modifications et adaptations des …rgoburkina.org/wp-content/uploads/2017/03/rgo_149_def-18.pdf ·...

24
Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 260 260 MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO- ECONOMIQUE ACTUEL DU BURKINA FASO VALEA Françoise, ([email protected]) Université Ouaga I Pr Joseph KI ZERBO RESUME Au Burkina Faso, les feux de brousse se déroulent de façon récurrente. Les conditions climatiques, la végétation, ainsi que les activités et les croyances des populations, sont des facteurs favorisants. Mais, on note de nos jours, que des modifications apparaissent dans les pratiques : abandon progressive des feux tardifs, feux précoces. L’objectif de cette étude est d’appréhender la répartition spatiale et temporelle des feux de brousse, et d’expliquer les modifications observées dans les pratiques. La démarche adoptée s’appuie sur les enquêtes de terrain et la recherche documentaire. Elle associe des données quantitatives et qualitatives d’ordre climatique et socio-économiques, ainsi que des données de télédétection. L’analyse spatiale s’est appuyée sur les points de feu Modis pour l’élaboration de la cartographie des feux. A l’échelle du Burkina Faso, la cartographie des feux montrent un espace sans feu au Nord et un espace à feu dans le sud. Ces résultats confirment que les conditions climatiques, la végétation et les activités des populations, favorisent les feux de brousse dans le sud du pays, contrairement au nord. A l’échelle des terroirs, la distribution des feux n’est pas homogène. On note l’abandon ou l’adaptation des pratiques dus aux de nouveaux référentiels intervenus dans le monde rural : modernisation, nouvelles religions, saturation des espaces. Mots clés :, Conditions climatiques, feux de brousse, mutation, adaptation, Burkina Faso ABSTRACT Bushfires in Burkina Faso: changes and adaptations of the practices to the climate and socio-economic context current. In Burkina Faso, Bush fires occur repeatedly. The weather, vegetation, as well as the activities and beliefs of people, are known to be driving factors. Although, these days, that changes appear in practices: progressive abandonment of late fires, fires early.

Upload: trinhcong

Post on 13-Sep-2018

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 260

260

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX

DE BROUSSE DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-

ECONOMIQUE ACTUEL DU BURKINA FASO

VALEA Françoise, ([email protected])

Université Ouaga I Pr Joseph KI ZERBO

RESUME

Au Burkina Faso, les feux de brousse se déroulent de façon

récurrente. Les conditions climatiques, la végétation, ainsi que les activités et

les croyances des populations, sont des facteurs favorisants. Mais, on note de

nos jours, que des modifications apparaissent dans les pratiques : abandon

progressive des feux tardifs, feux précoces.

L’objectif de cette étude est d’appréhender la répartition spatiale et

temporelle des feux de brousse, et d’expliquer les modifications observées

dans les pratiques.

La démarche adoptée s’appuie sur les enquêtes de terrain et la recherche

documentaire. Elle associe des données quantitatives et qualitatives d’ordre

climatique et socio-économiques, ainsi que des données de télédétection.

L’analyse spatiale s’est appuyée sur les points de feu Modis pour

l’élaboration de la cartographie des feux.

A l’échelle du Burkina Faso, la cartographie des feux montrent un espace

sans feu au Nord et un espace à feu dans le sud. Ces résultats confirment que

les conditions climatiques, la végétation et les activités des populations,

favorisent les feux de brousse dans le sud du pays, contrairement au nord. A

l’échelle des terroirs, la distribution des feux n’est pas homogène. On note

l’abandon ou l’adaptation des pratiques dus aux de nouveaux référentiels

intervenus dans le monde rural : modernisation, nouvelles religions,

saturation des espaces.

Mots clés :, Conditions climatiques, feux de brousse, mutation, adaptation,

Burkina Faso

ABSTRACT

Bushfires in Burkina Faso: changes and adaptations of the practices to the

climate and socio-economic context current.

In Burkina Faso, Bush fires occur repeatedly. The weather,

vegetation, as well as the activities and beliefs of people, are known to be

driving factors. Although, these days, that changes appear in practices:

progressive abandonment of late fires, fires early.

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 261

The objective of this study is to understand the distribution space and time of

Bush fires, and explain the changes observed in the practices.

The approach relies on field investigations and documentary research. It

combines quantitative and qualitative order climate and socio-economic data,

as well as remote sensing data. Spatial analysis relied on the Modis fire

points to the development of mapping fires.

The scale of Burkina Faso, the results show a space without fire in the North

of the country and a space to fire in the South. These results confirm that the

climatic conditions, vegetation and population activities, promote Bush fires

in the South of the country, unlike the North. In the local scale, the

distribution of fires is not homogeneous. There is abandonment or adaptation

of practices due to the new reference occurred in the rural world:

modernization, new religions, saturation of the spaces.

Key words:, weather conditions, bushfires, mutation and adaptation, Burkina

Faso

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 262

INTRODUCTION

Les feux de brousse au Burkina Faso, comme dans l’ensemble ouest

africain, ont été jadis perçus de façon négative par les autorités coloniales,

entraînant des politiques d’interdiction dans toute l’Afrique Occidentale

Française (Aubreville 1949, Laris et Wardell, 2006). Cependant, les

recherches scientifiques en écologie, en paléoécologie et en sciences

humaines, ont permis de mieux comprendre, que plus qu’un phénomène

nuisible, les feux constituent un facteur de façonnement des paysages

végétaux des savanes (Fournier 1991, Bruzon 1994, Maire, Pomel et

Salomon 1994, Ballouche 2002, Ballouche & Dolidon 2005…). Par ailleurs,

le feu a toujours été intégré dans le mode de vie des populations de savane. Il

contribue de fait à la mise en valeur des espaces, et joue un rôle socio-

culturelmajeur au sein de ces sociétés (Dugast 1998, 2006, Luning 2005,

Yaméogo, 2005, Valéa 2010).

La répartition des feux de brousse est bien appréhendée par l’imagerie

satellitaire (Giglio et al, 2003, Eva et Lambin 1998, Devineau et al. 2009,

Valéa 2010). Elle permet d’observer les espaces où le feu se produit, et où il

n’est pas présent. Elle montre aussi les périodes de passage des feux, ainsi

que leur récurrence. Cette dynamique spatiale et temporelle révèle un mode

de vie des populations, qui utilisent le feu dans un but pastoral, agricole,

d’assainissement ou rituel. Ces usages du feu, bien que multiples, sont régis

par deux éléments fondamentaux : d’une part, le combustible à travers sa

disponibilité et son état, d’autre part, les règles sociales et culturelles de

mises à feu. Or, la disponibilité du combustible et son état sont régis certes

par les conditions édaphiques, mais surtout, par les conditions climatiques,

notamment les précipitations. Cette disponibilité du combustible est

également conditionnée par des logiques socio-économiques telles que les

systèmes culturaux, les modes d’utilisation de l’espace et les systèmes

économiques actuels. Les règles sociales et culturelles, quant à elles,

régissent en général les sociétés traditionnelles et définissent, au-delà de l’état

du combustible, les périodes de mise à feu et les obligations qui s’y attachent.

Dans ces instances, les dates de mises à feux, sont déterminées le feu rituel,

qui marque le début de la « campagne des feux ».

Toutefois, on remarque de nos jours, que le contexte climatique est

marqué par des variabilités qui influent sur la disponibilité et la qualité du

combustible à brûler (continuité/discontinuité, état de dessèchement). En plus

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 263

de cela, les fortes densités de population, le passage d’un système de culture

traditionnel vers un système agro économique, les efforts des politiques en

matière de gestion des ressources naturelles, tout comme la perception des

populations locales de la dégradation des ressources naturelles et les

« nouvelles » religions, ont entraîné au fil des ans, des modifications dans la

pratique des feux de brousse. On se pose alors la question de savoir en quoi

les différents facteurs (climatiques, économiques, culturelles…) et leurs

corollaires pourraient induire une modification dans le déroulement des feux

?

L’objectif principal de cet article est d’étudier la pratique des feux de

brousse au Burkina Faso, en mettant en exergue leur répartition spatio-

temporelle et les mutations en cours. Il s’agit d’une part de décrire et

expliquer la dynamique actuelle des feux et d’autre part, mettre en évidence

les éléments qui permettent d’apprécier le changement de pratique. L’article

présente dans un premier temps la méthode d’étude avec un aperçu sur la

zone d’étude et sur les données. Dans un second temps, il présente les

résultats de la cartographie des feux et discute les changements observées

dans la pratique des feux. La présentation est construite autour de trois

éléments : l’approche méthodologique, le cadre géographique de l’étude, et

les résultats et discussion.

1. LA METHODOLOGIE MISE EN ŒUVRE

Pour atteindre les objectifs de l’étude, une démarche associant la

collecte et l’analyse des données primaires et documentaires a été utilisée.

Les données primaires concernent celles issues de l’imagerie satellitaire et les

données d’observation et d’enquête de terrain (climatiques, écologiques,

socio-économiques et culturelles). Les données documentaires sont celles

relatives aux documents traitant des sujets sur les feux de brousse et la

dynamique des paysages ainsi que les données chiffrées. Dans cette partie, la

zone d’étude a tout d’abord été localisée. Par la suite, la collecte et le

traitement des données s’est appuyé sur les systèmes d’information

géographique (SIG) pour l’analyse et le rendu cartographique et sur les

enquêtes.

1.1. Le cadre géographique de l’étude

Pour appréhender les questions relatives à la distribution des feux de

brousse et à la mutation des pratiques, trois échelles d’étude ont été utilisés :

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 264

le pays, la région et le terroir (Figure 1). Le choix de l’échelle du pays tient

au fait qu’il permet de montrer les espaces qui brûlent et ceux qui ne brûlent

pas, ainsi que le rythme des feux et les causes de cette distribution. L’échelle

régionale concerne l’ouest du pays. Il fait partie de ces espaces en mutation,

qui est néanmoins resté une région de passage du feu (Valéa, 2010).

Cependant, les mutations structurelles et fonctionnelles intervenues ont eu

une influence dans la pratique des feux. Nous avons donc choisi des terroirs

de l’ouest du Burkina, dans lesquels nous avons pu observés les pratiques et

leurs modifications. Ces terroirs constituent notre échelle locale et concernent

Diarkadougou, Zanawa et Founzan.

Figure 1 : Le cadre géographique de l’’étude

1.2. La collecte et le traitement des données

La démarche terrain a permis d’observer et de mener des enquêtes sur

les pratiques de feu. La méthode de collecte des données a consisté à

organiser des groupes de discussion et des entretiens individuels. Le

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 265

questionnaire semi-structuré a été l'outil principal utilisé au cours des

enquêtes. Les données recueillies ont fait l'objet d'un traitement manuel.

Elles ont permis de comprendre les causes de mises à feu dans certaines

zones, sans pour autant permettre une généralisation à d’autres échelles. En

outre, elles ont permis de lier les pratiques de feux non seulement aux aspects

socio-économiques ou éco-climatiques, mais aussi, à des aspects socio-

culturels et religieux.

La technique de collecte de données de point de feu s’appuie sur le

téléchargement des fichiers de point de feu MODIS. Les points de feu actif

(1km de résolution) sont enregistrés de façon journalière dans des fichiers.

Tout fichier "point de feu" constitue un tableau où chaque pixel de feu

enregistré est localisé par ses coordonnées, la date, l’heure de prise de vue et

le degré de confiance nommée "Confidence". Ce degré de confiance exprime

la probabilité que l'évènement de feux soit vrai à un pourcentage précis. Il

nous a permis d’exclure les fausses occurrences positives de feu. Le choix

des points de feu actif est dû au fait qu’ils permettent d’exprimer une

dynamique spatiale et temporelle des feux. Grâce à la date de prise de vue de

chaque feu, on a pu préciser quand commencent les feux, quand ils se

terminent, quand on a le maximum de feu. Sous le logiciel Arcgis 10, les

données de points de feu ont été intégrées, projetés en UTM puis fusionnées

former un fichier de points de feu. A total, 82810 feux ont été pris en compte

et s’étendent sur quatre ans. Les points de feu ont ensuite été classés de façon

hebdomadaire puis mensuelle afin de déterminer leur tendance saisonnière de

distribution. Enfin, la zone couverte par le Burkina Faso a été découpée. Les

zones de passage des feux et les zones de non feu ont été mises en exergue.

D’autres facteurs qui entrent en compte dans la propagation des feux tels que

les entités administratives, les densités de population, les précipitations et la

végétation ont été croisé à la base de données points de feu.

2. RESULTATS ET DISCUSSIONS

Ils concernent la dynamique spatio-temporelle des feux au Burkina Faso et

les causes qui expliquent cette dynamique. Ils prennent en compte la

modification des pratiques de feu dans les terroirs ruraux et les raisons de ce

changement.

2.1. Le Burkina Faso, un espace-temps des feux de brousse

L’analyse spatiale des feux a permis d’identifier l’espace de propagation des

feux du Burkina Faso (figure 2) qui prend en compte les feux intervenus sur

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 266

quatre ans (octobre 2003 à juin 2007). Les feux sont compris dans le Sud,

l’Est et l’Ouest du pays, c’est l’espace potentiel de passage des feux. C’est un

espace en forme de V dissymétrique à l’image du V baoulé en Côte

d’ivoire. Cette disposition révèle que la propagation des feux dépend d’un

certain nombre de facteurs qui favorisent ou non son passage.

Figure 2 : L’espace des feux au Burkina Faso

Sur le plan temporel, une analyse des feux a été faite sur l’ensemble des

quatre ans prenant en compte la variabilité interannuelle. Il en ressort qu’ils

s’effectuent à un rythme régulier et cyclique (Figure 3). Ce cycle saisonnier

des feux a permis de définir une « norme saisonnière » basée sur les mois

propices au passage du feu qui coïncident avec la saison sèche où les pics de

feux atteignent plus de 6000 feux pour le mois de décembre.

Source : Modis octobre 2016 Valéa Françoise

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 267

Figure 3 : Variation interannuelle des feux

Cependant, le nombre total de feu reste variable d’une saison à

l’autre comme l’indique le tableau1 ci-dessous.

Tableau 1 : Nombre total de feu par saison

Saisons 2003-2004 2004-2005 2005- 2006 2006-2007

Effectifs de

feu

23.439 20.020 21.438 17.913

La courbe des variations saisonnières des feux montre que la saison des feux

s'étend sur dix mois de septembre à juin (Figure 4). L’allure générale de la

courbe des feux a une forme en cloche. Elle est caractéristique des courbes en

zones tropicale à saisons alternées où les feux ne se propagent pas en saison

pluvieuse du fait de l’humidité. Une analyse plus détaillée de la courbe

annuelle des feux indique trois principales phases : le démarrage des feux, la

saison des maximas des feux et la décroissance du nombre de feu.

Le démarrage des feux se situe au mois d’octobre. Cette phase correspond

pour la plupart aux feux très précoces mis immédiatement après la saison des

pluies. A cette période, la végétation n'étant pas assez sèche, ne permet pas au

feu de se propager. La saison des maximas de feux correspond à la pleine

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

8000

9000

10000

janv

-03

avril

juillet

octo

bre

janv

-04

avril

juillet

octo

bre

janv

-05

avril

juillet

octo

bre

janv

-06

avril

juillet

octo

bre

janv

-07

avril

juillet

no

mb

re d

e f

eu

nombre de feuLinéaire (nombre de feu)

Saison 1 Saison 2 Saison 3 Saison 4

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 268

saison sèche. Les occurrences de feux augmentent rapidement et atteignent

leur maximum en décembre. L’accroissement des feux pendant cette période

peut s'expliquer d’une part par le taux d’humidité de la végétation qui est au

plus bas et d’autre part par la fin des récoltes permettant aux populations

d’allumer les feux pour d’autres activités (cueillette, chasse,

aménagement...).

La décroissance du nombre de feu commence en janvier. A partir de cette

période, on observe une décroissance régulière jusqu’en mai. Cette phase

peut se justifier par le fait que les zones qui ont brûlé dans la deuxième phase

ne sont plus susceptibles de brûler. Par ailleurs, le début de la saison des

pluies en mai, dans certaines régions, limite les possibilités de mise à feu.

Juin marque la fin de la saison des feux.

Figure 4 : Courbes des variations saisonnières des feux

La distribution temporelle des feux fait apparaître des récurrences d’une

année à l’autre. La répartition spatiale montre qu’ils ne sont pas présents

partout à la même latitude. Ainsi les feux ne sont donc pas dus au hasard et

leur fonctionnement est réglé par certaines variables qui permettent ou non

son passage. Pour cela, il est nécessaire de comprendre pourquoi on observe

des feux à certains endroits, ainsi qu’à des périodes précises.

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

8000

9000

10000

sept

embr

e

octo

bre

nove

mbr

e

déce

mbr

e

janv

ier

févr

ier

mar

sav

rilm

aijuin

no

mb

re d

e f

eu

feux 2003-2004 feux 2004-2005 feux 2005-2006 feux 2006-2007

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 269

2.2. Les déterminants de la propagation des feux au Burkina Faso

Le fonctionnement des feux est déterminé par trois facteurs :

- les conditions climatiques et le type de végétation

- l’état du couvert végétal (état d’humidité, état de continuité),

- les activités et les croyances des sociétés

2.2.1. Les conditions climatiques et le type de végétation

Le climat impose ses périodicités et ses rythmes aux feux, à travers le

comportement des pluies. La position géographique du Burkina Faso le situe

dans un climat tropical à saisons alternées. Dans ce domaine, le rythme

climatique associe des mois de pluies à des mois secs dont la longueur varie

en fonction de la position latitudinale. Cette saisonnalité agit sur le

déroulement des feux : la saison pluvieuse correspond à la période où le feu

est absent car l’état d’humidité de la végétation à cette période ne permet pas

au feu de passer. La saison sèche s’installe, les pluies se raréfient et les feux

apparaissent (figure 5). La longueur des saisons influent la répartition des

feux. Plus la saison pluvieuse est longue, moins on a des « mois de feux », la

végétation n’étant pas suffisamment sèche pour brûler.

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 270

Figure 5 : Courbe pluviométrique (à gauche) et courbe des feux (à

droite)

La disposition latitudinale des pluies a une influence sur la disponibilité de la

biomasse herbacée ainsi que sur la structure du tapis herbacé. Elle entraîne un

raccourcissement du cycle végétatif au fur et à mesure de la progression

latitudinale et finalement un éclaircissement du couvert végétal plus ou moins

parallèle à la raréfaction des pluies. C’est ainsi que l’on observe une

abondance d’herbacées pérennes au sud du pays qui favorisent le feu et au

nord des herbacées annuelles et peu abondantes (figure 6).

0

25

50

75

100

125

150

175

200

225

250

275

juil. août sept. oct. nov. déc. janv. fév. mars avril mai juin

mois

pré

cip

ita

tio

ns

(m

m)

dori ouagadougou gaou

0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

7000

8000

9000

10000

septem

bre

octobre

nove

mbr

e

déce

mbr

e

janv

ier

février

mars

avril

mai

juin

no

mb

re

de

fe

u

feux 2003-2004 feux 2004-2005 feux 2005-2006 feux 2006-2007

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 271

Figure 6 : Feu de brousse, conditions climatiques et état du couvert

végétal

L’état de continuité du couvert végétal conditionne la distribution des feux.

Elle est en partie fonction de l’utilisation de la ressource par les sociétés.

Dans les endroits très anthropisés, le couvert végétal est discontinu, le feu ne

peut donc passer. Par contre, dans les zones à couvert végétales continues, les

pratiques de sociétés n’ont pas entraîné une dégradation du couvert végétal,

la continuité de la strate herbacée permet au feu de circuler.

2.2.2. Les populations dans la distribution des feux

Le choix dans la mise à feu est a priori conditionné par les variations

de biomasse ; mais ce sont les populations qui déclenchent les feux avec des

objectifs et un calendrier précis, en rapport le plus souvent avec leurs

activités. Les populations agissent dans la propagation des en tant qu’élément

déclencheur du feu et à travers les activités socio-économiques et culturelles

qui autorisent ou non la mise à feu. Au Burkina Faso, comme partout dans les

milieux de savane, ce sont les populations à majorité agricoles et pastorales

0

20

40

60

80

100

120

140

160

180

janv

ier

févr

ier

mar

sav

rilm

aijuin

juillet

août

sept

embr

e

octo

bre

nove

mbr

e

déce

mbr

e

moisp

récip

itati

on

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

tem

péra

ture

précipitations (mm)

températures (°C)

020406080

100120140160180200220240260

janv

ier

févr

ier

mar

sav

rilm

aijuin

juillet

aout

sept

embr

e

octo

bre

nove

mbr

e

déce

mbr

e

mois

pré

cip

itati

on

0102030405060708090100110120130

tem

péra

ture

précipitations (mm)

températures (°C)

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 272

qui allument les feux pour plusieurs raisons : pratiques agropastorales ou de

chasse, protection contre d’éventuels incendies, rituel sacré.

L’agriculture et l’élevage ont des incidences sur la distribution des feux soit à

travers le mode de production qui comporte ou non la jachère, soit par la

pratique de l’élevage qui influence la présence de biomasse herbacée. C’est

ce qui explique souvent, la présence de feu dans le sud du Burkina, domaine

de prédilection de l’agriculture où les feux sont utilisés comme un outil dans

un contexte de disponibilité du couvert végétal. Par contre, l’absence de feu

dans le nord s’explique par l’activité pastorale qui, en elle-même, n’entraîne

pas la mise à feu dans ces milieux, où l’on note une forte discontinuité

végétation herbacée.

En plus des feux de défrichement, les agriculteurs brûlent la savane dans un

but d’assainissement. Les feux permettent d’éloigner les reptiles des villages,

de détruire les insectes et les parasites et de dégager les chemins entre les

lieux d’habitations. De plus des feux de protection peuvent être mis avant la

récolte des champs par certains agriculteurs afin de protéger leurs récoltes

d’éventuels feux précoces.

La mise à feu ne répond pas seulement aux relations entre milieux naturels et

activités de production. Elle découle également d’une certaine représentation

de la nature par les communautés rurales. Dans le cadre des croyances

relatives aux divinités, les autorités religieuses accompagnées de la

population, lors de cérémonies, allument un feu qui marque culturellement le

début de la saison des feux. Ce sont des feux coutumiers et rituels. Ils

relèvent plus de la tradition culturelle que de finalité pratique et rationnelle

comme c’est le cas des feux agricoles et pastoraux. Ces feux sont allumés sur

une aire dédiée à cet effet par les chefs religieux, qui officient selon des

normes et un cérémonial. Dans ces instances, le feu est utilisé comme

expression culturelle des rapports de la société à la nature. Les aires de feux

rituels sont perçues comme des espaces qui ont pour finalité d’évacuer des

tensions sociales et d’opérer une purification (exorciser des évènements

indésirables, assurer la quiétude, la santé, l’abondance des récoltes) à travers

la symbolique de la mise à feu (Dugast 1999). Ils obligent une mise à feu

annuelle. Cela exige trois étapes fondamentales : le sacrifice effectué à un

endroit du site gardé secret et accessible seulement aux chefs coutumiers

(l’autel du sacrifice), la phase de brûlage effectuée par l’intermédiaire d’une

souris,1 et la manifestation collective qu’est la battue qui termine le rituel.

1 Cela peut être aussi un reptile (margouillat par exemple) dans d’autres sociétés

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 273

2.3. Les ajustements dans la pratique des feux

Les sociétés décident certes de la mise à feu, mais ce sont les conditions du

milieu qui influencent leurs choix. L’état de continuité ou de discontinuité du

tapis herbacé est généré par les activités humaines. L’appropriation du milieu

par les populations, entraîne des modifications importantes dans le paysage.

Ces modifications constituent une des conditions de mise à feu, qui est à

même de déterminer l’importance et la distribution des feux sur le territoire.

Dans le cas du Burkina Faso, les fortes densités de population dans le centre

du pays ainsi que l’intensification agricole réduit considérablement les

jachères et ne permettent pas les mises à feu.

2.3.1. Les fortes densités de population et l’absence de

feu au centre du pays

Le centre du pays est inclus dans le domaine soudanien ; il devrait

faire partie des zones de propagation des feux pour plusieurs raisons. Les

conditions climatiques sont caractérisées par une pluviométrie comprise entre

600 et 900 mm avec 4 à 6 mois de pluies. Cette quantité de pluie devrait être

favorable à un éventuel développement d’une strate herbacée nécessaire au

passage du feu. De même, le facteur déclencheur du feu existe d’autant plus

que les activités agricoles s’effectuent sur une partie de l’année (saison

pluvieuse) et que pendant la saison sèche, les populations peuvent mettre

potentiellement les feux. En dépit de toutes ces conditions, les feux ne se

déroulent pas dans cette partie centre du domaine soudanien (Figure 7) mais

se propagent dans les parties Est et Ouest. On peut donc penser que dans le

centre du pays, les conditions naturelles sont théoriquement favorables au

passage régulier du feu. Mais, les fortes emprises humaines sur le milieu ne

favorisent pas le passage du feu. Ces fortes densités humaines et l’intensité

des activités agricoles, ont entraîné la dégradation et la discontinuité du

couvert végétal, ce qui empêche toute propagation de feu. Plus la densité de

population est forte, moins les feux sont importants et inversement. Les fortes

densités de population entraînent souvent une grande emprise agricole ou

humaine sur le territoire. A contrario, les faibles densités, corollaire de

paysages laissés en friche, favorisent indirectement la propagation des feux.

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 274

Figure 7 : L’espace des feux et les causes de son absence en domaine

soudanien

2.3.2- L’intensification agricole et la pratique des feux

L’utilisation des sols détermine l’état du milieu dans lequel le feu peut

passer et par conséquent le maintien ou non des pratiques de feu. Les

défrichements et les cycles de cultures-jachères ont un impact sur la présence

ou non de biomasse nécessaire à la propagation des feux. Lorsque les espaces

sont défrichés, l’absence de biomasse ne permet pas la propagation du feu.

En revanche, les zones de jachères sont celles qui permettent au feu de se

propager. Dans l’ouest du Burkina Faso, l’essor de la culture du cotonnier et

les aménagements des surfaces irriguées, ont créé une mosaïque dans laquelle

les feux s’intègrent: le feu passe là où le combustible le permet et ne se

propage pas dans les endroits où le combustible est absent. La culture du

cotonnier a modifié les pratiques culturales, par l’adoption de nouvelles

techniques de labour autorisant le défrichement de vastes zones. Ces

techniques ont eu pour conséquences de modifier la distribution des feux

dans la mesure où elles influencent le couvert végétal en créant des paysages

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 275

en mosaïque et l’introduction de nouvelles pratiques excluant l’utilisation

des feux. Les agriculteurs évitent de mettre le feu à cause des risques pour les

champs de coton.

D’une région à l’autre, les raisons diffèrent et certains facteurs n’agissent pas

seuls mais de façon combinée. Au Nord de Pompoï (Ouest du Burkina) par

exemple, de vastes zones défrichées limitent la propagation des feux. Les

quelques jachères qui existent sont réduites et très morcelés, limitant ainsi le

développement de grandes surfaces brûlées. Dans la région de Tenado

(Centre-ouest du Burkina), la combinaison de plusieurs facteurs

expliqueraient la raréfaction du couvert végétal et de facto des feux. Le

système de culture est dominé par un maraîchage intensif en saison sèche et

une agriculture céréalière extensive en saison pluvieuse. Le développement

ces dernières années de la culture maraîchère, est suscité par la demande de

plus en plus croissante de la population grandissante des villes environnantes.

Cela a entraîné une augmentation des surfaces cultivées et une intensification

des cultures.

De ce fait, l’agriculture intensive conduit à l’abandon de la mise à feu qui

n’est plus possible, faute de combustible. Par ailleurs, les fortes densités

rurales de la zone (entre 65 et 98 habitants au km², INSD 1996), constituent

une des causes de la réduction du couvert végétal à travers les prélèvements.

2.4. Les mutations dans la pratique des feux de brousse

La mutation des pratiques de feu concerne aussi bien les feux

agricoles et pastoraux que les feux rituels et coutumiers.

2.4.1. Les changements observés dans la pratique des

feux agricoles et pastoraux

Dans les milieux étudiés, les zones agricoles et pastorales intensives

comportent des systèmes de production en agriculture et en élevage qui ne

comportent pas de jachère. Dans ces milieux, les feux sont absents car la

biomasse à brûler n’existe plus. L’absence des feux pourrait être également

due à un choix des populations qui décident de ne pas brûler certains espaces

bien que combustibles. C’est notamment le cas des espaces protégées du feu,

pour permettre aux pasteurs de faire paître le bétail. Par ailleurs, dans le cadre

de la gestion des terroirs, l’Etat à travers le projet « gestion des feux de

brousse en milieu rural » a mis en place dans les villages, des comités

villageois de gestion des feux (CVGF). Ce comité a pour rôle, de réduire les

feux de brousse à travers la sensibilisation, la préconisation des feux

précoces, l’arrêt des feux quand ils sont déclarés, l’apprentissage de

techniques de lutte contre le feu, le reboisement. Il joue aussi le rôle de police

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 276

locale du feu, en exigeant des amendes aux personnes arrêtées pour avoir mis

le feu. En pratique et pendant les sept années qu’a duré le projet, les villages

concernés ont adopté les feux précoces pour pallier aux feux tardifs

destructeurs. C’est le cas notamment dans la Boucle du Mouhoun, où

Tagnabou (2003) montre que les impacts de ces comités de gestion, ont été

concluant car ’ils ont permis un changement de comportement de la

population. Les objectifs visés par la pratique des feux précoces, sont entre

autres, de limiter les effets néfastes des feux tardifs et de créer des bandes de

sécurité autour des zones à protéger totalement. Dans les zones où le risque

de feu est maîtrisé, il est possible de construire une protection totale contre le

feu. Il s’agit notamment des zones couvertes d’herbes annuelles, qui

constituent une réserve de fourrage pour les animaux domestiques et

sauvages. En outre, la reconstitution d’une végétation dégradée, la

restauration du sol et le renouvellement des espèces sensibles au feu,

justifient une protection totale afin de réduire au minimum le risque de feu.

Mais si l’unanimité se fait autour de l’action des comités de gestion quant à la

sensibilisation et à la prévention contre les feux de brousse (feux tardifs

surtout), il n’en est pas de même quant à leur rôle dans la modification des

pratiques de feux rituels.

2.4.2. Les feux rituels et culturels

Plusieurs types de modifications dans les pratiques des feux rituels ont

été mis en évidence dont trois semblent les plus pertinents. Ce sont :

- la désacralisation et réaffectation des espaces du feu rituel à des fins

agricoles ;

- la réduction des parcelles de mises à feu rituel ;

- l’abandon total du site de mise à feu et de facto de la pratique de feu rituel.

La désacralisation et réaffectation des espaces du feu rituel à des fins

agricoles, consiste à des abandons des sites jadis utilisés et du même coup,

des pratiques qui s’y déroulaient. La manifestation collective qui accompagne

généralement le feu rituel, n’existe donc plus. Le site en lui-même peut

perdre sa valeur de « lieux redouté », objets interdits, et devient par

conséquent un site banal, comme tout espace du village.

Il est souvent attribué à d’autres fins et les rites qui s’y effectuaient ne sont

que des souvenirs. On peut penser que cette « réaffectation » du site cache

une volonté de s’approprier l’espace par une catégorie de personnes, censées

pouvoir communiquer avec les génies. Kaboré (2010) dans son étude chez les

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 277

gourmantché de l’est du Burkina, montre en effet que cette perte de valeur

des lieux redoutés ou dangereux, pourrait venir du fait que « l’image de la

brousse dangereuse contribue à l’objectif de maîtrise de l’espace, étant

donné qu’il est toujours associé à un autre discours donnant aux

autochtones, et en particulier à leurs aînés, le pouvoir d’annuler le danger et

de rendre ainsi le site utilisable ». Ces sites sont effectivement investis par la

suite, par cette catégorie de personnes dotées de pouvoirs surnaturels et à

même d’apaiser ou de déloger les génies que le site abritait. C’est ce que l’on

a pu observer à Zanawa (Commune de Bondigui), où dans un contexte de

« raréfaction de terre2 », des parties de la brousse jadis utilisées pour des

rituels, sont devenus des espaces destinés à des fins agropastorales.

Cependant, ces lieux sont toujours redoutés par les « profanes » qui refusent

d’y pénétrer malgré la levée de l’interdit. Seules, quelques autochtones ayant

comme principale activité première la chasse et l’agriculture investissent cet

espace.

Dans un deuxième cas, on réduit la superficie du site de mise à feu

mais où l’on conserve le sacrifice. L’aire de feux rituels reste symbolique et

on note un abandon de la manifestation collective qui accompagnait jadis la

mise à feu. Les feux sont allumés sous la responsabilité du chef de terre qui

officie selon les normes, et un cérémonial prescrit par la tradition. Ces feux

sont à la fois le signal et l’autorisation de la mise à feu par le commun de la

population. Ils sont symboliques de par leurs superficies modestes (5 à

10m2).. En plus du fait que la superficie de mise à feu est réduite, on

remarque qu’il n’existe pratiquement plus de manifestation collective par

rapport à la mise à feu. C’est le cas de Pana où l’espace réservé au feu rituel

s’est considérablement réduit et se résume à un bosquet de quelques mètres

carrés de Combretum sp au milieu des champs dans le village. L’exemple de

Pana n’est pas un cas isolé, dans le village de Bekaporé, également, les

habitants ont révélé des cas de brûlages circonscrits dans le cadre d’une mise

à feu rituelle. Dans ces situations, bien que la mise à feu rituel soit modifiée,

on a pu comprendre à travers les discussions que le sacrifice effectué garde

cependant tout son sens et sa portée.

2 Il faut rappeler que le village de Zanawa se situe au centre de la réserve partielle de Nabéré

et de ce fait, les villageois ne doivent pas grignoter sur l’espace protégé (même si cela n’est

pas respecté). Ce qui est d’autant plus difficile avec la population qui s’accroît au fil du

temps.

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 278

L’abandon total de la pratique de mise à feu rituel signifie la cessation

de l’allumage du feu dans le rituel. Le « nouveau rituel » exclut tout allumage

de feu sur le site, mais conserve le sacrifice à accomplir. A Diarkadougou

(commune de Bondigui) principalement, on a pu observer des anciens sites

de feu rituel (Sambien et kankansianré) où le feu n’est plus utilisé mais où le

sacrifice offert aux divinités demeure. Ces sites sont situés dans la réserve

partielle de faune, sur le tronçon Diarkadougou-Zanawa. Ils font partis des

espaces qui jadis appartenaient de plein droit au village, mais qui ont été

englobés par la réserve de faune, et où la gestion étatique est présente. Se

pose alors la question de l’accessibilité et de la liberté d’action des

populations quant aux sites sacrificiels englobés dans les aires protégées.

Kaboré (2010) analyse largement cet aspect dans son étude sur l’Est du

Burkina Faso en intégrant aussi bien la position des villageois face à l’aire

protégée qui n’est plus « leur propriété absolue» que celle des gestionnaires

face à une population qui souhaite continuer certaines habitudes culturelles et

coutumières, dans un espace qui ne leur est accessible qu’en partie. Le village

de Diarkadougou se trouve dans une logique similaire à quelques différences

près. La réserve partielle de faune dans laquelle se situent les deux anciennes

aires de feu rituels, est en effet gérée par l’Etat avec la possibilité pour la

population d’y accéder et d’y effectuer des activités, qu’elles soient d’ordre

culturel ou autres, mais bien évidemment sous certaines conditions. Sous

l’autorité des agents des eaux et forêts, des mises à feu de gestion sont

effectuées en accord avec la population, suivant les orientations de gestion.

De ce fait, la mise à feu de « Sambien et kankansianré » ne s’effectuent plus

de façon culturelle, selon les principes de la coutume. La cérémonie de

brûlage annuelle n'étant plus décidée par les autorités coutumières et ne se

faisant pas selon les rituels coutumières des feux rituels, on ne pourrait parler

donc d'aires de feux rituels. Tout de même, le chef coutumier et le chef de

terre, sont tenus d'offrir des sacrifices pour conjurer un éventuel mauvais sort

qui pourrait s'abattre sur les habitants.

3. UN SYSTEME TRADITIONNEL FACE A DE NOUVELLES

REFERENCES

Après analyse des informations recueillies lors des enquêtes, il ressort

que plusieurs éléments (climatiques, végétations, sociétés), certains se

recoupant dans un même terroir et agissant parfois de façon combinée, ont

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 279

une influence sur les pratiques des feux. Ces causes n’ont pas la même

importance et n’engendrent pas les mêmes conséquences dans les villages,

mais elles restent celles qui influencent le plus la pratique des feux. Elles

concernent les « nouvelles religions » notamment l’Islam et le christianisme,

l’immigration massive et les techniques actuelles en agriculture, les sites

englobés dans des aires protégées.

Les systèmes sacrificiels des populations des sites d’étude, ne sont pas

restés intacts dans leurs caractéristiques. Ils ont été au cours des temps,

influencés par les religions monothéistes, en particulier le christianisme et

l’islam. Ces deux religions sont celles qui ont le plus influencé les coutumes

dans leur manifestation, parce que les plus répandues et aussi relativement

moins conservatrices. Elles ont un impact et des effets limitatifs sur la

pratique des feux rituels, dans un contexte où la puissance des sociétés

coutumières est considérablement réduite et considérée comme rétrogrades.

Kaboré (2010) explique que dans la société gourmantché par exemple, le

chrétien ou le musulman est le bienvenu dans les célébrations rituelles

Gourmantché, tandis que « le païen » n’a sa place à la mosquée ou à l’église

que s’il ne déclare avoir cessé de l’être ou s’engage à le faire. Au-delà de la

société gourmantché, cela reflète bien les rapports qui existent entre les

« nouvelles religions » et la religion animiste. Cela confirme bien le propos

local de la population qui met en avant le fait que la nouvelle religion dans

laquelle ils évoluent ne les « autorise » pas à participer aux coutumes locales.

Certains d’affirmer que du moment que l’on se converti, on adopte les règles

et les lois de la religion que l’on embrasse. De prime abord, cela semble vrai

dans sa totalité, mais lorsqu’on approfondit les analyses, on se rend bien vite

compte que pour beaucoup, cela relève du discours officiel. En réalité, les

convertis aux « nouvelles » religions ne participent pas publiquement aux

manifestations liées aux coutumes, ce n’est pas pour autant qu’ils n’y croient

plus ou qu’ils ne participent pas de façon officieuse à d’autres sacrifices.

Quand on interroge la population, même celle convertie, on se rend compte

de la crainte encore présente de l’aire de feu rituel tout comme des autres

sites sacrés ainsi que des croyances qui leurs sont attribuées (présence de

génies et êtres surnaturels par exemple). C’est ce qui explique le fait que les

interdits qui entourent l’aire de feu rituel sont scrupuleusement respectés ; les

populations s’abstiennent d’y mettre le feu, avant toute mise à feu rituelle.

Dans les faits en effet, la participation à la chose publique est évitée ; par

contre, de façon individuelle, quand le besoin se fait sentir, des convertis aux

nouvelles religions ne s’interdisent pas de demander l’aide des ancêtres, à

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 280

travers des sacrifices prescrits par les garants des coutumes. L’influence des

nouvelles religions a certes modifié la pratique des feux rituels, en

l’occurrence dans la participation à la manifestation collective qui

accompagne le rituel, mais n’a pas supprimé le rituel en lui-même.

L’immigration massive et les systèmes agro-pastoraux actuels, influencent la

pratique des feux rituels. En effet, l’augmentation de la population due aussi

bien au croît naturel qu’aux migrations ainsi que l’expansion des systèmes

agropastoraux demandeurs d’espaces, affectent les pratiques de feux. A Pana,

selon les dires des populations et selon nos observations durant les trois

années d’enquêtes, l’augmentation continue des surfaces mises en culture de

rente essentiellement, a eu un impact sur la pratique des feux rituels.

L’urbanisation pourrait également être un facteur de modification des

pratiques de feux mais elle n’est pas très importante au Burkina Faso.

L’urbanisation a une influence sur la culture traditionnelle car plus le village

se modernise plus certaines habitudes traditionnelles se perdent.

Par rapport aux sites englobés dans les aires protégées, plusieurs cas

s’observent quant à leur accessibilité et à la liberté d’action des populations.

Ces cas varient en fonction du statut du domaine classé et de la localité.

L’évolution de la politique sur les aires protégées au Burkina Faso, est

marquée par la restriction de plus en plus forte des possibilités d’entrer dans

les aires de faune (Kaboré, 2010). De nos jours, dans certaines régions, la

différence n’est plus vraiment faite entre les réserves partielles et les autres

catégories d’aires protégées. Dans la réserve partielle de Diarkadougou, la

population déclare y accéder. Cela ne signifie pas pour autant qu’il est

possible d’y faire ce que l’on veut. C’est ce que nous avons pu remarquer à

travers la modification des pratiques des feux rituels dans la réserve partielle.

Le site, bien qu’accessible n’autorise pas de brûler annuellement ; seul le

sacrifice offert aux divinités subsiste.

CONCLUSION

La distribution des feux est régie par les conditions climatiques qui

déterminent le type de végétation propice au passage des feux de brousse. Les

communautés rurales, à travers leurs activités et leurs croyances déclenchent

les feux mais, de nombreux facteurs influencent son déroulement. Les

sociétés interviennent sur le milieu à travers les systèmes de production, les

politiques de gestion et d’aménagement. Elles créent une structuration

spatiale du milieu qui conditionne la distribution des feux. Toute

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 281

modification paysagère entraîne de fait, une modification dans la propagation

des feux. Au-delà de cette mutation des structures paysagères, le système

même des sociétés traditionnelles dans lequel le feu trouve son importance a

été modifié au fil du temps. Cela a eu des répercussions sur la pratique des

feux de brousse, aussi bien agricoles que rituels. C’est ainsi que dans le cas

des feux agricoles et pastoraux, on note la précocité ou l’absence totale de feu

Pour les feux rituels, certains sites jadis utilisés pour cette pratique se voient

« réaffectés » à d’autres fins. Par ailleurs, la mise à feu rituelle s’adapte au

contexte socio-politico-économique actuel de chaque terroir. L’Etat, les

religions importées, le pouvoir économique sont autant de nouveaux

systèmes référentiels qui remettent en question, dans certains villages, la

pratique des feux de brousse aussi bien agropastoraux que rituels.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

AUBREVILLE (A.) 1949. Climats, forêts et désertification de l'Afrique

tropicale. Société d'éditions géographiques, maritimes et

coloniales, Paris : 351 p.

BALLOUCHE (A), DOLIDON (H) ,2005. « Forêts claires et savanes ouest-

africaines : dynamiques et évolution de systèmes complexes

à l’interface nature-société ». Poitiers, Icotem, pp. 56-70.

BALLOUCHE (A), 2002. « Histoire des paysages végétaux et mémoire des

sociétés dans les savanes ouest-africaines » in Historiens et

géographes. 381, vol. sp. - Regards sur l'Afrique, pp. 379-

388.

BRUZON (V), 1994. « Les pratiques du feu en Afrique subhumide, exemple

des milieux savanicoles de la Centrafrique et de la Côte

d’Ivoire » in Blanc-Pamarrd Ch &Boutrais J. A la croisée des

chemins. Paris, ORSTOM: pp 147-163.

BUCINI (G), LAMBIN (E. F.) 2002. «Fire impacts on vegetation in Central

Africa: a remote-sensing-based statistical analysis». In

Applied Geography n° 22. Pp27-48.

DEVINEAU (J-L), FOURNIER (A), NIGNAN (S), (2009). «Savanna fire

regimes assessment with MODIS fire data: their relationship

to land cover and plant species distribution in western

Burkina Faso (West Africa) ». Before

submission.http://hal.archives-

MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE

DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU

BURKINA FASO

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 282

ouvertes.fr/docs/00/36/92/44/PDF/Devineau_Fournier_texte_

V0.pdf

DIEBRE (R), 2007 - Cartographie des feux de brousse des campagnes 2004

/2005 et 2005/2006 au Burkina Faso. Rapport Programme

National de gestion des terroirs (PNGT2).

DIEBRE (R), 2005 - Cartographie des feux de brousse au Burkina Faso pour

les campagnes 2001-2002, 2002-2003 et 2003-2004 à l’aide

d’images AVHRR de NOAA (LAC), VEGETATION de

SPOT et ETM+ de LANDSAT. Rapport final, Programme

National de gestion des terroirs (PNGT2).

DOLIDON (H), 2007. « La multiplicité des échelles dans l’analyse d’un

phénomène d’interface nature/société. L’exemple des feux de

brousse en Afrique de l’ouest ». In Cybergeo, 8(363),

www.cybergeo.eu/pdf/4805

DUGAST (S), 2006. « Des sites sacrés à incendier. Feux rituels et bosquets

sacrés chez les Bwaba du Burkina Faso et les Bassar du

Togo ». Anthropos, 101-2 :pp. 413-427.

DUGAST (S), 1998. « Bosquets sacrés et feux rituels chez les Bwaba du

Burkina Faso. Éléments de comparaison avec les Bassar du

Togo ». Symposium Unesco, Les sites sacrés naturels, Paris,

France, 22-25/9/1998.

EVA (H), LAMBIN (E.F), 1998. «Burnt area mapping in Central Africa

using ATSR data». In Remote Sensing of Environment 19

(18), 3473-3497.

FOURNIER (A) ,1991. « Phénologie, croissance et productions végétales

dans quelques savanes d’Afrique de l’Ouest. Variation selon

un gradient climatique ». Editions de l’ORSTOM, études et

thèses, 312p.

GIGLIO (L), DESCLOITRES (J), JUSTICE (C), KAUFMAN (Y), 2003.

«An Enhanced Contextual Fire Detection Algorithm for

MODIS» in Remote Sensing of Environment, 87, 273-282.

KABORE (A), 2010. « Brousse des uns, aire protégée des autres Histoire du

peuplement, perceptions de la nature et politique des aires

protégées dans le Gourma burkinabè: l’exemple de la

Réserve partielle de faune de Pama ». Thèse de l’Institut de

Hautes Etudes

Internationales et du Développement. Genève, 386p.

LARIS (P), WARDELL (D), 2006. «Good, bad or’ necessary evil’?

Reinterpreting the colonial burning experiments in the

VALEA Françoise

Revue de Géographie de l’Université Ouaga I Pr Joseph. KI ZERBO, N°005, Oct. 2016, Vol. 1. 283

savanna landscapes of West Africa».In Geographical

Journal, 172, pp 271-290.

LUNNING (S) 2005. «Ritual territories and dynamics in the annual bush fire

practices of Maane, Burkina Faso». In : Patrimoines naturels

au Sud ; territoires, identités, stratégies locales. M.C.

Cormier-Salem et al. (Éd.). Paris, France, Ird, coll. Colloques

et séminaires : pp 443-473.

MAIRE (R), POMEL (S), SALOMON (J.N) ,1994. « Enregistreurs et

Indicateurs de l’évolution de l’environnement en Zone

Tropicale ». Bordeaux, P.U.B, 489 p.

MBOW(C), 2004. « Utilisation des données basse moyenne résolution

(MODIS, SPOT4-VEGETATION) pour le suivi des feux de

brousse et l’analyse des risques d’incendie ».

TAGNABOU (l), 2003 - Changements de comportement suite à l’application

de la notion de «gestion des feux» dans la province du

Mouhoun ». Rapport de stage, 61 pages. Projet gestion des

feux en milieu rural au Burkina Faso. Coopération Finlande –

Burkina Faso

VALEA (F), 2010. « Etudes des feux de brousse au Burkina Faso.

Approches multi-échelles des feux actifs et des surfaces

brûlées ». Thèse de doctorat, Université de Caen/ Basse-

Normandie : 401p.

VALEA (F), 2005- Elaboration d’une méthode de suivi et d’analyse spatio-

temporelle des feux de brousse en Afrique de l’Ouest: cas de

l’Est du Sénégal et de l’Ouest du Burkina Faso. Laboratoire

d’Enseignement et de Recherche en Géomatique, Sénégal,

rapport de stage, 67 p.

YAMEOGO (U), 2005. « Le feu, un outil d'ingénierie au Ranch de Gibier de

Nazinga au Burkina Faso ». Thèse, Université de Orléans,

257p.