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The Institutionalization of Anthropology in Mexico: A Conflicting Relation Between Knowledge and Power Political Development in Latin America CS18 IPSA Santiago de Chile, Juillet 2009 L’institutionnalisation de l’anthropologie au Mexique : une relation conflictuelle entre savoir et pouvoir César Guevara González Abstract During this presentation we will discuss the beginning of the process of institutionalization of indigenous anthropology in Mexico between the years 1917 and 1924. We will focus on the creation, in 1917, of the Directorate-General for Anthropology and the role played by the anthropologist Manual Gamio as its Director-General. We should point out that in 1920 the country, after having passed through a period of political and social instability caused by the 1910 revolution, began the gradual process of consolidating its institutions and social regulatory mechanisms. Despite affirming the existence of a convergence of interests between the post- revolutionary state and indigenous anthropology, we must also highlight conflicts between two distinct logics and two distinct fields of action. In this sense we also explain from a sociohistorical perspective the problems and obstacles faced by theoretical categories when transformed into categories of public action. Résumé Cette communication traitera des débuts du processus d'institutionnalisation de l'anthropologie indigéniste au Mexique dans les années 1917 – 1924. Nous nous concentrerons sur la création de la direction générale d'Anthropologie en 1917 et sur le rôle qu'a joué l'anthropologue Manuel Gamio en tant que directeur de cette institution. Il faut signaler que le pays a entamé en 1920 un lent processus de consolidation de ses institutions et de ses mécanismes de régulation sociale après avoir connu une période d'instabilité politique et sociale suite à la Révolution de 1910. Tout en affirmant l'existence d'une convergence d'intérêts entre l'État post-révolutionnaire et l'anthropologie indigéniste, nous devons également souligner les conflits entre deux logiques et deux champs d'action distincts. C'est pourquoi nous aborderons aussi dans cette communication l'explication socio-historique des problèmes et des blocages auxquels se sont trouvées confrontées las catégories « savantes » lors de leur transformation en catégories de l'action publique. Resumen En esta ponencia abordamos los comienzos del proceso de institucionalización de la antropología indigenista en México en los años 1917 – 1924. Nos centramos en la creación de la Dirección General de Antropología en 1917 y en el papel que jugó el antropólogo Manuel Gamio como director de esta institución. Debe señalarse que en 1920 el país empezó un lento proceso de consolidación de sus instituciones y sus mecanismos de regulación social, después de haber atravesado por un período de inestabilidad política y social causado por la revolución de 1910. A pesar de que afirmamos la existencia de una convergencia de intereses entre el Estado post- revolucionario y la antropología indigenista, también debemos subrayar los conflictos entre dos lógicas y dos campos de acción distintos. Por ello, en esta ponencia explicamos también socio- históricamente los problemas y bloqueos que enfrentan las categorías teóricas cuando se transforman en categorías de la acción pública.

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The Institutionalization of Anthropology in Mexico: A Conflicting Relation Between Knowledge and Power Political Development in Latin America

CS18

IPSA Santiago de Chile, Juillet 2009

L’institutionnalisation de l’anthropologie au Mexiq ue : une relation conflictuelle entre savoir et pouvoir

César Guevara González

Abstract During this presentation we will discuss the beginning of the process of institutionalization of indigenous anthropology in Mexico between the years 1917 and 1924. We will focus on the creation, in 1917, of the Directorate-General for Anthropology and the role played by the anthropologist Manual Gamio as its Director-General. We should point out that in 1920 the country, after having passed through a period of political and social instability caused by the 1910 revolution, began the gradual process of consolidating its institutions and social regulatory mechanisms. Despite affirming the existence of a convergence of interests between the post-revolutionary state and indigenous anthropology, we must also highlight conflicts between two distinct logics and two distinct fields of action. In this sense we also explain from a sociohistorical perspective the problems and obstacles faced by theoretical categories when transformed into categories of public action. Résumé Cette communication traitera des débuts du processus d'institutionnalisation de l'anthropologie indigéniste au Mexique dans les années 1917 – 1924. Nous nous concentrerons sur la création de la direction générale d'Anthropologie en 1917 et sur le rôle qu'a joué l'anthropologue Manuel Gamio en tant que directeur de cette institution. Il faut signaler que le pays a entamé en 1920 un lent processus de consolidation de ses institutions et de ses mécanismes de régulation sociale après avoir connu une période d'instabilité politique et sociale suite à la Révolution de 1910. Tout en affirmant l'existence d'une convergence d'intérêts entre l'État post-révolutionnaire et l'anthropologie indigéniste, nous devons également souligner les conflits entre deux logiques et deux champs d'action distincts. C'est pourquoi nous aborderons aussi dans cette communication l'explication socio-historique des problèmes et des blocages auxquels se sont trouvées confrontées las catégories « savantes » lors de leur transformation en catégories de l'action publique.

Resumen En esta ponencia abordamos los comienzos del proceso de institucionalización de la antropología indigenista en México en los años 1917 – 1924. Nos centramos en la creación de la Dirección General de Antropología en 1917 y en el papel que jugó el antropólogo Manuel Gamio como director de esta institución. Debe señalarse que en 1920 el país empezó un lento proceso de consolidación de sus instituciones y sus mecanismos de regulación social, después de haber atravesado por un período de inestabilidad política y social causado por la revolución de 1910. A pesar de que afirmamos la existencia de una convergencia de intereses entre el Estado post-revolucionario y la antropología indigenista, también debemos subrayar los conflictos entre dos lógicas y dos campos de acción distintos. Por ello, en esta ponencia explicamos también socio-históricamente los problemas y bloqueos que enfrentan las categorías teóricas cuando se transforman en categorías de la acción pública.

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L’institutionnalisation de l’anthropologie au Mexiq ue : une relation conflictuelle entre savoir et pouvoir

César Guevara González*

L’objet de cette communication est d’expliquer la relation qui s’est établie entre le discours disciplinaire produit par les anthropologues au cours de la première étape postrévolutionnaire mexicaine et la sphère du pouvoir politique liée à la construction du nationalisme. L’anthropologue Manuel Gamio représente un exemple important de cette fusion entre la pratique intellectuelle et la pratique politique. L’objectif de la pratique scientifico-institutionnelle de Manuel Gamio est d’intégrer les Indigènes à la République par un processus d’homogénéisation culturel plutôt que par leur insertion politique. Ceci explique en grande partie le soutien institutionnel dont il a bénéficié, et le fait qu’il ait réussi à poser les bases qui allaient permettre de développer l’anthropologie comme un nouveau champ d’intervention publique et de l’institutionnaliser comme science du gouvernement. Il s’agira donc d’analyser le croisement entre la discipline anthropologique et la pratique politique au-delà du culturalisme essentialiste.

Manuel Gamio va réussir à mettre en pratique ses catégories savantes dans une institution, le département d'Archéologie et d'Ethnographie (1917) dont la création constitue la première phase d’institutionnalisation de l’indigénisme mexicain. Dans ce contexte, nous analyserons les réseaux et les « espaces intermédiaires » qui ont rendu possible sa création et son influence sur la politique culturelle de l’État mexicain. Il faut souligner que Manuel Gamio a construit des réseaux anthropologiques à l'échelle internationale, à la faveur de son implication dans l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie.

Pour comprendre l’indigénisme en tant que science du gouvernement et en tant que politique culturelle d’intégration des Indigènes à l’État révolutionnaire, il est indispensable d'analyser les réseaux constitués par l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie, l’influence de l’anthropologie américaine dans la formation des anthropologues mexicains et le rôle joué par des anthropologues tels que Manuel Gamio comme médiateurs culturels entre l’État et les populations indigènes. Nous essayerons donc d’expliquer dans les paragraphes suivants comment la science anthropologique commence à s’institutionnaliser au Mexique sous la forme d'une « anthropologie appliquée1 », dans le contexte du projet assimilationniste de l’État mexicain. De

* Docteur en Sciences Politiques, IEP Grenoble, France. Professeur à la Faculté de Sociologie, Université de Veracruz,

Mexique. 1 Pour une analyse de l’anthropologie appliquée au Mexique, voir Nahmad, Salomón (1978) « Perspectivas y proyección de la antropología aplicada en México” In Nueva antropología año III,

nº 9, México, p. 103-107 Palerm, Ángel (1969) « Antropología aplicada y desarrollo de la comunidad” In Anuario indigenista, Instituto Indigenista

Interamericano, Vol. XXIX, diciembre, México, p. 153-161. Romano Agustín (1969) « La política indigenista de México y la Antropología Aplicada” In América Indígena vol. XXIX, nº

4, octubre, México, p. 1065-1076

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même, nous analyserons comment Manuel Gamio a introduit au Mexique la méthodologie empirique de l’anthropologie moderne pour jeter les fondements de l’intervention publique de l’État auprès de la population. Cet auteur a en effet le mérite d’unir la recherche savante et la prescription politique et normative dans une seule structure discursive. à ce propos, le texte Forjando patria2 est un exemple d’argumentation scientifique et prescriptive qui marque une rupture avec l’idéologie positiviste et les discours philosophiques qui avaient légitimé les politiques culturelles et démographiques mexicaines. Bien entendu, la création de groupes de savants chargés de rationaliser l’action politique et administrative de l’État, demande la création d'infrastructures, d'écoles, d’institutions, qui seront les responsables de la formation des nouvelles élites académiques. En même temps, ces institutions produisent des catégories, des concepts et des visions du monde qui seront repris par les discours politiques et par l’action publique. Dans cet ordre d'idées, nous analyserons comment l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie et le département d'Archéologie et d'Ethnographie commencent à offrir les ressources matérielles à partir desquelles l’anthropologie mexicaine va chercher à s’institutionnaliser. Toutefois, ces processus ne sont pas exempts de conflits avec les anciens fonctionnaires responsables de la gestion et de la protection du patrimoine national. L’analyse de ces conflits va nous permettre d’expliquer la difficulté qu'il y a à vaincre les inerties institutionnelles ou à remplacer les anciennes bureaucraties culturelles. Finalement, nous analyserons aussi l’impossibilité de réduire l’histoire de l’anthropologie mexicaine à l’histoire de la discipline sans tenir compte des « sites intermédiaires » (R. Payre) et des réseaux politiques qui interagissent avec les pratiques savantes. 3

Nous commencerons par analyser la relation entre les institutions mexicaines et la pratique anthropologique de Manuel Gamio. Il ne faut pas oublier que M. Gamio a été le premier anthropologue à mettre en évidence de manière systématique et empirique l’importance d'une connaissance statistique et culturelle des peuples qu'on envisage d'administrer. De ce fait, la politique publique en général et la politique culturelle en particulier, se voient justifiées par la connaissance plus que par les doctrines éthiques ou philosophiques. À ce propos M. Gamio insiste auprès du gouvernement mexicain sur l’importance que «les communes effectuent, le plus efficacement et ponctuellement possible, les enregistrements et les annotations pour les recensements et les statistiques régionales, et expliquent avec insistance aux citoyens les avantages de cette mesure. Il faut obtenir des autorités ecclésiastiques qu'elles exigent de leurs fidèles des certificats civils de naissance, de décès, de mariage, etc., avant les célébrations religieuses respectives. Que dans les futurs recensements, il soit tenu compte du type de race et du type de civilisation des habitants, et pas seulement des caractéristiques qui ont été retenues jusqu'à présent.»4 Entre 1909 et 1910, M. Gamio obtient une bourse pour étudier avec Franz Boas à l’université Columbia. Il faut préciser que Franz Boas n'est pas seulement un des anthropologues les plus prestigieux des États-Unis et un critique de l’anthropologie évolutionniste, mais qu'il a aussi 2 Gamio, Manuel (1992) Forjando patria, Porrúa, México 3 Payre Renaud (2003) « Les efforts de constitution d’une science de gouvernement municipal: la vie communale et

départementale ( 1923-1940) » in Revue Française de Science Politique ,volume 53. No. 2, avril. p. 215 4 Gamio, Manuel (1979) (edición facsimilar) La población del valle de Teotihuacán, Colección INI, nº 8-I, Instituto Nacional

Indigenista, p. XCVII. Sur le même sujet voir: Gamio, Manuel (1979) (edición facsimilar) La población del valle de Teotihuacán, Colección INI, nº 8-IV, Instituto Nacional Indigenista, p. 133-145

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participé à la création de l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie à Mexico en 1911. Cette école avait l'objectif de former les étudiants mexicains au courant boasien et, en même temps, de diriger des recherches en archéologie et en anthropologie au Mexique à travers un réseau international. Après un séjour à Columbia, où il obtient son master en 1912, Manuel Gamio retourne au Mexique où il s’incorpore comme fellow à l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie. 1917 voit la création, au sein même du ministère de l'Agriculture et du Développement, du département d'Archéologie et d'Ethnographie, qui change de nom en 1919 pour s'appeler direction d'Anthropologie. M. Gamio en est nommé directeur dès sa création. Dans cette institution, il défend l’idée que l’anthropologie est une science intégrale qui doit étudier les populations indigènes à partir de la statistique, la démographie, l’archéologie, la culture, etc5. En 1917, Manuel Gamio commence une étude intégrale de la population de Teotihuacan dans la vallée de Mexico, qui sera publiée en 1922. D’après A. Warman, il y a un rapport entre la construction du nationalisme mexicain et l’anthropologie intégrale de Manuel Gamio.

« L’anthropologie intégrale mexicaine soutient que l’étude de l’homme doit être menée à partir de plusieurs dimensions : la dimension historique, la biologique, la biographique, la culturelle. Cependant, toutes ces dimensions seront unifiées par un seul ensemble conceptuel, celui de l’anthropologie comme une discipline appliquée aux actions du gouvernement »6.

Sa recherche intégrale sur la population de Teotihuacan permet à M. Gamio d'obtenir son doctorat de l'université Columbia. Mais cette recherche lui permet également d’obtenir la reconnaissance d’importants anthropologues nord-américains et il est invité à prononcer des conférences sur la culture indigène à Washington et à New-York. De cette manière, dans les années 20, il consolide sa réputation aux États-Unis et la revue Survey Graphic voit en lui l’anthropologue le plus important d’Amérique latine. Dans le même esprit, l'Association américaine d'Anthropologie félicite M. Gamio pour ses recherches dans ce domaine7. En 1921, il est toujours en étroite relation avec son maitre à penser F. Boas, et les deux anthropologues échangent leurs impressions sur les études anthropologiques en Amérique latine. De plus, F. Boas essaye d'encourager au Mexique les études de l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie, dont le principal promoteur est M. Gamio. Après la Révolution mexicaine, une série d’artistes et de penseurs opèrent une récupération esthétique de pratiques indigènes. Il faudrait situer les études de Manuel Gamio dans ce contexte, ainsi que ses positions politiques à propos des Indigènes. En effet, cet auteur a produit une des études les plus importantes sur la zone archéologique de Teotihuacan8 et il a également revalorisé les Indigènes en proclamant la grandeur de leurs civilisations passées ; enfin, il a essayé de les

5 De la Peña, Guillermo (1996) Op. Cit. p. 62 6 Warman, Arturo (2002) “Todos santos y todos difuntos; crítica histórica de la Antropología Mexicana” In Bonfil Batalla,

Guillermo, et al. De eso que llaman antropología mexicana, Comité de publicaciones de los alumnos de la Escuela Nacional de Antropología e Historia, México, p. 23

7 Comas, Juan (1975) “Manuel Gamio en la Antropología mexicana” In Anales de Antropología. Instituto de Investigaciones Antropológicas, UNAM, Vol. XII, México, p. 47-66

8 Gamio, Manuel (1979a) Op. Cit.

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incorporer graduellement à la nation mexicaine, en reconnaissant leurs particularités culturelles. Si les artistes avaient entamé une exaltation esthétique des Indigènes, Manuel Gamio va, lui, amorcer une approche scientifique de la population autochtone, au-delà des « préjugés raciaux », et il va proposer une étude culturelle et disciplinaire des différentes ethnies habitant le Mexique. Selon M. Gamio, le Mexique des années 20 n’est pas encore une nation complètement constituée, dans la mesure où il ne rassemble pas les quatre caractéristiques de base qu'exige la consolidation d’une nation : une langue commune, une race homogène, un personnalité commune et une histoire commune. D’après lui, la condition pour former une patrie réside dans l’intégration des populations autochtones à cette histoire et cette culture commune9. Il a en effet observé la présence dans les populations natives, d'une multiplicité de langues et de coutumes différentes. De plus, ces cultures différentes sont isolées et elles ne participent pas à la vie nationale. Dans ce contexte, l’objectif de M. Gamio est de stimuler une fusion des races et une fusion culturelle pour en finir avec la fragmentation et parvenir à ce que les populations indigènes s’incorporent au projet national. Pour y arriver, il est indispensable d’identifier les différents groupes ethniques, d’analyser s’ils peuvent être regroupés en régions avec une culture et une histoire commune, préalablement à leur intégration nationale. Les Indigènes ne doivent pas vivre comme des étrangers dans leur propre patrie, et ils doivent se transformer en Mexicains grâce au partage d'une langue commune, l’espagnol, et d'une identité historique en tant que Mexicains, plutôt que comme membres d’une ethnie en particulier. Cependant, M. Gamio considère que la meilleure manière d’intégrer les Indigènes à la nation mexicaine consiste à commencer par reconnaitre leurs différences. Autrement dit, une politique d’homogénéisation culturelle demande comme préalable l’étude de l'hétérogénéité. Les politiques culturelles de l’État seront d'autant plus efficaces et l’intégration des Indigènes, performante, que l’État sera capable de mettre en pratique des politiques centrées sur les réalités culturelles et sociales particulières. Or, M. Gamio a été le premier anthropologue mexicain à se rendre compte que la construction de l’homogénéisation nationale demandait d’abord de connaitre et de maitriser l'hétérogénéité culturelle. Dans la mesure où il a été le premier archéologue diplômé du Mexique et un idéologue de l’incorporation des Indigènes à la nation mexicaine, nous pouvons dire qu’il a fondé l'anthropologie comme savoir scientifique légitime et discipline de l’action publique10. Bien que M. Gamio ait souscrit aux thèses culturalistes de F. Boas et ait mis en valeur la grandeur des populations autochtones, il a continué à considérer que les Indigènes vivaient dans un retard permanent. Il pensait toutefois que ce retard était la conséquence des siècles de domination et d'exploitation que les Indigènes avaient subi sous la domination espagnole. De cette manière, l’infériorité des Indigènes trouvait une explication historique et culturelle, plutôt que biologique ou raciale.

Au lieu de proposer une politique d’acculturation unilatérale, M.Gamio pense que l’intégration des Indigènes peut se produire au moyen d'un échange culturel. Ainsi, les Indigènes accepteraient les valeurs positives de l’Occident, telles que la productivité, la science, la langue et

9 Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 159-161 10 « Rédimé en tant que race et en tant que valeur abstraite ou potentielle de sa culture, l'Indien est resté situé à la racine même

de la nationalité et les Indiens sont devenus la matière première de la citoyenneté moderne. C'est pour cela que Gamio, après avoir favorisé cette idée, a consacré ses études d'anthropologie appliquée à la transformation de l'Indien en Mexicain. Cette stratégie a marqué le début de l'idylle entre l'anthropologie et l'État révolutionnaire. » Lomnitz, Claudio (1996) « Insoportable levedad” In Fractal nº 2, julio-septiembre, año I, vol. I, p. 51-76

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l’organisation politique. En revanche, l'Occident et le Mexique récupérerait des Indigènes leur art et leur passé civilisateur, dégradé par la domination coloniale. Bien entendu, il reviendrait à l’expertise anthropologique de décider quels éléments culturels indigènes sont récupérables et quels sont les atavismes et préjugés qui doivent disparaitre. Un des apports les plus importants de M. Gamio à l’anthropologie mexicaine et au contexte scientifique de son époque est le fait d'avoir défini l’Indigène par ses caractéristiques culturelles. De cette manière, les caractéristiques biologiques passent au deuxième plan et, à l’idée d’une essence indigène, se substitue celle d’une multiplicité de cultures et de modes de vie costituant la diversité ethnique du pays. Or, si le Mexique est constitué d'une multiplicité d’ethnies avec des caractéristiques différentes et complexes, la politique culturelle doit aussi prendre en compte ces différences pour essayer d’intégrer graduellement les Indigènes à la modernisation. À l'instar de Molina Enríquez, M. Gamio considère que l’augmentation de la productivité exigée par la modernité et les allégeances civiques et politiques que réclame la République, ne peuent pas être le seul résultat de la coercition et de politiques dirigistes. Dans ce sens, l'un et l'autre affirment le besoin de transformer et d'intégrer la population à partir de l’interaction et de la maitrise des codes culturels de la population même. Ainsi, la connaissance du peuple est indispensable pour exercer un bon gouvernement. Quand le gouvernant connaitra bien ces individus et les collectivités, il sera possible de légiférer sur leur vie sociale. On pourra alors former une constitution générale faite de lignes directrices et de lois particulières, adaptées aux caractéristiques ethnico-sociales et économiques de ces communautés, et aux conditions géographique des régions qu'ils habitent11. Manuel Gamio s’est toujours revendiqué comme nationaliste, ce qui lui a valu de s'attirer les sympathies d’hommes politiques révolutionnaires. Le texte Forjando partia, publié en 1916, constitue d'ailleurs à la fois un texte anthropologique et un texte politique. De plus, en décembre 1915, pendant l’étape de la lutte entre le président V. Carranza et les autres fractions révolutionnaires, M. Gamio a publié un article dans la Revista de Revistas à propos du blason national. Dans cet article, il argumentait que l’aigle du blason n’était qu’une copie déformée de blasons d’aigles européens12 et il proposait d’utiliser un aigle mexicain pour conforter le nationalisme. Le président V. Carranza a alors ordonné le changement suggéré par M. Gamio et ce nouvel aigle figure encore actuellement sur le drapeau mexicain13. De fait, M. Gamio s’était rallié à la cause des armées révolutionnaires qui essayaient d’expulser Victoriano Huerta et il était identifié comme « carranciste ». Il est probable que cette sympathie pour le Président Carranza a contribué à sa nomination à la tête de la direction d'Anthropologie14 en 1917.

11 Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 31 12 « Cependant, notre blason manque de caractère national : jusqu'à l'arrivée de la conquête, l'aigle et le serpent apparaissaient

en bijoux, dans des codex, sur des panaches, des étendards, des bas-reliefs muraux, avec la somptueuse originalité – mal comprise de nos jours – qui caractérise l'art préhispanique. Depuis lors, le blason s'est transformé, artistiquement, en quelque chose ayant l'apparence d'un fragment de décor de théâtre : les aigles des drapeaux que nous envoient des usines d'outremer ne sont même pas des aigles napoléoniens ou romains décadents, mais des ersatz dégénérés de chromos et de détestables peintures. » Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 134

13 González Gamio, Angeles (1987) Op. Cit. p. 47 14 De la Peña, Guillermo (1996) Op. Cit. p. 61

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Pour bien comprendre le rôle joué par M. Gamio dans la fondation de l’anthropologie en tant que science du gouvernement, il est nécessaire de préciser que le développement des sciences sociales au Mexique entre 1919 et 1940 s’est produit dans un contexte d’instabilité politique et de lutte entre différentes fractions pour construire un État national unifié. Durant cette période, la sociologie, la démographie et l’anthropologie vont dominer la politique nationaliste postrévolutionnaire15. En effet, la connaissance de la composition démographique du pays, ainsi que les caractéristiques culturelles des différents groupes de population, devenaient indispensables dans la formation d’une république unifiée. Dans ce contexte, on débattait sur la possible contribution de la migration européenne à l'augmentation de la productivité et au développement économique du pays, ou encore sur l'importance de la force productive de la population indigène et sur son éventuelle capacité à assimiler les valeurs et les connaissances de la civilisation occidentale. Si des pays tels que les États-Unis et le Canada nécessitaient d’urgence de grands flux migratoires, ils mettaient en pratique des politiques migratoires sélectives en fonction de conjonctures économiques concrètes et de projets de nation particuliers. En revanche, avec son importante population indigène, le Mexique a dû se pencher sur des politiques publiques pour inclure la population autochtone au processus de développement. De plus, la Révolution avait introduit parmi les intellectuels et les hommes politiques des idées eugéniques16 et de régénérescence culturelle de la population. Dans ce sens, les discours des anthropologues et des intellectuels intéressés par la culture du pays, n’étaient pas des discours neutres, dans la mesure où l’argumentation scientifique s'adressait, bien entendu, à leurs pairs, aux savants qui maitrisaient les disciplines sociales, mais en même temps, aux hommes politiques, c'est-à-dire à ceux qui avaient le pouvoir de mettre en pratique les politiques publiques de base pour transformer un pays politiquement et culturellement fragmenté, en un État-nation fort et unifié, idéologiquement et culturellement. Les lettres que Manuel Gamio a adressées à la présidence de la République ou les discours de Moisés Sáenz, laissent apparaitre dans leurs propositions un mélange de savoirs disciplinaires et de prescriptions politiques, ainsi qu'une rhétorique exaltant le gouvernement postrévolutionnaire. De cette manière, les anthropologues essayaient de produire une « demande sociale ». En effet, au-delà de la rigueur du savoir disciplinaire et des méthodologies anthropologiques particulières, les scientifiques et les intellectuels mexicains profitaient la conjoncture politique du Mexique révolutionnaire, pour montrer que leurs études théoriques et leurs catégories d’analyses étaient également une solution aux besoins politiques et économiques du pays. Comme le souligne bien B. Latour,17 la réussite d’une recherche scientifique est fortement liée à sa capacité de générer l'intérêt d’acteurs qui n’appartiennent pas spécifiquement au monde scientifique. Les anthropologues mexicains, en même temps qu'ils produisaient de nouvelles catégories d’analyses, essayaient de façonner la société conformément à ces catégories, ce qui était possible uniquement 15 Urías Horcasitas, Beatríz (2002) “Las ciencias sociales en la encrucijada del poder: Manuel Gamio (1920-1946)” In Revista

Mexicana de Sociología, Instituto de Investigaciones Sociales, nº 3, vol. LXIV, julio-septiembre, p. 93 16 À ce sujet, voir:

• Urías Horcasitas, Beatríz (2007) Historias secretas del racismo en México (1920-1950), Tusquets Editores, México. • Urías Horcasitas, Beatríz (2007) El hombre nuevo de la postrevolución In Letras libres , México, Mayo, p. 58-61 • Stern, Alejandra (2000) Mestizofilia, Biotipología y Eugenesia en el México postrevolucionario; Hacia una ciencia de

la historia y el estado, 1920-1960 In Relaciones, Revista del Colegio de Michoacán, vol. 21, nº 81, p. 59-91 17 Latour, Bruno (1994) Le métier du chercheur. Regard d’un anthropologue, Paris INRA. P.15-18

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s’il y avait des coïncidences et des liens entre les projets politiques et la production scientifique. De plus, il faut rappeler qu'au cours de cette période, la plupart des intellectuels et scientifiques sociaux ont entretenu des liens étroits avec les hommes politiques, et que la majorité de ces mêmes intellectuels ont occupé des postes publics importants au niveau fédéral ou régional. Aussi peut-on parler de réussite du processus d’institutionnalisation de l’anthropologie mexicaine, grâce à une convergence entre les praticiens d’un savoir spécialisé et le pouvoir politique. De fait, au Mexique, il y a, de la part des scientifiques sociaux, une longue tradition d'imbrication de l’argumentation disciplinaire et de l'argumentation normative sur les rôles de l’État et la société. Cela peut s’expliquer historiquement par la participation directe d’intellectuels humanistes et, plus tard, de scientifiques sociaux, aux politiques publiques du Mexique postrévolutionnaire. Dans ce contexte, les propositions de Manuel Gamio sur l’intégration régionale des Indigènes reposaient sur une analyse rigoureuse des différents groupes ethniques qui peuplaient le pays et, parallèlement, ces propositions incluaient une composante prescriptive quant à l’unification culturelle et à la formation d’un sentiment civique national.

La région culturelle comme catégorie politique

Il convient par ailleurs d'insister sur l'excellente compréhension que M. Gamio avait du rapport entre connaissance, action publique et études régionales. Si c'est à Julio de la Fuente18 que revient le mérite de dépasser les études isolées des communautés pour analyser les relations interethniques et les échanges de marché à l'échelle régionale, ce sont tout de même les travaux pionniers de la direction d'Anthropologie qui avaient commencé à analyser le rapport entre études régionales et contrôle politique. M. Gamio voit une relation entre la connaissance de la diversité et la construction du nationalisme. Autrement dit, si les politiques d’État cherchent à construire une république civiquement et culturellement homogène, il faut d’abord connaitre les réalités particulières de chaque région. L’homogénéisation présuppose la reconnaissance de la différence. Dans ce sens, on ne peut pas intégrer de la même manière le Sud du Mexique au projet nationaliste que le Nord, où les coutumes et les formes d’organisation sont totalement distinctes. C'est par ces apports que M. Gamio devient un important précurseur de l’étude du multiculturalisme, préalable des politiques modernisatrices. Il a bien compris que la meilleure manière de construire un État national, une culture civique uniforme et un éthos économique modernisateur entre le paysan et les Indigènes, passait d'abord par une interaction avec les différences culturelles régionales.

« La substance de la pensée de Gamio est la suivante : le Mexique doit être abordé en sciences sociales, en tenant compte de son hétérogénéité et des particularismes de son histoire nationale. Ce sont les conditions régionales qui ont influé sur la différenciation de la population mexicaine, étant entendu par là les variations et les différences entre les gens, d'un point de vue ethnique et culturel, incluant la langue,

18 De la Fuente, Julio (1965) Regiones interetnicas, México: INI

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la société et l'histoire. À cela, il faut ajouter les caractéristiques géographiques, climatiques et biologiques des régions habitées par les groupes humains qui constituent la nation. Selon Gamio, une région est un territoire culturellement et socialement homogène, avec une histoire commune qui peut être différenciée de celle des territoires voisins. La région a une identité propre qui la rend différente des autres régions et du reste du pays, même si elle fait partie de la nation » 19

De fait, M. Gamio propose d’étudier un groupe ethnique tel que les Otomi, non comme une communauté isolée, mais bien comme la « grande famille otomi » vivant sur le territoire mexicain avec ses caractéristiques communes, ses différences et ses métissages culturels et raciaux avec les Espagnols. Cette étude doit être le résultat d'une recherche empirique, ainsi que de l’analyse et de la comparaison de données à partir de techniques anthropologiques et statistiques. De cette manière, l’anthropologie s’éloigne de la spéculation humaniste pour produire une connaissance scientifique. Selon M. Gamio, les études sur les Indigènes faites par d’anciens chroniqueurs tels que B. de Sahagún ou Bernal Díaz del Castilo avaient une importance historique, mais ces études ne remplissaient pas les préalables scientifiques. Une fois que l’anthropologue a identifié la famille otomi, ses caractéristiques culturelles et raciales, il peut « déterminer les besoins actuels » des Otomi et proposer une série de mesures afin de transformer cette population20. Il peut aussi identifier si « la capacité de production des Otomi est normale ou anormale », après quoi il aura l’autorité scientifique pour conseiller les politiques gouvernementales nécessaires pour agir sur la population. Nous pouvons dès lors faire le point sur les principes de base de l’argumentation de Manuel Gamio : Premièrement, l’importance de marquer une différence entre la connaissance scientifique actuelle et la connaissance antérieure sur les Indigènes, qui était plutôt une connaissance humaniste, historique ou encyclopédique, mais qui n’avait pas atteint le niveau de systématisation ni les techniques exigées par la méthodologie scientifique. Deuxièmement, la nécessité d'identifier les régions, les aires culturelles, les zones de influence, les familles, etc., afin de dépasser les monographies sur des communautés isolées.

19 Fábregas Puig, Andrés (1992) El concepto de región en la literatura antropológica, Instituto Chiapaneco de Cultura, Chiapas,

México, p. 14. Cité par Ayora Díaz, Steffan Igor (1995) Globalización y Región : Reflexiones sobre un concepto desde la antropología In Cuadernos de arquitectura y urbanismo, nº 1, Tuxtla Gutierrez, Chiapas, p. 9-40

20 « Supposons que l'on prétende établir la connaissance anthropologique de la grande famille otomi, établie sur les hauts plateaux depuis des temps reculés. Eh bien, selon le modus operandi en vigueur encore de nos jours, le chercheur se rendra dans un petit village peuplé de gens parlant l'otomi et, s'en tenant à une stricte méthodologie ethnologique, il établira la filiation de ces individus et s'efforcera de faire paraitre son travail dans quelque publication spécialisée, ce sur quoi il s'estimera satisfait de son travail et, le considérant terminé, s'en ira étudier les individus zapotèques de tel village ou les Tepehuan de tel autre. Il est évidemment permis de se demander : A part la valeur individuelle de cette étude, en sa qualité de document isolé, quel intérêt peut-elle avoir, si elle n'est pas reliée aux études ethnologiques de milliers d'Otomi d'autres villages, ni accompagnée d'études physiographiques, biologiques, archéologiques, historiques et statistico-démographiques complémentaires?... une fois qu'on connait scientifiquement la façon d'être de la grande famille otomi et les raisons de cette façon d'être, il faut en venir à l'objectif final et pratique auquel tendent les recherches anthropologiques, qui ne sont pas spécifiquement spéculatives, comme cela a été dit à plusieurs reprises : il faut déterminer les besoins actuels de cette grande famille, déduire et fournir des moyens directs d'y remédier et mettre en œuvre l'observation scientifique de leur développement afin de collaborer dès aujourd'hui à la croissance de leur futur bien-être physique et intellectuel ». Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 17-18

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Troisièmement, l’intervention de l’action publique doit avoir comme préalable la connaissance scientifique de la population sur laquelle la politique de l’État va se centrer. La connaissance anthropologique et statistique de la population est considérée comme indispensable. Quatrièmement, cette connaissance permet à l’anthropologue d’identifier les comportements normaux et anormaux de la population dans le but de modifier ces derniers et d'autres « improductifs ». Pour ce faire, il doit élaborer un « recensement culturel représentatif » pour classer les objets et les caractéristiques entre « utiles », « déficients » ou « nocifs » et, ainsi, signaler à l’action publique les habitudes de la population qui doivent être transformées :

«Le metate, ou pierre à broyer le maïs et le huarache, ou sandale, seront inscits comme objets déficients, le premier parce qu'il exige une extraordinaire dépense d'énergie de la part des femmes qui l'utilisent, et leur impose en outre de rester longtemps dans une position inconfortable ; quant au deuxième, il favorise l'infection parasitaire de type oncinariose ou tungose, qui se contractent par le contact du pied avec sol infecté ; encore qu'il ne faille évidemment pas oublier, dans le cas de indigènes qui marchent pieds nus, de leur recommander de porter au moins des sandales, dans la mesure où celles-ci présentent une défense – quoique peu efficace – pour éviter le contact avec des parasites et des germes pathogènes du sol. Si la charrue est le modèle ancien en bois avec un coutre en fer, elle sera qualifiée de déficiente, mais si elle possède un soc en métal, elle sera dite utile. L'alcool, la marijuana et les autres drogues, ainsi que les accessoires utilisés dans les jeux de hasard recevront la qualification de préjudiciables. La production de beaux vêtements typiques portés dans certaines régions, les sarapes et les ponchos, les poteries décorées, les objets laqués et, de manière générale, les objets artistiques et artistiques utilitaires de manufacture indigène devront être rangés parmi les objets utiles, et leur production devra être encouragée de toutes les manières.»21

Les études de M. Gamio sur les régions et leurs caractéristiques culturelles vont façonner un modèle politico-scientifique auquel vont souscrire d’autres anthropologues tels que Julio de la Fuente et, plus tard, le grand gourou de l’indigénisme mexicain, Gonzalo Aguirre Beltrán. De fait, l’argumentation scientifique anthropologique sur l’importance des cultures régionales, devient aussi un « front de recherche » capable de fédérer des arguments politiques et économiques autour d’une explication savante produite par la science anthropologique. Ainsi, l’INI (Institut national indigéniste, créé en 1947) va longtemps avoir pour principe l’intervention régionale. C'est dans ce contexte que Julio de la Fuente propose en 1949 le critère d’« intégration régionale » comme une manière de résoudre le « problème indigène ». Dans le modèle de De la Fuente, l’intégration régionale constitue un niveau d’organisation plus complexe et performant que l’organisation communautaire. L’organisation communautaire en effet, modèle social classique des Indigènes, représente la fragmentation et l’isolement des différents groupes ethniques qui composent le pays. À partir de cette fragmentation, il est vraiment compliqué de réussir une intégration nationale que, par contre, l’identification de régions culturelles et d’organisations supracommunautaires facilite22.

21 Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 189 22 Díaz, Steffan Igor (1995) Op. Cit.

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« Vu que l'intérêt était d'intégrer les indigènes à la nation mexicaine, le projet indigéniste favorisait les relations interculturelles pour faciliter cette synthèse nationale. Dans la commune, l'identité indigène serait renforcée dans ses dimensions ethnique, religieuse, politique et sociale, mais à l'échelle régionale, il y a des relations entre les indigènes et les métis, qui favorisent l'intégration des premiers à la nation. »23

Ainsi, la région culturelle devient-elle une catégorie descriptive, mais elle est parallèlement une catégorie de l’action publique qui essaye de construire ce qu’elle nomme. Autrement dit, le caractère « performatif »24 de cette catégorie repose sur sa capacité à passer de la compétence anthropologique à la sphère de l’action et de la politique publique. S'il revient à l’anthropologue d'identifier et de classer une région culturelle supracommunautaire, c'est l’action d’acteurs officiels et d'entrepreneurs politiques qui peut contribuer à faire d'une région culturelle une réalité politique et un espace d’intervention publique. L’indigénisme officiel considérait donc que l’identification et la construction des régions était une solution au problème indigène, dans la mesure où les régions sont plus faciles à intégrer à l’idéologie républicaine. Déjà, M. Gamio avait emprunté à Franz Boas le concept d’« aire culturelle » dans le but de diviser la population indigène du pays en 11 régions qui devaient être étudiées par équipes multidisciplinaires. Ces études constitueraient la base de la politique intégrationniste de l’État25. À l'heure actuelle, la catégorie savante de région culturelle a été reprise par des associations non gouvernementales et par les groupes indigènes organisés en mouvements ethno-politiques, dans le but de construire des projets qui puissent s'articuler sur l'État-nation. Ainsi, les populations de la région mixe de Oaxaca, les organisations indigènes de Alto Balsas dans l'État de Guerrero, le mouvement de l'Isthme de Tehuantepec et l'EZLN dans l'État du Chiapas sont des exemples de mouvements ethno-politiques qui essaient de construire un espace d'autonomie régional, pour avoir historiquement partagé l'occupation d'un territoire, d'une culture et d'une identité particulière (les trois caractéristiques de base pour définir un « peuple indigène »). Certes, les mouvements autonomistes acceptent qu'il puisse y avoir une mosaïque pluriethnique à l'intérieur d'une même région autonome, mais les groupes qui la constituent reconnaissent partager certaines valeurs ainsi qu'une histoire commune sur laquelle s'est construite leur région autonome26. L'anthropologue Héctor Díaz Polanco27 a également souligné que l'exigence d'une autonomie communale rendait pratiquement impossible la relation politique avec un État-nation. C'est pourquoi cet auteur insiste sur la construction politique des régions à partir de l'intégration et de l'articulation démocratique des différentes communautés.

23 Díaz, Steffan Igor (1995) Op. Cit. 24 Austin, J.L. (1976) How to do things with words, Oxford Paperbacks 25 Hewitt de Alcántara, Cynthia (1988) Imágenes del campo : la interpretación antropológica del México rural, El colegio de

México, México 26 Alicia Barabas y Miguel Bartolomé ont insisté sur la difficulté d'identifier des groupes indigènes qui partagent une identité

collective et une forme d'organisation commune au-delà de petites communautés. La langue elle-même ne suffit pas à former une identité, parce que des groupes indigènes partageant la même langue ne se reconnaissent pas pour autant dans un même référent identitaire. Dans ce contexte, Barabas et Bartolomé font allusion au travail d'organisations politiques comme autant de mécanismes de construction d'identité. Barabas, Alicia; Bartolomé, Miguel (coords.) (1999) Configuraciones étnicas en Oaxaca. Perspectivas etnográficas para las autonomías, vol. 1, INI/Conaculta-Inah, México, p. 19-22 et 40-45

27 Díaz-Polanco, Héctor; Sánchez, Consuelo (2002) México diverso. El debate por la autonomía, Siglo XXI, México, p. 88-93

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Comme Eric Hobsbawn a déjà parlé de l’« invention de la tradition »28 et François Bayart, de « l’illusion identitaire »29, justement pour montrer la relation entre les processus culturels et le pouvoir politique, nous pouvons ici parler de la construction des régions et des ethnies comme résultat d’une interaction et d'une négociation entre les paradigmes théoriques dominants et les forces politiques soucieuses de définir et redéfinir les espaces sociaux et symboliques. La préoccupation de Manuel Gamio pour l’intégration régionale dépassera le contexte historique des années 20 et se convertira en politique d’État jusque dans les années 60 au moins.

L'anthropologie appliquée

Les idées de Gamio sur l’intégration régionale et la formation d’une république à vocation universaliste trouveront une occasion d’être mise en pratique à la Direction d’Anthropologie. La création de cette institution n’a pourtant pas été exempte de conflits. S'il est vrai que M. Gamio a pu fonder cette direction grâce à son amitié avec le ministre de l'Agriculture, Pastor Rouaix, il n'en est pas moins certain qu'à plusieurs reprises, M. Gamio avait offert aux pouvoirs publics la création d’une institution forte, capable de fournir des informations empiriques sur la population mexicaine, et faisant de la conjonction entre la statistique, la démographie et l’analyse anthropologique, la base de la politique culturelle et d’intégration. Cela marque une rupture historique avec les discussions antérieures sur les Indigènes, qui étaient influencées par un mélange d’arguments philosophiques et positivistes30.

Dans ce sens, Olivé Negrete31 avait raison quand il signalait que l’anthropologie appliquée était née au Mexique avec la création de la direction d'Anthropologie. L’objectif de cette Direction était d’utiliser l’anthropologie pour réussir l’unification culturelle du Mexique, qui permettrait de construire la nationalité et la patrie. Lorsque M. Gamio en a proposé la création au sein du ministère de l'Agriculture et du Développement, le ministre Pastor Rouaix a accepté à condition que M.Gamio convainque le congrès de l’importance de cette Direction32, en conséquence de quoi M. Gamio a assisté à tous les débats des législateurs sur le sujet. Dans ce cas précis, le mélange d’arguments scientifiques et politiques s'est avéré indispensable pour justifier l’importance de la recherche scientifique. Dans la sphère politique, cette nouvelle Direction est créée en 1917, pendant la période du Président V. Carranza, et coïncide pratiquement avec la promulgation de la Constitution de 1917. Il faut se souvenir que le gouvernement carranciste présente alors un projet économique modernisateur et essaye en même temps de donner des responsabilités politiques à la société civile. La Direction a, à cet effet, rassemblé des intellectuels importants du carrancisme tels que

28 Hobsbawn, Eric et Terence Ranger (2006) L’invention de la tradition, Éditions Amsterdam 29 Bayart, Jean-François (1996) L’illusion identitaire, Éd. Fayard, Paris 30 Stern, Alejandra (2000) Op. cit. 31 Olivé Negrete, Julio César (1989) “Dirección de Estudios Arqueológicos y Etnográficos de la Secretaría de Fomento

(Dirección de Antropología” In García Mora, Carlos y Mercedes Mejía (coords) La antropología en México. Panorama histórico. 7: las instituciones, colección Biblioteca del INAH, INAH, México, p. 57-70

32 González Gamio, Ángeles (1987) Op. Cit. p. 48

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Molina Enríquez, qui soutenait l’importance d’une Réforme agraire et la formation d’une nation métissée comme réponse aux problèmes démographiques et économiques que rencontrait le pays pour rentrer dans la modernité. De son côté, M. Gamio réalise des recherches archéologiques et culturelles à Teotihuacan et il essaye de « donner aux gouvernants des renseignements dignes de foi à propos d’une réalité sociale que ceux-ci ne connaissaient pas33 ». Il faut ici se rappeler qu’avant M. Gamio, les problèmes indigènes et de la culture populaire en général étaient analysés par les humanistes. Ceux-ci proposaient bien des solutions au gouvernement pour consolider et unifier la nation, mais leurs stratégies pour assoir leur prestige et leur autorité intellectuelle, reposaient plus sur leur érudition et sur leurs compétences artistiques et philosophiques que sur une méthodologie scientifique. Pendant les années 20 et 30, nous observons une correspondance entre les propositions indigénistes et une pensée médicale, inspirée des thèses eugéniques et de la criminologie, qui cherche à mettre en place des politiques de « prophylaxie sociale » pour éliminer les habitudes « négatives » de la population. Ainsi, une des préoccupations du ministre de la SEP, José Manuel Puig Casauranc, est-elle d'éliminer « le triangle tragique du fanatisme, de l’alcoolisme et les unions sexuelles prématurées entre les Indigènes34 ». Les eugénistes vont identifier les « pathologies sociales » qu'il est nécessaire d’éradiquer à l'aide de politiques et de campagnes spécifiques de santé et de prise de conscience. De même, l’anthropologie essaye d’identifier et de classer la population afin d’éliminer les habitudes et les caractéristiques culturelles qui seraient l’expression de la « décadence » des Indigènes suite à la domination ibérique. Ainsi, M. Gamio va-t-il identifier et étudier les coutumes de la population, son niveau de religiosité et ses formes d’alimentation, dans le but de transformer ces habitudes et d'éliminer la « dégénérescence » sociale des Indigènes. Bien que M. Gamio parle de « décadence » et que les responsables du gouvernement acceptent la nécessité de faire progresser la population, ils pensent que cette régénération peut se mettre en pratique à partir de politiques sociales et que la race, comme donnée biologique, ne joue pas un rôle déterminant dans la condition des Indigènes35. Pour M. Gamio, ce sont le catholicisme, le colonialisme et la mauvaise alimentation qui se trouvent à l’origine de « l’infériorité » des Indigènes, tandis que la race ne joue qu'un rôle secondaire. De la même façon que d’autres penseurs, il affirmait que les caractéristiques de la vie rurale déterminaient le retard des Indigènes et que le changement de ces conditions allait rendre possible la manifestation de leur puissance. Influencé par les thèses de Jean Baptiste de Lamarck, M. Gamio va décrire les Indigènes comme des personnes dégénérées, mais qu'une modification des conditions économiques et sociales qui sont les leurs pourrait sauver. Il pense qu’une alimentation à base de viande et de soja

33 Urías Horcasitas, Beatríz (2002) Op. Cit. p. 101 34 Dawson, Alexander S. (2004) Indian and Nation in Revolutionary Mexico, The University Of Arizona Press, Tucson, p. 21 35 Ainsi, dans son texte sur la vallée de Teotihuacan, Gamio s’éloigne aussi du déterminisme racial et soutient que la décadence

des Indigènes a été provoquée par des questions sociales : « la population de la vallée présente dans ses trois étapes de développement, précolonial, colonial et contemporain, une évolution inverse ou descendante. En effet, durant le première période, les habitants de la région faisaient preuve d'un splendide épanouissement intellectuel et matériel, si l'on en juge par les florissantes traditions et les majestueux vestiges de toute sorte qui sont arrivés jusqu'à nous. L'époque coloniale a signifié la décadence de la population, qui a perdu sa nationalité, vu que les lois, le gouvernement, l'art, l'industrie, la religion, les us et coutumes aborigènes, se sont vus détruits ou harcelés sans trève par la culture des envahisseurs, qui n'ont rien, ou pratiquement rien, pu ou su leur donner en échange de ce qu'ils leur arrachaient. ». Gamio, Manuel (1979a) Op. Cit. p. XIX

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contribuerait à l’amélioration des conditions physiques et de la capacité de production de la population36. Outre l’analyse de la convergence entre les études d’anthropologie et les intérêts de l’État-nation mexicain comme variable permettant d’expliquer la reconnaissance de M. Gamio en tant qu'expert du gouvernement dans les questions culturelles, il faudrait expliquer d’autres conjonctures politiques qui ont permis la consolidation de M. Gamio comme un des fondateurs de l’indigénisme institutionnel. Sous la présidence de V. Carranza et d'A. Obregon, il avait réussi à s'imposer comme un important scientifique social et que son amitié avec Pastor Rouaix (ministre de l'Agriculture et du Développement) lui avait permis de conserver la direction d'Anthropologie, en dépit des problèmes que celle-ci connaissait avec le Musée national, et des luttes entre fractions révolutionnaires. Après la défaite de Venustiano Carranza en 1919, M. Gamio réussit à obtenir le soutien des politiciens de Sonora (la fraction victorieuse de la Révolution mexicaine, qui fonde l’État moderne), dont il partage l’esprit de rénovation qui caractérisait le mouvement révolutionnaire. De plus, M. Gamio a su mobiliser son habileté politique pour conserver la direction d'Anthropologie après la chute du Président V. Carranza, le général vaincu par la fraction de Sonora, elle-même dirigée par A. Obregón et P. E. Calles notamment. Le nouveau Président, A. Obregón, gardera M. Gamio à la tête de la direction d'Anthropologie, en dépit du fait que ce dernier était identifié comme sympathisant du carrancisme. Alvaro Obregón avait lu le texte Forjando Patria, dans lequel M. Gamio exposait l’importance d’homogénéiser une nation composée de « petites patries » culturellement très fragmentées, ce qui lui fera déclarer que Forjando Patria est un texte que « tous les Mexicains doivent lire » La Direction de M. Gamio avait pour responsabilité de classer les coutumes de la population entre « normales » et « anormales » et plus particulièrement, de signaler les caractéristiques physiques et culturelles des Indigènes qui devaient être changées ou préservées en fonction des objectifs de l’État37. Dans ce contexte, nous devons à présent analyser la relation entre les propositions de M. Gamio et l’anthropologie appliquée au Mexique. D’après Salomon Nahmad38, l’anthropologie appliquée consiste à utiliser la discipline anthropologique pour résoudre les « problèmes sociaux » et pour intervenir dans des politiques publiques particulières, ou répondre à des demandes de l’initiative privée. Ainsi, S. Nahmad cite les études anthropologiques de W. Warner dans les années 30 et les recherches des anthropologues du Bureau of indians affaires comme exemples d’anthropologie appliquée. Un autre des pionniers de l’anthropologie appliquée moderne était F. Boas, qui a fait des études sur la migration et a montré comment l’anthropologie pouvait contribuer à la formulation de politiques

36 Comas, Juan (1975) Op. Cit. p. 50-51 37 «Nous avons déjà indiqué que, pour que se normalise le développement déficient dans lequel les groupes indigènes végètent

depuis si longtemps, il est nécessaire d'analyser et de qualifier les caractéristiques de leur vie matérielle et intellectuelle, pour ensuite conserver et encourager celles qui sont utiles et bénéfiques, extirper et corriger celles qui sont préjudiciables, substituer celles qui sont déficientes par d'autres plus efficaces et, finalement, introduire bon nombre de celles qui leur manquent actuellement et qui leur sont indispensables, étant donné les exigences de la vie humaine actuelle». Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 192

38 Nahmad Sittón, Salomón et Thomas Weaber (1990) “Manuel Gamio, el primer antropólogo aplicado y su relación con la antropología norteamericana” In América indígena, Instituto Indigenista Interamericano, Vol. L, no4, octubre-décembre, México, p. 291-319

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publiques spécifiques par rapport à la migration et aux problèmes que représentait l’intégration de minorités ethniques. Dans cette perspective, S. Nahmad soutient que les études de M. Gamio sur la Vallée de Teotihuacan peuvent être considérées comme pionnières dans le domaine de l’anthropologie appliquée. Nous avons déjà analysé comment ces études mêlent à la recherche scientifique, des recommandations de politiques publiques d’homogénéisation culturelle. D’après S. Nahmad, les thèses qui orientent la recherche de M. Gamio à la tête de son service, se trouvent déjà énoncées dans le texte Forjando Patria. On peut y constater comment les thèses sur l’homogénéisation culturelle et les politiques d’intégration deviennent un objectif de base de sa recherche. M. Gamio déclare à ce propos que l’anthropologie a une responsabilité pratique et qu’elle ne devrait pas se borner à produire une connaissance abstraite. De la même manière, il considère l’anthropologie comme une science permettant la prise de décisions politiques pour permettre aux populations indigènes de continuer un « développement évolutif normal 39». L’anthropologie de M. Gamio a toujours essayé de proposer des actions concrètes pour que les populations indigènes puissent se développer. En 1916, dans son texte Forjando Patria40, M. Gamio avait déjà critiqué la grande industrie et il avait marqué la différence entre « l’industrie étrangère » et « l’industrie nationale typique » (l’industrie artisanale). Les différentes interventions de M. Gamio sur ce thème mettaient en relief l’importance de l’industrie nationale typique parce que ce type de production pouvait être exporté et, de plus, n’était pas une simple copie de produits étrangers. Ainsi, à partir de la sphère productive, l’État pouvait générer un sentiment nationaliste ancré dans l’activité économique. En réalité, M. Gamio ne s’opposait pas radicalement à la grande industrie d’origine étrangère, mais il donnait la priorité à l’industrie artisanale et pensait qu’une industrie typique forte était une condition nécessaire pour réaliser une fusion avec la grande industrie. La création d’un nationalisme culturel et économique était donc indispensable pour interagir avec l’extérieur et évoluer vers la modernité.

Après que M. Gamio est revenu de son voyage au Japon en octobre 1929, il a commencé a promouvoir « l’industrie domestique artisanale ». Il a ainsi écrit différents articles sur le Japon, parmi lesquels on trouve un article intitulé La industria japonesa : sugerencias para fomentar y mejorar la producción de los mexicanos . Dans cet article, à partir d’une étude des statistiques officielles du Japon pour 1927, Manuel Gamio explique que l’exportation de trois produits de l’industrie domestique japonaise, la céramique, la soie et la porcelaine, représentent le double des exportations totales du Mexique. À partir de cette constatation, M. Gamio recommande de promouvoir au Mexique l’industrie artisanale41. Examinons les arguments principaux qu’il donne pour stimuler cette industrie. Tout d’abord, il distingue au Mexique deux types d’industries : l’industrie mécanique et l’industrie artisanale. D’après lui, en 1930, seuls 4% de la population travaillaient dans l’industrie mécanique. De ce fait, stimuler l’industrie artisanale apportera des bénéfices à la majeure partie des forces de travail, qui obtiennent un revenu à partir de l’industrie

39 Ibidem, p. 298 40 Gamio, Manuel (1992) Op. Cit. p. 143-148 41 Omura, Kanae. Manuel Gamio y Japón In Revista de la Universidad de México p. 89-93

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domestique. Deuxièmement, ce sont des Mexicains qui contrôlent les processus de production de l’industrie artisanale. Par contre, l’industrie mécanique dépend fondamentalement des importations de pays tels que les États-Unis. Troisièmement, l’industrie mécanique est répétitive et ne stimule pas la créativité. Par contre, l’industrie artisanale peut encourager les Mexicains à exprimer leur personnalité et la richesse de leur culture. Dans ce sens, nous pouvons dire que Manuel Gamio a été un des premiers promoteurs de l’activité artisanale pour produire des revenus parmi les Indigènes. Et, de fait, cette idée de stimuler les activités artisanales va être reprise par beaucoup d’institutions indigénistes jusque dans les années 80, avec l’objectif de placer l’artisanat mexicain sur les différents circuits des marchés nationaux et internationaux et, en même temps, de chercher un soutien aux producteurs auprès des institutions officielles42.

3. Les conflits politiques et l'interruption de l'institutionnalisation anthropologique

Il est possible d’analyser comment les relations interinstitutionnelles et les conflits politiques peuvent affecter les communautés épistémiques des anthropologues mexicains, en étudiant les problèmes qui ont opposé le Musée national et la direction d'Anthropologie dirigée par Manuel Gamio, conflits qui ont affecté l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie et la direction d'Anthropologie elle-même. Nous avons en effet déjà dit que Franz Boas et Manuel Gamio jugeaient fondamentale la création au Mexique de l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie43. Cette école représentait le courant de pensée dirigé par F. Boas et constituait en même temps une plateforme de lancement du culturalisme boasien vers l’Amérique latine. Cependant, les problèmes politiques entre Manuel Gamio et le Musée, ont empêché la consolidation de l'École internationale et l’expansion du courant de pensée animé par F. Boas parmi les anthropologues mexicains. Rappelons à ce propos que M. Gamio était un important intermédiaire entre l’anthropologie américaine et l’anthropologie mexicaine. De fait, il a contribué à la circulation du discours culturaliste boasien au Mexique et en Amérique latine. Dès cette époque, se développent des stratégies de diffusion internationale des discours académiques, combinant indissolublement l’activité politique et la recherche universitaire. En derniers recours, ce sont les anthropologues qui contrôlent le « cycle de crédibilité » des faits scientifiques et ce sont eux aussi qui peuvent garantir la constitution de réseaux permettant la circulation et la promotion internationale de ces discours. Or, cette fonction de M. Gamio comme promoteur du discours culturaliste et de l’indigénisme mexicain, a été bloquée par les anciennes institutions anthropologiques. Il a souvent été dit que la l'École internationale, inaugurée en 1911, n’a pas réussi à se développer à cause du conflit

42 Ibidem 43 Les deux grands promoteurs de l’École internationale furent Eduardo Seler et Franz Boas, respectivement premier et

deuxième directeur de l’École. Tous deux ont signé la constitution de l’École. Seler, en représentation du gouvernement prussien et Boas en représentation de l’université Columbia. L’École a été inaugurée le 20 janvier 1911 par le Président Porfirio Diaz, en quoi on peut voir l'importance que revêtait le prestige pour Porfirio Diaz : la préoccupation du régime porfiriste pour l’archéologie et les civilisations anciennes du Mexique était une manière d'imiter l'engouement européen et américain pour les civilisations anciennes. De la Peña, Guillermo (1996) Op. Cit. p. 46

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révolutionnaire44 et de problèmes budgétaires, mais les problèmes interinstitutionnels et la lutte pour obtenir l’hégémonie dans le domaine de l’anthropologie mexicaine semblent avoir été également des facteurs de poids et méritent une analyse. En effet, l’examen de la confrontation entre une ancienne institution telle que le Musée national dirigée par Castillo Ledón et la direction d'Anthropologie fondée par M. Gamio, peut nous aider à comprendre la lutte pour l’hégémonie anthropologique et la disparition de la direction d'Anthropologie qui en résultera, en dépit du prestige de M. Gamio. Pour comprendre cet antagonisme, il faut tout d'abord rappeler que le Musée national a été fondé en 1825 par un décret du Président Guadalupe Victoria. Sa création célébrait de manière symbolique l’indépendance du Mexique de la couronne espagnole et la reconnaissance du patrimoine archéologique d’une nation souveraine. La génération de médecins, géologues et chimistes qui, depuis 1870, avaient mené des recherches sur le patrimoine archéologique dans un perspective naturaliste était en train de disparaitre. C'est dans ce contexte que débute en 1906 l’enseignement de l’anthropologie au Musée national. Face à une nouvelle génération composée principalement, en ce début du XXe siècle, d’avocats, d’ingénieurs, d’anthropologues étrangers et d'architectes, la tradition naturaliste commence à perdre du terrain45 au profit d’une conception plus historique. Et, dans un contexte où le passé indigène doit renforcer l'histoire nationale, la recherche passe progressivement d’une étape naturaliste à une étape archéologique et historique. Manuel Gamio avait donc travaillé jusqu’en 1916 comme inspecteur en chef du département d'Inspection générale des monuments archéologiques, qui dépendait du Musée national. En 1917, grâce à son amitié avec Pastor Rouaix, et en utilisant son prestige d'archéologue et de disciple de F. Boas, il fondait la direction d'Études archéologiques et ethnographiques, future direction d’Anthropologie, qui dépendait du ministère de l'Agriculture et du Développement et obtenait à la fois son indépendance du Musée national et un important budget. C'est ce qui a provoqué une rupture46 entre le musée et la nouvelle Direction47. Ces différences vont entrainer des accusations publiques mutuelles entre le musée (Mena y Castillo Ledón) et Manuel Gamio pour d'hypothétiques falsifications de pièces archéologiques pendant les années 20. Cette rivalité affectant les projets que F. Boas faisait reposer sur la pérennité de l'École internationale, ce dernier avait donc besoin de la réconciliation entre son ancien disciple et le

44 C’est la thèses de Haydée Garcia de Cueto selon laquelle l’École a commencé avoir des problèmes à cause de la Révolution

mexicaine à l'échelle nationale, et à cause de la Première Guerre mondiale à l'échelle internationale. À ce sujet, voir : García Cueto, Haydée (1989) “Escuela Internacional de Arqueología y etnología americanas” In García Mora, Carlos y Mercedes Mejía (coords) La antropología en México. Panorama histórico. 7: las instituciones, colección Biblioteca del INAH, INAH, México, p. 371-383

45 Rutsch, Mechthild (2001) “Ramón Mena y Manuel Gamio. Una mirada oblicua sobre la antropología mexicana en los años veinte del siglo pasado” In Relaciones, nº 88, vol. XXII, otoño, p. 81-116

46 Avant cette rupture, pendant que Gamio travaillait dans une dépendance du Musée national, il n’y avait pas de conflit déclaré entre Castilo Ledón et M. Gamio. Le 18 janvier 1916 (p. 99) Castillo Ledón, directeur du Musée national, avait présidé un séance de la conseil de direction de l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie nord américaine. Au cours de cette séance, il avait été décidé de nommer Manuel Gamio, responsable des travaux de l’école. On peut donc en déduire qu’il n’y avait pas encore de rupture entre eux et, qu'à ce moment-là, la communauté du musée acceptait M. Gamio et le courant de F. Boas. Rutsch, Mechthild (2001) Op. Cit. p. 100

47 Le Musée et le département d'inspection étaient en constante rivalité depuis 1885, l'année de création de l'Inspection. Ainsi la rivalité entre le Musée et la Direction de Gamio prolongeait une confrontation ancienne. Rutsch, Mechthild (2001) Op. Cit. p. 101

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directeur du Musée national, pour consolider son courant de pensée au Mexique et continuer à développer des recherches particulières à caractère archéologique et ethnographique. Il essayera, dans différentes lettres adressées à M. Gamio et à Castillo Ledon, d'apaiser cette rivalité, mais les différences resteront irréconciliables en raison de polémiques théoriques, certes, mais aussi pour des questions budgétaires et politiques. Malgré son prestige international, M. Gamio n’a pas réussi à consolider la professionnalisation de l’anthropologie mexicaine, en raison de son incapacité à établir des alliances avec la génération antérieure d’anthropologues et avec le personnel du Musée national. Autrement dit, il a essayé de construire une nouvelle institution et une nouvelle génération d’anthropologues en se dissociant complètement des anciennes institutions. Mais le Musée national a su bloquer ses projets et, principalement, le développement de l'école internationale d'Anthropologie et d'Ethnologie 48. D'autre part, la direction d'Anthropologie a aussi connu des conflits avec le ministère d'Éducation publique (SEP), à cause de sa conception de l’éducation indigène. Alors que la Direction proposait une éducation spéciale pour les Indigènes, la SEP, elle, considérait que les Indigènes pouvaient s’incorporer rapidement dans les écoles existantes. De plus, la SEP et la Direction s’accusaient mutuellement de faire double emploi. Tous ces facteurs ont empêché l'ancrage de l'École internationale au Mexique et la professionnalisation de l’anthropologie mexicaine49. Vers la fin de la présidence d'Álvaro Obregón, en 1924, M. Gamio essaye de gagner la sympathie du candidat officiel à la présidence de la République, Plutarco Elias Calles, mais différents problèmes, que nous allons maintenant détailler, l'empêchent d'opérer ce rapprochement. En 1924, il écrit différentes lettres de soutien au général Calles en tant que futur candidat à la présidence de la République. Ainsi, dans une lettre dirigée à Ramón P. De Negri, personnage étroitement lié à la campagne du général Calles, il expose:

« Je dois signaler que je n'ai jamais reçu la moindre faveur, et à plus forte raison, de rémunération d'aucun type de la part du général Calles, et que si, depuis ma modeste sphère, j'ai essayé de contribuer à sa propagande, ce n'est pas que j'aspire à une récompense d'aucun type mais simplement que je considère que le général Calles saura donner l'importance que vous et moi accordons au problème indigène et que, par conséquent, je crois que votre précieuse recommandation m'aidera considérablement à amplifier un peu la sphère d'action de nos recherches relatives à la classe indigène. »50

Par ailleurs M. Gamio essaye alors de s'imposer comme interlocuteur et informateur de la position des États-Unis à propos de la candidature de P.E. Calles. Ainsi, il envoie à R. De Negri des renseignements sur l’opinion de fonctionnaires et de politiciens américains à ce propos. D’après M. Gamio, le candidat était considéré par les américains comme un « homme fort » capable de contrôler toutes les fractions en lutte et les différents intérêts politiques.

48 Rutsch, Mechthild (2001) Op. Cit. p. 112 49 Urías Horcasitas, Beatríz (2002) Op. Cit. p. 93-121 50 Lettre de Manuel Gamio adressée à Ramón P. Denegri, Washington le 20 mai 1924. Cité par Urías Horcasitas, Beatríz

(2002)Op. Cit. p. 107

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M. Gamio suggère également au candidat présidentiel la formation d’un ministère de la Population, projet élaboré par Manuel Gamio lui-même en collaboration avec Puig Casauranc. De cette manière, le scientifique social essaye de construire une demande et de montrer comment les intérêts de la Révolution coïncident avec les objectifs de la recherche anthropologique et démographique. La création du ministère n’aura pas lieu mais, sous la présidence de P. E. Calles, M. Gamio sera nommé vice-ministre d’Éducation publique tandis que Puig Casauranc remplacera José Vasconcelos au poste de ministre. Manuel Gamio ne restera toutefois en poste qu'une courte période avant d'abandonner le pays. Plusieurs causes ont provoqué le départ de M. Gamio du vice-ministère et son exil du pays. Il faut mentionner tout d’abord les problèmes qu’il a eus avec le ministre de l’Éducation Puig Casauranc, suite à ses dénonciations de pratiques de corruption, d'administration déficiente et à ses critiques sur les politiques suivies. D’autre part, différents articles journalistiques ont accusé M. Gamio de vouloir prendre la place de Casauranc et d’avoir soutenu la création d'une commission nommée par le sénat des États-Unis dans le but d’obtenir des informations sur le Mexique. L’anthopologue a réfuté ces accusations et a envoyé des lettres et des rapports au président P. E. Calles pour lui expliquer les motifs de son désaccord avec l’administration de Casauranc. Mais le président a soutenu son ministre et M. Gamio n’a pas pu supporter la pression ; les institutions académiques mexicaines dépendaient en effet de la sympathie et du soutien politique51 et les membres de la communauté académique devaient intervenir très activement en politique afin de conserver leur poste ou essayer de grimper dans l’échelle institutionnelle. Pendant cette période, l’autonomie entre le système politique et le système académique était pratiquement nulle. De plus, les polémiques qui avaient opposé M. Gamio à Castillo Ledón, avaient déjà affaibli son capital politique et les réseaux qu’il avait construits de son poste à la direction d'Anthropologie. Il est donc parti aux États-Unis pour continuer ses recherches anthropologiques et il a élaboré une étude classique sur la migration mexicaine aux États-Unis52. Il reviendra ensuite au Mexique où il occupera différents postes dans l’administration publique, mais ne parviendra plus à occuper de position aussi élevée que pendant le gouvernement d’Alvaro Obregón. En dépit du fait que, lorsque il se trouvait aux États-Unis P. E. Calles n’avait pas accepté de se réunir avec lui, M. Gamio va continuer à chercher une réconciliation et il continuera à l'informer de l’opinion des politiciens américains sur la présidence du Mexique53. Tout cela montre à quel point le pouvoir et les décisions présidentielles étaient incontournables pour les intellectuels et les scientifiques sociaux de l’époque qui essayaient d’occuper des postes institutionnels. Malgré le prestige intellectuel de M. Gamio (premier mexicain à obtenir un Ph.D en anthropologie dans une université étrangère et reconnu par la communauté anthropologique américaine) et bien que ses positions scientifiques répondissent généralement aux attentes de l’État moderne, les conflits politiques avec un fonctionnaire très proche de la présidence, et le refus de M. Gamio d'établir des conciliations avec le Musée, ont joué un rôle déterminant pour finalement empêcher l’institutionnalisation de l’anthropologie indigéniste comme science du

51 Urías Horcasitas, Beatríz (2002) Op. Cit. p. 106 52 Alanís Enciso, Fernando Saúl (2003) Manuel Gamio: el inicio de las investigaciones sobre la inmigración mexicana a

Estados Unidos, Historia Mexicana, El Colegio de México, Vol. LII, nº 4, abril-junio, México, p. 982 53 Urías Horcasitas, Beatríz (2002) Op. Cit. p. 93-121

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gouvernement pendant cette étape. C'est durant le cardénisme que l’anthropologie indigéniste va connaitre un développement impressionnant et bénéficiera d'un soutien économique et politique sans précédent54. Entre-temps, malgré son exil et la perte des faveurs présidentielles, les catégories d’analyse et les énoncés prescriptifs de M. Gamio ont continué à filtrer dans les discours politiques de fonctionnaires responsables des politiques culturelles et économiques du pays. De cette manière, l’activité savante a procuré aux politiques publiques de nouvelles manières de se justifier et un nouveau champ d’intervention.

54 Núñez Loyo, Verónica (2000) Crisis y redefinición del indigenismo en México, Instituto Mora, México, p. 33

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