, pren-nent tour a tour, selon qu’il eschet, cette escuelle,auec les deux mains, qu’ils esleuent vn peu de terre,et a mesme temps l’y reposent, et frappent un peurudement, de sorte que ces boulettes sont contrain-tes de se remuer et sauter, et voyent comme au jeu[j de dez, de quel costé elles se reposent, et si elles

font pour eux, pendant que celuy qui tient l’escuellela frappe, ct regarde a son jeu, il dit continuellementet sans intermission, Ter, ter, tu, tet, pensant que celaexcite et faict bon jeu pour luy. Mais le jeu des fem-mes et filles, auquel s’entretiennent aussi par-fois deshommes et garçons auec elles, est particulierementauec cinq ou six noyaux, comme ceux de nos abri-

[23

124

Page 119: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

- 86.:-cots, noirs d’vn costé, lesquels elles prennent auec lamain, comme on faict les dez, puis les iettent vn peuen haut, et estans tombez sur vn cuir, on peau es-tendué contre terre exprez, elles voyent ce qui faictpour elles, et continuent a qui gaignera les colliers,oreillettes, on antres bagatelles qu’elles ont, et noniamais aucune monnoye; car ils n’en ont nulle co-gnoissance ny vsage; ains mettent, donnent et es-changent vne chose pour vne autre, en tout le paysde nos Sauuages. n

le ne puis obmettreaussi qu’ils pratiquent enquelques-vns de leurs villages, ce que nous appelonsen France porter les momons : car ils defiieat et in-uitent les autres villes et villages de les venir voir,

12 5 jouer auec eux, et gaignerlenrs Il vstensilfes s’il eschetet cependant les festins ne manquent point : carpour la moindre occasion la chandiere est tousiourspreste, et particulierement en hyuer, qui est le tempsauquel principalement ils se festinent les vns lesautres. Ils aiment la peinture et y reüsissent assezindustrieusement, pour des personnes qui n’y ontpoint d’art ny d’instrumens propres, et font neant-moins des representatiOns d’hommes, d’animaux,d’oyseaux et autres grotesques, tant en relief depierres, bois et autres semblables matieres, qu’enplatte peinture sur leurs corps, qu’ils font non pouridolatrer; mais pour se contenter la veuë, embellir:leurs Calnmets et Petunoirs, et pour orner le deuantde leurs Cabanes.

Pendant l’hyuer, du filet que les femmes et fillesont filé, ils font les rets et filets à pescher et prendrele poisson en este, et mesme en hyuer sous la glace

Page 120: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

à la ligne, on à la seine, par le moyen des trous qu’ils

y font en plusieurs endroicts. Ils font aussi desfiesches auec le coustean, fort droictes et longues, etn’ayans point de cousteaux, ils se seruent de pierrestrenchantes, et les empennent de plumes u de queueset d’aisles d’Aigles, parce qu’ellestsont fermes et se

portent bien en l’air; la poincte auec vne colle fortede poisson, ils y accommodent vne .pierre acerée, ouvn os, ou des fers, que les François leur traictent.Ils font aussi des masses de bois pour la guerre, etdes panois qui connrent presque tout le corps, etauec. des boyaux ils font des cordes d’arcs et desraquettes, pour aller sur la neige, au bois et a la

chasse.- - - rIls font aussi des voyages par terre. aussi bien quepar mer, et les riuieres, et entreprendront (chose in-croyable) d’aller dix, vingt, trente et quarante lieues.par les bois, sans rencontrer ny sentiers ny Cabanes,et sans paner aucuns viures sinon du pétun et vnfuzil, auec l’arc au poing, et le carquois sur le dos.S’ils sont pressez de la soif, et qu’ils n’ayent pointd’eau, ils ont l’industrie de succer les arbres, parti-culierement les Fouteaux, d’où distile vne douce etfort agreable liqueur, comme nous faisions aussi, autemps que les arbres estoient en seue. Maislors qu’ilsentreprennent des voyages en pays loingtain, ils neles ,font point pour l’ordinaire inconsidérément, etsans en auoir en la [j permission des Chefs, lesquelsen vn conseil particulier ont accoustumé d’ordonnertous les ans, la quantité des hommes qui doiuentpartir de chaque ville ou village, pour ne les laisserdesgarnis de gens de guerre, et quiconque voudroit

26 au

127

Page 121: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-33-partir autrement, le pourroit faire a toute rigueur;mais il seroit blasmé, et estimé fol et imprudent.

I’ay veu plusieurs Sauuages des villages circon-uoysins, venir à Quieunonascaran, demander congé àOnorotandi, frere du grand Capitaine Auoindaon, pourauoir la permission d’aller au Saguenay : car il sedisoit Maistre et Supérieur des chemins et riuieresqui y conduisent, s’entend iusques hors le pays desHurons. De mesme il falloit auoir la permissiond’Auoindaon pour aller à Kebec, et comme chacunentend d’estre maistre en son pays, aussi ne laissent-ils passer aucun d’vne autre Nation Sauuage parleur pays, pour aller a la traicte, sans estre recogneuset gratifiez de quelque present : ce qui se faict sansdifficulté, autrement on leur pourroit donner del’empeschement, et faire du desplaisir.

128 Sur l’hyuer, lors que le poisson se retire Il sentantle froid, les Sauuages errans, comme sont les Cana-diens, Algoumequins et autres, quittent les riues dela mer et des riuieres, et se cabanent dans les bois, laou ils sçauent qu’il y a de la proye. Pour nos Hurons,Honqueronons et peuples Sedentaires, ils ne quit-tent point leurs Cabanes, et ne transportent pointleurs villes et villages (que pour les raisons et cau-ses que i’ay deduites cy-dessus au Chapitre sixiesme.)

Lors qu’ils ont faim, ils consultent l’Oracle, etaptes ils s’en vont l’arc en main, et le carquois sur ledos, la part que leur Oki leur a indiqué, on ailleursou ils pensent ne point perdre leur temps. Ils ontdes chiens qui les suyuent, et nonobstant qu’ils nejappent point, toutesfois ils sanent fort bien descou-urir le giste de la beste qu’ils cherchent, laquelle es-

Page 122: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

tant trouuée ils la poursuyuent courageusement, etne l’abandonnent iamais qu’ils ne l’ayent terrassée :

et enfin l’ayant naurée à mort ils la font tant harce-ler par leurs chiens, qu’il faut qu’elle tombe. Lors ilsluy ouurent le ventre, baillent la curée aux chiens,festinent, et emportent le reste. Que si la beste, pres-sée de trop prés, II rencontre vne riuiere, la mer ouvn lac, elle s’eslance librement dedans : mais nosSauuages agiles et dispos sont aussi tost apres auecleurs Canots, s’il s’y en trouue, et puis lui donnentle coup de la mort.

Leurs Canots sont de 8. à 9. pas de long, et en-uiron vn pas, ou pas et demy de large par le milieu,et vont en diminuant par les deux bouts, comme lanauette d’vn Tessier, et ceux-là sont des plus grandsqu’ils fassent; car ils en ont encore d’autres plus pe-tits, desquels ils se seruent selon l’occasion et la dif-ficulté des voyages qu’ils ont à faire. Ils sont fortsuietsa tourner, si on ne les sçait bien gouuerner,comme estans faits d’escorce de Bouleau, renforcéspar le dedans de petits cercles de Cedre blanc, bienproprement arrangez, et sont si Iegers qu’vn hommeen porte aysement vn sur sa teste, ou sur son es-paule, chacun peut porter la pesanteur d’une pipe,et plus ou moins, selon qu’il est grand. On faict aussid’ordinaire par chacun iour, quand l’on est pressé,25. ou 3o. lieuës dans lesdits Canots, pourueu qu’iln’y ait point de saut à passer, et qu’on aille au grédu vent et de l’eau z car ils vont d’vne vitesse et Iege-II reté si grande, que ie m’en estonnois, et ne pense

pas que la poste peust aller plus viste, quand ils sontconduits par de bons Nageurs.

129

130

Page 123: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

13

De mesme que les hommes ont leur exercice par-ticulier, et sçauent ce qui est du deuoit de l’homme,les femmes et les filles aussi se maintiennent dansleur condition, et font paisiblement leurs petits ou-urages, et les œuures seruiles : elles trauaillent ordi-nairement plus que les hommes, encore qu’elles n’ysoient point forcées ny contraintes. Elles ont le soinde la cuisine et du mesnage, de semer et cueillir lesbleds, faire les farines, accommoder le chanure etles escorces, et de faire la prouision de bois nécessaire.Et pource qu’il leur reste encore beaucoup de tempsà perdre, elle l’employent a ioüer, aller aux danceset festins, à deuiser et passer le temps, et faire toutainsi comme il leur plaist du temps qu’elles ont debon, qui n’est pas petit, puis que tout leur mesnageconsiste à peu, veu mesmes qu’elles ne sont admisesen plusieurs de leurs festins, ny en aucun de leursconseils, ny à faire leurs Cabanes et Canots, entrenos Hurons. ’

Elles ont I’inuention de filer le chanvre Il sur leurcuisse, n’ayans pas l’vsage de la quenouille et du fu-seau, et de ce filet les hommes en lassent leurs rets etfilets, comme i’ay dit. Elles pilent aussi le bled pourla cuisine, et en font rostir dans les cendres chaudes,puis en tirent la farine pour leurs marys, qui vontl’esté trafiquer en d’autres Nations esloignées. Elles

font de la poterie, particulierement des pots tousronds, sans ances et sans pieds, dans quoy elles fontcuire leurs viandes,chair ou poisson. Quand l’hyuervient, elles font des nattes de joncs, dont elles gar-nissent les portes de leurs Cabannes, et en font d’au-tres pour s’asseoir dessus, le tout fort proprement.

Page 124: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-9.j -Les femmes des Chenenx Releuez mesmes, baillentdes couleurs aux joncs, et font des compartimensd’ounrages auec telle mesure qu’il n’ya que redire.Elles couroyent et adoucissent les peaux des Castorset d’Eslans, et autres, aussi bien que nous sçaurionsfaire icy, dequoy elles font leurs manteaux ou cou-uertures, et y peignent des passements et bigarures,qui ont fort bonne grâce.

Elles font semblablement des paniers de jonc, etd’autres auec des escorces de Il Bouleaux pour mettredes fezoles, du bled et des pois, qu’ils appellentAcointa, de la chair, du poisson et autres petites pro-uisions : elles font aussi comme vne espece de gibe-siere de cuir, ou sac à pétun, sur lesquels elles fontdes onurages dignes d’admiration, auec du poil deporc espic, coloré de rouge, noir, blanc et bien,» quisont les couleurs qu’elles font si viues, que-les nos-tres ne semblent point en approcher. Elles s’exercentaussi à faire des escuelles d’escorce pour boire etmanger, et mettre leurs viandes et menestres. Deplus, les escharpes, carquans et brasselets qu’elles etles hommes portent, sourde leurs onurages : et non-obstant qu’elles ayant beaucoup plus d’occupationque les hommes, lesquels tranchent du Gentil-homme entr’eux, et ne pensent qu’a la chasse, àlapesche, ou à la guerre, encore ayment-elles commu-nément leurs marys plus que ne font pas celles dedeçà : et s’ils estoient Chrestiens ce seroient des fa-milles auec lesquelles Dieu se plairoit et demeu»remit.

132

Page 125: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-92....

133 ll Comme ils defrichent, semeur et cultiuent les terrer, et aprescomme ils accommodent le bled et les farines, et de la façond’apprester leur manger.

CHAPITRE VIII.

Ï” 1’ ava coustume est, que chaque mesnage4’ I vit de ce qu’il pesche, chasse et seme,! .- ayans autant de terre comme il leur est

et terres non defrischées sont en commun, et est per-mis à vu chacun d’en defrischer et ensemencer au-tant qu’il veut, qu’il peut, et qu’il luy est néces-saire; et cette terre ainsi défrichée demeure à la per-sonne autant d’années qu’il continué de la cultiueret s’en seruir, et estant entierement abandonnée dumaistre, s’en sert par apres qui veut, et non antre-ment. Ils les défrichent auec grand peine, pour n’a-uoir des instrumens propres : ils coupent les arbresà la hauteur de deux ou trois pieds de terre, puis ils es-

134 mondent toutes les branches, qu’ils font bruslerau pied d’iceux arbres pour les faire mourir, et parsuccession de temps en ostent les racines; puis lesfemmes nettoyent bien la terre entre les arbres, etbeschent de pas en pas vne place ou fossé en rond,où ils sement à chacune 9. ou 1o. grains de Maiz,qu’ils ont premierement choisy, trié et fait tremperquelques iours en l’eau,et contirüentainsi, iusques ace qu’ils en ayent pour deux ou trois ans de proui-sion; soit pour la crainte qu’il ne leur succede quel-

Page 126: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

que mauuaise année, on bien pour l’aller traic-ter en d’autres Nations pour des pelleteries ou autreschoses qui leur font besoin, et tous les ans sementainsi leur bled aux mesmes places et endroits, qu’ilsrafraischissent auec leur petite pelle de bois, faicte enla forme d’vne oreille, qui a vn manche au bout 3 lereste de la terre n’est point labouré, ains seulementnettoyé des meschantes herbes z de sorte qu’il sembleque ce soient tous chemins, tant ils sont soigneux detenir tout net, ce qui estoit cause qu’allant par-foisseul de village à autre, ie m’esgarois ordinairementdans ces champs de bled, plustost que dans les prai-ries et forests.

Il Le bled estant donc ainsi semé, à la façon quenous faisons les febues, d’vn grain sort seulementvn tuyau ou canne, et la canne rapporte deux outrois espics, et chaque espic rend cent, deux cents,quelquefois 400 grains, et y en a tel qui en rend plus.La canne croist à la hauteur de l’homme, et plus, etest fort grosse, (il ne vient pas si bien et si haut, nyl’espic si gros, et le grain si bon en Canada ny enFrance que la.) Le grain meurit en quatre mois, eten de certains lieux en trois:apres ils le cueillent,et le lient par les fueilies retroussées en haut, et l’ac-commodent par pacquets, qu’ils pendent tous arran-gez le long des Cabanes, de haut-en-bas, en des per-ches qu’ils y accommodent en forme de rattelier, des-cendant iusqu’au bord deuant l’establie, et tout celaest si proprement aiancé, qu’il semble que ce soienttapisseries tendues le long des Cabanes, et le grainestant bien sec et bon à serrer, les femmes et fillesl’esgrenent, nettoyent et mettent dans leurs grandes

.-35

Page 127: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

curies ou tonnes a ce destinées, et posées en leur por-che, ou en quelque coin de leurs Cabanes.

1 36 Pour le manger en pain, ils font pre- Il mierementvn peu bouillir le grain en l’eau, puis l’essuyent, etle font vu peu seicher : en aptes ils le broyeur, lepestrissent auec de l’eau tiede, et le font cuire sous lacendre chaude , enueloppé de fueilles de bled, eta faute de fueilles le lauent aptes qu’il est cuit :s’ils ont des Fezoles ils en font cuire dans vn petitpot, et en meslent parmy la paste sans les esca-cher, ou bien des fraizes, des blues (1); framboises,meures ’champestres, et autres petits fruicts secs etverts, pour lui donner du goust et le rendre meilleur;car il est fort fade de soy, si On n’y mesle de ces petitsragousts. Ce pain, et toute antre sorte de biscuit quenous vsons, il l’appellent Andataroni, excepté le painmis et accommodé comme deux balles iointes en-semble, enueloppé entre des fueilles de bled d’Inde,puis bouiliy et cuit en l’eau, et non sous la cendre,lequel ils appellent d’vn nom particulier Coinkia. Ilsfont encore du pain d’vne autre sorte, c’est qu’ilscueillent vne quantité d’espics de bled, auant qu’ilsoit du tout sec et meut, puis les femmes, filles etenfans auec les dents en destachent les grains, qu’ilsreiettent par apres auec la bouche dans de grandes

,37 escuelles ll qu’elles tiennent anprés d’elles, et puison l’acheue de piler dans le grand Mortier z et pource que cette paste est fort molasse, il faut necessaire-

(l) Le bluet on bleuet du Canada (espèce du genre airelle) , sorte d’ar-brisseau qui produit une baie d’un bien foncé, excellente à manger. (Nonsa L’lmnun.)

Page 128: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

ment l’enuelopper dans des fueilles pour la fairecuire sous les cendres à l’accoustumée ; ce pain mas-ché est le plus estimé entr’eux, mais pour moy len’en mangeois que par necessité et à contre cœur, àcause que le bled auoit esté ainsi à demy masché,pilé et pestry auec les dents des femmes, filles et pe-

tits enfans. ,Le pain de Maiz, et la Sagamité qui en est faicte,est de fort bonne substance, et m’estonnois de cequ’elle nourrit si bien qu’elle faict : car pour neboire que de l’eau en ce pays-là, et ne manger quefort peu sonnent de ce pain, et encore plus rarementde la viande, n’vsans presque que des seuls Sagami-tés, auec vn bien peu de poisson, on ne laisse pas dese bien porter, et estre en bon poinct, pourueu qu’onen ait suffisamment, comme on n’en manque pointdans le pays 3 mais seulement en de longs voyages,ou l’on souffre sonnent de grandes nécessitez.

Ils diuersifient- et accommodent en plusieurs façonsleur bled pour le manger; I car comme nous som-mes curieux de diuerses saulces pour contenter nos-tre appétit, aussi sont-ils soigneux de faire’ leurMenestre de diuerses maniérés, pour la trouuermeilleure, et cellequi me sembloit la plus agreable,estoit la Neintahouy ; puis l’Eschionque. La Nein-tahouy se faict en cette façon; les femmes font rostirquantité d’espics de bled, auant qu’il soit entiere-ment meur, les tenans appuyez contre va bastoncouché sur deux pierres deuant le feu, et les re-tournent de costé et d’autre, iusqu’a ce qu’ils soient

suffisamment rostis, ou pour auoir plustost faict,elles les mettent et retirent de dedans vn monceau de

138

Page 129: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

sable, premierement bien eschauffé d’vn bon feu quiaura esté faict dessus, puis en destachent les grains,et les font encore seicher au Soleil, espandns sur desescorces, apres qu’il est assez sec ils le serrent dansvn tonneau, auec le tiers ou le quart de leur Fezole,appellée Ogaressa, qu’ils meslent parmy; et quand ilsen veulent manger ils le font bouillir ainsi entier enleur pot ou chandiere, qu’ils appellent Anoo, auec vnpeu de viande ou de poisson, fraiz ou sec, s’ils enont.

139 l Pour faire de I’Eschionque, ils font griller dansles cendres de leur foyer, meslées de sable, quantitéde bled sec, comme si c’estoient pois, puis ils pilentce Maiz fort menu, et aptes auec vn petit vent d’es-corce ils en tirent la fine fleur, et cela est l’Eschion-que : cette farine se mange aussi bien seiche quecuite en vn pot, ou bien destrempée en eau, tiede oufroide. Quand on la veut faire cuire on la met dans lebouillon, ou l’on aura premierement fait cuire quel-que viande ou poisson qui y sera demincé, auecquantité de citrouilles, si on veut, sinon dans lebouillon tout clair, et en telle quantité que la Saga-mité en soit suffisamment espaisse,laquelle on remuécontinuellement auec vne Espatule, par eux appelléeEstoqua, de peur qu’elle ne se tienne par morceaux;et incontinent aptes qu’elle a vn peu boüilly on ladresse dans les escuelles, auec vn peu d’huile ou degraisse fondue par-dessus, si l’on en a, et cette Saga-mité est fort bonne, et rassasie grandement. Pour legros de cette farine, qu’ils appellent Acointa, c’est àdire pois (car ils lui donnent le mesme nom qu’à nospois) ils le font bouillir à part dans l’eau, auec du

Page 130: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

poisson, s’il y en a, puis le Il mangent. Ils font de 140mesme du bled qui n’est point pilé; mais il est fortdur à cuire.

Pour Ça Sagamité ordinaire, qu’ils appellent 01m,c’est du Maiz cru, mis en farine, sans en séparer nyla fleur ny les pois, qu’ils font bouillir assez clair,auec vn peu de viande ou poisson, s’ils en ont, et ymeslent aussi par-fois des citrouilles decoupées parmorceaux, s’il en est la saison, et assez sonnent riendu tout z de peut que la farine ne se tienne au fonddu pot, ils la remuent sonnent auec l’Estoqua, puisla mangent; c’est le potage,la viande et le mets quoti-dien, et n’y a plus rien à attendre pour le repas; carlors mesmes qu’ils ont quelque peu de viande oupoisson à départir entr’cux (ce qui arriue rarement,excepté au temps de la chasse ou de la pesche) il estpartagé, et mangé le premier, auparauant le potageou Sagamité.

Pour Leindohy ou bled puant, ce sont grandequantité d’espics de bled, non encore du tout sec etmeut, pour estre plus susceptible àprendre odeur,que les femmes mettent en quelque mare ou eaupuante, par l’espace de deux ou trois mois, au boutdesquels elles les en retirent, et II cela sert a faire desfestins de grande importance, cuit commela Neinta-houy, et aussi en mangent de grillé sous les cendreschaudes, lechans leurs doigts au maniement de cesespics puants, de mesme que si c’estoient cannes desucre, quoy que le goust et l’odeur en soit tres-puante, et infecte plus que ne font les esgouts mes-mes, et ce bled ainsi pourry n’estoit point ma viande,quelque estime qu’ils en fissent, ny ne le maniois

141

Page 131: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

pas volontiers des doigts ny de la main, pour la mau-uaise odeur qu’il y imprimoit et laissoit par plu-sieurs iours :aussi ne m’en prescnterent-ils lus lorsqu’ils eurent recogneu le degoust que i’er? uois. Ilsfont aussi pitance de glands, qu’ils font bouillir enplusieurs eauës pour en oster l’amertume, et les trou-uois assez bons: ils mangent aussi d’aucunes foisd’vne certaine escorce de bois crue, semblable ausaulx, de laquelle i’ay mangé à l’imitation des Sau-uages; mais pour des herbes ils n’en mangent pointdu tout, ny cuites ny cruës, sinon de certaines raci-nes qu’ils appellent Sondhratatte, et autres semblables.

Auparauant l’arriuée des François au pays des Ca-

142 nadiens, et des autres peu- II ples errans, tout leurmeuble n’estoit que de bois, d’escorces ou de pierres;de ces pierres ils en faisoient des haches et cousteaux,et du bois et de l’escorce ils en fabriquoient toutes lesautres vstensiles et pieces de mesnage, et mesme leschandieres, bacs ou auges à faire cuire leur viande,laquelle ils faisoient cuire, on plustost mortifier encette maniere.

Ils faisoient chauffer et rougir quantité de graiz etcailloux dans vn bon feu, puis les iettoient dans lachandiere pleine d’eau, en laquelle estoit la viandeou le poisson à cuire, et à mesme temps les en reti-roient et en remettoient d’autres en leur place, et àsuccession de temps l’eauë s’eschauffoit, et cuisoitainsi aucunement la viande. Mais pour nos Humus,et autres peuples et nations Sedentaires, ils auoient(comme ils ont encore) l’vsage et l’industrie de fairedes pots de terre , qu’ils cuisent en leur foyer, etsont forts bons, et ne se cassent point au feu, encore

Page 132: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

qu’il n’y ait point d’eau dedans; mais ils ne peuuentaussi souffrir long-temps d’humidité et l’eau froide,qu’ils ne s’attendrissent et cassent au moindre heurtqu’on leur donne, autrement ils durent fort Il long 143temps. Les Sauuagesses les font, prenant de la terrepropre. laquelle ils nettoyent et pestrissent tres-bien,y meslans parmi un peu de graiz, puis la masse es-tant reduite comme une boule, elles y font un trouauec le poing, qu’ils agrandissent tousiours, en frap-pant par dedans auec une petite palette de bois, tantet si long temps qu’il est necessaire pour les parfaire:ces pots sont faits sans pieds et sans ances, et tousronds comme vne boule, excepté la gueule qui sortvn peu en dehors.

De leurs festins et canuiues.

CHAPITRE 19X.

.. a grand Philosophe Platon cognoissant le’ dommage que le vin apporte àl’homme,

, bâtira, se; disoit qu’en partie les dieux l’auoient en-tai. ’ 3*, noyé çà-bas pour faire punition des hom-mes, et prendre vengeance de leurs ofi’ences, les fai-sans (apres qu’ils sont yures) tuer et occire l’vn

l’autre. .Il Quand quelqu’vn de nos Humus vent faire fes- 144tin à ses amys, il les enuoye inuiter de bonne heure,comme l’on faict icy; mais personne ne s’excuse m-tr’eux, et tel sort d’vn festin, qui du mesme pass’en

Page 133: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--I00-va a vn autre; car ils tiendroient à affront d’estre es-conduits, s’il n’y auoir excuse vrayement legitime.Le monde estant inuite, on met la chandiere sur lefeu, grande ou petite, selon le nombre des personnesqu’on doit auoir : tout estant cuit et prest à dresser,on va diligemment aduertir ses gens de venir, leurdisans à leur mode, Saconcheta, Saconcheta, c’est à dire,

venez au festin, venez au festin (qui est vn motqui ne deriue point pourtant du mot de festin, carAgochin, entr’eux , veut dire festin) lesquels s’yen vont a mesme temps, et y portent grauementchacun deuant soy en leurs deux mains, leur es-cuelle et la cneillier dedans z que si c’estoient Al-goumequins qui fissent le festin, les Humus y porte-roient chacun vn peu de farine dans leurs escuelles,à raison que ces Aquanaques en sont panures et diset-teux. Entrans dans la Cabane, chacun s’assied surles Nattes de costé et d’autre de la Cabane, les hom-

145 mes au haut bout, et les femmes et enfansIIplusbas tout de suite. Estans tous entrez on dit les mots,apres lesquels il n’est loisible à personne d’y plusentrer, fust-il vn des conuiez ou non, ayans opinionque cela apporteroit mal-heur, ou empescheroit l’ef-fect du festin, lequel est tousiours faict à quelque in-tention, bonne ou mauuaise.

Les mots du festin sont, Nequarré, la chandiere estcuite (prononcez hautement et distinctement par leMaistre du festin, ou par vn autre deputé par luy),tout le monde respond, Ho, et frappent du poingcontre terre, Gagnenon Youry, il y a vn chien de cuit :si c’est du cerf, ils disent, Sconoion Youry, et ainsi desautres viandes, nommant l’espece ou les choses qui

Page 134: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--IOl--sont dans la chandiere leslvnes apres les autres, ettous respondent Ho à chaque chose, puis frappent etdonnent du poing contre terre, comme demonstranset approuuans la valeur d’vn tel festin z cela estantdict, ceux qui doiuent seruir, vont de rang en rangprendre les escuelles d’vn chacun, et les emplissentdu broüet avec leurs grandes cneilliers, et recom-mencent et continuent tousiours à remplir, tant quela chaudiere soit vuide, il faut "aussi que chacunmange ce qu’on luy donne, et s’il ne le peut, pourestre trop saoul, il faut qu’il se rachete de quelquepetit present enuers le Maistre du festin, et aueccela il faut qu’il fasse acheuer de vuider son escuellepar vn autre, tellement qu’il s’y en trouue qui ontle ventre si plein, qu’ils ne peuuent presque respirer.

Apres que tout est faict, chacun se retire sansboire; car on n’en presente iamais si on n’en de-mande particulierement, ce qui arriue fort rarement;aussi ne mangent-ils rien de trop salé ou espicé, quiles peust prouoquer à boire de l’eau, qu’ils ont pourtoute boisson, ce qui est vn grand bien, pour euiterles dissolutions, noises et querelles que le vin, ouautre boisson enyvrante leur pourroit causer, commeà beaucoup de nos beuueurs et yurongnes : car ilsont cela par-dessus eux, qu’ils sont plus retenus etgraues, auec vn peu de superbe pourtant, vont auxfestins d’vn pas modeste, et representans des Magis-trats, s’y comportent auec la mesme modestie et si-lence; et s’en retournent en leurs maisons et cabanesavec la mesme sagesse : de maniere que vous diriez

un46

voir en ces Messieurs-là, les vieillards H de l’ancienne r47Lacedemone, allans à leur broüet.

Page 135: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--l02--ils font quelquesfois des festins ou l’on ne prend

rien que du petun, auec leur pipe ou calumet, qu’ilsappellent Anondahoin : et en d’autres ou l’on ne mange

rien que du pain ou foüasse pour tout mets, etpour l’ordinaire ce sont festins de songeries, ou quiont esté ordonnez par le Medecin; les songes resuc-ries et ordonnances duquel sont tellement bien ob-seruées, qu’ils n’en obmettroient pas vn seul iota,qu’ils n’y fassent toutes les façons, pour l’opinion

et croyance qu’ils y ont. Aucunesfois il faut que tousceux qui sont au festin soient à plusieurs pas l’vnde l’autre, sans s’entre-toucher. Autresfois quandles festinez sortent, l’adieu et remerciement qu’ilsdoiuent faire, est vne laide grimace au Maistre dufestin, ou au malade, à l’intention duquel le festinaura esté faict. A d’autres il ne leur est permis delascher du vent 24. heures, dans lequel temps s’ilsfaisoient au contraire, ils se persuaderoient qu’ilsmourroient, tant ils sont ridicules et superstitieux àleurs songes, quoy qu’ils mangent de l’Andataroni,c’est à dire fouasse ou galette, qui sont choses fort

r48 venteu- Il ses. Quelquefois il faut qu’apres qu’ils sontbien saouls, et ont le ventre bien plein, qu’ils ren-dent gorge, et reuomissent anprés d’eux tout ce qu’ilsont mangé, ce qu’ils font facilement. Ils en font detant d’autres sortes, et de si impertinents, que celaseroit ennuyeux à lire, et trop long à escrire; c’estpourquoy ie m’en deporte, et me contente de ce quei’en ay escrit, pour contenter aucunement les pluscurieux des ceremonies estrangeres.

De quelque animal que se fasse le festin, la teste en-. tiere est tousiours donnée et presentée au principal

Page 136: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-ro3-Capitaine, ou à vn autre des plus vaillans de la trouppe,à la volonté du Maistre du festin, pour tesmoignerque la vaillance et la vertu sont en estime; commenous remarquons chez Homere aux festins des He-ros, qu’on leur ennoyait quelque piece de bœuf pourhonorer leur vertu, ce qui semble estre un temoi-gnage tiré de la Nature, puisque ce que nous trou-uons auoir esté pratiqué és festins solennels desGrecs, peuples polis, se rencontre en ces Sauuages,par l’inclination de la Nature, sans cette politesse.

Pour les autres conuiez, qui sont deflmoindreconsideration, si la beste est grosse, comme d’vnOurs, d’vn Eslan, d’vn Esturgeon, ou bien de quel-que homme de leurs ennemis, chacun a vn morceaudu corps, et le reste est demincé dans le brouetpour le rendre meilleur. C’est aussi la coustumeque celuy qui faict le festin ne mange point pen-dant iceluy; ains petune, chante, ou entretientla compagnie de quelques discours : l’y en ay veuquelques-vns manger, contre leur coustume, maispeu souuent.

Et pour dresser la ieunesse à l’exercice des armes,et ales rendre recommandables par le courage et laprouesse qu’ils estiment grandement, ils ont accons-turne de faire des festins de guerre, et de resiouys-sauce, ausquels les vieillards mesmes, et les ieuneshommes à leur exemple, les vns apres les autres,ayans une hache en main, ou quelqu’autre instru-ment de guerre, font des merueilles de s’escrimer etcombattre d’un bout à l’autre de la place où se faict

le festin, comme si en effect ils estoient aux prisesauec ’l’ennemy : et pour s’exciter et esmouuoir en-

Il!49

Page 137: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-..I°4..-.core danantage à cet exercice, et faire voir que dans

r 50 l’occasion ils ne manqueroient pas de courage; l] ilschantent d’vn ton menaçant et furieux, des ininres,imprecations et menaces contre leurs ennemis, et sepromettent vne entiere victoire sur eux. Si c’est vnfestin de victoire et de resiouyssance, ils chantentd’vn ton plus doux et agreable, les louanges de leursbraues Capitaines qui ont bien tué de leurs ennemis,puis se rassoient, et vn autre prend la place, iusqu’àla fin du festin.

Des dances, chamans et autres «remanies ridicules.

CHAPITRE X.

e os Sauuages, et generalement tous les’ peuples des Indes Occidentales, ont de

a tout temps l’vsage des dances; mais ils.7 x l’ont à quatre fins z ou pour agreer à leurs

Demons, qu’ils pensent leur faire du bien, ou pourfaire festeàquelqu’vn, ou pour se resiouyt de quelquesignalée victoire, ou pour preuenir et guerir les ma-ladies et infirmitez qui leur arriuent.

151 Il Lorsqu’il se doit faire quelques dances, nuds,ou couuerts de leurs brayers, selon qu’aura songé lemalade, ou ordonné le Medecin, ou les Capitainesdu lieu , le cry se faict par toutes les ruës de la villeou du village, aduertissant et inuitant les ieunesgens de s’y porter au iour et heure ordonnez, lemieux matachié et paré qu’il leur sera possible, ou

Page 138: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

- 105 ’-

en la maniere qu’il aura esté ordonné, et qu’ils pren-

nent courage, que c’est pour vne telle intention,nommant le suiet de la dance : ceux des villages cir-conuoysins ont le mesme aduertissement, et sontaussi priez de s’y trouuer, comme ils font, à la vo-lonté d’vn chacun z car l’on n’y contraint personne.

Cependant on dispose vne des plus grandes Ca-banes du lieu, et la estans tous arriuez, ceux qui nesont la que pour estre spectateurs, comme les vieil-lards, les vieilles femmes et les enfans se tiennentassis sur les nattes contre les establies, et les autresau dessus, dulong de la Cabane, puis deux Capitainesestant debout, chacun vne Tortuë en la main (decelles qui seruent à chanter et souffler les malades)chantent ainsi au milieu de la dance, vne chanson, àlaquelle ils accordent le son li de leur Tortue; puisestant finie ils font tous vne grande acclamation di-sans, Héééé, puis en recommencent vne autre, ourepetent la mesme iusques au nombre des reprisesqui auront esté ordonnées, et n’y a que ces deux Ca-

pitaines qui chantent, tout le reste dit seulement,Het, het, het, comme quelqu’un qui aspire avec ve-hemence : et puis tousiours a la fin de chaque chan-son vne haute et longue acclamation, disans Héééé.

Toutes ces dances se font en rond, du moins enoualle, selon la longueur et largeur des Cabanes;mais les danceurs ne se tiennent point par la maincomme par deçà, ains ils ont tous les poings fermez;les filles les tiennent l’vn sur l’autre, esloignez deleur estomach, et les hommes les tiennent aussi fer-mez, esleuez en l’air, et de toute autre façon, en lamaniere d’vn homme qui menace, auec mouuement

152

Page 139: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

153

-106-et du corps et des pieds, leuans l’vn et puis l’autre,desquels ils frappent contre terre à la cadence deschansons, et s’esleuans comme en demy-sauts, et lesfilles branslans tous le corps, et les pieds de mesmese retournent au bout de quatre ou cinq petits pas,vers celuy ou celle qui les suit, H pour lui faire lareverence d’vn hochement de teste. Et ceux ou cellesqui se demeinent le mieux, et font plus à propos tou-tes les petites chimagrées, sont estimez entr’eux lesmeilleurs danceurs, c’est pourquoy ils ne s’y espar-gnent pas.

Ces dances durent ordinairement vne, deux ettrois apres-disnées, et pour n’y receuoir d’empesche-

ment à y bien faire leur deuoit, quoy que ce soit auplus fort de l’hyuer, ils n’y portent iamais autresvestemens ou couuertures que leurs brayers, pourc0uurir leur nudité, si ainsi il est permis, comme ill’est ordinairement, sinon que pour quelqu’autre su-iet il soit ordonné de les mettre bas, n’oublians

’ neantmoins iamais leurs colliers, oreillettes et bras-selets, et de se peinturer par-fois 3 comme au cas pa-reil les hommes se parent de colliers, plumes, pein-tures et autres fatras, dont i’en ai veu estre accom-modez en Mascarades ou Caresme-prenans, ayansvne peau d’Ours qui leur couuroit tout le corps, lesoreilles dressées au haut de la teste, et la face cou-uerte, excepté les yeux, et ceux-cy ne seruoient quede portiers ou bouffons, et ne se mesloient dans la

154. dance que par interualle, à cause qu’ils Il estoientdestinez a autre chose. le vis vn iour vn de ces bouf-fons entrer processionnellement dans la Cabane oùse deuoit faire la dance, auec tous ceux qui estoient

Page 140: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-]O7o--de la feste, lequel portant sur ses espaules vu grandchien lié et garotté par les pattes et le museiu, leprit par les deux iambes de derriere au milieu de laCabane, et le rua contre terre par plusieurs fois,iusqu’à ce qu’estant mort il le fist prendre par vnautre, qui l’alla apprester dans vne autre Cabanepour le festin à l’issue de la dance.

Si la dance est ordonnée pour vne malade, a latroisiesme ou derniere apres-disnée, s’il est trouuéexpedient, ou ordonné par Loki, elle y est portée, eten l’vne des reprises ou tour de chanson on la porte,en la seconde on la faict vn peu marcher et dancer,la soustenant par sous les bras : et à la troisiesme,si la force lui peut permettre, ils la font vn peu dan-cer d’elle-mesme, sans ayde de personne, luy criantcependant tousiours à pleine teste, Elsagaa outrahonne,achieteq anatetsence, c’est à dire: prend courage femme,

et tu seras demain guerie, et apres les dances finiesceux qui sont destinés pour le festin y Il vont, et lesautres s’en retournent en leurs maisons.

Il se fit vn iour vne dance de tous les ieunes hom-mes, femmes et fille toutes nuës en la présence d’vnemalade, à laquelle il fallut (traict que je ne sçaycommen excuser, ou passer sous silence) qu’vn deces ieunes hommes luy pissast dans la bouche, etqu’elle auallast et beust cette eau, ce qu’elle fit avec

un grand courage, esperant en receuoir guerison:car elle-mesme desira que le tout se fit de la sorte,pour "accomplir et ne rien obmettre du songe qu’elleen avoit eu z que si pendant leur songe ou resuerieil leur vient encore en la pensée qu’il faut qu’on

H

155

Page 141: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--108-leur fasse présent d’vn chien noir ou blanc, ou d’vn

grand poisson pour festiner, ou bien de quelquechose à autre vsage, à mesme temps le cry en estfaict par toute la ville, afin que si quelqu’vn a vnetelle chose qu’on specifie, qu’il en fasse presenta vntel malade, pour le recouurement de sa santé: ilssont si secourables qu’ils ne manquent point de latrouuer, bien que la chose soit de valeur ou d’impor-tance entr’eux; aymans mieux souffrir et auoir di-sette des choses, que de manquer au besoin a vn

156 malade; Il et pour exemple, le Pere Ioseph auoitdonné vn chat à vn grand Capitaine, comme vnpresent tres-rare (car ils n’ont point de ces animaux).Il arriua qu’vne malade songea que si on lui auoitdonné ce chat qu’elle seroit bien-tost guerie. Ce Ca-pitaine en fut aduerty, qui aussi tost luy enuoye sonchat bien qu’il l’aymast grandement, et sa fille en-core plus, laquelle se voyant priuée de cet animal,qu’elle aymoit passionnement, en tombe malade,et meurt de regret, ne pouuant vaincre et surmon-ter son affection, bien qu’elle ne voulust manquerau secours et ayde de son prochain. Trouuons beau-coup de Chrestiens qui vueillent ainsi s’incommo-der pour le seruice des autres, et nous en loüe-tons Dieu.

Pour recouurer nostre dé à coudre, qui nous auoitesté desrobé par vn ieune garçon, qui depuis ledonna à vne fille, ie fus au lieu ou se faisoient lesdances, et ne manquay point de l’y remarquer, et ler’auoir de la fille qui l’auoit pendu à sa ceinture,auec ses autres matachias, et en attendant l’issue de

Page 142: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-Iog-la dance, ie me fis repeter par un Sauuage vne deschansons qui s’y disoient, dont en voicy vne partieque i’ay icy escrite.

Il Ongyata c’ulmha ho ho ho ho ho.

Eguyotonuhalon on on on on onEyontam éicntet armet armet orme!

Eyontara fientait) à à armet, armet, armet, ho ho ho.

Ayant escrit ce petit eschantillon d’vne chansonHuronne, i’ay creu qu’il ne seroit pas mal à proposde descrire encore icy vne partie de quelque chan-son, qui se disoit un iour en la Cabane du grand Sa-gamo des Souriquois, à la louange du Diable quileur auoit indiqué de la chasse, ainsi que nous ap-prist vn François qui s’en dist tesmoin auriculaire,et commence ainsi.

Halva ho ho hé hé ha ha halos! ho ho h ,

ce qu’ils chantent par plusieurs fois: le chant estsur ces notes,

Raja sa! sa! ra sol sa! fa fa n re sol sol fa fa.

Vne chanson finie, ils font tous vne grande exclama-tion, disans hé. Puis recommencent vne autre chan-son, disans,

Egrigna han, egrigna hé hl ha ha ho ho ho, lgrigna han han han.

Le chant de cette-cy estoit : Fa fa fa, sol sol, fa fa, nre, sol sol, fa fa fa, te, fa fa, sol sol, fa. Ayans faict l’ex-

Page 143: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--lIO--clamation accoustumée, ils en commencerent vne au-

!58 tre qui chan- Il toit : Tamia alléluia, tamia à don yeni, hanhan, hé hé. Le chant en estoit : Sol sol sol, fa fa, ra r: ra,fa fa, sol sol sol, fa fa, ra re.

Les Brasiliens en leurs Sabats, font aussi de bonsaccords, comme: hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé, auec cette

note, fa fa solfa fa sol sol sol solsol. Et cela faict s’es-crioyent d’vne façon et hurlement espouuentablel’espace d’vn quart d’heure, et sautoient en l’air auec

violence, iusqu’à en escumer par la bouche, puis re-commenceront la musique, disans ; Heu heùraùre haïraIntimité heùra heûra ouek. La note est z Fa mire sol solsol fa mi ra mi r: mi ut re.

Dans le pays de nos Huron, il se faict aussi desassemblées de toutes les filles d’vn bourg anprésd’vne malade, tant à sa priere, suyuant la resuerieou le songe qu’elle en aura eue, que par l’ordonnancede Loki, pour sa santé et guérison. Les filles ainsiassemblées, on leur demande à toutes, les vnes aptesles autres, celuy qu’elles veulent des ieunes hommesdu bourg pour dormir auec elles la nuict prochaine:elles en nomment chacune vn, qui sont aussi tostaduertis par les Maistres de ceremonie, lesquels vien-

159 nent tous au soir en la presence de la malade, Il dor-mir auec celle qui l’a choysi, d’vn bout à l’autre de

la Cabane,et passent ainsi toute la nuict pendant quedeux Capitaines aux deux bouts du logis chantent etsonnent de leur Tortue du soir au lendemain matin,que la ceremonie cesse. Dieu vueille abolir vne sidamnable et mal-heureuse ceremonie, auec toutesCelles qui sont de mesme aloy, et que les Françoisqui les fomentent par leurs mauuois exemples, Ou-

Page 144: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-III-ment les yeux de leur esprit pour voir le comptetres-estroict qu’ils en rendront un iour deuant Dieu.

De leur mariage et concubinage.

CHAPITRE XI.

a 3’ ovs lisons, que Cesar louait grandement(Ml b les Allemaus d’auoir eu en leur ancienne

e, aa ” vie sauuage telle continence, qu’ils repu-(ïîâ’g’ët à) toient chose tres-vilaineà vn ieune homme,

d’auoir la compagnie d’vne femme ou fille auantl’aage de vingt ans. Au contraire des garçons et ieu-nes hommes de Il Canada,et particulierement du pays 160de nos Hurons, lesquels ont licence de s’adonner aumal si tostqu’ils peuuent, et les ieunes filles de se pros-tituer. si tost qu’elles en sont capables, voir mesmeles peres et meres sont sonnent maquereaux de leurspropres filles: bien que ie puisse dire auec verité,n’y auoir iamais veu donner un seul baiser, ou faire Iaucun geste ou regard impudique z et pour cette rai-son i’ose affirmer qu’ils sont moins suiets à ce viceque par deçà, dont on peut attribuer la cause, partieà leur nudité, et principalement de la teste, partieau defaut des espiceries, du vin, et partie à l’vsageordinaire qu’ils ont du petun, la fumée duquel es-tourdit les sens, et monte au cerneau.

Page 145: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

16

x6

l

N

-- 112-Plusieurs ieunes hommes au lieu de se marier,

tiennent et ont souuent des fillesà pot et à feu ,qu’ilsappellent non femmes Ate’nonha, par ce que la cete-monie du mariage n’en a point esté faicte 3 ains Arqua,c’est à dire compagne, ou plustost concubine, et vi-uent ensemble pour autant longtemps qu’il leurplaist, sans que cela empesche le ieune homme ou lafille, d’aller uoir par-fois leurs autres amis ou amies[I librement, et sans crainte de reproche ny blasme,

telle estant la coustume du pays.Maisleur premiere ceremonie du mariage est; Que

quand vn ieune homme veut auoir vne fille en ma-riage, il faut qu’il la demande à ses pere et mere,sans le consentement desquels la fille n’est point àluy (bien que le plus souuent la fille ne prend pointleur consentement et aduis, sinon les plus sages etmieux aduisées). Cet amoureux voulant faire l’amourà sa maistresse, et acquerir ses bonnes graces, se pein-turera le visage, et s’accommodera des plus beauxMatachias qu’il pourra auoir, pour sembler plus beau,puis présentera à la fille quelque collier, brasselet ouoreillette de Pourcelaine : si la fille a ce seruiteuragreable, elle reçoit ce present, cela faict, cet amou-reux viendra coucher auec elle trois ou quatre nuicts,et iusques la il n’y a encore point de mariage parfait,ny de promesse donnée, pource qu’apres ce dormir ilarriue assez souuent que l’amitié ne continuë point,et que la fille, qui pour obeyr à son pere, a souffertce passe-droit, n’affectionne pas pour cela ce serui-teur, et faut par aptes qu’il se retire sans passer ou-" tre,comme ilarriua de nostre temps à vn Sauuage,enuers la seconde fille du grand Capitaine de Quieu-

Page 146: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-rr3-nonascaran, comme le pere de la fille mesme s’enplaignoit à nous, voyant l’obstination de sa fille à nevouloir passer outre à la derniere ceremonie du ma-riage, pour n’auoir ce seruiteur agreable.

Les parties estans d’accord, et le consentement despere et mere estant donné, on procede à la secondeceremonie du mariage en cette maniere. On dresse vnfestin de chien, d’ours, d’eslan, de poisson ou d’autres

viandes qui leur sont accommodées, auquel tous lesparens et amis des accordez sont inuitez. Tout lemonde estant assemblé, et chacun en son rang assissur son seant, tout à l’entour de la Cabane ; Le perede la fille, ou le maistre de la ceremonie, à ce deputé,dict et prononce hautement et intelligiblement deuanttoute l’assemblee, comme tels et tels se marient en-semble, et qu’à cette occasion a esté faicte cette assem-blée et ce festin d’ours, de chien, de poisson, etc.,pour la resiouyssance d’vn chacun, et la perfectiond’vn si digne ouurage. Le tout estant approuué, etla chandiere nette, chacun se H retire, puis toutes lesfemmes et filles portent à la nouuelle mariée, chacunevn fardeau de bois pour sa prouision, si elle est ensaison qu’elle ne le peust faire commodement elle-mesme.

Or, il faut remarquer qu’ils gardent trois degrezde consanguinité, dans lesquels il n’ont point accous-tumé de faire mariage z sçauoir est, du fils auec samere, du pere auec sa fille, du frere auec sa sœur, etdu cousin auec sa cousine; comme ie recogneusappertement vn iour, que ie monstray vne fillea vn Sauuage, et luy demanday si c’estoit la safemme ou sa concubine, i1 me respondit que non, et

163

Page 147: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

..- [14 .-qu’elle estoit sa cousine, et qu’ils n’auoient pas ac-

coustumé de dormir auec leurs cousines; hors celatoutes choses sont permises. De douaire il ne s’enparle point, aussx quand il arriue quelque diuorce,le mary n’est tenu de rien.

Pourla vertu et les richesses principales que lespere et mere desirent de celui qui recherche leur filleen mariage, est, non seulement qu’il ait vn bel entregent, et soit bien matachié et enjoliué; mais il fautoutre cela, qu’il se monstre vaillant à la chasse, à la

164 guerre et a la pesche, et qu’il Il sçache faire quelquechose, comme l’exemple suyuant le monstre.

Vn Sauuage faisoit l’amour a vne fille, laquelle nepouuant auoir du gré et consentement du pere, il larauit, et la prit pour femme. La dessus grande que-relle, et enfin la fille luy est enleuée, et retourne auecson pere: et la raison pourquoy le pere ne vouloitque ce Sauuage eust sa fille, estoit, qu’il ne la vouloitpoint bailler à vn homme qui n’eust quelque indus-trie pour la nourrir, et les enfans qui prouiendroientde ce mariage. Que quant à luy il ne voyoit pointqu’il sceust rien faire, qu’il s’amusait à la cuisine

des François, et ne s’exerçoit point a chasser: legarçon pour donner prenne de ce qu’il sçauoit pareflect, ne pouuant autrement r’auoir la fille, va à lachasse (du poisson) et en prend quantité, et aptescette vaillantise, la fille luy est rendue, et la reconduiten sa Cabane, et firent bon mesnage par ensemble,comme ils auoient faict par le passé.

Que si par succession de temps il leur prend enuiede se separer pour quelque suiet que ce soit, ou qu’ilsn’ayent point d’enfans, ils se quittent librement, le

Page 148: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-rtS-mary l3 se contentant de dire à ses parens. et à elle, 165qu’elle ne vaut rien, et qu’elle se pouruoye ailleurs,et dés lors elle vit en commun auec les autres, ius-qu’a ce que quelqu’autre la recherche; et non seule-ment les hommes procurent ce diuorce, quand lesfemmes leur en ont donné quelque suiet; mais aussiles femmes quittent facilement leurs marys, quandils ne leur agreent point : d’où il arriue souuent quetelle passe ainsi sa ieunesse, qui aura eu plus dedouze ou quinze marys, tous lesquels ne sont pasneantmoins seuls en la iouyssance de la femme, quel-ques mariez qu’ils soient : carla nuict venuë les ieunesfemmes et filles courent d’vne Cabane à autre, commefont, en cas pareil, les ieunes hommes de leur costé,qui en prennent par ou bon leur semble, sans aucuneviolence toutefois, remettant le tout a la volonté dela femme. Le mary fera le semblable a sa voysine, etla femmeà son voysin, aucune jalousie ne se mesleentr’eux pour cela, et n’en reçoiuent aucune honte,infamie ou des-honneur.

Mais lorsqu’ils ont des enfans procréez de leur ma-riage, ils se separent et quittent rarement, et que cene soit pour vn grand l] suiet, et lors que cela arriue,ils ne laissent pas de se remarier à d’autres, nonobsftant leurs enfans, desquels ils font accord à qui lesaura, et demeurent d’ordinaire au pere, comme i’ayveu a quelques-vns, excepté à vne ieune femme, à la-quelle le mary laissa vn petit fils au maillot, et nesçay s’il ne l’eust point encore retiré à soy, apres estre

sevré, si leur mariage ne se fust t’accommodé, du-quel nous fusmes les intercesseurs pour-les remettreensemble et apaiser leur debat, et firent a la fin ce

166

Page 149: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.... x16...que nous leur conseillasmes, qui estoit de se par-donner l’vn l’autre, et de continuer à faire bon mes-nage a l’aduenir, ce qu’ils firent.

Vne des grandes et plus fascheuses importunitezqu’ils nous donnoient au commencement de nostrearriuée en leur pays, estoit leur continuelle pour-suite et prieres de nous marier, ou du moins de nousallier auec eux, et ne pouuoient comprendre nostremaniere de vie Religieuse : à la fin ils trouuerent nosraisons bonnes, et ne nous en importunerent plus,approuuans que ne fissions rien contre la volonté denostre bon Pere lesvs; et en ces poursuites les

167 femmes et filles estoient, [I sans comparaison, pires etplus importunes que les hommes mesmes, qui ve-noient nous prier pour elles.

De la naissance, nourriture et amour que les Sauuagesont enlier: leur: enfans.

CHAPITRE XI l.

A ONOBSTANT que les femmes se donnentw, , b carriere auec d’autres qu’auecleurs marys,g et les marys auec d’autres qu’auec leurs

(1,4? femmes, si est-ce qu’ils ayment tous grande-ment leurs enfans, gardans cette Loy que la Naturea entée és cœurs de tous les animaux, d’en auoir lesoin. Or ce qui faict qu’ils ayment leurs enfans plusqu’on ne faict par deçà (quoy que vitieux et sans

Page 150: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

respect) c’est qu’ils sont le support des peres en leurvieillesse, soit pour les ayder à viure, ou bien pourles defiendre de leurs ennemis, et la Nature conserneen eux son droict l! tout entier pour ce regard : àquoy ce qu’ils souhaitent le plus,c’est d’auoir nombre

d’enfans, pour estre tant plus forts, et asseurez desupport au temps de la vieillesse, et neantmoins lesfemmes n’y sont pas si fecondes que par-deçà : peut-estre tant à cause de leur lubricité que du choix detant d’hommes.

La femme estant accouchée, suyuant la coustumedu pays, elle perce les oreilles de son enfant auec vnealeine, ou vn os de poisson, puis y met vu tuyau deplume, ou autre chose, pour entretenir le trou, et ypendre par aptes des patinotres de Pourceleine, ouautre bagatelle, et pareillement à son col, quelquepetit qu’il soit. Il y en a aussi qui leur font encoreaualler de la graisse ou de l’huile, si tost qu’ils sontsortis du ventre de leur mère; ie ne sçay à quel des-sein ny pourquoy, sinon que le Diable (singe desœuures de Dieu) leur ait voulu donner cette inuen-tion, pour contre-faire en quelque chose le sainctBaptesme, ou quelqu’autre Sacrement de I’Eglise.

Pour l’imposition des noms, ils les donnent partradition, c’est à dire, qu’ils ont Il des noms en grande

quantité, lesquels ils choisissent et imposent à leursenfans : aucuns noms sont sans significations, et lesautres auec signification, comme Yocoisse, le vent,Ongyala, signifie la gorge, Toclzingo, gruë, Sondaqua,aigle, Scouta, la teste, Tonra, le ventre, Taïhy, vn ar-bre, etc. l’en ay veu vn qui s’appeloit Ioseph; maisie n’ay pu sçauoir qui luy auoir imposé ce nom-la, et

168

Page 151: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

170

-118-peut-estre que parmy vn si grand nombre de nomsqu’ils ont, il s’y en peut trouuer quelques-vns appro»chans des nostres.

Les anciennes femmes d’Allemaigne sont louéespar Tacite, d’autant que chacune nourrissoit ses en-fans de ses propres mamelles, et n’eussent vouluqu’vne autre qu’elles les eust allaictez. Nos Sauua-gesses, auec leurs propres mamelles, allaictent etnourrissent aussi les leurs, et n’ayant point l’vsageny la commodité de la bouillie, elles leur baillentencore des mesmes viandes desquelles elles vsent,aptes les auoir bien maschées, et ainsi peu à peu lesesleuent. Que si la mers vient à mourir auant quel’enfant soit sevré, le pere prend de l’eau, dans la-quelle aura tres-bien boüilly du bled d’lnde, et enemplit sa H bouche, et ioignant celle de l’enfant contrela sienne, luy faict receuoir et aualer cette eauë, etc’est pour suppleer au detfaut de la mamelle et de labouillie, ainsi que i’ay vue pratiquer au mary denostre Sauuagesse baptizée. De la mesme inuentionse seruent aussi les Sauuagesses, pour nourrir lespetits chiens, que les chiennes leur donnent, ce queie trouuois fort maussade et vilain, de ioindre ainsia leur bouche le museau des petits chiens, qui nesont pas souuent trop nets.

Durant le iour ils emmaillottent leurs enfans survne petite planchette de bois, ou il y a a quelques-vnes vn arrest ou petit aiz plié en demy rond au des-sous des pieds, et la dressent debout contre le plancherde la Cabane, s’ils ne les portent promener auec cetteplanchette derrière leur dos, attachée auec vn collierqui leur prend sur leur front, ou que hors du maillot

Page 152: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

ils ne les portent enfermez dans leur robe ceinte de-uant eux, ou derriere le dos presque tous droits, lateste de l’enfant dehors, qui regarde d’vn costé etd’autre par dessus les espaules de celle qui le porte.

L’enfant estant emmaillotté sur cette Il planchette,ordinairement enjoliuée de petits Matachias et Cha-pelets de Pourceleine, ils luy laissent vne ouuerturedeuant la nature, par ou il faict son eau, et si c’estvne fille, ils y adioustent vne feuille de bled d’Inderenuersée, qui sert a porter l’eau dehors, sans quel’enfant soit gasté de ses eauës, et au lieu de lange(car ils n’en ont point) ils mettent sous-eux du duuetfort doux de certains roseaux, sur lesquels ils sontcouchez fort mollement, et les nettoyent du mesmeduuet ; et la nuict ils les couchent souuent tous nudsentre le pere et la mere, sans qu’il en arriue, quetres-rarement, d’accident. l’ay veu en d’autres Na-tions, que pour bercer et faire dormir l’enfant, ils lemettent tout emmaillotté dans vne peau, qui est sus-penduë en l’air par les quatre coins, aux bois et per-ches de la Cabane, à la façon que sont les licts de re-seau des Matelots sous le Tillac des nauires, et vou-lans bercer l’enfant ils n’ont que fois a autre à donnervn bransle a cette peau ainsi suspenduë.

Les Cimbres mettoient leurs enfans nouueauxnaiz parmy les neiges, pour les endurcir au mal, etnos Sauuages n’en H font pas moins; car ils leslaissent mon seulement nuds parmy les Cabanes; maismesmes grandelets ils se veautrent, courent et seioüent dans les neiges, et parmy les plus grandesardeurs de l’esté, sans en receuoir aucune incommo-dité, comme i’ay veu en plusieurs, admirant que ces

I

-

7l

72

Page 153: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-120-petits corps tendrelets puissent supporter (sans enestre malades) tant de froid et tant de chaud, selonle temps et la saison. Et de là vient qu’ils s’endur-cissent tellement au mal et à la peine, qu’estans de-uenus grands, vieils et chenus, ils restent tousioursforts et robustes, et ne ressentent presque aucuneincommodité ny indisposition, et mesmes les femmesenceintes sont tellement fortes, qu’elles s’accouchentd’elles-mesmes, et n’en gardent point la chambre pourla pluspart. l’en ay veu arriuer de la forest, chargéesd’vn gros faisseau de bois, qui accouchoient aussi-tost qu’elles estoient arriuées, puis au mesme instantsus pieds, à leur ordinaire exercice.

Et pour ce que les enfans d’vn tel mariage ne sepeuuent asseurer legitimes, ils ont cette coustumeentr’eux, aussi bien qu’en plusieurs autres endroicts

r73 des Indes H Occidentales, que les enfans ne succedentpas aux biens de leur pere; ains ils font successeurset heritiers les enfans de leurs propres sœurs, et des-quels ils sont asseurez estre de leur sang et paren-tage, et neantmoins encore les aymentdls grande-ment, nonobstant le doute qu’ils soient a eux, etque ce soient de tres-mauuais enfans pour la plus-part, et qu’ils leur portent fort peu de respect, etgueres plus d’obeyssance : car le mal-heur est en cespays la, qu’il n’y a point de respect des ieunes auxvieils, ny d’obeissance des enfans enuers les peres etmeres, aussi n’y a-il point de chastiment pour fauteaucune 3 c’est pourquoy tout le monde y vit en liberté,et chacun faict comme il l’entend, et les peres etmeres, faute de chastier leurs enfans, sont souventcontraincts souffrir d’estre iniuriez d’eux, et par-fois

Page 154: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

---I21--battus et esuentez au nez. Chose trop indigne et quine sent rien moins que la beste brute; le mauuaisexemple, et la mauuaise nourriture, sans chastimentet correction, est cause de tout ce desordre.

"De l’exercice des jeunes garçons et jeunes filles. 174

CHAPITRE XlIl.

Il EXERCICE ordinaire etjournalier des ieunesgarçons, n est autre qu à tirer de l’arc, à

l darder la flesche, qu’ils font bondir et3.], viv’é, glisser droict quelque peu par-dessus lecané : jouer auec des bastons courbez, qu’ils font:ouler par-dessus la neige, et crosser vne balle deiois leger, comme l’on faict en nos quartiers, ap-irendre à ietter la fourchette auec quoy ils har-ionnent le poisson, et s’addonnent à autres petitseus et exercices, puis se trouuer à la Cabane auxcures des repas, ou bien quand ils ont faim. Que sine mere prie son fils d’aller à l’eau, au bois, ou de

e lire quelqu’autre semblable seruice de mesnage, ilil respond que c’est vn ouurage de fille,et n’en faictien : que si par-fois nous obtenions d’eux sem-lables seruices, c’estoit à condition qu’ils auroientrusiours entrée en nostre Cabane, ou pour quelquespingle, plu- Il me, ou autre petite chose à se parer, 175

Page 155: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-122-. dequoy ils estoient fort-contens, et nous aussi, pources petits et menus seruices que nous en receuions.

Il y en anait pourtant de malicieux, qui se don-noient le plaisir de couper la corde ou suspendoitnostre porte en l’air, a la mode du pays, pour la fairetomber quand on l’ouuriroit, et puis apres le nioyentabsolument, ou prenoient la fuite, aussi n’auoüent-ils iamais leurs fautes et malices (pour estre grandsmenteurs) qu’en lieu ou ils n’en craignent aucunblasme ou reproche : car bien qu’ils soient Sauuageset incorrigibles,’si sont-ils fort superbes et cupidesd’honneur et ne veulent pas estre estimez malicieuxou meschans, quoy qu’ils le soient.

Nous auions commencé a leur apprendre et ensei-gner les lettres, mais comme ils sont libertins, et nedemandent qu’à ioüer et se donner du bon temps,comme i’ay dict, ils oublioient en trois iours, ce quenous leur auions appris en quatre, faute de conti-nuer, et nous venir retrouuer aux heures que nousleur auions ordonnées, et pour nous dire qu’ils

176 auoient esté empeschez a ioüer,ils en estoient Il quit-tes; aussi n’estoit-il pas encore a propos de les ru-doyer ny reprendre autrement que doucement, etpar vne maniere affable les admonester de bien ap-prendre une science qui leur deuoit tant profiter etapporter du contentement le temps a venir.

De mesme que les petits garçons ont leur exerciceparticulier, et apprennent a tirer de l’arc les vns auecles autres, si tost qu’ils commencent a marcher, onmet aussi vn petit baston entre les mains des petitesfillettes, en mesme temps qu’elles commencent demettre vn pied deuant l’autre, pour les stiler et ap-

Page 156: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-123-prendre de bonne heure à piler le bled, et estansgrandelettes elles ioüent aussi à diuers petits ieusauec leurs compagnes, et parmy ces petits esbats onles dresse encore doucement a de petits et menusseruices du mesnage, et aussi quelquefois au malqu’elles voyent deuant leurs yeux, qui faict qu’estansgrandes elles ne valent rien, pour la pluspart, et sontpires (peu exceptées) que les garçons mesmes, sevantans souent du mal qui les deuroit faire rougir;et c’est à qui fera plus d’amoureux, et si la mere n’en

trouue pour soy, elle offre ll librement sa fille, et safille s’offre d’elle-mesme, et le mary offre aussi au-cunes fois sa femme, si elle veut, pour quelque petitpresent et bagatelle, et y a des Maquereaux et mes-chans dans les bourgs et villages,qui ne s’addonnentà autre exercice qu’à presenter et conduire de cesbestes aux hommes qui en veulent. le loué nostreSeigneur de ce qu’elles prenoient d’assez bonne partnos réprimandes, et qu’a la fin elles commençoient a

auoir de la retenue, et quelque honte de leur disso-lution, n’osans plus, que fort rarement, vser de leursimpertinentes paroles en nostre presence, et admi-roient, en approuuant l’honnesteté que leur disionsestre aux filles de France, ce qui nous donnoit espe-rance d’vn grand amendement, et changement deleur vie dans peu de temps : si les François qui es-toient montez auec nous (pour la pluspart) ne leureussent dit le contraire, pour pouuoir tousiours iouyrà cœur saoul, comme bestes brutes, de leurs char-nelles voluptez, ausquelles ils se veautroient, iusquesà auoir en plusieurs lieux des haras de garces, telle-ment que ceux qui nous deuaient seconder à l’ins-

l

I77

Page 157: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-[14-178 traction. et bon exemple de ce peuple, llestoient

ceux-là mesme qui alloient destruisans et empeschansle bien que nous establissions au salut de ces peu-ples, et à l’aduancement de la gloire de Dieu. Il yen suoit neantmoins quelques-vns de bons, honnes-tes et bien viuans, desquels nous estions fort contenset bien edifiez; comme au contraire nous estionsscandalisez de ces autres brutaux, athées et charnels,qui empeschoient la conuersion et amendement dece pauure peuple.

L’vn de nos François ayant esté à la traicte envne Nation du costé du Nord, tirant à la mine deCuiure, enuiron cent lieuës de nous : il nous dit àson retour y auoir veu plusieurs filles, ausquelles onsuoit couppé le bout du nés, selon la coustume deleur pays lbien opposite et contraire à celle de nosHurons) pour auoir fait bresche a leur honneur, etnous asseura aussi qu’il nuoit veu ces Sauuages fairequelque forme de priere, auant que prendre leur re-pas: ce qui donna au Pere Nicolas et à moy vnegrande enuie d’y aller, si la necessité ne nous eustcontraincts de retourner en la Prouince de Canada,et delà en France.

Page 158: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-125-Il De la forme, couleur et stature des Sauuages, et comme il: ne 179

portent point de barbe.

CHAPITRE XIV.

’ ovnis les Nations et les peuples Ameri-cains que nous auons veus en nostre voyage,sont tous de couleur bazanée (excepté les

ï Ï dents qu’ils ont merueilleusement blanches)

non qu’ils naissent tels : car ils sont de mesme natureque nous; mais c’est à cause de la nudité, de l’ar-

deur du soleil qui leur donne à nud sur le dos, etqu’ils s’engraissent et oignent assez souuent le corpsd’huile ou de graisse, auec des peintures de diuersescouleurs qu’ils y appliquent et meslent, pour sem-bler plus beaux.

Ils sont tous generalement bien formez et propor-tionnez de leur corps, et sans difformité aucune, etpeux dire auec verité, y auoir veu d’aussi beaux en-fans [I qu’il y en sçauroit auoir en France. Il n’y a 180pas mesme de ces gros ventrus, pleins d’humeurs etde graisses, que nous auons par-deçà ; car ils ne sontny trop gras, ny trop maigres, et c’est ce qui lesmaintient en santé, et exempts de beaucoup de ma-ladies ausquelles nous sommes suiets : car au dired’Aristote, il n’y a rien qui conserue mieux la santéde l’homme que la sobrieté, et entre tant de Nationset de monde que i’y ay rencontré, ie n’y ay iamaisveu ny aperceu qu’vn borgne, qui estoit des Hon-queronons, et vn bon vieillard Huron, qui pour estre

Page 159: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

n

-126-tombé du haut d’vne Cabane en bas, s’estoit faict

boiteux.Il ne s’y voit non plus aucun rousseau, ny blond

de chenueux, mais les ont tous noirs (excepté quel-ques-vns qui les ont chastaignez) qu’ils nourrissentet souffrent seulement à la teste, et non en aucuneautre partie du corps, et en ostent mesme tous lacause productiue, ayans la barbe tellement en hor-reur, que pensans parfois nous faire iniure, nous ap-pelloient Sascoinronte, qui est à dire barbu, tu es vubarbu : aussi croyent-ils qu’elle rend les personnes

181 plus laides, et amoindrit leur Il esprit. Et, à ce pro-pos, ie diray qu’vn iour vu Sauuage voyant vu F ran-çois auec sa barbe, se retournant vers ses compagnonsleur dict, comme par admiration et estonnement : Oque voyla vn homme laidl est-il possible qu’aucunefemme voulust regarder de bon œil vn tel homme,et luy-mesme estoit vu des plus laids Sauuages deson pays 3 c’est pourquoy il auoit fort bonne grace demespriser ce barbu!

Que si ces peuples ne portent point de barbe, ilp’y a de quoy s’esmerueiller, puisque les anciensRomains mesmes, estimans que cela leur seruoitd’empeschement, n’en ont point porté iusques -àl’Empereur Adrien, qui premier a commencé à por-ter barbe. Ce qu’ils reputoient tellement à honneur,qu’vn homme accusé de quelque crime n’auoit point

ce priuilege de faire raser son poil, comme se peutrecueillir par le tesmoignage d’Aulus Gellius, parlantde Scipion, fils de Paul, et par les anciennes Me-dailles des Romains et Gaulois, que nous voyons en-

core a present. ’

Page 160: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

Nos François auoient donné à entendre aux Sau-uagesses, que les femmes de [I France auoient de la 18abarbe au menton, et leur auoient encore persuadétout plein d’autres choses, que par honnesteté ien’escris point icy, de sorte qu’elles estoient fort desi -reuses d’en voir; mais nos Hurons ayans veu Mada-moiselle Champlain en Canada, ils furent detrompez,et recogneurent qu’en effet on leur en auoit donné àgarder. De ces particularitez on peut inferer que nosSauuages ne sont point velus, comme quelques-vnspourroient penser. Cela appartient aux habitans desIsles Gorgades, d’où le Capitaine Hanno Carthagi-uois, rapporta deux peaux de femmes toutes veluës,lesquelles il mit au Temple de Iuno par grande sin-gularité, et me semble encor’ auoir oüy dire a vnepersonne digne de foy, d’en auoir veu vne à Paristoute semblable, qu’on y auoit apportée par granderareté : et delà vient la croyance que plusieurs ont,que tous les Sauuages sont velus, bien qu’il ne soitpas ainsi, et que tres-rarement en trouue-t-on qui lesoient.

Il arriua au Truchement des Epicerinys, qu’apresauoir passé deux ans parmy eux, et que pensans lecongratuler ils luy dirent : Et bien, maintenant quetu com-H mences à bien parler nostre langue, si tun’auois point de barbe, tu aurois desia presque au-tant d’esprit qu’vne telle Nation, luy en nommantvne qu’ils estimoient auoir beaucoup moins d’espritqu’eux, et les François auoir encor’ moins d’esprit

que cette Nation-là, tellement que ces bonnes gens-là nous estiment de fort petit esprit, en comparaisond’eux : aussi à tout bout de champ, et pour la moin-

183

Page 161: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--128--dre chose ils vous disent, Téondion, ou Tescaondion,c’est a dire, tu n’as point d’esprit 3 Attache, mal-basty.

A nous autres Religieux ils nous en disoient autantau commencement; mais à la fin ils nous eurent enmeilleure estime, et nous disoient au contraire:Cachia otindion, vous auez grandement d’esprit :Hoùandare danstan réhondion, et les Hurons n’en ontpoint; Arondiuhanne, ou Ahondiuoy issu, vous estes gensqui cognoissez les choses d’en-haut et surnaturelles,et n’auoient cette opinion ny croyance des autresFrançois, en comparaison desquels ils estimoientleurs enfans plus sages et de meilleur esprit, tant ilsont bonne opinion d’eux-mesmes, et peu d’estimed’autruy.

184 [l Humeur des Sauuages, et comme ils ont recours aux Drains,pour recouurerles choses desrobées.

CHAPITRE XV.

NTRE toutes ces Nations il n’y en a au-." y cune qui ne differe en quelque chose, soit

’ ,. pour la façon de se gouuerner et entrete-Ël U nir, ou pour se vestir et accommoder deleurs parures, chacune Nation se croyant la plussage et mieux aduisée de toutes (car la Voye du folest tousiours droicte deuant ses yeux dict le Sage).Et pour dire ce qu’il me semble de quelques-vns, etlesquels sont les plus heureux ou miserables, ie tiens

Page 162: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-.-I29--les Humus, et autres peuples Sedentaires, comme laNoblesse z les Nations Algoumequines pour lesBourgeois, et les autres Sauuages de deçà commeMontagnets et Canadiens, les villageois et pauuresdu pays : et de faict, ils sont les plus panures et ne-cessiteux de tous, car encore Il que tous les Sauuages 185soient miserables, en tant qu’ils sont priuez de lacognoissance de Dieu, si ne sont-ils pas tousioursegalement miserables en la iouyssance des biens decette vie, et en l’entretien et embellissement de cecorps miserable, pour lequel seul ils trauaillent et sepeinent, et nullement pour l’ame, ny pour le salut.

Tous les Sauuages en general, on l’esprit et l’en-tendement assez bon, et ne sont point si grossiers etsi lourdauds que nous nous imaginons en France. Ilssont d’vne humeur assez ioyeuse et contente, toutes-fois ils sont vn peu saturniens, ils parlent fort posé-ment, comme se voulans bien faire entendre, et s’ar-restent aussi-tost en songeans vu grande espace detemps, puis reprennent leur parole, et cette modestieest cause qu’ils appellent nos François femmes, lorsque trop precipitez et boüillans en leurs actions, ilsparlent tous à la fois, et s’interrompent l’vn l’autre.

Ils craignent le des-honneur et le reproche, et sontexcitez à bien faire par l’honneur; d’autant qu’en-tr’eux celuy est tousiours honoré, et s’acquiert durenom, qui a faict quelque bel exploict.

H Pour la liberalité, nos Sauuages sont louables enl’exercice de cette vertu, selon leur pauureté : carquand ils se visitent les vns les autres, ils se font despresents mutuels: et pour monstrer leur galantise,ils ne marchandent point volontiers, et se contentent

186

Page 163: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-r3o--de ce qu’on leur baille honnestement et raisonnable-ment, mesprisans et blasmans les façons de faire denos Marchands qui barguignent vne heure pourmarchander vne peau de Castor : ils ont aussi lamansuetude et clemence en la victoire enuers lesfemmes et petits enfans de leurs ennemis, ausquelsils saunent la vie, bien qu’ils demeurent leurs pri-sonniers pour seruir.

Ce n’est pas à dire pourtant qu’ils n’ayent de l’im-

perfection :car tout homme y est suiet, et à plusf0rte raison celuy qui est priué de la cognoissanced’vn Dieu et de la lumiere de la foy, comme sont nosSauuages : car si on nient à parler de l’honnesteté etde la ciuilité, il n’y a de quoy les loüer, puis qu’ils

n’en pratiquent aucun traict, que ce que la simpleNature leur dicte et enseigne. Ils n’vsent d’aucuncompliment parmy-eux, et sont fort-mal propres etmal nets en l’apprest de leurs H viandes. S’ils ont lesmains sales il les essuyent a leurs chenueux, ou auxpoils de leurs chiens, et ne les lauent iamais, si ellesne sont extremement sales : et ce qui est encore plusimpertinent, ils ne font aucune difficulté de pousserdehors les mauuais vents de l’estomach parmy les re-pas, et en presence de tous. Ils sont aussi grande-ment addonnez à la vengeance et au mensonge, ilspromettent aussi assez, mais ils tiennent peu : carpour auoir quelque chose de vous, ils sçauent bien

r flatter et promettre, et desrobent encore mieux, si cesont Hurons, ou autres peuples Sedentaires, enuersles estrangers, c’est pourquoy il s’en faut donner degarde, et ne s’y fier qu’a bonnes enseignes, si on n’y

veut estre trompé.

Page 164: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-131-Mais si vn Huron a esté luy-mesme desrobé, et

desire recouurer ce qu’il a perdu, il a recours a Loxiou Magicien, pour par le moyen de son sort auoircognoissance de la chose perdue. On le faict donc ve-nir à la Cabane, là où apres auoir ordonné des festins,il faict et pratique ses magies, pour descouurir etsçauoir qui a esté le voleur et larron, ce qu’il faictindubitablement, à ce qu’ils disent, si celuy qui aH faict le larcin est alors present dans la mesme Ca-

bane, et non s’il est absent. C’est pourquoy le Fran-çois qui auoir pris des Rassades au bourg de Toænchain,s’enfuiten haste en nostre Cabane, quand il vit arriuerLoki dans son log’s, pour le suiet de son larcin, sansque nous ayons sceu, que quelques iours apres, qu’ils’estoit ainsi venu refugier chez-nous pour vn simauuais acte que celui-là.

Pour ce qui est des Canadiens et Montagnets, ilsne sont point larrons (au moins ne l’auons-nous pasencore apperceu en nostre endroict) et les filles ysont pudiques et sages, tant en leurs paroles qu’enleurs actions, bien qu’il s’y en pourroit peut-estretrouuer entr’elles qui le seroient moins. Mais les Sau-uages les plus honnestes et mieux appris que i’ayerecogneu en vne si grande estenduë de pays, sont, àmon aduis, ceux de la Baye et contrée de Miskou,parlant en general; car, en toute Nation, il y en a departiculiers qui surpassent en bonté et honnesteté,et les autres qui excedent en malice. l’y vis le Sau-uage du bon Pere Sebastien Recollet, Aquitanois,qui mourut de faim, auec plusieurs Sauua- [l ges,vers sainct Iean, et la Baye de Miscou, pendant vnhyuer que nous demeurions aux Hurons, enuiron

188

189

Page 165: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

MIN

-13z-quatre cens lieuës esloignez de luy : mais il ne sen-toit nullement son Sauuage en ses mœurs et façonsde faire; ains son homme sage, graue, doux et bienappris, n’approuuant nullement la legerete’ et in-constance qu’il voyoit en plusieurs de nos hommes,lesquels il reprenoit doucement en son silence et ensa retenue, aussi estoit-il vn des principaux Capitaineset chefs du pays.

Des chenaux et ornemens du corps.

CHAPITRE XVI.

E s Canadiens et Montagnets, tant hommes’ ’ ° à, que femmes, portent tous longue chene-

i lute, qui leur tombe et bat sur les espau-, i les, et à coste’ de la face, sans estre nouez

ni attachez, et n’en couppent qu’vn bien peu du de-uant, à cause que cela leur empescheroit de voir en

190 courant. Les fem- il mes et filles Algoumequines my-partissent leur longue cheuelure en trois : les deuxparts leur pendent de costé et d’autre sur les oreilleset à costé des iouës 3 et l’autre partie est accommo-dée par derrière en tresse, en la forme d’vn marteaupendant, couché sur le dos. Mais les Huronnes etPetuneuses ne font qu’vne tresse de tous leurs che-ueux, qui leur bat de mesme sur le dos, liez et ac-commodez auec des lanieres de peaux fort sales. Pour

Page 166: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-133-les hommes, ils portent deux grandes moustaches surles oreilles, et quelques-vns n’en portent qu’vne,qu’ils tressent et cordelant assez sonnent auec desplumes et autres bagatelles, le reste des cheueux estcouppé court, ou bien par compartimens, couronnesclericales, et en toute autre maniere qu’il leur plaist:i’ai veu de certains vieillards, qui auoient desia, parmaniere de dire, vn pied dans la fosse, estre autantou plus curieux de ses petites parures, et d’y accom-moder du duuet de plumes, et autres ornemens, queles plus ieunes d’entr’eux. Pour les Chenenx releuez,ils portent et entretiennent leur cheueux sur le front,fort droicts et releuez, plus que ne sont ceux de nosDames H de par-deçà, couppez de mesure, allans tous-iours en diminuant de dessus le front au derrierede la teste.

Generallement tous les Sauuages, et particuliere-ment les femmes et filles, sont grandement curieusesd’huiler leurs cheueux, et les hommes de peindreleur face et le reste du corps, lorsqu’ils doiuent as-sister à quelque festin, ou à des assemblées publi-ques : que s’ils ont des Matachias et Pourceleines ilsne les oublient point, non plus que les Rassades,Patinotres et autres bagatelles que les François leurtraitent. Leurs Pourceleines sont diuersement enfi-lées, les vnes en coliers, larges de trois ou quatredoigts, faicts comme une sangle de chenal qui en au-roit ses fisseles toutes couuertes et enfilées, et ces co-liers ont enuiron trois pieds et demy de tour, ou plusqu’elles mettent en quantité à leur col, selon leurmoyen et richesse, puis d’autres enfilées comme nosPatinotres, attachées et penduës a leurs oreilles, et

r-9l

Page 167: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

192

193

-13494des chaisnes de grains gros comme noix, de la mesmePourceleine qu’elles attachent sur les deux hanches,et viennent par deuant arrangées de haut en bas, pardessus les cuisses ou brayers qu’elles portent : etIl en ay veu d’autres qui en portoient encore des bras-

selets aux bras, et de grandes plaques par deuantleur estomach, et d’autres par derriere, accommodezen rond, et comme vne carde à carder la laine, atta-chez à leurs tresses de cheueux : quelqu’vnes d’en-tr’elles ont aussi des ceintures et autres parures,faictes de poil de porc-espic, teincts en rouge cra-moisy, et fort proprement tissuës, puis les plumeset les peintures ne manquent point, et sont à la de-uotion d’vn chacun.

Pour les ieunes hommes, ils sont aussi curieuxde s’accommoder et farder comme les filles : ils hui-lent leurs cheueux, y appliquent des plumes, et d’au-tres se font de petites fraises de duuet de plumes àl’entour du col : quelques-vns ont des fronteaux depeaux de serpens qui leur pendent par derriere, dela longueur de deux aulnes de France. Ils se pein-dent le corps et la face de diuerses couleurs; de noir,vert, rouge, violet, et en plusieurs autres façons 3d’autres ont le corps et la face grauée en comparu-4ments. auec des figures de serpens, lezards, escureuxet autres animaux, et principalement ceux de la Na-tion du Petun, qui ont tous, pres- Il que, les corpsainsi figurez, ce qui les rend effroyables et hydeux àceux qui n’y sont pas acconstumez : cela est picquéet faict de mesme, que sont faictes et grauuées dansla superficie de la chair, les Croix qu’ont au bras ceuxqui reuiennent de Ierusalem, et c’est pour vn tia-

Page 168: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-l35-mais; mais on les accommode à diuerses reprises,pour ce que ces piqueures leur causent de grandesdouleurs et en tombent souuent malades, jusques àen auoir la fievre, et perdre l’appetit, et pour toutcela ils ne desistent point, et font continuer iusqu’ace que tout soit acheué, et comme ils le desirent, sanstesmoigner aucune impatience ou depit, dans l’excezde la douleur : et ce qui m’a plus faict admirer encela, à esté de voir quelques femmes, mais peu,accom-modées de la mesme façon. l’ai aussi veu des Sau-uages d’vne autre Nation, qui auoient tous le milieudes narines percées, ausquelles pendoit vne assezgrosse Patinotre bleuë, qui leur tombait sur la levred’en haut.

Nos Sauuages croyaient au commencement quenous portions nos Chappelets à la ceinture pour pa-rade, comme ils font leurs Pourceleines, mais sanscomparai- n son ils faisoient fort-peu d’estat de nosChappelets, disans qu’ils n’estoient que de bois, (tque leur Pourceleine, qu’ils appellent Onocoirota, es.toit de plus grande valeur.

Ces Pourceleines sont des os de ces grandes c0.quilles de mer, qu’on appelle Vignols, semblables ades limaçons, lesquels ils decoupent en mille pièces,puis les polissent sur un graiz, les percent, et en fontdes coliers et brasselets, auec grand’ peine et trauail,pour la dureté de ces os, qui sont toute autre choseque nostre yuoire, lequel ils n’estiment pas aussi àbeaucoup prés de leur Pourceleine, qui est plus belleet blanche. Les Brasiliens en vsent aussi à se pareret attifier comme eux.

I’auois à mon Chappelet vne petite teste de mort

H94

Page 169: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-136-en buys, de la grosseur d’vne noix, assez bien faicte,beaucoup d’entr’eux la croyaient auoir esté d’vn en-

fant viuans, non que ie leur persuadasse : mais leursimplicité leur faisoit croire ainsi, comme aux fem-mes de me demander a emprunter mon capuce etmanteau en temps de pluye, ou pour aller à quelque

195 festin : mais elles me prioyent en vain, H comme ilest aysé acroire. Pour nos Socquets ou Sandales, lesSauuages et Sauuagesses les ont presque tous vouluesprouuer et chausser, tant ils les admiroient et trou-uoîent commodes, me disant apres, Auiel, Saracogna,Gabriel, fais-moy des souliers; mais il n’y auoir pointd’apparence, et estoit hors de mon pouuoir de leursatisfaire en cela, n’ayant le temps, l’industrie, ny lesoutils propres : et de plus, si i’eusse vne fois com-mencé de leur en faire, ils ne m’eussent donné au-cun relasche, ny temps de prier Dieu, et de croirequ’ils se fussent donné la peine d’apprendre, ils sont

trop faineants et paresseux : car ils ne font rien dutout, que par la force de la necessîte’, et voudroientqu’on leur donnast les choses toutes faictes, sans auoirla peine d’y aider seulement du bout du doigt; commenos Canadiens, qui ayment mieux se laisser mourirde faim, que de se donner la peine de cultiuer la terre,pour auoir du pain au temps de la necessité.

Page 170: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-I37.-.

[I De leur: conseils et guerres.

CHAPITRE X V l I.

une, en vne Epistre qu’il escrit à Fabate,, dict que Pyrrhe, Roy des Epirotes, de-

a manda a vn Philosophe qu’il mesnoit aueck I: ’1’: luy , quelle estoit la meilleure Cité du

monde. Le Philosophe respondit, la meilleure Citédu monde, c’est Maserde, vn lieu de deux cens feuxen Achaye, pour ce que tous les murs sont de pierresnoires, et tous ceux qui la gouuernent ont les testesblanches. Ce Philosophe n’a rien dit (en cela) deluy-mesme : car tous les anciens, apres le Sage Sa-lomon, ont dit qu’aux vieillards se trouuoit la sa-gesse : et en eflect, on voit sonnent la ieunesse d’ans,estre accompagnée de celle de l’esprit.

Les Capitaines entre nos Sauuages, sont ordinai-rement plustost vieux que ieunes, et viennent parsuccession, ainsi que la Royauté par deçà, ce quis’entend, si le n fils d’vn Capitaine ensuit la vertu dupere ; car autrement ils font comme aux vieux siecles,lors que premierement ces peuples esleurent desRoys : mais ce Capitaine n’a point entr’eux antho-rité absoluë, bien qu’on luy ait quelque respect, etconduisent le peuple plustost par prieres, exhorta-tions, et par exemple, que par commandement.

Le gouuernement qui est entr’eux est tel, que lesanciens et principaux de la ville ou du bourg s’as-semblent en vn conseil auec le Capitaine, ou ils de-

I97

Page 171: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-138-cident et proposent tout ce qui est des affaires de leurRepublique, non par vn commandement absolu,comme i’ay dict; ains par supplications et remons-trances, et par la pluralité des voix qu’ils colligent,auec de petits fetus de joncs. Il y auoir a Quieunonas-caron le grand Capitaine et chef de la Prouince desOurs, qu’ils appelloient Garihoùa andionxra, pour ledistinguer des ordinaires de guerre, qu’ils appellentGanhoùa doutague’la. Iceluy grand Capitaine de Pro-uince auoit encore d’autres Capitaines sous luy, tantde guerre que de police, par tous les autres bourgs etvillages de sa lurisdiction , lesquels en chose de

198 Il conséquence le mandoient et aduertissoient pour lebien du public, ou de la Prouince : et en nostrebourg, qui estoit le lieu de sa residence ordinaire, ily auoit encore trois autres Capitaines, qui assistoienttousiours aux conseils auec les anciens du lieu, outreson Assesseur et Lieutenant, qu en son absence, ouquand il n’y pouuoit vacquer, faisoit les cris et pu-blications par la ville des choses necessaires et or-données. Et ce Garihoùa andionxra n’auoit pas si petiteestime de luy-mesme, qu’il ne se voulust dire frereet cousin du Roy, et de mesme egalité, comme lesdeux doigts demonstratifs des mains qu’il nousmonstroit ioints ensemble, en nous faisant cette ri-dicule et inepte comparaison.

Or quand ils veulent tenir conseil, c’est ordinaire-ment dans la Cabane du Capitaine, chef et principaldu lieu, sinon que pour quelque raison particuliereil soit trouué autrement expedient. Le cry et la pu-blication du conseil ayant esté faicts, on dispose dansla Cabane, ou au lieu ordonné, vn grand feu, à

Page 172: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-139.-l’entour duquel s’assizent sur les nattes tous lesConseillers, en suite du grand Capitaine qui tient lepremier rang, assis en tel endroict, que Il de sa place 199il peut vo’ir tous ses Conseillers et assistans en face.Les femmes, filles et ieunes hommes n’y assistentpoint, si ce n’est en vn conseil general, où les ieuneshommes de vingt-cinq à trente ans peuuent assister,ce qu’ils cognoissent par vn cry particulier qui enest faict. Que si c’est vu conseil secret, ou pour ma-chiner quelque trahison ou surprise en guerre, ils letiennent seulement la nuict entre les principauxConseillers, et n’en descouurent rien que la choseproiettée ne soit mise en etfect, s’ils peuuent.

Estans donc tous assemblez, et la Cabane fermée,ils font tous vne longue pose auant que de parler,pour ne se precipiter point, tenans cependant tous-iours leur Calumet en bouche, puis le Capitainecommence a haranguer en terme et parole hauts etintelligibles vn assez longtemps, sur la matiere qu’ilsont à traiter en ce conseil : ayant finy son discours,ceux qui ont a dire quelque chose, les vns apres lesautres sans s’interrompre et en peu de mots, opinentet disent leurs raisons et aduis, qui sont par aprescolligez auec des pailles ou petits ioncs, et la dessusest conclud ce qui est lugé expedient.

Il Plus, ils font des assemblées generales, sçauoir zoodes regions loingtaines, d’où il vient chacun an vnAmbassadeur de chaque Prouince, au lieu destinépour l’assemblée, ou il se faict de grands festins etdances, et des presens mutuels qu’ils se font les vnsles autres, et parmy toutes ces caresses, ces resiouys-sauces et ces accolades ils contractent amitié de nou-

J

Page 173: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

20!

-140-ueau, et aduisent entr’eux du moyen de leur conser-uation, et par quelle maniere ils pourront perdre etruyner tous leurs ennemis communs :tout estantfaict, et les conclusions prises, ils prennent congé, etchacun se retire en son quartier auec tout son trainet equipage, qui est à la Lacedemonienne, vn à vn,deux a deux, trois a trois, ou gueres danantage.

Quant aux guerres qu’ils entreprennent, ou pouraller dans le pays des ennemis, ce seront deux outrois des anciens, ou vaillans Capitaines, qui entre-prendront cette conduite pour cette fois, et vont devillage en village faire entendre leur volonté, don-nant des presens à ceux desdits villages, pour lesinduire et tirer d’eux de l’ayde et du secours en leursguerres, et par ainsi sont comme Generaux d’armées.H Il en vint vn en nostre bourg, qui estoit vn grandvieillard, fort dispos, qui incitoit et encourageoitles ieunes hommes et les Capitaines de s’armer, etd’entreprendre la guerre contre la Nation des Atti-uoïndarons; mais nous l’en blasmasmes fort, et dissua-dasmes le peuple d’y entendre, pour le desastre etmal-heur inenitable que cette guerre eust peu apporteren nos quartiers, et à l’aduancement de la gloire deDieu.

Ces Capitaines ou Generaux d’armées ont le pou-uoir, non seulement de designer les lieux, de donnerquartier, et de ranger les bataillons; mais aussi dedisposer des prisonniers en guerre, et de toute autrechose de plus grande consequence : il est vray qu’ilsne sont pas tousiours bien obeys de leurs soldats, entant qu’eux-mesmes manquent souuent dans labonne conduite, et celuy qui conduit mal, est sou-

Page 174: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-]4]-uent mal suiuy. Car la fidele obeyssance des suiectsdépend de la suffisance de bien commander, du bonPrince, disoit Theopompus Roy de Sparte.

Pendant que nous estions la, le temps d’aller enguerre arriuant, vn ieune homme de nostre bourg,désireux d’honneur, H voulut luy seul, faire le festin 202de guerre, et detfrayer tous ses compagnons au iourde l’assemblée generale, ce qui luy fut de grand coustet despence, aussi en fut-il grandement loué et es-timé : car le festin estoit de six grandes chaudieres,auec quantité de grands poissons boucanez, sans lesfarines et les huiles pour les graisser.

On les mit sur le feu auant iour, en l’vne des plusgrandes Cabanes du lieu , puis le conseil estantacheué, et les resolutions de guerre prises, ils entre-rent tous au festin, commencerent a festiner, etfirent les mesmes exercices militaires, les vns aprèsles autres, comme ils ont accoustumé, pendant lefestin, et apres auoir vuidé les chaudieres, et lescomplimens et remerciemens rendus, ils partirent,et s’en allerent au rendezcvous sur la frontiere, pourentrer és terres ennemies, sur lesquelles ils prindrentenuiron soixante de leurs ennemis, la pluspart des-Iquels furent tuez sur les lieux, et les autre amenezen vie, et faits mourir aux Hurons, puis mangez enfestin.

Leurs guerres ne sont proprement que des sur-prises et deceptions; car tous les H ans au renouueau, 203et pendant tout l’esté, cinq ou six cens ieunes hom-mes Hurons, ou plus, s’en vont s’espandre dans vnecontrée des Yroqnois, se departent cinq ou six en vnendroict, cinq ou six en vn autre et autant en vn

Page 175: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-l4z-autre, et se couchent sur le ventre par les champs etforests, et à costé des grands chemins et sentiers, etla nuict venuë ils rodent par tout, et entrent iusquesdans les. bourgs et villages, pour tascher d’atraperquelqu’vn, soit homme, femme ou enfant, et s’ils en

prennent en vie, les emmenent en leur pays pourles faire mourir à petit feu, sinon aptes leur auoirdonné vu coup de massuë, ou tué à coups de flesches,ils en emportent la teste; que s’ils en estoient tropchargez, ils se contentent d’en emporter la peau auecsa cheuelure, qu’ils appellent Onontsira, les passent etles serrent pour en faire des trophées, et mettre entemps de guerre sur les pallissades ou murailles deleur ville, attachées au bout d’vne longue perche.

Quand ils vont ainsi en guerre et en pays d’enne-mis, pour leur viure ordinaire ils portent quant et-eux, chacun derriere son dos, vn sac plein de farine

204 de bled ll rosty et grillé dans les cendres, qu’ils man-gent cruë, et sans estre trempée, ou bien destrempéeauec vn peu d’eau chaude ou froide, et n’ont par cemoyen à faire de feu pour apprester leur manger,quoy qu’ils en fassent par-fois la nuict au fond desbois pour n’estre apperceus, et font durer cette farineiusqu’à leur retour, qui est enuiron de six semainesou deux mois de temps :car apres ils viennent serafraischir au pays, finissent la guerre pour ce coup,ou s’y en retournent encore auec d’autres prouisions.Que si les Chrestiens vsoient de telle sobrieté, ilspourroient entretenir de tres- puissantes arméesauec peu de fraiz, et faire la guerre aux ennemisde l’Église, et du nom Chrestien, sans la foule dupeuple, ny la ruyne du pays, etlDieu n’y seroit point

Page 176: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-.143-rant ofi’encé, comme il est grandement, par la plus-part de nos soldats, qui semblent plustost (chez lebon homme) gens sans Dieu, que Chrestiens naizpour le Ciel. Ces panures Sauuages (à nostre confu-sion) se comportent ainsi modestement en guerre,sans incommoder personne, et s’entretiennent deleur propre et particulier moyen, sans autre gage ouesperance de recompense, que ll de l’honneur et 205louange qu’ils estiment plus que tout l’or du monde.Il seroit aussi bien à desirer que l’on semast de cebled d’inde par toutes les Prouinces de la France,pour l’entretien et nourriture des panures qui y sonten abondance : car auec vn peu de ce bled ils se pour-roient aussi facilement nourrir et entretenir que lesSauuages, qui sont de mesme nature que nous, etpar ainsi ils ne souffriroient de disette, et ne seroientnon plus contrains de courir mendians par les villes,bourgs et villages, comme ils font ionrnellementpource qu’outre que ce bled nourrist et rassasie gran-dement, il porte presque toute sa sauce quant-et-soy, sans qu’il y soit besoin de viande, poisson,beurre, sel ou espice, si on ne veut.

Pour leurs armes, ils ont la Massuë et l’Arc, auecla Flesche empennée de plumes d’Aigles, comme lesmeilleures de toutes, et a faute d’icelles ils en pren-nent d’autres. lis y appliquent aussi fort proprementdes pierres trenchantes collées au bois, auec vnecolle de poisson tres-forte, et de ces Flesches i’s enemplissent leur Carquois, qui est faict d’vne peau dechien passée, qu’ils portent en escharpe. ils por- ll tent 206aussi de certaines armures et cuirasses, qu’ils appel-ent Aquientor, sur leur dos, et contre les jambes, et

Page 177: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

autres parties du corps, pour se pouuoir defendre descoups de Flesches : car elles sont faictes a l’espreuuede ces pierres aiguës; et non toutefois de nos fers deKebec, quand la Flesche qui en est accommodée sortd’vn bras roide et puissant, comme est celuy d’vnSauuage : ces cuirasses sont faictes auec des baguettesblanches, coupées de mesure, et serrées l’vne contrel’autre, tissues et entrelassées de cordelettes, fort du-rement et proprement’, puis la rondache ou panois ,et l’enseigne ou drappeau, qui est(pour le moinsceux que i’ay veus) vn morceau d’escorce rond, surlequel les armoiries de leur ville ou prouince sontdepeintes et attachées au bout d’une longue baguette,comme vne Cornette de caualerie. Nostre Chasublea dire la saincte Messe, leur agréoit fort, et l’eussentbien desiré traiter de nous, pour le porter en guerreen guise d’enseigne, ou pour mettre au haut de leursmurailles, attachée à vne longue perche, afin d’es-peuuenter leurs ennemis, disoient-ils.

207 Les Sauuages de l’Isle l’eussent encore ll bien voulutraiter au Cap de Massacre, ayans desia à cet efi’ect,amassé sur le commun, enuiron quatre-vingts Cas-tors: car ils le trouuoient non seulement tres-beau,pour estre d’vn excellent Damas incarnat, enrichyd’vn passement d’or (digne present de la Reyne). maisaussi pour la croyance qu’ils auoient qu’il leur cau-seroit du bon-heur et de la prospérité en toutes leursentreprises et machines de guerre.

Comme l’on a de coustume sur mer, pour signe deguerre, ou de chastiment, mettre dehors en enidencele Pauillon rouge z Aussi nos Sauuages, non seule-ment és iours solennels et de resiouyssance, mais

Page 178: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

....145-.principalement quand ils vont à la guerre, ils portentpour la plus-part à l’entour de la teste de certainspennaches en couronnes, et d’autres en moustaches,faicts de longs poils d’Eslan, peints en ronge commeescarlatte, et collez, ou autrement attachez à vnebande de cuir large de trois doigts. Depuis que nosFrançois ont porté des lames d’espées en Canada, lesM ontagnets et Canadiens s’en seruent, tant a la chassede l’EsIan, qu’aux guerres contre leurs ennemis ,qu’ils sça-ll uent droictement et roidement darder,emmanchées en de longs bois , comme demyes-picques.

Quand la guerre est declarée en vn pays on destrnittous les bourgs, hameaux, villes et villages frontieres,incapables d’arrester l’ennemy, sinon on les fortifie,et chacun se range dans les villes et lieux fortifiez desa lurisdiction, ou ils bastissent de nouuelles Ca-banes pour leur demeure, à ce aydés par les habitansdu lieu. Les Capitaines assistés de leurs Conseillers,trauaillent continuellement à ce qui est de leur con-seruation, regardent s’il y a rien à adiouster a leursfortifications pour s’y employer, font balayer et net-toyer les suyes et araignées de toutes les Cabanes, de-peur du feu que l’ennemy y pourroit ietter par cer-tains artifices qu’ils ont appris de. le ne sçay quelleautre Nation que l’on m’a autresfois nommée. Ilsfont porter sur les guerites des pierres et de l’eau pours’en seruir dans l’occasion. Plusieurs font des trous,dans lesquels ils enferment ce qu’ils ont de meilleur,et peur de surprise les Capitaines enuoyent des sol-dats pour descouurir l’ennemy, pendant qu’ils encou-

208

ragent les autres de faire des armes, llde se tenir 209

Page 179: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

210

-146-prests, et d’enfier leur courage, pour vaillamment etgenereusement combattre, résister et se deffendre, sil’ennemy vient à paroistre. Le mesme ordre s’ob-serne en toutes les autres villes et bourgs, iusqu’à cequ’ils voyent l’ennemy s’estre attaché à quelques-vns,

et alors la nuict à petit bruit vne quantité de soldatsde toutes les villes voysines, s’il n’y a necessité d’vne

plus grande armée, vont au secours, et s’enfermentau dedans de celle qui est assiege’e, la deffendent, fontdes sorties, dressent des embusches, s’attachent auxescarmouches, et combattent de toute leur puissance,pour le salut de la patrie, surmonter l’ennemy, et ledeffaire du tout s’ils peuuent.

Pendant que nous estions a Quieunonascaran,nous vismes faire tontes les diligences susdites, tanten la fortification des places, apprests des armes, as-semblées des gens de guerre, prouision de viures,qu’en toute autre chose necessaire pour soustenirvne grande guerre qui leur alloit tomber sur les brasde la part des Neutres, si le bon Dieu n’eust diuertycet orage, et empesché ce mal-heur qui alloit ’mena-çant Lnostre’bourg d’vn premier ll choc, et pont n’y

estre pas pris des premiers, toutes les nuicts nous bar-ricadions nostre porte auec des grosses busches debois de trauers, arrestées les vnes sur les autres, parle moyen de deux paux fichez en terre.

Or pour ce qu’vne telle guerre pouuoit grande-ment nuyre et empescher la conuersion et le salut dece pauure peuple, et que les Neutres sont plus fortset en plus grand nombre que nos Hurons, qui nepeuuent faire qu’enuiron deux mille hommes deguerre, ou quelque peu d’anantage, et les autres cinq

Page 180: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.- 147 .-à six mille combattans, nous fismes nostre possible,et contribuasmes tout ce qui estoit de nostre pouuoirpour les mettre d’accord, et empescher que nos gens,desia tous prests de se mettre en campagne , n’entre-prissent (trop legerement) vne guerre à l’encontred’une nation plus puissante que la leur. A la fin, as-sistés de la grace de nostre Seigneur , nous gaignas-mes quelque chose sur leur esprit: car approuuansnos raisons ils nous dirent qu’ils se tiendroient enpaix, et que ce en quoy ils auoient auparauant fondél’espérance de leur salut , estoit en nostre grand es-prit , et au secours que Il quelques François (mal ad-uisez) leur auoient promis : Outre vne tres-bonne in-uention qu’ils auoient conceuë en leur esprit , par lemoyen de laquelle ils esperoient tirer un grand secoursde la Nation de Feu , ennemisiurez des Neutres. L’in-uention estoit telle; qu’au plustost ils s’efforceroientde prendre quelqu’vn de leurs ennemis, et que dusang de cet ennemy, ils en barbouilleroient la face ettout le corps de trois ou quatre d’entr’eux , lesquelsainsi ensanglantez seroient par apres ennoyez en Am-bassade à cette Nation de Feu , pour obtenir d’euxquelque secours et assistance à l’encontre de si puis-sans ennemis, et que pour plus facilement les esmeu-uoir à leur donner ce secours, ils leur montreroientleur face, et tout leur corps desia teinet et ensanglantédu sang propre de leurs ennemis communs.

Puis que nous auons parlé de la Nation Neutre,contre lesquels nos Huronsont pensé entrer en guerre,le vous diray aussi vn petit mot de leur pays. Il est àquatre ou cinq journées de nos Hurons tirant au Sud,au delà de la Nation des Quieunontateronons. Cette Pro-

211

Page 181: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

- 1 -.uince contient prez de cent lieues d’estenduë, où il se

2 1 2 fait grande ll quantité de très-bon petun, qu’ils traitent

213

à leurs voysins. Ils assistent les Chenenx Releuezcontre la Nation de Feu , desquels ils sont ennemismortels : mais entre les Yroqnois et les nostres, auantcette esmeute, ils auoient paix, et demeuroient neutresentre les deux, et chacune des deux Nations y estoitla bien .venuë, et n’osoient s’entre-dire ny faire aucun

desplaisir, et mesmes y mangoient sonnent ensemble,comme s’ils eussent esté amis; mais hors du payss’ils se rencontroient , il n’y auoit plus d’amitié,

et s’entre-faisoient cruellement la guerre, et la con-tinuent à.toute outrance : l’on n’a sceu encor trou-uer moyen de les reconcilier et mettre en paix , leurinimitié estant de trop longue main enracinée, et fo-mentée entre les ieunes hommes de l’vne et l’antreNation , qui ne demandent autre exercice que celuydes armes et de le guerre.

Quand nos Hurons ont pris en guerre quelqu’vnde leurs ennemis, ils luy font une harangue descruautez que luy et les siens exercent à leur endroict,et qu’au semblable il deuoit se résoudre d’en endu-rer autant, et luy commandent (s’il a du llcourageassez) de chanter tout le long du chemin, ce qu’il faict;mais souvent avec un chant fort triste et lugubre, etainsi l’emmenent en leur pays pour le faire mourir ,et en attendant l’heure de sa mort, ils luy font conti-nuellement festin de ce qu’ils peuuent pourl’engrais-ser, et le rendre plus fort et robuste à supporter deplus griefs et longs tourmens, et non par charité etcompassion, excepté aux femmes, filles et enfans, les-quels ils font rarement mourir; ains les conseruent et

Page 182: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.- [49 -.retiennent pour eux , ou pour en faire des presens àd’autres, qui en auroient auparavant perdu des leursen guerre , et font estat de ces subrogez , autant ques’ils estoient de leurs propres enfans , lesquels estansparuenus en aage, vont aussi courageusementen guer-re contre leurs propres parens, et ceux de leur Nation,que s’ils estoient naiz ennemis de leur propre patrie ,ce qui tesmoigne le peu d’amour des enfans enuersleurs parens, et qu’ils ne font estat que des bien-faictspresens, et non des passez, qui est vn signe de mau-uais naturel : et de cecy i’en ay veu l’experience enplusieurs. Que s’ils ne peuuent emmener les femmesetlenfans qu’ils ll prennent sur les ennemis, ils les as-somment, et font mourir sur les lieux mesmes , et enemportent les testes ou la peau, auec la cheuelure, etencore s’est-il veu (mais peu sonnent) qu’ayans ame-né de ces femmes et filles dans leur pays , ils en ontfaict mourir quelques-vnes par les tourments, sansque les larmes de ce pauvre sexe, qu’il a pour toute def-fence, les ayent pû esmouuoir à compassion : car ellesseules pleurent, et non les hommes, pour aucun tour-ment qu’on leur fasse endurer, depeur d’estre estimezefféminez, et de peu de courage , bien qu’ils soientsouvent contraincts deietter de hauts cris, que la forcedes tourments arrache du profond de leur estomach.

Il est quelques-fois arrivé qu’aucuns de leurs enne-mis estans poursuyuis de prés, se sont neantmoins es-chappez : car pour amuser celuy qui les poursuit, etse donner du temps pour fuyr et le deuancer, ils iettentleurs colliers de Pourceleines bien loin arriere d’eux, a-finque si l’avarice commande à ses poursuyvans deles aller ramasser, ils peussenttousiours gaigner le de-

214

Page 183: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-150-uant, et se mettre en sauueté, ce qui a reussi a plu-

215 sieurs : ie me persuade et crois ll que c’est en partiepourquoy ils portent ordinairement tous leurs plusbeaux colliers et matachias en guerre.

Lorsqu’ils ioignent vn ennemy, et qu’ils n’ont qu’à

mettre la main dessus , comme nous disons entre-nous : Rends-toy, eux disent Sakien , c’est-à-dire , as-sied-toy, ce qu’il faict, s’il n’ayme mieux se faire as-sommer sur la place, ou se delfendreiusqu’à la mort,ce qu’ils ne font pas sonnent en ces extremitez, sousesperance de se sauner, et d’eschapper avec le tempspar quelque ruze. Or comme il y a de l’ambition à quiaura des prisonniers , cette mesme ambition ou l’en-uie est aussi cause quelques-fois que ces prisonniers semettent en liberté et se saunent, comme l’exemple suy-

uant le monstre.Deux ou trois Hurons se voulans attribuer chacun

un prisonnier Yroqnois , et ne se pouuans accorder ,ils en firent iuge leur propre prisonnier, lequel bienaduisé se seruit de l’occasion et dit : Vu tel m’a pris,et suis son prisonnier, ce qu’il disoit contre la veritéet exprez , pour donner un iuste mescontentement aceluy de qui il estoit vray prisonnier : et de faict in-

2 16 digné qu’vn autre auroit iniustement l’honneur ll qui

luy estoit deu , parla en secret la nuict suyuanteau prisonnier, et luy dit : Tu t’es donné et adiugé àvn autre qu’a moy, qui t’auois pris , c’est pourquoyi’ayme mieux te donner liberté , qu’il aye l’honneur

qui m’est deu, et ainsi le deslians le fit enader et fuyrsecrettement.

Arriuez que sont les prisonniers en leur ville ouvillage, ils leur font endurer plusieurs et diuers tour-

Page 184: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--151-mens, aux vns plus, et aux autres moins, selon qu’illeur plaist : et tous ces genres de tourments et demorts sont si cruels, qu’il ne se trouue rien de plusinhumain : car premierement ils leur arrachent lesongles, et leur coupent les trois principaux doigts,qui servent à tirer de l’arc , et puis leur lenent trutela peau de la teste avec la cheuelure, et apres y met-tent du feu et des cendres chaudes, ou y font degout-ter d’une certaine gomme fondue, ou bien se conten-tent de les faire marcher tous nuds de corps et despieds, au trauers d’vn grand nombre de. feux faictsexprez, d’vn bout a l’autre d’vne grande Cabane , ou

tout le monde qui y est bordé des deux costez, tenansen main chacun vn tison allumé, luy en donnent des-sus le corps en passant, ll puis aptes auec des ferschauds luy donnent encore de jartieres à l’entour desjambes, et auec des haches rouges ils luy frottent lescuisses du haut-en-bas, et ainsi peu à peu bruslentce pauure miserable : et pour luy augmenter ses tres-cuisantes douleurs, luyiettent par-fois de l’eau sur ledos, et luy mettent du feu sur les extremitez desdoigts,et de sa partie naturelle , puis leur percent les brasprés des poignets , et auec des bastons en tirent lesnerfs, et les arrachent à force, et ne les pouuans auoirles couppent, ce qu’ils endurent auec vne constanceincroyable, chamans cependant auec vn chant neant-moins fort triste et lugubre , comme i’ay dict, millemenaces contre ces Bourreaux et contre toute cetteNation, et estant prest de rendre l’ame, ils le menenthors de la Cabane finir sa vie, sur un eschauffautdressé exprez, là ou on lui couppe la teste, puis on luyonure le ventre, et la tous les enfans se trouuent pour

217

Page 185: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-152--auoir quelque petit bout de boyau qu’ils pendent aubout d’vne baguette , et le portent ainsi en triomphepar toute la ville ou village en signe de victoire. Le

218 corps ainsi esuentré et accommodé, on le faict ll cuiredans une grande chaudière, puis on le mange en fes-tin, auec liesse et resiouyssance, comme i’ay dict cy-deuant.

Quand les Yroqnois , ou autres ennemis , peuuentattrapper de nos gens , ils leur en font de mesme , etc’est a qui fera du pis à son ennemy : et tel va pourprendre, qui est sonnent pris luy-mesme. Les Yro-qnois ne viennent pas pour l’ordinaire guerroyer nosHurons, que les fueilles ne connrent les arbres, pourpouuoir plus facilement se cacher , et n’estre descou-verts quand ils veulent prendre quelqu’vn au despour-ueu : ce qu’ils font aysement, en tant qu’il y aquan-tité de bois dans le pays, et proche la pluspart des vil-lages : que s’ils nous eussent pris nous autres Reli-gieux, les mesmes tourments nous eussent esté appli-quez sinon que de plus ils nous eussent arraché labarbe la premiere, comme ils firent à Bruslé, le Tru-chement qu’ils pensoient faire mourir , et lequel futmiraculeusement deliuré par la vertu de l’Agnur Dei ,qu’il portoit pendu à son col : carcomme ils luy pen-soient arracher, le tonnerre commença à donner auectant de furies , d’esclairs et de bruits , qu’ils en creu-

219 rent estre à leur derniere iournée, et ll tous espouuen-tez le laisserent aller. craignans eux-mesmes de périr,pour auoir voulu faire mourir ce Chrestien , et luyoster son Reliquaire.

Il arriue aussi que ces prisonniers s’eschappent au-cunes-fois, specialement la nuict, au temps qu’on les

Page 186: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-153-faict promener par-dessus les feux; car en courans surces cuisans et tres-rigoureux brasiers , de leurs piedsils escartent et iettent les tisons, cendres et charbonspar la Cabane, qui rendent apres une telle obscuritéde poudre et de fumée, qu’on ne s’entre-cognoistpoint: de sorte que tous sont contraincts de gaigner laporte, et de sortir dehors, et luy aussi parmy la foule,et de là il prend l’essor, et s’en va : et s’il ne peuten-

core pour lors, il se cache en quelque coin à l’escart ,attendant l’occasion et l’opportunité de s’enfuyr, et de

gaigner pays. l’en ay veu plusieurs ainsi échappezdes mains de leurs ennemis , qui pour prenne nousfaisoient voir les trois doigts principaux de la maindroicte couppez.

Il n’y a presque aucune Nation qui n’ait guerre etdebat auec quelqu’autre, non en intention d’en pos-seder les terres et conquerir leur pays, ains seulementpour les ll exterminer s’ils:pouu01ent, et pour se ven-ger de quelque petit tort ou desplaisir, qui n’est passonnent grand chose 3 mais leur mauvais ordre , et lepeu de police qui soutire les mauuais Concitoyensimpunis , est cause de tout ce mal : car si l’vn d’en-tr’eux aoffencé, tué ou blessé un autre de leur mesme

Nation, il en estquitte pour vn present, et n’y a pointde chastiment corporel (pour ce qu’ils ne les ont pointen vsage enuers ceux de leur Nation) si les parens dublessé ou decedé n’en prennent eux-mesmes la ven-geance, ce qui arriue peu sonnent : car ils ne se font,que fort rarement tort les vns aux antres. Mais si l’of-lensé est d’vne autre Nation, alors il y a indubitable-ment guerre déclarée entre les deux Nations, si cellede l’homme coulpable ne se rachete par de grands

220

Page 187: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

22!

222

- 154-presens, qu’elle tire et exige du peuple pour la partieoffencée : et ainsi il arriue le plus sonnent que par lafaute d’vn seul, deux peuples entiers se font vne tres-cruelle guerre, et qu’ils sont tousiours dans vne con-tinuelle crainte d’estre surpris l’vn de l’autre, particu-

lierement sur les frontieres, où les femmes mesmes nepeuuent cultiuer les terres et faire les ll bleds qu’ellesn’ayant tousiours auec elles vn homme ayant les ar-mes au poing, pour les conseruer et detfendre de quel-que mauuaise aduenuë.

A ce propos des offences et querelles, et auant finirce discours, pour monstrer qu’ils sçauent assez bienproceder en conseil, et vser de quelque maniere desatisfaction enuers la partie plaignante et lezée, ie di-ray ce qui nous arriua vn iour sur ce suiet. Beau-coup de Sauuages nous estans venus voir en nostreCabane (selon leur coustume iournaliere) vn d’en-tr’eux, sans aucun suiet, voulut donner d’vn gros bas-ton au Pere Ioseph. le fus m’en plaindre au grandCapitaine, et luy remonstray, afin que la chose n’al-last plus auant, qu’il falloit necessairement assemblervn conseil general, et remonstrer à ses gens, et parti-culierement a tous les ieunes hommes, que nous neleur faisions aucun tort ny desplaisir, et qu’ils ne de-uoient pas aussi nous en faire, puisque nous n’estionsdans leur pays que pour leur propre bien et salut,et non pour aucune enuie de leurs Castors et Pelle-teries, comme ils ne pouuoient igncrer. Il fit donc as-sembler vn conseil general auquel tous assisterent ,ll excepté celuy qui suoit voulu donner le coup z i’y fus

aussi appelé , auec le Pere Nicolas, pendant que lePère Ioseph gardoit nostre Cabane.

Page 188: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-155--Le grand Capitaine nous fist seoir aupres de luy ,

puis ayant imposé silence, il s’addressa à nous, et nousdit , en sorte que toute l’assemblée le pouuoit enten-dre : Mes Nepueux , à vostre priere et requeste i’ayfaict assembler ce conseil general , afin de vous estrefaict droict sur les plaintes que vous m’auez propo-sées; mais d’autant que ces gens-cy sont ignorans dufait, proposez vous mesme, et déclarez hautement enleur présence ce qui est de vos griefs , et en quoy etcomment vous auez esté ol’fencés, et sur ce ie feray et

bastiray ma harangue, et puis nous vous ferons insti-ce. Nous ne fusmes pas peu estonnés dés le commen-cement, de la prudence et sagesse de ce Capitaine, etcomme il proceda en tout sagement, iusqu’à la fin desa conclusion, qui fust fort a nostre contentement et

edification. ’Nous proposasmes donc nos plaintes , et commenous auionc quitté vn tres-bon pays, et trauersé tantde mers et de terres, auec infinis dangers et mes-aises,pour lg leur venir enseigner le chemin du Paradis , et 223retirer leurs ames de la domination de Sathan , quiles entraisnoit tous apres leur mort dans vne abysmede feu sousterrain, puis pour les rendre amis et com-me parens des François , et neantmoins qu’il y enauoit plusieurs d’entr’eux qui nous traictoient mal,et particulierement vn tel (que ie nommay)’ qui a vou-lu tuer nostre frere Ioseph. Ayant finy, le Capitaineharangua vnlong temps sur ces plaintes, leur remon-strans le tort qu’on auroit de nous ol’fencer, puis quenous ne leur rendions aucun desplaisir, et qu’au con-traire nous leur procurions et desirions du bien, nonseulement pour cette vie 3 mais aussi pour l’aduenir.

K

Page 189: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-156-Nous fusmes priez à la fin d’excuser la faute d’vn par-

ticulier, lequel nous deuions tenir seul auec eux, pourvu chien, a la faute duquel les autres ne trempoientpoint, et nous dirent pour exemple, que desia depuispeu, vn des leurs auoit griefuement blessé vn Algou-meqnin , en ioüant auec luy, et qu’ils s’estoient ac-cordez sans guerre, par le moyen de quelque prescrit,et celuy-la seul tenu pour chien et meschant qui auoit

224. faict le mal, et non les autres, ll qui sont bien marrisde cetinconuenient.

Ils nous firent aussi present de quelques sacs debled , que nous acceptasmes et fusmes au reste fes-toyez de toute la compagnîe, auec mille prieres d’ou-blier tous le passé, et demeurer bons amys comme an-parauant 3 et nous coniurerent encore fort instammentd’assister tous les iours à leurs festins et banquets, aus-quels ils nous feroient manger de bonnes Sagamitésdiuersement preparées, et que par ce moyen nous nousentretiendrions mieux par ensemble dans une bonneintelligence de bons parens et bons amys , et que deverité ils nous trouuoient assez pauurement accom-modez et nourris dans nostre Cabane , de laquelle ilseusent bien désiré nous retirer pour nous mettremieux auec eux dans leur ville , ou nous n’aurionsautre soucy que de prier Dieu, les instruire, et nousresiouyr honnestement par ensemble 3 et apres lesauoir remerciés, chacun prit congé, et se retira.

Page 190: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.- [57’-

ll De la croyance et foy des Sauuages, du Greateur, et comme 225ils auoient recours à nos prieras en leurs necessitez.

CHAPITRE XVIII.

ICERON a dict, parlant de la nature desa ,,v,:.a Dieux,qu’il n’y a gent si sauuage, si bru-

’ 4’641?!) ’ b b ’ ’t ’ b ë d, m y si ar are, qui ne s01 1m u e, quelque opinion d’iceux. Or comme il y adiuerses Nations et Prouinces barbares , aussi y a ildiuersité d’opinions et de croyance, pour ce que cha-cune se forge vn Dieu à sa poste. Ceux qui habitentvers Miskou et le port Royal, croyent en vn certainesprit. qu’ils appellent Cudoùagni, et disent qu’il parlesonnent à eux, et leur dict le temps qu’il doit faire.Ils disent que quand il se courrouce contr’eux, il leuriette de la terre aux yeux. Ils croyent aussi quand ilstrespassent, qu’ils vont és Estoilles, puis vont en debeaux champs verts, pleins ll de beaux arbres, fleurs 226et fruicts tres-somptueux.

Les Souriquois (à ce que i’ay appris) croyent veri-tablement qu’il y a vn Dieu qui a tout creé, et disentqu’apres qu’il eut faict toutes choses, qu’il prit quan-

tité de flesches, et les mit en terre, d’où sortirenthommes et femmes, qui ont muliplié au monde jus-qu’à present. En suitte de quoy, vn François de-manda a vn Sagamo, s’il ne croyoit point qu’il y eustvn autre qn’vn seul Dieu : il respondit, que leurcroyance estoit, qu’il y auoit vn seul Dieu , vn Fils,vne Mere, et le Soleil, qui estoient quatre; neant-

.v,

Page 191: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-158-moins que Dieu estoit par dessus tous : mais que leFils estoit bon, et le Soleil, à cause du bien qu’ils enreceuoient : mais la Mere ne valoit rien, et les man-geoit, et que le Pere n’estoit pas trop bon.

Puis dict : Anciennement, il y eut cinq hommesqui s’en allerent vers le Soleil couchant, lesquelsrencontrerent Dieu, qui leur demanda : Où allez-vous? Ils respondirent : Nous allons chercher nostrevie. Dieu leur dit: Vous la trouuerez ici. Ils passerentplus outre, sans faire estat de ce que Dieu leur auoit

227 dit, lequel prit vne pier- l] re et en toucha deux, quifurent transmuez en pierre. Et il demanda derechefaux trois autres : Où allez-vous? et ils respondirentcomme à la premiere fois; et Dieu leur dit derechef :Ne passez plus outre, vous la trouuerez icy; et voyansqu’il ne leur venoit rien, ils passerent outre, et Dieuprit deux bastons, et il en toucha les deux premiers,qui furent transmuez en bastons, et le cinquiesmes’arresta, ne voulant passer plus outre. Et Dieu luydemanda derechef: Où vas-tu? le vay chercher mavie. Demeure, et tu la trouueras. Il s’arresta, sanspasser plus outre, et Dieu luy donna de la viande, eten mangea. Apres auoir faict bonne chere, il re-tourna auec les autres Sauuages, et leur raconta toutce que dessus.

Ce Sagamo dit et raconta encore à ce François cetautre plaisant discours. Qu’vne autre-fois il y auoîtvn homme qui nuoit quantité de Tabac, et que Dieudist à cet homme, et luy demanda ou estoit son pe-tunoir, l’homme le prit, et le donna à Dieu, qui pe-tuna beaucoup, et aptes auoir bien petuné, il lerompit en plusieurs pieces; et l’homme luy demanda:

Page 192: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-159-Pourquoy as-tu rompu mon petunoir, tu "vois bien 228que ie n’en ay point d’autre? Et Dieu en prit vn qu’il

auoit et le luy donna, luy disant : En voilà vnque ie te donne, porte-le à ton grand Sagamo,qu’il legarde, et s’il le garde bien, il ne manquera point dechose quelconque , ny tous ses compagnons. Cethomme prit le petunoir qu’il donna à son grand Sa-gamo, et durant tout le temps qu’il l’eut, les Sau-uages ne manquerent de rien du monde : mais quedu depuis ledit Sagamo auoit perdu ce petunoir, quiest l’occasion de la grande famine qu’ils ont quelques-fois parmy-eux. Voylà pourquoy ils disent que Dieun’est pas trop bon, et ils ont raison, puisque ce De-mon qui leur apparoist en guise d’vn Dieu, est vnesprit de malice, qui ne s’estudie qu’à leur ruyne etperdition.

La croyance en general de nos Hurons (bien quetres mal entenduë par eux-mesmes, et en parlent fortdiuersement;) c’est que le Createur qui a faict toutce monde, s’appelle Yoscaha. et en Canadien Ataouacan,lequel a encore sa Mere-grand’, nommée Ataeruiq:leur dire qu’il n’y a point d’apparence qu’vn Dieu

aye vne Mere-grand’, et que cela se contrarie, ils de-meurent sans replique, comme Il à tout le reste. Ils 229disent qu’ils demeurent fort loin, n’en ayans neant-moins autre marque ou preuue, que le recit qu’ils al-leguent leur en auoir esté fait par vn Attiuoindaron, quileur a faict croire l’auoir veu, et la marque de sespieds imprimée sur vne roche au bord d’vne riuiere,et que sa maison ou cabane est faicte comme lesleurs, y ayant abondance de bled, et de toute autrechose necessaire à l’entretien de la vie humaine.

Page 193: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-160..-Qu’il seine du bled, trauaille, boit, mange et dortcomme les autres. Que tous les animaux de la terresont à luy et comme ses domestiques. Que de sanature il est tres-bon, et donne accroissement à tout,et que tout ce qu’il faict est bien faict , et nous donnele beau temps, et toute autre chose bonne et pros-pere. Mais à l’opposite, que sa Mere-grand’ est mes-chante , et qu’elle gaste souuent tout ce que son petitFils a faict de bien. Que quand Yoscaha est vieil, qu’ilr’ajeunit tout à vn instant, et deuient comme vn ieunehomme de vingt-cinq a trente ans , et par ainsi qu’ilne meurt iamais, et demeure immortel, bien qu’ilsoit vn peu suiect aux necessitez corporelles, commenous autres.

230 H Or il faut noter, que quand on vient à leurcontredire ou contester là-dessus, les vns s’excusentd’ignorance, et les autres s’enfuyent de honte, etd’autres qui pensent tenir bon s’embroüillent incon-tinent, et n’y a aucun accord ny apparence a ce qu’ilsen disent, comme nous auons sonnent veu et sceu parexperience, qui faict cognoistre en effect qu’ils ne re-cognoissent et n’adorent vrayement aucune Diuinitény Dieu, duquel ils puissent rendre quelque raison,et que nous puissions sçauoir: car encore que plu-sieurs parlent en la louange de leur Yoscaha, nous enauons ouy d’autres en parler auec mespris et irreue-rence.

Ils ont bien quelque respect à ces esprits, qu’ilsappellent Oki; mais ce mot Oki signifie aussi bien vngrand Diable, comme vn grand Ange, vn esprit fu-rieux et demoniacle, comme vn grand esprit, sage,sçauant ou inuentif, qui faict ou scait quelque chose

Page 194: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-161-par-dessus le commun; ainsi nous yappelloient-ilssaunent, pour ce que nous sçauions et leur ensei-gnions des choses qui surpassoient leur esprit, à cequ’ils disoient. Ils appellent aussi Oki leurs Mede-cins et Magiciens, voire mesmes il leurs fols, furieux 23 1et endiablez. Nos Canadiens et Montagnets appellentaussi les leurs Pirotois et Manitous, qui signifie lamesme chose que Oki en Huron.

Ils croyent aussi qu’il y a de certains esprits quidominent en vn lieu, et d’autres en vn autre : les vnsaux riuieres, les autres aux voyages, aux traites, auxguerres, aux festins et maladies, et en plusieurs autreschoses, ausquels ils offrent du petun , et font quel-ques sortes de prieres et ceremonies, pour obtenird’eux ce qu’ils desirent. Ils m’ont aussi monstré plu-

sieurs puissans rochers sur le chemin de Kebec, aus-quels ils croyoient resider et presider vn esprit, etentre les autres ils m’en monstrerent vn a quelquecent cinquante lieuës de la, qui auoir comme vneteste, et les deux bras esleuez en l’air, et au ventre oumilieu de ce puissant rocher, il y auoit vne profondecauerne de tres-difficile accez. Ils me vouloient per-suader et faire croire à toute force, auec eux, que cerocher auoit esté vn homme mortel comme nous, etqu’esleuant les bras et les mains en haut, il s’estoitmetamorphosé en cette pierre, et deuenu à successionde temps, vn si puissant rocher, lequel ils ont en ve-neration, "et luy offrent du petun en passant par 232deuant auec leurs Canots, non toutes les fois, maisquand ils doutent que leur voyage doiue reussir, etluy offrant ce petun, qu’ils iettent dans l’eau contrela roche mesme, ils luy disent : Tiens, prends cou-

Page 195: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-16z-rage, et fay que nous fassions bon voyage, auecquelqu’autre parole que ie n’entends pont : et leTruchement, duquel nous auons parlé au chapitreprecedent, nous a asseuré d’auoir fait vne fois vne pa-reille offrande auec eux (dequoy nous le tançasmesfort) et que son voyage luy fut plus profitable qu’au-cun autre qu’il ait iamais faict en ces pays-là. C’estainsi que le Diable les amuse, les maintient et con-serue dans ses filets, et en des superstitions estranges,en leur prestans ayde et faueur, selon la croyancequ’ils luy ont en cecy, comme aux autres ceremonieset sorceleries que leur Oki obserue, et leur faict ob-seruer, pour la guerison de leurs maladies, et autresnecessitez, n’offrans neantmoins aucune prierc nyofirande a leur Yoscaha (au moins que nous ayonssceu ), ains seulement à ces esprits particuliers, quele viens de dire, selon les occasions.

233 Ils croyent les ames immortelles : et H partans dece corps, qu’elles s’en vont aussi-tost dancer et seresiouyr en la presence d’l’oscaha, et de sa Mere-grand’

Ataensiq,tenans la route et le chemin des Estoilles,qu’ils appellent Atiskein andahatey, le chemin des ames,que nous appelons la voye lactée, ou l’escharpe es-toilée, et les simples gens le chemin de sainct Iac-ques. Ils disent que les ames des chiens y vontaussi, tenans la route de certaines estoilles, qui sontproches voysines du chemin des aines, qu’ils appellentGagnenon andahatry, c’est a dire, le chemin des chiens,et nous disoient que ces ames, bien qu’immortelles,ont encore en l’autre vie les mesmes necessitez duboire et du manger, de se vestir et labourer les terres,qu’elles auoient lors qu’elles estoient encore reues-

Page 196: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--163-rues de ce corps mortel. C’est pourquoy ils enterrentou enferment auec les corps des deffuncts, de la ga-lette, de l’huile, des peaux, haches, chaudieres etautres outils ; pour à celle fin que les ames de leursperents, à faute de tels instrumens, ne demeurentpanures et necessiteuses en l’autre vie : car ils s’ima-

ginent et croyent que les ames de ces chaudieres,haches, cousteaux, et tout ce qu’ils leur de- il dient, 234.particulierement à la grande feste des Morts, s’envcnt en l’autre vie seruir les ames des deffuncts,bien que le corps de ces peaux, haches, chaudieres,et de toutes les autres choses dediées et offertes, de-meurent et restent dans. les fosses et les bieres, auecles os des trespassez, c’estoit leur ordinaire response,lors que nous leur disions que les souris mangeoientl’huile et la galette, et la rouille et pourriture lespeaux, haches et autres instruments qu’ils enseuelis-soient et mettoient auec les corps de leurs parens etamis dans le tombeau.

Entre les choses que nos Hurons ont le plus ad-miré, en les instruisant, estoit qu’il y eust vn Paradisau dessus de nous, ou fussent tous les bien-heureuxauec Dieu, et vn Enfer sousterrain, ou estoient tour-mentées auec les Diables en vn abysme de feu, toutesles ames des meschants, et celles de leurs parens etamis deffuncts. ensemblement auec celles de leursennemis, pour n’auoir cogneu ny adoré Dieu nostreCreateur, et pour auoir meiné vne vie si mauuaiseet vescu auec tant de dissolution et de vices. Ils ad-miroient aussi grandement l’Escriture, par laquelle,ab- Il sent, on se faict entendre où l’on veut; et te- 235mans volontiers nos liures, apres les auoir bien con-

Page 197: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-164-templez, et admiré les images et les lettres, ils s’amu-saient a en compter les fueillets.

Ces panures gens ayans par plusieurs fois experi-menté le secours et l’assistance que nous leur pro-mettions de la part de Dieu, lors qu’il viuroient engens de bien, et dans les termes que leur prescriuions:Ils auoient souuent recours à nos prieres, soit, oupour les malades, ou pour les ininres du temps, etaduoüoient franchement qu’elles auoient plus d’effi-

cace que leurs ceremonies, coniurations et tous lestintamarres de leurs Medecins, et se resiouyssoientde nous oüir chanter des Hymnes et Pseaumes àleurintention, pendant lesquels (s’ils s’y trouuoient pre-sens) ils gardoient estroictement le silence, et se ren-doient attentifs, pour le moins au son et à la voix,qui les contentoit fort. S’ils se presentoient à laporte de nostre Cabane, nos prieres commencées, ilsauoient patience, ou s’en retournoient en paix, sça-chans desia que nous ne deuions pas estre diuertisd’vne si bonne action, et que d’entrer par importu-

236 nité estoit chose estimée H inciuile, mesme entt’eux,et vn obstacle aux bons effects de la priere, tellementqu’ils nous donnoient du temps pour prier Dieu, etpour vacquer en paix à nos offices diuins. Nous ay-dant en cela la coustume qu’ils ont de n’admettreaucun dans leurs Cabanes lors qu’ils chantent lesmalades, ou que les mots d’vn festin ont été pro-noncez.

Auoindaon, grand Capitaine de Quieunonascaran, auoittant d’affection pour nous, qu’il nous seruoit comme

de Pere Syndiq dans le pays, et nous voyoit aussisoutient qu’il croyoit ne nous estre point importun,

Page 198: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-165-et nous trouuans par-fois a genoüils prians Dieu,sans dire mot, il s’agenoüilloit anprés de nous, ioi-gnoit les mains, et ne pouuant d’auantage, il taschoitserieusernent de contrefaire nos gestes et postures,remuant les leures, et esleuant les mains et les yeuxau Ciel, et y perseueroit iusques a la fin de nos Offi-ces, qui estoient assez longues, et luy nagé d’enuironsoixante et quinze ans. O mon Dieu, que cet exempledeuroit confondre de Chrestiens! et que nous dira cebon vieillard Sauuage, non encore baptisé, au iourdu jugement, de nous Il voir plus negligens d’aymer 237et seruir vn Dieu, que nous cognoissons, et duquelnous receuons tant de grâces tous les iours, que luy,qui n’auoit iamais esté instruit que dans l’escole de laGentilité, et ne le cognoissoit encore qu’au trauersles espaisses tenebres de son ignorance? Mon Dieu,resueillez nos tiedeurs, et nous eschauffez de vostrediuin amour. Ce bon vieillard, plein d’amitié et debonne volonté, s’offrir encore de venir coucher auecmoy dans nostre Cabane, lors qu’en l’absence de mesConfreres i’y restois seul la nuict. le luy demandoisla raison, et s’il croyoit m’obliger en cela, il me di-soit qu’il apprehendoit quelque accident pour moy,particulierement en ce temps que les Yroqnois es-toient entrez dans leurs pays, et qu’ils me pourroientaysement prendre, ou me tuer dans nostre Cabane,sans pouuoir estre secouru de personne, et que de plusles esprits malins qui les inquietoient me pourroientaussi donner de la frayeur, s’ils venoient a s’appa-roistre à moy, ou à me faire entendre de leurs voix.le le remercrois de sa bonne volonté, et l’asseuroisque ie n’auois aucune apprehension, ny des Yro-

Page 199: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-166--238 quais, ny des es- II prits malins, et que ie voulois de-

meurer seul la nuict dans nostre Cabane, en silence,prieres et oraisons. Il me repliquoit : Mon Nepueu,ie ne parleray pzint, et prieray lasvs auec toy, laisse-moy seulement en ta compagnie pour cette nuict,car tu nous es cher, et crains qu’il ne t’arriue dumal, ou en effect, ou d’apprehension. le le remercioisderechef, et le renuoyois au bourg, et moy ie demeu-rois seul en paix et tranquillité.

Nous baptizasmes vne femme malade en nostrebourg, qui ressentit et tesmoigna sensiblement degrands affects du sainct Baptesme : il y auoit plusieursiours qu’elle n’auoit mangé,estant baptizée aussi tostl’appetit luy reuint, comme en pleine santé, par l’es-pace de plusieurs iours, apres lesquels elle rendit soname à Dieu, comme pieusement nous pouuans croire;elle repetoit souuent à son mary, que lors qu’on labaptisoit, qu’elle ressentoit en son ame vne si douceet suaue consolation, qu’elle ne pouuoit s’empescherd’auoir continuellement les yeux esleuez au Ciel, eteust bien voulu qu’on eust peu lui reiterer encorevne autre fois le sainct Baptesme, pour pouuoir res-

239 sentir derechef cette II consolation interieure, et lagrande grace et faueur que ce Sacrement luy auoitcommuniquée. Son mary, nommé Ongyata, tres-con-tent et ioyeux, nous en atousiours esté du depuis fortaffectionné, et desiroit encore estre faict Chrestien,auec beaucoup d’autres 3 mais il falloit encore vn peutemporiser, et attendre qu’ils fussent mieux fondezen la cognoissance et croyance d’vn Iesus-Christ cru-cifié pour nous, et a vne vraye resignation, renon-ciation, abandonnement et mespris de toutes leurs

Page 200: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-167.-folles ceremonies , et en la hayne de tous leurs viceset mauuaises habitudes : pource que ce n’est pasassez d’estre baptizé pour aller en Paradis 3 mais ilfaut de plus viure Chrestiennement, et dans les termeset les loix que Dieu et son Église nous ont prescrites:autrement il n’y a qu’vn Enfer pour les mauuais, etnon point vn Paradis. Et puis ie diray auec verité,que si on n’establit des Colonies de bons et vertueuxCatholiques dans tous ces pays Sauuages, que iamaisle’Christianisme n’y sera bien affermy, encore quedes Religieux s’y donnassent toutes les peines dumonde : car autre chose est d’auoir affaire à despeu- II ples policez, et autre chose est de traiter auec 240des peuples Sauuages, qui ont plus besoin d’exempled’vne bonne vie, pour s’y mirer, que de grand’Theologie pour s’instruire, quoy que l’vn et l’autre

soit necessaire. Et par ainsi nos Peres ont faict beau-coup d’en auoir baptizé plusieurs, et d’en auoir dis-posé vn grand nombre à la foy et au Christianisme.

Et puis que nous sommes sur le suiet du sainctBaptesme, le ne passeray sous silence , qu’entre plu-sieurs Sauuages Canadiens, que nos Peres y ont bap-tisez, soit de ceux qu’ils ont fait conduire en France,ou d’autres qu’ils ont baptisez et retenus sur les lieux,

les deux derniers meritent de vous en dire quelquechose. Le Pere Ioseph le Caron, Superieur de nostreCouuent de sainct Charles, nourrissoit et esleuoit,pour Dieu, deux petits Sauuages Canadiens, l’vn des-quels, fils du Canadien que nous sur-nommons le Ca-det, apres avoir esté bien instruit en la foy et doctrineChrestienne, se resolut de viureà l’aduenir, suyuant laloi que nos Peres lui auoient enseignée , et auec ins-

Page 201: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

241

-r68-tance demanda le sainct Baptesme; mais à mesmetemps qu’il eut consenty et resolu de se II faire bapti-zer, le Diable commença de le tourmenter, et s’apparoi-stre a luy en diuerses rencontres: de sorte qu’il lepensa vne fois estouffer , si par prieres à Dieu, Reli-quaires, et par eau beniste on ne luy eust bridé sonpouuorr: et comme on luy iettoit de cet’ eau , ce pau-ure petit garçon voyoit ce malin esprit s’enfuyr d’vnautre ceste et monstroit à nos Peres l’endroict et le lieuou il estoit, et disoit asseurement que ce malin auoitbien peur de cet’ eau : tant y a, que depuis le iour dePasques, que le D.abIe l’assailiit pour la premierefois, iusques a la Pentecoste qu’il fut baptize, ce pau-ure petit sauuage fut en continuelle peine et appre-hension, et auec larmes supplient tousiours nos Peresde le vouloir baptizer, etle faire quitte de ce meschantennemy, duquel il receuoit tant d’ennuys et d’efitois.

Le iour de son Baptesme, nos Religieux tirent vnfestin à tous les parens du petit garçon de quantitéde pois, de prunes, et de quelqu’autre menestre,bouillies et cuites ensemble dans vne grande chau-diere. Et comme le Pere Joseph leur eut faict vneharangue sur la ceremonie, vertu et nécessité du

24.2 sainct Baptesme , il II arriva à quelques iours de la,qu’vn d’eux venant à tomber malade , il eut si peurde mourir sans estre baptizé, qu’il le demanda main-tes-fois, et auec tres-grande instance : si que sevoyantpressé du mal, il disoit que s’il n’estoit baptizé, qu’il

en imputeroit la faute à ceux qui luy refusoient, tel-lement qu’vn de nos Religieux, nommé F rere Ger-uais, auec l’aduis de tous les François qui se trouue-rent la presens, luy confera le sainct Baptesme, et le

Page 202: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-!69-mit en repos. Il s’est monstré du depuis si feruent ob-seruateur de ce qui luy a esté enseigné, qu’il s’est li-

brement faict qurtte de toutes les bagatelles et supers-titions dont le Diable les amuse, et mesme n’a permisqu’aucun de leurs Pirotois fist plus aucune diablerieautour de luy comme ils auoient accoustumé.

Enuiron les mois d’Auril et de May , les pluyesfurent tres-grandes, et presque continuelles (au con-traire de la France, qui fut fort seiche cette année-là.)de sorte que les Sauuages croyoient asseurement quetous leurs bleds deussent estre perdus et pourris , etdans cette affliction ne sçauoient plus à qui auoir re-cours, sinon a nous : car desia toutes leurs ceremonieset II superstitions auoient este faictes et obseruées sansaucun profit. Ils tindrent donc conseil entre tous lesplus anciens , pour aduiser à vn dernier et salutaireremede , qui n’estoit pas vrayement sauuage 3 maisdigne d’vn tres-grand esprit, et esclairé d’vne nou-uelle lumiere du Ciel, qui estoit de faire apporter vntonneau d’escorce de médiocre grandeur, au milieude la Cabane du grand Capitaine où se tenoit le con-seil, et d’arrester entr’eux que tous ceux du bourg,qui auoient vn champ de bled ensemencé , en appor-teroient là une escuellée de leur Cabane, et ceux quiauroient deux champs, en apporteroient deux escuel-lées , et ainsi des autres , puis l’offriroient et dedie-roienta l’vn de nous trois, pour l’obliger auec les deux

autres Confreres, de prier Dieu pour eux. Cela estantfaict, ils me choisissent, et m’envoyent prier par unnommé Grenole, d’aller au conseil, pour me commu-niquer quelque alïaire d’importance, et aussi pour re-cevoir vn tonneau de bled qu’ils m’auoient dedié. Auec

24.3

Page 203: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-17o.-l’aduis de mes Confreres ie m’y en allay, et m’assis au

conseil auprès du grand Capitaine, lequel me dit :244 Mon Nepueu, nous t’auons en- II noyé quérir, pour

t’aduiser que si les pluyes ne cessent bien-tost, nosbleds seront tous perdus, et toy et tes Confreres avecnous, mourrons tous de faim g mais comme vous estesgens de grand esprit, nous auons eu recours à vous ,et esperons que vous obtiendrez de vostre Pere qui estau Ciel, quelque remede et assistance a la necessitéqui nous menace. Vous nous auez tousiours annoncéqu’il estoit tres-bon , et qu’il estoit le Créateur, etnuoit tout pouuoir au Ciel et en la terre; si ainsi estqu’il soit tout-puissant et tres-bon , et qu’il peut cequ’il veut , il peut donc nous retirer de nos miseres ,et nous donner vn temps propre et bon : prie-le donc,auec tes deux autres Confrères, de faire cesser lespluyes, et le mauuais temps, qui nous conduit infailli-blement dans la famine , s’il continué encore quel-que temps, et nous ne te serons pas ingrats : car voylàdesia vn tonneau de bled que nous t’auons dédié,en attendant mieux. Son discours finy , et ses rai-sons deduites, ie luy remonstray que tout ce que nousleur auions dit et enseigné estoit tres-veritable , maisqu’il estoit à la liberté d’vn pere d’exaucer ou reietter

245 les prieres de son enfant, II et que pour chastier, oufaire grace et miséricorde , il estoit tousiours la mes-me bonté, y ayant autant d’amour au refus qu’a l’oc-

troy; et luy dis pour exemple : Voila deux de tes pe-tits enfans, Andaracouy et Aroussen, quelques fois tu leurdonnes ce qu’ils te demandent, et d’autres fois non gque si tu les refuses et les laisses contristez , ce n’estpas pour hayne que tu leur portes, ny pour mal que

Page 204: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

tu leur vueilles; ains pour ce que tu iuges mieuxqu’eux que cela ne leur est pas propre, ou que ce chas-timent leur est nesessaire. Ainsi en vse Dieu nostrePere tres-sage, enuers nous ses petits enfans et serui-teurs. Ce Capitaine vn peu grossier, en matiere spi-rituelle, me replïqua, et dist : Mon Nepueu , il n’y apoint de comparaison de vousa ces petits enfans : carn’ayans point d’esprit, ils font souuent de folles de-mandes, et moi qui suis pere sage, et de beaucoup d’es-prit, ie les exauce ou refuse avec raison. Mais pourvous , qui estes grandement sages , et ne demandezrien inconsiderement, et qui ne soit tres-bon et équi-table , vostre Pere qui est au Ciel, n’a garde de vousesconduire : que s’ilne vous exauce, et que nos bledsviennent à pourrir, II nous croyrons que vous n’estespas veritables, et que Issus n’est point si bon ny sipuissant que vous dites. le luy repliquay tout ce quiestoit nécessaire là-dessus, et luy remis en memoireque desia en plusieurs occasions ils auoient experi-menté le secours d’vn Dieu et d’vn Créateur, si bonet pitoyable, et qu’il les assisteroit encore à cette pre-sente et pressante necessité, et leur donneroit du bledplus que suffisamment, pourueu qu’ils nous voulus?sent croire, et quittassent leurs vices , et que si Dieules chastioit par-fois, c’estoit parce qu’ils estoient tous-

iours vicieux, et ne sortoient point de leurs mauuai-ses Ihabitudes, et que s’ils se corrigeoient, ils luy se-roient agréables, et les traiteroit apres comme ses en-fants.

Ce bon homme prenant goust a tout ce que ie luydisois, me dist : O mon Nepueu! ie veux donc estre

L

246

Page 205: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

enfant de Dieu , comme toy. le luy respondis, tun’en es point encore capable. O mon Oncle! il fautencore vn peu attendreque tu te sois corrigé : car Dieune veut point d’enfant s’il ne renonce aux supersti-tions, et qu’il ne se contente de sa propre femme sans

247 aller aux autres, et si tu le fais nous II te baptizerons,et aptes ta mort ton ame s’en ira bien-heureuse auecluy. Le conseil acheué, le bled fut porté en nostre Ca-bane, et m’y en retournay, on i’aduertis mes Con-freres de tout ce qui s’estoit passé, et qu’il falloit se-

rieusement et instamment prier Dieu pour ce pauurepeuple, a ce qu’il daignast les regarder de son œil demisericorde, et leur donnast un temps propre et ne-cessaire a leurs bleds , pour de la les faire admirer sesmerueilles. Mais à peine eusmes-nous commencé nospetites prieres, et esté processionnellement à l’entourde nostre petite Cabane, en disans les Litanies, et au-tres prieres et deuotions, que nostre Seigneur tres-bon et misericordieux fist à mesme temps cesser lespluyes : tellement que le Ciel , qui auparauantestoit par tout couuert de nuées obscures, se fist se-rain, et toutes ces nuées se ramasserent comme vnglobe au dessus de la ville, et puis tout a coup cela sefondit derriere les bois, sans qu’on en aperceust ia-mais tomber vne seule goutte d’eau; et ce beau tempsdura enuiron trois sepmaines, au grand contentement,et estonnement et admiration des Sauuages, qui sa-

248 tisfaits d’vne telle faneur celeste , nous II en resterentfort affectionnez, auec deliberation de faire passer enconseil, que delà en auant, ils nonsappelleroient leursPeres spirituels, qui estoit beaucoup gaigné sur eux,

Page 206: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-..I73-.et suiet à nous de rendre infinies graces à Dieu , quidaigne faire voir ses merueilles quand il luy plaist, etest expedient à sa gloire.

Dn depuis les Sauuages nous eurentgvne telle croYan-ce, et auoient tant d’opinions de nous, que cela nousestoit à peine, pour ce qu’ils inféroient delà et s’ima-

ginoient que Dieu ne nous esconduiroit iamais d’au-cune chose que luy demandassions, et que nous pou-uions tourner le Ciel et la terre à nostre volonté f parmaniere de dire ;) c’est pourquoy qu’il leur en falloitfaire rabattre de beaucoup , et les aduiser que Dieune fait pas tousiours miracle, et que nous n’estionspas dignes d’estre tousiours exaucez.

Il m’arriua un iour qu’estant allé visiter vn Sau-uage de nos meilleurs amis, grandement bon homme,et d’vn naturel qui sentoit plustost son bon Chrestien,que non pas son Sauvage : Comme ie discourois auecluy, et pensois monstrer nostre cachet, pour luy enfaire admirerl’Image, II qui estoit de la saincte Vierge,vne fille subtilement s’en saisit, et le ietta de costédans les cendres, pensant par après le ramasser pourelle. I’estois marry que ce cachet m’auoit esté ainsipris et desrobé, et dis a cette fille que ie soupçonnois :Tu te ris et te macques à present de mon cachet quetu as desrobé 3 mais sçache, que s’il ne m’est rendu,

que tu pleureras demain, et mourras bien-tost : carDieu n’ayme point les larrons, et les chastie; ce queie disois simplement, et pour l’intimider et fairerendre son larrecin , comme elle fist à la fin, l’ayantmoy-mesme ramassé du lieu où elle l’auoit ietté. Le

lendemain à heure de dix heures, estant retournévoir mon Sauuage, ie trouuay cette fille toute esplo-

249

Page 207: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-. 174 -rée et malade, auec de grands vomissemens qui latourmentoient : estonné et marry de la voir en cetestat, ie m’informay de la cause de son mal, et de sespleurs, l’on me dist que c’estoit le mal que ie luyauois prédit, et qu’elle estoit sur le poinct de se fairereconduire à ’la Nation du Petun, d’on elle estoit,pour ne point mourir hors de son pays : ie la consolayalors, et luy dis qu’elle n’eust plus de peur, et qu’elle

250 ne mourroit point pour ce coup, Il ny n’en seroit pasd’anantage malade, puis que ce cachet auoit esté re-trouué; mais qu’elle aduisast vne autre fois de n’estre

plus meschante, et de ne plus desrober, puis que celadesplaisoit au bon Issvs; et alors elle me demandaderechef si elle n’en mourroit point, et aptes que lel’en eus asseurée, elle resta entierement gnerie etconsolée, et ne parla plus de s’en retourner en sonpays, comme elle faisoit auparauant, et vescut plussagement à l’aduenir.

Comme ils estimoient que les plus grands Capi-taines de France estoient doliez d’vn plus grand es-prit , et qu’ayans vn si grand esprit, eux seuls pou.uoient faire les choses les plus difficiles : commehaches, cousteaux, chaudieres , etc., ils inferoient delà, que le Roy (comme le plus grand Capitaine etle chef de tous) faisoit les plus grandes chaudieres ,et nous tenans en cette qualité de Capitaines, ilsnous en présentoient quelques-fois à r’accommoder,

et nous supplioient aussi de faire pencher en basles oreilles droictes de leurs chiens, et de les ren-dre comme celles de ceux de France qu’ils auoient

251 veus à Kebec : mais ils se mesprenoient, et II noussupplioient en vain, comme de nous estre impor-

Page 208: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-175-tuns d’aller tuer le Tonnerre, qu’ils pensoient estrevn oyseau, nous demandans si les François en man-geoient, et s’il auoit bien de la graisse, et pourquoyil faisoit tant de bruit: mais ie leur donnay a en-tendre (selon ma petite capacité) comme et en quoyils se trompoient, et qu’ils ne deuoient penser si bas-sement des choses; dequoy ils resterent fort contentset aduoüoient auec vn peu de honte leur trop grandesimplicité et ignorance.

Les Sauuages, non plus que beaucoup de simplesgens, ne s’estoient iamais imaginé que la terre fustronde et suspenduë, et que l’on voyageast a l’entourdu monde, et qu’il y eust des Nations au dessous denous, ny mesme que le Soleil fist son cours àl’en.tour : mais pensoient que la terre fust percée, et quele Soleil entroit par ce trou quand il se couchoit, et ydemeuroit caché iusqu’au lendemain matin qu’ilsortoit par l’autre extremité, et neantmoins ils com-prenoient bien qu’il estoit plustost nuict en quelquespays, et plustost iour en d’autres : car vn Huron ve-nant d’vn long voyage, nous dist en nostre Cabane,qu’il estoit desia nuict en la con- II trée d’où il venoit,

et neantmoins il estoit plein Esté aux Hurons, etpour lors enuiron les quatre ou cinq heures aptesmidy seulement.

25a

Page 209: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

- [76-De: «remanies qu’il: obseruent à la pesche.

CHAPITRE XI X.

1251121:er de voir les ceremonies et façonsa î ridicules qu’ils obseruent à la pesche du

’ g grand poisson, qu’ils appellent Assihendo,Ù .43 qui est vn poisson gros comme les plus

grandes mollies, mais beaucoup meilleur, je partis deQyieunonascaran, auec le Capitaine Auoindaon, au moisd’Octobre, et nous embarquasmes sur la mer doucedans vn petit Canot, moy cinquiesme, et prismes laroute du costé du Nord, on, aptes auoir long tempsnanigé et aduancé dans la mer, nous nous arres-tasmes et prismes terre dans vne Isle commode pourla pesche, et y cabanasmes proche de plusieurs mes-nages qui s’y estoient desia accommodez pour le

253 mes- II me suiet de la pesche. Dés le soir de nostrearriuée, on fist festin de deux grands poissons, quinous auoient esté donnez par vn des amis de nostreSauuage, en passant deuant l’Isle ou il peschoit : carla coustume est entr’eux, que les amis se visitans lesvns les antres au temps de la pesche, de se faire despresens mutuels de quelques poissons. Nostre Ca-bane estant dressée a l’Algoumequine, chacun ychoisit sa place, aux quatre coins estoient les quatreprincipaux, et les autres en suite, arrangez, les vnsioignans les autres, assez pressez. On m’auoit donnévn coin dés le commencement; mais au mois de No-uembre, qu’il commence à faire vn peu de froid, ie

Page 210: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

me mis plus au milieu, pour pouuoir participer à lachaleur des deux feux que nous auions, et ceday moncoin à vn autre. Tous les soirs on portoit les rets en-uiron demye-lieue, ou vne lieuë auant dans le Lac,et le matin à la poincte du iour on les alloit leuer, etrapportoit-on tousiours quantité de bons gros pois-sons; comme Assihendos, Truites, Esturgeons, etautres qu’ils esuentroient , et leur ouuroient leventre comme l’on faict aux Moluës, puis les esten-doient sur des rat- Il, teliers de perches dressez exprez,pour les faire seicher au Soleil: que si le temps in-commode, et les pluyes empeschent et nuysent à laseicheresse de la viande ou du poisson, on les faictboucaner à la fumée sur des clayes ou sur des per-ches, puis on serre le tout dans des tonneaux, depeur des chiens et des souris, et cela leur sert pourfestiner, et pour donner goust a leur potage, princi-palement en temps d’hyuer.

Quelques foison reseruoit des plus gros et gras As-sihendos, qu’ils faisoient fort bouillir et consommeren de grandes chaudieres pour en tirer l’huile, qu’ilsamassoient auec vne cneillier par-dessus le bouillon,et la serroient en des bouteilles qui ressembloient ànos calbasses : cette huile est aussi douce et agréableque beurre fraiz, aussi est-elle tirée d’vn tres-bonpoisson, qui est incogneu aux Canadiens, et encoreplus icy. Quand la pesche est bonne, et qu’il y anombre de Cabanes, on ne voit que festins et ban-quets mutuels et reciproques, qu’ils se font les vnsaux autres, et se resioüissent de fort-bonne gracepar ensemble, sans dissolution. Les festins qui sefont dans les villages et les bourgs sont par-fois bons;

254

Page 211: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-.178-255 mais ceux qui I! se font à la pesche et à. la chasse sont

les meilleurs de tous.Ils prennent sur tout garde de ne ietter aucune

arreste de poissson dans le feu, et y en ayant ietté ilsm’en tancerent fort,et les en retirerent promptement,disans que ie ne faisois pas bien, et que ie seroiscause qu’ils ne prendroient plus rien; pour ce qu’il yauoit de certains esprits, ou les esprits des poissonsmesmes, desquels on brusloit les os, qui aduertiroientles autres poissons de ne se pas laisser prendre, puisqu’on brusloit leurs os. Ils ont la mesme superstitionà la chasse du Cerf, de l’Eslan, et des autres animaux,croyans que s’il en tomboit de la graisse dans le feu,ou que quelques os y fussent iettez, qu’ils n’en pour-roient plus prendre. Les Canadiens ont aussi cettecoustume de tuer tous les Eslans qu’ils peuuent at-traper à la chasse, craignans qu’en en espargnantou en laissant aller quelqu’vn, il n’allast aduertirles autres de fuyr et se cacher au loin, et ainsi enlaissent par-fois pourrir et gaster sur la terre, quandils en ont desia assez pour leur prouision, qui leurferoient bon besoin en antre temps, pour les grandes

256 disettes qu’ils souffrent sonnent , particu- II liere-ment quand les neiges sont basses auquel temps ilsne peuuent, que tres-difficilement, attraper la beste,et encore en danger d’en estre enfoncé.

Vn iour, comme ie pensois brusler au feu le poild’vn Escureux, qn’vn Sauuage m’auoit donné, ils ne

le voulurent point souffrir , et me l’enuoyerentbrusler dehors, à cause des rets qui estoient pourlors dans la Cabane : disans qu’autrement elles lediroient aux poissons. le leur dis que les rets ne

Page 212: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

voyoient goutte; ils me respondirentque si, et mesmequ’elles entendoient et mangeoient. Donne-leur doncde ta Sagamité, leur dis-je. Vn autre me repliqua :Ce sont les poissons qui leur donnent à manger, etnon point nous. le tançay vne fois les enfans de laCabane, pour quelques vilains et impertinents dis-cours qu’ils tenoient : il arriua que le lendemainmatin ils prindrent fort peu de poisson, ils l’attri-buerent à cette reprimande qui auoit esté rapportéepar les rets aux poissons.

Vu soir, que nous discourions des animaux dupays, voulans leur faire entendre que nous auionsen France des lapins et levranx, qu’ils appellentQuieutonmalisia, II ie leur en fis voir la figure par le 257moyen de mes doigts, en la clairté du feu qui en fai-soit donner l’ombrage contre la Cabane : d’auentureet par hazard on prit le lendemain matin, du poissonbeaucoup plus qu’à l’ordinaire, ils creurent que cesfigures en auoient esté la cause, tant ils sont simples,me priant au reste de prendre courage, et d’en fairetous les soirs de mesme, et de leur apprendre, ce queie ne voulus point faire, pour n’estre cause de cettesuperstition, et pour n’adherer à leur folie.

En chacune des Cabanes de la Pesche, il y a ordi-nairement vn Predicateur de poisson, qui a accous-tumé de faire vn sermon aux poissons, s’ils sont ha-biles gens ils sont fort recherchez, pource qu’ilscroyent que les exhortations d’vn habile homme ontvn grand pouuoir d’attirer les poissons dans leursrets. Celuy que nous auions s’estimoit vn des pre-miers , aussi le faisoit-il beau voir se demener, et dela langue et des mains quand il preschoit, comme il

Page 213: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-r8o-faisoit tous les iours aptes souper, apres auoir imposésilence, et faict ranger vn chacun en sa place, couché

2 58 de leur long sur le dos, et le ventre II en haut commeluy. Son Theme estoit: Que les Hurons ne bruslentpoint les os des poissons, puis il poursuyuoit en suiteauec des affections non-pareilles, exhortoit les pois-sons, les coniuroit, les inuitoit et les supplioit devenir, de se laisser prendre, et d’anoir bon courage ,et de ne rien craindre, puis que c’estoit pour seruir ade leurs amis, qui les honorent, et ne bruslent pointleurs os. Il en fit aussi vn particulier a mon inten-tion, par le commandement du Capitaine, lequel medisoit apres. Hé bien! mon Nepueu, voylà-il pas quiest bien? Ouy, mon Oncle, à ce que tu dis, luy res-pondis-ie ; mais toy, et tous vous autres Hurons, auezbien peu de iugement, de penser que les poissonsentendent et ont l’intelligence de vos sermons et devos discours.

Pour auoir bonne pesche ils bruslent aussi par-fois du petun, en prononçans de certains mots que ien’entends pas. Ils en iettent aussi à mesme intentiondans l’eau à de certains esprits qu’ils croyent y presi-der, ou plustost à l’ame de l’eau (car ils croyent que

toute chose materielle et insensible a vne ame quientend) et la prient à leur maniere acconstumée ,

259 d’auoir bon courage, et Il faire en sorte qu’ils prennentbien du poisson.

Nous trouuasmes dans le ventre de plusieurs pois-sons, des ains faits d’vn morceau de bois, accommo-dez auec vn os’qui seruoit de crochet, lié fort propre-ment auec de leur chanvre; mais la corde trop faiblepour tirer à bord de si gros poissons, auoit faict perdre

Page 214: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-18r-et la peine et les ains de ceux qui les auoient iettezen mer : car veritablement il y a dans cette mer doucedes Esturgeons, Assihendos, Truites et Brochets simonstrueusement grands, qu’il ne s’en voit pointailleurs de plus gros, non plus que de plusieurs autresespeces de poissons qui nous sont icy incogneus. Etcela ne nous doit estre tiré en doute, puis que cegrand Lac, ou mer douce des Hurons, est estiméauoir trois ou quatre cens lieues de longueur, del’Orient à l’Occident, et enuiron cinquante de large,contenant vne infinité d’lsles, ausquelles les Sau-nages cabanent quand ils vont a la pesche, ou envoyage aux autres Nations qui bordent cette merdouce. Nous iettasmes la sonde vers nostre bourg, as-sez proche de terre en vn cul-de-sac, et trouuasmesquarante-huict Il brasses d’eau; mais il n’est pas d’vne

egale profondeur par tout: car il l’est plus en quelquelieu, et moins de beaucoup en d’autre.

Lors qu’il faisoit grand vent, nos Sauuages ne por-toient point leurs rets en l’eau, par ce qu’elle s’esle-uoit et s’enfloit alors trop puissamment, et en tempsd’vn vent médiocre, ils estoient encore tellement agi-tez , que c’estoit assez pour me faire admirer, etgrandement lotier Dieu que ces panures gens ne pe-rissoient point, et sortoient auec de si petits Canotsdu milieu de tant d’ondes et de vagues furieuses, queie contemplois à dessein du haut d’vn rocher, ou ieme retirois seul tous les iours, ou dans l’espaisseurde la forest pour dire mon Office, et faire mes prieresen paix.

Cette Isle estoit assez abondante en gibier, Ou-tardes, Canards, et autres oyseaux de riuiere : pour

260

Page 215: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

26 tu

-182-des Escureux il y en anoit telle quantité, de Suisses,et autres communs, qu’ils endommageoient grande-ment la seicherie du poisson, bien qu’on taschast deles en chasser par la voix , le bruit des mains, et acoups de flesches, et estans saouls ils ne faisoient queioüer et Il courir les vns apres les autres, soir et matin.Il y auoit aussi des Perdrix, vne desquelles s’en vintvn iour tout contre moy en vn coin ou ie disois monOffice, et m’ayant regardé en face s’en retourna a petit

pas comme elle estoit venue, faisant la roué commevn petit coq d’Inde, et tournant continuellement lateste en arriere , me regardoit et contemploit douce-ment sans crainte , aussi ne voulus-ie point l’espou-uenter ny mettre la main dessus, comme le pouuoisfaire, et la laissay aller.

Vn mois et plus s’estant escoulé , et le grand pois-son changeant de contrée, il fut question de transserbagage, et retourner chacun en son village: vn matinque l’on pensoit partir, la mer se trouua fort haute,et les Sauuages timides n’osans se bazarder dessus,me vindrent trouuer, et me supplierent de sortir dela Cabane pour voir la mer, et leur dire ce qu’il m’ensembloit, et ce qu’il estoit question de faire 3 pour ceque tous les Sauuages ensemble s’estoient résolus defaire en cela tout ce que ie leur dirois et conseillerois.I’auois desia veu la mer 3 mais pour les contenter ilme fallut derechef sortir dehors , pour considerer s’il

162 y auoit peril de s’embarquer Il ou non. O bonté infiniede nostre Seigneur, il me semble que i’auois la foyau double que ie n’en ay pas icy! le leur dis : Il estvray qu’il y a à présent grand danger sur mer; maisque personne pourtant ne laisse de fretter ses Canots

Page 216: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

--I83-et s’embarquer : car en peu de temps les vents cesse-ront, et la mer calmera : aussi-tost dit, aussi-tostfaict, ma voix se porte par toutes les Cabanes del’Isle, qu’il falloit s’embarquer, et que le les auoisasseurez de la bonace prochaine. Ce qui les fist telle-ment diligenter, qu’ils nous deuancerent tous , etfusmes les derniers à desmarer. A peine les Canotsfurent-ils en mer, que les vents cesserent, et la mercalma comme vn plancher, iusques à nostre desem-barquement et arriuée à nostre ville de Quieunonas-caran.

Le soir que nous arriuasmes au port de cette ville,il estoit pres de trois quarts d’heure de nuict, et fai-soit fort obscur, c’est pourquoy mes Sauuages y ca-banerent : mais pour moy i’aimay mieux m’en allerseul au trauers des champs et des bois en nostre Ca-bane , qui en estoit à demye lieuë loin, pour y voirpromptement mes Confreres, de la santé desquelsIl les Sauuages m’auoient faict fort clouter z maisie les

trouuay en tres-bonne disposition, Dieu mercy, dequoy ie fus fort consolé, et eux au reciproque furentfort ayses de mon retour et de ma santé, et me firentfestin de trois petites Citroüilles cnittes sous la cendrechaude , et d’vne bonne Sagamité, que ie mangeayd’vn grand appétit, pour n’auoir pris de tonte laiournée qu’vn bien peu de bouillon fort clair, le ma-tin auant partir.

263

Page 217: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-184...-

De la santé et maladie des Sauuages,

et de leur: Medecins.

CHAPITRE XX.

1:5 anciens Égyptiens auoient accoustumé,. H. ll’vser de vomitifs pour guérir les maladiesi fil ça); du corps, et de sobriété pour se conseruer

un santé : car ils tenoient pour maximei ntlulwitublc. que les maladies corporelles ne proce-doient que d’vne trop grande abondance et superfluitéd’humeurs, et par consequent qu’il n’y anait aucun

264 re- Il mede meilleur que le vomissement et la sobrieté.Nos Sauuages ont bien la dance et la sobriété, auec

les vomitifs, qui leur sont vtiles à la conseruation dela santé; mais ils ont encore d’autres preseruatifsdesquels ils vsent sonnent : c’est a sçauoir, les estuueset sueries, par lesquelles ils s’allegent, et preuiennentles maladies : mais ce qui ayde encore grandement aleur santé, est la concorde qu’ils ont entr’enx, qu’ils

n’ont point de procez, et le peu de soin qu’ils prennent

pour acquerir les commoditez de cette vie, pour les-quelles nous nous tourmentons tant nous autresChrestiens, qui sommes iustement et à bon droictrepris de nostre trop grande cupidité et insatiabilitéd’en auoir, par leur vie douce, et la tranquilité deleur esprit.

Il n’y a neantmoins corps si bien composé, ny na-turel si bien morigéné , qu’il ne vienne à la fin à se

debiliter ou succomber par des diuers accidens aus-

Page 218: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-185-quels l’homme est suiet: C’est pourquoy nos panuresSauuages, pour remédier aux maladies ou blesseuresqui leur peuuent arriuer, ont des Médecins et maistresdes Cérémonies, qu’ils appellent Oki , ausquels ilscroyent Il fort, pour autant qu’ils sont grands Magi- 265ciens, grands Deuins et Inuocateurs de Diables : Ilsleur seruent de Medecins et Chirurgiens, et portenttousiours auec eux vn plein sac d’herbes et de droguespour medeciner les malades: ils ont aussi vn Apothi-caire à la douzaine, qui les suit en queuë auec sesdrogues, et la Tortuë qui sert à la chanterie, et nesont point si simples qu’ils n’en sçachent bien faireaccroire au menu peuple par leurs impostures, pourse mettre en credit, et auoir meilleure part aux festinset aux présents.

S’il y a quelque malade dans vn village, on l’en-noye aussi tost quérir. Il faict des inuocations à sonDemon, il souffle la partie dolente, il y faict des inci-sions, en succe le mauuais sang, et faict tout le restede ses inuentions, n’oubliant iamais, s’il le peut hon-nestement, d’ordonner tousiours des festins et recrea-tions pour premier appareil, afin de participer luy-mesme à la feste, puis s’en retourne auec ses presens.S’il est question d’anoir nouuelle des choses absentes,apres auoir interrogé son Demon, il rend des oracles;mais ordinairement douteux, et bien sonnent faux ,II mais aussi quelques-fois Véritables : car le Diable 266

parmy ses mensonges, leur dict quelque verité.Vn honneste Gentil-homme de nos amis, nommé

le sieur du Vernet, qui a demeuré auec nous au paysdes Hurons, nous dist vn iour, que comme il estoitdans la Cabane d’vne Sauuagesse vers le Bresil, qu’vn

Page 219: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-186-Demon vint frapper trois grands coups sur la couuer-lute de la Cabane, et que la Sauuagesse qui cognentque c’estoit son Démon, entra aussi-tost dans sa petitetour d’escorce, ou elle auoit accoustumé de receuoirses oracles, et entendre les discours de ce malin esprit.Ce bon Gentil-homme preste l’oreille, et escoute leColloque, et entendit le Diable qui se plaignoit gran-dement à elle , qu’il estoit fort las et fatigué , et qu’ilvenoit de fort loin guerir des malades, et que l’amitiéparticuliere qu’il auoit pour elle, l’auoit obligé de lavenir voir ainsi lassé, puis pour l’aduertir qu’il yauoit trois Nauires François en mer qui arriueroientbien-tost, ce qui fut trouué veritable z car à trois ouquatre iours de la, les Nauires arriuerent, et apresque la Sauuagesse l’eut remercié, et faict ses de-mandes, le Demon s’en retourna.

267 Il Vn de nOs François estant tombé malade en laNation du Petun, ses compagnons qui s’en alloientà la Nation Neutre, le laisserent la , en la garde d’vnSauuage, auquel ils dirent : Si cettuy nostre compa-gnon meurt, tu n’as qu’à le despoüiller de sa robbe,faire vne fosse, et l’enterrer dedans. Ce bon Sauuagedemeura tellement scandalisé du peu d’estat que cesFrançois faisoient de leur compatriote, qu’il s’en plai-

gnit par tout, disant qu’ils estoient des chiens, delaisser et abandoner ainsi leur compagnon malade, etde conseiller encore qu’on l’enterrast nud, s’il venoit

a mourir. le ne feray iamais cette iniure à vn corpsmort, bien qu’estranger, disoit-i1; et me despoüille-rois plustost de ma robbe pour le c0uurir, que de luyoster la sienne.

L’hoste de ce pauure garçon sçachant sa maladie,

Page 220: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

part aussitost de Quienindohain, d’où il estoit, pourl’aller querir, et assisté de ce Sauuage qui l’auoit engarde, l’apporterent sur leur dos iusques dans sa Ca-bane, on enfin il mourut, apres auoir esté confessépar le Pere Ioseph, et fut enterré en vn lieu particu-lier le plus honorablement, et auec le plus de cete-monies II Ecclesiastiques qu’il nous fut possible, de- 268quoy les Sauuages resterent fort edifiez, et assisterenteux mesmes au ccnuoy avec nos François, qui s’yestoient trouués auec leurs armes. Les femmes etfilles ne manquerent pas non plus en leurs pleursacconstumez, suyuant l’ordonnance du Capitaine, etdu Médecin on Magicien des malades, lequel neant-moins on ne souffrit point approcher de ce panuregarçon pour faire ses inuentions et follies ordinaires:bien n’eust-on pas refusé quelque bon remede natu-rel, s’il en eust eu de propre à la maladie.

Je me suis informé d’eux, des principales planteset racines desquelles ils se seruent pour guerir leursmaladies; mais entre toutes les autres ils font estat decelle appelée Oscar, qui faict merueille contre toutessortes de playes, vlceres, et autres incommoditez.Ils en ont aussi d’autres tres-venimeuses, qu’ils ap-pellent Ondachiera, c’est pourquoy qu’il s’en faut don-

ner garde, et ne se point bazarder d’y manger d’an-cune sorte de raine, que l’on ne les cognoisse, etqu’on ne sçache leurs effects et leurs vertus, de peurdes accidents inopinez.

Il Nous eusmes vn iour vne grande appréhension 269d’vn François, qui pour en auoir mangé d’vne, de-

uint tout en vn instant grandement malade, et pasle tcomme la mort, il fut neantmoins guery par des vo-

i M

Page 221: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-r88-mitifs que les Sauuages luy firent aualler. Il nousarriua encore une autre seconde apprehension, qui setourna par apres en risée : ce fut que certains petitsSauuages ayans des racines nommées Ooxrat, qui res-semblent a vn petit naueau, ou à vne chastaigne pe-lée, qu’ils venoient d’arracher pour porter en leursCabanes : vn ieune garçon François qui demeuroitauec nous, leur en ayant demandé, et mangé vne oudeux, et trouué au commencement d’vn goust assezagréable, il sentit peu aptes tant de douleur dans labouche, comme d’vn feu tres-cuisant et picquant,auec grande quantité d’humeurs et de phlegmes quiluy distilloient continuellement de la bouche, qu’ilen pensoit estre à mourir : et en elïect, nous n’ensçauions que penser, ignorans la cause de cet acci-dent, et craignions qu’il eust mangé de quelque ra-cine venimeuse : mais en ayant communiqué, et de-mandé l’aduis des Sauuages, ils se firent apporter le

270 reste des racines pour Il voir que c’estoit, et les ayansveües et recogneües, ils se prirent à rire, disans qu’il

n’y auoit aucun danger ny crainte de mal; maisplustost du bien, n’estoient ces poignantes et par tropcuisantes douleurs de la bouche. Ils se seruent de cesracines pour purger les phlegmes et humiditez ducerneau des vieilles gens, et pour esclaircir la face :mais pour euiter ce cuisant mal, ils les font premie-rement cuire sous les cendres chaudes, puis les man-gent. sans en ressentir apres aucune douleur, et celaleur faict tous les biens du monde, et suis marry den’en auoir apporté par-deçà, pour l’estat que le croy

qu’on en eust faict. On dict aussi que nos Montagnaiset Canadiens ont un arbre appelé Annedda, d’vne ad-

Page 222: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-189-mîrable vertu; ils pillent l’escorce et les feuilles decet arbre, puis font boüillir le tout en eauë, et la boi-uent de deus iours l’vn, et mettent le marc sur lesjambes enflées et malades, et sen trouuent bien tostgueris, comme de toutes autres sortes de maladiesinterieures et exterieures.

Pour se rendre plus souples et dispos à la course,et pour purger les mauuaises humeurs des partiesenflées, nos Hurons Il s’iucisent et decouppent legras des iambes, auec de petites pierres trenchantes,desquelles ils tirent enco e du sang de leurs bras,pour reioindre et coler leurs pippes ou petunoirs deterre rompus, qui est vne tres-bonne inuention, etvn secret d’autant plus admirable, que les pieces re-celées de ce sang sont aprcs plus fortes qu’elles n’es-

toient auparavant. I’admirois aussi de les voir eux-mesmes brusler par plaisir de la moelle de sureausur leurs bras nuds, et l’y laissoient consommer etesteindre : de sorte que les playes, marques et cica- ’trices y demeuroient imprimées pour tousiours.

Quand quelqu’vn veut faire suerie, qui est le re-mede le plus propre et le plus commun qu’ils ayent,pour se conseruer en santé, preuenir les maladies, etleur coupper chemin, il appelle plusieurs de ses amispour suer avec luy : car luy seul ne le pourroit pasaysement faire. Il font donc rougir quantité de cail-loux dans vn grand feu, puis les en retirent et met-tent en vn monceau au milieu de la Cabane, ou lapart qu’ils desirent dresser leur suerie, (car estans parles champs en voyage, ils en vsentquelques-fois) puis

7!

dressent tout à il l’entour des bastons fichez en terre, 272à la hauteur de la ceinture, et plus, repliez, par des-

Page 223: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

273

.-19°-.sus, en façon d’vne table ronde, laissans entre lespierres et les bastons une espace sulfisante pour con-tenir les hommes nuds qui doivent suer, les vnsioignans les autres, bien serrez et pressez tout al’entour du monceau de pierres assis contre terre, etles genoüils esleuez au deuant de leur estomach : yestans on couure toute la suerie par dessus et à l’en-tour, auec de leurs grandes escorces, et des peaux enquantité : de sorte qu’il ne peut sortir aucune cha-leur ny air de l’estuue; et pour s’eschaufler encored’auantage, et s’exciter à suer, l’vn d’eux chante, et

les autres disent et repetent continuellement avecforce et vehemence (comme en leurs dances,) Het,het, het, et n’en pouuans plus de chaleur, ils se fontdonner vn peu d’air, en estant quelque peau de des-sus, et par-fois ils boiuent encore de grandes potéesd’eau froide, et puis se font recouurir, et ayans suésuffisamment, ils sortent, et se vont ieter a l’eau, s’ilssont proches de quelque riuiere; sinon, ils se lauentd’eau froide, et puis festinent : car pendant qu’ilssuent, la chaudiere est sur le feu, et pour" auoirbonne suerie, ils y bruslent par-fois du petun,c Jmme en sacrifice et offrande 3 i’ay veu quelques-vnsde nos François en de ces sueries auec les Sauuages,et m’estonnois comme ils la vouloient et pouuoientsupporter, et que l’honnesteté ne gaignoit sur euxde s’en abstenir.

Il arriue aucunes-fois que le Medecin ordonne àquelqu’vn de leurs malades de sortir du bourg, et des’aller cabaner dans les bois, ou en quelqu’autre lieuescarté , pour luy obseruer là, pendant la nuict, sesdiaboliques inuentions, et ne sçay pour quel autre

Page 224: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-191-suiet il le feroit, puis que pour l’ordinaire cela ne sepractique point que pour ceux qui sont entachez demaladie sale ou dangereuse, lesquels on contrainctseuls , et non les autres, de se separer du communiusques à entiere guerison, qui est vne coustume etordonnance louable et tres-bonne, et qui mesme de-uroit estre obscruée en tout pays.

A ce propos et pour confirmation, ie diray, quecomme ie me promenois vn iour seul, dans les boisde la petite Nation des Quieunontateronons, i’apper-eau vn peu de fumée, et desireux de voir que c’estoit,i’aduançay, et tiray celle part, ou I] ie trouuay vneCabane ronde, faicte en façon d’vne Tourelle ou Py-ramide haute esleuée, ayant au faiste vn trou ousouspiral par où sortoit la fumée : non content, i’ou-uris doucement la petite porte de la Cabane poursçauoir ce qui estoit dedans, et trouuay vn hommeseul estendu de son long aupres d’vn petit feu : iem’informay de luy pourquoy il estoit ainsi sequestrédu village, et de la cause qu’il se deüilloit; il me res-pondit, moitié en Huron et moitié en Algoumequin,que c’estoit pour vn mal qu’il avoit aux parties natu-relles, qui le tourmentoit fort, et duquel il n’esperoitque la mort, et que pour de semblables maladies ilsauoient accoustumé entr’eux, de separer et esloignerdu commun ceux qui en estoient attaincts, de peurde gaster les autres par la frequentation , et neant-moins qu’on luy apportoit ses petites necessitez etpartie de ce qui luy laisoÎt besoin, ses parens et amisne pouuans pas d’auantage pour lors, à cause de leurpauureté. I’avois beaucoup de compassion pour luy;mais cela ne luy seruoit que d’vn peu de diuertiSSeo

274

Page 225: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-[92-.ment et de consolation en ce ’petit espace de tempsque ie fus aupres de luy : car de luy donner quel-

275 Il que nourriture ou rafraischissement, il estoit horsde mon pouuoir, puis que i’estois moy-mesme dansvne grande necessitc.

Le Truchement des Honqueronons me dist vniour, que comme ils furent vn long temps pendantl’hyuer, sans auoir de quoy manger autre chose quedu petun, et quelque escorce d’arbre, qu’il en deuinttellement foible et debile, qu’il en pensa estre aumourir, et que ses Sauuages le voyans en cet estat,touchez et esmeus de compassion , luy demanderents’il vouloit qu’on l’acheuast, pour le deliurer despeines et langueurs qu’il souffroit, puis qu’aussi bienfaudroit-il qu’il mourust miserablement par leschamps, ne pouuant plus suyure les troupes : maisil fut d’aduis qu’il valoit mieux languir et esperer ennostre Seigneur, que de se precipiter à la mort, aussinuoit il raison : car à quelques iours de la Dieu per-mist qu’ils prindrent trois Ours qui les remirent toussus pieds, et en leurs premieres forces, apres auoireste quatorze ou quinze iours en ieusnes continuels.

Il ne faut pas s’estonner ou trouuer estrange qu’ils276 ayent (touchez et esmeus Il de compassion) presenté et

offert de si bonne grace la mort à ce Truchement,puis qu’ils ont cette coustume entr’eux (i’entends les

Nations errantes, et non Sedentaires) de tuer et fairemourir leurs peres et meres , et plus proches parensdesia trop vieux , et qui ne peuuent plus suyure lesautres, pensans en cela leur rendre de bons seruices.

l’ay quelques-fois esté curieux d’entrer au lieu où

l’on chantoit et souffloit les malades, pour en voir

Page 226: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

.-193.-toutes les ceremonies; mais les Sauuages n’en estoient-pas contens, et m’y souffroient auec peine, pour cequ’ils ne veulent point estre veus en semblables ac-t10ns: et pour cet etfect, a mon aduis, ou pour autreSuiet a moy incogneu, ils rendent aussi le lieu où.cela se faict, le plus obscur et tenebreux qu’ils peuuent,et bouchent toutes les ouuertures qui peuuent donnerquelque lumière d’en haut, et ne laissent entrer ladedans que ceux qui y sont necessaires et appeliez.Pendant qu’on chante il y a des pierres qui rougis-sent au feu, lesquelles le Medecin empoigne et manieauec ses mains, puis masche des charbons ardans,faict du Diable deschaisné , et de ses ma?ns ainsiIl eschaufi’ées, frotte et souille les parties malades dupatient, ou crache sur le mal de son charbon masché.

Ils ont aussi entr’eux des obsedez ou malades de ma-ladies de furies, ausquels il prendra bien enuie de fairedancer les femmes et filles toutes ensemble, auec l’or-dormance de Loki ; mais ce n’est pas tout : car luy etle Medecin. accompagnez de quelqu’autre, feront dessingeries et des coniurations, et se tourneront tantqu’ils demeureront le plus souuent hors d’eux-mesmes:

puis il paroist tout furieux, les yeux estincelans et

277

effroyables, quelques-fois debout, et quelques-fois .g a:assis, ainsi que la fantasie luy en prend : aussi-tostvne quinte luy reprendra, et fera tout du pis qu’ilpourra, puis il se couche, ou il s’endort quelque es-pace de temps, et se resueillant en sur-saut r’entredans ses premieres furies, renuerse, brise et iette toutce qu’il rencontre en son chemin, auec du bruit. dudommage et des insolences non-pareilles : cette furiese passe par le sommeil qui luy reprend. Apres il

Page 227: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

faict suerie auec quelqu’vn de ses amis qu’il y appelle,d’où il arriue que quelques-vns de ces malades se

:78 trouuent gueris. et c’çst c: qui les en- Il tretient dansl’estime de ces diaboliques ceremonies. Car il est biencroyable que ces malades ne sont pas tellement en-diablez qu’ils ne voyent bien le mal qu’ils font; maisc’est vne opÎnion qu’ils ont qu’il faut faire du demo

niacle pour guerir les fantasies ou troubÎes de l’es-prit, et par vne iuste permission diuine, il arriue leplus souuent qu’au lieu de guerir, ils tombent defievre en chaud mal, comme on dict, et que ce quin’estoit auparauant qu’rne fantasie d’esprit, causée

d’vne humeur hypocondre, ou d’vne operation del’esprit malin, se conuertit en vne maladie corporelleauec celle de l’esprit, et c’est ce qui estoit en partiecause que nous estions souuent suppliez de la partdes Maistres de la ceremonie, et de Messieurs duConseil, de prier Dieu pour eux, et de leur enseignerquelque bon remede pour ses maladies, confessansingenuëment que toutes leurs ceremonies, dances,chansons, festins et autres singeries, n’y semoientdu tout rien.

l1 y a aussi des femmes qui entrent en ces furies,mais elles ne sont si insolentes que les hommes, quisont d’ordinaire plus tempestatifs : elles marchent à

279 quatre Il pieds comme bestes, et font mille grimasseset gestes de personnes insensées: ce que voyant le Ma-gicien, il commence à chanter, puis auec quelquemine la souillera, luy ordonnant de certaines eauës àboire, et qu’aussi tost elle fJSSC V11 festin, soit de chairou de poisson qu’il faut trouuer, encore qu’il soit rarepour lors, neantmoins il est aussi-tost faict.

Page 228: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-195-Le cry faict, et le banquet finy, chacun s’en re-

tourne en sa maison, iusques à vne autre fois qu’il lareuiendra voir, la soufflera, et chantera derechef,auec plusieurs autres à ce appellez, et luy ordonneraencore de plus trois ou quatre festins tout de suite,et s’il luy vient en fantasie commandera des Masca-rades, et qu’aînsi accommodez ils aillent chanter prés

du lict de la malade, puis aillent courir par toute laville pendant que le festin se prepare; et apres leurscourses ils reuiennent pour le festin; mais souuentbien las et affamez.

Lors que tous les remedes et inuentions ordinairesn’ont de rien seruy, et qu’il y a quantité de maladesen vn bourg ou village, ou du moins que quelqu’vndes principaux d’entr’eux est detenu d’vne griesue mai

ladie, ils tiennent conseil, Il et ordonnent, Lonouayroya-280qui est l’inuention principale, et le moyen plus propre(à ce qu’ils disent) pour chasser les D.ables et malinsesprits de leur ville ou village, qui leur causent, pro-curent et apportent toutes les maladies et infirmitezqu’ils endurent et souffrent au corps et en l’esprit.Le soir donc, les hommes commencent à casser, ren-uerser et bouluerser tout ce qu’ils rencontrent par lesCabanes, comme gens forceriez, iettent le feu et lestisons allumez par les rués : crient, hurlent, chantentet courent toute la nuict par les ruës, et à l’entour desmurailles ou palissades du bourg, sans se donner au-cun relasche : aptes ils songent en leur esprit quelquechose qui leur vient premier en la fantasie (i’entendstous ceux et celles qui veulent estre de la feste), puisle matin venu ils vont de Cabane en Cabane, de feuen feu, et s’arrestenr à chacun vn petit espace de

Page 229: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

28 0-1

-.196-temps, chamans doucement (ces mots z) Vn tel m’adonné cecy, vn tel m’a donné cela , et telles et sem-blables paroles en la louange de ceux qui leur ontdonné, et en beaucoup de mesnages on leur offre li-brement : qui vn coustean, qui vn petunoir, qui vnchien, qui vne peau, vn canot, ou Il autre chose, qu’ilsprennent sans en faire autre semblant, iusques à cequ’on vient à leur donner la chose qu’ils auoient son-

gée, et celuy qui la reçoit fait alors vn cry en signede ioye, et s’encourt en grand’ haste de la Cabane, ettous ceux du logis en luy congratulant, font vn longfrappement de mains contre terre, auec cette excla-mation ordinaire, hé é é é é, et ce présent est pourluy : mais pour les autres choses qu’il a euës, et quine sont point de songe, il les doit rendre aptes lafeste, a ceux qui les luy ont baillées. Mais s’ils voyentqu’on ne leur donne rien ils se faschent, et prendratel humeur à l’vn d’eux, qu’il sortira hors la porte,

prendra vne pierre, et la mettra aupres de celuy oucelle qui ne luy aura rien donné, et sans dire mot s’enretournera chantant, qui est vne marque d’iniure, re-proche et de mauuaise volonté.

Cette feste dure ordinairement trois iours entiers,et ceux qui pendant ce temps-là n’ont peu trouuer cequ’ils auoient songé, s’en affligent, s’en estiment mi-

serables, et croyent qu’ils mourront bien-tost. Il y amesme des panures malades qui s’y font porter, sous

182 espérance d’y rencontrer il leur songe, et par conse-quent leur santé et guerison.

Page 230: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

Des defl’uncts, et comme il: pleurent et annualisent les morts.

CHAPITRE XXI.

, masure temps que quelqu’vn est decedé,il; l’on enueloppe son corps vn peu retressi,dans sa plus belle robe, puis on le pose

,. a ,.,. sur la natte où il est mort, tousiours ac-compagné de quelqu’vn, iusques à l’heure qu’il est

porté aux chasses. Cependant tous ses parens et amis,tant du lieu que des autres bourgs et villages, sontaduertis de cette mort, et priez de se trouuer au con-uoy. Le Capitaine de la Police de son costé, faict cequi est de sa charge : car incontinent qu’il est ad-uerty de ce trespas, luy, ou son Assesseur pour luy,en faict le cry par tout le bourg, et prie vn chacundisant : Prenez tous courage, E:sagon, Elsagon, et faictestous festin au mieux qu’il vous sera possible, pour vnIl tel ou vne telle qui est decedée. Alors chacun en 283

particulier s’employe à faire vn festin le plus excellentqu’il peut, et de ce qu’ils peuuent, puis ils le de-partent et l’enuoyent à tous leurs parens et amis, sansen rien reseruer pour eux, et ce festin est appelléAgochm ariskein, le festin des ames. Il y a des Nationslesquelles faisans de ces festins, font aussi vne partau defiunct, qu’ils iettent dans le feu; mais ie ne mesuis point informé de nos Hurons s’ils en font aussivne au mort, et ce qu’elle deuient, d’autant que .celaest de peu d’importance : nous pouuons assez biencognoistre et coniecturer, par ce que ie viens de dire,

Page 231: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-198-Ia facilité qu’il y a de leur persuader les prieres,aumosnes et bonnes œuures pour les ames des def-functs.

Les Esàedons , Scythes d’Asîe, celebroient les fu-

nerailles de leur pere et mere auec chants de ioye.Les Thraciens enseuelissoient leurs morts en seresiouyssans, d’autant (comme ils disoient) qu’ils es-

toient partis du mal, et arriuez a la beatitude : maisnos Hurons enseuelissent les leurs en pleurs et tris-tesses, neantmoins tellement moderées et réglées auniueau de la raison, qu’il semble que ce pauure peuple

284 Il aye vn absolu pouuoir sur ses larmes et sur ses sen-timens; de maniere qu’ils ne leur donnent cours quedans l’obeyssance, et ne les arrestent que par lamesme obeyssance.

Auant que le corps du defl’unct sorte de la Cabane,toutes les femmes et filles là presentes, y font lespleurs et lamentations ordinaires, lesquelles ne lescommencent ny ne finissent iamais (comme ie viensde dire) que par le commandement du Capitaine ouMaistre des ceremonies. Le commandement et l’ad-

* uertissementdonné,toutesvnanimementcommencenta pleurer, et se lamentent à bon escient, et femmeset filles, petites et grandes (et non iamais les hommes,qui demonstrent seulement vne’mine et contenancemorne et triste, la teste panchante sur leurs genoüils)et pour plus facilement s’esmouuoir et s’y exciter,elles repetent tous leurs parens et amis deffuncts, di-sans. Et mon pere est mort, et ma mere est morte, etmon cousin est mort, et ainsi des autres , et toutesfendent en larmes; sinon les petites filles qui en fontplus de semblant qu’elles n’en ont d’enuie, pour

Page 232: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

n’estre encore capables de ces senti- Il mens. Ayans 285suffisamment pleuré, le Capitaine leur crie, c’est as-sez, cessez de pleurer, et toutes cessent.

Or pour monstrer combien il leur est facile de pleu-rer, par ces ressouuenirs et repetitions de leurs parenset amis decedez, les Hurons et Huronnes soutirentassez patiemment toutes sortes d’iniures: mais quandon vient à toucher cette corde, et qu’on leur reprocheque quelqu’vn de leurs parens est mort , ils sortentalors aysement hors des gonds et perdent patiencede cholere et fascherie, que leur apporte et causece. ressouuenir, et feroient enfin un mauuais partyà qui leur reprocheroit : et c’est en cela , et non enautre chose, que le leur ay veu quelques-fois perdrepatience.

Au iour et à l’heure assignée pour l’enterrement,

chacun se range dedans et dehors la Cabane pour yassister : on met le corps sur vn brancart ou ciuierecouuert d’vne peau, puis tous les parens et amis,auec vn grand concours de peuple, accompagnent cecorps iusques au Cimetiere, qui est ordinairement avne portée d’arquebuze loin du bourg, ou estans tousarriuez,chacun se tient en silence,les vns de- [I bout, 286les autres assis, selon qu’il leur plaist; pendant qu’onesleue le corps en haut, et qu’on l’accommode danssa chasse, faicte et disposée exprez pour luy :. carchacun corps est mis dans vne chasse à part. Elle estfaicte de grosse escorce, esleuée sur quatre gros pi-liers de bois vn peu peinturez, de la hauteur de neufou dix pieds ou enuiron : ce que, le coniecture, en cequ’esleuant ma main , ie ne pouuois toucher auxchasses qu’à plus d’vn pied ou deux prez. Le corps y

Page 233: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-200-estant posé, auec la galette, l’huile, haches et autrechose qu’on y veut mettre, on la referme, puis dedessus on iette deux bastons ronds, chacun de la lon-gueur d’vn pied , et gros vn peu moins que le bras;l’vn d’vn costé pour les ieunes hommes, et l’autre del’autre, pour les filles : (le n’ay po’nt veu faire cette

ceremonie de ietter les deux bastons en tous les en-terremens; mais a quelques -vns,) et ils se mettentaptes comme lyons, à qui les aura, et les pourra es-leuer en l’air de la main, pour gaigner vn certainprix , et m’estonnois grandement que la violencequ’ils apportoient pour arracher ce baston de la maindes vns et des autres, se veautrans et culbutans

287 contre terre, ne les il estoufl’oit , tant les filles de leurcosté, que les garçons du leur.

Or pendant que toutes ces ceremonies s’obseruent,il y a d’vn autre costé vn Officier monté sur vn troncd’arbre, qui reçoit des presens que plusieurs per-sonnes font, pour essuyer les larmes de la vefue, ouplus proche parente du detfunct : a chaque chosequ’il reçoit, il l’esleve en l’air, pour estre veuë detous, et dict : Voilà vne telle chose qu’vn tel ou vnetelle a donnée pour essuyer les larmes d’vne telle, puisil se baisse, et luy met entre les mains : tout estantacheué chacun s’en retourne d’où il est venu, auecla mesme modestie et le silence. I’ay veu en quelquelieu d’autres corps mis en terre (mais fort peu) surlesquels il y auoir vne Cabane ou Chasse d’escorcedressée, et à l’entour vne haye en rond, faicte auecdes pieus fichez en terre," de peur des chiens ou bestessaunages, ou par honneur, et pour la reuerence desdeffuncts.

Page 234: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-20l-Les Canadiens, Montagnais, Algoumequins et au-tres peuples errans, font quelqu’autre particuliere ce-remonie enuers les corps des defi’uncts : car ils n’ontdesia point de Cimetiere commun et ar- Il resté; ains 288enseuelissent et enterrent ordinairement-les corps deleurs parens deffuncts parmy les bois , proche dequelque gros arbre, ou autre marque, pour en reco-gnoistrele lieu, et auec ces corps enterrent aussi leursmeubles, peaux, chaudieres, escuelles, cueilliers etautres choses du detfunct, auec son arc et ses flesches,si c’est vn homme, puis mettent des escorces et desgrosses busches par-dessus, et de la terre apres, pouren oster la cognoissance aux Estrangers. Et faut noterqu’on ne sçauroit en rien tant les ofi’encer, qu’à

fouiller et desrober dans les sepulchres de leurs pa-rens, et que si on y estoit trouué, on n’en pourroitpas moins attendre qu’vne mort tres-cruelle et rigou-reuse, et pour tesmoigner encore l’affection et reue-rence qu’ils ont aux os de leurs parens z si le feu seprenoit en leur village et en leur cimetiere, ils cour-roient premierement esteindre celuy du cimetiere, etpuis celuy du village.

Entre quelque Nation de nos Sauuages, ils ont ac-coustumé de se peindre le visage de noir a la mortde leurs parens et amis, qui est vn signe de deüil : ilspeindent aussi le visage du deffunct, et l’enjo- Il liuent 289de matachias , plumes et autres bagatelles , et s’il estmort en guerre, le Capitaine faict vne Harangue enmaniere d’Oraison funebre, en la presence du corps,incitant et exhortant l’assemblée, sur la mort du def-funct, de prendre vengeance d’vne telle meschanceté,et de faire la guerre à ses ennemis , le plus prompte-

Page 235: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

290

--202--ment que faire se pourra, afin qu’vn si grand mal nedemeure point impuny, et qu’vne autre fois on n’ayepoint la hardiesse de leur courir sus.

Les Attiuoindarons font des Resurrections desmorts, principalement des personnes qui ont bienmerité de la patrie par leurs signalez seruices, a ceque la memoire des hommes illustres et valeureuxreuiue en quelque façon en autrüy. Ils font donc desassemblées a cet effect, et tiennent des conseils, aus-quels ils en eslisent vn d’entr’eux, qui aye les mesmesvertus et qualitez (s’il se peut) de celuy qu’ils veulentressusciter, ou du moins qu’il soit d’vne vie irrepro-chable parmy vn peuple Sauuage.

Voulans donc proceder a la Resnrrection, ils seleuent tous debout, excepté celuy qui doit ressusciter,auquel ils im- l] posent le nom du delfunct, et baissanstous la main iusques bien bas, feignent le relever deterre : voulans dire par la qu’ils tirent du tombeau cegrand personnage deffunct, et le remettent en vie enla personne de cet autre qui se leue debout, et (apresles grandes acclamations du peuple) il reçoit les pre-sens que les assistans luy offrent, lesquels le congra-tulent encore de plusieurs festins , et le tiennentdesormais pour le deffunct qu’il represente; et parainsi iamais la memoire des gens de bien et des bonset valeureux Capitaines ne meurt point entr’eux.

Page 236: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-203--

De la grand’ ferle des Morts.

CHAPITRE XXII.

ç a dix en dix ans, ou enuiron, nos Sau-I nages, et autres peuples Sedentaires, font ,Î la grande feste ou ceremonie des Morts, en

.43? l’vne de leurs villes ou villages, comme ilaura esté conclu et ordonné par vn conseil general detous ceux du pays (car les os des deffuncts ne sontenseuelis Il en particulier que pour vn temps) et la 291font encore annoncer aux autres Nations circonuoy-sines, afin que ceux ’qui y ont esleu la sepulture desos de leurs parens les y portent, et les autres qui yveulent venir par deuotion, y honorent la feste deleur presence; car tous y sont les bien venus et festi-nez pendant quelques iours que dure la ceremonie,ou l’on ne voit que chaudieres sur le feu, festins etdances continuelles, qui faict qu’il s’y trouué vne in-finité de monde qui y aborde de toutes parts.

Les femmes qui ont à y apporter les os de leursparens, les prennent aux cimetieres z que si les chairsne sont pas du tout consommées, elles les nettoyentet en tirent les os qu’elles lauent, et enueloppent debeaux Castors neufs, et de Rassades et Colliers dePourceleines, que les parens et amis contribuent etdonnent, disans : Tiens , voila ce que ie donne pourles Os de mon pere, de ma mere , de mon oncle, cou-sin ou autre parent; et les ayans mis dans vn sac

N

Page 237: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

neuf, ils les portent sur leur dos, et ornent encore ledessus du sac de quantité de petites parures, de col-

292 liers,brasselets et autres enjoliuemens. Puis les il pel-leteries, haches, chaudieres et autres choses qu’ilsestiment de valeur, auec quantité de viures se portentaussi au lieu destiné , et la estans tous assemblez, ilsmettent les viures en vn lieu, pour estre employezaux festins, qui sont de fort grands fraiz entr’eux,puis pendent proprement par les Cabanes de leurshostes, tous leurs sacs et leurs pelleteries, en atten-dant le iour auquel tout doit estre enseuely dans laterre.

La fosse se fait hors de la ville, fort grande et pro-fonde, capable de contenir tous les os, meubles etpelleteries dedie’es pour les deffuncts. On y dresse vneschatfaut haut esleué sur le bord, auquel on portetous les sacs d’os, puis on tend la fosse par tout, aufond et aux costez, de peaux et robes de Castorsneufves, puis y font vn lict de haches, en apres dechaudieres, rassades, colliers et brasselets de Pource-leine, et autres choses qui ont esté données par lesparens et amis. Cela faict, du haut de l’eschatfaut lesCapitaines vuident et versent tous les os des sacs dansla fosse parmy la marchandise, lesquels ils couurentencore d’autres peaux neuves, puis d’escorces, et aptes

293 reiettent la terre par H dessus, et des grosses pieces debois; et par honneur ils fichent en terre des piliers debois tout a l’entour de la fosse, et font vne conuertnrepar dessus qui dure autant qu’elle peut, puis festinentderechef, et prennent congé l’vn de l’autre, et s’en

retournent d’où ils sont venus, bien ioyeux et con-tens que les ames de leurs parens et amis auront bien

Page 238: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-205-de quoy butiner, et se faire riches ce iour-la enl’autre vie.

Chrestiens, r’entrons vn peu en nous-mesmes , etvoyons si nos ferueurs sont aussi grandes enuers lesames de nos parens detenuës dans les prisons de Dieu,que celles des pauures Sauuages enuers les ames deleurs semblables deffuncts, et nous trouuerons queleurs ferueurs surpassent les nostres, et qu’ils ontplus d’amour l’vn pour l’autre , et en la vie et aptes

la mort, que nous, qui nous disons plus sages, et lesommes moins en effect, parlant de la fidelité et del’amitié simplement : car s’il est question de donnerl’aumosne, ou faire quelqu’autre œuure pieuse pourles viuans ou deffuncts, c’est souuent auec tant depeine et de répugnance, qu’il semble a plusieursqu’on leur arrache les entrailles du ventre, tant ils[I ont de difficulté a bien faire, au contraire de nos H u-rons et autres peuples Sauuages, lesquels font leursprésents, et donnent leurs aumosnes pour les viuanset pour les morts, auec tant de gayeté et si librement,que vous diriez à les voir qu’ils n’ont rien plus enrecommandation, que de faire du bien, et assisterceux qui sont en necessité, et particulierement auxames de leurs parens et amis deffuncts, ausquels ilsdonnent le plus beau et meilleur qu’ils ont, et s’enincommodent quelques-fois grandement, et y a tellepersonne qui donne presque tout ce qu’il a pour lesos de celuy ou celle qu’il a aymée et chérie en cettevie, et ayme encore apres la mort : tesmoin Ongyata,qui pour auoir donné et enfermé auec le corps de sadeffuncte femme (sans nostre sceu) presque tout cequ’il auoit, en demeura tres-pauure et incommodé,

294

Page 239: Notes du mont Royal ← et remarquablesen vn peuple Barbare et Sauuage, et les autres brutales et inhumaines à des créatures qui doiuent auoir de la raison , et recognoistre vn Dieu

-206-et s’en resiouyssoit encore, sous l’espérance que sadéminas femme en seroit mieux accommodée enl’autre vie.

Or par le moyen de ces ceremonies et assemblées,’ ils contractent vne nouuelle amitié et vnion entr’eux,

disans : Que tout ainsi que les os de leurs parens et395 Il amis defl’uncts sont assemblez et vnis en vn mesme

lieu, de mesme aussi qu’ils deuoient durant leur vie,viure tous ensemblement en vne mesme vnité et con-corde, comme bons parens et amis, sans s’en pouuoirà iamais séparer ou distraire, pour aucun desseruiceou disgrace, comme en effect ils font.