la prévention des troubles musculo-squelettiques en conception

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HAL Id: tel-00821248 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00821248 Submitted on 8 May 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. La prévention des troubles musculo-squelettiques en conception : quelles marges de manœuvre pour le déploiement de l’activité ? Fabien Coutarel To cite this version: Fabien Coutarel. La prévention des troubles musculo-squelettiques en conception : quelles marges de manœuvre pour le déploiement de l’activité ?. Anthropologie sociale et ethnologie. Université Victor Segalen - Bordeaux II, 2004. Français. <tel-00821248>

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  • HAL Id: tel-00821248https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00821248

    Submitted on 8 May 2013

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestine au dpt et la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publis ou non,manant des tablissements denseignement et derecherche franais ou trangers, des laboratoirespublics ou privs.

    La prvention des troubles musculo-squelettiques enconception : quelles marges de manuvre pour le

    dploiement de lactivit ?Fabien Coutarel

    To cite this version:Fabien Coutarel. La prvention des troubles musculo-squelettiques en conception : quelles marges demanuvre pour le dploiement de lactivit ?. Anthropologie sociale et ethnologie. Universit VictorSegalen - Bordeaux II, 2004. Franais.

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00821248https://hal.archives-ouvertes.fr

  • Universit Victor Segalen Bordeaux 2

    Anne : 2004 Thse n1108

    THSE

    Pour le

    DOCTORAT DE L'UNIVERSITE BORDEAUX 2

    Mention : Ergonomie

    Prsente et soutenue publiquement le 13 septembre 2004 par

    COUTAREL Fabien

    N le 17.02.1977 Paris 14 me

    La prvention des troubles musculo-squelettiques

    en conception : quelles marges de manuvre

    pour le dploiement de l'activit ?

    Jury

    Nicole Vzina Professeure, Universit du Qubec Montral Rapporteur

    Yves Clot Professeur, CNAM Paris Rapporteur

    Peter Buckle Professeur, University of Surrey, U.K. Examinateur

    Yves Roquelaure Docteur, CHU d'Angers Examinateur

    Franois Daniellou Professeur, Universit Bordeaux 2 Directeur

  • - 2 -

    A tous mes proches, famille et amis,

    Qui ont contribu, d'une manire ou d'une autre,

    Et le plus souvent sans mme le suspecter,

    A rendre possible ce travail

  • - 3 -

    Remerciements

    Je tiens tout d'abord remercier tous les membres du Laboratoire d'Ergonomie des

    Systmes Complexes de l'Universit Bordeaux 2 pour l'accueil chaleureux et le soutien si

    agrable qu'ils m'ont unanimement manifest durant ces annes de thse.

    Parmi eux, je tiens tout particulirement remercier Franois Daniellou non seulement

    pour son encadrement, sa disponibilit et son soutien sans faille, mais galement pour le

    pari qu'il a su prendre avec moi voici presque 4 ans.

    La collaboration avec Bernard Dugu et Franois Daniellou au cours de nos

    investigations sur diffrents terrains fut toujours, et la fois, riche d'enseignements et

    sympathique.

    Je remercie aussi plus spcialement Christian Martin et Bernard Dugu pour le temps et le

    travail qu'ils ont su m'accorder en fin de parcours, en relecture et correction.

    Je remercie galement les personnes avec qui mes collaborations furent plus

    ponctuelles mais nanmoins trs importantes. Je pense notamment aux membres du

    sminaire doctoral du LESC, Nelly Troadec et Marie-Hlne Duval, aux divers acteurs

    du projet de conception qui constitue le terrain de cette recherche, et Johann Petit,

    complice de bureau. De nombreuses autres personnes pourraient videmment tre cites.

    Je remercie enfin les membres du jury d'avoir accept d'examiner ce travail.

  • - 4 -

    RESUME

    Cette recherche a pour principal objectif de montrer l'importance de

    l'augmentation des marges de manuvre des oprateurs et de l'encadrement pour la

    prvention des troubles musculo-squelettiques (TMS), mais aussi pour l'efficacit de la

    production. L'intervention ergonomique ralise dans le cadre d'un projet de conception

    d'un atelier de dcoupe dans un abattoir de canards gras se structure, d'une part, autour de

    la conduite de projet participative dveloppe dans les approches de l'ergonomie centres

    sur l'activit, et d'autre part, autour des principaux acquis capitaliss ces dernires annes

    concernant la prvention des TMS.

    En se positionnant vis--vis des approches biomdicales des TMS et de certaines

    approches de la sant en sciences humaines, l'auteur prcise un cadre thorique qui

    envisage les TMS comme tant un symptme parmi d'autres d'une organisation dfaillante

    du travail, o les marges de manuvre des acteurs pour faire face la variabilit

    apparaissent insuffisantes. La proposition mthodologique d'intervention qui est faite dans

    ce travail est construite autour de cette approche.

    En partant du constat que la prvention des TMS a aujourd'hui beaucoup avanc grce aux

    retours concernant les actions ralises dans les entreprises, ce travail interroge galement

    le cadre pistmologique de la recherche sur la pratique, dans lequel l'auteur s'inscrit.

    Les thses formules sont argumentes au regard d'une analyse rtrospective de

    l'intervention ergonomique ralise sur plus de deux ans, laquelle contribue trs

    fortement une valuation formelle du projet.

    Mots-cl : Prvention des Troubles musculo-squelettiques, ergonomie de conception,

    conduite de projet participative, marges de manuvre, encadrement de proximit, abattoir.

  • - 5 -

    Sommaire de la thse

    Introduction...................................... p. 9

    Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX sicle

    Chapitre 1 Les TMS du membre suprieur............... p. 19

    Chapitre 2 Les TMS et l'volution du travail la fin du XX me sicle. p. 31

    Partie 2 Etiologie des TMS

    Chapitre 1 L'approche biomdicale des TMS............... p. 59

    Chapitre 2 TMS : une atteinte la sant du travailleur dans toutes ses dimensions. p. 99

    Chapitre 3 Les TMS du point de vue de l'ergonomie : une pathologie de l'organisation..... p. 137

    Chapitre 4 Les marges de manuvre pour les oprateurs et pour l'encadrement............. p. 150

    Partie 3 Un cadre mthodologique autour des marges de manuvre pour l'intervention ergonomique en

    conception dans un contexte de prvention des TMS

    Chapitre 1 Un tat des lieux pour la prvention p. 167

    Chapitre 2 La conduite de projet en ergonomie, les principaux acquis p. 176

    Chapitre 3 Spcificit de la conduite de projet pour la prvention des TMS dans le cadre du travail

    rptitif.. p. 184

    Partie 4 Cadre pistmologique de la recherche sur la pratique pour la prvention des TMS

    Chapitre 1 Recherche sur la pratique en ergonomie et prvention des TMS. p. 207

    Chapitre 2 Quelques questions pistmologiques autour de la recherche sur la prvention des TMS.. p. 224

    Chapitre 3 Quelques questions pistmologiques spcifiques la recherche sur la pratique p. 237

    Partie 6 Discussion gnrale : intrts, limites et perspectives

    Chapitre 1 Discussion gnrale pour la prvention des TMS...................................................... p. 319

    Chapitre 2 Champs et objets interrogs par la modlisation autour des marges de manoeuvre p. 332

    Chapitre 3 Quelques enjeux : entre prvention des TMS et marges de manoeuvre.... p. 344

    Conclusion.. p. 349

    Partie 5 Conception d'un atelier de dcoupe dans un abattoir de canards gras. Prsentation de l'intervention

    ergonomique & Rsultats

    Chapitre 1 Description de l'entreprise et de son contexte p. 255

    Chapitre 2 Mthodologie d'intervention.. p. 264

    Chapitre 3 Mthodologie de recherche. p. 273

    Chapitre 4 Rsultats et discussion des rsultats................... p. 280

  • - 6 -

    Table des figures

    Figure 1 - Pourcentages de salaris travaillant dans une posture pnible en France entre 1984 et

    1998 - 31 -

    Figure 2 - Evolution de la rptitivit pour les ouvriers en France entre 1984 et 1998... - 32 -

    Figure 3 - Cumul des pnibilits physiques par gnration. - 33 -

    Figure 4 - Pourcentages de salaris travaillant la chane en France, dans l'industrie - 38 -

    Figure 5 - Modle de Cooper de la dynamique du stress au travail, selon Cox & al. (2000), adapt de Cooper

    & Marshall (1976).. - 82 -

    Figure 6 - Hypothses physiologiques concernant la relation entre le stress et les TMS (Aptel & Cnockaert,

    2002)... - 84 -

    Figure 7 - Imbrication des facteurs psychosociaux et biomcaniques dans la situation de travail (Bourgeois &

    al. 2000)... - 88 -

    Figure 8 - La multiplicit des dimensions influenant la sant (Seedhouse, 2001).. - 102 -

    Figure 9 - Modle trois dimensions de l'environnement psychosocial au travail de Karasek & Theorell

    (1990).. - 113 -

    Figure 10 - Le triangle de gestion (Bescos & al., 1997)... - 140 -

    Figure 11 - Le principe de la boucle infernale, d'aprs Nahon & Arnaud (2001). - 149 -

    Figure 12 - "La marge de manuvre", entre production et sant (Vzina, 2000) - 152 -

    Figure 13 - Contraintes des situations de travail et marges de manuvre - 153 -

    Figure 14 - Efficacit, sant & Marges de manuvre dans le processus de conception.. - 155 -

    Figure 15 - Efficacit, sant & Marges de manuvre en situation de fonctionnement - 157 -

    Figure 16 - Le modle de "construction progressive et collective" de la conception (Martin,

    1998) - 179 -

    Figure 17 - La recherche sur la pratique en ergonomie : mthodologies d'intervention.. - 211 -

    Figure 18 - Interventions ergonomiques, tudes pidmiologiques, tudes exprimentales de laboratoire :

    convocations mutuelles (Westgaard & Winkel, 1997)... - 214 -

    Figure 19 - La recherche sur la pratique et la recherche pidmiologique pour la prvention des

    TMS - 217 -

    Figure 20 - La recherche sur la pratique et la recherche exprimentale pour la prvention des

    TMS - 217 -

    Figure 21 - Modles des interventions, modles de la pathologie TMS et donnes sociales : des interactions

    structurantes des modles de la sant.. - 221 -

    Figure 22 - Intrication des deux niveaux d'interactions structurantes des modlisations de la

    sant. - 222 -

    Figure 23 - Les cinq horizons de la recherche (Latour, 2001).. - 232 -

    Figure 24 - Organigramme de l'abattoir - 258 -

    Figure 25 - Process global de l'abattoir avant projet - 261 -

    Figure 26 - Plan de l'atelier dcoupe en janvier 2001.. - 271 -

  • - 7 -

    Figure 27 - Plan prvu pour l'atelier dcoupe (juin 2001).... - 271 -

    Figure 28 - Schma pour l'atelier dcoupe (octobre 2001).. - 272 -

    Figure 29 - Plan prvu pour l'atelier dcoupe (janvier 2002) - 272 -

    Figure 30 - Configuration gnrale de la future chane de dcoupe. - 284 -

    Figure 31 - Photographie du poste d'accrochage avant. - 287 -

    Figure 32 - Photographie du poste d'accrochage aprs. - 288 -

    Figure 33 - Simulations du poste d'accrochage. - 288 -

    Figure 34 - Photographie des nouvelles chanes de dcoupe... - 290 -

    Figure 35 - Photographie de l'ancienne chane de dcoupe.. - 292 -

    Figure 36 - Photographie des nouvelles chanes de dcoupe sans oprateur - 292 -

    Figure 37 - Photographie des postes de travail avant le projet dcoupe.. - 293 -

    Figure 38 - Photographie des postes de travail aprs le projet dcoupe... - 293 -

    Figure 39 - Simulation de la prsence des cous - 298 -

    Figure 40 - Photographie de la dcoupe dans les installations provisoires.. - 302 -

    Figure 41 - Un exemple de boucle infernale. - 305 -

    Figure 42 - Marges de manuvre et rappels TMS... - 331 -

    Figure 43 Marges de manuvre, prvention des TMS et champs interrogs - 333 -

    Table des tableaux

    Tableau 1 Pathologies d'hypersollicitation de l'paule et du membre suprieur.. - 19 -

    Tableau 2 - Opposition observe des principes fordiens et sudois (d'aprs Durand & al. 1998) dans la

    conception du travail la chane. - 50 -

    Tableau 3 - Rubriques applicables l'observation du poste de travail. TMS du dos et des membres

    suprieurs. Stratgie d'valuation et de prvention des risques (Malchaire & al., 2001a) - 90 -

    Tableau 4 - Principaux facteurs de risque TMS des membres suprieurs, Confrence SALTSA (repris de

    Roquelaure, 2003c). - 91 -

    Tableau 5 - Consquences du travail monotone et rptitif du point de vue de diffrents acteurs (Granjean,

    1988).... - 133 -

    Tableau 6 - Epistmologie de la science pure et pistmologie de la recherche (Latour, 2001) - 227 -

    Tableau 7 - Synthse chronologique de l'intervention.. - 269 -

    Tableau 8 - Calculs autour du pas de chane. - 285 -

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 17 -

    Introduction

    Notre implication dans une intervention ergonomique pour le secteur de la viande

    nous a amen dvelopper une problmatique gnrale de recherche autour de la question

    suivante : "de quels modles de la sant et de quels repres mthodologiques dispose-t-on

    pour mener une intervention ergonomique visant prvenir des atteintes la sant, et plus

    particulirement la survenue des Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) ?"

    La demande d'intervention concernait l'accompagnement par une quipe

    d'ergonomes1 d'un abattoir de canards gras du sud ouest de la France dans son projet de

    conception d'un atelier de dcoupe. A travers ce projet, la direction de l'entreprise

    poursuivait principalement deux objectifs :

    - Tout d'abord, il s'agissait d'augmenter le bilan matire jug insatisfaisant

    sur les anciennes installations, du fait de la quantit de viande restant sur

    la carcasse en bout de chane.

    1 B. Dugu, F. Daniellou & F. Coutarel, Laboratoire d'Ergonomie des Systmes Complexes, Universit

    Bordeaux 2.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 18 -

    - Le second objectif ciblait la prvention de la survenue de TMS pour les

    oprateurs de la chane de dcoupe.

    Les TMS constituent aujourd'hui la maladie professionnelle la plus rpandue en

    France. Les TMS reprsentaient environ 70 % des maladies professionnelles reconnues

    dans notre pays en 2002, ce qui fait de la prvention de cette pathologie un rel enjeu

    national, la fois de sant publique, mais galement conomique. Cette situation n'est

    d'ailleurs pas spcifique notre pays.

    Cette pathologie se traduit par une douleur pour le travailleur atteint, qui

    s'accompagne de gnes fonctionnelles qui peuvent toucher tous les segments corporels.

    Les consquences se mesurent donc la fois en termes de sant, mais galement en

    termes d'efficacit du travail.

    Les secteurs d'activit concerns sont nombreux, mais l'habillement, l'automobile et

    l'agroalimentaire paient un tribut particulirement lourd. Les abattoirs, et le secteur de la

    viande plus gnralement, constituent donc aujourd'hui un secteur en difficult, o les

    enjeux humains, sociaux et conomiques sont importants et fortement lis. Les TMS

    diagnostiqus dans ce secteur concernent essentiellement les membres suprieurs. Dans

    l'entreprise qui nous concerne, les plaintes recueillies et l'observation de l'activit de travail

    mettent effectivement en avant des problmes au niveau des paules, des coudes et des

    poignets. Notre travail s'attachera donc dvelopper essentiellement la question de la

    prvention des TMS des membres suprieurs.

    Notre engagement dans cette recherche tient de la rencontre entre, d'un ct, une

    opportunit d'intervenir trs tt dans un processus de conception pour la prvention des

    TMS, et, d'un autre ct, un parcours personnel marqu par quatre annes d'tudes en

    Sciences et Techniques des Activits Physiques et Sportives, et un Diplme d'Etudes

    Approfondies en Psychologie du dveloppement centr sur le concept d'intentionnalit.

    La plupart des demandes d'intervention en matire de TMS qui viennent des entreprises

    sont adresses quand la pathologie est dj installe (Bourgeois & al., 2000). L'une des

    caractristiques essentielles de notre recherche rside dans l'opportunit que nous avons pu

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 19 -

    saisir d'intervenir en amont de la conception des situations de travail, plus d'un an

    avant le dbut des travaux. Tenter d'intgrer la prvention des TMS le plus tt possible

    dans la conception des situations de travail constitue donc l'enjeu fort de cette recherche.

    La possibilit de prendre part aussi tt un processus de conception, nous a permis de faire

    en sorte que le travail soit une dimension constamment prsente dans les dbats et les

    dcisions qui ont jalonn le projet. Notre volont de grer simultanment les questions de

    sant et d'efficacit pour la conception des futures situations de travail a constitu un fil

    directeur pour l'intervention.

    L'implication dans une intervention visant la prvention d'une pathologie

    professionnelle de cette ampleur ncessite de se retourner sur l'histoire des actions et des

    modles la concernant. Les chiffres semblent attester du fait que les efforts raliss dans

    les entreprises pour lutter contre les TMS sont encore insuffisants, et il convient de tenter

    d'en analyser les principales raisons.

    L'hypothse qui retient particulirement notre attention renvoie une prsence insuffisante

    de la recherche dans le champ de la construction, de la mise l'preuve et de la proposition

    aux acteurs de terrain de mthodologies d'intervention qui soient efficaces pour prvenir

    l'apparition de TMS. La confrontation des rsultats nombreux et fconds de la recherche

    pidmiologique et exprimentale la ralit des entreprises constitue un lieu de passage

    incontournable et pourtant quelque peu dlaiss. Nous aurons donc l'occasion d'insister

    tout au long de la thse sur la ncessit de conduire des interventions ergonomiques qui

    intgrent un processus d'valuation des transformations ralises et de la dmarche

    adopte. L'valuation nous apparat comme une condition de l'analyse des actions menes,

    et donc du progrs de la prise en charge des questions de sant au travail dans les

    entreprises.

    Une partie de l'explication de l'inefficacit relative des dmarches entreprises se

    trouve sans doute l, et c'est ici que se positionne notre travail : proposer des

    mthodologies d'intervention, qui soient d'une part adosses aux rsultats des plus

    rcents travaux scientifiques dans le champ de la prvention des TMS, et qui, d'autre part,

    intgrent ces rsultats de manire cohrente dans une dmarche d'intervention en

    entreprise. On ne peut effectivement pas appliquer strictement dans l'entreprise les

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 20 -

    rsultats de la recherche exprimentale ou pidmiologique. Intervenir dans une

    organisation vivante ncessite la prise en compte de dynamiques et interactions

    individuelles et collectives, de contraintes conomiques et stratgiques, de contraintes

    temporelles, sociales, rglementaires, etc. qui sont chaque fois particulires, et qui

    constituent la vie d'une entreprise. Les dveloppements de l'ergonomie de l'activit autour

    de la problmatique de la conduite de projet dans l'intervention nous fournissent

    aujourd'hui un cadre prouv pour conduire ce type de projet.

    Positionner le retour rflexif sur l'intervention ergonomique comme un mode de

    recherche part entire, n'est pas neutre. C'est prendre position pour une "recherche sur la

    pratique" en ergonomie, qui s'attache dvelopper des "outils" prouvs pour les

    praticiens dans l'entreprise. Ce type d'approche scientifique visant fournir des outils

    mthodologiques aux acteurs des entreprises et aux consultants est d'autant plus important

    que l'ampleur de la pathologie TMS n'autorise pas les chercheurs penser qu'ils seront

    capables seuls d'intervenir dans toutes les entreprises concernes.

    Une telle dmarche scientifique se fonde sur le postulat que l'on peut participer

    l'laboration de connaissances partir de l'analyse d'interventions ergonomiques menes

    dans les entreprises. Au moment d'exposer la mthodologie de recherche choisie, il

    conviendra donc de revenir sur ce point, et de discuter des rapports pistmologiques que

    la recherche sur la pratique doit entretenir avec les autres formes de recherche.

    Divers modles peuvent venir contribuer l'laboration d'une faon d'intervenir en

    entreprise : modles de l'intervention ergonomique, modles du travailleur, modles de la

    sant, modles de la pathologie, etc. Les TMS constituent un exemple de choix pour

    tmoigner de l'impact de l'volution des modles concernant la survenue de la pathologie

    dans la construction des actions de terrain.

    Certes, l'ergonomie de l'activit a su construire des bases stables et prouves pour

    l'intervention, autour de la conduite de projet en conception et de l'analyse de l'activit2.

    2 Nous ne sous-estimons pas ici les divergences de points de vue que l'on retrouve dans le paysage de la

    recherche en ergonomie en France, mais nous soulignons davantage le fait que l'ergonomie francophone, en

    interaction plus ou moins forte selon les courants et les moments avec les autres approches de l'ergonomie

    dans le monde entier, a su dvelopper, sur ces thmatiques-l, un corpus de connaissances tablies et

    prouves. Le congrs de la SELF (Socit d'Ergonomie de Langue Franaise), qui s'est droul en

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 21 -

    Cependant, les volutions rcentes concernant la modlisation de la survenue des TMS

    doivent nanmoins rinterroger les pratiques. En effet, ces dernires annes, la mise en

    vidence de liens entre, d'une part des facteurs psychosociaux et des facteurs

    organisationnels varis, le stress, et, d'autre part, la pathologie, est en train de bouleverser

    la faon de concevoir l'intervention visant prvenir les TMS3.

    Nous irons plus loin : si la construction de l'intervention est dtermine par la faon

    dont on explique, un moment donn, la survenue de TMS, cette explication est elle-

    mme contrainte par des approches de la sant qui dpassent et incluent les modlisations

    concernant la survenue de la pathologie cible. Ces approches gnrales de la sant sont

    la fois fortement lies aux traditions culturelles d'une socit, et, en mme temps, en

    constante volution. Pour le dire autrement et de manire un peu caricaturale, la culture

    occidentale en matire de sant, parfois qualifie de "biomdicale", n'a jamais pu, de par

    son histoire, accorder beaucoup de crdit des approches socialement marginales, comme

    l'approche psychosomatique par exemple. Et ceci, sans mme en avoir vraiment valu la

    pertinence au regard de la question pose.

    Donc, si les rcents rsultats pidmiologiques autour des relations entre des facteurs

    psychosociaux et organisationnels et les TMS, en mme temps que les checs des actions

    de terrain, viennent r-interroger les modlisations de la survenue de la pathologie, ils

    doivent galement r-interroger des modlisations plus gnrales de la sant.

    Puisque notre recherche se fixait pour objectif de proposer une modlisation de

    l'intervention ergonomique pour prvenir les TMS, la rfrence un modle gnral de la

    sant et des TMS, qui articule de manire cohrente la fois les rsultats spcifiques la

    pathologie entre eux, mais galement ces rsultats avec une conception plus gnrale de ce

    septembre 2003 Paris, visait d'ailleurs, au travers de son thme "modles et pratiques d'analyse du travail,

    1988-2003, 15 ans d'volution", faire le point sur ces questions qui proccupent l'ergonomie francophone

    depuis longtemps maintenant. Ce rendez-vous fut donc en mme temps l'occasion d'expliciter les divergences

    d'approches, et l'occasion de souligner les convergences de ces approches distinctes autour de thmatiques

    privilgies et rcurrentes. 3 La faon dont on explique l'apparition d'une pathologie participe la construction de l'intervention de

    prvention de cette mme pathologie, puisqu'il s'agit finalement, dans l'intervention, de construire les

    conditions de la non-survenue de cette pathologie. Ainsi, le modle thorique de rfrence mobilis pour

    expliquer la survenue des TMS a des consquences sur la faon d'intervenir en ergonomie sur cette question.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 22 -

    qu'est la sant, de son sens, et de sa place dans la vie humaine, nous est apparue

    incontournable.

    Au regard d'approches diverses, allant de la philosophie la psychologie de la sant, de la

    mdecine la psychopathologie, en passant par la psychologie du travail, l'ergonomie ou

    l'approche psychodynamique entre autres, il nous est apparu que la question de la place de

    l'individu dans la prise en charge de sa propre sant devait constituer l'lment central d'un

    tel modle. Autrement dit, nous soutiendrons dans ce travail que la sant du travailleur a

    quelque chose voir avec la possibilit pour lui d'tre pour quelque chose dans ce qui

    lui arrive.

    Dans ce cadre, le concept de "marges de manuvre" nous a sembl tre le plus

    mme de rendre compte simultanment des deux lments suivants, qui constituent deux

    lignes directrices pour notre travail :

    - la ncessit d'une participation du travailleur la prise en charge de sa

    sant par son intgration au processus de conception ;

    - et, la ncessit de tenir compte pour la construction de la dmarche des

    contraintes lies la ralit de l'intervention ergonomique en entreprise

    (primtre de l'intervention ergonomique, limites de l'investissement

    prvu, maintien de la productivit, caractristiques de la population, etc.).

    D'une manire gnrale, le concept de marge de manuvre tablit un lien entre la

    sant et le contrle de chacun sur sa situation de travail. Il renvoie la possibilit pour

    l'individu d'agir sur sa situation de travail, d'y dposer une marque personnelle. Le collectif

    de travail, dfini par les interactions existantes entre les oprateurs eux-mmes, mais

    galement entre les oprateurs et l'encadrement de proximit, joue un rle vident dans la

    possibilit pour chacun de ces individus d'obtenir et d'investir les marges de manuvre.

    Ainsi, les possibilits de rgulation, qui visent assurer simultanment l'efficacit du

    travail et la prvention, augmentent, lorsque les marges de manuvre des individus et du

    collectif augmentent elles aussi. Nous verrons que ceci est valable aussi bien pour les

    situations de travail en cours de production, ce que nous appellerons des "situations de

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 23 -

    fonctionnement", et pour les diffrentes tapes qui jalonnent le processus de conception, ce

    que nous appellerons les "situations de conception".

    Deux thses tiologiques principales constitueront les bases de notre proposition

    mthodologique :

    1. Les TMS ne sont pas seulement une pathologie des personnes : ils

    constituent un symptme parmi d'autres d'une organisation du

    travail dficiente.

    2. Les TMS sont le reflet d'un dficit de marges de manuvre du

    salari dans son travail, ce dficit individuel tant lui-mme li un

    dficit de marges de manuvre de nombreux acteurs dans

    l'entreprise.

    Les trois thses qui seront dfendues pour la prvention des TMS sont les suivantes :

    1. L'augmentation des marges de manuvre des oprateurs et de l'encadrement est

    un lment essentiel de la prvention des TMS.

    2. L'intervention ergonomique centre sur les marges de manuvre des acteurs tient

    simultanment les enjeux de sant et les enjeux conomiques de l'entreprise afin de

    construire des compromis efficaces pour la sant des travailleurs.

    3. L'valuation prcise et multicritre de l'intervention ergonomique, tourne vers le

    futur, est un lment essentiel de l'intervention ergonomique et de la prvention

    des TMS.

    Cette thse est structure autour de 6 parties.

    La premire partie prsente en dtail la pathologie et ses diffrents enjeux pour les

    pays industrialiss. Un lien sera tabli et dvelopp entre l'volution exponentielle du

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 24 -

    nombre de TMS reconnus et les transformations du travail qui se sont produites la fin du

    XX me sicle.

    La seconde partie est essentiellement ddie l'tiologie des TMS. Nous

    montrerons la manire dont l'approche biomdicale classique, qui concevait principalement

    les TMS comme une pathologie des articulations et des tissus mous, tend aujourd'hui

    voluer vers une prise en compte de plus en plus forte de facteurs nouveaux tels que les

    facteurs psychosociaux, les facteurs organisationnels et le stress. Cette perspective sera

    ensuite prolonge en prsentant un certain nombre de positions thoriques des sciences

    humaines, qui nous amnent concevoir les TMS de manire plus large, comme une

    atteinte la sant tmoignant, pour le salari concern, d'un dficit de perception de

    contrle sur les situations de travail. Enfin, nous prsenterons une approche ergonomique

    de la pathologie qui conoit les TMS comme une pathologie de l'organisation du travail. Le

    dernier chapitre de cette seconde partie sera ddi au dveloppement de l'intrt de la

    notion de marges de manoeuvre pour expliquer la survenue des TMS.

    La troisime partie propose un cadre mthodologique pour la prvention des TMS en

    conception dans le cadre d'une intervention ergonomique. Un tat des lieux des acquis

    concernant la prvention des TMS sera d'abord ralis. Nous prsenterons ensuite les

    acquis de l'ergonomie dans le cadre de la conduite de projet. Enfin, nous dvelopperons les

    lments spcifiques la conduite de projet pour la prvention des TMS dans le cadre du

    travail rptitif.

    La quatrime partie de la thse est consacre la prsentation du cadre pistmologique de

    notre travail. Dans un premier temps, le cadre de la recherche sur la pratique sera prcis,

    ainsi que les rapports entretenus par ce mode de recherche avec la recherche exprimentale

    et la recherche pidmiologique pour la prvention des TMS. Quelques questions

    pistmologiques relatives la recherche sur la prvention des TMS seront ensuite

    abordes. Le dernier chapitre proposera quelques rflexions quant aux questions

    pistmologiques spcifiques la recherche sur la pratique en ergonomie.

    La cinquime partie est ddie la prsentation de l'intervention ergonomique mene dans

    un abattoir de canards gras, et la prsentation de ses rsultats. Nous prsenterons d'abord

    l'entreprise et son contexte, puis l'intervention de manire factuelle. La mthodologie de

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 25 -

    recherche mise en place sera dtaille avant la prsentation et la discussion des rsultats de

    l'intervention.

    Enfin, la discussion gnrale constituera la sixime partie. Nous discuterons tout d'abord

    des intrts et des limites de la mthodologie de recherche utilise, du cadre thorique

    centr sur les marges de manuvre, et de la mthodologie d'intervention pour la prvention

    des TMS. Nous prsenterons ensuite les thmes et champs principaux, en relation avec

    notre approche de la sant au travail, qui ont t mis en lumire par l'intervention. Enfin

    nous prciserons quelques enjeux de recherche venir, concernant la prvention des TMS,

    et le modle thorique centr sur les marges de manuvre.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 26 -

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 27 -

    Premire partie

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 28 -

    Les Troubles Musculo-Squelettiques

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 29 -

    &

    Le travail la fin du XX me sicle

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 30 -

    "Les mains et les membres suprieurs dans leur ensemble sont de loin les outils les plus

    essentiels de l'tre humain. Leur fantastique structure leur permet l'excution aussi bien de

    tches de prcision, que de tches de force, de mouvements lents et minutieux que de

    mouvements rapides" (Malchaire & al., 1999, p. 3). Au cours de l'activit professionnelle,

    des contraintes lies la mobilisation de ces membres et l'utilisation de leurs capacits se

    trouvent runies, ce qui peut engendrer la survenue de pathologies.

    Les atteintes la sant dans le cadre du travail peuvent tre nombreuses. "Les troubles

    musculo-squelettiques (TMS) recouvrent diverses pathologies dont la douleur est

    l'expression la plus manifeste. Elle est le plus souvent associe une gne fonctionnelle

    qui peut parfois tre invalidante. Les TMS concernent tous les segments corporels

    permettant l'homme de se mouvoir et de travailler, mais c'est au niveau du dos et du

    membre suprieur qu'ils sont les plus frquents" (Aptel & al., 2000). La dfinition la plus

    couramment utilise pour les TMS du membre suprieur est celle de Putz-Anderson

    (1988) : les TMS sont l'ensemble des troubles qui rsultent de l'accumulation de

    microtraumatismes, c'est--dire de blessures provoques par des contraintes mcaniques et

    touchant une ou plusieurs parties du membre suprieur (mains, poignets, coudes et

    paules), ou la nuque. Si les localisations corporelles concernes peuvent tre nombreuses,

    nous nous intresserons dans notre travail aux TMS des membres suprieurs, qui "rsultent

    d'abord de l'application de contraintes biomcaniques soutenues et/ou rptes. Mais le

    stress et les facteurs psychosociaux majorent ce risque selon des modalits encore mal

    connues" (Aptel & al., 2000). Le caractre multifactoriel de ces affections est avr

    (Armstrong & al., 1993).

    Dans cette premire partie de la thse, nous allons tout d'abord prciser ce que sont les

    troubles musculo-squelettiques du membre suprieur, les diffrentes dnominations qui

    peuvent tre utilises pour cette pathologie, ainsi que le fort enjeu social qu'elle reprsente.

    Tout ceci constituera l'objet du premier chapitre.

    Dans le second chapitre de cette partie nous montrerons que l'volution exponentielle, ces

    dernires annes, du nombre de travailleurs concerns par cette pathologie professionnelle

    peut tre mise en rapport avec les volutions du travail la fin du XX sicle.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 31 -

    Les Troubles Musculo-Squelettiques du membre

    suprieur

    De nombreux crits de rfrence (Putz-Anderson, 1988 ; Pujol, 1993 ; Kuorinka & Forcier,

    1995) ont dtaill la nature des diffrentes pathologies musculo-squelettiques. Les

    pathologies peuvent tre diffrencies selon les zones corporelles atteintes (poignets,

    coudes, paules, nuque). En effet, d'une part, les entits anatomiques mises en jeu ne sont

    pas les mmes, et, d'autre part, les contraintes biomcaniques diffrent selon les

    articulations concernes. De ce fait, les tests cliniques recommands ne sont pas non plus

    les mmes (Cock & Masset, 1994). Les principales pathologies rencontres figurent dans le

    tableau 1 repris de Pujol (1993, p.7).

    1 Tendinopathies Coiffe des rotateurs, long biceps / Epicondyliens / Epitrochlens /

    Flchisseurs, extenseurs (main et doigts)

    2 Syndromes canalaires Sus-scapulaires / Circonflexe / Grand dentel / Musculo-cutan / Radial au

    coude / Cubital au coude / Mdian (canal carpien) / Cubital (canal de Guyon)

    3 Hygromas Du coude / du dos des phalanges

    4 Syndromes osseux Arthroses microtraumatiques (poignet, base du pouce) / Ncroses induites par

    vibrations (Khler, Kienbck)

    5 Syndromes vasculaires Troubles angioneurotiques / Syndrome marteau hypothnar / Syndrome

    marteau thnar

    Tableau 1 Pathologies d'hypersollicitation de l'paule et du membre suprieur (Pujol,

    1993).

    Selon Pujol (1993, pp. 7-8), "ces atteintes ont en commun le fait qu'elles concernent des

    tissus mous qui vont tre lss essentiellement en raison des rapports anatomiques ou

    fonctionnels qu'ils entretiennent avec une structure mobile articulaire :

    - soit pour la protger : bourses sreuses (hygromas ou bursites) ;

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 32 -

    - soit pour la mobiliser : tendons, leurs insertions priostes et leurs gaines

    (tendinites, tno-priostites, tno-synovites) ;

    - soit du seul fait de leur proximit articulaire, leur passage dans les dfils

    anatomiques inextensibles, les empchant de se drober pour fuir les agressions

    mcaniques dues aux mouvements rpts (syndromes canalaires)".

    La gravit des atteintes anatomiques et les problmes fonctionnels engendrs peuvent

    constituer d'autres lments de description.

    Dnominations

    Les dnominations concernant cette pathologie sont nombreuses. Les termes les plus

    frquents que l'on retrouve dans la littrature mondiale sont les suivants :

    Repetitive Strain Injuries, RSI (Pujol, 1993).

    Lsions attribuables au travail rptitif, LATR (Kuorinka & Forcier, 1995).

    Cumulative Trauma Disorders, CTD (Putz-Anderson, 1988).

    Over Use Disorders, OUD.

    Pathologies d'hypersollicitation (Pujol, 1993).

    Work Related Upper Limb Disorders, WRULDs (Cooper & Baker, 1996 ; Buckle,

    1997a).

    Musculoskeletal Disorders, MSDs (Hagberg & al., 1995).

    Troubles Musculo-squelettiques, TMS.

    Si ces diffrences d'appellation sont en partie lies aux diffrences de langues, les

    dnominations mettent chacune l'accent sur des aspects diffrents de la pathologie.

    L'volution des connaissances, ainsi que les orientations scientifiques privilgies par les

    chercheurs, sont sans doute l'origine de cette multitude d'appellations. Cependant, la mise

    en vidence, ces dernires dcennies, de la complexit de la pathologie (tissus concerns,

    facteurs tiologiques, etc.) permet sans doute d'expliquer le fait que les appellations

    releves sont rarement compltement satisfaisantes.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 33 -

    Le terme "WRULDs" renvoie une localisation corporelle prcise de la pathologie, qui a

    du sens du point de vue des mcanismes biomcaniques d'apparition de la pathologie

    tablis ce jour4. Il est pourtant trs peu utilis en France.

    Le terme "TMS5", le plus usuel en France, met en avant les entits anatomiques atteintes. Il

    pose principalement deux difficults. Tout d'abord, il s'avre parfois inappropri du point

    de vue des entits anatomiques atteintes, du fait de la multitude des localisations

    corporelles possibles (Pujol, 1993). De plus, ceci accentue le flou autour des facteurs et des

    mcanismes d'apparition de la pathologie, qui diffrent de manire importante selon les

    segments corporels concerns. Pour viter cela, on trouve parfois le terme "TMS du

    membre suprieur" (Malchaire & al., 1999), mais cela ne rpond pas la premire

    difficult releve.

    Pour Pujol (1993), il est important que les appellations mettent "en vidence les notions

    d'activit rptitive et/ou de sollicitations excessives", sans ngliger le fait que la

    pathologie peut "apparatre la suite d'efforts statiques" (p. 4). Ainsi, certaines

    dnominations mettent en avant le caractre rptitif de l'activit dans la survenue de la

    pathologie (RSI, LATR). D'autres mettent en avant l'aspect cumulatif des contraintes

    subies (CTD), et d'autres encore, le fait que les sollicitations de l'activit dpassent les

    capacits fonctionnelles du travailleur (OUD, Pathologies d'hypersollicitation). Ces

    dnominations-l ont en commun le fait de prciser de manire a priori le facteur principal

    suppos d'apparition de la pathologie. La difficult principale tient selon nous au fait que

    de telles appellations ne refltent en rien le caractre multifactoriel de la pathologie mis en

    vidence ces dernires annes par les chercheurs et les praticiens, et sur lequel nous

    reviendrons plus loin. La probabilit est alors forte que ces appellations, dans le meilleur

    des cas, sous-estiment la complexit de la pathologie, et ainsi, restreignent d'emble

    l'importance du rle ventuel d'autres facteurs. En termes d'action, le risque de ces

    dnominations rside donc dans une approche trop partielle des situations de travail.

    Le terme de "pathologie d'hypersollicitation" (Pujol, 1993, pp. 4 & 5) "a pour avantage

    d'englober par son caractre trs gnral toutes les influences nocives susceptibles de se

    4 Concernant les pathologies des membres suprieurs, il est tabli que la prsence d'un facteur ou bien

    l'association de deux ou plusieurs facteurs biomcaniques comme la force exerce, la rptitivit, la dure, ou

    encore les angulations articulaires extrmes gnre une forte probabilit d'apparition de la pathologie. 5 Le terme anglo-saxon "Musculoskeletal Diseases"ou "Musculoskeletal Disorders" (MSD, ou MSDs) en est

    l'quivalent. On rencontre parfois aussi le terme "Work related Musculoskeletal Diseases" ou "Work related

    Musculoskeletal Disorders" (WMSD, ou WMSDs) pour insister sur l'origine professionnelle des troubles.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 34 -

    manifester la suite de gestes et attitudes professionnels en raison de l'importance des

    contraintes et de la charge de travail. Il peut s'appliquer tous les types de lsions que l'on

    peut rencontrer dans ce cadre et on parlera ainsi, suivant les cas, de pathologie

    d'hypersollicitation d'origine professionnelle musculo-tendineuse , osseuse ,

    nerveuse , etc., ou encore d'un territoire dtermin ( membre suprieur , membre

    infrieur , rachis , etc.)".

    Cette sollicitation excessive des capacits d'un travailleur pour dfinir l'apparition de la

    pathologie avait d'ailleurs clairement t dveloppe par Putz-Anderson (1988, p. 70) :

    "CTD may develop when the work demands habitually exceed a worker's capacity to

    respond to these demands". Ce qu'il est important de noter dans la dfinition de

    l'hypersollicitation c'est son caractre habituel, rgulier. Autrement dit, une sollicitation

    importante du travailleur n'est pas ncessairement pathogne si elle est extra-ordinaire.

    L'hypersollicitation, ainsi dfinie, constitue sans doute la dfinition la plus

    approprie pour caractriser mdicalement la pathologie parmi les diffrentes

    dnominations releves ici.

    Cependant, notre faon d'envisager l'hypersollicitation du travailleur diffrera quelque peu.

    La diffrence tient essentiellement au fait que notre projet ne vise pas la caractrisation

    mdicale de la pathologie, mais davantage la prvention de cette dernire. Ainsi, dans une

    acception plus large et qui reprend les termes des dbats et des rsultats les plus rcents,

    nous proposons que le terme de "pathologie d'hypersollicitation" renvoie au fait que la

    survenue de la pathologie est lie une sollicitation excessive et renouvele du

    travailleur, compte tenu des diffrentes contraintes de la situation de travail et de

    leurs interactions respectives dans l'activit6.

    Dfinir ainsi la pathologie dont on vise la prvention, pose d'emble la ncessit de la

    globalit de l'approche, de la multiplicit des facteurs prendre en compte afin de mener

    des transformations efficaces. Nous continuerons cependant utiliser le terme "TMS" dans

    ce travail, car il reste le plus utilis en France.

    6 Nous verrons plus loin que les dimensions de l'activit susceptibles de constituer des contraintes peuvent

    tre nombreuses.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 35 -

    Les TMS : un enjeu social

    Depuis plus de 10 ans, toutes les statistiques montrent une augmentation du nombre de

    TMS, ce qui en fait aujourd'hui en France la maladie professionnelle reconnue la plus

    rpandue. Les cots directs (indemnits, traitements, soins mdicaux et chirurgicaux) de

    cette explosion de cas deviennent de plus en plus importants pour la socit, et les cots

    indirects (production, absentisme, remplacement) sont estims deux fois suprieurs par

    Hagberg & al. (1995).

    Un enjeu de sant publique

    Le nombre de travailleurs concerns fait de la lutte contre cette pathologie un enjeu de

    sant publique majeur qui proccupe toutes les grandes institutions de la sant, qu'elles

    soient nationales ou internationales. Le vieillissement gnral de la population accentue

    encore davantage la ncessit d'engager des mesures efficaces pour lutter contre les TMS,

    puisque l'ge des travailleurs est un facteur corrl l'apparition de la pathologie.

    L'allongement de la dure du travail avant la retraite ne va donc pas contribuer rduire le

    "phnomne pidmique TMS".

    Les TMS en chiffres, dans le monde et en France :

    Le phnomne TMS semble gnralis tous les pays industrialiss7. Un rapport de

    synthse (Buckle & Devereux, 1999c) de l'Agence Europenne pour la scurit et la sant

    au travail souligne l'importance du problme en Europe avec des prvalences de TMS

    comprises entre 20 et 45 % des travailleurs europens pour la nuque et le membre

    suprieur au cours des 12 derniers mois. Ces statistiques comprennent non seulement les

    manifestations pathologiques mais galement la fatigue, la douleur, la gne. La

    surveillance de ces aspects est tout aussi importante, car ils sont les prmices des

    pathologies. On constate cependant que les travaux sur les TMS ne s'y intressent que trs

    rarement.

    L'interprtation de ces chiffres fait l'objet de dbats controverss. Un certain nombre

    d'interlocuteurs considrent notamment que la recrudescence des TMS reconnus en France

    est en partie explicable par l'volution du tableau n 57 de la Caisse Nationale d'Assurance

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 36 -

    Maladie (CNAM). En 1991, les critres de reconnaissance de l'origine professionnelle des

    TMS ont t largis, ce qui tendrait logiquement favoriser une augmentation du nombre

    de TMS reconnus en maladie professionnelle (MP). En effet, un net accroissement du

    nombre de TMS reconnus a bien t enregistr au cours des deux annes suivantes.

    Toutefois, Bourgeois & al. (2000, p. 41) nous amnent constater que "le phnomne ne

    s'est jusqu' aujourd'hui nullement inflchi. De plus, alors que le tableau n 39 de la

    Mutualit Sociale Agricole (MSA) n'a subi une modification qu'en 1993, il est intressant

    de constater que l'volution statistique est comparable celle du tableau n 57 de la

    CNAM", ajoutent les auteurs. "De surcrot, de nombreuses entreprises non touches en

    1991, par l'apparition ou la recrudescence des TMS, sont particulirement concernes

    quelques annes plus tard" (Ibid). Tout ceci souligne le fait que l'volution stricte des

    critres de reconnaissance n'est pas une explication suffisante, elle seule, de l'volution

    impressionnante du nombre de TMS. Ceci est d'autant plus vrai que la reconnaissance

    d'une maladie professionnelle reste malgr tout une "course d'obstacles" (Pezerat &

    Thbaud-Mony, 1988 ; Thbaud-Mony, 1995).

    Les TMS dans l'industrie :

    Les TMS touchent essentiellement le secteur industriel : c'est le cas dans plus de 86 % des

    cas selon Bourgeois & al. (2000). Les secteurs ou activits de l'industrie particulirement

    touchs par les TMS sont l'assemblage, la confection chaussure, l'agroalimentaire, le

    conditionnement et les caissires. Pour la plupart de ces secteurs, entre 70 et 80 % des

    travailleurs ont au moins un problme de TMS. Le secteur agroalimentaire est

    particulirement touch par les affections concernant les paules et le canal carpien

    (Anact, 1996). Ces rsultats sont confirms et prciss notamment par l'enqute ESTEV

    (Derriennic & al., 1996), et une tude de la Fondation europenne pour l'amlioration des

    conditions de travail (2003b). Le travail y est d'abord difficile, et la situation conomique

    pour les activits d'abattage et de transformation de la viande de boucherie est trs dlicate

    (Abisou, 1993). Le faible taux de rentabilit conomique de ces entreprises et le cot lev

    des investissements expliquent les difficults moderniser les outils de production et le

    recours souvent indispensable aux fonds publics pour amliorer les conditions de travail.

    Aborder la question des TMS ne peut se faire indpendamment des conditions

    7 Les comparaisons chiffres sont cependant dlicates du fait de la diversit des sources d'information, en

    termes de prcision, de qualit et de diversit des donnes, qui ne sont donc pas directement comparables

    (Tozzi, 1999).

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 37 -

    conomiques du secteur concern. La perception de plus en plus clarifie du cot des TMS

    pour la socit dans son ensemble doit constituer un argument fort pour la mise en place de

    moyens importants dans le champ de leur prvention.

    Un enjeu conomique

    L'volution du nombre de maladies professionnelles suit globalement l'volution des TMS

    (Bourgeois & al., 2000). Le cot des TMS, considrable pour les socits industrialiss

    (Agence europenne pour la Sant et la scurit au travail, 2000b), est difficile chiffrer

    dans la mesure o il existe des cots directs (prise en charge mdicale, pharmaceutique,

    hospitalire et indemnisations journalires) et des cots indirects (consquences

    productives pour l'entreprise).

    L'augmentation des cots directs reprsents par les maladies professionnelles est

    globalement imputable l'volution des TMS. "Sur la priode 93-95, le poids des dpenses

    du tableau n 57 est pass de 47,2 59,6 % du total des dpenses inhrentes l'ensemble

    des maladies professionnelles" (Bourgeois & al., 2000, p. 44). Le cot moyen par maladie

    du tableau 57 indemnise est pass de 7500 par maladie en 1989 prs de 15000 en

    1992 (Pujol & Soulat, 1996). Pour Toomingas (1998 ; cit par Piette & al., 2001), les cots

    directs auraient reprsent, en 1991, 20 25 % de tous les cots mdicaux des pays

    scandinaves. En Angleterre, les cots seraient de l'ordre de 1,25 milliard de livres sterling

    (Davies & Teasdale, 1994 ; cit par Piette & al., 2001).

    A ces cots directs et indirects, il convient d'ajouter les cots lis aux actions en justice, de

    plus en plus nombreuses, entreprises par les travailleurs, notamment au Royaume-Uni et

    aux Etats-Unis8. Le cot social des TMS serait susceptible de menacer la survie de

    nombreuses entreprises, dont les cotisations augmentent.

    Dans la mesure o le nombre de TMS reconnus est trs probablement en de de la ralit

    de l'tendue de la pathologie9, le niveau rel de la prise en charge des cots directs lis aux

    TMS est bien plus important, puisqu'une partie importante de ces cots se rpercute sur le

    rgime gnral de la scurit sociale. Bourgeois & al. (2000) proposent plusieurs types

    d'explications cela : le risque de prcarisation du salari au travers de la dclaration en

    8 Le Health and Safety Bulletin fait rgulirement tat de jugements rendus favorables aux travailleurs.

    9 Les spcialistes valuent 1/3 la proportion de TMS qui font l'objet d'une reconnaissance de pathologie

    professionnelle.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 38 -

    MP, les fortes disparits dans l'issue des processus de reconnaissance. La sensibilit des

    mdecins gnralistes aux maladies professionnelles, ainsi que la charge de travail des

    mdecins du travail et des mdecins gnralistes (Davezies & Daniellou, 2004), constituent

    selon nous des explications complmentaires.

    Vers la reconnaissance de l'origine professionnelle de la pathologie

    Une faon originale, nous semble-t-il, de dcrire l'volution des reprsentations sociales

    vis--vis des TMS, consiste l'aborder sous l'angle de la construction sociale et

    progressive de l'origine professionnelle de ce type de pathologie.

    Putz-Anderson (1988) introduit son clbre ouvrage "Cumulative trauma disorders A

    manual for musculoskeletal diseases of the upper limbs" en expliquant le fait qu'au dbut

    du XVIII me sicle les effets ngatifs possibles du travail sur la sant avaient t dj

    enregistrs par Ramazzinni, (1717), qui ciblait particulirement certain violent and

    irregular motions and unnatural postures of the body, comme tant l'origine du

    dveloppement progressif de pathologies srieuses. Malgr le fait que l'association entre le

    travail et ce qu'on appellera communment plus tard les TMS soit souligne depuis presque

    300 ans (Franco & Fusetti, 2004), la reconnaissance tablie de l'origine professionnelle de

    la pathologie n'est finalement que trs rcente. Il y a sans doute de trs nombreuses

    explications cela, et nous en esquisserons simplement trois, peut-tre les principales, et

    sans aucun doute complmentaires.

    Tout d'abord, la proccupation de la socit pour la sant au travail est galement rcente.

    C'est une construction sociale et progressive, porte par les acteurs de la socit, qui a peu

    peu amen les pouvoirs publics se proccuper des questions de sant au travail. Ce qui

    est acceptable en termes d'atteinte la sant volue au sein d'une socit et de son

    histoire. Bien videmment, les progrs scientifiques participent, pour partie, mais pour

    partie seulement, l'volution de cette "norme sociale d'acceptabilit". Malchaire & al.

    (1999) voquent le fait que les proccupations des travailleurs des pays industrialiss ont

    volu, s'attachant moins au salaire et davantage la qualit de vie. Ainsi, dans de

    nombreux cas, ce qui tait acceptable avant est aujourd'hui devenu inacceptable10

    .

    10

    Sans doute serait-il possible de montrer comment, selon le mme processus d'volution de la norme de ce

    qui est socialement accept, un certain nombre de pathologies professionnelles qui taient inacceptables

    avant ont pu le devenir, de fait. L'volution des orientations et des soutiens financiers accords par les

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 39 -

    Malgr tout, si la sant au travail est aujourd'hui une proccupation plus importante, les

    questions abordes par ces proccupations doivent tre interroges. En effet, si la recherche

    dans le champ des TMS a bnfici de cette proccupation sociale gnrale pour les

    questions de sant au travail, les moyens accords la recherche sur les TMS par les

    pouvoirs publics ne sont pas la hauteur de l'ampleur de la pathologie dans les entreprises.

    Les TMS ne sont d'ailleurs pas le seul exemple de ce dcalage entre, d'un ct, la ralit

    d'un problme et ses consquences humaines, et, d'un autre ct, le soutien accord par les

    pouvoirs publics la recherche et l'action sur ces questions. Les cancers professionnels11

    ,

    conscutifs des expositions plus ou moins prolonges des produits toxiques (Brugre,

    1992 ; Davezies, 1992), constituent un autre exemple relativement dlaiss.

    La question des TMS est certes lgrement diffrente, dans le sens o les atteintes en

    question ne mettent pas en jeu la survie biologique des individus. Mais le nombre de cas de

    TMS dans les entreprises est un argument de premier plan. Si l'on accepte d'chapper au

    regard biomdical institu dans nos socits occidentales (Bruchon-Schweitzer & Dantzer,

    1994 ; Cassou & Schiff, 1998 ; Bruchon-Schweitzer, 2002), et que l'on considre la sant

    comme une dimension de l'individu qui concerne autant l'organisme physique et

    biologique, que l'quilibre psychologique et l'insertion sociale un second argument fort se

    dessine. Nous ne cherchons videmment pas l minimiser les consquences des TMS sur

    l'intgrit de l'organisme et ses capacits fonctionnelles, qui peuvent effectivement tre trs

    graves. Mais nous soulignerons galement dans cette thse l'impact des TMS sur l'quilibre

    psychologique et social d'un individu.

    Pour rsumer ce point, nous pourrions dire que l'volution progressive vers la

    reconnaissance de l'origine professionnelle de la pathologie s'explique videmment pour

    partie par la proccupation progressivement de plus en plus importante de notre socit et

    de ses acteurs pour les questions de sant au travail, mme s'il nous semble falloir

    finalement reconnatre que les TMS constituent un objet de recherche qui n'a jamais t

    soutenu la hauteur des enjeux qu'il reprsente.

    pouvoirs publics est un indicateur intressant de ces changements concernant ce qui est finalement acceptable

    ou non. La toxicit des produits chimiques prsents sur les lieux de travail semble ainsi tre devenue un objet

    de recherche quasi dsert aujourd'hui en France, alors qu'il s'agissait d'un enjeu majeur dans les annes

    1940-1950. 11

    Thbaud-Mony (1995, p. 100) rappelle des chiffres loquents : "Les estimations pidmiologiques donnent

    une fourchette de 5000 10000 dcs par an, alors que le nombre de cas indemniss chaque anne est de

    140".

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 40 -

    D'autres questions de sant au travail avaient davantage retenu l'attention des

    spcialistes jusqu'aux annes 1960. La prvention d'un certain nombre d'autres

    pathologies importantes a beaucoup progress au milieu du sicle dernier. "Ces problmes

    occultaient probablement en partie la reconnaissance des pathologies du membre

    suprieur, et cela, de manire plus ou moins importante selon les pays et les secteurs

    industriels concerns" (Malchaire & al., 1999, p. 3).

    Aprs l'explosion des chiffres et la pression sociale gnre depuis les annes 1990, la

    question des TMS tend aujourd'hui devenir un sujet de dbat admis, mme s'il demeure

    des disparits importantes selon les entreprises. D'un ct, les salaris exposs et/ou

    atteints ne considrent plus ces problmes comme "faisant partie du mtier". Certains

    n'acceptent plus ces souffrances, qui concernent la plupart du temps un travail peu reconnu.

    De l'autre ct, les employeurs prennent conscience du fait que les TMS sont lis une

    volution sociale du travail et de son organisation, dont ils ne font finalement que subir le

    contrecoup aujourd'hui, et qui concerne aussi les concurrents. Ceci a pu avoir un effet

    dculpabilisant, qui leur permet d'envisager de se confronter au problme. Cette

    confrontation est galement favorise par la meilleure connaissance des processus

    d'apparition de la pathologie, et certains rsultats encourageants d'actions menes dans les

    entreprises.

    L'acceptation progressive dans les entreprises, de la part des salaris et des responsables,

    d'un dbat autour des TMS, et ventuellement d'actions concrtes, constitue donc une

    seconde explication la reconnaissance progressive de l'origine professionnelle.

    L'tape la plus rcente en France de cette reconnaissance rside dans l'adaptation en

    1991 du Tableau 57 du rgime gnral de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie, et du

    Tableau 39 du rgime agricole de la Mutualit Sociale Agricole en 1993. Les modifications

    ainsi apportes ont permis de faciliter la dclaration par les mdecins du travail d'un plus

    grand nombre de pathologies.

    Un frein important la reconnaissance de l'origine professionnelle des TMS a toujours

    rsid dans le fait qu'un certain nombre d'activits de la vie hors travail expose les

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 41 -

    individus des facteurs de risques similaires ceux rencontrs sur les postes de travail. Les

    activits sportives (Pujol, 1993), le jardinage, le bricolage, la musique sont souvent cits

    parce qu'ils sont susceptibles de solliciter l'individu de manire exagre, et donc conduire

    l'apparition de symptmes comparables.

    Il nous semble que les progrs des mthodologies pidmiologiques et du traitement

    statistique des donnes recueillies sur les questions de TMS ont finalement favoris un

    basculement essentiel. Depuis le jour o l'vidence statistique a impos la relation entre

    l'activit professionnelle et la survenue de certains TMS (Hagberg & al., 1995 ; Bernard,

    1997), le dernier rempart est, semble-t-il, tomb. Le lien a alors pu tre prcis, par

    exemple par les travaux de Hagberg (1995), qui montrent que l'association entre les TMS

    et l'activit de travail serait davantage vidente pour les pathologies des mains, poignets et

    paules, que pour celles du coude.

    Si ces volutions apparaissent encourageantes pour favoriser la prise en charge des

    problmes de sant au travail et notamment des TMS, certaines remarques sont

    susceptibles d'assombrir quelque peu le tableau.

    Tout d'abord, nous l'avons dj dit, la sant au travail reste un domaine peu pris en

    compte par les pouvoirs publics en France. Le discours mdical classique sur la sant

    tend toujours confiner ces problmes au niveau individuel sans tenir compte de l'impact

    de l'environnement professionnel.

    Les procdures de dclaration et de reconnaissance des maladies professionnelles en

    France, quelles qu'elles soient, sont caractrises par un certain nombre de

    dysfonctionnements, qui font qu'il y a finalement peu de dclarations et donc de

    reconnaissances (Desriaux, 2001 ; Pezerat & Thbaud-Mony, 1988 ; Thbaud-Mony,

    1995).

    Le Healthy Worker Effect, effet du travailleur en bonne sant (Volkoff, 2002), tmoigne

    du fait que les individus rencontrs sur les situations de travail sont en meilleure sant que

    l'ensemble des travailleurs ayant t exposs ces mmes situations de travail. En effet, les

    individus ayant quitt leur travail, les individus reclasss dans d'autres ateliers ou sites,

    etc., ne rentrent alors pas dans les statistiques. L'apprciation de la population dont la sant

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 42 -

    est affecte par les conditions de travail est confronte un problme mthodologique

    important. Si on utilise le nombre de malades au travail pour valuer la difficult des

    conditions de travail, la consquence directe du Healthy Worker Effect est la sous-

    estimation de la difficult de ces situations, qui ne va pas dans le sens d'une prise en charge

    plus importante de la sant au travail.

    L'volution rcente du statut des emplois vers la prcarisation (Thbaud-Mony, 1995 ;

    Fondation europenne pour l'amlioration des conditions de vie et de travail, 2002) nous

    semble aussi pouvoir contrarier la reconnaissance de l'origine professionnelle des TMS. En

    effet, outre le fait que la prcarisation apparat comme un facteur de dgradation des

    conditions de travail (Agence Europenne pour la scurit et la sant au travail, 2002),

    l'intrim ou le contrat dure dtermine complique dans beaucoup de cas la possibilit de

    mettre en vidence l'origine professionnelle d'une pathologie.

    Enfin, un dernier lment d'inquitude concerne la faiblesse syndicale aujourd'hui en

    France. Il faut en effet rappeler le rle important jou par les syndicats dans l'laboration et

    l'volution des tableaux de reconnaissance de maladies professionnelles, ainsi que dans

    l'indemnisation des travailleurs (Thbaud-Mony, 1995).

    Nous avons montr que la reconnaissance progressive de l'origine professionnelle des TMS

    peut s'expliquer de diffrentes manires. Malgr la sous-estimation du nombre rel de cas,

    l'augmentation exponentielle du nombre de TMS reconnus ne peut se comprendre sans la

    connaissance de l'volution du travail et des entreprises, marque notamment au cours des

    10 dernires annes par l'intensification du travail et l'mergence de nouveaux modes

    d'organisation du travail favorisant cette intensification (Lasfargues, 2001).

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 43 -

    Les TMS et l'volution du travail la fin du XX me

    Sicle

    Vers la dtrioration des conditions de travail

    Alors qu'il semble convenu de penser que les conditions de travail s'amliorent au fur et

    mesure des progrs techniques et scientifiques, et donc du temps qui passe, on constate

    aujourd'hui que certains risques, et des conditions de travail dangereuses, persistent, en

    mme temps qu'augmentent les contraintes temporelles et organisationnelles (Fondation

    europenne pour l'amlioration des conditions de vie et de travail, 2003a). Globalement,

    les conditions de travail se dtriorent en Europe depuis une dizaine d'annes (Daubas-

    Letourneux & Thbaud-Mony, 2002). L'enqute ESTEV (Derriennic & al., 1996) montre

    une nette progression, entre 1983 et 1993, des caractristiques traditionnelles du travail

    ouvrier, dont la population reste plus expose des conditions de travail pnibles (Gollac

    & Volkoff, 2000). Il faut galement relever que la proportion des travailleurs la chane

    n'a pas diminu globalement, et se trouve mme en augmentation dans certains secteurs,

    dont l'agroalimentaire (Gollac & Volkoff, 1996). La croyance sociale gnralise en une

    disparition progressive du travail la chane dans nos entreprises n'est donc pas fonde.

    Quelques rsultats plus prcis, et en lien avec les TMS, permettent d'illustrer cette

    dgradation gnrale des conditions de travail en France :

    Le pourcentage des salaris travaillant dans une posture pnible a plus que doubl

    entre 1984 et 1998 (figure 1) (Volkoff, 2003).

    0

    10

    20

    30

    40

    1984 1991 1998

    Figure 1 Pourcentages de salaris

    travaillant dans une posture pnible en

    France entre 1984 et 1998 (Volkoff,

    2003).

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 44 -

    En 2000, dans l'UE, 28 % des travailleurs sont touchs par au moins un type de

    TMS (Daubas-Letourneux & Thbaud-Mony, 2002).

    25 % des salaris des pays de l'Union Europenne ont galement dclar tre

    soumis des cadences de travail quasi continment leves.

    Les ouvriers de type industriel sont les plus soumis aux cadences leves et aux

    dlais serrs : les contraintes automatiques (lies un travail cadenc par la vitesse

    automatique des machines), comme les contraintes lies l'existence de normes

    quantitatives de production, s'imposent par exemple plus de la moiti des ouvriers

    de type industriel (Boisard & al., 2002).

    De la mme faon, le pourcentage de travailleurs soumis des cadences leves

    (mais pas ncessairement de manire continue) est pass de 48 en 1990 56 en

    2000 (Fondation europenne pour l'amlioration des conditions de vie et de travail,

    2002).

    Volkoff (2003) montre que la rptitivit du travail pour les ouvriers, qu'ils soient

    des hommes ou des femmes, qualifis ou non qualifis, a nettement augment entre

    1984 et 1998 (figure 2).

    Figure 2 Evolution de la rptitivit pour les ouvriers en France entre 1984 et 1998

    (Volkoff, 2003).

    D'une manire gnrale, le cumul des pnibilits physiques par gnration montre

    que, quelle que soit la priode d'anne de naissance d'une catgorie de salaris,

    quand on la suit long terme tout au long de son parcours de travail, l'volution des

    0

    20

    40

    60

    1984 1998

    %

    Hommes qualifis

    Hommes non qualifis

    Femmes qualifies

    Femmes non qualifies

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 45 -

    caractristiques du travail fait que le nombre moyen de pnibilits physiques

    auxquels ils sont exposs s'accrot au fil du temps (figure 3) (Volkoff, 2003).

    Figure 3 Cumul des pnibilits physiques par gnration (Volkoff, 2003).

    L'volution du travail la fin du XX me sicle : de l'automatisation

    l'intensification du travail

    On retrouve dans la littrature l'identification d'une volution du travail, autour d'un certain

    nombre d'lments, susceptibles d'expliquer, au moins en partie, l'volution de la

    pathologie12

    .

    L'automatisation globale des processus industriels a redistribu les contraintes

    de travail, en diminuant la charge physique globale de travail, mais en localisant les efforts

    au niveau des membres suprieurs et surtout en augmentant la rptitivit des gestes par la

    stricte dpendance du travail aux cadences des machines.

    De nouvelles techniques de travail, et particulirement celles lies

    l'informatisation, sont apparues et ont gagn tous les espaces de travail. Pour les espaces

    dj concerns par l'informatisation, la multiplication des postes a conduit une forte

    spcialisation des travailleurs, qui a entran une exposition plus importante de certains

    travailleurs. Le nombre de personnes concernes par les effets ngatifs du travail

    0

    0,5

    1

    1,5

    2

    2,5

    3

    3,5

    4

    1984 1991 1998

    1979-83

    1974-78

    1969-73

    1959-63

    1949-53

    1939-43

    1929-33

    1919-23

    1979-83

    1974-78

    1969-73

    1929-33

    1919-23

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 46 -

    informatique est aussi devenu beaucoup plus important. L'augmentation du nombre de

    TMS dans le secteur tertiaire en est une illustration marquante.

    L'augmentation du travail temporaire, c'est--dire du travail salari sous la

    forme de contrats dure dtermine (CDD) ou encore de contrats d'intrim, est une autre

    volution importante du travail la fin du XX sicle. Or, on constate dans ces emplois

    une sur-exposition l'ensemble des risques, et notamment aux cadences leves en

    permanence, ainsi qu'aux mouvements rptitifs permanents ; ce sont galement ces

    emplois pour lesquels les individus ont le moins de contrle sur leur cadence de travail et

    pour lesquels ils sont les moins forms (Fondation Europenne pour l'amlioration des

    conditions de vie et de travail, 2002). Ces rsultats suggrent videmment un rle non

    ngligeable de l'volution des statuts des salaris dans l'volution des chiffres concernant

    les TMS.

    L'volution de l'organisation du travail dans les entreprises semble galement

    tre en cause (Gollac & Volkoff, 2000). L'une des consquences des restructurations

    industrielles qui accompagnent souvent les changements organisationnels est la disparition

    des postes "doux" (Bourgeois & al., 2000). La rotation ou le changement de poste n'est

    donc plus forcment la garantie d'une exposition moindre du travailleur.

    L'volution du travail dans la filire viande (Nossent & al., 1995) est une illustration de

    l'impact des changements organisationnels : la disparition des petits abattoirs o les

    oprateurs effectuaient un cycle complet de tches, au profit d'units de production plus

    grandes a conduit une division du travail et une spcialisation des oprateurs (Fondation

    Europenne pour l'amlioration des conditions de vie et de travail, 2002), synonyme la

    plupart du temps de dqualification.13

    12

    Ces facteurs ne sont videmment pas indpendants entre eux. Ces lments intgrent videmment ceux

    prsents prcdemment pour dcrire l'volution progressive vers la reconnaissance de l'origine

    professionnelle de la pathologie. 13

    Volkoff (1995, p. 26) propose une description de ces volutions qui se trouve tre trs significative :

    "l'extension en proportion du travail rptitif sous forte contrainte de temps est sensible dans l'industrie

    agroalimentaire, notamment les abattoirs. Les temps de cycles sont extrmement brefs, de l'ordre de deux ou

    trois secondes, quoi s'ajoutent les effets multiples des rductions d'effectifs qui sont engages (et se

    cumulent) depuis plusieurs annes : moins de postes "protgs" pouvant servir la raffectation des

    travailleurs ayant connu une certaine usure, moins de remplacements possibles, de petites marges de

    manuvre qui taient permises sur certaines chanes, mais au contraire plus d'acclrations (dues en

    particulier aux flux tendus) ; les diffrences d'objets, de modles qui se suivent sur une mme chane font

    qu' un certain moment, puisque le temps imparti reste globalement le mme, des acclrations brutales, trs

    coteuses en termes de sant interviennent, tendance qui est renforce par la monte des exigences de qualit

    et des pratiques d'auto-maintenance sur le poste (sur lesquelles on pourrait, par ailleurs, porter un jugement

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 47 -

    Une autre volution que l'on a pu voir apparatre dans le travail des abattoirs concerne

    l'exigence nouvelle de qualit et la rduction simultane des effectifs (Laville, 1995a).

    La non-prise en compte de la variabilit inter et intra individuelle, de la variabilit des

    produits, des incidents et alas de la production, des oprations non directement

    productives, dans les calculs de temps d'opration et donc dans la dtermination des

    cadences de travail est un facteur classique d'intensit du travail. L'volution du travail, son

    intensification, n'ont fait que creuser le foss : l'oprateur doit rguler la variabilit, dans

    des temps stricts et de plus en plus chargs ; "et il se trouve dans un dilemme : soit assurer

    la qualit et le contrle de son travail, mais au prix d'une acclration de son rythme et au

    risque de couler, soit ngliger cette qualit, mais au risque de sanctions qui peuvent aller

    jusqu' la perte de son emploi" (Laville, 1995a, p. 94-95). Gaudart et Laville (1995)

    prsentent trois tendances concernant l'volution du travail la chane, lies la politique

    globale des entreprises, et allant dans le sens d'une intensification du travail : 1. Une

    limitation de l'automatisation des lignes de production ; seuls les postes les plus pnibles

    physiquement sont automatiss ; 2. Une diminution des temps de cycle ; et 3. Des

    stratgies "zro stock" et "zro dfaut".

    Dans leur rapport pour la Fondation Europenne pour l'Amlioration des Conditions de

    Vie et de Travail, Boisard & al. (2002) montrent que le sentiment gnralis chez les

    salaris de l'intensification du travail (Gollac & Volkoff, 2000) la fin du XX me sicle

    peut tre dcrit et expliqu par le fait que l'on retrouve dans de nombreuses situations de

    travail la prsence simultane de deux types de contraintes : les contraintes industrielles et

    les contraintes marchandes14

    . Les premires sont lies la volont de rguler l'activit

    productive afin de mieux la grer (normes de production, vitesse automatique des

    machines, dplacement automatique des produits). Les contraintes marchandes renvoient

    au souci de s'adapter la demande des clients au sens large. La tension extrme entre ces

    deux types de contrainte illustre l'expression utilise par Hubault (1998) : "Les TMS, un

    qui ne serait pas compltement dfavorable puisque cela pourrait tre la base d'une certaine forme de

    requalification du travail). Dans ce contexte, on peut dceler une relle ambigut quand on aborde un enjeu

    comme celui de la polyvalence, sur laquelle, comme pour l'auto-maintenance, on pourrait porter un jugement

    plutt positif sur le principe, mais qui mene sous contraintes temporelles, est vcue comme une contrainte

    supplmentaire vis--vis de laquelle il vaut presque mieux s'abriter et s'en tenir un poste simple".

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 48 -

    symptme de rigidit dans une organisation la recherche de souplesse". Cette tension se

    traduit dans les situations de travail par des interruptions frquentes non prvues du travail,

    du fait que "l'organisation marchande favorise la survenue d'interruptions et l'organisation

    industrielle ne permet pas leur intgration dans le cours normal du travail " (Boisard & al.,

    2002, p. 70). L'tude de Boisard & al. (2002), montre que les interruptions sont aussi

    associes un accroissement net et significatif de tous les risques de maladies

    professionnelles, qu'il s'agisse de troubles physiques et/ou psychiques15

    .

    L'intensification du travail n'est pas ncessairement lie l'augmentation du nombre de

    tches effectuer par le travailleur : il est plus difficile de ne rien avoir faire que d'en

    avoir trop faire (Clot, 2001a). Pour le dire autrement, augmenter le nombre de tches d'un

    travailleur en augmentant ses capacits d'action, ne doit pas tre peru comme une

    volution ngative de l'intensit de son travail. Au contraire, cela permet parfois des

    travailleurs de se voir attribuer des fonctions qui les sortent de la simple excution, et

    constituent une lvation de leur qualification.

    Pour De Coninck (2001), l'lvation de la qualification du travail, emploi constant,

    semble tre une tendance majeure actuellement. Nous rejoignons l'auteur sur ce point,

    mme si cette volution mrite chaque intervention d'tre rinterroge : on demande de

    plus en plus aux travailleurs de faire de la qualit. Ceci implique souvent de nouvelles

    connaissances, des contrles sur le travail effectu et des habilets nouvelles, qui vont dans

    le sens d'un accroissement des responsabilits des travailleurs. Selon ce mme auteur, cette

    demande de plus de responsabilisation pose deux questions, qui, selon les rponses

    apportes, impliquent ou non une intensification du travail : la premire question est celle

    des moyens de cette responsabilisation ; la seconde est celle de la prescription de la

    nouvelle forme de subjectivit du travail qu'elle sous-tend. Les moyens de la

    responsabilisation concernent deux aspects : la nature de la dlgation et la faon dont elle

    est perue - autrement dit, s'il s'agit d'une dlgation "poubelle", ou non -, et la

    14

    Nous voquerons ici des mcanismes explicatifs de l'intensification du travail. Nous verrons plus loin la

    faon dont cette intensification peut se traduire de manire plus prcise en abordant les facteurs

    psychosociaux et organisationnels lis la survenue des TMS. 15

    Les auteurs notent galement que le caractre perturbant de ces interruptions est particulirement ressenti

    par les ouvriers de type industriel. C'est pour ces ouvriers-l aussi que les pourcentages relevs des

    diffrentes causes d'interruption sont les plus partags. Ceci signifie que les sources d'interruptions sont plus

    diversifies pour les ouvriers de type industriel.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 49 -

    rmunration qui dit plus grande qualification dit salaire plus lev ! La question de la

    subjectivit nouvelle demande au travailleur est peut-tre plus difficile. Le modle ancien

    valorisait le travailleur discret, calme, introverti et mesur. Il faut maintenant innover, tre

    l'coute des autres, communiquer, proposer, etc. Les oprateurs qui ne rentrent pas dans

    ce nouveau modle du "bon travailleur" se heurtent alors soit l'exclusion, soit la

    marginalisation, soit des exigences subjectives extrmement leves.

    La question de l'intensification du travail doit donc tre pose de manire

    diffrencie, selon les travailleurs, selon leur place dans l'organisation, selon le

    secteur d'activit concern et selon la manire dont on accompagne les volutions.

    Automatisation, apparition de nouvelles techniques, volution des organisations du travail,

    prvention efficace d'autres pathologies, volution des reprsentations sociales de ce qui

    est tolrable au travail, augmentation du travail temporaire, intensification du travail sont

    autant d'lments mis en avant par la littrature pour dcrire l'volution du travail la fin

    du XX me sicle. Mme si De Coninck (2001) nous invite analyser de manire critique

    et diffrencie ces volutions, il n'en reste pas moins vrai que pour un certain nombre de

    travailleurs, notamment ceux qui sont sur une chane, ces volutions apparaissent

    essentiellement ngatives. Force est de constater, au moins pour ces travailleurs-l, que le

    "progrs technique et technologique" n'est pas orient vers l'amlioration des conditions de

    travail : "on ne peut pas compter sur l'volution naturelle des techniques et de

    l'organisation du travail pour rsoudre ces problmes" (Volkoff, 1995, p. 26). Le secteur

    industriel est particulirement concern. Le travail la chane y est une forme

    d'organisation du travail qui runit de nombreuses contraintes.

    Les racines du travail la chane et le travail ouvrier de type

    industriel

    Le travail la chane, qui repose sur la division du travail en oprations lmentaires

    successives, concerne un pourcentage de travailleurs de plus en plus lev,

    particulirement dans le secteur industriel (figure 4) (Volkoff, 2003)16

    . Abisou (1993)

    16

    Du fait de la diminution globale des effectifs industriels, le nombre total des salaris reste peu prs

    quivalent, malgr la nette progression des pourcentages.

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 50 -

    montre que cette tendance est encore plus forte dans le secteur des industries de la viande :

    par exemple, en 1984, 17,1 % des travailleurs de l'industrie de la viande taient soumis

    un travail rptitif avec un temps de cycle infrieur une minute. En 1991, ils taient

    37.8 %. Les enjeux qui ont conduit cette forme d'organisation du travail mritent donc

    d'tre repris.

    Figure 4 Pourcentages de salaris travaillant la chane en France, dans l'industrie

    (Volkoff, 2003).

    Taylorisme, Fordisme et travail la chane

    Il n'est plus original maintenant de dnoncer les mfaits du taylorisme, ou plus justement,

    de dnoncer la faon dont les entreprises ont mis en application dans leurs ateliers des

    principes que l'on attribue aujourd'hui systmatiquement, presque par coutume ou tradition,

    le plus souvent F. W. Taylor (1856-1915). Face des drives malheureuses et

    contemporaines, cet ingnieur amricain de la fin du XIX me sicle est accus, alors que

    ses propositions datent de plus de 100 ans Le procs classique adress au taylorisme

    devrait davantage cibler les successeurs de Taylor, qui n'ont pas su faire voluer

    l'Organisation Scientifique du Travail avec les connaissances et les acquis des sciences et

    des techniques du XX sicle (Montmollin, 1980). L'tat des connaissances disponibles

    l'poque de Taylor et les diffrentes orientations de dpart de son travail ne sont que trs

    rarement repris pour voquer son uvre, dont on ne regarde finalement aujourd'hui que les

    crits les plus radicaux. Nous souhaiterions donc tout d'abord, proposer rapidement

    quelques lments d'une approche critique de l'uvre de Taylor, afin de la resituer dans

    son temps, et d'en souligner, aprs d'autres (Zarifian, 1990 ; Hatchuel, 1994), le caractre

    multiforme originel et sa radicalisation progressive.

    0

    2

    4

    6

    8

    10

    1984 1991 1998

  • Partie 1 - Les TMS et le travail la fin du XX me sicle

    - 51 -

    La naissance des dbats sur l'organisation du travail tels que nous les connaissons

    aujourd'hui remonte la seconde rvolution industrielle, dans les annes 1870-80. Jusque-

    l, peu de choses avaient t crites (Pillon & Vatin, 2003). Lorsque l'ingnieur Taylor

    doit, par ncessit, s'y pencher, les connaissances disponibles ne sont pas adaptes aux

    nouvelles problmatiques de production auxquelles, lui, est confront.

    La naissance de la pense taylorienne s'est faite partir d'une contradiction repre par

    l'ingnieur entre un systme de rmunration traditionnel, la pice, et un processus

    technique d'une spcificit et d'une nature nouvelles, pour lequel il devient impossible de

    distinguer ce qui, dans la production ralise, relve du travail de la machine et ce qui

    relve du travail de l'oprateur (Hatchuel, 1994). C'est la gnralisation de cette

    problmatique qui a conduit Taylor dcontextualiser, "avec plus ou moins de pertinence,

    des problmes spcifiques la mcanique" (Hatchuel, 1994, p. 55), ou, plus justement, la

    mcanisation. Avec Hatchuel (1994), on peut distinguer trois types de discours dans les

    premires uvres de Taylor : "celui de l'expert en mcanique, qui analyse en fin

    connaisseur et avec une pertinence indiscutable les ateliers de machines-outils []. Vient

    ensuite le discours du thoricien, qui relativise aussitt, selon les contextes industriels, la

    porte des propositions de l'expert, qui sait aussi que les enjeux d'un effort de

    rationalisation ne peuvent porter sur le seul "travail humain" et qu'il faudra souvent

    remettre en cause les connaissances techniques disponibles17

    . [] Le troisime type de

    dis