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Des venins aux vertus thérapeutiques biotechnologies | Dans le cadre d’un projet européen nommé Venomics, des chercheurs étudient le mode d’action de toxines animales dans l’espoir de mettre au point de nouveaux médicaments Vahé Ter Minassian P ierre Escoubas n’aime pas alimenter les fantas- mes que suscite souvent son métier de spécialiste des venins. Quand on l’interroge sur la plus grande peur que lui ait occasionnée son activité professionnelle, ce biolo- giste issu de la recherche universitaire commencepar déclarer que la manipu- lation de serpents, d’araignées et autres guêpes et cônes, n’est pas « si ris- quée » pour qui en a pris l’habitude. Puis, il marque une pause. Et finit par avouer avoir ressenti « un certain malaise » le jour où, il y a quelques années, au Japon, on lui a livré en vrac, 50 scorpions vivants « gros comme une main », dans un vieux sac en jute. « Je suis resté un long moment à me deman- der comment j’allais attraper ces bestio- les une par une ! », confie-t-il. PDG de VenomeTech, une « spin- off » (scission) du CNRS et de l’universi- té de Nice - Sophia-Antipolis, il exerce le rôle de coordinateur du projet de recherche européen « Venomics », consacré à l’intérêt thérapeutique des venins d’animaux. Des substances fai- tes pour chasser et pour se défendre, bref pour tuer ? En faire des médica- ments ? Mais pourquoi, donc ? « Avant tout, explique le biologiste, parce que ces cocktails de plusieurs cen- taines de molécules, que l’on retrouve chez plus de 173 000 espèces, ont été sélectionnés, au cours de l’évolution, pour s’attaquer aux cellules bien préci- ses d’une proie. » Pour produire leurs effets neurotoxi- ques, cardiotoxiques ou hemotoxi- ques, certains peptides, ces mini-pro- téines faites de dix à cent acides ami- nés constitutifs à 90 % de la matière sèche d’un venin, se fixent sur les récep- teurs ou les canaux ioniques des cellu- les et modifient les fonctions de ces der- nières ou bloquent leur production. Un mode d’action, une affinité et une spécificité qui, transposés au domaine pharmaceutique, permet- traient d’imaginer de nouveaux médi- caments, plus ciblés et aux effets secondaires réduits, pour les traite- ments de la douleur ou de pathologies comme le cancer, le diabète, les mala- dies cardiovasculaires… En octobre 2012, des chercheurs de l’Institut de pharmacologie moléculai- re et cellulaire de Valbonne (Alpes- Maritimes) ont ainsi pu mettre en évi- dence les propriétés analgésiques d’une protéine du venin du mamba noir (Le Monde du 6 octobre 2012). Et une équipe américaine vient, cette semaine, d’annoncer dans PNAS que certaines anémones de mer produi- sent une toxine très prometteuse pour le traitement de l’obésité ! Certes, les animaux ne sont pas les seuls organismes vivants à produire des toxines : nul besoin d’être doté de crochets, de dards ou de harpons pour en fabriquer ! Et il est vrai qu’en raison d’un coût de production trop élevé et de problèmes d’« immunogénicité » qu’ils ont longtemps posés, les pepti- des inspirant des médicaments sont encore rares. « Mais, à l’inverse, les toxines issues de bactéries sont souvent des protéines trop grosses et trop complexes pour être synthétisées artificiellement », expli- que Frédéric Ducancel, ingénieur-cher- cheur au Commissariat à l’énergie ato- mique (CEA) à Saclay (Essonne), impli- qué dans Venomics. Et celles prove- nant des végétaux sont moins diversi- fiées ou les organes qui les génèrent plus difficiles à localiser qu’un sac ou qu’un tube à venin chez un serpent ou un cône. Enfin, si la fabrication par des méthodes chimiques des petites molé- cules auxquelles l’industrie pharma- ceutique fait habituellement appel res- te plus aisée que celles des peptides, les progrès dans le domaine des biotech- nologies pourraient changer la donne. Une soixantaine de médicaments « peptidiques » existaient déjà en 2010 sur le marché, dont cinq issus d’animaux. L’un d’entre eux, le Byet- tea, prescrit pour le traitement du dia- bète de type 2, tiré de la salive du « monstre de Gila », un saurien mexi- cain, figure même parmi les blockbus- ters, avec des ventes dépassant… le mil- liard de dollars ! Le but de Venomics est de doper la recherche sur ces toxines animales, dont 3 500 à peine sont connues sur un total estimé à plus de 43 millions. Réu- nissant huit partenaires dans cinq pays dont, pour la France, Venome- tech, le CEA à Saclay, l’université de la Méditerranée et la société Vitamib, ce projet de 6 millions d’euros sur quatre ans, lancé en 2011, vise à analyser, par des techniques complexes de « protéo- mique » et de « transcriptomique », le venin de 200 espèces. Et cela, afin d’élaborer une banque de données de 50 000 peptides dont 10 000 seront, ensuite, synthétisés par des moyens chimiques ou par des procédés de génie génétique consis- tant à les faire produire par des bacté- ries. L’objectif final, explique Denis Servent, chercheur au CEA à Saclay, est « d’en tester certains de façon à établir leur intérêt pour le traitement du diabè- te, de l’obésité et des maladies cardio- vasculaires ». Pour l’heure, l’équipe a achevé l’ana- lyse du venin d’une vingtaine de ser- pents, d’araignées, de cônes, de scor- pions et de guêpes. Elle met la dernière main à ses protocoles de synthèse en s’exerçant sur une centaine de toxines connues. Et est optimiste quant à sa capacité à démarrer, dans les temps, la production de peptides. Mais avant d’en arriver là, encore faut-il disposer du matériel biologique en quantités suffisantes. Ce qui, on s’en doute, n’est pas si aisé ! Il s’agit, en effet, de consti- tuer une bibliothèque d’échantillons de 500 espèces différentes parmi les plus dangereuses : serpents, araignées, cônes, scorpions, hyménoptères, voire organismes marins et fourmis. L’idée étant d’étudier la plus grande variété possible d’animaux venimeux et de laisser le choix aux chercheurs. D’où un intense travail de collecte, non seulement de venins, mais aussi de spé- cimens vivants. Puisque certaines ana- lyses comme le génotypage et la « transcriptomique », qui analysent les ARN codés par l’ADN, nécessitent des prélèvements de muscles et de glandes à venins. Deux expéditions en Guyane, une autre à Mayotte et une dernière, en mai, en Polynésie française ont été organisées dans le but d’enrichir cette collection dont sont exclues les espè- ces protégées. Mais ces déplacements sur le terrain ne constituent qu’un der- nier recours. Pour le comprendre, le mieux est de se rendre par un matin pluvieux chez Alphabiotoxine, à Montrœul-au-Bois, un petit village bel- ge situé près de Lille. Cette société, l’une des trois spéciali- sées en Europe dans la production de venins, dispose de plus de 300 référen- ces dans son catalogue. Elle a été char- gée par Venomics de s’occuper de cer- tains serpents, car il était hors de ques- tion pour l’équipe d’aller les manipu- ler dans leur habitat naturel. Au milieu des piles de boîtes en plastique, des ter- rariums et des aquariums occupés par des centaines de bêtes inquiétantes, son directeur, Rudy Fourmy, un éton- nant personnage vivant dans la crainte perpétuelle d’un choc anaphylactique, une réaction allergique susceptible d’être provoquée par la respiration quotidienne de vapeurs de venin, expli- que que le marché des animaux exoti- ques fournit les espèces adéquates en abondance. Toutefois, la production de venin est, elle, incontestablement, une activi- té à temps plein. « Un crotale diamanta fournit en une seule traite 500 mg de venin sec, explique-t-il. Mais pour cer- taines petites araignées comme les Phi- dippus, il faut des centaines de traites pour obtenir 1 milligramme. » Un empoisonnant travail de béné- dictin, certes. Mais qui pourrait être ô combien bénéfique ! p Les pilules avec un œstrogène naturel ne sont pas sans risques Une étude danoise montre que ces contraceptifs parfois présentés comme « bio » augmentent les cas de thrombose veineuse SCIENCE & MÉDECINE actualité Sandrine Cabut L es pilules contraceptives contenant un œstrogène naturel multiplieraient par 4,7 le risque de throm- bose veineuse (phlébite ou embo- lie pulmonaire), soit un niveau de risque intermédiaire entre celui des œstroprogestatifs de 2 e et de 3 e générations. Telle est la conclu- sion d’une étude danoise présen- tée, le 24 mai à Copenhague, lors de la première « conférence mon- diale sur les questions de santé relatives à la reproduction, la sexualité et la contraception ». « Nos données, qui sont les pre- mières à documenter les risques thrombo-emboliques de ces nou- veaux contraceptifs dans la popula- tion, suggèrent aussi qu’ils n’entraî- nent pas un sur-risque d’accidents vasculaires cérébraux et d’infarc- tus du myocarde », précise Ojvind Lidegaard (hôpital universitaire de Copenhague). Expert mondial sur ces sujets, le médecin danois ajoute que son étude, dont le recul n’est que de trois ans, sera actuali- sée, chaque année, pour augmen- ter sa puissance statistique et affi- ner les estimations. Les thromboses veineuses ou artérielles sont une complication rare mais grave des contraceptifs. Il est admis que le risque de phlébi- te est deux fois plus élevé avec les pilules ayant pour progestatif du désogestrel ou du gestodène (3 e génération) ou bien de la drospi- rénone (4 e génération) qu’avec cel- les à base de lévonorgestrel (2 e génération). « Données précoces » En valeur absolue, le nombre attendu de cas de phlébites est de 0,5 à 1 cas par an pour 10 000 fem- mes sans contraception. Il est de 2 cas par an pour 10 000 chez cel- les utilisant une pilule de 2 e généra- tion, et de 3 à 4 par an pour 10 000 chez celles sous contraceptif de 3 e génération ou à base de drospiré- none (4 e génération). Depuis quel- ques mois, les médecins sont invi- tés à privilégier systématique- ment les pilules de 1 re ou 2 e généra- tion, ce qui a entraîné une forte baisse des ventes des celles de 3 e et 4 e générations. Arrivés depuis moins de quatre ans sur le marché, les contracep- tifs avec un œstrogène naturel, l’es- tradiol, ont été parfois présentés comme des pilules « bio », qui pourraient être mieux tolérées sur le plan métabolique et vasculaire. En France, deux sont commerciali- sées : Qlaira (laboratoire Bayer) et Zoely (Théramex). Pour les autori- tés sanitaires, elles sont assimilées à des pilules de 4 e génération. Grâce à des registres nationaux, qui enregistrent de façon exhausti- ve de nombreuses données (ven- tes de médicaments, cas de mala- dies…) et qui peuvent être croisés entre eux, Ojvind Lidegaard et ses collègues ont analysé les cas de thromboses, veineuses ou artériel- les survenus, entre 2001 et 2012, chez les Danoises de 15 à 49 ans. Parmi les 4 184 cas de phlébites recensés sur cette période, cinq concernaient des utilisatrices de la pilule Qlaira. Ce contraceptif multiplie donc par 4,7 le risque de thrombose veineuse par rapport à une femme sans contraception, estiment les chercheurs. Ce risque est supérieur à celui calculé pour les pilules à base de lévonorgestrel (3,3), et reste infé- rieur à celui des anneaux vagi- naux (6,1) et des patchs (6,8). « C’est une étude bien faite, par quelqu’un qui fait référence dans ce domaine, commente le phar- maco-épidémiologiste Bernard Bégaud (Inserm, université de Bor- deaux). Les résultats ne sont pas surprenants, mais leur portée est limitée par le fait qu’il s’agit de don- nées précoces, obtenues peu après la commercialisation. » p Collecte du venin d’une mygale, dans le cadre du projet européen Venomics. Sur 43 millions de toxines animales, 3 500 à peine sont connues. PIERRE ESCOUBAS/VENOMICS « Ces cocktails de molécules ont été sélectionnés, au cours de l’évolution, pour s’attaquer aux cellules bien précises d’une proie » Pierre Escoubas PDG de VenomeTech Une quête encadrée de ressources naturelles Le prélèvement d’échantillons d’animaux sauvages est une activité très encadrée, y compris en France. Pour monter sa dernière expédition, qui a eu lieu du 27 avril au 12 mai à Tahiti et sur l’atoll de Makemo (archipel des Tuamotu), l’équipe de « Venomics » a dû signer une convention avec la délégation à la recherche en Polynésie française et s’engager à communiquer sur le résultat de ses travaux afin d’obtenir l’autorisation de démarrer sa collecte. Cette démarche administrative lon- gue et fastidieuse n’a pas, pour autant, entra- vé le succès de l’opération. 770 cônes veni- meux de 32 espèces ont, en effet, pu être récol- tés et disséqués dans les locaux du centre de l’Institut de recherche pour le développe- ment de Papeete. 2 0123 Mercredi 5 juin 2013

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Desveninsauxvertusthérapeutiquesb i o t e c h n o l o g i e s |Danslecadred’unprojeteuropéennomméVenomics,deschercheursétudientlemoded’actiondetoxinesanimalesdansl’espoirdemettreaupointdenouveauxmédicaments

Vahé TerMinassian

Pierre Escoubas n’aimepas alimenter les fantas-mesque suscite souventsonmétierde spécialistedes venins. Quand onl’interroge sur la plus

grande peur que lui ait occasionnéeson activité professionnelle, ce biolo-giste issu de la rechercheuniversitairecommencepardéclarerquelamanipu-lation de serpents, d’araignées etautresguêpesetcônes,n’estpas«si ris-quée» pour qui en a pris l’habitude.Puis, il marque une pause. Et finit paravouer avoir ressenti «un certainmalaise» le jour où, il y a quelquesannées, au Japon, on lui a livré envrac,50scorpionsvivants«groscommeunemain», dans un vieux sac en jute. «Jesuisrestéunlongmomentàmedeman-dercommentj’allaisattrapercesbestio-lesuneparune!», confie-t-il.

PDG de VenomeTech, une «spin-off» (scission)duCNRSetde l’universi-té de Nice - Sophia-Antipolis, il exercele rôle de coordinateur du projet derecherche européen «Venomics»,consacré à l’intérêt thérapeutique desvenins d’animaux. Des substances fai-tes pour chasser et pour se défendre,bref pour tuer? En faire des médica-ments?Maispourquoi,donc?

«Avant tout, explique le biologiste,parcequeces cocktailsdeplusieurscen-taines de molécules, que l’on retrouvechez plus de 173000espèces, ont étésélectionnés, au cours de l’évolution,pour s’attaquer aux cellules bien préci-sesd’uneproie.»

Pourproduireleurseffetsneurotoxi-ques, cardiotoxiques ou hemotoxi-ques, certains peptides, ces mini-pro-téines faites de dix à cent acides ami-nés constitutifs à 90% de la matièresèched’unvenin,sefixentsurlesrécep-teurs ou les canaux ioniquesdes cellu-lesetmodifientlesfonctionsdecesder-nièresoubloquent leurproduction.

Un mode d’action, une affinité etune spécificité qui, transposés audomaine pharmaceutique, permet-traientd’imaginerdenouveauxmédi-caments, plus ciblés et aux effetssecondaires réduits, pour les traite-mentsde ladouleuroudepathologiescomme le cancer, le diabète, lesmala-dies cardiovasculaires…

En octobre2012, des chercheurs del’Institutdepharmacologiemoléculai-re et cellulaire de Valbonne (Alpes-

Maritimes) ont ainsi pumettre en évi-dence les propriétés analgésiquesd’une protéine du venin du mambanoir (Le Monde du 6octobre 2012). Etune équipe américaine vient, cettesemaine, d’annoncer dans PNAS quecertaines anémones de mer produi-sentunetoxinetrèsprometteusepourle traitementde l’obésité!

Certes, les animaux ne sont pas lesseuls organismes vivants à produiredes toxines: nul besoin d’être doté decrochets, de dards ou deharpons pouren fabriquer! Et il est vrai qu’en raisond’un coût de production trop élevé etde problèmes d’« immunogénicité»qu’ils ont longtemps posés, les pepti-des inspirant des médicaments sontencore rares.

«Mais, à l’inverse, les toxines issuesde bactéries sont souvent des protéinestropgrossesettropcomplexespourêtresynthétisées artificiellement», expli-queFrédéricDucancel,ingénieur-cher-cheurauCommissariatà l’énergie ato-mique (CEA) à Saclay (Essonne), impli-qué dans Venomics. Et celles prove-nant des végétaux sontmoins diversi-fiées ou les organes qui les génèrentplus difficiles à localiser qu’un sac ouqu’un tubeà venin chezun serpent ouuncône. Enfin, si la fabricationpar desméthodeschimiquesdespetitesmolé-cules auxquelles l’industrie pharma-ceutiquefaithabituellementappelres-teplusaiséequecellesdespeptides, lesprogrès dans le domaine des biotech-nologiespourraient changer ladonne.

Une soixantaine de médicaments«peptidiques» existaient déjà en2010 sur le marché, dont cinq issusd’animaux. L’un d’entre eux, le Byet-

tea, prescrit pour le traitementdudia-bète de type 2, tiré de la salive du«monstre de Gila», un saurien mexi-cain, figuremêmeparmi lesblockbus-ters,avecdesventesdépassant…lemil-liardde dollars!

Le but de Venomics est de doper larecherche sur ces toxines animales,dont3500àpeinesontconnuessuruntotal estimé à plus de 43millions. Réu-nissant huit partenaires dans cinqpays dont, pour la France, Venome-tech, le CEA à Saclay, l’université de laMéditerranée et la société Vitamib, ceprojet de 6millions d’euros sur quatreans, lancé en 2011, vise à analyser, pardes techniquescomplexesde«protéo-mique» et de «transcriptomique», leveninde200espèces.

Et cela, afin d’élaborer une banquede données de 50000 peptides dont10000 seront, ensuite, synthétiséspar desmoyens chimiques ou par desprocédés de génie génétique consis-tant à les faire produire par des bacté-ries. L’objectif final, explique DenisServent,chercheurauCEAàSaclay,est«d’en tester certains de façon à établirleurintérêtpourletraitementdudiabè-te, de l’obésité et des maladies cardio-vasculaires».

Pourl’heure, l’équipeaachevél’ana-lyse du venin d’une vingtaine de ser-pents, d’araignées, de cônes, de scor-pionsetdeguêpes.Ellemet ladernièremain à ses protocoles de synthèse ens’exerçant surune centainede toxinesconnues. Et est optimiste quant à sacapacité à démarrer, dans les temps, laproduction de peptides. Mais avantd’en arriver là, encore faut-il disposerdu matériel biologique en quantités

suffisantes. Ce qui, on s’en doute, n’estpas si aisé! Il s’agit, en effet, de consti-tuer une bibliothèque d’échantillonsde 500espèces différentes parmi lesplusdangereuses: serpents, araignées,cônes, scorpions, hyménoptères, voireorganismesmarinset fourmis.

L’idée étant d’étudier la plus grandevariété possible d’animaux venimeuxet de laisser le choix aux chercheurs.D’oùunintensetravaildecollecte,nonseulementdevenins,maisaussidespé-cimensvivants.Puisquecertainesana-lyses comme le génotypage et la«transcriptomique»,quianalysentlesARN codés par l’ADN, nécessitent desprélèvementsdemusclesetdeglandesàvenins.

Deux expéditions en Guyane, uneautre à Mayotte et une dernière, enmai, en Polynésie française ont étéorganisées dans le but d’enrichir cettecollection dont sont exclues les espè-ces protégées. Mais ces déplacementssur le terrainneconstituentqu’under-nier recours. Pour le comprendre, lemieux est de se rendre par un matinpluvieux chez Alphabiotoxine, àMontrœul-au-Bois,unpetitvillagebel-ge situéprèsdeLille.

Cettesociété, l’unedes trois spéciali-sées en Europe dans la production devenins,disposedeplusde300référen-ces dans son catalogue. Elle a été char-gée par Venomics de s’occuper de cer-tains serpents, car il étaithorsdeques-tion pour l’équipe d’aller les manipu-lerdans leurhabitatnaturel.Aumilieudespilesdeboîtesenplastique,dester-rariumset des aquariumsoccupéspardes centaines de bêtes inquiétantes,son directeur, Rudy Fourmy, un éton-

nantpersonnagevivantdanslacrainteperpétuelled’unchoc anaphylactique,une réaction allergique susceptibled’être provoquée par la respirationquotidiennedevapeursdevenin,expli-queque lemarchédes animauxexoti-ques fournit les espèces adéquates enabondance.

Toutefois, la production de veninest,elle, incontestablement,uneactivi-téàtempsplein.«Uncrotalediamantafournit en une seule traite 500mg devenin sec, explique-t-il.Mais pour cer-tainespetitesaraignéescommelesPhi-dippus, il faut des centaines de traitespourobtenir 1milligramme.»

Un empoisonnant travail de béné-dictin, certes. Mais qui pourrait êtreôcombienbénéfique!p

LespilulesavecunœstrogènenaturelnesontpassansrisquesUneétudedanoisemontrequecescontraceptifsparfoisprésentéscomme«bio»augmententlescasdethromboseveineuse

SCIENCE&MÉDECINE a c t u a l i t é

Sandrine Cabut

Les pilules contraceptivescontenant un œstrogènenaturel multiplieraientpar 4,7 le risque de throm-

bose veineuse (phlébite ou embo-lie pulmonaire), soit un niveau derisque intermédiaire entre celuides œstroprogestatifs de 2e et de3egénérations. Telle est la conclu-sion d’une étude danoise présen-tée, le 24 mai à Copenhague, lorsde la première «conférence mon-diale sur les questions de santérelatives à la reproduction, lasexualité et la contraception».

«Nos données, qui sont les pre-mières à documenter les risquesthrombo-emboliques de ces nou-veauxcontraceptifsdanslapopula-tion,suggèrentaussiqu’ilsn’entraî-nent pas un sur-risque d’accidentsvasculaires cérébraux et d’infarc-tus du myocarde», précise OjvindLidegaard (hôpital universitairede Copenhague). Expert mondialsur ces sujets, le médecin danoisajouteque sonétude, dont le reculn’est que de trois ans, sera actuali-sée, chaque année, pour augmen-ter sa puissance statistique et affi-ner les estimations.

Les thromboses veineuses ouartérielles sont une complication

raremais grave des contraceptifs.Ilestadmisquelerisquedephlébi-te est deux fois plus élevé avec lespilules ayant pour progestatif dudésogestrel ou du gestodène(3egénération)oubiendeladrospi-rénone (4egénération) qu’avec cel-les à base de lévonorgestrel(2egénération).

«Données précoces»En valeur absolue, le nombre

attendu de cas de phlébites est de0,5 à 1cas par anpour 10000 fem-mes sans contraception. Il est de2cas par an pour 10000 chez cel-lesutilisantunepilulede2egénéra-tion, et de 3 à 4 par anpour 10000

chez celles sous contraceptif de3egénérationouàbasededrospiré-none (4egénération). Depuis quel-quesmois, lesmédecins sont invi-tés à privilégier systématique-ment les pilules de 1re ou 2egénéra-tion, ce qui a entraîné une fortebaissedes ventes des celles de 3e et4egénérations.

Arrivés depuismoins de quatreans sur le marché, les contracep-tifsavecunœstrogènenaturel, l’es-tradiol, ont été parfois présentéscomme des pilules « bio», quipourraientêtremieuxtoléréessurle planmétabolique et vasculaire.EnFrance,deuxsontcommerciali-sées : Qlaira (laboratoire Bayer) et

Zoely (Théramex). Pour les autori-tés sanitaires, elles sontassimiléesà despilules de 4egénération.

Grâce à des registresnationaux,quienregistrentdefaçonexhausti-ve de nombreuses données (ven-tes de médicaments, cas de mala-dies…) et qui peuvent être croisésentre eux, Ojvind Lidegaard et sescollègues ont analysé les cas dethromboses,veineusesouartériel-les survenus, entre2001 et 2012,chez lesDanoises de 15 à 49 ans.

Parmi les 4184cas de phlébitesrecensés sur cette période,cinqconcernaient des utilisatricesde la pilule Qlaira. Ce contraceptifmultiplie donc par 4,7 le risque de

thromboseveineusepar rapport àune femme sans contraception,estiment les chercheurs.

Ce risque est supérieur à celuicalculé pour les pilules à base delévonorgestrel (3,3), et reste infé-rieur à celui des anneaux vagi-naux (6,1) et despatchs (6,8).

«C’est une étude bien faite, parquelqu’un qui fait référence dansce domaine, commente le phar-maco-épidémiologiste BernardBégaud(Inserm,universitédeBor-deaux). Les résultats ne sont passurprenants, mais leur portée estlimitéepar lefaitqu’ils’agitdedon-nées précoces, obtenues peu aprèsla commercialisation.»p

Collecte du venind’unemygale, dans le cadre du projet européenVenomics. Sur 43millionsde toxines animales, 3 500 à peine sont connues.PIERRE ESCOUBAS/VENOMICS

«Ces cocktails demoléculesont été sélectionnés,

au cours de l’évolution,pours’attaquerauxcellules

bienprécises d’uneproie»Pierre Escoubas

PDGdeVenomeTech

UnequêteencadréederessourcesnaturellesLeprélèvementd’échantillonsd’animauxsauvagesest uneactivité très encadrée, ycompris en France. Pourmonter sa dernièreexpédition,qui a eu lieudu27avril au 12maià Tahiti et sur l’atoll deMakemo (archipeldes Tuamotu), l’équipede «Venomics» a dûsignerune conventionavec la délégationà larechercheenPolynésie française et s’engagerà communiquer sur le résultatde ses travauxafind’obtenir l’autorisationdedémarrer sacollecte. Cette démarcheadministrative lon-gueet fastidieusen’a pas, pour autant, entra-vé le succèsde l’opération. 770 cônes veni-meuxde32 espècesont, en effet, puêtre récol-tés et disséquésdans les locauxdu centredel’Institut de recherchepour le développe-mentde Papeete.

2 0123Mercredi 5 juin 2013