le groupe chaînon manquant

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LE GROUPE « CHAÎNON MANQUANT » Jean-Claude Rouchy ERES | « Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe » 2005/2 n° 45 | pages 51 à 60 ISSN 0297-1194 ISBN 2749204216 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-de-psychotherapie-psychanalytique-de-groupe-2005-2-page-51.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jean-Claude Rouchy, Le groupe « chaînon manquant » , Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe 2005/2 (n° 45), p. 51-60. DOI 10.3917/rppg.045.0051 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 92.90.14.99 - 30/09/2015 07h23. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - BIU Montpellier - - 92.90.14.99 - 30/09/2015 07h23. © ERES

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LE GROUPE « CHAÎNON MANQUANT »Jean-Claude Rouchy

ERES | « Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe »

2005/2 n° 45 | pages 51 à 60 ISSN 0297-1194ISBN 2749204216

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-de-psychotherapie-psychanalytique-de-groupe-2005-2-page-51.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jean-Claude Rouchy, Le groupe « chaînon manquant » , Revue de psychothérapiepsychanalytique de groupe 2005/2 (n° 45), p. 51-60.DOI 10.3917/rppg.045.0051--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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LE GROUPE « CHAÎNON MANQUANT »

JEAN CLAUDE ROUCHY

Dans un article intitulé « Identification et groupe d’appartenance »(1990), j’ai utilisé pour la première fois l’expression de « chaînonmanquant » pour situer l’absence de référence au groupe dans la théoriepsychanalytique. Ce n’est pas un hasard que ce soit à propos des pro-cessus d’identification que la question se soit posée, la structuration dusujet s’opérant selon S. Freud par un jeu d’identification multiple :« Chaque individu fait partie de plusieurs groupes, est lié par identifica-tion de plusieurs côtés et a construit son Idéal de Moi sur les modèlesles plus divers. »

Mais de fait, lorsqu’on examine les travaux de l’anthropologie cul-turelle, comme les œuvres sociologiques de S. Freud, on est toujoursgêné par le lien direct qui est fait entre le collectif et le singulier. Il con-duit Margaret Mead à chercher à cerner des « caractères nationaux » etKardiner et Linton à tracer une « personnalité de base », la culturemodelant l’individu (Kroeber, 1953). Ce passage direct du sociologiqueau psychologique fait l’impasse sur le groupe en tant qu’espace inter-médiaire, lieu transitionnel, contenant et bordure de l’être individué. Demême, S. Freud assimile les affects primitifs par lesquels s’élabore lapersonnalité, à ceux qui émergent dans les états émotionnels des foules.Cela conduit à considérer comme équivalents les processus d’identifi-cation dans leur forme la plus précoce, à l’origine du lien affectif, etleurs manifestations grégaires. Le passage de l’intrapsychique au psy-chosocial s’effectue sans transition.

Il semble que le groupe soit le chaînon manquant qui permette derendre compte de façon rigoureuse du passage du singulier au collectif

Jean Claude Rouchy, 40 rue de la Bienfaisance, 75008 Paris.

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et inversement. S. Freud s’en est approché à plusieurs reprises, notam-ment lorsqu’il pose en introduction, dans Psychologie des foules etanalyse du moi, que toute psychologie individuelle est aussi une psy-chologie sociale, et qu’il y traite de façon plus complète de l’identifica-tion seulement en 1921. Mais de fait, il fait toujours retour à la vieintrapsychique.

Cela a des conséquences fondamentales tant sur la pratique de lapsychanalyse que sur certains éléments de la théorie, amenant à desdécouvertes qui peuvent ouvrir de nouvelles voies tant au plan de la cli-nique que du travail en institution.

J’ai déjà eu l’occasion de développer cette conception nouvelle(1998 et 2004) et c’est donc essentiellement à une mise en perspectivede ces conséquences que cet article est consacré.

L’IDENTIFICATION PROCESSUS GROUPAL

La structuration de la personnalité s’opère donc, selon S. Freud, parun jeu d’identifications multiples (« chaque individu fait partie de plu-sieurs groupes... ») en conjonction avec le narcissisme.

Nicolas Abraham et Maria Torok se sont attachés à préciser cequ’est l’incorporation, et à rendre à l’introjection le sens que Ferenczilui avait donné originairement : « L’extension au monde extérieur del’intérêt, à l’origine autoérotique, en incluant les objets du monde exté-rieur dans le Moi. J’ai insisté sur cette “inclusion” pour souligner que jeconsidère tout amour objectal (ou tout transfert) comme une extensiondu moi, ou introjection, chez l’individu normal comme chez le névrosé.En dernière analyse, l’homme ne peut aimer que lui-même et lui seul ;aimer un autre équivaut à introjecter cet autre dans son propre Moi »(Abraham et Torok, 1978, p. 196). Ces auteurs, en distinguant le pro-cessus d’introjection du mécanisme d’incorporation, raté de l’introjec-tion à l’origine de répétitions et d’automatismes de conduites et d’actesnon mentalisés, ont déplacé l’intérêt de la dialectique classique entreprojection et introjection sur le rapport introjection-incorporation.

Cette distinction, qui est déjà de la plus grande pertinence pour laconduite de la cure psychanalytique, se révèle peut-être encore plusfructueuse en analyse de groupe où l’importance des phénomènessomatiques est fondamentale : on est en effet directement de plain-piedavec les processus par lesquels le corps est investi par la psyché à la foisdans son propre corps et dans le rapport au corps des autres.

Se trouvent ainsi réunies dans l’analyse de groupe les conditionsqui ont concouru à la construction du sujet dans ses identifications mul-tiples, par introjection et incorporation, au sein du groupe primaire, àl’origine de l’inclusion du groupe interne, c’est-à-dire non seulementdes personnes mais des liens réels et imaginaires existant entre elles.

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C’est la dimension groupale des processus et des mécanismesd’identification qui donne à l’espace analytique de groupe une efficacitéthérapeutique particulière : les identifications peuvent évoluer, changer,être désinvesties comme dans d’autres dispositifs psychanalytiques,mais de nouvelles sources d’identification et d’introjection sont sollici-tées par l’intersubjectivité du groupe, qui est tourné vers un futur etœuvre pour une socialisation et une structuration psychique restaurée.

L’étayage, par lequel s’opèrent le passage et la transformation del’objet d’identification et qui détermine le choix d’objets, n’est plusseulement conçu en rapport au père et à la mère, ou à différentes fonc-tions corporelles, dans la symbiose de la bouche et du sein, mais sur legroupe d’appartenance primaire dans son histoire et ses avatars. RenéKaës (1984) précise : « Comme forme et structure d’étayage, le groupepréexiste toujours au sujet... Corps et groupes sont à la fois le supportde la relation d’objet et du narcissisme. »

Étayage enfin sur le socius et le culturel, si l’on suit Janine Puget(1989) dans sa distinction de trois espaces psychiques à l’origine dulien social : trans-subjectif, intersubjectif et intrasubjectif. Elle soutient,pour l’espace transsubjectif, qu’il existe une « continuité océaniqueentre le Moi et le Tout [...] que le Moi acquiert depuis l’originaire direc-tement, ainsi que par médiation du Surmoi des objets parentaux ».Espace psychique sur lequel se fondent la pensée mystique et reli-gieuse, mais aussi « l’organisation de l’espace selon les règles et uncode où le lien se base sur un sentiment de communauté » (en rapportdonc à la solidarité).

Nous verrons avec les groupes d’appartenance comment ces diffé-rents concepts s’articulent et prennent sens dans la pratique. Examinonsmaintenant comment se situent ces concepts dans l’analyse de groupe.

LA REPRÉSENTATION : UN DOUBLE HÉRITAGE

L’analyse de groupe ne peut se référer seulement à l’héritage freu-dien, et encore moins être située dans la transgression de cet héritage.Elle en serait plutôt, par la pluralité de ses origines, une des principalessources d’enrichissement.

Beaucoup de données de base, considérées comme des conceptsacquis, proviennent d’autres champs théoriques que de celui de la psy-chanalyse. Il en est ainsi principalement des apports de Kurt Lewin quia précisé certains des concepts que nous utilisons parfois à notre insu etde l’invention du psychodrame par Moreno.

L’héritage de Moreno et de Lewin met en évidence les « chaînonsmanquants » dans la conceptualisation de S. Freud : le groupe permet-tant de rendre compte de façon rigoureuse du passage du singulier aucollectif et inversement. Il est l’espace transitionnel dans lequel se

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métabolise la réalité psychique dans son rapport à la réalité socialeassurant la transition entre l’individuel et le social.

Lorsque S.H. Foulkes et E. Anthony publient, en 1957, Group Psy-chotherapy, ils mentionnent à la fois Moreno et Lewin : « La théorie duchamp a constitué une contribution majeure à la dynamique des grou-pes et au champ social, qui sont d’un grand intérêt en ce qui concerne lecadre théorique de l’analyse de groupe. »

Ces apports ont été en grande partie intégrés à l’analyse de groupe,ou tout au moins à certaines de ses dimensions d’interaction, d’inter-subjectivité et de groupe comme entité et comme contenant (champ deforce). La conception du groupe comme objet fantasmé participe decette origine. Il est ainsi important de considérer que l’analyse des pro-cessus de groupe est centrée sur l’ici-et-maintenant, dans l’histoire dugroupe. On y trouve une réponse au dilemme de l’interprétation indivi-duelle et/ou groupale, et c’est un des éléments fondateurs de la concep-tion du transfert en analyse de groupe.

Cela a conduit à concevoir l’espace analytique du groupe commereliant la représentation sociale et la représentation préconsciente.L’analyse de groupe ne sollicite-t-elle pas plus particulièrement le sys-tème préconscient et les affects réprimés ?

Dans sa dimension intersubjective, le groupe fait émerger, outre lesreprésentations de choses et de mots, la représentation sociale à traversle groupe d’appartenance et dans le rapport à l’autre. La limitationd’expression et d’échanges concernant les idées, les sensations et lessentiments éprouvés, provient autant de la seconde censure – c’est-à-dire de la réticence consciente ou préconsciente à l’aveu qui est vécu ouimaginé par chacun des membres du groupe – que de la censure incons-ciente. La réticence naît de la tension existant entre la règle de libreassociation et la présence des autres dans le groupe.

« Il est remarquable que l’inconscient d’un homme puisse réagir àl’inconscient d’un autre homme en tournant le conscient. Ce fait mériteun examen approfondi, en particulier pour savoir si toute activité pré-consciente (souligné par moi) peut être exclue d’un phénomène quidemeure, au plan descriptif, incontestable » (Freud, 1915). Freud rap-pelle de même que le contenu du système préconscient provient pourune part de la vie pulsionnelle (par l’intermédiaire de l’inconscient), etd’autre part de la perception.

J’ai fait l’hypothèse que cela concourt à l’impact thérapeutique spé-cifique de l’analyse de groupe. Sous cet angle, il s’agit d’un apportessentiel à la métapsychologie : le préconscient aurait une dimensiongroupale ou, plus exactement, serait une instance transitionnelle per-mettant de mettre en rapport les représentations déléguées de la pulsionet les représentations sociales.

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Au cours des dernières journées de la SFPPG à Lyon, il m’est apparu,suite à la communication de René Kaës et de notre discussion, que sil’on concevait qu’il n’y avait pas de pulsion sans objet, et que l’objetpar son retour créait le lien, la représentation préconsciente ne pouvaitplus être seulement considérée selon la formule de Freud comme délé-guée de la pulsion. Ce qui est délégué serait le lien entre les personna-ges intériorisés, c’est-à-dire les personnages mis en scène dans lareprésentation imaginaire de leurs liens. Les représentations précons-cientes seraient ainsi les délégués d’éléments diffractés de liens dugroupe interne.

ESPACE TRANSITIONNEL

Un simple rappel d’une fonction essentielle et permanente dugroupe, si elle est préservée : c’est en cet espace que se métabolisentl’intrapsychique, le monde imaginaire, la réalité psychique et la réalitésociale. Le groupe est le champ d’expérience intermédiaire entre lemonde intérieur et le monde extérieur, entre la représentation précons-ciente et la représentation sociale.

Dans cette perspective, le groupe d’analyse en tant qu’espace trans-férentiel nous introduit à la régression à des positions précoces de lastructuration psychique et à des mécanismes archaïques dans la plura-lité des langages du groupe.

LANGAGES DU GROUPE

Dans un groupe l’analyse porte sur ce qui se dit (« libre discussionflottante », selon S.H. Foulkes, « chaîne associative groupale », selonR. Kaës) dans l’énoncé et dans l’énonciation, mais aussi sur ce qui sepasse dans les gestes, les expressions, les actes de parole, le synchro-nisme.

Jean Lemaire est revenu sur cette question à plusieurs reprises :« En groupe, tous nos patients ne peuvent avoir la parole en mêmetemps : ils sont, par protocole, obligés d’utiliser d’autres canaux pourtraduire leur pensée. Ils pensent en groupe. [...] Donc, nous ne pouvonsplus accepter cette réduction du langage à son expression verbale, nicelle du fonctionnement psychique à cette expression linguistique, pasplus à l’opposition dichotomique du dire et du faire. [...] Codées suivantdes indications symboliques repérables, avec leur syntaxe propre, ico-nique comme on le dit parfois, donc des expressions corporelles nonréductibles à des agirs. Voilà qui est très important : ce ne sont pas desactings ; au contraire, ce sont des mises en sens suivant des conventionssociales générales connues de tous, donc assimilables à un langage »(1996, p. 77-82).

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Considérer la gestuelle et les expressions corporelles comme unlangage codé et comme des « actes illocutoires » éclaire l’analyse de lasituation, car du point de vue du fonctionnement du groupe et de sonanalyse, si l’on se réfère aux incorporats culturels, au synchronisme età l’asynchronie, aux interliaisons rythmiques, à la gestuelle, au « non-verbal » et au sonore, à tout ce qui peut constituer des échanges subli-minaires, il devient évident que l’on doit s’intéresser à la parole autanten termes de mécanismes que de processus.

Car s’agit-il vraiment toujours dans ce cas de processus associatif ?N’est-il pas plus intéressant de considérer ces mécanismes comme desactes de langage ? Au plan du langage, cela correspond à la distinctionque font Nicolas Abraham et Maria Torok entre incorporat et introjec-tion, ou celle de W.R. Bion parlant de choses-en-soi, des éléments bétaet de fonction alpha. Le rapport entre des mécanismes de langage et unecertaine capacité de penser nous instruit sur le fonctionnement de la« pensée opératoire », terme ambigu et paradoxal.

Il nous est utile de progresser dans la connaissance de ce qui sepasse dans un acte de communication et dans des interactions langagiè-res en tant que mécanismes et en tant que processus. Ce qui est dit dansdes automatismes de parole n’est donc pas introjecté et se passe à l’insudu sujet de façon incorporée.

Il ne s’agirait pas seulement de partager des contenus de penséemais des contenus de « non-pensée » : ce sont des actes de parole nonmentalisés. Cela ouvre des perspectives thérapeutiques, puisqu’il nes’agit pas de processus associatifs au sens psychanalytique. Ce sont desphénomènes somatopsychiques déterminant les rapports d’un corps àl’autre, la communication se faisant à l’insu des sujets, entre rythme,synchronisme et interaction.

SYNCHRONISME ET RYTHMES

« Le synchronisme », sur lequel portent des travaux de W.S. Condonest intéressant pour comprendre comment procèdent à la fois les interac-tions primaires et l’identification projective. Les mouvements de deuxpersonnes qui se parlent sont synchronisés, même si le phénomène est àpeine perceptible : agitation des doigts, clignement de paupières, mouve-ments de tête se produisant simultanément ou à certaines accentuationsverbales, corps s’agitant au même rythme, etc. E.T. Hall considère que« le synchronisme » est universel : « Il semble être inné et apparaît déjàbien établi dès le deuxième jour après la naissance et est peut-être déjà làà la première heure. [...] Il apparaît que les nouveau-nés commencent parsynchroniser les mouvements de leur corps avec le discours, quelle quesoit la langue employée » (1979, p. 74).

On constate l’importance de ces synchronismes dans tout groupe.Certaines personnes peuvent être asynchrones de façon épisodique ou

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quasi permanente. La dimension psychotique de l’asynchronisme estsouvent patente. Si elle est longue à évoluer en analyse de groupe, lesrésultats sont d’une visibilité étonnante, et ne peuvent être très certaine-ment obtenus que dans un travail de groupe.

Ce sont les remarques de W.S. Condon sur l’asynchronie et lapathologie qui concernent le plus directement mon propos, car elles serévèlent presque aussitôt et de façon massive en analyse de groupe.« Les personnes présentant des désordres de la communication et unepsychopathologie sévère sont à la fois autoasynchrones et asynchronesdans les interactions. [...] J’ai étudié de nombreux dyslexiques, desenfants en difficulté d’apprentissage, des autistes et des schizophrènesadultes : tous sont asynchrones. [...] Le rythme est l’élément clef decela. Les énergies ont une distribution rythmique et une hiérarchierythmique : si l’énergie arrive à la mauvaise place, c’est tout le systèmequi est atteint » (1982, p. 61-62).

LES GROUPES D’APPARTENANCE

C’est dans le groupe d’appartenance primaire que se structurent etse révèlent ces éléments archaïques à la base des interactions. Les limi-tes et la configuration de groupe familial variant en fonction des cultu-res, la notion de famille nucléaire et de groupe familial est troprestreinte et imprécise. Ne fût-ce que dans notre société entre les citéset les campagnes, en fonction des régions, de l’époque, on constate degrandes différences dans la structure et le mode de vie des familles(patriarcales, éclatées, monoparentales, etc.).

J’inclurai dans le groupe d’appartenance primaire toutes les person-nes et les espaces dans lesquels le bébé, l’enfant, l’adolescent se déve-loppe, est en rapport avec des personnes qui s’occupent de lui ou ont unrapport affectif réel ou symbolique dans le réseau des liens familiaux.Le groupe d’appartenance primaire est donc beaucoup plus large que lafamille nucléaire : des oncles et des tantes, des cousins et cousines pro-ches, des amis avec lesquels l’on passe souvent des moments ou desvacances, des voisins avec lesquels se sont établies des relations deproximité dans le quotidien, dont on garde mutuellement les enfants quivont jouer chez l’un ou chez l’autre, des baby-sitters attitrées ou desfilles au pair qui finissent par faire partie « de la famille ». Autrefois, lepersonnel de service qui vivait à la maison participait implicitement àl’éducation et à la garde des enfants. On sait l’importance qu’a eue,pour S. Freud, sa Nannie catholique fervente qui l’emmène régulière-ment aux offices à l’église jusqu’à trois ans et fut quasiment uneseconde mère. Elle lui manqua cruellement lorsqu’elle fut renvoyée.

J’y inclurai aussi les animaux domestiques (chiens, chats, cochonsd’Inde ou hamsters), objets d’un investissement affectif important,compagnons de jeux et confidents des moments difficiles, la naissance

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du petit chat ou la mort du vieux chien... De même dans de petites villesou des villages où tous se connaissent et viennent rapporter les faits etgestes des enfants à leurs parents, devant le seuil des maisons, et que lesenfants adorent ou détestent...

Il est ainsi évident que la dimension et la complexité du grouped’appartenance primaire dépendent de la culture et de la structure desliens de parenté. Des enfants peuvent être habitués à jouer, à vivre dansles rues d’un quartier où les adultes peuvent se comporter avec euxcomme des éducateurs plus ou moins bienveillants. Ces habitudes devie peuvent faire l’objet de bien des malentendus pour des familles nou-vellement arrivées dans un ensemble urbain, où la mère dit aux enfantsd’aller jouer dehors comme si le groupe d’appartenance primaire étaitle même (1998, p. 79).

Je ne reviendrai pas plus sur les groupes d’appartenance primaire etsecondaire dont j’ai déjà présenté la conception de façon approfondie àplusieurs reprises (1990 et 1998).

Du fait de sa dimension groupale, l’individuation est soumise à unparadoxe : se constituer en tant que sujet et devenir différent est étayésur la dynamique interne du groupe d’appartenance primaire, sur laplace attribuée (ou désignée, dans le plus mauvais cas), qui doit évoluerpour soi-même et aux regards des autres, devenir autonome dans lesliens de l’interdépendance. Si l’on se réfère au groupe constitué commeau réseau de S.H. Foulkes, il est évident que tout changement en unpoint du réseau entraîne des résistances. Il peut être conflictuel et exigerun réaménagement de l’ensemble du réseau. Nous en faisons l’expé-rience dans les différentes étapes de la vie, tant dans notre groupe pri-maire que dans les groupes d’appartenance secondaire de nos viesprofessionnelles. Nous utilisons les notions de groupe d’appartenanceprimaire et secondaire pour caractériser ces états d’autonomie indivi-duelle ou de plus ou moins grande dépendance d’un groupe contenantpour exister. Cela présuppose des rapports entre les aspects primaires etsecondaires, susceptibles de communication et d’échanges, d’évolu-tions à travers la reproduction du même.

José Bleger (1971) décrit ces mêmes phénomènes à partir de lanotion de « sociabilité syncrétique », qui est une « non-relation, unenon-individuation », caractérisée par l’indifférenciation « entre moi etnon-moi, corps et espace, moi et autrui ». Il considère, d’un point devue phénoménologique, ce moi syncrétique comme clivé des inter-actions langagières, de raisonnement, de la pensée, tout en constituantla base. « Sans cet arrière-fond, l’interaction ne serait pas possible »(p. 150).

Tout en étant d’accord sur la non-relation et la non-individuation, ilsemble que c’est sur cette question du clivage, donnant au moi ou augroupe syncrétique cette fonction « muette », qu’il y a une différenceimportante entre « l’arrière-fond » statique dont il fait l’hypothèse et ce

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qui est contenant qui, de mon point de vue, a une fonction active et nonclivée.

Le degré d’individuation du groupe d’appartenance primaire peutêtre différent selon les personnes, dans une même famille, et selon lessociétés. On sait qu’il existe des sociétés dans lesquelles la dimensiongroupale est plus importante que celle de l’individuation.

Certaines personnes ne peuvent exister que dans les groupes qui lescontiennent. C’est sans doute l’expérience du groupe primaire qui estdéplacée dans des groupes d’appartenance secondaire avec plus oumoins de pertinence. Mais ce déplacement est indispensable à l’équili-bre psychique. On en trouve de multiples exemples dans la société,l’identité professionnelle recouvrant l’absence de construction du sujeten une identité personnelle : cela peut devenir dramatiquement visibletant au moment de la retraite que lors de situations traumatisantes.

Se révèle ainsi le caractère indissolublement lié de l’individuel etdu groupal dans les formations de l’inconscient, la construction del’identité, l’équilibre psychique et le devenir du sujet. Ce sont peut-êtreles principales conséquences du groupe « chaînon manquant » dans laclinique et la théorie psychanalytique.

Je ne peux développer dans les limites de cet article la dimensioninstitutionnelle où le groupe est l’espace transitionnel entre l’individu etl’organisation ou l’institution. C’est par les groupes d’appartenance quel’on passe de l’individuel au collectif. Dans l’analyse d’institution, leprocessus de changement concerne à la fois le cadre institutionnel et lespersonnes ayant intériorisé les normes, les règles, les représentations,les modes de pensée et les valeurs qui fondent leur identité et leurappartenance professionnelle.

Dans cette perspective, le travail de groupe comme espace transi-tionnel entre l’individuel et l’institutionnel est fondamental. Toutchangement effectif implique conjointement d’une part évolution desprocessus d’identification, des investissements et contre-investisse-ments, de l’identité des professionnels qui ont intériorisé des élémentsdu cadre qui structurent leur rapport à la réalité, et d’autre part deschangements dans la structuration du cadre institutionnel donnant corpsà une nouvelle organisation de la réalité.

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