leconcept d'opinion public

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Mona Ozouf Editions Gallimard Le concept d'opinion publique au XVIIIe siècle In: Sociologie de la communication, 1997, volume 1 n°1. pp. 349-365. Citer ce document / Cite this document : Ozouf Mona, Editions Gallimard. Le concept d'opinion publique au XVIIIe siècle. In: Sociologie de la communication, 1997, volume 1 n°1. pp. 349-365. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_004357302_1997_mon_1_1_3847

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Page 1: Leconcept d'Opinion Public

Mona OzoufEditions Gallimard

Le concept d'opinion publique au XVIIIe siècleIn: Sociologie de la communication, 1997, volume 1 n°1. pp. 349-365.

Citer ce document / Cite this document :

Ozouf Mona, Editions Gallimard. Le concept d'opinion publique au XVIIIe siècle. In: Sociologie de la communication, 1997,volume 1 n°1. pp. 349-365.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_004357302_1997_mon_1_1_3847

Page 2: Leconcept d'Opinion Public

LE CONCEPT D'OPINION

PUBLIQUE AU XVIIIe SIÈCLE

Mona OZOUF

© Éditions Gallimard. Publié in « L'homme régénéré », essais sur la Révolution Française, 1989.

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"ous parler d'esprit public c'est s'obstiner à donner une

« .*. i dénomination commune aux opinions les plus hétérogènes. Ceux qui le composent de l'esprit de leur coterie feignent d'ignorer qu'ils sont entourés d'autres coteries qui se repaissent de chimères bien différentes et que, dans le même cercle, on change de système, de parti, de principes tous les mois, toutes les décades et souvent du soir au matin. Déjà le dictionnaire de la Révolution contient quelques mots qui sont tombés en désuétude... » Ce texte révolutionnaire anonyme, emprunté à YAbréviateur universel du 18 germinal an III, tente de mesurer le succès de la frénésie statistique qu'a montré la Révolution française et des enquêtes d'opinion qu'elle a inaugurées : car, innovatrice aussi en ceci, elle s'est constamment préoccupée d'apprécier l'état de l'opinion publique, ou de l'esprit public (1), mobilisant à cet effet ses administrateurs. Désillusionné, l'auteur de l'article conclut à l'engloutissement rapide de l'entreprise et du concept, emportés dans le torrent des inno-

vations révolutionnaires. On trouverait dans un texte beaucoup plus connu de Sébastien Mercier (2) un sentiment identique de vie fiévreuse et éphémère.

Car il s'agit de la disparition d'une idée neuve. Un coup d'œil sur les dictionnaires montre que l'« opinion publique » ne trouve sa définition que dans l'édition de 1798 du Dictionnaire de l'Académie. Jusqu'à cette date, les dictionnaires traitent de l'opinion comme connaissance douteuse, probable, dans la dépendance de l'opposition platonicienne entre science et opinion. Si l'opinion est alors une collection de maximes confuses et disparates, c'est que tous - Trévoux, Furetière, l'Encyclopédie - la lient au sentiment particulier, absolument antinomique du « public ». Public, dans les dictionnaires, ne s'oppose pas encore à privé (il faut attendre pour cela l'édition de 1835 du Dictionnaire de l'Académie) mais à particulier. Et voilà pourquoi public, qui peut qualifier un lieu, un dépôt, un chemin, une femme, ne saurait qualifier les opinions, à jamais enlisées, semble-t-il, dans la particularité.

Quelques notations des dictionnaires laissent pourtant parfois apercevoir ce qui prépare la rencontre du substantif et de l'adjectif. D'une part, dans l'évocation du flot douteux des opinions, gît, même péjorativement connoté, le sentiment qu'elles constituent un torrent inexorable, pourvu d'une force irrésistible. A cette idée de la puissance de l'opinion fait écho d'autre part l'idée de la puissance du public : « Quelque décrié que soit le public, il n'y a pas de juge plus incorruptible et tôt ou tard il rend justice (3). » La certitude que l'opinion se fraie toujours un chemin (développement convenu de la maxime qui fait de l'opinion la reine du monde) et que le jugement du public triomphe tôt ou tard joint souterrai- nement le substantif à l'adjectif. Ce qui mûrit aussi dans les dictionnaires, à travers

NDL.R. - Originellement, texte présenté lors du colloque : « lbe political culture of the Old Regime », Chicago, Septembre 1986 et publié dans une première version dans Réseaux n° 22. D est reproduit dans BAKER K. (éd.) (1987), The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture, New York, Pergamon Press. (1) « Opinion publique » et « esprit public » ont été en concurrence pendant toute la deuxième moitié du xvuf siècle. La Révolution tend à opter pour « esprit public » et même pour « conscience publique ». (2) MERCIER, 1862, p. 50-52. (3) Boileau cité dans le Dictionnaire de Trévoux à l'article « Opinion ».

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les définitions de « publier », « publicité », « publication », c'est le thème de la visibilité de l'opinion publique et surtout de l'opération volontaire qui consiste à tirer au jour le secret : car on ne songerait pas à publier ce que tout le monde voit et c'est pourquoi Racine a eu tort de dire, selon Trévoux, qu'il « publiait les beautés de Bérénice ». Se prépare ici, alors que « publicisté » n'est pas encore sorti (sauf, dans Trévoux, comme « quelqu'un qui écrit et fait des leçons sur le droit public ») le thème de la manifestation, enjeu politique décisif dans la pensée du siècle.

Les dictionnaires n'enregistrent les innovations qu'avec une sage lenteur. En réalité, le concept d'opinion publique est apparu en France depuis le milieu du siècle (on en fait en général honneur à Rousseau, mais on sait comme l'idée d'une première attribution est aventurée) et les œuvres de la seconde moitié du siècle proposent une moisson d'acceptions, richesse que met en évidence le récent article de Keith Baker (4). Cela noté, on peut soutenir aussi - Gunn l'a fait (5) - l'idée qu'à la différence de l'Angleterre, où « public opinion », « the opinion of the public » ont un statut défini depuis 1730, l'usage français reste incertain. D'une part, le vieux cousinage de l'opinion avec le pré-

<fugé continue à exercer son influence sur les esprits, jusqu'à cette année 1789 où Papon (6) l'assimile encore à « un être métaphysique », insaisissable à la prise rationnelle, et même chez les inventeurs de l'opinion publique. Rousseau est ici le plus brutal : « Ôtez donc le mot opinions et mettez à la place le mot préjugés et la correction sera faite (7). » D'autre part, le mot d'opinion publique, chez ceux même qui en sont le plus férus, comme Necker, est utilisé dans une nébuleuse où se trouvent aussi esprit

public, bien public, cri public, murmure public, voie publique, conscience publique, amour public : toutes notions que rend parentes le fait d'être utilisées dans une acception de contestation de l'absolutisme (8). Il est clair que c'est de l'adjectif que ces concepts tirent leur efficacité polémique. Et de l'adjectif employé au singulier. Car les opinions publiques de Rousseau ne vivent que l'espace d'un matin, tout de suite réabsorbées par les préjugés personnels. Le passage au singulier opère une véritable conversion que la littérature physiocratique illustre et que définit une lettre où Condor- cet fait remarquer à Turgot, en guise de consolation, quel abîme il y a entre la « voix du public », faire des « cent clabauderies excitées par les édits », plurielle par conséquent, et la « voix publique » une (9). Reste que même chez les auteurs réputés pour avoir posé, par-delà la bigarrure des opinions, l'unité de l'opinion publique, une sorte d'inertie intellectuelle ramène souvent au vieux thème des contrariétés de l'opinion (10).

Disparition précoce, apparition tardive, usage incertain : la brève et douteuse fortune de l'opinion publique dans la France prérévolutionnaire fait problème. Pourquoi si tard et si confusément, alors même que la pensée allemande contemporaine (11) fait honneur à la France d'avoir inventé le mot et la chose ? Gunn a fourni à cette question une réponse qui prend à la traverse la fierté nationale : la France serait selon lui, malgré la plume brillante des philosophes, le pays où l'opinion publique n'a pu que balbutier, faute de canaux institutionnels par lesquels elle pourrait s'exprimer et en raison des faibles chances offertes à la vie politique publique dans la France du XVIIIe siècle. Il n'y aurait donc chez les auteurs français

(4) BAKER, 1987. (5) GUNN, 1983. (6) PAPON, 1789, p. 1. (7) Cité dans GANOCHAUD, 1980, p. 18. (8) Voir, par exemple, GRIFFET, 1777, p. 100 : « Un goût de république et de gouvernement populaire a saisi tous les esprits et il se fait sentir jusque dans le langage. On abuse des mots de bien public, du repos et de la tranquillité publique. On n'entend plus vanter que la qualité de citoyen et de patriote. » (9) TURGOT, 1883, p. 265. (10) Traité tout au long dans le recueil de SAINT-AUBIN, 1733. (11) Voir HABERMAS, 1978. Habermas voit dans l'opinion publique le concept défini par la première fois avec précision par les physiocrates.

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aucune positivitě de l'opinion publique. Le concept ne remplirait qu'une fonction purement polémique, et ne charrierait aucune information, ne renverrait à aucune pratique politique ou culturelle. Un premier axe de notre recherche a donc été de relire les textes, en nous demandant s'ils sont aussi indifférents à la réalité que dans la pensée de Gunn. Nous accompagnerons celui-ci un peu plus loin encore en cherchant à préciser la fonction du concept. Nous le quitterons enfin pour chercher à savoir si la brève vie de l'opinion publique ne vient pas des embarras du concept lui-même : de la difficulté à composer l'opinion publique à partir d'une collection d'opinions individuelles et à se figurer son action.

La positivitě de l'opinion publique

Suivons d'abord Gunn sur son terrain même : l'élection, pour l'opinion publique, d'une terre privilégiée, qui est non la France mais l'Angleterre. Bon nombre d'écrivains français consentiraient à cette naturalisation anglaise de l'opinion publique. Soit parce qu'ils la lient à la circulation et à la diffusion des papiers publics (c'est le cas pour d'Argenson). Soit (c'est le cas de Voltaire) parce qu'ils en font l'écho des débats parlementaires qui, de proche en proche, se répercute dans la nation tout entière. Soit parce qu'ils y voient le fruit d'une obsession du bien-être général, comme Mably ou comme ces touristes ingénus, dont l'abbé Coyer fournit l'idéal type, qui rapportent, émerveillés, toutes les innovations anglaises en matière de trottoirs ou de taxes sur les carrosses à la toute-puissance de l'Esprit public (« Quand on parcourt Londres, l'esprit public se montre à chaque pas (12) »). Parmi ces partisans de l'Angleterre, on trouverait même un certain Rousseau, celui des Lettres sur la montagne (13) il est vrai, et pour les besoins de la polémique qui l'oppose au Conseil de Genève :

reste que l'éloge tout circonstanciel du Parlement britannique est ici aussi appuyé sur la convocation périodique du Parlement, garante de l'opinion publique.

Bien entendu, et comme dans tout le débat français sur l'Angleterre au XVIIIe siècle, on pourrait équilibrer ces citations d'autant de textes d'une véhémence anglophobe, qui s'appliquent à montrer dans la liberté de la presse et les débats parlementaires l'occasion de « commotions multipliées » et de « tempêtes menaçantes » (14), le signe, non de la liberté mais de l'instabilité, le contraire même de l'opinion publique. Toute la critique physiocratique s'alimente à cette description des orages anglais : l'opinion publique ne peut « prendre » que dans un pays épris de l'unité ; d'où c'est la France, non l'Angleterre, qui doit être la véritable terre de l'opinion publique.

Dans cette querelle géographique, ce qui compte est moins ce qui divise les combattants que ce qui les unit. Car c'est au nom du même argument que les uns acceptent, que les autres repoussent la localisation anglaise de l'opinion publique. Argument ici et là universaliste : les uns et les autres tiennent que dès lors qu'on consulte ses sentiments particuliers (pour Mably ce sont les Français, pour Linguet les Anglais) il n'y a plus d'opinion publique. A travers cet accord non formulé, on peut sentir mûrir le rapprochement des deux cultures politiques, que Hume a théorisé et qui est quotidiennement exemplifié par la pénétration des papiers publics en France, les prétentions parlementaires, l'inefficacité des mesures contre la publicité des remontrances. On peut aussi - il faudra y revenir - y sentir à quel point la discussion sur l'opinion publique se mène en France à l'intérieur d'une religion de l'unité.

Cette discussion a l'intérêt de montrer que les textes français sont, beaucoup plus que ne le dit Gunn, préoccupés de donner à l'opinion publique des références réelles. Assignation dans l'espace, mais aussi dans le temps. Car tous ont été frappés par le

(12) COYER, 1779. (13) ROUSSEAU, 1959-1964. (14) DUBOIS DE LAUNAY, 1786, p. 191 .

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brusque surgissement, possible à dater, de l'opinion publique : une naissance. Rousseau tout le premier : « Parmi les singularités qui distinguent le siècle où nous vivons de tous les autres est l'esprit méthodique et conséquent qui dirige depuis vingt ans les opinions publiques. Jusqu'ici ces opinions erraient sans suite et sans règle au gré des passions des hommes et ces passions s'en- trechoquant sans cesse faisaient flotter le public de l'une à l'autre sans aucune direction constante (15). » Négligeons pour le moment le problème de savoir quel est le principe capable d'agréger les opinions flottantes, pour noter la précision temporelle : « depuis vingt ans », Rousseau écrit en 1776. La chronologie est plus attentive encore chez Rulhière : pour lui, l'opinion publique naît très exactement dans l'intervalle entre la paix de 1748 et la guerre de Sept Ans, et même, s'il fallait absolument une date, en 1749 (16). Pourquoi ? C'est que Montesquieu publie L'Esprit des Lois, que Rousseau fait ses débuts. Retenons, et d'autres textes le confirmeraient (17), l'importance que prennent ici les événements littéraires : c'est dire qu'on tient pour évident le lien de l'opinion publique à un milieu socioculturel.

Quels sont les groupes porteurs de l'opinion publique ? A cette question, que le siècle lui-même s'est posée, la réponse la plus courante est d'attacher l'existence de l'opinion publique à celle des gens de lettres, à la transformation de leurs objectifs (le désir d'instruire a supplanté chez eux le désir de plaire), à leur rôle désormais reconnu d'arbitrage. Hommes de lettres désignés, il est vrai, par les des hommes de lettres, dont le narcissisme se lit donc ici à plein : ils s'enchantent d'imaginer la spécialisation de leur petite troupe détachée des fébrilités et des nécessités de l'action,

tout entière occupée à constituer une opinion publique éclairée, rêve dont témoigne toute la littérature académique des discours et des éloges. Ce qui à leurs yeux fonde cette prétention, c'est la pratique de l'égalité, telle que l'imposent les règles de parité et l'espace utopique des Académies ou des corps lettrés : « L'homme qui n'avait que de la puissance la perdait en passant sur le seuil du Temple des Arts, il cherchait à exister par les lumières où il n'était rien (18). » Et c'est aussi la fixité de l'écrit, garante, comme l'écrit Diderot à Falconet, du message public.

Le second groupe porteur de l'opinion - seconde réponse donnée par le siècle à la question d'une assignation sociologique de l'opinion - est celui des milieux parlementaires. Car bien que la parole politique n'ait pas alors de légitimité théorique, les Parlements sont devenus, à travers les « affaires » du siècle, les exils, les démissions collectives et les dissolutions, des « communautés de savants » - le mot est signé d'Argenson - toutes bourdonnantes de discussions sur le droit public et capables de soulever en leur faveur l'« enthousiasme public » : le mot cette fois est de Moreau, peu suspect de complaisance (19). Non que les textes parlementaires eux-mêmes soient, si on excepte ceux de Malesherbes, très fertiles en évocations de l'esprit public ou de l'opinion publique (20). Mais chacun des épisodes du feuilleton parlementaire suit le même scénario : le roi manifeste son irritation de « la licence avec laquelle on affecte de répandre dans le public les remontrances de ses Parlements » (21), les Parlements crient qu'on veut « étouffer la voix publique ». Les Parlements sont-ils donc le vrai milieu où prend racine l'opinion publique ou seulement celui que désigne

(15) ROUSSEAU, 1964. (16) Voir DE RULHIÈRE, 1787, p. 18 : « Cependant la capitale, si longtemps prompte et docile imitatrice des sentiments, des goûts, des opinions de la cour, cessa dans le même temps d'avoir pour elle cette antique déférence. Ce fut alors que s'éleva parmi nous ce que nous avons nommé l'empire de l'opinion publique... », 1819. (17) Voir MALESHERBES, 1775, p. 5. Malesherbes fait remonter plus haut encore la naissance de l'opinion publique qu'il rend contemporaine de l'institution de l'Académie française. (18) DELISLE DE SALES, 1800, p. 93. (19) MOREAU, 1898-1901, p. 110. (20) II faut, à ma connaissance, attendre pour cela les protestations du Parlement de Paris, en 1788. (21) Lettre du chancelier Maupeou au lieutenant de police Sartine, citée dans GROSCLAUDE, 1961 , p. 239.

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une adroite mais arbitraire propagande ? La question, qui divise encore l'historiographie française, a divisé aussi les contemporains. A travers leurs avis divergents, le plus significatif est de constater à quel point la publicité des remontrances, qui est l'arme des Parlements, fait alors l'unanimité : contre elle, les tenants de la monarchie rêvent de disposer d'une armée équivalente : pas du tout le secret, pas du tout le silence, que la monarchie a si longtemps et si inefficacement cherché à employer ; mais une contre-publicité. Cette initiative monarchique positive, dont Moreau est le porte-étendard, dit mieux que tout la réalité de l'opinion publique. La censure, la surveillance policière, les « mouches » en témoignaient depuis longtemps de leur côté.

Car il serait inexact de croire que les pratiques de l'opinion publique ne se déploient que dans un contexte de critique de l'absolutisme. La monarchie elle-même s'est préoccupée de cette réalité, jusqu'à inventer d'ingénieux moyens de l'apprécier. Rien ne le montre mieux que l'enquête imaginée en 1745 par le contrôleur général Orry (22). Il s'agissait, dans des termes très traditionnels, de juger de « la situation des peuples de France ». Mais l'enquête comportait une nouveauté expérimentale : en un temps où l'État cherche à accroître ses ressources financières et s'inquiète de l'effet qu'aurait une aggravation fiscale, Orry recommande aux intendants de faire « semer les bruits » d'une augmentation sur le droit des entrées, assortie de la levée d'une future milice. Puis, les rumeurs « semées », de recueillir et de consigner leur traîne d'émotions et de commentaires. Il y a dans ces observations, recueillies par les subdélégués et collectées par les intendants, de quoi convaincre de la réalité de l'opinion publique : non

ment on définit ses espaces (cafés, lieux publics), on reconnaît ses formes (murmures, mauvaises paroles et même injures contre le ministère), mais on anticipe ses réactions et on tente de les faire naître expérimentalement. Bref, on la réfère déjà à une situation où une pluralité d'individus s'exprime en termes d'approbation ou de soutien à une action et dans une agrégation assez régulière pour servir de réfèrent à un projet politique définit : un contenu étrangement moderne par conséquent.

Pratiques littéraires et parlementaires, où il s'agit d'alerter le public ; pratiques monarchiques, où il s'agit de le surveiller et de le contenir : toutes ces interventions postulent une vie politique beaucoup plus vivante que ne le soutient Gunn. Il est vrai pourtant que la description de l'opinion publique reste incertaine. Son seul caractère unanimement reconnu est négatif : elle n'est pas l'opinion de la multitude, celle-ci « toute sauvage », comme l'écrit Necker (23) ; le public n'est pas un peuple, celui- ci toujours prompt à l'erreur, insaisissable et inflammable (24). La caractérisation positive est en revanche très rare, le lien presque mécanique que nous établissons avec la liberté de la presse très lâche, l'évocation du nombre (tirages de journaux, éditions de livres) absente. Pourquoi si peu d'indications précises ? C'est que les textes se préoccupent moins d'apporter une information que d'utiliser le concept à des fins polémiques : le descriptif s'efface devant le normatif.

Un imaginaire de l'autorité

Un « tribunal » : voici, sur l'opinion publique, le maître mot du siècle. A ce tribunal, en cela semblable au tribunal divin, tous doivent comparaître, comme devant

(22) Voir l'article de LÉCUYER, 1981. (23) NECKER, 1773, p. 60. (24) Quantité de textes illustreraient cette distinction entre l'opinion publique et l'opinion de la multitude. Citons Condorcet : « comme ces Messieurs - il s'agit des parlementaires - ignorent l'opinion ou la méprisent, ils ne seront jamais jaloux que d'avoir les faveurs de la populace », Correspondance inédite de Condorcet et de Turgot, p. 202. Voir, aussi D'ALEMBERT, 1779, Préface, p. 9 : « II (l'historien) a souvent tendance à distinguer le public vraiment éclairé, qui doit guider sa plume d'avec cette multitude aveugle et bruyante, qui croit fixer les rangs parce qu'elle se mêle de les donner. » Et encore CONDORCET, 1776, p. 140 : « Quand on parle d'opinion, il faut en distinguer trois espèces : l'opinion des gens éclairés, qui précède l'opinion publique et finit par lui faire la loi ; l'opinion dont l'autorité entraîne l'opinion du peuple ; l'opinion populaire enfin, qui reste celle de la partie du peuple la plus stupide et la plus misérable... »

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un juge infaillible. Écoutons Malesherbes, à qui on doit sa définition la plus éclatante : « II s'est élevé un tribunal indépendant de toutes les puissances et que toutes les puissances respectent, qui apprécie tous les talents, qui prononce sur tous les gens de mérite. Et dans un siècle éclairé, dans un siècle où chaque citoyen peut parler à la nation entière par la voie de l'impression, ceux qui ont le talent d'instruire les hommes et le don de les émouvoir, les gens de lettres en un mot, sont au milieu du public dispersé ce qu'étaient les orateurs de Rome et d'Athènes au milieu du public assemblé (25). » Ici tous les mots portent : l'indépendance qui discrédite les autorités traditionnelles, la capacité à juger de tout, c'est-à-dire l'instance de légitimation sans sphère réservée, la comparaison entre le peuple des cités antiques réellement assemblé autour d'une parole et le public moderne dispersé mais idéalement réuni autour de l'écrit ; enfin le brusque surgissement de ce tribunal.

Cette apparition est fonctionnellement liée à une disparition. Pour que l'opinion publique apparaisse comme autorité suprême, il faut que le monde se voit vidé des autres autorités héritées. C'était déjà presque vrai dans l'ordre de la maxime. Comment la « reine du monde » serait-elle dans le pouvoir des rois ? C'est elle au contraire qui les juge, se réservant de stigmatiser, comme dit Rousseau, « les princes seulement princes ». Quand les hommes de ce siècle cherchent un équivalent visuel pour l'opinion publique, ils la juchent sur un trône et l'occupent à distribuer les couronnes : ainsi la voit Necker (26), qui aperçoit mieux que quiconque la nature substitutive de l'opinion publique. Tant que l'autorité matérialisée occupe le devant de la scène, pas de place pour une autre autorité, même immatérielle : nulle opinion publique sous Louis XIV, car l'éclat du

monarque lui fait écran. Et quand l'opinion publique a conquis sa royauté, plus de place pour l'autorité royale : c'est pourquoi le duc d'Aiguillon, quand il entreprend de perdre le parlement de Rennes dans l'esprit du roi, ne parvient qu'à se perdre lui-même dans l'esprit du public. Il s'est, selon La Chalotais qui le confie à M. de Caradeuc, trompé d'époque et de tribunal (27).

Dans ce tribunal inédit, la parole divine se fait-elle encore entendre ? La manière dont s'impose l'opinion publique, comme une mystérieuse révélation, le donnerait parfois à penser. Le plus frappant pourtant est de voir le tribunal des hommes se passer désormais de l'autorité divine. On le sent dans toute cette littérature académique où une opinion publique redresseuse de torts venge le grand homme des mépris terrestres qu'il a encourus et où la postérité éclairée remplace le Paradis. Cette divinisation substitutive de l'opinion est plus frappante encore lorsqu'elle vient d'un adversaire des idées nouvelles, Jacob- Nicolas Moreau tient, à la manière de Bos- suet, que le seul contre-poids possible à l'injustice des souverains - vieux problème sans cesse débattu - est la voix « du seul souverain dont ils ne peuvent méconnaître le sceptre » (28). Mais la nouveauté de Moreau, que Bossuet n'eût même pas imaginée, est la manière dont il connecte cette voix souveraine à « la conscience publique », c'est-à-dire à la réaction de « ceux qui n'ayant par eux-mêmes aucune puissance coactive, se saisissent du plus fort de tous les pouvoirs », donc se font les interprètes de la voix de Dieu. Il y a ici quasi-identité entre la voix publique et la voix divine. La nécessité où se sent Moreau d'appeler à son secours la conscience publique montre mieux que tout autre témoignage à quel point le concept d'opinion publique a alors une fonction polémique (et fait même le cœur

(25) MALESHERBES, op. cit., p. 5. (26) NECKER, 1784, p. 58. (27) Lettre de La Chalotais à M. de Caradeuc, cité in DE MOY, 1909, p. 303. (28) MOREAU, 1777-1789, p. 59, Moreau y définit la conscience politique comme « le cri général de la raison, de la justice, de l'humanité ».

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de toute polémique ; on le voit bien à l'usage que, contre les philosophes, Palis- sot fait de l'opinion publique (29)). L'opinion publique est une « contre-force ». Elle est même, dans la pensée physiocra- tique, la seule contre-force imaginable. On la fait donner dès qu'il s'agit de penser contre, et le problème est alors de savoir d'où le nouveau tribunal tire son autorité.

Ce sont d'abord ses conditions de fonctionnement. L'opinion publique est un tribunal impersonnel et anonyme : dans les verdicts qu'elle rend chacun peut entendre la voix de tous, et donc la voix de personne ; et croire ne la tenir finalement que de soi, argument irrésistible pour toutes ces pensées qui, de Rousseau aux physio- crates, ont la médiation en horreur. Ces verdicts non signés d'autre part se publient, c'est-à-dire se mettent sous les yeux de tous, opération qu'on dote alors de mérites à la fois intellectuels, esthétiques et moraux. Rendre visible, c'est instruire, dont le droit fil d'un sensualisme qui tient qu'il suffit de montrer pour édu- quer et convaincre et don témoigne la demande, croissante au cours du siècle, pour qu'on ouvre les archives, les musées, les jardins. Rendre visible, c'est aussi guérir les maux d'un État rongé par la clandestinité et la pratique du secret. Par rapport à cette certitude on sent combien la royauté, qui continue inlassablement de rappeler qu'elle recevra les remontrances parlementaires « quand le secret en conservera la décence et l'utilité » est à contre- courant. Et inefficace de surcroît. Penser un instant que la loi du silence suffira, c'est mal connaître, remarque Prost de Royer, les presses étrangères « avides de tout publier et de tout défigurer » (30) ;

mais mal connaître aussi les hommes, dit Morellet, qu'on ne conduit jamais « aveuglément » (31). Et mal connaître enfin l'intérêt même du ministère. Sur les désavantages qu'il a lui-même à entourer les actes administratifs d'un mystère légal et impénétrable, les textes de Malesherbes - qui, du Mémoire sur la librairie aux remontrances de la Cour des aides, doivent leur unité à cette obsession de la visibilité - sont exemplaires : ils opposent à la politique absolutiste, qui n'est jamais publique, une politique monarchique à visage découvert dont la constance et la régularité seraient garanties par l'écrit et dont l'avantage majeur serait de moraliser les comportements (32). C'est du reste la recette du gouvernement de Pologne : « faire en sorte que tous les citoyens se sentent incessamment sous les yeux du public » (33). Moyen d'arracher les êtres à leurs intérêts personnels et d'opérer une véritable conversion, que décrit aussi Nec- ker (34) : d'un côté on renonce à l'approbation d'un cercle amical et complice, de l'autre on gagne l'« amour public ».

Tribunal anonyme, visible de tous : les conditions du jugement emportent l'adhésion, mais ses critères ont changé aussi bien, comme le montrerait exemplairement la littérature des éloges : le mérite s'y oppose à la naissance, la ville à la cour, la liberté à la déférence. De là le rôle de cour d'appel du nouveau tribunal, la seconde chance qu'il offre aux victimes de l'injustice et de Г arbitraire, le grand rêve réparateur et compensateur qu'on mène à son propos, relancé par des victoires hautement symboliques, comme la réhabilitation de Calas : l'opinion publique est devenue un concept-recours, aussi ductile et élastique que le concept

(29) PALISSOT DE MONTENOY, 1757. (30) PROST DE ROYER, 1781-1788. « Comment, ajoute-t-il, avons-nous souffert si longtemps qu'un mystère légal et impénétrable enveloppât les deux choses les plus importantes au bonheur public, la procédure criminelle et l'administration ? » (31) MORELLET, 1775, p. 39. (32) Dans l'esprit de Malesherbes, la publicité est une communication directe entre le peuple et le roi : un pacte, scellé contre des administrateurs dont la tâche est de dérober et de dissimuler. (33) ROUSSEAU, 1964, p. 1019. (34) NECKER, 1784, Introduction, p. 21 . Necker y brosse le portrait de l'administrateur sensible : « Les faveurs, les politesses des grands troublent l'imagination de l'homme privé, mais elles sont un objet d'indifférence pour le véritable homme public... Il renoncera donc à la reconnaissance particulière... Il aimera, mieux que la louange, ces bénédictions secrètes du peuple, qu'il n'entendra point et cette opinion publique qui est lente à se former, et dont il faut attendre les jugements avec patience... »

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d'abus auquel on l'oppose, et dont la fonction polémique ne connaît plus de bornes.

Ce contre-tribunal n'en est pas moins resté un tribunal. Loin de rompre avec l'imaginaire ancien, la nouvelle cour en a, dans une inertie révélatrice, repris les composantes d'infaillibilité, d'extériorité et d'unité. Infaillibilité, ou en tout cas efficacité torrentielle, contre laquelle il est vain d'espérer opposer des digues : tous, de Rousseau à Beaumarchais, tiennent qu'on ne s'élève jamais impunément contre le cri public, car « s'il est un moment où les juges prononcent sur chaque citoyen, dans tous les temps la masse des citoyens se prononce sur chaque juge » (35). Cette efficacité tend de plus en plus au cours du siècle à se confondre avec le mouvement même de l'histoire. C'est à la force universelle de ce qu'en termes condillaciens on appelle la « loi d'opinion » qu'il faut rapporter les changements historiques, et spécialement ceux qui sont « avantageux au peuple », comme le dit le Sieyès du Tiers État » (36).

Extériorité d'autre part : première figure de l'historicisme, l'opinion publique contraint l'opinion individuelle à la reconnaître comme une force extérieure qui la surplombe. Il paraît aussi vain de vouloir discuter avec elle qu'avec l'évidence des vérités géométriques, autorité unifiée que célèbrent les physiocrates contempteurs de la diversité. C'est ici que se révèle le mieux la fonction substitutive de l'opinion publique. Elle a théoriquement remplacé les puissances du ciel et de la terre en rendant aux hommes la propriété de leurs décisions. Mais elle n'a pas fait disparaître l'appel à une autorité transcendante, dont elle a emprunté les traits unitifs et coerci- tifs. Et du même coup, exactement comme les autorités anciennes trouvaient devant elles l'insubordination de la liberté individuelle, l'opinion publique trouve devant elle le caprice de l'opinion particulière,

avec laquelle il lui faut imaginer des accommodements .

Opinion publique et opinion individuelle

Et ceci, d'autant plus qu'il n'y aurait pas d'opinion publique s'il n'y avait d'opinion individuelle, c'est-à-dire s'il n'y avait des êtres indépendants capables d'opiner. On peut même suggérer que l'opinion publique n'a cette force d'invocation que parce que le lien social n'est plus senti comme premier et que son effacement a découvert les opinions particulières, logiquement antérieures, logiquement indépendantes et logiquement égales entre elles. Dès lors qu'on admet cette priorité absolue et cette autosuffisance de l'opinion individuelle, l'existence et l'autorité de l'opinion publique deviennent problématiques. Comment échapper aux « contrariétés » (37) de l'opinion ? Comment, du fourmillement des opinions individuelles déjà données, déduire autre chose que des décisions arbitraires ? Il faut alors résoudre deux redoutables questions : celle de la nature de l'obligation individuelle à l'égard de l'opinion publique, puisqu'il s'agit ici de fonder une autorité telle qu'en lui cédant l'individu ne cède qu'à lui- même ; et celle de la formation de l'opinion publique : on comprend qu'une fois formée, elle entraîne le consentement individuel. Mais elle-même, de quoi, exactement, s'est-elle formée ?

La solution que le siècle invente, celle pour laquelle Habermas (38) lui fait hommage d'avoir inventé le concept d'opinion publique, est celle des physiocrates : pour que l'opinion publique ait cette infaillibilité qui emporte sans discussion l'assentiment de chacun, il faut et il suffit que l'opinion publique soit l'autre nom de l'évidence. Céder à l'évidence, c'est ne pas céder. C'est faire ce que les géomètres

(35) BEAUMARCHAIS, 1876, p. 261. (36) SIEYÈS, 1970, p. 215. (37) Thème constant du siècle. Voir LEGENDRE DE SAINT-AUBIN, op. cit., passim. (38) HABERMAS, op. cit. (39) Pierre-Paul LE MERCIER DE LA RIVIÈRE, 1767, p. 142.

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font devant les vérités mathématiques : ils ne « cèdent » qu'à la présence de la raison en eux, et c'est elle, comme Euclide (39), le véritable despote. Tous tiennent « qu'aucun public ne se refuse à une vérité évidente » (40). Notons, chez ces cartésiens, l'anticartésianisme de cette solution : à la différence de Descartes, ils ne peuvent imaginer que l'homme mis en face de la vérité puisse ne pas y adhérer tant leur paraît improbable une insubordination de la volonté par rapport à l'intelligence. La pensée physiocratique, même quand il lui faut admettre (c'est le cas chez Le Mercier de la Rivière) une versatilité de l'opinion, tient qu'elle finit toujours par céder à l'évidence. L'évidence intellectuelle ne s'adresse pas en effet à un homme particulier : elle est un rapport entre les objets, rigoureux et fixe, quelque être qui le considère. On comprend par là que l'opinion publique des physiocrates (comme du reste l'instruction publique qu'ils appellent de leurs vœux) soit totalement affranchie de la psycho-pédagogie. Quand un individu se met à l'écoute de l'opinion publique, il n'a pas à pratiquer une conversion, ou joueraient aussi ses dispositions et ses inclinations particulières, il se soumet à un éclairage auquel il pourra d'autant moins se soustraire qu'il émane de sa propre raison. Le souverain des physiocrates lui- même, ce despote « pénétré de ses obligations », n'est rien d'autre qu'une raison mue par l'évidence, incapable d'ériger autre chose qu'un gouvernement rationnel.

Les individus doivent-ils attendre d'être illuminés par la rencontre de l'opinion publique sous la forme de l'évidence ? Sont-ils au contraire chargés de l'éclairer ? Si on choisit le premier terme de l'alternative, l'opinion individuelle est conséquente. Et antécédente, si on choisit le second. En réalité, la question est souvent résolue de manière circulaire : d'une part l'opinion individuelle est bien le fruit de la

sociabilité nouvelle rodée dans un siècle de lumières ; et, d'autre part, l'initiative individuelle prend bien en charge la maturation de l'opinion publique. « L'effet d'une habile administration, écrit Necker, est de fortifier les idées morales, de faire un faisceau des opinions et des sentiments par le lien de la confiance (41). » Ce qui suppose qu'il y a un état actuel où cette opinion n'existe pas encore, où les hommes, comme dit Le Mercier de la Rivière « ne sont pas véritablement hommes » (42), et un temps futur où elle régnera sans partage. Deux temps de maturation de l'opinion, par conséquent, et le prince éclairé lui-même devra attendre pour s'en remettre à « l'opinion unanime d'une nation éclairée, d'une vaste opinion publique » (43). Avant d'atteindre cette époque de plénitude philosophique, il aura fallu un maître ď œuvre de l'évidence. Ici s'insère la figure et s'explique le prestige de l'homme éclairé : quelqu'un qui, dans les livres lus et les cercles fréquentés, a déjà rencontré et salué l'évidence et qui va s'employer à la présenter à ceux qui n'en sont pas encore illuminés. Non pas un médiateur, mais un conducteur de l'évidence : ainsi le voit Condorcet.

Dans cette élection de l'homme éclairé comme vecteur de l'évidence, on voit bien la facilité que se donnent les physiocrates. Admettre une simple confection de l'opinion publique par imitation (en supposant comme Hume que l'imbrication nécessaire des individus dans la société entraîne irrésistiblement le rapprochement des nations et des cultures) serait admettre la médiation des influences. Or, l'homme éclairé n'est pas un médiateur, mais un porte- voix, un passeur d'évidence. Son rôle, tout provisoire, s'achève quand il a réussi à la transmettre. Et sa platitude de carte à jouer est évidemment fonctionnelle : elle sert à faire comprendre que son rôle est celui non d'un manipulateur, mais d'un révélateur de l'opinion.

(40) Ce que dit Malesherbes à propos du cadastre, cité dans BADINTER, 1985, p. 247. (41) NECKER, 1784, Introduction, p. 12. (42) LE MERCIER DE LA RIVIÈRE, L'Ordre naturel et essentiel. Mais cet état « inconstant » et « orageux » ne dure guère. Il cède à « l'évidence qui l'assujettait en l'éclairant et le dénaturant » (p. 357-358). (43) LE TROSNE, 1777, p. 259. Dans un premier temps, le prince éclairé devra accepter les avis et les conseils d'un Sénat de propriétaires fonciers ; dans un second temps, il pourra s'en remettre à l'opinion publique.

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Solution élégante, mais qui fait mieux apercevoir le mélange étrange d'archaïsme et de modernité que comporte en cette fin de siècle le concept d'opinion publique. Devant la conception de l'opinion publique comme pure agrégation des volontés individuelles, composition de dissidences et de divergences dont le principe et les résultats peuvent varier, l'esprit du temps s'arrête et marque trois hésitations au moins : elles disent toutes à leur manière comme il est difficile de renoncer au rêve archaïque de l'intégration dans le collectif, et comme l'idée du malheur attaché à la divergence des opinions exerce encore d'empire sur les esprits.

La première difficulté consiste à admettre que des hommes éclairés pourraient penser différemment et que l'opinion individuelle pourrait maintenir ses droits à refuser le joug du collectif. Étrangement, le seul à avoir pris une claire conscience du problème est Mably, en qui nous sommes habitués à reconnaître le volontarisme naïf et didactique du didactique du législateur éclairé, et qui maintient pourtant la vocation des opinions individuelles à ne pas s'abolir dans une opinion publique fusionnelle et rationnelle. D'une part, parce qu'il n'est pas prêt à accepter l'équivalence entre l'opinion qui, il en convient, gouverne les hommes et l'évidence qui, hélas, ne les gouverne pas. D'autre part, parce que, nourri de la psychologie cartésienne des passions, il a réfléchi sur les conditions de la croyance : « Nous ne sommes pas assez difficiles pour ne croire qu'à la vérité de l'évidence ; nous voulons croire, nous avons besoin de croire ; une opinion passablement raisonnable nous suffit ; au défaut d'une opinion vraisemblable, nous en adopterons une ridicule (44). »

Le désaccord de Mably et des physio- crates procède d'une réflexion identique en son fond, mais de résultats opposés, sur ce qui unit les hommes. La croyance que les hommes sont les mêmes est

ment essentielle à la conception de l'opinion publique. Mais qu'entend-on, exactement, par les « mêmes hommes » ? Les mêmes hommes, pour les physiocrates, ce sont des hommes absolument échangeables dans l'identité des intelligences : donc non conflictuels, sans résistance à l'évidence, ce qui entraîne une opinion publique nécessairement unifiée. Pour Mably, il s'agit d'hommes également soumis aux passions et aux intérêts : donc conflictuels, ce qui permet seulement des coalescences éphémères d'opinions. Mais Mably est le seul à accepter sans trouble cette nature conflictuelle de la vie sociale que postule la prise en compte de l'opinion publique moderne.

L'autre version de ce recul est marquée devant la légitimité du nombre. Si l'on affecte d'un poids égal les opinions isolées qui forment l'opinion publique et si on souhaite comparer les agrégations d'opinions individuelles, c'est dire qu'il faudra compter. Mais comment est-ce possible ? Garât objecte à Suard que l'égalité numérique est une chimère : sur trente millions d'opinions, vingt au moins seront « sans voix » ; entre ces opinions sans voix et les dénombreurs d'opinion, comment empêcher que se glissent les « phrases » (45), c'est-à-dire, de nouveau, les discours des hommes pourvus d'une qualité particulière, des hommes éclairés ? Bref, on ne comptera pas vraiment, façon de dire qu'il n'est pas possible d'accepter l'omnipotence de la majorité. Le seul auteur à la considérer en face est sans doute Beaumarchais : encore est-ce pour le domaine très particulier du jugement de goût. Beaumarchais tient le public pour une fiction, qui ne résiste pas à l'examen, pour un être collectif menacé en permanence de dissolution et de dispersion, contraint de s'incliner devant le «jugement du petit nombre », c'est-à-dire à l'intrigue et à l'influence. Mais ce qui est vrai dans le domaine intellectuel ne l'est plus dans celui des « objets de goût et de sentiment »

(44) BONNOT DE MABLY, 1768, p. 48-49. (45) GARAT, 1820, p. 92-98. (46) BEAUMARCHAIS, 1767, p. 7.

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(46). Quand il s'agit de sentir, tout avis en vaut un autre. En matière esthétique, on peut compter les avis et se fier aux choix de la majorité : le nombre décide. Affirmation étrange, mais dont la singularité même a le mérite de faire mesurer à quel point le siècle a reculé devant l'idée de la légitimité majoritaire. Même l'homme qui a traité le problème logique de la procédure par laquelle les préférences individuelles sont agrégées en une décision collective susceptible de s'imposer comme loi à la collectivité, même Condorcet hésiter à donner à la règle de la majorité une valeur si on ne peut dans le même temps faire la démonstration de la rationalité de cette règle. La seule obligation sociale est « d'obéir dans les actions qui doivent suivre une règle commune, non à sa propre raison, mais à la raison collective du plus grand nombre, je dis à sa raison et non à sa volonté. Car le pouvoir de la majorité sur la minorité... ne va point jusqu'à obliger à la soumission, lorsqu'il contredit évidemment la raison » (47).

Ce recul en entraîne évidemment un autre : celui qu'on marque devant l'idée de représentation, qui donnerait une figure à la division. Dans ce même livre où Garât raconte le choc des opinions entre Suard et Wilkes (à vrai dire une discussion « entre deux Anglais, tant M. Suard en était un par les lumières », de l'espèce tory il est vrai), il met dans la bouche de Suard l'argument majeur contre la représentation : comme des représentants ne sauraient représenter que l'opinion publique et que celle-ci est une, les représentants ne peuvent se diviser en partis. Certes il y a des débats. Mais ils naissent et se développent « devant la galerie de la nation qui écoute avec recueillement mais ne se divise pas ». Puisque la solution d'un problème politique n'est pas différente de la solution d'un problème mathématique ou d'un problème d'échecs, « chacun dépose et témoigne selon sa conscience et s'en va en paix ». Les consciences de ceux qui

tent ne peuvent être différemment affectées, et des partis n'ont pas à se former. On est là très proche du Saige du Catéchisme du citoyen (48), pour qui la représentation replongerait à chaque instant les membres de la société dans tous les dangers de l'état de nature. Et, bien entendu, de Rousseau. Chez Rousseau, les définitions de l'opinion publique ont beaucoup varié. On pourrait faire chez lui moisson de textes où l'« estime publique », le « murmure public » servent de garde-fous au despotisme ; de textes où l'opinion publique vaut comme fonction de surveillance et de contrôle dans les intervalles de temps où le souverain est épars sans être, comme dit Rousseau, anéanti ou mort. Mais aussi de textes où la propension de l'opinion publique à se cristalliser en brigues ou en associations partielles la rend irrémédiablement suspecte : « Les Français n'ont point d'existence personnelle ; ils ne pensent et n'agissent que par masses, chacun d'eux par lui seul n'est rien ; or il n'y a jamais dans un corps collectif nul amour désintéressé pour la justice (49). » La logique de l'opinion publique est de s'exprimer dans des réunions parcellaires qui diluent le lien politique en fixant sur elles le regard du citoyen. Cette opinion publique d'autre part est manipulable - le Rousseau du Gouvernement de Pologne le sait bien - ce qui réintroduit la possibilité menaçante qu'il y ait des trompeurs et des trompés, les sectes pouvant se rendre maîtresses de l'opinion publique. Rousseau, plus perspicace que les rêveurs d'une opinion publique unifiée, pressent que sa nature profonde est d'éclater en représentations diverses, qu'elle n'a donc aucune infaillibilité, qu'il faut sans cesse se préoccuper de la rectifier. Bref, qu'elle n'est pas une règle de justice et ne figure que par usurpation la volonté générale.

Ce qu'un tel parcours à travers les pensées du siècle met en évidence, c'est à la fois un accord profond et un grand trouble. L'accord s'est fait sur la considération de

(47) CONDORCET, 1804, p. 1 13. (48) SAIGE, 1788. (49) ROUSSEAU, 1959, p. 965.

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l'opinion publique comme figure principale du dynamisme de l'histoire, conviction qui, nous l'avons vu, a été de longue date préparée par la vieille image d'une opinion insubmersible, impossible à étouffer durablement. Désormais, tous la voient comme la cause majeure des vicissitudes historiques, qui en suivent les mouvements profonds. Elle est, dira Constant, la « vie des états » (50). Qu'elle s'affaisse, ils dépérissent, qu'elle se réactive ; ils revivent. C'est à cette pulsation souterraine, pour peu qu'on sache la capter, que l'histoire doit de n'être pas insensée.

Comme d'autre part ces mouvements, même contrastés dans le court terme, finissent par dessiner une trajectoire univoque, qu'ils sont la révélation progressive de la raison, la mise en accord des faits avec les valeurs et des esprits avec la vérité, on comprend que cette première version de l'historicisme ne présente pas une image noire. Sans doute les triomphes de l'opinion publique peuvent tarder ; sans doute même un assentiment collectif arraché par des moyens douteux peut passer pour l'opinion publique (et, fait très important, le succès peut donc n'être pas le critère de la vérité) ; sans doute encore la raison peut provisoirement manquer de lumières. Reste que tôt ou tard l'opinion publique véritable triomphera. L'histoire du monde est celle de l'avènement d'un gouvernement raisonnable et de l'assimilation progressive par la conscience commune de la vérité découverte par les philosophes.

Cette marche nécessaire, remarquons-le, n'est pourtant pas la marche de la nécessité : même si en droit la réalité historique est rationalisable, elle n'est pas de bout en bout rationnelle. Car l'opinion individuelle reste l'interprète de l'opinion publique, et le processus temporel est pensé à partir de la subjectivité. Il s'agit d'un historicisme tempéré, où le dynamique historique ne s'accomplit pas hors de la prise humaine.

Mais à partir de cet accord, il y a deux manières bien différentes de se représenter l'opinion publique. L'une est moderne : elle développe jusqu'à ses conséquences ultimes les prémisses individualistes et éga- litaires de l'opinion publique. Elle ne veut y déchiffrer que la résultante spontanée des dissidences et des divergences. Résultante qui se fabrique donc de bas en haut, à partir du fourmillement de ces atomes volitifs que sont les opinions, toujours préexistantes au tout. Dans cette perspective, l'opinion publique, qui montre du social, n'est pas dans les mains de l'autorité politique. L'idée que celle-ci puisse diriger les opinions des hommes est absurde : elle ne peut « assoupir ou réveiller les peuples suivant ses convenances ou ses fantaisies momentanées (51) ».

Pour le philosophe, le moraliste, l'éducateur, le politique, qui se font cette idée de l'opinion publique, quelles peuvent être alors les règles d'une conduite adaptée ? Toutes négatives, puisqu'il ne faut rien d'autre que savoir attendre, savoir limiter, s'interdire d'interdire. Savoir attendre, car ici l'impatience est inutile, il suffit de laisser se former tout seul le jugement national. Savoir limiter, car il y a dans l'existence des hommes un espace qui, échappant à l'opinion publique, relève d'une juridiction purement individuelle. Éviter de contraindre, car on ne peut prétendre diriger l'opinion qu'à condition de contrefaire sa voix personnelle en sentence impersonnelle. Les écrivains politiques, dira encore Constant, ont cru dire quelque chose en disant : « II faut diriger les opinions des hommes. On ne doit pas abandonner les hommes à leurs propres divagations. Mais ces mots : « II faut, on doit », ne se rapportent-ils pas à des hommes ? On croirait qu'il s'agit d'une espèce différente (52). » La logique d'une croyance à la prééminence du social sur le politique, à l'enracinement de l'opinion publique dans

(50) CONSTANT, 1980, p. 137. (51) CONSTANT, op. cit., p. 128. Le rapport entre le gouvernement et l'opinion publique est même, selon Constant, à renverser complètement : « La léthargie d'une nation où il n'y a pas d'opinion publique se communique à son gouvernement, quoi qu'il fasse ; n'ayant pu la tenir éveillée, il finit par s'endormir avec elle », ibid., p. 149. (52) CONSTANT, ibid., p. 74.

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la liberté des sujets, c'est en effet la renonciation au volontarisme politique. On ne fera pas advenir l'opinion publique, il suffira de la capter.

Cette acceptation tranquille du mouvement spontané du social, dont Constant donnera la version la plus éclatante, n'est pourtant pas à la fin du siècle la croyance le mieux partagée. Car chez presque tous vit le souvenir de l'opinion hobbienne divisée, source même du malheur : cette opinion qui, comme décrit Rousseau, en « nous obligeant à toujours demander aux autres ce que nous sommes » (53), nous rend tous ennemis jurés les uns des autres. Mais qui ne partage alors l'horreur de Rousseau pour ces communautés partielles ? Qui n'a de mal à accepter la recomposition permanente des divergences ? Qui n'est préoccupé de conjurer la menace d'une dissolution du lien politique et du lien social ? Toutes ces peurs se conjuguent pour ramener le rêve archaïque d'une intégration pleine dans le collectif et d'une opinion publique unifiée.

Dans cette vision régressive les règles de conduite du législateur et de l'éducateur sont évidemment inversées : ne pas attendre, ne pas limiter, intervenir. Ne pas attendre, car les opinions individuelles ont besoin d'une énergique rectification, de la présence constante d'un lien social matérialisé, de la pratique permanente de la citoyenneté. Ne pas limiter, car il y a dans la séparation d'une sphère privée une menace de dissolution, qui autorise un pouvoir omnipotent à surveiller l'opinion individuelle jusque dans ses manifestations les plus intimes. Intervenir enfin, car c'est de haut en bas que l'opinion publique s'impose aux opinions corrompues et dépravées ; de là le primat du politique sur le social.

On peut, dans cette figure cohesive et

coercitive de l'opinion publique, lire l'anachronisme. Pourtant l'archaïque et le moderne ne représentent pas deux moments, mais deux faces d'un concept effectivement contradictoire qui suppose de penser en même temps les divergences et l'unité. En ce sens, il ne faut pas s'étonner de voir l'opinion publique de cette fin de siècle reculer devant le moderne, bien qu'elle s'impose à la place des autorités conventionnelles. C'est précisément parce qu'elle les remplace qu'elle en emprunte les traits archaïques, et que ses plus fervents partisans continuent à lui prêter un maître (54) et à lui imaginer une fixité, prisonniers en cela du cadre mental antérieur.

Et ce n'est évidemment pas forcer le trait que de voir la Révolution française illustrer les deux faces de ce concept. Car la Révolution est bien, comme l'ont décrite ses partisans, le moment où s'arrête l'obéissance à la nécessité extérieure, où commence l'obéissance à la présence de la raison en soi, à la réalisation de l'idéal universel par l'opinion des hommes raisonnables, l'opinion publique donc. Mais elle est aussi le moment d'un retour imprévu : celui de l'adoration de la nécessité, sous le prétexte de l'horreur des factions, et dans le rêve d'une unité parfaite de la communauté et de ses guides, d'une absorption complète des individus dans la citoyenneté. Cela explique que les textes jacobins aient si vite renoncé à user du mot d'opinion publique, encore trop marqué de liberté et de subjectivité, pour lui préférer le concept plus unifié et plus coercitif d'esprit public, ou plus vertueux de conscience publique, comme le souhaite Saint-Just (55). La mise en veilleuse de l'opinion publique pendant la décennie révolutionnaire illustre exemplairement le paradoxe souligné par Constant, que l'uniformité n'a jamais rencontré plus de faveur

(53) ROUSSEAU, p. 193. (54) Voir là-dessus D'HOLBACH, 1776, passim ; et surtout le dernier chapitre : « Des moyens que le gouvernement peut employer pour réformer les mœurs et pour exciter les hommes à la vertu. » (55) SAINT-JUST, 1791 : « Esprit n'est pas le mot, mais conscience. L'esprit public est dans les têtes ; et comme chacun ne peut avoir une influence égale d'entendement et de lumières, l'esprit public était une impulsion donnée. Ayez donc une conscience publique, car tous les cœurs sont égaux par le sentiment du mal et du bien, et elle se compose du penchant du peuple pour le bien général. »

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