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1 Julia Mazza Université Paris-Diderot Paris 7 Master Histoire et civilisations comparées Spécialité : Ville, Architecture, Patrimoine LA CULTURE DES FRUITS « A LA MONTREUIL. » REFLEXIONS SUR LE PATRIMOINE IMMATERIEL. Mémoire de Master 2 dirigé par Mme Laurence Gillot et codirigé par Mme Liliane Pérez. Soutenu le 18 juin 2013. Palissage à la loque, années 1930. SRHM Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement

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Julia Mazza

Université Paris-Diderot – Paris 7

Master Histoire et civilisations comparées

Spécialité : Ville, Architecture, Patrimoine

LA CULTURE DES FRUITS « A LA MONTREUIL. »

REFLEXIONS SUR LE PATRIMOINE IMMATERIEL.

Mémoire de Master 2 dirigé par Mme Laurence Gillot et codirigé par Mme Liliane Pérez.

Soutenu le 18 juin 2013.

Palissage à la loque, années 1930. SRHM Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement

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R E M E R C I E M E N T S

Ce mémoire marque la fin de ma formation universitaire et à travers lui je voudrais

remercier ceux qui en ont fait partie. J’adresse tout d’abord ma reconnaissance aux

professeurs qui m’ont offert une formation passionnante. Je tiens ensuite à remercier Mme

Anne-Emmanuelle Demartini pour m’avoir introduite à l’histoire culturelle et à l’histoire des

sensibilités, deux disciplines qui ont été déterminantes dans ma manière d’aborder l’histoire.

Elle a dirigé mes recherches de l’année dernière, m’a conseillée et a toujours été

encourageante. Ayant changé de spécialité, je n’ai pu la remercier officiellement et je me

permets de le faire ici. Enfin, j’adresse mes plus sincères remerciements à Mme Laurence

Gillot, ma directrice de mémoire, pour sa pédagogie, la clarté et l’intérêt de ses

enseignements. Je la remercie de m’avoir encadrée toute l’année durant et d’avoir été

attentive à mon travail. Mais surtout, je la remercie d’avoir été si compréhensive et patiente

car la ponctualité n’est pas ma plus grande qualité. Je suis très heureuse de pouvoir profiter

de ces quelques lignes afin de lui présenter toutes mes félicitations pour l’arrivée d’un

nouveau bonheur dans sa vie.

Je tiens également à remercier Philippe Schuller, secrétaire général de la Société

Régionale d’Horticulture de Montreuil, qui fait vivre le savoir-faire horticole. Il a été

disponible et m’a aidée à comprendre des techniques horticoles qui ne m’étaient absolument

pas familières. J’adresse à Bernard Guicheteau ma reconnaissance pour ses connaissances, sa

sympathie et sa passion pour la culture des fruits. Grâce à lui, j’ai découvert le goût d’une

vraie pomme.

Enfin, de manière plus personnelle et intime, je remercie tous mes amis qui m’ont

supportée et soutenue toujours avec humour et sincérité. J’ai une pensée toute particulière

pour Inès, ma sœur de cœur depuis tant d’années, Isabelle à qui je ressemble tant même si

vingt-ans nous séparent, Martine et André Clair, les « Thénardier de la comptabilité publique

», qui m’ont fait confiance sans jamais oublier d’être bienveillants à mon égard. Je remercie

ma famille et plus spécialement ma tante et mon « parrain » attentifs et toujours

encourageants. Et pour terminer, je tiens à remercier avec énormément d’émotion mon père,

cet homme si drôle qui, même s’il ne comprend pas l’intérêt de mes recherches, a toujours été

fier de moi. Ma mère, d’une patience inouïe, qui cherche inlassablement à faire comprendre à

ce dernier l’intérêt de mes recherches et avec qui je partage tant… Et, au milieu de tout ce

monde, mon frère qui écoute, se questionne et fait son chemin en apprenant la sagesse…

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S O M M A I R E

REMERCIEMENTS ………………………………………………………………………. 3

INTRODUCTION ………………………………………………………………………….. 9

C H A P I T R E I.

Cultiver « à la Montreuil » : De la gloire horticole à l’avènement d’un patrimoine

culturel immatériel.

1. « Montreuil est un village à deux lieues de Paris, où la culture des arbres fruitiers est

portée à la perfection. » …………………………………………………………………… 18

Cultiver « à la Montreuil. » ………………………………………………………………… 19

Cultiver à Montreuil. ……………………………………………………………………….. 23

Montreuil aux pêches ……………………………………………………………………….. 24

2. Transmission, rupture et redécouverte. ……………………………………………….. 27

Vers un déclin de la pratique. ………………………………………………………………. 27

Ruptures, recherches et évolutions. ………………………………………………………… 29

Le non-respect d’une continuité générationnelle …………………………………………… 31

3. Reconnaissance d’un patrimoine culturel immatériel. …………………………….…. 34

Patrimoine naturel, patrimoine horticole ou patrimoine culturel immatériel ? ……………. 35

Qui pour transmettre quoi aujourd’hui ? ………………………………………………...… 38

C H A P I T R E II.

Culture traditionnelle et environnement durable.

1. L’éveil des consciences environnementales en ville. ……………………………..…… 42

Du rejet de l’urbanisation au classement des murs… …………………………………….... 42

Vers un projet agri-urbain. ……………………………………………………………...….. 45

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2. Paysage, nature et culture traditionnelle. ………………………………………...…… 49

Esthétique naturelle du paysage. …………………………………………………………… 49

Cultiver sainement et restaurer l’humus. ……………………………………………..……. 51

Palisser des pêchers, tailler des pommiers et manger des fruits. ………………………...… 53

3. Les temporalités d’une culture traditionnelle. ………………………………………... 55

La lenteur de la culture. …………………………………………………………………….. 55

Le PCI : Un patrimoine tourné vers l’avenir. …………………………………………….… 57

C H A P I T R E III.

Faire vivre les murs à pêches : Le choix de la patrimonialisation

1. Le classement des murs : L’illusion d’une juste sauvegarde. ……………………...… 61

Une protection indéniable… ……………………………………………………….……….. 61

… Mais contraignante… ………………………………………………………...………….. 63

… et rattrapée par la perte des usages. …………………………………………….………. 64

2. L’apport du patrimoine culturel immatériel dans la sauvegarde des murs. ……...… 66

Des murs de sens… ………………………………………………………………………..... 66

… Et entretenus… ………………………………………………………………….……….. 69

… Pour une meilleure visibilité du patrimoine. ……………………………………………. 71

3. Patrimonialiser l’immatériel : Le choix de la communauté ? …………………...…… 73

La légitimité du groupe : interprétation de la notion de « communautés. » ……………..… 74

Sauvegarde ou fixation ? Un patrimoine entre ruptures et continuités. ………………..……76

CONCLUSION ……………………………………………………………………………. 78

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ANNEXES …………………………………………………………………………...……. 81

Annexe I. – L’outil « mur à pêche » ………………………………………………………… 82

Annexe II. – Cultiver « à la Montreuil. » …………………………………………………… 83

Annexe III. – Fruits marqués. ……………………………………………………………..... 85

Annexe IV. – Adaptations contemporaines du savoir-faire. ………………………...……… 86

Annexe V. – Evolution des murs. ……………………………………………………..…….. 87

Annexe VI. – Pêchers, pommiers, poiriers. ………………………………..……………….. 88

Annexe VII. – Manifestations et activités. ………………………………………………….. 89

Annexe VIII. – Projet agri-urbain. ……………………………………………………...….. 90

Annexe IX. – Dépliant sur les murs à pêches. …………………………………..………….. 92

Annexe X. – Dépliant de la SRHM. ………………………………………………….…….. 94

Annexe XI – Localisation des associations et des jardins partagés dans le secteur des murs à

pêches. ……………………………………………………………………………………… 96

ETAT DES SOURCES …………………………………………………………….……… 97

BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………………… 99

SITOGRAPHIE ………………………………………………………………………...... 102

FILMOGRAPHIE ……………………………………………………………….………. 103

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I N T R O D U C T I O N

« Il n’y a pas de technique et pas de transmission,

s’il n’y a pas de tradition.

C’est en quoi l’homme se distingue avant tout des animaux. »

– Marcel Mauss1

« Le paysage des murs à pêches résulte d’une activité horticole historique.

Il est entièrement fabriqué par elle et ne se justifie que par elle.

La question qui se pose concernant la pérennité du paysage

des murs, revient à poser la question de la pérennité des usages. »

– Gilles Clément2

« La Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la

science et la culture ci-après dénommée « l’UNESCO », réunie à Paris du vingt-neuf

septembre au dix-sept octobre 2003 en sa 32ème

session (…) Considérant l’importance du

patrimoine culturel immatériel (…) Adopte, le dix-sept octobre 2003, la présente

Convention3. » C’est officiel, le patrimoine prend une nouvelle dimension. Travaillant hier à

l’installation de la nation et à la célébration d’une culture nationale, il est aujourd’hui à la

faveur des extensions patrimoniales. Sous-entendant la notion de transmission, le patrimoine

tient désormais compte des éléments « non matériels » à « faire-passer. » Il concerne

communément « les biens dont une personne dispose et qu’elle transmet par le mécanisme de

la dévolution successorale » et « le bien commun, le trésor collectif qu’un groupe humain

revendique pour sien, et que, par une alchimie singulière, il déclare avoir hérité du passé pour

le transmettre aux générations futures4. » En ce sens, il est évident que l’UNESCO ne pouvait

se restreindre à une Convention ne tenant compte que des « chefs d’œuvre de l’humanité »

réduisant « le bien commun, le trésor collectif » aux seuls édifices.

La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel s’est construite

lentement, en réaction à celle de 1972 sur les « chefs d’œuvre de l’humanité » mais non sans 1 M. MAUSS, Sociologie et anthropologie, 1950, 1934, p. 134.

2 Les mots sont ceux du paysagiste Gilles Clément s’exprimant dans une lettre sur l’avenir des murs à pêches de

Montreuil. Voir M. MARTINEZ, P. DESGRANGES, P. PETITJEAN, Commission extra-muncipale sur

l’aménagement du secteur des murs à pêches, Rapport final, 2009, p. 32. 3 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, Préambule, Paris, le 17 octobre 2003.

4 Voir J-L. TORNATORE, « L’esprit de patrimoine », Terrain, n°55, 2010, p. 108.

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dissensions. Rieks Smeets – premier secrétaire de la Convention pour la sauvegarde du

patrimoine culturel immatériel (PCI) – rappelle que déjà en 1973 la Bolivie propose d’ajouter

une mention à la Convention afin de veiller à une protection du folklore5. L’Unesco et

l’Organisation mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) réfléchissent à cette possibilité

et élaborent en 1985 des « dispositions types de législation nationale sur la protection des

expressions du folklore contre leur exploitation illicite et autres actions dommageables. »

Mais chaque organisme campant sur des idées personnelles et déterminées, cette résolution

n’aboutit à rien de concluant. En 1989, la Conférence générale de l’Unesco adopte une «

Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire » et, dès lors, les

initiatives liées à un patrimoine encore mal défini ne cessent de s’enchaîner. En effet, en 1992

est créée une section dédiée au « patrimoine non physique », l’année suivante un programme

des « Trésors humains vivants » est envisagé même si non retenu et en 1997 l’Unesco, appuyé

par le Japon, crée le programme de « Proclamation des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et

immatériel de l’humanité. » Mais l’expression « chefs d’œuvre » dérange, induisant une

hiérarchisation des pratiques et il a donc fallu trouver les termes justes pour désigner cette

nouvelle acceptation patrimoniale. Dans son étude « Anti-Monumental ? Actualité du

patrimoine culturel immatériel6 », le conservateur du patrimoine Christian Hottin se demande

si le PCI, par son nom, se définirait forcément en opposition au patrimoine matériel. Alors

que l’on parle tantôt de « folklore » pour qualifier péjorativement une notion encore

méconnue, tantôt de « culture traditionnelle et populaire » ou encore de « patrimoine vivant »,

l’expression « patrimoine immatériel » s’officialise enfin en 1993. Par « immatériel », on

entend « que l’on ne peut toucher » mais il n’est pas rare que des confusions soient encore

faites en ayant recours à l’expression « intangibilité du patrimoine. » Cette confusion

viendrait de l’anglais « intangible heritage », traduction de « patrimoine immatériel », mais

dont l’emploi en français n’est pas exact. « Intangible » se traduit par « impalpable » alors

qu’en français « intangible » signifie « qu’on doit laisser intact, à quoi l’on ne doit pas

toucher, immuable.7 » Et nous le verrons tout au long de cette étude, le patrimoine culturel

immatériel est en permanente évolution, s’opposant alors à la notion d’intangibilité. S’il ne

peut être touché, il n’en subira pas moins des changements, des renouvellements au fil du

5 R. SMEETS, « Deux nouvelles listes et un nouveau registre pour le patrimoine culturel immatériel. », in C.

HOTTIN (Dir.), Le patrimoine culturel immatériel : premières expériences en France, n°25, Paris, 2011, pp.

220-224. 6 C. HOTTIN, « Anti-monumental ? Actualité du patrimoine culturel immatériel », Monumental, semestriel 1,

2008, pp. 70-73. 7 C. KHAZNADAR, « Avant-propos », in HOTTIN (Dir.), Op. Cit., p. 12.

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temps car il prend en compte la manière de vivre des individus qui n’est évidemment jamais

immuable et qui évolue en permanence.

La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel aboutit

finalement en 2003 et à l’Unesco d’en proposer une définition canonique. Selon l’article 2,

« on entend par « patrimoine culturel immatériel » les pratiques, représentations, expressions,

connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels

qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus

reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. » Le patrimoine culturel

immatériel est porté par les communautés, contrairement au patrimoine mondial de

l’humanité. Ni les Etats, ni les institutions culturelles, ni même les experts scientifiques n’ont

de légitimité à ordonner la patrimonialisation d’une pratique si les communautés ne la

reconnaissent pas en tant que patrimoine. Ces pratiques et autres savoir-faire doivent par

ailleurs être recrées en permanence par les communautés afin de laisser entrevoir l’aspect

vivant et évolutif du PCI faisant ainsi osciller la définition entre enracinement dans le passé et

recréation permanente. Les principes de la Convention émanant de l’Unesco – et par

extension de l’ONU – doivent être en accord avec les droits de l’homme, « dans le respect

mutuel entre communautés, groupes et individus » et doivent se conformer au concept de

« développement durable. »

L’objectif de la Convention est d’apporter une nouvelle vision du monde et de l’avenir

de l’homme en permettant de mieux connaître des pratiques et savoir-faire transmis de

générations en générations et témoignant de l’identité de tous et de chacun. La Convention a

pour but de protéger juridiquement un patrimoine enfin reconnu à l’échelle internationale.

Elle redonne surtout la parole aux communautés dans une volonté de rééquilibrage culturel,

géographique et diplomatique quant aux éléments inscrits sur les listes. En effet, la

Convention de 1972 trahissant une suprématie des pays des nords géographiques et

économiques, celle de 2003 offre la possibilité aux pays des suds de faire valoir leurs

éléments culturels. Par extension, elle reconnaît ainsi « que les processus de mondialisation et

de transformation sociale (…) font peser de graves menaces » et que le PCI permettrait « un

dialogue renouvelé entre les communautés8. » L’angoisse de l’uniformisation du monde

pousse alors à promouvoir la diversité des patrimoines, la diversité des « petites patries9 » qui

sont ces communautés davantage restreintes et localisées. L’inscription sur les listes de

8 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, Préambule, Paris, le 17 octobre 2003.

9 A-M. THIESSE, « Petite et grande patrie », in J. LE GOFF (Dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris,

1998, p. 71.

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l’Unesco des pratiques et savoir-faire français comme le Fest-noz – rassemblement festif

breton – le Maloya – forme de chant, de musique et de danse de la Réunion – le cantu in

pagjella – chants corses profanes et liturgiques – ou encore la dentelle au point d’Alençon –

technique d’ornementation venue de Normandie – confirme l’intérêt porté aux éléments

régionaux.

Dans la même lignée, nous avons voulu nous attacher à l’étude d’un savoir-faire

localisé ; celui de la culture des fruits à Montreuil. Cinquième ville d’Île-de-France par son

nombre d’habitants – 103 192 au 1er

janvier 2012 – et située en Seine-Saint-Denis, la ville

semble être davantage le territoire des grands ensemble que de l’horticulture. Pourtant, elle a

joui d’un passé horticole glorieux, alimenté par le discours de l’Abbé Schabol, ecclésiastique

jardinier, qui a attribué tout le savoir-faire lié à la pratique horticole de Montreuil à ses

horticulteurs. Ce « mythe des origines » ainsi que la pratique horticole de la ville ont été très

étudiés en histoire. Reynald Abad a ainsi pu mettre en évidence l’importance de la production

de fruits à Montreuil venant remplir les marchés parisiens10

et Florent Quellier s’est évertué à

étudier l’arboriculture en Île-de-France établissant des relations entre les hommes, la terre et

les fruits comme témoignant des pratiques mentales et alimentaires des individus11

. Ces

auteurs ont analysé les murs à pêches en tant qu’outil principal de culture des fruits « à la

Montreuil » et se sont attachés à la description d’un territoire quadrillé qui a assuré la gloire

de la ville. En effet, en tant que murs de plâtre disposés stratégiquement, ils ont la capacité de

capter un maximum d’ensoleillement et, ainsi, les arbres apposés aux murs pouvaient

bénéficier de la chaleur du soleil emmagasinée le jour et restituée progressivement la nuit. Le

savoir-faire des horticulteurs attaché à ces murs a permis une pratique horticole intensive

débouchant sur une production remarquable de 272 tonnes de fruits encore en 194212

. Par le

palissage, les branches sont maintenues et soutenues sur le mur de plâtre grâce à un morceau

de tissu appelé loque. Se déploient alors des arbres sans axe central mais formant un « V »

constitué par les branches. D’autres techniques viennent renforcer le savoir-faire des

horticulteurs comme les conduites des arbres en espalier et l’embellissement du fruit qui

deviennent des spécificités de la ville. Par l’ensachage, qui consiste à mettre un sac autour du

fruit pour le protéger, ce dernier se développe lentement pour mieux se colorer ensuite aux

premiers rayons du soleil lorsque le « préservateur » sera enlevé. Le marquage viendra ensuite

10

R.ABAD, Le grand marché, L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, 2002,

700 p. 11

L’auteur parle d’un « statut psychosociologique du fruit » pour montrer qu’ « une étude des cultures fruitières

ne peut se comprendre sans une référence aux sensibilités alimentaires. » F. QUELLIER, Des fruits et des

hommes, l’arboriculture fruitière en Île-de-France (vers 1600-vers 1800), Rennes, 2003, pp.13-14. 12

A. AUDUC, Montreuil, Patrimoine horticole, Paris, 1999, p. 24.

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tatouer les fruits pour les signer, les dédicacer et les rendre beaux. Ce sont donc tous ces

éléments qui définissent la culture des fruits « à la Montreuil » comme nous la dénommerons

au cours de cette étude.

Nous parlerons de « techniques » comme d’un ensemble des méthodes qui témoignent

du « savoir-faire » des horticulteurs. Ainsi, ce savoir-faire sera la mise en application des

techniques perfectionnées. Et nous parlerons de culture « à la Montreuil » pour désigner la

production de fruits grâce à la mise en pratique des savoir-faire et techniques caractéristiques

– à savoir le palissage à la loque, la conduite des arbres, l’ensachage et le marquage –

permettant la production de fruits. Afin d’éviter les redondances, nous parlerons de culture

traditionnelle ou de pratique horticole traditionnelle – puisqu’issue du passé et subsistant dans

le présent – pour renvoyer évidemment à la culture des fruits « à la Montreuil », alors que

nous parlerons simplement de pratique horticole pour désigner plus généralement une

production de fruits sur un territoire.

Que reste-t-il alors à faire sur cette histoire horticole ? Que reste-t-il à dire des murs à

pêches si leur usage a déjà été mis en évidence ? Que reste-t-il à expliquer des savoir-faire des

horticulteurs montreuillois s’ils ont déjà été analysés ? Il reste évidemment à étudier la

transmission d’un patrimoine, son intérêt et son engouement pour les contemporains. En effet,

les murs à pêches, par leur réalité matérielle, ont été l’élément permettant de lier ce qui a

subsisté physiquement dans le présent au passé. L’histoire horticole de Montreuil se note dans

son territoire quadrillé qu’ont formé les murs et, de ces restes les communautés voient tout

d’abord un patrimoine naturel formés de parcelles de plâtre et de verdure. Puis, un patrimoine

dit horticole surgit dans les mentalités contemporaines établissant une corrélation entre les

murs et une pratique de l’horticulture. Progressivement la question est alors posée de la

sauvegarde des 38 hectares de murs ayant survécu à l’urbanisation dans le quartier des Hauts-

de-Montreuil, aujourd’hui appelé Saint-Antoine-Murs-à-pêches. Quelques parcelles de murs

sont, aujourd’hui encore, toujours consacrées à la culture palissée des arbres pendant que

d’autres s’effritent et tombent. La question des usages des murs justifiant leur existence en

tant qu’outil de culture se pose de fait. La relation confirmée entre les murs et la pratique

traditionnelle, les communautés – regroupées en associations – témoignent de la volonté de

sauvegarder le savoir-faire afin de donner un sens à ces murailles abandonnées. Et, parlant

autrefois de patrimoine horticole pour faire référence à la pratique dans son sens général ou de

patrimoine naturel pour faire référence aux restes de murs à pêches visibles sur le territoire,

ces mêmes communautés parlent désormais de patrimoine immatériel renvoyant ainsi au

savoir-faire des horticulteurs montreuillois. Il semblerait que le terme « immatériel » donné

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par l’Unesco apporte la désignation nécessaire afin que les communautés s’y retrouvent dans

ces patrimoines – naturel, horticole et immatériel – liés, ici, les uns aux autres.

Cette lente acceptation et appropriation du terme de PCI est sans doute dû au fait que

la France n’a ratifié la Convention qu’en 2006. Le pays paraît alors bien mal à l’aise avec la

définition donnée par l’Unesco dont « elle ne sait pas si c’est du lard ou du cochon13

. »

Malgré la mise en place d’inventaires nationaux devant rendre compte du PCI en France,

l’intérêt porté à cette nouvelle acceptation patrimoniale n’est véritablement célébré qu’en

2010 par Frédéric Mitterrand qui a « montré son attachement à la Convention en célébrant

dans les salons du ministère rue de Valois, l’inscription sur chacune des listes de la

Convention d’une forme d’expression spectaculaire14

. » Depuis, les ouvrages consacrés à

l’étude du patrimoine culturel immatériel se sont particulièrement axés sur l’histoire et l’étude

de la Convention elle-même ou, tout au plus, sur sa mise en pratique au niveau national.

Parmi eux, le très bel ouvrage collectif dirigé par Christian Hottin compilant les travaux de

conservateurs, d’ethnologues, d’ingénieurs au CNRS et autres directeurs d’associations

attachés au PCI15

. Leurs opinions et réflexions apportent un cadre essentiel à la

compréhension de la Convention de l’Unesco. Cependant, les études concernant l’apport du

patrimoine immatériel à la perception et à l’évolution du concept même de patrimoine se font

rares. Et celles sur le lien entre l’histoire et une nouvelle approche patrimoniale sont quasi

inexistantes. Dans son Histoire du patrimoine en Occident paru trois ans après la Convention

de l’Unesco, Dominique Poulot, pourtant spécialiste de la question, ne mentionne qu’une

seule fois le patrimoine culturel immatériel en disant simplement qu’il existe aujourd’hui un

« impératif de conservation de l’héritage, matériel et désormais immatériel16

. » La même

année pourtant, Mariannick Jadé propose une étude approfondie du patrimoine immatériel

ouvrant ainsi le champ des possibles aux recherches à venir. En définissant le patrimoine

immatériel comme un concept – et non comme une « notion » floue ou une « définition »

exclusive – elle fait de cette nouvelle acceptation patrimoniale un élément en construction et

en évolution.

13

C.KHAZNADAR, Op. Cit,. p. 16. 14

C. KHAZNADAR, Op. Cit., p. 22. 15

L’ouvrage recense les remarques de Cécile Duvelle, Chef de la Section du patrimoine culturel immatériel de

l’Unesco, mais aussi de Sylvie Grenet, ethnologue et chargée de mission pour le patrimoine culturel immatériel

au département du Pilotage de la Recherche et de la Politique scientifique, de Véronique Ginouvès, Ingénieure

de recherche CNRS au sein de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme ou encore de Charles

Quimbert, Directeur de Datsum, association qui a pour but de recenser et collecter le PCI de Bretagne. Voir C.

HOTTIN (Dir.), Le patrimoine culturel immatériel : premières expériences en France, Paris, 2011. 16

D. POULOT, Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIe – XXI

e siècles, Paris, 2006, p. 156.

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Nous prendrons donc le patrimoine immatériel définit de façon duelle : a priori et a

posteriori. En effet, comme le souligne si justement Mariannick Jadé « comme le patrimoine

immatériel se construit à partir de l’observation d’un phénomène dans l’espace réel, il est

donc a posteriori. Mais il est aussi a priori car en tant que pure abstraction intellectuelle, il

sert par la suite à analyser, à regrouper, à comparer l’existence de ces phénomènes dans

d’autres contextes17

. » De ce fait, il s’agira de voir ce qu’apporte la définition de PCI –

donnée par l’Unesco – aux communautés de Montreuil, leur permettant ainsi d’ériger la

culture des fruits « à la Montreuil » comme un élément de leur patrimoine. Même si la culture

des fruits « à la Montreuil » ne figure pas sur les inventaires nationaux, le sentiment

patrimonial existe – et on parlera alors de « mise en patrimoine » par les communautés –

alors que nous parlerons de « patrimonialisation » pour désigner une mise en patrimoine

étatique et juridique. Il s’agira aussi de voir ce que l’appropriation de la définition donnée par

l’Unesco peut apporter à l’évolution de la définition conventionnelle actuelle de patrimoine

immatériel. Cette dernière ne sert que de référence normative, de cadre législatif mais le

patrimoine immatériel en tant que concept est porté par des communautés inscrites dans des

réalités qui évoluent. Ainsi, par cette étude de la culture des fruits « à la Montreuil » en tant

que patrimoine immatériel, il s’agira d’apporter des éléments de compréhension au patrimoine

immatériel et d’ouvrir sur de nouvelles interprétations du patrimoine immatériel. En ce sens,

qu’est ce que le PCI de l’Unesco apporte à l’étude de la culture des fruits « à la Montreuil » et

qu’est-ce cette pratique en tant que patrimoine immatériel apporte au concept même de

patrimoine ?

Ainsi et afin de mener à bien cette étude nous partirons toujours de la définition

canonique afin d’étudier la culture des fruits « à la Montreuil » et, de cette étude, nous

élargirons à l’interprétation du concept de patrimoine immatériel. Il s’agira dans un tout

premier temps – et selon le début de la définition donnée par l’Unesco – de voir en quoi la

culture des fruits « à la Montreuil » peut être considérée comme un patrimoine immatériel. Le

savoir-faire des horticulteurs et la pratique horticole ne sont pas nouveaux mais évoluant avec

les réalités historiques, sociales et économiques, ils se sont transformés et adaptés. Nous

essaierons de rendre compte de l’histoire de la pratique, du savoir-faire mais aussi de sa

transmission et de son état actuel. Nous étudierons ainsi le processus de prise de conscience

patrimoniale, de la pratique horticole spontanée à l’avènement d’un patrimoine immatériel.

Puis, nous avancerons un peu plus loin dans la définition de l’Unesco qui établit une relation 17

M. JADE, Patrimoine immatériel, perspectives d’interprétation du concept de patrimoine, Paris, 2006, p. 19.

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16

sérieuse entre le patrimoine immatériel et le développement durable. La culture des fruits « à

la Montreuil » semble trouver sa justification dans les projets de sauvegarde au moment

même où l’on commence à entrevoir les limites des ressources naturelles et que l’on

s’intéresse plus particulièrement au « mieux-être » plutôt qu’au « plus avoir. » Enfin, dans un

dernier temps, nous proposerons une étude sur le « choix » du patrimoine. Tout d’abord, nous

nous attacherons à étudier le choix de ce que l’on veut mettre en patrimoine à celui de ce que

l’on décide de patrimonialiser. Puis, nous insisterons sur le choix de la patrimonialisation

désormais possible entre une matérielle et une immatérielle. Nous essaierons alors de voir ce

que chacune à leur manière apporte et contraint forçant ainsi à se questionner sur ce que l’on

veut transmettre aux générations futures. Enfin, nous ne pourrons faire l’impasse sur

l’importance du rôle et du choix des communautés nous permettant de nous demander si

l’élément porté en patrimoine est révélateur du patrimoine de tous ou d’un patrimoine

restreint et imposé à tous.

Page 17: Memoire Pci Map

17

C H A P I T R E I.

Cultiver « à la Montreuil » : De la gloire horticole à l’avènement

d’un patrimoine culturel immatériel.

Page 18: Memoire Pci Map

18

La Convention de l’Unesco sert de cadre au patrimoine culturel immatériel en lui

donnant une définition consentie par les Etats parties. Sont considérés comme PCI, les

« pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les

instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés. » Mais plus encore,

ces éléments essentiels au concept de patrimoine immatériel doivent être anciens, enracinés

dans les communautés depuis plusieurs générations afin de garantir un processus de

transmission continu de générations en générations et doivent être en recréation permanente

afin de s’adapter au présent. Enfin, et c’est sans doute la spécificité de cette nouvelle

acceptation patrimoniale, les communautés sont porteuses de ces pratiques qui leur procurent

un sentiment d’identité et de continuité. La culture des fruits « à la Montreuil » correspond à

une pratique datant de plusieurs siècles et transmise par des horticulteurs désireux de l’adapter

continuellement aux nécessités contemporaines. Mais la quasi disparition de la pratique

horticole dans la ville à un moment de l’histoire, pourrait remettre en cause la définition

donnée par l’Unesco, contestant ainsi le principe de continuité générationnelle. Pourtant, les

communautés – que nous définirons par la suite – considèrent le savoir-faire lié à la culture

des fruits comme le témoin du génie des cultivateurs montreuillois appliqué à une pratique de

l’horticulture spécifique, le tout faisant partie de leur patrimoine culturel.

1. « Montreuil est un village à deux lieues de Paris, où la culture des arbres fruitiers est

portée à la perfection18

. »

La production de fruits à Montreuil est rendue possible grâce à l’ingéniosité des

horticulteurs ayant su adapter leur territoire à une technique de culture particulière. La culture

des arbres fruitiers palissés sur des murs de plâtre devient la spécificité de la ville – malgré

des discordes sur son origine même – grâce à son intensification et son extension rapide

accomplissant l’âge d’or horticole de Montreuil.

18

R. SCHABOL, La théorie et la pratique du jardinage, Paris, 1770, p.93.

Page 19: Memoire Pci Map

19

Cultiver « à la Montreuil. »

La culture des jardins fruitiers se théorise à la fin du XVIIème siècle lorsque

l’agronome et jardinier, Jean-Baptiste de La Quintinie rédige son Instruction pour les jardins

fruitiers et potagers qui, publiée à titre posthume en 1690, s’impose comme une référence en

matière de traité d’arboriculture. Créateur du Potager du roi Louis XIV à Versailles, La

Quintinie y définit les caractères fondamentaux de la pratique du jardinage et de

l’horticulture, mettant par exemple en évidence le rôle de la sève dans la croissance et la

fructification des arbres fruitiers. Dès lors, et tout au long du XVIIIème siècle, se multiplient

les ouvrages dédiés au jardinage notamment dans la seconde moitié du siècle. La période

1751-1800 marque l’apogée de la production des traités d’arboriculture avec plus d’une

cinquantaine de travaux rédigés pour seulement douze de 1701 à 175019

. Parmi bon nombre

d’essayistes de cette époque, les ecclésiastiques, développant un goût prononcé pour le

jardinage, investissent la littérature horticole. L’engouement est tel que l’historien des

pratiques alimentaires Florent Quellier parle d’un « habitus ecclésiastique » pour désigner la

participation active et régulière des curés en matière d’ouvrages agricoles20

. L’abbé Roger

Schabol est l’un de ces hommes du clergé passionné et intrigué par le jardinage et l’une de

nos premières sources sur la connaissance de la pratique horticole à Montreuil. Il s’en fait

d’ailleurs le promoteur allant jusqu’à attribuer à ce village l’invention d’un savoir-faire

unique et particulier. « Montreuil est un village à deux lieues de Paris où la culture des arbres

fruitiers est portée à la perfection. Ses habitants sont les seuls qui jusqu’ici ayent entendu la

direction de la sève dans le gouvernement des végétaux. Leur savoir et leur pratique sont

fondés sur une physique expérimentale plus parfaits, j’ose le dire, que les spéculations

renfermées dans les écrits des physiciens les plus profonds. Ceux-ci ont mis sur le papier leurs

idées et leurs pensée, sans trop s’enbarrasser si elles pouvoient cadrer avec la pratique, au-lieu

que ceux-là ne travaillent que d’après un systême le plus lié et le plus suivi qui fut jamais21

Les sources écrites ne permettent pas de remonter plus loin que le discours de l’abbé afin

d’affirmer que la technique, apparemment révolutionnaire pour les contemporains, soit

véritablement née à Montreuil. Florent Quellier affirme d’ailleurs le trop grand crédit attaché

à Schabol nourrissant ainsi l’imaginaire des XVIIIe et XIX

e siècles et faisant de ce petit

19

F. QUELLIER, Des fruits et des hommes. L’arboriculture fruitière en Île-de-France, (vers 1600 – vers 1800),

Rennes, 2003, p. 30. 20

F. QUELLIER, G. PROVOST (Dir.), Du Ciel à la terre, clergé et agriculture, XVIe-XIX

e siècles, Rennes,

2008, pp. 28-31. 21

R. SCHABOL, Op. Cit., p. 93.

Page 20: Memoire Pci Map

20

village de campagne le berceau d’une horticulture singulière. Mais, notre but n’est pas

d’apporter des éléments de recherche supplémentaires afin d’attester ou d’infirmer les

origines montreuilloises de la pratique. Il s’agit plutôt d’observer comment, à partir de ces

écrits et du développement de l’horticulture sur ce territoire, les contemporains n’ont eu de

cesse d’alimenter ce « mythe » des origines faisant de cette pratique une caractéristique de la

ville. En 1785, dans son ouvrage consacré à l’agriculture, l’Abbé Rozier dit citer le canton de

Montreuil « que parce qu’il est rempli de jardins où on cultive, avec le plus grand succès, les

arbres fruitiers, et qu’il seroit à désirer que tous les jardiniers qui se destinent à la même

branche d’économie, y eussent fait, avant de suivre cette culture, un apprentissage de

quelques années22

. » Au siècle suivant, les origines de la pratique sont toujours attribuées à

Montreuil, en attestent les mots de l’horticulteur Jean Mozard. « Il est impossible – dit-il – de

traiter de la culture du pêcher, sans que Montreuil s’offre à la pensée, et sans éprouver le

besoin de le présenter comme le premier des modèles. C’est là que cette culture a été portée

par le talent du cultivateur à un degré de perfection qui étonne et les nationaux et les

étrangers23

. » Aujourd’hui encore, la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil (SRHM)

insiste sur une pratique propre à la ville puisqu’« au fil des années, les cultivateurs de

Montreuil perfectionnent leurs techniques » et qu’un « véritable savoir-faire se développe

autour de la culture dans les murs à pêches24

. »

Ces derniers sont l’élément principal de l’horticulture montreuilloise. En effet, déjà à

la fin du XVIIIème siècle, Schabol faisait mention des « enclos de Montreuil » dans lesquels

les « habitant ont imaginé de partager leur terrein par carré et d’y pratiquer des murailles en

tout sens25

. » Ces murs d’une hauteur d’environ 2,70 à 3 mètres pour une trentaine de

centimètres d’épaisseur, s’affinent vers le haut et sont coiffés d’un chaperon dont le débord

varie de 10 à 15 cm. Constitués de pierres et de terre, ils sont enduits d’une couche d’environ

deux centimètres de plâtre et assurent une fonction thermique cruciale permettant les

échanges de chaleur et d’humidité. Espacés d’une dizaine de mètres les uns des autres, afin de

bénéficier d’un ensoleillement maximal, les murs se réchauffent lentement la journée

permettant ainsi à l’humidité de s’évaporer. La chaleur emmagasinée le jour était ensuite

22

F. ROZIER, Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et

vétérinaire, suivi d’une méthode pour étudier l’agriculture par principes, ou Dictionnaire universel

d’agriculture, par une société d’agriculteurs, Paris, 1781-1796, p. 577. 23

J. MOZARD, Principes pratiques sur l’éducation, la culture, la taille et l’ébourgeonnement des arbres

fruitiers, et principalement du pêcher, d’après la méthode de Pepin et autres célèbres cultivateurs de Montreuil,

Paris, 1814, p. 80. 24

« Savoir-faire », Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, En ligne,

http://www.srhm.fr/savoirfaire.htm (consulté le 1er

juin 2013) 25

R. SCHABOL, Op. Cit., p. 96.

Page 21: Memoire Pci Map

21

progressivement restituée la nuit garantissant une température constante des murs et

essentielle à la maturation des fruits (Annexe I.b et c). De ces murs, naissent ensuite deux

techniques attribuées aux horticulteurs montreuillois. La première est la culture en espalier se

caractérisant par la pousse d’un arbre parallèlement au mur et prenant la forme d’un éventail

ou d’un carré. La seconde est la culture palissée consistant à attacher les branches d’un arbre

conduit en espalier sur le mur. Dans les clos de Montreuil, l’arbre est palissé à loque, c’est-à-

dire à l’aide d’une bande de tissu usagé qui, clouée au mur de plâtre, viendra soutenir la

branche lors de la croissance et de la maturation des fruits l’empêchant ainsi de tomber sous

leur poids (Annexes II.a et VI.c). Les Montreuillois n’ayant à leur portée « ni jonc, ni osier,

firent des loques avec des morceaux de leurs vieux habits et chassèrent des clous dans la

muraille sur les deux bouts de ces loques unis dont ils enveloppèrent chaque branche26

. » Le

technique du palissage s’étend ensuite partout en France et notamment au Potager du roi du

Versailles. Mais ce qui fait la spécificité de Montreuil c’est bien le support du palissage et

Philippe Schuller, secrétaire général de la SRHM, nous rappelle que la loque s’est maintenue

sur les murs jusqu’à aujourd’hui (Annexe II.b). Le tissu permet au cultivateur de mener les

branches d’un arbre là où il le désire contrairement à un autre palissage, comme celui sur

lattes de bois par exemple qui oblige à une prédéfinition de la forme de l’arbre au début de la

plantation. Mais gardons-nous d’explications trop spécifiques et insistons simplement sur le

fait que le palissage à la loque permet le maintien de la branche des fruitiers tout en favorisant

une meilleure conduite de la sève et laisse une plus grande liberté à l’horticulteur dans la

conduite de ses arbres. L’arboriculteur Alexis Lepère perfectionne « la taille de formation »

véritable art qui a pour but de signer l’arbre ou de rendre hommage. Même si cette technique

n’est pas spécifiquement montreuilloise, il réalise quelques chefs-d’œuvre, dont l’arbre taillé

au nom de Napoléon III rendant hommage à l’empereur vers 1860 (Annexe VIII.d). La taille

conduite des arbres et la taille de formation valent aussi pour les fruitiers cultivés en plein

vent. Les pommiers et poiriers sont taillés et conduits en carré ou en candélabre afin de

laisser passer la sève et sont une autre caractéristique du savoir-faire des horticulteurs de

Montreuil (Annexe VI.a, b, c).

Alors que la production de fruits devient exceptionnelle, les horticulteurs montreuillois

se perfectionnent progressivement dans le fruit de luxe. Pour obtenir de beaux fruits qui se

vendront mieux sur les marchés parisiens, ils ont recours à la technique de l’éclaircissage et

de l’ensachage. Après la floraison et le début des premiers fruits, un mode de sélection

artificielle – dit éclaircissage – est entrepris afin de favoriser la croissance de certains aux 26

R. SCHABOL, Op. Cit., p.111.

Page 22: Memoire Pci Map

22

dépens des autres. Ces fruits choisis sont ensuite entourées d’une poche de papier appelée

« préservateur » qui a un double but. Le premier est de protéger les fruits des parasites comme

le carpocapse, larve des pommes. Le second est de favoriser la coloration car les horticulteurs

se sont aperçus qu’un fruit privé de soleil pendant toute sa croissance, devenait extrêmement

sensible à la lumière et brunissait plus rapidement lorsqu’il y était confronté. La peau, plus

fine, se colore ainsi rapidement aux premiers contacts du soleil (Annexe II.c et d). Enfin,

même si les horticulteurs montreuillois n’en sont pas les créateurs, le marquage des fruits est

pratiqué et assure à la ville une grande renommée. Connue depuis le XIIe siècle, la méthode

du marquage consiste à occulter du soleil une partie du fruit généralement à l’aide d’un

pochoir collé par de la gélatine – ou de la bave d’escargot – et, en murissant, le fruit se colore

excepté là où le modèle a été posé (Annexe II.e et f). Par la même méthode, Louis Aubin,

horticulteur montreuillois, se sert d’un négatif comme pochoir et met au point la technique de

la photographie du fruit.

Cultiver des fruits « à la Montreuil » coïnciderait ainsi avec ces différentes étapes

techniques qui, même si leur origine montreuilloise est discutable, qualifient la pratique

horticole de la ville et le savoir-faire de ses horticulteurs. Ce savoir-faire s’inscrit ainsi dans

un processus tridimensionnel. En premier lieu, la construction des murs est fondamentale car,

définis par une composition et une architecture particulières, ce sont des outils horticoles dont

le processus de fabrication est révélateur du savoir-faire des horticulteurs montreuillois. En

second lieu, les techniques de palissage des arbres conduits en espalier témoignent d’une

pratique horticole propre aux murs et, en creux, à leurs créateurs. Enfin, l’embellissement des

fruits par l’ensachage et le marquage, est une pratique esthétique dans laquelle les

arboriculteurs montreuillois excellent au point d’en faire une distinction. Les liens ici établit

entre l’outil et le savoir-faire, l’outil et la pratique et le savoir-faire et la pratique, permettent

de mettre en évidence le lien entre l’abstrait et le concret, l’immatériel et le matériel ; Car, et

nous le verrons tout au long de notre étude, jamais ces notions ne s’opposent. Sans ces murs,

la culture « à la Montreuil » ne pourrait exister et sans la culture, l’usage des murs paraît

difficilement justifiable.

Page 23: Memoire Pci Map

23

Cultiver à Montreuil.

L’arboriculture se développe en Île-de-France et atteint son apogée aux XVIIIe-XIX

e

siècles. L’Est parisien est particulièrement concerné par une horticulture intensive notamment

dans les villages de Bondy, Romainville, Bagnolet, Rosny ou encore Fontenay qui entourent

Montreuil. Or, c’est bien à Montreuil, que les murs de plâtre, outil principal de la pratique

horticole en question, vont connaître une expansion croissante jusqu’au XXe siècle. Espacés

les uns des autres et alignés parallèlement, ils forment un territoire parcellaire et quadrillé qui

a tant impressionné les observateurs et les contemporains. Au XIXe siècle, grâce à la vente

des propriétés ecclésiastiques et nobiliaires, « ce paysage curieusement carcéral27

» connaît

son apogée s’étendant jusqu’à couvrir plus d’un tiers de la ville. Mais, si nous avons fait

référence au génie montreuillois quant à la construction de ces murs, il faudrait préciser que

leur fabrication est rendue possible par la matière première mise abondamment à disposition

dans la ville. En effet, sur l’actuel parc des Beaumont s’étendaient des carrières de gypse. Et,

alors que neuf personnes sur dix vivent encore d’une activité agricole au début des années

1820, quelques usines artisanales, comme Morel, s’implantent afin de procéder à l’excavation

des carrières de plâtre et de briqueteries28

servant à la construction et à l’entretien des murs

(Annexe I.a) car le palissage à la loque, détruit continuellement les murs. Lorsque le clou,

supposé tenir la bande de tissu, est planté sur l’enduit de plâtre, le mur se fragilise, s’effrite et

finit par tomber. Afin d’assurer le bon fonctionnement des murailles et pour pouvoir continuer

à mener leurs arbres en espalier, les horticulteurs doivent sans cesse les reconstruire à l’aide

des matières premières qu’ils trouvent à proximité. Plâtre et terre sont à la portée des

cultivateurs et assurent l’approvisionnement nécessaire en matériaux de fabrication jusqu’à la

moitié du XXe siècle. La pratique horticole développée à Montreuil structure le territoire en le

faisant dépendre directement des besoins et des techniques de production. Ce lien est essentiel

pour notre étude car il permet de comprendre la relation permanente qu’entretient la

transmission des savoir-faire avec l’héritage d’un territoire segmenté ; mais, nous y

reviendrons plus tard. Avec la disponibilité de plâtre et du fumier provenant des gadoues de

proximité, les Montreuillois parviennent à maintenir et même à intensifier leur production

horticole malgré un climat parisien peu favorable à la maturité des fruits. En outre, l’historien

Reynald Abad, ayant étudié l’approvisionnement du marché parisien, affirme la position

27

L’expression est empruntée à l’historien Florent Quellier et nous paraît bien rendre compte de l’occupation et

de l’organisation du territoire. Ce paysage quadrillé est aujourd’hui encore perceptible dans le parcellaire

montreuillois. Voir F. QUELLIER, “Montreuil-aux-pêches”, L’Histoire, n°301, 2005, p.25. 28

D. HERVIER, O. MEYER, Montreuil, patrimoine industriel, pp.4-5.

Page 24: Memoire Pci Map

24

géographique stratégique de Montreuil. La proximité de la ville avec la capitale, permet aux

femmes de se rendre à pieds, fautes de routes praticables, jusqu’aux Halles ou au marché

d’Aligre.

Les murs de plâtre, appelés murs à pêches, témoignent d’une production importante de

ce fruit à Montreuil. En 1825 par exemple, 15 millions de pêches sont produites sur 600 km

de murs et ces fruits peuvent peser jusqu’à 500 grammes29

. Mais l’activité horticole ne se

cantonne pas aux pêches. Emballées dans des feuilles de vigne afin d’être protégées et mieux

vendues, la viticulture est essentielle sur le territoire. Ainsi, en 1904, 1500 litres de vin sont

obtenus mais, concurrencée par les vins de du midi dans les années 1920, la vigne disparaît30

.

Par ailleurs, pommes et poires participent de la renommée de Montreuil. A ce titre, Philippe

Schuller affirme que les Montreuillois ont le secret de la Calville à joues rouges obtenue grâce

à l’ensachage et la Calville blanche est une des variétés favorites. Poires comices, passe-

crassanes, beurrés et pommes d’apis roses ou encore reinettes du Canada sont aussi cultivées.

Le petit village de Montreuil, décrit un siècle plus tôt par l’abbé Schabol, témoigne du

dynamisme d’une paysannerie marchande périurbaine s’illustrant dans l’arboriculture et se

libérant ainsi de la tyrannie des blés. Enfin, la floriculture se développe progressivement et

parvient à perdurer au XXe siècle alors même que la culture des fruits tend à diminuer.

Montreuil aux pêches.

L’arboriculture devient toutefois l’activité horticole la plus importante de Montreuil et

la pêche en devient le symbole. Parmi tous les fruits cultivés, les sources historiques

témoignent du crédit accordé à ce fruit d’été coloré et juteux. L’abbé Schabol fait référence à

l’officier de la maison du Roi à Montreuil, Nicolas Pépin, et affirme que « des princes et des

seigneurs (…) venoient d’admirer ses arbres » et que « tous les ans (…) il présentoit au roi

des pêches de son jardin31

. » Jean Mozard consacre, quant à lui, un traité à la taille des arbres

fruitiers et « notamment du pêcher32

» au début du XIXe siècle. Pourtant, comme le précise

aujourd’hui la SRHM, les premières pêches ne sont pas nées à Montreuil mais à Corbeil.

L’amélioration des techniques horticoles à Montreuil permet une production considérable de

ce fruit qui, lorsqu’il est cultivé « en plein vent » comme à Corbeil, perd de son prestige.

29

A. AUDUC, Montreuil, Patrimoine Horticole, Paris, 1999, p.24. 30

Op. Cit., p. 7. 31

R. SCHABOL, Op. Cit., Préface p. V., note b. 32

J. MOZARD, Op. Cit., p. 80.

Page 25: Memoire Pci Map

25

Obtenue d’après une technique « vulgaire », la pêche de Corbeil est dévalorisée au fil des ans

pour finalement devenir « une pêche au vin » tellement dure et amère qu’elle n’est bonne que

trempée dans l’alcool33

. Au contraire, la pêche de Montreuil cultivée en espalier jouit d’une

réputation de plus en plus appréciable. Par ailleurs, ce fruit tiendrait une part de son succès

d’un code social important basé sur des valeurs nobles et ignobles. Plus un aliment serait

produit loin de la terre et plus il serait considéré comme un végétal noble. Les fruits obtenus

sur des branches élevées bien loin du sol seraient « infiniment supérieurs à tous les autres

végétaux » et conviendraient « mieux aux classes sociales élevées34

. » En ce sens, les

horticulteurs montreuillois se spécialisent rapidement dans le fruit de luxe et, afin de se

distinguer de la concurrence, ils créent leurs propres variétés de pêches. Citons par exemple

l’Aubin 75 obtenue par Louis Aubin lorsqu’il était président de la SRHM, la Théophile Sueur

obtenue par Arthur Chevreau en 1897 ou encore la Belle impériale créée par Désiré Chevalier

en 1861. D’autres variétés sont souvent attribuées à Montreuil sans que cela ne soit

véritablement attesté mais sans pour autant empêcher les montreuillois de se les approprier.

La Noire de Montreuil, pêche très rouge, porte ainsi le nom de la ville, les Tétons de Venus

renvoient aujourd’hui encore à la tradition horticole montreuilloise, quant à la Grosse

Mignonne, elle est devenue le nom d’un bar-restaurant très en vogue de la rue Carnot.

Les techniques d’embellissement des fruits ont pour but d’apporter une certaine plus-

value afin que les pêches soient reconnues parmi toutes celles du marché. En plus d’une

production importante dans les clos à pêches de Montreuil, ces fruits se distinguaient donc par

leur incroyable beauté. L’éclaircissage, l’ensachage et le marquage permettent d’obtenir de

beaux fruits pouvant peser de 400 à 500 grammes. La production de fruits de luxe devient la

spécificité des producteurs montreuillois qui vont jusqu’à perfectionner les techniques

d’emballages des pêches. Philippe Schuller rappelle que l’horticulteur Léon Loiseau « va se

battre pour que la provenance et le titre de propriété figurent sur les emballages afin de

protéger les fruits de Montreuil35

. » Véritables bijoux, les pêches sont entourées de feuilles de

vigne ou de papier de soie pour protéger leur peau et, emballées dans de la ouate de coton,

elles sont ensuite déposées dans une boite en carton cloisonnée (Voir les fruits marqués et leur

présentation en Annexe III.). Le marquage assure aux fruits une particularité esthétique

renvoyant aux savoir-faire des horticulteurs montreuillois et à la renommée de ville. Les

horticulteurs participent, par ailleurs, à des concours qui leur assurent une réputation

33

D’AUSSY, Histoire de la vie privée des Français depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours, Paris, 1782,

pp. 186-187, cité dans F. QUELLIER, Op. Cit., p. 35. 34

J-L. FLANDRIN, M. MONTANARI, Histoire de l’alimentation, Paris, 1996, p.486-487. 35

Philippe Schuller, entretien du 28 janvier 2013.

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26

internationale confirmée lorsque le Tsar Nicolas II commande des fruits marqués à la ville en

189336

. Les commandes exceptionnelles se perpétuent et en 1943 lorsque les horticulteurs

montreuillois doivent produire des fruits marqués pour Walt Disney (Annexe VII.a et b) et en

2012 pour une réception aux Fouquet’s37

.

La renommée de « Montreuil-aux-pêches » semble osciller entre la réalité d’une

production incontestable se notant jusque dans la structuration du territoire et un mythe

alimenté par le discours autour de la renommée des pêches de Montreuil que les

contemporains n’ont de cesse d’entretenir. Ainsi, il se dirait même qu’un « gamin de

Montreuil » en voulant offrir une pêche à François 1er

, la fit tomber par terre et gêné de

donner au roi un fruit sali, l’enfant enleva la peau marquant ainsi le début de l’habitude de

peler les fruits38

. Ici encore, ce n’est pas l’exactitude de ces événements qui est important

mais la volonté de perpétuer ces dires contribuant à la notoriété de la ville au fil des ans.

Depuis plusieurs générations, Montreuil s’est illustré dans une production fruitière

rendue considérable par les matériaux mis à disposition sur le territoire et par le savoir-faire

des horticulteurs ayant développé des techniques particulières. Construction et reconstruction

permanente des murs à pêches, arbres en espalier, palissage à la loque, ensachage et marquage

sont les principales phases techniques de la culture des fruits « à la Montreuil » qui ont assuré

la célébrité de cette ville au territoire quadrillé. Ce village « à deux lieues de paris où la

culture des fruits est portée à la perfection » a joui d’une renommée alimentée par un discours

hésitant entre anecdotes mythiques et réalités mais contribuant à la transmission d’un savoir-

faire indéniablement attribué à Montreuil et à ses horticulteurs.

36

Sur le site internet de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, la technique et la renommée des

pêches marquées sont dépeintes dans un discours s’inscrivant entre mythe et réalité : « Le marquage des pêches

fait partie du savoir-faire emblématique des murs à pêches de Montreuil. Dans ses écrits, l’abbé Schabol évoque

ces pêches marquées offertes au roi par les cultivateurs de Montreuil. En 1893 les montreuillois offrent des

pêches marquées au Tsar Nicolas II. Production rare, si rare qu’aucune photo n’a été retrouvée à ce jour. » voir

« Fruits marqués », Société Régionale d’Horticulture, En ligne

http://www.srhm.fr/fruitsmarquespechesmarquees.html (consulté le 1er juin 2013) 37

Philippe Schuller, entretien du 28 janvier 2013. 38

La culture des fruits « à la Montreuil » a fait l’objet d’une étude en partenariat avec la SRHM et le ministère

de la culture et de la communication présentant le « patrimoine vivant de la France. » L’art de peler les fruits

serait ainsi attribué à la ville. Voir la vidéo « La tradition de la pêche à la montreuilloise », Patrimoine culture

immatériel en France, En ligne,

http://www.patrimoinevivantdelafrance.fr/index.php?mact=News,cntnt01,detail,0&cntnt01articleid=18&cntnt01

returnid=25 (consulté le 1er

juin 2013)

Page 27: Memoire Pci Map

27

2. Transmission, rupture et redécouverte.

L’Unesco insiste sur la nécessite d’une transmission continue de génération en

génération dans le but d’assurer un sentiment d’identité aux communautés porteuses de

patrimoine. Toutefois, l’histoire de la transmission du savoir-faire horticole s’inscrit dans

celle d’une pratique horticole qui n’a pu faire face aux transformations de la société du XXe

siècle. Le processus de transmission de la pratique « à la Montreuil » ne semble alors pas

coïncider avec la législation de l’organisme international.

Vers un déclin de la pratique.

Le savoir-faire s’est perpétué de génération en génération par le biais d’une pratique

horticole ingénieuse que des horticulteurs célèbres ont pu et su fait vivre. L’importance de

l’agriculture en France participe du succès de l’horticulture et il faudrait d’ailleurs rappeler

que la population rurale augmente de trois millions et demi entre 1811 et 1841, passant de

23,4 millions à 26,9 millions. Alors qu’une main d’œuvre saisonnière provenant des villages

voisins témoigne de migrations occasionnelles, une main d’œuvre permanente venant des

départements bourguignons, et plus particulièrement de l’Yonne, s’installe durablement à

Montreuil. Certains travailleurs rachètent les parcelles appartenant aux ecclésiastiques du

siècle passé devenant ainsi les propriétaires fonciers de la ville. De grands arboriculteurs

naissent alors et participent à la transmission de cette pratique horticole traditionnelle. En

1878, ils créent la Société Pratique d’Horticulture de Montreuil grâce à un prix de 500 francs

remporté pour la présentation de leurs fruits lors de l’Expositions universelle de Paris39

.

L’objectif de cette association est de faire la promotion de la production montreuilloise lors

des expositions et des concours. Les présidents de la Société sont des horticulteurs talentueux

comme Léon Loiseau qui présida de 1893 à 1930. En écrivant L’ensachage des fruits et La

conservation des fruits par le froid, ce cultivateur perfectionne les techniques arboricoles et

s’intéresse aux questions économiques et commerciales afin de permettre à Montreuil de

s’imposer comme le mentor du fruit de luxe. A la fin du siècle, il remporte de nombreux

succès internationaux grâce à des fruits cultivés à la perfection qui parviennent jusqu’aux

tables princières européennes des Habsbourg de Vienne et des Romanov de Saint-

39

« Histoire/Les grandes dates », Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, En ligne,

http://www.srhm.fr/grandesdates.htm (consulté le 1er juin 2013)

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28

Pétersbourg40

. Louis Aubin succède à Léon Loiseau en 1930 et, en élaborant la technique de

la photographie sur fruit, fait partie de ces arboriculteurs ingénieux chers à Montreuil.

Malgré un succès indéniable et une volonté de maintenir la pratique horticole, la

production diminue dans les années 1880 pour plusieurs raisons. Les progrès des transports

ferroviaires et de la réfrigération permettent l’introduction sur le marché français de fruits

méridionaux concurrençant la production montreuilloise qui ne parvient plus à rivaliser.

Même si les murs à pêches permettent un ensoleillement maximal palliant le soleil discret de

la région parisienne, les fruits d’été venus de la méditerranée offrent un goût finalement plus

apprécié. En outre, dans la première moitié du XXe siècle, Montreuil élit son premier maire

communiste issu du monde ouvrier, Fernand Soupé. Cette élection témoigne de nouvelles

réalités politiques, sociales et économiques. L’industrialisation de la commune ne cessera de

s’étendre de 1920 à 1960 marquant les « quarante glorieuses » de l’industrie montreuilloise et

faisant reculer le secteur agricole. Les usines s’installent dans le bas-Montreuil, l’habitat se

concentre à proximité des industries et s’entend sur tout le territoire finissant par empiéter sur

le haut-Montreuil et le secteur horticole. Le logement a de ce fait accompagné la progression

spatiale de l’industrie et selon le recensement de 1954, plus de 5000 habitations sont

construites dans l’entre-deux guerres. Les premières habitations à loyer modéré (HLM) sont

construites en 1928 rue Edouard Vaillant près des industries et les grands ensembles des

années 1950-1960 s’étalent sur une grande partie de Montreuil détruisant les murs à pêches.

Maurice Chapal, petit-fils de Louis Aubin, témoigne de l’expropriation dont a été victime son

grand-père en 196241

. Afin de permettre la construction du Lycée Jean-Jaurès, cet horticulteur

célèbre est exproprié de sa maison du 43 rue Pépin et six ans plus tard, Maurice Chapal, qui

avait reprit l’activité horticole, doit céder à son tour son terrain. Ce dernier précise d’ailleurs

que le transfert des Halles de Paris à Rungis est un moyen supplémentaire pour faire pression

sur les horticulteurs propriétaires en leur proposant de s’implanter dans des communes de

Seine-et-Marne ou du Val-de-Marne. D’autres familles d’horticulteurs comme les

Graindorge, les Désiré, les Robin ou encore les Voisinet, sont toutes expropriées afin de

mener à bien le projet autoroutier débuté en 1962. L’autoroute A186 aura eu raison des

dernières exploitations horticoles de Montreuil et viendra traverser les murs à pêches

modifiant considérablement le paysage (Annexe V.a et b). Sous la pression du béton, les

40

F. QUELLIER, « Montreuil-aux-pêches », Op. Cit. 41

D’après un entretien organisé par la SRHM avec Maurice Chapal à Crocq dans la Creuse au début des années

2000. Voir « Histoire/Les familles », Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, En ligne

http://www.srhm.fr/grandefamilleAubinChapal.html (consulté le 1er juin 2013)

Page 29: Memoire Pci Map

29

horticulteurs partent et abandonnent les murs qui étaient pourtant leur principal outil de

travail.

Aujourd’hui disséminés ça et là sur le territoire, ces murailles se mêlent au paysage

urbain et lorsqu’elles ne dépendent pas directement des nouvelles habitations modernes, elles

finissent par tomber en ruines. Pour les maintenir, il ne reste aujourd’hui que très peu

d’horticulteurs montreuillois. Parmi eux, André Patureau ancien président de la SRHM, doit

se limiter à une production personnelle, isolée et dérisoire. Des communautés d’hommes et de

femmes ayant fait la gloire de Montreuil et ayant transmis un savoir-faire horticole singulier,

il ne reste que les noms de certaines rues leur rendant hommage. Les rues Désiré Chevalier et

Léon Loiseau rappellent ces familles d’horticulteurs montreuilloises témoignant alors d’un

passé certes glorieux mais révolu. Si l’installation des grandes familles exploitantes à

Montreuil a permis une interaction permanente entre les horticulteurs, elle a aussi permis un

ancrage de la pratique qui a perduré jusqu’à la fin du XIXe siècle. Malgré la transmission d’un

savoir-faire continuellement amélioré par les horticulteurs, la production de fruits a

brutalement diminué lorsque l’outil principal de culture a disparu. L’industrialisation d’abord

et l’urbanisation ensuite ont détruit les murs à pêches essentiels à la culture palissée,

entrainant ainsi le déclin de la pratique horticole.

Ruptures, recherches et évolutions.

Dans les années 1970-1980, les horticulteurs ayant été expropriés et une partie des

murs ayant été détruite, il n’y a pratiquement plus d’arboriculture à Montreuil.

L’approvisionnement des marchés et des supermarchés n’obéissant plus aux mêmes règles

qu’auparavant, la permanence d’une production fruitière en ville n’a plus été nécessaire et est

même apparue comme contraignante face aux réalités socio-économiques urbaines. Le savoir-

faire des horticulteurs était mis à profit afin de produire de manière intensive des pêches et

des pommes pour répondre à des besoins qui justifiaient une pratique horticole aux portes de

paris ; mais le recul de l’agriculture en Île-de-France a fait progressivement passer Montreuil

d’un territoire horticole à un territoire urbanisé dans lequel le savoir-faire des horticulteurs ne

trouvait plus sa place. Toutefois, la SRHM s’est maintenue et n’a connu aucune absence de

présidence depuis sa création jusqu’à aujourd’hui. Association historique des cultivateurs des

murs à pêches, elle n’a pas cédé à son tour sous la pression urbaine. En 1920, alors que le

déclin de la pratique est déjà amorcé, les horticulteurs décident de créer un lieu de recherche

Page 30: Memoire Pci Map

30

et d’expérimentations collectives en fondant le Jardin-école. S’étendant sur une surface de

7000m2 et abritant des parcelles de murs à pêches, il est un haut lieu de la pratique horticole

montreuilloise. Il permet le maintien de la culture des arbres palissés alors même que les murs

du reste de la ville sont détruits. Même si aujourd’hui la production au Jardin-école est

incomparable avec celle d’autrefois, elle témoigne d’une continuité de la pratique

traditionnelle réduite cependant à quelques mètres linéaires de murs. Le Jardin-école, toujours

lieu d’expérimentations, a permis l’évolution des techniques par l’emploi d’outils

contemporains témoignant d’une capacité d’adaptation de la pratique horticole. Rappelons-le,

l’Unesco insiste sur la « recréation permanente » des pratiques et savoir-faire qui en tant

qu’éléments vivants doivent s’adapter au présent. Philippe Schuller nous indique à titre

d’exemple que la loque, auparavant utilisée, est abandonnée au profit de la résille plastique.

En effet, la loque est une bande de tissu que les horticulteurs montreuillois avaient à

disposition. Le tissu, souple et léger contrairement à l’osier ou autre support de soutien,

permet de maintenir délicatement la branche sans la casser et sans freiner le passage de la

sève. La résille plastique, symbole de modernité, conserve les avantages de la loque tout en se

dénichant plus facilement que celle-ci ; car, même si a priori n’importe qui possède du tissu,

l’achat de bande plastique paraît incontestablement plus pratique et moins contraignant. Grâce

à son maillage, la résille plastique se place plus facilement sur des clous déjà fixés sur le mur

lors des palissages antérieurs et Philippe Schuller alors que le mur est épargné de coups

supplémentaires risquant de le détériorer davantage42

(Annexe IV.a et b). A partir de nouvelle

matière fournie par la période contemporaine, le savoir-faire des horticulteurs s’adapte et se

réinvente tout en restant fidèle à lui-même.

La situation concernant le marquage des fruits est plus complexe. Cette technique

d’embellissement avait pour but de distinguer les fruits de Montreuil des autres et en cela,

assurait un ancrage de la ville dans le fruit de luxe. Le déclin de la pratique horticole et

simultanément l’affaiblissement du marché du fruit de luxe ont entrainé un étiolement de la

pratique du marquage jusqu’à sa disparition. Le marquage traditionnel des pommes est

relancé depuis 2000 alors que la technique du marquage des fruits restait une énigme pour nos

contemporains. La recherche dans les bulletins de la Société Régionale d’Horticulture, publiés

mensuellement depuis 1939, a permis de redécouvrir ce savoir-faire perdu. Grâce à ses

découvertes dans les archives, ses connaissances et ses expérimentations au Jardin-école,

Philippe Schuller redécouvre la technique du marquage des pêches en 2004 après trois ans

d’essais (Annexe III.d et f). Aujourd’hui, ces fruits marqués ont toujours une symbolique forte 42

Philippe Schuller, entretien du 28 janvier 2013.

Page 31: Memoire Pci Map

31

et porte encore l’histoire de Montreuil. Il suffit de rappeler que le célèbre restaurant Fouquet’s

a fait une commande spéciale de fruits marqués aux horticulteurs montreuillois lors d’une

réception43

. Le marquage, aujourd’hui utilisé de manière exceptionnelle et ludique, tente de

s’adapter au monde moderne. Dans une étude des ateliers du Puy-en-Velay et d’Alençon,

Marie-Hélène Massé-Bersani nous livre les procédés techniques liés au savoir-faire de la

dentelle au point inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Elle y

précise que les dentellières mettent leur savoir-faire au service de la modernité en

reproduisant des œuvres d’artistes contemporains. Cette capacité d’adaptation témoigne alors

de « l’importance de la relation existant entre la notion de patrimoine et le monde

contemporain44

. » Dans la même lignée, des pochoirs dessinés par des artistes contemporains

et représentant tête de mort, silhouette africaine ou encore danseur de hip-hop permettent de

voir comment le marquage tient compte de la modernité (Annexe IV.c, d, e).

Le savoir-faire lié à la culture des fruits à Montreuil s’inscrit donc dans un processus

de continuités, d’adaptations et de ruptures. Ces trois temps caractérisent le savoir-faire pris

comme objet d’étude ici, mais ils pourraient sans doute valoir pour d’autres. Car, le savoir-

faire se transmet de manière continue lorsque rien ne lui fait obstacle. Il s’adapte lorsque ceux

qui le pratiquent et le transmettent ont la capacité, l’envie et la possibilité de l’accommoder ou

de l’ajuster à la situation contemporaine. Mais lorsque les modifications conjoncturelles,

politiques, sociales, économiques ou encore culturelles sont trop fortes, il se peut que ni le

savoir-faire, ni ceux qui en sont les porteurs soient capables de lutter contre sa disparition. A

ce moment, la recherche historique est la seule qui permette de (re)découvrir des techniques

fondamentales d’un savoir-faire particulier. Il semblerait que la culture des fruits « à la

Montreuil » soit un exemple – sans doute parmi bien d’autres – de la transmission d’un

savoir-faire s’inscrivant entre ruptures et continuités.

Le non-respect d’une continuité générationnelle

L’Unesco a établi la définition du PCI en affirmant qu’on ne pouvait entendre par PCI

que « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire (…) transmis

de génération en génération. » Pourtant, il a été démontré précédemment que la pratique

43

Lors de l’entretien, Philippe Schuller n’a pas précisé pour qui exactement ces pommes avaient été marquées. 44

M-H. MASSE-BERSANI, « Les ateliers de dentelle du Puy-en-Velay et d’Alençon », in C. HOTTIN (Dir.),

Le patrimoine culturel immatériel. Premières expériences en France, n°25, Paris, 2011, p. 168.

Page 32: Memoire Pci Map

32

horticole a décliné pour n’être finalement concentrée que sur un territoire limité. Le savoir-

faire qui lui est lié a subi une rupture dans son processus de transmission. Car rappelons-le, la

SRHM s’est attachée à conserver la spécificité première de la culture montreuilloise – le

palissage à la loque – laissant le marquage disparaître. Par ailleurs, le Jardin-école, même s’il

a permis au savoir-faire de se maintenir vivant, n’a pas été le lieu de regroupement de tous les

horticulteurs au moment du déclin de la pratique horticole. L’expropriation et les réalités

socio-économiques de la ville ont eu raison d’eux malgré un attachement indéniable à leur

activité. Jacques Bellot et son père Lucien Chevalier ont dû partir pour permettre la

construction du Lycée Eugénie Coton. Le fils se rappelle qu’ « Après les expropriations, son]

père a changé du tout au tout. C’était sa terre, toute sa vie, ce qu’il avait fait naître de son

travail. Le plus dur pour lui fut de voir tous ses arbres arrachés45

. » Lucien Chevalier meurt au

milieu des années 1960 et avec lui ce sont des techniques qui s’éteignent. Le Jardin-école est

alors resté le lieu de Montreuil conservant les outils et les savoir d’une pratique horticole

passée qui ne demandait qu’à être de nouveau connue de tous. L’arrivée de certains acteurs de

la Société Régionale d’Horticulture, comme Philippe Schuller, a été déterminante pour saisir

l’engouement attaché à ce passé horticole. En s’intéressant de plus près à ce qui a fait la gloire

de Montreuil, les communautés concernées par ce patrimoine horticole ont cherché à

connaître avec exactitude les techniques d’une pratique célèbre.

Ainsi, malgré la rupture, « le sentiment de continuité » résolument réclamé par

l’Unesco semble tout de même présent. Plus qu’une continuité permanente et temporelle, ce

qui semble prépondérant est le lien que les communautés souhaitent (re)tisser entre le passé et

le présent en (re)découvrant des techniques fondamentales et oubliées de la pratique horticole

montreuilloise. Le principe de permanence immuable prôné par l’Unesco et devant assurer

« le sentiment de continuité » aux générations est sans doute le reflet d’un patrimoine toujours

accroché à l’éternelle idée occidentale de la relique. Cette dernière se transmet de mains en

mains constituant ainsi le patrimoine de ceux qui la possèdent. Si elle se perd, c’est le

patrimoine qui se perd et rien ne pourra la remplacer. Il sera toujours possible d’en

reconstruire une à l’identique mais elle sera « un nouvel objet patrimoine » non pas « l’objet

authentiquement patrimoine » et perdra ainsi sa valeur. Mais la pratique en tant qu’élément

vivant et basée sur des critères de « non-authenticité » subit l’inévitable de la vie : la mort.

Incluse dans un monde dans lequel la manière de vivre des individus n’est pas immuable, elle

peut être amenée à disparaître si les conditions nécessaires à sa vie ne sont plus assurées. Ces

45

« Histoire/Les familles », Société Régionale d’horticulture de Montreuil, En ligne,

http://www.srhm.fr/grandefamilleCHEVALIER.html (consulté le 1er juin 2013)

Page 33: Memoire Pci Map

33

mêmes conditions sont parfois indépendantes de la volonté seule de perpétuation de la

pratique et des savoir-faire qui lui sont attachés. A Montreuil, les contextes historique, social,

économique et culturel ont amené la pratique à décliner et ont évincé la majorité de ceux qui

pouvait transmettre leur savoir-faire. Mais, ce qui fait « vivre » ces deux éléments – pratique

et savoir-faire – est la volonté de certains acteurs de les faire « revivre » témoignant ainsi de

leur attachement pour la tradition et leur procurant « un sentiment de continuité. » La culture

« à la Montreuil » devient un patrimoine immatériel lorsque ce « sentiment » de continuité est

assumé. Les communautés s’attachent alors à cette pratique traditionnelle et témoignent d’une

volonté de la mettre en valeur et en cela de la transmettre. Un attachement sentimental semble

alors correspondre davantage au « sentiment de continuité » qu’une réalité matérialisée de la

transmission.

Malgré des efforts indéniables, il semble que la législation soit encore attachée à la

notion de continuité matérielle dans l’idée de patrimoine et ait du mal à concevoir qu’un

élément, matériel ou non, reconnu comme patrimoine puisse faire l’objet de modifications

considérables. Il suffirait d’ailleurs de se tourner vers l’Asie pour voir à quel point cette vision

est caractéristique d’une mentalité occidentale du patrimoine. Le Japon a dû batailler pour

faire accepter à l’Unesco l’intérêt patrimonial des édifices que le pays souhaitait faire classer.

Ces monuments connaissent des phases successives de construction, de démolition et de

reconstruction mais la valeur patrimoniale réside bien moins dans l’édifice lui-même que

dans le rite qui y est pratiqué46

.

Il semblerait alors judicieux de comparer le patrimoine culturel immatériel avec

l’histoire culturelle. Cette dernière, attentive aux comportements des individus, met en

évidence un décalage permanent entre les normes et les pratiques, les prescriptions et les

usages. La convention du patrimoine culturel immatériel donne une définition normative que

les communautés s’approprient et réinterprètent. Mais davantage qu’une définition, le

patrimoine culturel immatériel tel qu’il est présenté doit être pris comme un concept dans la

mesure où il est susceptible d’évoluer. Il est alors un « espace de conscience », pour reprendre

les termes de Reinhart Kosselleck, tiraillé entre théories et interprétations47

. Qu’importe pour

les groupes d’individus que la culture des fruits à Montreuil se soit momentanément arrêtée et

que certains savoir-faire aient été perdus car ce qui compte aujourd’hui est que les techniques

oubliées aient été redécouvertes et soient progressivement remises en valeur.

46

Voir à ce sujet, C. HOTTIN, “Une nouvelle perception du patrimoine.”, Culture et recherché, n°16-17, 2008,

pp. 15-17. 47

Expression reprise par M. JADE dans Patrimoine immatériel, perspectives d’interprétation du concept de

patrimoine, Paris, 2006, p.19.

Page 34: Memoire Pci Map

34

Dans sa transmission, le savoir-faire développé par les horticulteurs de Montreuil a

subi des interruptions. Entre une incapacité à s’adapter à la modernité et une quasi

impossibilité de lutter contre des bouleversements de la société, nous choisirons la deuxième

proposition afin d’expliquer la perte partielle de la connaissance de certaines techniques

horticoles. Mais l’intérêt des communautés pour cette culture « à la Montreuil », qui fait

partie de l’histoire de la ville, est le moteur de la redécouverte et de la reprise de ce savoir-

faire traditionnel. Se pose ici une nouvelle question que nous étudierons par la suite, celle du

choix du patrimoine. Peut-on et doit-on tout sauver ? Faut-il patrimonialiser tous les éléments

en perdition afin de les maintenir à tout prix ou bien faut-il les laisser mourir inévitablement ?

Le savoir-faire traditionnel des horticulteurs montreuillois a-t-il une légitimité à être

patrimonialisé sur un territoire où la ville a remplacé la campagne, où les bâtiments ont

remplacé les espaces verts et dans une époque où l’agriculture modernisée et intensifiée n’a

plus la même signification qu’auparavant ?

3. Reconnaissance d’un patrimoine culturel immatériel.

L’intérêt du patrimoine culturel immatériel réside dans l’importance accordée aux

communautés qui sont les porteuses d’un élément qu’elles considèrent comme faisant partie

de leur histoire, de leur culture – et nous le verrons – de leur environnement. Les groupes ont

un rôle capital à jouer dans la visibilité et la viabilité de l’élément. Contrairement à la mise en

patrimoine d’éléments matériels, les Etats, les institutions culturelles ou les experts

scientifiques n’ont aucune légitimité à ordonner la patrimonialisation d’une pratique si les

communautés ne la reconnaissent pas en tant que telle. A Montreuil, le concept de patrimoine

culturel immatériel pénètre progressivement les mentalités. Des communautés hétérogènes

témoignent d’une volonté de porter le savoir-faire et la pratique horticoles comme

représentant leur patrimoine désormais qualifié d’« immatériel. »

Page 35: Memoire Pci Map

35

Patrimoine naturel, patrimoine horticole ou patrimoine culturel immatériel ?

Durant le XIXe siècle, les horticulteurs produisent des fruits pour répondre à une

demande. En développant des techniques spécifiques et efficaces, ils parviennent à une

production spectaculaire qui s’étend en 1880 sur 320 hectares48

. Durant cette période, que

l’on pourrait qualifier de « spontanée », la société produit ce dont elle a besoin sans pour

autant avoir conscience du patrimoine qu’elle est en train de créer. Puis, en 1900, les

cultivateurs montreuillois participent à l’exposition universelle sur le thème « le bilan d’un

siècle. » A cette occasion, un musée itinérant est créé et composé d’une collection d’objets

personnels de la famille Chevalier. D’autres gravures, objets et photographies des familles

d’horticulteurs montreuillois viennent enrichir la collection initiale. En 1928, sans doute

conscients de l’histoire horticole qui s’est développée sur leur territoire, les cultivateurs créent

un « musée rétrospectif » à Montreuil présentant les objets collectés. Par son nom,

l’établissement témoigne de la volonté des horticulteurs de lier une pratique encore présente

sur le territoire au passé et au futur. En 1992, André Patureau inaugure le musée dans

l’ancienne salle de cours du Jardin-école et depuis 20 ans, par les régulières donations des

familles, la richesse du musée contribue à faire connaître l’histoire des horticulteurs et de leur

savoir-faire. Cette deuxième période marque la « prise de conscience » des horticulteurs

montreuillois qui ajoutent une valeur à des savoir-faire avant tout utilitaires. Il est alors

essentiel de noter la volonté des cultivateurs du début du XXe siècle de regrouper des

éléments de leur histoire avec un but de préservation et de transmission49

. La conservation et

l’agrandissement de l’établissement témoignent d’un début de conscience patrimoniale liée à

l’histoire horticole. Aujourd’hui, une nouvelle période est amorcée et que nous pourrions

qualifier de « conquête de l’identité patrimoniale par l’objet50

. » La présence de murs à pêches

sur le territoire amène les habitants à se questionner par rapport à cette réalité physique. C’est

le dernier temps de la création du patrimoine, celui qui permet l’appropriation d’une histoire

passée pour vivre le présent. Mais, il paraît difficile pour les communautés de trouver le bon

qualificatif pour désigner les restes de ces murs. Tantôt patrimoine horticole, tantôt

48

A. AUDUC, Montreuil, patrimoine horticole, Paris, 1999, p. 24. 49

S. CHIQUER, P. SCHULLER, (Dir.), « Le musée horticole des murs à pêches : 20 ans déjà. Et demain ? »,

Bulletin trimestriel de la société régionale d’horticulture de Montreuil, 1er

trimestre 2012, pp.8-9. 50

Les expressions entre guillemets marquent les trois temps du patrimoine définis par Michel Colardelle. Voir

M. COLARDELLE, « Les acteurs de la constitution du patrimoine : travailleurs, amateurs, professionnels. » in J.

LE GOFF (Dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris, 1998, p.125.

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36

patrimoine naturel, il n’est pas encore question de patrimoine culturel immatériel. Les

associations de défense des murs à pêches – comme l’association Murs à pêches (MAP) –

insistent sur un patrimoine naturel, celui des murs eux-mêmes qui sont à rattacher à une

histoire horticole passée. « Ce que nous voulons vraiment – disent les partisans des MAP –

c’est sauver un morceau de notre territoire qui résiste encore à la ville. Nous ne voulons pas,

tout simplement, que le pays des murs à pêches – ce qu’il en reste – devienne une banalité de

plus.51

» Elément du paysage, les murs à pêches structurent la ville de Montreuil mais il ne

faudrait pas oublier qu’ils sont avant tout un outil. L’absence du terme « patrimoine

technique » pour les qualifier démontre que leur répartition formant un territoire structuré

prime sur leur usage originel. Mais nous y reviendrons plus longuement par la suite. Au-delà

d’un patrimoine naturel, la ville de Montreuil, l’office de Tourisme et d’autres associations

montreuilloises – comme Montreuil Environnement ou la SRHM – parlent tout d’abord d’un

patrimoine horticole renvoyant à « la longue tradition agricole et horticole qui a fait les heures

de Montreuil » et qui est « encore largement visible sur certains sites de la ville52

. » Enfin, et

pour la première fois, lors des débats et conférences aux Assises de la Culture, déroulées à

Montreuil dès le mois de juin 2011, le terme de « patrimoine culturel immatériel » fait son

apparition. « La ville de Montreuil présente un patrimoine riche, dans chacun des trois

domaines habituellement considérés par l’Unesco » à savoir le patrimoine matériel, le

patrimoine naturel et le patrimoine immatériel. Ce dernier renvoie « aux savoirs et savoir-faire

(à Montreuil, les horticulteurs), à la mémoire vivante, aux pratiques culturelles et sociales des

habitants, aux cultures et aux expressions artistiques émergentes, à la diversité des origines

ethniques des populations53

. » Même si la définition de patrimoine immatériel semble

quelque peu « fourre-tout », il ne faudrait pas sous-estimer la reconnaissance du savoir-faire

lié à l’horticulture comme faisant partie du patrimoine culturel de Montreuil. Comme précisé

dans les Assises, l’Unesco reconnaît les trois patrimoines définis précédemment et semble

ainsi apporter le cadre qu’il manquait aux communautés pour définir et comprendre ce qui

« fait patrimoine » pour eux. Un glissement s’opère ainsi progressivement du patrimoine

horticole vers un patrimoine culturel immatériel se référant davantage au savoir-faire des

horticulteurs qu’à la tradition horticole elle-même. Même si la distinction est subtile, il est

51

Voir à ce sujet les revendications de l’association sur le site des Murs à pêches sur « Ce que nous voulons »,

Murs à Pêches, En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/ce-que-nous-voulons/ (consulté

le 1er

juin 2013) 52

La définition de « patrimoine horticole » est donnée par le site de la ville. « Culture/Patrimoine/Visiter-

découvrir », Montreuil, [En ligne] http://www.montreuil.fr/la-ville/visiter-decouvrir/le-patrimoine-horticole/

(consulté le 1er

juin 2013) 53

Assises de la culture, Une nouvelle ambition culturelle pour Montreuil, 2012, p.15.

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37

important de noter ce changement témoignant d’une part de l’appropriation par les

communautés du concept de patrimoine culturel immatériel et d’autre part de l’emploi

progressif du terme de « PCI » pour désigner les savoir-faire attachés à ce patrimoine

horticole. Car, comme le souligne Marc Bloch, « L’avènement d’un nom est toujours un

grand fait, même si la chose avait précédé ; car il marque l’étape décisive de la prise de

conscience54

. » Les communautés conscientes portent désormais leur patrimoine.

L’Unesco ne définit pas le terme de « communautés » et leur organisation est acceptée

en fonction des situations pouvant ainsi faire référence à un groupe de personnes détenant le

savoir-faire, à un groupe de praticiens amateurs ou plus généralement, « il peut s’agir d’un

ensemble de personnes se reconnaissant dans le partage d’un même élément du PCI. (…) Les

communautés peuvent compter seulement quelques individus (huit personnes dans le cas des

dentelières)55

, plusieurs milliers (les compagnons), plusieurs millions (pour le repars

gastronomique des Français)56

. » Il serait bien prétentieux d’affirmer que le savoir-faire des

horticulteurs et la culture des fruits « à la Montreuil » concerneraient tous les Montreuillois.

Cependant, une communauté hétérogène englobant des professionnels, des associations et des

amateurs montreuillois ou non s’assemblent afin de défendre ce patrimoine culturel. A la

question « le savoir-faire lié aux murs à pêches peut-il être considéré comme un patrimoine

culturel immatériel ? », Philippe Schuller répond « oui. » Et à la suivante « ce savoir-faire

doit-il continuer à être transmis », il répond encore par l’affirmative57

. A Montreuil, les

associations d’habitants de la ville et de défense des murs à pêches forment cette communauté

porteuse et le soutien qu’apporte la municipalité à ces dernières n’exclut pas l’intérêt du

pouvoir politique pour un patrimoine revendiqué et assumé. Parmi les associations, la Société

Régionale d’Horticulture affirme que les « pratiques horticoles représentent un patrimoine

immatériel », qu’elles doivent être « pratiquées au quotidien pour ne pas disparaître » et que

de « conduire des arbres fruitiers « à la Montreuil », c’est sauver ce patrimoine immatériel

d’une disparition imminente58

. » L’association Montreuil Environnement ou encore

54

M. BLOCH, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Armand colin, Paris, 1997, cité dans M. JADE,

Patrimoine immatériel, perspectives d’interprétation du concept de patrimoine, Paris, 2006, p.37. 55

Les références entre parenthèses renvoient toutes à des éléments inscrits sur la liste du patrimoine culturel

immatériel. Il s’agit pour le premier cas de la « Dentelle au point d’Alençon et du Puy-en-Velay », pour le

deuxième du « Compagnonnage » et pour le dernier du « Repas gastronomique des Français ». 56

C. HOTTIN, « Candidatures pour l’Unesco : du dossier au projet » in C. HOTTIN (Dir.), Op. Cit., n°25, Paris,

2011, p. 179. 57

Réponses collectées lors de l’entretien du 28 janvier 2013. 58

« PLU de Montreuil – Avis de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil (SRHM) concernant le

secteur dénommé « quartier de Saint Antoine, dit des Murs à pêches », d’une surface d’environ 50 ha » in J-P.

CHAULET, Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S et à l’élaboration du plan local

d’urbanisme de Montreuil sous bois, Annexe I, Courrier n°51, septembre 2010, p. 158.

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38

l’Association de défense des habitants de Montreuil (ADHM) insistent sur l’importance de la

protection des savoir-faire. « Ces terres et leurs usages passés et futurs doivent être protégés

en tant que patrimoine local mais aussi mondial (la renommée des Murs à pêches de

Montreuil est connue jusqu’au Japon !)59

» De manière générale, de nombreuses associations

sont créées afin de perpétuer la pratique des pêchers palissés sur murs. L’association Murs à

Pêches possède quelques parcelles aménagées en verger sur lesquelles sont palissées des

pêchers et l’association Lézarts dans les Murs insiste sur la mise en place de chantiers de

restauration des murs et la transmission des « savoir-faire et techniques de construction des

murs, et de la taille et palissage des pêchers60

. » Ainsi, même s’il est impossible d’entendre

« les communautés » comme la totalité des montreuillois, il est important de souligner qu’un

groupe est bien porteur d’une pratique et d’un savoir-faire qu’il considère comme faisait

partie de son patrimoine culturel, de son histoire et de son identité.

Qui pour transmettre quoi aujourd’hui ?

La Convention de l’Unesco vise avant tout à sauvegarder le PCI qui est défini à

l’article 2 comme « les mesures visant à assurer la viabilité du patrimoine culturel immatériel,

y compris l’identification la recherche, la préservation, la protection, la promotion, la mise en

valeur, la transmission, essentiellement par l’éducation formelle et non formelle, ainsi que la

revitalisation des différents aspects de ce patrimoine. » La culture des fruits « à la Montreuil »

ne figurant pas sur la liste de l’Unesco, ni même sur une liste nationale du PCI, les acteurs

locaux participent seuls à la mise en valeur actuelle du patrimoine. Les actions de la SRHM

sont à ce titre plus qu’importantes car « depuis plus d’un siècle, la société régionale

d’horticulture de Montreuil maintient vivants les savoir-faire horticole et arboricole des murs

de Montreuil » et insiste sur sa mission de transmission en précisant que « transmettre c’est

donner du sens….Le partage d’expérience permet de donner un éclairage nouveau à ces

savoir-faire horticoles pour construire un avenir aux murs à pêches61

. » Pour Philippe

Schuller, parmi les individus qui ont vécu à Montreuil pendant son heure de gloire horticole,

59

“Participation de l’Association de Défense des Habitants de Montreuil à l’enquête publique concernant le PLU

sur le secteur des Murs à pêches d’une superficie d’environ 50 hectares sur la commune de Montreuil », lettre du

15 juillet 2010 in J-P. CHAULET, Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S et à

l’élaboration du plan local d’urbanisme de Montreuil sous bois, Annexe I, Courrier n°50, septembre 2010, p.

152. 60

« Nos objectifs », Lezarts dans les murs, En ligne, http://lezartsdanslesmurs.com/paysage-environnement-

patrimoine (consulté le 1er juin 2013) 61

Voir la Brochure de présentation de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil en Annexe X.

Page 39: Memoire Pci Map

39

il ne resterait qu’un horticulteur capable de transmettre de qu’il a appris. Toutefois,

concernant le palissage, les élèves de l’Ecole Dubreuil, les membres du Potager du Roi, du

Sénat et des Croqueurs de pommes pourraient transmettre la technique. Cette dernière ayant

connu un succès tel qu’elle est reprise qu’à Montreuil et, par exemple, une collaboration unit

le Potager du roi de Versailles à la SRHM pour « l’amour et la promotion de beaux fruits et

de l’art de la taille de formation62

. » Mais Bernard Guicheteau et Philippe Schuller sont parmi

les seuls à transmettre le palissage à la loque à Montreuil au sein du Jardin-école et à pouvoir

en parler. Les acteurs de la transmission étant peu nombreux le risque de voir – ou revoir – les

techniques disparaître est grand. Afin d’attirer et de former davantage de « passeurs de

techniques », la SRHM multiplient les activités dans le but de donner plus de visibilité à la

pratique. Un dimanche par mois, le Jardin-école ouvre ses portes et organise des

manifestations allant de la taille au traitement des arbres en passant par le palissage ou encore

le marquage des fruits. Par ailleurs, la SRHM organise des activités pédagogiques afin de

sensibiliser les plus jeunes à ce savoir-faire en les faisant palisser des arbres ou poser des

pochoirs (Annexe VII.e). Sans pour autant devenir de véritables professionnels, quelques

curieux peuvent apprendre les techniques et contribuer à l’approfondissement des

connaissances de ce patrimoine culturel. En venant au Jardin-école, en observant des

professionnels et en pratiquant, les individus parviennent à mettre en lien le savoir-faire avec

le passé horticole glorieux de la ville et, plus encore, ayant eu connaissance de ces techniques

spécifiques, ils peuvent participer ou bien à la transmission de la pratique, s’ils la maitrisent

suffisamment, ou bien entreprendre des recherches historiques en cas d’impasse. D’autres

activités ont pour but de sensibiliser les individus comme des concours de pochoirs qui seront

ensuite décalqués sur les fruits. Par ailleurs, des manifestations sont régulièrement organisées

autour du savoir-faire horticole et, plus généralement, autour des murs à pêches. Lors du

marché des saveurs ou du festival « pêches en folies », pommes, pêches et autres produits

obtenus grâce aux fruits de Montreuil sont vendus (Annexe VII.c). Lors de la manifestation

« La voie est libre » en septembre 2012 des « Tétons de vénus du Jardin-école encore

humides de rosée se sont laissées cueillir pour rejoindre leur nid douillet de papier de soie… »

Renouant avec la tradition lors de cet éco-festival, une trentaine de pêches précieusement

emballées selon la manière traditionnelle ont été vendues au prix de 3 euros la pièce. Une

somme certes élevée mais il est précisé que le but était avant tout de « faire la démonstration

que les fruits de Montreuil nourrissent nos esprits plus encore que notre palais et que le public

62

« Partenaires », Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, En ligne

http://www.srhm.fr/potager_du_roi.htm (consulté le 1er juin 2013)

Page 40: Memoire Pci Map

40

est prêt à nous suivre afin de donner toute sa valeur d’exception à ce patrimoine vivant63

. »

Même si la pratique horticole a fait la renommée de Montreuil en France et à l’étranger, le

savoir-faire qui lui est rattaché ne bénéficie pas aujourd’hui d’une visibilité suffisante pour en

assurer la transmission. N’étant inscrite sur aucune des listes, les associations se chargent de

la mise en valeur de ce patrimoine par des activités fréquentes et variées. Plus que de recruter

et de former des professionnels, ces activités ludiques ont pour but de contribuer à la mise en

valeur du PCI mais, nous le verrons, les projets d’avenir des murs à pêches semblent apporter

des mesures de sauvegarde particulièrement intéressantes.

Cultiver « à la Montreuil » est un savoir-faire appliqué dans une pratique horticole

ancienne de la ville. Les horticulteurs l’ont mis à profit afin de répondre aux nécessités

arboricoles des XVIIIe – XIX

e siècles. Cette production particulière a fait la renommée de

Montreuil au-delà des frontières françaises mais, au XXe siècle, lorsque la pression du béton a

été trop forte l’horticulture s’est arrêtée. Seuls quelques individus ont su garder vivantes les

techniques développées par les horticulteurs alors mêmes que d’autres, temporairement

disparues, ont été redécouvertes grâce à la curiosité des montreuillois et aux écrits que

prédécesseurs et contemporains ont pris soin de conserver. Malgré un déclin de la pratique

horticole, restreinte aujourd’hui à quelques parcelles de murs, l’intérêt porté au savoir-faire

témoigne de la motivation des communautés de le valoriser et de le perpétuer. Le terme de

« patrimoine culturel immatériel » délivré par la Convention de l’Unesco permet aux

communautés de mettre un nom sur un élément de leur patrimoine culturel et les phases de

rupture et redécouverte de certaines techniques ne semblent pas contester le sentiment de

continuité invoqué par les communautés porteuses. Ainsi, en tant que patrimoine vivant, la

culture « à la Montreuil » est à comprendre comme un patrimoine évoluant entre ruptures et

continuités. Il apparait alors comme évident que le patrimoine culturel immatériel tel que

défini par l’Unesco ne semble pas résumer tout le patrimoine culturel immatériel. Le rôle des

communautés primant dans cette nouvelle conception du patrimoine, l’intérêt porté supplante

certaines caractéristiques de la définition conventionnelle faisant ainsi du PCI un patrimoine

en permanente évolution et de la définition de l’Unesco un simple cadre de compréhension et

d’approche.

63

Bulletin trimestriel de la société régionale d’horticulture de Montreuil, 4ème

trimestre 2012, p.2.

Page 41: Memoire Pci Map

41

C H A P I T R E II.

Culture traditionnelle et environnement durable.

Page 42: Memoire Pci Map

42

La culture des fruits à Montreuil se caractérise par le palissage des arbres sur des murs

de plâtre. Il est donc essentiel de répéter que les murs à pêches sont un outil sans lequel la

technique développée il y a plus de deux siècles n’existerait pas. Ils font partie intégrante du

savoir-faire des horticulteurs montreuillois, de par leur construction et de par leur usage. Dans

leur réalité matérielle, ils marquent le territoire et témoignent aujourd’hui de la tradition

horticole passée. La progression de l’urbanisation a eu raison de la pratique horticole en

détruisant ces murs mais l’intervention des communautés militant pour leur sauvegarde

semble témoigner d’une nouvelle appréciation de l’environnement quotidien. Le désir de

qualité environnementale urbaine permet à la pratique liée aux murs de se justifier dans les

nouveaux projets élaborés par les citadins. Mariannick Jadé soulignait la grande similitude du

PCI avec le développement durable dont, dit-elle, l’Unesco n’a pas encore « déterminé la

teneur intellectuelle64

. » Le concept de développement durable donne indéniablement tout

son sens à la pratique horticole « à la Montreuil » en tant que patrimoine culturel immatériel à

sauvegarder et les projets de sauvegarde tentent de concilier la mise en valeur du PCI avec le

renforcement du lien socio-culturel dans la ville.

1. Eveil des consciences environnementales en ville.

Du rejet de l’urbanisation au classement des murs…

La pratique horticole a progressivement décliné dès le début du XXe siècle à mesure

que la concurrence sur le marché du fruit s’est durcie et que les industries ont empiété sur les

espaces cultivés. Mais c’est surtout l’urbanisation de Montreuil accentuée dès les années 1960

qui a accéléré la disparition de l’horticulture. Les murs à pêches deviennent, dans le langage

courant des années 1970-1980, non plus un outil de culture mais une dénomination, un terme

désignant le quartier dans lequel ils survivent. Ce secteur concentré en majorité dans le Haut-

Montreuil a fait l’objet de projets d’urbanisation considérables. Nié dans sa valeur

patrimoniale, il a été coupé par l’autoroute A186 détruisant l’homogénéité du territoire

agricole. Les deux espaces obtenus et anciennement horticoles ont par la suite fait l’objet de

grands projets. Une Zone d’aménagement concerté (ZAC) envisageait la destruction des murs

afin d’y construire des équipements urbains. Puis, le quartier a été imaginé comme une zone

urbanisable à 80% afin d’y construire un quartier pavillonnaire pour répondre à la demande en

64

M. JADE, Op. Cit., p. 86.

Page 43: Memoire Pci Map

43

logements65

. C’est alors que l’Association Des Habitants de Montreuil (ADHM) et

l’association Murs à Pêches (MAP) s’opposent à ces projets et parviennent à en empêcher la

réalisation. Les motivations des acteurs reposent en grande partie sur la volonté de stopper

une urbanisation désastreuse et irréversible.

Le rejet de la bétonisation de Montreuil se note dans les propos des associations de

défense du secteur des murs à pêches. « Les villes atroces qui entourent Paris paient le prix

d’un siècle d’urbanisme criminel – s’insurge l’association MAP – On y a entassé, on y a

envoyé des millions d’ouvriers et de paysans déchus pour y créer exactement ce que nous ne

voulons pas. Un dortoir. Parfois même un dépotoir66

. » Les projets ambitieux de densification

et de constructions deviennent synonymes de « monde malade » – pour reprendre l’expression

de Pascal Mage, président de l’association Murs à pêches – et sonnent le rejet final de

l’urbanisation. La vue des grands ensembles urbains ou encore les nuisances de l’autoroute

participent inévitablement de cette révulsion pour la ville de la fin du XXe siècle. L’espace

urbain est ressenti et l’appréciation que l’on y porte témoigne d’un « abaissement des seuils

de tolérance. » Cette expression de l’histoire des sensibilités, due à Alain Corbin, illustre

clairement la variation des sensations qui s’opère dans la ville. L’auteur explique par exemple

comment le bruit des cloches faisant partie de la vie quotidienne est supporté jusqu’au XIXe

siècle pour devenir progressivement une nuisance sonore ou encore comment l’odeur des

excréments est devenue synonyme de miasme putride qu’il faut combattre67

. La sensibilité

nouvelle aux bruits et aux odeurs esquissée par ces exemples est à mettre en parallèle avec le

rejet de l’urbanisation. Dans les années 1960-1980, les montreuillois ont vécu en ville sans

s’alarmer de l’urbanisation – ou en tout cas, sans en témoigner la même animosité

qu’aujourd’hui – mais cette dernière est devenue par la suite intolérable s’apparentant à

l’horreur. Les adhérents de l’association MAP parlent de l’agglomération parisienne comme

d’un lieu où la « pollution de l’air et le niveau de bruit » constituent de véritables

« agressions » et, en opposition à cela, ils manifestent leurs besoins de « silence, sons de la

nature, intimité, sérénité et détente68

. » La variation des seuils de tolérance à l’urbanisation

65

M. MARTINEZ, P. DESGRANGES, P. PETITJEAN, Commission extra-municipale sur l’aménagement du

secteur des murs à pêches, Rapport final, avril 2009, p. 4. 66

Voir les motivations complètes de l’association sur son site internet. « Ce que nous voulons », Murs à Pêches,

En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/ce-que-nous-voulons/ (consulté le 1er

juin

2013) 67

Ces deux exemples sont tirés d’études sur l’ouïe et l’odorat menées par Alain Corbin. Voir Les cloches de la

terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXème siècle, Paris, 1994 et Le miasme et la

jonquille. L’odorat et l’imaginaire social XVIIIe-XIX

e siècles, Paris, 1986.

68 Questionnaire MAP réalisé par l’association MAP en décembre 2008 auprès de ses 167 membres.

« Documents », Murs à Pêches, En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/documents/

(consulté le 1er

juin 2013)

Page 44: Memoire Pci Map

44

affirme une nouvelle sensibilité des habitants en ville. Dès lors, les murs à pêches deviennent

une échappatoire à la bétonisation. « Tout ce qui n’a pas été urbanisé, tout ce qui n’a pas été

massacré par le béton et l’urbanisme fou des années 60 doit être conservé69

» dira encore

Pascal Mage.

La volonté de conservation des murs s’affirme sérieusement jusqu’à ce que

l’association MAP et le parti vert demandent la classification du site pour empêcher une

« destruction irréversible de ce patrimoine. » Dominique Voynet, alors ministre de

l’environnement et de l’aménagement, appuie le projet qui aboutit finalement au classement

des murs au titre des sites en 2003. Au total 8,6 hectares de murs sont classés de manière

aléatoire de part et d’autre de l’autoroute (Annexe V.c). Mais l’objectif du classement est de

« sauvegarder et de pérenniser un paysage agricole remarquable et original70

» révélant

l’attachement porté aux murs en tant que paysage constitué et non celui porté au savoir-faire

qui leur est lié. Quoi qu’il en soit, le classement permet de conserver des parcelles de murs et

propose une réflexion sur leur avenir. En février 2008, la nouvelle équipe municipale reçoit

les orientations de l’équipe précédente sur les murs à pêches et considérant que les projets

envisagés rendent le territoire encore trop urbanisable, elle décide alors de la création d’une

Commission extra-municipale le 25 septembre 2008 pour une durée de 5 mois afin d’élaborer

des propositions « pour mettre en valeur le patrimoine horticole du site, ses qualités

paysagères71

. » Cette commission composée d’élus, d’associations et de personnes ressources

– paysagistes et horticulteurs – expose les valeurs historiques du site classé en insistant sur

« un patrimoine horticole lié à des savoir-faire (y compris dans la dimension de patrimoine

immatériel) par] la conduite du verger ‘à la Montreuil’, greffes, tailles et usages des murs

agricoles spécifiques et par] la création de différentes variétés de fruits72

. » Les murs à

pêches, dans leur matérialité, deviennent alors l’objet patrimonial qui fixe les réminiscences

de l’immatérialité.

Le rejet de l’urbanisation a permis l’appréciation d’un territoire alors en disparition et

seul témoin d’une essence agricole s’opposant au béton. Mais ces murs à pêches deviennent

bien plus qu’un paysage naturel en ville. Par leur présence physique, ils permettent aux

communautés de se souvenir et deviennent l’objet patrimoine porteur d’immatérialité, une

madeleine de Proust renvoyant à un savoir-faire horticole propre à Montreuil. Ce patrimoine

69

« Ce que nous voulons. », Murs à Pêches, En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/ce-

que-nous-voulons/ (consulté le 1er

juin 2013) 70

Rapport pour la commission départementale des sites, perspectives et paysages, 29 avril 2012, in A.

ROUQUETTE, D. VERMEERSCH, Murs à pêches, cahier pédagogique de restauration, septembre 2012, p. 2. 71

M. MARTINEZ, P. DESGRANGES, P. PETITJEAN, Op. Cit., pp. 4-5. 72

Op. Cit., p.8.

Page 45: Memoire Pci Map

45

immatériel réanimé par de nouvelles manières de vivre en ville est réactivé par des projets

urbains justifiant de son utilité et de sa nécessité.

Vers un projet agri-urbain.

Avec 50 hectares de murs présents sur le territoire montreuillois et 8,6 hectares de

murs classés, la commission extra-municipale se trouve face à un dilemme : Que faire de ces

murs s’ils ne sont pas détruits ? Parmi les propositions faites afin de tenir compte des murs

dans leur ensemble – de leur construction aux usages – un projet d’EcoQuartier est retenu et

soumis à réflexion par la commission et la municipalité. Ce projet est à insérer dans un

contexte bien plus large témoignant d’une nouvelle manière de vivre la ville et de l’habiter.

De manière générale, le lieu dans lequel on habite n’est plus seulement le lieu dans lequel on

dort mais tend à devenir celui dans lequel on vit. Les associations de défense des murs à

pêches insistaient sur la volonté de ne pas faire de Montreuil une ville « dortoir » mais plutôt

un espace apprécié et appréciable renvoyant à des nouvelles pratiques urbaines, au sensible et

aux ambiances. La géographe Anne Sgard parle de « l’habiter » pour expliquer les relations

qui se tissent entre le territoire quotidien et les habitants et, par extension, le rôle d’acteur que

jouent les habitants sur ce territoire73

. Le besoin d’une amélioration de la qualité de vie en

ville dévoile la progressive introduction de la notion d’écologie en milieu urbain. En 1983, un

premier manifeste pour l’écologie urbaine est rédigé et en 1992 le sommet de Rio, consacré

au développement durable, annonce la prise en compte d’une nécessaire amélioration de la

qualité de vie plus soucieuse des hommes et de leur environnement. Les élections municipales

des Verts en 1989 et régionales en 1992 font décoller l’intérêt grandissant sur le devenir du

monde et sur la qualité environnementale74

. En outre, à l’échelle nationale, le 22 octobre

2008, simultanément aux réflexions et orientations sur les murs à pêches, le plan Ville durable

est présenté en Conseil des Ministres se donnant pour principe de favoriser l’émergence d’une

nouvelle façon de concevoir, construire et gérer la ville. Les premiers appels à projets

d’EcoQuartier sont lancés afin de rassembler les projets de qualité et de les valoriser. Par

définition, l’EcoQuartier est une opération d’aménagement durable contribuant à améliorer la

qualité de vie en s’appuyant sur des principes fondamentaux. Le Ministère de l’écologie, du

développement durable et de l’énergie insiste sur l’importance de son intégration « dans la

73

A. SGARD, Le partage du paysage, Rapport pour l’habilitation à diriger des recherches, 15 avril 2011, p. 36. 74

V. BERDOULAY, O. SOUBEYRAN, L’écologie urbaine et l’urbanisme, Paris, 2002, p. 26.

Page 46: Memoire Pci Map

46

ville existante et le territoire qui l’entoure » et ajoute qu’il a « la particularité de s’appuyer sur

les ressources locales, qu’elles soient paysagères, urbaines, humaines ou

environnementales75

. »

La réflexion sur l’avenir du « site murs à pêches » inséré dans un EcoQuartier paraît

alors une aubaine pour faire valoir non seulement sa qualité paysagère mais aussi et surtout

les usages de ces murs. Dans un contexte de volonté d’amélioration de la qualité de vie en

milieu urbain, la tradition agricole attachée aux murs trouve une place légitime.

Progressivement, des associations et des professionnels s’appuient sur cette idée de ville

durable pour proposer des projets en lien avec l’agriculture et le patrimoine. Le glissement

s’opère ainsi de la volonté de création d’un EcoQuartier améliorant la qualité de vie des

habitants en se servant des ressources paysagères vers un – voire plusieurs – projet agri-urbain

dans lequel les ressources paysagères sont aussi le patrimoine. Montreuil Environnement

souligne que « les caractéristiques patrimoniales matérielles et immatérielles sont

suffisamment intéressantes et solides pour permettre d’imaginer sur ce territoire la reprise

d’activités horticoles de proximité qui apparaissent de nouveau comme essentielles aux

citadins76

. » En outre, ces murs, formant à la fois les ressources paysagères et le patrimoine

naturel, sont l’opportunité pour la pratique horticole traditionnelle de justifier sa reprise sur le

long terme et dans un projet urbain tenant compte des attentes des citadins. En effet,

« préserver quelques kilomètres de murs à pêches authentiques sur lesquels « conduire » des

arbres fruitiers « à la Montreuil », c’est sauver ce patrimoine immatériel d’une disparition

imminente » et « la surface agricole restante (une trentaine d’hectares) permet de le faire77

. »

Les diverses mesures liées au développement durable (Rio en 1992 ; Plan sur la ville durable

en 2008) ont permis une reconsidération des savoir-faire liés au passé horticole de Montreuil

et les incluant dans des projets écologiques et environnementaux viables. De la ville de

banlieue urbanisée et dortoir, les communautés veulent faire de Montreuil une banlieue verte

et horticole renouant non seulement avec son passé mais surtout avec le savoir-faire

traditionnel désormais affirmé comme élément du patrimoine.

75

« Ville durable, aménagement et construction durable /Ville durable, aménagement, site et

paysage/EcoQuartier », Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, En ligne,

http://www.developpement-durable.gouv.fr/Plan-Ville-Durable.html (consulté le 1er juin 2013) 76

« Contribution de l’association Montreuil Environnement concernant le quartier Saint-Antoine dit « des murs

à pêches » à l’enquête publique sur le PLU de Montreuil » in J-P. CHAULET, Rapport d’enquête publique

relative au projet de révision du P.O.S et à l’élaboration du plan local d’urbanisme de Montreuil-sous-Bois,

Annexe I, septembre 2010, courrier n° 54, p. 167. 77

M-C. LEGER, « PLU de Montreuil – Avis de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil (SRHM)

concernant le secteur dénommé « Quartier de Saint-Antoine, dit des Murs à pêches », d’une surface d’environ 50

ha » in J-P. CHAULET, Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S et à l’élaboration

du plan local d’urbanisme de Montreuil-sous-Bois, Annexe I, septembre 2010, courrier n° 51, p. 155.

Page 47: Memoire Pci Map

47

Parmi les projets d’agriculture urbaine, ceux portés par l’association Montreuil

Environnement et l’association Montreuil aux Pêches semblent les plus aboutis dans leur

volonté de réintroduction et de sauvegarde de la culture « à la Montreuil. » La proposition du

projet agri-urbain par la première association citée porte sur un ensemble d’éléments

rassemblés en 5 piliers dans une logique de cohérence globale de l’aménagement autour de

l’agriculture et du patrimoine. Le premier pilier fondamental est d’ordre culturel et comprend

deux aspects : patrimonial et identitaire. Dans le premier cas il s’agit de protéger durablement

et de réhabiliter les murs à pêches comme lieu de mémoire vivante afin de rendre compte de

l’histoire horticole de la commune. Dans le second, l’objectif est de mettre en valeur et de

faire « revivre le savoir-faire et les techniques perfectionnées au fil du temps par les

cultivateurs de Montreuil autour de la culture des murs à pêches78

. » Par ce biais patrimonial,

l’intention est de permettre l’installation d’agriculteurs engagés pour une agriculture

responsable et respectueuse de la qualité patrimoniale du site. Ces agriculteurs pourraient à

leur tour devenir les nouveaux acteurs de la transmission du savoir-faire traditionnel en se

multipliant et en assurant ainsi la mise en valeur et la sauvegarde de la pratique horticole.

Afin de présenter ces ambitions, l’association a imaginé ce que pourrait être les murs à pêches

demain. Dans une image réalisée par le graphiste Olivier Aubry la ville retrouve sa pratique

d’antan, les arbres sont palissés et des fruits ensachés (Annexe VIII.c). En outre, pour le

compte de l’association, le graphiste a réalisé une vidéo d’animation intitulée « Evolution de

la rue Saint-Antoine79

» dans laquelle, en une trentaine de secondes, les murs sont reconstruits

et leur usage horticole rendu. A la manière d’une ancienne carte postale titrée « Retour de la

cueillette », Olivier Aubry redonne tout son sens à ce patrimoine immatériel (Annexe VIII.a et

b).

Le projet porté par l’association Montreuil aux Pêches est aussi révélateur de cette

volonté de voir le savoir-faire des horticulteurs montreuillois réinvestir la ville. Constituée

autour de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, du Sens de l’humus et de Rêve de

Terre, l’association Montreuil aux pêches propose un « paysage comestible au cœur de la

ville » et est financièrement soutenu par le Ministère du travail, des relations sociales, de la

famille et de la solidarité, par la région Île-de-France, par la commission Européenne et est en

partenariat avec de nombreux acteurs locaux. S’appuyant sur les « nouveaux besoins de l’Île-

78

« 5 piliers pour un projet agri-urbain dans les murs à pêches », Montreuil Environnement, En ligne,

http://montreuil-environnement.blogspot.fr/search/label/demain (Consulté le 1er juin 2013) 79

AUBRY (Olivier) (Réal.), Evolution de la rue Saint-Antoine, Montreuil Environnement, 2009, 30’’ voir la

vidéo sur Montreuil, Environnement En ligne, http://montreuil-environnement.blogspot.fr/2009/06/blog-

post.html (Consulté le 1er juin 2013)

Page 48: Memoire Pci Map

48

de-France » et de ses habitants en matière d’environnement et d’agriculture, l’association

propose de préserver le patrimoine végétal, historique et culturel par « la production agricole

au centre même d’une agglomération afin de favoriser le dialogue et les rencontres

ville/campagne » par l’ « apprentissage de pratiques agricoles intra-urbaines80

. » Par ces

nouvelles attentes, Montreuil aux Pêches insiste sur l’opportunité de « s’adosser aux murs à

pêches » afin d’en révéler un « patrimoine aussi bien matériel (…) qu’immatériel (une

technique culturale née au XVIIe siècle et qui a perduré jusqu’au milieu du XX

e) (…) car] la

production fruitière est à l’origine du patrimoine des murs à pêches et] la valorisation de ce

paysage remarquable est indissociable d’une remise en culture de pêchers palissés81

. »

Les deux projets agri-urbain ont vocation à faire renaitre une agriculture locale

renouant avec l’ancienne production horticole prestigieuse aux portes de Paris. Un lieu

consacré à la vente de fruits de Montreuil marquerait, par extension, l’ambition de créer un

lieu dévoilant toute la richesse culturelle de la production agricole d’Île-de-France pour

donner plus de visibilité au patrimoine et répondre aux attentes des habitants. Ces deux

projets ne résultent évidemment pas d’une vision utopique et égoïste de quelques associations

concernées davantage par l’écologie que par les enjeux sociaux de la ville. La volonté

d’inclure les réalités socio-économiques et culturelles de Montreuil au sein de ce projet est

réelle.Alors que le projet de Montreuil aux Pêches prévoit des chantiers de réinsertion

permettant « à des personnes en difficulté sociale et/ou professionnelle de (re)trouver un

équilibre personnel82

» en offrant des emplois tournés vers l’agriculture, celui de Montreuil

Environnement insiste sur la diversité des cultures agricoles comme témoins de la diversité

culturelle de la ville.

Il convient de garder à l’esprit que les liens qu’entretiennent ville durable et pratique

horticole, projet agri-urbain et culture « à la Montreuil » s’intègrent dans une dimension plus

large trahissant le lien étroit tissé entre le développement durable et le patrimoine culturel

immatériel ; les uns justifiant les autres dans une relation d’interdépendance. Il est aussi

essentiel de rappeler la relation étriquée qui unit l’immatériel au matériel, murs à pêches et

culture traditionnelle. La pratique horticole est, en effet, reconsidérée à partir du moment où

la cause même de sa disparition – l’urbanisation – devient assez insupportable aux

communautés, pour provoquer en eux une prise de conscience patrimoniale sur un élément

concret : les murs. C’est en premier lieu par cet « objet-madeleine », porteur de l’immatériel,

80

Montreuil aux Pêches, un projet agriculturel porté par trois associations, p.4. 81

Op. Cit., p. 9. 82

Op. Cit., p. 13.

Page 49: Memoire Pci Map

49

que la pratique horticole trouve ensuite son sens s’inscrivant ainsi dans les nouvelles attentes

urbaines des citadins.

2. Paysage, nature et culture traditionnelle.

La culture « à la Montreuil » s’intègre par ailleurs dans un besoin de nature et de

respect de la biodiversité. Allant de pair avec une volonté de vivre la ville de manière

qualitative plus que par des actions économiques, la culture traditionnelle des fruits renoue

avec le besoin de nature.

Esthétique naturelle du paysage.

La prise de conscience des enjeux environnementaux, des menaces et de l’épuisement

des ressources a profondément revisité les relations entre la société et l’environnement. On l’a

vu, privées de nature par l’urbanisation, les communautés ont rejeté le béton qui semblait les

asphyxier. Augustin Berque écrit que « la divergence moderne du symbolique et de

l’écologique, la déconnexion croissante de la science, de la morale et de l’art se sont

retrouvées radicalement remises en cause. Une commune mesure s’impose maintenant au

paysage et à l’environnement : l’échelle de la Terre83

. » Ce désir contemporain de retourner

au plus près de la terre se note d’abord dans l’appréciation des murs et de l’espace qu’ils

constituent. Témoins d’une pratique horticole organisée, ils ont marqué le territoire en

quadrillant la ville. Le paysagiste Michel Corajoud, à l’origine du parc du Sausset à Saint-

Denis, est sollicité en 1993 afin de réfléchir à l’avenir de ces murailles en ville. De ce qu’il

voit, il opte dans un premier temps pour une destruction totale du reste des murs ruinés. Mais,

dans un second temps, par une observation plus attentive et un intérêt pour l’histoire

renfermée dans ces murs, il propose un projet soulignant le potentiel de ce territoire84

. Les

projets de Corajoud ne seront pas retenus suggérant la construction d’habitations entre les

murs mais en voulant donner plus de visibilité au site, il soumet les murs à pêches à

l’appréciation visuelle, les faisant ainsi passer de « territoire » à « paysage. » Par ailleurs,

83

A. BERQUE, Médiance, de milieux en paysages, 1990, p. 11 cité in A. SGARD, Le partage du paysage,

Rapport pour l’habilitation à diriger des recherches, 15 avril 2011, p. 33. 84

Voir l’intervention de M. CORAJOUD dans le film de GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de

Montreuil, 2008, 20’15’’ DOC2GEO, En ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-

projets-de-montreuil (consulté le 1er juin 2013)

Page 50: Memoire Pci Map

50

cette idée de paysage est confirmée lors des réflexions de la Commission extra-municipale sur

l’avenir du site lorsque le paysagiste Gilles Clément propose le projet d’un belvédère afin de

saisir pas la vue « un paysage gravé dans la mémoire85

. » L’appréciation visuelle des murs à

pêches permet de prendre conscience d’une nature cachée, secrète au cœur de la ville.

Ce sont ensuite tous les sens qui sont mis en éveil afin de ressentir ce paysage comme

une bouffée d’air frais en plein cœur de la ville. « Dans cette trame paysagère – dit François

Lacroix – il y a du secret, il y a d’autres trames cachées qui ne demandent qu’à être vues,

ressenties, goûtées, comme le suc des pêches et des fruits qui ont fait la renommée de ces

murs. » De ruines et territoire, les murs deviennent terres et paysage rappelant ainsi la nature

et la gloire horticole passée. Par ailleurs, « le domaine des murs à pêches est exactement ce

que l’univers marchand n’a pas réussi à dérober à la ville » c’est à dire « évasion, rêve,

poésie, déambulation, flânerie, errance, émerveillement devant une libellule, sieste à l’ombre

d’un arbre, flirt au soleil, amour 86

», nous dit l’association Murs à Pêches. Le paysage

correspond alors à cet idéal d’harmonie rousseauiste dans lequel les hommes vivent dans et

avec la nature. Les codes esthétiques du paysage, à savoir le beau, le sublime et le pittoresque

– pouvant tous les trois qualifier les murs à pêches87

– s’enrichissent visiblement d’un

nouveau qualificatif : le naturel. En opposition à la ville superficielle et malade, le naturel

témoigne du bien être dans lequel tous les sens sont éveillés.

A la manière d’un Candide, cultiver ramène l’homme dans une réflexion personnelle,

intime, intellectuelle dépassant le cadre de l’aliénation urbaine. Au plus près de la terre,

l’homme paraît atteindre l’harmonie égarée dans les immeubles bétonnés. En insistant sur la

réintroduction de la pratique traditionnelle avec pour objectif « «la relation harmonieuse entre

l’humain et la nature 88

», c’est le paysage crée autrefois par le savoir-faire des horticulteurs

qui se justifie dans un cadre naturel et, en creux, esthétique. Il suffit pour cela d’observer le

paysage tel qu’imaginé dans le projet agri-urbain de l’association Montreuil Environnement.

85

« Contribution de Gilles Clément à la Commission extra-municipale », 10 janvier 2009 in Commission extra-

municipale sur l’aménagement du secteur des murs à pêches, rapport final, avril 2009, p. 32. 86

« Ce que nous voulons », Murs à Pêches, En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/ce-

que-nous-voulons/ (consulté le 1er

juin 2013) 87

Selon Alain Corbin, « le beau » renvoie au code de la beauté classique et implique un espace limité, bordé et

soumis à l’homme. Les murs à pêches en tant qu’espace clos cultivé renvoient alors au « beau. » Le « sublime »

évoque l’effroi, l’horreur suscitée par l’irruption brutale d’une catastrophe. Pour certains, l’urbanisation est vue

comme un acte criminel qui a détruit des hectares de murs. Le regard porté sur les murs mutilés ou disparus

renvoie ainsi au « sublime. » Enfin, le « pittoresque » sous-entend la quête de la surprise et correspondrait tout à

fait aux découvertes surprenantes que l’on pourrait faire au détour d’une ancienne parcelle de mur. Pour les

définitions des codes esthétiques du paysage, voir A. CORBIN, L’homme dans le paysage. Entretien avec Jean

Lebrun, Paris, 2001, pp. 86-87. 88

Montreuil aux Pêches, un projet agriculturel porté par trois associations, p.6

Page 51: Memoire Pci Map

51

En proie au rêve et à « l’imaginaire89

», les murs à pêches redonnent toute leur symbolique à

la pratique horticole traditionnelle. Sur des représentations du projet agri-urbain de

l’association Montreuil Environnement, on peut apprécier des lignes de pêchers palissés et

des rangées de pommiers et poiriers taillés en candélabre. Les fruits ensachés attendent le bon

moment pour se colorer au soleil. Comme un clin d’œil à l’œuvre d’Alexis Lepère, des

pêchers conduits selon l’art de la taille de formation, forment le nom de « Montreuil » sur un

grand mur de plâtre. Des montreuillois photographiés et intégrés dans les représentations,

déambulent à pieds, à vélo, pendant que d’autres arrivent par le tramway, mode de circulation

douce. Loin du bruit de l’autoroute, du béton et de l’agitation urbaine, ils sourient, dansent,

cultivent et cueillent les fruits produits sur leurs terres (Annexe VIII.c, d, e, f, g). Le paysage

naturel ainsi formé renvoie au savoir-faire des horticulteurs montreuillois, à un patrimoine

vivant en plein cœur de la ville et prend tout son sens dans un espace esthétique naturel

apportant l’harmonie en milieu urbain.

Cultiver sainement et restaurer l’humus

Renouer avec une pratique horticole traditionnelle revient à reconsidérer la nature des

sols sur lesquels on cultive. En effet, disparue avant l’intensification des traitements

chimiques en agriculture, la culture « à la Montreuil » renvoie à une manière respectueuse de

produire et plus soucieuse de la préservation des ressources naturelles et de l’humus. On l’a

vu, l’ensachage par exemple avait pour but de protéger des insectes parasites alors

qu’aujourd’hui les pesticides ont largement remplacé les sacs de papier auparavant utilisés.

Sans faire ici l’apologie d’une agriculture biologique, il s’agit d’observer en quoi la culture

traditionnelle des fruits à la Montreuil encourage la restauration la qualité de la terre

permettant ainsi aux communautés porteuses de justifier la réintroduction de l’horticulture

traditionnelle.

Des études de faisabilité des projets agri-urbain ont été menées afin de savoir si un

retour à l’agriculture sur un territoire urbain pollué par l’industrie était possible. En 2008, la

Direction Régionale et Interdépartementale de l’Agriculture et de la Foret (DRIAF) a alors

procédé à des tests des sols afin d’en évaluer la contamination. Dans son enquête, la DRIAF

89

Le terme est de l’association Montreuil Environnement pour décrire le paysage formé par les murs à pêches.

« Demain les murs à pêches/incrustez vous dans l’image ! », Montreuil Environnement, [En ligne,

http://montreuil-environnement.blogspot.fr/search/label/demain (consulté le 1er juin 2013)

Page 52: Memoire Pci Map

52

tient compte d’une « dimension agricole qui] concerne en priorité la replantation d’espèces

fruitières, à commencer par le pêcher symbole emblématique de l’histoire du site, mais aussi

d’autres espèces comme le pommier.90

» Les tests mettent alors en évidence une

contamination incontestable par le cuivre, le mercure, le plomb et le zinc. Le facteur explicatif

de premier plan serait le recours aux gadoues de la ville de Paris comme produit de

fertilisation. Avec le développement de l’industrialisation, la matière organique des gadoues

s’est chargée en éléments toxiques dont en éléments traces métalliques (ETM)91

. Il faudrait

toutefois relativiser ce constat pour ne pas faire des industries les seules responsables de la

contamination puisqu’un autre facteur explicatif serait le recours aux pratiques phytosanitaires

ancestrales comme la bouillie bordelaise préparée à base de sulfate cuivre. Mais l’enquête

affirme que la contamination en ETM a été largement plus limitée par le recours à ces

préparations que par la pollution industrielle des gadoues. En outre, c’est l’utilisation massive

de ces matières pour répondre à une production horticole intensive qui est à l’origine d’une

contamination des sols sur le long terme. Dans la mesure où il ne s’agit pas de réintroduire

l’agriculture en ville à des fins de production extraordinaire et que celle-ci sera concentrée sur

un parcellaire moins important qu’autrefois, le recours intensif à ces pratiques phytosanitaires

ancestrales ne sera pas justifié et sera adapté aux techniques actuelles.

Les résultats de l’enquête débouchent sur un constat très intéressant pour notre étude.

Il ressort que la concentration de plomb dans les fines herbes, les légumes tiges ainsi que dans

les légumes-feuilles dépasse largement les seuils réglementaires. En revanche, aucun

dépassement n’est observé dans les légumes-fruits et les espères fruitières. Ainsi, thym,

menthe, poireaux, rhubarbe et salade sont « à éviter, voire à proscrire » alors que pêchers,

poiriers, pommiers sont « à privilégier92

. » Enfin, l’enquête insiste sur l’engagement d’une

réflexion concernant la décontamination des sols afin d’encourager une agriculture saine. De

ces résultats débouchent deux constats. Premièrement, la mise en évidence d’une pollution

des sols pour certaines espèces permet de ne pas faire du projet agri-urbain un moyen

d’introduction d’une production agricole diversifiée mais plutôt ciblée. L’arboriculture y

retrouve pleinement sa place dans les réalités contemporaines où pêchers et pommiers

retrouvent, par extension, leur symbolique d’antan. Deuxièmement, la restauration de l’humus

par des pratiques de décontamination est un point d’ancrage à la réinstauration d’une culture

traditionnelle. Ainsi l’association Montreuil aux Pêches insiste-t-elle sur les fondements de

90

Rapport de synthèse du plan de surveillance sols et végétaux mis en œuvre sur le périmètre des murs à pêches

de la ville de Montreuil-sous-Bois, 2008, p.2. 91

Op. Cit., pp. 6-7. 92

Op. Cit., p.14.

Page 53: Memoire Pci Map

53

son projet dans son Axe 1, « Production maraichère, arboricole et horticole. » La production

doit être assurée à travers 3 actions : restauration de l’humus, réflexions sur les principales

actions de la mise en culture et la plantation d’un verger de pêchers. Ces trois étapes liées

entre elles assurent « dépollution associée à une remise en culture progressive », « production

arboricole » et « remise en culture de pêchers palissés93

. »

Palisser des pêchers, tailler des pommiers et manger des fruits

La culture palissée, comme fondement de la pratique horticole « à la Montreuil »,

permet la production de pêches et ces dernières ont vocation à redevenir le symbole de la

ville. Le « pilier culturel » du projet agri-urbain de l’association Montreuil Environnement

stipule qu’il faudrait « faire revivre le savoir-faire et les techniques perfectionnées au fil du

temps par les cultivateurs autour de la culture de murs à pêches. Et que] La pêche pourrait

redevenir l’emblème de la ville de Montreuil, comme elle le fut par le passé94

. » L’association

Montreuil aux Pêches prévoit quant à elle la plantation d’un verger de pêchers en culture

palissée avec la plantation de plus trois cents pêchers. Parmi les variétés de pêches, seront

replantés cent-cinquante arbres produisant des Gypses, cent-vingt donnant des Grosses

mignonnes et quatre-vingt des Tétons de Vénus. Il est par ailleurs proposé de replanter des

variétés fruitières « traditionnellement attachées aux pêches : abricots, prunes, cerises,

pommes, poires, raisin de cuve et de table (…) » La présence de la viticulture dans le projet

permet évidemment de faire le lien entre les feuilles produites et leur utilisation comme

support de présentation des pêches dans la pratique horticole traditionnelle. Les cent

pommiers de type Calville et les cinquante poiriers de type Comice participent du désir de

redonner aux murs et aux terres de Montreuil leur dimension culturelle par le biais des savoir-

faire développés au fil des générations et qui, alliés aux techniques contemporaines,

pourraient permettre l’élaboration de nouvelles variétés de fruits. Le premier essai

d’hybridation de deux variétés de pommes, la calville blanche et la pomme noire pour obtenir

une nouvelle variété « la calville noire », a été réalisé au Jardin-école en 2012. Par la

technique traditionnelle de l’ensachage, la calville a été protégée de toute pollinisation

extérieure pour ne recevoir que le pollen préalablement prélevé de la pomme noire et former

93

Montreuil aux Pêches, un projet porté par trois associations, pp. 8-9. 94

« 5 piliers pour un projet agri-urbain dans les murs à pêches », Montreuil Environnement, En ligne,

http://montreuil-environnement.blogspot.fr/search/label/demain (Consulté le 1er juin 2013)

Page 54: Memoire Pci Map

54

ainsi un nouveau fruit. Même si l’hybridation a été un échec, elle est surtout un « espoir »

pour Philippe Schuller qui compte bien « créer une pomme de Montreuil95

. »

A l’ère des slogans « manger équilibré », « manger 5 fruits et légumes par jour » et

« évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé96

», pêches et pommes sont gages de santé.

L’arboriculture ne peut être étudiée qu’en prenant en considération l’environnement mental et

les pratiques culturelles des individus. A titre d’exemple, l’historien Florent Quellier rappelle

que la culture des fruits intensifiée au XVIIIe siècle doit son succès à la nouvelle réputation

qui lui est liée. Les pêches deviennent particulièrement bienfaisantes alors qu’elles étaient

considérées comme pernicieuses par les théories de Galien97

et c’est bien de cette même

réputation dont jouissent aujourd’hui les fruits. Produits de la terre, ils croisent tout d’abord

l’histoire du paysage dont on a mis en évidence l’appréciation esthétique naturelle qui se

développe. Produits de la terre, ils croisent ensuite l’histoire de l’alimentation et nécessitent

d’être mis en relation avec les sensibilités alimentaires98

. Les fruits, parce qu’issus de la

nature, sont « l’élément-santé. » La production de pêches à Montreuil s’instaure dans un

« droit à une alimentation saine pour tous » en permettant « à chacun de réfléchir à ses

pratiques alimentaires et de trouver la place de citoyen qui lui revient en la matière99

. »

Les fruits de Montreuil deviennent le témoin de ces sensibilités alimentaires des

individus soucieux d’une alimentation saine et demandeurs de produits savoureux et cultivés

respectueusement. A ce titre, la SRHM participe à des activités pédagogiques au cours

desquelles les enfants décrivent les pommes du verger par le toucher et l’odorat. Puis, ils

goûtent les fruits à l’aveugle et votent pour celui qui deviendra « Miss pomme » (Annexe

VII.d). Et, les produits du marché annuel des saveurs d’Île-de-France garantissent, comme son

nom l’indique, des fruits savoureux de Montreuil, des pommes marquées et d’autres produits

fabriqués localement car, pommes et pêches permettent de faire sorbet, sirop, liqueur de

noyau de pêches, vin de pêches, confitures, jus et cidre (Annexe VII.c).

Le fruit doit ainsi être analysé de manière socioculturelle car, chargé de sensations et

de sentiments, il porte en lui l’histoire des mentalités et des pratiques culturelles des

individus. La réputation dont jouissent les fruits aujourd’hui, en tant qu’aliment sain et

savoureux, permet de comprendre l’engouement pour la sauvegarde de ce patrimoine culturel

95

P. SCHULLER, « Hybridation, premier essai. », Bulletin trimestriel de la Société Régionale d’horticulture de

Montreuil, 3ème

trimestre 2012, p. 17. 96

Ces slogans font partie du programme national de nutrition santé Manger-Bouger soutenus par le Ministère de

la Santé et par l’INPES. Voir à ce sujet les actions menées et la campagne de sensibilisation à une alimentation

saine et équilibrée sur www.mangerbouger.fr En ligne 97

F. QUELLIER, Des fruits… Op. Cit., p. 68. 98

Op. Cit., p. 13. 99

Montreuil aux pêches, Op. Cit., p. 11.

Page 55: Memoire Pci Map

55

immatériel qu’est la culture des fruits « à la Montreuil. » Car, c’est bien cette pratique vivante

et spécifique à la ville qui permettra la production de pêches et de pommes tout en répondant

aux attentes alimentaires et environnementales des individus.

3. Les temporalités d’une culture traditionnelle

La culture traditionnelle « à la Montreuil » est liée à l’environnement dans lequel elle

se déploie et est très attachée au concept de développement durable grâce auquel elle se

justifie. Pratiquée par des individus, elle témoigne de leur rapport au temps dans un monde où

l’épuisement des ressources replace l’homme dans sa position de mortel l’obligeant à réfléchir

à ce qui restera quand il ne sera plus là.

La lenteur de la culture

Nous l’avons vu précédemment, la culture des fruits trouve sa place en tant que

patrimoine lorsque se fait la prise en compte de concepts de développement durable et celle

de l’environnement habité. Les individus plus attachés à des valeurs du « mieux-être » plutôt

que du « plus avoir » trouvent un nouveau sens à la nature et aux pratiques qui lui sont

associées. Les mouvements du « slowfood » et du « cittaslow » permettent de saisir les

nouveaux rapports au temps qui se jouent en ville. Mais, ces deux mouvements permettent

aussi de comprendre l’enjeu de la culture « à la Montreuil » dans cette volonté de lenteur en

ville. La pratique horticole traditionnelle, en permettant la production de fruits à échelle

locale, a pour but de développer la qualité de la vie par le goût, et répond, en creux, à la

définition du slowfood en opposition au fastfood. Et, par la présence d’espaces cultivables en

ville, c’est toute la qualité de la vie en générale que les communautés montreuilloises veulent

améliorer en prenant leur temps, en cultivant et en se rapprochant ainsi du phénomène de

cittaslow. Le rapport à l’agriculture est déterminant pour comprendre cette volonté de lenteur

et de ralentissement du temps. Si l’homme peut encourager un sol à produire, il ne peut pas

l’y obliger. Par ailleurs, alors que certaines espèces végétales et animales peuvent apporter

une production permanente et continue, ce n’est pas le cas des arbres fruitiers. Les plantes

aromatiques s’épanouissent très bien à la fenêtre d’un immeuble urbain, même si le jardinier

en serait négligeant. Les poules pondront des œufs presque quotidiennement pourvu qu’un

Page 56: Memoire Pci Map

56

coq ne soit pas loin. Et carottes et poireaux se cultiveront presque sans encombre toute

l’année durant. Mais le fruitier est saisonnier et le pêcher, plus encore que les autres, a besoin

de soleil. Les horticulteurs montreuillois ont donc construits les murs à pêches afin d’être

certains qu’aux premiers jours de douceur et d’ensoleillement la récolte sera assurée.

L’arboriculture, sans doute encore plus que les autres cultures, est le témoin de cette volonté

de lenteur. Non pas que les communautés montreuilloises soient plus désireuses que d’autres

de ralentir la ville mais ils peuvent s’appuyer d’une part sur ce désir pour faire vivre leur

patrimoine et d’autre part sur leur patrimoine pour assouvir leurs désirs. Philippe Schuller

affirme que les individus sont plus sensibles à la culture traditionnelle des fruits aujourd’hui

qu’auparavant et il explique cette sensibilité nouvelle en affirmant que c’est la relation au

temps qui a changé. « Aujourd’hui on est tellement dans l’immédiateté que là, il y a un retour

au temps et au passé – dit-il. En plus, la culture des fruits se fait sur le long terme dans une

autre relation au temps. Les arbres fruitiers donnent beaucoup de travail et il faut attendre

longtemps pour le résultat. C’est propre à l’arboriculture100

. »

La culture des pêchers par le palissage sur murs confirme davantage cette notion de

lenteur. Il ne s’agit pas de planter des arbres fruitiers n’importe où sur le territoire, de faire de

la ville une terre agricole productive comme au XIXe siècle et retrouver un âge d’or horticole

révolu. Il s’agit de s’adosser aux murs restants, de leur redonner leur fonction d’outil de

culture et peu importe si d’autres techniques sont plus productives aujourd’hui.

Le fruitier, témoin du désir de lenteur est aussi témoin du temps des âges écoulés. « Se

tenir au pied de l’arbre, l’observer impose de faire silence, oblige à penser à ce qui oppose

l’éphémère et le durable, à se confronter à une temporalité qui n’est pas celle de l’homme. La

distance entre son caractère immémorial et la mémoire de soi est immédiatement ressentie ; ce

qui incite à l’interroger comme si la pensée se faisait espoir de sens, désir d’adhésion au

monde101

. » Evidemment, au pied d’un pêcher, d’un pommier, la rêverie, la réminiscence

nous projette dans le passé. Ces arbres sollicitent la mémoire, ils induisent le souvenir, ils sont

les garants d’une pratique horticole passée. Au Jardin-école, des pommiers et poiriers taillés

en carré ou candélabre et plantés au début du XXe siècle rappellent autant le savoir-faire des

horticulteurs de Montreuil que la résistance de l’arbre au temps et sa survie à l’urbanisation

(Annexe VI.a et b). L’arbre, survivant à l’homme, est ce passeur de temps, un souvenir

végétal et naturel. Même si la plupart des pêchers ont disparu suite au délaissement des murs,

100

Philippe Schuller, Entretien du 28 janvier 2013. 101

A. CORBIN, La douceur de l’ombre, L’arbre, source d’émotions de l’Antiquité à nos jours, Paris, 2013, p.

27.

Page 57: Memoire Pci Map

57

les pommiers résistent et, renvoyant au passé, témoignent d’un savoir-faire qui a traversé les

âges quand la transmission même de la pratique se serait arrêtée...

Le PCI : Un patrimoine tourné vers l’avenir

L’homme toujours ramené à son statut de mortel s’inquiète de ce qu’il laissera quand

il ne sera plus là. L’association Montreuil Environnement rappelle que « situé dans le Haut

Montreuil, à 4 kilomètres du périphérique parisien, le site des murs à pêches est constitué en

majorité de jardin en friche. Ce sont les dernières terres agricoles formant une zone cohérente

(38 hectares) si près de Paris102

. » Cette peur eschatologique de la disparition d’une zone

horticole en ville a suscité la volonté de classer le site des murs à pêches et d’en faire le

« patrimoine horticole » et « patrimoine naturel » de la ville. Progressivement, une réflexion

sur la patrimonialisation de la nature est engagée. Au nom de ce patrimoine environnemental

dont l’homme est exclu, doit se développer une activité patrimoniale portant sur une catégorie

de vivant et permettant à l’homme de faire vivre cet espace naturel et, en creux, de justifier

son rôle dans cette nature. La culture des fruits « à la Montreuil » en tant que patrimoine

culturel immatériel se justifie alors par sa capacité à faire vivre la nature.

Dans cette nouvelle conception, le patrimoine culturel immatériel est très lié à la

nature et à la notion de durabilité. Le sommet mondial sur le développement durable qui s’est

tenu du 26 août au 4 septembre 2002 à Johannesburg précède la Convention du Patrimoine

culturel immatériel de 2003 de l’Unesco qui insiste à son tour sur le concept de durabilité. A

l’heure où l’on commence à entrevoir les limites de nos ressources naturelles103

– eaux et

pétrole – et que la crise financière des subprimes a amorcé une crise mondiale104

, les sociétés

commencent à s’interroger sur le devenir global de notre planète. L’angoisse de l’épuisement

des ressources et la peur d’un monde dénué de nature laissé en héritage justifient le fait d’être

plus attentif à l’environnement et d’inscrire ses pratiques quotidiennes dans la durabilité. La

culture « à la Montreuil » en tant que patrimoine immatériel – et de pratique vivante –

témoigne de cette volonté de transmettre un élément du patrimoine culturel tenant compte de

102

« PLU de Montreuil : des paroles aux actes », Montreuil Environnement, En ligne, http://montreuil-

environnement.blogspot.fr/search/label/PLU (consulté le 1er juin 2013) 103

M. JADE, Op., Cit., p. 86. 104

E. AUCLAIR, « Revenir vers les habitants, revenir sur les territoires », Développement durable et territoires,

vol. 2, n°2, mai 2001, p. 2.

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58

la fragilité d’une nature à sauvegarder. De cette nature restante, il faudra alors encourager le

renouvellement à des fins de continuité.

En conclusion de son ouvrage sur l’histoire du patrimoine, Dominique Poulot souligne

qu’une nouvelle définition est née : « Une définition gouvernée par l’avenir105

. » D’après lui,

on travaillerait aujourd’hui à la postérité, au prestige futur et peu importe que « les choses

patrimonialisées] soient banales pourvu qu’elles soient projetées vers le futur. » Mais, plus

qu’une patrimonialisation des choses banales, l’avènement du patrimoine culturel immatériel

montre que le fait patrimonial est profondément lié au contexte historique, social, économique

et culturel dans lequel il se déploie car, « dans le mesure où le patrimoine constitue le rapport

de l’homme au réel, l’appropriation qu’il s’en fait, mais également sa relation avec ce qui le

précède et ce qui lui succède, les conceptions que l’homme a du patrimoine changent en

fonction de la représentation qu’il a de lui-même et de son environnement106

. » La

reconnaissance de la culture des fruits « à la Montreuil » en tant que patrimoine immatériel et

sa sauvegarde imminente comme le moyen le plus adapté pour garantir aux citadins une

qualité de vie durable et réclamée marquent bien cette nouvelle relation au patrimoine. Un

patrimoine qui ne s’attache plus à la contemplation – par la pure appréciation des murs à

pêches dans leur matérialité seulement – mais qui se soucie de l’avenir en tenant compte

d’une nature à préserver par le biais d’une pratique horticole traditionnelle.

Le rejet de l’urbanisation à la fin du XXe siècle et la peur de perdre ce qui reste de

murs ont marqué une étape primordiale dans la prise de conscience de la culture des fruits « à

la Montreuil » en tant que patrimoine culturel immatériel. En effet, les murs à pêches dans

leur matérialité sont l’objet physique permettant les réminiscences de faits immatériels, à

savoir la culture palissée des pêchers. Mais ces mêmes murs, soumis à l’appréciation visuelle

et sensorielle, constituent aussi un paysage qui en plus d’être qualifié de beau, de sublime ou

de pittoresque, est surtout naturel. Nature et matériel se mêlent pour trouver un sens à l’avenir

des murs de plâtre et du paysage qu’ils constituent. La pratique horticole traditionnelle trouve

alors son sens afin de rendre « vivant » le paysage considéré. Par la réintroduction d’une

agriculture à Montreuil, cette même pratique traditionnelle se justifie par les nouvelles

attentes des communautés porteuses de ce patrimoine, à savoir une amélioration de la qualité

de vie en ville, de l’alimentation et la volonté de transmettre aux générations futures des

105

D. POULOT, Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIe-XXI

e siècles : du monument aux valeurs, Paris,

2006, p. 183. 106

M. JADE, Op. Cit., p. 49.

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59

pratiques garantissant la durabilité des ressources. Et ce même patrimoine immatériel

s’impose à son tour comme le meilleur moyen de faire valoir les nouvelles attentes des

individus.

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60

C H A P I T R E III.

Faire vivre les murs à pêches : Le choix de la patrimonialisation.

Page 61: Memoire Pci Map

61

Nous n’avons eu de cesse de le rappeler au cours de cette étude : les murs à pêches

sont un outil. Ils permettent à la culture traditionnelle d’exister car sans les murs, la pratique

horticole « à la Montreuil » ne pourrait être désignée comme telle. Dans un dépliant de la ville

de Montreuil, deux descriptions sont retenues pour décrire les murailles (Annexe IX.): « Les

murs à pêches, un lieu d’histoire » et « les murs à pêches, un patrimoine vivant. » Si les murs

sont patrimoine et qui plus est patrimoine vivant, se pose alors la question de leur

patrimonialisation afin d’assurer leur maintien. Mais cette patrimonialisation – au sens

juridique du terme – oscillant entre matérialité et immatérialité, reviendrait surtout à

reconnaître les murs comme un élément à transmettre. Et ces murs qui font sens aujourd’hui

comme élément du patrimoine, le feront-ils demain ? Car, qui, au fond, choisit ce qui doit être

transmis ?

1. Le classement des murs : L’illusion d’une juste sauvegarde.

Une protection indéniable…

L’urbanisation outrancière des années 1960-1970 a accompagné la prise de conscience

patrimoniale des communautés pour les murs à pêches en tant que paysage, d’abord, et témoin

d’une pratique horticole, ensuite. La municipalité de l’époque s’opposait fermement à statuer

sur ce site et devant les demandes socioéconomiques prioritaires, elle était prête à fermer les

yeux sur le patrimoine. La réalisatrice Muriel Garrigues s’est intéressée aux murs à pêches en

tant que « murs à projets de Montreuil » et à travers vingt minutes de film, elle donne la

parole aux acteurs de l’avenir des murs à pêches. Parmi eux, Nicole Huvier, Présidente de

l’association Atelier Populaire Urbain de Montreuil en 2008, se souvient des motivations du

classement des murs. « On a réfléchi – dit-elle – Qu’est-ce qu’on va demander au ministère ?

Alors on avait fait une longue liste : interdictions des gros camions qui passent dans les murs

à pêches… Enfin, il y avait pleins de choses. On s’est dit que si on demande pleins de choses

on n’allait pas avoir grand-chose, on allait avoir du fouillis. On s’est dit, on va demander le

Page 62: Memoire Pci Map

62

classement du site107

. » Cette mesure a donc été le moyen de pression le plus rapide et le plus

efficace pour stopper les projets d’urbanisation. A cela, Pascal Mage, président de

l’association Murs à Pêches ajoute que le classement « s’est fait dans la violence parce que

c’était une opposition totale de la municipalité à protéger cet espace. Et donc l’Etat a dit

« Attention il y a intérêt supérieur » donc on a fait un classement site et paysage108

. » A

Montreuil, les murs à pêches sont les seuls éléments du patrimoine à avoir bénéficié de ce

classement. Par décret du 16 décembre 2003, Dominique Voynet, alors ministre de l’écologie,

encourage le classement et 8,6 hectares d’un ensemble formé par quatre secteurs du quartier

Saint-Antoine sont classés au titre des sites et paysages selon les critères « historique » et

« pittoresque. » D’après le code de l’environnement, un site classé est un lieu dont le caractère

exceptionnel justifie une protection de niveau national avec pour objectif de le conserver. Par

ce classement, la protection du site est assurée au titre de la loi du 2 mai 1930 (art. L.341-1 à

22) qui affirme que les murs doivent être protégés « de toutes atteintes graves (destruction,

altération, banalisation…) » Et, en site classé, toute modification de l’état ou de l’aspect du

site est soumis à autorisation spéciale. Ainsi, les projets d’urbanisation ne pouvaient aller au-

delà de la zone classée.

Cette protection est ensuite renforcée par la volonté d’inscrire une plus grande partie

du site en zone « protégée » sur le Plan Local d’Urbanisme de la ville. Comme un juste retour

des choses, Dominique Voynet qui avait appuyé la classification du site en 2003, est

aujourd’hui maire de la ville de Montreuil. Représentant le parti d’Europe-Ecologie-Les

Verts, elle encourage des projets basés sur l’écologie. Dans le PLU, elle tient compte des

attentes des citadins tout en mettant en application les idées qu’elle porte. Approuvé en

septembre 2012, le PLU prévoit 21 hectares du site en zone nag (zone agricole) et autour de

ce secteur une zone ua (zone d’équipements en activités complémentaires à la zone naturelle

agricole.) La zone nag est non constructible et garantit ainsi une protection supplémentaire au

site109

. Même si on ne peut parler de « patrimonialisation » concernant le PLU, ce dernier en

est tout de même très proche. Les Assises de la Culture de Montreuil ont insisté sur la

poursuite du projet de protection et de développement des murs à pêches qui passe par une

107

N. HUVIER in GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de Montreuil, 2008, 7’30’’ DOC2GEO,

En ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-projets-de-montreuil (consulté le 1er juin

2013) 108

P. MAGE, in GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de Montreuil, 2008, 7’57’’ DOC2GEO, En

ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-projets-de-montreuil (consulté le 1er juin

2013) 109

Voir le plan local d’urbanisme dans son intégralité sur le site de la municipalité. Ville de Montreuil, En

ligne, http://www.montreuil.fr/grands-projets/le-plan-local-durbanisme-plu/tous-les-documents-du-plu/

(consulté le 1er

juin 2013)

Page 63: Memoire Pci Map

63

protection du site « par le Plan Local d’Urbanisme (PLU) afin de promouvoir les pratiques

agricoles et culturelles110

. » Par ailleurs, le PLU va désormais de pair avec les aménagements

en Aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, dites AVAP issues de la Loi

Grenelle II. L’aménagement du site des murs à pêches a ainsi été maintes fois pensé en aire de

protection sans finalement aboutir. Emerge ici encore la relation importante qu’entretiennent

développement durable et nouvelles aspirations patrimoniales.

Enfin, la demande de classement des murs à pêches au patrimoine mondial de

l’Unesco a été lancée111

et permettrait une protection incontestable tout en assurant une

reconnaissance internationale indéniable. La Convention de 1972 oblige les Etats parties à se

porter assistance grâce au Fonds du patrimoine mondial et oblige les Etats, dont l’élément est

inscrit, à rendre compte de l’état de l’édifice. De ce fait, la patrimonialisation des murs à

l’Unesco assurerait à ces derniers un état respectable par le financement des éventuelles

restaurations. Ces murs protégés par un classement au niveau international seraient alors

assurés de ne pas flancher sous la pression urbaine ou économique.

… Mais contraignante…

Nous l’avions vu en début d’étude, le matériel permet de saisir toutes les

réminiscences de l’immatériel et il parait donc naturel que la première patrimonialisation à

laquelle les individus songent lorsque subsistent des traces physiques d’un passé soit

matérielle. Toutefois, ces mesures de patrimonialisation du matériel n’apportent pas que des

avantages. Le classement des murs au titre des sites et paysages a permis de freiner des

actions qui auraient pu être irréversibles. Toutefois, aucun financement n’est attribué afin

d’entretenir l’état du site alors même que le code de l’environnement insiste sur « la

conservation en l’état (entretien, restauration, mise en valeur…) » A la charge donc des

habitants d’entretenir les parcelles de murs à pêches qui ont fait l’objet d’un classement. A ce

titre, Pascale Mage parle de « rigidité » afin de désigner le cadre qu’induit le classement et

André Patureau se déplore de ne plus être libre sur son propre terrain. « Les gens qui ont des

parcelles ici – dit-il – des propriétaires privés, notamment, sont souvent des héritiers de

familles qui ont déjà leur souci. Ils héritent de ces terrains, non seulement ils en héritent mais

ils ne peuvent plus rien en faire puisqu’ils sont classés. Ils ne peuvent même plus mettre leur

110

Assises de la culture / Une nouvelle ambition culturelle pour Montreuil, septembre 2012, p.72. 111

Ibid.

Page 64: Memoire Pci Map

64

propre habitation dessus. C’est mon cas par exemple, je voudrais construire pour finir ma vie

auprès de mon petit ru Gobétue, mon petit ru, ma petite source. Je ne peux pas. Je ne peux

pas, ça m’est interdit. Par contre, si un morceau de mur tombe, je suis dans l’obligation de le

remonter112

. » Privant ainsi les défenseurs des murs à pêches de leur liberté d’actions, le

classement fige et contraint, sans tenir compte des aspirations, des émotions et des sentiments

de chacun. Par ailleurs, les demandes étant effectuées sur une surface la plus étendue possible,

la patrimonialisation des murs entraine un blocage quant aux éventuelles évolutions

territoriales futures pouvant s’avérer nécessaire ou en faveur de la valorisation du site.

Enfin, les murs à pêches sont devenus patrimoine matériel à la demande des

communautés appuyées par une force politique mais cette patrimonialisation spontanée

obligera les générations futures à maintenir en l’état l’objet patrimoine qu’ils ont reçu. Et,

alors que pour les générations contemporaines ces murs avaient une signification au moment

où ils ont voulu les protéger et les faire entrer en patrimoine, qu’en sera-t-il de ceux qui en

hériteront ? Là réside toute la question de la transmission. Cette dernière repose-t-elle

uniquement sur une passation d’un objet matérialisé qu’il faudra garder envers et contre tout

ou bien induit-elle un sens, un sentiment ? Jean-Louis Tornatore parle d’ « esprit du

patrimoine » pour désigner « ce qui ne peut se transmettre et qui doit être découvert et saisi

par chaque génération d’un bout à l’autre de la planète. Quitte à laisser le patrimoine et à

garder l’esprit113

. » Ce qui manque certainement à la patrimonialisation du matériel est cet

esprit de patrimoine…

… et rattrapée par la perte des usages.

La patrimonialisation des murs effectuée, ceux-ci sont à projets dans les esprits des

communautés montreuilloises. L’association Montreuil Environnement ou encore Montreuil-

aux-Pêches envisagent un projet agriculturel ou agri-urbain concédant toute sa place à la

pratique horticole « à la Montreuil » en redonnant aux murs leurs usages initiaux. D’autres

individus y voient cependant un projet absurde, pire, insensé. « Au début, quand on a démarré

112

A. PATUREAU, in GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de Montreuil, 2008, 8’50’ sur

DOC2GEO, En ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-projets-de-montreuil

(consulté le 1er juin 2013) 113

J-L. TORNATORE, « L’esprit de patrimoine », Terrain, n°55, 2010, p. 125.

Page 65: Memoire Pci Map

65

et qu’on parlait d’agriculture, on avait l’impression de dire un gros mot114

» nous dit alors

Véronique Ilié, présidente de l’association Montreuil Environnement. Ainsi, les projets

abondent sur les murs à pêches en tant que territoire ou paysage mais non sur leur usage en

tant qu’outil de culture. L’association Murs à Pêches ou encore Lézarts dans les murs, voient

en ce paysage l’occasion d’y « développer et d’y animer des projets autour de la découverte

du patrimoine et du paysage, de l’éducation et de la sensibilisation à la nature et au

développement durable115

. » De la volonté de « patrimoine vivant », comme il en était

question auparavant, on glisse progressivement vers des murs qui, de vivant n’auront plus que

la mémoire. En ayant comme projet de ne pas redonner à ces parcelles leur fonction d’outils,

on accepte de laisser disparaitre la pratique qui leur est liée. Ce faisant, ce n’est que l’histoire

d’une pratique ancienne que l’on entretiendra, celle de la mémoire des horticulteurs qui

cultivaient ici, dans ces murs. « La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants

et à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de

l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et

manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations. L’histoire est la

reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus116

. » Ainsi, c’est bien

de cela qu’il s’agit ici pour l’avenir de ces murs si la seule patrimonialisation matérielle est

envisagée et que l’on souhaite faire d’eux des lieux d’histoire et non pas des lieux de

pratiques. Les usages s’effaceront à mesure que la mémoire s’entretiendra.

Par ailleurs, l’accent est mis sur la volonté de planifier des événements, des

manifestations diverses en plein air, de mettre en avant la vie culturelle et associative au cœur

des parcelles et d’y développer des pratiques artistiques. Le territoire « murs à pêches » serait

alors réhabilité par de nouvelles activités culturelles et artistiques contemporaines. Dès lors,

ce ne sont plus des murs outils d’une pratique vivante que l’on voudrait garder mais un

espace naturel rendu aux habitants pour leur permettre de s’exprimer culturellement et

artistiquement. L’aménagement du site des Murs à Pêches en tant qu’espace, en jardins

partagés ou en AMAP, ne tiendrait pas compte, une fois de plus, de l’usage des murs puisqu’il

ne s’agirait pas de cultiver sur eux en palissant de nouveaux arbres ou même en adoptant de

nouvelles techniques de culture sur les murs mais bien de cultiver entre eux, sur le sol.

D’autres acteurs des murs à pêches parlent de la nécessité de laisser une partie du territoire

114

V. ILIE in H. JAYET (réal), On a marché sur l’autoroute, 2009, 1’25’’, sur Montreuil Environnement, En

ligne, http://montreuil-environnement.blogspot.fr/2010/01/test.html (consulté le 1er juin 2013) 115

« Nos objectifs », Lezarts dans les murs, En ligne, http://lezartsdanslesmurs.com/paysage-environnement-

patrimoine (consulté le 1er juin 2013) 116

P. NORA, Les lieux de mémoire, Vol.1, Paris, Gallimard, 1997, p.24.

Page 66: Memoire Pci Map

66

des murs à pêches en friche, de laisser des murs non restaurés, abandonnés. Nicole Huvet, par

exemple, parlait de la nécessité de laisser des brèches. On pourrait ici faire le lien avec la

notion de Tiers-paysage développée par Gilles Clément pour désigner l’appréciation nouvelle

« des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature. Il concerne les

délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition, les friches, marais, landes (…) le Tiers-

Paysage constitue l’espace privilégié d’accueil de la diversité biologique117

. »

Tous ces projets d’aménagement par des activités culturelles ou par la seule force de la

nature sur des murs ayant subi une patrimonialisation matérielle posent évidemment deux

problèmes majeurs. Le premier est la perte des usages puisque le mur en tant qu’outil de

culture est nié et que la patrimonialisation matérielle n’oblige pas à rendre à ces murs leur

fonction première. Par contre, les diverses mesures de classement – qu’elles concernent les

8,6 hectares ou les 35 hectares dans le dossier envoyé à l’Unesco – contraignent à la

conservation des murs ou du paysage en l’état. De ce fait, le désir de patrimonialisation des

murs en tant qu’objet matériel semble contredire les projets d’avenir voulus par ceux qui ont

souhaité leur classement et faisant ainsi émerger un second problème ; la restauration et le

maintien des murs devront être assurés même si ceux-ci sont devenus un ensemble du paysage

que l’on a réhabilité pour d’autres activités. Les acteurs du sites souhaitant des jardins

partagés ou des espaces dédiés à la culture ne doivent pas perdre de vue qu’ils devront

restaurer – ou maintenir – les murs sur toute la surface classée même si ces murs n’ont plus

d’usages… Ainsi, si tel est l’objectif, n’aurait-il pas mieux valu pour ce genre de projets,

demander une classification d’une partie du territoire ne prenant en compte que le naturel –

c’est-à-dire la surface de verdure sans les murs – et une autre, plus réduite et comprenant

quelques parcelles de murs, afin d’en faire des lieux de mémoire d’une pratique horticole

passée ?

Les murs à pêches patrimonialisés dans leur matérialité sont garantis de ne pas subir

de destruction. Mais l’avenir de ces murs semble bien compliqué lorsqu’il s’agit de les

entretenir sur une surface étendue sans volonté de leur rendre leurs usages et sans même les

utiliser. Faudra-t-il à tout prix entretenir la mémoire du site pour que ces murs fassent sens ?

La patrimonialisation matérielle semble à elle seule souffrir d’une fixation dans le temps

entrainant la perte des usages et, en cela, la perte de sens de ces murs contraints de subsister

dans leur seule matérialité aux évolutions du temps et des mentalités.

117

G. CLEMENT, « Le tiers-paysage », Gilles Clément En ligne, http://www.gillesclement.com/cat-

tierspaysage-tit-le-Tiers-Paysage (consulté le 1er juin 2013)

Page 67: Memoire Pci Map

67

2. L’apport du patrimoine culturel immatériel dans la sauvegarde des murs.

Des murs de sens…

On aurait tort de faire ici l’apologie d’une patrimonialisation immatérielle en

opposition à celle totalement matérielle dont on a parlé précédemment. La sauvegarde

imminente des murs par le classement a évidemment permis de se prémunir contre des

conséquences irréversibles. Mais, comme on l’a souligné, cette classification exclusivement

matérielle n’apporte pas de recommandations quant à l’usage des murs. La présidente de

l’association Montreuil Environnement le souligne justement en déclarant que « le classement

a été intéressant à un moment donné pour stopper une urbanisation. Il A permis que le site

ne soit pas construit. Il le serait aujourd’hui c’est certain. Mais, par contre, n’a aucunement

permis ni de sauver le site, ni d’imaginer un aménagement respectueux de ce qu’il est118

. »

Et laissant ainsi libre cours aux projets les plus divers, ces murailles perdent de leur

sens. Pourtant la question des usages se pose dans la mesure où le site a été classé selon deux

critères : pittoresque et historique. Pittoresque, en tant que paysage surprenant qu’il constitue

en plein cœur de ville. Et historique dans la mesure où les murs sont les témoins d’une

pratique horticole caractérisée par leur usage même. Marie-Christine Léger insiste sur le pur

aspect paysager et matériel auquel les murs à pêches sont diminués. « Le patrimoine horticole

de Montreuil est souvent réduit aux murs à pêches, qui constituent certes un paysage unique,

témoin emblématique d’un passé horticole récent, mais c’est oublier l’apport inestimable des

cultivateurs montreuillois à l’arboriculture fruitière mondiale, en matière de pratiques

agricoles119

. » La Société Régionale d’Horticulture de Montreuil et d’autres associations ont

témoigné leur volonté de revaloriser une pratique sur le point de disparaître afin qu’elle puisse

continuer à se transmettre. Reconnaissant ainsi que cette pratique du passé ne s’inscrit pas

d’elle-même dans le présent mais qu’elle a besoin d’aide pour continuer à exister, une

patrimonialisation de la pratique pourrait-être envisagée afin d’assurer un processus de

118

V. ILLIE, in GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de Montreuil, 2008, 8’27’ DOC2GEO, En

ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-projets-de-montreuil (consulté le 1er juin

2013) 119

M-C. LEGER, « PLU de Montreuil – Avis de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil (SRHM)

concernant le secteur dénommé « Quartier de Saint-antoine, dit des Murs à Pêches », d’une surface de 50 ha. » in

J-P. CHAULET, Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S. et à l’élaboration plan

local d’urbanisme de Montreuil-sous-Bois, Annexe I, septembre 2010, p.155.

Page 68: Memoire Pci Map

68

transmission tout en redonnant aux murs leur fonction. « Ces pratiques représentent un

patrimoine immatériel, qui doit être pratiqué au quotidien pour ne pas disparaître – affirme

encore la Présidente de la SRHM. Préserver quelques kilomètres de murs à pêches

authentiques sur lesquels « conduire » des arbres fruitiers « à la Montreuil », c’est sauver ce

patrimoine immatériel d’une disparition imminente120

. » Si les murs dans leur matérialité sont

porteur de l’histoire et que cette histoire fait référence à la pratique horticole traditionnelle,

alors ils ne retrouveront leur sens que par leur usage premier en évitant ainsi une

muséification des vestiges que la patrimonialisation matérielle seule entrainerait121

. Par

ailleurs, la condition sine qua non de la perpétuation du processus de génération en génération

tient au maintien de l’ensemble du matériel et de l’immatériel qui vivent alors en parfaite

symbiose. L’immatériel s’apparentant à cette quintessence productrice qui assure la pérennité

du matériel en reconnaissant son authenticité. Et alors que le classement des murs n’induisait

pas la sauvegarde de cette authenticité, de cette essence même des murs à pêches comme outil

d’une pratique horticole traditionnelle et historique, la patrimonialisation de la pratique

permettrait de leur redonner toute leur signification.

La seule inscription de la culture « à la Montreuil » n’en serait pas pour autant

suffisante puisqu’aucune mesure contraignante n’est envisagée par la Convention que ce soit

à l’échelle internationale ou nationale. De ce fait, les murs auraient pu être détruits sous la

pression du béton dans les années 1960-1970 quand bien même la pratique eut été

patrimonialisée. Tout revient alors à se demander ce que l’on veut conserver et ce que l’on

veut transmettre aux générations futures. Si l’on veut transmettre le site des murs à pêches en

tant que matérialisation d’une pratique horticole vivante et d’un savoir-faire unique, alors les

deux patrimonialisations semblent nécessaires afin d’assurer et la pérennité du lieu et son

essence. Si ce que l’on veut transmettre est un paysage fait de vestiges, un lieu de mémoire

d’une pratique horticole passée laissant sa place à de nouvelles activités, il faudra alors

adhérer aux contraintes d’entretien d’une patrimonialisation purement matérielle et accepter la

perte des usages des murs.

120

Ibid. 121

A ce titre, Marie-Christine Léger souligne que le secteur des Murs à pêches doit bénéficier d’une protection

appropriée à sa nature patrimoniale et agricole sans « muséifier les vestiges d’un temps révolu. » Ibid.

Page 69: Memoire Pci Map

69

…Et entretenus…

Au lendemain de la classification du site des murs à pêches et devant les contraintes

d’entretien, la question de la restauration des murs s’est évidemment posée. Nicole Huvet,

présidente de l’association Atelier Populaire Urbain de Montreuil, s’interrogeait sur les futurs

projets de restauration en disant qu’il ne serait certainement pas justifié de restaurer tous les

murs à l’identique122

. En ce sens, elle pose tout l’enjeu de la restauration des murs à pêches.

Si, comme on l’a vu, la volonté des contemporains est de faire place à la brèche alors il faudra

seulement veiller à l’entretien de la ruine. Mais si le parti pris de restauration se porte sur la

reconstruction totale des murs et en conformité avec ce qu’ils sont – c’est-à-dire des murs de

plâtre servant à la production de fruits – alors il faudra prendre en considération la pratique

horticole qui leur est liée.

En 2006, la ville de Montreuil décide de la restauration d’une parcelle de murs en site

classé entre l’impasse Gobétue et la rue Pierre de Montreuil. Ce chantier s’est déroulé de

septembre à avril et a été assuré par deux architectes du patrimoine, Aurélie Rouquette et

Delphine Vermeersch. Les travaux ont été réalisés par des maçons mettant en pratique un

savoir-faire spécifique des compagnons afin de respecter la particularité de ces murs. Il en

ressort qu’il est aujourd’hui impossible de refaire exactement à l’identique des murs à pêches

dans la mesure où ceux-ci étaient reconstruits en permanence avec des matériaux que les

horticulteurs avaient à leur portée. Les murs sont composés d’éléments disparates témoignant

des différentes phases de constructions, déconstructions et reconstructions. Par le palissage à

la loque et la plantation des clous dans les murs, ceux-ci s’abiment et les horticulteurs sont

donc contraints de les entretenir au quotidien. Les deux architectes soulignent l’importance de

cette quotidienneté en précisant que « le site des murs à pêches n’est pas un site naturel. Les

murs se sont toujours adaptés à l’évolution des techniques et des usages. Il est en perpétuelle

transformation depuis deux siècles et demande un entretien permanent123

. »

On aurait tort de croire qu’il vaudrait alors mieux restaurer les murs et les protéger de

tout usage dans la mesure où la pratique horticole traditionnelle contribue à les abimer. En

effet, les murs restaurés, n’ayant pas fait l’objet d’une remise en pratique par la culture

palissée, ont subi dès l’hiver des dégâts alarmants. De suite, la faute est jetée sur les deux

122

N. HUVET in M. GARRIGUES (Réal.), Op. Cit., 9’20’’ 123

A.ROUQUETTE, D. VERMEERSCH, Murs à pêches, cahier pédagogique de restauration, Ville de

Montreuil, septembre 2012, p. 15.

Page 70: Memoire Pci Map

70

architectes qui n’auraient sans doute pas envisagé des procédés de restauration durables124

.

Mais, ces mêmes architectes, rappellent qu’elles ont opté pour une restauration conforme à ce

qu’est le mur, c’est à dire un outil de culture en plâtre, permettant de recevoir un arbre palissé

qui bénéficiera de la chaleur emmagasinée le jour et restituée la nuit. Elles terminent leur

compte rendu par une phrase plus qu’éloquente : « les murs sont destinés à retrouver leur

fonction horticole une fois la restauration terminée, il ne reste donc plus qu’à planter ! »

L’entretien quotidien permet au mur de se maintenir et, sans usage il n’y a presque rien

d’étonnant à ce que les murs se soient déjà dégradés.

Une patrimonialisation de la culture « à la Montreuil » permettrait à la pratique de se

maintenir sur des murs qu’elle contribuerait à entretenir. En effet, si la restauration demandée

ne tient compte, encore une fois, uniquement que de la matérialité de l’élément alors sa

pérennité n’est pas assurée. Pour reprendre la phrase du paysagiste Gilles Clément « la

question qui se pose concernant la pérennité du paysage des murs à pêches revient à poser la

question de la pérennité des usages125

. » Et ces mêmes usages ne s’inscriront dans une logique

pérenne que par une patrimonialisation de l’immatériel qui garantirait ainsi une perpétuation

de la pratique et des murs entretenus.

Enfin, il faut étendre encore davantage notre raisonnement sur l’entretien permanent

des murailles. La municipalité, qui a pris en charge le financement des travaux de restauration

ayant coûté 336 000 €, ne se soulagerait-elle pas en encourageant leur entretien

quotidien plutôt qu’une restauration perpétuelle ? Par la patrimonialisation de la pratique ce

sont les horticulteurs qui entretiennent eux-mêmes les murs dans une logique pérenne mais le

savoir-faire des horticulteurs montreuillois s’intègre dans une dimension économique de

production horticole, contrairement à d’autres pratiques liées aux « musiques et danses » ou

encore à « l’art du conte » qui ne démontrent pas, a priori, d’exigences économiques pour

pouvoir se maintenir. On en revient alors au projet agri-urbain comme projet de sauvegarde

de la pratique. En effet, une fois la pratique patrimonialisée, la seule contrainte du patrimoine

immatériel étant de mettre en place des activités permettant sa sauvegarde, la réintroduction

de l’arboriculture fruitière à Montreuil, telle qu’elle est conçue par les projets agriurbain de

Montreuil aux Pêches par exemple, permettrait de dégager un bénéfice réinvesti dans

l’entretien permanent des murs. Marie-Christine Léger résume merveilleusement bien cette

idée en disant que « si on se contente de restaurer quelques linéaires de murs juste à des fins

124

J. DUFFE, « L’hiver a abimé les murs à pêches restaurés », Le Parisien, le 23 avril 2013 sur Montreuil actu,

En ligne, http://www.scoop.it/t/montreuil-actu?q=hiver (consulté le 1er

juin 2013) 125

G. CLEMENT in M. MARTINEZ, P. DESGRANGES, P. PETITJEAN, Commission extra-municipale sur

l’aménagement du secteur des murs à pêches, Rapport final, 2009, p. 32.

Page 71: Memoire Pci Map

71

des paysages, pour avoir un joli paysage ou pour créer des parcelles qui permettront de

segmenter les activités, on ne sera pas dans une logique pérenne puisque, de toute manière, il

s’agit de murs qui demandent un entretien permanent puisqu’ils sont recouverts de plâtre. Ce

qui a fait qu’ils étaient entretenus aux fils des siècles c’est le fait qu’ils servaient d’outils de

support les arbres palissés dessus. Donc le seul moyen d’obtenir une restauration de qualité et

de pouvoir les entretenir au fil du temps c’est de palisser de nouveau des arbres fruitiers sur

ces murs et de leur redonner leur fonction première qui était la culture fruitière126

. » Il ne

s’agit pas ici de soutenir ces projets urbains mais de les analyser, dans le cadre d’une

patrimonialisation de l’immatériel, comme des projets de sauvegarde réels permettant à la

pratique de se maintenir et aux murs d’être continuellement entretenus.

… Pour une meilleure visibilité du patrimoine.

Contrairement à une patrimonialisation matérielle contraignante, le patrimoine

immatériel insiste davantage sur la sauvegarde que sur la conservation. Alors que le

classement des murs n’a pas permis de valoriser à juste titre toute la richesse du patrimoine

que ceux-ci recèlent, une patrimonialisation de la pratique horticole traditionnelle le

permettrait. La Convention de l’Unesco, ratifiée par la France en 2006, définit de manière

assez claire ce qu’il faut entendre par « sauvegarder le PCI. » Selon l’alinéa 3 de l’article 2, la

sauvegarde est définit comme « les mesures visant à assurer la viabilité du patrimoine culturel

immatériel, y compris l’identification, la recherche, la préservation, la protection, la

promotion, la mise en valeur, la transmission, essentiellement par l’éducation formelle et non

formelle, ainsi que la revitalisation des différents aspects de ce patrimoine. »

L’inscription de la pratique horticole traditionnelle sur un inventaire national

permettrait une indéniable reconnaissance d’un savoir-faire unique et propre à la ville. Par

ailleurs, aucun critère d’authenticité n’étant requis pour y figurer, il suffirait que le dossier

d’inscription rende compte de l’engouement des communautés et de leur désir de transmission

pour que la culture « à la Montreuil » trouve sa place sur l’inventaire. Un programme a été

lancé par les antennes régionales de France 3 – en partenariat avec le Ministère de la Culture

et de la Communication, le haut patronage de la Commission nationale française pour

l’Unesco – et a pour but de mettre en lumière « la richesse exceptionnelle de nos traditions

vivantes ou menacées de disparition : chants, dans, arts du spectacle, savoir-faire artisanaux et 126

M-C. LEGER in M. GARRIGUES (Réal.), Op. Cit., 4’45’’

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72

liés à a nature, traditions gastronomiques, légendes, rituels festifs. » S’inscrivant « dans le

cadre de la Convention de 2003 de l’UNESCO (ratifiée par plus de 140 pays) (…)127

» ce

programme présente la culture fruitière « à la Montreuil », dans une courte vidéo, en décrivant

d’où elle vient et ce qu’elle est aujourd’hui. La reconnaissance de la culture fruitière « à la

Montreuil » comme patrimoine culturel immatériel par ce programme et l’engouement des

communautés pour cette pratique permettraient certainement de faire inscrire cet élément sur

un inventaire national. Et ce n’est qu’alors qu’une inscription sur la liste de sauvegarde

urgente – ou représentative – de l’Unesco pourra être demandée.

Cette patrimonialisation d’abord nationale, puis internationale, pourrait donner une

plus grande visibilité à la pratique horticole traditionnelle. Visibilité d’abord, dans la mesure

où les communautés porteuses de ce patrimoine concèdent que les murs à pêches et la

pratique horticole traditionnelle restent encore mal connus des Montreuillois. Visibilité

ensuite, car elle apporterait un attrait touristique ou, au moins, la venue de quelques individus

curieux de découvrir ce que sont ces murs et ce que l’on y fait. La communication est un point

important de la Convention dans la mesure où elle permet de révéler l’élément inscrit. Au

niveau international, on se souvient de la controverse qu’avait suscitée l’inscription du repas

gastronomique des Français sur la liste représentative de l’Unesco. Critiquée par certains y

voyant une pratique non exclusivement française mais concernant aussi d’autres nations,

approuvée par d’autres comme la reconnaissance d’un élément de leur patrimoine culturel,

l’inscription a surtout permis de donner plus de visibilité à cette pratique et de faire parler

d’elle. Dans la même lignée, le 21 juin 2010, le Ministère de la Culture a rendu hommage aux

inscriptions du mayola et du Cantu in Paghjella en organisant une célébration de ces

éléments, suivie d’une représentation en public qui marqua l’ouverture de la fête de la

musique dans les jardins du Palais-Royal128

. Que l’on soit concerné ou non par l’élément

immatériel, il devient un objet identifié et identifiable après la patrimonialisation. A

Montreuil, le manque de visibilité et de communication rendent le PCI dissimulé et

hermétique.

Par ailleurs, l’inscription de la pratique horticole traditionnelle pourrait entrainer un

accompagnement des institutions politiques et culturelles dans les actions de promotion, de

mise en valeur et, à terme, de sauvegarde du PCI. Lors de l’inscription, les communautés

porteuses doivent rendre compte des mesures actuelles de valorisation et, à son tour, l’Etat,

127

« Qui sommes-nous ? », Patrimoine culturel immatériel, En ligne,

http://www.patrimoinevivantdelafrance.fr/index.php?page=qui-sommes-nous (consulté le 1er

juin 2013) 128

S. GRENET, « Le patrimoine culturel immatériel selon la convention de l’Unesco » in C. HOTTIN (Dir.),

Op. Cit., p. 68.

Page 73: Memoire Pci Map

73

les collectivités territoriales ou les scientifiques peuvent participer de cette promotion du

patrimoine immatériel. Si l’on reprend l’exemple du repas gastronomique des Français,

depuis le début des années 2000, des initiatives importantes dans le domaine de

l’enseignement et de la recherche scientifique ont été développées et ont permis « une plus

large connaissance de la pratique sociale du repas, de son histoire et de ses

représentations129

. » Par ailleurs, les collectivités territoriales organisent régulièrement des

repas gastronomiques pour célébrer certains moments importants de la vie comme « le repas

des anciens » ou « les fêtes gourmandes. » L’Etat français soutient et accompagne les travaux

de la Mission Française du Patrimoine et des Cultures Alimentaires (MFPCA) pendant que la

« Semaine du goût » est organisée annuellement dans les écoles autour de l’apprentissage du

goût constitutif du maintien de la pratique mise en patrimoine. La culture des fruits « à la

Montreuil », comme nous l’avons mis en évidence au chapitre précédent, s’inscrit dans une

volonté de renouer avec des produits locaux, savoureux et sains. Ces mêmes valeurs sont

défendues par le Repas gastronomique des Français défini par « l’art de bien manger », « la

recherche de bons produits qui valorisent plutôt des traditions de production (produits à forte

identité géographique, tradition des terroirs), de producteurs et d’artisans possesseurs d’un

savoir-faire reconnu130

. » Il y aurait certainement là une carte à jouer pour la pratique

horticole traditionnelle de Montreuil afin de valoriser tous les éléments de son patrimoine. La

patrimonialisation de la culture fruitière « à la Montreuil » pourrait apporter une

reconnaissance au niveau national. De celle-ci pourrait alors découler une aide des institutions

politiques et culturelles dans la mise en valeur de la pratique horticole traditionnelle. Et, de

celle-ci enfin résulterait l’entretien durable de ces murs si chers aux Montreuillois.

3. Patrimonialiser l’immatériel : Le choix des communautés ?

Nous avons mis en évidence les avantages et les inconvénients d’une

patrimonialisation du matériel ou de l’immatériel. Les deux pouvant se compléter, il s’agissait

alors de réfléchir à ce que l’on voulait mettre en patrimoine et en ce sens à ce que l’on voulait

transmettre. Ici, l’étude de la question du « choix » se portera sur la communauté, de la

manière dont elle est choisie à l’élément qu’elle choisit de mettre en patrimoine.

129

J. CSERGO, Le repas gastronomique, Fiche d’inventaire, 2009, p.6. 130

Op. Cit., p. 2.

Page 74: Memoire Pci Map

74

La légitimité du groupe : interprétation de la notion de « communautés. »

Dans sa Convention, l’Unesco insiste sur « les communautés, groupes ou individus »

comme porteurs du patrimoine. Ce faisait, elle place les civils dans un rôle d’acteurs et leur

permet de décider d’un patrimoine qui fait sens pour eux. L’élément patrimonialisé procure

un sentiment d’identité et a pour but de « promouvoir le respect de la diversité culturelle et la

créativité humaine. » Les communautés doivent ainsi soutenir un élément qui ne fait pas

seulement sens pour eux mais qui fait aussi sens pour les autres. A Montreuil, les

communautés investies dans l’avenir de la pratique horticole traditionnelle sont concentrées

sous forme d’associations ou de fédérations mais la culture des fruits « à la Montreuil » n’est

pas pour autant ressentie par tous les Montreuillois comme faisant de leur patrimoine culturel.

Ces communautés sont toutefois suffisamment importantes, en nombre et en intérêt, pour

porter cet élément en patrimoine. Il faudrait sans doute se référer aux sondages d’opinion pour

savoir combien de Montreuillois sont finalement concernés par cet élément du patrimoine

mais ne les ayant pas obtenus, nous avons du mal à évaluer le nombre exact d’individus qui

constitueraient les communautés porteuses. Cependant, la multitude d’associations constituées

par des Montreuillois, celles concernées par l’avenir de la pratique horticole traditionnelle –

on pense à la Société Régionale d’Horticulture et à Montreuil Environnement, comptant

chacune quelques mille membres – ainsi que toutes les autres investies dans les murs à pêches

suffiraient à faire émerger un groupe (Annexe XI). D’autant plus que les associations

d’horticulteurs comme l’Union des vergers d’IDF, Saveurs et terroirs ou encore le Potager du

Roi de Versailles, soutiennent les actions de la société Régionale d’horticulture de Montreuil

et reconnaissent eux-aussi le savoir-faire attaché aux horticulteurs de la ville131

. Il serait

évidemment erroné de voir dans la notion de « communautés » la notion d’ « entièreté. » Le

repas gastronomique des Français, par exemple, a désigné l’ensemble des Français comme

faisant partie du groupe. Pourtant l’enquête de 2009 sur « l’Alimentation des Français »

établit que 95,2% des ceux-ci considèrent le repas comme faisant partie de leur patrimoine

culturel. Ainsi, l’inscription de l’élément aurait-elle dû être refusée sous prétexte que 5% des

Français n’étaient pas concernés ? Sans doute pas si l’important est que la communauté soit

suffisamment conséquente pour apporter quelque chose à son groupe et à un autre groupe. La

131

L’arboriculteur Bernard Guicheteau, par exemple, travaille à Gressy en France mais reconnaît le savoir-faire

propre aux horticulteurs de Montreuil et contribue à le mettre en valeur en faisant des démonstrations de

palissage et de taille des arbres au Jardin-école.

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75

communauté se reconnaissant dans la culture des fruits « à la Montreuil » semble assez

importante pour que cette pratique soit élevée au rang de patrimoine immatériel. Cette même

pratique procure alors un sentiment d’identité à ces défenseurs et s’intègre dans les nouvelles

attentes des contemporains et des citadins.

Mais peut-on en dire autant des certains éléments inscrits sur les inventaires

nationaux ? Sur l’inventaire des savoir-faire par exemple sont considérés comme patrimoine

immatériel la « fabrication et la restauration des pendules à la manière de Marc Voisot » ou

encore « la fabrication de bottes selon la technique de Joël Albert132

. » Peut-on considérer ces

deux personnes comme une communauté ou comme un groupe ? Pour qui le savoir-faire

qu’ils possèdent fait sens ? N’est-on pas en train d’assister à une patrimonialisation « de

tout », « de tous les savoir-faire » dans la peur de les voir disparaître devant l’uniformisation

du monde ? Et au fond, ethnologues et scientifiques chargés des inventaires nationaux ne

favoriseraient-ils pas trop précipitamment la mise en patrimoine de pratiques « à

transmettre » sans se soucier de ce qu’elles apportent aux autres communautés et apporteront

aux générations futures ?

Comme nous l’avions évoqué au début de cette étude, Dominique Poulot insistait sur

la patrimonialisation des choses communes et banales qui se justifiaient de leur simple fait

d’être tournées vers l’avenir. Mais il semblerait que la principale faiblesse du patrimoine

culturel immatériel soit de ne pas avoir précisé ce qu’il convenait de comprendre pas

« communautés » laissant ainsi place aux patrimonialisations les plus personnelles,

individuelles et individualisées.

132

Voir à ce titre les fiches d’inventaires réalisées pour ces deux patrimoines disponibles en PDF sur le site

internet du ministère de la culture. « Fiches de l’inventaire du patrimoine culturel immatériel. », Ministère de la

culture et de la communication, En ligne, http://www.culturecommunication.gouv.fr/Disciplines-et-

secteurs/Patrimoine-culturel-immateriel/Inventaire-en-France/Inventaire/Fiches-de-l-inventaire-du-patrimoine-

culturel-immateriel (consulté le 1er juin 2013)

Page 76: Memoire Pci Map

76

Sauvegarde ou fixation ?

Une fois la communauté définie, c’est le choix du patrimoine transmis qui se définit en

elle. Les groupes mettent en patrimoine une pratique qui leur procure un sentiment d’identité

et le choix du patrimoine est fait en fonction de l’instant présent et de comment les

communautés se situent dans le présent par un savoir-faire hérité du passé. Dans la mesure où

le patrimoine se construit par l’homme, les conceptions qu’il en a changent en fonction de la

représentation qu’il a de lui-même et de son environnement. Nous l’avons bien vu, ce n’est

qu’à l’éveil des consciences écologiques et face à la volonté de « mieux vivre » en ville, que

les communautés ont pris conscience qu’un patrimoine immatériel était présent et qu’il leur

procurait un sentiment d’identité et d’attachement patrimonial que le matériel seul n’apportait

pas. Ce désir de voir la culture traditionnelle « à la Montreuil » s’ériger en patrimoine est à

comprendre dans un contexte plus large. C’est lorsque la ville et l’environnement sont

devenus insupportables que la conscience patrimoniale s’est éveillée. Mais cet éveil des

consciences est à replacer dans un contexte encore plus général reflétant les mentalités des

contemporains. Le besoin de qualité de vie en ville, de durabilité et d’écologie ont amené les

individus à reconsidérer ce qui faisait patrimoine pour eux. De ce fait, c’est bien le choix

d’une communauté à une époque précise qui détermine l’élément à patrimonialiser et à

transmettre. Mais, jusqu’à quand l’objet mis en patrimoine par ces communautés à l’instant T

trouvera un sens ? Pour combien de générations futures ? Les désirs de patrimoine des

contemporains seront-ils ceux des individus de demain ?

En opposition à la patrimonialisation d’un élément matériel qui contraint à une

transmission physique en maintenant parfois même artificiellement des édifices qui ont perdu

leur sens, la patrimonialisation d’un élément immatériel propose la visibilité, la viabilité d’une

pratique ou d’un savoir-faire. Par la patrimonialisation de l’immatériel passe la volonté de

sauvegarder plus que de conserver misant davantage sur la volonté d’assurer le

renouvellement des savoir-faire plutôt que leur permanence ou leur fixation.

Une réflexion intéressante s’engage alors et ouvre le champ des possibles. Si ce sont

les communautés qui décident d’ériger en patrimoine un élément qui leur procure un

sentiment d’identité alors la patrimonialisation de cet élément immatériel devra veiller non

pas à sa conservation mais à son renouvellement. Mais, si demain, cet élément patrimonial

n’apporte plus le sentiment d’identité et de continuité qu’il avait apporté aux générations

passés, alors il déclinera. Mais plus tard encore, lorsque d’autres générations, concernées par

de nouvelles attentes, placées dans un autre environnement, constateront que là où elles

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77

évoluent se trouve un élément auquel elles se rattachent et s’identifient, alors elles érigeront à

nouveau cet élément en patrimoine. Nous l’avons vu en début d’étude, la pratique horticole

traditionnelle a progressivement décliné et ce n’est que lorsqu’un déclic a eu lieu que

certaines communautés ont reconnu le savoir-faire lié à la pratique horticole à Montreuil

comme faisant partie de leur patrimoine. Elles ont alors rompu avec un processus de

continuité générationnelle canonique mais portaient en elles ce sentiment d’identité. Il

semblerait que l’intérêt du patrimoine immatériel soit de permettre la patrimonialisation d’un

élément dont la transmission ne repose pas sur la contrainte ou la fixation, mais sur

l’encouragement aux renouvellements tout en tenant compte de l’évolution des pratiques

culturelles et des mentalités des individus. La force du patrimoine immatériel est sans doute

de s’inscrire dans un processus fait de continuités, de renouvellements, de ruptures, de

redécouvertes, de continuités, de renouvellements, de ruptures etc…Par la non fixation des

pratiques, la patrimonialisation de l’immatériel offre la possibilité aux communautés d’être

libres du sentiment que leur procure l’élément mis en patrimoine. Si celui-ci ne leur procure

pas un sentiment d’identité comme ce fut le cas pour les générations antérieures, libres à elles

de ne pas entretenir le processus de renouvellement. Et, peut-être qu’un autre groupe, plus

tard, dans un autre contexte, s’y reconnaitra et le fera alors renaitre parce qu’il y sera attaché.

Page 78: Memoire Pci Map

78

C O N C L U S I O N

« Nous sommes passés d’un patrimoine historique à un patrimoine social, d’un

patrimoine hérité à un patrimoine revendiqué, d’un patrimoine visible, matériel à un

patrimoine invisible133

. » Ces quelques mots de Pierre Nora ne sont pas sans rappeler les

évolutions qu’a subies le patrimoine au fil du temps. D’abord servant aux Etats-Nations dans

la construction des identités nationales, il s’est ensuite ouvert à d’autres dimensions. D’abord

pris dans une acceptation matérielle, il a progressivement accepté l’immatérialité. Le

patrimoine culturel immatériel défini par l’Unesco en 2003 marque le début d’un nouveau

concept de patrimoine. « Concept » plutôt que définition stricto sensu car il est déterminé de

façon duelle et parce qu’il n’a de cesse d’évoluer.

Tout d’abord, la Convention de l’Unesco marque l’avènement d’une reconnaissance

des pays des suds dans l’histoire patrimoniale. Ces derniers ayant davantage de savoir-faire,

de traditions orales et de pratiques – constituant leur identité et leur histoire – que d’édifices.

Ensuite, cette convention promouvant la diversité culturelle dit s’être construite en étant

consciente de la mondialisation et de l’uniformisation des cultures qui gagnent notre monde.

Dans le respect des droits de l’homme, les savoir-faire, pratiques et autres expressions sont

présentes pour promouvoir la diversité d’un monde que les individus ont créée. Au respect

des droits de l’homme vient s’ajouter le respect du développement durable qui est sans doute

la notion du patrimoine culturel immatériel à ne pas sous-estimer lorsqu’on l’étudie. En effet,

comme dans n’importe quelle prise de conscience patrimoniale, la peur de la perte amorce le

processus de patrimonialisation. Et, aujourd’hui, les relations qu’entretiennent patrimoine

immatériel et développement durable témoignent davantage de cette peur eschatologique de

l’homme face au temps qui passe et aux ressources qui s’épuisent. Nous avons choisi de

prendre la culture des fruits « à la Montreuil » comme objet d’une nouvelle acceptation

133

P. NORA cité dans J. LE GOFF (Dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris, Fayard, 1998, p.11.

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79

patrimoniale et les résultats que nous pouvons en tirer sont en faveur d’un lien inextricable

entre le PCI et le développement durable. En effet, ça n’a été qu’au moment où l’urbanisation

et l’industrialisation sont devenues insupportables que les consciences patrimoniales se sont

éveillées et cela simultanément à l’éveil des consciences environnementales.

Par ailleurs, cette prise de conscience n’a pu se faire que par l’objet matériel, « objet-

madeleine » qui permet de se rattacher au passé et de faire renaître en l’objet physique les

réminiscences de l’immatériel. Ainsi, jamais matériel et immatériel ne s’opposent, ils vivent

en symbiose dans l’accomplissement d’un patrimoine respectueux et sensé. Les murs à pêches

qui ont fait l’objet d’une patrimonialisation matérielle ont ensuite soulevé la question de la

pérennité des murs et de leur sens. Une pratique vivante mais sur le pont de mourir ne

demandait qu’à retrouver sa place dans ses murs. Et ses mêmes murs ne demandaient qu’à

être soignés, entretenus et valorisés. Ils cherchaient un sens se justifiant dans la volonté de

pérennité des murs et sans être réduits à des lieux de mémoire, à des vestiges ou à la friche.

A travers cette étude nous avons surtout pu mettre en évidence l’importance et le rôle

de la communauté porteuse de l’élément à mettre en patrimoine. Même si « les

communautés » et « groupes » restent mal définis, laissant parfois place à des

patrimonialisations discutables, ils sont à l’origine d’un savoir-faire, d’une pratique ou d’une

expression qu’ils produisent, renouvellent et souhaitent voir perdurer. La culture des fruits « à

la Montreuil » permet de comprendre clairement que la mise en patrimoine d’un élément

porté par les communautés témoigne des nouvelles aspirations et mentalités des individus

porteurs du patrimoine. Ces dernières très sensibles à l’environnement dans lequel elles

habitent, se déploient et se meuvent, ont témoigné d’une volonté de mettre en patrimoine une

culture traditionnelle qui est le marqueur de leur identité aujourd’hui, dans leur manière

actuelle de penser. La patrimonialisation de l’immatériel n’obligeant pas à des mesures de

conservation, il nous semble qu’elle ouvre la voie à des processus de continuités, ruptures et

redécouvertes qui constitueraient un nouveau processus de transmission basé sur l’identité et

le sentiment des communautés plus que sur la transmission forcée et dénuée de cet « esprit de

patrimoine » qui renferme l’essence même de l’élément patrimonialisé.

Cette étude sur la culture des fruits « à la Montreuil » en tant que patrimoine

immatériel nous aura permis de montrer qu’il reste encore beaucoup à faire dans les deux

éléments étudiés. La porte est ouverte à ceux qui souhaiteraient étudier l’identité urbaine qui

se constitue petit à petit à Montreuil autour des murs à pêches et du PCI. Plus que de simples

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projets culturels, les communautés et la municipalité tentent de concilier patrimoine et projets

socio-économiques dans une ville multiculturelle et dynamique. La porte est aussi ouverte à

ceux qui entrevoient un patrimoine culturel immatériel à étudier dans le détail afin d’apporter

de nouvelles interprétations et précisions sur ce concept patrimonial en devenir et tourner vers

l’avenir.

A la fin de son bel ouvrage sur les passions identitaires, Jacques Le Goff déclarait ces

mots :

« Je ne peux rappeler ici ce qu’a dit Paul Ricoeur sur le désir de mémoire comme visée

du bien plutôt que de la vérité, comme visée de justice. Personnellement d’ailleurs, je

rétablirais la vision de vérité dans cette moralisation des passions identitaires. Paul Ricoeur a

appelé à une politique de ce qu’il a appelé la « juste mémoire » ; j’ajouterai une politique du

« patrimoine vrai134

. »

Si le patrimoine culturel immatériel est à prendre comme un concept évoluant avec les

mentalités des individus qui le portent, alors nous osons espérer que ces individus, toujours

soucieux d’améliorer l’humanité, contribueront ainsi à faire du patrimoine culturel immatériel

un « patrimoine du vrai » et un « patrimoine du bien. »

134

J. LE GOFF (Dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris, Fayard, 1998, p. 435.

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A N N E X E S

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Annexe I.

L’outil « mur à pêche »

a. Montreuil-sous-Bois, Fabrique de plâtre et le clos des pêches, début XIXe siècle. SRHM

b. Montreuil-sous-Bois, Panorama des murs de Montreuil, années 1930. SRHM

c. Mur à pêches, impasse Gobétue, 2013. Marie Bouillon

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83

Annexe II.

Cultiver « à la Montreuil. »

a. Palissage à la loque au jardin gobétue,

1912. SRHM

b. Palissage à la loque au Jardin-école, 2004. SRHM

c. Ensachage des fruits, années 1930.

SRHM

d. Ensachage des fruits, années 2000. SRHM

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e. Application de la gélatine, années 1930. SRHM f. Application de la gélatine, années 2000. SRHM

g. Pose du pochoir pour marquer le fruit, années 1930. SRHM h. Pose du pochoir pour marquer le fruit, années 2000. SRHM

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85

Annexe III.

Fruits marqués.

a. Présentation de fruits marqués, années 1930.

SRHM

b. Présentation de fruits marqués, années 2000.

SRHM

c. Pêche marquée, années 1930. SRHM

d. Pêche marquée, 2004. SRHM

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Annexe IV.

Adaptations contemporaines du savoir-faire.

c. Pomme marquée d’une tête de mort, d’après un pochoir dessiné par l’artiste peintre plasticienne Anne-

Marie Vesco, 2012.

d. Pomme marquée d’une silhouette africaine, d’après un pochoir de la potière

« urbaine » Valeria Polsinelli, 2012.

e. Pomme marquée d’un danseur de hip-hop, d’après un pochoir du graphiste

Julien Priez, 2012.

a. Palissage à la résille plastique, Années 2000. SRHM

b. Palissage à la résille plastique, Années 2000.

SRHM.

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87

Annexe V.

Evolution des murs.

a. Antoine Saint-Just, Photo aérienne, 1930.

b. V. Provost, photo aérienne, 2006. Provost

c. Murs à pêches classés au titre des sites, données : DRIEF-IF (2010/2011) – IAU-IDF (2010) Fonds :IGN 2009

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Annexe VI.

Pêchers, pommiers, poiriers.

a. Poiriers Beurré superfin conduits candélabre au Jardin-école, octobre 2012. b. Poirier Beurré superfin, octobre

2012.

c. Pommiers conduits en candélabre au Jardin-école. SRHM

d. Pêchers palissés en espalier au Jardin-école. SRHM

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Annexe VII.

Manifestations et activités.

d. Election de Miss pomme avec Marie-Christine Léger,

2006. SRHM

c. Marché des saveurs au Jardin-école et produits de Montreuil,

2011. SRHM

e. Démonstrations du savoir-faire lors d’activités pédagogiques. SRHM

a. Louis Aubin (au centre) et la délégation Disney, 1943.

SRHM

b. Pochoir ayant servi au marquage des pommes

pour la délégation Disney, 1943. SRHM

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90

Annexe VIII.

Projet agri-urbain

d. Dessin du pêcher au nom de Napoléon réalisé par

Alexis Lepère vers 1860. SRHM

c. Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement

a. Olivier Aubry, Evolution de la rue Saint-Antoine, 2009. Montreuil Environnement.

b. Montreuil, Les pêches – Retour de la cueillette, 1906.

SRHM

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91

g. Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement.

f. Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement.

e. Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement.

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92

Annexe IX.

Dépliant sur les murs à pêches.

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Annexe X.

Dépliant de la SRHM.

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Annexe XI.

Localisation des associations et des jardins partagés dans le secteur des

murs à pêches.

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97

E T A T D E S S O U R C E S

1. Convention et textes de lois

Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, Paris, Unesco, 32ème

session, 29 septembre-17 octobre 2003.

« Loi n°2006-791 du 5 juillet 2006 autorisant l’approbation de la Convention internationale

pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel », Journal officiel de la République

française, 6 juillet 2006, n°155, p.10116.

« Décret n°2006-1402 du 17 novembre 2006 portant publication de la Convention pour la

sauvegarde du patrimoine culturel immatériel », adoptée à Paris le 17 octobre 2003, Journal

Officiel de la République française, 19 novembre 2006, n°268, p.17382.

2. Traités d’horticulture

R. SCHABOL, La théorie et la pratique du jardinage, Paris, 1770.

F. ROZIER, Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine

rurale et vétérinaire, suivi d’une méthode pour étudier l’agriculture par principes, ou

Dictionnaire universel d’agriculture, par une société d’agriculteurs, Paris, 1781-1796.

MOZARD, Principes pratiques sur l’éducation, la culture, la taille et l’ébourgeonnement des

arbres fruitiers, et principalement du pêcher, d’après la méthode de Pépin et autres célèbres

cultivateurs de Montreuil, Paris, 1814.

3. Rapports et règlements

Assises de la culture / Une nouvelle ambition culturelle pour Montreuil, Maire de Montreuil,

Direction des Affaires Culturelles, 2012, 82 p.

Etude de faisabilité et de préconisations pour la découvert du patrimoine des murs à pêches

et la création d’un parcours d’interprétation du patrimoine, Comité de pilotage du 17 février

2011, 52 p.

Mission d’étude de définition et de faisabilité d’un projet agri-urbain pour le secteur des

Murs à Pêches à Montreuil, Rapport final, mai 2012, 70 p.

Montreuil aux pêches, Un projet agriculturel porté par trois associations : Société Régionale

d’Horticulture de Montreuil, Le Sens de l’Humus et Rêve de Terre, 23 p.

Page 98: Memoire Pci Map

98

Rapport de synthèse du plan de surveillance sols et végétaux mis en œuvre sur le périmètre

des murs à pêches de la ville de Montreuil-sous-Bois, Ministère de l’agriculture et de la

pêche, 2008, 17 p.

Résultat de l’appel à initiative « animation de la thématique agriculturelle dans le secteur des

murs à pêches », décidé par la ville de Montreuil, début 2012, 2 p.

CHAULET (Jean-Pierre), Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S

et à l’élaboration du plan local d’urbanisme de Montreuil-sous-Bois (93), septembre 2010,

133 p.

HUBERT (Laurence), PLU-Ville de Montreuil-sous-Bois, Règlement et plans de masse, 18

février 2010, 129 p.

MARTINEZ (Manuel), DESGRANGES (Pierre), PETITJEAN (Patrick), Rapport final,

Commission extra-municipale sur l’aménagement du secteur des murs à pêches, Avril 2009,

48 p.

ROUQUETTE (Aurélie), VERMEERSCH (Delphine), Murs à pêches, cahier pédagogique de

restauration, septembre 2012, 16 p.

5. Périodiques

Bulletin trimestriel de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, 2011.

Bulletin trimestriel de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, 2012.

Page 99: Memoire Pci Map

99

B I B L I O G R A P H I E

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