jean-noel aletti, questions d'actualite sur saint paul

10
QUESTIONS D'ACTUALITÉ SUR SAINT PAUL Jean-Noël Aletti S.E.R. | Études 2006/5 - Tome 404 pages 637 à 645 ISSN 0014-1941 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-etudes-2006-5-page-637.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Aletti Jean-Noël, « Questions d'actualité sur saint Paul », Études, 2006/5 Tome 404, p. 637-645. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour S.E.R.. © S.E.R.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. © S.E.R. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. © S.E.R.

Upload: guimaraespaz

Post on 17-Dec-2015

9 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

Jean

TRANSCRIPT

  • QUESTIONS D'ACTUALIT SUR SAINT PAUL

    Jean-Nol Aletti

    S.E.R. | tudes

    2006/5 - Tome 404pages 637 645

    ISSN 0014-1941

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-etudes-2006-5-page-637.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Aletti Jean-Nol, Questions d'actualit sur saint Paul , tudes, 2006/5 Tome 404, p. 637-645. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour S.E.R.. S.E.R.. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votretablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire quece soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur enFrance. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

    1 / 1

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.

  • SIL EST relativement ais dexpliquer des tho-logiens lvolution actuelle des tudes pauliniennes,leur clatement, leur coloration de moins en moins

    confessionnelle, les dfis affronts 1, il est en revanche plus dif-ficile dy intresser les gens cultivs qui ne sont pas du mtier :les dbats entre exgtes, trs anims ces dernires dcennies,leur semblent tre des vaguelettes au bassin des enfants. Sansdonc mener le lecteur moins averti au cur des discussionsexgtiques, quels rsultats et quels enjeux plus immdiate-ment perceptibles est-il possible de prsenter ?

    Paul la croise des chemins,entre protestants et catholiquesEn caricaturant, et pour mieux faire saisir les clivages, disonsque, pendant trs longtemps, Paul fut pour les protestants lehraut par excellence de lEvangile. Non que ceux-ci rejetaientles autres crits du Nouveau Testament, mais ils les consid-raient comme dj porteurs dun certain protocatholicisme 2,et ils choisissaient dans le Canon (no- mais aussi vtrotesta-mentaire) les livres quils considraient dcisifs pour la foi (la

    tudes - 14, rue dAssas - 75006 Paris - Mai 2006 - N 4045 637

    Religions et Spiritualits

    Questions dactualitsur saint Paul

    JEAN-NOL ALETTI

    Jsuite. Professeur lInstitut Biblique, Rome.Membre de la Commission Biblique Pontificale

    1. Je lai fait en partie dansle numro 3 des Recherchesde Science Religieuse delanne 2002, o lon trou-vera un dossier sur ltatactuel des tudes sur saintPaul et ses Lettres. Ce typede reprise et de rflexionsur ltat de lexgse pau-linienne doit tre fait tousles dix ans environ ; la mul-tiplication des articleset monographies, lvolu-tion des approches etlabondance des rsultats yobligent.

    2. Ce mot a souvent uneacception pjorative, dumoins dans les milieuxprotestants, car il dsigneles livres du Nouveau Tes-tament quon estime dj distance des (vrais)tmoins de lEvangile (lesLettres protopaulinienneset lEvangile selon Marc),parce que refltant uneglise en voie de catholici-sation (allant lentementmais srement vers unpiscopat monarchique,un vque de Rome assu-rant une fonction pledunit et, progressive-ment, de contrle, etc.).

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.

  • leur, cest--dire celle de leur famille confessionnelle), en lais-sant pratiquement tomber les autres3. Aujourdhui, les conten-tieux confessionnels sont beaucoup moins perceptibles chezles exgtes de Paul, protestants et catholiques. Ils semblentstre aussi attnus entre les confessions chrtiennes elles-mmes, puisque, il y a moins de dix ans, les plus hautes ins-tances luthriennes et catholiques romaines ont sign uneDclaration commune sur la justification 4.

    La question de la justification trouve, on le sait, sonpoint dancrage dans les Lettres pauliniennes. Les points delitige entre les confessions luthrienne et catholique ne tou-chaient pas le don de la justification des pcheurs, bien pluttleur statut une fois justifis : restent-ils ou non pcheurs ? Il asembl aux autorits ayant sign La Dclaration commune surla justification (DCJ ) que les donnes no-testamentaires, enparticulier pauliniennes, appuyaient la doctrine du chrtiensimul justus et peccator ( la fois juste et pcheur ), et quilimportait de voir comment parler du pch de ceux qui ontt justifis sans limiter la ralit du salut. Sur le sujet, les textesde rfrence sont principalement Galates 5,16-17 et Romains7,7-25, car, toujours selon la DCJ, ils expriment au mieux lasituation du justifi, effectivement renouvel et habit par lagrce, mais qui, restant sous lemprise du pch, nest pas dis-pens de combattre continment en lui la convoitise gostelopposant Dieu. Bref, mme justifis, les croyants doiventimplorer le pardon de Dieu et restent constamment appels la conversion, la repentance 5. En faisant de lide (pauli-nienne) de justification par la foi seule un critre indispen-sable renvoyant sans cesse au Christ lensemble de la doctrineet de la pratique des Eglises, les signataires de laccord taientconvaincus de mettre en valeur sa fonction hermneutique etdoctrinale 6.

    Pour bien des exgtes, pas seulement de confessioncatholique, la difficult de la DCJ vient des textes sur lesquelselle sappuie principalement, Galates 5,17 et Romains 7,7-25.Luther prit en effet Galates 5,17 comme grille de lecture pourinterprter Rm 7,7-25 7, les deux passages parlant, selon lui, duchrtien encore emptr dans la chair, habit par des dsirscontradictoires, bref simul justus et peccator : Car la chair

    638

    3. Cela revient concrte-ment dterminer uncentre de lEcriture, ouencore tablir un Canondans le Canon, privilgierles lettres considres com-me tant vraiment de Paul(Romains, 1 et 2 Corin-thiens, Galates, Philippiens,1 Thessaloniciens, Phil-mon), et lEvangile selonMarc.

    4. La Dclaration communesur la justification (1997,dsormais DCJ) peut tre consulte dans LaDocumentation catholique,n 2168, 1997, p. 875-885.

    5. DCJ, 28. Il est tonnantque le texte nait pas utilis1 Timothe 1,15.

    6. DCJ, 18. Les luthrienset les catholiques saccordentpour dire que la doctrinede la justification est unenorme critique devant per-mettre de vrifier toutmoment si telle interprta-tion concrte de notre rap-port Dieu peut prtendretre qualifie de chrtienne.Elle devient en mmetemps pour lEglise la normecritique permettant devrifier si sa prdication etsa pratique correspondent ce qui lui a t confi parle Christ.

    7. Car on rencontre ici et lune opposition entre levouloir et le faire. Luthersuit une interprtationremontant, si je ne mabuse, saint Augustin.

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.

  • convoite contre lEsprit, et lEsprit contre la chair ; il y a entreeux antagonisme, si bien que vous ne faites pas ce que vous [lescroyants] voudriez 8. Selon cette traduction, le combat delEsprit et de la chair en chaque croyant rend ce dernier inca-pable de faire le bien quil dsire. Cette interprtation najamais totalement satisfait les biblistes, car, si la chair et lEspritsopposent effectivement lun lautre, on ne voit pas pour-quoi leur lutte surtout si lEsprit doit finalement lemporter aurait pour effet de nous empcher de faire ce que nous vou-lons. Si tel est bien le dsir de la chair, ce nest certainementpas celui de lEsprit, en lutte contre elle pour la vaincre et nouspermettre de raliser le bien que nous voulons faire 9. Ilimporte donc de rendre autrement Galates 5,17 dans soncontexte, et dy lire une incise ou une parenthse 10 :

    Je le dis : laissez-vous mener par lEsprit et vous ne risquerez pas de

    satisfaire la convoitise de la chair. Car la chair convoite contre

    lEsprit mais lEsprit contre la chair, il y a en effet entre eux anta-

    gonisme 11 , afin que les choses que vous voudriez [faire] vous ne

    les fassiez pas. Mais si lEsprit vous anime, vous ntes pas sous la

    Loi

    Coup comme il lest maintenant, le passage devient clair etrend bien compte de la dynamique de largumentation, pourlaquelle quiconque est men par lEsprit peut enfin faire ce[cest--dire le bien] quil veut. Loin dinsister sur la dfaite oula paralysie des croyants, ces versets soulignent au contraire lasupriorit de lEsprit. Quant lincise, sa fonction est, elleaussi, claire : elle rappelle que si la chair lutte contre lEsprit, cedernier est l pour rpondre aux attaques, puisque tel est sonrle 12. Bref, si lon suit cette nouvelle traduction, plus respec-tueuse de la dynamique et de la finalit du passage, il estimpossible de voir confirme en Galates 5,17 lide que lechrtien est la fois simul justus et peccator.

    Romains 7,7-25 serait-il donc plus mme dappuyercette ide ? Si la DCJ scelle manifestement un accord confes-sionnel, de plus en plus de voix exgtiques protestantes etcatholiques en viennent nier que Paul ait pu dcrire leschrtiens dans ce fameux passage 13. La situation hermneu-tique actuelle est ainsi paradoxale, car de nombreux croyants,se sachant prisonniers de leurs passions, incapables daimer et

    639

    8. Traduction de Galates5,17 de la Bible de Jrusa-lem (grosso modo suiviepar la TOB). La plupart desbibles traduisent malheu-reusement ainsi.

    9. Le contexte de Galates5,17 invite donner auverbe grec thlein un senspositif (vouloir faire lebien, et non vouloir fairenimporte quoi), puisquilsagit du croyant conduitpar lEsprit ; le v. 17 esten effet incomprhensiblesans les versets environ-nants, le v. 16 ( Laissez-vousmener par lEsprit ) et lev. 18, qui reprend le fil dudiscours ( Mais si lEspritvous anime ). Bref, laquestion nest pas quon nepuisse pas faire tout ce quinous passe par la tte dautant que ladjectif tout ne se trouve pas enGa 5,17 , mais de pouvoirfaire ce quon veut, savoirle bien.

    10. Marque ici par destirets. Si lon omet les motsentre tirets, le texte affirmede faon limpide que, si lachair soppose lEsprit,pour empcher les croyantsde faire le bien quilsentendent faire, en se lais-sant animer par lEsprit,ces derniers restent hors deporte de la chair.

    11. Les dimensions correctesde lincise ont t pour lapremire fois mises en vi-dence par J. Kilgallen, The Striving of theFlesh (Galatians 5,17) ,dans Biblica, 80, 1999,p. 113-114. On trouveradans cet article toutes lesraisons justifiant linter-prtation propose. Voirgalement J.-N. Aletti, Bible et dialogue cum-nique , in Fr. Mies (d.),Bible et sciences des reli-gions, Lessius, Namur-Bruxelles 2005, 123-144(129-132).

    12. En termes rhtoriquespompeux, on dira que lin-cise est une expolitio.

    13. Voir, entre autres, J.-N.Aletti, Romains 7,7-25.La loi sainte au service

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.

  • de faire le bien, se reconnaissent dans leg dcrit en Rm 7,5-25. Lhistoire montre aussi quau cours des sicles ils ont sou-vent t loin de porter un authentique tmoignage lEvangile, en particulier lpoque o vcut Luther. Mais,dautre part, toutes les techniques rhtoriques utilises parlaptre Paul invitent ne pas voir le chrtien dans leg deRomains 7,7-25. Que choisir : le texte en sa rhtorique superbe,ou bien ce que lexprience nous montre des chrtiens danslhistoire ? Cet exemple est emblmatique des choix faits parlexgse de ces dernires dcennies, qui sest de plus en pluslaisse guider par les contraintes de lcriture paulinienne. Enrelisant, comme la DCJ, les textes du Nouveau Testament nouveaux frais, lexgse en tire pourtant des conclusionscontraires aux siennes : Rm 7,5-25 ne saurait constituer unepreuve pour la doctrine du simul justus et peccator , puisquece passage ne considre pas le cas du chrtien, mais bien plu-tt la situation dsespre de ceux qui ne le sont pas. Que pen-ser ds lors de la DCJ, dont tout leffort de relecture quelle faitdes fondements bibliques arrive en quelque sorte un non-lieu ? Devons-nous nous contenter dune double vrit, dunct, celle de lexprience, pour laquelle leg de Rm 7 dsigneaussi le chrtien, et de lautre, celle de lexgse, pour laquelleles propos de Rm 7 ne sauraient sappliquer au chrtien ?

    On peut chapper au dilemme en allant chercherdautres passages du Nouveau Testament susceptibles dap-puyer la doctrine du simul justus et peccator, ou en dclarantque la porte des textes bibliques (en particulier no-testa-mentaires) dpasse la vise quen eurent leurs auteurshumains : mme si pour Paul leg de Rm 7 nest pas le chr-tien, lhorizon du passage est plus tendu quil ne le pensait etle voulait, ce qui explique son utilisation par Augustin, Lutheret bien dautres aprs eux Au demeurant, lalternative oulexgse scientifique, ou la lecture base sur lexprience faitepar de nombreux chrtiens ne clt pas la discussion, car, siles techniques rhtoriques et le contexte de Rm 7 forcent lesspcialistes reconnatre que Paul na pas voulu parler de celleset ceux qui sont en Christ, il importe de se demander pour-quoi bien des chrtiens y voient dcrite leur propre situation.Bref, on ne peut se contenter dexpliciter Rm 7 en montrant ceque laptre a voulu dire 14, il faut aussi admettre que si, en

    640

    du pch , dans Isralet la Loi dans la Lettreaux Romains , Cerf,1998, 136-165; et Romains7,7-25 encore une fois.Enjeux et propositions ,New Testament Studies 48[2002] 358-376) ; A. Gie-niusz, Identity markerso solus Christus. Qualeposta in gioco nella dottri-na della giustificazione perfede in Paolo ? , EuntesDocete 53 (2000), 7-27 ;galement S. Romanello,Una legge buona ma impo-tente. Analisi retorico-let-teraria di Rm 7,7-25 nelsuo contesto, Devoniane :Bologne, 2000.

    14. Lexgse ne peut enrester une attitude pure-ment descriptive, consis-tant rendre compte dusens littral, autrement dit reconstruire le plus fid-lement possible le pass, enprsentant comme dfini-tif ou absolu ce que le textecolporte dhistoriquementdtermin.

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.

  • Rm 7, il ne vise pas les chrtiens, cest parce quen ce temps-lle christianisme navait rien de sociologique !

    Lexgse paulinienne scientifique ayant pris ses dis-tances par rapport linterprtation hrite des grandes posi-tions thologiques (voire confessionnelles), mais aussi ducroyant non spcialiste, il importe de questionner la perti-nence respective des trois types de lecture : scientifique, tho-logique et croyante. Les exgtes sont ainsi convis uneouverture hermneutique toujours plus grande au momentmme o leur discipline devient de plus en plus rudite et tend les isoler. Le dfi est de taille, mais il leur faut le relever, sinonils ne rempliraient plus le rle qui doit tre dabord le leur,celui daider les croyants goter des textes o se donne entendre la Parole de Dieu

    Paul la croise des chemins,entre juifs et chrtiensLexgse dite scientifique ne secoue pas seulement les posi-tions confessionnelles, elle sinterroge aussi sur la maniredont juifs et chrtiens valuent le rapport de Paul au judasmede son temps. Les autorits juives ont longtemps considrPaul comme un rengat ayant amen le groupe des adeptes deJsus rompre avec le judasme, alors que, pour eux, Jsusresta jusqu sa mort un juif pratiquant, et ne demanda pas ses disciples dabandonner la loi mosaque. Il y aurait donc unhiatus entre Jsus et Paul, une dviance, qui serait alle gran-dissant avec les sicles. Inversement, une tradition chrtienneassez majoritaire remerciait Paul davoir abandonn lejudasme, religion de la performance, exigeant une obissancestricte de la loi mosaque, avec des rgles de sparation et depuret mettant ses sujets distance du reste des hommes,parce quimpurs, poussant les plus observants lorgueil, larrogance, et les autres la honte, voire au dsespoir. Loi etfoi, uvres et foi, loi mosaque et Evangile, judasme et chris-tianisme sopposent alors en tout.

    Changement dattitude des exgtes chrtiens. La Shoah,Vatican II et une tude toujours plus srieuse du judasme delpoque de Paul ont progressivement modifi lattitude et les

    641

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.

  • rsultats de lexgse chrtienne, qui ralisa combien samanire de voir le judasme tait caricaturale. Laissant tomberses a priori confessionnels, elle sest remise louvrage, car touttait recommencer 15. Il importait de mieux connatre les dif-frents courants du judasme, la place de la loi mosaque dansla sotriologie de ces diffrents courants, etc. Mais il fallait ga-lement revenir sur le rapport de Paul au judasme : lavait-ilcorrectement compris ? Que lui reprochait-il exactement ? Etc.Bref, la situation de lexgse paulinienne est telle, aujour-dhui, quaux questions hautement thologiques du pass il estimpossible de rpondre par des phrases bien marteles, sansde longues enqutes historiques et exgtiques, bases sur uneanalyse toujours plus fine des textes. Et ce travail en est sestout dbuts.

    Par sa formation, Paul est bien juif. Mme sil existeencore de nombreux points dombre sur les lieux et les tempso le jeune Saul fut form la foi de ses pres et initi la rh-torique grecque, personne ou presque ne conteste actuelle-ment que laptre ait eu une formation la fois juive par lestechniques dinterprtation des Ecritures, quon peut repreren ses crits et grecque. Mais il reste encore dterminer avecprcision quels courants du judasme Paul a connus et lesquelsont pu linfluencer.

    Il est depuis longtemps admis que la matrice de larflexion de Paul fut lapocalyptique juive, mais si lon ne veutpas se contenter de rpter des slogans, il importe de sinter-roger sur les caractristiques de lapocalyptique du judasmede lpoque, et de voir jusqu quel point laptre a tinfluenc par elle. Ici encore, cest un immense chantier qui seprsente aux exgtes. Voil pourquoi, avant de dire, un peurapidement, que Paul na pas compris le judasme de sontemps, quil en a fait une prsentation caricaturale, mieux vautsinterroger sur la connaissance quon a soi-mme de cejudasme : leffet premier des travaux rcents a t de faire ces-ser les noncs catgoriques.

    Le changement doptique de la recherche a aussi pro-voqu une autre manire de concevoir le discours de Paul surIsral. De nombreuses tudes ont t crites, ces dernires

    642

    15. Limpulsion dcisivefut, semble-t-il, donnepar la new perspective,inaugure par un exgteamricain, E.P. Sanders,sur le rapport de Paul aujudasme de son temps,dans un ouvrage qui pro-voqua une secousse sis-mique de grande intensitdans le petit monde delexgse paulinienne, Pauland Palestinian Judaism,Fortress Press, Philadel-phia, 1977.

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.

  • dcennies, sur Rm 9-11 : Isral est-il dpossd de ses privi-lges, rejet par Dieu ? Et si la rponse est ngative, aura-t-il unrle dans lhistoire du salut ? Et quel sera-t-il ? Son refus delEvangile durera-t-il jusqu la fin des temps, etc. ? Il est vraique, pour Paul, cest par fidlit la Loi quIsral a rejetlEvangile : comment aurait-il pu abandonner cette Loi queDieu lui avait donne pour quil vive ? De la Loi, le Juif dit quesans elle il ny aura de salut ni pour lui ni pour son peuple, carle rapport la Loi est, pour le Juif, aussi fort et exclusif que,pour le baptis, celui au Christ et lEglise. Et lon comprendpourquoi plus les Juifs sont attachs la Loi, moins ils veulentet peuvent sen loigner ou sen sparer.

    Sil fallait indiquer les points sur lesquels lexgse aglobalement progress ces derniers temps, on pourrait brive-ment les dcrire ainsi :

    Lhypothse dune voie spciale de salut pour Isralnest pas envisage par Paul, et pas davantage celle du judasmeet du christianisme comme deux voies de salut spares etparallles.

    Rm 9-11 ne parle pas des rapports entre Isral etlEglise, mais entre Isral et les Nations la diffrence estimportante, car elle indique que, pour Paul, lglise nest pasde mme nature ou de mme ordre quIsral ou les Nations.Mais le dsir de laptre est que les croyants issus de laGentilit noublient pas ce qui les rattache Isral, et surtoutquils nen viennent jamais le mpriser ou laccuser.

    En lien avec ce qui vient dtre dit, il faut aussi noterque Paul namorce ni a fortiori ne dveloppe une thologie dela substitution, comme si lEglise remplaait Isral ou tait levritable Isral : chez Paul, lIsral fidle est compos des Juifsou des isralites ayant cru en Jsus Christ.

    Paul ne dveloppe aucunement une ecclsiologie olEglise serait le (vrai, nouveau) peuple de Dieu, et prfredautres catgories (familiales, cultuelles, corporelles). Sil estplus disert sur lancienne et la nouvelle alliance, on ne peutdire que cette catgorie ait un rle de premier ordre dans lathologie des Lettres une comparaison avec Qumran oudautres sources contemporaines devraient faire lobjetdtudes systmatiques. Il est mme pour le moins tonnant

    643

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.

  • de le voir, en Rm, parler de la justification sans la situer parrapport lalliance. En dautres termes, il reste aux exgtes dePaul dterminer et approfondir les raisons qui ont provoqules choix linguistiques de laptre.

    Changement dattitude des chercheurs juifs. Du ct juif, onconstate aussi une nette volution. Dapostat, Paul est devenuun frre 16. Cela ne veut pas dire quils partagent ses opinionssur la loi mosaque ou sur Isral, mais ils reconnaissent en luiun juif Paul lui-mme na dailleurs jamais eu limpressionde changer de religion ou de foi passionn de Dieu, ayantreconnu en Jsus de Nazareth le Messie attendu et le sauveurde tous les hommes. En situant Paul lintrieur des courantsjuifs de son temps parmi les baptistes ou les messianistes ,lexgse juive retrouve aussi lextrme varit caractrisant lejudasme du dbut de notre re. Il est admis que le judasme apu survivre grce sa reprise en main par les coles rabbi-niques, mais les savants juifs eux-mmes se demandent si unetelle unification na eu que des effets positifs. Bref, en mmetemps quils lisent et tudient Paul avec dautres yeux, ils sin-terrogent sur la direction prise par lhistoire de leurs proprestraditions.

    Une dmarche critique non obre par les suspicionsdantan conduit ainsi les exgtes chrtiens et juifs de Paul denouvelles perspectives de dialogue.

    Paul la croise des chemins thologiquesLes recherches pauliniennes, dune toujours plus grande tech-nicit, peuvent dcourager bien des croyants pourtant dsi-reux de sinstruire. Puisse un rappel simple montrer les enjeuxthologiques soulevs par les Lettres de Paul et leur donnerlenvie den savoir un peu plus.

    Paul na pas fait de trait de thologie systmatique.Nous ne savons pas comment il catchisait les croyants dalors.De lui, nous navons que des lettres, o il traite de problmesdivers. Au demeurant, mme lorsquil revient sur les mmesproblmes dune lettre lautre, ses propos ne sont pas uni-formes, au point que plusieurs exgtes de renom ont renonc

    644

    16. On aura un bon aperude cette volution rcenteen consultant S. Meissner,Die Heimholung des Ket-zers. Studien zur jdischenAuseinandersetzung mitPaulus, Mohr Siebeck,Tbingen 1996. Je recom-mande aussi vivement lar-ticle de A. F. Segal, Paul etses exgtes juifs contem-porains , qui paratra en2006 dans les Recherches deScience Religieuse.

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.

  • y trouver une totale cohrence. De leur avis, Paul est un pas-teur sadaptant ceux qui il sadresse, et lon doit renoncer trouver dans ces crits de circonstance des rponses en toutpoint compatibles 17. Outre la cohrence, laspect historique-ment dtermin des Lettres de laptre force nous interrogersur ce qui, de sa thologie ou de son message, est contingent, adonc vieilli, et ce qui reste permanent, valable for all seasons.Certes, le bon sens nous fait penser que ses noncs sur la lgi-timit divine des autorits politiques (Romains 13,1) nont nila mme force ni la mme valeur que ceux sur le Christ ou surlEglise. Et lorsquil demande aux femmes de se taire dans lesassembles liturgiques (1 Corinthiens 14,34) et dtre soumises leurs poux (Colossiens 3,18 ; Ephsiens 5,22), commentragira-t-on ? Dira-t-on, avec les fministes, quil sagit ldune conception ancienne et patriarcale du pouvoir : Larhtorique de Paul ne vise pas entretenir lindpendance, lalibert et le consensus, mais souligne la dpendance (par rap-port lui-mme), lordre et la dcence, aussi bien que lasubordination et le silence 18 ? Quon soit ou non daccordavec ce jugement sans appel, il reste sinterroger sur les pr-supposs de laptre, pour distinguer entre la paille et le grain,entre ce qui, dans ses exhortations ou ses argumentations, estli une poque et une culture donnes, et ce qui relve delvangile. Les exgtes de Paul auront encore beaucoup detravail dans les dcennies venir

    JEAN-NOL ALETTI s.j.

    645

    17. Prenons un exempletrivial. En Romains 2,13laptre dclare que sontjustifis ceux qui observentla loi (mosaque), et unpeu plus loin, en Romains3,20, que personne ne serajustifi devant Dieu en fai-sant les uvres demandespar la Loi, car cette derni-re ne peut donner que laconnaissance du pch.Sur ces trs difficiles cha-pitres de Romains, encoremal compris aujourdhui,mme par les spcialistes,je me permets de renvoyer mon essai, Le jugementen Romains 1-3 , dans Cl.Coulot (d.), Le Jugementdans le Nouveau Testament(Hommage J. Schlosser),Cerf, 2004, p. 311-334. Cesapparentes incohrencesinvitent les exgtes tu-dier attentivement les tech-niques rhtoriques dePaul.

    18. E. Shssler Fiorrenza,Rhetoric and Ethic, ThePolitics of Biblical Studies,Fortress Press, Philadel-phia 1998, 121.

    Doc

    umen

    t tl

    cha

    rg

    depu

    is ww

    w.ca

    irn.in

    fo -

    - -

    177

    .17.

    216.

    145

    - 23/

    08/2

    013

    15h5

    5.

    S.E

    .R.

    Docum

    ent tlcharg depuis www.cairn.info - - - 177.17.216.145 - 23/08/2013 15h55. S.E.R.