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MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX
DE BROUSSE DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-
ECONOMIQUE ACTUEL DU BURKINA FASO
VALEA Françoise, ([email protected])
Université Ouaga I Pr Joseph KI ZERBO
RESUME
Au Burkina Faso, les feux de brousse se déroulent de façon
récurrente. Les conditions climatiques, la végétation, ainsi que les activités et
les croyances des populations, sont des facteurs favorisants. Mais, on note de
nos jours, que des modifications apparaissent dans les pratiques : abandon
progressive des feux tardifs, feux précoces.
L’objectif de cette étude est d’appréhender la répartition spatiale et
temporelle des feux de brousse, et d’expliquer les modifications observées
dans les pratiques.
La démarche adoptée s’appuie sur les enquêtes de terrain et la recherche
documentaire. Elle associe des données quantitatives et qualitatives d’ordre
climatique et socio-économiques, ainsi que des données de télédétection.
L’analyse spatiale s’est appuyée sur les points de feu Modis pour
l’élaboration de la cartographie des feux.
A l’échelle du Burkina Faso, la cartographie des feux montrent un espace
sans feu au Nord et un espace à feu dans le sud. Ces résultats confirment que
les conditions climatiques, la végétation et les activités des populations,
favorisent les feux de brousse dans le sud du pays, contrairement au nord. A
l’échelle des terroirs, la distribution des feux n’est pas homogène. On note
l’abandon ou l’adaptation des pratiques dus aux de nouveaux référentiels
intervenus dans le monde rural : modernisation, nouvelles religions,
saturation des espaces.
Mots clés :, Conditions climatiques, feux de brousse, mutation, adaptation,
Burkina Faso
ABSTRACT
Bushfires in Burkina Faso: changes and adaptations of the practices to the
climate and socio-economic context current.
In Burkina Faso, Bush fires occur repeatedly. The weather,
vegetation, as well as the activities and beliefs of people, are known to be
driving factors. Although, these days, that changes appear in practices:
progressive abandonment of late fires, fires early.
VALEA Françoise
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The objective of this study is to understand the distribution space and time of
Bush fires, and explain the changes observed in the practices.
The approach relies on field investigations and documentary research. It
combines quantitative and qualitative order climate and socio-economic data,
as well as remote sensing data. Spatial analysis relied on the Modis fire
points to the development of mapping fires.
The scale of Burkina Faso, the results show a space without fire in the North
of the country and a space to fire in the South. These results confirm that the
climatic conditions, vegetation and population activities, promote Bush fires
in the South of the country, unlike the North. In the local scale, the
distribution of fires is not homogeneous. There is abandonment or adaptation
of practices due to the new reference occurred in the rural world:
modernization, new religions, saturation of the spaces.
Key words:, weather conditions, bushfires, mutation and adaptation, Burkina
Faso
MODIFICATIONS ET ADAPTATIONS DES PRATIQUES DE FEUX DE BROUSSE
DANS LE CONTEXTE CLIMATIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE ACTUEL DU
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INTRODUCTION
Les feux de brousse au Burkina Faso, comme dans l’ensemble ouest
africain, ont été jadis perçus de façon négative par les autorités coloniales,
entraînant des politiques d’interdiction dans toute l’Afrique Occidentale
Française (Aubreville 1949, Laris et Wardell, 2006). Cependant, les
recherches scientifiques en écologie, en paléoécologie et en sciences
humaines, ont permis de mieux comprendre, que plus qu’un phénomène
nuisible, les feux constituent un facteur de façonnement des paysages
végétaux des savanes (Fournier 1991, Bruzon 1994, Maire, Pomel et
Salomon 1994, Ballouche 2002, Ballouche & Dolidon 2005…). Par ailleurs,
le feu a toujours été intégré dans le mode de vie des populations de savane. Il
contribue de fait à la mise en valeur des espaces, et joue un rôle socio-
culturelmajeur au sein de ces sociétés (Dugast 1998, 2006, Luning 2005,
Yaméogo, 2005, Valéa 2010).
La répartition des feux de brousse est bien appréhendée par l’imagerie
satellitaire (Giglio et al, 2003, Eva et Lambin 1998, Devineau et al. 2009,
Valéa 2010). Elle permet d’observer les espaces où le feu se produit, et où il
n’est pas présent. Elle montre aussi les périodes de passage des feux, ainsi
que leur récurrence. Cette dynamique spatiale et temporelle révèle un mode
de vie des populations, qui utilisent le feu dans un but pastoral, agricole,
d’assainissement ou rituel. Ces usages du feu, bien que multiples, sont régis
par deux éléments fondamentaux : d’une part, le combustible à travers sa
disponibilité et son état, d’autre part, les règles sociales et culturelles de
mises à feu. Or, la disponibilité du combustible et son état sont régis certes
par les conditions édaphiques, mais surtout, par les conditions climatiques,
notamment les précipitations. Cette disponibilité du combustible est
également conditionnée par des logiques socio-économiques telles que les
systèmes culturaux, les modes d’utilisation de l’espace et les systèmes
économiques actuels. Les règles sociales et culturelles, quant à elles,
régissent en général les sociétés traditionnelles et définissent, au-delà de l’état
du combustible, les périodes de mise à feu et les obligations qui s’y attachent.
Dans ces instances, les dates de mises à feux, sont déterminées le feu rituel,
qui marque le début de la « campagne des feux ».
Toutefois, on remarque de nos jours, que le contexte climatique est
marqué par des variabilités qui influent sur la disponibilité et la qualité du
combustible à brûler (continuité/discontinuité, état de dessèchement). En plus
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de cela, les fortes densités de population, le passage d’un système de culture
traditionnel vers un système agro économique, les efforts des politiques en
matière de gestion des ressources naturelles, tout comme la perception des
populations locales de la dégradation des ressources naturelles et les
« nouvelles » religions, ont entraîné au fil des ans, des modifications dans la
pratique des feux de brousse. On se pose alors la question de savoir en quoi
les différents facteurs (climatiques, économiques, culturelles…) et leurs
corollaires pourraient induire une modification dans le déroulement des feux
?
L’objectif principal de cet article est d’étudier la pratique des feux de
brousse au Burkina Faso, en mettant en exergue leur répartition spatio-
temporelle et les mutations en cours. Il s’agit d’une part de décrire et
expliquer la dynamique actuelle des feux et d’autre part, mettre en évidence
les éléments qui permettent d’apprécier le changement de pratique. L’article
présente dans un premier temps la méthode d’étude avec un aperçu sur la
zone d’étude et sur les données. Dans un second temps, il présente les
résultats de la cartographie des feux et discute les changements observées
dans la pratique des feux. La présentation est construite autour de trois
éléments : l’approche méthodologique, le cadre géographique de l’étude, et
les résultats et discussion.
1. LA METHODOLOGIE MISE EN ŒUVRE
Pour atteindre les objectifs de l’étude, une démarche associant la
collecte et l’analyse des données primaires et documentaires a été utilisée.
Les données primaires concernent celles issues de l’imagerie satellitaire et les
données d’observation et d’enquête de terrain (climatiques, écologiques,
socio-économiques et culturelles). Les données documentaires sont celles
relatives aux documents traitant des sujets sur les feux de brousse et la
dynamique des paysages ainsi que les données chiffrées. Dans cette partie, la
zone d’étude a tout d’abord été localisée. Par la suite, la collecte et le
traitement des données s’est appuyé sur les systèmes d’information
géographique (SIG) pour l’analyse et le rendu cartographique et sur les
enquêtes.
1.1. Le cadre géographique de l’étude
Pour appréhender les questions relatives à la distribution des feux de
brousse et à la mutation des pratiques, trois échelles d’étude ont été utilisés :
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le pays, la région et le terroir (Figure 1). Le choix de l’échelle du pays tient
au fait qu’il permet de montrer les espaces qui brûlent et ceux qui ne brûlent
pas, ainsi que le rythme des feux et les causes de cette distribution. L’échelle
régionale concerne l’ouest du pays. Il fait partie de ces espaces en mutation,
qui est néanmoins resté une région de passage du feu (Valéa, 2010).
Cependant, les mutations structurelles et fonctionnelles intervenues ont eu
une influence dans la pratique des feux. Nous avons donc choisi des terroirs
de l’ouest du Burkina, dans lesquels nous avons pu observés les pratiques et
leurs modifications. Ces terroirs constituent notre échelle locale et concernent
Diarkadougou, Zanawa et Founzan.
Figure 1 : Le cadre géographique de l’’étude
1.2. La collecte et le traitement des données
La démarche terrain a permis d’observer et de mener des enquêtes sur
les pratiques de feu. La méthode de collecte des données a consisté à
organiser des groupes de discussion et des entretiens individuels. Le
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questionnaire semi-structuré a été l'outil principal utilisé au cours des
enquêtes. Les données recueillies ont fait l'objet d'un traitement manuel.
Elles ont permis de comprendre les causes de mises à feu dans certaines
zones, sans pour autant permettre une généralisation à d’autres échelles. En
outre, elles ont permis de lier les pratiques de feux non seulement aux aspects
socio-économiques ou éco-climatiques, mais aussi, à des aspects socio-
culturels et religieux.
La technique de collecte de données de point de feu s’appuie sur le
téléchargement des fichiers de point de feu MODIS. Les points de feu actif
(1km de résolution) sont enregistrés de façon journalière dans des fichiers.
Tout fichier "point de feu" constitue un tableau où chaque pixel de feu
enregistré est localisé par ses coordonnées, la date, l’heure de prise de vue et
le degré de confiance nommée "Confidence". Ce degré de confiance exprime
la probabilité que l'évènement de feux soit vrai à un pourcentage précis. Il
nous a permis d’exclure les fausses occurrences positives de feu. Le choix
des points de feu actif est dû au fait qu’ils permettent d’exprimer une
dynamique spatiale et temporelle des feux. Grâce à la date de prise de vue de
chaque feu, on a pu préciser quand commencent les feux, quand ils se
terminent, quand on a le maximum de feu. Sous le logiciel Arcgis 10, les
données de points de feu ont été intégrées, projetés en UTM puis fusionnées
former un fichier de points de feu. A total, 82810 feux ont été pris en compte
et s’étendent sur quatre ans. Les points de feu ont ensuite été classés de façon
hebdomadaire puis mensuelle afin de déterminer leur tendance saisonnière de
distribution. Enfin, la zone couverte par le Burkina Faso a été découpée. Les
zones de passage des feux et les zones de non feu ont été mises en exergue.
D’autres facteurs qui entrent en compte dans la propagation des feux tels que
les entités administratives, les densités de population, les précipitations et la
végétation ont été croisé à la base de données points de feu.
2. RESULTATS ET DISCUSSIONS
Ils concernent la dynamique spatio-temporelle des feux au Burkina Faso et
les causes qui expliquent cette dynamique. Ils prennent en compte la
modification des pratiques de feu dans les terroirs ruraux et les raisons de ce
changement.
2.1. Le Burkina Faso, un espace-temps des feux de brousse
L’analyse spatiale des feux a permis d’identifier l’espace de propagation des
feux du Burkina Faso (figure 2) qui prend en compte les feux intervenus sur
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quatre ans (octobre 2003 à juin 2007). Les feux sont compris dans le Sud,
l’Est et l’Ouest du pays, c’est l’espace potentiel de passage des feux. C’est un
espace en forme de V dissymétrique à l’image du V baoulé en Côte
d’ivoire. Cette disposition révèle que la propagation des feux dépend d’un
certain nombre de facteurs qui favorisent ou non son passage.
Figure 2 : L’espace des feux au Burkina Faso
Sur le plan temporel, une analyse des feux a été faite sur l’ensemble des
quatre ans prenant en compte la variabilité interannuelle. Il en ressort qu’ils
s’effectuent à un rythme régulier et cyclique (Figure 3). Ce cycle saisonnier
des feux a permis de définir une « norme saisonnière » basée sur les mois
propices au passage du feu qui coïncident avec la saison sèche où les pics de
feux atteignent plus de 6000 feux pour le mois de décembre.
Source : Modis octobre 2016 Valéa Françoise
VALEA Françoise
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Figure 3 : Variation interannuelle des feux
Cependant, le nombre total de feu reste variable d’une saison à
l’autre comme l’indique le tableau1 ci-dessous.
Tableau 1 : Nombre total de feu par saison
Saisons 2003-2004 2004-2005 2005- 2006 2006-2007
Effectifs de
feu
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La courbe des variations saisonnières des feux montre que la saison des feux
s'étend sur dix mois de septembre à juin (Figure 4). L’allure générale de la
courbe des feux a une forme en cloche. Elle est caractéristique des courbes en
zones tropicale à saisons alternées où les feux ne se propagent pas en saison
pluvieuse du fait de l’humidité. Une analyse plus détaillée de la courbe
annuelle des feux indique trois principales phases : le démarrage des feux, la
saison des maximas des feux et la décroissance du nombre de feu.
Le démarrage des feux se situe au mois d’octobre. Cette phase correspond
pour la plupart aux feux très précoces mis immédiatement après la saison des
pluies. A cette période, la végétation n'étant pas assez sèche, ne permet pas au
feu de se propager. La saison des maximas de feux correspond à la pleine
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saison sèche. Les occurrences de feux augmentent rapidement et atteignent
leur maximum en décembre. L’accroissement des feux pendant cette période
peut s'expliquer d’une part par le taux d’humidité de la végétation qui est au
plus bas et d’autre part par la fin des récoltes permettant aux populations
d’allumer les feux pour d’autres activités (cueillette, chasse,
aménagement...).
La décroissance du nombre de feu commence en janvier. A partir de cette
période, on observe une décroissance régulière jusqu’en mai. Cette phase
peut se justifier par le fait que les zones qui ont brûlé dans la deuxième phase
ne sont plus susceptibles de brûler. Par ailleurs, le début de la saison des
pluies en mai, dans certaines régions, limite les possibilités de mise à feu.
Juin marque la fin de la saison des feux.
Figure 4 : Courbes des variations saisonnières des feux
La distribution temporelle des feux fait apparaître des récurrences d’une
année à l’autre. La répartition spatiale montre qu’ils ne sont pas présents
partout à la même latitude. Ainsi les feux ne sont donc pas dus au hasard et
leur fonctionnement est réglé par certaines variables qui permettent ou non
son passage. Pour cela, il est nécessaire de comprendre pourquoi on observe
des feux à certains endroits, ainsi qu’à des périodes précises.
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2.2. Les déterminants de la propagation des feux au Burkina Faso
Le fonctionnement des feux est déterminé par trois facteurs :
- les conditions climatiques et le type de végétation
- l’état du couvert végétal (état d’humidité, état de continuité),
- les activités et les croyances des sociétés
2.2.1. Les conditions climatiques et le type de végétation
Le climat impose ses périodicités et ses rythmes aux feux, à travers le
comportement des pluies. La position géographique du Burkina Faso le situe
dans un climat tropical à saisons alternées. Dans ce domaine, le rythme
climatique associe des mois de pluies à des mois secs dont la longueur varie
en fonction de la position latitudinale. Cette saisonnalité agit sur le
déroulement des feux : la saison pluvieuse correspond à la période où le feu
est absent car l’état d’humidité de la végétation à cette période ne permet pas
au feu de passer. La saison sèche s’installe, les pluies se raréfient et les feux
apparaissent (figure 5). La longueur des saisons influent la répartition des
feux. Plus la saison pluvieuse est longue, moins on a des « mois de feux », la
végétation n’étant pas suffisamment sèche pour brûler.
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Figure 5 : Courbe pluviométrique (à gauche) et courbe des feux (à
droite)
La disposition latitudinale des pluies a une influence sur la disponibilité de la
biomasse herbacée ainsi que sur la structure du tapis herbacé. Elle entraîne un
raccourcissement du cycle végétatif au fur et à mesure de la progression
latitudinale et finalement un éclaircissement du couvert végétal plus ou moins
parallèle à la raréfaction des pluies. C’est ainsi que l’on observe une
abondance d’herbacées pérennes au sud du pays qui favorisent le feu et au
nord des herbacées annuelles et peu abondantes (figure 6).
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Figure 6 : Feu de brousse, conditions climatiques et état du couvert
végétal
L’état de continuité du couvert végétal conditionne la distribution des feux.
Elle est en partie fonction de l’utilisation de la ressource par les sociétés.
Dans les endroits très anthropisés, le couvert végétal est discontinu, le feu ne
peut donc passer. Par contre, dans les zones à couvert végétales continues, les
pratiques de sociétés n’ont pas entraîné une dégradation du couvert végétal,
la continuité de la strate herbacée permet au feu de circuler.
2.2.2. Les populations dans la distribution des feux
Le choix dans la mise à feu est a priori conditionné par les variations
de biomasse ; mais ce sont les populations qui déclenchent les feux avec des
objectifs et un calendrier précis, en rapport le plus souvent avec leurs
activités. Les populations agissent dans la propagation des en tant qu’élément
déclencheur du feu et à travers les activités socio-économiques et culturelles
qui autorisent ou non la mise à feu. Au Burkina Faso, comme partout dans les
milieux de savane, ce sont les populations à majorité agricoles et pastorales
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qui allument les feux pour plusieurs raisons : pratiques agropastorales ou de
chasse, protection contre d’éventuels incendies, rituel sacré.
L’agriculture et l’élevage ont des incidences sur la distribution des feux soit à
travers le mode de production qui comporte ou non la jachère, soit par la
pratique de l’élevage qui influence la présence de biomasse herbacée. C’est
ce qui explique souvent, la présence de feu dans le sud du Burkina, domaine
de prédilection de l’agriculture où les feux sont utilisés comme un outil dans
un contexte de disponibilité du couvert végétal. Par contre, l’absence de feu
dans le nord s’explique par l’activité pastorale qui, en elle-même, n’entraîne
pas la mise à feu dans ces milieux, où l’on note une forte discontinuité
végétation herbacée.
En plus des feux de défrichement, les agriculteurs brûlent la savane dans un
but d’assainissement. Les feux permettent d’éloigner les reptiles des villages,
de détruire les insectes et les parasites et de dégager les chemins entre les
lieux d’habitations. De plus des feux de protection peuvent être mis avant la
récolte des champs par certains agriculteurs afin de protéger leurs récoltes
d’éventuels feux précoces.
La mise à feu ne répond pas seulement aux relations entre milieux naturels et
activités de production. Elle découle également d’une certaine représentation
de la nature par les communautés rurales. Dans le cadre des croyances
relatives aux divinités, les autorités religieuses accompagnées de la
population, lors de cérémonies, allument un feu qui marque culturellement le
début de la saison des feux. Ce sont des feux coutumiers et rituels. Ils
relèvent plus de la tradition culturelle que de finalité pratique et rationnelle
comme c’est le cas des feux agricoles et pastoraux. Ces feux sont allumés sur
une aire dédiée à cet effet par les chefs religieux, qui officient selon des
normes et un cérémonial. Dans ces instances, le feu est utilisé comme
expression culturelle des rapports de la société à la nature. Les aires de feux
rituels sont perçues comme des espaces qui ont pour finalité d’évacuer des
tensions sociales et d’opérer une purification (exorciser des évènements
indésirables, assurer la quiétude, la santé, l’abondance des récoltes) à travers
la symbolique de la mise à feu (Dugast 1999). Ils obligent une mise à feu
annuelle. Cela exige trois étapes fondamentales : le sacrifice effectué à un
endroit du site gardé secret et accessible seulement aux chefs coutumiers
(l’autel du sacrifice), la phase de brûlage effectuée par l’intermédiaire d’une
souris,1 et la manifestation collective qu’est la battue qui termine le rituel.
1 Cela peut être aussi un reptile (margouillat par exemple) dans d’autres sociétés
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2.3. Les ajustements dans la pratique des feux
Les sociétés décident certes de la mise à feu, mais ce sont les conditions du
milieu qui influencent leurs choix. L’état de continuité ou de discontinuité du
tapis herbacé est généré par les activités humaines. L’appropriation du milieu
par les populations, entraîne des modifications importantes dans le paysage.
Ces modifications constituent une des conditions de mise à feu, qui est à
même de déterminer l’importance et la distribution des feux sur le territoire.
Dans le cas du Burkina Faso, les fortes densités de population dans le centre
du pays ainsi que l’intensification agricole réduit considérablement les
jachères et ne permettent pas les mises à feu.
2.3.1. Les fortes densités de population et l’absence de
feu au centre du pays
Le centre du pays est inclus dans le domaine soudanien ; il devrait
faire partie des zones de propagation des feux pour plusieurs raisons. Les
conditions climatiques sont caractérisées par une pluviométrie comprise entre
600 et 900 mm avec 4 à 6 mois de pluies. Cette quantité de pluie devrait être
favorable à un éventuel développement d’une strate herbacée nécessaire au
passage du feu. De même, le facteur déclencheur du feu existe d’autant plus
que les activités agricoles s’effectuent sur une partie de l’année (saison
pluvieuse) et que pendant la saison sèche, les populations peuvent mettre
potentiellement les feux. En dépit de toutes ces conditions, les feux ne se
déroulent pas dans cette partie centre du domaine soudanien (Figure 7) mais
se propagent dans les parties Est et Ouest. On peut donc penser que dans le
centre du pays, les conditions naturelles sont théoriquement favorables au
passage régulier du feu. Mais, les fortes emprises humaines sur le milieu ne
favorisent pas le passage du feu. Ces fortes densités humaines et l’intensité
des activités agricoles, ont entraîné la dégradation et la discontinuité du
couvert végétal, ce qui empêche toute propagation de feu. Plus la densité de
population est forte, moins les feux sont importants et inversement. Les fortes
densités de population entraînent souvent une grande emprise agricole ou
humaine sur le territoire. A contrario, les faibles densités, corollaire de
paysages laissés en friche, favorisent indirectement la propagation des feux.
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Figure 7 : L’espace des feux et les causes de son absence en domaine
soudanien
2.3.2- L’intensification agricole et la pratique des feux
L’utilisation des sols détermine l’état du milieu dans lequel le feu peut
passer et par conséquent le maintien ou non des pratiques de feu. Les
défrichements et les cycles de cultures-jachères ont un impact sur la présence
ou non de biomasse nécessaire à la propagation des feux. Lorsque les espaces
sont défrichés, l’absence de biomasse ne permet pas la propagation du feu.
En revanche, les zones de jachères sont celles qui permettent au feu de se
propager. Dans l’ouest du Burkina Faso, l’essor de la culture du cotonnier et
les aménagements des surfaces irriguées, ont créé une mosaïque dans laquelle
les feux s’intègrent: le feu passe là où le combustible le permet et ne se
propage pas dans les endroits où le combustible est absent. La culture du
cotonnier a modifié les pratiques culturales, par l’adoption de nouvelles
techniques de labour autorisant le défrichement de vastes zones. Ces
techniques ont eu pour conséquences de modifier la distribution des feux
dans la mesure où elles influencent le couvert végétal en créant des paysages
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en mosaïque et l’introduction de nouvelles pratiques excluant l’utilisation
des feux. Les agriculteurs évitent de mettre le feu à cause des risques pour les
champs de coton.
D’une région à l’autre, les raisons diffèrent et certains facteurs n’agissent pas
seuls mais de façon combinée. Au Nord de Pompoï (Ouest du Burkina) par
exemple, de vastes zones défrichées limitent la propagation des feux. Les
quelques jachères qui existent sont réduites et très morcelés, limitant ainsi le
développement de grandes surfaces brûlées. Dans la région de Tenado
(Centre-ouest du Burkina), la combinaison de plusieurs facteurs
expliqueraient la raréfaction du couvert végétal et de facto des feux. Le
système de culture est dominé par un maraîchage intensif en saison sèche et
une agriculture céréalière extensive en saison pluvieuse. Le développement
ces dernières années de la culture maraîchère, est suscité par la demande de
plus en plus croissante de la population grandissante des villes environnantes.
Cela a entraîné une augmentation des surfaces cultivées et une intensification
des cultures.
De ce fait, l’agriculture intensive conduit à l’abandon de la mise à feu qui
n’est plus possible, faute de combustible. Par ailleurs, les fortes densités
rurales de la zone (entre 65 et 98 habitants au km², INSD 1996), constituent
une des causes de la réduction du couvert végétal à travers les prélèvements.
2.4. Les mutations dans la pratique des feux de brousse
La mutation des pratiques de feu concerne aussi bien les feux
agricoles et pastoraux que les feux rituels et coutumiers.
2.4.1. Les changements observés dans la pratique des
feux agricoles et pastoraux
Dans les milieux étudiés, les zones agricoles et pastorales intensives
comportent des systèmes de production en agriculture et en élevage qui ne
comportent pas de jachère. Dans ces milieux, les feux sont absents car la
biomasse à brûler n’existe plus. L’absence des feux pourrait être également
due à un choix des populations qui décident de ne pas brûler certains espaces
bien que combustibles. C’est notamment le cas des espaces protégées du feu,
pour permettre aux pasteurs de faire paître le bétail. Par ailleurs, dans le cadre
de la gestion des terroirs, l’Etat à travers le projet « gestion des feux de
brousse en milieu rural » a mis en place dans les villages, des comités
villageois de gestion des feux (CVGF). Ce comité a pour rôle, de réduire les
feux de brousse à travers la sensibilisation, la préconisation des feux
précoces, l’arrêt des feux quand ils sont déclarés, l’apprentissage de
techniques de lutte contre le feu, le reboisement. Il joue aussi le rôle de police
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locale du feu, en exigeant des amendes aux personnes arrêtées pour avoir mis
le feu. En pratique et pendant les sept années qu’a duré le projet, les villages
concernés ont adopté les feux précoces pour pallier aux feux tardifs
destructeurs. C’est le cas notamment dans la Boucle du Mouhoun, où
Tagnabou (2003) montre que les impacts de ces comités de gestion, ont été
concluant car ’ils ont permis un changement de comportement de la
population. Les objectifs visés par la pratique des feux précoces, sont entre
autres, de limiter les effets néfastes des feux tardifs et de créer des bandes de
sécurité autour des zones à protéger totalement. Dans les zones où le risque
de feu est maîtrisé, il est possible de construire une protection totale contre le
feu. Il s’agit notamment des zones couvertes d’herbes annuelles, qui
constituent une réserve de fourrage pour les animaux domestiques et
sauvages. En outre, la reconstitution d’une végétation dégradée, la
restauration du sol et le renouvellement des espèces sensibles au feu,
justifient une protection totale afin de réduire au minimum le risque de feu.
Mais si l’unanimité se fait autour de l’action des comités de gestion quant à la
sensibilisation et à la prévention contre les feux de brousse (feux tardifs
surtout), il n’en est pas de même quant à leur rôle dans la modification des
pratiques de feux rituels.
2.4.2. Les feux rituels et culturels
Plusieurs types de modifications dans les pratiques des feux rituels ont
été mis en évidence dont trois semblent les plus pertinents. Ce sont :
- la désacralisation et réaffectation des espaces du feu rituel à des fins
agricoles ;
- la réduction des parcelles de mises à feu rituel ;
- l’abandon total du site de mise à feu et de facto de la pratique de feu rituel.
La désacralisation et réaffectation des espaces du feu rituel à des fins
agricoles, consiste à des abandons des sites jadis utilisés et du même coup,
des pratiques qui s’y déroulaient. La manifestation collective qui accompagne
généralement le feu rituel, n’existe donc plus. Le site en lui-même peut
perdre sa valeur de « lieux redouté », objets interdits, et devient par
conséquent un site banal, comme tout espace du village.
Il est souvent attribué à d’autres fins et les rites qui s’y effectuaient ne sont
que des souvenirs. On peut penser que cette « réaffectation » du site cache
une volonté de s’approprier l’espace par une catégorie de personnes, censées
pouvoir communiquer avec les génies. Kaboré (2010) dans son étude chez les
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gourmantché de l’est du Burkina, montre en effet que cette perte de valeur
des lieux redoutés ou dangereux, pourrait venir du fait que « l’image de la
brousse dangereuse contribue à l’objectif de maîtrise de l’espace, étant
donné qu’il est toujours associé à un autre discours donnant aux
autochtones, et en particulier à leurs aînés, le pouvoir d’annuler le danger et
de rendre ainsi le site utilisable ». Ces sites sont effectivement investis par la
suite, par cette catégorie de personnes dotées de pouvoirs surnaturels et à
même d’apaiser ou de déloger les génies que le site abritait. C’est ce que l’on
a pu observer à Zanawa (Commune de Bondigui), où dans un contexte de
« raréfaction de terre2 », des parties de la brousse jadis utilisées pour des
rituels, sont devenus des espaces destinés à des fins agropastorales.
Cependant, ces lieux sont toujours redoutés par les « profanes » qui refusent
d’y pénétrer malgré la levée de l’interdit. Seules, quelques autochtones ayant
comme principale activité première la chasse et l’agriculture investissent cet
espace.
Dans un deuxième cas, on réduit la superficie du site de mise à feu
mais où l’on conserve le sacrifice. L’aire de feux rituels reste symbolique et
on note un abandon de la manifestation collective qui accompagnait jadis la
mise à feu. Les feux sont allumés sous la responsabilité du chef de terre qui
officie selon les normes, et un cérémonial prescrit par la tradition. Ces feux
sont à la fois le signal et l’autorisation de la mise à feu par le commun de la
population. Ils sont symboliques de par leurs superficies modestes (5 à
10m2).. En plus du fait que la superficie de mise à feu est réduite, on
remarque qu’il n’existe pratiquement plus de manifestation collective par
rapport à la mise à feu. C’est le cas de Pana où l’espace réservé au feu rituel
s’est considérablement réduit et se résume à un bosquet de quelques mètres
carrés de Combretum sp au milieu des champs dans le village. L’exemple de
Pana n’est pas un cas isolé, dans le village de Bekaporé, également, les
habitants ont révélé des cas de brûlages circonscrits dans le cadre d’une mise
à feu rituelle. Dans ces situations, bien que la mise à feu rituel soit modifiée,
on a pu comprendre à travers les discussions que le sacrifice effectué garde
cependant tout son sens et sa portée.
2 Il faut rappeler que le village de Zanawa se situe au centre de la réserve partielle de Nabéré
et de ce fait, les villageois ne doivent pas grignoter sur l’espace protégé (même si cela n’est
pas respecté). Ce qui est d’autant plus difficile avec la population qui s’accroît au fil du
temps.
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L’abandon total de la pratique de mise à feu rituel signifie la cessation
de l’allumage du feu dans le rituel. Le « nouveau rituel » exclut tout allumage
de feu sur le site, mais conserve le sacrifice à accomplir. A Diarkadougou
(commune de Bondigui) principalement, on a pu observer des anciens sites
de feu rituel (Sambien et kankansianré) où le feu n’est plus utilisé mais où le
sacrifice offert aux divinités demeure. Ces sites sont situés dans la réserve
partielle de faune, sur le tronçon Diarkadougou-Zanawa. Ils font partis des
espaces qui jadis appartenaient de plein droit au village, mais qui ont été
englobés par la réserve de faune, et où la gestion étatique est présente. Se
pose alors la question de l’accessibilité et de la liberté d’action des
populations quant aux sites sacrificiels englobés dans les aires protégées.
Kaboré (2010) analyse largement cet aspect dans son étude sur l’Est du
Burkina Faso en intégrant aussi bien la position des villageois face à l’aire
protégée qui n’est plus « leur propriété absolue» que celle des gestionnaires
face à une population qui souhaite continuer certaines habitudes culturelles et
coutumières, dans un espace qui ne leur est accessible qu’en partie. Le village
de Diarkadougou se trouve dans une logique similaire à quelques différences
près. La réserve partielle de faune dans laquelle se situent les deux anciennes
aires de feu rituels, est en effet gérée par l’Etat avec la possibilité pour la
population d’y accéder et d’y effectuer des activités, qu’elles soient d’ordre
culturel ou autres, mais bien évidemment sous certaines conditions. Sous
l’autorité des agents des eaux et forêts, des mises à feu de gestion sont
effectuées en accord avec la population, suivant les orientations de gestion.
De ce fait, la mise à feu de « Sambien et kankansianré » ne s’effectuent plus
de façon culturelle, selon les principes de la coutume. La cérémonie de
brûlage annuelle n'étant plus décidée par les autorités coutumières et ne se
faisant pas selon les rituels coutumières des feux rituels, on ne pourrait parler
donc d'aires de feux rituels. Tout de même, le chef coutumier et le chef de
terre, sont tenus d'offrir des sacrifices pour conjurer un éventuel mauvais sort
qui pourrait s'abattre sur les habitants.
3. UN SYSTEME TRADITIONNEL FACE A DE NOUVELLES
REFERENCES
Après analyse des informations recueillies lors des enquêtes, il ressort
que plusieurs éléments (climatiques, végétations, sociétés), certains se
recoupant dans un même terroir et agissant parfois de façon combinée, ont
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une influence sur les pratiques des feux. Ces causes n’ont pas la même
importance et n’engendrent pas les mêmes conséquences dans les villages,
mais elles restent celles qui influencent le plus la pratique des feux. Elles
concernent les « nouvelles religions » notamment l’Islam et le christianisme,
l’immigration massive et les techniques actuelles en agriculture, les sites
englobés dans des aires protégées.
Les systèmes sacrificiels des populations des sites d’étude, ne sont pas
restés intacts dans leurs caractéristiques. Ils ont été au cours des temps,
influencés par les religions monothéistes, en particulier le christianisme et
l’islam. Ces deux religions sont celles qui ont le plus influencé les coutumes
dans leur manifestation, parce que les plus répandues et aussi relativement
moins conservatrices. Elles ont un impact et des effets limitatifs sur la
pratique des feux rituels, dans un contexte où la puissance des sociétés
coutumières est considérablement réduite et considérée comme rétrogrades.
Kaboré (2010) explique que dans la société gourmantché par exemple, le
chrétien ou le musulman est le bienvenu dans les célébrations rituelles
Gourmantché, tandis que « le païen » n’a sa place à la mosquée ou à l’église
que s’il ne déclare avoir cessé de l’être ou s’engage à le faire. Au-delà de la
société gourmantché, cela reflète bien les rapports qui existent entre les
« nouvelles religions » et la religion animiste. Cela confirme bien le propos
local de la population qui met en avant le fait que la nouvelle religion dans
laquelle ils évoluent ne les « autorise » pas à participer aux coutumes locales.
Certains d’affirmer que du moment que l’on se converti, on adopte les règles
et les lois de la religion que l’on embrasse. De prime abord, cela semble vrai
dans sa totalité, mais lorsqu’on approfondit les analyses, on se rend bien vite
compte que pour beaucoup, cela relève du discours officiel. En réalité, les
convertis aux « nouvelles » religions ne participent pas publiquement aux
manifestations liées aux coutumes, ce n’est pas pour autant qu’ils n’y croient
plus ou qu’ils ne participent pas de façon officieuse à d’autres sacrifices.
Quand on interroge la population, même celle convertie, on se rend compte
de la crainte encore présente de l’aire de feu rituel tout comme des autres
sites sacrés ainsi que des croyances qui leurs sont attribuées (présence de
génies et êtres surnaturels par exemple). C’est ce qui explique le fait que les
interdits qui entourent l’aire de feu rituel sont scrupuleusement respectés ; les
populations s’abstiennent d’y mettre le feu, avant toute mise à feu rituelle.
Dans les faits en effet, la participation à la chose publique est évitée ; par
contre, de façon individuelle, quand le besoin se fait sentir, des convertis aux
nouvelles religions ne s’interdisent pas de demander l’aide des ancêtres, à
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travers des sacrifices prescrits par les garants des coutumes. L’influence des
nouvelles religions a certes modifié la pratique des feux rituels, en
l’occurrence dans la participation à la manifestation collective qui
accompagne le rituel, mais n’a pas supprimé le rituel en lui-même.
L’immigration massive et les systèmes agro-pastoraux actuels, influencent la
pratique des feux rituels. En effet, l’augmentation de la population due aussi
bien au croît naturel qu’aux migrations ainsi que l’expansion des systèmes
agropastoraux demandeurs d’espaces, affectent les pratiques de feux. A Pana,
selon les dires des populations et selon nos observations durant les trois
années d’enquêtes, l’augmentation continue des surfaces mises en culture de
rente essentiellement, a eu un impact sur la pratique des feux rituels.
L’urbanisation pourrait également être un facteur de modification des
pratiques de feux mais elle n’est pas très importante au Burkina Faso.
L’urbanisation a une influence sur la culture traditionnelle car plus le village
se modernise plus certaines habitudes traditionnelles se perdent.
Par rapport aux sites englobés dans les aires protégées, plusieurs cas
s’observent quant à leur accessibilité et à la liberté d’action des populations.
Ces cas varient en fonction du statut du domaine classé et de la localité.
L’évolution de la politique sur les aires protégées au Burkina Faso, est
marquée par la restriction de plus en plus forte des possibilités d’entrer dans
les aires de faune (Kaboré, 2010). De nos jours, dans certaines régions, la
différence n’est plus vraiment faite entre les réserves partielles et les autres
catégories d’aires protégées. Dans la réserve partielle de Diarkadougou, la
population déclare y accéder. Cela ne signifie pas pour autant qu’il est
possible d’y faire ce que l’on veut. C’est ce que nous avons pu remarquer à
travers la modification des pratiques des feux rituels dans la réserve partielle.
Le site, bien qu’accessible n’autorise pas de brûler annuellement ; seul le
sacrifice offert aux divinités subsiste.
CONCLUSION
La distribution des feux est régie par les conditions climatiques qui
déterminent le type de végétation propice au passage des feux de brousse. Les
communautés rurales, à travers leurs activités et leurs croyances déclenchent
les feux mais, de nombreux facteurs influencent son déroulement. Les
sociétés interviennent sur le milieu à travers les systèmes de production, les
politiques de gestion et d’aménagement. Elles créent une structuration
spatiale du milieu qui conditionne la distribution des feux. Toute
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modification paysagère entraîne de fait, une modification dans la propagation
des feux. Au-delà de cette mutation des structures paysagères, le système
même des sociétés traditionnelles dans lequel le feu trouve son importance a
été modifié au fil du temps. Cela a eu des répercussions sur la pratique des
feux de brousse, aussi bien agricoles que rituels. C’est ainsi que dans le cas
des feux agricoles et pastoraux, on note la précocité ou l’absence totale de feu
Pour les feux rituels, certains sites jadis utilisés pour cette pratique se voient
« réaffectés » à d’autres fins. Par ailleurs, la mise à feu rituelle s’adapte au
contexte socio-politico-économique actuel de chaque terroir. L’Etat, les
religions importées, le pouvoir économique sont autant de nouveaux
systèmes référentiels qui remettent en question, dans certains villages, la
pratique des feux de brousse aussi bien agropastoraux que rituels.
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