josé lafleur-tighe paul et virginie ta the faculty of...

114
José Lafleur-Tighe "L'expression stylistique du thème de la nature dans Paul et Virginie" A thesis submi tted ta the Faculty of Grad:uate Studies and Research in partial fulfilment of the requirements for the Degree of Master of Arts. Département de Français - M. A. J1me 1969 @ José Laf1eur-Tighe 1970

Upload: vodiep

Post on 14-Sep-2018

219 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

José Lafleur-Tighe

"L'expression stylistique du thème de la nature dans

Paul et Virginie"

A thesis submi tted ta the Faculty of Grad:uate Studies and Research in partial fulfilment of the requirements for the Degree of Master of Arts.

Département de Français - M. A.

J1me 1969

@ José Laf1eur-Tighe 1970

José Lafleur-Tighe M.A. FRENCH DEP ARTMENT

ABSTRACT

Cette thèse se propose d'~tudier le thème de la nature en

rapport avec les personnages dans Paul et Virginie, à l'aide

des techniques de la stylistique.

Elle se compose de trois parties :

La première,divis~e en quatre chapitres, analyse les

principaux aspects du vocabulaire se rapportant à la nature et

aux personnages.

La seconde, comprenant trois chapitres, ~tudie la manière

dont l'auteur caract~rise la nature à l'aide du matériel grammatical.

~ ,Enfin, la troisième partie, en trois chapitres, s'attache

à ~r comment l'auteur a Il composé" sa nature et ses person­

sages, sur le plan de la phrase.

L'expression stylistique du thème de la nature dans

"Paul et Virginie JI

José Lafleur-Tighe

Avertissement

Je vais tenter, à travers cette étude stylist.ique, de

cerner les mérites et les limites de Paul et Virginie.

-1-

Je n'ai voulu y voir ni un "plaidoyer en faveur de Dieu",

ni une 'ïmage, d'Epinal" ; simplement une histoire d'amour, mais

reliée à travers les saisons et le paysage aux forces élémentaires

de la nature. On a tour à tour surestimé et sous-estimé cette

oeuvre, mais depuis les commentaires éclairés de critiques comme

MM. Lanson, Trahard et Fabre, elle tend à retrouver sa véritable

place dans l'histoire littéraire. Ce modeste travail vise,lui

aussi,à rendre à Bernardin ce qui lui est dft.

Enfin, je tiens à remercier ici M. Fur 1 an , mon directeur

de thèse, dont l'aide m'a été si précieuse au cours de mon travail.

Londres, mai 1969

-2-

Bernardin de Saint-Pierre ••• Voilà un écrivain qui semble

se détacher tout à fait du passé. Que peut-il y avoir de commun

entre Paul et Virginie et les Liaisons dang~~~~~, sinon que ces

deux oeuvres reflètent en même temps qeux aspects de la sensibilité

de leurs contemporains. Oui, Bernardin s'oppose à Laclos, à Voltaire,

au marquis de Sade et se rapproche de Rousseau, mais en ce qui le

rattache aux Romantiques.

De même, jamais caractère d'écrivain n'a semblé plus en

contradiction avec son oeuvre : faux patriarche, philosophe naïf

et ridicule, romancier larmoyant, savant prétentieux, il nous semble

bien le Greuze du roman. Comme ce dernier, il est né en 1737.

Tout jeune, il verse déjà dans la sensiblerie et s'exalte en lisant

lA vie des Saints et ~obinson Crusoé. A douze ans, il s'embarque

pour la Martinique dont il reviendra déçu. Après s'être fait

)< attribut un diplÔme d'ingénieur à Versailles, en 1759, il s'engage

dans une série de voyages qui l'entraîneront touD à tour en

Allemagne, à Malte, en Hollande, en Russie et en Pologne. Pourtant,

c'est son voyage à l'Ile de France qui influencera le plus fortement

son oeuvre.

Il peindra cette colonie sous des couleurs aimables et

l'idéalisera dans son Voyage à l'Ile de France, pour les besoins

de sa cause. Car il a une cause, et une philosophie qui se définit

-3-

de plus en plus depuis sa rencontre capitale avec Jean-Jacques

Rousseau, en 1772. C'est ce dernier qui a allumé en Bernardin le

"feu sacré". Au cours de leurs promenades autour de PAnis, le

disciple se formera à la pensée du Maitre et la transposera dans

ses Etudes de la Nature. Là, Bernardin reprendra la célèbre parole

de Descartes pour s'écrier: "Je sens donc je suisn. La sensation

est physique, le sentiment, moral: c'est lui qui, non seulement

se confond avec la vertu, mais mène à la vérité. Le sentiment,

dit-il, est l'expression des lois naturelles et par lui seul,

l'homme découvre les harmonies qui gouvernent le monde. C'était

là une méthode où l'influence de Rousseau transparaissait, mais

qui n'en demeurait pas moins hasardeuse, puisqu'elle permettait

d<!introduire des éléments subjectifs dans la recherche scientifique.

Sa théorie des causes finales achèvera de la ridiculiser dans les

Harmonies de la Nature. Si le disciple défigure la pensée du

Maitre, il exprime à merveille le sentiment de la nature qu'avait

introduit Rousseau dans la littérature.

En effet, parait en 1788, Paul et Virginie. Ce petit livre

est le résultat d'un vieux rêve social de Bernardin. L'Ile de

France, c'est le paradis où vivent deux familles heureuses dans

l'innocence et la vertu.Le roman tient à la fois de la pastorale

et de l'idylle; Paul et Virginie sont des ignorants, ne connaissant

que les' lois de la nature jusqu'au jour où Virginie sera initiée

malgré elle à la culture européenne, et brisera l'enchantement de

l'Eden.

-4-

Paul et Virginie répond aussi à un rêve moral. Et c'est

dommage parce que cette préoccupation morale va obséder de plus

en plus l'auteur. L'êxotisme n'est plus celui du Voyage à l11le

de France, gratuit et abondant, mais se subordonne à un dessein.

Nous ne le croyons pas moins fort, moins insistant pour autant,

car l'histoire d'amour de ces deux enfants est reliée au grand

rythme de la nature.

Ce thème de la nature ne nous appara1t donc plus comme un

accessoire utile, mais comme un personnage du roman au même titre

que Paul et Virginie, et même plus intéressant qu'eux parce que

plus complexe et plus dynamique. En effet, le visage de la nature

est multiple : tantôt accueillant, tantOt fermé, il change selon

le temps, selon les personnages.

Une approche stylistique nous a semblé particulièrement

propre à saisir ce thème de la nature en relation avec les person­

nages :dans la première partie, consacrée au vocabulaire, j'examinerai

dans quelle mesure ce roman relève de la pastorale; s'il est

vraiment aussi exotique qu'on nous l'a l~issé croire, ou si, au

contraire, ce n'est pas grâce aux artifices du style que nous avons

l'impression d'être dans un autre univers.

La deuxième essaiera de découvrir quelle est la tlpersonnalité"

de cette nature à travers l'étude du matériel grammatical: comment

-5-

l'article et les temps verbaux indiquent tour à tour son indivi­

dualité et sa dépendance vis-à-vis de l'homme. L'analyse des

procédés picturaux tels que la phrase nominale, la métaphore et

la comparaison, découvrira ensuite la "physionomie" de la nature.

Enfin, la troisième partie s'attardera aux passages les plus

significatifs de l'oeuvre sur le plan de la composition et de la

phrase; comment l'auteur élabore son dessin, sa peinture, et sa

narration descriptive.

Certes, cette étude ne prétend pas épuiser toutes les

ressources de Paul et Virginie, mais vise à éveiller un nouvel

intérêt pour ce roman dont on a injustement exagéré les défauts

et les qualités.

-6-

Première partie

Le vocabulaire

-7-

Chapitre l Le vocabulaire de la pastorale

~,

Il serait ~aux de prétendre qu'avant la Nouvelle Hélo~se

on n'aimait pas la nature en France. Certes, on l'aime, mais

rustique. Le sentiment de la nature sauvage est considéré demme

de mauvais go~t et l'on pré~ère les bergers de Fontenelle à ceux

de Théocrite. Puis, on se lasse de ces gentilhommes déguisés en -

campagnards, et l'on s'engoue des Idylles et de la Mort d'Abel

de Gessner. Sa nature semble au public plus vraie et plus réelle,

bien qu'elle soit e~~ectivement une métaphore apprise par coeur,

et que sa réalité rustique soit celle d'un petit Trianon.

L'auteur suisse-allemand est bientÔt imité en France par

Bernardin, Florian, Chénier et Berquin dans son Ami des Enfants.

Florian, dans son Essai sur la pastorale qui précède Estelle,

établit les principes de la pastorale que nous retrouvons chez

Bernardin; d'une part, tout doit se toucher dans la pastorale,

nous dit Florian. Les bergers ne doivent guère quitter leurs

vallons et leurs bois. Le monde finit pour eux où doit ~inir leur

village. :~::Enfin, le style prosaïque doit être à la fois simple

parce que l'auteur raconte, naïf, parce qu'il décrit des person­

nages, et noble pour inspirer la vertu. Mais la ressemblance entre

Estelle et Paul et Virginie s'arrête là ; cette dernière oeuvre

appartient sans doute à une tradition pastorale qui remonte à

l'Antiquité, mais il ~aut toujours se rappeler qu'elle fut d'abord

une oeuvre "sans emploi".

-8-

Elle appartint presque au Voyage à l'Ile de France, mais

l'insuccès de ce livre fit changer l'auteur d'idée. Puis, il

pensa l'insérer dans l'Arcadie; Paul et Virginie y ~ trouvé

sa place, mais travesti dans le goftt antique. De simple récit de

voyage, l'oeuvre se haussait donc au niveau de la pastor~le.

Il ne lui restait plus qüà s'élever d'un échelon pour accéder à

la dignité philosophique. C'est ce qui lui arrive lorsqu'elle est

publiée dans les Etudes de la Nature. Bernardin a cinquante ans.

Ainsi cette pastorale n'est qu'un cadre commode pour exprimer

un vieux rêve social qui consistait à fonder une république où

revivrait l'~ge d'or quand les hommes vivaient en harmonie avec

la nature. Paul et Virginie, ayant passé de récit de voyage à

une pastorale pour devenir enfin un roman philosophique, a été

marqué par ces trois genres: ce qui nous intéresse ici c'est de

savoir dans quelle mesure elle appartient à la pastorale sur le

plan du vocabulaire.

La mode de c:e genre convenait à Bernardin comme les conventions

de la tragédie à Racine. Paul et Virginie est bien autre chose

que l'expression de la sentimentalité de l'~ge néo-classique, un

composé de conte moral et pastoral, le tout situé dans un décor

exotique. La nature chez Bernardin est avant tout l'incarnation

du rêve, d'une autre vie et du monde de la facilité. Le rave est

si beau qu'on finit par ne plus croire à la réalité et qu'on ne

peut plus accepter le réel. C'est en quoi la nature ~

notre pastorale est bucolique. Tout exotique qu'elle est, elle

-9-

n'en est pas moins aussi accueillante et exubérante que celle

de Théocrite dans les Thalysies. ~'homme aime à se reposer au sein

de cette nature, à s'unir au chant heureux des cigales et des

grenouilles vertes sous le soleil. Si des poires et des pommes

roulent en abondance aux pieds des voyageurs de Théocrite, si les

rameaux chargés de prunes s'affai:sent jusqu'à terre, les plantes

de l'Ile de France n'ont rien à leur envier avec leurs "raquettes

chargées de fleurs", leurs "grappes de cocos" et leurs "longues

courtines de verdure".

Le cadre de Paul et Virginie est, comme celui de Daphnis et

Chloé, une 11e\ là, la poésie peut retrouver son climat de rêve

et de nostalgie d'un bonheur perdu.Jean Fabre a dit que l'Ile de

France est à la fois "lointaine et familière ( ••• ), secrète mais

non farouche et promise à la culture comme le jardin de l'Eden;

étrange mais peuplée IId'habitations" et divisées "en quartiers" ;

excessive et tragique, mystérieuse et hostile, mais parfois infi­

niment douce" (1). Les familles habitent un bassin protégé par de

grands rochers, en milieu clos comme le voulait Florian. Leur

univers, à eux aussi, finit au-delà de ce bassin. Ce sera pour

avoir brisé son enchantement que Virginie périra. Les bergers et

bergères des pastorales vivent dans un univers privilégié qu'ils

ne doivent pas quitter s'ils veulent garder intact leur bonheur

idyllique.

-10-

les arbres, les fleurs et les. fruits, C'est une végétation amie

qui offre substance, refuge et plaisir. L'homme s'unit étroitement

à cette nature, et s'il cultive un jardin, il ne s'écarte jamais

de ses plans. L'art et la nature s'entremêlent si bien qu'on ne sait

plus distinguer l'un de l'autre. Cependant, le labyrinthe de Paul

est fort à la mode en cette fin de siècle et les parcs se paraient

alors de petits temples, de fausses ruines à l'antique. Aussi le

rocher de la Découverte de l'Amitié, le Cercle de la concorde, les

noms de Pleurs essuyés, Bretagne, Angola et Fouillepointe répondent­

ils au go~t du jour. Les inscriptions latines sont aussi très

prisées; c'est la "voix humaine" qui "sort de la pierre" pour

édifier les générations futures. Le vieillard inscrit sur les

arbres de Paul des vers d'Horace et de Virgile, comme Rousseau des

vers de Pétrarque et du Tasse dans la Nouvelle Héloïse.

Parfois même, la nature se met dans le go~t des salons

Louis XVI. L'herbe est "fine", et les lianes du Repos sont semblables

à des draperies flottantes qui forment de~_;grandes courtines de

verdure Cp. 1;17). Les I/bosquets de palmistes élèvent ça et là

leurs colonnes nues C ••• ) surmontées à leurs sommets dlun bouquet

de palmesl/."Des odeurs aromatiques sortent de la plupart de ces

arbres" Cp. 171). La nature vraiment ne saurait être plus aimable

qui va jusqu'à se plier à la mode. Les animaux dans un tel décor ne

sauraient être sauvages. Nous avons quelques oiseaux habitués des

pastorales comme la frégate, l'alouette, le corbigeau, et, pour que

le tableau soit complet, l'inévitable troupeau de chèvres CP. 118-119)

-11-

Quant au climat, il est lui aussi bucolique, donc propice à l'union

de l'homme et de la nature. Le d~cor des pantomimes est celui de

la forêt au soleil couchant. "Le lieu de la scène était pour

l'ordinaire au carrefour d'une forêt dont les percées formaient

autour de nous plusieurs arcades de feuillage ••• mais quand le

soleil était descendu à l'horizon, ses rayons ••• " De plus, la nuit

est si douce qu'elle permet aux deux familles de dormir en plein

air: "la puret~ de l'air et la douceur du climat nous permettaient

de dormir sous un ajoupa au milieu des bois" Cp. 126-127). C'est

aussi dehors qu'elles prennent leur repas, sauf pendant la saison

des pluies: "combien de fois, à l'ombre de ces rochers ai-je

partagé avec elles vos repas champêtres" Cp. 119).

La vie de ces gens est donc réglée en tous points sur celle

de la nature : "Dès que le chant du COq annonçait le retour de

l'aurore, Virginie se levait C ••• ) bientÔt après, gugnd le soleil

dorait les pitons de cette enceinte, Marguerite et son fils se

rendaient chez madame de la Tourn Cp. 91). Il s'établit donc entre

l'a nature et ses habitants une sorte de connivence secrète, une

correspondance mystérieuse entre cette vie pure et la grande vie

de la nature. Le contact n'est pas gâté par la civilisation et les

connaissances inutiles, semble nous dire l'auteur. Les héros n'ont

ni "horloges, ni almanachs, ni livre de chronologie, d'histoire et

de philosophie". "Les périodes de leur vie se réglaient sur celles

de la nature. Ils connaissaient les heures du jour par l'ombre des

arbres, les saisons par le temps où elles donnaient leurs fleurs

ou leurs fruits" CP. 129).

-12-

Ils se rapprochent des autres personnages de pastorales

dans leur communion avec les animaux. Paul dialogue avec ses

chèvres comme les pasteurs de Théocrite avec les leurs. Après

le départ de Virginie, c'est à ses chèvres et à leurs petits

chevreaux qu'il se confie. "Il disait à ses chèvres et à leurs

petits chevreaux qui le suivaient en balant Que me demandez-vous ?

C ••• ) Il fut au Repos de Virginie et à la vue des oiseaux qui

voltigeaient autour, il s'écria: Pauvres oiseaux ••• " CP. 157). " Virginie appara1t elle aussi avec ses chèvres : Quelquefois elle

y menait pa1tre ses chèvres. Pendant qu'elle préparait des f~omages

avec leur lait, elle se plaisait à leur voir brouter les capillaires

sur les flancs escarpés.de la roche" (p. 119). Son "Repos" est

aussi un sanctuaire d'oiseaux: "Tous s'avançaient à ses pieds

comme des poules" Cp. 119).

De même, le travail et les plaisirs de ces enfants se rap­

prochent de ceux des autres héros de pastorale. Pourtant, le

troupeau de Virginie ne semble pas l'absorber tellement. Sans

doüte, est-ce parce que l'auteur se sert de la pastorale pour

exprimer ses idées: l'accent est mis sur la simplicité de leurs

occupations plutôt que sur ces occupations elles-mames. Virginie

~ène boire son troupeau de chèvres, prépare les repas, ou lave le

linge des deux familles. En aucun cas on ne la voit étudier ou

s'adonner à quelque travail intellectuel. De même Paul nous

appara1t plutôt comme un jardinier que comme un berger. "Il allait

avec lui dans les bois v01sins déraciner de jeunes plants ••• et

-13-

plantait ces arbres ••• il y avait semé des graines ••• " (p. 108-109).

On est aussi surpris de ne pas trouver dans la liste des

plaisirs de ces familles plus de musique. En effet, il n'est pas

question que Paul joue de la flftte ou du pipeau, et il n'y a pas

trace d'aventures amoureuses dans les récits de madame de La Tour.

Au contraire, l'auteur se sert des dist~actions de ses personnages

pour nous inculquer en passant une leçon de morale. Les histoires

sont terrifiantes: "La nuit; venue, ils soupaient à la lueur d'une

lampe ; ensuite, madame de La Tour racontait quelques histoires de

voyageurs égarés la nuit dans les bois de l'Europe infestés de

voleurs, ou le naufrage de quelque vaisseau jeté par la tempête

sur les rochers d'une 11e déserte" (p. 120). On voit que ces

distractions correspondent au goftt du public contemporain qui deman­

dait à un récit d'être d'abord émouvant. On aime pleurer au

XVIIIe siècle, et les lectures religieuses de madame de La four

relèvent de cette tendance à confondre plaisir et vertu "madame

de La Tour lisait publiquement quelque histoire touchante de

l'Ancien ou du Nouveau Testaments" (p. 121) "A cette scène .••

Marguerite ne pouvait s'empêcher de pleurer et ce souvenir confus

de nos maux et de biens nous faisait verser à tous des-_larmes de

douleur et de .ioie" (p. 126). Leur religion est une religion à la

Jean-Jacques Rousseau, qui rappelle celle de la Prefession de foi

du Vicaire Savoyard!!. Les pantomimes, les chants et les danses de

Paul et Virginie ne sont plus pa!ens, mais inspirés d'épisodes

bibliques. Ce n'est plus la gaieté insouciante des pasteups qui

inspire ces divertissements, mais la verve moralisatrice de l'auteur.

-14-

Les personnages perdent donc de leur authenticité, car nous

sentons trop là-dessous la leçon1: "Virginie chantait le bonheur

de la vie champêtre et le malhe~ des gens de mer que l'avarice

porte à naviguer" (p. 124).

Heureusement l'auteur oublie quelquefois sa "mission éduca-

trice" et nous décrit les plaisirs simples de ces gens. Parmi eux,

il y a leurs repas, la plupart du temps pris dehors, et qui cadrent

parfaitement avec le reste de leurs occupations. Ils font quelque­

fois des repas "indiens" agrémentés de quelques "bouteilles de vin

vieux". "D'autres fois, nous nous rendions au bord de la mer ••• nous

y apportions de l'habitation des provisions végétales que nous

joignions à celles de la mer qui nous fournissait en abondance.

Nous pêchions sur ses rivages" (p. 123-124). Les enfants aiment

aussi se baigner; d'ailleurs, Paul nage comme un poisson et

Virginie aime à se plonger dans son bassin pour apaiser ses sens

Cp. 134).

Il est donc normal que dans un tel cadre et avec une telle

vie, nos héros en viennent à éprouver une forme d'amour particulier,

qui est la pure passion des pasteurs. Ensemble, dès le berceau, ils

s'aiment comme frère et soeur. Il n'y a rien de trouble ni de

sensuel dans leur amour, ils sont même trop angéliques, vieillis

dans leur attitude de marpres décoratifs. Leur langage amoureux,

si discret soit-il, est lui aussi inspiré de la pastorale. L'éveil

de l'amour chez Virginie est finement dépeint par Bernardin.

-15-

Le vocabulaire de la passion emprunte au vocabulaire précieux que

l'on trouve chez Racine.

La traduction physique des agitations du coeur a des réper­

cussions sur toute la personnalité de Virginie qui, jusque là,

s'était contentée de "l'amitié la plus pure" ; "Une langueur

universelle abattait son corps".

Le mot de "mal inconnu" pour décrire l'amour n'a pas de

résonnance morale comme chez Racine, mais a le sens "d'affection"

puisque Virginie ne peut identifier cette passion, Bernardin nous

la décrit par ses symptÔmes. Virginie se sentait "troublée".

La "sérénité" n;~était plus sur son visage, elle fuyait ses jeux

innocents ••• Elle apporte à sa mère son coeur oppressé" (p. 132-134).

Comme dans la pastorale, les amants sont séparés par les

circonstances extérieures, ici par les désirs imprudents de madame

de La Tour. Contrairement aux lois du genre" cependant, notre

histoire finit par une tragédie épouvantable : tout le monde meurt

sauf le vieillard. Nous sommes donc loin de l'heureux mariage

habituel.

Certes, Paul et Virginie est une pastorale dans le sens que

l'on donnait à ce mot vers 1780 : "une églogue dramatique en forme

de nouvelle exemplaire rapprochée de la vie mais dictée par le rêve"

(2). Les dieux palens ont été remplacés par le Dieu chrétien et

ont fait place au panthéisme cher à Chateaubriand, qui dira à

-16-

propos du charme de notre conte qu'il consiste en une certaine

"morale m~lancolique qui brille dans l'ouvrage et qu'on pourrait

comparer à cet ~clat uniforme que la lune r~pand sur une solitude

par~e de fleurs (3)". Et il pourrait aussi conclure ce chapitre

par cette phrase : "enfin cette pastorale ne ressemble ni aux

idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout à fait

aux grandes scènes d'H~siode, d'Homère ou~ la Bible; mais elle

rappelle quelque chose d'ineffable, comme la Parabole du Bon Pasteur,

et l'on sent qu'il n'y a qu'un chr~tien qui ait pu soupirer les

~vangéliques amours de Paul et Virginie" (4).

-17-

Chapitre II Le vocabulaire exotigue

Bernardin s'est longuement interrogé sur l'endroit où il

pourrait installer sa "république" idéale: là où l'entralnaient

ses courses errantes, il cherchait à établir son vieux rêve social.

Il pensa d'abord à la.Martinique qu'il avait visité à douze ans,

puis à la Corse ; lors dé son séjour en Russie, il avait considéré

la possibiité d'établir son rêve sur les bords du lac Aral.

En somme, chaque pays d'Europe où il s'est trouvé fut un candidat

à l'établissement de son monde nouveau. Il en est là, quand, après

des temps difficiles à Paris, il obtient un brevet de "capitaine

ingénieur du roi" pour l'Ile de France. Le 3 mars 1768, il s'embar­

que donc à Lorient et gagne l'lIe où il séjournera deux ans.

Il est profondément déçu: l'endroit est sauvage et aride,

le climat dur, l'isolement total et la population blanche corrompue.

C'est loin d'être l'Eden rêvé, mais qu'importe ••• Pour les besoins

de l'art, l'lIe deviendra un paradis terrestre.

Il la métamorphose dans le Voyage à l'Ile de France, et, à

cet égard, cette oeuvre est la source principale du vocabulaire ,

exotique de Paul et Virginie. En effet, c'est dans le Voyage que

nous trouvons tous les éléments exotiques de notre pastorale

la flore et lafuune s'y retrouvent, mais mUltipliées par dix.

Cette description détaillée est la toile de fond du décor de

Paul et Virginie. Il n'y a rien du point de vue exotique dans

-18-

cette dernière oeuvre qui n'ait été décrit auparavant, sauf

l'épisode où les marchands apportent chez les deux familles les

riches étoffes indiennes.

Cependant, cette flore et cette faune se trouvent être

considérablement réduites dans la pastorale ; car elle se veut

oeuvre d'art, ce qui implique un choix. Bernardin se débanasse

de tout ce qu'il peut et ne garde qu'une vingtaine d'arbres,

une dizaine d'oiseaux et quelques poissons. La description ne

s'attarde jamais, et c'est presque dommage, puisque c'est elle

qui donne du relief à ce conte souvent trop fade. Mentionnons

aussi comme sources second~ires les récits de voyages de l'abbé

de la Caille, surtout sa carte de l'Ile de France revue et corrigée

par Bernardin. Les annalistes du Nouveau Monde lui ont enseigné

à sentir la nature non pas en savant, mais en peintre. Parmi eux,

Hector Saint-John de Crèvecoeur et son idéal de vie saine et pure

ont influencé Bernardin. Enfin, l'Histoire Générale des Voyages de

l'abbé Prévost a fourni des renseignements utiles sur l'Ile Bourbon

et l'Ile de Erance.

Cette nature, Bernardin l'a d'abord vue sur place et ensuite

racontée dans son Voyage à l'Ile de France. Certes, les termes

exotiques abondent dans Paul et Virginie, mais après étude, il

nous appara1t qu'il y a autant de plantes européennes que tropicales.

Cette impression de dépaysement ne viendrait donc pas tant du

vocabulaire que des procédés de l'art. Le seul fait d'avoir nommé

ces plantes et ces animaux, de les avoir sortis de leur anonymat

-19-

consacre Bernardin comme le premier peintre de la nature tropicale.

Ses descriptions ont une pr~cision serrée du détail qui en

révèlent l'origine: elles s'appuient sur la sensation qui nous

est communiquée sans s'être affaiblie. Sans le savoir, Bernardin

a amené une révolution du langage de la nature par son vocabulaire

exotique.

Gustave Lanson a écrit : "Il n'hésitera pas à nommer les

convolvulus, les scolopendres, les champignons, les francolins,

les oies sauvages, les palétuviers, les cocotiers, les calebassiers,

les êtres les plus humbles et les plus vulgaires, les plus étranges

et les plus inconnus du monde végétal et du monde minéral. Aux

épithètes littéraires qui qualifient, il substituera l'~pithète

pittoresque qui montre: il nous fait voir l'ouara rouge et noir

au milieu du "feuillage glauque des palétuviers". (1)

Jusqulà quel point la géographie de l'Ile de France a ~té

inventoriée, c'est ce que nous aimerions examiner dans ce chapitre

quels sont ses montagnes, ses cours d'eau, son climat, le Port-Louis,

et surtout quelles sont sa flore et sa faune.

Bernardin utilise dans son paysage d'introduction (p. 77)

la carte de l'abbé de la Caille, de sorte que nous pouvons le suivre

dans sa description. Il ne se permet qu'une petite erreur; le

Cap Malheureux n'est pas "un peu sur la droite", mais à l'extrémité

nord de l'11e. A part cette faute, le lieu des montagnes et des

-20-

rivières est exact. Bernardin introduit une note pittoresque en

mentionnant le Cap Malheureux et la Baie du Tombeau car ils

évoquent le tragique dénouement ; en réalité, ces noms n'étaient

pas liés à l'histoire de Virginie.

Les montagnes de l'Ile de France apparaissent souvent au cours

du récit: c'est sur la Montagne Longue que nous trouvons les ruines

desœux cabanes et c'est de ce lieu que nous apercevons le Morne de

la Découverte. Les enfants lors de leur course épuisante aboutissent

au Morne de la Rivière Noire ; ils finissent par se retrouver en se

guidant sur la montagne des Trois Mamelles. C'est du sommet du Pouce

que Paul voit partir Virginie : "De ce lieu, on vo~t une grande

partie de l'11e avec ses mornes surmontés de leurs pitons, entre

autres Piterboth et les Trois Mamelles avec leurs vallons remplis

de forêts; puis la pleine mer et l'Ile Bourbon" CP. 155).

Les cours d'eau aussi sont-abondants; la rivière des

Lataniers passe devant l'habitation de madame de La Tour; les

enfants se rendent jusqu'à la rivière Noire et la rivière des

Trois Mamelles, le vieillard habite à la rivière des Caillebasses.

L'emploi de ces noms de montagnes et de rivières n'est pas pour

autant gratuit chez Bernardin; il ne les nomme que parce qu'il

en a besoin pour son récit, et leur pittoresque ajoute une note

exotique à la description. Il n'oubliera pas non plus les environs

de l'1le comme le Coin de Mire et l'1le d'Ambre. Il parle aussi du

port Louis et de ses quartiers le quartier des Pamplemousses,

de la Poudre d'Or, de la Flacque et de Williams.

-21-

Quand Bernardin décrit le climat de l'11e, il le fait en

peintre plutOt qu'en géographe. Ici, il donne même les signes

avant coureurs d'un ouragan: "Cependant ces chaleurs excessives

élevèrent de l'océan des vapeurs qui couvrirent l'1le comme un

vaste parasol ••• de longs sillons de feu sortaient de temps en

temps de leurs pitons embrumés ••• des tonnerres affreux firent

retentir de leurs éclats les bois, les plaines et les vallons •••

des pluies épouvantables, semblables à des cataractes ••• des

torrents écumeux se précipitaient ••• " (p. 135). Bernardin sait --

aussi raconter l'été étouffant: "Un de ces étés ••• C'était vers

la fin de décembre, lorsque le soleil au capricorne échauffe •••

de ses feux verticaux ••• Le vent du sud-est ••• n'y soufflait plus •••

de longs tourbillons fie poussière ••• l'herbe était br~lée ••• " (p.133)

Il n'oublie pas la géographie humaine de l'lIe dont il a

déjà parlé dans le Voyage à l'Ile de France. La population européen­

ne del'11e est composée de blancs tarés, de libertins, de banque­

routiers. Les deux familles de Paul et Virginie repoussent donc

avec dignité les offres d'amitiés des gens riches de l'11e, persuadés

que "les83ns puissants ne recherchent les faibles que pour avoir

complaisants C .•• ). D'un autre cOté, elles n'évitaient pas avec

moins de soin l'accointance des petits habitants pour l'ordinaire

jaloux, médisants et grossiers" (p. 122). On voit que la géographie

humaine n'est pas des plus scientifiques et des plus objectives •••

Toufefois Bernardin a plus de sympathie pour les noirs. Il

faut dire qu'il tient à embellir malgré tout ses personnages, comme

son décor. Ce sont donc les noirs qui relèvent l'humanité de l'lIe.

-22-

C'est aux femmes malabares que revient l'honneur de laver le

cadavre de Virginie, aux négresses de Madagascar et aux Cafres

du Mozambique de déposer autour de Virginie les paniers de fruits

mortuaires.

L'auteur n'a pas pu résister au plaisir de parer son héroine

d'étoffes exotiques. Les marchands déroulent "au milieu de ces

pauvres cabanes" de "superbes basins de Goudelour, des mouchoirs de

Paliacate et de Mazulipatan, des mousselines de Daca, unies, rayées,

brodées, transparentes comme le jour, des baftas de Surate ( ••• ),

des chittes de toutes couleurs ••• des lampas découpés à jour, des

damas •.• des taffetas roses, des satins à pleine main ••• et jusqu'à

des pagnes de Madagascar" (p. 146). Il laisse vagabonder son imagi­

nation et sa verve dans cette description d'étoffe, comme dans ses

énumérations de fleurs exotiques.

Cependant, de tous les éléments qui composent le vocabulaire

exotique, la flore est sans doute celui qui contribue le plus à nous

donner une impression de dépaysement. Nous nous sentons transportés

dans lCunivers des 11es et des Mers du Sud. Ici aussi Bernardin se

réfère à son Voyage à l'Ile de France; de la vie ~rante de ~ cette oeuvre, il ne laisse passer que le nécessaire. 11ême s'il a

la précision du botaniste, il garde l'oeil du peintre.

Devant la flore, nous avons l'impression qu'il s'agit d'un

fouillis végétal. Et pourtant il y a autant de plantes européennes

qu'exotiques utilisées pour créer la végétation.

-23-

Y6yons d'abord la flore tropicale: nous avons le bambou,

le palmiste, le latanier, le badamier, le jague, le jamerose,

l'aloès, le calebassier, le veloutier, le tatamague, l'agathis ;

et cela est sans compter les arbres fruitiers ; les bananiers,

citronniers, orangers tamarins, dattiers, papayers, manguiers,

avocat, gouyavier, cocotiers en plus d'être exotiques, nous

mettent l'eau à la bouche. Bernardin parle aussi de plantes utiles

comme le cotonier, le pied de café, la canne à~cre, le bois

d'ébène, de nomme, de cannelle et d'olive. Du cOté des plantes

européennes, nous avons les capillaires, le scolopendre, les

plantes potagères, l'herbe de baume, le basilic; des pervenches,

du lilas de Perse, des giroflées rouges, des fraises ••• Bernardin

trouvait que la végétation des 1les était moins riante que celle

de l'Europe, ce qui ne laisse d'étonner chez un auteur qui a

introduit l'exotisme dans la littérature française. Mais la

nature ne représente-t-elle pas, comme nous l'avons dit dans le

chapitre sur la pastorale, une évasion et un rêve de liberté?

Au fond, le type de nature qu'il décrit importe peu, puisqu'il

se réfère toujours non pas à la réalité mais à sa vision intérieure.

Il n'est donc pas étonnant de trouver sur l'Ile ici un tapis de

fraisiers, un champ de blé et là une haie de rosiers.

Virginie réalise son rêve lorsqu'elle envoie d'Europe des

semences de violettes, de marguerites, de bassinets, de coquelicots,

de bleuets, de scabieuses, et même de pommiers et d'hêtres pour

que Paul recrée un coin d'Europe sous les Tropiques. Elle pense

qu'il y a "dans les prairies de ce pays de plus belles fleurs que

-24-

dans les nôtres". "Ce sera une grande joie pour moi si vous avez

un jour la satisfaction de voir les pommiers cro1tre auprès de

nos bananiers et des hêtres mêler leurs feuillages à celui de

nos cocotiers, Vous vous croirez dans la Normandie que vous aimez

tant" (p. 163).

Non seulement le décor, mais aussi la manière de vivre de

ces gens achèvent de créer chez le lecteur une impression de

dépaysement : Ainsi, les deux familles sont végétariennes, comme

pour s'accorder avec la douceur de cette nature. Il semble que

Bernardin veuille en quelque sorte les récompenser d'épargner la

vie animale, car nous assistons non pas à un repas frugal, mais

à un festin: "Combien de fois à l'ombre de ces rochers, ai-je

partagé avec elles, vos repas champêtres qui n'avaient coüté la

vie à aucun animal ! des calebasses pleine de lait, des oeufs frais,

des gâteaux de riz sur des feuilles de bananiers, des corbeilles

chargées de patates, de mangues, d'oranges, de grenades, de bananes, fi

d~,àttes, d'ananas ... (p. 119-120). Quelques équivalents européens

àont ajoutés à ces produits exotiques ; des fraises, des pois, des

courges, des concombres et des piments.

Pour ce qui est de la faune, il n'y a guère plus que le singe

qui soit animal des Tropiques. "Deux chèvres élevées près des

enfants et un gros chien qui veillait la nuit au dehors" formaient

"tout le revenu et tout le domestique de ces deux petites métairies"

(p. 87). Il Y a bien à l'autre bout de l'11e quelques "grands

troupeaux de boeufs et de chevaux", mais il n'apparaissent g,ue

fugitivement lors de l'expédition de Paul après la mort de Virginie.

-25-

Les oiseaux eux, sont plus abondants : des Tropiques, nous

avons: l'oiseau blanc des Tropiques, la frégate, les bengalis,

les cardinaux, les perruches, les paille-.en-cul et le coupeur d'eau ;

d'Europe viennent le corbigeau, l'alouette marine, les merles

siffleurs, les perdrix, les pigeons bleus et les éperviers.

La faune marine est, elle aussi, réduite: elle n'est mention­

née que lors de la p~che de Paul avec le vieillard : "Nous pêchions

sur lesrivage des cabots, des polypes, des rougets, des langoustes,

des chevrettes, des crabes, des oursins, des hu1tres, et des

coguillages de toute espèce" Cp. 124).

Un vocabulaire technique approprié aux circonstances complète

le vocabulaire exotique. C'est un géographe qui parle au début du

roman, un ënassëur qui raconte comment Paul se débrouille pour

faire du feu, un navigateur qui voit la mauvaise posture du St-Géran.

Ainsi, il ressort de la narration un caractère d'authenticité.

Nous pouvons suivre sur la carte de l'abbé de la Caille la

description de l'Ile: "Sur le côté oriental de la montagne qui

s'élève derrière le Port-Louis ••• On aperçoit à gauche la montagne

appelée le Morne de la Découverte ••• à droite le chemin qui mène

de Port Louis au quartier des Pamplemousses, On distingue devant soi

sur les bords de la mer, la baie du Tombeau" ~p. 77).

Bernardin utilise un vocabulaire technique quand il narre

comment Paul se sort d'une situation épineuse: il doit mettre le

-26-

feu à un palmiste pour en atteindre le chou comestible. Or,

l'aubier de cet arbre est "si dur qu'il fait rebrousser les meil-

leures haches: et Paul n'a~ait même pas de couteau ••• Il n'avait

point de briguet, et d'ailleurs dans cette 11e couverte de rochers,

je ne crois pas qu'on puisse trouve'r une seule pierre à fusil •••

puis avec le~anchant de cette pierre, il fit une pointe à un autre

morceau de bra'nche également sèche" (p. 99).

Quant au vocabulaire technique du maufrage du Saint-Géran,

il vient d'une explication des termes de la marine que l'auteur

avait donnée dans le Voyage à l'Ile de France. "Le Saint-Géran

parut alors à découvert, avec son pont chargé de monde, ses vergues

et ses mâts de hune amenés sur le tillac, son pavillon en berne,

quatre câbles sur son avant, et un de retenue sur son arrière •••

sa poupe ••• disparaissait jusqu'au couronnement" (p. 199-200).

"Les câbles de son avant rompirent : et comme il n'était plus

retenu que par une seule aussière, il fut jeté sur les rochers à

une demi-encâblure du rivage" (p. 201).

Bernardin n'a donc rien épargné sur le plan du vocabulaire

pour créer une nature exotique,et pourtant nous avons vu en dénom­

brant la flore qu'il y avait autant de plantes européennes que

tropicales; nous nous sommes sentis loin de l'Europe et c'est ce

que l'auteur voulait. Il a donc réussi à créer une nature exotique

grâce à son vocabulaire, mais nous allons voir dans le chapitre sui­

vant qu'il a aussi employé des moyens artistiques~our arriver à ............ _--

son but.

1

-27-

Chapitre III Le vocabulaire pictural

Réduire le vocabulaire à sa dimension exotique, c'est en

avoir une image incomplète. La flore et la faune du Voyage à L'Ile

de France étaient sur ce plan, beaucoup plus élaborées. Paul et

Virginie est d'abord la première peinture de la nature, et celle-ci

aurait pu ~tre aussi bien européenne que tropicale : pour preuve,

Bernardin a longtemps hésité avant de choisir son décor. Il s'est

trouvé que son choix final s'est fixé sur l'Ile de France. Notre

but dans ce chapitre est de découvrir quels sont les moyens qu'il

emploie pour nous donner cette impression d'être devant une nature

vivante et tropicale.

L'auteur exprime peut-être mal ses idées sur "l'état le plus

heureux dans lequel les hommes puissent vivre", ~ais il a su nous

renvoyer les images d'un paradis propice à l'éclosion de ce bonheur.

Lanson a reconnu que : "Du sentiment de la nature introduit par

Rousseau, il nous fait passer à la sensation de la nature, à la

pure sensation sans mélange d'idées ni même de sentiment. De la

poésie, il nous mène à la peinture et il tente une hardie'transpo­

sition d'art: il rend avec les moyens de la littérature, avec des

mots, des effets qui semblaient exiger de la couleur" (1).

Il a observé la nature avec ses cinq sens, mais surtout avec

ses yeux, des yeux de peintre impressionniste. Il a le sens de la

forme et de la perspective, mais surtout des couleurs. Sa palette

est en effet très riche: le rouge et le vert dominent, mais on y .

trouve aussi du violet, du mauve, toute une gamme de demi-teintes

-28-

dont personne n'avait parlé avant lui. Il décrit la lumière, la

position et le rapport des tons dans un coucher de sclail ; avec

la subtilité d'un Monet il analyse tantOt la lumière du couchant,

tantOt celle de la tempête.

En véritable amant de la nature, il a su l'écouter. On est

surpris à la lecture de découvrir tant d'images auditives. Tous les

bruits de la nature y sont: ceux des arbres, du vent, des animaux

et de la mer. Cependant les sensations du toucher, de l'odorat et

du go~t sont trop souvent vagues et ne réussissent pas encore à

s'individualiser.

E~fin, les termes collectifs et les verbes expressifs complè­

tent c~jprocédés a~tistiques pour nous donner une meilleure impres­

sion de la lùxuriance de cette nature.

Des cinq sens, sans doute, est-ce la vue qui domine l'observa­

tion. Ce n'est peut~être pas par hasard que le peintre Vernet fut

l'un des ppemiers à apprécier Paul et Virginie. En effet, on peut

parler à propos du vocabulaire de notre pastorale de dessin, de

couleur et de lumière. Bernardin est même· en avance sur son temps

en ce sens que, chez lui, ce n'es~ pas tant la forme et les dimen­

sions qui comptent, mais les plans, la lumière et la couleur.

Voyons d'abord la forme: elle est vite esquissée et elle

n'existe qu'en rapport avec l'ensemble du tableau. L'habitat des

nAllX f~mnJ.AR Aqr. R;.+."é ~'1 mn :i.e11 "<l '11T1 haf:lsin formé "Dar de grands

-29-

rochers" qui les protègent symbolit[Uement au monde extérieur ;

ces rochers sont escarpés comme des murailles, et des bouquets

d'arbres croissent à "leurs bases dans leurs fentes et jusque sur

leurs cimes ll comme pour mieux isoler Paul et Virginie Cp. 77-79). ,.

'" Le bassin de Paul ressemble à un amphithéâtre de verdure·. Les eaux

qui descendent des roches "disposées en pyramides forment au fond

du vallon ici des fontaines, là de larges miroirs" Cp. 111).

La verdure a aussi ses dessins. : les capillaires rayonnent "en

étoiles", l'herbe de baume est "en forme dé coeur", les lianes sont

des "draperies flottantes"et les fleurs "des courtines de verdure"

(p. 117). A la forme est liée la perspective: "les cabanes sont

situées au milieu d'un bassin; on aperçoit à gauche le Morne de la

Découverte, et au bas de cette montagne le Port Louis, à droite le

quartier des Pamplemousses, et pJJ.us loin une forêt" (p. 77). Dans

la description du bassin de Paul nous apercevons trois plans de

verdure: "Il avait planté au milieu de ce bassin des herbes, puis

des arbres moyens et enfin les grands arbres ••• " (p. 111). L'air

même a quelquefois une dimension verticale : "De long§, tourbillons

de poussière s'élevaient sur les chemins et restaient suspendus en

L' air" Cp. 133).

La palette de Bernardin est certainement l'élément le plus

riche de sa peinture. Il s'est plu à illustrer les couleurs de la

nature et de la lumière tropicales. Bernardin utilise les couleurs

vives pour peindre les fleurs, verdâtres pour les plantes, froides

pour les minéraux, nuancées pour la lumière.

-30-

Des fleurs, il y en a de toutes les couleurs : jaunes fouettées

de rouge, bleues, écarlates, blanches, ~IDmlet foncé; il Y a les

girandoles gris de lin, la giroflée rouge, la scabieuse d'un bleu

mourant à~nd ncir piqueté de blanc ; Bernardin note aussi les

gousses de piment couleur de sang, plus éclatantes que ,le corail et ~.

les melons verts. Les arbres ont des flancs verts et bruns que les

pluies colorent des "couleurs de l'arc en ciel". Des oiseaux opposent

l'éclat de leurs couleurs à la verdure des arbres rembrunie par le

soleil ; les capillaires rayonnent en étoiles vertes et noires, le

scolopendre est comme de longs rubans d'un vert pourpré. Les singes

"se jouent dans leurs sombres rameaux dont ils se détachent par leur

poil gris et verdâtre et leur face toute noire" (p. 172). L'eau même

a une couleur: l'écume est d'un blanc éblouissant et d'étincelles

de feu, les vagues sont noires et profondes.

La peinture de Bernardin s'affirme aussi dans sa description

de la lumière tropicale ; il aime en décrire les nuances, les

répandre sur son paysage, et découper les zones d'ombre. Pour

Bernardin comme pour Monet, la lumière change à chaque heure du

jour ; avec des mots il nous fait voir la différence entre la lumière

aurorale et celle du couchant. La lumière du bassin est paisi~le et

claire comme celle de l'aurore : "un iLC?:u:; doux éclaire le fond de

ce bassin ••• ses rayons en frappent le couronnement dont les pics

s'élevant au-dessus des montagnes paraissent d'or et de pourpre •••

(p. 79).

Le soleil couchant a une luminosité plus glorieuse ses rayons

-31-

"divergeaient dans les ombres de la forêt en longues gerbes lumineu­

~ ••• son disque tout entier paraissait à l'extrémité d'une avenue

et la rendait toute étincelante de lumière ••• Le feuillage des

arbres éclairés en-dessous de ses rayons safranés, brillait des feux

de la topaze et de l'émeraude ••• Leurs troncs paraissaient des

colonnes de bronze antique"(p. 126). Le calme des nuits tropicales

devait lui aussi tenter le pinceau de Bernardin La lune paraissait

"entourée d'un rideau de nuages que ses rayons ..;;;.:;;==::;.::;.:~~--t;,="":::==..1::=";~

Sa lumière se répandait insensiblement ••• pitons d'un vert argenté •••

vaste et sombre horizon ••• " (p. 149-150)

Quant à l'éclairage du naufrage du Saint-Géran, il est

tragique: "de grands cercles noirs ••• obscurité affreuse ••• nuages

épais, sombres, peu élev0s ••• le jour ténébreux ••• lueur olivâtre et

bla.farde ••• " (p. 195)

Les notations auditives s'insèrent toujours au moment propmce

~. dans les descriptions, et cette dimension achève de nous faire croire

'I à la ~u décor oexotique. Bernardin, en observant les bruits

de la nature a commencé par être sensible à son silence ; celui

qu'il y a au pied des cabanes de Paul et Virginie s'oppose "au

.fracas des vagues et au bruit des vents". Ici est le havre de paix

de paix où fleurit le bonheur semble-t-il nous dire : "mais au pied

de ces cabanes, on n'entend plus aucun bruit et on ne voit plus

autour de soi que de grands rochers" (p. 78). C'est un silence

solennel que celui de la nature quand Paul et Virginie sont perdus

"Un pro.fond silence régnait dans ces solitudes et on n'y entendait

-32-

que le bramement des cerfs" (p. 103). Le choix même de bramement

suggère une atmosphère de mélancolie. On dirait que la nature est,

d'une part secrète et immuable et de l'autre maternelle. C~est cette

première part qu'évoque ce silence lorsque les enfants sont perdus.

En d'autr.es endroits ddns le roman, nous avons noté des bruits

de la nature qui correspondaient aussi aux états d'âme des héros.

Après la tempête, Il semblé qu'il n'y ait d'autres chants d'oiseaux

que ceux de quelques "bengalis déplorant la perte de leurs petits"

(p. 136) ; au coeur de l'été brfHant, on n'entend que les "tristes

mugissements des troupeaux" (p. 133). Pourtant les bruits d'une

nature heureuse sont plus nombreux : Bernardin mentionne le gazouil­

lement des insectes, les échos de la montagne, le bruit des vents,

le murmure des palmistes et des fontaines ; les eaux de la rivière

assourdissent "comme les ..§.Ql!2 de cloche d'une cath~drale" (p. 173).

A ces bruits joyeux, l'auteur oppose les murmures menaçants de la

mer : "L'horrible fracas" (p. 174) des vagues écumantes et mugis­

santes, annonce déjà les "tonneT'T'es affreux" du naufrage du Saint­

Géran et préfigurent le sinistre mugissement de la mer : "Chaque

lame roulait les cailloux avec un bruit rauque et affreux"(p. 200).

La mer, chez E~rnardin est un thème qui s'oppose à l'1le paradisia­

que: elle n'est jamais un élément paisible en harmonie avec le

reste du paysage, mais toujours hostile et menaçant.

Les images tactiles deviennent rares ; nous remarquons la

pureté de liair, la fra1cheur de l'air, ou encore l'air étouffant

-33-

Bernardin parle d'un sol et des eaux brftlantes, de flancs humides

et son vocabulaire "tactile" est déjà à bout. Il ébauche malgré

tout une image plus complexe quand il mentionne les feuilles

ligneuses et piquantes, des roches glissantes et des cierges

épineux. Il est encore plus avare en ce qui concerne l'odorat et

le goftt ; nous n'avons que de très vagues notations: le plus doux

des parfums, les herbes aromatiques, le parfum des fleurs, son

charmant.p.§rfum et, plus précis le parfum d'orange et l'odeur de

girofle.

Quant au goftt, nous n'avons trouvé que deux expressions s'y

rapportant: la "crème sucrée" et "les sucs les plus agréables".

Les moyens artistiques comme les verbes expressifs et les

termes collectifs constituent un excellent moyen technique pour

donner une impression de prolifération et de densité. Les verbes

expressifs, par exemple donnent l'image d'un fouillis végétal,

d'une nature plus exhubérante que celle de l'Europe: ainsi nous

avons "l'agathis ou pendent tout autour des longues grappes •••

le lilas de Perse ~li élève droit en l'air ses girandoles ••• les

cierges épineux semblaient vouloir atteindre aux longues lianes qui

pendaient ••• " (p. 109-110). Bernardin reprend le même vocabulaire

quand il décrit le décor du "Repos de Virginie" (p. 110) :"Les

cocotiers entrelaçaient leurs palmes et laissaient pendre leurs

jeunes grappes ••• rayonnaient en larges capillaires et flottaient

des touffes de scolopendres suspendues ••. " Et puis: "des lianes

s'enlaçant d'un arbre à l'autre" (p. 117-118).

-34-

Enfin, les termes collectifs achèvent de projeter l'image

d'une nature luxuriante. Ces termes sont nombreux dans le texte et,

malheureusement ils ne varient pas tellement. La même éxpression

peut être. employée à propos d'objets différents: Bosquet, par

exemple revient à propos d'arbres et de palmistes b<?uquet, à

propos d'arbres et de grappes; grappe, à propos de fleurs et de

cocos. Un peu plus originaux, le paquet de filaments, le labyrinthe

d'arbres de lianes, et de rochers, la raquette de fleurs, le

chapiteau de feuilles ; nous trouvons aussi un bocage de tatamaques,

des touffes de scolopendre, des arcades de fleurs, des courtines de

verdure.

On a vu dans ce chapitre jusqu'à quel point les moyens

artistiques de Bernardin complètent son vocabulaire exotique ; car

il ne s'agit pas tant d'aligner une série infinie de termes exoti­

ques pour créer un paysage tropical, mais bien plutôt d'employer

les procédés techniques qu'offre le vocabulaire pour arriver à

une oeuvre d'art. Bernardin ajuste son vocabulaire aux circonstances i

du récit ; pour la peinture de la nature, il aura le vocabulaire

généreux et luxuriant; quand il parlera de sa lumière, il sera

subtil. Décrit-il ses caractères, il adaptera son vocabulaire, selon

qu'il la veut douce et -accueillante, recueillie au départ de

Virginie, tragique lors du naufrage du Saint-Géran.

-35-

Chapitre IV Le vocabulaire moral

Bernardin aurait eu besoin de génie pour donner à Paul et

Virginie la complexité de Roméo et Juliette. Le sujet de ce conte

moral, c'est aussi l'amour de deux enfants du berceau à latiombe,

:r.y.ais relié à travers le' paysage et les saisons aux forces élémen­

taires de la nature. La faiblesse de Bernardin, c'est d'avoir

utilisé son sujet pour exprimer sa philosophie morale.

Eux aussi illustrent le thème des amants éternels réunis dans

la mort. Leur refus de vivre les préserve de la flétrissure inévita­

ble du temps. A tout instant, la faiblesse de l'idéologie de

Bernardin menace d'étouffer Paul et Virginie. La poésie de leurs

personnages résiste malgré tout et les arrache à la médiocrité des

essais contemporains. Bernardin a réussi à esquisser quelques

"tableaux" de cet amour, dont le plus complet est sans doute la

découverte de ce "mal inconnu" chez Virginie ; à cette occasion

le psychologue dépasse presque le peintre.

De même qu'on ne peut imaginer Juliette sans Roméo, on ne

peut se représenter Virginie sans Paul. Dès leur berceau, leurs

individualités se confondent leurs mères prennent plaisir à

projeter leur amitié sur leurs enfants : "Elles les mettaient ensembl

dans le même bain", les couchaient dans "le même berceau". Souvent

elles les changeaient de lait". Bernardin compare les deux enfants

à deux "bourgeons, chacun détaché du tron'c maternel et greffé sur

le tronc voisin" ; déjà cet attachement qu'ils éprouvent l'un

-36-

pour l'autre revêt un caractère spécial. (Ces deux enfants) "se

remplissaient de sentiments plus tendres que ceux de frère et de

soeur, de fils et de fille". Déjà Bernardin esquisse l'avenir de

leurs relations affectives "leurs mères parlaient de leur mariage •.

de félicité conjugale" (p. 88). Bernardin utilise aussi de jolies

images pour nous donner une impression d'union. Il les compare à

la constellation des gémaux et aux enfants de Léda enclos dans la

même coquille. (p. 90)

Le portrait physique que l'auteur trace des enfants est le

miroir de leur ~me (p. 91-92). Il reflète leur noblesse de caractère,

mais en même temps les transforme en figures désincarnées : modelés

sur les marbres néo-classiques, ils ressemblent à des statues ;

Virginie ne nous donne pas l'impression d'être une enfant de la

nature, mais une demoiselle : "Déjà, à douze ans, sa taille était

plus qu'à demie formé~, de grands cheveux blonds ombrageaient sa t&te

ses yeux bleus et ses lèvres de corail brillaient du plus tendre

éclat sur la fraîcheur de son visage". L'angélisme et la préciosité

de Bernardin transparaissent lorsqu'il décrit l'expression des yeux

de Virginie : "leur Obliquité naturelle vers le ciel leur donnait

une expression d'une sensibilité extr~me et même celle d'une légère

mélancolie". Le personnage de Virginie semble trop précieux. Cette

héroine, symbole de pureté et de noblesse était peut~être la femme

idéale de cette fin de siècle, mais il semble qu'elle perde à nos

yeux en complexité humaine. Ce n'est pas de cette façon qu'aujourd'­

hui, on imaginerait Virginie. Nous l'aimerions plus simple; une

héroine de roman qui préfère la mort plutôt que d'enlever ses

-37-

vêtements quand des circonstances extrêmes l'exigent nous fait

sourire un peu (p. 202). "l'lais elle, le repoussant avec dignité,

détourna de lui savvue ••• et voyant la mort inévitable, posa une

main sur ses habits, l'autre sur son coeur, et levant en haut des

yeux: sereins, parut un ange qui prend son Y2.! vers les cieux". Mais

il était écrit que Virginie devait mourir, car elle ne pouvait

retourner dans cette 11e paradiSiaque après avoir été souillée par

la civilisation. Bernardin la préfère morte, et au fond peu importent

iqescmoj{ens qu'il prend pour la faire dispara1tre. Même après qu'on

l'a découverte sur le rivage, Virginie conserve sa dernière attitude,

comme si le charroiement des vagues ne l'avait pas affectée. "Elle

était à moitié couverte de sable dans l'attitude où nous l'avions vue

périr" (p. 207). Et ici Bernardin a une expression très délicate:

"seulement les p~les violettes de la mort se confondaient sur ses

joues avec les roses de la pudeur".

Le portrait de Paul est peut-être plus réussi parce que moins

affecté~ A part la ressemblance avec le saint qui est décidément

artificielle, il nous appara1t tel qu'on imaginerait un enfant

élevé au sein de la nature. "On voyait se développer en lui le

caractère d'un homme au milieu des gr~ces de l'adolescence. Sa taille

était plus élevée que celle de Virginie, son teint plus rembruni,

son nez plus aquilin". L'auteur insère quelques touches morales

"ses yeux auraient eu un peu de fierté si les longs cils •••• ne leur

avaient donné la plus grande douceur" (p. 92). Paul ressemble plus

à Adam que Virginie à Eve. Pourtant le groupe que forment les deux

enfants est à nouveau tiré du marbre antique, mais revu et corrigé

-38-

par le christianisme : "à leur silence, à la naïveté de leurs

attitudes, on eut cru voir un groupe antique de marbre blanc

représentant quelques-uns des enfants de Niobé ; mais à leurs

regards qui cherchaient à se rencontrer, à leurs sourires rendus

par de plus doux sourires, on les eût pris pour ces enfan~du ciel,

pour ces esprits bienheureux". Lanson commentera ainsi ce passage

ilLe contraste entre ces deux comparaisons n'est pas simplement

du physique au moral, mais de la beauté matérielle à la forme sppri­

tualisée par le rayonnement de l'~me, de l'art palen des grecs à

l'art chrétien des modernes. Ces huit ou dix lignes représentent

l'essence de la théorie esthétique du Génie du Christianisme" (1).

C'est la philosophie morale de Bernardin qui s'exprime dans ces

portraits plutôt que la psychologie des personnages: c'est sans

doute la raison pour laquelle ils manquent de vie à nos yeux.

Heureusement au cours du récit ils parviennent quelquefois à sortir

de leur gangue précieuse pour adopter des attitudes familières.

Ainsi, la naissance de l'amour donne lieu àuune peinture réussie

de ce sentiment et, ce qui est particulier au roman, des répercus­

sions qu'il a sur la nature. L'analyse n'est peut-être pas profonde,

mais elle est finè~

Le sentiment qui unit les deux enfants au seuil de l'adolescen­

ce est plus qu'amical,et, pourtant on ne peut le qualifier d'amoureux

au sens que nous donnons à ce mot. Paul et Virginie sont comme

Adam et Eve: "Au matin de la vie, ils en avaient la fra1cheur ; tels

dans le jardin d'Eden parurent nos premiers parents, lorsque sortant

des mains de Dieu ils se virent, s'approchèrent et conversèrent

d'abord comme frère et soeur" CP. 130). Ils sont trop simples pour

identifier ce senti~ent. Leur amour leur ressemble, innocent et pur.

Faul dit à ïTirginie : "Lorsque je suis fatigué, ta vue me délasse •••

quelque chose que je ne puis dire reste pour moi dans l'air où tu

passes ••• tu ravis tous mes ~ ••• si je te touche du bout des

doigts, tout mon corps !~émit de plaisir". Et Virginie lui répond en

lui donnant "plusieurs baisers" Cp. 131).

Un amour d'une telle force ne pouvait qu'évoluer dans un sens

plus complet et plus profond. Cela ne tarde pas d'arriver chez

Virginie qui se croit bientÔt atteinte IId'un mal inconnu". La

naissance de ce "nouvel" amour donne lieu à une peinture de ce

sentiment (p. 132 à 134). Bernardin n'utilise pas le mot lIamour"

dans sa description pour que nous puissions découvrir progressive~

ment la nature de ce limaI" avec Virginie. Car, en enfant de la

nature, elle ne peut identifier cette nouvelle maladie ; ce mot

de "mal" revient donc avec insistance au cours de la description

"mal inconnu, un mal n'arrive jamais seul ••• symptÔmes de son mal;

l'évolution de son sentiment appara1t aussi brutale" un embarras

subit la saisissait ••• elle était tout à coup gaie sans joie •••

elle a des caprices nouveaux ••• Puis elle se sentait agitée •••

elle se sentait troublée, elle était effrayée ••• la sérénité

n'était plus sur son visage ••• ni le sourire sur ses lèvres".

Elle n'est pas malheureuse pour autant: "elle reste gaie, mais

sans joie ; elle est triste, mais sans chagrin"

-40-

les rapports de Virginie avec son monde familier changent. "Elle

fuyait ses doux travaux ••• ses jeux innocents". Et surtout elle

cherche à cacher son sentiment à ses proches et particulièrement à

Paul, qui lui ne semble pas évoluer au même rythme :. IIElle fuyait

la société ••• elle errait dans les lieux les pilius solitaires, elle

cherchait le repos". Virginie cherche un appui contre elle-même et

c'est vers sa mère que naturellement elle se tourne. Elle lui apporte

"son coeur oppressé, pose sa tête sur le sein maternel, l'inonde de

ses larmes et voudrait confier ses peines".

Ce mal de l'âme a aussi ses manifestations physiques; "une

langueur universelle abattait son corps. Ses beaux yeux se marbraient

de noir,son teint ,jaunissait, ses joues étaient pâles" ... "La pudeur

colore d'un rouge vif ses joues pâles". Bernardin esquisse plus

loin d'autres manifestations physiques de l'amour d~ns le portrait

de Virginie avec les étoffes indiennes: "ses beaux yeux étaient

remplis de mélancolie ; et son coeur agité paruune passion combattue

donnait à son teint une couleur animée, et à sa voix desIDns pleins

d' émotions" Cp. 148).

Autre symptôme de son mal, ses actions sont désordonnées.

"Elle ne trouve ni sommeil ni repos, elle se levait, se rasseyait,

se recouchait •.• Elle allait vers Faul en folâtrant ••• puis tout à

coup ses yeux n'osaient plus se poser sur les siens ••• elle détour­

nait la tête •.• elle fuyait tremblante. Elle pense à l'amitié de

Paul et elle soupire" Cp. 134).

1

-41-

Bernardin voit l'amour en peintre, comme il a vu la nature.

Il n'est peut-être pas un analyste profond des passions humaines,

mais il sait en observer les effets physiques,et surtout les

réfléchir dans la nature. A ce point de vue, il est o~iginal.

La nature, comme une mère, voit d'un oeil favorable la naissance

de cet amour : les oiseaux chantent quand ils voient Virginie.

Paul peut lui dire: "tout est gai autour de toi". L'héro!ne entre­

voit dans l'eau, sur ses bras nus et sur son sein le reflet des

palmiers, epboles des deux enfants : "et ceux-ci entrelaçaient

au-dessus de la tête de Virginie leurs palmes". Elle projette aussi

dans la nature son inquiétude amoureuse: "La nuit même n'apportait

aucun rafraîchissement à l'atmosphère embrasée" ; le sol devient

brftlant, l'air étouffant, les nuits ardentes, les ombrages dangereux,

les eaux plus brftlantes que les soleils d'une zone torride". Aussi

les thèmes qui sy.mbo~la pureté et la blancheur sont-ils entre­

mêlés aux visions de Virginie: "clarté de la lune ••• fontaine •••

source. •• filet d'argent... fraîcheur... couler... baigner" Cp. 134-

135) •

On trouve cette même projection des seRtiments des héros dans

la nature lors de la scène où Paul désespéré regarde disparaître le

vaisseau qui emmène Virginie. Il la voit d'une esplanade "élevée et

escarpée ••• environnée de précipices effroyables; c'est un lieu

sauvage, tcujours battu des vents qui y agitent sans cesse les

sommets des pal.mistes et des tatamaques ••• leur murmure sourd et

mugissant ressemble au bruit lointain des orgues" (p. 155-156).

-42-

A la fin, la nature qui a perdu s~ raison d'~tre souriante

et humaine reprend ses droits "Nul depuis n'a osé cultiver cette

terre désolée, ni relever ces humbles cabanes. Vos chèvres sont

redevenues sauvages ; vos vergers sont détruits ; vos oiseaux enfuis

et on n'entend plus que les cris des éperviers ll Cp. 229).

Trop aisément, on qualifie de fade l'oeuvre de Bernardin.

Il est vrai que son "angélismel/ a failli étouffer les personnages de

Paul et Virginie. L'auteur apporte tout de m~me quelque chose de

nouveau à l'exploration de l'âme humaine quand il décrit les mani­

festations physiques de l'amour et la projection des sentiments sur

la nature. Avant lui, on s'était peu intéressé à ces problèmes,

sauf les Alexandrins que le néo-classicisme était en train de redé­

couvrir. Toutefois, l'analyse morale n'est jamais ap~rofondie chez

Bernardin, et nous le regrettons d'autant plus qu'il a entràvu

l'importance du songe quand les deux femmes racontent au vieillard

leur rêve; lorsque le fantôme de Virginie s'adresse à Paul, elle

lui entrouve les portes de l'au-delà: "Je suis pure et inaltérable

comme une particule de lmmière et vous me rappelez dans la nuit de

la vie! " Cp. 221-222).

-43-

Deuxième partie

Le matériel grammatical

-44-

Chapitre I. La personnalisation de la napure

A l'idylle éternelle et idéale de Paul et Virginie s'entrelace

une autre forme d'idylle reliée à une époqu~, c'est que nos héros

sont deux "enfants de la nature" au sens que Jean-Jacques Rousseau

avait donné à ce mot. L'idée des harmonies de la nature, de la

symbiose de l'homme et du monde, domine le roman. Entre l'homme et

le monde l'accord est si parfait que leurs oeuvres se confondent.

Paul a construit son jardin comme un amphithéâtre de verdure, mais

il ne s'est pas écarté du plan de la nature. Celle-ci appara1t

donc dans le roman comme une présence aussi forte que celle de Dieu.

Elle n'est plus un décor commode pour situer une aventure,

mais un thème du roman, mère et reflet d'un amour. Bernardin a fait

des progres dans l'expression stylistique de la nature, comparé à

ses contemporains. Dire qu'il a réussi à la personnaliser ne serait

pas exagéré ; pour lui, elle est une ·entité vivante : Paul et

Virginie vivent dans un monde où tout leur fait signe, où Dieu et

la nature, chaque fois qu'ils sont en péril, interviennent pour

les sauver. La nature appara1t comme un refuge, une mère et une

complice du trouble amoureux de Virginie. C'est par le:<pecours aux

divers procé§és grammaticaux comme l'article, les temps verbaux et ,/ - ~-'~a métaphore que la personnalité de cette nature est le mieux

exprimée.

-45-

Ainsi son autonomie face à l'homme est bien mise en lumière

par l'emploi de ~'indéfini : il né désigne pas l'espèce, mais un

nombre indéterminé de cette espèce, et actualise un objet pris

dans un ensemble du même ordre. Ainsi "d€S)bouquets d'arbres fl , ne

désigne pas les arbres, ce qui serait abstrait, mais des arbres

que l'on pourrait compter. L'indéfini est aussi utilisé dans les

énumératmmns, et concrétise davantage les composantes de la nature

"Il avait planté encore ~ pépins, ~ noyaux de badamiers" (p. 109)

L'enclos de Paul renferme des plantes potagères, des lisières de

prairies, des champs de riz et de blé" (p. 111). Dans le bassin de

Virginie'''rayonnaient "~ larges capillaires, flottaient des touffes

de scolopendre, croissaient des lisières, pendaient des lianes"

(p. 117). Le défini aurait mis l'accent sur l'espèce dite flcapillaire'

alors que l'indéfini nous montre un nombre indéterminé de représen-..

tants de cette espece.

Les indéfinis au piliuriel et le partitif, en plus d'actualiser,

ont une valeur emphatique. "Des exhalaisons chaudes sortaient du

flanc des montagnes, des vapeurs rousses s'élevaient" (p. 133) •••

illustrent ~vec plus de force la chaleur accablante de l'été et

laissent présager l'ouragan. Ils peuvent aussi nous donner l'impres­

sion que nous avons ài'faire à un fouillis végétal : "des lianes, des

arcades de fleurs, de longues courtines de verdure, de longs rubans •• ''

(p. 117). Paradoxalement le défini au pluriel peut être lui aussi

employé comme moyen de personnification, en entourant les éléments

d'un halo impressif. Ainsi "les eaux qui descendaient" ne désigne

-46-

pas l'eau en tant qu'élément, mais l'eau comme présence au sein

de la nature. "Les soleils de la zone torride", "les reflets des

palmiers, "les parfums" invitent le lecteur à une rêverie concrète.

C'est cependant le possessif qui contribue le plus à person­

naliser la nature ; non seulement celui-ci renforce le caractère

actualisateur de l'indéfini, mais il agit comme déterminant, car

il suggère une appartenance, une figuration réelle ou imaginaire.

En fait, Bernardin l'utilise systématiquement dans ses descriptions.

Nomme-t-il un arbre, aussitÔt il rattache à celui-ci ses composantes

comme les feuilles, les branches et le tronc. Ainsi, dès le début,

les rochers apparaissent avec leur indiridualité. L'auteur parle

de "leurs bases, de leurs fentes, de leurs cimes, de leurs pitons,

de leurs flancs verts et bruns,etc ••• " Cp. 78). Les montagnes et

la ville sommairement décrites auparavant ne composaient qu'une

toile de fond, mais d.es rochers ont une Signification dans l' histoire

de Virginie et de Paul. Ils forment l'enceinte protectrice de ces

familles, le rempart qui les protège du monde extérieur. Ils

constituent le lieu de leur refuge, mais ils sont aussi une clÔture

contre le monde. Bernardin rejoint ici la pensée de Rousseau, en

croyant que le bonheur consiste à ne pas dépasser la zone étroite

d'un bonheur individuel.

Le Saint-Géran s'individualise lui aussi par le possessif;

on se réfère à "~ fanaux allumés, ~ signal, .§.Q.B. pont, ~ vergues

ses mâts de hune, §Qg pavillon, son avant, §Qg arrière, ~ proue,

ses câbles" CP. 199-200).

Cv '..J-

-47-

Le démonstratif réunit, comme le possessif, en même temps

qu'une valeur d'actualisation, une valeur de détermination. C'est

pourquoi nous avons noté quelques uns desses effets dans ce chapitre.

Il complète le possessif en ce sens qu'il détermine lui aussi plus

fortement que l'indéfini, mais il n'en reste pas moins un mode

différent de détermination, donc de pensée; dans lIun de ~ étés ••. "

(p. 133) désigne un été particulièrement ardu et accablant. "~

dangereux ombrages" et "~ eaux plus br1Uantes que les soleils"

1 renforment le caractère personnel de ces éléments.

Si la nature européenne ne nous semble pas aussi providentielle

que celle de Paul et Virginie, c'est que la civilisation a masqué

son vrai visage, pense l'auteur; dans le paradis terrestre, elle

s'accordait parfaitement à l'homme. Elle s'ingéniait alors à répon­

dre à ses désirs et, mieux que cela, elle reflétait ses amours.

Mais hélas, cette nature maternelle est contingente. Elle veut

bien être une mère compréhensive, mais à condition que les hommes

sachent l'écouter: et, pour en être capables il faut qu'ils rede­

viennent purs, délivrés de la corruption européenne. Bernardin

marque bien,~ des temps verbaux la démarcation qui existe

entre cette nature contingente exprimée à l'imparfait et la nature

éternelle suggérée par le présent. L'imparfait, qui a valeur d'éloi­

gnement dans le temps, tend à personnifier en quelque sorte la

nature en rendant ce paradis vraisemblable. Au temps de Virginie,

ces paysages aimables avaient raison de l'être. L'imparfait est

donc employé pour s'attarder sur la description; il s'oppose au

-48-

passé fugitif, comme le défini, pour se rapprocher imperceptiblement

du pr~sent, et transformer le récit en tableau, procédé que repren­

dra Chate~ubriand. La forme pronominale est un autre moyen stylisti­

que par lequel la nature s'inscrit dans un courant animiste qui

permet à la conscience d'intégrer le monde extérieur à sa vie et

à sa durée.

L'imparfait de contingence, qui.. se rattache directement au

présent, semble le temps approprié pour exprimer que ce que l'on

mentionne avait dans le passé un sens, une existence et une raison

d'être. Il est en opposition directe avec le présent atemporel, et

nous renvoie au temps où les familles vivaient heureuses dans leur

paradis. La nature, semble nous dire Bernardin, avait une conscience,

elle était comme la prolongation de l'hoïame. C'est pourquoi l'impar­

fait est le temps adéquat pour exprimer l'harmonie entre l'Homme et

les éléments, parce qu'alors cette correspondance entre les désirs

de l'homme et la nature avait un sens. Aussi le bassin de Paul est­

il l'image de cette harmonie; si le héros a construit son jardin

comme un amphithéâtre de verdure, il n'a pas fait pour autant

violence à la nature. D'ailleurs elle-même s'organise pour protéger

et réjouir ceux qu'elle aime. liCe vaste enclos paraissait de son

centre comme un amphithé~tre de. verdure. Les eaux formaient ici des

fontaines, les ravins formaient des souterrains vo~tés inaccessibles

à la chaleur" (p. 111).

-49-

Le bassin appelé "le Repos de Virginie" est lui aussi évoqué

à l'imparfait parce qu'il n'avait une existence et une continuité

que dans le passé. "Rien n' était plus agréable que ce qu~on appelai~1

(p. 116)~ Nous avons ensuite une série de passés définis événemen­

tiels, suivis d'imparfaits descriptifs qui~riment la conséquence

de faits relatés au passé. Ils peignent une végétation exhubérante,

épanouie et heureuse comme les habitants qu'elle reflete. Les

cocotiers, par exemple ne sont-ils pas symboles des deux enfants

"Ils entrelaçaient leurs palmes" ~p. 116). L'imparfait semble donc

le temps le plus propre à saisir cette vie dans sa durée: " ••. rayon

naient de larges capillaires, croissaient des lisières de pervenches.

exhalaient les plus doux parfums ••• "

L'imparfait des flDeux palmiers qui entrelaçaient leurs rameaux

verts au-dessus de la tête de Virginie" s'oppose aux présents de la

description pour ajouter une autre dimension à la rêverie'de l'héro

ne. Cet imparfait duratif suggère que l'amour des deux enfants,

symbolisés par les palmiers, est plus fort que le moment présent

et qu'il déborde en quelque sorte dans le passé et l'avenir.

L'imparfait descriptif est largement employé en référence à

la nature paradisiaque de l'île. Elle appartient certes au passé,

mais un passé qui ne serait pas classable dans une chronologie.

La nature peut être ainsi fixée enmbleaux qui sortent de la

narration pour nous inviter à la contemplation. "L'ombre des

montagnes couvrait déjà les forêts ••• le vent se calmait ••• un

profond silence régnait ••• ses rayons divergeaient ••• son disque

-50-

tout entier paraissait à l'extr:émité d'une avenue ••• " (p. 103).

L'emploi des imparfaits dans la description de l'été ajoute une

dimension nouvelle : celle de la durée implacable de la violence

de l'été qui s'éternise avec toutes ses conséquences: "Des tourbil­

lons de poussière s'élevaient ••• la terre se fendait ••• " (p. 133).

La forme pronominale concourt à personnaliser la nature en

lui donnant une note d'infériorité. En effet, elle semble douée

parfois d'une volonté et d'une conscience à cause de l'emploi de

cette forme. Nous avons à plusieurs endroits le pronominal "s'élever

"Les pics s'élevaient au-dessus des ombres" (p. 78), "les cierges

épineux s'élevaient sur les têtes noires des roches" (p. 110). Nous

trouvons aussi: "Le vent se calmait" (p. 103), "1a terre se fendait

(p. 133), "des torrents écumeux se nrécipitaient" (p. 134) qui

suggèrent que les êtres et les choses subissent les évènements en

même temps qu'ils les accueillent: la nature nous appara1t alanguie,

disponible et réceptive.

Bernardin se rapproche de la personnification proprement dite

dans son emploi de la métaphore, mais il ne parvient pas à insuffler

à la nature une vie complètement détachée de l'homme, parce qu'il

ne quitte jamais le plan du réel. A l'époque, pourtant, c'était

une révolution stylistique que de transformer ainsi son visage.

Il faut donc replacer l'auteur dans son contexte pour saisir l'im­

portance de ses innovations. Rousseau avait introduit un vocabulaire

qui traduisait l'amour et le go~t de la nature, mais c'est avant

tout lui-même qu'il peignait dans ses descriptions du paysage,

-51-

alors que Bernardin dépasse son maître en communiquant à son décor

une individualité: la nature est une amie de l'homme qui reflète

ses états d'âme. Sur le plan grammatical, nous ressentons ce progrès

par la métaphore, et les verbes expressifs dont les sujets ne sont

pas humains.

Notons parmi cas verbes expressifs : "Les cierges épineux

semblaient vouloir atteindre aux longues lianes ••• Les cocotiers

laissaient pendre leurs jeunes grappes " CP. 110 et 117). "Un de

ces étés vint étendre ici ses ravages" Cp. 133), comme si l'été

était un être doué de volonté et capable de faire écho à l'âme

inquiète de Virginie.

La tempête qui devait engloutir le Saint-Géran est peut.être

la personnification la mieux réussie de Paul et Virginie. Ici la

nature a ce~sé d'être amicale. L'ouragan qui succédait aux chaleurs

de l'été était malgré tout inoffensif et même bienfaisant puisqu'il

rafra1chissait la végétation. La tempête de la fin, c'est la nature

qui retourne à l'état sauvage. "Un tourbillon affreux enleva la

brume ••• Chaque lame qui venait briser sur la côte s'avançait en

mugissant, jusqu'au fond des anses, et y jetait des galets ••• puis

venant à se retirer, elle découvrait une grande partie du rivage dont

elle roulait les cailloux avec un bruit rauque ••• La mer, revenant

sur ses pas, elle le couvrait d'énormes vo-o.tes d'eau ll CP. 199-200).

-52-

Pourtant la nature est avant tout aimable et a quelquefois

des sentiments presqu·humains. "Des arbrisseaux qui se plaisent

dans les roches ••• ". L'impression est encore faible, mais les

animaux dans cette pastorale sont certainement des amis de l'homme.

"Dès qu'elle paraissait, les merles siffleurs, les bengalis ( ••. )

quittaient leurs buissons, des perruches vertes descendaient des

lataniers voisins ••• des perdrix accouraient" (p. 119).

La vision de Bernardin, si elle n'est pas toujours vraie

(par exemple sa théorie des causes finales concernant la nature),

n'en est pas moins utile. Ainsi, sur le plan poétique ses idées

lui ont permis de personnaliser la nature ; sans doute, ses

descriptions sont elles na!ves, mais c'est ce qui fait le charme

de Paul et Virginie; (Quand l'auteur n'adopte pas le ton moralisa­

teur qui va de pair avec sa philosophie). Ce qui compte, c'est que,

grâce à son idéologie, il a su donner vie à ses descriptions de la

nature.

-53-

Chapitre II. Nature contingente et nature éternelle

Il Y a deux types de natures qui coexistent chez Bernardin

d'abord celle qui a gardé son intégrité première, mais tout de

même contingente. Et puis, il y a l'éternelle nature, immuable à

travers le temps. Les lieux des amours de Paul et Virginie n'ont

pas changé, mais ils ont perdu leurs noms avec la disparition de

ceux qui les occupaient. Ils sont retournés à l'état sauvage, tels

en somme, qu'ils ont toujours été, sont et seront. Cette dualité

s'explique par le fait que la nature ne doit son individualité

qu'à la présence de l'homme: Paul et Virginie disparus, son rÔle

maternel n'a plus de sens et elle se retrouve bientÔt telle qu'en

elle-même.

Sur le plan stylistique, nous ressentons d'une part cette

dépendance vis-à-vis de l'homme par l'emploi du pronom indéfini "on",

des comparaisons, et des noms donnés aux endroits de l'habitation

par Paul et Virginie. D'autre part, l'emploi de l'article et du

présent atemporel traduisent ill.'éternité de cette nature, qui,

paradoxalement, n'a plus besoin du regard de l'homme potœ exister.

La fréquence de l'indéfini "on" au cours du récit dénote que

la nature attend l'oeil humain pour commencer d'exister. Certes,

l'auteur s'est dégagé de l'influence de cet indéfini dans sa person­

nalisation, mais nous pouvons imaginer, au dénombrement de ces

pronoms, jusqu'à quel point la description de la nature est encore

-54-

timide. Ainsi le lecteur a l'impression que le Morne de la Découverte

la Baie du Tombeau, la rivière des Lataniers existeraient difficile­

ment s'il n'y avait l'homme pour constater cette présence: "Sur le

cOté oriental, Qg voit dans un jardin ••• On aperçoit ••• Qg distingue

devant soi ••• l'Qg découvre ••• On n'entend plus et Qg ne voit plus •••

Qg voit •• ~ Nous avons dénombré tous ces pronoms dans les seules

pages 77 et 78. La liste serait trop longue si nous les mentionnons

tous. Retenons au passage: "Ces plateaux verts sont autant d'étages

par lesquels .QB parvient •.•• de ce lieu cin voit une grande partie de

l'11e"Cp. 155). Oertains ve~bes ont la même valeur stylistique que c

indléfini "on" : "La rivière passe en ligne droite C •.. ) de sorte

qu'elle me présente C •.. ) des bosquets de palmistes paraissent au­

dp.ssus des autres arbres comme une forêt C •.• ) Il s'y joint des

lianes qui C •.. ) forment des arcades ••• vous les diriez à demi-cou­

verts" CP. 170-172).

Les c'omparaisons, parce qu'elles ne quittent pas le plan du

réel, n'ont pas la même puissance d'évocation que la métaphore qui,

elle, s'ouvre sur l'imaginaire. Elle présupposent qu'il y a toujours

l'homme pour établir le rapport entre l'objet comparé et l'objet

auquel on réfère. Ain.si dans "le coin de J.Vlire ressemble à~un bastion

au milieu des flots" Cp. 77) et les "rochers escarpés comme des

murailles" Cp. 78), nous ressentons bien cette référence à l'homme.

L'auteur use volontiers de comparaisons qui tiennent compte de son

public raffiné de fin de siècle quand il parle de "longues courtines

de verdures~' et de lianes Il semblables à des draperies flottantes"

(p. 117).

-55-

Même les arbres et les pierres se prêtent à des inscriptions

latines pour l'édification de l'homme. Ce rÔle, pourtant ne leur

était d~volu que du temps où les habitants de ces lieux vivaient.

C'est pourquoi le vieillard seD3ppelle toujours ces noms et inscrip­

tions au passé: "Rien n'était plus agréable ••• J'évrivis donc sur

le petit mât de pavillon ••. " (p. 113-11lJ.).

L'homme s'exprime à travers son entourage, et Bernardin a

sans doute raison de dire : "ces familles heureuses étendaient leurs

âmes sensibles à tout ce qui les environnait" (p. 115). On voit donc

à quel point la présence de l'homme marque la nature; cela semble

CO:rltr'P,r:ï:i.J:'P. le thème de la personnalisation, mais nous croyons que

cela le complète, puisque les amours de Paul et Virginie ne sont

imaginables qu'enlacées à l'idylle entre l'homme, la nature et Dieu.

L'homme se pro~ dans la nature, et celle-ci le reflète, parce

qu'elle est une entité vivante.

A cette nature contingente qui n'existe que dans la mesure où

les hommes sont là pour la nommer, s'oppose la nature éternelle qui

se profile derrière le paysage familier de l'Ile de France. Il

existe dans l'esprit de Bernardin une nature lIobjective" et "indé­

pendante", qui est évoquée au cours du récit par les différentes

valeurs stylistiques du présent atemporel, et de l'article.

Le défini abstrait en quelque,sorte ce qui ne fait pas partie

de l'univers quotidien des enfants; par exemple les oiseaux dans

-56-

la description du Renos de Virginie sont symboles du lointain ;

aussi sont-ils désignés par le défini. Ils sont trop peu cohnus

pour être partaitement classés, ils restent donc dans le domaine

du gé~éral. Ils ne sont pas perçus en~nt qu'espèces, et c'est

pourquoi le défini singulier suffit à les nommer : "le corbigeau,

l'alouette marine, la noire frégate, l'oiseau blanc des Tropiques"

(p. 118). Par contre, les animaux qui s'approchent de Virginie et

font partie de son entourage immédiat, sont désignés par l'indéfini

"des perruches vertes ••• des perdrix accouraient" (p.119).

Le défini peut aussi avoir valeur de collectif. Il substitue

alors une synthèse à une analyse,~ groupe en·une unité construite

par l'esprit ce que la réalité présente d'apparences diverses.

Ce collectif apporte la désignation la plus large possible au niveiju

de l'espèce; ainsi Bernardin abstrait les végétaux pour mieux nous

lep faire voir. "il allait déraciner de jeunes plants C .•• ) dont

la tête est d'un si beau vert C .•. ) et g'attiers dont le fruit a

le parfum· de la fleur d'orange. Il y avait semé l'agathis, le lilas

de Ferse •.• " CP. 109).

Le démonstratif à valeur d'éloignement a fonction de donner

une vue d'ensemble sur le paysage: "de sorte que ~ vaste enclos

paraissait de son centre" Cp. 111) ; quelquefois ce démonstratif se

double d'une valeur d'hostilité. Le paysage de l'observatoire de

Paul semble se retirer en lui-même après le départ de Virginie :

"Quoique cette enceinte de rochers paraisse ••• ~ plateaux élevés •••

-57-

ce cÔne de rochers ••• ce rocher ••• cette hauteur ••• ce lieu ••• "

(p. 155).

Le présent atemporel insiste à son tour sur les caractères

éternels de cette nature qui débordent de l'action dramatique de

Paul et Virginie. L'histoire commence par une description faite

au présent, parce que le lieu nous est présenté tel qu'il est, d'une

manière objective "la montagne qui s'élève derrière le Port-Louis ••.

un bassin ( ••• ) qui n{a qu'une seule ouverture sur le nord ••• le

chemin qui mène ••• l'église qui s'élève" (p. 77). Les présents qui

suivent ont presque une charge dramatique, quand on les compare aux

imparfaits descriptifs du reste du récit. I«i , nous avons affaire

au bassin redevenu sauvage, vidé de sa signification: "les échos

de la montagne répètent ••• les plumes peignent ••• un grand silence

règne ••• " (p. 78) ; malgré son indifférence, la nature, dirait-on,

se recueille en souvenir des êtres qui ne sont plus, avant que le

vieillard ne commence son récit.

Les présents traduisent en plus les fonctions indépendantes

ou indifférentes de la nature, en opposition avec ses actions du

temps jadis. Nous avons par exemple ; "les eaux qui descélldènt du

sommet de ces roches formaient au fond des vallons ici des fontaines."

"De cette énorme quantité de pierres qui embarrasse maintenant le ch

min, ( ... ) il avait formé ça et là des pyramides" (p. 111-112).

"Un de ces étés qui désolent ••• vint étendre ici ses ravages. C'était

vers la fin de décembre lorsque le soleil échauffe ••• " (p. 133).

Ces présents, en plus d'avoir une charge dramatique, introduisent

une nouvelle dimension à la description: celle de l'éternité de

-58-

la nature, qui apparaît hostile, comparée à sa complicité du

temps passé.

Après le départ de Virginie, non seulement les présents

s'opposent aux imparfaits, mais ils accaparent complètement la

description. Il semble que la nature se refasse à son image

"Quoique cette eI;l.ceinte paraisse ( ••• ), ces plateaux divisent les

nuages que le sommet du Pouce attire ••• " (p. 155).

Le présent atemporel peut aussi avoir une valeur explicative

qui donne une sorte d'objectivité, de reportage au récit. Cet aspect

s'insère toujours dans le rythme général de la description et ne

retarde jamais l'auteur; "Il allait déraciner de jeunes plants de

tamarins dont la tête est d'un si beau vert ••• L'agathis où pendent

tout autour". (p. 108-109).

Si Bernardin a dépassé ses contemporains et ses prédécesseurs,

comme Diderot, dans sa personnalisation de la nature, en revanche,

il se rapproche de son maître Rousseau quand il utilise la nature

pour s'exprimer. La nature pour Bernardin est, hélàs, trop souvent

une école d'édification, alors que pour Rousseau elle apporte un

refuge contre les hommes. C'est sans doute ce qui éloigne l'un de

notre sensibilité moderne et en rapproche l'autre. Quant à l'ambi­

valence de la nature (personnelle et éternelle) ; nous croyons

qu'elle enrichit la vision de l'auteur, et lui permet une exploita­

tion plus intéressante de ce thème.

-59-

Chapitre III. L'illustration picturale

Le rÔle de Bernardin dans l'illustration picturale de la

nature a été celui d'un novateur et d'un précurseur. Certes, Rousseau

a aimé la nature paSSionnément lui aussi, mais ce qui nous reste

de la nuit d'été près de Lyon des Confessions ou du Lac de Bienne

dans les Rêveries, ce sont beaucoup plus des sensations de bonheur

au sein de la nature que des images. Le paysage chez Rousseau est

beaucoup plus suggéré que décrit. C'est justement parce que Bernardin

est un écrivain inférieur à son ma1tre qu'il faut lui ~endre justice,

et reconna1tre son originalité dans l'emploi des moyens stylistiques

dont il disposait.

Chez lui, les épithètes sont encore abstraites, mais il sait

tirer profit de la valeur qualificative des participes, ainsi que

de la phrase nominale. De plus, il concrétise son tableau à l'aide

de circonstanciels, de prépositions, de propositions relatives et

participiales à valeur d'épithète. Certes, l'exploitation stylisti­

que de l'article, des temps ~erbaux et de la métaphore est encore

limitée, mais celle de la comparaison est déjà plus riche. Nous

sommes encore bien loin de la ma1trise d'un Flaubert, mais, de

Bernardin à Pierre Loti, le chemin parcouru dans la littérature

descriptive est immense, et rappelons-nous que notre auteur n'avait

pas de précurseurs dans la description de la nature. (Le Voyage à

l'Ile de France a été publié en 1773, les Confessions en 1782 et 1789,

et les Rêveries du Promeneur solitaire en 1782).

-60-

L'utilisation de l'article du point de vue pictural est

encore très faible: s'il était utile comme moyen de personnifica­

tion ou d'abstraction, en revanche, sur le plan de la concrétisation

il n'y a que l'indéfini qui parvienne à donner une note qualitative

à un substantif. Ainsi dans "];!!! profond silence" CP. 78), "];!!! de

ces étés" Cp. 133), Il:ga feu dévorant", "~ verdure et .l!!!.ê. fraîcheur

qu'on trouve rarement" Cp. 173). Les articles insistent sur l'aspect

qualitatif du silence, de la chaleur de l'été ou de la fraîcheur

de l'air, en les enveloppant d'un voile d'indétermination qui

laisse libre cours à l'imagination du lecteur.

C'est par leur valeur expressive que les temps verbaux ont

une place dans ce chapitre sur l'illu~tration picturale. En effet,

l'alternance des prétérits et des présents dans certains passages

introduit un climat dramatique. Chacun de ces temps a sa significa­

tion propre : le prétérit est le "temps-point" qui marque une pause

dans le temps, l'imparfait est descriptif, et le présent peut,

ou indiquer l'éternité de la nature, ou, dans une série d'imparfaits,

avoir une charge dramatique. C'est leur voisinage et leur opposition

qui "tendent" en quelque sorte le récit.

Nous avons cette opposition bien mise en valeur dans la

narration de la page 99. L'imparfait duratif introduit un moment

"en suspens", comme pour exprimer l'inquiétude de ces enfants:

"Comme ils regardaient de côté et d'autre s'ils ne trouveraient pas

quelque chose de plus solide, Virginie aperçut ••• " Après cette série

-61-

d'imparfaits, le prétérit marque la surprise et l'étonnement de

Virginie qui aperçoit soudain un palmiste dont le chou est comestible

(p. 99).

Il Y a encore affrontement de plans dans la description du

mal de Virginie (p. 134). Les présents ont là aussi une valeur

dramatique dans un récit à l'imparfait. Ainsi nous avons: "Elle

s'asseyait ••• se recouchait" suivis de "elle s'achemine" qui nous

rend directement l'action de Virginie sous les yeux, et fait apparaî­

tre son désarroi plus saisissant. Le récit continue ensuite au pré­

sent: "elle se plonge dans son bassin ••• elle entrevoit dans l'eau

les reflets des palmiers qui entrelaçaient ••• ". Cette discordance

temporelle s'explique peut7 être par un souci de vérité psychologique

de la part de l'auteur, à savoir que les palmiers symboliques sont

plus forts que le temps.

Les qualificatifs de Bernardin sont semblables à ceux de ses

contemporains en ce sens qu'ils sont pauvres, ternes et abstraits.

Les tonnerres sont "affreux", les pluies "épouvantables" (p. 135),

les chaleurs "étouffantes". Echappent cependant à cette banalité,

les pyramides "sombres et brutes" (p. 112), la pompe "magnifigue et

sauvagellde la végétation" (p. 118) et les nuages "cuivrés" (p. 198).

Ce n'est donc pas dans les qualificatifs proprement dit que

nous trouvons les notes descriptives du récit, mais dans les partic

à valeur d'épithète employés de façon systématique. Ils accompagnent

les substantifs, qu'ils étoffent et concrétisent: "Les longues

-62-

flèches (des palmistes) toujours balancées par les vents" (p. 78),

des fleurs "jaunes fouettées de rouge C ••. ) Des lianes chargées de

fleurs bleues" (p. 110). On trouve aussi de longs 'rubans d'un vert

pourpré", "des touffes suspendues" (p. 117), "l'horizon embrum~"

Cp. 133), etc ••• Ces participes passés, en plus de remplacer les

épithètes traduisent la passivité de la nature tropicale abandonnée

à la Providence et à l'homme.

La phrase nominale entre, elle aussi, dans la littérature

descriptive. Du fait qu'elle donne au substantif l'importance habi­

tuellement accordée au verbe et à l'adjectif, elle nous rend plus

sensibles les caractères du sujet étude. Evidemment, elle n~atteint

pas la perfection qu'elle aura chez les Naturalistes. Mais reconnais­

sons que Bernardin savait déjà l'utiliser.

Elle semble particulièrement appropriée pour faire le portrait

de Virginie. Le verbe est alors au degré zéro, qui a pour fonction

d'attirer notre attention sur le caractère angélique du sujet:

"Leur Obliquité naturelle vers le ciel leur donnait une expression

d'une sensibilité extrême et même celle d'une légère mélancolie,

Quant à Paul, sa taille était plus élevée que celle de Virginie,

son teint plus rembruni, son nez plus ~quilin et ses yeux qui étaient

noirs auraient eu un peu de fierté" ... (p. 9ç); les verbes ne sont

guère que des instruments commodes qui permettent d'opposer en

quelques traits vigoureux la virilité de Paul à la délicatesse de

Virginie.

-63-

L'auteur procède de la même façon pour ses personnages. Il

tend plutôt à les dépeindre qu'à les analyser. Nous percevons leur

~e comme un paysage. L'intensité des termes employés nous rend

immédiatement sensibles les troubles qu'éprouve Virginie au seuil

de l'adolescence. Dans "la sérénité n'était plus sur son visage",

lion la voyait gaie sans joie" (p. 133), les verbes ne sont que des

outils syntaxiques. O'est le sujet seul, "sérénité", qui porte

l'essentiel du sens. De même dans l'expression "On la voyait sans

joie", liOn la voyait" n'est qu'une formule introductive pour attirer

notre attention sur "sans joie" ; les termes ne sont pas analysés,

mais j~aposés, sans analyse logique.

Il Y a d'autres types de phrases nominales telles que les

propositions absolues "à la vue de Paul ••• Près de l'aborder •••

malgré la sécheresse ••• à la clarté de la lune ... " (p. 133 à 135).

La présence d'un verbe aurait alourdi sans raison ces phrases.

De même dans "Elle entrevoit les reflets des palmiers", "chercher

un appui contre elle-même", les expressions brutes n'en ont que plus

de force, et ainsi nous pouvons mieux comprendre l'état d'âme de

Virginie.

L'emploi du substantif apparemment abstrait produit le même

effet que celui de la phrase nominale, tout en donnant à ce substan­

tif une valeur concrète : "une langueur universelle abattait son

corps", 1tune verdure couvre", "un embarras subit la saisissait",

"la fraîcheur ranime ses sens 1t (p. 135). Ces substantifs permettent

un vigoureux raccourci d'expression, et en même temps donnent aux

-64-

verbes leur pleine expression IIUne langueur ( ••. ) abattait •••

un embarras la saisissait ll• Ces verbes, de plus, se haussent au

niveau de la métaphore.

La comparaison est, elle aussi, un des éléments du matériel

grammatical assez bien exploité. Non seulement elle concrétise les

éléments de la nature, mais elle nous les rend familiers: dans

II quo ique sa tige ne ftl.t pas plus grosse que la jambe" 0p. 99),

la comparaison très concrète nous donne une idée précise du volume

de ce tronc d'arbre! Il Y en a cependant de plus poétiques dans

le texte ; par exemple, 1I1es eaux plus claires que le cristal" est

simple mais d'une belle expressivité ; IIde longues grappes de

fleurs blanches qui pendent comme les cristaux d'un lustre" (p. 99),

et des "lianes semblables à des draperies flottantes ll (p. 119) se

réfèrent toutes deux à un monde familier aux lecteurs.

~e champ de la métaphore est lui aussi très vaste. Nous en

trouvons quelques-unes de nouvelles chez Bernardin, parfois classi­

ques, parfois très neuves. Parmi celles qui sont déjà consacrées

par l'usage, nous avons: lIinonder de ses larmes ll ••• IIcoulait en

filets d'argents ll (p. 134, "la lune paraissait entourée d'un rideau

de nuages" (p. 149) •• ; "les eau..."'C plus brhlantes que les soleils"

(p. 134) est peut-être banal, mais les pluriels augmentatifs des

eaux et du soleil poétisent l'expression.

Nous en trouvons aussi de jolies et d'assez neuves pour

l'époque, qui projettent une image vigoureuse: 1I1es arcades de

fleurs, les courtines de verdure" (p. 119) et "ses beaux yeux se

-65-

marbraient de noir" CP. 129).

D'autres moyens grammaticaux viennent se greffer à la

description comme pour mieux l'étoffer. S'ils n'ont pas la valeur

dramatique des temps verbaux, s'ils ne sont pas aussi spectaculai­

res que la comparaison et la métaphore, ils n'en sont pas moins effi­

caces ; par exemple, nous trouvons disséminés un peu partout dans

le texte, des circonstanciels descriptifs. Ce sont eux qui main­

tiennent une image colorée de la nature, parce qu'ils sont souples

et enrichissent discrètement le substantif. Ainsi, gr~ce à eux,

la lumière de la lune s'étale subtilement sur le paysage "La lune

paraissait au milieu du firmament, entourée d'un rideau de nuages

que ses rayons dissipaient par degrés, Sa lumière C ••. ) se répandait

sur les montagnes, C .•. ) et sur leurs pitons qui brillaient d'un

vert argenté" Cp. 149). L'auteur n'analyse pas à l'aide de qualifi­

catifs abstraits mais peint sa lumière nocturne ; les circonstan­

ciels sont en somme l'équivalent littéraire du coup de pinceau, qui

aurait distribué la clarté de la lune dans l'atmosphère et sur les

montagnes. Le même procédé est utilisé pour préciser le dessin des

végétaux: "L'agathis ou pendent tout autour des grappes ••• Des

cierges épineux s'élevant sur les têtes noires des roches ••• des

fleurs qui pendaient ça et là le long des escarpements" Cp. 110).

Quant à l'emploi des compléments déterminatifs, il n'est pas

encore aussi systématisé que chez Flaubert, mais nous en avons de

beaux exemples dans le texte. Ils apportent eux aussi un surcro1t

de détermination aux substantifs. Ils sont le plus souvent efficaces

-66-

dans la description des végétaux. La plupart du temps ils indiquent

simplement la matière : Nous aVOD.S ainsi "grappes de coco, touffes

~e scolopendres, lisières de pervendhe, herbe de baume, ccurtine de

verdure" (p. 117). Ils peuvent aussi indiquer l'espèce: "L'oiseau

blanc du Tropique" Cp. 118), "L'oiseau de marine" (p. 181)~. L'auteur

se rapproche de l'art flaubertien qu~nd il décrit les étoffes indi

nes qu'on apporte à Virginie: "des buftas de Surate d'un si beau

blanc, des chittes de toutes lesanuleurs C ••. ) à fond sablé et!

rameaux verts ••• de magnifiques étoffes de soie de la Chine, des

lampas découpés à jour, des damas d'un blanc satiné, d'autres

d'un vert de prairie ... des satins à pleine main"(p. 146).

Enfin, les relatives à valeur d'épithète ont une fonction qui

se rapproche de ces déterminatifs. Elles aussi précisent et concré­

tisent à leur façon, et peignent na!vement l'exubérance heureuse

de ce paradis: Le lilas de Perse "qui-él!ève-droit-en l'air" •.•

les papayers "dont-le tronc-sans-branches~ •• les lianes "qui-pendent­

tout-autour" (p. 110). Les participiales opèrent sur un autre plan

qui est celui de l'action des forces de la nature. Cet aspect est

la plupart du temps ignoré de Bernardin, pour qui la nature cesse

d'être intéressante s'il ne peut pas la peindre "La rivière qui

coule en bouillonnant ••• une nappe d'eau qui se brise en tombant •••

chaque lame s'avançait en mugissant, puis venant à se retirer ••• "

(p. 172 et 199).

Enfin les relatives peuvent avoir une valeur explicative

d'abstraction pour que le lecteur se représente mieux les herbes

-67-

"qui s'élèvent peu", les végétaux "dont les semences sont volatiles",

ceux "dont les graines sont faites pour flotter" Cp. 111), l'herbe

de baume "dont les fleurs sont en forme de coeur" CP. 117).

Tous les moyens sont bons pour exprimer l'exubérance de la

nature, et il faut dire que Bernardin sait admirablement les

emplo~er, compte tenu de l'époque. Son problème, c'est d'avoir eu

des disciples trop prestigieux comme Chateaubriand et Lamartine •••

qui éclipsent le maître, si bien que l'on passe volontiers dans

l'histoire de la littérature descriptive de Rousseau à Chateaubriand.

Il fa.ut rendre à ce dernier ce qui lui est dÜ ; à savoir, le mérite

d'avoir commencé le long travail d'enrichissement de la langue que

poursuivront les Romantiques.

Bernardin a utilisé de façon systématique les valeurs descrip­

tives de la phrase nominale, du verbe, de l'article et de la compa­

raison. Rappelons-nous qu'il n'avait pas de modèle à qui se référer,

et c'est peut-être tant mieux. Virgile et les Anciens, de même que

les contemporains de Bernardin, n'éprouvaient pas le besoin du

détail précis et pittoresque qui rend si colorées les descriptions

de Paul et Virginie. Ce sont ces détails qui caractérisent le visage

de la nature, comme celui des humains, et notre auteur est le

premier à avoir donné une "physionomie" à la nature.

1

-68-

Troisième partie :

La composition, ~hrase et l'ord~~~es mots

"Après Rousseau, la prose poétique développée en

thèmes, variations et reprises, marquant la mesure

par les symétries et les parallélismes par l'emploi

des bases mathématiques sur lesquelles la versifi­

cation est fondée, prit un grand développement.

C'est que cette forme ne faisait que continuer,

enrichir la phrase oratoire, avec laquelle elle se

combina souvent à la fin du XVIIIe siècle.

Plus rare encore sera la phrase pittoresque : elle

s'organisera pourtant aussi, grâce à Bernardin de

Saint-Pierre. Ce quinteux personnage, idéaliste

doucereux dans sa doctrine et philosophe niais,

sera le vrai créateur de la phrase pittoresque, de

celle qui n'est que sensation pure, sensation des

yeux, ou émotion de peintre traduite en formes et

en couleurs ll•

Gustave Lanson (1)

-69-

Chapitre I. Le dessin et le portrait

La composition du petit tableau d'ouverture de la .page 77

a donné beaucoup de mal à son auteur. En effet, nous pouvons retracer

au moins quatre versions de ces deux paragraphes de présentation

Au premier, un souci de clarté et de logique guide Bernardin qui

doit déployer tous ses talents de dessinateur et d'ingénieur pour

"organiser" son tableau ; Au second, le peintre nous donne une

description plus imagée de l'habitat de ses personnages, qui sera

d'ailleurs complétée à mesure que le roman se développera.

Dès la première phrase, l'auteur introduit le thème des

cabanes autour desquelles s'ordonne la description. C'est de l'entrée

de leur bassin que nous découvrons le paysage environnant ; ainsi,

nous ne conna1trons pas l'11e au complet, mais une portion seulement,

celle que les pasteurs peuvent apercevoir quotidiennement.

Contrairement au deuxième paragraphe qui sera exécuté dans la

manière impressionniste, le premier est articulé sur une syntaxe

logique, comme un dessin académique sur la loi des proportions.

L'auteur commence donc par nous donner la situation géographique

précise des deux cabanes à l'aide de circonstanciels: "Sur le côté

oriental de la montagne qui s'élève derrière le Port-Loul~ •.. "

"Elles sont situées au milieu d'un bassin qui n'a qu'une seule

ouverture tournée au Nord". Une fois ces relations géographiques bien

établies, le spedtateur porte sa vue sur le paysage. Ce dernier lui

1

-70-

est présenté dans un ordre logique : "On aperçoit à gauch~ la

montagne appelée le Morne de la Découverte C ••• ) et au bas de cette

montagne la ville C ••• ) à droite le chemin C ••• ) ensuite l'église

C ••• ) et plus loin une forêt qui s'étend jusqu'aux extrémités de

l'11e". Notons le sens des perspectives de l'auteur qui nous fait

voir les différents plans se succédant du plus près au plus loin.

Enfin le paysage s'ouvre et le spectateur peut diriger ses

regards sur la mer : "On distingue devant soi, sur les bords de la

mer, la baie du Tombeau".Déjà le thème de la mort est introduit

discrètement.

Au second paragraphe, l'éclairage ~st concentré sur le bassin

qui, lui, est directement relié à l'univers des personnages. Les

images auditives suggèrent une atmosphère de paix qui s'oppose au

fracas des vagues associé au monde e~térieur. Ce t~e de phrase

picturale que nous trouvons dans cette deuxième partie -deux indé­

pendantes coordonnées, chacune accompagnée d'une relative explicati­

ve- sera employé tout au long du roman : "Les pluies que leurs pi tons

attirent peignent souvent les couleurs de l'arc-en-ciel sur leurs

flancs verts et bruns et entretiennent à leurs"'pieds les sources

dont se forme la petite rivière des Lataniers".

On remarque aussi que les épithètes et les circonstanciels

de lieux sont nombreux dans ce style descriptif. Nous avons à faire

à une prose de peintre, lourde de relatives à valeur adjectivale,

qui sont comme les coups de pinceau sur la toile.

-71-

Ces deux paragraphes, même s'ils relèvent de deux types de

visions différentes, voire opposées ne se complètent pas moins ;

la précision du dessinateur est nécessaire pour nous introduire de

façon objective à l'univers de Paul et Virginie, mais la richesse

de la couleux suggère déjà l'atmosphère paradisiaque des descrip­

tions subséquentes.

Une autre page du roman où nous pouvons déceler un dessin

assez élaboré est celle de la description du jardin de Paul CP. 111-

112-113) ; il semble qu'elle ait été construite en vue de nous

donner l'impression d'être en face d'un jardin très architecturé.

Encore une fois ·le dessin, comme dans le paragraphe d'ouverture,

s'appuie sur un sens aigu des perspectives; à celui-ci s'ajoute

celui des proportions, de la forme et de la lumière.

Ce passage pourrait se diviser en deux parties : ls)première

ayant pour sujet le jardin vu du milieu du bassin, la seconde le

jardin proprement dit.

Bernardin semble influencé par sa formatioh d'ingénieur en ce

qu'il aime les dessins rationnels. Ainsi, il organise par l'intermé­

diaire de Paul~s arbres du jardin de telle sorte qu'on puisse les

embrasser d'un coup d'oeil. "Il avait disposé ces végétaux de

manière qu'on pouvait jouir de leur vue d'un seul coup d'oeil".

Faul ~~ ses plantes autour du bassin des plus petites aux plus

élevées ; nous avons au premier plan "les herbes gui s'élèvent peu'~

au second "les arbrisseaux", au troisième "les arbres moyens",

-72-

au quatrième "les grands arbres qui en bordaient la circonférence",

de sorte que ce vaste enclos paraissait de son centre comme un

amphithéâtre de verdure".

Certes, l'auteur aime la nature, mais organisée: "Les eaux

formaient C .•. ) ici des fontaines, là de larges miroirs ••• il avait

pratiqué un sentier qui tournait e,utour de ce bassin et dont plusie

rameaux venaient se rendre de la circonférence au centre".

La description du jardin est d'une facture plus romantique,

mais ce labyrinthe de verdure est, lui aussi, un,')peut trop construit

en vue de susciter la rêverie "Il avait tiré parti des lieux les

plus raboteux •.. " Les phrases à l'intérieur de ce paragraphe semblent

sans liaison apparente à première vue. Pourtant, elles sont ratta­

chées thématiquement. Les "pyramides" suggèrent d'elles-mêmes les

"ravins", qui deviennent aisément des "souterrains inaccessibles à

la chaleur". Ici encore, c'est sur une étude de la lumière que se

ferme le dessin: "On ne distinguait en plein midi aucun objet",

"ces familles jouissaient en silence des dernières harmonies de la

lumière et des ombfes".

Pour ce qui est du portrait, les exemples que nous en avons

dans Paul et Virginie nous semblent aujourd'hui bien fanés. Le

style Lou.is XVI n'a pas de meilleur représentant que Bernardin.

Les références mythologiques nombreuses, llangélisme et l'affectation

gâtent souvent ce que l'image e~t pu avoir de charmant, Les enfants

sont tantôt comparés à la "Constellation des gémeaux" (p. 189),

-73.!

tantôt aux "enfants de Léda enclos da~'ls la même coquille" (p. 90),

tantôt aux "enfants de Niobé" (p. 92). Leur portrait idéalisé,

lorsqu'ils ont douze ans, nous semble affecté; le dessin est très

statique, construit par petites touches: celles-ci·se traduisent

sur le plan stylistique par des séries d'indépendantes à l'intérieur

d'une longue phrase. "Virginie n'avait que douze ans; déjà sa

taille était plus qu'à demi formée; de grands cheveux blonds

ombrageaient sa tête; ses yeux bleus ••• " (p. 91-92). Le portrait

de Paul est d'un dessin plus dyn~ique ; pour lui aussi la phrase

nominale est employée, mais la variété d~attaque rompt la monotonie.

La répétition des "plus" dans "son teint plus rembruni, son nez plus

aquilin" le définit et l'oppose à Virginie.

Remarquons aussi un usage heureux de la position des épithètes

dans la phrase ; dans la postposition, ils ont une valeur concrète

descriptive: "yeux bleus, sensibilité extrême, teint rembruni"

alors que dans l'antéposition l'affectivité domine: "légère mélanco­

lie, tendre éclat, grande douceur, doux sourires".

Dans la description du groupe, nous avons une construction

parallèle qui met bien en lumière la beauté physique et morale de

ces enfants. L'anaphore contribue elle aussi à bien opposer ces

deux types de beauté, la païenne et la chrétienne. "A leur silence,

à la naiveté de leurs attitudes, à la beauté ( ... ) mais à leurs

regards, à leurs sourires ••• " A cette anaphore correspond la

symétrie des "pour" : "pour ces enfants du ciel, pour ces esprits

pienheure.ux •.. " Ces diverses insistances démontrent assez clairement

-74-

à quel point la beauté morale des héros est plus importante que leur

beauté physique.

Cependant, il est un portrait de Virginie qui dépasse de

beaucoup celui-ci en valeur stylistique: c'est celui de son désarroi

lorsqu'elle connait les premières manifestations de l'amour. La

composition de cette page est particulièrement réussie parce qu'on

y voit l'inquiétude de Virginie intégrée au paysage (p. 132-134).

Entre le paragraphe qui décrit l'éveil de l'amour chez Virginie et

ceux de la désolation de la nature, il y a correspondance. Les deux

paragraphes consacrés à la peinture de l'été servent en quelque

sorte de contre-point à la description des maux de Virginie.

~I~uteur se sert d'une construction parallèle pour les deux

paragraphes qui ont le même th~me. La premièré. phrase de chacun

introduit le sujet et le synthétise en un titre qui pourrait bien

être "l'énoncé de ce mal". Le reste du paragraphe consiste ensuite

à analyser ce mal. On découvre ce parallélisme en particulier par

l'étude de l'ordre des mots qui est rigoureusement le même dans

les deux cas :

"Cependant depuis quelque temps/Virginie/se sentait agitée/

d'un mal inconnu ll• IIDans une de ces nuits ardentes/Virginie sentit/

redoubler tous les symptômes de son mal".

Puis, nous avons un portrait détaillé des symptômes de ce mal,

d'abord sur le plan physique. L'auteur nous décrit les effets physi-

-75-

ques de l'amour et les actions désordonnées qu'il entraine chez un

jeune être innocent comme Virginie. Nous avons : "Elle errait ça et

là dans les lieux les plus solitaires de l'habitation, cherchant le

repos partout et ne le trouvant p.ulle part" et "Elle se levait,

elle s'asseyait, elle se recouchait, et ne trouvait dans aucune

attitude ni le sommeil ni lerrepos".

La présence de Paul est réelle dans le premier paragraphe,

mais dans la pensée de Virginie au second : "Quelquefois à la vue

de Paul" et "mille souvenirs agréables" ••. Cette présence, l'héroine

le sent confusément, est liée à son trouble ; aussi le thème de Paul

entra1ne-t-il celui de la mère·: "Elle fuyait tremblante vers sa

mère~ "elle court auprès de sa mère pour chercher un appui contre

elle-même".

La présence de lq nature est, elle aussi, très forte dans

ce portrait; dans le premier paragraphe, elle est un thème gai, ~

sans doute parce que présentée par Paul. Dans le second, elle se fait

plus insistante, plus suggestive parce qu'elle reflète cette fois

son trouble à Virginie. En effet, cette présentation de la fournaise,

de l'été et de la passion est symbolique: la couleur rouge est trop

fréquente dans le passage consacré à la chaleur deI 'été pour~n'être

pas significative : "feux verticaux, vapeurs rousses, flammes d'un

incendie, l'orbe rouge ll ont une double importance, à la fois visuelle

et affective.

Au jour étouffant s'accorde la nuit brÜlante qui n'aide certes

-76-

pas Virginie à prendre le dessus sur sa passion.La violence du

climat tropical devient transposition métaphorique de l'état d'âme

de la jeune fille. Et pourtant, n'est-e~ pas toujours aussi

innocente, telle qu'en elle-même dans ce bain où, désarmée, sa

candeur s'offre, transparente.

A l'intérieur du parallélisme de construction dont nous avons

n::n-'lé plus haut, nous trouvons un emploi assez élaboré de l' anti­

thèse, qui devient parfois abusif. Ce procédé dessine vigoureusement

plus qu'il n'explique les contrastes. Mais n'est-ce pas là la force

du style de Bernardin qui nous fait voir l'âme humaine comme un

paysage ?

A travers l'expression d'un visage, nous devinons le désarroi

qui se caache derrière :

"Ses beaux yeux bleus/se marbraient de noir"

"Un rouge vif colorait/ses joues pâles"

Enfin, la présence de Paul qui, autrefois était si agréable, la

trouble maintenant

"Elle allait vers lui en folâtrant/elle fu;gait tremblante".

L'antithèse et le parallélisme sont volontiers liés:

"La sérénité n'était plus sur son visage ••• ni le sourire ••• ?

cherchant partout le repos et ~ le trouvant nulle part ••. /

ni le sommeil, ni le repos".

Notons aussi les vertus de l'anaphore, qui traduit si bien .... ... les hésitations de Virginie qui n'ose pas se confler a sa mere :

-77-

"Plusieurs fois, veulant lui raconter ses peines ••• plusieurs

fois ••• elle fut près de prononcer le nom de Paul".

Peut-être devine-t-elle qu:tune fois cet amour découvert par sa mère,

il en sera fini à jamais de son existence paradisiaque.

Enfin,il y a un schéma de phrase qui lui aussi suggère un

no~trait plutôt qu'une analyse. Nous avons :

"elle se levait./elle s'asseyait,/elle se recouchait et ne

trouvait 'dans aucune attitude/ni le sommeil/ni le repos".

"Elle songe à la nuit/à la solitude/ et un feu dévorant la

saisit".

Nous avons dans ces phrases une accumulation de verbes d'action

suivis de leur conséquence, exprimée en une seule proposition intro-, '

duite par "et", c est-à-dire juxtaposée. Cette construction est

appropriée dans une description où tous les éléments sont sur un

même plan.

Remarquons aussi dans l'exemple "elle se levait ••• " le rythme

haletant de la phrase qui s'accorde si bien à l'inquiétude de

Virginie. Du fait que les sommets accentuels de ce passage sont ~

très rapprochés, un lien s'établit entre ce rythme respiratoire et

le lyrisme tendre et inquiet des scènes descriptives de l'été.

Les tons varient, accordés qu'ils sont, soit au sentiment (dans les

pe.ragraphes consacrés à la peinture de Virginie), scit à la descrip­

tion du réel.

-78-

Ces procédés de style sont assez voyants sans doute, mais ils

servent les desseins de l'a~teur, qui sont de toucher le coeur

plutôt que d'intéresser l'esprit. Ce passage, comme tous ceux d'une

certaine importance dans le roman, a été très travaillé; l'effet

en est que ce parallélisme et ces antithèses nous semblent parfois

artificiels. L'auteur n'a pas l'écriture facile, et ce n'est qu'alt

prix d'un long labeur qu'il peut exprimer ce qui lui tient à coeur

donner une peinture concrète de l'~me, ~tre un peintre plutôt qu'un

psychologue. En orientant son observation vers d'autres buts que

ceux proposés par les classiques, il allait influencer les Romanti­

ques dans leur vision des êtres et des choses.

-79-

Chapitre II. La peinture de la nature

A l'intérieur de cette composition décrivant les inquiétudes

de Virginie s'inscrit un petit tableau qui pourrait bien s'intituler

l'Eté et qui, nous l'avons vu, reflète l'état d'âme de notre héro!ne.

Parlera-t-on assez, après les Romantiques, du paysàge-état-d'âme !

Pourtant c'est à Bernardin que revient le mérite d'avoir, le premier,

traduit les affinités qui existent entre les personnages et le

paysage d'un roman. Si celui-ci a vu dans la nature une compagne de

l'homme, c'est parce qu'il a d'abord pris le temps de la regarder,

en peintre avant de la transposer sur le plan littéraire. La phrase

chez lui est avant tout une sensation visuelle traduite en mots

évocateurs qui se juxtaposent et se fondent comme des couleurs sur

la palette du peintre.

Be~nardin aussi intitule toujours ses tableaux. Il nous présen­

te ensuite son sujet en précisant sous quel angle il va l'étudier.

Ici c'est l'été vu sous son aspect négatif et destructeur: "Un de

ces étés qui désolent de temps à autre les terres situées entre les

Trop~ques vint étendre ici ses ravages" Cp. 133).

Puis, nous avons la peinture proprement d.ite : "De longs

tourbillons de poussière s'élevaient sur les chemins et restaient

suspendus en l'air" ... nous fait voir une colonne de poussière

mollement étendue sur le uaysage. Les verbes dans cette phrase

dessinent le mouvement de l'air et suggèrent l'atmosphère oppressante

de l'été.

1

-8Q-

Cette image est sans doute renforcée par le thème du feu :

"des vapeurs rousses ••• les flammes d'un incendie ••• l'atmosphère

embrasée ••• le sol br'O.lant" complètent dramatiquement le thème de

la sécheresse. Malgré tout, le lecteur reste frappé par l'économie

du regard "Il ~ s'élevait de dessus l'Océan gue des vapeurs •••

Il ~ s'élevait pendant le jour de dessus ces vertes plaines gue ••. "

L'ordre impràssif de la phrase est lui aussi facteur d'art

dans la peinture de la nature. Un des exemples les plus réussis est

sans doute celui de la phrase: "L'orbe de la lune, tout rouge,/se

levait, dans un horizon embrumé,/d'une grandeur démesurée". L'attente

différée des membres nécessaires à la pleine clarté de l'énoncé

produit une image. Nous n'avo+J,s qu'à la fin la-qualification "démesu­

rée" qui, par son volume et sa place dans la phrase, produit l'image

cinétique du lever de la lune.

Le volume et la liaison des phrases dans cette peinture sont

variés et les mots de coordination restent exceptionnels, parce que

la technique de composition de l'auteur se rapproche de celle du

peintre. La phrase a aussi pour fonction de développer, de diversi­

fier et d'accompagner même musicalement l'atmosphère de l'été.

L'euphonie et l'harmonie nous semblent particulièrement s'O.res dans

les '~oup~ abattus sur les fl~cs des collines, le c~ t~du vers

le ciel, respir~t l'air, faisaient retentir les vallQBs de tristes

mugissemen.ts ll• Les accords profonds de ces Q9;, .§ill, iœ, .QB, traduisent

concrètement le mugissement accablé des bêtes dans la chaleur de

midi.

-81-

La dernière phrase du paragraphe bourdonne, elle aussi, de

vibrantes et de nasales qui témoignent d'une recherche sonore

, du b.Q:l:!rdonnem~t des insectes ll

• Il ne s agit pour le moment que

d'harmonies suggestives de l'accablement des troupeaux. On n'a pas

,encore atteint à une harmonie musicale qui suggérait, par exemple,

une correspondance entre la lumière et une sonorité comme le "é".

Il faudra attendre Ohateaubriand pour cela.

Enfin, il ne serait peut-être pas vain de parler à propos

de ce tableau de rythme. La vérité picturale ne saurait ordinaire­

~~~+, se soucier de cette notion étrangère, et il serait artificiel

de vouloir dépister dans la prose de Paul et Virginie des groupes

rythmiques.

Dans ce passage, b. Le Hir (1) semble avoir décelé "quelques

crêtes accentuelles" ; il spécifie d'abord que "l'apostrophe signale 1

une syllabe atone, non élidée, qui ne passe pas dans le groupe

rythmique suivant, à cause d'une ponctuation".

"Aucun nuage ne venait du côté de la mer ••• et paraissaient

4 4 4

au coucher du soleil comme les flammes d'un incendie.

3 3 4 5

La nuit même n'apportait aucun rafra1chissement à l'atmosphère

3 4 2 5 4

embrasée.

3

-82-

L'orbe de la lune, tout rouge, se levait, dans un horizon embrumé,

1 4 2 3 5 3

d'une grandeur démesurée".

4 4

Enfin il conclut, "Frappé dynamique initial, rythme tonique descen­

dant (1-4') : quelle convergence! Ailleurs égalités, proportions,

symétries sont assez apparentes. Mais dans nos deux derniers exemples

le choix des mots longs autant que l'assonance en position finale

surtout, sont significatifs d'une tension insupportable".

Si Bernardin s'attarde un moment pour décrire l'été, ce n'est

jamais au détriment de la narration des maux de Virginie, mais bien

pour intégrer et faire correspondre la peinture à l'état d'~me de

son héroïne. il ne se complaît jamais dans l'exploitation purement

esthétique de son paysage mais a le souci constant de rattacher --la forme au fond. -Un autre aspect de la nature nous apparaît dans la peinture

du soleilGcouchant (p. 126-127). Il s ' agit là d'un sp"ectacle céleste,

mais l'auteur traite son sujet comme s'il était décor d'un jeu

sacré. En effet cette description du coucher da soleil s'inscrit

à la fin d'une narration de danses et de mimes bibliques interprétés

par Paul et Virginie. Encore une fois la nature s'adapte aux circons­

tances : le climat religieux qui imprègne ces jeux innocents appelle

une nature recueillie ••• "On se croyait transportés dans les champs

de la Syrie ou de la Palestine". La nature est métamorphosée en

temple dans lequel les enfants accomplissent les rites d'une reli-

fri.on retournée à son exnressi.on la nl118 simnle et la nlus naturelle.

-83-

Les limites du décor sont d'abord brièvement indiquées en

une phrase descriptive. "Le lieu de la scène était pour l'ordinaire

au carrefour d'une forêt dont les percés formaient autour de nous

plusieurs arcades de feuillage". La nature sépare donc ses enfants

du monde extérieur pour les enfermer dans un temple naturel.

L'atmosphère religieuse nous est ensuite communiquée par la

peinture de la lumière exécutée dans la manière impressionniste :

les phénomènes lumineuX sont décrits tels que l'oeil les perçoit,

et non pas tels que l'esprit les explique après coup. Ainsi dans

la phrase: "Ses rayons/grisés par les troncs d'arbre/divergeaient

dans les ombres de la forêt/ en longues gerbes lumineuses" ; l'objet

de la contemplation n'apparaît qu'à la fin, lorsque l'esprit peut

établir une relation entre les rayons et les ombres pour les

associer à une gerbe.

Notons aussi quelques procédés picturaux qui donnent une

dimension à la lumière, tel l'adjectif dans "longues gerbes lumineu­

ses" ; le participe à valeur adjectivale et la métaphore expriment

bien les jeux de lumière dans la forêt : Ille feuillage des arbres

éclairés en-dessous de ses rayons safranés brillait des feux de la

topaze et de l'émeraude". Enfin la comparaison se charge, elle aussi,

de transformer la nature en temple : "Leurs troncs mousseux et bruns

paraissaient changés en colonnes de marbre antigue".

La religion de Bernardin est celle de Noé ; elle se plaît

à évoquer une ~erre lavée de la corruption et vierge. Elle est

-84-

naturelle parce qu'elle établit un rapport entre l'homme et la

nature en préconisant leur union intime. Pour Bernardin, cette

transformation de la forêt n'a rien de choquant: l'11e merveilleuse

est cet Eden où les ,enfants se font les prêtres d'une religion

dégagée de toute contingence sociale. Ici tout s'unit, la nature,

les hommes et les animaux pour rendre grâce à leur' Créateur.

N'est-ce pas sur une note animiste que se conclut le paragraphe

"Les oiseaux ( ••. ) saluaient tous à la fois l'astre du jour par

mille et mille chansons".

La nuit tropicale est..,elle aussi un thème qui devait tenter

notre auteur. Ici encore, la description s'inspire de l'expérience

personnelle (p. 149-150). Le titre et l'atmosphère du tableau nous

sont donnés à l'imparfait, ce qui situe l'évènement dans une époque

indéterminée et en prépare plus aisément la résurrection "Il

faisait une de ces nuits délicieuses si communes entre les tropiques,

et dont le plus habile pinceau ne rendrait pas la beauté". C'est

sur le fond de toile que l'étude de la lumière est sans doute la

plus réussie "La lune paraissait entourée d'un rideau de nuages

(dessin) que ses rayons dissipaient par degrés (lumière) •.. leurs

pitons brillaient d'un vert argenté (couleur) ••• Virginie parcourait

son vaste et sombre horizon (couleur) distingué du rivage de l'11e

par les feux rouges (couleur) des pêcheurs".

La construction des phrases est parallèle dans plusieurs cas

et adaptée à un style descriptif. Nous avons à~--trois reprise~ une

principale "il faisait ••. La lune paraissait ••• la lumière se

-85-

répandait ••• 11 suivies à chaque fois de relatives descriptives.

Leur liaison dans cette composition très libre n'est pas apparente.

Nous avons l'impression que l'auteur promène son regard du ciel

aux montagnes, qu'il écoute les bruits heureux de la nuit pour

enfin s'attarder sur l'horizon, mais cette fois à travers les

yeux de son ~éroine, ce qui lui permet de passer insensiblement

de la description à la narration, et d'intégrer ainsi son tableau

au roman.

Ce passage, par ses thèmes comme la nuit, la lumière lunaire,

la mer et la séparation des amants apDelle les compositions des

Romantiques. De telles descriptions abondent déjà chez les voyageurs

du XVIIIe siècle mais celle de Bernardin peut soutenir la comparai­

son avec Ohateaubriand, qui se rappellera lui aussi les nuits dans

les désàrts du Nouveau Nonde.

Enfin, le caractère paradisiqque de l'île est particulièrement

bien dépeint dans un petit tableau que nous en donne Bernardin au

début du roman et qu'il intitule le Renos de Virginie ou la Décou­

verte de l'Amitié. Un tel titre n'avait à l'époque rien d'affecté,

puisqu'on aimait alors les sujets pathétiques desquels on pourrait

tirer une leçon de morale. Fragonard n'intitule-t-il pas un de ses

tableaux~p leçon de labcurage, et Greuze ~e Mauvais fils puni

celui qu'analyse Diderot dans son Salon de 1765 •••

Notre attention est ensuite attirée sur ce qui va ~tre le

thème principal du tableau : les deill{i~cocotiers qui représentent

symboliquement Paul et Virginie. IIJe lui fis présent d'un coco

-86-

des Indes". Ces deux cocotiers occupent le centreddu tableau et

à leurs pieds se trouve le bassin de la fontaine. La phrase

suivante exprime symboliquement la relation de Paul et Virginie.

L.es cocotiers "crtLrent tous deux dans la même proportion que leurs

maîtres d'une hauteur un peu inégale. Déjà, ils entrelacaient leurs

palmes et laissaient pendre leurs jeunes grappes de cocos au-dessus

de l'eau de la fontaine Il • Ces ceux enfants, comme les cocotiers,

grandissent dans la même terre ; Paul protège Virginie, et les

palmes qui s'entrelacent sont la figuration de leur amour qui

n'est pas moins pur que l'eau de la fontaine.

L'allusion aux "cabanes" qui évoquent des habitations bucoli­

qu~s, les seules vraiment possibles dans cette pastorale, est

aypropriéee; "Maison ll en.t été trop civilisé pour ce tableau de

la vie paradisiaque.

L'auteur~it, comme le peintre, l'art d'organiser les plans.

Dans cette page, nous en avons de très définis qui témoignent d'une

recherche poussée dans l'expression du paysage. Ainsi, nous pouvons

en retracer quatre à partir du fond de toile, qui est en même temps

l'arrière-plan sur lequel la verve descriptive de l'auteur va se

développer. C'est sur cet enfoncement de rocher que nous trouvons

le plus de détails picturaux.

Il Sur ses::-'flancs bruns et humides (couleur) rayonnaient en

étoiles (deSSin) vertes et noires (cculeur) de larges capillaires

(dessin), et flottaient au gré des vents (dessin) des touffes de

~8?-

scolopendre, suspendues comme de longs rubans (dessin) d'un vert

pourpré (couleur). Près de là, croissaient des lisières de perven­

che (dessin), dont les fleurs sont presque semblables à celles de

la giroflée rouge (couleur) et des piments dont les gousses (dessin)

couleur de sang (couleur) sont plus éclatantes que le corail"(coul

Puis, nous avons au premier plan un "pré d'une herbe fine"

qui descend doucement vers le rivage ; au second, les cocotiers et

derrière, les cabanes de Paul et Virginie ; au troisième, le

rivage où volent les oiseaux et enfin, au quatrième la mer et le

ciel qui sont comm6 les symboles du lointain et de l'infini.

L'atmosphère est celle d'un coucher de soleil au moment où

les oiseaux comme "L'astre du jour abandonnent les solitudes de

l'océan indien". Le rythme aussi va aider à traduire la douceur du

soir qui descend.

"Au coucher du soleil/on voyait voler/le long des rivages

de la mer/le corbigeau et l'alouette marine/et au haut des airs

la noire frégate/avec l'oiseau blanc du tropique/ qui abandonnaient,

ainsi que l'astre du jour/, les solitlides de l'océan indien"/.

Ces deux mouvements de quatre temps, aux cadences lentes

et harmonieuses, traduisent la douceur bucolique et la paix qui

s'emparent de la nature; ils expriment aussi le vol des oiseaux

et le mouvement régulier des vagues.

·1.

-88-

On a vu dans ce chapitre que dans les descriptions de

Bernardin, c'est l'oeil ~e~l qui est actif et cherche à rendre

par des mots, à l'intérieur de la phrase les phénomènes de la

perception : il rend la couleur, étudie le rapport des tons dans

un coucher de soleil, le jeu de la lumière et des ombres entre

les arbres, la coloration des nuages, avec un art et une précision

que lui envierait un peintre.

-89-

Chapitre III. Le dialogue et la narration descriRtive

Les dialogues de Paul et Virginie sont la piliupart du temps

faux et artificiels, quand ils ne sont pas platement moralisateurs.

Il en est de même pour les narrations. En effet, ce qui sauve ce

roman d'un juste oubli, ce n'est pas le récit mais les descriptions

de la nature qui y sont inclu.ses. Aussi la narration ne sera-t-elle

étudiée que dans la mesure où elle se rapproche de la description

et la complète. Il en est deux qui nous ont semblé particulièrement

intéressantes; la première se rapporte à l'épisode de lSlzégresse

marronne, la seconde au naufrage du Saint-Géran.

Le dialogue amoureux de Paul et Virginie est le seul (et

encore !) qui échappe à la mièvrerie des discours directs du roman.

Il s'inscrit juste après le portrait des enfants comparés à Adam

et Eve : hélàs, leurs paroles ne sont pas en accord avec la simpli­

cité et la nalveté de cette image.

En effet, le style dans lequel est rédigé ce passage (p. 99-100

était bien fait pour plaire au public raffiné de la fin du XVIIIe

siècle. Aujourd'hài, nous trouvons que ce langage précieux et ces

sentiments affectés ne reflètent guère les âmes simples des pastou­

reaux ; et pourtant ce dialogue ne manque pas de charme. Peut-~tre

est-ce parce que l'auteur parvient momentanément à exprimer

l'ineffable de l'amour ? ••

-90-

La construction semble assez conventionnelle. Paul commence

par énumérer les qualités innombrables de sa bien-aimée en des

compliments un peu trop élaborés pour un pasteur de son âge. Il

se demande ensuite les raisons de son amour sans parvenir, bien

entendu, à les exprimer ; il Y renonce donc pour essayer simplement

de prouver son affection par des gestes tendres. Virginie répond

en rendant à Paul ses compliments, mais sur un ton plus sobre

elle passe ensuite aux raisons de leur attachement qui, selon elle,

provient de ce qu'ils ont été élevés ensemble, et surtout des

qualités morales de son compagnon.

Sur le plan de la construction, nous trouvons un usage

constant, sinon abusif de l'antithèse,surtout dans le paragraphe

consacré aux paroles de Paul. Il semble qu'en effet, sa tirade

ne soit composée que de ces oppositions

"i~uand je suis fatigué/ta vue me délasse".

"Je .B'ai ~ besoin de te VOir/pour te retrouver".

"Si je te toucbe seulement du bout des doigts/tout mon corps

frémit de plaisir".

Pourtant nous aimons qu'il lui dise "Quelque chose de toi que

je ne puis dire/reste pour moi dans l'air où tu passes,sur l'herbe

où tu t'assieds".

Notons que ces antithèses sont volontiers liées à un paral­

lélisme d'expression. Paul dit-il rr~uand du haut de la montagne je

t'aperçois au fond de ce vallon, tu me parais comme un bouton de

-91-

rose", Virginie lui répond: "Les airs que tu joues sur ta flÜ.te

au haut de la montagne, j'en répète les paroles au fond de ce valloH

La phrase de ce dialogue sera naturellement affective, donc

modelée sur les émotions des personnages. Peut-être est-ce à cause

de sa souplesse que ce dialogue, malgré ses éléments précieux et

ses constructions artificiiles, nous apparaît assez vrai. En général

les périodes sont courtes, ou alors la ponctuation se charge diindi­

quer un mouvement de progression qui s'accorde au rythme respira­

toire des personnages.

"Je prie Dieu tous les jours pour ma mère/pour la tienne/

pour tOi/pour nos pauvres serviteurs/ mais quand je prononce

ton nom/ il me semble que ma dévotion augmente".

Les attaques sont variées, comme dans la conversation.

Paul interpelle Virginie et vice-versa :"Dis-moi, par quel charme .. ,,~

"Tiens ma bien-aimée, prends cette branche ••• II , "0 mon frère! les

rayons du soleil ••• ".

Nous avons des exclamatives et des interrogatives adaptées

à ce dialogue amoureux. l/.4;h ! mon frère a un bon coeur ll• "Comme

te voilà fatigué! ". Les interrogatives, bien qu'elles tentent

d'explorer les raisons de leur amour, sont plutôt révélatrices

d'une émotion. "Est-ce par ton esprit? Est-ce par tes caresses ?"

"Pourquoi vas-tu si loin et si haut me chercher des fruits et des

fleurs ?".

-92-

L'épisode de la course épuisante de Paul et Virginie rappelle

le Voyage dans L'Ile (dans le Voyage à i'Ile de France) que

entrëprit pendant son séjour à l'Ile de France. On sent qu'il utili­

se ici des souvenirs personneis et certains détails pittoresques,

qu'il a vu ce qu'il raconte. Sans doute est-ce pour cette raison

que cette narration nous semble encore vivante.

Ce passage (p. 98-99) est divisé en trois mouvements distincts

qui rappelleraient les actes d'une pièce de théâtre, le premier

mouvement correspondant à l'exposition, le deuxième au noeud, le

troisième au dénouement.

La ~ de récit étudiée ici commence au

enfants/~~dans la forêt prient Dieu de leur

moment où les

accorder quelque

nourriture, et, "A peine avait-elle dit ces mots qu'ils entendirent

le bruit d'une source".. Ils apaisent donc leur soit mais cherchent

toujours de quoi assouvir leur faim. Soudain, Virginie aperçoit le

chou comestible d'un jeune palmiste. L'auteur intervient à ce moment

pour nous expliquer dans un st le clair et concis la situation ;

il commence par nous expliquer, en deux concessives, les difficultés

que les enfants auront pour obtenir ce chou : "mais quoique sa tiBe

ne f~t pas plus grosse que la jambe, elle avait plus de soixante

pieds •.• 11 limais son aubier est si dur qu'il fait rebrousser les

meilleures haches" ; le "et" derelance du dernier membre de phrase

introduit brusquement dans une indépendante, une conclusion à cette

exposition du prOblème : liât Paul n ' avait même pas un couteau •.. Il

-93-

Le deuxième mouvement narre les efforts de Paul pour ohtenir

ce chou en mettant le feu au palmiste. Autre diffièulté, Paul

n'a pas de briquet. L'auteur intervient à nouveau pour nous donner

des explications et introduire discrètement dans sa narration une

leçon de morale. "La nécessité donne de l'industrie". Enfin arrive

l'action proprement dite qui se trouve être comprimée dans une

seule phrase, parce qu'elle est rapide et que les gestes de Paul

sont intimement reliés les uns aux autres. Nous avons d'abord une

indépendante: "Paul résolut d'allumer du feu à la manière des

noirs". Notons la valeur dramatique du prétérit "résolut" (après

les présents et les imparfaits) qui marque un changement de rythme

dans le récit. Le circonstanciel "avec l'angle d'une pierre" en

tête de la principale indique bien l'importance de cet outil dans

la réussite de l'entreprise de Paul: de cette proposition dépend

une relative explicative à laquelle se coordonne une indépend~nte

qui a pour fonction de marquer un nouveau développement de l'action.

Le troisième membre de phrase est aussi assez complexe. Nous

avons d'abord une principale: "il posa ensuite ce morceau de bois",

suivie d'une relative, d'une participiale, d'une comparative;

enfin, nous avons ajouté à tout cela une indépendante qui, heureu­

sement, conclut : "an peu de moments, il vit sortir du point de

contact de la fumée et des étincelles".

A la fin de cette lecture, nous sommes aussi épuisés que Paul

Une telle construction témoigne de la difficulté qu'éprouve

-94-

l'auteur lorsqu'il veut raconter un évènement. Il n'est sans

doute pas aussi heureux et à'l'aise que dans la description vers

laquelle ses talents et sa vision de peintre le portent naturelle­

ment. Pourtant, admirons dans ce deuxième mouvement quelques-unes

des qualités de peintre qu'il a fait servir dans la narration.

"

Il utilise avec un certain succes certaines conjonctions qui

divisent l'action en "moments", comme les paysages en plans:

"puis, avec le tranchant ••• u , "il posa ensuite", Ilet la locution

conjonctive "en peu de moments fl qui introduit le troisième mouvement.

La comparaison est un moyen particulièrement efficace d'appro­

che du réel. Encore une fois elle ne sera pas arbitraire, mais

aura pour objet de faire imaginer à l'Européen ce qu'il n'a jamais

vu. La tige du palmiste "B'est l2!!.ê. Elus grosse que la jambe", et

Paul fait rouler un morceau de branche entre ses mains "comme on

roule un moulinet dont. on veut faire mqE§sep. d~_ c4.o.Q.21at" •

Nous sentons au dénouement une détente, tant sur le plan de

la forme que du fond. En effet, la structure phra,séologique nous , ..

apparaît plus aérée. Les phrases sont simplement constituées de

principales suivies de relatives, ou d'indépendantes coordonnées.

A la fin, Bernardin ne peut s'emp~cher de s'att~ndrir sur son tableau

ce qui date bien èelui-çi' à nos yeux : "Ils firent ce repas frugal

remElis de joie par le souvenir de la bonne action qu'ils avaiànt

faite le matin".

:'t ïO

-95-

Le naufrage du Saint-Géran demeure une des pièces ma1tresses

du roman, tant sur le plan de la narration que de la description.

Nous avons extrait de ce long récit l'épisode de l'ouragan, à

partir des présages jusqu'au naufrage du bateau, pour notre ét,l1ne.

(p. 198 à ·201).

Les présages de la tempête (p. 198) sont d'abord annoncés

par un dialogue et une description qui décrivent les phénomènes

tels qu'ils sont perçus: "Monsieur, on a entendu C ••• ) des bruits/

. sourds" ; "dans les bois'les feuilles remuent/sans qu'il fasse de

vent ; les oiseaux de marine/se réfugient à terre'~ Ici encore, , ' .

] auteur utilise l'antithèse et l'opposition pour mieux nous faire

voir les anomalies de la nature. La description qui suit complète

l'image de ces premiers présages.

Le drame commence au moment où les habitants entendent des

bruits épouvantables "comme si des torrents d'el:iu, mêlé à des

to:m.nerres eussent roulé du haut des montagnes" ... "et dans l'instant

un tourbillon affreux ••• le Saint-Géran parut alors .•. " ces

c~ions marquent une pause dans le temps qui permet de mieux

introduire la catastro.phe dans toute son ampleur.

L'auteur se détache ensuite de son sujet, comme pour mieux

nous en raconter les péripéties. La personnalisation du Saint-Géran

qui se développe dans les phrases suivantes transforme impercepti­

blement la description des efforts du bateau en narration puisque

-96-

celui-ci nous appara1t alors comme quelqu'un qui essaie, c'est le

cas de le dire, de se sortir d'une mauvaise passe : "Il pr~sentait

son avant C ... ), sa proue se soulevait •• ~ Pourtant la phrase n'en

est pas moins bien articul~e parce que l'auteur veut expliquer

comment les ~vènements arrivent ; à cause de cela, la phrase sera.

longue, d~coup~e en plusieurs membres,et riche en relatives consé­

cutives, comparatives, participiales et explicatives.

La même personnalisation a cours dans le passage consacr~

à la furie de la mer, mais cette fois le style est plus impression­

niste. Les faits ne sont plus expliqu~s, mais décrits. Il y a un

schéma de phrase qui revient assez souvent dans des tableaux de ce

genre : deux propositions sont coordonnées par un "et" qui prolonge

l'action tout en Tjmarquant les diff~rentes phases d'une progression

"Ces ~cumes s'amassaient dans le fond des anses C ••• ), et le vent

C ... ) les portait par dessus l'escarpement du rivage".

L'ordre des mots a aussi une valeur descriptive: ainsi le

circonstanciel plac~ en tête de proposition attire notre attention

sur ce qui a une valeur visuelle dans la phrase: " ..• et à cha gue

lame d'eau qui s'engageait dans le canal ••• " ; " ••. A leurs flocons

blancs et innombrables ... "

Enfin la narration se concentre à nouveau sur le Saint-Géran

dont ce sont les derniers moments. Un prétérit m~rque le commence­

ment de la fin: li ••• ce qu·~on craignait arriva". Le naufrage est

ensuite relié à l'émotion de la foule qui a::;sssisté à toute la

-97-

.. scene "Ce ne fut qu'un cri de douleur parmi nous •.. "

"Le vent de la tempête", a écrit admirablement Albert Chinard,

"qui engloutit le Saint-Géran emporte toutes les théories philoso­

phiques du bon vieillard et toutes les fadeurs du roman". (1)

Même si le naufrage et la mort de Virginie tiennent parfois du

~élodrame, il n'en reste pas moins que cette catastrophe commande

tout le sens du roman; c'est pourquoi l'auteur a décrit à l'aide

des moyens stylistiques dont il disposait la tragédie finale avec

une telle force d'expression.

-98-

~a vraie découverte de Bernardin. c'est d'avoir introduit

dans la littérature la "sensation de lannature" : son "je sens,

donc je suis" était peut-être dangereux en tant que méthode

scientifique de découverte, mais avait une valeur incalculable

sur le plan poétique, en particulier dans la perception de la

nature telle que projetée dans Paul et Virginie. C'est elle qui

sauve cette oeuvre et pour laquelle la littérature lui est

redevable.

La nature de notre pastorale n'est plus un cadre commode,

mais une figure centrale du roman. Elle apparaît même comme une

"extension" de Paul et Virginie, et vice-versa; le jardin de Paul,

c'est la nature organisée pour plaire à l'homme, et c'est par les

choses de la nature que les sentiments viennent à l'âme des person­

nages. Au début, elle nous est présentée à son état sauvage ; à la

naissance des enfants, leurs mères plantent les cocotiers 'symboliques

qui éveilleront dans la nature un rÔle maternel. En effet, tout

l'univers fait signe aux enfants et s'associe aux principaux

moments de leur existence: lorsqu'ils sont perdus dans la forêt,

ils ne manquent pas de nourriture. La nature s'associe à l'inquiétu­

de amoureuse de Virginie et au désespoir de Paul après son départ.

e' est elle'::qui termine l'idylle paradisiaque. A la fin, l' herbe et

la forêt ont repris leurs droits et cette dernière vision est déjà

romantique.

-99-

Ce qui sauve aussi Paul et Virginie, c'est le ton poétique

qui anime certaines pages. Ainsi le dialogue amoureux de Paul et

Virginie nous semble encore vrai et peut se comparer à ceux de

Roméo et Juliette. -Si la description du naufrage du Saint-Géran

relève parfois du mélodrame, la "marine" n'en reste pas moins une

scène nue, rendue avec la précision d'un procès-verbal. Ici, il n'y

a plus de philosophe, ou de moraliste, ni même de peintre, mais

un marin qui a navigué. Parfois, Bernardin frÔle le génie dans

des pages comme celles de la description du mallde Virginie, où

la finesse du psychologue rejoint celle du peintre.

Ces rapprochements entre l'âme des personnages et la nature

ne seront pas perdus pour Chateaubriand.

Le ton est donné: quand René s'écrie au milieu des sifflements

du vent: "Levez-vous vite, orages désirés ll, on ne sait pas s'fuI

parle des vérita~bes orages ou de ceux du coeur. Ils s'entremêlent

dans son esprit, et cette confusion même donnera aux Romantiques le

plus belles. impressions poétiques.

De même, l'analogie entre certaines fleurs, comme les violettes

et le caractère de Virginie aura son écho dans le bouquet composé

pour madame de Mortsauf dans Le lys sur la Vallée. ~8~udelaire et

Rimbaud souscriraient sans doute aux correspondances qu'avait vues

Bernardin entre "le lieu sauvage, toujours battu des vents" et le

désespoir de Paul après le départ de Virginie.

-100-

Chateaubriand a reconnu sa dette envers Bernardin et, si son

admiration n'est pas sans réserve, il n'en demeure pas moins qu'il

déclare savoir à peu près par coeur Paul et Virginie. Lamartine,

comme George Sand et Sainte-Beuve, fera lui-aussi l'éloge de

Bernardin. Au vingtième siècle, ce qui reste de ce roman c'est

l'exotisme. L'esthétique et la morale de cette oeuvre sont depuis

longtemps périmées, mais la na!veté de cette vision du monde

n'a pas encore perdu de sa fra1cheur.

Enfin, le jugement de Pierre Trahard nous semble juste, s'il

n'est pas aussi enthousiaste que celui d'un Jainte-Beuve

"Chaque oeuvre vaut d'abord par elle-même, et elle a le

destin qu'elle mérite. Le destin de Paul et Virginie est

enviable, puisque son succès, qui dépassa l'oeuvre même,

n'a pas été éphémère. Il ne faut donc pas dé~igrer systé­

matiquement ce petit livre, qui fut un heureux coup de dé,

ni l'exalter à outrance. Sa place est et doit demeurer ,

modeste; c est déjà beaucoup d'avoir une place dans la

tradition des Lettres françaises" (1).

-101-

INDEX DES CITATIONS

Note L'édition de Paul et Virginie à laquelle je me réfère est

celle de Garnier - Paris 1964 - Introduction de Pierre Trahard

PREJ:IIERE PARTIE

Chapitre l (1) Jean Fabre : Lumières et Romantisme; Energie

et nostalgie de Rousseau à Mickiewicz - Paris

1963 - Librairie C. Klincksieck ~ p. 198.

(2) id. - p. 197.

(3) Chateaubriand : Génie du Christianisme. T. 5

2e partie, livre 3, chap. 7 Paul et Virginie,

Dufcur, Boulanger et Legrand éditeurs - Paris

1862 - p. 200.

(4) id. - p. 201

Chapitre II . (1) Gustave Lanson: Histoire de la littérature

française - Hachette, Paris 1912 - p. 831.

Chapitre III (1) id. - p. 831.

Chapitre IV (1) Gustave Lanson: Etudes d'histoire littéraire -

Paris 1929, Librairie ancienne Honoré Champion.

Un manuscrit de Paul et Virginie - p. 234.

TRGISIErΠPARTIE

Chapitre II

Chanitre III

CONCLUSION

-102-

(1) Gustave Lanson: L'art et la prose - Arthème

Fayard, Paris 1908 _.p. 204.

(1) Yves le Hir : Analyses stylistigues, Collec­

tion U - Armand Colin - Paris 1965 - p. 155.

(1) Albert Chinard : L'Amérigue et le rêve exoti­

que dans la littérature française au XVIIe et

XVIIIe siècles ~ Librairie E. Droz, Paris

1934 - p. 430.

(1) Pierre Trahard : Introduction de Paul et

Virginie - Garnier 1964 - p. XLVIII.

-103-

BIBLIOGRATHIE

OUVRAGES DE ET SUR BEm~ARDIN DE SAINT-PIERRE

Bernardin de Saint-Pierre

Lucien Maury

Jean Fabre

Gustave Lanson

Paul et Virginie. Ed. Garnier - Paris

1964. Introduction de Pierre Trahard.

Paul et Virgini~ - Garnier-Flammarion

Paris 1966. Préface de R. Mauzi.

Oeuvpes complètes (12 vol.) Nouvelle

édition corrigée et augmentée par L.Aimé

Martin - chez P. Dupont. 1826.

Etudes sur la vie et les oeuvres de

Bernardin de Saint-Pierre - Paris 1895.

Lumières et Romantisme. Enérgie et

nostalgie de Rousseau à Mickiewicz. Pari

1963. Librairie C. Klincksieck.

Histoire de la littérature francaise.

Paris 1902 - Hachette.

Etudes d'Histoire littéraire - Paris 1929

Librairie ancienne Honoré Champion.

L'Art et la pros~ - Arthème Fayard

Faris 1908.

1

Arvède Barine

OUVRAGES GRAMMATICAUX

-104-

Bernardin de Saint-Pierre - Hachette

Paris 1914.

F. Brunot et Ch. Bruneau: Grammaire hi de la 1

F. Brunot

M. Grévisse

P. Guiraud

Ch. Ba1ly

J. Marouzeau

11. Cressot

Paris, Masson 1937.

La pensée et la langue. Masso~Paris 1936.

Le bon usage. Hatier, Paris 1964.

La grammaire. P.U.F., collection Que sais­

je ? 1961.

La stylistigue. P.U.F., collection Que

sais-je ? 1963.

Traité de stylistigue française. Heidelber

Paris, Librairie C. Klincksieck (2 vol.)

Précis de stylistigue française. l''Iasson,

Paris 1965.

Le style et ses technig~~. P.U.F. Paris

1963.

L. Spitzer

Yves le Hir

w. Von Wartburg

-105-

Stylistics and literary History. Princeton

Un. FR 1948.

Analyses stylistiques. Librairie Armand

Colin, Collection U. Paris 1965.

Problèmes et méthode de la linguistigue.

P.U.F. 1946.

W. Von Wartburg et Zunthor : Précis de syntaxe du Français contempo­

rain.

Grammont

DIVERS

Rousseau

Chateaubriand

Le vers français. ]elagrave. Paris 1937.

Oeuvres complètes. N.R.E'. Collection­

Bibliothèque de la Pléiade. Paris 1959.

Ed. publiée sous la directioll. de B.Blanc

et Marcel Raymond.

Oeuvres complètes (12 vol.). Paris, Furne,

Jouvet (1865-1872).

Mémoires d'Outre-Tombe. Ed. du Centenaire.

Flammarion - Paris 1964.

Génie du Christianisme. Paris 1862. Dufour

Boulanger et Legrand.

Bucoliques grecs. T.1

Longus

A. Chérel

A. Bossent

Anatole France

Gilbert Chinard

Pierre Trahard

Florian

-106-

Théocrite. Paris. Les Belles LettEes 1925.

Ass. G. Budé.

Pastorales (Daphnis et Chloé) Paris 19~3.

Ass. G. Budé.

Histoire de la littérature française, VI,

De Télémaque à Candide, Ed, J. de Gigord,

Paris ,1933.

Histoire de la littérature allemande.

Hacbette 1901.

Le génie latin. Calmann Levy, Paris 1917.

L'Amérique et le rêve exotique dans la

littérature francaise au XVIIe siècle et

XVIIIe siècle. E. Droz, Paris 1934.

Les l1aitres de la sensibilité française

au XVIIIe siècle 1715-1789 (4 T.) Boivin

et Cie 1931.

Oeuvres complètes (T.5) Leipsic 1796 chez

Gérard Fleischer.

-107-

Dictionnaire des Lettres françaises XVIIIe siècle T. 2. NATURE

Edmond Estève

Daniel l"iornet

.. )

Etudes de Littérature pré-romantique.

Librairie ancienne H~noré Champion. Paris

1923.

Le Romantisme en France au XVIIIe siècle.

Hachette. Paris 1912 •

-108-

TABLE DES r~TIERES

Avertissement

Introduction

Première Partie Le vocabulaire

Chapitre l Le vocabulaire de la pas·torale

Introduction Les sources pastorales

de Paul et Virginie: Gessner, Florian, p. 7 ... La place

de Paul et Virginie dans L'oeuvre de Bernardin, p. 7-8 ••.

p. 1

p. 2

p. 6

p. 7

La nature pastorale de l'11e, p. 8 ••• En quoi la végétation,

les animaux et le climat sont bucoliques, p. 8-9 •.. La vie

pastorale, p. 9T11 Le dialogue des enfants avec les animaux

p. 18 ••• Leurs travaux, p. ~12 ••• Leurs jeux, p. 13 •.• Le

vocabulaire amoureux de la pastorale, p. 14 ••• conclusion,

p. 15-16.

Chapitre II Le vocabulaire exotique p. 17

Introduction : Les origines de Paul et

Virginie, p. 17 .•. La source primaire du vocabulaire exotique

de Paul et Virginie, p. 17 ••• Sources secondaires, p. 18 •••

Le vocabulaire exotique, p. 19 •..• La géographie. de l'11e,

les montagnes, les cours d'eau, le climat, p. 19-21 •••

La géographie humaine, les richesses exotiques, p. 21-22 •.•

La flore tropicale et européenne de l'11e p. 22-2~~ •• La

faune, p. 24-25 ••• le vocabulaire technique, p. 25-26 •••

Conclusion, p. 26.

-109-

Chapitre III Le vocabulaire pictural

Introduction : comment le vocabulaire

pictural nous donne une image de la nature, p. 27-28 •••

Vocabulaire visuel: le dessin, p. 28-29 ••• la couleur,

p. 29-30 ••• La lumière, p. 30 ••• le vocabulaire auditif,

p. 31- ••• le vocabulaire tactile et olfactif, p. 32-33 •••

Les verbes expressifs et les termes collectifs, p. 33-34.

Le vocabulaire pictural : conclusion, p. 34.

p. 27

Chapitre IV Le vocabulaire moral p. 35

Introduction: le vocabulaire affectif,

'n. ~S ••• vocabulaire affecté dans le portrait des enfants,

p. 36-37-38 •.• vocabulaire précieux pour décrire l'éveil

de l'amour, p. 39 ••• La projection des sentiments sur la

nature, p. 41-42 ••• ccnclusion, p. 42.

Deuxième pa;r:-tie Le matériel grammatical

Chapitre l La personnalisation de la nature

Introduction : la nature devient thème

p. 43

p. 44

du roman, p. 44 ••• comment son autonomie est mise en lurnière

par l'emploi de l'article, p. 45-47 ••• les temps verbaux,

p. 47-50 ••• la forme pronominale, p. 50 ••• faiblesse de la

métaphore et des verbes expressifs, p. 50-5"2 ••• conclusion,

p. 5'2.

-110-

Chapitre II Nature contingente et nature éternelle p. 53

Introduction: dualité de la nature, p.53

sa dépendance vis-à-vis de l'homme traduite par 1/ le pronom

"on", p. 53-54, 2/ la comparaison, p. 54, 3/ les inscriptions

latines, p. 55 ••• son indépendance vis-à-vis de l'homme

traduite par 1/ le défini et l'indéfini, p. 55-56 ••• 2/ par

le présent atemporel, p. 57-58 ••• conclusion, p. 58.

Chapitre III L'illustration picturale

Introduction : progrès de Bernardin

p. 59

comparé à Rousseau, p. 59 ••• Valeur qualitative de l'indéfini,

p. 60 ••• l'alternance des temps verbaux: leur effet dramati­

que, p.60-61 ••• faiblesse des qualificatifs et importance des

participes à valeur adjectivale, p. 61-62 ••• valeur picturale

de la phrase nominale et du substantif abstrait, p. 62-64 •••

la comparaison, p. 64 ••• la métaphore, p. 64 ••• autres moyens

grammaticaux: les circonstanciels descriptifs, p. 65 ••• les

compléments déterminatifs, p. 65-66 ••• les relatives, p. 66-67

conclusion, p. 67.

Il'roisième partie La composition, la phrase et l'ordre des mots p.68

Chapitre l Le dessin et le l2,ortrait p. 69

Le dessi.n : le tableau d'ouverture, p. 69-71.

le jardin de Paul, p. 71-72 ••• le portrait d.es enfants, p. 72-

73 ••• le portrait moral de Virginie, p. 74-76-77 ••• conclusion,

p. 78.

-111-

Chapitre II La peinture de la nature

Introduction, p. 79 ••• l'été: le verbe

qui des~ine le mouvement, le t~ème du feu, p. 79-80 •••

l'ordre impressif de la phrase, p. 80 ••• le volume et la

liaison des phrases, p. 80 ••• euphonie,eharmonie et rythme,

p. 79

po 81-82 ••• le soleil couchant, p. 82 ••. Description

impressionniste de la lumière, p. 83-84 ••• la nuit' tropicale

dessin et couleur, p. 84 ••• construction parallèle, p. 84-85 ••

le Repos de Virginie, p. 85 ••. Expressivité de la peinture,

p. 85-87 ••• le rythme, p. 87 ••• conclusion, p. 88.

Chapitre III Le dialogue et la narration descriptive p. 89

Introduction : faiblesse du dialogue et de

la narration, p. 89 ••• le dialogue amoureux, p. 89 ••• sa

co'nstruction conventionnelle, p. 90 ••• la phrase affective,

p. 91 ••• la course épuisante de Paul et Virginie: une narration

classique, p. 92-94 ••. sa structure phraséologique, p. 94 •..

le naufrage du Saint-Géran, p. 95-96 ••• la personnalisation

et l'intervention de l'auteur, p. 96 ••• l'ordre des mots, p. 96.

conclusion, p. 9~.

Conclusion

Index des citations

Bibliographie

Table des matières

p.98-100

p.101-102

p.103-107

p.108-111