les toxi-infections alimentaires collectives

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LES TOXI-INFECTIONS ALIMENTAIRES COLLECTIVES Yves Buisson a,*, Remy Teyssou b R(~sum6 Les TIAC sont des accidents frequents dans les pays develop- pes, redoutables par leurs consequences sanitaires et econo- miques. Elles resultent generalement de deux mecanismes consecutifs : la contamination par des bacteries d'un produit destine & la consommation, et pullulation de ces bacteries aboutissant a I'elaboration d'une toxine ou & la constitution d'un inoculum infectieux. Ces deux evenements sent rendus possibles gr&ce & des fautes d'hygiene commises au long de la chafne alimentaire. Tout episode de TIAC necessite une enquete pour identifier I'agent infectieux, I'aliment ayant servi de vecteur, le mode de contamination de I'aliment et les facteurs ayant favorise la pullula- tion, afin de prendre des mesures efficaces pour prevenir les recidives. Cette enqu~te multidisciplinaire, & la fois clinique, microbiologique et alimentaire, peut ~tre difficile, les TIAC n'etant pas toutes d'expression digestive et I'agent responsable n'etant pas toujours une salmonelle. II faut la mettre en oeuvre le plus tet possible. Qu'elles surviennent en restauration collective ou en restauration familiale, la declaration des TIAC aux DDASS ou aux DSV est obligatoire. foxi-infections alimentaires collectives - enqu~te 6pid~- miologique. Summary Bacterial food poisoning frequently occur in developed coun- tries, where their sanitary and economical consequences can be dreadful. They usually provide from two consecutive mechanisms : food spoilage by bacteria and their subsequent multiplication, which result either in the production of a toxin, or in the formation of an infectious inoculum. These two events can result from defaults in hygiene that occur along the production line and following process. Each bacterial food poisoning episode requires a specific inves- tigation whose aims are the identification of the infectious agent, a Direction du reseau international des Instituts Pasteur et Instituts associes Institut Pasteur de Paris 25-28, rue du Docteur-Roux 75724 Paris cedex 15 b GMA - Aventis Pasteur 2, avenue Pont-Pasteur 69367 Lyon cedex 07 * Correspondance. article regu le 8 novembre, accepte le 13 novembre 2002. © Elsevier, Paris of the contaminated aliment, the mode of spoilage and the fac- tors that helped the microbial proliferation. This inquiry is neces- sary to take emergency action and to prevent recurrence. This investigation, which is altogether clinical, microbiological and aft- mentary, can be difficult. Indeed, bacterial food poisoning do not always affect the digestive tract and the etiological agent is sometimes difficult to identify. It should be initiated as soon as possible. Whatever they affect collective or familial restoration, the notifica- tion of bacterial food poisoning to DDASS or to SVD is obligatory. Bacterial food poisoning - outbreak investigation. 1. Introduction Rangon des progres de la restauration collective et de I'industrie agro- alimentaire, les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) repre- sentent une preoccupation croissante pour les responsables de Sante publique des pays developpes. En France, le nombre de foyers de TIAC declares aux Directions depar- tementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et aux Services veterinaires departementaux (DSV - Direction des services veterinaires) chaque annee etait inferieur & 100 avant 1987 ; il depasse 400 depuis 1994. En 1999 et 2000, on denombrait respectivement 640 et 627 foyers (figure 1). Cette tendance est muitifactorielle : d'une part, elle revele une meilleure declaration des foyers de TIAC par les medecins liberaux, les mede- cins hospitaliers, les laboratoires, les directeurs d'etablissement ou les malades eux-memes, d'autre part, elle revele I'emergence de nouveaux risques lids a I'evolution des comportements alimentaires, aux moyens modernes de production et de distribution et & la dissemination des agents infectieux & I'echelle nationale et internationale. 2. Qu'est-ce qu'une TIAC ? Pour la Direction generale de la sante, un foyer de TIAC est defini par I'apparition d'au moins deux cas groupes d'une symptomatologie simi- laire, en gen6ral digestive, dont on peut rapporter la cause a une meme origine alimentaire [4]. Cette large definition inclut differentes causes, bacteriennes surtout, mais aussi parasitaires, virales et chimiques. Dans un sens plus restrictif, le terme de toxi-infecfion alimentaire s'ap- plique aux accidents aigus d'allure toxique consecutifs a I'ingestion d'ali- ments contamines par des bacteries ou par les produits de leur meta- bolisme. Cette definition, utilisee par le Service de sante des Armees, corres- pond aux accidents les plus frequemment observes en restauration collective. Elle implique trois mecanismes physiopathologiques distincts : I'intoxination, I'infection par des bacteries entero-toxinogenes et I'infection par des bacteries entero-invasives (figure 2). RevueFranoaise des Laboratoires, decembre2002, N ° 348 61

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LES TOXI-INFECTIONS ALIMENTAIRES COLLECTIVES

Yves Buisson a,*, Remy Teyssou b

R ( ~ s u m 6

Les TIAC sont des accidents frequents dans les pays develop-

pes, redoutables par leurs consequences sanitaires et econo-

miques. Elles resultent generalement de deux mecanismes

consecutifs : la contamination par des bacteries d'un produit

destine & la consommation, et pullulation de ces bacteries

aboutissant a I'elaboration d'une toxine ou & la constitution

d'un inoculum infectieux. Ces deux evenements sent rendus

possibles gr&ce & des fautes d'hygiene commises au long

de la chafne alimentaire.

Tout episode de TIAC necessite une enquete pour identifier

I'agent infectieux, I'aliment ayant servi de vecteur, le mode de

contamination de I'aliment et les facteurs ayant favorise la pullula-

tion, afin de prendre des mesures efficaces pour prevenir les

recidives. Cette enqu~te multidisciplinaire, & la fois clinique,

microbiologique et alimentaire, peut ~tre difficile, les TIAC n'etant

pas toutes d'expression digestive et I'agent responsable n'etant

pas toujours une salmonelle. II faut la mettre en oeuvre le plus

tet possible.

Qu'elles surviennent en restauration collective ou en restauration

familiale, la declaration des TIAC aux DDASS ou aux DSV

est obligatoire.

fox i - in fec t ions a l imenta i res col lect ives - e n q u ~ t e 6pid~-

mio log ique .

S u m m a r y

Bacterial food poisoning frequently occur in developed coun-

tries, where their sanitary and economical consequences

can be dreadful. They usually provide from two consecutive

mechanisms : food spoilage by bacteria and their subsequent

multiplication, which result either in the production of a toxin,

or in the formation of an infectious inoculum. These two

events can result from defaults in hygiene that occur along

the production line and following process.

Each bacterial food poisoning episode requires a specific inves-

tigation whose aims are the identification of the infectious agent,

a Direction du reseau international des Instituts Pasteur et Instituts associes Institut Pasteur de Paris 25-28, rue du Docteur-Roux 75724 Paris cedex 15 b GMA - Aventis Pasteur 2, avenue Pont-Pasteur 69367 Lyon cedex 07

* Correspondance.

article regu le 8 novembre, accepte le 13 novembre 2002.

© Elsevier, Paris

of the contaminated aliment, the mode of spoilage and the fac-

tors that helped the microbial proliferation. This inquiry is neces-

sary to take emergency action and to prevent recurrence. This

investigation, which is altogether clinical, microbiological and aft-

mentary, can be difficult. Indeed, bacterial food poisoning do not

always affect the digestive tract and the etiological agent is

sometimes difficult to identify. It should be initiated as soon as

possible.

Whatever they affect collective or familial restoration, the notifica-

tion of bacterial food poisoning to DDASS or to SVD is obligatory.

Bacter ia l food po ison ing - o u t b r e a k invest igat ion.

1. Introduction

Rangon des progres de la restauration collective et de I'industrie agro- alimentaire, les toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) repre- sentent une preoccupation croissante pour les responsables de Sante publique des pays developpes.

En France, le nombre de foyers de TIAC declares aux Directions depar- tementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et aux Services veterinaires departementaux (DSV - Direction des services veterinaires) chaque annee etait inferieur & 100 avant 1987 ; il depasse 400 depuis 1994. En 1999 et 2000, on denombrait respectivement 640 et 627 foyers (figure 1).

Cette tendance est muitifactorielle : d'une part, elle revele une meilleure declaration des foyers de TIAC par les medecins liberaux, les mede- cins hospitaliers, les laboratoires, les directeurs d'etablissement ou les malades eux-memes, d'autre part, elle revele I'emergence de nouveaux risques lids a I'evolution des comportements alimentaires, aux moyens modernes de production et de distribution et & la dissemination des agents infectieux & I'echelle nationale et internationale.

2. Qu'est-ce qu'une TIAC ?

Pour la Direction generale de la sante, un foyer de TIAC est defini par I'apparition d'au moins deux cas groupes d'une symptomatologie simi- laire, en gen6ral digestive, dont on peut rapporter la cause a une meme origine alimentaire [4]. Cette large definition inclut differentes causes, bacteriennes surtout, mais aussi parasitaires, virales et chimiques.

Dans un sens plus restrictif, le terme de toxi-infecfion alimentaire s'ap- plique aux accidents aigus d'allure toxique consecutifs a I'ingestion d'ali- ments contamines par des bacteries ou par les produits de leur meta- bolisme.

Cette definition, utilisee par le Service de sante des Armees, corres- pond aux accidents les plus frequemment observes en restauration collective. Elle implique trois mecanismes physiopathologiques distincts : I'intoxination, I'infection par des bacteries entero-toxinogenes et I'infection par des bacteries entero-invasives (figure 2).

Revue Franoaise des Laboratoires, decembre 2002, N ° 348 61

D o s s i e r sc,enti" : ......... f i q u e La s~curit# sanitaire des aliments d'origme animale

600

5O0

400

300

200

0

1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000

Bact&rie Aliment

I multiplication

H6te

Intoxination

Intoxication Invasion

2.1. L Hqtoxinat~,:>{~

Les troubles resultent de l'absorption d'une toxine bacterienne pre- formee dans I'aliment, les bacteries productrices de cette toxine pou- vant avoir disparu. Ce mecanisme est en cause dans la plupart des cas de botulisme, rabsorption de la neurotoxine preformee declenchant le syndrome paralytique, ainsi que darts les TIAC a manifestations digestives dues a Staphylococcus aureus et a Bacillus cereus qui representent respectivement 1 6 % et 2,8 % des foyers declares en France en 1 999 et 2000, dans lesquels un agent a pu ~tre identifie (tableau I).

Ces deux especes bacteriennes sont capables, Iorsqu'elles prolife- rent dans les aliments, d'@aborer des toxines qu'un chauffage ulterieur ne detruira pas : les enterotoxines staphylococciques resistent a. 1 O0 °C pendant 30 min, alors que la toxine emetisante de B. cereus resiste a. 1 26 °C pendant 90 min. Awes leur absorption, ces toxines stables a pH acide ne sont pas neutralisees par les secretions gas- triques.

Le delai entre I'ingestion du plat contamine et I'apparition des symp- t6mes est d'autant plus bref et la symptomatologie d'autant plus severe que la quantite de toxine ingeree a ete importante. II n'est pas rare que les premieres manifestations debutent avant la fin du repas contami- nant. ILincubation moyenne est de une a quatre heures. Les principaux symptemes sont les nausees et les vomissements. La diarrhee, incons- tante, est plus rare avec la toxine emetisante de B. cereus. Une sen- sation de malaise est habituelle, souvent liee b. une hypotension arte- rielle passagere. Un collapsus cardio-vasculaire peut compiiquer

I'evolution. II survient le plus souvent chez des sujets fragilises. Mais en regle generale, les symptemes regressent rapidement, le plus sou- vent dans un delai de six a huit heures.

Les aliments en cause different suivant I'espece bacterienne. Les sta- phylocoques se multiplient surtout dans les charcuteries, les produits b. base d'ceufs ou de lait et les plats cuisines. La contamination est souvent d'origine humaine, resultant d'une faute d'hygiene. B. cereus est une bacterie sporulee presente dans la terre, les fruits et les legumes. L'exemple classique du syndrome emetique survenant apres consommation de riz rechauffe (,, syndrome du restaurant chinois ,,) illustre le mode de contamination de B. cereus.

B. cereus peut aussi produire une enterotoxine thermosensible qui est detruite par un chauffage & 56 °C pendant 5 min. Cette toxine, qui pro- voque un syndrome diarrheique 12 & 1 8 heures awes le repas conta- minant, est elaboree in vive. Elle peut ~tre preformee dans I'aliment et entrainer une TIAC si celui-ci est consomme sans chauffage prealable [6].

2 2 . h'infe<:tior~

La pullulation bacterienne dans un aliment peut aboutir a I'ingestion d'une quantit6 de germes enteropathogenes suffisante pour deborder les capacit¢s desinfectantes de la barriere gastrique, une faible pro- portion de ces bacteries parvenant a coloniser la muqueuse intestinale. II existe un seuil quantitatif defini par la dose minima infectante (quan- tite de bacteries ingeree necessaire pour I'apparition des signes cli- niques) (DMI), variable suivant la virulence de la bacterie et I'efficacite des defenses de I'h6te (tableau II).

Les sympt6mes de gastro-ent¢rite aigu6 apparaissent apres 12 & 48 heures d'incubation et regressent spontanement en deux & cinq jours. IIs resultent de differents mecanismes physiopathologiques, essentiellement I'invasion de la muqueuse et/ou I'elaboration d'une toxine in vivo.

2.2.1. Invasion de la muqueuse • test ina le

Ce mecanisme est en cause dans les TIAC dues & Salmonella ente- rica, & Shigella, & certains pathovars d'Escherichia coil, & Campylobacterjejuni et & Yersinia enterocolitica. Les salmonelloses representent la premiere cause de TIAC (63,8 % des foyers decla- res en France en 1999 et 2000 dans lesquels I'agent a ete identifie), les shigelioses sent plus rares (1%), les autres agents entero-inva- sifs etant exceptionnellement identifies (tableau I).

Deux serovars de S. enterica arrivent largement en tete des agents res- ponsables de TIAC depuis pres de 15 ans : S. Enteritidis (59,2 %) et S. Typhimurium (15,1%). De nombreux aliments peuvent 6tre impliques (eeufs, volailles, viandes, lait, fruits de mer). Les aliments a base d'oeufs sont en cause dans 61 0/o des cas, cette predominance etant lice a la diffusion mondiale de S. Enteritidis dans les elevages de poulets.

Les Shigella sent capables de provoquer une enterocolite aigu~ apres ingestion d'un tres faible inoculum bacterien. La phase de multiplication prealable ex vivo n'est donc pas un prealable indispensable & leur trans- mission, la contamination superficielle d'un aliment par de I'eau souillee ou par des mains sales pouvant suffire.

C.jejunia aussi une DI50 peu elevee, de I'ordre de 1 O0 bacteries. II est surtout transmis par les produits laitiers et les volailles.

Y. enterocotitica se distingue par sa propriet6 de se multiplier & + 4 °C et se trouve favorise (par rapport aux autres pathogenes qui se mul- tiplient mieux & 37 °C, c'est-&-dire & la flore mesophile) par I'utilisation de la chafne du froid. Les aliments contamines sont surtout d'origine animale (lait et ses derives, volailles, viandes, abats).

2.2.2. E:laboration d'une toxine in vivo

La toxinogenese in vivo est un mecanisme lie a la sporulation dans le cas de Clostridium perfringens, a la germination des spores dans le

62 Revue Frangaise des Laboratoires, d~cembre 2002, N ° 348

Total Agents identifi~.s 1995 1996 1997 1998 1999 n %

Salmonella 267 185 162 201 267 1 282 45

Clostridium perfringens 29 10 15 13 18 117 4

Staphylococcus aureus 60 32 34 :32 48 243 9

Bacillus cereus 4 2 2 1 7 19 0,5

Shigella 6 0 3 3 4 22 1

Histamine 8 5 9 4 13 51 2

Autres agents 18 4 4 11 16 59 2

Agents non identifies 141 152 184 212 287 1 048 37

Total 533 390 413 477 660 2 841 100

cas de B. cereus et & la colonisation de I'epithelium intestinal pour cer- tains E. coil et Vibrionaceae.

Les TIAC & C. perfringens representent 6,5 0/0 des foyers declares en France entre 1 993 et 1998 dans lesquels I'agent a ete identifie, les autres agents entero-toxinogenes sont exceptionnellement rapportes (tableaul). C. perfringens est une bacterie anaerobie stricte, sporu- lee, qui peut contaminer de nombreux aliments, en particulier les viandes ; la germination des spores et la production d'enterotoxine sont favorisees par le maintien prolonge & temperature ambiante de rali- ment awes sa cuisson. Les symptemes apparaissent apres une periode d'incubation moyenne de 6 & 24 heures et regressent rapi- dement en quelques heures.

Les E. coil enterotoxinogenes, transmis par I'eau non potable ou par des aliments contamines par I'eau ou les mains sales, representent la premiere cause de diarrhee des voyageurs. IIs sont toutefois moins souvent incrimines dans les episodes de TIAC que les E. coil entero- hemorragiques (serotype O:157) qui sent principalement transmis par la viande contaminee ou par le lait cru. Les autres pathotypes, tels que les E. coil enteropathogenes, sont plus rarement identifies [1].

Parmi les Vibrionaceae, le vibrion cholerique peut provoquer des bouf- fees epidemiques meurtrieres, mais il est rarement & I'origine d'accidents collectifs d'origine alimentaire. En revanche, Vibrio parahaemolyticus, transmis par consommation de poissons ou de fruits de mer, est un des principaux agents de TIAC au Japon et dans les pays tropicaux.

3, Comme~: , , ' e c o n n ~ e l~ne TtAC ?

Le diagnostic de TIAC est evident Iorsque plusieurs personnes ayant partage le meme repas sont subitement atteintes de troubles diges- tifs quelques heures plus tard. Quand la regle des trois unites du the&tre classique est respectee : le temps (simultaneite des cas), le lieu (focalisation des cas) et Faction (meme symptomatologie), la rela- tion de cause & effet est vite etablie. Mais ce n'est pas toujours aussi simple : la survenue des cas peut s'etaler dans le temps, Iorsque la periode d'incubation est Iongue ou que la contamination n'est pas unique, mais repetee. IIs peuvent aussi se disperser dans I'espace Iors- qu'il s'agit par exemple des clients d'un restaurant ou que I'aliment contamine est distribue par une chafne de supermarches. Enfin, I'ori- gine alimentaire de I'accident n'est pas toujours evoquee, surtout Iorsque la symptomatologie est extra-digestive.

Le botulisme, une maladie ~ part

II y toujours pour cette maladie une confusion qui est liee ~ la deft- nition des TIAC. Stricto sensu, le botulisme devrait faire partie des TIAC. Cependant, dans le rapport de la DGS sur les TIAC, le botu- lisme n'est pas mentionne. Pourquoi? II s'agit d'une maladie & decla- ration obligatoire qui fait I'objet de rapports periodiques (doric qui a sa surveillance propre) ; les signes cliniques sont specifiques, non digestifs ; son potentiel de gravite est different ; sa frequence est sans commune mesure. Ces elements font qu'il s'agit d'une maladie & part que les epidemiologistes ne regroupent plus dans les TIAC.

Dans plus de 90 % des cas, il s'agit d'une gastro-enterite aigue, asso- ciant de fagon variable un malaise general avec nausees, crampes epi- gastriques, vomissements, diarrhee, fievre, hypotension. II existe des formes severes avec deshydratation, plus souvent observees chez le nourrisson ou chez les personnes &gees et pouvant necessiter une hospitalisation.

Plus rares, mais plus preoccupants, des sympt6mes neurologiques peuvent etre revelateurs d'un botulisme ou d'une listeriose neuro- meningee. En revanche, les manifestations vaso-motrices par intoxi- cation histaminique apres consommation de certains poissons appar- tenant & la famille des Scombridae (thon, espadon, germon, bonite, maquereau) sont spectaculaires, mais fugaces et generalement sans gravite [2]. Enfin, il faut savoir evoquer une origine alimentaire devant une epidemie brutale d'angines aigues streptococciques survenant dans une collectivite [3]. II faut aussi penser, dans certaines collecti- vites ou dans certaines conditions particulieres, #. un phenomene psy- chogenique de masse Iorsque les symptSmes sont essentiellement subjectifs et qu'on ne peut mettre en evidence aucun trouble organique patent [5].

4. Pourquoi faire une enquete ?

Une TIAC n'est jamais le fruit du hasard. Qu'elle survienne apres un modeste repas de famille ou apres un banquet somptueux, qu'elle per- turbe la vie d'une collectivite en restauration scolaire ou d'entreprise, erie resulte toujours d'une succession d'erreurs ou de lacunes, qu'il

Revue Frangaise des Laboratoires, d~cembre 2002, N ° 348 63

La s~curit6 sanitaire des aliments d'origine animale

G e n r e et espe3ce A l iments * D M I

Sa/monel/a enterica Viandes, oeufs 10 & 106/g

Staphylococcus aureus Preparations cuisinees 105/g

Clostridium perfringens Viandes 105/g

Listeria monocytogenes Fromages, charcuteries 1 05 & 106/g

Bacillus cereus Riz, legumes, viandes 105/g

Escherichia coil 0 : 1 5 7 Viandes, lait cru < 10/g

Shigella spp Eau et divers aliments < 10/g

Campylobacterjejuni Eau, volailles 1 04 & 105/g

Yersinia enterocolitica Viandes (porc, volailles) ?

* Liste non exhaustive.

Nb. de cas

25

20

15

10

5

0

incidence = 62 cas I

repas suspect

10;13 14-17 18-21 22-01 02-05 06-09 10-13 14-17 18-21 22-01 H 15 octobre 16 octobre

faut rapidement deceler tout au long de la chaTne de preparation ou de distribution des aliments. La c o r r e c t i o n i m m e d i a t e d e s a n o -

m a l i e s d ~ t e c t e e s e s t le seu l m o y e n d e p r e v e n i r e f f i c a c e m e n t

les rdcidives.

I~venement inattendu, brutal, souvent dramatique et parfois catas- trophique, une TIAC peut, par son ampleur, saturer temporairement les capacites des services sanitaires et generer des col3ts eleves de prise en charge. De plus, une moyenne de sept deces par an en France est imputable aux TIAC. C'est donc un risque inacceptable pour la collectivite.

Les medecins inspecteurs de Sante publique des Directions depar- tementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et les veteri- naires inspecteurs des Services veterinaires departementaux (DSV) sont responsables de I'enquete epidemiologique et veterinaire des- tinee & identifier les aliments responsables et tousles facteurs ayant contribue & la survenue de I'accident, afin de mettre en place des mesures preventives.

C'est pourquoi toute TIAC dolt faire I'objet d'une declaration & I'auto- rite sanitaire departementale (DDASS ou DSV). Cette declaration est obligatoire : ,, d'une part pour tout docteur en m#decine qui en a constat~ I'existence, d'autre part, pour le principal occupant, chef de famille ou d'#tablissement, des Iocaux ob se trouve le malade ,, [4].

5. Comment mener I 'enqu~te ?

C'est une veritable enquete policiere. Les indices & relever sent cli- niques, microbiologiques, hygieniques et culinaires. II faut suivre une methodologie rigoureuse mais savoir faire preuve d'intuition. II ne faut pas meconnaftre les interets parfois tres importants qui sent en jeu et etre capable de resister & de fortes pressions.

Dans les collectivites, il faut calmer et rassurer les patients et leur entou- rage Iorsque I'afflux de malades provoque un climat d'affolement pro- pice aux rumeurs alarmistes et aux decisions inappropriees.

Enfin, il ne faut pas perdre de temps pour effectuer les interrogatoires, I'indifference succedant rapidement & I'angoisse chez les victimes reta- blies qui echappent & I'enqueteur ou s'empressent d'oublier les mets consommes.

Le but de I'enquete est d'apporter une reponse & chacune des quatre questions suivantes :

- qui est le coupable ? En d'autres termes, quel est I'agent infectieux responsable de la TIAC ? - quel est le receleur ? Parmi tousles aliments sondes ou liquides consommes dans les 72 heures precedentes, quel est celui qui rece- lait la toxine ou la dose microbienne infectante ? - quels sent les complices actifs ? Comment le pathogene a-t-il pu contaminer I'aliment ? - quels sent les complices passifs ? Comment le pathogene a-t-il pu se multiplier dans I'aliment ?

5.1. Recue i l d ' i n f o r m a t i o n s genera tes

Ce sent les donnees de base necessaires pour toute enqu~te epi- demiologique, relatives :

- aux personnes : qui est atteint ? (membres d'une famille, clients d'un restaurant, malades d'un hepital, etc.) ; quelle est la gravite des cas ?(nombre d'hospitalisations, de deces) ;

- & I'espace : quelle est I'ampleur du phenomene ? (ecole, quartier, region, etc.) ;

- au temps : les cas sont-ils concomitants ou disperses ? (jours, semaines).

5.2. Recue i l des d o n n e e s c l i n iques

Cette etape est essentielle. Trop souvent negligee, comme en temoigne I'abus des diagnostics sommaires (empoisonnement, intolerance ali- mentaire, etc.), elle peut orienter utilement les examens de laboratoire (tableau III) et conditionne la qualite de I'enquete cas-temoin par une bonne definition des cas.

Devant un syndrome de gastroenterite aigue, on recherchera s'il existe des signes d'entero-invasion (fievre, douleurs du cadre colique, presence de pus et de sang dans les selles) ou d'intoxination (malaise general, hypo- tension). Les patients atteints Iors d'un mCme episode ne presentent pas toujours un tableau identique, quelques cas severes, voire mortels, pou- vant cetoyer de nombreuses formes benignes : I'inoculum infectieux, ou la quantite de toxine ingeree, etant plus ou moins important, il y a une rela- tion dose/effet. De plus, la receptivite individuelle (les individus receptifs sent ceux qui, pour des raisons encores inconnues - immunologiques, terrain, facteurs favorisants... - vent developper la maladie) varie beau- coup et depend de I'etat physiologique, la rapidite du transit darts I'es- tomac, la nature des aliments et des boissons consommes simultanement, etc. C'est pourquoi il est necessaire de repertorier soigneusement tous les symptSmes observes, meme s'ils paraissent atypiques.

La duree d'incubation est un autre element majeur pour I'orientation du diagnostic. Elle est d'autant plus facile & determiner qu'elle est courte. Ceci impose de noter avec precision I'heure du debut des symptemes chez tous les patients questionnes. Cet item permettra de tracer la courbe epidemique de la TIAC (figure 3).

64 Revue Fran?aise des Laboratoires, d~cembre 2002, N ° 348

Un dernier element d'orientation doit egalement 6tre releve, c'est la duree des symptemes avant resolution complete.

5 .3. E n q u e t e m i c r o b i o l o g i q u e

Elle comprend trois volets : la recherche de I'agent pathogene chez les malades, I'analyse bacteriologique des aliments et I'expertise de la chafne alimentaire.

Les prelevements cliniques doivent 6tre precoces et se limiter, si pos- sible, aux malades presentant les formes les plus severes. En cas de gastroenterite aigue, on recueille les selles diarrheiques et les vomis- sements. Une hemoculture est licite en cas de fievre elevee. D'autres prelevements peuvent 6tre necessaires s'il existe des manifestations extra-digestives.

Lorsque des aliments peuvent etre transmis au laboratoire, qu'il s'agisse de restes de repas familiaux ou de repas temoins reglementairement conserves & + 4 °C pendant 72 heures en restauration collective, deux types d'examens peuvent 6tre effectues : soit un contrele de la qua- lite microbiologique des aliments, soit une recherche directe d'un agent pathogene ou d'une toxine preformee. Dans le premier cas, il s'agit d'examens standardises, realisables sur differents echantillons ali- mentaires, dont les resultats permettront de juger de la qualite globale de la chafne alimentaire. En revanche, la recherche directe de I'agent responsable de la TIAC n'est rentable que Iorsque I'aliment en cause a ete identifie et Iorsqu'on sait ce qu'on cherche ; cette analyse bac- teriologique doit donc toujours etre orientee avec les donnees cliniques decrites au chapitre precedent. Les criteres bacteriologiques per- mettant de determiner I'origine d'une TIAC sont d'autant plus puissants que le meme agent pathogene ou la meme toxine sent detectes chez les patients et dans I'aliment suspect (tableau IV).

I 'identification de I'agent infectieux est plus ou moins facile suivant le germe en cause. La connaissance de I'aliment vecteur permet d'orien- ter le diagnostic bacteriologique (tableau II). Recherchees de fagon systematique dans tous les protocoles de coproculture, les salmonelles sont facilement detectees et identifiees, d'oQ une certaine surestimation par rapport a. d'autres enteropathogenes de determination plus deli- cate. En contrepartie, le rele des differents pathotypes d'E. coil ou des toxines bacteriennes preformees est largement sous-estime.

5.4. E n q u 6 t e a l i m e n t a i r e

L'enquete cas-temoins est le seul moyen d'identifier rapidement I'ali- ment responsable de la TIAC. Elle doit etre mise en oeuvre systema- tiquement Iorsque I'accident survient dans la communaute (quartier, ville, region) ou dans une collectivite.

La fiche individuelle utilisee pour I'enquete clinique sert egalement b. relever les lieux des repas pris dans les 72 heures precedant le debut des symptemes et la nature des aliments consommes. La qualite des resultats depend de I'exactitude et de la precision des reponses. C'est pourquoi le questionnaire dolt etre administre precocement afin de limi- ter autant que possible confusions et oublis.

II faut interroger un nombre equivalent de malades et de temoins. Cette exigence peut etre difficile a satisfaire Iorsque le taux d'attaque d'une TIAC dans une collectivite est tres eleve (manque de temoins) ou tres faible (manque de cas). Dans cette derniere eventualite, on peut recru- ter plusieurs temoins par cas, afin d'augmenter la puissance des tests statistiques. Le choix des temoins doit porter sur des individus non- malades, ayant ete exposes aux memes risques alimentaires que les cas : convives d'un meme repas, clients d'un meme restaurant, ou d'un meme supermarche, etc.

La definition des cas doit etre affinee sur des criteres cliniques, spatiaux et temporels. On retiendra, par exemple, ,, tout cas de diar- rh#e avec douleurs abdominales survenu parmi les el6ves du college X entre le 15 et le 18 octobre inclus ,,. Les malades qui ne

Caracteristiques

Incubation

S. aureus

1 - 4 h

C. perfringens

8 - 1 2 h

Salmonella

1 2 - 7 2 h

Vomissements 4.4.4. 4. 4.4.

Douleurs abdominales + + +

Diarrhee 4. 4.4. 4.++

Fievre - - +

Hypotension + - -

Resolution 6 - 8 h 24 h 48 - 72 h

Critbres

Isolement du meme agent pathogene chez differents malades

Valeur

+4-

Isolement du meme agent pathogene chez les malades et dans I'aliment suspect + + +

Isolement d'une quantite-seuil d 'agent pathogene dans I'aliment suspect +

Detection d'une toxine produite par I'agent pathogene chez les malades ++

Detection d'une toxine produite par I'agent pathogene dans I'aliment suspect +

1. Tableau de contingence

Malades

(suivant la definition des cas)

OUI a

NON c

2. Calcul de I'odd ratio pour chaque aliment

OR = ad/bc

Ayant consomme I'alirnent

OUI NON

b

d

repondent pas strictement & la definition choisie doivent 6tre exclus de I'analyse.

Celle-ci consiste en une comparaison, aliment par aliment, des risques specifiques chez les individus qui I'ont consomme et chez ceux qui ne I'ont pas consomme (tableau V). Lorsqu'une difference significative est mise en evidence par le test du Khi 2, il faut calculer I'odds ratio (OR) et son intervalle de confiance (IC) a 95 % : I'OR le plus eleve avec un IC excluant la valeur 1 designe I'aliment ayant la plus forte proba- bilite d'etre la source de contamination (tableau V).

D'autres tests statistiques peuvent etre necessaires telles que les ana- lyses multivariees (regression Iogistique conditionnelle) permettant d'analyser simultanement plusieurs facteurs de risque et de s'affran- chir des facteurs de confusion. Differents Iogiciels permettent de rea- liser ces analyses en quelques minutes seulement.

Revue Frangaise des Laboratoires, decembre 2002, N ° 348 65

Dossier scientifique La s6curit~ sanitaire des aliments d'origine animale

,/k ce stade de I'investigation, I'expertise bacteriologique des repas temoins peut apporter la confirmation en identifiant I'agent pathogene ou sa toxine dans I'aliment suspecte. Mais il ne faut pas en rester I&, et determiner la source de cette contamination. Etle peut etre origi- helle et justifier des mesures correctives au stade de production : c'est en general le mecanisme en cause pour Salmonella enteritidis (oeufs, volailles), Clostridium perfringens (viande de boucherie), ou Bacillus cereus (fruits, legumes). La contamination peut aussi etre accidentelle, sur un maillon quelconque de la chafne alimentaire : c'est I'hypothese la plus probable en cas de TIAC & Staphylococcus aureus, & Shigella ou & Streptococcus pyogenes, bacteries d'origine humaine dont I'iden- tification doit orienter fes recherches vers I'existence d'un porteur de germes. II faut y penser aussi avec les bacteries d'origine animale, comme Salmonella enterica, qui peuvent contaminer des instruments (hachoirs & viande, planches a decouper) ou des surfaces de travail.

La derniere etape de I'enqu6te dolt determiner comment un inoculum infectieux, initialement minime, a pu engendrer une pullulation bacte- rienne dans I'aliment permettant de produire des quantites de toxine ou d'atteindre un quantum infectieux suffisants pour declencher la TIAC. Pour cela, il est necessaire de reconstituer chaque etape de pre- paration de I'aliment en cause, afin d'identifier toute rupture de liaison chaude ou de liaison froide, tout delai excessif precedant la consom- mation de I'aliment et toute faute de manipulation.

5 5 , D~mlarat~or~

Les TIAC sont des affections & declaration obligatoire (decret n ° 86- 770 du 10 juin t 986, Journal officiel du 14 juin 1986) sous le n ° 12. Au formulaire de declaration est joint un rapport d'investigation detaille

au terme duquel le redacteur effectue la synthese des donnees, emet des hypotheses ou des certitudes quant & I'origine de la contamina- tion et decrit les mesures preventives mises en oeuvre.

Beaucoup d'efforts restent & accomplir pour reduire le taux de sous- declaration des TIAC, notamment en milieu familial, et pour appliquer de fagon rigoureuse et systematique les recommandations specifiques pour leur prevention en restauration collective [4].

R .f .rences [1] Boutin J.P., Nizou J.Y., Teyssou R., Maillet J.M., Krawiecki J.M., Buisson Y., Toxi-infection alknentaire collective due & Escherichia coil enteropatho- gene O125:H30, Bull. I~pid6miol. Hebd. 4 (1997) 15-16. [2] Boutin J.P., Puyhardy J.M., Chianea D. et al, ,/k propos d'une toxi-infec- tion collective & I'histamine survenue & Brest. Bull. I~piderniol. Hebd. 25 (1997) 116-117. [3] Buisson Y., Descraques C., Schill H., Julien M., Antoine H.M., I~pidemie d'angines streptococciques d'origine alimentaire, Bull. I~piderniol. Hebd. 31 (t990) 134-135.

[4] Haeghebaert S., Le Querrec E, Vaillant V., Delarocque-Astagneau E., Bouvet P., Les toxi-infections alimentaires collectives en France en 1998, Bull. t~pid6rniol. Hebd. 15 (2001) 65-70. [5] Molinie F., Gdvillers P., Bailly C., fief D., Toxi-infection alirnentaire collec- tive ou phenomene psychogenique ? Bull. I~pid6miol. Hebd. 7 (2001) 29- 31. [6] Talarmin A., Nicand E., Doucet M., Fermanian C., Buisson Y., Toxi-infec- tion alimentaire collective & Bacillus cereus, Bull. #pidemiol. Hebd. 33 (1993) 154-155.

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