Transcript
Page 1: ^MaM^ Z *YIZR ;J`f #%2 /%8

Desveninsauxvertusthérapeutiquesb i o t e c h n o l o g i e s |Danslecadred’unprojeteuropéennomméVenomics,deschercheursétudientlemoded’actiondetoxinesanimalesdansl’espoirdemettreaupointdenouveauxmédicaments

Vahé TerMinassian

Pierre Escoubas n’aimepas alimenter les fantas-mesque suscite souventsonmétierde spécialistedes venins. Quand onl’interroge sur la plus

grande peur que lui ait occasionnéeson activité professionnelle, ce biolo-giste issu de la rechercheuniversitairecommencepardéclarerquelamanipu-lation de serpents, d’araignées etautresguêpesetcônes,n’estpas«si ris-quée» pour qui en a pris l’habitude.Puis, il marque une pause. Et finit paravouer avoir ressenti «un certainmalaise» le jour où, il y a quelquesannées, au Japon, on lui a livré envrac,50scorpionsvivants«groscommeunemain», dans un vieux sac en jute. «Jesuisrestéunlongmomentàmedeman-dercommentj’allaisattrapercesbestio-lesuneparune!», confie-t-il.

PDG de VenomeTech, une «spin-off» (scission)duCNRSetde l’universi-té de Nice - Sophia-Antipolis, il exercele rôle de coordinateur du projet derecherche européen «Venomics»,consacré à l’intérêt thérapeutique desvenins d’animaux. Des substances fai-tes pour chasser et pour se défendre,bref pour tuer? En faire des médica-ments?Maispourquoi,donc?

«Avant tout, explique le biologiste,parcequeces cocktailsdeplusieurscen-taines de molécules, que l’on retrouvechez plus de 173000espèces, ont étésélectionnés, au cours de l’évolution,pour s’attaquer aux cellules bien préci-sesd’uneproie.»

Pourproduireleurseffetsneurotoxi-ques, cardiotoxiques ou hemotoxi-ques, certains peptides, ces mini-pro-téines faites de dix à cent acides ami-nés constitutifs à 90% de la matièresèched’unvenin,sefixentsurlesrécep-teurs ou les canaux ioniquesdes cellu-lesetmodifientlesfonctionsdecesder-nièresoubloquent leurproduction.

Un mode d’action, une affinité etune spécificité qui, transposés audomaine pharmaceutique, permet-traientd’imaginerdenouveauxmédi-caments, plus ciblés et aux effetssecondaires réduits, pour les traite-mentsde ladouleuroudepathologiescomme le cancer, le diabète, lesmala-dies cardiovasculaires…

En octobre2012, des chercheurs del’Institutdepharmacologiemoléculai-re et cellulaire de Valbonne (Alpes-

Maritimes) ont ainsi pumettre en évi-dence les propriétés analgésiquesd’une protéine du venin du mambanoir (Le Monde du 6octobre 2012). Etune équipe américaine vient, cettesemaine, d’annoncer dans PNAS quecertaines anémones de mer produi-sentunetoxinetrèsprometteusepourle traitementde l’obésité!

Certes, les animaux ne sont pas lesseuls organismes vivants à produiredes toxines: nul besoin d’être doté decrochets, de dards ou deharpons pouren fabriquer! Et il est vrai qu’en raisond’un coût de production trop élevé etde problèmes d’« immunogénicité»qu’ils ont longtemps posés, les pepti-des inspirant des médicaments sontencore rares.

«Mais, à l’inverse, les toxines issuesde bactéries sont souvent des protéinestropgrossesettropcomplexespourêtresynthétisées artificiellement», expli-queFrédéricDucancel,ingénieur-cher-cheurauCommissariatà l’énergie ato-mique (CEA) à Saclay (Essonne), impli-qué dans Venomics. Et celles prove-nant des végétaux sontmoins diversi-fiées ou les organes qui les génèrentplus difficiles à localiser qu’un sac ouqu’un tubeà venin chezun serpent ouuncône. Enfin, si la fabricationpar desméthodeschimiquesdespetitesmolé-cules auxquelles l’industrie pharma-ceutiquefaithabituellementappelres-teplusaiséequecellesdespeptides, lesprogrès dans le domaine des biotech-nologiespourraient changer ladonne.

Une soixantaine de médicaments«peptidiques» existaient déjà en2010 sur le marché, dont cinq issusd’animaux. L’un d’entre eux, le Byet-

tea, prescrit pour le traitementdudia-bète de type 2, tiré de la salive du«monstre de Gila», un saurien mexi-cain, figuremêmeparmi lesblockbus-ters,avecdesventesdépassant…lemil-liardde dollars!

Le but de Venomics est de doper larecherche sur ces toxines animales,dont3500àpeinesontconnuessuruntotal estimé à plus de 43millions. Réu-nissant huit partenaires dans cinqpays dont, pour la France, Venome-tech, le CEA à Saclay, l’université de laMéditerranée et la société Vitamib, ceprojet de 6millions d’euros sur quatreans, lancé en 2011, vise à analyser, pardes techniquescomplexesde«protéo-mique» et de «transcriptomique», leveninde200espèces.

Et cela, afin d’élaborer une banquede données de 50000 peptides dont10000 seront, ensuite, synthétiséspar desmoyens chimiques ou par desprocédés de génie génétique consis-tant à les faire produire par des bacté-ries. L’objectif final, explique DenisServent,chercheurauCEAàSaclay,est«d’en tester certains de façon à établirleurintérêtpourletraitementdudiabè-te, de l’obésité et des maladies cardio-vasculaires».

Pourl’heure, l’équipeaachevél’ana-lyse du venin d’une vingtaine de ser-pents, d’araignées, de cônes, de scor-pionsetdeguêpes.Ellemet ladernièremain à ses protocoles de synthèse ens’exerçant surune centainede toxinesconnues. Et est optimiste quant à sacapacité à démarrer, dans les temps, laproduction de peptides. Mais avantd’en arriver là, encore faut-il disposerdu matériel biologique en quantités

suffisantes. Ce qui, on s’en doute, n’estpas si aisé! Il s’agit, en effet, de consti-tuer une bibliothèque d’échantillonsde 500espèces différentes parmi lesplusdangereuses: serpents, araignées,cônes, scorpions, hyménoptères, voireorganismesmarinset fourmis.

L’idée étant d’étudier la plus grandevariété possible d’animaux venimeuxet de laisser le choix aux chercheurs.D’oùunintensetravaildecollecte,nonseulementdevenins,maisaussidespé-cimensvivants.Puisquecertainesana-lyses comme le génotypage et la«transcriptomique»,quianalysentlesARN codés par l’ADN, nécessitent desprélèvementsdemusclesetdeglandesàvenins.

Deux expéditions en Guyane, uneautre à Mayotte et une dernière, enmai, en Polynésie française ont étéorganisées dans le but d’enrichir cettecollection dont sont exclues les espè-ces protégées. Mais ces déplacementssur le terrainneconstituentqu’under-nier recours. Pour le comprendre, lemieux est de se rendre par un matinpluvieux chez Alphabiotoxine, àMontrœul-au-Bois,unpetitvillagebel-ge situéprèsdeLille.

Cettesociété, l’unedes trois spéciali-sées en Europe dans la production devenins,disposedeplusde300référen-ces dans son catalogue. Elle a été char-gée par Venomics de s’occuper de cer-tains serpents, car il étaithorsdeques-tion pour l’équipe d’aller les manipu-lerdans leurhabitatnaturel.Aumilieudespilesdeboîtesenplastique,dester-rariumset des aquariumsoccupéspardes centaines de bêtes inquiétantes,son directeur, Rudy Fourmy, un éton-

nantpersonnagevivantdanslacrainteperpétuelled’unchoc anaphylactique,une réaction allergique susceptibled’être provoquée par la respirationquotidiennedevapeursdevenin,expli-queque lemarchédes animauxexoti-ques fournit les espèces adéquates enabondance.

Toutefois, la production de veninest,elle, incontestablement,uneactivi-téàtempsplein.«Uncrotalediamantafournit en une seule traite 500mg devenin sec, explique-t-il.Mais pour cer-tainespetitesaraignéescommelesPhi-dippus, il faut des centaines de traitespourobtenir 1milligramme.»

Un empoisonnant travail de béné-dictin, certes. Mais qui pourrait êtreôcombienbénéfique!p

LespilulesavecunœstrogènenaturelnesontpassansrisquesUneétudedanoisemontrequecescontraceptifsparfoisprésentéscomme«bio»augmententlescasdethromboseveineuse

SCIENCE&MÉDECINE a c t u a l i t é

Sandrine Cabut

Les pilules contraceptivescontenant un œstrogènenaturel multiplieraientpar 4,7 le risque de throm-

bose veineuse (phlébite ou embo-lie pulmonaire), soit un niveau derisque intermédiaire entre celuides œstroprogestatifs de 2e et de3egénérations. Telle est la conclu-sion d’une étude danoise présen-tée, le 24 mai à Copenhague, lorsde la première «conférence mon-diale sur les questions de santérelatives à la reproduction, lasexualité et la contraception».

«Nos données, qui sont les pre-mières à documenter les risquesthrombo-emboliques de ces nou-veauxcontraceptifsdanslapopula-tion,suggèrentaussiqu’ilsn’entraî-nent pas un sur-risque d’accidentsvasculaires cérébraux et d’infarc-tus du myocarde», précise OjvindLidegaard (hôpital universitairede Copenhague). Expert mondialsur ces sujets, le médecin danoisajouteque sonétude, dont le reculn’est que de trois ans, sera actuali-sée, chaque année, pour augmen-ter sa puissance statistique et affi-ner les estimations.

Les thromboses veineuses ouartérielles sont une complication

raremais grave des contraceptifs.Ilestadmisquelerisquedephlébi-te est deux fois plus élevé avec lespilules ayant pour progestatif dudésogestrel ou du gestodène(3egénération)oubiendeladrospi-rénone (4egénération) qu’avec cel-les à base de lévonorgestrel(2egénération).

«Données précoces»En valeur absolue, le nombre

attendu de cas de phlébites est de0,5 à 1cas par anpour 10000 fem-mes sans contraception. Il est de2cas par an pour 10000 chez cel-lesutilisantunepilulede2egénéra-tion, et de 3 à 4 par anpour 10000

chez celles sous contraceptif de3egénérationouàbasededrospiré-none (4egénération). Depuis quel-quesmois, lesmédecins sont invi-tés à privilégier systématique-ment les pilules de 1re ou 2egénéra-tion, ce qui a entraîné une fortebaissedes ventes des celles de 3e et4egénérations.

Arrivés depuismoins de quatreans sur le marché, les contracep-tifsavecunœstrogènenaturel, l’es-tradiol, ont été parfois présentéscomme des pilules « bio», quipourraientêtremieuxtoléréessurle planmétabolique et vasculaire.EnFrance,deuxsontcommerciali-sées : Qlaira (laboratoire Bayer) et

Zoely (Théramex). Pour les autori-tés sanitaires, elles sontassimiléesà despilules de 4egénération.

Grâce à des registresnationaux,quienregistrentdefaçonexhausti-ve de nombreuses données (ven-tes de médicaments, cas de mala-dies…) et qui peuvent être croisésentre eux, Ojvind Lidegaard et sescollègues ont analysé les cas dethromboses,veineusesouartériel-les survenus, entre2001 et 2012,chez lesDanoises de 15 à 49 ans.

Parmi les 4184cas de phlébitesrecensés sur cette période,cinqconcernaient des utilisatricesde la pilule Qlaira. Ce contraceptifmultiplie donc par 4,7 le risque de

thromboseveineusepar rapport àune femme sans contraception,estiment les chercheurs.

Ce risque est supérieur à celuicalculé pour les pilules à base delévonorgestrel (3,3), et reste infé-rieur à celui des anneaux vagi-naux (6,1) et despatchs (6,8).

«C’est une étude bien faite, parquelqu’un qui fait référence dansce domaine, commente le phar-maco-épidémiologiste BernardBégaud(Inserm,universitédeBor-deaux). Les résultats ne sont passurprenants, mais leur portée estlimitéepar lefaitqu’ils’agitdedon-nées précoces, obtenues peu aprèsla commercialisation.»p

Collecte du venind’unemygale, dans le cadre du projet européenVenomics. Sur 43millionsde toxines animales, 3 500 à peine sont connues.PIERRE ESCOUBAS/VENOMICS

«Ces cocktails demoléculesont été sélectionnés,

au cours de l’évolution,pours’attaquerauxcellules

bienprécises d’uneproie»Pierre Escoubas

PDGdeVenomeTech

UnequêteencadréederessourcesnaturellesLeprélèvementd’échantillonsd’animauxsauvagesest uneactivité très encadrée, ycompris en France. Pourmonter sa dernièreexpédition,qui a eu lieudu27avril au 12maià Tahiti et sur l’atoll deMakemo (archipeldes Tuamotu), l’équipede «Venomics» a dûsignerune conventionavec la délégationà larechercheenPolynésie française et s’engagerà communiquer sur le résultatde ses travauxafind’obtenir l’autorisationdedémarrer sacollecte. Cette démarcheadministrative lon-gueet fastidieusen’a pas, pour autant, entra-vé le succèsde l’opération. 770 cônes veni-meuxde32 espècesont, en effet, puêtre récol-tés et disséquésdans les locauxdu centredel’Institut de recherchepour le développe-mentde Papeete.

2 0123Mercredi 5 juin 2013

Top Related