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COLLEENHOOVER
HOPELESS
Traduitdel’américainparMaudDesurvire
ÀVance.Certainspèresvousdonnentlavie.D’autresvousapprennentàlavivre.
Mercidem’avoirappris.
Dimanche28octobre2012
19h29
Jemelève,jescrutelelitetjeretiensmonsouffle,redoutantlescrisquimontentcrescendoenmoi.Jenepleureraipas.Pasquestion.Jetombelentementàgenoux,jeposelesmainssurleliteteffleurelesétoilesjaunesquiparsèmentle
drapbleumarinejusqu’àcequeleslarmeslesrendentfloues.Lesyeuxfermés,lesépaulestremblantes,j’enfouismonvisagedanslacouetteenm’ycramponnantet
j’éclateensanglots,incapabledemeretenirpluslongtemps.D’uncoup,jemerelèveenhurlant,j’arrachelacouetteetlabalanceàtraverslapièce.
Cherchantfrénétiquementautrechoseàlancer, j’attrapelesoreillerset lesjetteàlafiguredecettefilledans lemiroir,que jenereconnaisplus.Ellemedévisageenpleurnichantd’unairpitoyable.Seslarmes de faiblessememettent hors demoi.On semet à courir l’une vers l’autre jusqu’à ce que nospoings se fracassent contre le miroir et le brisent. La fille se disloque en une multitude de tessonsbrillantssurlamoquette.
Empoignant lacommodeàdeuxmains, je la faisbasculerenpoussantunautrecride rage refoulédepuis troplongtemps.Unefoisqu’elles’est immobilisée, j’ouvreles tiroirsà toutevoléeetvideleurcontenuàtraverslachambreenenvoyanttoutvalseràcoupsdepied.Ensuitelesvoilages:jetiredessusjusqu’àceque la tringlesecassenetetqu’ilsdégringolentàmespieds.Puis jem’emparedupremiercartondelapilequisetrouvedansl’angle.Sansmêmesavoircequ’ilcontient,jelejettecontrelemuravectoutelaforcedontjesuiscapableduhautdemonmètresoixante.
—Jetehais!Jetehais!Jetehais!Àchaquecrideragequejepousse,leslarmesquidévalentmesjouesmelaissentungoûtsalédansla
bouche.Soudain,Holderarrivepar-derrièreetm’étreintsifortquejenepeuxplusbouger.Jerésiste,jeme
contorsionne et je fulmine encore un peu, jusqu’à ce que mes gestes ne soient plus que des réflexesdésordonnés.
—Arrête,mesouffle-t-ilàl’oreille,refusantdemelâcher.Jefaisminedenepasavoirentenduetcontinuedemedébattre.Maisilnefaitquemeserrerdeplus
belle.—Lâche-moi!Jehurleàpleinspoumonsenluigriffantlesbras.Làencore,ilneselaissepasdémonter.Jet’ensupplie,lâche-moi.
Unepetitevoixrésonnedansmatête,etsoudain,jem’affaissedanssesbras,deplusenplusfaibleàmesurequemessanglotsredoublent.Jenesuisplusqu’unefontainedelarmesquin’enfinitplusdesedéverser.
Jesuisfaible,c’estpourçaqu’ilgagne.Holderme relâcheetpose lesmains surmesépaulespourme fairepivoter faceà lui. Jen’arrive
mêmepasàleregarderdanslesyeux.Épuisée,jesanglotecontreluienempoignantsontee-shirt,lajoueplaquéecontresoncœur.Alorsilposeunemainderrièrematêteetd’untonferme,détaché,ilmeglisseàl’oreille:
—Sky.Ilfautyaller,maintenant.
Samedi25août2012
23h50
Deuxmoisplustôt…J’aimeraiscroirequedepuisdix-septansquej’existe,tousmeschoixontétéjudicieux.Avecunpeu
dechance,l’intelligencesemesureaupoidsettouteslesbonnesdécisionsquej’aiprisesl’emporterontsurmesrareserreurs.Maisdanscecas-là,ilfaudrasérieusementquejecompensecardanslasérieidéesstupides, faire entrerGrayson dansma chambre par la fenêtre pour la troisième fois en unmois pèseplutôtlourddanslabalance.Cependant,iln’yaqu’avecletempsqu’onpeutmesureravecprécisionledegrédestupiditéd’unedécision…Alorsavantdejuger,jevaisattendredevoirsijemefaisprendre.
Endépitdesapparences,jenesuispasunefillefacile.Àmoins,biensûr,queletermenedésigneexpressémentunefillequisortavecpleindemecs, indépendammentdel’attirancequ’elleressentpoureux.Auquelcas,ilyapeut-êtrematièreàdébat.
—Dépêche,s’agiteGraysondel’autrecôtédelavitre,visiblementagacéquejeprennemontemps.Jefaiscoulisserlafenêtreverslehautaussidiscrètementquepossible.Karenabeauêtreunemère
originale,pourcequiestdesgarçonsquiseglissentdanslachambredesafilleàminuit,elleestcommetouteslesautres:contre.
—Faispasdebruit.Graysonprendappuipourpasserunejambepar-dessuslerebordpuisseglisseàl’intérieur.Comme
lesfenêtresdececôté-cidelamaisonsontàpeineàunmètredusol,c’estunpeucommesij’avaismapropreported’entrée.En fait, avecSix, on adûpasserplus souventpar làpour se rendre l’une chezl’autrequeparlaported’entrée.Karenesttellementhabituéequ’ellenesedemandemêmepluspourquoimafenêtreestpresqueenpermanenceouverte.
Avantdetirerlesrideaux,jejetteunœilverslachambredeSix.EllemefaitunsignedelamaintoutentirantJaxonparlebrasalorsqu’ilescaladesafenêtre.Unefoisàl’intérieur,ilseretourneetpasselatêtedehors.
—Rendez-vousàtonpick-updansuneheure,souffle-t-ilàGrayson.Puisilrefermelafenêtreetlesrideaux.Depuis le jouroùelle a emménagédans lamaisond’à côté, il y aquatre ans,Six etmoi sommes
inséparables.Les fenêtresdenoschambres sontmitoyennes,cequi s’estvite révélé trèspratique.Leschosesontcommencéassezinnocemment.Àquatorzeans,jem’éclipsaisdanssachambre,lesoir,etonregardait des films en mangeant la glace qu’on avait piquée dans le congélateur. À quinze ans, on acommencéàfairevenirdesgarçonsendoucepourmangerlaglaceavecnous.Unanaprès,lesgarçonsont supplanté laglaceet les films, et aujourd’hui, tantque lesgarçonsne sontpas repartis,onne sortmêmepluslenezdenotrechambre.Aprèsquoi,laglaceetlesfilmsreprennentleursdroits.
Sixenchaînelespetitscopainscommemoilesparfumsdeglace.Encemoment,c’estJaxonquialacote auprès d’elle, et la Rocky Road, une glace au chocolat avec des morceaux d’amandes et deguimauve,auprèsdemoi.GraysonestlemeilleuramideJaxon,ons’estconnuscommeça.QuandlepetitchouchoudeSixauncopaincanon,elle l’incitegentimentàse fairebienvoirdemoi.EtGraysonestvraimentcanon,c’estindéniable.Ilauntrèsbeaucorps,descheveuxparfaitementébouriffés,desyeuxnoirsperçants…lapanopliecomplète.Laplupartdesfillesquejeconnaissesentiraientchanceusesrienqued’êtredanslamêmepiècequelui.
Laplupart,saufmoi.Dommage.Unefoislesrideauxfermés,jemeretourneetfaisfaceàGrayson,quisetientjustederrièremoi,prêt
àentamerlesréjouissances.—Salut,beauté,roucoule-t-ilendégainantsonsourireaphrodisiaque.Ilmet lesmainsencoupeautourdemonvisage.Jen’aipas le tempsderéagirqu’ilmeplaqueun
baisermouillésurlaboucheenguisedepréambule;puistoutencontinuantdem’embrasser, ilôteseschaussuresetm’entraîneverslelit,seslèvrestoujourssoudéesauxmiennes.Safacilitéàgérerlesdeuxenmêmetempsestàlafoisimpressionnanteettroublante.Lentement,ilm’allongesurlelit.
—Taporteestfermée?—Jecrois,maisrevérifie.Ilmeplanteunautrebaisersurlabouchepuisserelèvevitefaitpourallers’assurerqueleverrouest
bien enclenché.En treize ansdevie commune,Karennem’a jamais punie, alors je ne tienspas à luidonner une raison de s’y mettre. Dans quelques semaines, j’aurai dix-huit ans, pour autant, je doutequ’ellechangedemoded’éducationtantquejevivraisoussontoit.
Non que le mode en question soit mauvais. Simplement il est… plein de contradictions. Je l’aitoujours connue stricte. On n’a jamais eu de connexion à Internet, de téléphone portable ni même detélévision parce qu’elle est convaincue que la technologie est à l’origine de tous les maux de notresociété.Pourd’autressujetsenrevanche,elleesttrèsindulgente.EllemelaissesortiravecSixquandçamechanteettantqu’ellesaitoùjesuis,ellenem’imposepasvraimentdecouvre-feu.Celadit, jen’aijamaisabusésurcepoint,doncilyapeut-êtrebeletbienuneheurelimiteàsesyeuxmaisjel’ignore,c’esttout.
Si je dis des grosmots, ce quim’arrive rarement, ça ne la dérange pas.De temps en temps, ellem’autorisemêmeàboireunpeudevin.Ellemeparledavantagecommeàuneamiequecommeàsafille,bienqu’ellem’aitadoptéeilyatreizeans.D’unecertainemanière,elleamêmedéteintsurmoipuisqueaujourd’huijeluiracontetout(oupresque)demavie.
Avecelle,iln’yapasd’entre-deux.Elleestsoittrèsaccommodante,soittrèssévère,unpeucommeleslibérauxconservateurs.Oulesconservateurslibéraux,jenesaisplus.Bref,elleestdifficileàcerner,raisonpourlaquellejen’essaieplusdepuisdesannées.
Leseulsujetàproposduquelons’estdéjàsérieusementprislatêtetouteslesdeux,c’est lelycée.J’aieffectuétoutemascolaritéàdomicile(l’enseignementpublicétantaussiunecausedefléau)etjen’aicesséde lasupplierdem’inscrireau lycéedepuisqueSixm’amiscette idéeen tête. J’aienvoyédesdemandesd’inscriptionenfac,etquelquechosemeditquej’auraiplusdechancesd’êtreadmiseoùjeveuxsi jepeuxajouterquelquesactivitésextrascolairesàmondossier.Aprèsdesmoisde suppliquesincessantes,Karen a fini par céder et accepter que jem’inscrive en terminale.Avecmon programmed’étudesàdomicile,j’auraispucumulerassezdepointsetobtenirmondiplômeenseulementdeuxmois.Maisunepartdemoiatoujoursétécurieusededécouvrirlaviedanslapeaud’uneadolescentenormale.
Évidemment,sij’avaissuàl’époquequeSixpartiraitenéchangeàl’étrangerpilelasemainedelarentrée, jen’aurais jamaisenvisagécetteoption.Saufque je suisunevraie têtedemule,et j’aimeraismieuxmeplanterunefourchettedanslamainplutôtqued’avoueràKarenquej’aichangéd’avis.
J’aiessayédepenserlemoinspossibleàl’absencedeSix.Jesaisqu’ellesouhaitaitvraimentqueceprojetd’échangeseconcrétisemais,égoïstement, j’espéraisqueçanese feraitpas.Laperspectivedefranchirlesgrillesdulycéesansellemeterrifie.Bon,j’aiquandmêmeconsciencequenotreséparationest inévitable,et jen’aiplusqu’àme faireà l’idéeavantd’êtreprojetéedans la réalité,cemondeoùviventd’autresgensqueSixetKaren.
Leslivresontentièrementpalliémonisolementdumonderéel,orcen’estpasforcémenttrèssaindevivreaupaysdesBisounours.C’estaussiparlalecturequej’aidécouvertlacruautédelavielycéenne(termesansdouteexagéré)avecsescliquesetsesgarces.Pournerienarranger,d’aprèsSix,lesimplefait que je la fréquentemevaut déjà une réputation.Elle n’a pas franchement fait vœude chasteté, etcertainsgarçonsaveclesquelsjesuissortieontapparemmentlalanguebienpendue.Endéfinitive,monpremierjourrisquedenepasêtretriste.
Maisjem’enfiche.Jenecherchepasàmefairedesamisouàimpressionnerquiquecesoit.Alorstantquemaréputationinjustifiéen’entraverapasmesobjectifs,toutiratrèsbienpourmoi.
Enfinj’espère.Après avoir vérifié quemaporte était bien fermée,Grayson revient aupieddu lit etme lanceun
sourireaguichant.—Çatedit,unpetitstrip-tease?Ilsemetàsedéhancherenremontantpetitàpetitson tee-shirtpourdécouvrirsesabdosdurement
gagnés. J’ai remarquéqu’il les exhibe à lamoindreoccasion.En fait, c’est le rebelle narcissiqueparexcellence.
Amusée,jeleregardefairetournoyersontee-shirtetmelelanceràlafigureavantdes’allongerdenouveausurmoi.Ilglisseunemainsurmanuqueetattiremabouchecontrelasienne.
LapremièrefoisqueGraysons’estintroduitendoucedansmachambre,c’étaitilyaunpeuplusd’unmoisetdès ledébut, ilm’abienfaitcomprendrequ’ilnevoulaitpasd’unerelationsérieuse.Pourmapart je luiaiclairementmontréquecen’étaitpascequejecherchaisavec lui,alorsnaturellement,ons’esttoutdesuitebienentendus.Commeilseraunedesrarespersonnesquejeconnaîtraiaulycée,j’aipeurqueçanegâcheunpeu le trucsympaquisepasseentrenous–etquine ressemblepasàgrand-chose,celadit.
Çanefaitpascinqminutesqu’ilest iciet iladéjàlamainsousmontee-shirt.Jecroisqu’onpeutaffirmersanstrops’avancerqu’iln’estpaslàpourlecôtéstimulantdemaconversation.Tandisquesabouchedévie versmon cou, je profite de ce répit pour inspirer à fond et essayer une fois de plus deressentirquelquechose.
N’importequoi.Jefixelesétoilesphosphorescentescolléesauplafond,vaguementconscientedesbaisersdontilme
couvre,sefrayantpetitàpetituncheminversmapoitrine.Ilyenasoixante-seize.Desétoiles,j’entends.Je le sais car ces dernières semaines, j’ai eu largement le temps de les compter pendant que j’étaiscoincée dans lamême situation, à savoir étendue dans une indifférence discrète pendant queGraysonexploraitmonvisage,moncouetparfoismesseinsavecsabouchesurexcitéeetgoulue.
Maisalorssic’estpasmontruc,pourquoiest-cequejelelaissefaire?Jen’aijamaisressentilemoindreattachementpourlesgarçonsaveclesquelsjesuissortie.Ouplutôt,
quisontsortisavecmoi.Engénéral,cesontmalheureusementdesrapportsunilatéraux.Ungarçonafailliun jour susciter en moi une réaction physico-émotionnelle, mais en fin de compte ce n’était qu’uneillusionàlaquellej’avaisbienvoulucroire.Ils’appelaitMattetonestsortisensemblejusqu’àcequesespetitesmaniesmefassentfuir,auboutdemoinsd’unmois.Exemples:ilrefusaitdeboiredel’eauàla bouteille à moins d’avoir une paille ; ses narines se dilataient au moment où il se penchait pourm’embrasser;ouencorelefaitqu’ilm’aitdit«Jet’aime»aprèsseulementtroissemainesderelationofficielle.
Si,si,véridique.Là,çaaétéladouchefroide.Byebye,lepetitMatt.Parlepassé,Sixetmoiavonsanalysépleindefoismonmanqued’enthousiasmevis-à-visdesmecs.
Pendantuntemps,ellem’asoupçonnéed’êtrehomo.Aprèsavoiréchangéunbaiseraussibrefquegênantpour«testersathéorie»quandonavaitseizeans,onenatouteslesdeuxconcluquecen’étaitpaslecas.Etj’aimeroulerdespellesauxgarçons,aucontraire,sinonjeneleferaispas,simplementcen’estpaspourlesmêmesraisonsquelesautresfilles.Jen’aijamaiseudecoupdefoudreouletracenprésenced’unmec.Aufond,l’idéemêmed’êtretoutetroubléeparquelqu’unm’estétrangère.Sij’aimebienflirter,c’estuniquementpourladélicieusetorpeurdanslaquellemeplongelegenredesituationoùjemetrouveavecGrayson.Moncerveauaalorslabonneidéedesemettreenveille.Touts’arrête,jenepenseplusàrienetc’estcettesensationquimeplaît.
Lesyeuxrivéssur lessoixante-seizeétoilesamasséesenhautàdroitesurmonplafond, je reviensbrusquementàlaréalité.LesmainsdeGraysonsesontaventuréesplusloinquejenelesyavaisjamaisautorisées.Trèsvite,jeprendsconsciencequ’iladéboutonnémonjeanetquesesdoigtssontentraindesefaufilersousl’élastiquedemaculotteencoton.Jelesrepousse.
—Arrête,Grayson.Ilretiresamainenronchonnantpuisplantesonfrontdansmonoreiller.—Allez,Sky…,souffle-t-ilensoufflantbruyammentdansmoncou.Ils’appuiesursonbrasdroitetmefixeenessayantdem’amadouerd’unsourire.Est-cequej’aipréciséquejesuisblindéecontresonsourireravageur?—Combiendetempsçavaencoredurer,cepetitjeu?Ilglisselamainsurmonventreetrapprochepetitàpetitsesdoigtsdelaceinturedemonjean.J’enailachairdepoule.—Queljeu?Jetentedemedégagerdoucement.Ilseredresseetmetoisecommesij’étaisidiote.—Ça!Cenumérodela«fillebiensoustousrapports»quet’essaiesdemejouer.Çamedérange
pas,Sky.Maismaintenant,onlefait.Cequinousamèneàl’idéeque,contrairementauxapparences,jenesuispasunefillefacile.Jen’ai
couché avec aucun de mes copains, pas plus qu’avec Grayson, qui fait maintenant la gueule. J’aiconsciencequemonmanqued’excitation sexuellepourraitmepermettrede coucher àdroite, àgauchesansétatsd’âme.Cependant,j’aiaussiconsciencequec’estpeut-êtrejustementlaraisonpourlaquellejenedoispaspasseràl’acte.Sijefranchiscettelimite,lesrumeursquicirculentàmonsujetn’enserontplus.Ellesdeviendrontdesfaits,uneréalité.Jen’aiaucuneenviededonnerraisonauxragots.Enfindecompte,onpeutdirequesijesuisviergedepuisbientôtdix-huitans,c’estparpurentêtement.
PourlapremièrefoisdepuisqueGraysonestici,jeremarquequ’ilempestel’alcool.—Tuasbu.Jelerepousse.—Jet’avaisditdenepasrevenirsituétaissoûl.Commeils’écarteenselaissantretomberlourdementsurledos, jemelèvepourreboutonnermon
pantalonetrajustermontee-shirt.Çam’arrangequ’ilaitbu;maintenantj’aihâtequ’ils’enaille.Il s’assiedauborddu lit,m’attrapepar la taillepourm’attirervers lui etpose la têtecontremon
ventre.— Je suis désolé, s’excuse-t-il. J’ai tellement envie de toi… Je crois que ce serait trop dur de
revenirsitumerepoussaisencore.Ildescendlesmainssurmesfessesenembrassantlecoindepeauentremontee-shirtetmonjean.—Danscecas,nereviensplus.
Agacée, jem’écarteet jemepostedevant la fenêtre.Aumomentoù j’ouvre les rideaux, Jaxonestdéjà en traind’escalader la fenêtredeSix.Bizarrement, on a toutes les deux réussi à condenser cettevisited’uneheureendixminutes.JelanceunregardàSixquimerépondd’uncoupd’œilcomplice,signequ’ilesttempsde«changerdeparfum».Ellemarchejusquesousmafenêtre.
—Graysonaussiabu?Jeconfirmed’unsignedetête.—Pourlatroisièmeetdernièrefois.JemeretourneversGraysonquiest toujoursaffalésurmon lit,et ignore le faitqu’iln’estplus le
bienvenuici.Jem’approche,ramassesontee-shirtetleluijetteàlatête.—Va-t’en.Ilme dévisage en haussant un sourcil, puis, comprenant que ce n’est pas une blague, il se lève à
contrecœuretrenfileseschaussuresenboudantcommeungamin.Jem’écartepourlelaissersortir.Six attendqu’il se soit éloignépourgrimperdansmachambreet aumême instant, undesgarçons
marmonneuneinsulte:«Salope!»Exaspérée,Sixseretournepourpasserlatêtedehors.—C’estdrôle:onestdessalopesparcequ’onn’apasvoulucoucher!Pauvrescons,va.Ellerefermelafenêtreets’écroulesurmonlit,lesmainscroiséesderrièrelatête.—Bondébarras,conclut-elle.J’éclatederiremaisjesuisviterefroidieenentendantfrapperviolemmentàlaportedemachambre.
Jevaisouvrirpuisjem’écarte,etKarenfaitirruption.Soninstinctmaternelestfascinant.Elleinspectelapièceduregardcommeunefollejusqu’àcequ’ellerepèreSixsurlelit.
—Zut,ronchonne-t-elleensetournantfaceàmoi.Lessourcilsfroncés,elleposelesmainssurseshanches.—J’auraisjuréavoirentendudesgarçons,ici.Jereviensverslelitettentededissimulerlapaniquequim’envahit.—Etdonc,tuesdéçueparceque…?Parfoisjenecomprendsvraimentpassesréactions.Toutencontradictions,commejedisaistoutà
l’heure.—Tuvasavoirdix-huitansdansunmois.Çanemelaisseplusbeaucoupdetempspourt’infligerla
premièrepunitiondetavie.Ilfautquetucommencesàtelâcherunpeu,mapetite.Jepousseungrossoupir,comprenantqu’elleplaisante.Ellenesedoutepasque,cinqminutesplus
tôt, sa fille se faisait peloter icimême ; j’en suis presque gênée.Mon cœur bat si fort que j’ai peurqu’ellenel’entende.
—Karen?lanceSixdansmondos.Siçapeutvousconsoler,deuxcanonssontvenusnousroulerdespellesmaisonlesafichusdehorsjusteavantquevousn’arriviezparcequ’ilsétaientsoûls.
Sidérée,jeluidécocheunregardnoir,dansl’espoirdeluifairecomprendrequelesarcasmen’ariendedrôlequandils’agitdelavérité.
—Ehbien,peut-êtrequedemainsoirvousaurezdroitàdeuxbeauxgarçonssobres.Je crois que je n’ai plus de souci àme faire côté cœur qui tambourine :Karenne risqueplus de
l’entendre,ilvienttoutsimplementdes’arrêter.—Desgarçonssobres,hein?Jedevraispouvoirnoustrouverça!plaisanteSixenmeglissantun
clind’œil.—Turestesdormir?s’enquiertKarenensedirigeantverslaporte.Sixhausselesépaules.—Non,jepensequ’onvaplutôtallerchezmoicettenuit.C’estladernièresemaineoùjedorsdans
monlitavantsixmois.Etpuis,ilyaChanningTatumquim’attendsurmonécran.QuandjejetteunœilàKaren,jecomprendsqueçanevapaslouper.—Ohnon,maman,commencepas.
Jem’approched’ellemaisdéjà,sonregards’embuedelarmes.—Allez,arrête.Letempsquej’arrive,c’esttroptard.Ellepleurniche.S’ilyabienunechosequejenesupportepas,
c’estdevoirquelqu’unpleurer.Nonpasparcequeçametouche,maisparcequeçamesoûle.Jetrouveçagênant.
—Justeundernier!s’exclame-t-elleensejetantaucoudeSix.Cen’estjamaisqueladixièmefoisdelajournéequ’ellelaserredanssesbras.Àcroirequ’elleest
plustristequemoiqueSixs’enailledansquelquesjours.Consentantgentimentàceonzièmecâlin,Sixmefaitunnouveauclind’œil.Àlafin,jedoispresquelesséparerdeforcepourqueKarenconsenteàquittermachambre.
Ellerepartverslaportepuisseretourneunedernièrefois.—J’espèrequeturencontrerasunbelItalien,souhaite-t-elleàSix.—Etmêmeplusieurs!répliquecettedernière,pince-sans-rire.Dèsquelaportesereferme,jesautesurlelitpourluidonneruncoupdepoingdanslebras.—T’esvraimentunegarce!C’étaitpasdrôle.J’aicruquej’étaisgrillée.Sixglousseenm’attrapantparlamainetselève.—Allez,viens.J’aidelaRockyRoadàlamaison.Alorslà,jenemefaispasprier.
Lundi27août2012
7h15
J’ai hésité à aller courir cematin et finalement, j’ai préféré rester un peu plus longtemps sous lacouette.Enprincipe, jecours tous les jourssauf ledimanche,maisaujourd’hui je trouveça injustedem’obligeràme leverencoreplus tôt.La rentrée, c’est atroceen soi.Alors jedécidede reportermonfootingàaprèslescours.
Heureusement,ça faitmaintenantpresqueunanque j’aimaproprevoiture,donc jen’aibesoindepersonnepourmedéposeràl’heureaulycée.Plusqu’àl’heure:avecquarante-cinqminutesd’avance.Mavoitureestlatroisièmegaréesurleparking;maisaumoinsj’aiunebonneplace.
Jeprofitedecetteattentepourallerjeterunœilauxinstallationssportivesàproximité.Sijecompteintégrerl’équiped’athlétisme,quejesacheaumoinsoùaller.Etpuis jenevaispasresterassise troisquartsd’heuredansmavoitureàcompterlesminutes.
Quandj’arriveàl’entréedustade,untypeestentraindefairedestoursdepiste,alorsjemontedanslesgradins.Unefoistoutenhaut,jecontemplemonnouvelenvironnement.D’ici,jepeuxobservertoutel’étenduedel’école.C’estloind’êtreaussigrandouimpressionnantquejemel’étaisimaginé.Sixm’adessinéunplanetyamêmenotéquelquesconseils,alorsjesorslepapierdemonsac.Jecroisqu’elleessaiedesurcompenserparcequ’elles’enveutdem’abandonner.
Je parcours des yeux l’enceinte du lycée, puis examine de nouveau son plan. Çame paraît assezclair:sallesdecoursdanslebâtimentàdroite,réfectoiresurlagauche,stadederrièrelegymnase.Salistedeconseilsétantplutôtlongue,jecommenceàlalire:
—Nejamaisutiliserlestoilettesàcôtédulabodesciences.Jamais.Pasmêmeunefois.—Portersonsacàdossuruneseuleépaule,jamaissurlesdeux:çafaitnaze.—SympathiseravecStewart,l’agentd’entretien.C’esttoujoursbondel’avoirdanssapoche.—Lacantine:àéviteràtoutprix,maiss’ilfaitmauvaisdehors,prendreunairsûrdesoienyentrant.Quandonapeur,lesgensle
sentent.—Toujoursvérifierladatesurlesproduitslaitiers.—SituasM.Cavaleurenmaths,assieds-toiaufondetévitedeleregarderdanslesyeux.Iladorelesjolieslycéennes,situvois
cequejeveuxdire.Ounon,meilleuretactique:assieds-toiaupremierrang,çatevaudrafacilementunA.
Lalistecontinuemaispourlemoment,jenepeuxpasallerplusloin.Jesuisrestéebloquéeà«quandonapeur,lesgenslesentent».C’estdansdesmomentscommecelui-làquej’aimeraisavoirunportable,parcequej’appelleraistoutdesuiteSixpourluidemanderuneexplication.Aprèsavoirrepliéetrangélepapierdansmonsac,jereportemonattentionsurlecoureursolitaire.Assissurlapiste,ilmetourneledos,etilestentraindes’étirer.J’ignoresic’estunélèveouunentraîneurmaissiGraysonvoyaitcemectorsenu,ilhésiteraitsûrementbeaucoupplusàexhibersesabdosàtoutboutdechamp.
Letypeenquestionserelèveetmarcheverslesgradinssansleverlesyeuxversmoi.Ilfranchitlagrille,sedirigeversunevoituregaréesurleparking,ouvrelaportièreetattrapeuntee-shirtqu’ilenfilerapidement.Puisilsemetauvolantetdémarreaumomentoùleparkingcommenceàseremplir.Etonpeutdirequ’ilseremplitvite,lavache.
J’attrapemonsacàdosetlemetssurmesdeuxépaules,exprès,puisjedescendscesmarchesmenantdroitenenfer.
***
L’enfer?C’estlemoinsqu’onpuissedire.Lelycéepublicincarnetoutcequejecraignaisetmêmepire.Lescoursnesontpassinuls;parcontre,j’aidûutiliserlestoilettesquisetrouventàcôtédulabodesciences(nécessitéetinexpérienceobligent)etbienquej’aiesurvécu,jeresteraimarquéeàvieparcet endroit. Une simple précision entre parenthèses de la part de Six, précisant que ces toilettesressemblentsurtoutàunbaisodrome,auraitsuffi.
C’estmaquatrièmeheuredecoursetj’aientendupresquetouteslesfillesquej’aicroiséesdanslescouloirschuchoterbienfortlesmots«salope»et«traînée»surmonpassage.Danslegenresubtil,laliassedebilletsaccompagnéed’unmotquiviennentdetomberdemoncasierannoncentbienlacouleur:je ne suis peut-être pas franchement la bienvenue. Le mot était signé du nom du principal maiscurieusement, j’ai dumal à le croire étant donné que « barre » était écrit « bar » dans le petit motd’amourquisuit:
Désoléquevotrecasiernesoitpaséquipéd’unebardepoledance,salope.Unsourirepincésurleslèvres,jefixelemotdansmesmains,acceptantlesortquejemesuisauto-
infligé,etcepourlesneufmoisàvenir.Jepensaissincèrementqu’iln’yavaitquedansleslivresquelesgens se comportaient de cettemanière.Malheureusement je constate que les imbéciles existent bel etbien.D’ailleurs,j’espèrequelaplupartdeleursgamineriesressemblerontaucoupdelastrip-teaseusedont je fais actuellement les frais. Sérieusement, quel imbécile peut donner de l’argent en guised’insulte?Unimbécilepleinauxas,jesuppose.Voireplusieurs.
Jesuissûreque lacliquede fillesen tenues légères,maishorsdeprix,quigloussedansmondoss’attendàcequejelâchebrusquementmesaffairespourmeréfugierenpleurantauxtoilettes.Seulement,ellespeuventtoujoursattendrecarilyatroisproblèmes:
—Jenepleurejamais.Pasmongenre;—Lestoiletteslesplusproches,c’estbon,j’aivu:j’yremettraiplusjamaislespieds;—Jen’airiencontrel’argent.Quicracheraitdessus?
Jeposemonsacàdosparterreetramasselesbillets.Ilyaaumoinsvingtbilletsdeundollar,etplus
d’unedizaineencoreàl’intérieurdemoncasier.Jelesrécupèreaussi,puisjefourreletoutdansmonsacet changedemanuels avant de refermer la porte et d’enfilermon sac à dos sur les deux épaules, toutsourire.
—Ditesmerciàvospapasdemapart.Jepassedevantlabandedenanas(quineglousseplusdutout),ignorantleursregardsfurieux.
***
C’estl’heuredudéjeuneretvuledélugequitombedanslacour,ilestclairquecetempsdemerdeestlesigned’unmauvaiskarma.Lemien,jeparie.
Jepeuxyarriver.Lesmains sur laporte àdoublebattant, jepénètredans la cantine enm’attendantplusoumoins à
affronterlesflammesdel’enfer.Maisunefoisdanslasalle,cen’estpasauxflammesdel’enferquejemeheurtemaisàunvacarme
inouï, tel quemes oreilles n’en ont jamais entendu. À croire que toutes les personnes présentes sansexceptionessaientdeparlerplus fortque leursvoisins.En fait de lycée, j’ai atterri au royaumede lasurenchère.
Jefaisdemonmieuxpourprendreunairassurécarjen’aiaucuneenvied’attirerl’attention,quecesoitdesmecs,desbandesdefilles,desexclusoudeGrayson.J’aiparcourusansencombrelamoitiéducheminjusqu’àlafileduself,quandungarçonmeprendparlebrasetm’entraîneàsasuite.
—Jet’attendais,meglisse-t-il.Jen’aimêmepasvusonvisagequedéjà,ilmeconduitàl’autreboutduréfectoireenzigzaguantentre
lestables.J’auraisbienprotestécontrecetenlèvementinopinémaisc’estletruclepluspalpitantquimesoit arrivéde toute la journée. Ildégagesonbraspourm’attraper lamainetme tirerencoreplusvitederrièrelui.Décidantdeneplusrésister,jesuislemouvement.
Vudedos,ilsembleavoirdel’allure,aussiétrangequecetteallurepuisseêtre.Ilporteunechemisedeflanelledelamêmenuancefuchsiaqueseschaussures,etunpantalonnoirmoulantparfaitpouraffinerla silhouette… s’il avait été une fille. En l’occurrence, ça ne fait que souligner son corps frêle. Sescheveuxbrunssontcoupésàrassurlescôtésetunpeupluslongssurledessus.Quantàsesyeux…ilsmefixent.C’estlàquejemerendscomptequ’ons’estarrêtésetqu’ilm’alâchélamain.
—SkylaGrande,mèredesprostituées!Çaalors!s’exclame-t-ilensouriantd’unairengageant.Ils’installeàtable,m’invitantd’ungesteàenfaireautant.Ilyadeuxplateauxdevantluimais…des
commelui,iln’yenaqu’un.Ilenavanceundevantmoi.—Assieds-toi.Ilfautqu’ondiscutedenotrealliance.Jenebougepas.Pendantquelquesinstants,jerestelààconsidérerlasituationsansréagir.J’ignore
totalementquiestcegarçonmêmesi,àenjugerparsonattitude,ilm’attendait.Sanscompterqu’ilvientdeme traiterdeprostituée.Etapparemment…ilm’aachetéàdéjeuner?L’observantducoinde l’œilpourtenterdelecerner,jeremarquealorslesacàdosposésurlachaiseàcôtédelui.
—Tuaimeslire?jedemandeenmontrantdudoigtlebouquinquidépassedesonsac.Cen’estpasunmanuelscolaire.C’estunlivre.Unvraidevrai.Unobjetauqueljepensaisquecette
générationd’accrosàInternetnecomprenaitrien.Jetendslebraspourm’enemparerpuism’installeenfacedelui.
—C’estquelgenre?Etparpitié,nemerépondspas«delaSF».Ils’appuieaudossierdesachaiseetsouritcommes’ilvenaitdemarquerdespoints.Mince,c’est
peut-êtrelecas.Aprèstout,j’aibienfiniparm’asseoir,non?—Tantquelelivreestbon,peuimporte,tucroispas?Jefeuillettelespages,incapablededires’ils’agitd’unromanounon.Jeraffoledesromansetàsa
tête,jeneseraispasétonnéequecegarçonaimeçaaussi.—Etcelui-là,ilestbon?Jecontinuedetournerlespagessansleverlenez.—Oui.Tupeuxlegarder.Jeviensdeleterminerencoursd’informatique.Il continue de savourer sa victoire, joyeux. Je range le livre dans mon sac puis me penche pour
examinerlecontenudemonplateau.Avanttoutechose,jevérifieladatesurlepotdeyaourt.C’estbon.—Quiteditquejenesuispasvégétarienne?jelanceenscrutantleblancdepouletdansmasalade.—Danscecas,tun’asqu’àlaissercequetun’aimespas,rétorque-t-il.
Attrapantmafourchette,jelaplantedansunmorceaudepouletquejeporteàmabouche.—Ehbien,t’asdelachance,jemangedetout.Ils’emparedesafourchetteetattaquelerepas.—Contrequionvas’allier,aujuste?Jeseraiscurieusedesavoirpourquoiilm’achoisie.D’unrapidecoupd’œiletd’ungestedelamain,ilm’indiquel’ensembleduréfectoire.—Lescrétins,lessportifs,lesmystiques,lesgarces…Lorsqu’ilreposelamain,jeremarquequ’ilporteduvernisnoir.Surprenantmonregard,ilcontemple
sesonglesenfaisantunemoueboudeuse.—J’aioptépourlenoirparcequec’estlacouleurquidécritlemieuxmonhumeurdujour.Quandtu
aurasralliémoncamp,jechangeraipeut-êtrepourquelquechosedeplusjoyeux.Dujaune,pourquoipas.Jesecouelatêteensignedeprotestation.—J’aihorreurdecettecouleur.Gardelenoir,c’estassortiàtoncœur.Iléclatederire,unrirefrancetpurquimefaitsourire.Jel’aimebien,cegarçon…dontjeneconnais
mêmepasleprénom.—Tut’appellescomment,aufait?—Breckin.Ettoi,c’estSky.Dumoins,jel’espère.J’auraispeut-êtrepuvérifierquec’étaitbientoi
avantdeteconfierlesdétailsduplanmachiavéliquequipermettraànotretandemdechocdeprendrelepouvoirsurcelycée.
—Rassure-toi,jem’appellebienSkyetpourl’instanttunem’aspasditgrand-chosedecefameuxplan.Celadit,çam’intrigue :comment tusaisqui jesuis?Jeconnaisquatreoucinqgarçonsdanscelycéeetjesuissortieavectous.Vuquetun’enfaispaspartie…jepeuxsavoircequisepasse?
L’espaced’unefractiondeseconde, jedétectecequimesembleêtreunebrèvelueurdepitiédanssonregard.Mais,heureusementpourlui,çanedurepas.
Breckinhausselesépaules.—Jesuisnouveauici.Etsi tune l’aspasencoredevinéàmonsensde lamodeirréprochable, je
croisqu’onpeutaffirmersanstrops’avancerque…Unemainprèsdelabouchepourplusdediscrétion,ilsepencheenchuchotant:—…jesuismormon.Jeglousse.—Moiquipensaisquetuallaisdire«homo».—Aussi,confirme-t-ilavecunlégermouvementdepoignet.Ils’accoude,croiselesmainssouslementonets’approcheencoreunpeu.—Sérieusement,Sky.Je t’ai repéréeenclassecematinet ilestclairque tuesnouvelle toiaussi.
Quandlesbilletssonttombésdetoncasiercematinetquej’aivuqueçanetefaisaitnichaudnifroid,j’aisuqu’onétaitfaitspours’entendre.Etpuisjemesuisditquesionfaisaitéquipe,çaéviterapeut-êtreàdeuxadosdesesuiciderpourriencetteannée.Alors,qu’est-cequetuendis?Tuveuxbienêtremameilleureamiedetoutl’univers?
Commentrésisteràcettetiradesanséclaterderire?—Avecplaisir!Maisjetepréviens:sitonbouquinestnul,ilfaudraréévaluernotreamitié.
Lundi27août2012
15h55
Enfindecompte,marencontreavecBreckinaujourd’huiaétéunebénédiction–d’ailleurs,blagueàpart, ilestvraimentmormon.Luietmoi,onabeaucoupdechosesencommun.Surtoutdespointspeucommuns,cequilerendd’autantplusattachantàmesyeux.Breckinaussiaétéadopté,saufqueluiesttrèsprochedesafamillebiologique.Iladeuxfrèresquinesontniadoptésnigays,ducoupsesparentssupposentquesagayté(untermedesoncru,pasdumien)estliéeaufaitqu’ilnesoitpasdumêmesang.Apparemment,ilsespèrentqueçaluipasseraàforcedeprièresetunefoissonbacenpoche.Luisoutientqu’ilnevafairequemûrir.
SonrêveestdedevenirunestardeBroadwayunjoursaufqued’aprèslui,iln’estpasassezdouéenchantouencomédie.Alorsdernièrement ilarevusesambitionsà labaisseetà laplace, ila faitunedemanded’inscriptionenécoledecommerce.Jeluiaiavouéquejevoulaismespécialiserencréationlittéraireetpasserlerestantdemesjoursànerienfaired’autrequetraînerchezmoienjogging,àécriredes livres etmanger de la glace. Il m’a alors demandé quel genre de livres je voulais écrire et j’airépondu:
—Peuimportetantquelelivreestbon,pasvrai?Jecroisquecetterépliqueascellénotredestin.Surlecheminduretour,j’hésiteentreallerraconteràSixlesévénementsaigres-douxdemonpremier
jouroubienallerfairedescoursespourmeprocurerunedosedecaféineavantmonfootingquotidien.BienquemonaffectionpourSixsoitplusforte,lacaféinel’emporte.Lescourseshebdomadaires,c’estmacontribution–trèslimitée–àlabonnemarchefamiliale.Chez
nous,grâceaumodedevievégétalienpeuconventionneldeKaren,toutestsanssucre,sansféculentsetsansgoût, alors je préfèrevraimentmechargerde remplir le frigo. J’attrapeunpackde cannettesdesodaetleplusgrossachetdeSnickersquejetrouveetlesjettedanslechariot.J’aiunesupercachettedansmachambre.Laplupartdesadosplanquentdescigarettesetdel’herbe;moi,c’estdusucre.
Enarrivantàlacaisse,jemerendscomptequelafillequienregistremesarticlesestdansmoncoursd’anglais du matin. Je suis pratiquement sûre qu’elle s’appelle Shayna mais son badge indique«Shayla».Shayna/Shaylaincarnetoutcequej’aimeraisêtre:unegrandeblondebronzéeetsensuelle.Dansmesbonsjours,jemesureunmètresoixante,etmescheveuxchâtainstoutplatsauraientbienbesoind’une coupe, voire de quelques mèches. Ce serait galère à entretenir étant donné leur masse. Ilsm’arrivent environ quinze centimètres en dessous des épaulesmais je les garde presque tout le tempsattachésàcausedel’humiditéduSud.
—Tuseraispasencoursdesciencesavecmoi?medemandeShayna/Shayla.—Enanglais,rectifiai-je.
Ellemetoiseaveccondescendance.—C’est en l’anglais,ma question, réplique-t-elle sur la défensive. Je t’ai demandé si tu étais en
coursdesciencesavecmoi.Oh,lavache.C’estpeut-êtrebienquejenesoispassiblonde,enfait.—Non,j’aidit«enanglais»danslesens:«Jesuispasencoursdesciencesavectoimaisencours
d’anglais.»L’espaced’un instant,ellemefixed’unairahuri,puiselleéclatederire.Çafait tiltetsonvisage
s’éclaire.—Ah,d’accord!Ellejetteunœilàsonécranetm’annoncelemontanttotal.Glissantlamaindansmapochearrière,
j’ensorsmacartedecréditavecl’espoirdefaireviteetdecoupercourtàuneconversationqui, jelecrains,estsurlepointdedevenirvraimentrasoir.
—J’ycroispas!souffle-t-elle.Regardezquiestrevenu.Levant les yeux, je la vois scruter quelqu’un derrièremoi, dans la file de la caisse voisine.Non,
correction:ellesalivedevantquelqu’underrièremoi,danslafiledelacaissevoisine.—Salut,Holder!lance-t-elled’untonenjôleur,unsourireaccrochéàsabouchepulpeuse.Jerêveouellevientdebattredescils?Jesuispresquesûrequ’ellevientdelefaire.Honnêtement,
jecroyaisqu’onnevoyaitçaquedanslesdessinsanimés.Jelanceuncoupd’œildansmondospourvoircedénomméHolderqui,pouruneraisonoupourune
autre,aréussiàbalayerlepeud’estimedesoiqueShayna/Shaylapouvaitavoir.Letypelèvelenezverselleetluiadresseunpetitsignedetête,visiblementindifférent.
—Salut,euh…Shayla,baragouine-t-ilendéchiffrantsonbadgelesyeuxplissés.Puisilreportesonattentionsursaproprecaissière.Illasnobe?Unedesplusjoliesfillesdulycéeledraguepourainsidireouvertementetilfaitcomme
siçaledérangeait!Maisdequelleplanèteilvient?Lesgarçonsnesontpascensésréagircommeça.—C’estShayna,râle-t-elle,agacéequ’ilaitoubliésonprénom.Jemeretourneversellepourpassermacartedecréditdanslamachine.—Désolé,s’excuse-t-il.Maistuesaucourantqu’ilyaécrit«Shayla»surtonbadge?Ellebaisseleregardverssapoitrineetretournesonbadgeverslehautpourpouvoirlelire.—Hum,marmonne-t-elle,l’airplongéedanssespensées.Jedoutequ’ellessoienttrèsprofondes.—Quandest-cequet’esrentré?demande-t-elleàHolderenm’ignorantroyalement.Jeviensdepassermacarteetjesuispresquesûrequ’elleaunemanipàeffectuerdesoncôté,mais
elleesttropoccupéeàorganisersonmariageaveccetypepoursesouvenirqu’elleaunecliente.—Lasemainedernière.Sontonestsec.—Alorsilsvonttelaisserreveniraulycée?s’enquiert-elle.J’entendsl’autresoufflerd’oùjesuis.—Çam’estégal,répond-il,impassible.J’yretourneraipas.CettedéclarationrefroiditimmédiatementShayna/Shayla.Ellelèvelesyeuxaucielets’intéressede
nouveauàmoi.—Dommagequ’avecunphysiquepareil,iln’aitpasdecervelle,meglisse-t-elle.L’ironiedesaremarquenem’échappepas.Quandellesemetenfinàappuyersurlestouchesdesacaissepouracheverlatransaction,jeprofite
de son inattention pour jeter de nouveau un coup d’œil derrièremoi, curieuse de revoir la tête de cegarçonquisemblaitagacéparnotreblondeauxlonguesjambes.Fouillantdanssonportefeuille,ilesten
trainderireàuneremarquedesacaissière.Dèsquemonregardseposesurlui,troisdétailsmesautentauxyeux:
1.Sesdentsd’uneblancheurparfaite,dissimuléesderrièreunsourireencoinirrésistible.2.Lafossettequiseformeentrelacommissuredeseslèvresetsesjouesquandilsourit.3.Jecroisquej’aicequ’onappelleuneboufféedechaleur,là.Oualorsj’ailetrac.Àmoinsquejen’aieattrapéunegrippeintestinale.Cettesensationm’esttellementétrangèrequejenesauraispastropdirecequim’arrive.Niexpliquer
cequecegarçonadesidifférentpourprovoquerchezmoi,pourlapremièrefoisdemavie,uneréactionphysiologiquenormale face àune autrepersonne.Cependant, jenepensepas avoirdéjàvuquelqu’und’aussifascinant.Ilestàtomber.Pasdanslesensgravuredemode.Pasdanslesensgrosdur.C’estjusteunmélangeparfaitentrelesdeux.Iln’estpastropgrandmaisilestloind’êtrepetit.Nitroprevêchenitroplisse.Satenuen’ariendespécial:jeanettee-shirtblanc.Iln’amêmepasl’airdes’êtrecoiffécematinet,commemoi,ilauraitbienbesoind’unenouvellecoupe.Sescheveuxluitombentdanslesyeuxsibienqu’ilestobligédelesrepousserd’unmouvementdetête…etc’estlàqu’ilmesurprendentraindelemater.
Merde.Entempsnormal,dèsqu’unmecmeregardedanslesyeux,jedétournelatête,maisluiauneréaction
unpeuétrangequifaitquejerestelittéralementscotchée.Sonsourires’évanouittandisqu’ilmedévisageaveccuriosité,puisilhochelatêtel’airincréduleou…dégoûté?Jenesauraisdireexactement,maissaréactionn’ariend’aimable,c’estsûr.Jejetteuncoupd’œilautourdemoidansl’espoirdenepasêtreàl’originedesonagacement.Quandjemeretournepourleregarder,ilatoujourslesyeuxrivéssurmoi.
Lemoinsqu’onpuissedire,c’estqueçameperturbe,alors jem’empressedemeretourner faceàShaylaouShayna,peuimportesonfichuprénom.Ilfautquejemeressaisisse.Jenesaispascomment,maisenl’espacedesoixantesecondes,cegarçonaréussiàmefascineretàmeficherlesjetons.Cetteimpressionmitigéeestmauvaisepourmoncorpsenmanquedecaféine.Jepréféreraisdeloinqu’ilmetraiteaveclamêmeindifférencequecelledontilafaitpreuveenversShayna/Shayla.J’attrapeleticketdecaissequemetendMachineetleglissedansmapoche.
—Hé!Savoixgraveetsévèremecoupeaussitôtlarespiration.Commej’ignoresic’estàmoiouàMachine
qu’il s’adresse, j’agrippe les poignéesdemes sacs de courses en espérant arriver àmavoiture avantqu’ilaitfinidepayer.
—Jecroisquec’estàtoiqu’ilparle,intervientlablonde.J’embarquelederniersacenfaisantminedenepasavoirentenduetmeprécipiteverslasortie.Une fois à ma voiture, je pousse un gros soupir en ouvrant la portière arrière pour déposer les
coursessurlabanquette.Maisqu’est-cequiclochechezmoi?Unbeaumecm’interpelleetmoijemesauve ? D’habitude, je ne suis pasmal à l’aise en présence des garçons. On peutmême dire que jedéborded’assurance.Pourunefoisdansmavie,jeressenspeut-êtrecequis’apparenteàdel’attirancepourquelqu’unetqu’est-cequejefais:jefuis!
Sixvametuer.Maisceregard!Lafaçondontilm’adévisagéeavaitquelquechosedevraimenttroublant.C’étaità
lafoisdésagréable,gênantet,d’unecertainemanière,flatteur.Jen’aipasl’habituded’éprouvercegenred’impressions,encoremoinsplusieursàlafois.
—Hé.Jemefige.Cettefois,c’estclairementàmoiqu’ils’adresse.Jen’arrive toujourspas à faire la distinction entre le trac et la grippe intestinale,mais j’apprécie
moyennementlefaitquesavoixmefassel’effetd’uncoupdepoingdansleventre.Jemeraidisetme
retourne lentement, prenant tout à coup conscience que, contrairement à ce que mon expérience meporteraitàcroire,jesuisloind’êtresûredemoi.
Deuxsacsdansunemain, ilsefrotte lanuquedel’autre.Siseulementilavaitcontinuédefaireuntempsmerdiqueetpluvieux,ilneseraitpaslà,plantéaumilieuduparking.Sonregards’arrêtesurmoi,etl’airméprisantqu’ilaffichaitàl’intérieurdumagasinestàprésentéclipséparunsourireencoinquiparaîtunpeuforcé.Maintenantquejelevoisdeplusprès,ilestévidentquelagrippeintestinalen’estpaslacausedemessoudainsmauxdeventre.
C’estsaprésence,point.Tout chez luime fait de l’effet : de ses cheveux bruns en bataille à ses yeux bleus pénétrants en
passantparcette…fossetteetsesbrasmusclésquej’aijusteenvied’attraperetdepalper.Depalper?Vraiment,Sky?Ressaisis-toi!Il me donne à la fois de l’asthme et de la tachycardie. Quelque chose me dit que s’il essaie de
m’amadouerd’unsourirecommelefaitGrayson,jefiniraidanssonlitenuntempsrecord.Dèsquejedétachemonregarddesasilhouettepourobserversesyeux,illâchesanuqueettransfère
lessacsdanssamaingauche.—Jem’appelleHolder,dit-ilenmetendantlamain.Jefixesamainpuisreculed’unpassanslaserrer.Lasituationestvraimenttropgênantepourqueje
considèrecesprésentationscommeinnocentes.S’ilnem’avaitpasfusilléeduregarddanslemagasin,jeseraispeut-êtreplussensibleàsaperfectionphysique.
—Qu’est-cequetuveux?Jeprendssoindeleregarderd’unairméfiantplutôtqu’impressionné.Safossetteréapparaîtenmêmetempsqu’unéclatderire,puisilsecouelatêteendétournantlesyeux.—Euh…,bégaie-t-il.Sanervositédétonnetotalementavecl’imagedumecsûrdeluiqu’ilrenvoie.Iljettedescoupsd’œil
furtifsdansleparkingcommes’ilcherchaitunmoyendes’échapperpuissoupireavantdemeregarderdenouveaudanslesyeux.Cettefaçonqu’iladesoufflerlechaudetlefroidmedéstabilisecomplètement.Uninstantmaprésencesemblelesoûler,laminuted’aprèsilmesuitàlatrace.Engénéral,jesuisplutôtdouéepourcernerlesgensmaissijedevaismeprononcersurleprofildeHolderenmebasantsurlescinq dernièresminutes, je dirais qu’il souffre d’un dédoublement de la personnalité. Ses revirementsconstantsentredésinvoltureetgravitésontfranchementperturbants.
—Au risque que tu trouvesmon approche nulle, reprend-il, j’ai l’impression de t’avoir déjà vuequelquepart.Jepeuxtedemandercommenttut’appelles?
Ladéceptionm’envahitdèsl’instantoùilprononcecettephrase.Ilfaitpartiedecegenredemecs.Voussavez?Cesmecsincroyablementcraquantsquipeuventavoirquiilsveulent,quandilsveulent,oùilsveulent,etquienontparfaitementconscience.Cesmecsn’ontqu’àdégainerunpetitsourireencoinouune fossette devant une fille en lui demandant comment elle s’appelle pour qu’elle fonde comme dubeurre et finisse à leurs pieds. Ces mecs qui passent leur samedi soir à escalader des fenêtres dechambresdesfilles.
Levantlesyeuxauciel,jetendslebrasenarrièrepouragripperlapoignéedemaportière.—Désolée,j’aiuncopain.Surcemensonge,jetournelestalonsetgrimpeauvolantdemavoiture.Maisaumomentderefermer
laportière,ellemerésisteetrefusedebouger.Jelèvelenezetjeconstatequ’illatient.Laviolencedudésespoirquejelisdanssesyeuxmedonnedesfrissons.
Desfrissons?Maisqu’est-cequim’arrive?—Tonnom.C’esttoutcequejedemande.J’hésiteàluiexpliquerquemonnomnevapasl’aiderdanssatentativedeharcèlement.Jesuistrès
certainementlaseuleAméricainededix-septansànepasavoirdeprofilsurInternet.Tenanttoujoursla
poignéedelaportière,jeluilanceunregardnoirensigned’avertissement.—Tupermets?jedisd’untonsecenvisantlamainquim’empêchedefermermaportière.Monregards’arrêtealorssurletatouagecalligraphiéenpetitsursonavant-bras:Hopeless1.C’est plus fort quemoi : intérieurement, jememarre.Manifestement, je suis la cible d’un karma
vengeur aujourd’hui. Pour une fois que je rencontre un mec que je trouve séduisant, il faut qu’il aitabandonnélelycéeavantlebacetqu’ilaitunmotpathétiquetatouésurlapeau.
Pourlecoup,jesuisagacée.Unefoisdeplus,jetirelaportièremaisilnebougepas.—Tonnom…s’ilteplaît.La détresse dans ses yeux aumoment d’ajouter « s’il te plaît »m’inspire un élan de compassion
totalementinattendu.— Sky, je réponds d’un ton abrupt, subitement prise de pitié devant la souffrance clairement
dissimuléederrièresesbeauxyeuxbleus.La facilité avec laquelle je lui cède à caused’un simple regardmedéçoitmoi-même. Je lâche la
poignéeetenclenchelefreinàmain.—Sky,répète-t-il.Ilréfléchituninstant,puisilsecouelatêtecommesijem’étaistrompéederéponse.—Tuessûre?insiste-t-ilenmejetantuncoupd’œilinquisiteur.Sijesuissûre?IlmeprendpourMachine,quinesaitmêmepascommentelles’appelle?Levantles
yeuxauciel,jesorsmacarted’identitédemapocheettendslebraspourlaluimettresouslenez.—Oui,jesuisàpeuprèssûredesavoircommentjem’appelle.Jecommenceàrangermacartequand,soudain,illâchelaportièrepourmelaprendredesmainset
l’examinerdeplusprès. Il la scrutequelquessecondespuis la fait tourner rapidemententresesdoigtsavantdemelarendre.
—Désolé,conclut-ilens’écartantdelavoiture.Autempspourmoi.Avec une apparente froideur, il me regarde ranger la carte dans ma poche. Je le fixe un instant,
attendantqu’ilajoutequelquechose,maisilsecontentederemuerlamâchoirependantquej’attachemaceinture.
Sansrire?Ilrenonceàmedragueraussifacilement?Jefermemaportièreenpensantqu’ilvaencorem’enempêcherpourmesortiruneautrerépliquevaseuse.Maiscen’estpaslecasetilreculedavantagepourme laisser claquer laportière.Unétrange sentiment s’emparedemoi : sivraiment ilnem’apassuiviejusqu’icipourm’inviteràlerevoir,pourquoitoutecettescène?
Ilpasselamaindanssescheveuxenmarmonnantmaisjen’entendsrienàcausedelafenêtrefermée.Toutenlesurveillantducoindel’œil,j’enclenchelamarchearrièreetsorsdemaplace.Duranttoutelamanœuvre, il reste cloué là, à m’observer. Comme je pars dans la direction opposée, j’ajuste monrétroviseurpourleregarderunedernièrefoisavantdequitterleparking.Iltournelestalonsets’enva,frappantaupassagelecapotd’unevoiture.
Sagedécision,Sky.Cegarçonaunsalecaractère.
1.Notedelatraductrice:«désespéré»enanglais.
Lundi27août2012
16h47
Unefoislescoursesrangées,jeprendsunepoignéedeSnickersdansmacachette,lesfourredansmapoche,puisressorstranquillementparlafenêtre.JefaiscoulissercelledeSixverslehautetmeglissedanssachambre.Àpresquecinqheuresdel’après-midi,mademoiselledort,alorsj’avanceverslelitsurlapointedespiedsetm’agenouilleàcôtéd’elle.Elleaunmasquesurlesyeuxetunemèchedecheveuxblondfoncécolléesurlajoue(ellebavebeaucoupendormant).Toutdoucement,jem’approchedesonvisageethurle:
—SIX!DEBOUT!Elleseredresseensursautantsiviolemmentquejen’aipasletempsdem’écarter.Ellem’envoieen
plein visage un coup de coude quime fait basculer en arrière.Aussitôt prise d’un vif élancement, jeplaquelamainsurmonœilenm’étalantparterredetoutmonlong.Demonœilvalide,jeluidécocheunregardfuribondalorsqu’ellemefixe,l’airrenfrogné,latêteentrelesmains.
—T’esvraimentunegarce,grogne-t-elle.Repoussantbrusquementlescouvertures,elleselèveetpartdirectementdanslasalledebains.—Jecroisquetum’asfaituncoquard.Ellelaisselaportedelasalledebainsouverteets’assoitsurlestoilettes.—Tantmieux,tul’asbienmérité,rétorque-t-elleavantdefaireclaquerlaported’uncoupdepied.
Tuasintérêtàavoiruntrucintéressantàraconterpourm’avoirréveillée.J’aipassélanuitàfairemesvalises!
Six n’a jamais été du matin et apparemment, elle n’est pas de l’après-midi non plus. En toutehonnêteté,c’estpareilpourlesoir.Àvuedenez,jediraisquelemomentdelajournéeoùelleestlepluscharmante,c’estquandelledort.Cequiexpliquepeut-êtrequ’elledétesteautantlesréveils.
Sonsensdel’humouretsafranchisejouentungrosrôledanslefaitqu’ons’entendeaussibien.Lesfillespleinesdepunchquisefontpasserpourcequ’ellesnesontpas,çam’agacegrave.Jenesuismêmepassûrequele«punch»fassepartieduvocabulairedeSix.Ilneluimanquequelatenueintégralementnoirepourincarnerl’adomélancoliquetypique.Quantàl’hypocrisie,onnefaitpasplusfranchequ’elle,que vous lui ayez demandé son avis ou non. Il n’y a pas un truc qui soit faux chez elle, excepté sonprénom.
Àquatorzeans,quandsesparentsluiontannoncéqu’ilsquittaientleTexaspouremménagerdansleMaine,elles’estrebelléeenrefusantderépondrequandilsl’appelaient.Sonvraiprénom,c’estSevenMarie,alorshistoiredecontrariersesparents,elleréagissaitseulementsionl’appelait«Six».EuxontgardéSevenmaissinontoutlemondel’appelleSix.Lapreuvequ’elleestaussitêtuequemoi,cequiestunedesnombreusesraisonspourlesquellesonestamies.
—Àmonavis,tuvasêtrecontentequejet’aieréveillée.Jemerelèvepourallerm’asseoirsursonlit.—Ils’estpasséuntrucénormeaujourd’hui.Sixouvrelaportedelasalledebainsetretourneaulit.Elleserallonge,metourneledosetrabatles
couverturessursatête.—Attendsquejedevine…Karenaprisunabonnementaucâble?Je m’allonge sur le côté et me rapproche pour la prendre dans mes bras. La tête posée sur son
oreiller,jemeblottiscontreelleencuiller.—Raté.Uneautresuggestion?—Tuas fait la connaissanced’unmecaujourd’hui, etmaintenant t’es enceinte et tuvas temarier
mais je ne pourrai pas être ta demoiselle d’honneur parce que je serai à l’autre bout de la planète lejourJ?
—Pasexactement,jenuanceenpianotantsursonépaule.—Maisquoi,alors?s’impatiente-t-elle.Jemelaisseretombersurledosenpoussantungrossoupir.—J’aicroiséunmecausupermarchéaprèslescoursetbonsang,Six, jetejure: ilétaitsublime.
Flippant,maissublime.Sixse retournebrusquementet réussit àm’envoyer soncoudeenpleindans l’œilqu’elleablessé
quelquesminutesplustôt.— Quoi ? s’exclame-t-elle sans tenir compte du fait que j’ai de nouveau la main sur l’œil en
gémissant.Elleseredresse.—Répète-moiça?bafouille-t-elleencore.T’essérieuse?Jeresteallongée,tentantd’étoufferladouleurlancinantedansmonœil.—Très sérieuse.Dès que je l’ai vu, j’ai eu l’impression deme liquéfier de la tête aux pieds. Il
était…Oh,lavache.—Tuluiasparlé?T’asprissonnuméro?Ilt’aproposédevousrevoir?Jen’aijamaisvuSixs’emballerautant.Saréactionfaitunpeutropmidinetteàmongoût,jenesuis
passûred’aimerça.—C’estbon,Six.Calme-toi.Ellemetoiseenfronçantlessourcils.— Écoute Sky, ça fait quatre ans que je m’inquiète pour toi. Je pensais que ce jour n’arriverait
jamais.Çameseraitégalquetusoishomo,quetun’aimesquelesringardsmaigrichonsoumêmequetune soisattiréequepar lesvioquesaupénis tout ratatiné.En revanche, l’idéeque tunepuisses jamaiséprouverdedésirm’atoujourstracassée.
Elleselaisseretombersurledos,lesourireauxlèvres.—Laluxureestlemeilleurdespéchéscapitaux.Jeglousseensecouantlatête.—Permets-moidenepasêtred’accord.La luxure,çacraint.Àmonavis, tuenrajoutesdepuis le
début.Jemaintiensquelagourmandise,c’estmieux.Surce,jesorsunSnickersdemapocheetlefourredansmabouche.—Bon,explique,concède-t-elle.Jemeredressepourm’adosseràlatêtedelit.—Jenesaispascomment l’expliquer…Dèsl’instantoù je l’aiaperçu, jen’aiplusréussiàm’en
détacher.J’auraispurestertoutelajournéeàlefixer.Maisensuite,sonregardm’afaitflipper.Onauraitditqueleseulfaitquejeposelesyeuxsurluilefoutaitenrogne.Aprèsquoiilm’asuiviejusqu’àma
voitureetm’ademandécommentjem’appelais,maislàaussionauraitditqu’ilétaitencolère.Commesijeledérangeais.Jesuispasséedel’enviededévorersesfossettesàcelledemetirerloooindelui!
—Ilt’asuiviejusqu’àtavoiture?s’étonne-t-elle,sceptique.J’acquiescepuisluiracontedansledétailmaviréeausupermarchéjusqu’aumomentoùilaenvoyé
sonpoingdanslecapotd’unevoiturequisetrouvaitsursonchemin.—Lavache,c’esthyperbizarre,conclut-elleàlafindemonrécit.Elleseredresseets’adossecommemoiàlatêtedelit.—Tuessûrequ’ilnetedraguaitpaspouressayerd’obtenirtonnuméro?Jeveuxdire,jet’aivue
faireaveclesmecs,Sky.Tucachesbientonjeu,mêmequandilsnetefontaucuneffet.Tuasledondelescernermaisjemedisquecettefois,commetuasressentidel’attirancepourlui,çat’apeut-êtreunpeuembrouillée?Qu’est-cequet’enpenses?
Jehausse lesépaules.Elleapeut-être raison,quisait?Siçase trouve, jemesuis faitde faussesidéessurluietc’estmoi,enlerejetant,quil’aipousséàchangerd’avisetàjeterl’éponge.
—Possible.De toute façon, j’ai vite déchanté : cemec a abandonné ses études, il est lunatique,coléreuxetjuste…désespérantcommesontatouage.Jesaispasencorequelestmongenred’hommes,maisjepréfèrefranchementquecenesoitpasHolder.
Sixm’attrapeparlesjouesetfaitpivotermonvisageverselle.— Comment tu l’as appelé ?Holder ? questionne-t-elle, son sourcil bien dessiné arqué par la
curiosité.Comme j’ai laboucheécrabouilléepar sesmainsquimecompriment les joues, jemecontentede
hocherlatête.—Dean Holder ? Cheveux bruns en bataille, yeux bleus de braise et tempérament digne d’un
personnagedeFightClub?Jehausselesépaules.—Dirèkchélui,jebafouilledefaçonpresqueinaudible,toujoursparcequ’ellem’écraselevisage.Ellemelâcheenfin.—Oui,ondiraitquec’estlui,jerépèteplusclairement.Jememasseunpeulesjouesavantd’ajouter:—Pourquoi,tuleconnais?Elleseredresseenlevantlesbrasauciel.—Maispourquoi,Sky?Detouslesmecssurterresusceptiblesdeteplaire,pourquoiilafalluque
tuchoisissesDeanHolder?Elleal’airdéçue.Maisàcepoint…c’estbizarre.Jenel’aijamaisentendueparlerd’undénommé
Holderdonccen’estpascommesielleétaitsortieaveclui.Pourquoiai-jelesentimentqu’onvientdepasserd’unenouvelleplutôtprometteuseàlamégacata?
—Bon,explique,jesuggèreàmontour.Elletournelatêteetseglisserapidementauborddulitpourselever.Unefoisdevantsonplacard,
elleattrapeunjeandansundescasiersetl’enfilepar-dessussaculotte.—C’estunsaletype,Sky.C’estunancienélèvedulycéequ’onaenvoyédansuncentrepourmineurs
justeaprèslarentrée,l’annéedernière.Jeneleconnaispastrèsbien,maisassezpoursavoirqu’iln’apasl’étoffed’unpetitami.
SadescriptiondeHoldernem’étonnepas.J’aimeraispouvoirajouterqueçanemedéçoitpasmaisceseraitmentir.
—Depuisquandlesmecsengénéralontl’étoffed’unpetitami?JenecroispasqueSixsoitdéjàsortieavecungarçonplusd’unenuit.Ellemeregardeethausselesépaules.—C’estpasfaux.
Ellepasseuntee-shirtetrepartdanslasalledebains.Plantéedevantlelavabo,elleattrapesabrosseàdents,étaledudentifricedessus,puisrevientdanslachambreensebrossantlesdents.
—Pourquoi on l’a envoyé dans un centre pourmineurs ? je relance sans être certaine de vouloirconnaîtrelaréponse.
Sixretirelabrossedesabouche.—Ilaétécondamnépourdélithomophobe…unélèvequ’ilatabassé.Jecroisqu’ilenétaitpasàsa
premièrerécidive.Elleremetlabrossedanssaboucheetpartcracherdanslelavabo.Undélithomophobe?Monestomacsenouebrusquementmaiscettefois,pasdanslebonsens.Sixrevientdanslachambreaprèsavoirattachésescheveuxenqueue-de-cheval.—Çacraint,dit-elleenexaminantsesbijoux.Imaginesic’estlapremièreetdernièrefoisqu’unmec
t’excite,situneressensplusjamaisçapourunautre?Letermeemployém’arracheunegrimace.—Ilnem’apasexcitée,Six.Elleagitelamain.—Excitée/attirée,çarevientaumême,réplique-t-elleavecdésinvoltureenrevenants’asseoirsurle
lit.Elleposeuneboucled’oreillesursesgenouxets’occupedemettrel’autre.—Enfin,jesupposequ’ondevraitêtresoulagéesdesavoirquetun’espascomplètementfichue.Lesyeuxplissés,Sixmesaisitlementonpourfairepivotermonvisageverslagauche.—Maisqu’est-cequiestarrivéàtonœil?J’éclatederireetmerelèved’unbond,horsd’atteinte.—Ilaeulemalheurdetecroiser!Jeparsàlafenêtre.—J’aibesoindemeviderlatête.Jevaiscourir,çatedit?Ellefroncelenez.—Hmm…pasmaintenant.Amuse-toibien.Jesuisàcalifourchonsurlereborddefenêtrequandellemelance:—Toutàl’heure,jeveuxquetumeracontescetterentréeendétail.Etpuis,j’aiuncadeaupourtoi.
Jepassecheztoicesoir.
Lundi27août2012
17h25
J’ai les poumons en feu ; mon corps s’est engourdi depuis Aspen Road. Je suis passée d’unerespiration régulière et contrôlée à des halètements désordonnés. En général, c’est le moment que jepréfèredanslefooting,quandchaqueatomedemoncorpss’emploieàmepropulserenavantetquejemeretrouvefocaliséesurmaprochainefouléeetriend’autre.
Maprochainefoulée.Riend’autre.Jen’ai jamaiscouruaussi longtemps.D’habitude jem’arrêtequelques ruesavant,une fois atteints
mesdeuxkilomètresetdemi,maiscettefoisj’aicontinué.Malgréladétressefamilièredanslaquellemoncorps est plongé, je n’arrive toujours pas à faire le vide dansmon esprit. Je continue de courir dansl’espoir que ça vienne mais c’est beaucoup plus long que d’habitude. La seule chose qui m’incitefinalementàm’arrêterestqu’ilmerestelamêmedistanceàparcourirensensinversepourrevenirchezmoi.Orjen’aipresqueplusd’eau.
Appuyéecontreuneboîteaux lettres, je souffleendévissant lebouchondemabouteille.Essuyantd’un revers de bras la sueur surmon front, je la porte àmes lèvres et réussis à faire tomber environquatregouttessurmalangue.Àcausedecettefournaise texane, j’aidéjàvidéunebouteilleentière.Jepesteensilenced’avoirrepoussémonfootingmatinal.Jesuisunevraielavettequandilfaitchaud.
Jecrainsdemedéshydrater,alorsjedécided’effectuerlecheminduretourenmarchantplutôtqu’encourant. JenecroispasqueKarenserait trèscontentedemevoiràboutde forces.Ça lastressedéjàassezquej’aillecourirseule.
Aumomentderepartir,unevoixquejereconnaisimmédiatementsefaitentendrederrièremoi.—Salut.Commesimoncœurnebattaitpasdéjàassezfort, jemeretournelentementpourdécouvrirHolder
quimeregarde,sourireauxlèvresetfossettesaucreuxdesjoues.Sescheveuxsontcollantsdesueuretilestévidentqu’ilrentreluiaussid’unfooting.
Je cligne des yeux à deux reprises, àmoitié persuadée que c’est unmirage dû à la fatigue.Moninstinctmecriedem’enfuirmaismoncorpsrêvedeseblottirdanssesbrasmoitesetluisants.
Moncorpsestunsaletraître.Heureusement,commejen’aipasencorerécupérédemonparcours,ilnepourrapassedouterque
marespirationpénibleestsurtoutdueàsaprésence.—Salut,jeréponds,àboutdesouffle.Jem’efforcedeneregarderquesonvisagemaisenvain.C’estplusfortquemoi,mesyeuxn’arrêtent
pasdedévierplusbas,sursontorse.Alorsàdéfaut,jemeborneàfixermespiedspourfaireabstraction
dufaitqu’ilneporterienhormisdeschaussuresdecourseetunshort ; rienquepour lafaçondontcedernierluitombesurleshanches,jeseraisendroitd’oublierlesmauvaiséchosquej’aientendussurluiaujourd’hui. Je n’ai jamais été le genre de fille à s’extasier devant un beau mec. Je me sens futile.Pitoyable.Niaise,même.Voireunpeuenrognedelelaissermetroubleràcepoint.
—Tucours?questionne-t-ilens’accoudantàlaboîteauxlettres.Jefaisouidelatête.—Plutôtlematin,d’habitude.J’avaisoubliéàquelpointilfaitchaudl’après-midi.J’essaiedeleregarderenabritantmesyeuxdusoleildontlesrayonsformentunesorted’auréoleau-
dessusdesatête.Vousparlezd’uneironie.En le voyant tendre le bras, je sursaute avant de comprendre qu’il veut simplementme passer sa
bouteilled’eau.Detouteévidence,vulamimiquequ’ilfaitpourréprimerunsourire,ilacomprisquesaprésencemerendaitnerveuse.
—Boisunpeu,suggère-t-ilenmetendantànouveausabouteilleàmoitiévide.Tuasl’airépuisée.Entempsnormal,jen’acceptepasd’eaudelapartd’uninconnu,surtoutquandjesaisquecetinconnu
estunsaletypemaislà,j’aisoif.Jesuislittéralementdesséchée.Jeluiprendslabouteilledesmainsetrenverselatêtepourdescendretroisgrossesgorgées.Jemeurs
d’enviedeboirelerestemaisjenevaisquandmêmepasluiépuisersonstock.—Merci,jedisenlaluirendant.Jem’essuielaboucheetlanceuncoupd’œilderrièremoiendirectiondutrottoir.—Bon,j’aiencoredeuxkilomètresetdemiàfairepourrentrer,alorsjeferaisbiend’yaller.—Plutôtquatre,corrige-t-ilenreluquantmonventre.Portantlabouteilleàsabouchesansenessuyerlebordnimequitterdesyeux,il inclinelatêteen
arrière pour engloutir le reste d’eau. Je ne peuxm’empêcher de regarder ses lèvres qui recouvrent legoulot, celui-làmêmequemes lèvres caressaient il y a quelques instants.C’est presque comme si ons’embrassait.
Jesecouelatête.—Hein?Iladitquelquechose…?Jenesaisplus.Jesuisunpeutropoccupéeàregarderlasueurdégouliner
sursontorse.— Je disais que ça faisait plutôt quatre kilomètres. Tu habites sur Conroe, c’est à plus de trois
kilomètresd’ici.Çafaitpresquehuitkilomètresaller-retour.Ilmebalanceçad’untonpresqueépaté.Jelescrute,intriguée.—Tusaisdansquelleruej’habite?—Ouais.Iln’entrepasdanslesdétails.Jecontinuedelefixersansrienajouter,attendantplusoumoinsune
explication.Voyantquejenesuispasconvaincueparson«ouais»,ilpousseunsoupir.—LindenSkyDavis,néele29septembre;1455,ConroeStreet.1,60mètre.Inscritesurlalistedes
donneursd’organes.Je recule d’un pas, prise d’une soudaine vision : celle demonmeurtre imminent perpétré par le
psychopathedemesrêves.Jeferaispeut-êtrebiend’essayerdemieuxlevoiretdemémorisersonvisageaucasoùjem’ensortiraisvivante.Çapourraitservirpourleportrait-robot.
—Tacarted’identité,explique-t-ildevantmonairàlafoiseffrayéetperplexe.Tumel’asmontréetoutàl’heure.Aumagasin.
Jenesaispaspourquoimaiscetteexplicationnemerassurepas.
—Tul’asàpeineregardée.Ilhausselesépaules.—J’aiunebonnemémoire.—Tumesuispartout,jerétorque,impassible.Ils’esclaffe.—Moi,jetesuis?C’esttoiquiesdevantchezmoi,jetesignale.D’ungeste,ilm’indiquelamaisondanssondos.Cettemaisonestlasienne?J’avaiscombiendechancessurmille?Ilseredresseentapotantjusteau-dessousdunominscritsurlaboîteauxlettres.FamilleHolderJesensmesjouess’empourprerd’uncoup,maispeuimporte.Aprèsunfootingenpleinaprès-midi
souslecagnardtexan,jedoisdéjàêtrerougedelatêteauxpieds.J’essaiedenepasm’intéresseràsamaisonmaislacuriositéestmonpiredéfaut.C’estunebicoquemodeste,plutôtdiscrète.Ellecadrebienaveclequartieràrevenusmoyensquinousentoure,commelavoituregaréedansl’allée.Lasienne,peut-être?D’aprèssaconversationavecMachineausupermarché,j’endéduisqu’onalemêmeâge,doncilvitforcémentchezsesparents.Maiscommentsefait-ilquejenel’aijamaiscroiséavant?Commentest-ceque j’aipu ignorerque jevivaisàmoinsdehuitkilomètresduseulgarçonsur terrecapabledemedonnerdesboufféesdechaleurtoutenmemettantlesnerfsenpelote?
Jem’éclaircislavoix.—Bon,ehbien,mercipourl’eau.Jen’aiqu’uneidéeentête:fuircettesituationembarrassanteauplushautpoint.Alorsjeluifaisun
rapidesignedelamainetm’éloigneàgrandspas.—Eh,passivite!lance-t-ildansmondos.Commejeneralentispas,ilmerattrapeetseretournepourmesuivreàreculons,dosausoleil.—Laisse-moiaumoinsremplirtabouteille.Iltendlebraspourattraperlabouteillevidedansmamaingauche,effleurantmonventreaupassage.
Unefoisdeplus,jemefige.—Jerevienstoutdesuite,assure-t-ilendétalantverssamaison.Je ne sais plus quoi penser. Cette marque d’attention est totalement contradictoire. Un autre effet
indésirable de la schizophrénie, peut-être ? C’est sans doute un mutant, comme Hulk. Une sorte deDr Jekyll etMrHyde. Jemedemande siDean incarne la facette gentille du personnage etHolder, lemonstrequiestenlui.Cequiestsûr,c’estqueceluiquej’airencontrétoutàl’heureaumagasin,c’étaitHolder.JecroisquejepréfèrelargementDean.
Gênéed’attendredanslarueplantéecommeunpiquet,jeretourneverssonalléeenm’arrêtanttouteslesdeuxsecondespourregarderlecheminquiconduitchezmoi.Jenesaisvraimentpasquoifaire.J’ailesentimentqu’àcestade,quellequesoitladécisionquejeprendrai,elles’ajouteraauxidéesstupidesquipèsentdéjàlourddansmabalance.
Qu’est-cequejefais?Jereste?Jefile?Jemecachedanslesbuissonsavantqu’ilressorteavecdesmenottesetuncouteau?Mais je n’ai pas l’occasion de filer : sa porte d’entrée s’ouvre en grand et il ressort avec une
bouteillepleine.Cettefois,lesoleilestdansmondosdoncj’aimoinsdedifficultésàlevoir;cequinem’arrangepas,vuquejemeursd’enviedeledévorerdesyeux.
Beurk!Jehaisledésir.Vraiment.
J’ai conscience que ce garçon n’est pas quelqu’un de bienmais visiblementmon corps s’en foutroyalement.
Ilmetendlabouteilleetjem’empressedereboireuncoup.Déjàquejedétestelachaleur,avecDeanHolderdanslesparages,j’ail’impressiond’êtreaubeaumilieudel’enfer.
—Aufait…pourtoutàl’heure…ausupermarché?relance-t-ild’untonhésitant,nerveux.Désolésijet’aimisemalàl’aise.
Mes poumons me supplient de reprendre mon souffle mais je trouve quand même le moyen derépondre:
—Tunem’aspasmiseàl’aise.Tum’asplutôtfichulesjetons.Lesyeuxplissés,Holderm’observequelques instants.Aujourd’hui, j’aidécouvertque jen’aimais
pasqu’onm’observe…jepréfèrepasserinaperçue.—Jen’essayaispasnonplusdetedraguer,ajoute-t-il.Jet’aijusteprisepourquelqu’und’autre.—Aucunproblème.Jemeforceàsouriremaisaufondsi,ilyaunproblème.Pourquoi,toutàcoup,jesuisterriblement
déçuequ’iln’aitpascherchéàmedraguer?Jedevraisêtrecontente!—J’auraistrèsbienputedraguer,nuance-t-ilavecungrandsourire.Maissurlemoment,c’étaitpas
lecas.MercimonDieu!J’aibeautoutfairepourmeretenir,sesmotsm’arrachentunsourire.—Jeteraccompagne?propose-t-il.Avecplaisir.—Non,merci.Ilhochelatête.—Bon,j’allaisparlàdetoutefaçon.Jecoursdeuxfoisparjouretilmeresteencore…Ils’interromptenpleinephraseets’avancebrusquementpourmesaisirlementonetinclinermatête
enarrière.—Quit’afaitça?Laduretéquej’aiperçuedanssonregardausupermarchéréapparaîtderrièresaminerenfrognée.—Tonœiln’étaitpasdanscetétattoutàl’heure.Jedégagemonmentonetdésamorceenriant:—C’étaitunaccident.Nejamaisinterromprelasiested’unefille!Il ne sourit pas. Au lieu de ça, il se rapproche enme fixant durement, puis effleure du pouce le
contourdemonœil.—Tuledirais,pasvrai?Siquelqu’unt’avaitfrappée?J’aimeraisrépondre,vraiment,maisj’ensuisincapable.Ilmecaresselevisage.Samainestsurma
joue.Jen’arriveplusàpenser,àparleroumêmeàrespirer.L’intensitéquisedégagedetoutsonêtremecoupelesouffleetlesjambes.Tandisquej’acquiescedemanièrepeuconvaincante,ilfroncelessourcilspuisretiresamain.
—Jeteraccompagne,décide-t-ild’untoncatégorique.Lesmainssurmesépaules,ilmefaitpivoterdansl’autresensetmedonneunepetiteimpulsion,puis
s’élanceàcôtédemoienpetitesfoulées.Oncourtensilence.Jevoudrais luiparler, l’interrogeràproposdesonannéeendétention, luidemanderpourquoi ila
laissétomberlelycéeetquelleest lasignificationdesontatouage…maisj’ai troppeurdesréponses.Sanscompterquejesuistotalementessoufflée.Ducoup,oncourtsanséchangerunmot.
Lorsqu’on approche de chezmoi, on ralentit tous les deux pourmarcher. Je ne sais pas commentconclurecetterencontre.Jecourstoujoursseulealorsjeneconnaispastropl’usagequanddeuxjoggeurs
seséparent.Jemetourneenluiadressantunpetitsignedelamain.—Bon,àuneprochaine?—Absolument.Jeluisourisunpeugauchementettournelestalons.Absolument?Jetourneetretournelemotdans
ma tête en remontant l’allée. Qu’est-ce qu’il sous-entendait par là ? Il n’a pas cherché à avoir monnuméro,mêmes’ilignorequejen’enaipas.Ilnem’apasnonplusdemandésijevoulaisqu’onrefasseun footing ensemble. Pourtant il a répondu « absolument », comme s’il était certain qu’on allait serevoir…Quelquepart,j’espèrequ’ilaraison.
—Sky,attends.Sa façon de prononcer doucement mon nom me donne envie qu’il n’ait plus que ce mot-là à la
bouche:«Sky».Jemeretourneenpriantpourqu’ilnesoitpassurlepointdemesortiruneautretiraderingarde.Cettefois,jem’ylaisseraisprendre.
—Tuveuxbienmerendreservice?Toutcequetuveux.Tupeuxmedemandern’importequoi,tantquetuserastorsenu,jeleferai.—Oui?Ilmelancesabouteilled’eau.Jel’attrapeauvoletlaregarde:elleestvide.Jem’enveuxdenepas
avoirpenséà luiproposerde la remplir.Je lui faissigneque j’aicomprisen l’agitant,puismonte lesmarches du perron au petit trot etm’engouffre dans lamaison.Karen est en train de remplir le lave-vaisselle quand je fais irruptiondans la cuisine.Dèsque la porte se refermederrièremoi, je relâchebruyammentmonsouffle.
—Bonsang,Sky!Ondiraitquetuvast’évanouir.Assieds-toi.Ellemeprendlabouteilledesmainspourlarempliretm’installedeforcesurunechaise.Jelalaisse
œuvrer pendant que je reprends mon souffle en expirant bien par la bouche. Elle se retourne en metendantlabouteille;jerevisselebouchon,puisjemerelèveetcourslarapporteràHolder.
—Merci,dit-il.Jerestelààleregardercollerseslèvrescharnuessurlegoulot.C’estpresquecommesions’embrassaitencore.Jen’arrivepasàdistinguerl’effetcauséparmonfootingdepresquehuitkilomètresdeceluiqueme
faitHolder.Danslesdeuxcas,j’ail’impressionquejevaistomberdanslespommesàcausedumanqued’oxygène.Holderparcourtmoncorpsdesyeux,s’arrêtantunpoiltroplongtempssurmonventrenuavantdereleverlatête.
—Tufaisdel’athlétisme?—Non, je répondsenmecouvrant leventredubrasgaucheetme tenant la taillede l’autremain.
Maisjepensaismeprésenterauxépreuvesdesélection.—Tudevrais.T’esàpeineessouffléealorsquetuviensdecourirpresquehuitkilomètres.Tuesen
terminale?Il n’apas idéede l’effort surhumainque je faispournepasm’écroulerpar terre en crachantmes
poumons. Je n’ai jamais couru une telle distance d’une traite et je surjoue à fond pour lui donnerl’impressionquec’estlaroutine.Apparemment,çafonctionne.
—Tudevraislesavoir,sijesuisenterminale,non?Pourunprodelafilature,çalaisseàdésirer.Envoyantsesfossettesréapparaître,j’auraispresqueenviedefaireladansedelavictoire.—Disonsquetunemefacilitespaslatâche,avoue-t-il.Jenet’aimêmepastrouvéesurFacebook.Ilvientd’admettrequ’il avait cherchémonprofil surFacebook.Vuqueçane faitmêmepasdeux
heuresquejel’airencontré,savoirqu’ilestrentrédirectementchezluipourchercherdesinformationssurInternetestunpeuflatteur.Ensentantunsouriresedessinermalgrémoisurmeslèvres,j’aienviedegiflercettefillepathétiquequiaprislepouvoirsurmonindifférencehabituelle.
—JesuispassurFacebook.J’aipasInternet.
Ilmeregardeavecunsourirenarquois,commes’iln’encroyaitpasuntraîtremot.—Ettonportable?insiste-t-ilenrepoussantenarrièrelagrossemèchequitombesursonfront.Tu
n’aspasaccèsàInternetdessus?—J’aipasdeportable.Mamèren’estpas fandesnouvelles technologies.Et j’aipas la télénon
plus.—Merde!s’esclaffe-t-il.T’essérieuse?Maisqu’est-cequetufaispourtedétendre?Jeluisourisenhaussantlesépaules.—Dufooting.Holderm’observeencore, laissantsonattentiondévierbrièvementsurmonventre.Dorénavant, j’y
réfléchiraiàdeuxfoisavantdesortirenbrassière.—Danscecas,tusauraisparhasardàquelleheureunecertainepersonneselèvelematinpouraller
courir?Il relève la tête pour me regarder dans les yeux et, à cet instant, il m’apparaît comme tout sauf
l’individuqueSixm’adécrit.Jenevoisqu’ungarçonquiflirteavecunefille,unelueurengageanteetplusoumoinsnerveusedansleregard.
—Jenesuispassûrequetuaiesenviedeteleveraussitôt.Entre son regard et la fournaise ambiante,ma vue se brouille subitement, alors j’inspire un grand
coup:jeneveuxsurtoutpasparaîtreépuiséeettroublée.Ilpenchelatêteenplissantlesyeux.—Au contraire : tu n’imagines pas à quel point j’ai envie deme lever aussi tôt, réplique-t-il en
dégainantsonsourireàfossettes.Là,jeperdscarrémentconnaissance.Jeveuxdire,vraiment.Jesuistombéedanslespommes.Etàencroireladouleurdansmonépauleet lessaletésincrustéessurmajoue,c’étaitunesuperbe
chute.Jemesuisétaléedetoutmonlongsurlebitumeavantmêmequ’ilaitletempsdemerattraper.Lecontrairedecequiarriveauxhérosdanslesromans.
Jesuisétenduesurlecanapé,oùilm’asansdouteallongéeaprèsm’avoirportéeàl’intérieur.Karenestpenchée au-dessusdemoi, unverred’eauà lamain.Holder, qui se tientderrière elle, assiste auxsuitesdelaplusgrossehontedemavie.
—Sky,boisunpeud’eau,exigeKarenensoulevantmonvisagepourl’approcherduverre.Après avoir avalé une gorgée, je repose la tête sur le coussin et ferme les yeux en priant pour
m’évanouirdenouveau.—Jevaistechercherunlingefraisàtemettresurlefront,prévientKaren.Je rouvre les yeux : peut-être que Holder aura décidé de s’éclipser une fois Karen sortie de la
pièce…Maisnon,ilesttoujourslà.Etmêmeencoreplusprès.Agenouilléparterre,ilavancelamainversmescheveuxpourretirer,jeprésume,unesaletéouunboutdegravier.
—Tuessûrequetutesensbien?C’étaitunesacréechute.Ilal’airfranchementinquiet.Ilessuiedupouceunetracesurmajoueetreposelamainàcôtédemoi
surlecanapé.—Pff,j’ycroispas.Gémissant,jecachemesyeuxsousunbras.—Jesuisvraimentdésolée.C’esttroplahonte.Holderécartemonpoignetdemonvisage.—Nedispasça.L’inquiétudequifroissesestraitss’estompepourlaisserplaceàunsourireespiègle.—Jedoisdirequeçamedéplaîtpas.Karenrevientdansleséjour.
—Voilà un gant de toilette frais, ma puce. Tu veux quelque chose contre la douleur ? Tu as lanausée?
Aulieudemepasserdirectementlegant,elleletendàHolderetrepartdanslacuisine.—J’aipeut-êtredelaracinedesoucioudebardane.Génial. Comme si la situation n’était pas suffisamment gênante, elle va me forcer à avaler ses
décoctionsmaisondevantlui.—Çava,maman.J’aimalnullepart.Holderposedoucementlegantsurmajouepourl’essuyer.—Tun’as peut-être aucunedouleurmaintenant,mais crois-moi, ça vavenir,m’avertit-il tout bas,
sansqueKarenpuisseentendre.Tudevraisprendrequelquechose,justeaucasoù.J’ignorepourquoilapropositionparaîtplusalléchantevenantdeluiquedeKaren,maisj’acquiesce.
Puisjedéglutisetretiensmonsouffle.Àforced’êtreallongéesurlecanapéavecsonvisagequiplaneau-dessusdemoi,jesensquejevaisencorem’évanouiralorsjetentedemeredresser.
Voyantcequej’essaiedefaire,ilm’agrippelecoudepourm’aider.Karenrevientetmetendunverredejusd’orange;sespréparationssonttellementamèresquejesuisobligéedelesavaleravecdujusdefruits : je risque sinonde tout recracher. Je lui prends le verrede lamain, le vided’un trait et le luiredonneaussisec.Jen’aiqu’uneenvie,c’estqu’elleretourneauplusvitedanslacuisine.
—Désolée,lance-t-elleentendantlamainàHolder.Jem’appelleKarenDavis.Holderserelèveetluiserrelamain.—DeanHolder.MesamismesurnommentHolder.Jesuisjalousequ’elleluitouchelamain.Àquandmontour?—Commentconnais-tuSky?questionne-t-elle.Onéchangeunregard.Unpetitsourireencoinsedessinesurseslèvres,imperceptiblesaufpourmoi.—Enfait,onneseconnaîtpas.J’étaisjustelàaubonmoment.—Danscecas,merciducoupdemain.J’ignorepourquoielles’estévanouie.Çaneluiétaitjamais
arrivé,ajouteKarenenmecouvantduregard.Tuasmangéquelquechoseaujourd’hui?—Unpeudepoulet audéjeuner, je confesseenpassant sous silence leSnickersque j’ai englouti
avantmonfooting.Labouffedelacantineestvraimentdégueulasse.Roulantdesyeux,effarée,ellelèvebrusquementlesbras.—Maisqu’est-cequit’aprisd’allercourirleventrevide?Jehausselesépaules.—Jesaispas.J’aipasl’habitudedecourirenfindejournée.Leverreàlamain,ellerepartencuisineenpoussantungrossoupir.—Jeneveuxplusque tuaillescourir,Sky.Tu imagines si tuavaisété seule?De toute façon, tu
courstrop.Elleplaisante,j’espère?Iln’estpasquestionquej’arrêtedecourir.—Écoutez,commenceHolderenmevoyantpâlirencoreplus.Iltournelatêteendirectiondelacuisinepours’adresseràKaren:— J’habite surRicker Street et je passe par ici tous les après-midi pour aller fairemon footing.
(C’estdupipeau:jel’auraisremarqué.)Siçapeutvousrassurer,jeseraisravidecouriravecvotrefillependantunesemaine.D’habitude,jevaiscouriraustadedulycéeaprèslescoursmaisçanemedérangepasdechanger,pourunefois.Justepours’assurerqueçanesereproduisepas,vousvoyez.
Ah,jecomprendsmieux.Voilàpourquoicesabdosmedisaientquelquechose.Deretourdanslesalon,Karenmelanceunregardpuissetourneverslui.Ellesaitquej’adorecourir
seulepourmechangerlesidéesmaisjevoisbiendanssonregardqu’elleseraitplusrassuréesij’avaisunpartenaire.
—Pourmoic’estd’accord,concède-t-elle,sousréservequeSkylesoitaussi.
Oui,oui,oui,jelesuis.Àconditionquemonnouveaucoéquipiercouretoujourstorsenu!—OK,jedisenmelevant.Subitement, je suis de nouveau prise de vertige. Je suppose que je deviens livide parce qu’à la
vitessedel’éclair,Holderm’agrippel’épaulepourmefairerasseoirsurlecanapé.—Doucement,murmure-t-il.IllèvelatêteversKaren.—Vousn’auriezpasquelquechoseàgrignoter?Çapourraitluifairedubien.KarenrepartunefoisdeplusdanslacuisinetandisqueHoldertournelatêteversmoi,visiblement
trèsinquiet.—Tuesvraimentsûrequeçava?Ilm’effleurelajoue.Jefrissonne.Unsourirediaboliqueseglissesursonvisagequandils’aperçoitquej’essaiededissimulerlachair
depoulesurmesbras.IljetteunœilàKarenquiesttoujoursdanslacuisine,puisreportesonattentionsurmoi.
—Àquelleheurejecommencelaprotectionrapprochéedemain?—Jesaispas…6h30?Lesoufflecourt,jelefixe,impuissanteàréagir.—6h30,parfait.—Holder,t’espasobligé…Sansrépondretoutdesuite,ilmedévisagedesesyeuxbleusenvoûtantsetjenepeuxm’empêcherde
fixersabouche,toutaussienvoûtante,quandilreprendlaparole:—Jesaisbien,Sky.Maisjefaiscequejeveux.Etd’ajouterencoreplusbas:—Etcequejeveux,c’estcouriravectoi.Il recule enme regardant mais le chaos qui règne dansma tête et mon ventre m’empêche de lui
répondre.Karenestderetouravecdesbiscuits.—Mange,ordonne-t-elleenmelesfourrantdanslamain.Holderselève,ditaurevoiràKarenpuissetourneunedernièrefois.—Àdemainmatin,alors?D’icilà,prendssoindetoi.J’acquiesced’unsignedetêtepuisleregardepartir.Laported’entrées’estreferméemaisjen’arrive
pasàlaquitterdesyeux.Jesuisentraindedevenirfolle.J’aiperdumonsang-froid.Alorsc’estçaqueSixaimetant?Ledésir?
Quellehorreur!C’estdéfinitif:jedétestecesentimentmagiqueetmerveilleux.—Ilétaitvraimentadorable,commenteKaren.Etbeaugarçon,enplus.Ellesetourneversmoi.—Tuneleconnaisvraimentpas?Jehausselesépaules.—Si,j’enaientenduparler.Je n’en dis pas plus. Si elle savait quel genre de cas désespéré elle vient dem’attribuer comme
« partenaire de footing », elle piquerait une crise.Moins elle en sait sur Dean Holder, mieux on seportera,ellecommemoi.
Lundi27août2012
19h10
—Maisqu’est-cequet’asauvisage?Jacklâchemonmentonetmecontournepouraccéderauréfrigérateur.ÇafaitmaintenantunanetdemienvironqueJackestunedesconstantesdelaviedeKaren.Ildîne
avecnousplusieursfoisparsemaineetpuisquecesoironfêteledépartdeSix,ilnousfaitl’honneurdesaprésence.Bienqu’iladorel’asticoter,jesaisqu’elleluimanqueraàluiaussi.
—J’aiprisunegamellecetaprèm.Iléclatederire.—Ah!Alorsc’estpourçaquelarouteestdéfoncée!SixattrapeunetranchedepainetouvrelepotdeNutella.Jemesersunebonneportiondeladernière
recettevégétaliennedeKaren.Onfinitparprendregoûtàsacuisine,maisSixn’atoujourspasréussiàs’yfaireauboutdequatreans.QuantàJack,c’estsondoubleincarné,autrementditiln’estpasdifficile.Lemenudecesoirsecomposed’unplatdontjen’arrivemêmepasàprononcerlenommaisqui,commetoujours, est totalement dépourvu de produits d’origine animale. Karen ne m’oblige pas à êtrevégétalienne,hormisàlamaison,doncjemenourrisplusoumoinscommejeveux.
QuandSixmangequelquechose,c’estuniquementpourcomplétersonalimentation,essentiellementconstituéedeNutella.Cesoir,elles’estpréparéunsandwichfromage-Nutella.Pourlecoup,jenesaispastropsijem’yferaiunjour.
—Alors,quandest-cequetuemménages?jedemandeàJack.Çafaitunmomentquel’idéeestenprojetmaisl’antitechnologismedeKarenestunobstaclequ’ils
n’arriventpasàfranchir.Enfin,surtoutlui.Karen,elle,neseposemêmepaslaquestion.—Dèsquetamèrecéderaets’abonneraàlachaîneESPN,supposeJack.Cen’estpasunsujetdedisputeentreeux.Jecroisqueleurorganisationactuelleleurconvient,donc
aucundesdeuxn’estpressédesacrifiersapositionsurl’auteldesnouvellestechnologies.—Skys’estévanouiedanslarueaujourd’hui,raconteKarenpourchangerdesujet.Unjeunehomme
charmantl’aportéedanslamaison.—Ungarçon,maman,jelareprendsengloussant.C’estbienaussicommeterme,tusais.À l’autreboutde la table,Sixme fait lesgrosyeuxet c’est làque je réaliseque jene lui ai pas
racontémonfootingdujour.Pasplusquemarentréeaulycée.Décidément,lajournéeaétéchargée.Jemedemandebienàquijeraconteraimeshistoiresaprèssondépart.Direquedansdeuxjours,elleseraàl’autreboutdelaplanète:rienqued’ypenser,çam’angoisse.J’espèrequeBreckinpourralaremplacer.D’ailleursilseraitsansdouteravid’êtreàsaplace…danslapeaud’unefille,j’entends.Enfin,moijesouhaitesimplementqu’ilpuissecompenserl’absencedeSix.
—Tutesensmieux?s’inquièteJack.Tuasdûfaireunesacréechutepouravoircetœilaubeurrenoir.
Jetâtemonœilengrimaçant.Jel’avaiscomplètementoublié,cecoquard.—Çan’arienàvoir.C’estSixquim’amisuncoupdecoude.Àdeuxreprises.Jem’attendsàcequel’und’euxaumoinsdemandeàSixpourquoielles’enestpriseàmoi,maisnon,
pasderéaction.Cequiprouvebienàquelpoint ils l’adorent.Ellepourraitmetabasser,ça leurseraitégal;ilsdiraientquejenel’aisansdoutepasvolé.
—Çanet’ennuiepasd’avoirunchiffreenguisedeprénom?laquestionneJack.C’estuntrucquej’aijamaiscompris.Commecesparentsquidonnentàleurenfantlenomd’unjourdelasemaine.
Lafourchetteenl’air,ilmarqueunepauseenjetantunregardàKaren.—Quandonauraunbébé,pasquestiondeluifaireça.Toutcequ’onpourratrouversuruncalendrier
serainterdit.Karenlefixed’unaircomplètementfroid.Àenjugerparsaréaction,jediraisquec’estlapremière
foisqueJackévoquel’idéed’unbébéavecelle.Etvulatêtequ’ellefait,jediraisaussiqu’unbébén’estpasquelquechosequ’elleenvisageàl’avenir.Maisalorspasdutout.
JackreportesonattentionsurSix.—Tonvraiprénom,c’estbienSeven,non?Jenecomprendspaspourquoi tuaschoisiSix.C’est
probablementlepirechiffrequetupouvaischoisir.—Jevaisprendretespetitespiquespourcequ’ellessont,répliquel’intéressée,àsavoir:tamanière
àtoid’oublierlechagrinsuscitéparmondépartimminent.Jackéclatederire.—Commetuveux!Jet’enréserved’autrespourtonretourdanssixmois.
***
AprèsledépartdeJacketdeSix,jerejoinsKarenencuisinepourl’aideràfairelavaisselle.DepuisqueJackaévoquél’idéed’unenfant,elleestétrangementsilencieuse.
—Pourquoiçat’afaitflippercommeça?jel’interrogeenluitendantuneassietteàrincer.—Quoidonc?—Saremarqueausujetdubébé.Tuaslatrentaine.Ilyapleindefemmesquitombentenceintesàton
âge.—C’étaitflagrantàcepoint?—Pourmoi,oui.Ellemeprenduneautreassiettedesmainspourlarincerpuispousseunsoupir.—J’aimeJack.Mais j’aimeaussinotrequotidien, juste toutes lesdeux.Notrevie tellequ’elleest
aujourd’huimeplaîtetjesaispassijesuisprêteàunchangement,etencoremoinsàajouterunbébéautableau.MaisJackestvraimentdécidéàavancer.
Jefermelerobinetetm’essuielesmains.—Maman, je vais avoir dix-huit ans dans quelques semaines. Tu auras beau résister… ta vie va
changer.L’anprochain,jepartiraiàl’universitéettuteretrouverastouteseuleici.Ceseraitpeut-êtrepasmald’envisageraumoinsl’idéedelelaisseremménager.
Ellemesouritmaisd’unairtriste,commetoujoursquandj’évoquelafac.—Jel’aienvisagée,Sky,crois-moi.Simplementc’estunpasénormeetunefoisfranchi,onnepeut
pasrevenirenarrière.—Maisquiteditquetuvoudrasrevenirenarrière?Aucontraire,quisait,tuauraspeut-êtreenvie
d’allerencoreplus loinetde franchirunautrepas,puisencoreunautre jusqu’àceque, finalement, tu
piquesunsprint?Ellerigole.—C’estbiencequimefaitpeur!Jepasseuncoupd’épongesurleplandetravailetlarincedansl’évier.—Parfois,jetecomprendspas.—C’estréciproque,réplique-t-elleenmedonnantunpetitcoupdecoude.Jenecomprendraijamais
pourquoi tu as autant insisté pour aller au lycée. Je sais, ton premier jour était sympa et tout, maismaintenantdis-moivraimentcequetuenpenses.
Jehausselesépaules.—C’étaitbien.Mensonge.Maismonentêtementl’emporteàtouslescoups.Iln’estpasquestiond’avouerquej’ai
détestécetterentrée,mêmesijesaisquejamaisKarennemerétorquerait:«Jetel’avaisbiendit.»Ellesesèchelesmainsenmesouriant.—Raviedel’entendre.Bon,peut-êtrequequandjetereposerailaquestiondemain,tumedirasla
vérité.
***
JesorsdemonsaclelivrequeBreckinm’aprêtéetm’affalesurmonlit.J’aiàpeinelutroispagesqueSixsefaufileparlafenêtre.
—D’abordtajournée,ensuitetoncadeau,déclare-t-elle.Elles’allongeàcôtédemoisurlelittandisquejeposeleromansurmatabledenuit.—Journéepourrie.Grâceà toietà ton incapacitéàdirenonauxmecs, j’aihéritéde tonhorrible
réputation.Maisparuneinterventiondivine,Breckinavoléàmarescousse.Unmormonhomoadopté,quinesaitnichanternijouerlacomédiemaisquiadorelireetquiestmonnouveaumeilleuramidetoutl’univers.
Sixtirelatête.—Jenesuismêmepasencorepartiequetum’asdéjàremplacée?Vilaine.Etpourinfo,jesaisdire
nonauxmecs.Cedontjesuisincapable,c’estdesaisirlesimplicationsmoralesattachéesauxrelationssexuellesavantlemariage.Multiples,lesrelations.
Ellemeposeuneboîtesurlesgenoux.Uneboîtesansemballage.—Jesaiscequetutedis,annonce-t-elle.Maisdepuisletemps,tudevraissavoirquel’absencede
paquetcadeaunereflètepasl’estimequej’aipourtoi.Jesuisfainéante,c’esttout.Jesoulèvelaboîtepourlasecouer.—C’esttoiquipars,jetesignale.C’estplutôtmoiquidevraist’offriruncadeau.—C’estvrai.Maislescadeaux,c’estpastonfortetjem’attendspasàcequetuchangespourmoi.Ellearaison.Jenesuisnullepourcequiestd’offrirdescadeaux.Surtoutparcequej’aitoutautant
horreurd’enrecevoir.Pourmoi,c’estpresqueaussigênantquelesgensquipleurent.Jeretournelaboîteettrouvelecouvercle,quejedéfaispourl’ouvrir.Unefoislepapierdesoieretiré,untéléphoneportablemetombedanslamain.
—Six…Tusaisbienquej’aipasledroit…—Jem’enfiche. Ilestpasquestionque jeparteà l’autreboutde laplanètesansaucunmoyende
communiqueravectoi.T’asmêmepasd’adressee-mail!—Jesais,maisjepeuxpas…J’aipasdeboulot.Jenepourraipaspayerleforfait.EtKaren…—Relax,c’estunecarteprépayée.J’aimisassezd’argentpourqu’onpuisseaumoinss’envoyerun
texto par jour pendant mon absence. Manque de pot pour toi, j’ai pas les moyens pour des appels
internationaux.Ethistoiredes’entenirauxprincipeséducatifscruelsettordusdetamère,sachequ’iln’yamêmepasInternetsurcemachin.JustelafonctionSMS.
Elles’emparedel’appareilpourl’allumerpuisenregistresonnuméro.—Situfinispartetrouveruncopainsexyenmonabsence,tupourrastoujoursacheterdesminutes
supplémentaires.Mais si jamais il profite du crédit quim’est réservé, je l’étripe, prévient-elle enmerendantleportable.
J’appuie sur la touche RÉPERTOIRE. Son numéro s’affiche sous le nom « ta MEILLEURE amie del’universtoutentier».
Recevoirdescadeauxn’estpasmonfortetlesadieuxc’estencorepire.Jerangeletéléphonedanssaboîteetmepenchepourattrapermonsacàdos.J’ensorstousmeslivres,puisjemeretourneversSixetrenversemonsacsursatêteenregardantunepluiededollarstombersursesgenoux.
— Il y a trente-sept dollars en tout. Ça devrait te permettre de tenir jusqu’à ton retour. JoyeuxErasmus.
Elleramasseunepoignéedebilletsqu’ellejetteenl’airavantdeserallongersurlelit.—Tonpremier jourde lycéeetcesgarces te fontdéjà lecoupducasier? s’amuse-t-elle. Jesuis
impressionnée.Jeposelapetitecartequej’airédigéepoursondépartsursapoitrinepuisj’appuielatêtecontreson
épaule.—Ahoui?Etencore,tunem’aspasvuefairedulapdancedanslacantine.Ellelèvelacartedevantsesyeuxetl’effleureensouriant.Ellenel’ouvrepasparcequ’ellesaitque
jen’aimepaslessituationstroplarmoyantes.Ellelareposeetappuieàsontourlatêtesurlamienne.—T’esvraimentunetraînée,plaisante-t-elledoucementententantderéprimerdeslarmesquenotre
entêtementnousempêchetouteslesdeuxdelaissercouler.—Ilparaît,oui.
Mardi28août2012
6h15
Enentendantmonréveilsonner,jem’interrogepoursavoirsiouiounonjevaiscourircematin,puisje me souviens soudain que j’ai rendez-vous, et pas avec n’importe qui. Je m’habille en quatrièmevitesse,commejamaisdepuisquejesuisenâgedem’habillertouteseule,puisjecoursàlafenêtre.Unepetite carte est scotchée sur le carreau avec lemot « traînée » écrit dessus de lamain de Six. Je ladécolleavecunsourirepuislajettesurmonlitavantdemefaufilerdehors.
Assissurleborddutrottoir,ils’étirelesjambes.Heureusement,ilestdedos,sinonilm’auraitvuefroncerlessourcilsendécouvrantqu’ilporteuntee-shirt.Ilseretournelorsqu’ilm’entendapprocher.
—Salut,toi,sourit-ilenselevant.C’estalorsquejeremarquequesontee-shirtestdéjàtrempé.Ilestvenuencourant.Troiskilomètres
pourvenirici,etils’apprêteàenfairecinqavecmoiavantd’enparcourirtroisdepluspourrentrerchezlui.Sincèrement,jenecomprendspaspourquoiilsedonnetoutcemal.Nipourquoijelelaissefaire.
—Tuasbesoindet’échaufferd’abord?s’enquiert-il.—C’estdéjàfait.Iltendlebraspourm’effleurerlajoue.—C’estpassiterriblefinalement,constate-t-il.Çatefaitmal?Jefaisnondelatête.Ilespèrevraimentquejevaisrépondreàvoixhautealorsquesesdoigtssontau
contactdemapeau?C’estunpeudifficiledeparleretderetenirsonsouffleenmêmetemps.Ilretiresamainensouriant.—Tantmieux.Prête?Jerelâchemonsouffle:—Oui.Etons’élance.Oncourtcôteàcôtependantunmomentjusqu’àcequelecheminserétrécisseetqu’il
se range derrière moi, ce qui me met incroyablement mal à l’aise. En temps normal, je me lâchetotalementquandjecoursmais là, jesuispleinementconscientedumoindredétail,demacoiffureà lalongueur de mon short en passant par chaque goutte de sueur qui me dégouline dans le dos. Je suissoulagéedelevoirreveniràmahauteurdèsquelechemins’élargitànouveau.
—Tudevraisvraimentparticiperauxsélectionsdel’équiped’athlétisme…Savoixposéenedonnepasdutoutl’impressionqu’iladéjàcourutroiskilomètrescematin.—…Tuasplusd’endurancequelamajoritédeceuxquiformaientl’équipedel’andernier.— Je ne sais pas si j’en ai envie, je souffle de façon peu séduisante. Je ne connais quasiment
personne au lycée. J’avais prévu de me présenter, mais pour l’instant, la plupart des élèves sont…vaches.J’aipastrèsenviedeprolongerlesconfrontationsquotidiennessousprétextequ’onfaitéquipe.
—Ça fait seulement un jour que tu as intégré le lycée. Sois patiente.Tu pouvais pas t’attendre àdébarquerunjouravectroismillionsd’amisaprèsavoirfaittoutetascolaritéàdomicile.
Jem’arrêtenet. Il continuependantquelques foulées avantde remarquerque jene suisplus à sescôtés.Quandilseretourneetmevoitimmobile,ilseprécipiteversmoietm’agrippeparlesépaules.
—Çava?Tuasdesvertiges?Jefaisnondelatêteenrepoussantsesbras.—Çavatrèsbien,jedisavecunepointed’agacementtrèsperceptible.Ilpenchelatêtedecôté.—J’aidituntrucqu’ilnefallaitpas?Commejecommenceàrepartirendirectiondechezmoi,ilenfaitautant.— Si peu ! je réplique. Je plaisantais qu’à moitié hier quand je comparais ton attitude à du
harcèlement.TureconnaisavoircherchémonprofilFacebookjusteaprèsm’avoirrencontrée.Ensuite,tuinsistespourcouriravecmoialorsquec’estpasdutouttonchemin.Etmaintenantj’apprendsquetuastrouvé lemoyende savoir depuis combiende temps je vais au lycée et que tu as découvert qu’avant,j’étaisscolariséechezmoi?Jenevaispastementir,c’estunpeuflippant.
J’attendsdesexplicationsmaisaulieudeça,Holdersecontentedem’observer,lesyeuxmi-clos.Oncontinuedemarchertandisqu’ilmefixeensilence,jusqu’àcequ’ontourneàl’angledelaruesuivante.Quandilouvreenfinlabouche,ungrossoupirprécèdesaréponse:
—Jemesuisrenseigné,avoue-t-ilfinalement.Jevisicidepuisquej’aidixans,alorsj’aipasmald’amis.Tum’intriguais.
Jelescrutependantquelquesmètrespuisbaisselesyeuxversletrottoir.Toutàcoupjen’arriveplusà le regarder, inquiètedecequeses«amis»ontpu lui raconterd’autreàmonsujet. Je saisquedesrumeurscirculentdepuisqueSixetmoisommesamies,maisc’estlapremièrefoisdemaviequejesuisuntantsoitpeusurladéfensiveouembarrasséeàcaused’elles.Jenevoisqu’uneexplicationaufaitqu’ilaitmodifiésonparcourspourcouriravecmoi:ilconnaîtmaréputationetilespèresansdoutequ’ellesoitjustifiée.
Voyantquejesuismalàl’aise,ilm’arrêteenmeretenantparlecoude.—Sky.Onpivotepourseretournerfaceàface,maisjenequittepaslebitumedesyeux.Bienqu’aujourd’hui
jeporteunpeuplusqu’unesimplebrassière,jecroisequandmêmelesbrasenmetenantlescôtes.Rienquidépasseouquiaitbesoind’êtredissimulé,maisd’unecertainemanière,jemesensvraimentnueàcetinstant.
— Je crois qu’on est partis du mauvais pied au supermarché hier, reprend-il. Et en ce qui meconcerne,jet’assure:cettehistoiredeharcèlement,c’étaituneblague.Jeneveuxpasquemaprésencetemettemalàl’aise.Çaterassureraitd’ensavoirplussurmoi?Pose-moiunequestionetj’yrépondrai.N’importelaquelle.
J’espèreréellementqu’ilestsincère,parcequejesensd’iciquecen’estpaslegenredemecsdontlesfillessecontententdes’enticher.Non,c’estlegenredontontomberaidedingue,etcetteseuleidéemeterrorise.Jen’aipastrèsenvied’êtreamoureusedequiquecesoit,etencoremoinsd’untypequiseplieenquatrepourmoiuniquementparcequ’ilmeprendpourunefillefacile.Dureste,jen’aipasenviedetomberamoureused’untypequi,àencroiresontatouage,s’estautocataloguécommecasdésespéré.Seulement,jesuiscurieuse.Beaucouptrop.
—Sijeteposeunequestion,tuserashonnêteavecmoi?Ilinclinelevisageversmoi.—Toujours.Parmoments sa façon de chuchoterme fait tourner la tête, et l’espace d’un instant, je redoute de
m’évanouirencores’ilcontinueàparlerdecettefaçon.Heureusement,ilreculeetattendsimplementque
jeposemaquestion.J’aienviedel’interrogersursonpassé.J’aimeraissavoirpourquoionl’amisenprison,pourquoiilafaitcequ’onluireprocheetpourquoiSixseméfiedelui.Maislàencore,jenesuispassûredevouloirconnaîtrelavéritétoutdesuite.
—Pourquoituasabandonnétesétudes?Ilpousseunsoupir,commesic’étaitunedesquestionsqu’ilespéraitesquiver.Ilseremetàmarcher
etcettefois,c’estmoiquilesuis.—Enthéorie,jen’aipasencoreabandonné.—Maisvisiblement,çafaitplusd’unanquetun’espasalléencours.Pourmoi,çarevientaumême.Ilseretourne,l’airhésitant,commes’ilavaitenviedemeconfierquelquechose,ouvrantlaboucheet
larefermantaprèsunebrèvehésitation.Çamerendfolledenepasréussiràlecerner.D’ordinaire,c’estfacile:laplupartdesgenssontlimpides.Holder,lui,esttrèsdéroutantettrèscompliqué.
—Jemesuisréinstalléici ilyaseulementquelquesjours,explique-t-il.L’annéedernièreaétéunpeumerdiqueentremamèreetmoi,alorsjesuispartivivrequelquetempschezmonpèreàAustin.Jesuisalléaulycéelà-basmaisj’avaislesentimentqu’ilétaittempsquejerentre.Alorsmevoilà.
Lefaitqu’ilpassesoussilencesonséjourencentrededétentionmefaitdouterdesasincérité. Jecomprendsquecenesoitpasforcémentquelquechosedontilaitenviedeparlermaisilnedevraitpasaffirmerqu’ilseratoujourshonnêtealorsquepourl’instant,cen’estabsolumentpaslecas.
—Çan’expliquepaspourquoituaslâchélescoursenpleineannéenipourquoitunet’estoujourspasréinscritaulycée.
Ilhausselesépaules.—Jesais.Àvraidire,j’essaieencorededécidercequej’aienviedefaire.Jedétestecelycée.J’en
aimarredeleurbaratinetparfoisjemedisqueceseraitplusfaciledememettresimplementàbosser.J’arrêtedemarcherenmetournantfaceàlui.—C’estmerdique,commeexcuse.Ilmedévisage,lesourcilarqué.—Quoi,lefaitquejedétestecelycée?—Non,quetulaissesuneannéedifficiledéciderdetonsortpourlerestantdetesjours.Ilnetereste
plusqueneufmoisavantdepassertonbacettoiturenonces?C’estjuste…con.Iléclatederire.—C’estsûrqueprésentéavecautantd’éloquence…!— Tu peux rire, mais si tu plaques définitivement le lycée, c’est que tu cèdes à la pression. Tu
donnerasraisonàceuxquiontdoutédetoi.Jejetteuncoupd’œilautatouagesursonbras.—Tuvasrenonceretprouveraumondeentierquetuesvraimentuncasdésespéré?Joliefaçonde
leurfaireporterlechapeau.Ilsuitmonregardjusqu’àsontatouageetlecontempleunmomentenremuantlamâchoire,l’airtendu.
Jen’avaisvraimentpasl’intentiondem’engagerdanscettediscussionmaisbâclersesétudesestunsujetdélicatavecmoi.Àmonavis,c’est la fautedeKaren,quim’arabâchépendantdesannéesque j’étaisseuleresponsabledelatournurequeprendraitmavie.
Holder détourne les yeux du tatouage qu’on fixe tous les deux et relève la tête, en indiquant mamaisond’unsignedumenton.
—T’esarrivée,dit-ild’untonneutre.Iltournelestalonssansmêmeunsourireouungested’aurevoir.Jerestelà,surletrottoir,àleregarderdisparaîtreaucoindelarue.Ilneseretournepas.Etvoilà.Moiquipensaisdiscuteravecunedesespersonnalitésaujourd’hui…C’estraté.
Mardi28août2012
7h55
Quand j’arrive dans la salle de cours, Breckin est déjà installé au fond dans toute sa splendeurfuchsia.Jesuissidéréedenepasavoirremarquéceschaussuresrosepétardet legarçonqui lesporteavantledéjeunerd’hier.
—Salut,beaugosse,jedisenmeglissantsurlesiègevideàcôtédelui.Jeluiprendssongobeletdecafédesmainspourenboireunegorgée.Commeilnemeconnaîtpas
encore assez pour protester, il me laisse faire. À moins que ce ne soit parce qu’il connaît lesconséquencesquandoninterromptunefillequis’autoproclameaccroàlacaféine.
— J’en ai appris de belles sur toi hier soir, affirme-t-il.C’est vraiment dommage que tamère neveuillepasquetuaiesaccèsàInternet.C’estunespaceformidablepourdécouvrirdeschosessursoi-mêmequ’onnesavaitmêmepas.
—Maisest-cequej’aiseulementenviedesavoir?jerépondsengloussant.Renversantlatêteenarrièrepourfinirsoncafé,jeluirendsensuitelegobelet.Iljetteunœilaufond
dugobeletvideetlereposesurmatable.—Eh bien, d’aprèsmes investigations sur Facebook, vendredi soir tu as invité un certainDaniel
Wesleycheztoi,cequis’estsoldéparlacrainted’unegrossesse.SamedituascouchéavecundénomméGraysonquetuasensuiteflanquéàlaporte.Hier…,poursuit-ilensetapotantlementon,hieront’avuecourirencompagniedeDeanHolderaprèslescours.Ça,çam’inquièteunpeuenrevanche,parcequ’onditque…iln’aimepaslesmormons.
ParfoisjesuisbiencontentedenepasavoiraccèsàInternet,contrairementàtoutlemonde.—Voyons voir, je dis en récapitulant la liste des ragots.DanielWesley, je ne saismêmepas qui
c’est.Samedisoir,Graysonesteffectivementvenuchezmoimaisilatoutjusteeuletempsdemepeloterque j’ai flanqué cette outre à vindehors.Et oui, c’est vrai, hier j’ai couru avecunmecqui s’appelleHoldermais je ne le connais pas.On s’est retrouvés à courir enmême temps par hasard parce qu’iln’habitepasloindechezmoi.Voilà…
Jem’enveuximmédiatementd’avoirminimisél’importancedemonfootingavecHolder.Maispourl’instant, jene l’aipasencorecernéet jenesuispassûred’êtreprêteàcequequelqu’uninfiltremonalliancevieilledevingtheuresavecBreckin.
—Siçapeutterassurer,d’aprèsunenanaprénomméeShayna,j’étaisunrichehéritierpleinauxas!J’éclatederire.—Tantmieux.Danscecas,çatedérangerapasdem’apporteruncafétouslesmatins.Laportedelaclasses’ouvre,etonlèvetouslesdeuxlenezaumomentoùHolderfaitsonentrée,
vêtud’untee-shirtblancetd’unjeannoir,lescheveuxfraîchementlavés.Dèsquemonregardseposesur
lui,çamereprend:grippeintestinale,boufféesdechaleur,trac.—Merde.Pendant que je marmonne, Holder s’avance vers le bureau de M. Mulligan pour y poser un
formulaire, puis il part vers le fond de la salle en tripotant son portable. Il s’installe à la table justedevantcelledeBreckinsansmêmeremarquermaprésencepuiscoupesontéléphoneetlerangedanssapoche.
Je suis trop stupéfaite de le voir débarquer en cours pour lui parler. Est-ce que, d’une certainemanière, je l’ai faitchangerd’avisausujetdesaréinscription?Est-cequeçamefaitplaisirqu’ilaitpeut-êtrechangéd’avisgrâceàmoi?Jeposelaquestioncarjen’éprouvequ’unpeuderegret.
M.Mulliganarriveetposesesaffairessur lebureau,puis ilseretournepourécriresonnomainsiqueladateautableau.Jenesaispastrops’ilcroithonnêtementqu’onaoubliéquiilétaitdepuishieroubiens’iltientjusteànousrappelerqu’ilnousprendpourdesidiots.
—Dean!s’exclame-t-iltoujoursfaceautableauavantdeseretourneretdejaugerHolderduregard.Contentdeterevoirparminous,bienquetuaiesunjourderetard.J’imaginequetunevaspasnousposerproblèmecetteannée?
Cette remarque condescendante, lancée d’entrée de jeu,me laisse sans voix. Si c’est le genre debaratinqueHolderdoitsupporteraulycée,pasétonnantqu’ilaithésitéàrevenir.Moi,aumoins,jemefaisjusterembarrerparlesautresélèves.Àmonsens,peuimportel’élève,lesprofsnedevraientjamaisêtrecondescendants.Çadevraitêtrelarèglenuméroundumanuelduparfaitenseignant.Ennumérodeux,ilsdevraientavoirinterdictiond’écrireleurnomautableauàpartirduCM1.
HolderchangedepositionetrépondàM.Mulliganavecautantdemordant:—Etmoi,j’imaginequevousnedirezrienquipuissem’inciteràvousposerproblèmecetteannée,
monsieurMulligan?Bon, visiblement, ça rembarre des deux côtés. Peut-être qu’après l’avoir convaincu de revenir en
cours,ilfaudraitquejeluiapprennel’importancedurespectdel’autorité.Lementonrentré,M.MulliganlanceunregardnoiràHolderpar-dessuslamonturedeseslunettes.—Et si tu venais au premier rang pour te présenter à tes camarades,Dean ? Il y a sûrement des
nouveauxvisagesdepuistondépartl’andernier.Holdernebronchepas,cequiàmonavisestexactementlaréactionqu’escomptaitM.Mulligan.Au
contraire,ilselèvepourainsidired’unbondets’avanceàgrandspasjusqu’àl’avantdelaclasse.Cetteardeursoudainepousseleprofesseuràreculerd’unpas.Holderseretournefaceàlaclassesansunpoild’hésitationoudegêne.
—Avecplaisir, commence-t-il endéfiantM.Mulligandu regard. Jem’appelleDeanHoldermaistoutlemondem’appelleHolder.
Ils’adresseensuiteàlaclasse:— Je suis élève ici depuis la seconde, exception faite de neuf mois sabbatiques. Et d’après
M.Mulligan,j’aimebiensemerlapagaille,doncondevraitbiens’amuser.Plusieursélèves rigolent enentendantça,maispourmapart, jenevoispascequ’ilyadedrôle.
J’avais déjà quelques réserves à son sujet, vu tout ce qu’onm’a raconté sur lui,mais à présent, sonattitudelerévèletelqu’ilestvraiment.Holder,boucheouverte,s’apprêteàpoursuivrequandsoudainilsefendd’ungrandsourireenm’apercevantaufonddelasalle.Leclind’œilqu’ilm’adressemedonneenviedemecachersouslatable.Jeluirépondsd’unpetitsourirepincépuisbaisselenezdèsquelesautrescommencentàpivotersurleursiègepourvoirquiestceluioucellequ’ilfixecommeça.
Ilyauneheureetdemie,ilestpartidemauvaispoil.Maintenantilmesouritcommes’ilvenaitderevoirsameilleureamiepourlapremièrefoisdepuisdesannées.
Jeconfirme:cetypeestinstable.—C’étaitquoi,cesourire?mechuchoteBreckinensepenchantsursatable.
—Jeteraconteraiaudéjeuner.— Est-ce là toute la sagesse que tu souhaites nous transmettre pour aujourd’hui ? demande
M.MulliganàHolder.Cedernieracquiesceetretourneàsaplacesansmequitterdesyeux.Ilserassoitensedévissantle
cou pourme regarder. Le cours débute et tout lemonde reporte son attention vers le tableau. Tout lemonde,saufHolder.Jemeplongedansmonlivreetl’ouvreauchapitreencours,espérantqu’ilenferaautant.Maisquandjerelèvelenez,ilesttoujoursàm’observer.
«Quoi?»j’articuleensilenceenlevantlesmainsversleciel.Plissantlesyeux,ilm’observeensilenceavantdefinalementrépondre:«Rien.»Ilseretourneet
ouvresonmanuel.Breckinmedonneunpetitcoupdecrayonsurlesdoigtsenm’interrogeantduregardavantdereporter
sonattentionsursonlivre.S’ilcomptesurmoipourluiexpliquercetteminiscèneavecHolder,ilvaêtredéçucarj’ensuisincapable.Moi-même,jen’aiaucuneidéedecequivientdesepasser.
Pendant le cours, jeglisseplusieurs coupsd’œil endirectiondeHoldermais il nebougeplusdetoutel’heure.Quandlasonnerieretentit,Breckinselèveprécipitammentenpianotantsurmatable.
—Toietmoi,rendez-vousàlacantine,décrète-t-ilenmetoisant,unsourcilhaussé.Tandisqu’ilquittelasalle,jevoisHolderlefixerd’unairdur.Ramassantmesaffairesenvitesse,jemedirigeverslasortieavantdeluilaisserletempsdelancer
laconversation.Sincèrement,jesuisraviequ’ilaitdécidédereprendresascolaritémaissafaçondemeregardercommesionétaitlesmeilleurspotesdumondem’inquiète.Jen’aiaucuneenviequeBreckin(oun’importequid’autre,d’ailleurs)pensequej’approuvesesagissements.C’estsimple,jepréféreraisnerienavoiràfaireaveclui.Saufquequelquechosemeditqueçanevapasluiplaire,àHolder.
Je vais àmon casier pour changer de livres et attrapermonmanuel de littérature anglaise. JemedemandesiShayna/Shaylavamereconnaîtreaujourd’hui.Sansdoutequenon,lederniercoursremonteàvingt-quatre heures. Je doute qu’elle ait assez de neurones pour mémoriser des informations aussivieilles.
—Salut,toi.Jefermelesyeuxavecappréhension,redoutantdelevoirplantélàdanstoutesasplendeursijeme
retourne.—Tuesvenu,finalement.Je réaligne les livres dansmon casier puis lui fais face. Souriant, il prend appui contre le casier
voisin.—Tut’esrefaitunebeauté,constate-t-ilenmereluquantdelatêteauxpieds.Celadit,j’aimebien
aussiquandtuesensueur.Iln’estpasmalnonplusdanssongenremaiscen’estpasmoiquileluidirai.—Tuesrevenupourcontinuerdemeharcelerouréellementpourreprendretesétudes?Ilsouritd’unairmalicieuxentapotantsurlecasier.—Lesdeux.Ilfautvraimentquej’arrêtecettehistoiredeharcèlement.Ceseraitplusdrôlesi,aufond,jenel’en
croyaispascapable.Autourdenous,lecouloirsevidepeuàpeu.—Bon,ilfautquej’ailleencours.Contentedeterevoiraulycée.Ilmedévisage,lesyeuxplissés,presquecommes’ilpercevaitmonmalaise.—Tuesbizarre.Cediagnosticm’arracheunsoupird’agacement.Commentilpeutlesavoir,sijesuisbizarreoupas?
Ilnemeconnaîtmêmepas!Jemetournedenouveauversmoncasierpouressayerdedissimulerlefonddemapensée,àl’originedemonattitude«bizarre».Despenséestellesque:pourquoiest-cequeses
antécédentsnem’effraientpasplusqueça?Pourquoiest-ilcolériqueaupointd’agircommeil l’afaitenvers ce pauvre gosse l’an dernier ? Pourquoi est-ce qu’il tient tant à ce qu’on coure ensemble ?Pourquoiest-cequ’ils’estrenseignésurmoi?Aulieudeluiavouerqu’untasdequestionsmebrûlelalangue,jem’entiensàunhaussementd’épaulesenprétextant:
—Jesuispasbizarre,jesuisjustesurprisedetevoirici.Ils’appuiecontrelecasiervoisinensecouantlatête.—Non.C’estautrechose.Qu’est-cequinevapas?Unautresoupir.Jem’appuieàmontourcontremoncasier.—Jepeuxêtrefrancheavectoi?—Jenedemandequeça.Jehochelatêteavecunegrimaceetmeredresse:—D’accord.Alorsvoilà:jeneveuxpasquetutefassesdefaussesidées.Tumedraguesettulâches
des trucs qui laissent entendre que tu as des vues surmoi.Malheureusement, c’est pas réciproque.Etpuis,tues…
Jem’interrompspourchercherlemotjuste.—Jesuisquoi?s’impatiente-t-ilenmefixantintensément.—Tues…trèssérieux.Trop.Etlunatique.Etunpeueffrayant.Ilyaaussil’autretruc,j’ajoutesans
préciser.Jeneveuxpasquetut’imaginesdeschoses.—Quelautretruc?Ilal’airdesavoirexactementdequoijeparlemaisilmedéfiedeleverbaliser.—Tusaistrèsbien.Jesouffleetm’adossecontremoncasier, lesyeuxrivéssurmespieds.Jem’entêteà restervague,
n’ayantpasplusenviequeluisansdouted’évoquerlepassé.Holderseplante faceàmoi,appuie lesmainsàplatsur lecasierderrièrema tête,puissepenche
versmoi.Quandjelèvelesyeux,sonvisagen’estqu’àquinzecentimètresdumien.—Non, je ne sais pas, Sky. Tu éludes le sujet comme si tu avais trop peur de l’aborder. Alors
explique-moi.Àcetinstant,tandisquejeleregardeenmesentantpriseaupiège,lamêmepointedepaniqueque
lorsdenotrepremièrerencontrevientmeserrerlecœur.—Onm’aracontécequetuasfait, jelâcheabruptement.Jesuisaucourantpourletypequetuas
tabasséetpourtonséjourencentrederedressement.Jesaisquedepuisdeuxjoursquejeteconnais,tum’asflanquélatrouilleaumoinstroisfois.Etpuisqu’onsedittout,jesaisaussiquesitut’esrenseignésurmoi,alorstuassûremententenduparlerdemaréputation,cequiestcertainementlaseuleraisonpourlaquelletufaisdespiedsetdesmainspourêtreavecmoi.Désoléedetedécevoir,maistoietmoi,onnecoucherapasensemble.Nevapast’imaginerqueçairaplusloinentrenous.Onfaitdufootingensemble,point.
Samâchoiresecrispemaissonexpressionnechangepasd’uniota.Ilbaisselesbrasenreculantd’unpas,melaissantainsirespirerànouveaunormalement.Jenecomprendspaspourquoi,chaquefoisqu’ilempiète sur mon espace vital, ça me coupe littéralement le souffle. Et surtout, je ne comprends paspourquoicettesensationmeplaît.
Meslivresserréscontremoi, jecommenceàm’enallerenlebousculantunpeuquandsoudain,unbrasmesaisitparlatailleetm’éloignebrusquementdeHolder.Tournantlatête,jevoisGraysonletoiserdelatêteauxpiedstoutenm’attirantcontrelui.
—Holder,constatefroidementGrayson.Jesavaispasquet’étaisderetour.Holderfaitcommes’iln’étaitpaslà.Ilcontinuedemefixerpuisbaissefinalementlesyeuxjusqu’à
lamaindeGraysonquim’agrippelataille.Ilhochelégèrementlatêteensouriant,commes’ilétaitarrivéàunesortedeconclusion,puisilm’observedenouveau.
—Ehsi,tuvois:jesuisderetour,réplique-t-ilsansmâchersesmotsniregarderGraysonenface.C’estquoi,cedélire?D’où sortGraysonetpourquoiest-cequ’ilme tientpar la taille commesi
j’étaissapropriété?Aprèsavoirtournélestalonspourpartir,Holders’arrêtebrusquementetseretourneunedernièrefois
versmoi:—Lessélectionsd’athlétismeontlieujeudiaprèslescours,m’informe-t-il.Vas-y.Surce,ils’envapourdebon.MaispasGrayson.Dommage.—Tuasuntrucdeprévusamedi?mechuchote-t-ilàl’oreilleenmeserrantcontrelui.Jelerepousseenécartantmoncoudesabouche.—Arrête,jeréponds,agacée.Jecroisquej’aiétéplutôtclaireleweek-enddernier.Refermant violemment mon casier, je m’éloigne, songeuse. Toute ma vie j’ai eu une existence
tranquilleetsanshistoires.Pourtant,rienqu’aveccequis’estpassécesdeuxderniersjours,j’auraisdequoiécrireunromanentier.
***
Breckins’installeenfacedemoienmeglissantunsodasouslenez.—Ilsn’avaientpasdecafémaisj’aitrouvédelacaféine.—Merci,trèschermeilleuramidetoutl’univers,jedisensouriant.— Ne me remercie pas, je l’ai acheté dans une mauvaise intention. Je vais m’en servir pour te
soudoyeretobtenirdestasderagotssurtavieamoureuse.J’ouvrelacannetteenriant.—Ehbien,tuvasêtredéçuparcequemavieamoureuseestaupointmort.—Ça,j’endoutevulafaçondontmonsieurlerebellelà-bastematedepuistoutàl’heure,insiste-t-il
enesquissantunpetitsignedetêteversladroite.Troistablesplusloin,Holdermefixe:ilestassisparmiplusieursjoueursdel’équipedefootballqui
ontl’airtoutexcitésdelerevoir.Ilsluidonnentdestapesdansledosenbavardantautourdelui,sansremarquerqu’ilneprendpaspartàlaconversation.Lesyeuxbraquéssurmoi,ilboitunegorgéed’eau,repose labouteillesur la tabled’ungesteunpeubrusquepuism’adresseunpetit signede têtevers ladroiteetselève.Suivantsonregard,j’aperçoislaportedelacantine,directiondanslaquelleilpartens’attendantsûrementàcequejelesuive.
—Euh…?jemarmonnesansvraimentm’adresseràBreckin.—Commetudis.Allez,vavoircequ’ilteveutetreviensmeraconterça.Jereprendsunegorgéedesoda.—Bien,chef.Moncorpsse lèvemaismoncœurnesuitpas : jecroisqu’ilm’a lâchéedèsqueHolderm’a fait
signede lerejoindre.JepeuxfairebonnecontenancedevantBreckinautantque jeveux,aufond,Dieusaitquejen’enmènepaslarge.
Holder,quimedevancedeplusieursmètres,pousse lesportesqui se referment aussitôt après sonpassage.Unefoisdevant,jeposelesmainsdessus,hésitante,puism’engouffrefinalementdanslecouloir.Jecroisque jepréféreraisallerenheuredecolleplutôtquede luiparler. J’ai tellementdenœudsauventrequ’unscoutauraitdequoiêtrejaloux.
Commejenelevoisnullepart,j’avanceencoreunpeu,jusqu’auxcasiers.Adossécontrel’und’eux,unpiedsurlaporteenmétal,ilmeregardebienenface,lesbrascroiséssurlapoitrine.Lanuancebleuclairdesesyeuxn’estmêmepasassezdoucepouratténuerlacolèrequ’ilscontiennent.
—TusorsavecGrayson?Levantlesyeuxauciel,jemarcheverslarangéedecasiersopposéepourm’yadosser.Jeconnaisà
peinecemecetjecommencedéjààenavoirassezdesessautesd’humeur.—Qu’est-cequeçapeuttefaire?Franchement,j’aimeraisbiensavoirenquoiçaleregarde.Ilmefaitlecoupdusilence:unepetitepause,j’airemarqué,qu’ilmarquepresquetoujoursavantde
répondre.—C’estungroscon.— Comme toi parfois, je lance du tac au tac, beaucoup plus rapide que lui quand il s’agit de
répliquer.—C’estpasunmecpourtoi.Jelâcheunpetitrireexaspéré.—Parcequetoi,si?jerétorque,luiretournantdirectementlecompliment.Sioncomptaitlespoints,jediraisqu’onenestà2:0pourmoi.Ilsetourneverslescasiersettapesurl’und’euxduplatdelamain.Lebruitducoupcontrelemétal
résonnedanslecouloiretserépercutedroitdansmonventre.—Nem’incluspaslà-dedans,reprend-ilenseretournant.JeteparledeGrayson,pasdemoi.Tune
devraispastraîneraveclui.T’imaginespasquelgenredemecc’est.Jeglousse.Pasparcequ’ilestdrôle…aucontraire.Parcequ’ilestsérieux.Cetypequejeconnaisà
peineessaiesérieusementdedécideravecquij’ailedroitdesortiroupas?Découragée,jerenverselatêteenarrièrecontrelecasierensigned’abandon.
—Deuxjours,Holder.Çafaitdeuxjoursentoutetpourtoutquejeteconnais.Jemeredressesubitementetm’avanceverslui.—Etendeux jours, j’ai eu le tempsdevoir cinqdifférentes facettesde tapersonnalité,maisune
seules’estrévéléesympathique.Ettoitucroisavoirtouslesdroits,commeceluidedonnertonavissurmoiousurmeschoix?J’hallucine.C’estgrotesque.
Holderremuenerveusementlamâchoireenmetoisant, lesbrasànouveaufermementcroisés.L’airprovocateur, ils’approche, le regardsiduretsi froidque jecommenceàcroireque j’aiaffaireàunesixièmefacettedesapersonnalité.Unefacetteencoreplusintraitableetpossessive.
—Déjàquejenepeuxpasvoircemec,alorssienplusjevoisuntruccommeça…Ilportelamainàmonvisagepoureffleurerledessousdemonœilcontusionné.—Etenplus,ilsepermetdeteprendredanssesbras…?Pardonsijedeviensunpeugrotesque.La caresse légère de ses doigts surma pommetteme rend fébrile. J’ai beaucoup demal à ne pas
fermer les yeux et blottirma joue contre sa paumemais jeme cramponne àmadécision : je vaismeblindercontrecegarçon.Dumoins…jevaisessayer.Entoutcas,dorénavantc’estmonnouvelobjectif.
Lorsqu’ilvoitquejereculelatêtejusqu’àcequesamainnesoitplusencontactavecmonvisage,ilreplielesdoigtsenserrantlepoingetlaissesonbrasretomber.
— Tu estimes que je ne devrais pas fréquenter Grayson parce que tu as peur qu’il ne devienneviolent?jerésume.Unpeuhypocritedetapart,tunecroispas?
Il me contemple sans réagir avant de pousser un bref soupir en levant les yeux au ciel de façonpresque imperceptible. Ensuite, il tourne la tête en se tenant la nuque et pendant quelques secondesinterminables,ilrestecommeça,àregarderailleurs.Quandenfinilseretournelentementversmoi,sonregardestfuyant.
—C’estluiquit’afaitcecoquard?demande-t-ild’untontotalementneutre.Bienqu’ilaitlatêtebaissée,ilépiemaréactionàtraverssafrangedecils.—Est-cequ’ilt’adéjàfrappée?Etvoilà,çarecommence:d’unsimplerevirementd’attitude,ilessaiedem’amadouer.
—Nonauxdeuxquestions,jerépondscalmement.Jet’aidéjàditquec’étaitunaccident.Onsefixe,sansunmot,jusqu’àcequelasonnerieretentisseetquelecouloirseremplissed’élèves.
Coupantcourt,jereparsàlacantinesansunregardenarrière.
Mercredi29août2012
6h15
Çafaitenviron troisansque jecours régulièrement.Jenesaispluspourquelle raison jem’ysuismisenipourquoiçam’apluaupointquejem’astreigneàunetelledisciplineauquotidien.Àmonavis,c’estengrandepartieliéàlafrustrationdemavieenvaseclos.J’essaiedegarderuneattitudepositiveàcesujetmaisc’estdifficilequandjevoislesrelationsqu’entretiennentlesautresélèvesentreeux,dontjesuisexclue.Ilyaencorequelquesannées,çan’auraitpasétéundramedenepasavoiraccèsàInternetmaisdenosjours,c’estpresquedusuicidesocial.Celadit,jemefichedecequelesgenspensent.
Jenevaispasprétendrelecontraire:j’aieuterriblementenviedechercherHolderenligne.Avant,quandjevoulaisàtoutprixensavoirplussurlesgens,j’allaisenquêteravecSixsursonordinateur.Maispourl’heure,Sixestàbordd’unvoltransatlantiqueau-dessusdel’océan,doncellenepeutpasm’aider.Alors jeme contente de rester assise surmon lit à cogiter :Holder est-il aussiméchant que le dit saréputation?Est-cequ’ilfaitlemêmeeffetauxautresfillesqu’àmoi?Quisontsesparents?A-t-ildesfrèresetsœurs?Unecopine?Pourquoiest-cequ’ilal’airsidéterminéàêtretoutletempsfâchécontremoialorsqu’onseconnaîtàpeine?Est-cequ’ils’enflammetoujoursautant?Etest-cequ’ilesttoujoursaussicharmantquandiln’estpasoccupéàfaire la tête?Çam’énervequ’ilsoitsystématiquement toutl’un ou tout l’autre et jamais entre les deux. Ce serait sympa de découvrir qu’il peut être calme etdécontracté.Maisest-cequ’aumoinsilexisteunjustemilieuchezlui?Jemeledemande…Etc’estbientoutcequejepeuxfaire:ruminerensilencesurcemecdésespérantquiatrouvélemoyendes’incrusteraucœurdemespréoccupationsetquineveutplusendécoller.
Brusquement, je sors dema transe et termine d’enfiler mes baskets. Aumoins, vu qu’on n’a pasrésolunotreprisedebecd’hierdanslecouloir, ilnecourrapasavecmoicematin,cequimesoulageassez.Plusque jamais, j’aibesoindemeretrouver tranquille touteseule.Quoique, jenevoispas tropl’intérêt.Jenevaisrienfairedeplusquecogiteretpenseràlui.
J’ouvrelafenêtredemachambreetmeglissedehors.Ilfaitplussombrequed’habitudeàcetteheure.Levant les yeux, je constate que le ciel, en parfait baromètre demon humeur, est couvert. J’avise ladirection que prennent les nuages, et jette ensuite un coup d’œil sur la gauche, curieuse de savoir sij’aurailetempsdecouriravantquelesélémentsnesedéchaînentsurmatête.
—Tupassestoujoursparlafenêtrepoursortirdecheztoioutuespéraisjustem’éviter?Je faisvolte-face enentendant savoix. Il se tient auborddu trottoir, vêtud’un simple short etde
baskets.Aujourd’hui,pasdetee-shirt.Etmerde.—Sij’avaisvoulut’éviter,jeseraissimplementrestéeaulit.
Jem’approched’unpasassuréenespérantdissimuler le faitqu’àsavue,moncorps toutentiersedétraque.Jesuisunpeucontrariéequ’ilsesoitpointé,maissinon,jesuissurtoutbêtementetterriblementheureuse de le voir. Je le contourne et m’étire, allongeant les jambes en me penchant en avant, unechaussure dans chaque main et la tête enfouie dans les genoux, en partie pour les bienfaits del’échauffementmaissurtoutpouréviterd’avoiràleregarder.
—Jenesavaispastropsituviendrais,lance-t-ilens’asseyantlourdementenfacedemoi.Jemerelèveenleregardant.—Pourquoi je serais pasvenue ?C’est pasmoiqui ai unproblème.Enplus, la rue est à tout le
monde,jelerembarresèchementsansmêmesavoirpourquoi.Ilmerefait lecoupdusilencemais,bizarrement,sonexpression intenseme laisse indifférente.Ça
devientunetellehabitudechezluiquej’aipresqueenviedeluitrouverunsurnom.Ilestlà,silencieux,àsoutenirmonregardd’unairsongeurquinelaisserientransparaître.Jen’aijamaisvuquelqu’unréfléchirautant à ses réponses.Cet air absorbéqu’il a pendant qu’il prépare ce qu’il va dire…Àcroire qu’ilexisteunquotademotsparphraseetqu’iltientàn’employerquelesplusindispensables.
J’arrêtemesétirementspourluifaireface,refusantdebaisserlesyeuxlapremière.JenevaispasmelaisserenvoûterparsespetitesfeintesdeJedi,mêmesij’enrêve.Ilesttotalementimpassibleetd’autantplusimprévisible.Çamerenddingue.
Ilétendsesjambesdevantlui.—Donne-moilesmains.J’aibesoindem’étireraussi.Ilestassis,lesbrastendusversmoicommesionallaitselancerdansunjeudemains.Siquelqu’un
passaitenvoitureàcetinstant,j’imaginetrèsbiencequ’ilsedirait;rienqued’ypenser,çamefaitrire.Jeplacelesmainsàplatsursespaumesetilmetireversluipendantplusieurssecondes.Quandilmerelâche,jereculepourletirerenavant.Luinebaissepaslesyeux.Sonregardresteplantédanslemien,aveccetairdéterminéetépuisantquilecaractérise.
—Pourinfo,dit-il,c’estpasmoiquiavaisunproblèmehier.Jetireplusfort,plusparméchancetéqueparsoucidel’aideràbiens’étirer.—Tuinsinuesquec’estmoi?—Jemetrompe?—Soisplusprécis.J’aimepaslesgensflous.Ilricaned’unairirrité.—Sky,s’ilyabienunechosequetudoissavoirsurmoi,c’estquec’estpasmontruc,d’êtreflou.Je
tel’aidit,jeseraitoujourshonnêteavectoietàmonsens,êtremalhonnêteouresterflou,c’estpareil.Tirantencoresurmesbras,ilsepencheenarrière.—Pourtantcetteréponsequetuviensdedonnerestplutôtfloue,jeluifaisremarquer.—Autantquetaquestion.Çaaussi,jetel’aidéjàdit:situasunequestion,pose-la.Tuasl’airde
croirequetumeconnais.Pourtant,tunem’asjamaisvraimentriendemandé.—C’estfaux,jeteconnaispas.Ilritencoreensecouantlatêtepuismelâchelesmains.—Laissetomber.Ilserelèveetcommenceàs’éloigner.—Attends.J’abandonnerapidementletrottoirpourlesuivre.Siquelqu’unaledroitdefairelatêtedanscette
histoire,c’estbienmoi.—Qu’est-ceque j’aidit, encore?C’estvrai : jene te connaispas !Pourquoi t’es subitementde
mauvaispoil?Ils’arrêteetseretourneenrebroussantchemin.
—Après avoir passé un peu de temps avec toi ces derniers jours, jem’attendais à une réactionlégèrementdifférentedetapart.Jet’aidonnépleind’occasionsdemeposertouteslesquestionsquetuvoulais,maispourune raisonquim’échappe, tupréfères croire tout cequ’on raconte. Jepensaisque,subissanttoiaussitonlotderagots,tuseraisunpeupluscritique.
Monlotderagots?S’ilcroitqu’ilvamarquerdespointsennous trouvantdespointscommuns, ilrêve.
—Alors c’est ça, en fait, l’histoire ?Tu pensais que la petite nouvelle un peu débauchée sur lesbordsauraitdelacompassionpourlesalaudquicassedel’homo?
Ilrâleensepassantlamaindanslescheveux,frustré.—Arrête,Sky.—Que j’arrêtequoi ?De te traiterdesalaud?Trèsbien.Alorsappliquons toutdesuite toncher
principed’honnêteté:est-ceque,ouiounon,tuasgrièvementtabassécetélèvel’andernieretécopéd’unanencentrededétentionpourmineurs?
Holdersecouelatêtepuismelanceunregardempreintdedéception.—Quandjet’aidemandéd’arrêter,jefaisaisallusionaufaitdet’insultertoi,pasmoi.Ils’approched’unpas,réduisantl’écartentrenous.—Quantàcetenfoiré,oui, je l’aiquasimentbattuàmort,ets’ilsepointaitencoredevantmoi, je
recommenceraissanshésiter.Sesyeuxsontemplisd’unecolèrefranchemaisjesuistroptétaniséepourluidemanderpourquoi.Ila
beaum’avoirprévenuequ’ilseraithonnête,sesréponsesm’angoissentplusquemespropresquestions.Reculant en même temps, on reste tous les deux silencieux un moment. Je ne comprends même pascommentonenestarrivéslà.
—Jepréfèrenepascouriravectoiaujourd’hui.—Pareil,çameditrien,acquiesce-t-il.Surce,chacunpartdesoncôté,luiverssamaison,moiversmafenêtre.Jen’aimêmeplusenviede
courirseule.Aumomentoùjerepassedansmachambre,ilsemetàtomberdescordesetl’espaced’uninstant,je
leplainsd’avoirencoretoutlecheminàfairejusquechezlui.Maismacompassionnedurepascarlekarma est sans pitié et dans l’immédiat, c’est de Holder qu’il se venge. Je referme la fenêtre etm’approchedemonlit, lecœurbattantaussivitequesi j’avaiscourumescinqkilomètres.Saufqu’enréalité,s’ils’emballecommeça,c’estparcequejesuisvraimentàboutdenerfs.
Çafaitàpeinedeuxjoursquejeconnaiscegarçon,et jenemesuisencore jamaisautantdisputéeavecquelqu’undetoutemavie.JepourraisfairelasommedetoutesmesdisputesavecSixdepuisquatreans,ceneseraitmêmepascomparableauxdernièresquarante-huitheuresavecHolder.Jenecomprendspaspourquoiilsedonnetoutcemal.Enfin,j’imaginequ’aprèscematin,ils’endonnerabeaucoupmoins.
J’attrapel’enveloppesurmatabledenuit,l’ouvreenladéchirantetensorslalettredeSixpourlalire,caléecontrelesoreillers,dansl’espoird’oublierunpeulechaosdansmatête:
Sky,Avecunpeudechance,quandtulirascettelettre(carjesaisquetunelaliras
pas toutde suite), je serai folleamoureused’unItalien canon et jenepenseraiplusdutoutàtoi.
Maisjesaisquec’estimpossible,carjepenseraitoutletempsàtoi.
Jerepenseraiàtoutescessoiréesqu’onapassédevantnosfilmsavecnospotsde glace et nosmecs.Et surtout, je penserai à toi et à toutes les raisons pourlesquellesjet’aime.
Pourn’enciterquequelques-unes:j’aimelefaitquetusoissinullequandilestquestiondedireaurevoiroudeselaisseralleràl’émotionetauxsentimentsparcequ’aufond,jesuiscommetoi.J’aimelefaitquetupiochestoujoursdanslapartievanille-fraisedupotdeglaceparcequetusaisquejeraffoleduchocolat,même si toi aussi tu adores ça. J’aime que tu ne sois pas une fille bizarre etcompliquéebienquetuaiesgrandisérieusementisoléedelasociété–àcôtédetoi,lesAmishpassentpourunecommunautébranchée.
Maiscequej’aimepar-dessustoutcheztoi,c’estquetunemejugespas.Cesquatredernièresannées, tunem’as jamaisquestionnée surmesdécisions (mêmequandjefaisaisuneerreur),nisurlesgarçonsavecquijesuissortienisurlefaitquejenecroispasàl’engagement.Jediraisbienquec’estfacilepourtoi,denepasmejuger,cartuestoiaussiunepetitetraînée.Maistusaiscommemoiquec’estfaux.Alorsmercid’êtrecetteamie.Mercidenejamaisêtrecondescendanteou de ne jamaisme traiter comme si tu valaismieux quemoi (même si on saittouteslesdeuxquec’estlecas.)Toutesceschosesquelesgensdisentdansnotredos ont beaume fairemarrer, çame tue qu’ils nousmettentdans lemême sac.Pourça,jetedemandepardon–maispastropquandmême:jesaisquesiontedemandaitdechoisirentreêtremadébauchéedemeilleureamieouêtrelasainte-nitouchedeservice,tutetaperaistouslesmecsdelaterre.Tuleferaisparcequetum’aimes très fort. Etmoi, je te laisserais faire parce que je t’aime très fortaussi.
Unedernièrechosequej’adorecheztoi(etensuitejemetaisparcequejesuisentraind’écrirecettelettreàseulementdeuxcentsmètresdetoietc’estvraimentdurderésisteràl’enviedemeglisserparlafenêtrepourallerteserrerdansmesbras) : ton indifférence. Ce que les gens pensent, t’en as rien à faire. Tu esconcentréesurtonaveniret lesautrespeuventallersefairevoir.Quand jet’aiannoncéquejepartaisenItalieaprèst’avoirconvaincuedet’inscriredansmonlycée,tuassimplementsourialorsqued’autresauraientsûrementpiquéunecrise.
Jet’ailaisséeenplanpourréalisermonrêvemaisçanet’apassapélemoralpourautant.Tunem’asmêmepassoûléeavecça.
Etpourfinir(aprèsj’arrête,promis),j’aiadorélafoisoùonregardaitUnVentdeFolieetoùjemesuismiseàaboyeraprèslatéléàlafin,quandSandraBullocks’envasansseretourner,parcequejetrouvaiscedénouementaffreux.Toi,tut’escontentéedehausserlesépaulesenmedisant:«C’estlaréalité,Six.Tupeuxpasleur envouloir si l’histoire se finitmal.Çaarrivedans lavie.Ce sont les fauxhappyendingquidevraienttefairehurler.»
Je ne l’oublierai jamais car tu avais raison. Je sais que ce n’était pas tonintentionmaisçam’aservideleçon.Toutnesepasserapastoujourscommejeleveux et l’histoirene se finitpas forcémentbienpour tout lemonde.Lavie estparfois terrible et on doit simplement apprendre à l’affronter. Je vais m’armerd’unebonnedosed’indifférence,commetoi,merésigneretgrandirunpeu.
Enfin, bref. Assez parlé de ça. Je veux juste que tu saches que tu vas memanquerettonnouveaumeilleuramidetoutl’universaulycéeauraintérêtàsefairetoutpetitàmonretour.J’espèrequetuesconsciented’êtreunefillegéniale.Aucasoù, jet’enverraiuntextotous les jourspourte lerappeler.Prépare-toi :pendant les six mois à venir, tu vas être bombardée de messages ennuyeux etinterminablesquinecontiendrontquedescomplimentssurSky.
Jet’aime,6
Jereplielalettreensouriant,sansverserunelarme.Sixnevoudraitpasquejepleureàcaused’elle,
mêmesielleabienfaillim’endonnerenvie.Je tendslebrasvers le tiroirde la tabledenuitpourensortirleportablequ’ellem’aoffert.Déjàdeuxtextosnonlus:
Jet’aidéjàditquetuétaisgéniale?Tumemanques.
Çafaitdeuxjours,t’asintérêtàmerépondre.IlfautquejeteparledeLorenzo.Etavantquej’oublie:t’essifutéequec’enestécœurant.
Jesourisencommençantàtapermaréponse.Jedoism’yreprendreàcinqfoisavantdecomprendrecommentçamarche.Bientôtdix-huitansetc’estlepremiertextoquej’envoie:c’estforcémentuneinfodignedulivredesrecords.
Attention, jevaisprendregoûtàcescomplimentsquotidiens.N’oubliepasdemerappelerque jesuisbelle,que j’aidesgoûtsmusicauxabsolumentirréprochablesetquejesuislaplusgrandesprinteuseaumonde.(Justequelquesexemplespourt’aider.)Tumemanquesaussi.Etj’aihâtequetumeparlesdeLorenzo,petitetraînée.
Vendredi31août2012
11h20
Au lycée les jours suivants sont identiques aux deux premiers : pleins de rebondissements. Moncasiersembleêtredevenuuneplaquetournantedepost-itetdelettresdésobligeantesentousgenressansquejenevoiejamaispersonnelesplacarderoulesglisserdedans.Jenevoisvraimentpasl’intérêtdefaire ça si c’est pour s’en cacher.C’est comme ce petitmot qui était collé surmon casier cematin :Salope.C’esttoutcequeçadisait.
Nonmaisfranchement?Elleestoù,lacréativité,là-dedans?Ilsnepouvaientpasétayerunpeuavecuneanecdote?Deux, troisdétailssurmesébats,peut-être?Quitteàm’imposercesconneries touslesjours,ilspourraientaumoinsrendreçaintéressant.Sijedevaism’abaisseràlaisseruneinsultegratuitesur le casier de quelqu’un, j’aurais au moins la politesse d’amuser ceux qui la liraient au passage.J’écrirais un truc comique, par exemple : « Je t’ai surprise au lit avec mon copain hier soir.Mercid’avoirmisdel’huiledemassagesurmonconcombre,salope.»
Jegloussetouteseule,etçamefaitdrôlederireàvoixhauteàmapropreblague.Enjetantuncoupd’œildanslecouloir,jeconstatequ’iln’yapluspersonneàpartmoi.Plutôtqued’arracherlespost-itdemoncasier,commejedevraisprobablementfaire,jesorsmonstylopourlesenjoliverunpeu.Derien,lesgens!
***
Breckinposesonplateauenfacedemoisurlatable;désormaisonprendchacunlenôtrepuisqu’ilal’airdepenserquejen’aimequelasalade.Ilmesouritd’unairje-détiens-un-secret-qui-va-forcément-t’intéresser.Sic’estencoreunerumeur,jem’enpasserais.
—Commentsesontpasséeslesépreuvesdesélectiond’athlétismehier?s’enquiert-il.Jehausselesépaules.—J’ysuispasallée.—Jelesavais.—Danscecas,pourquoitudemandes?—Pouravoirtaconfirmation,répond-ilenriant.Pourquoitun’yespasallée?Jehausseunenouvellefoislesépaules.—C’estquoi,ceshaussementsd’épaules?Unticnerveux?Jeleshausseencore.—J’aienviedefaireéquipeavecpersonneici.Çan’aplusd’intérêt.
Ilfroncelessourcils.—Primo, l’athlétisme est undes sports les plus individuels que tupuissespratiquer.Secundo, je
croyaisquetut’étaisjustementinscriteaulycéepourlesactivitésextrascolaires?—Jenesaispaspourquoijemesuisinscrite.J’éprouvepeut-êtrelebesoind’expérimenterdeplus
prèslanaturehumainesoussespiresaspectsavantdefairemonentréedanslemonderéel.Lechocseramoinsviolent.
Ilarqueunsourcilenpointantversmoisonbâtondecéleri.—T’aspastort.Uneinitiationprogressiveauxdangersdelasociétét’aideraàamortirlechoc.On
nevapastelâchertouteseuleenlibertéalorsquetuasétédorlotéetoutetaviedansunzoo.—Sympa,lacomparaison.Ilmefaitunclind’œilenmordantdanssonbâton.—Enparlant de comparaison, qu’est-ce qui est arrivé à ton casier ? J’ai vu qu’il était recouvert
d’allusionsetdemétaphoressexuelles.—Çateplaît?jedisavecenthousiasme.Çam’aprisunmomentmaisj’étaisassezinspirée.Ilacquiesce.— J’ai surtout aimé le mot qui disait : « Tu es une vraie salope, tu as couché avec Breckin le
mormon.»—Alorsnon, jenieensecouant la tête.Celle-là, jenepeuxpasme l’attribuer,elleestd’origine.
Maisc’estplusdrôlemaintenantquec’estpluscochon,non?—Si,approuveBreckin.Saufqu’ellesysontplus.J’aivuHolderlesarracherdetoncasierilya
cinqminutes.Je relève brusquement la tête. Il affiche de nouveau ce sourire malicieux. J’imagine que c’est le
secretqu’ilbrûlaitdemerévéler.—J’aitrouvéçaétrange.JemedemandebienpourquoiHoldersedonnerait lapeinedefaireunechosepareille.Onn’apas
recouruensembledepuisnotredernièreprisedebec.Enfait,onneseparleplusdutout.Désormaisils’assoitàl’autreboutdelaclasse,etjenelerevoisplusdelajournée,àpartaudéjeuner.Etencore,ils’attableavecsescopainsàl’autreboutdelacantine.Aprèsavoiraboutiàuneimpasse,jepensaisqu’onavaitréussiàpasseràautrechoseens’évitantmutuellement,maisilfautcroirequej’avaistort.
—Jepeuxteposerunequestion?reprendBreckin.Jehausseencorelesépaules,justepourl’agacer.—C’estvrai,cequ’onditdelui?Àproposdesontempéramentetdesasœur?J’essaie de ne pas paraître décontenancée par le scoop qu’il m’annonce : Holder a une sœur ?
Premièrenouvelle.—J’ensaisrien.Maisj’aipasséassezdetempsavecluipoursavoirqu’ilmefaitpeuretquejene
veuxpluslefréquenter.J’ai très envie de le questionner sur cette histoire de sœur mais j’y peux rien si dans certaines
situations,mon côté tête de cochon ressurgit. Pour une raison ou pour une autre, c’est le cas quand ils’agitdemerancardersurDeanHolder.
—Salut,toi,lanceunevoixmasculinedansmondos.Jesaistoutdesuitequecen’estpasHoldercarcettevoixnemefaitaucuneffet.Letempsquejeme
retourne,Graysonenjambelebancpours’asseoiràcôtédemoi.—Tufaisquelquechoseaprèslescours?Jeplongemonbâtondecéleridansdelasauceranchetmordsdedans.—Sûrement.Graysonfaitnondelatête.—Mauvaiseréponse.Jeteretrouveàtavoitureaprèsladernièreheure.
Jen’aipasletempsdeprotesterqu’ilestdéjàreparti.Breckinmesouritd’unairnarquois.Jemecontentedehausserlesépaules.
***
Jen’aiaucuneidéedecequemeveutGraysonmaiss’ilcroitquejevaisl’inviterchezmoidemainsoir,ilfautvraimentqu’ilaillesefairesoigner.Jesuisprêteàjurerderenoncerauxmecspourlerestantdel’année.Surtoutsiçasignifiedescendreunpotdeglacetouteseuleaprèsleurdépart.RetrouverSixpourmangerdelaglace,c’étaitlaseulechosequimeplaisaitquandjepassaismessamedissoiràflirter.
AumoinsavecGrayson, iln’yapasdemauvaisesurprise.Quandj’arrivesur leparking, ilattendeffectivementàcôtédemavoiture,appuyécontrelaportièrecôtéconducteur.
—Salut,maprincesse,melance-t-il.Jenesaispassic’estlesondesavoixoulefaitqu’ilvientdem’affublerd’unpetitnommaiscette
phrasemedonneimmédiatementdesboutons.Jem’approcheetm’adosseàlavoitureàcôtédelui.—Nem’appelleplusjamaista«princesse».Ils’esclaffeetseglissedevantmoienmeprenantparleshanches.—D’accord.Etsijet’appelais«mabelle»?—Etsitum’appelaissimplementSky?—Pourquoiilfauttoujoursquetusoissifurax?Il prend mon visage entre ses mains et m’embrasse. C’est triste, mais je le laisse faire.
Principalementparcequej’ailesentimentquejeluidoisbiençapourm’avoirsupportéependantunmoisentier.Cependant, comme il nemérite pas non plusma reconnaissance éternelle, au bout de quelquessecondes,jedétournelatête.
—Qu’est-cequetuveux?Ilenroulelesbrasautourdematailleetm’attireàlui.—Toi,répond-ilencommençantàm’embrasserdanslecou.Jelerepousse.—Benquoi?s’étonne-t-ilenreculant.—C’estpasassezclair?Jet’aiditquejenecoucheraipasavectoi,Grayson.Cen’estpasunpetit
manègedemapartpourtepousseràmecouriraprèscommelefontd’autrestordues.Tuenveuxplus,moipas.Doncjecroisqu’ilfautqu’onacceptequenousdeux,c’estsansissue,etqu’onpassechacunàautrechose.
Ilmedévisagepuispousseunsoupirenm’attirantdenouveaucontreluipourmeserrerdanssesbras.—Jen’attendsriendeplus,Sky.Lasituationmevatrèsbiencommeça.Jen’insisteraiplus.J’aime
bienvenircheztoi,c’esttout,etj’aimeraisbienpasserdemainsoir.Iltentedemedécochersonfameuxsourireaphrodisiaque.—Maintenantarrêtedebouderetapproche,ordonne-t-ilenavançantlaboucheverslamienne.J’aibeauêtreexaspérée,dèsl’instantoùilm’embrasse,c’estplusfortquemoi,jesuissoulagée:ma
colèreretombegrâceàlatorpeurquim’envahit.C’estpourcetteuniqueraisonquejelelaissefaire.Ilmeplaquedoucementcontre laportièreenmepassant lesmainsdans lescheveuxpuism’embrasse lelongde la joueetdans lecou.La têteenarrière, je lève lepoignetpourvérifier l’heureàmamontre.Karenpartendéplacementprofessionneldoncilfautquejepasseausupermarché,histoiredefaireuneprovisiondesucresuffisantepourtenirtoutleweek-end.Jenesaispascombiendetempsilcomptemebécotermaislà,toutdesuite,maintenant,jeseraisbiententéeparuneglace.Jelaissemonbrasretomber,agacée.Etpuistoutàcoup,moncœursemetàcogner,monestomacàfairedessaltos,etjeressenstoutcequ’unefilleestcenséeressentirquandunmecsexyl’embrassepartout.Saufquecen’estpaslemec
sexyquiestentraindem’embrasserpartoutquimefaitceteffet,maisceluiquiestentraindemefusillerduregarddepuisl’autreboutduparking.
Deboutdevantsavoiture,accoudéàsaportière,Holdernousépie.AussitôtjerepousseGraysonetjemeretournepourm’engouffrerdansmavoiture.
—Alorsonestd’accordpourdemainsoir?s’enthousiasme-t-il.Jem’installeauvolantetmetslecontactenlefusillantduregard.—Non,c’estfini.Jeclaquelaportièreetsorsdemaplaceenmarchearrièresanstropsavoirsijesuisfâchée,gênéeou
amoureuse. Mais comment il fait, bon sang ? Comment est-ce qu’il arrive à déclencher ce genred’émotions en se tenant à l’autre bout du parking ? Je crois que c’est moi qui vais avoir besoin deconsulter.
Vendredi31août2012
16h50
—Est-cequeJackt’accompagne?J’ouvrelaportièreàKarenpourqu’ellepuissejetersesderniersbagagessurlabanquettearrière.—Oui,ilvient.Onseraderetour…jeseraideretourdimanche,annonce-t-elleensereprenant.ÇaluicoûtedeconsidérerqueJacketelleformentun«on»,etçam’énervequ’elleréagissecomme
ça.J’aimebeaucoupJacket jesaisqu’ilaimesincèrementKaren,alors jenecomprendsvraimentpaspourquoiellefaitceblocage.Elleaeudeuxcopainsendouzeans,maisdèsquequelqu’uncommenceàs’engagerunpeu,ellepartencourant.
Karenrefermelaportièreetsetourneversmoi.—Tusaisquejetefaisconfiancemaissurtout…—Netombepasenceinte,jelacoupe.Jesais,jesais.Çafaitdeuxansquetumeledischaquefois
que tupars. Jenevaispas tomberenceinte,maman. Justeprendreunénormepiedetpleinde railsdecoke.
Elleéclatederireetmeserredanssesbras.—Bien,machérie.Etpicole,aussi.N’oubliepasdepicoler!— J’y penserai, promis. Et puis, je vais louer une télé pour le week-end. Comme ça, je pourrai
traînerenm’empiffrantdeglaceetenregardantdesâneriessurlecâble.Elles’écarteenmeregardantd’unœilnoir.—Alorsça,cen’estpasdrôle.Jerisenl’enlaçantdenouveau.—Amuse-toibien.J’espèrequetuvendraspleindemachinsauxplantes,desavonsetdepotionset
detouscestrucsquetuvendsdanslesfoires.—Jet’aime.Situasbesoindemoi,tusaisquetuasledroitd’utiliserletéléphonedechezSix.Jelèvelesyeuxaucielenentendantpourlaénièmefoiscesconsignesqu’ellemedonnechaquefois
qu’elles’enva.—Àplus,jeréponds.Ellemontedanslavoitureetdémarre,melaissantlivréeàmoi-mêmepourleweek-end.C’estàce
moment-làquelaplupartdesadosdégaineraientleurportablepourenvoyeruneinvitationàlasoiréelaplusmortelledel’année.Pasmoi.Ehnon.Aulieudeça,jerentreetdécidedepréparerdescookiescarjenetrouveriendeplusrebelleàfaire.
***
J’adorepréparerdesgâteauxmaisjeneprétendspasêtretrèsdouée.Engénéral,jemeretrouveavecplusdefarineetdechocolatsurlafigureetdanslescheveuxquedansleproduitfini.Cesoirnefaitpasexception.J’aidéjàfaitcuireunefournéedecookiesauxpépitesdechocolat,uneautredebrowniesetune troisièmede…jenesaisplus tropcequec’étaitcenséêtre.Jesuisoccupéeàverserde la farinedanslemélangepourunmoelleuxauchocolatquandonsonneàlaporte.
Quelquechosemeditqu’enprincipe, jedevraissavoircommentréagirdansunesituationpareille.Quelqu’unquisonnechezvous,c’estbanal,non?Paschezmoi.Jeregardefixementlaportesanssavoircequej’attendsd’elle.Quandlebruitdelasonnetteretentitpourlasecondefois,jeposeleverredoseuretmedirigeverslaported’entrée.Enl’ouvrant,jenesuismêmepassurprisedevoirHolder.Enfin,si.Maispastrop.
—Salut,jedis,fauted’unemeilleureidée.Remarquez,quandbienmêmej’enauraiseuune,j’auraissûrementétéincapabled’articulervuqueje
n’arrive plus à respirer, punaise ! Il se tient sur la dernière marche du perron, les mains mollementaccrochéesauxpochesdesonjean.Ilauraittoujoursautantbesoind’allerchezlecoiffeurmaisquandjelevoisleverlamainpourrepousserlagrossemèchequiluitombedevantlesyeux,l’imaginerentraindesefairecouperlescheveuxmeparaîtsoudainêtrelapirechosedumonde.
—Salut,répond-ilensouriantgauchement.Ilal’airnerveuxetc’estterriblementséduisant.Ilestdebonnehumeur.Entoutcas,pourl’instant.
Quisaitàquelmomentilvaencores’énerveretavoirenviedesedisputer.—Euh…,jemarmonne,malàl’aise.J’aiconsciencequel’étapesuivanteconsisteàlefaireentrermaisçavoudraitdirequej’aienviede
levoirchezmoi,et,pourêtrefranche,çaresteencoreàprouver.—Jetedérange?Jelanceuncoupd’œilàlapagailleinvraisemblablequej’aimisedanslacuisine.—Unpeu.Cen’estpaspourmentir.Jesuisplutôtoccupée.Ildétournelesyeuxenhochantlatêteetpointeunpoucederrièreluiendirectiondesavoiture.—OK.Bon,je…jevaisyaller,bafouille-t-ilenredescendantd’unemarche.—Maisnon!jem’exclame,beaucouptropviteettropfort.Onauraitpresqueditun«non»désespéréetmonembarrasmedonnemaintenantenviederentrer
sousterre.Jenesaisvraimentpascequ’ilfaiticinipourquoiilcontinuedesecasserlatête,maismacuriositéfinitcommetoujoursparl’emporter.Jem’écarteenouvrantlaporteengrand.
—Tupeuxentrermaisaurisquequejetemetteàcontribution.Il hésite, puis remonte la dernièremarche et entre. Je referme la porte derrière lui. Avant que la
situationnedevienneencoreplusgênante,jevaistoutdesuitedanslacuisine,jereprendsleverregraduéetmeremetsautravailcommes’iln’yavaitpasunmeccanon,lunatiqueetsortidenullepartdansmonentrée.
—Tupréparesuneventedepâtisseries?questionne-t-il.Ilcontournelebar,avisantlaprofusiondegâteauxsurmonplandetravail.—Mamèreestpartieendéplacementpourleweek-end.Elleestcontretoutcequiestsucré,alors
j’aitendanceàmelâcherunpeuquandellen’estpaslà.Ilrigoleettendlebraspourprendreuncookie,nonsansmedemanderlapermission.— Vas-y, sers-toi. Mais je te préviens, c’est pas parce que j’aime faire des gâteaux qu’ils sont
forcémentbons.Jetamiselerestedefarinepuisverseletoutdansunsaladier.—Donctuaslamaisonpourtoiet tupassestonvendredisoiràfairedesgâteaux?L’adolescente
typique,commente-t-ild’untonmoqueur.
Jehausselesépaules.—Jesuisunevraierebelle,qu’est-cequetuveux.Ilsetournepourouvrirunplacard,jetteuncoupd’œilàl’intérieuretlereferme.Ilsedéplacesurla
gauchepourenouvrirunautreetensortunverre.—Tuasdulait?demande-t-ilensedirigeantversleréfrigérateur.M’interrompant,jeleregardesortirlelaitetseservirunverrecommes’ilétaitchezlui.Aprèsen
avoirbuunegorgée,ilseretourne,mesurprendentraindelefixeretmefaitalorsungrandsourire.—Tunedevraispas servirdescookies sans lait, tu sais.Tuesunpeunullecommemaîtressede
maison.Ilsesertunautrecookieetpartavecsonverredelaitverslebarpours’yinstaller.—Jegardemonhospitalitépourlesinvités,jerépliquesarcastique,enmeretournantversleplande
travail.—Aïe,dur!J’allumelemixeur,cequimedonneunebonneexcusepournepasluiparlerpendanttroisminutes,
durantlesquellesj’accélèrelavitessedubatteur.J’essaiedemesouvenirdequoij’ail’air.Jesaisdéjàquej’aidelafarinepartout,lescheveuxattachésàl’aided’uncrayonetlemêmesurvêtsurledospourlaquatrième soirée d’affilée.Un survêt sale, qui plus est.Nonchalamment, je tente d’essuyer toute tracevisibledefarinemaisj’aiconsciencequec’estpeineperdue.Tantpis.Detoutefaçon,matêtenepeutpasêtrepirequequandj’étaisétenduesurlecanapéavecdugravierincrustédanslajoue.
J’éteinslemixeuretenfonceleboutonpourdémonterlesdeuxpales.J’enporteuneàlabouchepourlalécheretm’avanceversluipourluiproposerl’autre.
—T’enveux?C’estducentpourcentbeurredecacao.Ilmeprendlapaledesmainsensouriant.—Quellehospitalité!—Tais-toietmange,sinonjemelagarde.Àmontour,jemedirigeversleplacardpourattraperunverreetdemande:—Tuveuxunpeud’eauou tupréfères continuer à faire semblantde supporter ce trucvégétarien
dégueu?Ilritenfronçantlenez,puisavancesonverresurlebar.— J’essayais d’être polimais…, je sais pas ce qu’il y a dedansmais je pourrai pas avaler une
gorgéedeplusdecemachin.Alorsoui,jeveuxbiendel’eau.Amusée, je rincesonverre, le remplisd’eaupuis leglissedevant lui. Jem’installeen facesurun
tabouretetl’observetoutenmordantdansunbrownie.J’attendsqu’ilm’expliquelesraisonsdesavisite,envain.Holderresteassislà,àmeregardermanger.Jeneluidemandepaspourquoiilestvenuparcequ’enquelquesorte,j’aimebiencesilenceentrenous.Çafonctionnemieuxquandonsetait,vuquetoutesnosdiscussionsonttendanceàseterminerparunedispute.
Subitement, sans la moindre explication, Holder se lève et part tranquillement dans le salon. Ilregarde autour de lui avec curiosité, puis son attention est soudain attirée par les photos au mur. Ils’approcheetexaminelentementchaquecadretandisquejeleregardejouerlesfouineurs.
Prenanttoutsontemps,ilparaîtsûrdumoindredesesmouvements,commesitoutessesrépliquesetsesactesétaientsoigneusementcalculésdepuisdesjours.Ilesttellementàchevalsurlechoixdesmotsquejel’imagined’icidanssachambre,notantceuxqu’ilcompteutiliserlelendemain.
—Tamèreal’airvraimentjeune,remarque-t-il.—Ellel’est.—Tuneluiressemblespas.Turessemblesplutôtàtonpère?Ilsetournefaceàmoi.Jehausselesépaules.
—J’ensaisrien.Jenemesouvienspasdelui.Ilsetournedenouveauverslesphotoseteneffleureune.—Ilestmort?Ilabordelesujetavecunetellefranchisequejesuispresquesûrequ’ilsaitquelaréponseestnon.
Sinoniln’auraitpasposélaquestiondecettemanière,aussinonchalamment.—J’ensaisrien.Ladernièrefoisquejel’aivu,j’avaistroisans.Ilrevientverslebarets’installeànouveaufaceàmoi.—C’esttout?Tumeracontespas?—Non,c’estpastout,maisj’aipasenvied’enparler.J’imaginequecen’estpastout…maisenréalité,l’histoire,jenelaconnaispas.Karennesaitrien
demavieavantmonplacementenfoyerd’accueiletjen’aijamaischerchéàdéterrerlepassé.Jen’envoyais pas l’intérêt. Que représentent quelques années oubliées comparées aux treize autres annéesgénialesquej’aivécuaprès?
Holdermesouritencore,maisavecunelueurintriguéedansleregard,signequ’ilestsursesgardes.—Tescookiesétaientbons,mecomplimente-t-il,changeanthabilementdesujet.Tunedevraispas
minimisertestalentsdepâtissière.Entendantunbipretentir,jesautedemontabouretetcoursverslefour.Jel’ouvremaislegâteauest
loind’êtrecuit.Quandjemeretourne,Holderagitemonportableenl’air.—Tuasreçuuntexto,m’informe-t-il,amusé.Tongâteauvabien,t’enfaispas.Je jette le gant de cuisine sur le plan de travail et reviensm’asseoir. Il fait défiler les SMS sur
l’écran,sanslemoindrerespectpourmavieprivée.Celadit,çam’estvraimentégal,alorsjelelaissefaire.
— Je croyais que tu n’avais pas le droit au téléphone ? s’étonne-t-il.Ou alors c’était un prétextevraimentminablepournepasmedonnertonnuméro?
—Non,c’estvrai:jen’yaipasdroit.C’estmameilleureamiequimel’aoffertl’autrejour.Jenepeuxqu’envoyerdesmessagesavec.
Iltournel’écranfaceàmoi:—C’estquoi,cestextos?Ilretournel’appareilversluipourlireàvoixhaute:—«Sky,tuesmerveilleuse.Tuessansdoutelacréaturelaplusexquisedel’universetsiunabruti
osetedirelecontraire,jelesaigne.»Ilarqueunsourcil,melanceunregardetreportesonattentionsurletéléphone.—J’ycroispas!Ilssonttousdumêmegenre.Rassure-moi,c’estpastoiquit’envoiescesmessages
touslesjourspourtedonnerducourage?J’éclatederireentendantlebrasau-dessusdubarpourluiarracherleportabledesmains.—Arrête.Tuesentraindegâchertoutlecôtédrôledutruc.Ilrenverselatêteenarrière,hilare.—Nemedispasquec’estvrai!Ilssonttousdetoi?—Maisnon!jeronchonne,surladéfensive.C’estSixquimelesaenvoyés.Mameilleureamie.Elle
estàl’autreboutdelaplanèteetjeluimanque.Commeelleneveutpasquejesoistriste,ellem’envoiechaquejourdesgentilstextos.Jetrouveçamignon.
—Tuparles!Tutrouvesçaagaçantettuleslissansdoutemêmepas.Commentpeut-illesavoir?Jeposeletéléphoneetcroiselesbrassurmapoitrine.— Ça part d’une bonne intention, je m’entête, refusant toujours d’admettre que ces textos
m’horripilent.—Ilstedétruiront.Cestextosvonttellementtedonnerlagrossetêtequ’ellefiniraparexploser.
Ilme reprendbrusquement le téléphone, sort le siende sapocheet faitdéfiler lesdeuxécransenpianotantrapidementsursonclavier.
—Ilfautqu’onrectifieletiravantquetutemettesàavoirlafoliedesgrandeurs.Ilmerendmonportable,tapequelquechosedanslesienpuislerangedanssapoche.Montéléphone
semanifeste,indiquantl’arrivéed’unnouveaumessage.Jejetteuncoupd’œilàl’écranetéclatederire.
Tescookiesavaientungoûthorrible.Ettun’espassijoliequeça.
—C’estmieux,non?lance-t-il,espiègle.Teschevillesontassezdégonflé,tucrois?Jereposeletéléphonesurlebarenriantpuisjemelève.—Onpeutdirequetusaisparlerauxfilles,toi.Unefoisàl’entréedusalon,jemeretourne.—Jetefaisvisiter?Ilselèvepourmesuivrependantquejeluimontrelesbibelots,lespiècesetlesphotossansintérêt
maisbienentendu,ilm’écoutepatiemmentsansenperdreunemiette.Ilsesentmêmeobligédes’arrêterpourexaminerlemoindrepetitobjet;maisàaucunmomentilnefaitdecommentaire.
Quandonarrivefinalementdevantmachambre,j’ouvrelaporteengrand.—Voilàmachambre,j’annonceenprenantuneposedepotiche.N’hésitepasàfaireuntourmaisvu
qu’aucundenousn’adix-huitansouplus,net’approchepasdulit.Jen’aipasledroitdetomberenceinteceweek-end.
Ils’arrêtedansl’embrasuredelaporte,latêtepenchéesurlecôté.—Seulementceweek-end?Tucomptestefaireengrosserdurantleprochain,ducoup?Jelesuisàl’intérieurdelapièce.—Hmm,nan.Jepensequej’attendraiencoreunpeu.Ilinspectelachambreenpivotantlentementsurlui-mêmejusqu’àcequ’ilseretrouvefaceàmoi.—J’aidix-huitans,moi.Jeledévisagesanscomprendrepourquoiilattiremonattentionsurcedétail.—Chouette.Et?Ilzieutelelitducoindel’œil.—Tum’asditdepasapprocherdulitcarjen’avaispasdix-huitans.Jetesignalesimplementquesi,
j’aidix-huitans.Jen’aimepastroplafaçondontmapoitrines’estserréequandilaregardémonlit.—Ah.Ehbien,danscecas,jevoulaisdiredix-neuf.Tournantlestalons,ils’approchetranquillementdelafenêtreouverte,passelatêtedehorsuninstant
puisrentre.—Alorsvoilàlatristementcélèbrefenêtre?Ilnemeregardepas,etçavautsansdoutemieuxcarjelefoudroieduregard.Maisqu’est-cequilui
prendde sortir uneméchancetépareille ?Pourune fois que je passais unmoment agréable avec lui !Lorsqu’ilseretourne,sonairenjouéadisparupourlaisserplaceàunregardprovocateurquej’aidéjàvutropsouvent.
Jepousseunsoupir.—Qu’est-cequetuveux,Holder?Soitils’explique,soitils’envatoutdesuite.Lesyeuxmi-clos,ilcroiselesbrassurlapoitrineen
mefixant.—J’aiditquelquechosequ’ilnefallaitpas,Sky?Oubiend’inexact,d’injuste,peut-être?Àenjugerparsessarcasmes,ilestévidentqu’ilétaitparfaitementconscientdecequ’ilinsinuaitpar
soncommentaireàproposdelafenêtre.Jenesuispasd’humeuràentrerdanssonjeu.J’aidesgâteaux
quiattendentd’êtremangés.Jeparsverslaporteetlatiensgrandeouverteenledévisageant:—Tusaistrèsbiencequetuasditettuasobtenularéactionquetuvoulais.C’estbon,t’escontent?
Maintenanttut’envas.Ilnebougepasd’unpouce.Ils’approchedematabledenuit,ramasselelivrequeBreckinm’aprêtéetl’examinecommesices
trentedernièressecondesn’avaientjamaisexisté.—Holder,jeteledemandelepluspolimentpossible:s’ilteplaît,va-t’en.Ilreposelelivrepuisentreprenddes’installersurlelit.Ils’allongelittéralementsurmonlit.Mon
lit.Carrément.Exaspérée, je m’approche et attrape brusquement ses pieds pour les ôter de mon lit. Si je dois
employer laforcepour lemettredehors,soit!Aumomentoùj’attrapesespoignetspouressayerdeleredresser,ilm’attireversluisansquej’aieletempsdecomprendrecequim’arriveetmeretournesurledosenmaintenantmesbras.C’estcomplètementinattendu;jen’aimêmepasletempsdemedébattre.Etj’avouequ’àcetinstant,enlevoyantau-dessusdemoi,commeça,jen’aiqu’àmoitiéenviederésister.Enfait,j’hésiteentrecrierausecoursetmedésapersur-le-champ.
Ilmelâchelesbrasetapprocheunemaindemonvisagepourmefrotterlenez.—T’asunpeudefarine,sourit-ilenl’essuyant.Çam’énervaitdepuistoutàl’heure.Il se redresse pour s’adosser à la tête de lit et remet les pieds sur la couette tandis que je reste
étendueàfixerlesétoilesauplafond,troubléepourlatoutepremièrefoisdanscetteposition,loindemonindifférencehabituelle.
D’unecertainefaçon,j’aitellementpeurqu’ilnesoitfouquejen’osemêmepasbouger.«Fou»ausenscliniqueduterme,j’entends.C’estlaseuleexplicationlogiqueàsoncomportement.Maisvuqueçanem’empêchepasdeletrouverséduisant,jeprésumequejesuisaussicingléequelui.
—Jenesavaispasqu’ilétaithomo.Jeconfirme:cemecestfou.Jetournelatêteversluisansriendire.Qu’est-cequevousvoulezdireàuncingléquirefusedepartir
dechezvousetquisemetensuiteàracontern’importequoi?—Jel’aifrappéparcequec’étaitunconnard.Jenesavaispasdutoutqu’ilétaithomo.Lescoudessurlesgenoux,ilmeregardedroitdanslesyeux,guettantuneréactionouunsemblantde
réponse de ma part. Il n’obtient ni l’une ni l’autre dans les secondes qui suivent, car j’ai besoind’analyserlasituation.S’iln’estpasfou,c’estforcémentqu’ilessaiedem’expliquerquelquechose.Ouimaisquoi? Il sepointe icisansyêtre invitépouressayerde justifiersa réputationetsalir lamienne.Dansquelbut?Jenesuisqu’unepersonneparmitantd’autres,qu’est-cequeçapeutluifaire,cequejepense?
Rien. Sauf, bien sûr, si je lui plais. L’idée m’arrache littéralement un sourire et d’emblée, j’ail’impressiond’avoir l’espritmal tourné.Jemesensmald’espérerqu’uncingléaitunfaiblepourmoi.Celadit,jel’aibiencherché.Jen’auraisjamaisdûlelaisserentreralorsquej’étaisseule.Etmaintenant,il sait que je serai seule chezmoi tout leweek-end. Si je devais évaluermes décisions de la soirée,celle-cipèseraitprobablementsilourddanslasériedesidéesstupidesqu’elleencasseraitlabalance.Iln’y aquedeux issuespossibles : soit onparvient à s’entendre, soit ilme tue etmedécoupeenpetitsmorceauxqu’ilcuiraaufourpourenfairedescookies.Danslesdeuxcas,çamerendtristedepenseràtouscesgâteauxauxquelsonn’apresquepastouchépourlemoment.
—Legâteau!jem’écriesoudainenbondissantdulit.Jecoursdanslacuisineetarrivepileàtempspoursentirl’odeurdemondernierdésastre.J’attrape
le gant de cuisine pour sortir le gâteau et le jette sur le plan de travail, un peu déçue. Il n’est pascomplètementcarbonisé.Jepourraismêmerattraperlecoupenlenoyantsousunecouchedeglaçage.
Jerefermelefourendécidantdemetrouverunnouveaupasse-temps.Lafabricationdebijoux,peut-être.Çanedoitpasêtretrèscompliqué,si?J’attrapedeuxcookies,reparsdansmachambreetenoffreunàHolderavantdem’allongersurlelitàcôtédelui.
—Donc je suppose quema remarque sur le connard qui casse de l’homo était un jugement trèscatégoriquedemapart,hein?Enréalité,tun’espasunabrutid’homophobequivientdesortirdecentrededétention?
Affichantungrandsourire,ilselaisseglissersurledospourcontemplerlesétoilesavecmoi.—Ehnon,pasdutout.J’airéellementpassétoutel’annéedernièrechezmonpèreàAustin.Jenesais
pasd’oùsortcettehistoiredecentrededétention.—Sicesrumeurssontfausses,pourquoituleslaissesdire?Ilpivotelatêtesurl’oreiller.—Ettoi?—Trèsjuste,j’acquiesceavecunemoue.Onrestetranquillementallongéssurlelitàmangernoscookies.Certainsdesesproposaucoursde
cesderniersjourscommencentàdevenirplusclairsetj’ail’impressionderessemblerdeplusenplusàces gens que jeméprise. Ilm’a dit tout net qu’il répondrait à toutesmes questions, qu’il suffisait dedemander,maismoi j’ai préféré croire les rumeursqui couraient sur lui.Pas étonnantque je l’énerveautantdepuisledébut.Jel’aitraitéexactementcommelesautresmetraitent.
—Taremarqueàproposdelafenêtre,toutàl’heure,c’étaitpourmefairepasserunmessagesurlesrumeurs?Tun’essayaispasd’êtreméchant,n’est-cepas?
—Jenesuispasméchant,Sky.—Non,tuesexcessif.Ça,aumoins,tunepeuxpasdirelecontraire.—Peut-êtremaisjenesuispasméchant.—Ehbien,moijenesuispasunetraînée.—Nimoiunconnardquicassedel’homo.—OK,donctoutvabien?Ilrigole.—Onpeutdireça.J’inspireungrandcouppuisjesouffle,m’apprêtantàfairecequejefaisrarement:m’excuser.Sije
n’étais pas si têtue, j’irais même jusqu’à admettre que mon attitude cette semaine était totalementblessante et qu’il aurait tous les droits de m’en vouloir d’être aussi bornée. En l’occurrence, je mecontented’excusescourtesetgentilles.
—Jesuisdésolée,Holder.Ilpousseungrossoupir.—JesaisSky,jesais.Et on reste allongés comme ça, dans un silence total, pendant ce quime semble être une éternité.
Néanmoinstropcourteàmongoût.Ilcommenceàêtretardetj’aipeurque,fauted’avoirautrechoseàraconter,ilnemedisebientôtqu’ildoits’enaller.Orjen’aipasenviequ’ilparte.Jemesensàl’aiseaveclui,là.Jenesaispaspourquoimaisc’estvrai,jesuisbien.
—Ilfautquejetedemandequelquechose,dit-ilfinalement,brisantlesilence.Jeneréagispascarsadéclarationnesemblepasattendrederéponse.C’estjustesafaçonàluide
prendreletempsdeformulersaquestion.Ilinspireungrandcouppuisbasculesurlecôté.Tandisqu’ilcale un coude sous sa tête, je sens son regard sur moi mais je continue de fixer les étoiles. Dansl’immédiat,ilestbeaucouptropprèspourquej’oseleregarderetàenjugerparlafaçondontmoncœurse met à cogner, j’ai peur que le moindre rapprochement supplémentaire ne m’achève. Je trouveincroyablequeledésirprovoquedespalpitationspareilles.C’estpirequ’unfooting.
—PourquoitulaissesGraysonfairecequ’iltefaisaittoutàl’heuresurleparking?
J’aienviedemeglissersouslacouettepourmecacher.J’avaisespéréqu’ilnemettepasçasurletapis.
—Jetel’aidéjàdit.Jenesorspasavecluietc’estpasluiquim’afaitcecoquard.—Rienàvoir:sijeteposelaquestion,c’estàcausedetaréaction.Ilt’agaçait.Tuavaismêmel’air
de t’ennuyer.Donc jemedemandepourquoi tu le laisses te faireces trucsalorsquemanifestement, tun’aspasenviequ’iltetouche?
Sidérée par son aplomb, j’ai subitement l’impression d’étouffer et d’être en sueur. Ça me gêned’abordercesujetavecluietqu’ilvoieaussiclairenmoi,alorsquejen’arrivepasdutoutàlecerner.
—Mondésintérêtsevoyaittantqueça?—C’étaitflagrant.Mêmeàcinquantemètresdedistance.Étonnantqu’ilnel’aitpassenti.Cettefois,jemetourneversluisansréfléchir.—Tu l’as dit ! Si tu savais le nombre de fois où je l’ai repoussé,mais ça ne l’arrête pas.C’est
pitoyable.Etvraimentpassexy.—Alorspourquoitulelaissesfaire?insiste-t-ilenmeregardantavecintérêt.Àcetinstant,faceàfacesurlemêmelit,notrepositionestunpeucompromettante.Safaçondeme
fixerpuisdedévierlesyeuxversmabouchemepoussebrusquementàmeremettresurledos.Jenesaispass’ilressentlamêmechosemaisilenfaitautant.
—C’estcompliqué.— T’es pas obligée de m’expliquer, assure-t-il. C’était juste de la curiosité. Au fond, ça ne me
regardepas.Glissant lesmainssousmanuque, jevoiscesétoilesquej’aicomptéesunnombreincalculablede
fois. Jesuissurce litavecHolderdepuisprobablementplus longtempsque jene l’ai jamaisétéavecn’importequelgarçonetjeréalisequ’àaucunmoment,jen’aiéprouvélebesoindecompterlesétoiles.
—Tuasdéjàeuunerelationsérieuseavecunefille?— Oui, acquiesce-t-il. Mais j’espère que tu vas pas me demander des détails parce que je t’en
donneraipas.Jefaisnondelatête.—C’étaitpasmonintention.Jem’interrompsuninstant,letempsdetrouverlabonnefaçondeformulermaquestionsuivante:—Quandtul’embrassais,çatefaisaitqueleffet?Ilrestesilencieux,pensantsansdoutequec’estunequestionpiège.—Tuveuxuneréponsehonnête,jeprésume?—Oui,commetoujours.Jelevoissourireducoindel’œil.—Trèsbien.Alorsjediraisque…çam’excitait.J’essaiedenepasparaître troubléeenl’entendantprononcercemotmais…punaise. Jecroise les
jambesdansl’espoirdeminimiserlesboufféesdechaleurquis’emparentbrusquementdemoi.—Doncçaterendnerveux,tuaslesmainsmoites,lecœurquibatvite,toutça?Ilhausselesépaules.—Oui.Touteslesfillesavecquijesuissortinem’ontpasfaitceteffetmaislaplupart,si.Latêteinclinéeavecétonnement,j’essaiedenepasinterprétersesparoles.—Iln’yenapaseutantqueça,sourit-il,lisantdansmespensées.Sa fossette est encore plus craquante de près. Durant quelques secondes, je me perds dans sa
contemplation.—Pourquoitoutescesquestions?Jeluilanceunregardpuisreportemonattentionsurleplafond.
—Parcequemoi,jeneressensriendetoutça.Quandjesorsavecdesgarçons,qu’ons’embrasseettout,çanemefaitaucuneffet.Exceptéunesortedetorpeur.AlorssijelaisseparfoisfaireGrayson,cen’estpasparcequej’éprouveduplaisirmaisparcequeçameplaîtdenerienressentirdutout.
Ilneréagitpasetsonsilencememetmalàl’aise.Jenepeuxpasm’empêcherdemedemandersiluin’estpasentraindemeprendrepourunefolle.
—Jesais,c’estcomplètementabsurde,etpour info,non, jenesuispas lesbienne.Simplement, jen’aijamaisétéattiréeparpersonneavanttoietjenesaispaspourquoi.
J’aiàpeineprononcécesmotsqu’ilmedécocheunregardintensetandisquejemecachelafiguresous le bras en grimaçant. Je n’arrive pas à le croire : je viens d’avouer tout haut qu’ilmeplaisait !Mêmeunemortsubiteneseraitpasassezrapide.
Jesenslelitbougertandisqu’ilsoulèvedoucementmonpoignetpourécartermonbrasdemesyeux.Alorsquejelesrouvreàcontrecœur,ils’appuiesurunemainenmesouriant.
—Tuesattiréeparmoi?Jeronchonne,mortifiée.—Çanevapasarrangertonegod’entendreça.—Sûrement!rigole-t-il.Dépêche-toidem’insulteravantquejeprennelagrossetêtecommetoi.—T’asbesoindetefairecouperlescheveux,jelâchesansprendredegants.Genre,vraiment.Çate
tombedans lesyeux, ça te fait loucher et tu es constamment en trainde repousser tamèche comme sit’étaisJustinBieber.C’esttrèsgênant.
Ilsetripotelescheveuxenfronçantlessourcilsavantdeselaisserretombersurlelit.—Çacalme!Ondiraitqueçafaitunmomentquecetteidéetetrottedanslatête.—Seulementdepuislundi.—Lejourdenotrerencontre.Donc,engros,depuisqu’onseconnaît,tun’arrêtespasdetedireque
tuashorreurdemacoupe?—Pasconstamment.Ilsetaitpuissouritànouveau.—J’arrivepasàcroirequetumetrouvessexy.—Tais-toi.—Alorsl’autrejour,tuasfaitsemblantdetomberdanslespommesjustepourquejeteportedans
mesgrosbrasvirils.—Tais-toi,jetedis!—Etjepariequetufantasmessurmoilanuit,icimême,danscelit…—Arrête,Holder.—Siçasetrouve,mêmeque…Jeplaquebrusquementunemainsursabouche.—Tuesbeaucoupplussexyquandtuneparlespas.Quand il se tait enfin, j’enlève ma main et la replace sous ma tête. On reste un petit moment
silencieux. Pendant que je rumine, morte de honte qu’il sache désormais l’effet qu’il me fait, lui estsûremententraindejubiler.
—Jem’ennuie,soupire-t-il.—Ehbien,rentrecheztoi.—J’aipasenvie.Vuquetun’asniInternetnilatélé,qu’est-cequetufais,toi,quandtut’ennuies?
Turestesassiselàtoutelajournée,àfantasmersurmoi?Jelèvelesyeuxauciel.—Non,jelis.Beaucoup.Parfoisjefaisdesgâteaux.Parfoisjevaiscourir.—Lecture,cuisine,jogging.Etquelquesfantasmessurmoi.Quelleviefascinante!—J’aimebienmavie.
—Moiaussi,d’unecertainemanière.Ilroulesurlecôtéetattrapelelivresurmatabledenuit.—Tiens.Lisça.Jeluiprendslelivredesmainsetl’ouvrepagedeux.Jen’aipasétéplusloin.—Tuveuxquejetefasselalecture?Tut’ennuiesàcepoint?—Grave.—Jetepréviens,c’estunromansentimental.—Aupointoùj’ensuis…Vas-y,lis.Je remontemonoreillercontre la têtede lit,m’installeconfortablementetcommenceà lireàvoix
haute.Siquelqu’unm’avaitditcematinque,cesoir,jeliraisunehistoired’amouràDeanHolderdansmon
lit, je l’auraissûrement traitédefou.Maisremarquez, jenesuisvisiblementpas lamieuxplacéepourparlerdefolie.
***
Enouvrantlesyeux,jeglisselamainàcôtédemoimaislelitestvide.Jem’assoisenparcourantlapiècedesyeux.La lumièredemachambreestéteinteetmacouette remontée.Le livreestposésur latabledenuit,fermé.Jel’attrape.Unmarque-pageestintercaléenvironauxtroisquartsdulivre.
Jeme suis endormie en lisant ? J’y crois pas. Je repousse la couette et pars dans la cuisine. Là,j’allumelalumièreetinspectelapièce,stupéfaite.Lacuisineestentièrementrangéeettouslescookies,browniesetautressontrecouvertsdefilmalimentaire.Sousmesyeux,posésurleplandetravail,monportable.Jeleramasseetdécouvreunnouveautexto:
Tu t’esendormiepilequandelleallaitdécouvrir lesecretdesamère.Tuabuses.Je reviendraidemainsoirpourque tufinissesdemelirel’histoire.Aufait,tuastrèsmauvaisehaleineetturonfleshyperfort.
J’éclatede rire.Puis je souris commeune andouillemais heureusement, personnen’est là pour levoir.Jetantuncoupd’œilàlapenduledufour,jeconstatequ’iln’estqu’unpeuplusdedeuxheuresdumatin alors je retourne dans ma chambre et me glisse dans mon lit en espérant qu’il reviendraeffectivementdemainsoir.Jenesaispascommentcegarçondésespérantaréussiàs’incrusterdansmaviecettesemainemaisunechoseestsûre:jen’aiaucuneenviequ’ilensorte.
Samedi1erseptembre2012
17h05
Aujourd’huij’aicomprisquelquechosedecapitalconcernantledésir:çavousdonneledoubledeboulot.Depuiscematin,j’aiprisdeuxdouchesaulieud’une.Jemesuischangéequatrefois,aulieudedeuxhabituellement.J’aifaitleménagedanstoutelamaison(uneseulefoismaisçacompte,vuquejenelefaisjamaisentempsnormal)etj’aivérifiél’heureàlapendulepasmoinsd’unecentainedefois–etautant,jecrois,l’arrivéedetextossurmontéléphone.
Malheureusement,danssonmessagedelaveille,Holderneprécisaitpasàquelleheureilviendrait,alorsàcinqheuresdel’après-midi,jesuisplusoumoinsassiselà,àfairelepieddegrue.Iln’yapasgrand-chose d’autre à faire puisque j’ai déjà préparé assez de desserts pour un régiment et couru pasmoinsdesixkilomètres.J’avaispensénouscuisinerunpetitdînermaiscommejen’aiaucune idéedel’heureàlaquelleilvapasser,jenesaispastropàquelmomentlepréparer.Alorsquejesuisassisesurlecanapéàtapoterdesonglessurl’accoudoir,jereçoisuntextodesapart:
Àquelleheurejepeuxvenir?C’estpasquejesoispressé,hein.Jem’ennuietropavectoi.
Ilm’aenvoyéuntexto.Pourquoijen’yaipaspensé?J’auraisdûluienenvoyeruncemidipourluidemander à quelle heure il comptait venir. Ça m’aurait évité de me tracasser pour rien pendant desheures,commeuneidiote.
Viensà19h.Etapporteàmanger.Jecomptepastefairelacuisine.
Jereposeletéléphoneenfixantl’écran.Plusqu’uneheureetquarante-cinqminutesavantqu’ilarrive.Bon,qu’est-ceque je faismaintenant?Pour lapremière foisdemavie, l’ennuicommenceàavoiruneffet néfaste surmoi. Jusqu’à cette semaine, j’étais plutôt contente demonquotidienmonotone. Jemedemande si l’exposition aux tentations de la technologiem’a laissée surma faim ou si c’est plutôt latentationHolderquimemetdanscetétat.Lesdeux,sansdoute.
J’étendslesjambessurlatablebassedevantmoi.Aujourd’hui,jeporteunjeanetuntee-shirt:j’aienfindécidéde lâchermonsurvêt.J’aiaussi lâchémescheveuxmaisuniquementparcequeHoldernem’ajamaisvueautrementqu’avecunequeue-de-cheval.Cen’estpasquejechercheà l’impressionner,pasdutout.
Quoiqueenfait,si,carrément.J’attrapeunmagazinepour le feuilletermaisma jambe trembleet je trépigne tellementque je suis
incapabledemeconcentrer.Aprèsavoirrelutroisfoisdesuitelamêmephrase,jejettelemagazinesur
la tablebasseet renverse la têtesur ledossierducanapé.Jefixe leplafond.Ensuite lemur.Puismesorteils,enhésitantàleurremettreuncoupdevernis.
Jedeviensdingue.Finalement,j’attrapemontéléphoneengrommelantetluirenvoieuntexto:
Rappliquetoutdesuite,jemeursd’ennui.Situvienspastrèsvite,jeterminelelivresanstoi.
Gardant le portable à la main, je surveille l’écran tout en le faisant rebondir sur mon genou. La
réponsenesefaitpasattendre:
Mdr.Bienmaîtresse.Jesuisentraind’acheteràmanger,j’arrivedans20mn.
«Mdr»?Maisqu’est-cequeçaveutdire?«Madoucerose»?Franchement, j’espèrequenon.SinonilvaseretrouverdehorsplusvitequelepetitMatt.Mais,sérieusement,çasignifiequoi?
J’arrêted’ypenseretjemeconcentreplutôtsurlesderniersmots:20mn.Vingtminutes.Etmerde!Subitement j’ai l’impression que c’est beaucoup trop tôt. Je cours dans la salle de bains vérifiermacoiffure,matenue,monhaleine.J’inspecteensuiterapidementlamaisonenlarangeantpourladeuxièmefoisdelajournéeetquandfinalementlasonnetteretentit,cettefoisjesaisquoifaire:jevaisouvrir.
Ilestlàsurleperron,lesbraschargésdecoursescommeunvraipetithommed’intérieur.Jescrutelessacsavecméfiance.Illessoulèveenhaussantlesépaulesetmedit:
—Ilfautbienqu’ilyenaitundenousquisoitaccueillant.Ilmepassedevantetsedirigedroitverslacuisine,oùilposelessacssurleplandetravail.—J’espèrequetuaimeslesspaghettisbolognaiseparcequec’estcequej’aiacheté,annonce-t-ilen
commençantàsortirsesachats.Jerefermelaported’entréeetm’approchedubar.—Tumecuisinesàdîner?—Disonsplutôtquejevaiscuisineràdînerpourmoietquesituenveux,tupourrasenavoir.Ilmelanceunregardencoinetsourit.—Tuestoujoursaussisarcastique?Ilhausselesépaules.—Ettoi?—Etturépondstoujoursauxquestionsparuneautrequestion?—Pastoi?J’attrape un torchon sur le bar pour le lui jeter à la figure. Il l’esquive puis s’approche du
réfrigérateur.—Tuveuxboirequelquechose?demande-t-il.Accoudéeaubar,lementonposésurlesmains,jeleregardes’activer.—Tuproposesdemeserviràboiredansmapropremaison?Ilfouilledanslefrigo.—Tuveuxdulaitquiaungoûthorribleoutupréfèresunsoda?—Est-cequ’onadusoda,aumoins?Jesuisquasimentsûred’avoirdéjàfinilestockquej’aiachetéhier.Ilreculeenseredressantdevantlefrigo,lesourcilarqué.—Onpourraitpasarrêterdeserépondrepardesquestions?—Jesaispas…Peut-être?jerépliqueenriant.—Àtonavis,onpeuttenirlongtempscommeça?Iltrouveunsodaetattrapedeuxverres.
—Tuveuxdelaglace?—Jesaispas.Tuenprends,toi?Tant qu’il n’arrêtera pas avec ses questions, je n’arrêterai pas non plus. J’ai un gros esprit de
compétition,ilfautlesavoir.Ils’approchepourposerlesverressurlebar.—Jedevraisenprendre,d’aprèstoi?relance-t-ilavecunsourirededéfi.—Çadépend:tuaimesça?Ilhochelatête,impressionnéquejetiennelerythme.—Est-cequ’elleestbonne,aumoins,taglace?—Çadépend:tulapréfèrespiléeouenglaçons?Lesyeuxmi-clos,ilmefixe,conscientquejeviensdelepiéger.Là,ilnepeutplusrépondreparune
question.Ouvrantlacanetteavecunpetitbruitsec,ilcommenceàremplirmonverre.—T’esprivéedeglace.—Ha!J’aigagné!Ilrepartverslefourenriant.—Jesuisbonjoueur.Quelqu’unquironfleaussifortquetoimériteunepetitevictoiredetempsen
temps.Jeluidécocheunsourirenarquois.—Lesinsultes,c’estdrôleuniquementpartexto,tusais.J’attrapemonverre pour avaler une gorgée de soda. Il a vraiment besoin d’être rafraîchi. Je vais
chercherquelquesglaçonsdanslecongélateuretleslaissetomberdansmonverre.Quand jemeretourne,Holderse tient justedevantmoietmedévisage.La lueurdanssesyeuxest
légèrementespièglemaisassezsérieusepourquemoncœursemetteàbattrelachamade.Ils’approchejusqu’àcequejemeretrouvedosauréfrigérateurpuis,d’ungestenonchalant,illèvelebraspourposerlamainau-dessusdematêtesurl’appareil.
Jenesaispascomment jefaispournepasm’écroulerpar terre.J’ai l’impressionquemesgenouxsontsurlepointdelâcher.
—Tusaisquec’estpourrire,non?souffle-t-ilenmedévorantdesyeuxetensouriantjusteassezpourlaissersesfossettesaffleurer.
J’opineenpriantpourqu’ils’écartetoutdesuite,sinonjesensquejevaisavoirunecrised’asthmealorsquejenesuismêmepasasthmatique.
—Bien,approuve-t-ilenserapprochantencore.Surtoutqu’envérité,tuneronflespasdutout.Tuesmêmeplutôtadorablequandtudors.
Il ne devrait vraiment pas dire des trucs pareils. Surtout quand il se tient aussi près. Fléchissantsubitementlecoude,ilserapprocheencoreetsepenchedansmoncou.Monpoulss’accélère.
—Sky,mechuchote-t-ilàl’oreilled’unevoixsuave, tuveuxbien…tepousser?J’aibesoind’untrucdanslefrigo.
Ils’écartesansmequitterdesyeux,guettantmaréactionavecunsourireencoin.Iltentebrièvementdeseretenirpuisfinitparéclaterderire.
Jelerepoussebrutalementetl’esquiveenpassantsoussonbras.—T’esvraimentcon!Ilouvrelefrigo,toujourspliéendeux.—Désolé,c’estplusfortquemoi.Tuessouslecharme,çacrèvelesyeux!Alorsc’estdurdenepas
t’allumerunpeu.Jesaisqu’ilplaisantemaisc’estquandmêmehypergênant.Jem’installeaubarenmeprenantlatête
entrelesmains.Jecommenceàdétester lafillequejesuisentraindedeveniràcausedelui.J’auraismoinsdemalàdonnerlechangesijen’avaispasgafféenluiavouantqu’ilmeplaisait.Ceseraitplus
faciles’iln’étaitpasaussidrôle.Etgentil,quandilveut.Etsexy.J’imaginequec’estcequifait toutel’amertumedudésir.Lesentimentestmerveilleuxmaisl’effortqueçademandepouryrésisterestbientropinhumain.
—Tuveuxquejetediseuntruc?propose-t-il.Jelèveleneztandisqu’ilestoccupéàremuerlecontenudelacasseroledevantlui.—Jepréfèrepas.Ilmelanceunregardpuissetournedenouveauverslacasserole.—Ilsepourraitqueçatefassedubiendel’entendre.—Ça,j’endoute.Ilmeregardeencoremaiscettefois,sonsourireenjouéadisparu.Tendantlebrasversunplacard,il
sort une autre casserole puis s’approchede l’évier pour la remplir d’eau.Ensuite il revient devant lacuisinièreetseremetàremuer.
—Ilsepourraitquetumeplaisesunpetitpeuaussi,déclare-t-il.Discrètement,j’inspireuncoupetexpirelentementpouressayerdenepasparaîtredéstabilisée.—Unpetitpeu,c’esttout?Ça,c’estmaspécialité:insufflerdusarcasmedanslessituationsdélicates.Son sourire réapparaît mais il garde les yeux rivés sur la casserole. Le silence envahit la pièce
pendantplusieursminutes.Ilestabsorbéparsespréparatifs;etmoi,parlui.Jeleregardesedéplaceravecaisancedanslacuisine,impressionnéeparsadécontraction.Onabeauêtrechezmoi,jesuisplusnerveusequelui.Jen’arrêtepasdegigoteretj’aimeraisbienqu’ilrelancelaconversation.Luin’apasl’airaussitroubléparcesilence.Pourtantilestlà,menaçant,autourdemoi,etjedoisabsolumentnousendébarrasser.
—Çasignifiequoi,«mdr»?Ilglousse.—Sérieusement?—Maisoui.Tuasécritçatoutàl’heure,danstontexto.—Çaveutdire«mortderire».C’estuneabréviationpourcommenterquelquechosequ’ontrouve
drôle.Sivoussaviezcommejesuissoulagée!—Ah,OK.C’estunpeunaze,non?—Unpeu.Maisc’est justeunréflexeetunefoisqu’onapris lecoup,c’estbeaucoupplusrapide
pourécriresontexto.Ilyenad’autrescommeparexempleSLTpour«salut»,OMGpour«j’ycroispas»ouCkoiC’délire,qu’onécritCmajusculek-o-i…
— C’est bon, ça va, je le coupe avant qu’il me donne mal à la tête. C’est pas du tout sexy det’entendreparlerenabrégé.
Ilmefaitunpetitclind’œiletrepartverslefour.—Jerecommenceraiplus,promis.Et alors… le silence retombe.Hier, ce n’était pas dérangeantmais bizarrement ce soir, c’est très
gênant.Entoutcas,pourmoi.Jecommenceàcroirequec’estjusteparcequej’appréhendelasuitedelasoirée.Vucomme lecourantpasseentrenous,àunmomentouàunautreonva finirpar s’embrasser,c’est évident. Seulement, c’est dur de se concentrer sur l’instant présent et d’être à fond dans laconversationalorsquejen’aiquecetteidéeentête.Jenesupportepasdenepassavoiràquelmomentilvasedécider.Est-cequ’ilvaattendrequ’onaitdînéetquemonhaleinesente l’ailet l’oignonàpleinnez?Est-cequ’ilattendraplutôtqu’ilsoittempspourluidepartir?Est-cequ’ilmesauteradessusquandjem’yattendrailemoins?J’aipresqueenviederéglerçatoutdesuite,d’allerdroitaubutpourqu’onpuisselaisserdecôtél’inévitableetpoursuivretranquillementlasoirée.
—Toutvabien?s’inquiète-t-il.
Jesorsbrusquementdemarêveriepourleregarder.Ilsetientfaceàmoidel’autrecôtédubar.—Oùtuétaispartie?Çafaitunmomentquejet’entendsplus.Secouantlatête,jemereconnecteauprésentetreplongedanslaconversation.—Çava,t’inquiètepas.Il attrape un couteau et semet à couper une tomate en dés.Même sa technique de découpage de
tomateestpleined’aisance.Existe-t-ilunseuldomainedanslequelcegarçonsoitmauvais?Soncouteaus’immobilise.Ilmecontempled’unairsérieux.
—Àquoitupensais,Sky?Ilm’observe,attendantmaréponse.Maiscommejeneluiendonnepas,ilreportesonregardsurla
planche.—Tuprometsdenepasrire?Lesyeuxplissés,ilréfléchitpuismefaitnondelatête.—Commejet’aidéjàdit,jeseraitoujourshonnêteavectoi,alorsnon:jenepeuxpastepromettre
denepasrireparcequet’esplutôtunefilledrôle.—Tuestoujourssicompliqué?Ilmefaitungrandsourire,cettefoissansrépondre,etcontinuedem’observercommes’ilmemettait
audéfid’avouercequimepréoccupevraiment.Malheureusement,jenereculejamaisdevantundéfi.—Trèsbien,tul’aurasvoulu,jedisenmeredressant.Aprèsavoirprisunegrandeinspiration,jeluividemoncœurd’unetraite:—Jenesuisvraimentpasdouéepourcegenrederendez-vous,d’ailleursjenesaispasexactement
de quelgenre de rendez-vous il s’agitmais une chose est sûre, c’est un peu plus que deux amis quipassentunesoiréeordinaireensemble,ducoupj’anticipelemomentoùtuvasrepartiretjemedemandesiouiounontucomptesm’embrasser,etcommelessurprises,c’estpasdutoutmontruc,çamemetmalàl’aiseparcequ’aufondj’aitrèsenviequetum’embrassesetc’estpeut-êtreprétentieuxdemapartmaisquelquechosemeditquetoiaussituenasenvie,alorsjemedisaisqueceseraitbeaucoupplussimplesion se jetait à l’eau en s’embrassantmaintenant, commeça tu pourrais te remettre à la préparationdudîneretmoi,jepourraisarrêterd’essayerdeplanifierlasuitedenotresoirée.
Surce,j’inspireàfondcommesij’étaiscomplètementàboutdesouffle.Àunmoment,aumilieudecettetirade,ilaarrêtédecoupersestomates,maisjenesaisplusquand
exactement.Ilmedévisage,bouchebée.Jeprendsuneautreinspirationetexpirelentement,songeantquejevienspeut-êtredeluidonneruneterribleenviedefuir.Etc’esttristemais…jeneluienvoudraispas.
Ilposeendouceurlecouteausurlaplancheetposelesmainsàplatdevantluisansmequitterdesyeuxunseulinstant.Lesmainsjointessurlesgenoux,j’attendssaréaction.Jenepeuxrienfaired’autre.
—Lavache,commente-t-ild’untonpleindesous-entendus,c’étaitlaphraselaplusmalconstruiteetlapluslonguequej’aieentenduedetoutemavie!
Jelèvelesyeuxaucielenm’affaissantsurmonsiègeetencroisantlesbras.Jeviensquasimentdelesupplierdem’embrasseretlui,ilcritiquemasyntaxe?
—Détends-toi,ajoute-t-ilensouriant.Ilfaitglisserlesdésdetomatesamonceléssurlaplanchedansunecasserole,ensuiteillaplacesur
undesbrûleursdelacuisinièreetverselespâtesdanslacasseroled’eaubouillante.Unefoisquetoutestprêt,ils’essuielesmainssurletorchonpuiscontournelebarjusqu’àmoi.
—Lève-toi,ordonne-t-il.Je lui décoche un coup d’œil méfiant, néanmoins j’obéis. Sans me presser. Une fois que je suis
debout,ilposelesmainssurmesépaulesenparcourantlapièceduregard.—Hum,murmure-t-il,réfléchissantàvoixhaute.Ilregardedanslacuisine,puissesmainssurmesbrasetm’attrapelespoignets.—J’aimaisbienlefrigoentoiledefond,décide-t-ilenm’entraînantàtraverslapièce.
Commesij’étaisunpantin,ilmepositionnedosauréfrigérateuretposelesmainsdepartetd’autredematêteavantdemefixerintensément.
Cen’estpaslescénarioleplusromantiquequej’avaisimaginépournotrepremierbaisermaistantpis, ça fera l’affaire. Je veux juste qu’on en finisse.Surtoutmaintenant qu’il en fait toute unemise enscène.Ilcommenceàsepencher,alorsj’inspireprofondémentenfermantlesyeux.
Jesuisprête.J’attends.Maisriennesepasse.Quand je rouvre les yeux, il est tellement près que j’en sursaute, ce qui ne fait que l’amuser.
Cependant,ilnereculepasetsonsouffleeffleuremeslèvrescommeunecaresse.Ilsentlechewing-gumà lamenthe et le soda, et jen’aurais jamais cruque lesdeux iraientbien ensemblemais c’est le cas,vraiment.
—Sky?dit-ildoucement.Jenecherchepasàtetorturernirien,maisj’avaisdéjàprismadécisionavantdevenir:jenet’embrasseraipascesoir.
Àcesmots,monestomacsenoue,écrasésouslepoidsdeladéception.Maconfianceenmoivientdes’envolerd’uncoupetlà,toutdesuite,j’auraisbienbesoind’untextodeSixpourflattermonego.
—Etpourquoi?Lentement,ilmecaresselajoue.J’essaiedenepasfrissonnermaisj’aibeaufaireappelàtoutema
volonté,j’aidumalàcacheràquelpointjesuistroublée.Duregard,ilsuitlemouvementdesamainquisedéplacedemajoueàmoncouavantdes’arrêterauniveaudemonépaule.Tandisqu’ilplongesonregarddans lemien, j’ydécouvreundésir incontestable.Voircette lueurdanssesyeuxatténueun toutpetitpeumadéception.
—J’aitrèsenviedet’embrasser,avoue-t-il.Jet’assure.Son regard dévie sur ma bouche pendant qu’il reprend ma joue dans sa main. Cette fois, je
meblottisvolontairementcontresapaume.Depuisqu’ilafranchicetteporte,jemesuispourainsidiremiseànudevantlui.Àprésentilpeutfairedemoicequ’ilveut.
—Maisalorssituenasvraimentenvie,qu’est-cequiteretient?J’angoisseàl’idéequ’ils’apprêteàmesortiruneexcusecontenantlesmots«petiteamie».Ilinclinemonvisageverslesien,caressantmespommettesdupoucetandisquejesenssontorsese
souleveretretomberdefaçonsaccadéecontremapoitrine.—J’aipeur,répond-ilàvoixbasse.Peurquetuneressentesrien.Jeretiensmonsouffle.Lefilmdenotreconversationdelaveillesurmonlitdéfiledansmatêteetje
comprendsalorsmonerreur.Jen’auraisjamaisdûluiraconterqu’embrasserlesgarçonsnemeprocuraitjamaisaucunesensationhormisunesortedetorpeurcarilestl’exceptionabsolueàlarègle.Doucement,j’étreinssamain.
Çameferadel’effet,Holder,jet’assure.C’estdéjàlecas.J’aimeraisprononcercesmotsàvoixhautemaisjen’yarrivepas.Aulieudeça,jehochelatête.
Fermantlesyeuxdansunsoupir, ilm’écartebrusquementduréfrigérateurpourm’attirercontrelui.Un bras dansmon dos et l’autremain surma nuque, ilme serre contre lui.Un peu coincée dans unepositionmaladroite,jelèvetimidementlesavant-braspourleprendreparlataille.Àcegeste,unpetitsoupirs’échappedemeslèvrestellementjemesensbien,paisible,emmitoufléecommeçadanssesbras.Onseserreenmêmetempsetilm’embrassesurledessusdelatête.Cen’estpaslebaiserquej’espéraismaisjecroisbienquejel’apprécietoutautant.
Lorsquelaminuteriedufourretentit,onn’apasbougé.Etpourmonplusgrandbonheur,ilnes’écartepastoutdesuite.Quandfinalementilcommenceàrelâchersesbras,jefixemespieds,incapabledeleregarder dans les yeux. Bizarrement, en lui avouant mon envie de l’embrasser pour détendrel’atmosphère,jen’aifaitquem’enfoncerdavantageetrendrelasituationencoreplusembarrassante.
Commes’ilpercevaitmagêne,iljointnosdeuxmains.—Regarde-moi.Jelèvelesyeuxenessayantdecachermadéception,carjemerendscomptequenotreattirancel’un
pourl’autren’estpasdumêmedegré.—Sky, jene t’embrasseraipascesoir,pourtant tupeuxmecroire : jen’ai jamaiseuautantenvie
d’embrasserunefille.Alorsarrêtedepenserque jenesuispasattirépar toi : tun’aspas idéeàquelpoint c’est faux.Bien au contraire. Tu peuxme tenir lamain si tu veux, la passer dansmes cheveux,t’asseoiràcalifourchonsurmoipendantquejetedonnedesspaghettisàmanger,jenet’embrasseraipascesoir.Nidemain,probablement.Illefaut.J’aibesoind’êtresûrquetuéprouvesexactementlamêmechosequemoiaumomentoùmeslèvresseposerontsurlestiennes.Parcequejeveuxquetonpremierbaisersoitleplusbeaupremierbaiserdetoutel’histoiredespremiersbaisers.
Ilsoulèvemamainpourl’approcherdesaboucheetl’embrasser.—Alorsmaintenantarrêtedefairelatête,etaide-moiàfinirdepréparerlabolognaise.Jesourisensongeantquec’estvraimentlameilleureexcusequej’aiejamaisentenduepourjustifier
unrefus.Sic’estpourmesortircetteexcuse,ilpeutmerepoussertouslesjoursjusqu’àlafindemavie.Ilfaitoscillernosmainsentrenous.—Alorsc’estd’accord?Çasuffitàteconvaincredemerevoir?J’acquiesced’unsignedetête.—D’accord.Enrevanche,tutetrompessurunpoint.—Lequel?—Tuveuxquemonpremierbaiser soitmémorablemaisceneserapas lepremier, tu le sais très
bien.Plissant les yeux, il me lâche les mains pour étreindre à nouveau mon visage puis me repousse
doucement contre le frigo en avançant sabouchedangereusementprèsde lamienne.L’étincelle rieusedanssonregardadisparupourlaisserplaceàunregardd’unetelleintensitéquej’enarrêtederespirer.
Avecunelenteurinsoutenable,ilsepenchejusqu’àcequeseslèvresfrôlentlesmiennesetrienqued’anticipernotrefuturbaisersuffitàmetétaniser.Ilnefermepaslesyeux,alorsmoinonplus.Ilmaintientlapositionunmoment,laissantnosrespirationssemêlerl’uneàl’autre.Jamaisjenemesuissentieaussidésarméeetfébrileets’ilneréagitpasdanslestroissecondes,jevaistrèsprobablementmejetersurlui.
Enlevoyantfixermabouche,jem’empressedepincermeslèvres.Sinon,ilsepourraitbienquejelemorde.
—Laisse-moit’expliqueruntruc,reprend-ilàvoixbasse.Dèsl’instantoùmaboucheseposerasurla tienne, ce sera bel et bien ton premier baiser. Car si tu n’as jamais rien ressenti avant, c’est quepersonnenet’ajamaisvraimentembrassée.Dumoinspascommemoijecomptet’embrasser.
Sans me quitter des yeux, il recule vers la cuisinière. Puis il se retourne pour s’occupertranquillement des pâtes, comme s’il ne venait pas du tout de gâcher à l’avance toutesmes relationsfutures.
Nesentantplusmesjambes,jefaislaseulechosedontjesuiscapable:jemelaisseglissercontrelefrigojusqu’àcequemesfessestouchentterreetj’inspireungrandcoup.
Samedi1erseptembre2012
19h15
—Tesspaghettissontinfâmes.Jefermelesyeuxpoursavourercequisontsansdoutelesmeilleurespâtesquej’aiejamaiseuesdans
labouche.—Avouequetuenraffoles,réplique-t-il.Ilselèvedetablepourallerchercherdeuxserviettes,lesrapporteetm’entendune.—Tiens,essuie-toilementon,tuasdelasaucedespaghettisinfâmespartout.Après lepetit incidentdevant le frigo, la soiréeaplusoumoins repris soncours. Ilm’a tenduun
verre d’eau et ilm’a aidée àme relever, puis ilm’a donné une tape sur les fesses et embauchée encuisine.C’esttoutcedontj’avaisbesoinpourlâcherpriseetoubliermonembarras:unebonnefessée.
—TuasdéjàjouéàQuestionsPourUnDîner?Ilsecouelentementlatête.—Jedevrais?Jehochelementon.—C’estunbonmoyend’apprendreàseconnaître.Aprèsnotreprochainrendez-vous,onvapasser
beaucoupdetempsàs’embrasser,alorsmieuxvautqu’onsedébarrassedetouteslesquestionsavant.—D’accord!accepte-t-ilenriant.C’estquoi,larègledujeu?—Jeteposeunequestiongênanteettrèspersonnelle,ettantquetun’yaspasréponduhonnêtement,
interdictiondeboireoudemanger,etinversementquandc’estàtontour.—Çaal’airplutôtfacile,commente-t-il.Etsijeneveuxpasrépondre?—Tumeursdefaim.Ilpianotesurlatablepuisposesafourchette.—Çamarche.J’auraissansdoutedûpréparermesquestionsàl’avancemaisétantdonnéquejeviensd’inventerce
jeuilyaexactementtrentesecondes,c’étaitunpeucompliqué.Jeboisunepetitegorgéedemonfonddesodacoupéàl’eau.Commeilsemblequeçafinissetoujoursmalentrenous,j’appréhendeunpeudetropcreuser.
—OK,jecommenceenreposantmonverresurlatableetenmelaissantallerenarrière.Pourquoiest-cequetum’assuiviejusqu’àmavoiture,ausupermarché?
—Jetel’aidit:jet’aiconfondueavecquelqu’un.—Jesaismaisavecqui?Malàl’aise,ilchangedepositionenseraclantlagorge,avantdetendremachinalementlebraspour
attrapersonverre,maisjel’intercepte.
—Interdictiondeboire.Répondsd’abordàlaquestion.Ilsoupiremaisselaissefléchir:— Je ne savais pas trop quimais tume rappelais quelqu’un. Je n’ai compris que récemment que
c’étaitmasœur.—Jetefaispenseràtasœur?jem’étonneenfronçantlenez.C’estunpeuobscène,Holder.Iléclatederireengrimaçantàsontour.—Non,pasdanscesens,pasdu tout !Ellene teressemblaitpasphysiquement.Simplementen te
voyant, quelque chose m’a fait penser à elle. Mais je ne sais même pas pourquoi je t’ai suivie. Lasituation était vraiment surréaliste. Tout ça était un peu bizarre, et quand je t’ai recroisée par hasarddevantchezmoiquelquesheuresaprès…
S’arrêtantaumilieudesaphrase,ilfixesondoigtquisuitlecontourdesonassiette.—Ilfautcroirequec’étaitécrit,ajoute-t-ilavecdouceur.J’inspireprofondémentpourassimilercetteconfidence,enveillantàprendreladernièrephraseavec
des pincettes. Lorsqu’il relève le menton pour me lancer un coup d’œil nerveux, je comprends qu’ilredoutedem’avoireffrayée.Jelerassured’unsourireenluimontrantsonverre.
—Tupeuxboiremaintenant.Àtontour,pose-moiunequestion.—OK,j’enaiunefacile:j’aimeraissavoiràquijefaisdutort.J’aireçuunmystérieuxtextod’un
numéro inconnu aujourd’hui. Ça disait juste : « Si tu sors avec ma copine, va t’acheter tes propresminutesprépayéesetarrêtedegaspillermoncrédit,crétin.»
Jepouffederire.—ÇadoitêtreSix.L’auteuredescomplimentsquejereçoisunefoisparjour.—J’aimemieuxça,acquiesce-t-il.Ilsepencheversmoienplissantlesyeux.—J’aiplutôt l’espritdecompétition,alorssiçaavaitétéunmec,maréponseauraitétébeaucoup
moinssympa.—Ah,parcequetuluiasrépondu?Ettuasditquoi?—C’esttadeuxièmequestion?Sinon,jereprendsunmorceau.—Hé,passivite!Répondsd’abord.—Oui,j’airéponduendisant:«Commentjefaispouracheterdesminutessupplémentaires?»Àcesmots,moncœurfondcommeungrosChamallowtoutcollantet jedoismeretenirdenepas
sourirebêtement.C’estd’unpathétique!Jesecouelatêtepourmeressaisir.—Enfait,c’étaitpasvraimentmaquestion,j’aiditçapourrire.Encoreàmoi!Ilposesafourchetteenroulantdesyeux.—Messpaghettisvontrefroidir.Lescoudessurlatable,jecroiselesmainssouslementon.—Parle-moidetasœur.Pourquoias-tuparléd’elleaupassé?Ilrenverselatêteenarrièreetfixeleplafondensefrottantlevisage.—Lavache.Tuposespaslesquestionslesplussimples.—C’estlarègledujeu.C’estpasmoiquil’aiinventé.Ilsouritmaislapointedechagrindanssonregardmefaitaussitôtregrettermaquestion.—Tutesouviensquandjet’aiditquemafamilleavaiteuuneannéeassezpourriel’andernier?Jefaisouidelatête.Ils’éclaircitlavoixetseremetàeffleurerleborddesonassiette.—Masœurestmorteilyatreizemois.Elles’estsuicidée,bienquemamèrepréfèredirequ’ellea
faitune«overdosedélibérée».Ilme raconte tout ça sansme quitter des yeux. Alors par respect, j’en fais autant,même si c’est
difficiledeleregarderenfacedanscescirconstances.Jenesaispasdutoutcommentréagirmaisjene
peuxm’enprendrequ’àmoi-même,c’estmoiquiaimislesujetsurlatable.—Commentelles’appelait?—Lesslie.Maisjel’appelaisLess.Entendrelesurnomqu’illuidonnaitéveilleenmoiunetristessequimecoupesubitementl’appétit.—Elleétaitplusâgéequetoi?Reprenantsafourchette,illafaittournerdanssonassietteetunefoisqu’elleestpleinedespaghettis,
illaporteàsabouche.—C’étaitmajumelle,répond-ild’untonneutreavantdeglisserlafourchettedanssabouche.Oh,purée.J’attrapemonverremaisilmeleprenddesmainsenfaisantnondelatête.—Àmoi,objecte-t-illabouchepleine.Ilfinitdemâcher,boituncouppuiss’essuielaboucheavecsaserviette.—Parle-moidetonpère.Qu’est-cequis’estpassé?Cettefois,c’estmoiquironchonne.Croisantlesbrassurlatable,j’acceptetoutefoiscetterevanche.—Jetel’aidit:jenel’aipasrevudepuismestroisans.Jen’aiaucunsouvenirdelui.Dumoins,je
necroispas.Jesaismêmeplusdequoiilal’air.—Tamèren’aaucunephotodelui?Àcettequestion,ilmevienttoutàcoupàl’espritqu’ilnesaitmêmepasquej’aiétéadoptée.—Tutesouviensquandtuasditquemamèreavaitl’airtrèsjeune?C’estnormal,ellel’est.Elle
m’aadoptée.Êtreuneenfantadoptéen’estpasvraimentun traumatismeque j’aidûsurmonter. Jen’enai jamais
éprouvédegêneoudehonte,pasplusquelebesoindem’encacher.MaisvulafaçondontHoldermeregardeàcetinstant,oncroiraitquejeviensdeluidirequejesuisnéeavecunpénis.Ilmefixed’unairmalàl’aiseetçamerendnerveuse.
—Quoi?Tun’asjamaisrencontréquelqu’unquiaétéadopté?Ilmetencorequelquessecondesàs’enremettrepuisilsedébarrassepourdebondesonairperplexe
etafficheungrandsourireàlaplace.—Tuasétéadoptéeàtroisans?ParKaren?Jeconfirmedumenton.—Onm’aconfiéeauxservicessociauxàlamortdemamèrebiologique.Monpèrenepouvaitpas
m’éleverseul.Oubienilnevoulaitpas.Bref,peuimporte.J’aieudupotdetombersurKarenetjen’aiabsolumentaucuneenviedefouillerlepassé.S’ilvoulaitmeretrouver,ilseraitpartiàmarecherche.
À en juger par son regard, je vois bien queHolder n’en a pas fini avec ce sujetmais j’ai envied’avalerunmorceauetdefairerevenirlaballedansmoncamp.
—Pourquoicetatouage?jerelancerapidementendésignantsonbrasavecmafourchette.Tendantlepoignet,ileffleurelemotdudoigt.—JemelesuisfaittatoueràlamortdeLess.Pournepasoublier.—Nepasoublierquoi?Ilsoulèvesonverreendétournantleregard.C’estlaseulequestionàlaquelleilnepeutpasrépondre
enmeregardantdanslesyeux.—Nepasoubliertousceuxquej’ailaisséstomberdansmavie.Ilboitunegorgéeetreposesonverre,toujoursincapabledemeregarder.—Ilestpastrèsdrôle,cejeu,hein?Holderritdoucement.—Pasvraiment.Enfait,ilestunpeucraignos.Ilrelèvelesyeux.—Maisilfautqu’oncontinueparcequej’aiencoredesquestions.Tuasdessouvenirsdelapériode
avanttonadoption?
Jefaisnondelatête.—Pasvraiment.Desbribespar-cipar-là,maisilarriveunmomentoù,quandonn’apersonnepour
confirmerunsouvenir,onfinitpartouslesperdre.Laseulechosequej’aigardéed’avantmonadoption,c’est un bijou mais je ne sais même pas de qui je le tiens. Aujourd’hui, je n’arrive plus à faire ladistinctionentrelaréalitédemavied’avant,mesrêvesoucequej’aivuàlatélé.
—Tutesouviensdetamère?Jemarqueunepause,letempsdeméditerlaquestion.Non,jenemesouvienspasd’elle.Pasdutout.
C’estlaseulechoseconcernantmonpasséquim’attriste.—C’estKaren,mamère,jerépondsd’untonsansappel.Àmontour.Dernièrequestion,ensuiteon
passeaudessert.—Tucroisqu’onauraassezdegâteaux,aumoins?metaquine-t-il.Jeluilanceunregardnoir.—Pourquoitul’astabassé?Jedevineàsonchangementd’expressionqu’iln’apasbesoinquejedéveloppe.Remuantlementon,
ilrepoussesonassiette.— Mieux vaut que tu ne connaisses pas la réponse à cette question, Sky. J’en accepte les
conséquences.—Maissi,jeveuxsavoir.Ilpenchelatêtedecôtéetfaitcraquersoncou.Lementondanslamain,ilposelecoudesurlatable.—Jetel’aidit:j’aitabassécemecparcequec’étaitunsalemec.Jel’observe,lesyeuxmi-clos.—C’estvague,commeréponse.Çaneteressemblepas.Ilresteimpassible,leregardbraquésurmoi.—Çafaisaitunesemainequej’étaisrevenuaulycéeaprèslamortdeLess.Elleaussiallaitencours
là-bas,donctoutlemondeétaitaucourantdesonsuicide.J’aientenducemecparlerd’elleaumomentoùjepassaisdans le couloir. Jen’étaispasd’accordavec cequ’il disait et je le lui ai fait savoir.Çaadégénéréetauboutd’unmoment,jemesuisretrouvésurlui,sanspouvoirmecontrôler.J’étaislà,àlecognersanspluspouvoirm’arrêteretjem’enfichais.Lepire,c’estquecegosseresterasûrementsourddel’oreillegauchejusqu’àsamort,maisquejen’enairienàfaire.
Ilmefixemaissansvraimentmeregarder.Ceregard-là,froidetdur,jel’aidéjàvu.Jenel’avaispasaimésurlecoup,pasplusquemaintenant…maisaumoinsàprésent,jecomprendsmieux.
—Qu’est-cequ’ilavaitditsurelle?Ilbaisselesyeuxverslatableenfixantunpointdanslevide.—Jel’aientendusemarrerenracontantàsescopainsqueLessavaitchoisilasolutiondefacilité,
celledeségoïstes.Ilaajoutéquesiellen’avaitpasétéaussilâche,elleauraittenubon.—Tenubonparrapportàquoi?—Lavie,soupire-t-ilavecindifférence.—Etpourtoi,ellen’apaschoisilasolutiondefacilité,jeconclusavecuneintonationqui,surlafin,
tientplusdel’affirmationquedelaquestion.Holdersepencheentendantlesbraspoursaisirmamaindanslessiennes.Caressantmapaume,il
prendunegrandeinspirationqu’ilrelâchetrèsdoucement.—Lessétaitlapersonnelapluscourageusequej’aiejamaisconnue.Çademandeunputaindecran
de passer à l’acte comme elle l’a fait. En finir sans savoir ce qui t’attend nimême siquelque choset’attend ? Il est plus facile de continuer à vivre une vie qui a perdu tout son sens que de dire toutsimplement « Et puismerde ! » et de se tirer. Elle fait partie des rares qui ont dit «Merde ». Et jedéfendraisongestechaquejourjusqu’àmamortcarj’auraistroplatrouilled’enfaireautant.
Il immobilisemamain entre les siennes et c’est seulement à cet instant que jem’aperçois qu’elletremble.Iln’yarienàajouter,alorsjen’essaiemêmepas.Ilselève,glisselamainsurmanuquepourdéposerunbaisersurmonfront,puisilmerelâcheetpartdanslacuisine.
—Tupréfèresunbrownieouuncookie?melance-t-ilpar-dessusl’épaulecommes’ilnevenaitpasdem’assommer.
Ilseretournealorsque jecontinuede lefixer, toujoursmuette,sous lechoc.C’estmoiou ilvientd’admettre qu’il était suicidaire ? Était-ce une métaphore de sa part ? De la comédie ? Je ne saisabsolumentpasquoifairedelabombequ’ilvientdemelaissersurlesbras.
Ilrapporteuneassiettecontenantunmélangedecookiesetdebrownies,qu’ilposesurlatableavantdes’accroupirdevantmoi.
—Hé…,merassure-t-ilenprenantmonvisagedanslesmains.Sonexpressionestsereine.—Jenevoulaispastefairepeur.Jenesuispassuicidaire,sic’estcequitefaitflipper.Jenesuis
pasnonplusdépressif.Etjenesouffrepasdenévrosestraumatiques.Jesuisjusteunfrèrequiaimaitsasœur plus que la vie elle-même, alors j’ai un peu tendance àm’emballer quand je parle d’elle. Et siraconterquesongesteétaitnoble,mêmes’ilnel’étaitpas,m’aideàmieuxgérer,ehbienjecontinueraidelefaire.C’estmafaçondetenirlecoup.
Ilmecontempleavecdésespoirpourquejecomprennecequ’ilatraversé.—Situsavaiscommej’adoraiscettefille,Sky.J’aibesoindecroirequecequ’elleafaitétaitson
dernierrecoursparcequesinon,jenemepardonneraijamaisdenepasl’avoiraidéeàtrouveruneautresolution.
Ilappuiesonfrontcontrelemien.—Tucomprends?J’acquiescepuis jedécolleavecdouceursesmainsdemonvisage.Ilnedoitpasmevoirdanscet
état.—Ilfautquej’aillemerafraîchir.Ilreculealorsquejemelèveprécipitammentpourallermeréfugierauxtoilettes.Unefoislaporte
ferméeàdoubletour,jefaisquelquechosequejen’aipasfaitedepuismescinqans:jepleure.Pascommeunemadeleineouensanglotant,non,çanes’entendmêmepas.Uneuniquelarmeroulesur
ma joue mais c’est une larme de trop, que je m’empresse d’essuyer. Attrapant un mouchoir, je metamponnelesyeuxpourtenterd’endiguerlesprochaines.
Jenesaistoujourspasquoiluidiremaisj’ailesentimentqu’ilvientdeclorelesujet,alorsjedécidede ne pas insister pour l’instant. Je secoue lesmains en inspirant un bon coup, puis j’ouvre la porte.Appuyécontre lemurducouloir, leschevillescroiséeset lesmainsdans lespochesdansunepostureindolente,Holderseredresseets’avanced’unpasversmoi.
—Toutvabien?s’inquiète-t-il.Jesourisdemonmieuxetprendsencoreunegrandeinspiration.—Jet’avaisbienditquetuétaisexcessif.Commequoi,j’avaisraison.Unsourireaucoindeslèvres,ilmepoussedoucementverslachambreenmeprenantdanssesbras,
colléàmoi,lementonposésurmatête.—Tun’astoujourspasledroitdetomberenceinte?J’éclatederire.—Ehnon,pasceweek-end.Sanscompterquepourmettreunefilleenceinte,ilfautdéjàl’embrasser.— J’en connais une qui n’a pas eu de cours d’éducation sexuelle quand elle était scolarisée à
domicile, plaisante-t-il. Je te signale que je pourrais très bien temettre enceinte sans t’embrasser uneseulefois.Tuveuxquejetemontre?
Jegrimpesurlelitetattrapelelivreenl’ouvrantàlapageàlaquelleons’estarrêtéshiersoir.
—Non,jetecroissurparole.Dureste,jecroisqu’enmatièredesexe,onvaavoirdroitàunegrosseséancederattrapaged’iciàcequ’onatteigneladernièrepage.
Holder se laisse tombersur le lit et jem’allongeàcôtéde lui.Tandisqu’ilm’attirecontre lui, jeposelatêtesursontorseetentamelalecture.
***
Jesaisbienqu’ilnelefaitpasexprèsmaisilmeperturbe.Jelesensquiobservelesmouvementsdemabouchependantqu’ilentortillemescheveuxentresesdoigts.Chaquefoisquejetourneunepage,jeluilanceunregard,etchaquefois,ilfaitmined’êtrearchi-concentré.Enfin,surtoutsurmabouche,cequimefaitdirequ’iln’écoutepasuntraîtremotdecequejeraconte.Jerefermelelivreenleposantsurmonventremaisjenesuismêmepassûrequ’ils’enaperçoive.
—Pourquoit’asarrêtédeparler?s’étonne-t-ilsanschangerd’expressionniquittermabouchedesyeux.
—De parler ? je répète avec curiosité. Je suis en train de lire, Holder. C’est pas pareil. Maisapparemment,çanet’intéressepasdutout.
—Maissi,çam’intéresse,sedéfend-il.Surtouttabouche,àvraidire.Lesmotsquiensortent,peut-êtremoins,maistabouche,carrément.
Ilm’écarte de son torsepourmemettre sur le dos, puis il se glisse àmahauteur.Cependant, sonexpressionesttoujourslamême:ilcontinuedemedévorerdesyeux.D’unecertainemanière,j’aimeraismieuxqu’ilmedévoretoutcourt.
Ilapprochelamaindemonvisageet lentement,commenceàeffleurermeslèvres.Lasensationestjuste incroyable ; je n’osemêmeplus respirer de peur qu’il n’arrête.C’est hallucinant, comme si sesdoigtsétaientdirectementreliésàtouteslesterminaisonsnerveusesdemoncorps.
—Tuasunejoliebouche,constate-t-il.Jenepeuxpasm’empêcherdelaregarder.—Tudevraisygoûter,jeréponds.Elleestassezdélicieuse.Ilfermelesyeuxenronchonnantetenfouitlatêtedansmoncou.—Arrête,espècedetentatrice.—Pasquestion,jerétorque,amusée.C’esttoiquiasimposécetterègledébile,pourquoiceseraità
moidelafairerespecter?—Parcequetusaistrèsbienquej’airaison.Jenepeuxpast’embrassercesoirparcequesinonon
passeraàl’étaped’après,puisàcelleencored’après,etaurythmeoùvontleschosesentrenous,onseraà court de préliminaires d’ici au week-end prochain. Tu n’as pas envie de faire durer un peu nospremièresfois?
Ilressortlevisagedemoncoupourmecontempler.—Nospremièresfois?jerépète.Ilyenacombien,aujuste?—Pas tantqueça,enfait.C’estpourçaqu’il faut fairedurer leplaisir.Onenadéjàpasséplein
depuisnotrerencontre.Jepenchelatêtedecôtépourleregarderdroitdanslesyeux.—Lesquelles?—Lesplus faciles :premièreétreinte,premier rencard,premièredispute,premièrenuit ensemble
(bienquepourmapartjesoisrestééveillé).Ilnenousenresteplusbeaucoupmaintenant.Premierbaiser.Première nuit ensemble sans dormir. Premier mariage. Premier gosse. Après ce sera fini. Nos viesdeviendrontbanalesetennuyeuses,et jeseraiobligédedemanderledivorcepourépouserunefilledevingtansdemoinsquemoiafindevivrepleind’autrespremièresfoispendantquetuteretrouverasaveclesgossessurlesbras.
Ilprendmajouedanssamainensouriant.— Tu vois, ma belle ? Si je t’impose ça, c’est uniquement pour ton bien. Plus j’attends pour
t’embrasser,plusçarepousselejouroùjedevraitelaisserenplan.J’éclatederire.—Talogiqueestterrifiante.Jecroisquetunemeplaisplustantqueça.Ilseglissesurmoiens’appuyantsurlesmainspoursoutenirsonpoids.—Plustantqueça?Autrementdit,unpetitpeuquandmême.Jefaisnondelatête.—Tunemeplaisplusdutout.Jetetrouverépugnant.Enfait,évitedem’embrasser:jecroisqueje
vaisvomir.Àsontour,iléclatederire.Ilapprochelabouchedemajoueetcolleseslèvresàmonoreille:—Tumens,chuchote-t-il.Tuestotalementsubjuguéeetjevaistoutdesuiteteleprouver.Je ferme lesyeux,haletante, sentant ses lèvres seposerdansmoncou. Ilydéposeunpetitbaiser,
justeendessousde l’oreille, et subitement j’ai l’impressionque lapièce tout entière semet à tournercommedansunmanège.Lentement,ilserapprocheencoreenchuchotant:
—Tuassenti?Jeluifaissignequenon,quoiqueçamanqueunpeudevigueur.—Tuveuxquejerecommence?Têtuecommejesuis,jecontinuedesecouerlatêtemaisdanslefond,j’espèrequ’ilestmédiumet
qu’ilentendlescrisdansmatêteparcequepurée,quec’étaitbon!Ilpeutrecommencerquandilveutetmêmeplutôtdeuxfoisqu’une.
Amusé par mon entêtement, il dévie vers ma bouche, m’embrasse sur la joue et continue de mecouvrirdebaisersjusqu’àl’oreille,oùils’arrêteenchuchotantencore:
—Etlà,c’étaitcomment?Oh,monDieu,jenemesuisjamaisautantpasennuyéedemavie.Ilnem’embrassepas,etpourtant
c’estdéjà lemeilleurbaiserque j’aie jamais reçu. Je ferme lesyeuxcar j’aimebien l’idéedenepassavoircequ’ilvasepasser.Commecettemaininattenduequivientdeseplaquersurl’extérieurdemacuisseetquiremontefurtivement le longdemahanchependantqu’ilenglisseuneautresousmontee-shirt,effleurantleborddemapetiteculotteavantdelaposersurmonventreenlecaressantdoucement.Àcetinstantprécis,jesuispleinementconscientedechacundesesgestes,desonêtretoutentier,àtelpointque je suispresque sûreque jepourrais reconnaître l’empreintede sonpouce lorsd’une séanced’identification.
Ilpromènelenezlelongdemonmenton;enl’entendantrespireraussifortquemoi,j’ailacertitudequ’ilseraincapabled’attendreunautresoirpourm’embrasser.Dumoinsc’estcequejeveuxcroire.
Quandilrevientversmonoreille,cettefois,ilneditrien.Aulieudecela,ill’embrasseetiln’yapas une seule demes terminaisons nerveuses qui ne le ressente.De la tête aux pieds, toutmon corpsréclamesabouche.
Jel’agrippeparlecouetjesensdesfrissonsparcourirsanuque.Iln’enfautpaspluspourlefairetemporairementplier;l’espaced’uneseconde,salangues’aventuresurmapeau.Legémissementquejelaisseéchapperlepousseaucombledel’excitation.
Samain surmahanche remonte subitement jusqu’àma joue et il se jette surmoncou sans aucuneretenue. Je rouvre lesyeux, stupéfaitepar ce revirement. Ilm’embrasse, léchant et enflammant chaquecentimètre carré de ma peau, il ne reprend son souffle qu’en cas d’absolue nécessité. J’aperçois lesétoilesauplafondmaisjen’aimêmepasletempsd’encompterunequemesyeuxserévulsentetquejeréprimedescrisbientropgênantspouroserlespousser.
S’éloignant demon cou, sa bouche se rapproche dema poitrine. Si notre stock de premières foisn’était pas aussi limité, j’arracheraismon tee-shirt et l’obligerais à continuer.Mais il nem’en laisse
mêmepasl’occasion.Remontantversmonmenton,ilmecouvredepetitsbaiserstoutautourdelaboucheenveillantbienànepastoucheruneseulefoismeslèvres.J’ailesyeuxfermésmaisjesenssonsoufflesurmajoueetsaisqu’illuttepournepasm’embrasser.Lorsquejerouvrelesyeuxpourleregarder,ilestànouveauentraindefixermeslèvres.
—Ellessontvraimentparfaites,susurre-t-il,essoufflé.Commedeuxpetitscœurs.Jepourraispasserdesjournéesentièresàlescontemplersansjamaism’ennuyer.
—Pitié,nefaispasça.Situtecontentesdelesfixersansrienfaired’autre,moijevaism’ennuyer,c’estsûr.
Ilgrimace;ilestévidentqu’ilaunmalfouàserefréner.Jenesaispascequ’ilaàfixermabouchecommeçamaispourl’instant,c’estvraimentletrucleplusexcitantdetoutecettesituation.C’estalorsquejefaisquelquechosedetrèsrisqué.Jemelècheleslèvres.Lentement.
Ilronchonneencoreenappuyantsonfrontcontrelemien.Sonbrassedérobesousluietilseretrouvecolléàmoi.Complètement. Intégralement.Ongémitenmêmetempsà ladécouvertedecetassemblageparfait de nos corps et tout à coup, c’est parti. Je remonte son tee-shirt à toute vitesse pendant qu’ils’agenouillepourm’aideràleretireretunefoisqu’ilesttorsenu,jepasselesjambesautourdesataillepourlebloquercontremoi.Lepireseraitqu’ils’écartelà,maintenant.
Alorsqu’ilcolleànouveaulefrontaumien,noscorpss’emboîtentàlaperfectioncommelesdeuxdernières pièces d’un puzzle. Il se balance lentement contre moi et à chaque fois, ses lèvres serapprochentdeplusenplussibienqu’ellesfinissentparfrôlerlesmiennes.Bienquej’enmeured’envie,ilneréduitpasl’écartquilessépare.Nosbouchessontjusteposéesl’unesurl’autre,c’esttout;ellesnes’embrassent pas. Chacun de sesmouvements lui arrache un souffle qui s’engouffre dansma gorge etj’essaiedelesabsorbercarjesensquejevaisenavoirbesoinsijeveuxsurvivreàcemoment.
Ongardecerythmependantplusieursminutescaraucundenousneveutêtrelepremieràinitierlebaiser.Onenmeurttouslesdeuxd’envie,c’estclair,maisilestclairaussiquej’aipeut-êtretrouvéàquiparlerenmatièredetêtedemule.
Unemain sur ma joue, il recule suffisamment le menton pour se passer la langue sur les lèvres.Lorsqu’illesrapproche,l’humiditédesaboucheglissantsurlamiennemesubmergetotalementetjenesuispassûredepouvoirremonteràlasurfaceunjour.
Au moment où il change d’appui, je renverse la tête en arrière en laissant un soupir de plaisirs’échapperdemeslèvres.Jen’avaispasl’intentiondem’éloignerdesonvisage,aucontraire,j’aimaisvraimentbiencetteposition,maisenfindecompte,j’aimeencorepluslasuivante:glissantlesbrasdanssondos, jecale la têtedanssoncoupouravoirunsemblantdestabilitécar j’ai l’impressionquemonuniverstoutentierabasculéetqueHolderestmonseulpilier.
Etpuissoudain,jeprendsconsciencedecequiestsurlepointdeseproduireetintérieurement,jepanique.Misàpartsontee-shirt,onestentièrementhabillésetonnes’embrassemêmepas…pourtantlachambrecontinuede tournersous l’effetdesesoscillationssurmoncorps.S’iln’arrêtepasça toutdesuite,jevaisperdretousmesmoyensetilsepourraitbienquecesoitlemomentleplusembarrassantdemavie.Maissijeluidemanded’arrêter,illeferaetça,çapourraitbienêtrelemomentleplusdécevantdemavie.
J’essaiederespirerpluscalmementetderéduireauminimummessoupirsd’extasemaisj’aiperdutouteformedemaîtrisedesoi.Ilestclairquemoncorpsapprécieunpeutropcesfrottementssansbaiseretjenetrouvepaslaforcedem’yopposer.
—Holder, jemurmurehaletante,enespérantqu’ilvacomprendre toutseulets’arrêterbienquejen’enaiepasvraimentenvie.
Ilfautqu’ilarrête.Ilauraitdéjàdûarrêterdepuiscinqminutes.Envain.Ilcontinuedem’embrasserdanslecouetdesefrotteràmoicommed’autresgarçonsl’ont
faitavant luisaufque là,çan’arienàvoir.C’est totalementdifférentetmerveilleux,etçamepétrifie
littéralement.—Holder.J’essaiedeparlerplusfortmaismoncorpsestàboutdeforce.Ilm’embrassesurlatempeenralentissantlacadencemaissanspourautantarrêter.—Sky, si tumedemandesd’arrêter, je le ferai.Mais j’espèreque c’est pas le cas car jen’en ai
vraimentaucuneenvie,alorss’ilteplaît…Ilreculepourmeregarderdanslesyeuxencontinuantd’ondulercontremoi.Leregardpeiné,craintif,
ilajouted’unevoixessoufflée:—Onn’irapasplusloin,jetelepromets.Maispitié,nemedemandepasd’arrêtermaintenant.J’ai
besoinde te regarder et de t’entendreparceque çame renddinguede savoir que tu ressensvraimentquelquechose,là.Toi,cemoment,nousdeux,c’estfantastique,alorss’ilteplaît.Juste…s’ilteplaît.
Approchantseslèvresdesmiennes,ilydéposelebaiserleplustendrequel’onpuisseimaginer,unaperçusuffisantdecequeceseraquandilm’embrasserapourdevrai.Rienqued’ypenser,j’enaidesfrissons.Ils’immobiliseetseredresseenprenantappuisurlesmains,attendantmadécision.
Dèsqu’il s’écarte,moncœurseserrededéceptionet j’aipresqueenviede fondreen larmes.Pasparcequ’ilaarrêtéouparcequejenesaispasdutoutquoidécider…maisparcequejamaisjen’auraisimaginéquedeuxpersonnespuissentseplaireetquecesoitaussiextraordinaire.Àcroirequelebutdela racehumainedépendentièrementdecemoment,denous.Toutcequecetteplanèteavécuouvivran’estqu’unetoiledefondàcequisepasseentreHolderetmoi,etj’aiaucuneenviequeças’arrête.Au-cune.Jesecouelatêteenavisantsonregardimplorant.
—Continue,jechuchote,incapablederésister.Quoiquetufasses,net’arrêtesurtoutpas.Ilglisselamaindansmoncouenbaissantlatêtepourcollersonfrontaumien.—Merci,souffle-t-ilenserallongeantdoucementsurmoipourreprendrenotrecorpsàcorps.Ilm’embrasseàplusieursreprisesautourdelaboucheenfrôlantmeslèvrespuisdescendlelongde
monmentonetdemagorge.Plusilrespirefort,plusjerespirefortaussi.Plusjerespirefort,plussesbaisersdansmoncousemultiplientetplusnoscorpsoscillentàl’unisson,créantunrythmeterriblementexcitantentrenousqui,àenjugerparmonpouls,vabientôtmemettreK.-O.
Lestalonsenfoncésdanslematelas,jeplantelesonglesdanssondos.Ilcessedem’embrasserpourmecontemplerd’unairpassionné.Unefoisdeplus,ilfixemabouchemaisj’aibeauavoirenviedeleregarderfaire,impossibledegarderlesyeuxouverts.Ilssefermentinvolontairementdèsquelapremièrevaguedefrissonsdéferleenmoi,teluncoupdesemonceàl’approchedecequivasuivre.
—Ouvrelesyeux,demande-t-ild’untonferme.Sijepouvais,jeleferais,maisj’ensuistotalementincapable.—S’ilteplaît.Ilmesuffitd’entendrecemotpourquemespaupièresserouvrent.Au-dessusdemoi,Holdermefixe
avecundésirsi intensequelascèneenestpresqueplusintimeques’ilm’embrassaitréellement.Bienque ce soit extrêmement difficile, je soutiens son regard tout en relâchant les bras pour empoigner lacouette à deuxmains et remercier le karma d’avoir fait entrer ce garçon désespéré dansma vie. Carjusqu’àcetinstantprécis,avantcettemerveilleuseprisedeconscience,jenesavaismêmepascequejeperdais.
Jecommenceàfrissonner.J’aibeaulutter,jen’arriveplusàgarderlesyeuxouvertsalorsjelaissemes paupières retomber. Je sens ses lèvres se poser en douceur sur les miennes mais toujours sansm’embrasser.Inébranlables,nosbouchessontposéesl’unesurl’autretandisqu’ilmaintientsonrythme,laissantunderniergémissement,quelquessoupirsetpeut-êtremêmeunboutdemoncœurs’échapperdemes lèvres et se glisser jusqu’à lui. Comblée, je redescends lentement sur terre et il finit pars’immobiliserpourmelaisserrécupérerdecetteexpériencequi,grâceàlui,bizarrement,n’aurapasétéembarrassantedutoutpourmoi.
Alorsquejetrembledelatêteauxpieds,vidéesurleplanémotionnel,ilcontinuedem’embrasserdanslecou,surlesépaulesettoutautourdelazonequej’aimeraispar-dessustoutqu’ilembrasse:mabouche.
Maisapparemment,ilpréfères’enteniràsadécisionplutôtquedecéderàsondésircarildélaissemesépaulespourapprochermonvisagedusien,refusanttoujoursd’établirlelienultime.
—Tuesfantastique,chuchote-t-ilenmecaressantlefrontpourrepousserunemèchefolle.Cettefois,ilnefixequemesyeux.Satendressecompensesonentêtementetm’arrachemalgrémoiunsourire.Toujourshorsd’haleine,il
selaisseretomberàcôtédemoiens’efforçantdecontenirledésirqui,jelesais,continuedeluifouetterlesang.
Fermantlesyeux,j’écoutelesilencequis’installeentrenoustandisquenosrespirationss’apaisentprogressivement.Cemomentdecalmeetdetranquillitéestsansdouteleplussereinquemonespritaitjamaisconnu.
Holdertendlebrasentrenouset,commes’iln’avaitpaslaforcedetenirmamaintoutentière,enlacemonpetitdoigtaveclesien.Jetrouveçachouette,carsetenirparlamain,onl’adéjàfait,alorsqueparlepetitdoigt,jamais…C’estlàquejeréalisequ’onvientd’ajouteruneautrepremièrefoisàlaliste.Jenesuispastristepourautant.Ilpourraitm’embrasserpourlapremière,lavingtièmeoulamillièmefoisqueçanechangeraitrienàmesyeux:jesuispresquesûrequ’onvientdetoutefaçondebattrelerecorddumeilleurpremierbaiserdanstoutel’histoiredespremiersbaisersetce,sansmêmes’êtreembrassés.
Aprèsunlongmomentdesilence,Holderprendunegrandeinspirationpuiss’assoitenmeregardant.—Ilfautquej’yaille.Jenetiendraipasunesecondedeplussurcelitavectoi.Têtepenchée,jeleregarded’unairabattuseleveretremettresontee-shirt.Voyantquejefaislatête,
ilme fait ungrand sourire et se penche au-dessusdemoi, sonvisageplanant dangereusement près dumien.
—Quandjet’aiditquejenet’embrasseraispascesoir,j’étaissérieux,Sky.Maisbonsang,j’étaisloind’imaginerqueceseraituntelsupplicederésister.
Alorsqu’ilglisselamainsurmanuque,jesouffledoucementpourquemoncœurrestebiensagementàsaplaceetévited’exploser.Ilm’embrassesurlajoueetjedevinesonhésitationalorsqu’ils’écarteàcontrecœur.
Sansmequitterdesyeux, ilpartà reculons.Avantdes’éclipser, il sort son téléphone,pianotesurl’écranpendantquelquessecondesetlerangedanssapoche.Surce,ilmesouritetsefaufiledehorsenescaladantlafenêtrequ’ilrefermeaussitôtderrièrelui.
Bizarrement,jetrouvetoutdesuitelaforcedemeleveretdecourirdanslacuisine.J’attrapemontéléphoneet,commejem’endoutais,j’aiunnouveautextodelui.Quinecontientqu’unmot:
Fantastique.
Jesouriscarc’estvrai.C’étaitabsolumentfantastique.
Treizeansplustôt
—Coucou.Jegardelatêteenfouiedansmesbras.Jeneveuxpasqu’ilmevoieencorepleurer.Jesaisbien
qu’il ne se moquera pas, il ne ferait jamais ça. Elle non plus. Honnêtement, je ne sais même paspourquoijepleureetjevoudraisbienqueças’arrête.Maisrienàfaire,j’yarrivepasetçam’énerve,çam’énerve,çam’énerve!
Ilss’assoientprèsdemoisurletrottoir,chacund’uncôté.Jegardelatêtebaisséemaisjeneveuxpasqu’ilss’enaillent,çamefaitdubienqu’ilssoientlà.
—Tiens,çateréconforterapeut-être,dit-elle.Jenousenai fabriquéunpourchacuneàl’écoleaujourd’hui.
Puisqu’elleneledemandepas,jeneregardepas,maisjesensqu’elleposequelquechosesurmesgenoux.
Jeneréagispas.J’aimepaslescadeauxetj’aiaucuneenviedel’ouvrirdevantelle.Levisagetoujourscaché,jecontinuedepleurerenmedemandantcequipeutbienclocherchez
moi.J’aiforcémentunproblème,sinonjenememettraispasdanscetétatchaquefoisqueçaarrive.Puisquec’estnormalqueçaarrive.C’estPapaquiledit.C’estnormaletilnefautpasquejepleure:çalerendtrès,trèstriste.
Ilsrestentassisàcôtédemoiunbonmomentmaisjesaispascombiendetempsexactementcarjesaispassilesheuressontpluslonguesquelesminutes.Ilsepenchepourmechuchoteràl’oreille:
—N’oubliepascequejet’aidit.Tuterappellescequetudoisfairequandtuestriste?Jefaisouidelatêtesansleregarder.J’aifaitcommeiladitmaisjerestetristequandmême.Ils restent encore quelques heures, ou quelques minutes, puis la fille se relève et s’en va.
J’aimeraisbienqu’ilsrestentencoreuneminuteoudeuxheures.Ilsnemedemandentjamaiscequinevapas.C’estpourçaquejelesaimebeaucoupetquej’aimeraisbienqu’ilsrestent.
Soulevant le coude pour jeter un coup d’œil par-dessous, j’aperçois ses pieds qui s’éloignent.J’attrapesoncadeaupourlepalper.Ellem’afabriquéunbracelet.Ilestélastiqueetviolet,etilyadessusunpendentifenformededemi-cœur.Jeleglisseàmonpoignetensouriantbienqueleslarmescontinuentdecouler.Quand je relève la tête, il est toujours là,àmeregarder. Ila l’air tristeet jem’enveuxparcequej’ail’impressionquec’estàcausedemoi.
Ilselèveetsetournefaceàmamaison.Illacontempleunlongmomentsansriendire.Ilréfléchittoujoursbeaucoupetjemedemandebienàquoiilpensedanscescas-là.Ilsedétournedelamaisonpourmeregarderencore.
—Net’enfaispas,dit-ilavecunsourireunpeuforcé.Ilnevivrapaséternellement.Iltournelestalonsetrentrechezlui.Alorsjefermelesyeuxetreposelatêtesurmesbras.Jenecomprendspascequi luiaprisdedireça.Jeneveuxpasquemonpapameure…jeveux
justequ’ilarrêtedem’appelersaprincesse.
Lundi3septembre2012
7h20
Jenelesorspassouventmaisbizarrement,aujourd’hui,j’aibesoind’yjeterunœil.Jesupposequed’avoirévoquélepasséavecHoldersamedisoirm’arendueunpeunostalgique.Jesaisbienquejeluiaiditquejamaisjepartiraisàlarecherchedemonpèremaisparfois,malgrétout,çam’intrigue.C’estplusfortquemoi,jemedemandecommentunparentpeutéleverunenfantpendantplusieursannéespouraufinall’abandonner.Jenecomprendraijamaisetaufondjen’aipeut-êtrepasbesoindecomprendre.C’estpourçaquejen’insistepas.JenequestionnejamaisKaren.Jen’essaiejamaisdefaireletrientrerêveetréalitédansmessouvenirsetjen’aimepasenparler…Jen’enressenspaslebesoin,toutsimplement.
Jesorslebraceletducoffretpourleglisseràmonpoignet.Jenesaispasquimel’aoffertetàvraidire,çam’estunpeuégal.Jesuissûrequedurantlesdeuxanspassésenfamilled’accueil,pleind’amisontdûm’offrirdescadeaux.Maisladifférenceaveccelui-ci,c’estqu’ilestliéauseulsouvenirquej’aigardédecetteanciennevie.Cebraceletmeconfirmequejen’airieninventé.Etd’unecertainemanière,savoirquecesouvenirestréelmeprouvequej’aiétéquelqu’und’autre,avant.Unefilledifférente,quipleuraitbeaucoupetquej’aioubliée.Unefillequineressembleenrienàcellequejesuisaujourd’hui.
Unjour,jejetteraicebraceletàlapoubelle,illefaudra.Maisenattendant,j’aienviedeleporter.
***
AvecHolder,onadécidédeselaisserunpeurespirer.Etc’estlecasdeledire:samedisoir,onapassépasmaldetempsenapnéetotale.Enplus,Karenallaitrentreretladernièrechosequejevoulais,c’étaitluiprésenterunenouvellefoismonnouveau…bref.Onn’estpasallésassezloinpourdonnerunnomofficiel à notre relation. J’ai le sentiment que je ne le connais vraiment pas assez pour l’appeler«moncopain»,surtoutsachantqu’onnes’estmêmepasencoreembrassés.Maisenattendant,rienqued’imaginersabouchesurcelled’uneautrefillemerendhystérique.Alorsqu’onsorteensembleoupas,jedéclare notre relation officiellement exclusive. Mais est-ce au moins possible d’avoir une relationexclusive sans s’être embrassés ? Est-ce qu’avoir une relation exclusive et sortir ensemble, c’estincompatible?
Jesuismortederiretouteseuleavecmesquestions.Ouplutôt«mdr».Hiermatin,auréveil,j’avaisdeuxnouveauxmessages.Jecommencevraimentàprendregoûtàces
histoiresdetextos.Dèsquej’enreçoisun,jesuistoutexcitéealorsjen’osepasimagineràquelpointlese-mails,Facebooketlesnouvellestechnologiesdoiventrendreaccro.UndesmessagesprovenaitdeSixquiinsistaitsurmesformidablestalentsdepâtissièreavantd’exigerquejel’appellesansfautedimanche
soirdepuisletéléphonefixedechezelleafindeluiracontertouteslesdernièresnouvelles.Jel’aifait.OnabavardépendantuneheureetelleestaussidéroutéequemoiparlefaitqueHoldernesoitpasdutoutlegarçonqu’onimaginait.Jel’aiquestionnéeàproposdeLorenzo,maisellenevoyaitmêmepasdequi je parlais, alors j’ai éclaté de rire et laissé tomber. Elle me manque et j’ai horreur qu’on soitéloignéesmaiselleseplaîtbeaucouplà-basalorsçamerendheureusepourelle.
LesecondtextoétaitdeHolder.Ildisaitsimplement:
J’appréhendedeterevoiraulycéelundi.C’estl’horreur.
Avant,lemomentfortdemesjournées,c’étaitquandjecourais.Maintenantc’estquandjereçoisdestextos insultantsdeHolder.D’ailleurs, enparlantdecourir etdeHolder,onaarrêté.Dumoins,de lefaireensemble.D’unéchangedetextoshier,onaconcluqueceseraitmieuxdenepluscourirensembletous les jourscarça feraitpeut-être trop, tropvite. Je lui aiditque jenevoulaispasque la situationdeviennebizarreentrenous.Enplus,çamemetvraimentmalà l’aised’être toutensueur, lagoutteaunez,de respirer commeunbœufetde sentirmauvaisdevant lui, alors en findecompte, j’aimemieuxcourirseule.
Àprésent,plantéefaceàmoncasier,jeregardedroitdevantmoipouressayerdegagnerdutempscarje n’ai aucune envie d’aller en cours. C’est la première heure et mon seul créneau en commun avecHolder.Ducoup, je redoute la façondont leschosesvontsedérouler.Jesors le romandeBreckindemonsacàdosainsiquelesdeuxautreslivresquejeluiaiapportés,puisjerangelerestedemesaffairesdanslecasier.J’entredanslaclasseetmarchejusqu’àmaplacemaisniBreckinniHoldernesontencorearrivés.Jem’assoisenfixantlaportesanstropsavoirpourquoijesuisaussitendue.Simplement,levoirici plutôt que chezmoi, surmon territoire, ça n’a rien à voir.L’écolepublique, c’est vraiment trop…public.
La porte s’ouvre et Holder entre, bientôt suivi de Breckin. Ilsme sourient tous les deux, puis sedirigentvers le fondde la salle,HolderdescendantunealléeetBreckinuneautre,ungobeletdecafédanschaquemain.Holderarriveàmahauteuretcommenceàs’installeraumomentoùmonmeilleuramidetoutl’universvapourdéposerlescaféssurlatable.Retenantleurgeste,ilsselancentunregardpuissetournentsimultanémentversmoi.
Tropbizarre.Alorsjefaislaseulechosequejesachefairedanslessituationsgênantes: insufflerunetouchede
sarcasme.—Messieurs,ondiraitqu’onaunpetitsouci,jerailleenlesregardanttouràtour.Puisjejetteuncoupd’œilaucaféquetientBreckin.—Jevoisquelemormonaapportésonoffrandedecaféàlareine?Trèsimpressionnant.JemetourneversHolderenhaussantunsourcil.—Ettoi,jeunetatouédésespéré,as-tuunprésentàm’offrirafinquejechoisisselequeld’entrevous
metiendracompagniesurletrônelycéenaujourd’hui?Interloqué,Breckinmefixecommesij’étaisdevenuefolletandisqueHolderramassesonsacàdos
enriant.—J’enconnaisunequiauraitbesoind’unpetittextodésobligeant!IlbalancesonsacàdossurlachaiselibredevantBreckinets’arrogelaplace.Cedernier,toujoursdebout,tientlesdeuxcafésd’unairtotalementperplexe.Jetendslebraspourlui
enprendreun.—Félicitations,cherchevalier.Tues l’éludu jourdeSaMajesté.Assieds-toi.Leweek-endaété
chargé.
Lentement,Breckinposelatassedevantluiet, toutenmedévisageantavecméfiance,ilfaitglissersonsacàdosdesonépaule.Assisdeprofilàsatable,Holderm’observe.
— Breckin, je te présente Holder, j’annonce en agitant la main vers l’intéressé. On ne sort pasensemblemaissi jamais je leprendsen traind’essayerdebattre le recorddemeilleurpremierbaiseravecuneautrefille,iln’auratrèsviteplusl’occasiond’embrasserquiquecesoit.
Lesourcilhaussé,Holdermefixe,unsourires’ébauchantaucoindeseslèvres.—Çavautpourtoiaussi,réplique-t-il.Torturéeparsesadorables fossettes, jedoismeforcerà le regarderdroitdans lesyeuxaurisque,
sinon,decéderàuneenvieirrésistiblequiseraitmotifàuneexclusiontemporaire.D’ungeste,jedésigneBreckin:—Holder,jeteprésenteBreckin,monnouveaumeilleuramidetoutl’univers.BreckinjaugeHolderduregardtandisqu’ilsouritenluitendantlamain.Hésitant,Breckinfinitparla
serrerpuisretiresonbrasetsetourneversmoienplissantlesyeux:—Est-cequececopainavecquitunesorspasestconscientquejesuismormon?Jehochelatête.—Enfindecompte,Holdern’aaucunproblèmeaveclesmormons.Uniquementaveclescons.BreckinéclatederireetseretourneversHolder.—Ehbien,danscecas,bienvenuedanscettealliance.Holderesquisseunsourireenguisede réponsemais il a surtout lesyeux rivés sur songobeletde
café.—Jecroyaisquelesmormonsn’avaientpasledroitàlacaféine?Breckinhausselesépaules.—J’aidécidéd’enfreindrecetterèglelejouroùjemesuisréveilléenréalisantquej’étaishomo.Holders’esclaffe,Breckinsourit,et toutvapour lemieuxdans lemeilleurdesmondes.Dumoins,
celuidelapremièreheuredecours.Çavaallercommesurdesroulettes.Enfait,jecroisquejevienssubitementdeprendregoûtàl’écolepublique.
***
Après le cours,Holdermesuit jusqu’àmoncasier.Onne sedit rien. Jechangede livrespendantqu’ilarrachedenouveauxmotsd’insultessurmaporte.Iln’yavaitquedeuxpost-itaujourd’hui,çamedéçoitunpeu.Lesgensjettentfacilementl’éponge,etpourtantcen’estqueladeuxièmesemainedecours.
Holderfroisselespost-itenbouleetlesenvoieparterred’unechiquenaudependantquejerefermemoncasieretme tournevers lui.Faceà face,uneépauleappuyéecontre lesarmoiresmétalliques,ons’observe.
—Tut’escoupélescheveux,jeconstatesubitement.Illestripoteenaffichantungrandsourire.— Eh oui. C’est à cause de cette nana que je fréquente, elle n’arrêtait pas de s’en plaindre. Ça
devenaitpénible.—J’aimebien.—Tantmieux.Pinçantleslèvres,jecommenceàmebalancerd’avantenarrière.Ilestàcroquer,avecsonsourire.
Sionn’étaitpasdansuncouloirbondé,jel’attraperaisparlecolpourl’attirerversmoietluimontreràquelpointj’aienviedeledévorer.Maisjechassecetteidéeetluirenvoiesonsourire.
—Onferaitbiend’allerencours.—Sûrement,concède-t-ilsansbouger.
Onrestelàencoreunetrentainedesecondesjusqu’àcequejemeredresseenriantetcommenceàm’éloigner.Ilm’attrapeparlebrasetmetiresiviteenarrièrequej’enailesoufflecoupé.Enunriendetemps,jemeretrouveplaquéedosaucasieretilseplantedevantmoi,mebloquantlepassageavecsesbras.Unsourirediaboliqueauxlèvres,ilinclinesonvisageverslemien,approchelamaindroitedemajoueetm’attrapedélicatementlementon.Dupouce,ilmecaresseleslèvresetunefoisdeplus,jedoismerappelerqu’onestenpublicetquedansl’immédiat,jenepeuxpasagirsouslecoupd’impulsions.Fautedepouvoirencorecomptersurmesjambespourmeporter,jem’appuiecontrelarangéedecasierspourtenterdecompenser.
—Jeregrettedenepast’avoirembrasséesamedisoir,confesse-t-il.Ilbaisselesyeuxpourregardermeslèvresqu’ilcontinuedecaresser.—Jen’arrêtepasdemedemanderquelgoûttuas.Appuyant le pouce surma bouche, il pose très brièvement la sienne dessus sans enlever samain.
Ensuite,trèsvite,sabouchedisparaît,sonpouceaussi,etc’estseulementunefoisquelecouloircessedetourner,etquejeparviensàmeredresser,quejeréalisequeluiaussiadisparu.
Jenesaispassijevaispouvoirsupportercepetitjeuencorelongtemps.Çamerappellematiradehystérique de samedi soir, quand je voulais qu’il m’embrasse dans la cuisine pour qu’on en finisse.J’étaisloind’imaginercequim’attendait.
***
—Raconte.LemotestsimplemaisaumomentoùjeposemonplateauenfacedeBreckin,j’ensaisisexactement
touteslesimplications.Amusée,jedécidedetoutluiraconterendétailavantqueHoldernesepointe.Sitoutefois il sepointe.Non seulementonn’apasdéfininotre statut relationnelmais enplusonn’apasdiscutédelarépartitiondesplacesàlacantine.
— Il a débarqué chezmoi vendredi soir et après quelquesmalentendus, on a fini par comprendrequ’ons’étaitmalcompris.Ensuite,onafaitdesgâteaux,jeluiailuunpeudepornoetilestrentréchezlui.Lelendemainsoir,ilestrevenu,ilm’apréparéàdîner,etaprèsonestallésdansmachambre…
Jem’interrompsenvoyantHolders’installeràcôtédemoi.—Continue,suggère-t-il.J’aimeraisbiensavoircequ’onafaitensuite.Roulantdesyeux,jepivoteversBreckinenreprenant:—Ensuiteonabattulerecorddumeilleurpremierbaiserdansl’histoiredespremiersbaiserssans
mêmes’embrasser.Breckinacquiesceprudemmentencontinuantdemescruterd’unairsceptique.Voireintrigué.—Impressionnant.—C’étaitàmourird’ennui,ceweek-end,raconteHolderàBreckin.Enmevoyantrire,Breckinmedévisageencorecommesij’étaisdingue.—Holderadores’ennuyer,jedispourlerassurer.C’estuncomplimentdanssabouche.Son regardoscille quelques secondes entreHolder etmoi, puis il finit par hocher la tête d’un air
consternéavantd’attrapersafourchette.—Engénéral, ilyapeudechosesquim’embrouillent, souligne-t-ilenpointantsa fourchettevers
nous,maisalorsvous,vousêtestrèsforts.Totalementd’accord,jehochelatête.Onpoursuitledéjeunerenbavardanttouslestroisdefaçonplusoumoinsnormaleetsympathique.
HolderetBreckincommencentàparlerdulivrequecedernierm’aprêté,etsientendreHolderdébattred’unromansentimentalestdéjàdivertissantensoi,levoirsedisputeravecBreckinausujetdel’intrigue,
c’estcarrémentadorable.Àlalimitedusupportable.Detempsentemps,ilposelamainsurmacuisse,mecaresselebasdudosoumeplanteunbisoudanslescheveux;sesgestessontspontanés,commeunesecondenature,etàmesyeuxilssontsignificatifs.
J’essaie d’assimiler le changement par rapport à la semaine dernière, mais je n’arrive pas àm’enleverdelatêtequetoutvapeut-êtretropbienentrenous.Quellequesoitnotrerelationetquoiqu’onfasse,çaparaîttoujourstropbeau,tropbien,tropparfait.Ducoup,çamefaitpenseràtouscesbouquinsque j’ai lus et au fait que, quand les choses deviennent trop belles, trop bien, trop parfaites, c’estuniquementparcequetoutecetteperfectionn’apasencoresubil’irruptiond’unterriblerebondissementetsoudainje…
—Sky?ditHolderenfaisantclaquersesdoigtsdevantmonnez.Tournantlatête,jelevoismedévisagerd’unairprudent.—T’étaispartieoù?Jesourisensecouantlatêtecarj’ignorecequiadéclenchécettepetitecrisedepaniqueintérieure.—Ilfautquet’arrêtesdet’absentercommeça,ajoute-t-ilenglissantlamaindansmescheveuxpour
mecaresserlapommette.Çamefaitunpeuflipper.—Désolée,jefaisenhaussantlesépaules.Jemelaissefacilementdistraire.Levantlamainpoursaisirlasienne,jel’écartedemoncouenlaserrantd’unemanièrerassurante.—Jet’assure.Çava.Soudain,sonregarddéviesurmamain. Il la retourne, remontemamanchepuisme tord lepoignet
dansunsenspuisdansl’autre.—Oùest-cequetuaseuça?demande-t-ilenfixantmonpoignet.Baissantlesyeuxpourvoirdequoiilparle,jemerendscomptequejeporteencorelebraceletque
j’ai réessayé cematin. Il me regarde avec insistancemais je hausse les épaules. Je ne suis pas tropd’humeuràexpliquersaprovenance.C’estcompliquéetilvaposeruntasdequestionsalorsquelapausedéjeunerestpresqueterminée.
—Oùest-cequetul’aseu?répète-t-il,cettefoisd’untonunpeuplusexigeant.Son emprise sur mon poignet se resserre tandis qu’il me dévisage froidement, attendant une
explication.Jeretirebrusquementmamaincarjen’aimepaslatournurequeçaprend.—Tucroisquec’estunmecquimel’aoffert,c’estça?jelance,sidéréeparsaréaction.Jenel’imaginaispastropdugenrejaloux,maisilfautdireaussiqueçaneressemblepastropàdela
jalousie:çatientplusdudélire.Sansmerépondre,ilcontinuedemefixerd’unœilmauvaiscommesij’avaisungrosaveuàluifaire
etquejem’yrefusais.Jenesaispascequ’ilespèreenadoptantcetteattitudemaisilesttrèsprobablequ’elleluivailleunegifleplutôtqu’uneexplicationdemapart.
Malàl’aise,Breckinn’arrêtepasderemuersursachaiseets’éclaircitlavoixendisant:—Hé,Holder.Ducalme,mec.MaisHolder reste demarbre. Son regard devient peut-êtremême encore plus froid. Il se penche
légèrementenavantetbaisselavoix:—Quit’aoffertcefichubracelet,Sky?Saquestioncommenceàmepeserdefaçoninsoutenableet touslesvoyantsrougesquiclignotaient
dansmatêtelorsdenotrepremièrerencontresontentraindeserallumer,saufquecettefoisilssesonttransformésengrosnéons.Bienconsciented’avoirlaboucheouverteetunairahuri,jesuissoulagéequel’espoirnesoitpasunobjetconcret.Sinon,n’importequipourraitvoirtouslesmienss’écrouler.
Holderfermelesyeuxets’accoudeàlatable.Lefrontappuyécontresespaumes,ilprendunegrandeinspiration.Jenesaispastrops’ilfaitçapoursecalmerlesnerfsoupours’empêcherdehurler.Passantlamaindanssescheveux,ilsetientlanuque.
—Faischier!lâche-t-ild’untonbrutalquimefaitsursauter.
Subitement,ilselèveets’envaenlaissantsonplateausurlatable.Jelesuisduregardtandisqu’iltraverse le réfectoire sans se retournerune seule fois.D’ungestebrusque, ilpousse laporteàdoublebattantetsort.Cen’estquelorsquelesbattantss’immobilisentcomplètementquejerelâchemonsouffle.
J’imagined’icilatêtestupéfaitequejedoisavoirquandjemeretourneversBreckin.Jemerepassementalementlesdeuxdernièresminutesdelascène.Breckintendlebrasau-dessusdelatablepourmeprendrelamainmaisneditrien.Etiln’yarienàdire.
Lasonnerieretentit,déclenchantunbrouhahadanslacantine,maisjesuisincapabledebouger.Alorsque tout lemonde s’active,débarrassant etvidant sonplateau,notre table resteunmondeàpart, figé.Finalement,Breckinmelâchelamain,emportenosplateaux,puisilrevientprendreceluideHolderetterminederangerlatable.Ilattrapemonsacàdosetmeprendparlamainpourm’obligeràmelever.Ilmeguidehorsduréfectoire.Ilnem’accompagnepasjusqu’àmoncasierouàmasalledecours,non.Ilme tire simplement par la main jusqu’à ce qu’on se retrouve dehors, sur le parking, où il ouvre uneportièreetmepoussedoucementdansunevoitureinconnue.Ils’installeauvolant,metlecontact,puisilpivoteversmoi.
—Jenediraimêmepascequejepensedecequivientdeseproduirelà-bas.Toutcequejesais,c’estqueçacraintetjemedemandecommenttufaispournepasêtreenlarmes,alorsquejesaisqueçat’ablessée,voirevexée.Alorsrienàfoutredescours.Onvamangeruneglace.
Ilpasselamarchearrièreetsortdesaplace.Je dois dire qu’il est fort parce que j’étais à deux doigts d’éclater en sanglots en entrant dans sa
voituremaismaintenantqu’ilaprononcécesmots,j’airetrouvélesourire.—J’adorelaglace.
***
Laglacem’afaitdubien,quoiquepeut-êtrepastantqueça.Breckinvientdemedéposeràmavoitureetjesuisassiseauvolant,incapabledebouger.Tristesse,peur,colère:jepassepartouteslesémotionsquidéferlentaprèsunescènepareille,maisjenepleurepas.
Pasquestion.Enarrivantchezmoi,jedécidedefairelaseulechosequimeferavraimentdubien:courir.Saufque
lorsquejerentreetquejemeglissesousladouche, jemerendscompteque,pasplusquelaglace, lejoggingn’aétéd’ungrandréconfort.
Machinalement, jesuismaroutinecommen’importequelautresoirde lasemaine: j’aideKarenàpréparerlerepas,jedîneavecelleetJack,jefaismesdevoirs,jebouquine.J’essaiedefairecommesiçanem’atteignaitpasdutoutcarj’aimeraisvraimentquecesoitlecas.Maisdèsquejememetsaulitetque j’éteins la lumière, je recommenceàcogiter.Saufquecette fois, jenevaispasbien loincar jerestebloquéesuruneseuleetmêmepensée:maisqu’est-cequ’ilattendpours’excuser?
J’espéraisplusoumoinsqu’ilm’attendeàmavoiturequandjesuisrevenuedemaviréeglaceavecBreckin,maisnon, iln’yétaitpas.Enmegarantdans l’alléedevantchezmoi, jem’attendaisà levoirapparaître,prêtàramper,àmesupplieretàmefourniraumoinsunetoutepetiteexplication,maisnon,riennonplus.J’aigardémonportablecachédansmapoche(Karennesaittoujourspasquej’enaiun)etj’aivérifiémesmessagesàlamoindreoccasionmaisleseulquej’aireçuprovenaitdeSixetjenel’aimêmepasencorelu.
Alors voilà, maintenant je suis couchée, j’écrase mes oreillers entre mes bras et je m’en veuxterriblementdenepaséprouveruneforteenvied’allerlancerdesœufssursamaison,creversespneusetluibalanceruncoupdepiedlàoùjepense.Jem’enveuxparcequejesaisquec’estcequejevoudrais:
être énervée, follede rage, impitoyable.Ce seraitmille foismieuxquecettedéceptionque je ressensdepuisquej’aiprisconsciencequeleHolderquej’aiconnuceweek-end…n’existemêmepas.
Mardi4septembre2012
6h15
Les yeux ouverts, j’attends d’avoir compté mes soixante-seize étoiles pour me lever. Alors jerepousselacouetteetenfilematenuedefooting.Unefoismafenêtrefranchie,jemefige.
Ilsetientsurletrottoir,dosàmoi,lesmainsjointessurlatête,lesmusclesdorsauxcontractésparunerespirationdifficile.Apparemmentilestenpleinfootingmaiscommejenesaispastrops’ilm’attendous’il faitsimplementunepause,parhasard,devantchezmoi, je reste immobileet j’attends,espérantqu’ilreparte.
Envain.Auboutdedeuxminutes, je finispar trouver lecouraged’avancer sur lapelouse.Enentendant le
bruitdemespas,ilseretourne.Dèsquenosregardssecroisent,jem’arrêteetlefixe–nid’unairfurieuxnienfronçantlessourcils,etcertainementpasensouriant.Jelefixe,c’esttout.
Jene lui ai jamaisvuun tel regard.Le seulmotqui convientpour ledéfinir, c’est le regret.Pourautant, ilnedit rien.Autrementdit, ilnes’excusepas,autrementdit, jen’aipas le tempsde jouerauxdevinettes.J’aijustebesoindecourir.
Je passe devant lui et je démarre. Au bout de quelques foulées, je l’entends se mettre à courirderrièremoimais je continue de regarder droit devant. Il ne cherche pas du tout àme rattraper pourrégler son pas sur le mien et je m’applique à ne pas ralentir car je tiens justement à ce qu’il restederrière.Àunmomentdonné,jecommenceàaccéléreretàcourirdeplusenplusvite,aupointdepiquerunsprint,maisilsuitmonrythme,toujoursàdistance.Quandonarriveaupoteauquimesertderepèrepourfairedemi-tour,jem’efforcedenepasleregarder.Jepassedevantluipourrepartirendirectiondechezmoi,etlasecondepartiedufootingsedérouleexactementcommelapremière.Danslecalme.
Onestàmoinsdedeuxpâtésdemaisonsdelamienneetjesuisfurieusequ’ilaiteuleculotdesepointeraujourd’hui,etencoreplusqu’ilnesesoittoujourspasexcusé.J’accélère,sansdouteplusquejenel’aijamaisfait,maisilcontinuedes’adapteràlafouléeprès.Çamefoutencoreplusenrogne,alorsaumomentdetournerdansmarue,jemedébrouillepouraccélérerencoreetjefonceaussivitequejepeuxmaiscen’estpasencoreassez:ilesttoujourslà.Lesjambescoupées,jemedonnetellementàfondquejen’arrivemêmeplusàrespirer,maisilnemerestequesixmètresàparcouriravantd’atteindremafenêtre.
Jen’enfaisquetrois.Dèsquejeposelespiedssurlapelouse, jem’écrouleàgenouxeninspirantàpleinspoumons.De
toutemaviejen’aijamaisétéaussiépuisée.Jeroulesurledosdansl’herbe;elleestencorehumidederosée mais la sensation sur ma peau est agréable. Les yeux fermés, hors d’haleine, je souffle sibruyammentquec’estàpeinesi j’entendsHolderrespirer.Pourtant je lesais, ilest toutproche,surla
pelouse,àcôtédemoi.Cettescène–tousdeuxétendusimmobiles,cherchantàreprendrenotresouffle–merappellel’autresoir,quandonétaitdanslamêmepositionsurmonlitetqu’onseremettaitdetoutessescaresses.Jecroisqu’ils’ensouvientaussicarjesenssonpetitdoigtseglisserjusqu’aumienpourleserrer.Saufquecettefois,jenesourispas,jemecrispe.
Écartantlamain,jebasculesurlecôtépourmerelever.Jeparcourslestroismètresquimeséparentencoredechezmoi,mehissedansmachambreetrefermelafenêtrederrièremoi.
Vendredi28septembre2012
12h05
Çavabientôtfaireunmois.Iln’estjamaisrevenucouriravecmoi,pasplusqu’ilnes’estexcusé.Ilnes’assoitplusàcôtédemoiencoursouàlacantine.Ilnem’envoieplusdemessagesd’insultesetnesepointepluschezmoileweek-endavecunepersonnalitédifférente.Laseulechosequ’ilfait,dumoinsjepensequec’estlui,c’estenleverlespost-itcolléssurmoncasier.Ilyatoujoursdesboulettesdepapieréparpilléessurlecarrelageducouloir.
Oncontinueàvivremaischacundenotrecôté.Quoiqu’ilensoit,avecousanslui,letempspoursuitsaroute.Etpluslesjourspassentetm’éloignentdeceweek-endaveclui,pluslesquestionss’accumulentdansmatête–questionsquejemerefuseàposer.
J’aimeraissavoircequiluiaprisl’autrejour,pourquoiiln’apassimplementlaissétomberaulieudepartircommeill’afait,furieux.J’aimeraissavoirpourquoiilnes’estpasexcusécarjesuisquasimentsûrequejeluiauraisdonnéunechance.Saréactionétaitdingue,bizarre,unbrinpossessive,aussi,maiscomparéeàtoussescôtésmerveilleux,jesaisqueçan’auraitpaspesélourddanslabalance.
Breckinn’essaiemêmeplusdecomprendre,alorsjefaisminequemoinonplus.Maisaufond,c’estfaux,j’essaieencore,etcequimetracasseleplus,c’estquetoutcequis’estpasséentrenouscommenceàmeparaîtreirréel,commesicen’avaitétéqu’unrêve.Jemesurprendsàmedemandersicefameuxweek-endavraimenteulieuunjour,ousic’estencoreundecessouvenirsquirestentàprouveretquej’aipeut-êtreinventés.
Depuisunmois,cequimepréoccupepar-dessustout(etj’aiconsciencequec’estpitoyable),c’estquejen’aijamaiseul’occasiondel’embrasser.J’encrevaistellementd’envie;rienquedepenserquejenesauraijamaisquelgoûtontseslèvres,jeressenscommeuntroubéantdansmapoitrine.Notrefacilitéàcommuniquer,safaçondemetouchercommesic’étaitlachoselaplusnaturelleaumonde,sesbaisersdansmescheveux: touscespetitsdétailsfaisaientpartied’untoutbienplus important.Quelquechosed’assezfortqui,mêmesionnes’estjamaisembrassés,mériteraitunpeudeconsidération,derespectdesapart.Ilsecomportecommesicelienquicommençaitàsetisserentrenousavaitétéuneerreuretçafaitmal.Carjesaisqueceliennaissant,ill’aressentiluiaussi.J’ensuissûre.Etsiçaluiafaitlemêmeeffetqu’àmoi,alorsjesaisqu’illeressentencore.
Je n’ai pas le cœur brisé et toute cette histoire ne m’a toujours pas arraché une seule larme.Heureusement, on ne peut pasmebriser le cœur.Pour ça, encore faudrait-il que je le donne.Mais jen’auraispasl’arrogancedenierquecetteaffairemerendunpeutristeetjesaisqu’ilmefaudradutempspourl’oubliercarilmeplaisaitvraimentbeaucoup.Enfinbon,çava.Jesuisunpeutristeetfranchementperplexe,maisçava.
***
—C’estquoi?jedemandeàBreckinenfixantlatable.Ilvientdeposerunpaquetdevantmoi.Unpaquetjolimentemballé.—Justedequoinepasoublier.—Nepasoublierquoi?jerépondsenlefixantd’unairinterrogateur.Ilpousselepaquetversmoienriant.—Quedemain,c’esttonanniversaire.Allez,ouvre!Levantlesyeuxauciel,jepousseungrossoupirenrepoussantlepaquet.—J’espéraisquetuauraisoublié.Ilattrapelecadeauetlereposedevantmoi.—Ouvre-moicefoutucadeau,Sky.Jesaisquetuashorreurd’enrecevoirmaismoij’adoreenoffrir.
Alorsarrêtedefairetagarcedépriméeetouvrecepaquet,disquetutrouvesçagénialetserre-moidanstesbraspourmeremercier.
Àcontrecœur,jepoussemonplateaudecôtéetrapprochelepaquet.—Tufaisbienlespaquetscadeau,jeconstateendéfaisantlenœudavantdedéchirerlepapieràune
extrémité.Lesourcilarqué,jescrutelaphotosurlaboîte.—Tum’asachetéunetélé?Breckinéclatederireenmefaisantnondelatête,puisilsoulèvelaboîtedevantmesyeux.—C’estpasunetélé,andouille.C’estuneliseuse.—Ah,OK.Jenesaispasdutoutcequec’estqu’uneliseusemaisquelquechosemeditquejenesuispascensée
enavoirune.Auquelcas,jel’accepteraicommej’aiacceptéleportabledeSix,saufqueça,c’esttropgrospourquejeleplanquedansmapoche.
—T’essérieuse,là?s’étonne-t-ilensepenchant.Tunesaispascequec’estqu’uneliseuse?Jehausselesépaulespourtouteréponse.—Jetrouvequandmêmequeçaressembleàunemini-télé.Hilare,ilouvrelaboîtepourensortirlaliseuse,puisill’allumeetmelatend.—C’estunappareilélectroniquequicontientplusdelivresquetunepourrasjamaisenlire.Aprèsavoirenfoncéunboutonquiaaussitôtallumél’écran,ilpromènelesdoigtsdessusenappuyant
parendroitsjusqu’àcequetoutelasurfacesoitcouvertededizainesdepetitesphotosdelivres.Jetouchel’uned’elles,etalors l’écransemodifieet lacouvertureapparaîtengrosplan.Breckinglisse ledoigtdessus,lapagesetournedefaçonvirtuelleetle«ChapitreUn»apparaîtsousmesyeux.
Imitantaussitôtsongeste,jeregardechaquepagedéfilersanseffort,l’uneàlasuitedel’autre.C’estletrucleplusfascinantquej’aiejamaisvu.J’appuiesurd’autresboutons,cliquesurdenouveauxromanset feuillette davantage de chapitres. Honnêtement, je crois que je n’ai jamais vu une invention aussipratiqueetaussiadmirable.
—Lavache,jechuchoteencontinuantdefixerlaliseuse.J’espèrequ’iln’estpasentraindemepréparerunsaletourparceques’ilessaiedemelareprendre,
jeparsencourant.—Çateplaît?s’enquiert-ilfièrement.Jet’aitéléchargéenvirondeuxcentsœuvresgratuites,donctu
devraisêtretranquillepourunmoment.Quand je relève la tête, il a le sourire jusqu’auxoreilles.Alors je repose la liseuseetplongeau-
dessusdelatablepourmejeteràsoncou.C’estleplusbeaucadeauqu’onm’aitjamaisoffert.Jesuisvraiment contente et je le serre de toutesmes forces dansmes bras, et tant pis si en principe je suis
censéeêtrenullequand il s’agitd’accepteruncadeau.Breckinm’étreint aussi enm’embrassant sur lajoue.Quand je le lâcheenfinet rouvre lesyeux,monregardsepose involontairementsur la tablequej’essayaisjustementd’éviterdepuisbientôtunmois.
Retournésursachaise,Holdernousobserve.Ilsourit.Cesouriren’ariendecynique,dedragueuroudesinistre.Non,c’estunsourireengageantmaisdèsquejel’aperçois,uneimmensevaguedetristessedéferleenmoi,alorsjedétournelesyeuxversBreckin.
Jemerassoisenreprenantlaliseuse.—Tuveuxquejetedise,Breckin?Tuesvraimentunmecgénial.—C’estmoncôtémormon,sourit-ilenmefaisantunclind’œil.Onestdesgensassezformidables.
Vendredi28septembre2012
23h50
C’est le dernier jour de mes dix-sept ans. Karen est repartie vendre ses produits à son habituelmarchéauxpucespourleweek-end.Elleafailliannulerparcequ’elles’envoulaitd’êtreabsentepourmonanniversairemaisjel’enaiempêchée.Àlaplace,onafêtéçahiersoir.Sescadeauxétaientsympas,maissanscomparaisonaveclaliseuse.Jen’aijamaisétéaussiimpatientedepasserunweek-endtouteseule.
Jen’aipaspréparéautantdegâteauxqueladernièrefoisqueKarens’estabsentée,loindelà.Nonque je sois devenue moins gourmande, je crois juste que mon penchant pour la lecture a atteint denouveaux sommets. Bientôt minuit, j’ai les yeux qui se ferment tous seuls mais j’ai presque lu deuxromansenentier etdois absolument finir celui-ci.Aprèsavoir encorepiquédunez, jeme réveille ensursautettentedelireundernierparagraphe.Breckinavraimentbongoûtenmatièredelittératureetjesuislimitevexéequ’ilaitmisunmoisàmeparlerdecelui-là.Jesais,d’habitudejenesuispasfandeshistoiresoù toutsefinit toujoursbiendans lemeilleurdesmondesmaissicesdeuxpersonnages-làneconnaissentpasunhappyenddignede cenom, jeme téléportedans cette liseusepour les enfermer àjamaisdansleurfoutugarage.
Les paupières lourdes commedu plomb, je lutte pour les garder ouvertesmais lesmots à l’écrancommencentàdevenirflousetjenecomprendsmêmepluscequejelis.Jefinisparéteindrel’appareiletmalampedechevet,nonsansrepenseraufaitqueledernierjourdemesdix-septansauraitdûêtremillefoismieuxquecequ’ilaété.
***
Sansbouger,j’ouvrelesyeux.Ilfaitencorenuitetjesuisdanslamêmepositionquetoutàl’heuredonc je saisque jeviensdem’endormir. Je retiensmonsoufflepourécouter lebruitquim’a tiréedusommeil:celuidemafenêtrequicoulisse.
J’entendsd’icilesrideauxraclersurlatringleetquelqu’unsefaufileràl’intérieur.Jedevraissansdoutecrier,meprécipitervers laporteouaumoins repérerunobjetquipourraitmeservird’armededéfensemaisnon,jerestefigéecarquiquecesoit,cevisiteurnecherchepasdutoutàêtrediscret,alorsjenepeuxqueprésumerqu’ils’agitdeHolder.Néanmoins,moncœurbatfortettouslesmusclesdemoncorpsse raidissentensentant lematelasbouger tandisqu’il s’assoit.Plus il se rapproche,plus j’ai lacertitudequec’estluicarpersonned’autreneprovoquechezmoiunetelleréactionphysique.Sentantla
couettesesoulever,jefermelesyeuxenmecouvrantlevisagedesmains,totalementterrifiéecarj’ignorequelHolderestentraindeseglisserdansmonlitàcetinstant.
Passant un bras sousmon oreiller, ilm’enlace fermement de l’autre en joignant nosmains puis ilm’attirecontresontorseetenfouitlatêtedansmoncou.J’aitoutàfaitconsciencequejeneportequ’undébardeur et une culottemais je suis sûre que ce n’est pas pour ça qu’il est là. En fait, vu qu’il n’atoujourspasouvert labouche, jenepourraispasaffirmeraveccertitudelaraisondesavenue.Entoutcas,ilsaitquejenedorspas.Jesaisqu’illesaitcardèsqu’ilm’aprisedanssesbras,j’aiétoufféunpetit cri de surprise. Il me serre de toutes ses forces, plantant de temps à autre un baiser dans mescheveux.
Jesuisfurieusequ’ilsoitvenumaisencoreplusd’enêtrecontente.Bienquej’aieenviedeluicrierde partir, à mon grand étonnement, j’aimerais aussi qu’il me serre un tout petit peu plus fort, qu’ilverrouillesesbrasautourdemoietjettelacléducadenascarsaplaceestici.Maisj’aipeurqu’ilnemelâcheunenouvellefois.
Çamerenddinguequesapersonnalitéaittantdefacettesquejen’arrivepasàcernermaisaufond,jenesaismêmepassiçam’intéresseencore.Ilyachezluideschosesquej’adore,d’autresquejedétesteetd’autresencorequim’angoissentoumefascinent.Maisilyaaussicettefacettedeluiquin’arrêtepasdemedécevoir…etc’estcequ’ilyadeplusduràaccepter.
Onresteétenduslà,danslesilencecomplet,pendantpeut-êtreunedemi-heure.Seulecertitude:iln’aabsolumentpasdesserré sonétreinte, pasplusqu’il n’a cherchéà s’expliquer.Maisbon, cen’estpasnouveau.Àmoinsquejeneposedesquestions, ilnemedirajamaisrien.Seulement,pourl’instant, jen’aipasenviedelequestionner.
Relâchant mes doigts, il pose la main sur le dessus de ma tête, plante un autre baiser dans mescheveuxpuisrepliesonbrassousl’oreillerenmeberçantdoucement,latêtetoujoursenfouiedansmoncou.Sonbrascommenceàtrembler;laforceetledésespoiraveclesquelsilmeserrecommencentàmefendrelecœur.Mapoitrinesesoulèveaveceffort,j’ailesjouesenfeuetlaseulechosequim’empêchedepleurer,c’estlefaitquej’ailesyeuxbienfermés:çaempêcheleslarmesdecouler.
Je ne supporte plus ce silence, et si je ne vide pas entièrement mon sac dans les secondes quiviennent,ilsepeutquejehurle.Jesaisquemavoixseraempreinted’unebonnedosedechagrinetdetristesseetquejevaisavoirdumalàarticulermaistantpis,j’inspireungrandcoupetjeluidislachoselaplussincèrequejepuisseluidire:
—Jesuisvraimentencolèrecontretoi.Comme si c’était possible, il se débrouille pourme serrer encore plus fort enm’embrassant tout
doucementsurleborddel’oreille.—Jesais,Sky…Glissantlamainsousmontee-shirt,illaposeàplatsurmonventreensecollanttoutcontremoi.—Jesais,répète-t-iltoutbas.C’estincroyablel’effetquepeutproduirelesond’unevoixqu’onrêvaitd’entendre.Letempsqu’il
prononcecescinqpetitsmots,moncœurestpasséàlamoulinettepuisonl’aremisdansmapoitrineenespérantqu’ilsauraitencorecommentbattre.
Agrippantcettemainfermementposéesurmonventre,jelaserresanstropréfléchir,brûlantcorpsetâmedeletoucherpourêtresûrequ’ilestbeletbienlà.J’aibesoindesavoirquetoutçaestréeletquecen’estpasjusteunrêvepénétrantdeplus.
La bouche entrouverte, il m’embrasse l’épaule. Le contact de sa langue sur ma peau déclencheaussitôtuneondedechaleurdansmonventre,quisepropageviolemmentjusqu’àmesjoues.
—Jesais,répète-t-ilencoreenexplorantlentementmaclaviculeetmoncou.Je garde les yeux fermés car la détresse de sa voix et la douceur de ses caressesme donnent le
vertige.Levant lebras, jepasse lamaindanssescheveuxenpressantdavantagesa têtedansmoncou.
Sonsoufflechauddevientdeplusenplussaccadéetnosrespirationss’emballenttandisqu’ilcouvreetrecouvredebaiserschaquerecoindemoncou.
Après s’être redressé en appui sur unbras, ilme fait pivoter sur le dos puis repousse unemèchedevantmesyeux.Enlevoyantsiprès,touslessentimentsquejeressensdepuisledébutpourcegarçonrejaillissent…Toussansexception,lesbonscommelesmauvais.Jenecomprendspasqu’ilpuissem’enfairevoirdetouteslescouleursalorsquelechagrindanssesyeuxestsifrappant.J’ignoresic’estparcequejen’arrivepasàlecernerousi,aucontraire,c’estparcequejelecernetropbien,maisàcetinstant,jedevinequ’ilpartageexactementlesmêmessentiments…Cequirendsoncomportementd’autantplusdéroutant.
—Jesaisquetum’enveux,Sky.Ettuasraison,ilfautquetum’enveuilles.Sonregardcommesesmotssontempreintsderemordsmaisilnes’excusetoujourspas.—Maissurtout,ilnefautpasquetumerepousses.Lecœurserré,jefaisuneffortsurhumainpourcontinuerderespirernormalement.D’unsignedetête,
j’acquiesce,onnepeutplusd’accordaveclui.Jesuisfollederagecontreluimaisj’aipar-dessustoutbesoinqu’ilsoitlà,prèsdemoi.Ilposelefrontcontrelemienetonseregardedanslesyeux,éperdus.Jenesaispastrops’ils’apprêteàm’embrasser.Jenesaismêmepass’ilnevapasseleveretrepartir.Maseulecertitudeàcet instantprécis,c’estqu’aprèssavisite, jeneseraiplus jamais lamême.Jesais,àcetteespècedeforced’attractionquesonexistenceexercesurmoncœur,ques’ilmefaitencoresouffrir,çan’iraplus,loindelà.Jeseraianéantie.
Nos poitrines se soulèvent et retombent doucement à l’unisson tandis que le silence et la tensions’épaississent.Jeressenslecontactdesesmainssurmonvisagecommes’ilm’étreignaittoutentière.Lemomentestsi intensequedeslarmescommencentàmepiquerlesyeux,etcetteémotioninattenduemedécontenancecomplètement.
—Jesuisvraimentencolèrecontretoi,Holder,jerépèted’unevoixàlafoistremblanteetassurée.Maismalgrétout,jen’aipascesséuneseconded’avoirenviedeteretrouver.
Bizarrement,ilsouritetfroncelessourcilsenmêmetemps.—NomdeDieu,Sky,soupire-t-il, levisage torduparun immensesoulagement.Tum’as tellement
manqué!Ilbaisseaussitôtlatêtepourposersabouchesurlamienne.Cettesensationsefaisaitdésirerdepuis
silongtemps;luicommemoin’avonspluslapatienced’attendre.Jeréagistoutdesuiteenentrouvrantleslèvrespourlaissersondélicieuxgoûtdechewing-gumàlamentheetdesodam’envahir.Cebaiserestconformeàtoutcequej’imaginais,etplusencore:doux,brusque,bienveillant,égoïste.Àluiseul,ilenditpluslongsursessentimentsquetoutcequ’ilapumedirejusqu’ici.Enfinnoslèvress’entrelacentetquecesoitpourlapremière,lavingtièmeoulamillièmefois,aufondpeuimportecarcebaiserestjusteparfait.Ilestincroyable,divin,etcequ’onatraversépourenarriverlàenvalaitpresquelapeine.
Toutens’embrassantpassionnément,onfaitensortedesecollerdavantagel’unàl’autre,pourquecetteharmonieparfaitequiunitnosbouches,noscorps la trouventaussi. Ilm’embrasseavecautantdedélicatesse que d’ardeur, ma bouche s’accordant au moindre de ses mouvements. Je laisse échapperplusieursgémissementsetautantdesoupirs,etsabouchen’enperdpasunemiette.
Ons’embrasseencoreetencoredans toutes lespositions imaginablesenessayantdenouscontenirmalgrélaviolencedenotredésir.Ons’embrassesilongtempsquejefinisparneplussentirmeslèvresetêtresiépuiséequejenesaismêmeplussions’embrasseencoreaumomentoùilappuiesatêtecontrelamienne.
Etc’estdanscettepositionprécisequel’ons’endort:frontcontrefront,blottisl’uncontrel’autreensilence.Carentrenous,toutleresteestimplicite.Mêmelesexcuses.
Samedi29septembre2012
8h40
Jemeretournepourinspecterlelit,croyantàmoitiéquej’airêvétoutcequis’estpassécettenuit.Holderestpartimaisàsaplace,ilyaunepetiteboîte.Jel’attrape,meredressepourm’adosseràlatêtedelitetlafixeunbonmomentavantdemedécideràsouleverlecouverclepourendécouvrirlecontenu.Ondiraitunecartedecrédit;jelasorspourl’examiner.
Ilm’aachetéunecartedetéléphoneprépayéespécialeSMS.Avecunénormecréditdessus.Je souris, conscientedu sens cachéde ce cadeau.Toutpart dumessageque lui a envoyéSix : en
décodé,ilabienl’intentiondeluipiquersacopineetilcompteaussiluiprendrepasmaldesontemps.L’idéemefaitsourireetjetendstoutdesuitelebrasverslatabledenuitpourattrapermonportable.J’aiuntextononludelui:
T’asfaim?
C’estcourtetsimple,maisc’estsafaçonàluidemefairesavoirqu’ilesttoujourslà.Pasloin.Est-cequ’ilestentraindepréparerlepetitdéjeuner?Avantd’allerdanslacuisine,jepasseparlasalledebainsmebrosserlesdents,puisj’enlèvemondébardeurpourenfilerunepetiterobed’ététoutesimpleetattachemes cheveux en queue-de-cheval.Observantmon reflet dans lemiroir, je vois une fille qui aterriblementenviedepardonneràungarçonmaispassanslefairerampercommeunfouavant.
Quandj’ouvrelaportedemachambre,l’odeuretlegrésillementdubaconquicuitmeparviennentdepuislacuisine.Jeremontelecouloir,tourneauboutetm’arrêteuninstantpourl’observer.Ilmetourneledosets’affairedevantlacuisinièreenfredonnanttoutbas.Ilestpiedsnusetporteunjeanainsiqu’untee-shirtblancunisansmanches.Ilsesentànouveaucommechezluietjenesaispastropsil’idéemeplaît.
—Jesuispartidebonneheurecematin,explique-t-il,toujoursdedos,parcequej’avaispeurquetamèrenedébarqueetpensequej’essayaisdetemettreencloque.Ensuite,enfaisantmonfooting,jesuisrepassédevant chez toi et j’ai réaliséque lavoiturede tamèren’étaitmêmepas là. Jeme suis alorssouvenuquetum’avaisparlédecesmarchésauxquelselleparticipeunweek-endparmois.J’aidécidéd’allerfairequelquescoursesparcequej’avaisenviedetepréparerlepetitdéj’.J’aimêmefailliacheterdequoitecuisinerledéjeuneretledînermaisfinalement,jemesuisditqu’ondevraitprendrelesrepasunparunaujourd’hui.
Ilseretournefaceàmoienmedévisageantdelatêteauxpieds.—Joyeuxanniversaire.Trèsjolie,tarobe.J’aiachetéduvrailait,t’enveux?
Jem’approchedubarsanslequitterdesyeux,tentantd’assimilerlaprofusiondemotsquiviennentdesortirdesabouche.Jetireunechaisehauteetm’assieds.Ilmesertunverredelait,bienquejen’aiepasditque j’envoulais,puis il leglissedevantmoi, tout sourire. Jen’aipas le tempsd’enboireunegorgéequ’ils’approcheetm’attrapeparlementon.
— Il faut que je t’embrasse. Ta bouche était tellement exquise cette nuit que j’ai peur d’avoircomplètementrêvé.
Ensentantlacaressedesalangue,jecomprendstoutdesuitequ’onvaavoirunsouci.Ses lèvres,sa langueetsesmainssontdesarmessi irrésistiblesque jen’arriverai jamaisà rester
fâchéecontrelui tantqu’ilpourras’enservircontremoi.Jel’attrapeparlecolpourcollermaboucheencore plus fort à la sienne tandis qu’il m’empoigne les cheveux dans un gémissement, avant de merelâcherbrusquement.
—Hénon,sourit-ilenreculant.J’avaispasrêvé!Repartantvers lacuisinièrepouréteindrelefeu, il transfèrelebacondansuneassiettedéjàgarnie
d’œufs sur le plat et de pain grillé, puis il l’apporte au bar et nous sert. Après quoi, il s’installe etcommenceàmanger.Iln’arrêtepasdemesourireetsubitement,çafaittilt.
Je sais. Je comprends ce qui cloche chez lui. Je sais pourquoi il est tantôt joyeux, tantôt fâché,lunatique,incohérent;finalement,c’estcomplètementlogique.
—Est-cequ’onaledroitdejoueràQuestionsPourUnDîneralorsquec’estl’heuredupetitdéj’?s’enquiert-il.
J’acquiesceenprenantunegorgéedelait.—Àconditionquejeposelapremièrequestion.—Jecomptaistelaissertouteslesquestions,àvraidire,sourit-ilenposantsafourchettesurlebord
desonassiette.—J’aiseulementbesoindeconnaîtrelaréponseàunequestion.Poussantunsoupir,ilselaisseallerenarrièrecontresondossieretbaisselesyeuxencontemplant
ses mains. À son regard fuyant, je comprends qu’il sait déjà que je sais. Sa réaction est celle dequelqu’unquiculpabilise.Jemepencheenlefixantd’unœilmauvais.
—Depuiscombiendetempstutedrogues,Holder?Brusquement, ilmedévisage, imperturbable,mais je tiensbon,histoirequ’il comprenneque jene
lâcherairientantqu’ilnem’aurapasditlavérité.Leslèvrespincées,ilcontempledenouveausesmains.L’espaced’uninstant, jemedisqu’ils’apprêtepeut-êtreàdécamperpourfuir ladiscussionmaisc’estalorsquesonvisagelaisseapparaîtrequelquechoseauqueljenem’attendaispasdutout:unefossette.
Grimaçant,iltentederesterdemarbremaissonsourireencoinfinitparlaisserplaceàunimmenseéclatderire.
Unfourirequin’enfinitplusetquim’agaceprodigieusement.—Sijemedrogue,moi?raille-t-ilentredeuxricanements.Sérieusement,tucroisça?Il continue de glousser jusqu’à ce qu’il se rende compte que je ne trouve pas ça drôle du tout et
finisseparsecalmereninspirantungrandcoup.Alorsiltendlebraspourmeprendrelamain.—Jenemedroguepas,Sky.Jet’assure.Jenesaispascequit’afaitcroireçamaisjetejureque
c’estvrai.—Maisalorsc’estquoi,tonproblème?Àcettequestion,saminesedécomposeetilmelâchelamain.—Tuveuxbienêtreplusprécise?S’appuyantdenouveaucontresondossier,ilcroiselesbrassurlapoitrine.—Bien sûr, je réponds en haussant les épaules.Qu’est-ce qui nous est arrivé et pourquoi tu fais
commesiderienn’était?
Le coude posé sur la table, il observe son bras. Lentement, il suit du doigt chaque lettre de sontatouage, l’air très absorbé. Je n’ai jamais rien entendu d’aussi bruyant que le silence qui plane entrenous.Retirantsonbrasdelatable,ilrelèvelesyeux.
—Jenevoulaispastedécevoir,Sky.Toutemavie,j’aidéçulesgensquim’aimaient,etaprèsl’autremidià la cantine, j’ai suque je t’avaisdéçueaussi.Alors… je t’aiquittéeavantque tucommencesàt’attacher.Sinonj’auraiseubeauessayerdenepastedécevoir,lecombatétaitperdud’avance.
On devine les excuses, la tristesse et les regrets derrière lesmotsmais il reste incapable de lesexprimeràvoixhaute. Ilaeuune réactiondisproportionnéeet s’est laisséemporterpar la jalousie. Ilauraitsuffidetroismotsdesapartpournouséviterunmoisentierdemalaise.Perplexe,jesecouelatêtecardécidément je ne comprendspas.Pourquoi est-cequ’il nem’apas tout simplementdit : « Je suisdésolé»?
—Pourquoitunet’espassimplementexcusé,Holder?Qu’est-cequiteretenait?Ilsepenchepourmereprendrelamainetmeregardedroitdanslesyeux.—Jenesuispasentraindem’excuser,Sky…carjesuisimpardonnable.Latristessedanssonregardreflètesansdoutelamienne,maisjenetienspasàcequ’illaremarque.
Jeneveuxpasqu’ilmevoietriste,alorsjefermelesyeux.Ilmelâchelamainetjel’entendscontournerlebarjusqu’àcequesesbrasviennentm’envelopperpourmesoulever.Ilmehissesurleplandetravaildesortequenosyeuxseretrouventàlamêmehauteuretaprèsavoirrepoussélamèchesurmonvisage,ilm’obligeàrouvrirlesyeux.Lessourcilsfroncés,ilmecontempled’unairsincèrementpeinéquimefendlecœur.
—J’aimerdé,mabelle.Etplusd’unefois,jelesais.Maiscrois-moi,l’autrejouràlacantine,ilnefautpasquetuaiespeur,cen’étaitpasunecrisedejalousieoudecolère.J’aimeraispouvoirt’expliquerpourquoij’aieucetteréactionmaisjenepeuxpas.Unjour,sûrement,maispourl’instantjenepeuxpasetilfautquetul’acceptes.S’ilteplaît.Maisjenem’excuseraipas,carjeneveuxpasquetuoubliescequis’estpasséetjet’interdisdemelepardonner.Jamais.Nemecherchepasd’excuses,Sky.
Ilsepenchepourmefaireunpetitbaiser,puisilreculeetajoute:—J’aipréféréprendremesdistancesettelaisserm’envouloirparcequec’estvrai,j’aibeaucoupde
problèmes.Seulementjenesuispasprêtàt’enparler.Etj’aifaittoutmonpossiblepourt’oubliermaisenfaitj’ensuisincapable.Jenesuispasassezfortpournieréternellementcequisepasseentrenous.Ethierauréfectoire,quandtuasprisBreckindanstesbrasenriant…?C’étaitgénialdetevoirheureuse,Sky.Mais j’aurais tellement voulu être celui qui te faisait rire comme ça !C’était un supplice que tupuissespenserquejen’enavaisrienàfairedenousouquel’autreweek-endavectoiétaitunweek-endcomme un autre. C’est tout le contraire : c’était lemeilleur week-end de toutema vie. Je te jure, lemeilleurdetoutel’histoiredesweek-ends.
Moncœurbat à tout rompre,presqueaussi rapideque son flotdeparoles.Lâchantmonvisage, ilmecaresselescheveuxpuiscroiselesmainssurmanuque.Ilnebougeplusetsecalmeenprenantunegrandeinspirationpuisreprend:
—Çame tue,Sky, dit-il d’unevoixbeaucoupplusposée.Çame tue car je n’ai pas envieque tupassesun jourdeplussanssavoirceque je ressenspour toi. Jenesuispasprêtà tedireque je suisamoureuxde toicarcen’estpas lecas.Pasencore.Maisquellequesoit lanaturedemessentiments,c’estbienplusquedel’attachement.Tellementplus!Çafaitdessemainesquej’essaiedefairelepoint,de comprendre pourquoi il n’existe pas d’autresmots pour décrire ça. J’aimerais pouvoir t’expliqueravecprécisioncequejeressensmaisjetrouvepasunseulmotdanscefichudictionnairequidécrivecestadeentrel’«affection»etl’«amour».Pourtant,ilfautquejetrouve.Jeveuxteledire.
M’attirant contre lui, ilmecouvredepetitsbisous trèsbrefs, reculant à chaque foispourvoirmaréaction.
—Disquelquechose,implore-t-il.
Encroisant son regard angoissé, pour lapremière foisdepuisnotre rencontre… je croisque je lecomprends.Entièrement.Enréalité,s’ila toutescesréactions,cen’estpasàcaused’unepersonnalitécomplexe,non;DeanHoldern’aqu’uneseulefacette.
C’estunpassionné.Unpassionné de la vie, de l’amour, desmots, deLess.Et je parie que sans le savoir, il vient de
m’ajouteràlaliste.L’intensitéqu’ildégagen’estpasdérangeante…elleestmerveilleuse.Pendantdesannées,à lamoindreoccasion, j’aicherchéà rester insensible.Maisen lisant l’enthousiasmedanssesyeuxàcetinstant,j’aienviederessentirtouteslesémotionsdelavie:lesbonnescommelesmauvaises,lesmomentsdegrâceetdedisgrâce,lesplaisirsetlessouffrances.J’aienviedetoutça.Commelui,jeveuxdésormaisvivrechaqueexpériencedelavieàfond.Etpourcommencer,jevaisdéjàrépondreàcegarçonfaceàmoi,quimeparleàcœurouvert,cherchantlemotjustepourm’aideràredonnerdusensàmonexistenceetàmesentirplus…
Vivante.Lemotm’apparaîtsoudaincommeuneévidence,commes’ilavait toujoursétélàenfiligraneentre
«affection»et«amour»danslespagesdudictionnaire.—Vivant.Ledésespoirdanssesyeuxs’estompelégèrementtandisqu’illaisseéchapperunpetitrireinterloqué.—Quoi,vivant?répète-t-ilétonnéenrentrantlementon.—Plusqu’attachémaispastoutàfaitamoureux,tutesensvivant.Tupeuxutiliserleverbevivre,si
tuveux.Riantencore, cette foisd’unair totalementapaisé, ilmeprenddans sesbraspourm’embrasseret
soufflesurmeslèvres:—Situsavaiscommejetevis,Sky.
Samedi29septembre2012
9h20
Je ne sais pas comment il fait mais ça y est, je l’ai totalement pardonné, je suis folle de lui etmaintenantjenepeuxplusm’arrêterdel’embrasser.Toutçaenl’espacedequinzeminutes.Ilavraimentlechicpour trouver lesmots.Çamedérangedemoinsenmoinsqu’il soitaussi lentà ladétente.Lesmainssurmataille,ils’écarteensouriant.
— Alors, qu’est-ce que tu as envie de faire pour ton anniversaire ? demande-t-il en m’aidant àredescendreducomptoir.
Aprèsm’avoirencorerapidementembrasséesurlabouche,ilpartrécupérersonportefeuilleetsesclésposéssurlatablebassedusalon.
—On n’est pas obligés de sortir. Je ne te demande pas de jouer les G.O. parce que c’est monanniversaire.
Glissantsesclésdanslapochedesonpantalon,ilmelanceunregard,unsouriremalicieuxaucoindeslèvres.
—Qu’est-cequ’ilya?T’asunaircoupable,toi.Ilhausselesépaulesenriant.—Non,jepensaisjusteàcequejepourraisfairepourtedivertirsionpassaitlajournéeici.C’est
bienpourçaqu’ilfautqu’onsorte.Etc’estbienpourçaquejepréféreraisrester.—Onpourraitallervoirmamère,jepropose.—Tamère?Ilmeregardeavecméfiance.—Oui.Elletientunstandd’herboristerieaumarché.C’estlàqu’ellevacertainsweek-ends.Jen’y
vaisjamaisparcequ’elleyrestequatorzeheuresetjefinisparm’ennuyer.Maisc’estundesplusgrandsmarchésauxpucesdumondeetj’aitoujourseuenvied’alleryfaireuntour.Cen’estqu’àuneheureetdemiederouted’ici.Etilsvendentdeschurros…,j’ajoutepouressayerderendrel’idéeséduisante.
Holderrevientversmoietmeprenddanssesbras.—Situveuxalleraumarché,alorsbanco,onyva.Jeretournevitemechangerchezmoi,faireun
truc,etjepasseteprendredansuneheure,OK?J’acquiesce d’un signe de tête. Je sais bien que ce n’est qu’une virée aumarchémais je suis aux
anges. Jeme demande commentKaren va réagir enme voyant débarquer à l’improviste avecHolder.Étantdonnéquejeneluiaipastropparlédelui,çam’embêteunpeudeleluiprésenteraupiedlevé,commeça,maisd’unautrecôté,ellenepeuts’enprendrequ’àelle-même.Siellen’étaitpascontretouteformedetechnologie,j’auraispul’appelerpourlaprévenir.
Holderm’embrasseunedernièrefoisavantdesedirigerverslaporte.—Unedernièrechose!jelanceaumomentoùils’apprêteàsortir.Iltournelatête.—C’estmonanniversaireetlesdeuxderniersbisousquetum’asfaitsétaientassezminables.Situ
tiensàcequejepasselajournéeavectoi,jeteconseilledecommenceràm’embrassercommeunpetitcopainleferaitavecsa…
Dèsquelemotm’échappe,jem’interromps.Onn’atoujourspasqualifiénotrerelationetvuqu’onvient de se rouler des pelles pendant unedemi-heure,mon emploi nonchalant dumot « petit copain »ressembleàunerépliquedignedupetitMatt.
—Jeveuxdire…Bafouillant,jefinisparrenonceretmetairepourdebon.Jenepourraipasrattraperlecoup.Toujours planté dans l’entrée,Holderme regarde à nouveau avec cet air bien à lui, impassible et
muet.—Jerêveoutuviensdem’appelertonpetitcopain?demande-t-ileninclinantlatête,lessourcils
haussésetl’airintrigué.Laquestionn’a pas l’air de le faire rire et cette réalitém’arracheunegrimace.Bon sang, tout ça
paraîttellementpuéril.—Pasdutout,jerétorqueobstinémentencroisantlesbras.Iln’yaquelesgaminsdequatorzeans
quidisentça.Levisagetoujoursimpassible,ils’avanceunpeuversmoiets’arrêteàmoinsd’unmètreenimitant
maposture,brascroisés:— C’est vraiment dommage parce que quand j’ai cru que tu parlais de moi comme de ton petit
copain,çam’adonnéenviedet’embrassercommeunfou.Les yeuxmi-clos, ilme toise d’un air coquin qui détend aussitôtmon estomac noué. Tournant les
talons,ilrepartversl’entrée.—Onseretrouvedansuneheure.Ilouvrelaporteetseretourneunedernièrefoisavantdepartirtranquillementenmetaquinantavec
sonsourireenjouéetsesfossettesàcroquer.—Holder,attends,jesoupireenlevantlesyeuxauciel.Ils’arrêteets’appuiefièrementcontrelechambranle.—Dépêche-toi de venir embrasser ta copine pour lui dire au revoir, je dis en me sentant aussi
ringardequecettephrase.Jubilant, il revientdans le salon,glisse lamainaucreuxdemes reinsetm’attirecontre lui.C’est
notrepremierbaiserdeboutetj’adoresafaçondemetenird’ungesteprotecteur.Ilm’effleuredoucementlajoueetmepasselamaindanslescheveuxenapprochantseslèvres.Pourunefois,ilnefixepasmabouche.Ilmeregardedroitdanslesyeuxetlessienssontempreintsd’uneexpressionquejen’arrivepastropàidentifier.Cen’estpasdudésir,cettefois;ondiraitplutôtdelagratitude.
Le regard toujours plongé dans le mien, il maintient l’écart entre nos lèvres. Ce n’est pas pourm’allumeroumepousserà l’embrasser lapremière. Ilmecontempleavec tendresseetgratitude,c’esttout, et ça suffit à me faire littéralement fondre. Les mains posées sur ses épaules, je les remontelentementdanssoncouetsescheveux,savourantcetinstantdegrâce.Sapoitrinesesoulèveaurythmedemarespirationetilcommenceàmedévorerdesyeux,parcourantchacundemestraits.Sousl’intensitédesonregard,jemesensramollirdelatêteauxpiedsmaisheureusement,ilmetienttoujoursfermementparlataille.
Appuyant le front contre le mien, il pousse un long soupir en me regardant d’un air subitementdifférent, presque peiné. Alors je m’empresse de lui caresser doucement les joues pour tenter del’apaiser.
—Sky,dit-ilenmefixantavecsérieux.Il prononce mon nom comme s’il était sur le point d’ajouter quelque chose de profond, mais il
s’arrête là.Approchant lentement labouche, ilprendunegrande inspirationetm’embrasseavecforce.Puisils’écarteetmeregardeànouveaudanslesyeux.Personnenem’ajamaissavouréecommeluietc’estabsolumentmerveilleux.
Ilbaisseànouveau la têtepourhapperma lèvreduhautavec les siennesetm’embrasseavecunegrandedouceur, commesimaboucheétait très fragile. Je l’entrouvrepour l’inviter à approfondir sonbaiser–cequ’ilfait,maislàencore,çarestetrèsdoux.Unemainsurmanuque,l’autresurmataille,ildégusteetattiselentementchaquerecoindemabouche.Cebaiseresttoutàsonimage:réfléchietjamaispressé.
Alorsmêmeque jevaissuccombercorpsetâmeàsonétreinte, il s’écarte lentement.Rouvrant lesyeux,jelaisseéchapperunsoupirvraisemblablemententremêlédecesmots:
—Ohlàlà!Maréactionfébrilelefaitsourired’unairbéat.—C’étaitnotrepremierbaiserofficielentantquecouple.J’attendsquelapaniques’emparedemoi…envain.—Uncouple,jerépètecalmement,songeuse.—Exactement.Ilatoujoursunemainaucreuxdemesreinsetjesuisblottiecontrelui,levisagelevétandisqu’ilme
contemple.—T’enfaispas,ajoute-t-il,j’informeraimoi-mêmeGrayson.Etsijelerevoisposeruneseulefois
lamainsurtoi,luietmonpoingreferontconnaissance.Samaindansmondosréapparaîtpourseglissersurmajoue.—Ilfautvraimentquej’yaillemaintenant.Onseretrouvedansuneheure.Jetevis.Ilm’embrasserapidementsurlabouche,puisilreculeetseretourneverslaporte.—Holder? jedisdèsque j’ai remisassezd’airdansmespoumonspourparler.Qu’est-ceque tu
veuxdirepar«referontconnaissance»?Tut’esdéjàbattuavecGrayson?Sonvisagesevidedetouteexpressiontandisqu’ilhochetrèslégèrementlatête,leslèvresserrées.—Jetel’aidit.C’estpasunmecbien.Quandlaporteserefermederrièrelui,jemeretrouveseuleavecencoreplusdequestions.Comme
d’habitude.Jedécidedefairel’impassesurladouchepouraujourd’huietd’appelerplutôtSixcarj’aibeaucoup
dechosesàluiraconter.Filantdansmachambre,jemeglisseparlafenêtrepuisfaiscoulisserlasiennepourmeglisseràl’intérieur.J’attrapeletéléphoneprèsdesonlitetsorsmonportablepourconsulterleSMS qu’ellem’a envoyé pourme donner son numéro international.Aumoment où je commence à lecomposer,unnouveautextodeHolderarrive.
Çam’angoissedepassertoutelajournéeavectoi.Jepensepasdutoutqueçavaêtresympa.Etpourinfo,tapetiterobetemetpasvraimentenvaleuretelleestbcptropestivalemaissurtoutnetechangepas.
Jesouris.Cegarçonabeauêtredésespéré,jemesensvraimentvivanteaveclui.JecomposelenumérodeSixetm’allongesursonlit.Auboutdelatroisièmesonnerie,ellerépond
d’unepetitevoix.—Coucou,c’estmoi.Tudors?Jel’entendsbâillerd’ici.—Plusmaintenant.Maisàl’avenir,situpouvaistenircomptedudécalagehoraire,ceseraitcool.Jeris.
—C’est l’après-midi chez toi, je te signale.Mêmesi je tenais comptedudécalagehoraire, çanechangeraitrienavectoi.
—J’aieuunematinéedifficile,sedéfend-elle.Tapetitetêtememanque.Quoideneuf?—Pasgrand-chose.—Menteuse.T’asl’airtellementjoyeusequec’enestpénible.J’imaginequeHolderettoivousêtes
finalementréconciliésaprèsvotrehistoiretorduedel’autrejouràlacantine?—C’est ça. Et tu es la première à apprendre quemoi, Linden SkyDavis, je suis désormais une
femmeprise.Elleréprimeunpetitgrognement.—Quelintérêtdes’exposeràdessouffrancespareilles?Çamedépasse!Maisbon,jesuiscontente
pourtoi.—Mer…J’allaislaremercierquandellemecoupebruyamment:—Oh,j’ycroispas!s’écrie-t-elleàl’autreboutdufil.—Quoi,qu’est-cequ’ilya?—J’aioublié.Purée,c’esttonanniversaireetj’aioublié!Joyeuxanniversaire,Sky.Merdealors!Je
suisvraimentlapiremeilleureamiedumonde.—C’estpasgrave!jelarassureenriant.D’unecertainemanière,jesuiscontentequetuaiesoublié.
Tusaisbienquej’aihorreurdescadeaux,dessurprisesetdetoutcequitoucheauxanniversaires.—Ah,maisattends.Jeviensdemesouvenirquej’étaisunefilleabsolumentgéniale.T’irasjeterun
coupd’œilderrièretacommodedanslajournée.Jelèvelesyeuxauciel.—J’auraisdûm’endouter.—Etdisàtonnouveaucopaindes’acheterducrédit.— J’ymanquerai pas. Il faut que je te laisse. Tamère va piquer une crise en voyant la note de
téléphone.—Oui,oh…elleferaitmieuxdesesoucierdavantagedusortdelaplanète,commelatienne.Jepouffe.—Jet’aime,Six.Prendssoindetoi,OK?—Moiaussijet’aime.Et,Sky?—Oui?—Tuasl’airheureuse.Çamerendheureusepourtoi.Sourireauxlèvres,jeraccrocheetreparsdansmachambreetbienquejedétestelescadeaux,jereste
humaineetdonccurieuse.Alorsjemedirigeversmacommodepourregarderderrière.Ilyaunejoliepetite boîte par terre. Je me penche pour la ramasser puis retourne m’asseoir sur mon lit et ôte lecouvercle.C’estuneboîterempliedeSnickers.
Bonsang,j’adorecettefille.
Samedi29septembre2012
10h25
Alorsque je trépignedevantmafenêtre,Holderarriveenfinetsegaredans l’allée.Jesorspar laported’entrée,quejeverrouillederrièremoi,puisjemeretourneverslavoitureetlà,jemefige.Iln’estpasseul.Laportièrecôtépassagers’ouvre,laissantapparaîtreunmec.Aumomentoùilseretourne,latêtequejetireestàmi-cheminentre«OMG»et«CkoiC’délire».(Oui,j’airetenulaleçon.)
Breckinsortettientlaportièreouverte,lesourirejusqu’auxoreilles.—J’espèrequeçanetedérangepasquejetiennelachandelleaujourd’hui.Mondeuxièmemeilleur
amidetoutl’universm’aproposédevousaccompagner.Je le rejoins, franchement perplexe. Breckin attend que je m’installe à bord puis grimpe sur la
banquette arrière. Je me penche en avant pour décocher un regard perplexe à Holder, qui est hilarecommes’ilvenaitderévélerlachuted’uneblaguetrèsmarrante–blaguedontjesuisexclue.
—Est-cequel’undevousveutbienm’expliquercequisepasse?Holdermeprendlamainetlaporteàsabouchepourl’embrasser.—JelaissefaireBreckin.Detoutefaçon,ilparleplusvitequemoi.TandisqueHoldercommenceà ressortirde l’alléeenmarchearrière, jeme retournebrusquement
pourinterrogerBreckinduregard.Ilmelanceuncoupd’œilclairementcoupable.—Disonsquej’aiunpeujouélesagentsdoublesdepuisdeuxsemaines,confesse-t-iltimidement.Ahurie,jesecouelatêteenlesobservanttouràtour.—Deuxsemaines?Çafaitdeuxsemainesquevousvousparlez?Dansmondos?Pourquoitum’as
riendit?—J’avaisjurédegarderlesecret,répondBreckin.—Mais…—Retourne-toietmetstaceinture,ordonneHolder.Jeluilanceunregardnoir.— Deux secondes. J’essaie de comprendre pourquoi tu t’es réconcilié avec Breckin il y a deux
semainesalorsquetuasattendujusqu’àaujourd’huipourmoi.Ilmelanceunregardpuisseconcentreànouveausurlaroute.—JedevaisdesexcusesàBreckin.Jem’étaiscomportécommeunabrutiaveclui,cejour-là.—Etmoi,jeneméritaispasdesexcuses,peut-être?Cettefois,ilmeregardedroitdanslesyeux.—Non,rétorque-t-ild’untonfermeenreportantdenouveausonattentionsurlaroute.Toitumérites
desactes,Sky,pasdesparoles.
Jel’observefixementenmedemandantcombiendetempsilapasséàconstruirecettephraseparfaiteavantd’allersecoucher.Ilmelâchelamainpuismechatouillelehautdelacuisse.
—Allez,faispaslatête.Tonpetitcopainettonmeilleuramidetoutl’universt’emmènentaumarchéauxpuces.
Amusée,jerepoussesamainenluidonnantunetape.—Commentveux-tuquejemeréjouissealorsquemonallianceaétéinfiltrée?Vousavezintérêtà
êtretrèsgentilstouslesdeux,aujourd’hui.Breckinposelementonsurmonappui-têteenm’observant.—Jecroisquejesuisceluiquialeplussouffertdecettesituationdélicate.Toncopainagâchémes
deuxderniersvendredissoir,enpassantsontempsàsemorfondreetàpleurnichercommequoiilvoulaitabsolumentterécupérermaisqu’ilnevoulaitpastedécevoiretblablabla.Çaaétéunsupplicedenepasmeplaindreauprèsdetoiàchaquedéjeuner.
Holdertournebrusquementlatêteverslui.—Ehbien,maintenantvouspouveztouslesdeuxvousplaindredemoiautantquevousvoulez!La
vieareprissoncoursnormal.Ilposesamainsurlamiennepourlaserrer;j’enaidespicotementsdanslebrasmaisjenesaispas
sic’estàcausedecegesteoudecettedernièrephrase.— J’estime quand même avoir mérité qu’on me traite comme une reine aujourd’hui, j’insiste en
m’adressantàeuxdeux.J’exigequevousm’achetieztoutcequimeferaenvieaumarchéauxpuces.Peuimporteleprix,latailleoulepoids.
—T’asbienraison,acquiesceBreckin.—Ehben!JevoisqueHoldercommencedéjààdéteindresurtoi.Riant,Breckintendlebraspar-dessusmonsiègepourm’attraperlesmainsetmetireversluisurla
banquettearrière.—Peut-être,dit-il,maisdansl’immédiat,vienslàquejetefasseuncâlin!—Situcroisquejemecontenteraisdeluifaireuncâlinàtaplace,c’estquejenedéteinspastant
queçasurtoi,renchéritHolder.Ettandisqu’ilmetapesurlesfesses,jebasculesurlabanquettearrièredanslesbrasdeBreckin.
***
—Tuveuxvraimentcetruc?s’étonneHolderenexaminantlasalièrequejeviensdeluimettredanslesmains.
Cela faitplusd’uneheurequ’onsepromènedans lemarchéet jem’en tiensàmonplan : ils sontobligésdem’acheterabsolumenttoutcequimechante.J’aiunetrahisonàsurmonteretilvamefalloirunpaquetd’achatsimpulsifspourcommenceràmesentirmieux.
Jescrutelafigurineenhochantlatête.—T’asraison.Jedevraisprendrelepoivrierassortienplus,jedisenattrapantcedernierpourlelui
ajoutersurlesbras.Lelotnemeplaîtpasdutout;d’ailleursjemedemandebienquipourraitavoirenvied’acheterça.
Franchement,quelleidéedefabriquerunesalièreetunpoivrierencéramiqueenformed’intestingrêleetdecolon?
—Jepariequ’ilsappartenaientàuntoubib,commenteBreckinenlesadmirantavecmoi.Je plonge lamain dans la poche deHolder pour en sortir son portefeuille puisme tourne face à
l’hommequitientlestand.—C’estcombien?
Ilhausselesépaules.—Jesaispas,répond-ilplatement.Undollarpièce?—Etsiondisaitundollarlesdeux?Ilmeprendlebilletdesmainsetmefaitsignequec’estbonpourlui.—Bienmarchandé,complimenteHolderd’unairépaté.Ilyaintérêtàcequ’ilstrônentsurlatable
delacuisinelaprochainefoisquejevienscheztoi.— Sûrement pas, quelle horreur. Tu aurais envie d’avoir des boyaux sous le nez pendant que tu
manges,toi?Pasmoi!On regarde encore quelques stands sans rien acheter avant de finalement arriver devant celui de
KarenetJack.Ennousapercevant,ellemarqueuntempsd’arrêt,scrutanttouràtourBreckinetHolder.—Surprise!jeclaironneenouvrantlesmains.Jackselèved’unbondpourfaireletourdustandetmeserredanssesbras.Karenmedévisageavec
circonspection.—Détends-toi, je dis en la voyant regarder les garçons d’un air anxieux.Aucun des deux neme
mettraencloqueceweek-end.Elleritenmeprenantfinalementdanssesbras.—Joyeuxanniversaire.Puis elle recule brusquement la tête : son instinctmaternel se réveillant avec quinze secondes de
retard.—Attendsmaisqu’est-cequetufaisici?Ilyaunproblème?Çavapas?Ilestarrivéquelquechose
àlamaison?—Non, tout va bien, ne t’inquiète pas.C’est juste que jem’ennuyais unpeu alors j’ai proposé à
Holderdevenirfaireunpeudeshoppingavecmoi.Derrièremoi,HolderestentraindeseprésenteràJack.BreckinsefaufilepoursaluerKaren.— Bonjour, moi c’est Breckin, s’enthousiasme-t-il. Je forme une alliance avec votre fille pour
prendrelecontrôledusystèmeéducatifetdetoussessous-fifres.—Formais,jenuanceenluilançantunregardnoir.Ilnefaitpluspartiedecettealliance.—Jesensqu’onvabiens’entendre,approuveKarenenluisouriant.EllesetourneensuiteversHolderpourluiserrerlamain.—Holder,dit-ellepoliment.Commentallez-vous?—Bien,répond-il,prudent.Jeconstated’uncoupd’œilqu’ilsembletrèsmalàl’aise.Jenesaispassic’estàcausedelasalière
etdupoivrierqu’iladanslesmainsouparcequecettenouvelleentrevueavecKarensuscitechezluiuneréactiondifférentemaintenantqu’ilsortavecsafille.Tentantdedétendrel’atmosphère,jemetourneversellepourluidemandersiellen’auraitpasunsacànouspasserpournosemplettes.Aprèsavoirfouillésouslatable,elleentendunàHolderquiglisselelotdeboyauxencéramiquededans.Karenyjetteunœilpuism’interrogeduregard.
—Cherchepas,jedisenluiprenantlesacdesmainspourl’ouvrirdevantBreckinafinqu’ilpuisseymettrenotresecondachat.
Ils’agitd’uncadreenboisaveclemot«fusion»impriméàl’encrenoiresurfondblanc.Çacoûtaitvingt-cinqcentsetc’étaittotalementabsurde,doncforcément,ilmelefallait.
Voyantdeuxclientss’approcher,JacketKarens’éloignentpourallers’occuperd’eux.Lorsquejemeretourne, Holder les observe d’un air dur. Je n’avais pas revu cette lueur dans son regard depuisl’incidentdelacantine.Unpeutroublée,jem’avanceversluietglisselebrasdanssondospouressayeràtoutprixdeledérider.
—Toutvabien?jesoufflepourdétournersonattention.Ilmefaitsignequeouietm’embrassesurlefront.
—Çava,affirme-t-ilenmerassurantd’unsourire,unemainautourdemataille.Enrevanche,tunem’avaispaspromisdeschurros?
Soulagéedevoirquetoutvabien,jehochelatête.Jen’aipastropenviequ’ilmefasseunescènemaintenant,devantKaren.Jecommenceàm’yhabituer,maisjenesuispassûrequ’ellecomprennetoutàfaitsonapprochepassionnéedelavie.
—Quiaparlédechurros?s’exclameBreckin.Quandjemeretourne,lesclientsdeKarensontpartis.Figéederrièresonstand,ellefixelebrasqui
m’enlacelataille,toutepâle.Maisqu’est-cequ’ilsonttousàtirerdestêtesbizarresaujourd’hui?—Tutesensbien?jeluidemande.Cen’estpascommesic’était lapremièrefoisqu’ellemevoyaitavecunpetitcopain.Mattapour
ainsidirepassésaviecheznouspendantlemoisoùjesuissortieaveclui.Ellejetteunrapidecoupd’œilàHolder.—Oui,jen’avaispasréaliséquevoussortiezensemble,c’esttout.— Oui, c’est vrai… Je voulais t’en parler mais ça ne fait que quatre heures environ que c’est
vraimentofficiel.—Jevois,murmure-t-elle.Entoutcas…vousallezbienensemble.Jepeuxteparlerdeuxminutes?Elleagitediscrètement la têtepourm’indiquerqu’elleveuts’isoler.Lâchantendouceur lebrasde
Holder,jelasuisàunedistanceraisonnablepourpouvoirparlertranquillement.Là,elleseretourneensoupirant:
—Çanemeplaîtpastrop,avoue-t-elletoutbas.—Quoi?J’aidix-huitansetjesorsavecungarçon.Pasdequoienfairetoutunplat.Ellesoupireencore.—Jesais,mais…Qu’est-cequivasepassercesoir?Enmonabsence?Qu’est-cequimegarantit
quetunevaspaspasserlanuitaveclui?—Rien,jerétorqueenhaussantlesépaules.Tunepeuxquemefaireconfiance.Jem’enveuxaussitôtde luimentir.Sielle savaitqu’ilapassé lanuitdernièreavecmoi, jecrois
qu’onpeutaffirmersanstrops’avancerqueHolderneseraitdéjàplusdecemonde.— Comprends-moi, ça me met mal à l’aise, Sky. On n’a jamais vraiment discuté des règles
concernantlesgarçonsenmonabsence.Voyantqu’ellesembleparticulièrementtendue,jefaisdemonmieuxpourlatranquilliser.—Maman,fais-moiconfiance,d’accord?Onacommencéàsortirensembleàproprementparlerily
a tout justequelquesheures.Rassure-toi, il n’est pasquestionqu’il sepassequoi que ce soit ce soir.Àminuitilseraparti,promis.
Ellehochelatêtedemanièrepeuconvaincante.—C’estque…jenesaispas.Quandjevoislafaçonquevousavezdevoustenirparlatailleetcette
complicitéentrevous…Uncouplequivientdese formernesecomportepascommeça,Sky.Çam’adéstabiliséeparcequej’aipenséqueçafaisaitpeut-êtreunmomentdéjàquetufréquentaiscegarçonencachette.Orjetiensàcequetusachesquetupeuxtoutmedire.
Jeluiprendslamainenlaserrant.—Jesais,maman.Etcrois-moi,sionn’étaitpasvenusiciaujourd’hui,jecomptaistoutteraconter
demain.Jet’auraisprobablementcassélesoreillesàforcedeteparlerdelui.Jen’aiaucunsecretpourtoi,d’accord?
Esquissantunsourire,ellemeserreunenouvellefoisdanssesbras.—D’accord,maisqueçanet’empêchepasdemecasserlesoreillesdemain.
Samedi29septembre2012
22h15
—Sky,réveille-toi.AppuyéesurlebrasdeBreckin,jerelèvelatêteetessuielefiletdebavesurmajoue.Envoyantla
tracehumidesursontee-shirt,ilgrimace.—Désolée,jedisenrigolant.Tun’avaisqu’àpasêtreaussiconfortable.On est de retour devant chez lui après avoir passé huit heures à flâner et chiner des vieilleries.
HolderetBreckinontfiniparseprêteraujeuetons’estlancésdansunesortedecompétitionpourvoirqui dénicherait l’objet le plus insolite. Àmon avis, je reste en tête avecmes ustensiles en forme deboyaux mais Breckin a raté de peu la première marche du podium avec sa peinture sur veloursreprésentantunchiotchevauchantunelicorne.
—N’oubliepastacroûte,jeluidistandisqu’ilsortdelavoiture.Ilsepenchepourattraperletableauàmespiedspuismefaitunebisesurlajoue.—Àlundi,melance-t-ilavantderegarderHolder.Necroispasquejetelaisseraimaplaceencours
simplementparcequec’esttacopine.Holderrigole.—Jeterappellequec’estpasmoiquiluiapporteducafétouslesmatins:çam’étonneraitqu’elle
puissesepasserdetoi.UnefoisqueBreckinarefermélaportière,Holderattendqu’ilsoitrentréavantderedémarrer.— Où est-ce que tu crois aller comme ça, assise à l’arrière ? lance-t-il en me souriant dans le
rétroviseur.Vienst’asseoirdevant.Jefaisnondelatêtesansbouger.—Çameplaîtassezd’avoirunchauffeur!Ilarrêtelavoiture,défaitsaceintureetpivotecomplètementsursonsiège.—Viensici,insiste-t-il,taquin,ententantdem’attraperlesbras.Ilmetireparlespoignetsjusqu’àcequenosvisagesnesoientplusqu’àquelquescentimètresl’unde
l’autreetposelesmainssurmesjouesenlesécrabouillantcommesij’étaisunepetitefillepourplanterunbisoubruyantsurmaboucheencul-de-poule.
—C’étaitvraimentsympa,cettejournée,dit-il.Tuesvraimentbizarre,commefille.Lesourcilarqué,jeletoisesanstropsavoirsijedoisleprendrecommeuncompliment.—Euh…merci?—J’aimebiencequiestbizarre.Bon,maintenantramènetesfesses iciavantquejegrimpesur la
banquettearrièreetpaspourtefaireun«câlin».Commeilmetireparlebras,jerepasseàl’avantetattachemaceinture.
—Qu’est-cequ’onfaitmaintenant?Onvacheztoi?jepropose.—Non,fait-ilensecouantlatête.Pastoutdesuite.—Chezmoi,alors?Ilsecoueencorelatête.—Non,tuverras.
***
Onroulejusqu’àlapériphériedelaville.Jem’aperçoisqu’onestàl’aérodromelocalquandHoldersegaresur lebas-côtédelaroute.Sansdireunmot, ildescendetfait le tourdelavoiturepourvenirm’ouvrir.
—Onestarrivés,annonce-t-ilendésignantd’ungestelapistequis’étireaumilieud’unchampfaceànous.
—Holder,c’estlepluspetitaérodromeàtroiscentskilomètresàlaronde.Situespèresregarderunavionatterrir,onrisqued’ypasserdesjours.
Ilmetireparlamainpourm’entraîneraupiedd’uncoteau.—Onn’estpasvenusobserverlesavions.Ilcontinued’avancerjusqu’àcequ’onarrivedevantuneclôturedélimitantl’enceintedel’aérodrome.
Illasecouepourvérifiersasoliditépuismereprendparlamain.—Retireteschaussures,ceserapluspratique,conseille-t-il.Jescrutelaclôturepuisluilanceunregard.—Tucomptesmefaireescaladerça?—Ehbien,fait-ilenl’observant,jeveuxbientesouleverettebalancerpar-dessusmaisçarisquerait
d’êtreunpeuplusbrutal.—Mais je suis en robe !Tu aurais pumeprévenir qu’on allait jouer les alpinistes ce soir. Sans
compterquec’estillégal.Illèvelesyeuxaucielenmepoussantdoucementverslaclôture.—C’est pas illégal puisque c’estmon beau-père qui dirige cet aérodrome. Et effectivement, j’ai
préférénepasteprévenirparcequej’avaisjustementpeurquetuneveuilleschangerdetenue.Résignée,j’empoignelaclôtureetcommenceàl’examinerquandd’ungesteleste,ilmehisseparla
tailleetjemeretrouveausommet.—NomdeDieu,Holder!jem’écrieensautantdel’autrecôté.—Jesais.C’estalléunpeuvite.J’aioubliédetepeloteraupassage.Grimpantàsontour,ilbalancelajambeàcalifourchondel’autrecôtépuissauteàpiedsjoints.—Viens,dit-ilenm’entraînantparlamain.Unefoisauborddelapiste,jem’arrêtepourcontemplersonimpressionnanteétendue.Jen’aiencore
jamaisprisl’avionetrienqued’ypenser,çam’angoisseunpeu.Surtoutquandjevoisquetoutaubout,lapistedébouchesurunlacimmense.
—C’estdéjàarrivéqu’unavionatterrissedanscelac?—Uneseulefois,raconte-t-il.Maisc’étaitunpetitCessnaetlepiloteétaitcuit.Ils’enestsortimais
lacarlingueesttoujoursaufonddel’eau.Ilsebaissepours’asseoiràmêmelapisteetmetireparlamainpourquej’enfasseautant.—Qu’est-cequ’onfait?jedemandeenrajustantmarobeetenretirantmeschaussures.—Chut,fait-il.Allonge-toietregardeleciel.Renversantlatêteenarrière,jelèvelenezetretienssubitementmonsouffle.Devantmoi,àpertede
vue,s’étendunmanteaud’étoilesscintillantescommejen’enaijamaisvu.
—Lavache!jechuchote.C’estpaslavuedemonjardin.—Jesais.C’estpourçaquejet’aiamenéeici,acquiesce-t-ilentendantlebraspourm’agripperle
petitdoigt.On resteunbonmomentassis sans riendiremaisc’estun silencepaisible.De tempsen temps, il
soulèvelepetitdoigtpourm’effleurerledosdelamainmaisc’esttout.Onsetientcôteàcôteetbienquejeporteunerobeplutôtlégère,iln’essaiemêmepasd’enprofiter.Detouteévidence,cen’estpaspourflirterqu’ilm’afaitvenirici,aumilieudenullepart,maispourpartagercetteexpérienceavecmoi.Uneautredesespassions.
Holdermesurprendàbeaucoupd’égards, surtoutdepuiscesdernièresvingt-quatreheures. Jen’aitoujourspasbiencompris cequi l’amisdanscet état l’autre jour à la cantinemais lui semble sûrdesavoirexactementcequiluiaprisetilparaîtêtrecertainquecelanesereproduirapas.Pourl’instant,jenepeuxquelecroiresurparoleetmefierdenouveauàlui.J’espèresimplementqu’ilaconsciencequec’est tout ce qu’ilme reste de confiance à lui accorder. Je sais pertinemment que s’ilme fait souffrirencoreunefois,ceseraladernière.
Inclinant la têtevers lui, je leregardecontempler lesétoiles.Sessourcilsfroncésm’indiquentquequelque chose le préoccupe. On dirait que c’est constamment le cas et je me demande si un jourj’arriveraiàfairetombersesdéfenses.Ilyaencoretantdechosesquej’aimeraissavoirausujetdesonpassé,de sa sœur et de sa famille.Mais soulever toutes cesquestions alorsqu’il est plongédans sespenséesleramèneraitbrusquementàlaréalitéetjen’aipasenviedeluifaireça.Jesaisexactementsurquelleplanèteilestpartietpourquoiilregardedanslevidedecettemanière.Jelesaisparcequec’estcequim’arrivequandjecontemplelesétoilesauplafonddemachambre.
Aprèsl’avoirlonguementobservé,jereportemonattentionsurleciel,laissantàmontourmonesprits’évaderpeuàpeu,quandilbriselesilenceavecunequestionsortiedenullepart:
—Tuaseulabelleviejusqu’ici?s’enquiert-ild’unevoixdouce.Je réfléchis un instant, mais surtout, je me demande quelles réflexions ont pu l’amener à cette
interrogation.Songeait-ilréellementàmavieouplutôtàlasienne?—Oui,jerépondsentoutehonnêteté.Trèsbelle.Ilpousseungrossoupiravantdeserrermamaintoutentière.—Tantmieux.Unedemi-heuredepluss’écoulesansautremotjusqu’àcequ’ilm’annoncequ’ilestprêtàs’enaller.
***
Quelquesminutesavantminuit,onarrivedevantchezmoi.Une foisgarés,onsortde lavoiture. Ilattrapemessacsdebibelotsetmesuitjusqu’àl’entrée.S’arrêtantdansl’embrasure,ilposeletoutparterre.
—Jen’iraipasplusloin,déclare-t-ilenfourrantgauchementlesmainsdanssespoches.—Ahbon,pourquoi?Tuesunvampire?Tuasbesoind’êtreinvitépourentrer?Ilsourit.—Jecroisjustequejeferaismieuxdem’enaller.Jem’approchepourl’enlaceretl’embrassersurlementon.—Pourquoitudisça?Tuesfatigué?Onpeutsimplements’allonger,situveux,jesaisquetun’as
pasbeaucoupdormilanuitdernière.Jen’aivraimentpasenviequ’ils’enaille.Jen’aijamaisaussibiendormiquelanuitdernièredans
sesbras.Enréponseàmonétreinte,ilmepasselesbrasautourdesépaulesetm’attirecontrelui.
—Jepeuxpas,jet’assure,persiste-t-il.Pourtoutuntasderaisons.D’abordparcequemamèrevam’inonderdequestionspoursavoiroùj’étaispassédepuishiersoir.Ensuitejet’aientenduepromettreàtamèrequetumemettraisdehorsàminuit.Etenfinparcequeduranttoutletempsquetuaspasséàtebaladerdanscetterobeaujourd’hui,j’aipasarrêtédepenseràcequ’ilyavaitendessous.
Prenantmonvisageentresesmains,ilcontemplemabouche,lesyeuxmi-clos,etsemetàchuchoter:—Sansparlerdeceslèvres…Tun’imaginesmêmepascombiençaaétédifficiledet’écouterparler
alors que je ne pensais qu’à une chose : leur douceur, leur goût incroyable, leur forme parfaitementadaptéeauxmiennes.
Ilsepenche,m’embrassedoucementpuiss’écarteaumomentoùjecommenceàm’abandonner.—Etcetterobe,ajoute-t-ilenmecaressantlecreuxdudosavantdeglisserlamainendouceursur
mahanchepuissurlehautdemacuisse.Jefrémis.—C’estprincipalementàcaused’ellequejen’entreraipasdanscettemaison.Vu la réactiondemoncorpsà sescaresses, je tombed’accordaveccette sagedécision.Mêmesi
j’adoreêtreavecluietl’embrasser,jesaisdéjàques’ilrestait,jen’auraisabsolumentaucuneretenue.Orjenecroispasêtreencoreprêteàvivrecettepremièrefois-là.
Je pousseun soupir, quoique j’aie plutôt envie degémir. J’approuve ses arguments, c’est vrai ; iln’empêchequemoncorpsestfumassequejenelesuppliepasderester.C’estétrange,cetteseulejournéeavecluin’afaitqu’accentuercebesoinconstantquej’aidevouloirêtreensacompagnie.
—C’estnormal,tucrois?jedemandeenleregardantdanslesyeux.Jecomprendsqu’ilpréfèrepartirmaintenant carde touteévidence, lui aussi a très enviedevivre
cettepremièrefois.—Quoidonc?Jecollelajouecontresontorsepouréviterd’avoiràleregarderpendantquejeparle.Parfoisjedis
deschosesquipeuventmettrel’autremalàl’aise,maisc’estplusfortquemoi,ilfautqueçasorte.—Est-cequec’estnormalqu’onaitcessentimentsl’unpourl’autre?Onneseconnaîtpasdepuis
trèslongtempsetonapasséunegrandepartiedecetempsàs’éviter.J’imaginequ’engénéral,quandlesgenscommencentàsortirensemble, ilspassentlespremiersmoisàessayerdeconstruireleurrelation.Maisbizarrement,c’estdifférentavectoi.
Jerelèvelatêtepourleregarder.—J’ail’impressionquelelienétaitdéjàlàdèsnotrepremièrerencontre.Toutestnaturelentrenous.
Àcroirequ’onadéjàfranchitouteslesétapesetquemaintenant,onessaiederevenirenarrière.Commesionessayaitderéapprendreàseconnaîtreencalmantlejeu.Tunetrouvespasçaétrange?
Ilrepoussedoucementlesmèchesquimebalaientlesjouesetmecontempleaveccettefoisunelueurtout à fait différente dans les yeux. Le désir a laissé place à l’angoisse, une vision qui me serrebrusquementlecœur.
—Quoiqu’onvivetouslesdeux,jen’aipasenviedetoutdécortiquer.Etjepréféreraisquetuévitesdelefaireaussi,d’accord?Estimons-nousjusteheureuxquejet’aienfintrouvée.
Cettedernièrephrasemefaitpouffer.—Àt’entendre,oncroiraitqueçafaitunmomentquetumecherches.Plissantlefront,ilm’agrippedélicatementlevisageenl’inclinantverslui.—Jet’aicherchéetoutemavie,renchérit-il,sérieuxetdéterminé.Etaussitôtdit,ilm’embrasse.Sonbaiserestintense,pluspassionnéquetouslesprécédents.Jesuissurlepointdel’emmenerde
forceàl’intérieurenl’empoignantparlescheveuxquandilmelâchesoudainenreculant.—Jetevis,souffle-t-ilenseforçantàredescendreleperron.Onsevoitlundi.—Moiaussi,jetevis.
Jeneluidemandepaspourquoijeneleverraipasdemaincarjemedisquecettepausenousferadubienetnouspermettrad’assimilerlesdernièresvingt-quatreheures.Ceneserapasplusmalnonplusvis-à-visdeKaren,étantdonnéqu’ilfautvraimentquejelametteaucourantdemanouvellevieamoureuseouplutôt,demanouvelleviepleinedevie.
Lundi22octobre2012
12h05
CelafaitpresqueunmoisqueHolderetmoisommesofficiellementensemble.Pourl’instant,jeneluiai trouvé aucune petitemanie exaspérante. Je diraismêmeque ses habitudesme rendent d’autant plusfollede lui.Commecette façonqu’il ademedévisagercommes’ilmescrutait à la loupe,de remuersèchementlamâchoirequandilesténervéetdes’humecterleslèvreschaquefoisqu’ilrit.Enfait,c’estplutôtsexy.Etjenevousparlepasdesesfossettes.
Heureusement,j’aiaffaireaumêmeHolderdepuislanuitoùils’estfaufiléparlafenêtrejusquedansmonlit.Jen’aipaseulemoindreaperçudesoncôtélunatiqueetcaractérieldepuis.Enréalité,àforcedepasserdutempsensemble,onestdeplusenplusenphasel’unavecl’autreetj’aidésormaislesentimentdelecomprendrepresqueaussibienqueluimecomprend.
Karenayantétéàlamaisontouslesweek-ends,onn’apaseubeaucoupdemomentsentêteàtête.Lamajeurepartiedu tempsqu’onpasseensemble, c’est au lycéeou lorsde sortiespendant leweek-end.Pouruneraisonoupouruneautre,çalegênedevenirdansmachambrequandKarenestlàetilinventetoujoursdesexcusesquandjesuggèrequ’onaillechezlui.Alorsàlaplace,onvabeaucoupaucinéma.OnestaussisortisdeuxoutroisfoisavecBreckinetsonnouveaupetitami,Max.
Holderetmoi,ons’amusebienmaispourcequiestdu«reste»,c’estnettementmoinsmarrant.Oncommence tous les deux à être un peu frustrés de ne pas avoir un endroit convenable où se faire descâlins.Savoitureestunpeupetitemaisons’enestcontentés.Jecroisqu’oncompte tous lesdeux lesheuresd’iciàcequeKarenreparteleweek-endprochain.
***
Jem’installeàtableavecBreckinetMaxenattendantqueHolderapportenosplateaux.Cesdeux-làse sont rencontrés dans un musée du coin il y a deux semaines, sans même se rendre compte qu’ilsfréquentaient lemême lycée. Je suis contente pour Breckin parce que je commençais àme dire qu’ildevaitavoirl’impressiond’êtredetrop.Cequin’étaitpasdutoutlecas,évidemment.J’adoreêtreavecluimaislevoirs’investirdanssaproprerelationamoureuseabeaucoupfacilitéleschosesentrenous.
—Vousêtespris,avecHolder,samedi?demandeMaxquandjem’assois.—Jecroispas,pourquoi?—Ilyaunpetitmuséeenvillequivaexposerunedemestoilesdanssonaileconsacréeauxartistes
locaux.Çameferaitvraimentplaisirquevoussoyezlà.—Sympa,commenteHolderens’asseyantàcôtédemoi.Quelletoiletuvasleurproposer?
Maxhausselesépaules.—Jesaispastrop.J’hésiteencoreentredeux.Breckinlèvelesyeuxauciel.—Tusaistrèsbienlaquelleiltefautpourlancertacarrièreetc’estaucunedecelles-là.Maxluilanceunregardenbiais.—OnvitaufinfondduTexas.Jedoutequ’untableausurlethèmedel’homosexualitésoittrèsbien
perçudanslecoin.Holderlesobservetouràtour.—Maisons’enfoutdecequepenserontlesgensducoin,non?LesouriredeMaxs’évanouittandisqu’ilattrapesafourchette.—Non,pasmesparents,répond-il.—Ilssaventquetuesgay?jedemande.Ilacquiesced’unsignedetête.—Oui,etdansl’ensembleilsmesoutiennent,maisilsespèrentencorequ’aucundeleursamisdela
paroissene ledécouvrira. Ilsn’ontpasenviequ’on lesplaigneparcequ’ilsontunenfantcondamnéàbrûlerenenfer.
Jesecouelatête,atterrée.—Ehbien,siDieuestdugenreàt’envoyerenenferuniquementparcequetuasaiméquelqu’un,pour
rienaumondejenevoudraispasserl’éternitéavecLui!Breckinéclatederire.—Jepariequ’ontrouvedeschurrosenenfer.—Àquelleheureçaseterminerasamedisoir?questionneHolder.Onpasseramaisonaprévuun
trucaprès.—Lemuséefermeà21heures,répondBreckin.JelanceunregardàHolder.—Ahbon,onaprévuuntruc?Qu’est-cequ’onfait?Affichantunsourireradieux,ilglisseunbrassurmesépaulesetmechuchoteàl’oreille:—Mamèreneserapaslàsamedisoir.J’aimeraisbientemontrermachambre.Mesbrassemettentàfrissonnerettoutàcoupj’aidesvisionstotalementdéplacéesdansunecantine
delycée.—Jeneveuxmêmepassavoircequ’ilt’aditpourqueturougissescommeça,lâcheBreckin,hilare.Holderretiresonbrasetposelamainsurmacuisse.Jemangeunmorceaupuisreportemonattention
surMax.—Commentilfauts’habillerpourcevernissage?J’aiunepetiterobed’étéquejecomptaisporter
cejour-làmaisellen’estpastrèshabillée.JesourisensentantHoldermepincerlacuissecarjesaisexactementquelgenred’idéesjeviensde
luimettredanslatête.MaxcommenceàmerépondrequanduntypedelatablederrièrenouslancequelquechoseàHolder
quejenesaisispassurlecoup.Quoiqu’ilensoit,çaretienttoutdesuitel’attentiondecedernier,quiseretournepourluifaireface.
—Répèteunpeu?ledéfie-t-ilenlefusillantduregard.Jenemeretournepas.Jeneveuxmêmepassavoirquiaeulabonneidéedefaireressurgirlecôté
lunatiquedeHolderenmoinsdedeuxsecondestopchrono.—Il fautpeut-êtreque jeparleplusdistinctement, ricane legarçonenélevant lavoix. Jedisais :
quitteànepaspouvoirlestabassertotalement,autantquetudeviennespoteaveceux.Holder ne réagit pas tout de suite, et c’est tantmieux.Çame laisse le temps de l’attraper par le
mentonpourl’obligeràmeregarder.
—Holder,jedisd’untonferme.Laissetomber.S’ilteplaît.—Maisoui,l’écoutepas,soutientBreckin.Ilditçajustepourt’énerver.Onentendtoutletempsce
genredeconneriesavecMax,onal’habitude.Holderremuelamâchoirededroiteàgaucheeninspirantparlenez.Peuàpeusonregards’adoucit,
puisilmeprendlamainetseretournelentementversnoussansplusregarderl’autre.—C’estbon,affirme-t-il,pluspourseconvaincreluiquenous.Jelaissetomber.Dès qu’il a le dos tourné, les éclats de rire de la tablée derrière nous résonnent dans tout le
réfectoire.LesépaulesdeHolderseraidissent,alorsjeposelamainsursacuissepourl’inciteràrestercalme.
—Sympa! lancele typedansnotredos.Tulaissescette traînéetepersuaderdenepasprendreladéfensede tesnouveauxamis.J’imaginequ’ilsnecomptentpasautantà tesyeuxqueLesslie, sinon jeseraisdéjàdansunsaleétat,commeJakel’andernieraprèsquetuluiestombédessus.
Déjàquejemeretiensdetoutesmesforcespournepasmeleverd’unbondetluiencolleruneenpersonne, je me doute que Holder va perdre son sang-froid d’une seconde à l’autre. Il commence àpivoter, le visage demarbre. Je ne l’ai jamais vu aussi blême… c’est terrifiant. J’ai conscience quequelque chose de terrible est sur le point de se produire,mais je ne sais pas du tout quoi faire pourl’éviter.Avantqu’iln’aitletempsdesejetersurletypedel’autrecôtédelatablepourluimettreuneraclée,jefaisquelquechosequimestupéfiemoi-même:jegifleHolderdetoutesmesforces.Ilplaqueaussitôtlamainsursajoueetmeregarde,interloqué.Maisaumoins,ilmeregarde.C’estdéjàça.
—Danslecouloir,jelâched’untoncatégoriquedèsquej’aisonattention.Jelepoussejusqu’àcequ’ilselèveet,unemaintoujoursdanssondos,jel’orienteendirectiondela
sortie.Lorsqu’onseretrouvedanslecouloir,ilenvoieuncoupdepoingdanslepremiercasieràportéedemain,cequim’arracheunpetitcri.Envoyantl’énormebosselurelaisséeparlecoup,jesuissoulagéequecenesoitpasletypeduréfectoirequiaitfaitlesfraisdesacolère.
Holderestrougederage.Jenel’aijamaisvuaussifurieux.Ilsemetàarpenterlecouloir,s’arrêtantparfoispourfixerdurement laporteduréfectoire.Jenesuispas toutàfaitconvaincuequ’ilnevapasretournersejeterdanslamêlée,alorsjedécidedel’éloignerdavantage.
—Viens,onvaàtavoiture,jedisenlepoussantverslehalld’entrée.Ilselaissefaire.Letempsqu’onmarchejusqu’auparking,ilnedesserrepaslesdents,toujoursaussifurax.Ilmonte
côtéconducteur,moicôtépassager,etchacunrefermesaportière.J’ignores’ilestencoresurlepointderepartirencourantdanslebâtimentpouracheverlabagarrequecetabrutiessayaitdedéclenchermaisjeferaitoutmonpossiblepourlereteniricijusqu’àcequesacolèresoitretombée.
C’estalorsqu’ilseproduitquelquechoseauquel jenem’attendaispasdu tout.Toutàcoup, ilmeprenddanslesbrasetsemetàtremblersanspouvoirs’arrêter,latêteenfouiedansmoncou.
Ilpleure.Je l’enlace et le laisse se cramponner àmoi pendant qu’il évacue tout ce qui était refoulé en lui,
jusqu’àcequ’ilmefasseglissersursesgenouxtoujoursenmeserrantcontrelui.Jemecontorsionnepourmemettrefaceà lui,une jambedechaquecôté,et lui faisdespetitsbaisersunpeupartoutsur la tête.C’estàpeinesijel’entendspleurer,etlepeudebruitqu’ilfaitestassourdiparmonépaule.J’ignorecequi l’a fait craquer à cet instant précismais le voir dans cet étatme déchire le cœur comme jamais.Durantplusieursminutes,jecontinuedel’embrassersurlatêteenlecâlinantetilfinitparsecalmer,bienqu’ilmeserretoujourscommeunétau.
—Tuveuxenparler?jechuchoteenluicaressantlescheveux.Ilrenverselatêtecontrel’appui-têteenmeregardant.Sesyeuxrougisdégagentuntelchagrinqueje
me sens obligée de les embrasser. Après avoir déposé un baiser sur chacune de ses paupières, jem’écartedenouveaupourlelaisserparler.
—Jet’aimenti,avoue-t-ildebutenblanc.Sesmotsmefontl’effetd’uncoupdepoignarddanslecœuretj’aitrèspeurdecequ’ils’apprêteà
dire.— Je t’ai dit que je recommencerais sans hésiter.Que si j’en avais l’occasion, je tabasserais de
nouveauJake.Ilmetsesmainsencoupeautourdemonvisageetmeregarded’unairdésespéré.—C’estfaux.Ilneméritaitpascequejeluiaifait,Sky.Etlemecdetoutàl’heure,c’estsonpetit
frère.Ilm’enveutàmortetilatouteslesraisonsdelefaire.Ilpeutm’attaquerautantqu’ilenaenvie:jel’aibiencherché.Vraiment.C’estlaseuleraisonpourlaquellejenevoulaispasrevenirdanscelycée.Jesavaisquequellequesoitl’insultequ’onmebalancerait,jenel’auraispasvolée.Saufquejenepeuxpasleslaisservousinsulter,toietBreckin.Ilpeutsortirtoutcequ’ilveutsurmoiouLess,onneméritequeça,maispasvous.
Unelueurvivejaillitdanssesyeuxtandisqu’ilmetientlevisagedanslesmains,tourmentéauplushautpoint.
—Arrête,Holder.Tun’aspasàprendreladéfensedetoutlemonde.Etjenesuispasd’accord,tun’asrienméritédutout.Jaken’auraitjamaisdûdirecequ’iladitsurtasœurl’andernier,etsonfrèren’avaitpasàteparlercommeill’afaittoutàl’heure.
Ilprotested’unsignedetête.—Si,Jakeavait raison.Jesaisbienqu’ilauraitmieuxfaitdese tairemaissurtoutque jen’avais
aucun droit de le frapper. Il avait raison. Le suicide de Less n’avait rien de courageux ou de noble.C’était un acte égoïste. Elle n’amême pas essayé de s’en sortir. Elle n’a pas pensé àmoi ou àmesparents.Elle nepensait qu’à elle et n’en avait rien à foutredes autres.Et je lui enveux énormément,t’imaginesmêmepas,etçam’épuise.J’enaitellementmarredeluienvouloir,çamedémolitetjedétestelemecque je suisen traindedevenir.Elleneméritepasqu’on lahaïsse.C’estma faute si elle s’estsuicidée. J’aurais dû l’aider mais j’ai rien fait. J’étais aveugle. J’aimais cette fille plus que tout aumonde,etpourtantjen’aijamaisréaliséàquelpointelleallaitmal.
J’essuie ses larmes du pouce et faute de savoir quoi dire, je fais la seule chose qui me vient àl’esprit:jel’embrasse.Jel’embrasseéperdumentpouressayerd’apaisersasouffranceparleseulmoyenquejeconnaisse.Jen’ai jamaisétéconfrontéeàlamortdecettefaçon,alors jen’essaiemêmepasdecomprendrecequ’ilendure.Ilglisselesmainsdansmescheveuxetm’embrasseàsontouravecunetellevigueurquec’enestpresquedouloureux.Ons’embrassependantplusieursminutes jusqu’àceque soncorpscommenceàserelâcher.
Alorsjem’écarteenleregardantdroitdanslesyeux.—Holder, tu as toutes les raisonsd’envouloir à ta sœur.Maismalgré tout, tu as aussi toutes les
raisonsdecontinueràl’aimer.Laseulechosequetun’aspasledroitdefaire,c’estdetereprochersanscessesamort.Tuneconnaîtrasjamaisréellementlesraisonsquil’ontpousséeàfaireça,alorsarrêtedeculpabiliser.Ellea faitcechoixenpensantquec’étaitdansson intérêt,mêmesic’étaituneerreur.Etc’estjustementçaqu’ilnefautpastuoublies:c’étaitsadécision.Paslatienne.Ettunepeuxpast’envouloirdenepasavoirdevinécemal-êtrequ’ellen’estpasparvenueàexprimer.
Jel’embrassesurlefrontpuisreprends:—Lâcheprise.Tupeuxtoujoursteraccrocheràcemélanged’amour,dehaineetmêmed’amertume,
maisilfautquetuarrêtesdet’envouloir.C’estcetteculpabilitéquitedémolit.Ilfermelesyeuxetattirematêteverssonépaule.Sonsouffleestentrecoupé.Jelesensacquiescer,et
soncorpsfinitparsedétendrepeuàpeu.Ilm’embrassesurlatempeetonrestequelquesinstantsblottisl’un contre l’autre en silence. Quelle que fût la complicité que l’on imaginait exister entre nousjusqu’ici…c’estsanscomparaisonaveccetinstant.Quoiqu’iladviennedenotrecoupleàl’avenir,cet
instantvientdesoudernosâmesàjamais.Riennepourraeffacerçaetdansunsens,c’estrassurantdelesavoir.
Holderrelèvelatêteetmelanceunregardintrigué.—Aufait,qu’est-cequit’asprisdemegifler?J’éclatederireetplanteunbaisersursajouemeurtrie.L’empreintelaisséeparmamainnesevoit
pratiquementplusmaiselleestquandmêmetoujourslà.—Jesuisdésolée.Ilfallaitàtoutprixquejetesortedelàetc’estleseulmoyenquej’aitrouvé.Ilsourit.—Çaamarché.Àparttoi,jenevoispasquiauraitréussiàdireoufairequelquechosequipuisse
meraisonner.Mercidesavoirexactementcommentt’yprendreavecmoiparcequeparfois,jenesaispastropmoi-mêmecequimeprend.
Jel’embrasseavectendresse.—Crois-moi,Holder,jenesaistoujourspascommentm’yprendreavectoi.Jem’adapteenfonction
delacrise,c’esttout.
Vendredi26octobre2012
15h40
—Àquelleheuretupensesrentrer?jedemande.Holdermetientdanssesbrastandisquejesuisadosséeàmavoiture.Onn’apaseul’occasionde
passerbeaucoupdetempsensembledepuisl’incidentdanssavoiturelundimidi.Heureusement,letypequi l’avait provoqué n’a pas remis ça. La semaine a été plutôt tranquille, si l’on considère la façonmouvementéedontelleadémarré.
—Onrisquederentrerasseztard.Lesfêtesd’Halloweendanscetteboîtes’éternisentsouvent.Maisonseverrademain.Jepeuxpasserteprendreaudéjeuneretonpasseral’après-midiensemblejusqu’auvernissage.
Jefaisnondelatête.—Jenepourraipas.C’estl’anniversairedeJackdemainetonl’emmènedéjeuneraurestaurantcaril
travaillelesoir.Contente-toidepassermeprendreàdix-huitheures.—Bien,madame.Ilm’embrassepuism’ouvrelaportièrepourquejepuissem’installerauvolant.Jeluidisaurevoird’ungestetandisqu’ils’éloigne,puisjesorsmonportabledemonsac.Jesuis
contente,ilyauntextodeSix.Contrairementàsapromesse,ellenem’enenvoiepastouslesjours.Jenepensaispasqueçamemanqueraitmaismaintenantquejen’enreçoisqu’untouslestroisjoursenviron,çamedonneunpeulecafard.
Remercietonmecdemapartd’avoirenfinajoutéducréditsurtontéléphone.Vousavezcouchéensembleoupasencore?Tumemanques.
Safranchisemefaitrire;jeluirépondstoutdesuite.
Non,onn’apasencorecouchéensemble.Maisonestquandmêmeallésassezloindoncjesuissûrequesapatiencevabientôts’épuiser.Repose-moi laquestionaprès-demainsoir,maréponseserapeut-êtredifférente.Tumemanquesencoreplus.
J’appuiesurENVOYERenfixantl’écran.Jen’aipasencorevraimentréfléchisij’étaisprêteàvivrecettepremièrefois,maisilsemblequejeviennespontanémentdereconnaîtrequejel’étais.D’ailleurs,siHolderm’invitechezlui,c’estpeut-êtrejustementunefaçondemetestersurcettequestion.
Alorsquej’enclenchelamarchearrière,monportablesonne.Jel’attrape:textodeHolder.
Attends-moi.Jereviensàtavoiture.
Jemeremetsaupointmortetbaissemavitreaumomentoùilarrive.—Coucou…,murmure-t-ilensepenchantàmafenêtre.Leregardfuyant,iljettedescoupsd’œilnerveuxautourdelavoiture.Jedétestelevoirmalàl’aise
comme ça, c’est toujours signe qu’il s’apprête à dire quelque chose que je n’ai pas forcément envied’entendre.
—Euh…,fait-ilenmeregardantencore,éclairéparunrayondesoleilsoulignantlabeautédesestraits.
Sesyeuxsontplongésdanslesmiens,commesipourrienaumondeilsnevoulaientvoirautrechose.—Tu,euh…Tuviensdem’envoyeruntextomaisàmonavis,c’estàSixquetuvoulaisl’envoyer.Oh, j’y crois pas ! J’attrape aussitôt mon téléphone pour vérifier qu’il ne me raconte pas des
histoires.Malheureusement, non. Je jette le téléphone sur le siège passager et croise lesmains sur levolantenmecachantlevisage.
—J’ycroispas!—Regarde-moi,Sky.Ronchonnant, je l’ignore, attendant qu’un tunnel spatio-temporelmagique s’ouvrepourm’emporter
loindetoutescessituationsembarrassantesdanslesquellesj’ailechicpourmefourrer.Jesenssamainmecaresserlajoueettournerdoucementmonvisageverslui.Leregardqu’ilposesurmoidébordedesincérité.
—Queçasepassedemainsoiroul’anprochain,jeteprometsqueceseralaplusbellesoiréedetavie.Maissituledécides,fais-leuniquementpourtoietpourpersonned’autre,d’accord?Mondésirnes’estomperajamaismaisjerefusedecoucheravectoiavantd’êtresûràcentpourcentquetuenasautantenviequemoi.Nerépondspastoutdesuite.Jevaismeretourner,repartiràmavoiture,etonvafairecomme si cette conversation n’avait jamais eu lieu. Sinon, tu risques de ne plus pouvoir t’arrêter derougir.
Ilsepencheàlafenêtrepourmefaireunpetitbisou.—T’esvraimentadorable, tu saisça?Mais il fautabsolumentque t’apprennesà te servirde ton
portable.Ilmefaitunclind’œilets’envatandisquejerenverselatêteenmemaudissanttoutbas.Jehaislatechnologie.
***
Je passe le reste de la soirée à tenter d’oublier ce texto humiliant. J’aide Karen à emballer desarticlespoursaprochainevente,puisfinisparallermecoucheravecmaliseuse.Jel’aiàpeinealluméequel’écrandemonportables’allumesurmatabledenuit.
Jesuisenroutepourcheztoi.Ilesttardettamèreestlà,jesais,maisj’aitropenviedet’embrasser.Jetiendraijamaisjusqu’àdemainsoir.Vérifiequetafenêtren’estpasverrouillée.
Unefoisquej’ailulemessage,jemelèveàtoutevitessepourallerfermerlaportedemachambreàclé, bien contente queKaren ait décidé de se coucher tôt. Ensuite je file à la salle de bains pourmebrosser les dents et les cheveux, puis j’éteins la lumière etme recouche discrètement. Il n’est encorejamaisvenuencachettequandKarenétait là.J’ai letracmaisc’estexcitant.Etjen’aiabsolumentpasmauvaiseconsciencequ’ilvienne,preuvequejefiniraienenfer.Jesuislapirefillequ’unemèrepuisseavoir.
Quelques instantsplus tard,mafenêtres’ouvreet je l’entendssefaufilerdansmachambre.Jesuistellementcontentedelevoirquejemeprécipitepourl’accueillirenmejetantàsoncou,puisjeluisautedans les bras pour l’obliger àme porter pendant que je l’embrasse. Lesmains sousmes fesses, il sedirigeverslelitenmetenantfermementetmedéposeendouceur.
—Quelaccueil!Moiaussi,jesuiscontentdetevoir,dit-ilensouriantjusqu’auxoreilles.Il trébuche, s’écroule surmoi etm’embrasse à nouveau. Ce faisant, il tente d’envoyer valser ses
chaussuresmaisilabeaucoupdemaletsemetàrigolerbêtement.—Tuasbu?jedemande.Posantundoigtsurmeslèvres,ils’efforcedesecalmermaisenvain.Ilesthilare.—Non.Enfin,si.—Beaucoup?Ilglisselatêtedansmoncouetileffleuremaclaviculedeslèvres,provoquantuneondedechaleur
enmoi.—Assezpouravoirenviede tefairepleindevilaineschosesmaispasassezpourpasserà l’acte
alorsquej’aibu.Maisquandmêmeassezpourm’ensouvenirdemainsijamaisjepassaisàl’acte.Jeglousse,àlafoistotalementembrouilléeetexcitéeparcetteréponsetordue.—C’estpourçaquetuesvenu?Parcequet’esivre?Ilfaitnondelatête.—Jesuisvenuparcequejevoulaisunbisouavantdedormiretjenetrouvaisplusmesclés.J’en
avaistellementenvie,mabelle!Tum’astropmanqué,cesoir.Saboucheaungoûtdelimonadelorsqu’ilm’embrasse.—Pourquoituasungoûtdelimonade?Ilpouffe.—Parcequ’ils servaientquecescocktailsde filleshyper sucrés. Jeme suis soûléaucocktailde
fruits!Jesais,c’estmoche.—Non,tuasplutôtbongoût,jedisenl’embrassantdeforce.Ilgémitetsecolleàmoienenfonçantdavantagesalanguedansmabouche.Maisdèsquenoscorps
s’emboîtent,ils’écarteetserelève,melaissantseuleethorsd’haleinesurlelit.—Ilesttempsquejedécolle,décide-t-il.Jesensd’icilatournurequeçavaprendreetjesuistrop
soûlpoursuivrelerythme.Onsevoitdemainsoir.Jemelèved’unbondetcoursàlafenêtrepourluibarrerlepassage.Ils’arrêtedevantmoi,croisant
lesbras.—Reste,s’il teplaît.Allonge-toisimplementsur le litavecmoi.Onn’aqu’àmettredesoreillers
entrenous,situveux,etjeteprometsdenepast’allumervuquetuesbourré.Restejusteuneheure,neparspastoutdesuite.
Ilrepartsansbroncherverslelit.—D’accord,accepte-t-ildocilement.C’étaitdugâteau.Jem’allongeàmontour.Nousneplaçonspasd’oreillerentrenous.Jeglisseunbrassursapoitrineet
intercaleunejambeentrelessiennes.—Bonnenuit,marmonne-t-ilenramenantmescheveuxenarrière.Ilme plante un baiser sur le front et ferme les yeux.La tête blottie contre son torse, j’écoute ses
battementsdecœur.Auboutdequelquesinstants,sarespirationetsonrythmecardiaquesontréguliersetildortàpoingsfermés.Commej’aiunecrampe,jesoulèvedélicatementlebrasetmeretournesansfairedebruit.J’aiàpeinecalélatêtesurl’oreillerqu’ilglisseunbrasautourdemataille.
—Jet’aime,Hope,marmonne-t-il.Euh,d’accord…
Respire,Sky.Toutvabien.Allez,force-toi.Respireàfond.Lesyeuxbienfermés, jem’efforcedecroireque j’aimalentendu.Pourtantc’étaitclaircommede
l’eauderoche.Etfranchement,jenesaispascequimebriselepluslecœur:qu’ilm’aitappeléeparleprénomd’uneautreouquecettefoisilaitutiliséleverbe«aimer»aulieude«vivre».
J’essaiedemeconvaincredenepasmeretournerpourluimettremonpoingdanslafigure.Iladitçaenétant ivreetàmoitiéendormi.Jenevaispasprésumerquecettefillecompteréellementàsesyeuxalorsqu’ilétaitpeut-êtreentrainderêver.N’empêche,c’estqui,cetteHope?Etpourquoiill’aime?
Treizeansplustôt
Jesuisensueur:ilfaitchaudsouslacouette,maisjepréfèregarderlatêteendessous.Jesaisbienquesi laportes’ouvre,çanechangerarienque jesoiscachéeounon,mais jemesensquandmême plus en sécurité dessous. Comme chaque soir, je glisse les mains au bord de la couette quirecouvremesyeuxpourlasouleverdoucementetjeteruncoupd’œilauboutondelaporte.
Qu’ilnepivotepas.Pitié,faitesqu’ilnepivotepas.Iln’yajamaisunseulbruitdansmachambre.Jedétesteça.Parfoisj’entendsdeschoses.Jecrois
quec’estleboutonquipivoteetmoncœursemetàcogner.Àcetinstantprécis,rienquederegarderlaporte,moncœurtambourinecommeunfoumaisc’estplusfortquemoi,ilfautquejeregarde.Jeneveuxpasqueleboutonpivote.Jeneveuxpasquelaportes’ouvre.Vraiment.
Toutestcalme.Silencieux.Leboutonnebougepas.Moncœurs’apaiseunpeu.Mespaupièresdeviennenttrèslourdesetjefinisparlesfermer.Jesuisvraimentcontente,cettenuitneserapasunedecellesoùlaportes’ouvre.Iln’yapasunbruit.Aucun.Maistoutàcoup,j’entendsquelquechose.Etleboutonpivote.
Samedi27octobre2012
Aubeaumilieudelanuit
—Sky.Jemesenssilourde.Toutesttroplourd.Jen’aimepascettesensation.Riennepèsephysiquement
surmapoitrine,etpourtantjemesensoppresséecommejamais.Ettriste,aussi.Unepeineimmensemeconsumemaisjenesaispasdutoutpourquoi.Mesépaulestremblent,j’entendsquelqu’unpleurerdanslachambre.Quiça?
Moi?—Sky,réveille-toi.Jesenssonbrasm’enlacer.Ilestallongéderrièremoietmeserrecontrelui.Jerepoussesonbraset
meredressesurlelittoutenregardantautourdemoi.Ilfaitnuitdehors.Jenecomprendsrien.Pourquoijepleure?
Ilseredresseàsontouretmefaitpivoterversluienessuyantmeslarmesdupouce.—Tum’inquiètes,mabelle.Ilmeregarded’unairsoucieux.Jeplisselesyeuxententantdemeressaisir.Jenecomprendsrienà
cequim’arriveetj’aidumalàrespirer.Jem’entendspleureretçamecoupelittéralementlesouffle.Leréveilsurmatabledenuitindiquetroisheures.Peuàpeu,toutmerevientmais…pourquoiest-ce
quejepleure?—Pourquoitupleures?demandeHolderenmeserrantdoucement.Jelelaissefaire.Jemesensensécuritéaveclui,àl’abridanssesbras.Ilm’enlaceetmecaressele
dos,déposantdetempsàautreunbaiserdansmescheveux.«Net’inquiètepas»,répète-t-iljenesaiscombiendefoisetonrestecommeçapendantcequimeparaîtêtreuneéternité.
Peuàpeu,lepoidssurmoncœurs’allège,etjefinisparséchermeslarmes.Néanmoins j’ai peur, jen’ai jamais étédans cet état.De toutemavie, jamais jen’ai éprouvéune
tristesseaussiinsoutenable.Commentunrêvepeut-ilavoiruneffetaussiviolentsurmoi?—Çava?chuchote-t-il.J’acquiesce,latêtecaléecontresontorse.—Qu’est-cequis’estpassé?—J’ensaisrien,jeréponds,impuissante.J’aidûfaireuncauchemar.—Tuveuxenparler?propose-t-ilenmecaressantlescheveux.Jesecouelatêteensignederefus.—Non,jepréfèreoublier.Ilmeserreunbonmoment,puism’embrassesurlefront.
—J’aipasenviedetelaissermaisilfautquejerentre.Jeneveuxpasquetuaiesdesennuisàcausedemoi.
J’acquiesceencoremaissanslelâcher.J’aimeraisbienlesupplierdenepasmelaisserseulemaisjen’ai pas envie d’avoir l’air désespérée et morte d’angoisse. Ça arrive à tout le monde de faire descauchemars;jenecomprendspaspourquoijeréagisdecettefaçon.
—Rendors-toi,Sky.Toutvabien,c’étaitjusteunmauvaisrêve.Jemerallongeenfermantlesyeux.Jesenssabouchem’effleurerlefrontetpuisplusrien.Ilestparti.
Samedi27octobre2012
20h20
J’étreinsrapidementBreckinetMaxsur leparkingdumusée.LevernissageaprisfinetHolderetmoiallonsrentrerchezlui.Jesaisquejedevraisavoirletracàl’idéedecequivapeut-êtresepasserentrenouscesoirmaiscen’estpasdutoutlecas.Quoiqu’onfasse,jemesenstoujoursàl’aiseaveclui.Enfin,saufquandjepenseàcettephrasequin’arrêtepasdetournerenboucledansmatête.
Jet’aime,Hope.J’aimeraisluienparlermaiscen’estjamaislebonmoment.Levernissagen’étaitpasl’endroitpour
aborder le sujet.Là,maintenantc’estpeut-être lebonmomentmaischaque foisque j’ouvre labouchepourmelancer,jelarefermeaussisec.Jecroisqu’ilmecoûteraplusdedécouvrirquiestcettefilleetcequ’elle représente à ses yeux que de trouver le courage de poser la question. Tant que je repoussel’interrogatoire,jenesuispasforcéed’apprendrelavérité.
—Tuveuxallermangerunmorceau?propose-t-ilensortantduparking.— Oui, je réponds vite fait, soulagée qu’il ait interrompu mes réflexions. Je mangerais bien un
cheeseburger.Etdesfritesaufromage.Etj’aiaussienvied’unmilk-shakeauchocolat.Ilglousseenmeprenantlamain.—Tuneseraispasunpeuexigeante,maprincesse?Jelelâcheenmeretournantbrusquement.—Arrêteçatoutdesuite.Ilmeregarde,décelantcertainementmacolèremalgrél’obscurité.—Hé,souffle-t-ild’untonapaisantenmereprenantlamain.Jenetetrouvepasexigeante,Sky.Je
disaisçapourrire.Jesecouelatête.—Jeneparlaispasdeça.Nem’appellepasta«princesse».J’aihorreurdecemot.Ilmedécocheuncoupd’œilencoinpuisreportesonattentionsurlaroute.—OK.Jetentedemesortircemotdelatête.Jenesaispaspourquoijedétesteautantlessurnomsmaisc’est
un fait.Même si j’ai consciencequema réaction était unpeu exagérée, il n’a pas intérêt àm’appelerencore une fois comme ça. Et pendant qu’on y est, il feraitmieux d’éviter aussi dem’appeler par leprénomdesesex.Qu’ils’entienneàSky…ceseraplussûr.
Onroulesanssedireunmotetjeregrettedeplusenpluslamanièredontj’airéagi.Aulieud’êtrecontrariéequ’ilmesurnommesaprincesse,jedevraisplutôtm’inquiéterqu’ilm’aitprisepouruneautre.À croire que je reporte ma colère sur ça parce que j’ai trop peur d’évoquer ce qui me tracasse
réellement. Pour tout dire, j’aimerais simplement passer une soirée tranquille avec lui, sans dispute.J’auraitoutletempsdelequestionnerausujetdeHopeunautrejour.
—Excuse-moi,Holder.Ilmeserrelamainmaisn’ajouterien.Une fois garésdans l’alléede samaison, je sors de la voiture.En finde compte, onne s’est pas
arrêtéspouracheteràmangermais jepréfèrenepas fairede remarque. Ilmerejointpourmeprendredanssesbras.Tandisquejel’enlaceàmontour,ilmefaitpivoterlentement,dosàlavoiture,etjeposelatêtecontresonépauleenrespirantsonodeur.L’atmosphèretenduedutrajetestencorepalpablealorsjem’efforcedemelaisserallerdanssesbraspourluifairecomprendrequepourmoi,c’estoublié.Duboutdesdoigts,ilmecaresselesbras,desfrissonsparcourentmapeau.
—Jepeuxteposerunequestion?dit-il.—Toujours.Poussantunsoupir,ils’écarteenplantantsonregarddanslemien.—Est-cequejet’aifaitflipperlundi,quandonétaitdansmavoiture?Sic’estlecas,jesuisdésolé.
Jenesaispascequim’apris.Jenesuispasunelavette,jetejure.Jen’avaispaspleurédepuislamortdeLessetautanttedirequej’auraispréférééviterdelefairedevanttoi.
Jereposelatêtecontresonépauleenl’étreignantdeplusbelle.—Tusaiscettenuit,quandjemesuisréveilléeaprèsmoncauchemar?—Oui?—C’estladeuxièmefoisdemaviequejepleuredepuisquej’aicinqans.Lapremièrefois,et la
seule,c’étaitaprèsquetum’asracontécequiestarrivéàtasœur.J’aipleurédanslasalledebains.Justeunelarmemaisçacomptequandmême.Jecroisquequandonestensemble,onselaisseunpeuemporterparlaforcedenosémotionsetondevienttouslesdeuxdeslavettes.
Ilm’embrassesurledessusdelatêteenriantdoucement.—Quelquechosemeditquejenevaispasmecontenterdetevivreencoretrèslongtemps.Surce,ilmefaitundernierbaiseretm’attrapeparlamain.—Prêtepourlavisite?Je lui emboîte le pas vers lamaison,mais je suis encore abasourdie par ce qu’il vient de dire :
bientôtilnemevivraplus.Endécodé:ilm’aimera.Ilvientd’avoueràdemi-motqu’ilétaitentraindetomber amoureux demoi. Et le plus troublant dans cette forme de déclaration, c’est qu’elleme plaîtbeaucoup.
Onpénètredanslamaison,quineressembleenrienàcequej’imaginais.Vuedel’extérieur,elleneparaîtpastrèsgrandeetpourtantellecomporteungrandvestibule.Touteslesmaisonsn’enontpas.Surladroite,unpetitpassagevoûtéconduitauséjour.Lesmurssontentièrementtapissésdelivresjusqu’auplafond,sibienquej’ail’impressionquejeviensd’atterrirauparadis.
—Lavache,jedisenavisantl’immensebibliothèquedusalon.—Commetudis,acquiesceHolder.Mamèreétaitassezfuraxquandilsontinventélaliseuse.Jeglousse.—Jecroisquejel’aimedéjà.Quandest-cequetumelaprésentes?Ilsecouelatêted’unaircatégorique.—Jeneprésentepersonneàmamère,déclare-t-ilaussidétachédanslefondquelaforme.Presque aussitôt, sa mine se décompose et il comprend qu’il vient de me blesser. Il s’approche
rapidementetmetsesmainsencoupeautourdemonvisage.—Non,c’estpascequejevoulaisdire.Çanesignifiepasquetunecomptespasplusquemesex.Je
mesuismalexprimé.J’entendsbiencequ’ildit;quandmême,depuisletempsqu’onsortensemble,iln’esttoujourspas
convaincuquecesoitassezsérieuxentrenouspourquejerencontresamère?Jemedemandes’illesera
unjour.—Est-cequeHopeaeul’occasiondelarencontrer?Jesais,jen’auraispasdû,maisjenepouvaisplusgarderçapourmoi.Surtoutmaintenantqu’ilme
parledeses«ex».Jenemefaispasdefilms:jemedoutebienqu’ilestsortiavecd’autresfillesavantmoi.Simplement,çanemeplaîtpasqu’ilenparle.Etencoremoinsqu’ilmeconfondeavecelles.
—Quoi?s’exclame-t-ilenrelâchantlesmains.Ils’écarte.—Pourquoitudisça?Ildevientlivideetjeregretted’avoirabordélesujet.—Laissetomber.Jedisaisçacommeça.T’espasobligédemeprésentertamère.Jenesaispasdansquoi jemesuisembarquéemais jeveuxjustequeças’arrête.Jesavaisqueje
n’étaispasd’humeuràenparlercesoir.Jevoudraisreprendrelavisitedelamaisonetoubliertoutecetteconversation.
Ilmeprendlesmainseninsistant:—Qu’est-cequit’aprisdedireça,Sky?Pourquoituparlesd’elle?—Laissetomber,c’estpassigrave,jerépondsenhochantlatête.Tuavaisbu.Ilmescrutelesyeuxmi-clos;detouteévidence, iln’yaplusmoyend’éviterlesujet.Poussantun
soupir,jecèdeàcontrecœuretm’éclaircislavoixavantdem’expliquer:—Cette nuit, aumoment de t’endormir… tum’as dit que tum’aimais. Sauf que tum’as appelée
Hope,doncc’étaitpasvraimentàmoiquetut’adressais.Tuétaissoûletàmoitiéendormi,doncinutiledetejustifier.Jenesuismêmepassûred’avoirenviedesavoirpourquoituasditça.
Ilétouffeungrognementensepassantlamaindanslescheveux.—Jesuisvraimentdésolé,Sky,dit-ilens’avançantpourmeprendredanssesbras.Çadevaitêtreun
rêveidiot.JeneconnaispersonnedunomdeHopeetaucunedemesexnes’estjamaisappeléecommeça,sic’estcequetut’esimaginé.Jesuisvraimentdésoléquecesoitarrivé.Jen’auraisjamaisdûvenircheztoienétantivre.
J’aibeausentird’instinctqu’ilment,leregardqu’ilposesurmoiàcetinstantesttotalementsincère.— Il faut que tume croies. Je crèverais que tu puisses croire un seul instant que j’ai lemoindre
sentimentpourquelqu’und’autre.Tueslapremièrepourquijeressensça.Touslesmotsqu’ilprononcedébordentdesincéritéetdefranchise.Vuquemoi-mêmejen’arrivepas
àmerappelerpourquoi jemesuisréveilléeenlarmescettenuit, ilpeut trèsbienavoirparlédanssonsommeil à cause d’un rêve sorti de nulle part. Sans compter que tout ce qu’il vient de direm’aide àrelativiseretprouvebienqueleschosesdeviennentvraimentsérieusesentrenous.
Levant la tête pour le regarder, je tente de préparer une réponse globale. J’entrouvre la bouche,attendantquelesmotsviennent,maisenvain.Subitement,c’estmoiquiaibesoindetempspourmettredel’ordredansmesidées.
Les mains toujours autour de mon visage, il attend que je brise le silence. La proximité de nosbouchesaraisondesapatience.
—Ilfautquejet’embrasse,s’excuse-t-il.Onesttoujoursdanslevestibulemaisilréussitjenesaiscommentàmesouleverpourmedéposer
sur l’escalier quimène aux chambres à l’étage. Jeme laisse aller en arrière tandis qu’ilm’embrasseencore,appuyéàlamarcheau-dessusdematête.
Étantdonnénotreposition, il est forcédeposerungenouentremescuisses, cequinechangepasgrand-chosesaufsiontientcomptedufaitquejesuisenrobe.Ceseraitsifacilepourluidemeprendrelà, toutde suite, dans l’escalier,mais j’espère aumoinsqu’on irad’abord jusqu’à sa chambre. Jemedemandes’ilespèrequelquechose,surtoutaprès le textoqueje luiaienvoyéparerreur.Évidemment,qu’ilespèrequelquechose:aprèstoutc’estunhomme.Maisest-cequ’ilsedoutequejesuisviergeet
est-cequejedevraisleluidire?Oui,autantprendrelesdevants.Ils’enrendraprobablementcompte,detoutefaçon.
—Jesuisvierge,jedisdebutenblanc,laboucheencorecolléeàlasienne.Aussitôt, jemedemandecequim’aprisd’avoirsortiça. Jedevraisavoir interdictionàviede la
rouvrir.Ilfaudraitquequelqu’unmeprivedemavoixparcequevisiblement,quandjemelâchesurleplansexuel,jen’aiplusaucunfiltre.
Ilarrêteaussitôtdem’embrasser.Lentement,ilreculelatêteetmeregardedanslesyeux.—Sky,dit-ilsansdétour,sijet’embrasse,c’estparcequeparfoisjenepeuxpasmeretenir.Tusais
très bien quel effet ta bouche a surmoi, mais je n’espère rien de plus, d’accord ? Tant que je peuxt’embrasser,lerestepeutattendre.
Jetentederattraperlecoup.— Je voulais juste que tu le saches. J’aurais peut-être dû choisir un meilleur moment pour te
l’annoncer…parfoisjesorsdestrucssansréfléchir.C’esttypiquechezmoi.Çam’énerveparcequeçameprendtoujoursauxmomentslesplusinopportunsetc’estatrocementgênant.Commemaintenant,parexemple.
Ilrigoleenhochantlatête.—Surtoutnechangerien.J’adorequandtubalancesdestrucssansréfléchir.Etj’adorequandtute
lancesdansdeslonguestiradesaffoléesetridicules.C’estassezexcitant.Jerougis.Ilm’exciteàdirequejel’excite.—Tusaiscequiestsexyaussi?susurre-t-ilensecollantdenouveauàmoi.Sonexpressionenjouéeréduitpetitàpetitmonembarras.—Non,quoi?Ilafficheungrandsourire.—Essayerderegarderunfilmsanssetoucher.Ilserelèveetm’aideàenfaireautantenmetirantparlamain,puisilm’entraînedanssachambreà
l’étage.Unefoislaporteouverte,ilpassedevantpuisseretournepourmedemanderdefermerlesyeux.Au
lieudeça,jeleslèveauciel.—J’aimepaslessurprises.—Tun’aimespasnonpluslescadeauxetcertainstermesaffectueuxordinaires.J’aicompris.Mais
c’estjusteuntruccoolquej’aimeraistemontrer.Cen’estpasuncadeau,rassure-toi.Alorsprendssurtoietfermelesyeux.
J’obéistandisqu’ilmetiredanslapièce;jem’yplaisdéjàcarellesentexactementsonodeur.Ilmefaitavancerdequelquespasavantdeposerlesmainssurmesépaules.
—Assieds-toi.Jemeposesurcequiressembleàunlit,ettoutàcoup,jemeretrouvesurledostandisqu’ilsoulève
mesjambes.—N’ouvrepaslesyeux!Ilme rehaussepourmecalercontreunoreiller.D’unemain, il agrippe lebasdema robepour la
ramenersurmesgenouxetfaireensortequ’ellenebougeplus.—Ilfautbientecouvrir.T’aspasledroitdememontrertescuissesquandtuesallongéecommeça.Jeristoutengardantlesyeuxfermés.Subitement,ilmegrimpedessusenfaisantattentionànepasme
donnerdecoupdegenou.Jelesenss’installeràcôtédemoi.—OK.Tupeuxrouvrirlesyeuxmaisattends-toiàenprendrepleinlavue.J’ai peur. Lentement, j’entrouvre une paupière. J’hésite à deviner tout haut ce que je vois car on
croiraitpresqueunetélé.Saufqued’habitude,lestélésn’occupentpasdeuxmètresdemur.Cemachinestgigantesque.Ilpointeunetélécommandedanssadirectionetl’écrans’allume.
—Lavache!jedis,impressionnée.ElleestÉ-NORME.—C’esttoiquiledis!Je lui donne un coup de coude dans les côtes tandis qu’il s’esclaffe. Il pointe de nouveau la
télécommandeverslatélé.—Quelesttonfilmpréférédetouslestemps?J’aiNetflix.J’inclinelatêteverslui,confuse.—Netquoi?Amusé,ilhochelatêted’unairdéçu.—J’oublietoujoursquetechnologiquementparlant,tuesàl’âgedepierre.C’estunpeucommeune
liseusemaisavecdesfilmsetdesémissionstéléàlaplacedeslivres.Onpeutregarderpourainsidiretoutcequ’onveutd’unsimpleclic.
—Ilyadespubs?—Aucune,répond-ilfièrement.Alors,qu’est-cequetuproposes?—Est-cequetuasUnvraischnock?J’adorecefilm.Ilappuiesurleboutondeveillepouréteindrelatélé.Pendantquelquessecondesinterminables,ilne
ditplusrien,puisilsoufflebruyamment,sepenchepourposerlatélécommandesurlatabledenuitetseretournefaceàmoi.
—Jen’aiplusenviederegarderlatélé.Quoi,ilboude?Maisqu’est-cequej’aidit?—Pas de problème. On n’est pas obligés de regarderUn vrai schnock. T’as qu’à choisir autre
chose,grosbébé!jedisenriant.Sonexpressionestimpénétrable;ilcontinuedemefixermaisneréagitpastoutdesuite.C’estalors
qu’ilglisselamainsurmonventreetm’empoignefermementparlataillepourm’attirercontrelui.—Tusais…,murmure-t-illesyeuxmi-closenparcourantmoncorpsduregard.Suivantdudoigtlesmotifsdemarobe,ilmecaressedélicatementleventre.—…Jepeuxsupporterl’effetquemefaitcetterobe…Ilsedétournedemonventrepourcontemplermabouche.—Jepeuxmêmesupporterd’avoirtaboucheenpermanencesouslesyeuxsanspouvoirl’embrasser
etd’entendretonmerveilleuxrirequimedonneenviedetecouvrirdebaisersettedévorertoutentière…Sa bouche se rapproche dangereusement et mon cœur se met à tambouriner au son de sa voix,
brusquementplusgraveet fiévreuse. Ildévieversma jouepouryplanterunbaiser, son soufflechauddéferlantsurmapeaucommeilparle:
—Jepeuxmêmesupporterlesmillionsdefoisoùjemesuisrejouélascènedenotrepremierbaiserdepuisunmois:lecontactdetapeau,tesgémissements,leregardquetum’aslancéjusteavantquejet’embrasse…
Ilbasculesurmoietramènemesbrasau-dessusdematêteenlesmaintenantàdeuxmains.Jeneveuxpasperdreunemiettedecequiestentraindesepasser.
—Maistusaiscequejenevaispaspouvoirsupporter,Sky?ajoute-t-ilensemettantàcalifourchonsurmoi.Tusaiscequimerenddingueetquimedonneenviedetecaresseretdet’embrasserabsolumentpartout?C’estlefaitquetuviennesdedirequ’Unvraischnockétaittonfilmpréféré.Là,c’esttrop.
Ilrapprochesubitementsonvisage,sabouchefrôlantlamienne.—Tun’aspasidéeàquelpointçam’exciteetlà,jecroisqu’onvaêtreobligésdes’embrassertoute
lanuit.Sonespiègleriemefaitrire.—«Ildétestecesboîtes!»jechuchoted’untonenjôleurtoutcontreseslèvres.Poussantungémissement,ilm’embrassepuiss’écarte.
—Encore…S’ilteplaît…T’entendresortirdesrépliquesdefilmsestcentfoisplusexcitantquedet’embrasser.
Hilare,j’enciteuneautretiréedufilm:—«Nerestezpasprèsd’elles!»Ilgémit,amusé,aucreuxdemonoreille.—Hum,jetereconnaisbienlà.Encore.Unedernière.—«J’aibesoinderien,moi!»jem’enflammeunpeud’unairtaquin.«Ilmefautlecendrier,les
raquettes,latélécommandeetpuiscettelampe…etc’esttout.J’aibesoinderiend’autre,rien!»Holderritdésormaisauxéclats.Vulenombredefoisoùj’aipassélanuitàmatercefilmavecSix,il
n’apasidéedunombrederépliquesquejeconnaisparcœur.—C’esttout?intervientHolder.Tuessûredeça,Sky?Savoixestsuaveetséductrice,totalementaphrodisiaque.Jefaisnondelatête,monsourires’évanouissantunpeu.— Et de toi, j’ajoute tout bas. J’ai besoin de la lampe, du cendrier, des raquettes, de la
télécommande…etdetoi.C’esttout.Il rit, puis son rire s’éteint rapidement lorsque ses yeux croisent encorema bouche. Il l’examine,
élaborantsansdoutelesortqu’illuiréservepourl’heureàvenir.—Ilfautquejet’embrassetoutdesuite.Nosbouchessetélescopentetàcetinstantprécis,jen’aivraimentbesoinderiennipersonned’autre
quelui.Ilm’embrasseavecfouguemaisj’aibesoindelesentircolléàmoi.Lesmainstoujourscoincéesau-
dessusdelatête,j’ailaboucheengourdie,incapabled’alignerdeuxmotssouslefeudesesbaisers.Jen’aiqu’unesolution:luifaireuncroche-piedpourledéséquilibrer,cequejem’empressedefaire.
Dèsquesoncorpsculbutesurlemien,jepousseungémissement.Bruyant.Jen’avaispastenucomptedufaitqu’enlevantlajambe,lebasdemarobeallaitdumêmecoupremonter.Trèshaut.Ajoutezcelaaucontactdurdesonjean,vouscomprendrezqu’ilyadequoigémir.
—NomdeDieu,Sky…,souffle-t-ilhorsd’haleineentredeuxbaisersintenses.Iladéjàlesoufflecoupéalorsqueçanefaitmêmepasuneminutequ’onacommencé.—Tuesdélicieuse.Mercid’avoirmiscetterobe.Ilm’embrasse,marmonnantparintermittencecontremeslèvres.—Jel’aimevraiment…Ilmecouvrelabouchedebaisers,puislementon,avantdes’arrêterdansmoncou.—…vraimentbeaucoup…tarobe.Sa respiration est à présent si saccadée que c’est à peine si je comprends ce qu’il raconte.
Brusquement,ildescendunpeuplusbassurlelitetseruesurmagorgepourl’embrasser.Jerenverselatêteenarrièrepourqu’ilyaitpleinementaccès,désormaisprêteàsentirsabouchen’importeoùsurmoncorps.Ilrelâcheunpeumesmainspourdescendreplusbas,versmapoitrine;l’unedessiennesvientseposersurmacuisse,qu’ilsemetlentementàcaresser,repoussantlepeudetissuquicouvraitencoremesjambes. En atteignant ma hanche, il retient son geste et me serre fermement, comme s’il imploraitsilencieusementsamaindenepass’aventurerplusloin.
Jemetortillepourluimontrerlavoie,espérantqu’ilcomprendraàdemi-motqu’ilacarteblanche.Jeneveuxpasqu’ilpenseunseulinstantquej’hésiteàallerplusloin.Aucontraire,qu’ilfassetoutcedontilaenvie,j’enaibesoin.J’aibesoinqu’il«conquière»autantdepremièresfoisquepossiblecesoircarsubitementjemesensinsatiableetjeveuxtoutvivreaveclui.
Comprenantlesincitationsdemoncorps,ilapprochepeuàpeulamaindel’intérieurdemacuisse.L’idéeseulequ’ilmetouchesuffitàfairesecontractertousmesmusclesàpartirdelataille.Sabouches’estfaufiléejusqu’àlanaissancedemesseins.Maintenant,jevoudraisqu’ilmedéshabilleentièrement
pouravoirlechamplibre.Pourcela,ilfaudraitqu’ilseservedesonautremainorelleestvraimentbienlàoùelleestàcetinstant.J’aimeraismêmequ’elles’aventureuntoutpetitpeuplus,etsurtoutpasqu’elles’éloigne.
Agrippantsonvisageàdeuxmains,jel’obligeàm’embrasserplusardemmentpuisjeposemesmainsdanssondos.
Ilestencoreentee-shirt.Çavapas,ça.J’entreprendsdeleluiretirer,réalisanttroptardquecettemanœuvrel’obligeàlâchermacuisse.J’ai
dûpousserunpetitcriplaintifsansm’enrendrecomptecarilmefaitungrandsourireetm’embrasseaucoindelabouche.
Ilmecaresselevisageensuivantchacundesestraits.Sansjamaisdétournersesyeuxdesmiens,ilcontinuedemefixermêmeaumomentdebaisserlatêtepourmeplanterunekyrielledebisoustoutautourde la bouche. Quand il me regarde de cette façon, je me sens… je tente de trouver un adjectif pourcomplétercettepenséemaisenvain.Aveclui,jemesensvivre,toutsimplement.C’estleseulgarçonquise soit toujours souciéde ceque je ressens.Rienquepour ça, je succombeencoreunpeuplus à soncharme.Malgrétout,j’ailesentimentquecen’estpasassezcartoutàcoup,j’aienviedem’abandonneràlui,corpsetâme.
—Holder,jedisdansunsoupir.Ilremontedoucementlesmainssurmatailleenserapprochant.—Sky?répond-ilaveclamêmeintonation.Saboucheseposesurlamienneetilglissesalangueàl’intérieur.Elleestdouceetchaudeetmême
sijesaisqueladernièrefoisquej’yaigoûtéremonteàtrèspeudetemps,ellem’amanqué.Lesmainsàprésentdepartetd’autredematête,ilmaintientunelégèredistanceentrenoscorps.Seulesnosbouchesrestentencontact.
—Holder, jemarmonneenreculantlatêteetenposantlamainsursajoue.J’enaienvie.Cesoir.Maintenant.
Ilrestedemarbre,continuantdemefixercommes’iln’avaitrienentendu.Etc’estpeut-êtrelecas,carilneréagitvraimentpasàmonoffre.
—Sky…Sontonesttrèshésitant.—Onn’estpasobligés.Jeveuxquetusoissûreetcertained’enavoirenvie.D’accord?Ilmecaresseencorelajoue.—Jeneveuxpastepousseràquoiquecesoit.—Jesaisbien,maisjeteleredis:j’enaivraimentenvie.Çan’ajamaisétélecasavecpersonne
avantmaisavectoi,j’enaienvie.Ilneperdpasunemiettedecequejedismaissoitilrefusedeserendreàl’évidence,soitiln’en
croitpassesoreilles:ilneréagittoujourspas.Agrippantsesjoues,j’attiresaboucheverslamienne.—Jenesuispasentraindetedirequejesuisd’accord,Holder.Jesuisentraindetesupplier.Sur ce, il plaque ses lèvres contre les miennes dans un gémissement. Entendre ce son guttural
remonterdufonddesapoitrinemeconforted’autantplusdansmadécision.J’aienviedeluiettoutdesuite.
—Onvavraimentlefaire?souffle-t-ilcontremaboucheencontinuantdem’embrassercommeunfou.
—Oui,vraiment.Detoutemavie,jen’aijamaisétéaussisûredequoiquecesoit.Samainremontesurmacuisse,glisseentremahancheetmaculottepuiscommenceàlabaisser.—Avant,jeveuxjustequetumepromettesunechose.Ilm’embrassetendrementpuisretiresamaindemaculotte(zut!)enmedisantouidelatête.
—Toutcequetuvoudras.Aussitôt,j’attrapesamainpourlaremettreexactementoùelleétait.—Jeveuxlefairemaisuniquementsituprometsqu’onvabattrelerecorddelameilleurepremière
foisdanstoutel’histoiredespremièresfois.Ilmecontempleensouriant.—Entretoietmoi,Sky…ceneseratoujoursquelemeilleur.Glissantlebrassousmondos,ilm’attirecontreluipourmeredresserpuisapprochelesmainspour
baisserlesfinesbretellesdemarobesurmesépaules.Lesyeuxfermésdetoutesmesforces,jecollemajoueàlasienneenempoignantsescheveux.Jesenssonsoufflesurmonépauleavantmêmequesabouchenes’ypose. Il l’embrasse très légèrementmaisc’estcommes’il touchaitetenflammaitmoncorps toutentier.
—Jel’enlève,dit-il.Jenesaispastrops’ilmedemandelapermissiond’ôtermarobeous’ilm’annoncesimplementqu’il
valefaire.Qu’importe,j’acquiesce.Illaremontepourlafairepasserpar-dessusmatête,mapeaunuefourmillantsoussesdoigts.Endouceur,ilmerallongesurl’oreilleretj’ouvrelesyeuxpourleregarder,fascinéeparsonincroyablebeauté.Aprèsm’avoirobservéependantquelquesinstants,ildévielesyeuxverssamainquiétreintmataille.
Lentement,ilparcourtmoncorpsduregard.—NomdeDieu,Sky…,souffle-t-ilenmecaressantleventreavantdesepencherpourydéposerun
baiser.Tuessublime.Jen’aijamaisétéaussidénudéedevantungarçonmaisleregardadmiratifqu’ilposesurmoineme
donnequ’uneenvie:memettreencoreplusànu.Ensentantsamainremonterlentementversmonsoutien-gorgeeteffleurersescontoursdupouce,jerefermemalgrémoilesyeux,laboucheentrouverted’extase.
J’aitellementenviedelui.J’encrèved’envie.J’attrape son visage pour l’attirer versmoi et enroule les jambes autour de ses hanches.Dans un
gémissement,illâchemonsoutien-gorgepourredescendrelamainsurmataille.Cettefois,ilbaissemaculotte surmescuisses,m’obligeant à écarter les jambespourpouvoir l’ôter complètement.Trèsvite,monsoutien-gorgeconnaîtlemêmesort.Unefoisquejeneporteplusrien,ilserelèveàmoitié,penchéau-dessusdemoi.Oncontinuedes’embrassercommedesfousetilenlèvesonpantalon,puisilgrimpedenouveausurlelitpours’allongersurmoi.Onestàprésentétenduspeaucontrepeaupourlapremièrefois,siprèsl’undel’autrequ’aucunfiletd’airnepourraitpasserentrenous,etpourtant,j’ailesentimentqu’onestencoreloinducompteentermesd’intimité.Iltendlebrasentâtonnantverslatabledenuitetsortunpréservatifdutiroir,qu’ilposesurlelitavantdeserallongersurmoi.Souslepoidsdesoncorps,mesjambess’écartentdavantagemaissubitementjetressaille,réalisantquel’impatiencequimenouaitl’estomacalaisséplaceàl’effroi.
Etàlanausée.Etàlapeur.Moncœurbatàtoutrompreetjecommenceàsuffoquer.Deslarmesmepicotentlesyeuxtandisqu’il
chercheàtâtonslepréservatifàcôtédenous.Unefoisqu’ill’atrouvé,jel’entendsl’ouvrirmaisjefermelesyeuxdetoutesmesforces.Jelesensd’icireculerpourseredresseràgenoux.Jesaisqu’ilestentraindel’enfileretcequivasepasserensuite.Jesaisqueleffetçafait,quec’esttrèsdouloureuxetqu’unefoisqueceserafini,jepleurerai.
Maisd’oùest-cequejetiensça?Commentjepeuxlesavoirsijenel’aiencorejamaisfait?Meslèvressemettentàtrembleralorsqu’ilserallongeentremesjambes.M’efforçantdepenserà
quelque chose susceptible de calmermon angoisse, jem’imagine une voûte étoiléemagnifique. Si jeparviensàgardercetteimageentête,uncielmagnifiqueentoutescirconstances,jepourraimeconcentrersurçaetoublierl’horreurdecequejesuisentraindevivre.Commejeneveuxpasrouvrirlesyeux,je
me borne à compter en silence dans ma tête. Visualisant l’amas d’étoiles au-dessus de mon lit, jecommenceparlebaspourremonterjusqu’enhaut.
Un,deux,trois…Jelescompteuneparunesansm’arrêter.Vingt-deux,vingt-trois,vingt-quatre…Jeretiensmonsoufflesanslesquitteruneseulesecondedesyeux.Cinquante-sept,cinquante-huit,cinquante-neuf…Jevoudraisquecesoitdéjàfini,qu’ilsepousse.Soixanteetonze,soixante-douze,soixante-tr…—Maismerde,Sky!s’écrieHolderenécartantlebrasquimecachelesyeux.Jeneveuxpasqu’ilm’obligeàregarderalorsjerésisteetgardelebrasbienplaquésurmesyeux
pourresterdanslenoiretcontinuerdecompterdansmatête.Tout à coup, je sensmondos se soulever de l’oreiller et jeme retrouve assise, les bras ballants,
incapable de bouger tandis qu’ilm’enlace étroitement. Je n’ai plus aucune force et la gorge nouée desanglots. Je pleure à chaudes larmes, ballottée dans ses bras. Comme je ne comprends pas ce qu’ilfabrique,jerouvrelesyeux.Moncorpsoscilledansunmouvementdeva-et-vientetl’espaced’uninstant,je panique et referme les yeux très fort, pensant qu’il n’en a pas fini. Je sens ensuite la couettem’envelopper tandis qu’il passe un bras dansmon dos etme caresse les cheveux enme chuchotant àl’oreille.
—Toutvabien,mabelle.Laboucheenfouiedansmoncou,ilmebercecontrelui.Jerouvrelesyeuxmaisilssontembuésde
larmes.—Jesuisdésolé,Sky.Vraimentdésolé.Plantantplusieurspetitsbaisersdansmescheveux, ilcontinuedemebercerenmedisantqu’ilest
désolé,qu’ils’excuse,quecettefois,ilmedemandepardon.Enreculant,ilvoitquej’ailesyeuxouverts.Lessienssontrougismaisdénuésdelarmes.Pourtant,
iltremble.Àmoinsquecenesoitmoi?Jecroisqu’ontrembletouslesdeux.Ilm’observeattentivement,commes’ilcherchaitquelquechose,commes’ilm’avaitperdue.Peuà
peu,jeparviensàmedétendre:quandjesuisdanssesbras,jen’aipaslesentimentdebasculerdanslevide.
—Qu’est-cequis’estpassé?jebredouille.Jenecomprendspascequim’arrive.Ilsecouelatête,leregardemplidechagrin,decrainteetderegret.—J’ensaisrien.Tut’esmiseàcomptertoutbasenpleurant,etj’arrêtaispasd’essayerdetecalmer.
Mais rienn’y faisait.Tuétais terrifiée.Qu’est-ceque j’ai fait ?Dis-le-moi,parceque je suisdésolé.Tellement,tellementdésolé.Maisbonsang,qu’est-cequej’aifait,Sky?
Jemecontentedesecouerlatête,àdéfautd’avoirlaréponse.Avecunegrimace,ilappuielefrontcontrelemien.—Jen’auraisjamaisdûalleraussiloin.Jenecomprendsvraimentpascequivientdesepassermais
unechoseestsûre,tun’espasencoreprête,d’accord?Jenesuispasencoreprête?—Alorson…onn’apascouchéensemble?Sesbrasserelâchentunpeuetjeperçoisunchangementdanssonattitude.Ilal’airtotalementperdu
etabattu.Haussantlessourcils,lefrontplissé,ilmetsesmainsencoupeautourdemonvisage.—Tuétaispartieoù,Sky?Jesecoueencorelatête,sanscomprendre.—Maisjesuislà.Jet’écoute.
—Non, je parle de tout à l’heure. À quoi tu pensais ? Tu étais ailleurs car pour répondre à taquestion,non,ilnes’estrienpassé.Jevoyaisbienquequelquechosen’allaitpas,alorsjemesuisarrêté.Maismaintenant il va falloir que tu réfléchisses sérieusement à ce qui s’est passé parce que tu étaispaniquée,complètementàcran,etilfautquejesachecequit’amisedanscetétatpourm’assurerquetunerevivesjamaisça.
Aprèsavoirplantéunbaisersurmonfront, ildesserresonétreintepuisse lève,enfileson jeanetramassemarobe.Illasecouebien,laremetàl’endroitets’approchepourmelaremettre.Soulevantmesbrasl’unaprèsl’autre,ilm’aideàl’enfileravantdelarabattresurmataille.
—Jevaistechercherunpeud’eau.Jerevienstoutdesuite.Ilm’embrassetimidementsurlabouche,commes’iln’osaitplusmetoucher.Unefoisqu’ilaquittéla
pièce,j’appuielatêtecontrelemuretfermelesyeux.Jenecomprendspasdu toutcequivientde sepassermais,maintenant, j’aipeurde leperdre. Je
viensdevivreunedesexpérienceslesplusintimesdemavieetçaatournéaudésastre.Àcausedemoi,ils’estsentinul,commes’ilyétaitpourquelquechose,etils’enveut.Ilaimeraitsansdoutequejem’enaille.Jelecomprends.Moiaussi,jevoudraism’enfuirloindemoi.
Je repousse la couette pourme lever et rajusterma robe. Je neme donnemême pas la peine decherchermessous-vêtements.Ilfautquejetrouvelasalledebainsetquejemeressaisisseavantqu’ilmeraccompagnechezmoi.C’estladeuxièmefoisceweek-endquejefondsenlarmesetjenesaismêmepaspourquoi–etladeuxièmefoisqu’ildoitmevenirenaide.Jeneluireferaiplusjamaiscecoup-là.
Enpassantdevantl’escalieràlarecherchedestoilettes,jejetteuncoupd’œilpar-dessuslarampeendirection de la cuisine. Accoudé au bar, le visage enfoui dans les mains, il se tient immobile, l’airprofondémentmalheureuxetcontrarié.Nesupportantpasdelevoircommeça,j’ouvrelapremièreportequejetrouvesurmadroite,supposantquec’estlasalledebains.
Raté.C’est la chambre de Lesslie. Je vais pour refermer la porte et puis finalement, je me ravise. Je
l’ouvredavantageetme faufileà l’intérieur, refermantderrièremoi.Peu importeque je soisdansunesalledebains,unechambreouunplacard…j’aijustebesoind’êtreunpeuseule,aucalme,etd’unpeudetempspourmeremettredecettecrised’angoisseincompréhensible.Jecommenceàcroirequejesuispeut-être bel et bien folle. Je n’ai jamais autant disjoncté et çam’inquiète sérieusement. Joignantmesmainsencoretremblantes,jetentedepenseràautrechosepourmecalmerunpeu.
Enobservant lapiècequim’entoure, jesuisunpeu troublée.Le litn’estpasfait,cequimeparaîtétrange.LamaisondeHolderestimpeccablemententretenuemaislelitdeLesslien’estpasfait.Unjeantraînepar terre, commesi ellevenaitde l’enlever. Jeparcours lachambredu regard, enapparence lapiauletypiqued’uneadolescente.Dumaquillagesurlacommode,uniPodsurlatabledenuit.Ondiraitqu’ellevittoujoursici.Àenjugerparl’étatdesachambre,onnediraitpasqu’elleestpartie.Detouteévidence,personnen’amislespiedsicidepuissamort.Sesphotossontencoreaccrochéesauxmursetcolléesauxbordsdesonmiroir.Sapenderieestencorepleineàcraquer.D’aprèsHolder,celafaitplusd’unanqu’elleestdécédéemaisjesuisprêteàparierquepourl’instant,personnedanscettefamillenel’aaccepté.
Çame fait unpeu froiddans ledosd’être làmais çam’évitedepenser àmapropre situation. Jem’approchedulitpourexaminerlesphotos.LaplupartsontdesclichésdeLesslieavecdesamis;seulesquelques-unes la montrent avec Holder. Elle lui ressemble beaucoup : mêmes yeux bleu cristallinpénétrants etmêmes cheveux bruns.Ce quime frappe le plus, c’est qu’elle paraît très heureuse. Ellesemblesigaieetpleinedeviequ’onadumalà imaginerqu’à l’intérieurelleétait si tourmentée.PasétonnantqueHoldernesesoitjamaisdoutédesadétresse.Ellen’aprobablementjamaisrienmontréàpersonne.
J’attrapeunephotoposéefacecachéesursatabledenuit.Quandjelaretournepouryjeterunœil,j’enailesoufflecoupé.C’estunephotod’elledanslesbrasdeGrayson,qu’elleembrassesurlajoue.Médusée,jemeposeuninstantsurlelitpourmeremettredemesémotions.Alorsc’estpourcetteraisonqueHolderledétesteautant?C’estpourçaqu’ilnevoulaitpasqu’ilm’approche?Jemedemandes’ilreprocheàGraysonlegestefataldesasœur.
Jesuis toujoursassisesur le lit, laphotoà lamain,quand laportede lachambres’ouvre.Holderpasselatête.
—Qu’est-cequetufais?Iln’apasl’airfâchédemetrouverici.Enrevanche,ilparaîtmalàl’aise.Cen’estsansdoutequ’uneréactionlogiqueaprèsmascènedetout
àl’heure.— Je cherchais la salle de bains, je réponds calmement. Excuse-moi. J’avais juste besoin deme
poserdeuxsecondes.Ils’appuiecontrelechambranleetcroiselesbrassurlapoitrineenparcourantlapiècedesyeux.Il
enscrutechaquerecoin,commejel’aifait,commes’illadécouvraitpourlapremièrefois.—Personnen’amislespiedsicidepuisqu’elleest…?—Non,s’empresse-t-ilderépondre.Quelintérêt?Ellen’estpluslà.J’acquiesceenreposantlaphotodeLesslieetGraysonsurlatabledenuit,facecachée,commeelle
l’avaitlaissée.—Ellesortaitaveclui?Hésitant,ilfaitunpremierpasenavant,puisilvients’asseoiràcôtédemoietposelescoudessur
sesgenoux,lesmainsjointesdevantlui.Sansmerépondre,ilinspectedenouveaulapiècedesyeuxavantdemelancerunregardetdeglisserunbrassurmesépaules.Lefaitqu’ilsoitassislà,àcôtédemoi,etqu’ilaittoujoursenviedemeserrerdanssesbrasmedonneenviedefondreenlarmes.
—Ilarompuavecellelaveilledesonsuicide,explique-t-ildoucement.Jetentedenepaslemontrermaissaréponsemebouleverse.—Tupensesquec’estàcausedeluiqu’elleestpasséeàl’acte?C’estpourçaquetuledétestesàce
point?Ilmefaitnondelatête.—Jeledétestaisavantqu’ilrompeavecelle.Illuienafaitbaver,tusais.Maisnon,jenepensepas
qu’elleaitfaitçaàcausedelui.Jepenseplutôtquecetteruptureapeut-êtreétélefacteurdéclencheurd’une décision qu’elle voulait prendre depuis longtemps. Elle avait des problèmes bien avant queGraysonentredanssavie.Donc,non,jeneluienveuxpas.Jeneluienaijamaisvoulu.
Ilserelèveenmeprenantparlamain.—Viens.J’aipasenviederesterici.Je lance un dernier coup d’œil à la chambre puis me lève pour le suivre. Toutefois, au moment
d’atteindre la porte, jem’arrête. Il se retourne etme regardeobserver les photos sur la commode, oùtrônedansunpetitcadreunclichémontrantHolderetLessliequandilsétaientpetits.Jeleprendspourl’examinerdeplusprès.Jenesaispaspourquoimaislevoirjeunemefaitsourire.Lesvoirtouslesdeuxà cet âge… c’est comme une bouffée d’air frais. Comme s’ils respiraient l’innocence, avant quel’horrible réalité de la vie ne les percute de plein fouet. Devant unemaison à la charpente blanche,Holderserresasœurcontrelui,unbrasautourdesoncou.Elleletientparlatailleettousdeuxsourientàl’objectif.
Je m’intéresse ensuite à la maison derrière eux sur la photo. C’est une bâtisse blanche avec desmouluresjaunes,etsil’intérieurétaitvisible,onverraitleséjour,peintdansdeuxnuancesdevert.
Jefermebrusquementlesyeux.Commentjesaisça?Commentjepeuxsavoirdequellecouleurestleséjour?
Mesmainssemettentà trembleret je tente tantbienquemald’inspirerà fond.D’oùest-ceque jeconnaiscettemaison?Jelareconnaisetc’estcommesi,d’unseulcoup,jeconnaissaisaussilesgaminssurlaphoto.Commentjepeuxsavoirque,derrièrecettefaçade,ilyaunebalançoirevertetblancetqu’àtroismètresdelàilyaunpuitsàsecquidoitrestercouvertenpermanenceparcequ’unjourlechatdeLesslieesttombédedans?
—Çava?demandeHolder.Iltentedemeprendrelecadredesmainsmaisjelemaintiensenlefixant.L’airinquiet,ilfaitunpas
versmoi.Jerecule.Commesefait-ilquejeleconnaisse?EtLesslieaussi?Pourquoiai-jelesentimentqu’ilsmemanquent?Jesecouelatêteenregardantlaphoto,puisHolder
etencorelaphoto.Cettefois,c’estlepoignetdeLessliequiattiremonattention.Elleporteunbracelet.Unbraceletidentiqueaumien.
J’aimeraisquestionnerHoldermaisj’ensuisincapable.J’aibeauessayer,aucunmotnesort,alorsjemecontentedeleverlaphotodevantlui.L’airaffligé,ilsecouelatête,laminedécomposéecommesimadécouverteluibrisaitlecœur.
—Sky,arrête,implore-t-il.—Commentsefait-ilque…?jedisd’unevoixcassée,àpeineaudible.Jescruteencorelaphotodansmesmains.—Ilyaunebalançoire.Etunpuits.Et…votrechat.Ils’estretrouvécoincéaufonddupuits.Jerelèvebrusquementlesyeux,untourbillondequestionspleinlatête.— Holder, je connais ce salon. Il est vert et la cuisine comprenait un plan de travail qui était
beaucouptrophautpournousetpour…tamère.Tamères’appelleBeth.Jem’interrompspourtenterdereprendremonsouffle,submergéeparlessouvenirs.Ilsremontenten
masseetj’ail’impressiond’étouffer.Holdergrimaceenpassantlamaindanssescheveux.—Sky…Iln’arrivemêmepasàmeregarderenface.Ondiraitqu’ilesttiraillé,embarrasséetsurtout…qu’il
mement.Ilmecachequelquechosequ’ilapeurdem’avouer.Ilmeconnaît.Maiscommentc’estpossibleetpourquoiilnem’ariendit?Toutàcoup,jemesensmal.Jepassedevantluientrombeetouvrelaportedel’autrecôtéducouloir
qui,Dieumerci,setrouveêtreunesalledebains.Jefermelaporteàdoubletourderrièremoietbalancelecadrephotosurlatabletteavantdem’écroulerparterrecommeunpoidsmort.
Imagesetsouvenirssedéversentdansmonespritcommesiquelqu’unvenaitd’ouvrirlesvannes.DessouvenirsdeHolder,deLesslie,denoustroisensemble.Noussommesentraindejouer,jedînechezeux.Lessetmoi,onestinséparables.Jel’adorais.J’étaissijeuneetsipetite…Jenesaismêmepasd’oùjelesconnaissaismaisunechoseestsûre,jelesadorais.L’unautantquel’autre.Lesouvenirs’associeauchagrindesavoirquelaLessliequej’aiconnueenfantetquej’aimaistantestmorte.Subitementjesuistristeetdépriméequ’ellenesoitpluslàmaispaspourmoi.PaspourSky.Jesuistristepourlapetitefillequej’aiétéetbizarrement,ladouleurqueluicauseladisparitiondeLesslieestentrainderessurgiràtraversmoi.
Commentçaapum’échapper?Pourquoinel’ai-jepasreconnulapremièrefoisquejel’aicroisé?—Sky,jet’enprie,ouvrelaporte.Jemelaisseallerenarrièrecontrelemur.Touscessouvenirs,cesémotions,cechagrin…c’esttrop
àencaisserd’uncoup.
—Mabelle, je t’enprie.Ilfautqu’onparleet jenepeuxpaslefaireà traverscetteporte.S’il teplaît,ouvre.
Ilsavait.Lapremièrefoisqu’ilm’avueausupermarché,ilsavaitquij’étais.Etquandilavumonbracelet…ilsavaitquec’étaitLessliequimel’avaitoffert.Quandill’avuàmonpoignet,ilsavaitd’oùilvenait.
Mapeineetmaconfusionlaissentviteplaceàlacolère.Brusquement,jemelèveetmedirigedroitverslaporte,quejedéverrouilleetouvreengrand.Lesmainsdepartetd’autreduchambranle,Holdermefixesanscillermaisj’ail’impressiond’êtrefaceàunétranger.Jenesaisplusquelleestlapartdevraietdefauxentrenous,nisisessentimentsàmonégarddécoulentdenotrequotidienactueloudelaviequ’ilavécueauxcôtésdecettepetitefillequej’aiété.
Ilfautquej’enaielecœurnet,quejesachequiétaitcettepetitefilleetquij’étais.Ravalantmapeur,jelâchelaquestiondontjeredoutedeconnaîtredéjàlaréponse.
—QuiestHope?Levisagefermé,ilnebronchepas.Alorsjereposelaquestion,maisplusfortcettefois:—Dis-moiquiestHope?Ilnemequittepasduregardmaisrestemuetcommeunetombe.Pouruneraisonquim’échappe,ilne
veutpasquejesache.Ilneveutpasquejemerappellequi j’étais.Inspirantprofondément, je tentederefoulerleslarmesquimemontentauxyeux.J’aitroppeurdelediretouthautcarjeneveuxpasentendresaréponse.
—Est-ceque…c’estmoi?jedisd’unevoixtremblante,pleined’appréhension.Holder…est-cequec’estmoi,Hope?
Illaisseéchapperunpetitsoupirtoutenregardantversleplafond,presquecommes’ilseretenaitdepleurer.Fermant lesyeux, ilappuie lefrontcontresonbraspuisprendunegrandeinspirationavantdereleverlatêtepourmeregarder.
—Oui,c’esttoi.Lapiècequim’entouredevientétouffante,limiteirrespirable.Jeresteimmobile,droitecommeunI,
pétrifiée.Toutdevientcalme,saufdansmatête,oùsebousculentuntasdepensées,dequestionsetdesouvenirs,etjenesaispassijeferaismieuxdepleurer,dehurler,dem’endormiroudem’enfuir.
Ilmefautde l’air.J’ai l’impressionqueHolder, lasalledebainset toutecette fichuemaisonsontcomme un étau qui se resserre autour de moi. Il faut que je sorte d’ici pour évacuer tout ce quim’encombrel’esprit.Jeveuxjustemelibérerdetoutça.
Jepassedevantluienlebousculant,iltentedemeretenirparlebrasmaisjemedégaged’ungestebrusque.
—Sky,attends,s’écrie-t-il.Courant sansm’arrêter jusqu’à l’escalier, j’en dévale lesmarches deux par deux. Je l’entendsme
couriraprèsalorsj’accélèremaismonpiedseposeplusloinqueprévuetjeperdsl’équilibre,basculantenavantetatterrissantenvracaupieddel’escalier.
—Sky!Jen’aipasletempsdemereleverqu’ils’agenouilleenmeprenantdanssesbras.Jelerepoussepour
qu’ilmelâchemaisilnebronchepas.—Del’air,jedisàboutdesouffleetdeforce.J’aijustebesoindesortirprendrel’air,Holder.S’il
teplaît.Jesensbienqu’intérieurementillutteetqu’ilneveutpasmelaisserpartir.Àcontrecœur,ilfinitpar
s’écarterenmeregardantaufonddesyeux.—Net’enfuispas,Sky.Sorsprendrel’airsituveuxmaisjet’enprie,net’envapas.Ilfautqu’on
parle.
Voyantquej’acquiesce,ilmelâcheetm’aideàmerelever.Unefoissurleperron,jem’avancesurlapelouseenjoignantlesmainsderrièrelatêteetj’inspireunegrandeboufféed’airfroid.Lenezenl’air,jecontemplelesétoiles,regrettantamèrementdenepasêtrelà-hautavecellesplutôtqu’ici-bas.Jeneveuxpasque lamémoiremerevienneparcequechaquesouvenir troublantqui remontesusciteunenouvellequestionencoreplustroublante.Jenecomprendspaspourquoijeleconnais,nipourquoiilmel’acaché,ni comment j’aipum’appelerHopealorsqu’onm’a toujours appeléeSky. JenevoispaspourquelleraisonKarenauraitinventéqueSkyestleprénomquifiguresurmonactedenaissancesicen’estpaslecas.Toutesleszonesd’ombredemonpassésontentraindes’éclaircir,levantlevoilesurdeschosesquejeneveuxpasentendre.Onmementetjesuisterrifiéeàl’idéededécouvrircequetoutlemondetentedemedissimuler.
Jeresteunbonmomentdehorsàessayerdefairelepointtouteseulealorsquejenesaismêmepasdequoij’essaiedemedépêtreraujuste.IlfautquejeparleàHolderetqu’ilmedisecequ’ilsaitmaisj’aitropmal.Jen’osepasl’affronter,sachantqu’ilmecachecesecretdepuisledébut.Toutcequejecroyaisêtreentraindeconstruireavecluin’estplusqu’unefaçade.
Jemesensvidéeetj’aieumonlotderévélationspourlasoirée.Jevoudraisjusterentrerchezmoietallerme coucher. J’ai besoin d’une bonne nuit de sommeil avant qu’ilm’explique pour quelle raison,exactement,ilnem’apasditplustôtqu’onseconnaissaitquandonétaitpetits.Jenecomprendsmêmepascequiluiaprisdecroirequ’ilvalaitmieuxnerienmedire.
Jerebroussecheminpourretourneràl’intérieur.Postédansl’embrasure,sursesgardes,ils’écartepour me laisser entrer tandis que je me dirige droit vers la cuisine et ouvre le frigo. J’attrape unebouteille d’eau, l’ouvre et avale plusieurs goulées. Je suis complètement déshydratée vu qu’il nem’ajamaisrapportéleverred’eauqu’ilétaitpartimecherchertoutàl’heure.
Jereposelabouteillesurlebarenleregardant.—Ramène-moichezmoi.Sansobjecter, ilse retournepourattrapersescléssur laconsolede l’entréeetmefaitsignede le
suivre.Jelaisselabouteilled’eausurlebaretlesuisensilencejusqu’àsavoiture.Unefoisàbord,ilsortdel’alléeenmarchearrièreets’engagedanslaruesansprononcerunmot.
Onpassedevantmonembranchement;detouteévidence,iln’apasl’intentiondemeramener.Jeluilanceunregardalorsqu’ilfixelaroutesansciller.
—Ramène-moi,jerépète.Ilmedévisaged’unairdéterminé.—Ilfautqu’onparle,Sky.Tuteposespleindequestions,nedispaslecontraire.C’estvrai.J’aidestonnesdequestionsàluiposermaisj’espéraisqu’ilmelaisseraitlanuitpourque
jepuissefaireletrietessayerdetrouvertouteseuleunmaximumderéponses.Maisapparemment,ilsefichedecequejepréfèreàcestade.Détachantmaceintureàcontrecœur,jepivotesurmonsiègepourluifaire face.Puisqu’ilneveutpasme laisser le tempsd’accuser lecoup, jevais luidéballer toutesmesquestionsd’unetraite.Maisvite,parcequejetiensquandmêmeàrentrerchezmoi.
—Trèsbien,jeconcède.Réglonsçatoutdesuite.Pourquoitumemensdepuisdeuxmois?Pourquoitut’esfâchéenvoyantmonbraceletaupointdeneplusm’adresserlaparolependantdessemaines?Oupourquoitun’aspasprétenduquetum’avaisconfondueavecquelqu’unlejouroùons’estrencontrésausupermarché?Parcequetusavais,Holder.Tusavaisquij’étaisetpouruneraisonquej’ignore,tut’esditqueceseraitmarrantdemefairemarcherjusqu’àcequejepige.Est-cequejeteplais,aumoins?Est-ce que ce petit numéro que tum’as joué valait la peine deme blesser comme jamais je n’ai étéblesséedetoutemavie?Parcequec’esttoutcequetuasgagné!jelâcheaveccolèreàtelpointquej’entremble.
Finalement,jelaisselibrecoursàmeslarmescarcommetoutlereste,ellesnedemandentqu’àsortiretj’enaiassezderésister.Jesèchemesjouesd’unreversdemainetbaisselavoix:
—Tum’asblessée,Holder.Profondément.Tuavaispromisd’êtretoujourssincèreavecmoi.Àvraidire, j’ai parléd’unevoix si faibleque jene suismêmepas sûrequ’ilm’ait entendue.Ce
salaudcontinuedefixerlaroute.Jefermelesyeuxetmelaisseretomberenarrièredansmonsiège.Leregardperdudanslevideàtraverslafenêtrecôtépassager,jemaudislekarma.Jelemaudisd’avoirfaitentrercepaumédansmaviepourqu’illagâche.
Comme il continue de rouler sans réagir, je ne peux rien faire d’autre que de lâcher un petit rirepitoyableenmarmonnanttoutbas:
—Tupourrasm’ajouteràlalistedesgensquetuasdéçusdanstavie.
Treizeansplustôt
—J’aienviedefairepipi,dit-elleengloussant.Accroupiesdansleurvéranda,onattendqueDeannoustrouve.J’aimebienjoueràcache-cache,
etjepréfèrequandc’estmoiquimecache.Jeneveuxpasqu’ilsserendentcomptequejenesaispasencorecompter.Deanmedittoujoursdecompterjusqu’àvingtquandilspartentsecachermaisjenesaispascommentonfait.Alorsjemecontentedegarderlesyeuxfermésetdefairesemblant.Touslesdeux,ilsvontdéjààl’écolealorsquemoijedoisencoreattendrel’annéeprochaine.C’estpourçaquejenecomptepasaussibienqu’eux.
—Ilarrive!chuchote-t-elleenreculantunpeuàquatrepattes.Lesolestfroid,alorsj’essaiedenepasposerlesmainsparterre,commeelle,maisj’aimalaux
jambes.—Less!crie-t-il.Ilserapprochedelavérandaensedirigeantdroitversl’escalier.Çafaitunbonmomentqu’onest
cachées et il a l’air d’en avoir assez de nous chercher. Il s’assoit sur lesmarches, quasiment piledevantnous.Sijepenchelatête,jepeuxlevoirau-dessusdemoi.
—J’enaimarredechercher!JemeretournepourlancerunregardàLesslieetvoirsielleestprêteàcourirjusqu’aurefuge.
Ellemefaitnondelatêteenposantundoigtsurlabouche.—Hope!hurle-t-il,toujoursassissurlesmarches.J’abandonne!Soupirant doucement, il parcourt le jardindes yeux etmarmonne en envoyant valser le gravier
soussespieds.Çamefaitrire.Lessliemedonneunpetitcoupdanslebrasenmesoufflantdenepasfairedebruit.
Deansemetàpoufferetaudébut,jecroisquec’estparcequ’ilnousaentenduesmaisensuitejemerendscomptequenon.Enfait,ilparletoutseul.
—HopeetLess,dit-iltoutbas,çafait«hopeless».Ilritencoreenserelevant.—Vousavezentendu?s’égosille-t-il,lesmainsenporte-voix.Vousêtesdescasdésespérés!En l’entendant transformer nos prénoms en unmot, Lesslie éclate de rire et finit par sortir en
rampantdesouslavéranda.JelasuisetmerelèveaumomentoùDeanseretourneetl’aperçoit.Lesourireauxlèvres,ilcontemplenosgenouxcrottésetlestoilesd’araignéedansnoscheveux,puisilsecouelatête.
—Vraimentdésespérés,répète-t-il.
Samedi27octobre2012
23h20
Lesouvenirestsivif!Jenecomprendspaspourquoiçanemerevientquemaintenant.Commentai-jepuvoircetatouagedurantdesjours, l’entendrem’appelerHopeetparlerdeLesssansjamaispercuteruneseulefois?Jemepenchepourluiattraperlebrasetremontesamanche.Jesaisqu’ilestlàetcequiestécrit,maisc’estlapremièrefoisquejeleregardeenconnaissantsavéritablesignification.
—Pourquoitut’esfaitfairecetatouage?Ilmel’adéjàdit,maisjeveuxconnaîtrelavraieraison.Ilquitteuninstantlaroutedesyeuxpourme
lancerunregard.—Jetel’aidéjàdit.C’estpournepasoublierlespersonnesquej’aidéçuesdansmavie.Fermantlesyeux,jemelaisseretomberenarrièreensecouantlatête.Luiquiaffirmaitquecen’était
passontrucd’êtreflou,jen’aijamaisentenduuneexplicationaussivaguequecellequ’iln’arrêtepasdemesortiràproposdecetatouage.Commentest-cequ’ilapumedécevoir?Déjà,ensoi,çameparaîtabsurdequ’il estimem’avoirdéçuequand j’étais sipetite.Maisqu’il éprouvedes regretsaupointdes’enfaireunmystérieuxtatouage,çamedépassecomplètement,vraiment.Jenevoispascequejepeuxdireoufairedepluspourl’obligeràmeramenerchezmoi.Iln’aréponduàaucunedemesquestionsetmaintenant, il recommencesonpetitbrasde ferpsychologiqueenmedonnantd’obscures réponsesquin’ensontpas.Moi,jevoudraisjusterentrerchezmoi.
Enlevoyantserangersurlecôté,j’espèrequec’estpouramorcerundemi-tour.Maisaulieudeça,ilcoupelecontactetouvresaportière.Enjetantuncoupd’œilparlafenêtre,jem’aperçoisqu’onestderetour à l’aérodrome. Çam’agace. Je n’ai aucune envie de rester là à contempler encore les étoilespendantquemonsieurréfléchit.Cequejeveux,c’estdesréponsesoubienrentreràlamaison.
J’ouvrelaportièreetlesuisàcontrecœurjusqu’àlaclôture,enespérantquecetteultimepreuvedebonnevolontémepermette d’obtenir une explication. Ilm’aide à escalader unenouvelle fois, puis onretournes’allongeraumêmeendroitsurlapiste.
Je contemple le ciel dans l’espoir d’apercevoir une étoile filante. Là tout de suite, j’aurais bienbesoindepouvoirfaireunoudeuxvœux.Parexemple,jevoudraisremonterletempsdedeuxmoisetnejamaisavoirmislespiedsdanscesupermarchécejour-là.
—Tuesprêteàm’écouter?dit-il.Jetournelatêteverslui.—Oui,àconditionquecettefoistumediseslavérité.Soutenantmon regard, il prend appui sur un bras pour semettre sur le côté, face àmoi. Et c’est
reparti:ilmefaitlecoupdemefixersansriendire.Commeilfaitplussombrequeladernièrefoisoùon
estvenusici,j’aidumalàdéchiffrersonexpression.Cependantjevoisbienqu’ilvamal.Quandilesttriste,sonregardletrahit,iln’ajamaissuledissimuler.Ilsepencheenposantunemainsurmajoue.
—J’aibesoindet’embrasser.Jemanqued’éclaterderiremaissijenemeretienspas,j’aipeurdepasserpourunehystérique.Et
çameterrifieparcequej’aidéjàl’impressiondedevenircinglée.Jeluifaisnondelatête,sidéréequ’ilaitmêmepucroirequej’allaisaccepter;maintenantquej’aidécouvertqu’ilmementdepuisdeuxbonsmois,ilnerisquepasdem’embrasserdesitôt.
—Sûrementpas,jerépondssèchement.Illaissesonvisageprèsdumienetsamainsurmajoue.Bienquetoutelacolèrequejecontiensàcet
instantsoitdueàsesmensonges,moncorpscontinuederéagiràsoncontactetjedétesteça.C’estuneétrangelutteintérieure:nepassavoirsionpréféreraitgiflerlaboucheofferteàseptcentimètresdelavôtreoubienl’embrasser.
—J’aibesoindet’embrasser,répète-t-ilcettefoisd’untonimplorant.Jet’enprie,Sky.Unefoisquetuaurasentenducequejem’apprêteàtedire…j’aipeurdeneplusjamaisenavoirl’occasion.
Ilserapprocheenmecaressantlajouedupouce,sansmequitterunseulinstantdesyeux.—S’ilteplaît.Toutdoucement,jehochelatête,laissantmafaiblessel’emporter.Ilm’embrasse.Lesyeuxfermés,je
lelaissefairecarjesuisaussiterrifiéequeluiàl’idéequecesoitnotredernierbaiser.J’aipeurdeneplusjamaisrienressentirdemaviecariln’yaqu’avecluiquej’aienviedevibrer.
Ilchangedepositionpoursemettreàgenouxau-dessusdemoi,unemainsurmonvisage,l’autreenappuiprèsdematête.Caressantsescheveux,jel’attireversmabouched’ungesteplusimpatient.Sentirsalangueetsonsoufflequisemêlentauxmiensmefaitmomentanémentoubliercettesoirée.Àcetinstantprécis,jenepensequ’àluietàmoncœur,àlafoisgonfléetenmiettes.L’idéequemessentimentspourluinesoientmêmepas justifiésou réelsmefaitmal. J’aimalpartout.À la tête,auventre,aucœur,àl’âme.Avant,sesbaisersmefaisaient l’effetd’unpuissantremède.Désormais, j’aiplutôt l’impressionqu’ilsengendrentenmoiunchagrinprofondetincurable.
Sentantl’abattementmegagneretdessanglotsmenouerlagorge,ils’écarte,saboucheglissantsurmajouepours’approcherdemonoreille:
—Jesuisvraimentdésolé,souffle-t-il.Jet’assure.Jenevoulaispasquetusaches.Jefermelesyeuxen lerepoussantetmeredresseen inspirantungrandcoup.Essuyantmes larmes
d’unreversdemain,jeramènelesjambesversmoienlesserrantfortetj’enfouislatêteentrelesgenouxpourneplusêtreobligéedeleregarder.
—Jeveuxjustequetum’expliques,Holder,jedisd’untonanéanti.Jet’aiposétouteslesquestionspossiblesenchemin.Maintenantilfautquetumerépondespourquejepuisserentrerchezmoi.
Unemaindansmondos,ilmecaresselescheveuxletempsd’élaboreruneréponse,puisils’éclaircitlavoix.
—Lapremièrefoisquejet’aivue,jen’étaispassûrquetusoisHope.Àforcedecroirequec’étaitelle chaque fois que je croisais une inconnuede notre âge, j’ai fini par renoncer à la retrouver.Maisquand je t’ai aperçue au supermarché et que je t’ai regardée dans les yeux… j’ai eu le sentiment quec’était vraiment toi. Quand tu m’asmontré ta carte d’identité et que je me suis rendu compte que jem’étaistrompé,jemesuissentibête.Çam’afaitl’effetd’unedouchefroidequim’aenfinpermisdemedéfairedemessouvenirs.
Caressanttoujoursmescheveux,ilmarqueunepauseentraçantdespetitscerclesdudoigtdansmondos.J’aienviederepoussersamainetparadoxalement,j’aiencoreplusenviequ’elleresteexactementoùelleest.
—Tonpèreettoiétieznosvoisins.Toi,moietLess…onétaitlesmeilleursamisdumonde.Maisc’estdurdesesouvenirdesvisages,çaremonteàsilongtemps.Pourmoi,tuétaisHopemaisd’unautre
côté,jemedisaisquesic’étaitvraimenttoi,jen’auraispasautantdedoutes.J’étaispersuadéquesijelarevoyaisunjour,jelareconnaîtraissanshésiter.Cejour-là,enrentrantdusupermarché,j’aitoutdesuitecherché le nom que tu m’avais donné sur Internet. Je n’ai trouvé aucune info sur toi, pas même surFacebook.J’aipersistépendantuneheureetj’aifiniparêtresifrustréquejesuisparticourirpourmedéfouler.Quandenrevenantaucoindelarue,jet’aiaperçuedevantchezmoi,j’aihalluciné.Tuétaislà,épuiséepartonfootinget…nomdeDieu,Sky,tuétaistellementbelle!Jen’étaistoujourspassûrquetusoisHopemaisàcemomentprécis,jen’ypensaismêmepas.Çam’étaitégalquituétais;j’avaisjustebesoindefairetaconnaissance.Cettesemaine-là,aprèsavoirpasséunpeudetempsavectoi,jen’aipaspum’empêcherdeterendrevisitelevendredisoir.Jenevenaispasdansl’intentionderemuerlepassénimêmedansl’espoirqu’ilsepasseraitquelquechoseentrenous.Sijesuisvenucheztoi,c’étaitpourque tudécouvresqui j’étaisvraiment,pasceluidont tuavaisentenduparlerpar tout lemonde.Jen’aiensuitepluseuqu’uneobsession:trouverlemoyendepasserencoreplusdetempsavectoi.Personnenem’avaitencorejamaisfaitceteffet.Jecontinuaisdemedemandersic’étaitpossible…quetusoiselle.J’aiétéintriguéquandtum’asracontéquetuavaisétéadoptéeetpuisbon,jemesuisditquec’étaitpeut-êtreunecoïncidence.Maisensuite,quandj’aivulebracelet…
Ils’interrompten retirantsamaindemondos.Glissant lesdoigtssousmonmenton, il relèvemonvisagepourm’obligeràleregarder.
—Çam’abrisélecœur,Sky.Jenevoulaispasquetusoiselle.Jevoulaisquetumedisesquec’étaitun cadeau d’une amie ou bien que tu l’avais trouvé, ou acheté. Après avoir passé tant d’années à techercherparmitouslesvisagesquejecroisais,jeteretrouvaisenfin…etj’étaiscomplètementanéanti.JenevoulaispasquetusoisHopemaissimplementtoi.
Jehochelatête,pasplusavancée.—Maispourquoi tunemel’aspasdit?Enquoicelaauraitétésidifficiled’avouerqu’ons’était
connusautrefois?Jenecomprendspascequit’apousséàmentir.Ilmefixeuninstant,letempsdetrouveruneréponseadaptée,puisilrepousseunemèchesurmajoue.—Tuasdessouvenirsdetonadoption?Jefaisnondelatête.—Pasvraiment.Jesaisquej’aiétéplacéedansuncentreaprèsquemonpèrem’aabandonnée,puis
queKarenm’aadoptéeetqu’onachangéderégionpouremménagericiquandj’avaiscinqans.Àpartçaetquelquessouvenirsbizarres,jenesaisrien.
Il se redresse enm’obligeant à en faire autant, posant lesmains surmes épaulesd’ungeste fermecommes’ilperdaitpatience.
—Toutça,cesontlesinformationsqueKarent’adonnées.Cequim’intéresse,cesonttessouvenirs,Sky.Est-cequetutesouviensdequelquechose?
Jeluifaisencoresignequenon,lentementcettefois.—Pasdutout.MesplusvieuxsouvenirssontliésàKaren.Laseulechosedontjemesouvienneavant
elle,c’estcebraceletqu’onm’aoffertmaisc’estuniquementparcequejel’aitoujoursaujourd’hui,alorsçam’estresté.Jenesavaismêmeplusvraimentquim’enavaitfaitcadeauavantcesoir.
Agrippantmafigure,Holderposeleslèvressurmonfront.Ilrestecommeça,commes’ilavaitpeurdes’écarter,peurdeparler,peurd’êtrecontraintd’avouercequ’ilsait.
—Parle,qu’onenfinisse.Dis-le-moi,cetrucquetuauraispréférénejamaisavoiràmedire.Ils’écarte,cettefoispourappuyersonfrontcontrelemienenmetenantlatête,lesyeuxfermés.Ila
l’airvraimentpeinéetmalgrémacontrariété, j’aienviede le réconforter.Alors j’ouvre lesbraspourl’enlacer.Ilm’étreintàsontouretmefaitasseoirsursesgenoux.Jeglisselesjambesautourdesataille,nosfronts toujourssoudés.Ilsecramponneàmoimaiscettefois,ondiraitquec’estsonuniversquiabasculéetquec’estmoi,sonpilier.
—Explique-moi,Holder.
Il me caresse le bas du dos et rouvre les yeux en reculant la tête pour pouvoir répondre en meregardantenface:
—LejouroùLesst’aoffertcebracelet,tupleurais.Jemerappellechaquedétaildelascènecommesic’étaithier.Tuétaisassisedanstonjardin.AvecLess,onestrestésassisunbonmomentavectoimaistu étais inconsolable. Après t’avoir offert le bracelet, elle est rentrée mais moi, j’ai pas pu. Çam’ennuyaitde te laisser làparceque jecroyaisque tuétaisencorefâchéecontre tonpère. Il te faisaittoujourspleurer,ducoupjeledétestais.Jenemesouvienspasdelui,jesaisjustequejenepouvaispasleblaireràcausedesétatsdanslesquelsil temettait.Jen’avaisquesixans,alorsjenesavaisjamaisquoidirepourteréconforterquandtupleurais.Jecroisquecejour-là,j’aidituntrucdugenre:«T’enfaispas…»
—«…ilnevivrapaséternellement»,jedispourterminerlaphraseàsaplace.Jemesouviensdecettejournée.Cesontdeuxchosesquejen’aijamaisoubliées.Seulement,j’ignoraisquec’étaittoi.
—Ehsi,c’estmoiquit’aiditça.Tenantmesjoues,ilpoursuit:—Ensuite,j’aifaitquelquechosequej’airegrettéchaquejourdemavieparlasuite.Jesecouelatêteensignedeprotestation.—Non,Holder,tun’asrienfait.Tuessimplementparti.—Exactement.Jesuisrepartialorsquejesavaistrèsbienquej’auraisdûresterprèsdetoi.Jesuis
restéplantédansmonjardinàteregarderpleurertouteseuleaulieudeteréconforter.J’étaislà,commeunpiquet…etpuisj’aivulavoituresegarerlelongdutrottoir.Lafenêtrecôtépassagers’estabaisséeetj’aientenduquelqu’unt’appeler.Tuaslevélatêteent’essuyantlesyeux,puistut’esrelevée,tuasfrottétonshortetmarchéjusqu’àlavoiture.Tuesmontéeàbordetmêmesijen’avaispasconsciencedecequiétaitentraindesepasser,jesavaisaufonddemoiquej’auraisdûfairequelquechose.Etpourtant…jesuisrestélesbrascroisésaulieudeteretenir.Ceneseraitjamaisarrivésij’étaisrestéassislà-bas,prèsdetoi.
Jesensmoncœurs’emballerenentendantsavoixpleined’angoisseetderegrets.Malgrélapeurquimeronge,jeréussisjenesaiscommentàtrouverlaforcededemander:
—Qu’est-cequineseraitjamaisarrivé?Ilm’embrasseencoresurlefronttouteneffleurantdélicatementmespommettes,puisilmeregarde
commes’ilavaitpeurd’êtresurlepointdemebouleverser.—Ont’akidnappée.Celuioucellequisetrouvaitdanscettevoituret’aenlevéeàtonpère,àLess,à
moi.Çafaittreizeansquetuasdisparu,Hope.
Samedi27octobre2012
23h57
Unedeschosesque j’adoredans les romans, c’est le faitdepouvoirdéfinir et condenser certainspansdelavied’unpersonnage.Çamefascineparcequedanslaréalité,c’estimpossible.Onnepeutpassecontenterdecloreunchapitreetdesauterlesétapesqu’onn’apasenviedevivrepourrouvrirlelivreplus loin, àunpassageplus adapté ànotre état d’esprit.L’existencenepeut sediviser en chapitres…seulement en minutes. Les événements de la vie s’entassent les uns à la suite des autres, minute parminute,sansaucun intervallenipageviergenisautdepagecarquoiqu’ilarrive, laTerrecontinuedetourner,lespagesdes’écrireetlesvéritésd’éclater,queçanousplaiseounon,etlavienenousaccordepaslemoindrerépitpourqu’onreprennenotreputaindesouffle.
Là, jesuisentredeuxchapitres.Ilmefautunepause.Jevoudrais justereprendremonsouffle,saufquejenesaispascommentfaire.
—Disquelquechose,suppliedoucementHolder.Je suis toujours assise sur ses genoux, dans ses bras, la tête appuyée contre son épaule, les yeux
fermés.Ilposelamainsurmanuqueetpenchelatêteaucreuxdemonoreilleenmeserrantplusfort.—Jet’enprie.Parle-moi.Qu’est-cequ’il veut que je lui dise ? Il veut que je joue la fille stupéfaite ?Abasourdie ? Il veut
que je pleure ? Que je crie ? J’en suis incapable parce que je n’ai toujours pas fini de digérer sonhistoire.
Çafaittreizeansquetuasdisparu,Hope.Laphrasetourneenboucledansmatêtecommeunvieuxdisquerayé.Disparu.J’espère que ce n’est qu’une façon de parler, sous-entendu, que je lui ai peut-êtremanqué durant
toutescesannées.Jedoutequecesoitlecas,celadit.J’aibienvusonregardquandilaprononcécesmots,ilauraitpréféréneriendire.Ilsavaitquelimpactilsauraientsurmoi.
Peut-êtrequ’ilutilisait«disparu»ausenspropremaisqu’iln’apaslesidéesclaires,c’esttout.Onétaitsijeunes;ilnesesouvientsansdoutepasbiendudéroulementdesévénements.Cependant,lefilmdecesdeuxderniersmoissemetàdéfilerdevantmesyeuxettoutcequimeparaissaitobscurchezlui– sa personnalité à multiples facettes, ses revirements d’humeur et ses discours sibyllins – apparaîtmaintenantparfaitementclair.Commecefameuxsoiroù,surmonperron,iladitqu’ilm’avaitcherchéetoutesavie.Pourlecoup,cen’étaitpasunefaçondeparler.
Oubienlapremièresoiréequ’onapasséici,surcettepiste,quandilm’ademandésij’avaiseulabelleviejusqu’àprésent.Pendanttreizeans,ils’estinquiétédemonsort.Ilnefaisaitaucunsous-entenduàcemoment-là:ilvoulaitsavoirsij’étaisheureusedelaviequejemenais.
Ouencorecejouroùilarefusédes’excuserpoursoncomportementàlacantinesousprétextequelui,ilsavaitpourquelleraisonils’étaitemportémaisqu’ilnepouvaitpasm’enparlerpourl’instant.Surlemoment, je n’avaispas eudedoutes car il semblait sincèrement avoir l’intentionde s’expliquerunjour.Jamaisdemaviejen’auraispudevinerpourquoiilavaitétéaussicontrariédemevoirportercebracelet.IlnevoulaitpasquejesoisHopeparcequ’ilsavaitquelavéritémedévasterait.
Etilavaitraison.Tuasdisparudepuistreizeans,Hope.Ceprénommefaitfroiddansledos.Lentement,jerelèvelatêtepourleregarder.—Nem’appellepascommeça.Cen’estpasmonnom.Ilacquiesce.—Excuse-moi,Sky.Ceprénom-làaussimedonnedesfrissons.Jemedégageendouceuretmerelève.—Nem’appellepascommeçanonplus,jedisd’untoncatégorique.«Hope»,«Sky»,«maprincesse» : je refusequ’onm’appellecommeçaouparn’importequel
autre nom.Subitement j’ai l’impressiond’être plein de personnes différentes à la fois dans un seul etmême corps.Une fille qui ignore sonpropre nomet ses origines.C’est très perturbant. Je neme suisjamaissentieaussiseuledemavie,commes’iln’existaitpersonneaumondeàquijepourraismefier.Pasmêmeàmoi.Jenepeuxmêmepasmefieràmespropressouvenirs.
Holderselèveenmeprenantlesmains.Ilm’observe,guettantuneréaction.Maisilvaêtredéçu:jen’aipasl’intentionderéagir.Entoutcaspasici,pastoutdesuite.D’uncôté,j’aienviedepleurerquandilmeprenddanslesbrasenmechuchotant«T’enfaispas!»àl’oreille;del’autre,j’aienviedecrier,dehurleretdelegiflerpourtoussesmensonges.J’aiaussienviedelelaissercontinueràs’envouloirdenepasavoirempêchécequis’estprétendumentpasséilyatreizeans.Maissurtout,j’aienvied’oubliertoutecettehistoire.Jevoudraisreveniràl’époqueoùjeneressentaisrien.Çamemanque,latorpeur.
Jelâchesesmainsetcommenceàrepartirverslavoiture.—Unepausechapitres’impose,jelancetouthautbienquejem’adressesurtoutàmoi-même.Ilm’emboîtelepas.—Jenesaismêmepascequeçaveutdire.Àsonton,jecomprendsqu’ilestdépasséetbouleversé.Ilmeretientenm’agrippantparlebras,très
probablementpourmedemandercommentjemesens,maisjemedégagebrusquementetmeretournedenouveaufaceàlui.Jen’aiaucuneenviequ’ilmedemandecommentjevaiscarjen’ensaisrien.Jesuisen traindepasserpar touteunegammed’émotions,dontcertainesque jen’avaismêmeencore jamaiséprouvées.Rage,crainte, tristesseet incrédulités’accumulentenmoiet jevoudraisqueças’arrête.Jen’en veux plus, de toutes ces émotions, alors je l’empoigne pour l’embrasser à pleine bouche etlefaireréagir.Envain.Seslèvresrestentfigées.Ilrefusedemeréconforterdecettemanière,ducoupmacolèrereprendledessusetjem’écarteenlegiflant.
C’estàpeines’ilbroncheetçamerendencoreplusfurieuse.Jeveuxqu’ilsouffreautantquemoi.Qu’ilendurel’effetquesesparolesviennentd’avoirsurmoi.Jelegifleunesecondefoismaisillaissefaire.Commeilne réagit toujourspas, je lepousseavecviolence.Je lepousse jenesaiscombiendefois,tentantdeluirendrecouppourcouptoutelasouffrancedanslaquelleilvientdeplongermonâme.Brandissantlepoing,jelefrappeenpleinepoitrineetjememetsàhurlerenlerouantdecoupsetenmedébattantcommeunefolledanssesbrasquiàprésentm’étreignent.Ilmefaitpivoterdosàluidesortequ’onseretrouveblottisl’uncontrel’autre,lesbrasentrecroiséssurmonventre.
—Respire.Calme-toi, Sky. Je sais que tu es perdue et effrayéemais je suis là.Tout près de toi.Respire…
Savoixestdouce,apaisante;jefermelesyeuxpourmieuxm’enimprégner.Ilfaitminederespireràfond, soulevant lapoitrine enmême tempsquemoipourm’inciter à reprendrehaleine et à suivre son
exemple. Lentement, j’inspire plusieurs fois à son rythme. Comme j’ai cessé de me débattre, il meretourneendouceuretmeserrecontrelui.
—Jenevoulaispasque tu souffres commeça,murmure-t-il en tenantdélicatementma tête.C’estpourçaquejenet’airiendit.
Àcetinstant,jemerendscomptequejenepleuremêmepas.Jen’aipasverséuneseulelarmedepuisquelavéritéestsortiedesaboucheetjem’appliqueàrejeterleslarmesquidemandentàêtrelibérées.Pleurernerésoudrariendansl’immédiat.Çamerendrasimplementplusfaible.
Lesmainsàplat sur son torse, je le repoussedoucement.Sesbras sontd’un tel réconfortque j’ail’impressiond’êtreencoreplusenclineàpleurerquandilmeserrecontrelui.Jen’aipasbesoinqu’onmedorlotemaisd’apprendreàcomptersurmoi-mêmepourresterfortecarjenepeuxmefierqu’àmoi–etencore.Toutcequejecroyaissavoirn’étaitquedesmensonges.Commej’ignorequiestaucourantouquiconnaîtlavérité,enfindecompte,jen’aiplusconfianceenpersonne.
Jereculed’unpasenleregardant.—Est-ce qu’un jour tu comptaisme dire qui j’étais ? je demande d’unœilmauvais. Et si je ne
m’étaisjamaissouvenuederien?Est-cequ’unjourtumel’auraisdit?Tuavaispeurquejetequitteetderaterl’occasiondecoucheravecmoi,c’estça?C’estpourcetteraisonquetumensdepuisledébut?
Dèslorsquejeprononcecesmots,sonregardsetrouble;ilestprofondémentblessé.—Non,jen’aijamaispenséça.Niavantnimaintenant.Sijenet’airiendit,c’estparcequej’aipeur
decequivat’arriver.Sijelesignaleàlapolice,tuserasséparéedeKaren.Ilyadegrandeschancespourqu’ilsl’arrêtentetqu’ilsterenvoientvivrecheztonpèreenattendantquetuaiesdix-huitans.C’estça,quetuveux?TuadoresKarenettuesheureuseici.Jenevoulaispasprendrededécisionàtaplaceetrisquerdegâchertoutça.
Jelâcheunpetitrireacerbeensecouantlatête.Sonraisonnementestabsurde,commetoutlereste.—Primo, je réplique, ils nemettraient pasKaren sous les verrous parce que je peux te garantir
qu’ellen’estaucourantderien.Secundo,j’aidix-huitansdepuisseptembre.Sitonmanqued’honnêteténetenaitqu’àmonâge,tum’auraisdéjàditlavérité.
Ilsetientlanuqueenfixantlesol.Lanervositéquisedégagedeluinemeplaîtpasdutout.Jevoisbienàsaréactionqu’iln’enapasfiniaveclesaveux.
—Ilyaencoredeschosesquejedoist’expliquer,Sky.Ilrelèvelenezpourmeregarderenface.—Tonanniversairen’estpasenseptembre.C’estle7mai.Tun’aurasdix-huitansquedanssixmois.
QuantàKaren…Ils’avanced’unpasenmeprenantlesmains.—Elleestforcémentaucourant,Sky.Forcément.Réfléchis.Quid’autreauraitpufaireça?Je lâche immédiatement sesmains en reculant. J’ai conscience que ça a très probablement été un
supplicepourluidegardercesecret.Jevoisbiendanssesyeuxqueçaluicrèvelecœurdedevoirmeraconter tout ça.Mais dès notre première rencontre, je lui ai accordé le bénéfice du doute et toute lacompassionquej’aipuéprouverpourluivientd’êtreréduiteànéantparlefaitqu’ilessaiemaintenantdemefairecroirequemapropremèreestd’unefaçonoud’uneautreimpliquée.
—Ramène-moichezmoi, jerépondsd’unevoixcinglante.Jeneveuxplusrienentendre,plusrienapprendrecesoir.
Iltentedemesaisirunenouvellefoislesmainsmaisjelesdégaged’ungesteviolent.—RAMÈNE-MOI!Jereparsverslavoiture.J’enaiassezentendu.J’aibesoindemamère.J’aijustebesoindelavoir,
delaserrerdansmesbrasetdesavoirquejenesuispastouteseuledanscettehistoirecarpourl’instant,c’estexactementl’impressionquej’ai.
AtteignantlaclôtureavantHolder,jetentedel’escalader,maissanssuccès.Mesmainsetmesbrastremblent,mous commedu coton. Je suis toujours en train d’essayer demedébrouiller seule quand ils’approchesansbruitderrièremoipourmehisser.Jemeréceptionned’unbonddel’autrecôtépuisjemedirigeverslavoiture.
Ils’installeàlaplaceduconducteuretrefermesaportièremaisilnedémarrepas.Lamainsurlaclédecontact,ilfixelevolant.Lavuedesesmainsm’inspiredessentimentscontradictoires.D’uncôté,j’aiterriblement envie de les sentir surmapeau, qu’ellesm’enlacent etme caressent le dospendant qu’ilm’assure que tout va s’arranger. De l’autre, quand je pense à la façon intime dont il m’a touchée etétreinte en étant conscient depuis le début de son hypocrisie, leur vuem’écœure. Vu ce qu’il savait,comment est-ce qu’il a pu rester avecmoi tout enme laissant avaler sesmensonges ? J’ignore si jepourrailuipardonnerunjour.
—Jet’assure,jesaisqueçafaitbeaucoupàencaisser,dit-ilavecdouceur.Jevaisteraccompagnermaisilfautqu’onenreparledemain.
Ilmelanceunregardgrave.—Surtout,n’enparlepasàKaren,d’accord?Pasavantqu’onaittiréçaauclairensemble.J’acquiesce,maisuniquementpourlerassurer.S’ilcroitvraimentquejenevaisrienluidire,ilrêve.Cettefois,ilsetournecomplètementfaceàmoietsepenche,unemainposéesurmonappui-tête.—Jesuissérieux.Jesaisquetunelacroispascapabledefaireuntrucpareilmaistantqu’onn’en
saitpasplus,gardeçapourtoi.Si tuenparlesàquiquecesoit, tavievaêtrebouleversée.Prendsletempsderéfléchir.Jet’enprie.Promets-moideneriendireavantqu’onenaitreparlédemain.
Lecœurserréparlefonddeterreurquejeperçoisdanssavoix,jeluifaisdenouveauouidelatête.Saufquecettefoisjesuissincère.
Ilm’observequelquesinstants,puis,lentement,ilseretournefaceauvolantetdémarre.Onparcourtlessixkilomètresquinousséparentdechezmoisansajouterunmotjusqu’àcequ’ilsegaredansmonallée.Lamainsurlapoignéedelaportière,jem’apprêteàdescendrequandilm’agrippel’autremain.
—Attends.J’attends mais sans me retourner. Un pied sur le plancher de la voiture, l’autre sur une dalle de
l’allée,jerestefaceàlaportière.Ilapprochelamaindemajouepourrepousserunemèchederrièremonoreille.
—Çavaaller,cettenuit?Lasimplicitédecettequestionm’arracheunsoupir.—Qu’est-cequetucrois?Jemelaisseretombersurmonsiègeetmetournefaceàlui.—Commentveux-tuqueçaaille,aprèsunesoiréepareille?Ilmeregardefixementencontinuant,duboutdesdoigts,àmecaresserlajoue.—Çametuede te laisserpartircommeça…Jeneveuxpas te laisserseule.Tuveuxbienque je
reviennedansuneheure?Jesaisbienqu’ilveutsimplementvenirs’allongerprèsdemoi,riendeplus,maisjefaisaussitôtnon
delatête.— J’peux pas, je dis d’une voix blanche. Çame fait tropmal d’être avec toi pour l’instant. J’ai
besoinderéfléchir.Onseverrademain,d’accord?Acquiesçantd’unsignedetête,ilretiresamaindemajouepourlareposersurlevolantetmesuitdu
regardtandisquejedescendsduvéhiculeetm’éloigne.
Dimanche28octobre2012
0h37
Jefranchislaporteetpénètredanslesalonavecl’espoird’êtresubmergéeparlesoulagementdontj’ai terriblement besoin. Le caractère familier de cettemaison et le sentiment d’appartenance qu’ellem’inspirevontm’aideràmecalmer.Jesuisicichezmoi,oùjevisavecKaren…unefemmequim’aimeetquiseraitprêteàtoutpourmoi,quoiqueHolderpuisseenpenser.
Figéedanslapénombredusalon,j’attendsquelesoulagementm’envahissemaisenvain.Méfiante,sceptique, je jetteuncoupd’œilautourdemoi,horrifiéedeconstaterque j’observedésormaismavied’untoutautrepointdevue.
Je traverse la pièce et m’arrête devant la porte de la chambre de Karen. L’espace d’un instant,j’envisagedemeglisseràcôtéd’elledansson litmaissa lumièreestéteinte.Jamais jen’aieuautantbesoind’êtreavecellequ’àcetinstant,pourtantjenepeuxmerésoudreàouvrirsaporte.Jenesuispeut-êtrepasencoreprêteàl’affronter.Aulieudeça,jeremontelecouloirjusqu’àmachambre.
Unraidelumièrefiltreparl’intersticesouslaportedemachambre.J’empoignelebouton,letourneet ouvre lentement la porte.Karen est assise surmon lit.Quand elle entend la porte s’ouvrir, elle setourneversmoietselèveaussitôt.
—Oùest-cequet’étaispassée?Elleal’airinquiètemaisàsavoix,jesensqu’elleestfâchée.Voiredéçue.—J’étaisavecHolder.Tun’asjamaisditàquelleheurejedevaisrentrer.Elledésignelelitd’ungeste.—Assieds-toi.J’aiàteparler.Toutmeparaîtdifférentchezelle,àprésent.Jel’observeprudemment.Enacquiesçantdelatête,j’ai
l’impressiondejouerlapetitefilleobéissante,commesij’étaisdanslascèned’untéléfilmdramatiquedeLifetime. Jem’approcheetm’assois sans tropcomprendrepourquoi elle est aussi remontée.D’unecertainefaçon,j’espèrequ’elleenadécouvertautantquemoicesoir.Çarendraleschosesfranchementplusfacilesquandjeluienparlerai.
Elleserassoitsurlelitetsetourneversmoi.—Jet’interdisdelerevoir,décrète-t-elled’untonferme.Jeclignedesyeux,avant toutsurprisepar lesujetde ladiscorde.Jenem’attendaispasàcequ’il
s’agissedeHolder.—Maispourquoi?jeréponds,déconcertée.Plongeantlamaindanssapoche,ellesortmonportable.—C’estquoi,ça?questionne-t-elle,crispée.
Jecontempleletéléphonequ’elletientfermementdanslamain.Appuyantsurunbouton,ellememetl’écransouslenez.
— Et qu’est-ce que c’est que ce genre de textos, Sky ? C’est ignoble. Ses messages sontabominables!
Ellejetteleportablesurlelitpuism’attrapelesmains.—Qu’est-cequiteprenddesortiravecquelqu’unquitetraitedecettemanière?Jet’aiélevéemieux
queça.Àprésentsontonestplusdoux.Ellejouesimplementlerôledelamèrepréoccupée.Jetentedelarassurerd’unepetitepressiondesmains.Jesaisquejevaisavoirdesennuispouravoir
cachéceportablemaisjeveuxqu’ellesachequecestextosnesontpasdutoutcequ’ellecroit.Enfait,jemesensmêmeunpeuridiculed’avoircettediscussionavecelle.Comparéauxnouveauxproblèmesquiseposentàmoi,celui-ciparaîtunpeupuéril.
—Ilneditpasçasérieusement,maman.C’estpourrire,qu’ilm’envoiecestextos.Ellesouritd’unairdécouragé,secouantlatêteensignededésaccord.—Jeletrouvebizarre,Sky.Jen’aimepasleregardqu’ilposesurtoi.Nisurmoi,d’ailleurs.Etle
faitqu’ilt’aitachetéunportablesanssesoucierdemesprincipesprouved’autantplusqu’ilnerespectepas vraiment les autres.Que ces textos soient pour rire ou pas, jememéfie de lui. Et àmon avis, tudevraisenfaireautant.
Jeladévisage.Ellecontinuedeparlermaislespenséesquimepréoccupentrésonnentdeplusenplusfort,étouffantlesermonqu’ellem’impose.Mesmainsdeviennentmoitesetj’entendsmoncœursemettreàcognerdansmestympans.Subitement,sesconvictions,seschoixetsesrèglesmesautentauxyeux.Etj’aibeaum’efforcerdelesmettreàpart,dansleurspropreschapitres,toutfinitparsemélanger.Jetireunepremièrequestiondelapileetlaposesansdétour:
—Pourquoijepeuxpasavoirdeportable?jedemanded’unetoutepetitevoix.Jenesuismêmepassûred’avoirparléassezfort ; toutefoissabouches’arrêtederemuer,doncje
pensequ’ellem’aentendue.—EtInternet?Pourquoijepeuxpasyavoiraccès?Lesquestionsdéferlentdansmatêtecommedupoisonetj’ailesentimentqu’ilfautàtoutprixqueça
sorte.Tout commence à se recoupermais j’espère que ce n’est qu’une coïncidence. Je garde l’espoirqu’ellem’aitprotégéetoutemaviedumondeextérieurparamouretdansmonseulintérêt.Maisenmonfor intérieur, il devient très vite évident que si ellem’a toujours surprotégée, c’était surtout pourmecacher.
—Pourquoitum’asscolariséeàlamaison?j’enchaîne,cettefoisbeaucoupplusfort.Àsesyeuxécarquillés,ilestévidentqu’ellenecomprendpasdutoutcequimepousseàposertoutes
cesquestionsmaintenant.Elleselèveetmeregarde.—Jenetelaisseraipasrenverserlasituationetmefaireporterlechapeau,Sky.Tantquetuvivras
sousmontoit,tusuivrasmesrègles.Elleramasseleportableetsedirigeverslaporte.—Tuesprivéedesortie.Plusdeportable.Plusdepetitcopain.Onenreparlerademain.Elleclaquelaportederrièreelleetjetombeaussitôtàlarenversesurlelit,encoreplusdésemparée
qu’avantderentrerdanscettemaison.Jemetrompeforcément.C’estunecoïncidence,c’esttout.Çanepeutpasêtrevrai,c’estimpossible.
Jamaisellen’auraitfaituntrucpareil.Plissantlesyeuxpourrefoulerdeslarmes,jemerefuseàycroire.Ilyaforcémentuneautreexplication.Peut-êtrequeHoldernesaitplusoùilenest.OubienKaren.
Moi,entoutcas,jen’ensaisplusrien.Je retirema robepourenfilerun tee-shirt,puis j’éteins la lumièreetmeglisse sous la couette. Je
croiselesdoigtspourquedemain,àmonréveil,jemerendecomptequetoutecettesoiréen’étaitqu’un
mauvais rêve.Autrement, jenesaispassi j’auraiencore la forced’enencaisserdavantage.Fixant lesétoilesauplafond,jecommenceàlescompter.J’oublielesgensetleresteetmeconcentreuniquementsurlesétoiles,rienquelesétoiles.
Treizeansplustôt
Deanrepartdansson jardin,puis il se retournepourmeregarder.Jereplonge la têtedansmesbrasetessaied’arrêterdepleurer.Jesaisqu’ilsaimeraientsûrementrejoueràcache-cacheavantquecesoitl’heurepourmoiderentrer,alorsilfautquej’arrêted’êtretristepourqu’onpuissejouer.
—Hope!JerelèvelatêteversDeanmaisilnemeregardeplus.Jecroyaisqu’ilm’avaitappelée.Maisnon.
Ilscruteunevoiture.Elleestgaréedevantchezmoietlafenêtreestbaissée.—Coucou,Hope,ditladame.Toutsourire,ellemedemanded’approcher.J’ail’impressiondelaconnaîtremaisjen’arrivepasà
merappelersonnom.Jemelèvepourallervoircequ’ellemeveut.Aprèsavoirfrottélaterresurmonshort, je marche jusqu’à sa voiture. Elle sourit toujours et elle est très jolie. Quand j’arrive à sahauteur,elleappuiesurleboutonquidéverrouillelesportes.
—Tuesprêteàpartir,mapuce?Tonpapaaditdesedépêcher.Je ne savais pas que j’étais censée aller quelque part. Papa n’a pas parlé d’une sortie
aujourd’hui.—Oùest-cequ’onva?jedemande.Ellesouritentendantlebrasverslapoignéepourm’ouvrirlaportière.—Jetelediraienchemin.Monteetattachetaceinture,ilnefautpasqu’onsoitenretard.Elleal’airvraimentpresséeetcommejeneveuxpasqu’ellesoitenretard,jegrimpeetclaquela
portière.Elleremontelavitreetcommenceàs’éloignerdemamaison.Ellemeregardeensouriantpuistendlebraspourattraperquelquechosesurlabanquettearrière.
Ellemeproposeunebriquettedejusdefruits.Jelaprendsetdéchireleplastiquedelapaille.— Je m’appelle Karen, raconte-t-elle, et tu vas rester avec moi pendant quelque temps. Je
t’expliqueraitoutquandonseraarrivées.J’aspireunegorgée.C’estdujusdepomme,monpréféré.—Mais,etmonpapa?Ilvient,luiaussi?Karenfaitnondelatête.—Non,monange.Unefoislà-bas,onserajustetouteslesdeux.Jeremetslapailledansmabouchepourqu’ellenemevoiepassourire.Jeveuxpasqu’ellesache
quejesuiscontentequemonpapaneviennepas.
Dimanche28octobre2012
2h45
Jemeredressedansmonlit.C’étaitunrêve.Justeunrêve.Jesensmoncœur tambourinerdans toutmoncorps. Ilbatsi fortque je l’entends. Jecherchemon
souffle,couvertedesueur.C’étaitunrêve,niplusnimoins.Jetentedem’enpersuader.Jeveuxcroiredetoutmoncœurquelesouvenirquivientderessurgir
n’enétaitpasvraimentun.C’estimpossible.Etpourtant. Jem’en souviensparfaitement, commesi ça s’était passéhier.Depuisquelques jours,
chaquesouvenirquiremonteenentraîneunnouveau.Deschosesquej’avaisrefouléesouquejenemerappelaispluscarj’étaissimplementtropjeunesontentraindemerevenird’unseulcoup.Deschosesdontjeneveuxpasmesouveniretquej’auraispréférénejamaissavoir.
Jerepousselacouetteettendslebrasverslalampepourl’allumer.Lapièces’éclaireetjepousseuncrienm’apercevantqu’unesilhouetteestallongéeàcôtédemoi.J’aiàpeineletempsdecrierqu’ilseréveilleetseredressebrusquementcommeundiablehorsdesaboîte.
—Maisqu’est-cequetufichesici?jechuchoteassezhaut.Holder jette unœil à samontre et se frotte les yeux du coin de la paume.Une fois suffisamment
réveillépourrépondre,ilposelamainsurmongenou:—Jenepouvaispastelaissertouteseule.Jevoulaisjustevérifierquetuallaisbien.Ilapprochelamaindemoncou,justeendessousdemonoreille,effleurantdupoucelecontourdema
joue.—Toncœur,s’étonne-t-ilensentantmonpoulsbattresoussesdoigts.Tuaseupeur.Enlevoyantlà,dansmonlit,prenantsoindemoicommeillefait…jenepeuxplusluienvouloir.
J’aimeraisbien,mais j’en suis incapable.S’iln’étaitpas lààcet instantpourme réconforteraprès ladécouverte que je viens de faire, je ne sais pas ce que je ferais. Son seul tort est d’avoir endossé laresponsabilitédetoutcequim’estarrivé.Jecommenceàaccepterl’idéequ’ilapeut-êtreautantbesoinderéconfortquemoi.Pourlapeine,jeluiouvreencoreunpeuplusmoncœur.Jem’emparedesamaindansmoncoupourlaserrer.
—Holder…jemesouviens,jedisd’unevoixtremblante,auborddeslarmes.Jedéglutisenlesravalantdetoutesmesforces.Ilserapprocherapidementetmefaitpivoterfaceà
lui.Lesmainssurmesjoues,ilmeregardedanslesyeux.—Dequoitutesouviens?
Jesecouelatête,refusantdeledire.Ilnemelâchepas.Iltentedem’amadouerduregard,hochantdoucement la tête pour m’assurer que ce n’est pas grave, que je peux le dire. Je chuchote aussidiscrètementquepossiblecarj’aitroppeurdel’admettretouthaut.
—C’étaitKarendanslavoiture.C’estelle…quim’aenlevée.Levisagetordudedouleuretderésignation,ilm’attireversluipourmeserrerdanssesbras.—Jesais,mabelle,souffle-t-ildansmescheveux.Jesais.J’agrippesontee-shirtpourmecramponneràluietsavourerleréconfortquesesbrasmeprocurent.
Jefermelesyeuxmaisàpeineuneseconde.Ils’écartedèsqueKarenouvrelaportedemachambre.—Sky?Jefaisvolte-facesurlelit.Plantéedansl’embrasure,ellefixeHolderd’unairmauvais.—Sky…?répète-t-elle.Maisqu’est-cequetufabriques?Confusionetdéceptionassombrissentsonvisage.JetournebrusquementlatêteversHolder.—Emmène-moiloind’ici,jelesupplietoutbas.Hochantlatête,ilsedirigeaussitôtversmonplacardetl’ouvretandisquejemelèvepourattraper
dansmacommodeunjeanquej’enfileenquatrièmevitesse.—Sky?insisteKarenennousobservantdepuislaporte.Jene la regardepas.C’estau-dessusdemes forces.Elles’avancedans lachambreaumomentoù
Holderouvreungrandsacballuchonqu’ilposesurlelit.—Metsquelquesfringueslà-dedans.Jevaischerchertesaffairesdanslasalledebains.Sonintonationestcalme,posée,cequiatténuelégèrementlesentimentdepaniquequimefouettele
sang.Jem’approchedemonplacardetcommenceàretirerdeschemisiersdeleurscintres.—Tun’irasnullepartaveclui!Tuasperdulatêteouquoi?La voix de Karen frise l’affolement mais je ne la regarde toujours pas. Je continue de jeter des
vêtements dans le sac puis je pars vers la commode et ouvre le tiroir du haut pourm’emparer d’unebrasséedechaussettesetdesous-vêtements.Quandjereviensverslelit,Karenmebarrelecheminenm’agrippantparlesépaulespourm’obligeràlaregarder.
—Sky,maisqu’est-cequiteprend?s’écrie-t-elle,ahurie.Qu’est-cequit’arrive?Jet’interdisdepartiraveclui.
Holderréapparaîtdanslachambreavecunepoignéed’articlesdetoiletteetcontourneKarenpourlesentasserdanslesac.
—Karen,jevoussuggèredelalâcher,conseille-t-ild’untontrèscalmemalgrélamenaceimplicite.Estomaquée,Karenseretournefaceàlui,l’airmoqueur.—Toi,net’avisepasdel’emmener.Situosesneserait-cequesortirdecettemaisonavecelle,je
prévienslesflics.Holderneréagitpas.Ilmelanceunregardentendantlamainpourquejeluipasselesaffairesqueje
tiens,puisilsetournepourlesrangerdanslesacavantdelefermer.—Tuesprête?demande-t-ilenmeprenantparlamain.Jeluidisouidelatête.—Jeneplaisantepas!s’affoleKarenpourdebon.Des larmes commencent à couler sur ses joues tandis qu’elle nous lance des regards éperdus. La
douleurquiselitsursonvisagemebriselecœur,carc’estmamèreet je l’aime,maisjenepeuxpasfermer les yeux sur la colère et le sentiment de trahisonque j’éprouve concernant les treize dernièresannéesdemavie.
—Jevaisappelerlapolice!hurle-t-elle.Tun’aspasledroitdel’emmener!JeplongelamaindanslapochedeHolderpourensortirsonportableetavanced’unpasversKaren.
Jelaregardedroitdanslesyeuxetd’untonaussifermequepossible,jeluitendsl’appareilendisant:
—Tiens.Appelle-les.—Maispourquoitufaisça,Sky?Safigureestàprésentbaignéedelarmes.J’essaiedeluimettreletéléphonedeforcedanslamainmaisellerefusedeleprendre.—Appelle-les!Prévienslapolice,maman!Fais-le,s’ilteplaît.C’estmoi qui la suppliemaintenant. Je veux qu’elle les appelle pourme prouver que j’ai tort et
qu’ellen’arienàcacher,surtoutpasàmoi.—S’ilteplaît,jerépètedoucement.Detoutmonêtrej’aimeraisqu’elleprennecetéléphoneetlesappellepourquejesachequejeme
suistrompée.Elle reculed’unpasen retenant son souffle, interdite.Àcet instant, je suispresque sûrequ’elle a
compris.Ellesaitquejesais.Cependantjen’attendspasd’enavoirlacertitude.Holderm’attrapeparlamainetm’entraîneverslafenêtreouverte.Ilmelaissepasserlapremièrepuissehissedehorsàmasuite.J’entendsKarencriermonnommaisjemarchesansm’arrêterjusqu’àlavoituredeHolder.Ongrimpeàbordetildémarre,m’emmenantloindelaseulevraiefamillequej’aiejamaiseue.
Dimanche28octobre2012
3h10
—Onnevapaspouvoirrester,annonce-t-ilensegarantdevantchezlui.Karenvapeut-êtrevenirtechercher ici.Attends-moi le tempsque j’aille chercherquelques affaires envitesse, je reviens toutdesuite.
Ilsepenchepourm’embrasserpuissortdelavoiture.Pendantqu’ilfileàl’intérieur, jerestelà,àregarderfixementparlafenêtre,latêterenverséecontrel’appui-tête.Cettenuit,lecielnecompteaucuneétoile.Uniquementdeséclairs.Çameparaîtapproprié,vulasoiréequej’aipassé.
Quelquesminutesplustard,Holderrevientetjetteunsacsurlabanquettearrière.Surleperron,samèrel’observe.Ilrepartverselleetposelesmainsencoupeautourdesonvisage,exactementcommeillefaitavecmoi.Illuiditquelquechosemaisj’ignorequoi.Elleacquiesceenleserrantdanssesbras,aprèsquoiilrevients’installerauvolant.
—Qu’est-cequetuluiasraconté?Ilmeprendlamain.—Je lui ai expliquéque tu t’étaisdisputéeavec tamèreetqueducoup, je te conduisais chezun
membredetafamilleàAustinetquej’enprofiteraispourpasserquelquesjourschezmonpère,maisquejereviendraisvite.
Ilmeregardeensouriant.—C’estbon,elleal’habitudequejeparte,malheureusement.Ellen’estpasinquiète.Jemetourneverslafenêtretandisqu’ilquittel’alléeaumomentoùlapluiecommenceàs’abattresur
lepare-brise.—Onvavraimentallercheztonpère?—Onvaoùtuveux.Maisjedoutequetuaiesenvied’alleràAustin.Jeluilanceunregard.—Pourquoipas?Pinçant les lèvres, ilenclenche lesessuie-glacesetpose lamainsurmongenouen lecaressantdu
pouce.—Parcequec’estdelàquetuviens,répond-ildoucement.Retournant la tête vers la fenêtre, je pousse un soupir. Il y a tellement de choses que j’ignore.
Tellement.J’appuielatêtecontrelavitrefraîcheetfermelesyeux,laissantressurgirlesquestionsquejemesuisretenuedeposertoutelasoirée.
—Est-cequemonpèreestencoreenvie?—Oui.—Etmamère?Elleestvraimentmortequandj’avaistroisans?
Ils’éclaircitlavoix.—Oui.Elleestdécédéedansunaccidentdevoiturequelquesmoisavantqu’onemménageàcôtéde
chezvous.—Ilhabitetoujourslamêmemaison?—Oui.—Jeveuxlavoir.Jeveuxyaller.Holderneréagitpastoutdesuite.Aulieudeça,ilinspireetexpirelentement.—Jenepensepasquecesoitunebonneidée.Jemetourneverslui.—Pourquoi?Jeseraiprobablementmieuxlà-basquenullepartailleurs.Ilfautqu’ilsachequeje
vaisbien.Holderarrête lavoiture sur lebordde la routeetpositionne le levierdevitesseaupointmort. Il
pivotesursonsiègeetmeregardedroitdanslesyeux.—Cen’estpasunebonneidée,mabelle.Tuviensdetoutdécouvririlyaquelquesheures.Prendsle
tempsdedigérerlesévénementsavantdeteprécipiter.Si tonpèretevoitet tereconnaît,Kareniraenprison.Réfléchisbien.Penseauxmédias.Auxjournalistes.Jet’assure,Sky.Quandtuasdisparu,ilsontplantélatentedevantcheztoipendantdesmois.Lesflicsm’ontinterrogépasmoinsdevingtfoisendeuxmois.Quellequesoitladécisionquetuprendras,tavieentièreestsurlepointdebasculer.Maisjeveuxquetudécidespartoi-même,entonâmeetconscience.Jerépondraiàtouteslesquestionsquetuteposes.Jet’emmèneraioùtuveuxdansquelquesjours.Situveuxallervoirtonpère,onira.Situveuxalleràlapolice,onira.Etsitupréfèressimplementfuirtoutça,onlefera.Maispourl’instant,jeveuxjustequetut’accordesunpeudetemps.Ils’agitdetavie.Detonavenir.
Sesparolesmeserrentlecœurcommeunétau.Jenesaisplusquoipenser,voirejenepenseplusriendutout.Ilaconsidérécettehistoiresoustouslesangles,etmoijenesaisabsolumentpasquoifaire.Jesuistotalementpaumée.
J’ouvrelaportièreetsorssurlebas-côtédelaroute,souslapluie.Arpentantlebitume,jetentedemeconcentrersurquelquechoseafindenepasavoirunmalaise.Ilfaitfroiddehors,etcen’estplusunesimpleaversequitombemaisunvraidéluge.D’énormesgouttesmefouettentlesjouesetleurviolencem’empêchedegarderlesyeuxouverts.DèsquejevoisHolderfaireletourdelavoiture,jem’empressed’allermejeteràsoncouenmecachantlafiguredanssontee-shirtdéjàtrempé.
—J’yarriveraipas!jecriepourmefaireentendresouslemartèlementdelapluie.J’enveuxpas,decettevie!
Ilm’embrassesurlatêteetsepenchepourmeparleraucreuxdel’oreille:—Moinonplus,jeneveuxpasdecetteviepourtoi.Jesuisdésolé.Jesuisvraimentdésolédene
pasavoirétélàpourempêchercequiestarrivé.Il glisse le doigt sous mon menton pour m’obliger à relever la tête. Ses cheveux trempés sont
emmêlés sur son front. Je repousse unemèche devant ses yeux ; il a déjà besoin de retourner chez lecoiffeur.
—Faisonscommesicesoirétaituneautrevie,suggère-t-il.Onn’aqu’àremonterdanslavoitureetimaginer qu’on s’en va par plaisir… et non par contrainte. Disons que je t’emmène dans un endroitfabuleux,quetuastoujoursrêvédevisiter.Tuteblottirascontremoipendantqu’onparlera,toutexcités,decequ’onferaunefoislà-bas.Lestrucsimportantsattendront.Cesoir…imagineuneautrevie.
Jel’attirecontremoipourl’embrasser.Cebaiser,c’estpourtouteslesfoisoùilasutrouverlesmotsjustes.Pourtouteslesfoisoùilaétélàpourmoi.Pourlesoutienqu’ilm’apporte,quellesquesoientlesdécisions que je dois prendre. Pour sa patience sans faille pendant que j’essaie d’y voir clair. Jel’embrasse car je ne trouve pas demeilleure idée que de remonter dans cette voiture avec lui et dediscuterdetoutcequ’onferaunefoisqu’onseraàHawaii.
Jem’écartedoucementetcontretouteattente,aucœurdelapirejournéedemavie,jetrouvelaforcedesourire.
—Merci,Holder.Vraiment.Sanstoi,j’yarriveraispas.Ilm’embrasseencoresurlabouchepuismesouritàsontour.—Si,tuyarriveraistrèsbien.
Dimanche28octobre2012
7h50
Depuisunpetitmomentdéjà,iltortillelentementmescheveuxentresesdoigts.J’ailatêteposéesursesgenouxetcelafaitplusdequatreheuresqu’onroule.IlaéteintsonportableàWaco,aprèsavoirreçudesSMSimplorantsdeKaren.Elles’estserviedemontéléphonepourlesupplierdemeramenerchezmoi.Leproblème,justement,c’estquejenesaismêmeplusoùc’est,chezmoi.
J’aibeauaimerKaren,jen’arrivepasàcomprendresongeste.Aucunesituationaumondenepourraitjustifier l’enlèvementd’unenfant,doncçam’étonneraitque j’aieenviede larevoirun jour.Jecompterassemblerunmaximumd’informationssurcequis’estpasséavantdeprendrequelquedécisionquecesoit. Je sais bien que le plus raisonnable, ce serait d’appeler tout de suite la police,mais parfois lasolutionlaplusraisonnablen’estpaslameilleure.
—Àmonavis,onnedevraitpasallerchezmonpère,estimeHolder.Moi qui supposais qu’ilme croyait endormie, il sait de toute évidence que je suis bien réveillée
puisqu’ilmeparle.—Onva se trouver unhôtel pour ce soir.Demain, ondécidera de cequ’on fait.Onne s’est pas
quittésenexcellentstermescetétéetonaassezd’histoiresàréglercommeça.Jehochelatêtesursesgenoux.—Commetupréfères.Toutcequejeveux,c’estunlit.Jesuiscrevée.Jenesaispascommenttufais
pourgarderencorelesyeuxouverts.Alorsquejemeredresseenétirantlesbrasdevantmoi,Holderbifurquesurleparkingd’unhôtel.
***
Aprèsavoirrempliunefichepournousdeux,ilmedonnelaclédelachambrepuisrepartgarerlavoitureetcherchernosaffaires.J’ouvrelaporteaveclacartemagnétiqueetpénètredanslachambre.Iln’y a qu’un litmais jeme doutais que ce serait ce qu’il demanderait.On a déjà dormi plusieurs foisensembledoncç’auraitétébeaucoupplusgênants’ilavaitdemandédeslitsséparés.
Ilme rejoint quelquesminutes plus tard et pose nos sacs par terre. Je fourrage dans lemien à larecherched’une tenuepourdormir.Malheureusement jen’aipasemportédepyjama,alors j’attrapeunlongtee-shirtetdesdessouspropres.
—J’aibesoindeprendreunedouche.Jeparsdanslasalledebainsetm’attardesousladoucheunbonmoment.Unefoisquej’aifini,je
m’efforcedemesécherlescheveuxausèche-cheveuxmaisjesuistropépuisée.Alorsàlaplace,jeles
attacheenqueue-de-chevalpuisjemebrosselesdents.Lorsquejesorsdelasalledebains,Holderestentraindedéfairenossacsetdesuspendrenosaffairesdansleplacard.Ilmelanceunregardetmarqueun temps d’arrêt en voyant que je ne porte qu’un tee-shirt et une culotte. Il me contemple quelquessecondespuisdétournevitelesyeux,malàl’aise.Vulajournéequej’aieue,ilessaied’êtregentleman.Mais jeneveuxpasqu’ilme traitecommesi j’étaisen sucre.Sionétaitn’importequelautre jour, ilauraitdéjàfaituneremarquesurmatenueetsesmainsauraientatterrisurmesfessesendeuxsecondespile.Aulieudeça,ilmetourneledosetsortlesdernièresaffairesdesonsac.
—Jevaisprendreunepetitedouche,m’informe-t-il.J’airemplileseaudeglaceetachetéàboire.Jenesavaispastropsituvoudraisunsodaoudel’eau,alorsj’aiprislesdeux.
Ils’empared’uncaleçonetmecontournepourallerdanslasalledebainsenévitantsoigneusementdeposerlesyeuxsurmoi.Aumomentoùilpasseàcôtédemoi,jeleretiensparlepoignet.Ils’arrêteetseretourneenmeregardantbiendanslesyeux,pasailleurs.
—Jepeuxtedemanderquelquechose?—Biensûr,mabelle,répond-ilavecsincérité.Glissantlamaindanslasienne,jeplanteunpetitbaiserdanssapaumepuislaposecontremajoue.—Je sais que tu es inquiet pourmoi.Mais si à causede cequi sepassedansmavie, tu te sens
mald’êtreattiréparmoiaupointdenemêmepluspouvoirmeregarderquandjesuisenpetitetenue,çavamebriserlecœur.Jen’aiplusquetoi,Holder.S’ilteplaît,nemetraitepasdifféremment.Restelemême.
Ilm’observed’unairentendu,écartant lamaindemajoue.Tandisquesonregardseposesurmeslèvres,unsourires’ébaucheaucoindesabouche.
—Tuesentraindemedonnerlefeuvertpourquej’admettequej’aitoujoursenviedetoimalgrélefaitquetaviesoitenvrac?
Jehochelatête.—Savoirquetuasenviedemoiétaitdéjàindispensableavantquemaviesoitenvrac,maisc’est
encoreplusvraimaintenant.Ilsourit,m’embrasseetm’attrapeparlatailled’ungestevifavantdeglisserlamainaucreuxdemes
reins.Sonautremainposéesurl’arrièredematête,ilm’embrasseintensément.Sesbaiserssontcedontj’aibesoinàcetinstant.C’estlaseulechosequipuissevraimentmefairedubiendanscemondeemplidesouffrance.
—Ilfautvraimentquejeprenneunedouche,murmure-t-ilentreplusieursbaisers.Maismaintenantquej’ailefeuvertpourmeconduirecommeavantavectoi…
Ilm’attrapeparlesfessespourmeplaquercontrelui.—Ne t’avise pas de t’endormir pendant que je suis à côté parce que quand je sortirai de là, je
comptebientemontreràquelpointjetetrouvesublime,là.—Bonneidée,jechuchotecontresabouche.Ilmerelâcheetpartdanslasalledebains.Aumomentoùjem’allongesurlelit,l’eausemetàcouler.Je tentede regarder la téléunmoment,vuque jen’enai jamais l’occasion,mais rienne réussit à
retenirmonattention.Cesdernièresvingt-quatreheuresontététropatroces.Lesoleilestdéjàlevéetonn’estmêmepasencorecouchés.Jefermelesstoreset lesrideauxpuisretournememettreaulitenmecachantlatêtesousunoreiller.Jecommenceàpeineàm’assoupirquejesensHolders’allongeràcôtédemoienglissantunbrassurmataille.Jesensd’icilachaleurdesontorsecollécontremondosetlaforcedesesbrasquim’enveloppent.Iljointsesmainsauxmiennesenm’embrassantsurlatête.
—Jetevis,jeluichuchote.Ilmeplanteunautrebaiserdanslescheveuxetpousseunsoupir.
—Jecroisquejenetevisplus,Sky.Jesuisquasimentsûrd’avoirdépassécestade.Non,enfait,j’ensuissûretcertainmaisjenesuistoujourspasprêtàteledire.Lejouroùjeprononceraicesmots,jeveuxquecesoitunejournéedifférentedecelle-ci.Jeneveuxpasquetutesouviennesdecettepremièrefois-làdanscescirconstances.
J’approchesamainpourl’embrassertendrement.—Pareilpourmoi.Et une fois de plus, dans cette nouvelle réalité faite de chagrin et de mensonges, ce garçon
désespéréréussitjenesaiscommentàmeredonnerlesourire.
Dimanche28octobre2012
17h15
Onneseréveillenipourlepetitdéjeunernipourledéjeuner.LorsqueHolderrevientdansl’après-midiavecdequoimanger,jesuisaffamée.Jen’airienavalédepuisplusdevingt-quatreheures.Iltiredeuxchaisesjusqu’aubureauetsortlescoursesetlesboissonsdessacs.Ilm’arapportécequej’avaisdemandélaveilleàlasortieduvernissageetqu’onn’avaitjamaiseul’occasiondecommander.J’ôtelecouvercledumilk-shakeauchocolatetendescendsuneénormegorgée,puisjesorsmonhamburgerdesonemballage.C’estalorsqu’unpetitcarrédepapiertombeetatterritsurlatable.Jeleramassepourlelire:
C’estpasparcequetun’asplusdeportableetquetavieestunvraifilmdefousencemomentquej’aienviequetuprenneslagrossetête.Franchement,tun’étais pas très attrayante en tee-shirt et petite culotte hier. J’espère vraimentquetuvast’acheterunegrenouillèreaujourd’hui,commeça,jeneseraiplusobligédevoirtespetitescuissesdepoulettoutelanuit.
Quandjereposelemotettournelatêteverslui,ilaunsourirejusqu’auxoreilles.Sesfossettessontvraimentadorables;d’ailleurs,cettefois,j’enembrasseuned’uncoupdelangue.
—C’étaitquoi,ça?s’étonne-t-il,amusé.Jeprendsunebouchéedehamburgerenhaussantlesépaules.—Çamedémangeaitdepuisnotrerencontreausupermarché.Lesourireàprésentnarquois,ilselaisseretomberenarrièredanssachaise.—Lapremièrefoisquetum’asvu,tuaseuenviedemelécherlevisage?C’estcequetufaisquand
unmecteplaît,engénéral?Jefaisnondelatête.—Tes fossettes, pas ton visage. Etnon, tu es le seulmec que j’ai jamais eu follement envie de
lécher.Ilmelanceunsourirepleind’assurance.—Tantmieux.Parcequetueslaseulefilledetoutemaviequej’aifollementenvied’aimer.Oh,merde.Iln’apasexplicitementditqu’ilm’aimaitmaisjesensmoncœursegonflerenl’entendant
prononcercemot.Jereprendsunebouchéedehamburgerpourmasquermonsourire, laissantlaphrase
planerentrenouspourenprofiterencoreunpeuavantqu’elles’évaporedanslesairs.On finit de manger tranquillement. Après quoi, je me lève, je débarrasse et je vais enfiler mes
chaussuresaupieddulit.—Oùtuvas?s’étonne-t-ilenmeregardantnouermeslacets.Jenerépondspastoutdesuitecaràvraidire,jen’ensaistroprien.J’aijusteenviedeprendrel’air.
Unefoismeslacetsattachés,jemerelèveetm’approchepourl’enlacer.—J’aienviedefaireuntouretj’aimeraisquetum’accompagnes.Jesuisprêtepourlesquestions.Ilm’embrassesurlefrontettendlebraspourattraperlacartemagnétiquesurlebureau.—Alorsallons-y,approuve-t-ilenmeprenantlamain.Comme iln’yaaucunparcnipromenadedans lesenvironsde l’hôtel,on sort simplementdans la
cour.Lapiscineestbordéedecabanons, tousdéserts. Ilm’entraînevers l’und’eux,ons’installeet jeposelatêtesursonépauleencontemplantlapiscine.Onestenoctobremaisletempsestencoreassezdoux.Tirantsurlesmanchesdemontee-shirt,jecroiselesbrasenmeblottissantcontrelui.
— Tu veux que je te raconte ce dont je me souviens, propose-t-il, ou bien tu as des questionsprécises?
—Lesdeux.Maisjeveuxd’abordentendretaversion.Unemainsurmesépaules, ilmecaressedoucement lehautdubrasenplantantunbaiserdansmes
cheveux.Peuimportelenombredefoisoùilm’aembrasséedecettefaçon,j’aitoujoursl’impressionquec’estlapremière.
—Ilfautquetucomprennesquepourmoi,c’estsurréaliste,Sky.Çafait treizeansquejeressassetouslesjourscequit’estarrivé.Etquandjepensequesurcestreizeannées,ilyenaseptquej’habiteàtrois kilomètres de chez toi…? J’ai encore dumal à l’accepter.Alors le fait d’être enfin là avec toiaujourd’hui,àteracontertoutcequis’estpassé…
Poussantunsoupir,ilrenverselatêtecontresondossier,marqueunecourtepausepuisreprend:—Dèsquelavoitures’estéloignée,jesuisrentréchezmoipourdireàLessquetuétaispartieavec
quelqu’un. Elle n’arrêtait pas deme demander avec quimais j’en savais rien.Mamère était dans lacuisine, alors je suis allé le lui dire. Elle nem’a pas vraiment prêté attention. Elle était en train depréparerledîneretonn’étaitquedesgosses.Elleavaitapprisàfaireunpeulasourdeoreille.Etpuis,àcemoment-là,jen’étaispasencoresûrquecequis’étaitpassén’étaitpasnormal,doncjen’avaispasl’air affolé.Ellem’a simplement dit d’aller jouer dehors avecma sœur.Devant son indifférence, j’aipenséquetoutallaitbien.J’étaispersuadéquelesadultessavaient tout,alorsjen’aipasinsisté.AvecLess,onestretournésjouerdehorsetdeuxheuressesontécouléesjusqu’àcequetonpèresortesurleperronent’appelant.Dèsquejel’aientenducriertonnom,jemesuisfigéaubeaumilieudujardin.Jel’airegardérépétertonnomàtue-tête,plantésoussonporche.Là,j’aicomprisqu’ilnesavaitpasdutoutquetuétaispartieavecquelqu’un…etquej’avaisfaituneénormebêtise.
—MaisHolder,tun’étaisqu’unpetitgarçon.Ignorantmaremarque,ilpoursuit:—Tonpèreatraversélapelousepourvenirnousvoiretm’ademandésijesavaisoùtuétais.Il s’interrompt pour s’éclaircir la voix. J’attends patiemment qu’il reprennemais visiblement, il a
besoinderassemblersesesprits.Àl’entendreexpliquercequis’estpassécejour-là,oncroiraitqu’ilraconteunehistoirequin’aaucunrapportdirectavecmavieoumoi.
—Cequ’ilfautquetucomprennes,Sky,c’estquej’avaispeurdetonpère.J’avaisàpeinesixansetje savaisque j’avais faitunegrossebêtiseen te laissant seule.Toncommissairedepolicedepère setenaitpenchéau-dessusdemoi,sonarmeàlaceinturedesonuniforme,etlà,j’aipaniqué.Jesuisrentrécommeuneflèchechezmoietj’aicourum’enfermerdansmachambre.Mamèreetluionttambourinéàmaportependantunedemi-heuremaisj’avaistroppeurd’ouvriretdeleuravouerquejesavaiscequis’étaitpassé.Maréactionlesainquiétés,alorsilaappelédesrenfortsparradio.Quandj’aientendules
véhiculesdepolicesegarerdehors,j’aicruqu’ilsvenaientpourmoi.Jenecomprenaistoujourspascequit’étaitarrivé.Letempsquemamèremepersuadedesortirdemachambreàforcedecajoleries,troisheuress’étaientécouléesdepuisquetuétaismontéeàborddecettevoiture.
Ilcontinuedemecaresserlehautdubrasmaisàprésentsonétreinteestplusappuyée.Jeressorslesmainsdemesmanchespourpressersamain.
—Onm’a emmené au poste et interrogé pendant des heures. Ils voulaient savoir si j’avais vu lenuméro de la plaque d’immatriculation de la voiture, à quoi ressemblait le conducteur et si j’avaisentenducequ’ilt’avaitdit.Jenemesouvenaisderien,Sky.Mêmepasdelacouleurdelavoiture.Toutcequej’aiétécapabledeleurdécrireprécisément,c’étaitlatenuequetuportaiscarjen’avaisquetoiàl’esprit. Ton père était furieux contre moi. D’où j’étais, je l’entendais brailler dans le couloir ducommissariat que si j’en avais tout de suite parlé à quelqu’un, ils auraient eu plus de chances demeretrouver. Ilm’envoulait.Etquandona sixansetqu’uncommissairedepolicevous reproched’êtreresponsable de la disparition de sa fille, on a tendance à croire qu’il sait ce qu’il dit. Less aussi l’aentenducrier,ducoupelleacruque toutétaitma faute.Ellea refusédemeparlerpendantdes jours.Chacundenotrecôté,onessayait tantbienquemaldecomprendrecequis’étaitpassé.Onavaitvécupendant six ans dans un monde parfait où les adultes avaient toujours raison et où les malheursn’arrivaientpasauxgensbien.Eten l’espaced’uneminute,on t’avaitenlevéeet toutcequ’oncroyaitsavoirs’estrévéléêtreuneimageerronéedelavie,quenosparentsavaientfaçonnéepournous.Cejour-là,onapris consciencequemême lesadultescommettaientdeschoses terribles.Que lesenlèvementsd’enfants, çaexistait.Etque lesmeilleursamispouvaientdisparaîtredu jourau lendemainsansqu’onn’aitplusjamaisdenouvelles.
«Onpassaitnotretempsàregarderlesinfosdansl’attented’autresnouvelles.Pendantdessemaines,ilsontdiffusétaphotoàlatéléensollicitantdestémoignages.Laphotolaplusrécentequ’ilsavaientdetoiremontaitàavantlamortdetamère,quandtun’avaisquetroisans.Jemesouviensqueçam’avaiténervéetquejem’étaisdemandécommentilavaitpus’écoulerpresquedeuxanssansquepersonnen’aitpris de photo. Ilsmontraient des photos de tamaison et parfois, ilsmontraient la nôtre.De temps entemps,ilsévoquaientlepetitvoisinquiavaitététémoindelascènemaisquinesesouvenaitderien.Jemerappellequ’unsoir…ledernieroùmamèrenousaautorisésàregarderlesreportagesàcesujet…undesjournalistesamontréunpland’ensembledenosdeuxmaisonsenévoquantl’uniquetémoin,saufqu’ilm’a appelé« le garçonqui a perduHope».Ça a rendumamère folle furieuse ; elle s’est précipitéedehorsets’estmiseàhurlerauxjournalistesdelaissersafamilleetsonfilstranquilles.Monpèreadûlafairerentrerdeforce.
«Mesparentsontfaitdeleurmieuxpourqu’oncontinueàvivrenormalement.Auboutdedeuxmois,les journalistes ont levé le camp.Les allers-retours au poste pour un énième interrogatoire ont cessé.Lentement,leschosesontcommencéàrentrerdansl’ordrepourtoutlemondedanslequartier.SaufpourLessetmoi.C’étaitcommesitousnosespoirsavaientdisparuenmêmetempsquenotreamie.
Enentendantsonrécitetsontondévasté,toutcequejeressens,c’estdelaculpabilité.Onpourraitcroirequemonenlèvementavaitétéunteltraumatismequej’enauraisgardédavantagedeséquellesquemesproches.Etpourtant,c’estàpeinesijem’ensouviens.Cetévénementdemavienem’apasdutoutmarquéemaiseux,illesapourainsidiredétruits.Karenétaitcalme,aimable,etellem’amisuntasdemensongesdans la têteenm’inventantunpassédansunefamilled’accueilavantmonadoption,sibienquejenemesuisjamaisposélamoindrequestion.CommedisaitHolder,àcetâge-làlesadultesnousparaissentsihonnêtesetintègresqu’onleuraccordeuneconfianceaveugle.
—Direquedepuisdesannées,j’enveuxàmonpèredem’avoirabandonnée,jedisdoucement.Jen’arrivepasàcroirequ’ellem’aitarrachéeàluicommeça,sansraison.Commentest-cequ’elleapumefaireça?Commentquelqu’unpeut-ilenleverunenfantàsesparents?
—Jenesaispas,mabelle.
Jemeredresseetmetourneversluienlefixant.—Ilfautquejevoielamaison.J’aimeraisqued’autressouvenirsmereviennentmaispourl’instant,
je n’en ai aucun. Et j’en souffre. Jeme souviens encoremoins de lui. Je veux juste passer devant envoiture.Ilfautquejelavoie.
Ilmefrottelebrasenacquiesçantd’unsignedetête.—Toutdesuite?—Oui.Jeveuxlavoiravantqu’ilfassenuit.Lagorgesècheet l’estomacnoué, jenedispasunmotde tout le trajet. J’aipeur.Peurdevoir la
maison,qu’ilnesoitchezluietquejel’aperçoive.Jen’aipastropenviedelerencontrerpourl’instant;je veux simplement revoir cet endroit qui futmon premier chez-moi. J’ignore si çame rafraîchira lamémoirepourautantmaisilfautquejevoiecettemaison,c’estindispensable.
Holderralentitensegarantlelongdutrottoir.Jefixelarangéedemaisonsmitoyennesdel’autrecôtédelarue,terroriséeàl’idéedetournerlatêtepouraffronterlaréalité.
—Onyest,annonce-t-ild’unevoixdouce.Cettemaisonneressemblepasauxautres.Lentement,jetournelatêtepourdécouvrirlapremièremaisondanslaquellej’aivécu.Ilesttardetla
nuit commence à engloutir le jour mais le ciel est encore assez lumineux pour qu’on puisse bien ladistinguer.Surlemoment,bienquej’aielesentimentdelaconnaître,savueneréveilleaucunsouvenir.Lafaçadeestassombriedemouluresbrunesquipourlecoup,nemedisentabsolumentrien.
—Lafaçadeétaitblancheàl’époque,expliqueHolder,commes’illisaitdansmespensées.Jepivotepourfairefaceàlamaison,tentantdemerappelerquelquechose.J’essaiedem’imaginer
franchissantl’entréeetapercevantlesalon,maisenvain.Àcroirequetoutcequiconcernecettemaisonetcetteviea,d’unemanièreoud’uneautre,étéeffacédemamémoire.
—Comment se fait-il que jeme rappelle à quoi ressemblaient ton salon et ta cuisine, et pas lesmiens?
Ilnerépondpas,sûrementcarilsedoutequejen’attendspasvraimentderéponse.Ilsecontentedeposerlamainsurlamiennependantqu’onfixecesmaisonsquiontmodifiéàjamaislecoursdenosvies.
Treizeansplustôt
—Est-cequetonpapaorganiseunefêtepourtonanniversaire?demandeLesslie.Jesecouelatête.—Jefêtejamaismonanniversaire.Lessliefroncelessourcilsens’asseyantsurmonlitetattrapelepaquetposésurmonoreiller.—C’esttoncadeaud’anniversaire?Jeluiprendslepaquetdesmainsetlereposesurl’oreiller.—Non,monpapam’offretoutletempsdescadeaux.—Tuveuxpasl’ouvrir?insiste-t-elle.—Non,j’aipasenvie.Croisantlesmainssursescuisses,ellesoupireenparcourantlapièceduregard.—Tuaspleindejouets.Pourquoionvientjamaisjouerici?Onvatoujourschezmoi,c’estnul.Jem’assoisparterreenattrapantmeschaussurespourlesenfiler.Jemegardebiendeluidireque
jedétestemachambreetcettemaison,etquesionvatoujourschezelle,c’estparcequejem’ysensplusensécurité.Tenantmeslacets,jemerapproched’elleaupieddulit.
—Tuveuxbienmelesnouer?Elleprendmonpiedetleposesursongenou.—Hope,ilfautquetuapprennesàfaireteslacetstouteseule.Deanetmoionaapprisquandon
avaitcinqans.Elleselaisseglisserdulitpours’asseoirparterreenfacedemoi.—Regarde,dit-elle.Tuvoiscelacet?Tiens-lecommeça…Ellememetleslacetsdanslesmainsetmemontrecommentfaireuneboucleetserrerjusqu’àce
queçatiennebien.Aprèsm’avoiraidéedeuxfoisdesuiteànouerchaquechaussure,ellelesdéfaitetmedemandederecommencer touteseule.J’essaiedereproduiresesgestes.Ellese lèveetsedirigeversmacommodependantquejem’appliqueàfaireuneboucle.
—C’étaittamaman?s’enquiert-elleenmontrantunephoto.Jeregardelepetitcadrequ’elletient,puisbaissedenouveaulenezverslesol.—Oui.—Elletemanque?J’acquiesceenm’efforçantdenouermeschaussuresetdenepaspenseràsonabsence.Elleme
manquetellement.—Hope,tuasréussi!s’écritjoyeusementLesslie.Elleserassoitparterreenmeserrantdanssesbras.—Tuasréussitouteseulecommeunegrande!Désormaistusaisfaireteslacets.Jecontemplemeschaussuresensouriant.
Dimanche28octobre2012
19h10
—Lessliem’aapprisànouermeslacets,jemurmureencontinuantdefixerlamaison.Holdermelanceunregardensouriant.—Tut’ensouviens?—Oui.—Elleétaitsifièredet’avoirapprisça,seremémore-t-ilenreportantsonattentionsurlarangéede
maisons.Lamainsurlapoignée,j’ouvrelaportièreetdescendsdevoiture.L’aircommençantàserafraîchir,
jemepenchepourattrapermonsweatàcapuchesurlesiègepassageretjel’enfile.—Qu’est-cequetufais?Holdernecomprendraitpasetjen’aiaucuneenviequ’iltentedem’endissuaderalorsjerefermela
portière et traverse la rue sans lui répondre. Il s’empresse deme suivre enm’appelant tandis que jem’avancesurlapelouse.
—Ilfautquejevoiemachambre,Holder,jedissansm’arrêter.Bizarrement,jesaisdequelcôtémedirigeralorsquejen’aiaucunsouvenirréeldel’agencementde
lamaison.—Tunepeuxpasfaireça,Sky.Iln’yapersonne.C’esttropdangereux.J’accélère le pas. Qu’il soit d’accord ou non, je vais le faire. Au moment d’atteindre la fenêtre
donnantsurcequifutjadismachambre–jenesaispaspourquoimaisj’enail’intimeconviction–,jemetourneverslui.
—Jedois le faire,Holder. Ilyadesaffairesdemamèreque j’aimerais récupérer.Jesaisque tun’approuvespas,maisilfautquejelefasse.
Ilm’agrippeparlesépaules,l’airinquiet.—Tunepeuxentrerpareffractioncommeça,Sky. Il est flic.Comment tucomptesentrer :par la
fenêtre?—Enthéorie,jesuisencorechezmoiici.C’estpastoutàfaituneeffraction.Celadit,iln’apastortsurunpoint:commentest-cequejevaism’yprendrepourentrer?Labouche
pincée,jeréfléchisuninstantpuisclaquedesdoigts.—Jesais!Surlavéranda,derrière,ilyaunevolièreoùoncachaitundoubledesclés.Je fais volte-face et contourne la maison à toute vitesse. Sidérée de voir que la volière existe
toujours,jeglisseunemainàl’intérieuretcommeprévu,ytrouveuneclé.Lesmystèresducerveau.—Sky,arrête.Holdermesuppliepresquedenepasallerplusloin.
—J’yvaisseule.Tusaisoùestmachambre.Attends-moisouslafenêtreetpréviens-moisituvoisquelqu’unarriver.
Il pousse un gros soupir puis il me retient par le bras alors que j’insère la clé dans la porte dederrière.
—Surtout,veilleànelaisseraucunetracedetonpassage.Etfaisvite!chuchote-t-il.Ilmeserredanssesbraspuisattendquejesoisàl’intérieurpourmonterlagarde.Aprèsavoirtourné
laclédanslaserrure,jevérifiequelaporteestdéverrouillée.Lapoignéepivote.J’entreetrefermederrièremoi.Plongéedanslenoir,lamaisonestunpeusinistre.Jeparsàgaucheet
traverse la cuisine. Retenant mon souffle, je m’efforce de ne pas penser aux conséquences de monintrusion.Laperspectivedemefaireprendreestterrifiantecarpourl’instant,jenesuismêmepassûredevouloirqu’onmeretrouve.SuivantlesconseilsdeHolder,j’avanceavecprécautionpournepaslaisserde preuve demon passage. En arrivant devantma porte, j’inspire à fond et saisis la poignée pour latournerlentement.Tandisquelaportes’ouvresurmachambre,j’allumelalumièrepourmieuxvoir.
Hormis quelques cartons empilés dans un coin, j’ai l’impression de tout reconnaître. La pièceressembletoujoursàunepetitechambred’enfantàlaquellepersonnen’atouchédepuistreizeans.Çamerappellelaveille,quandj’aidécouvertlachambredeLesslie,oùpersonnen’avaitmislespiedsdepuissamort.Çadoitêtredurdefairefaceauxsouvenirsmatérielsdesgensqu’onaime.
Promenantmesdoigtssurlacommodepoussiéreuse,jelaisseunetrace.Enlavoyant,jemesouviensaussitôtquejenedoissurtoutpaslaisserd’empreintes,alorsjeretirelamainetessuielatraceaveclebasdemontee-shirt.
Contrairement à mes souvenirs, la photo de ma mère biologique n’est plus à sa place sur macommode.Jeparcourslachambreduregarddansl’espoirdetrouverquelquechoseluiayantappartenuquejepourraiemporter.Étantdonnéquejen’aiaucunsouvenird’elle,unesimplephotoseraitdéjàtrèsprécieuseàmesyeux.Toutcequejeveux,c’estvoiràquoielleressemblaitdansl’espoirqueçaréveilleenmoidessouvenirsauxquelsjepourraimeraccrocher.
Jevaism’asseoir sur le lit.Ladécorationde lapièceapour thème leciel–plutôt ironiquevu leprénomquem’adonnéKaren.Lesrideauxetlesmurssontparsemésdenuagesetdelunes,etlacouetteestconstelléed’étoiles.Ilyenapartout.Degrossesétoilesenplastiquedugenredecellesqu’oncolleaux murs et aux plafonds, exactement comme dans ma chambre chez Karen. Je me rappelle l’avoirsuppliéedelesacheterenenvoyantausupermarchéilyaquelquesannées.Elletrouvaitçaniaismaismoi,ilmelesfallaitàtoutprix.Jen’étaismêmepassûredesavoirpourquoij’enavaistantenviemaisaujourd’hui,c’estplusclair.Àl’époqueoùj’étaisHope,jedevaisraffolerdesétoiles.
La nervosité quime tenaille le ventre depuismon arrivée s’intensifie lorsque je pose la tête surl’oreillerencontemplantleplafond.Unsentimentfamilierdepeurs’emparedemoialorsquejetournelatêtevers laporte.Lapoignéeest celleque j’espéraisde toutmoncœurnepasvoirpivoterdansmoncauchemardel’autrenuit.
J’inspirebrièvementetfermelesyeuxpourchassercesouvenir.Pendanttreizeans,j’airéussijenesaiscommentà lerefouler,maismaintenantque jemeretrouveicisurce lit…jen’arriveplusàm’endéfaire. Il s’accroche àmoi commeune toile d’araignée et je suis prise au piège.Une larmebrûlantecoule surma joue, je regrette de ne pas avoir écoutéHolder. Je n’aurais jamais dû revenir ici. Si jen’étaispasvenue,jamaisjenemeseraissouvenue.
Treizeansplustôt
Avant,jeretenaismonsouffledansl’espoirqu’ilmecroieendormie.Maisçanemarchepascar,quejedormeounon,ils’enfiche.Unefois,j’airetenumonsouffleenespérantqu’ilmecroiemortemaisçan’apasmarchénonplus.Iln’amêmepasremarquéquejenerespiraispas.
Lapoignéedelaportepivoteetjesuisàcourtdestratagèmesalorsj’essaievited’entrouverunautremaisj’yarrivepas.Ilrefermelaporteetjel’entendsapprocher.Aumomentoùils’assoitàcôtéde moi sur le lit, je retiens quand même mon souffle ; non pas que je croie que cette fois, ça vamarcher,maisparcequeçam’aideàoublierunpeuquejesuisterrifiée.
— Bonjour, ma princesse, souffle-t-il en repoussant une mèche derrière mon oreille. Je t’aiapportéuncadeau.
Je ferme les yeux pour essayer de résister à la tentation. J’adore les cadeaux et les siens sonttoujours super parce qu’ilm’aime.Mais j’ai horreur qu’ilme les apporte la nuit car il neme lesdonnejamaistoutdesuite.Ilm’obligetoujoursàleremercieravant.
Jeneveuxpasdececadeau,vraiment.—Maprincesse?Lavoixdemonpapamedonnetoujoursmalauventre.Ilmeparletoujoursd’unevoixtrèsdouce
etquandjel’entends,mamamanmemanque.JenemesouvienspasdesavoixmaisPapaditqu’elleressemblaitàlamienne.Ilditaussiquemamanseraitdéçuesij’arrêtaisd’acceptersescadeauxparcequ’elle, ellen’estplus làpouren recevoir.Çamerend tristeet jem’enveuxbeaucoupalors jemeretournepourleregarder.
—Est-cequejepeuxavoirmoncadeaudemain,Papa?Jen’aipasenviedeluifairedelapeinemaisjeneveuxpasdecepaquetmaintenant.Vraiment.Ilmesouritenrepoussantdoucementmescheveuxenarrière.—Biensûrque tupeux l’avoirdemain.Mais tun’aspasenviederemercierPapade te l’avoir
offert?Moncœursemetàbattrevraimentfort;jedétestequandilbatcommeça.Jen’aimepasêtredans
cetétatnicesentimentdepeurdansmonventre.J’arrêtederegardermonpapaetcontempleplutôtlesjoliesétoilesauplafond,enessayantdemeconcentrersurelles.Sijepensetrèsfortauxétoilesetauciel,peut-êtrequemoncœurarrêteradebattreaussifort,etmonventredemefaireaussimal.
Jecommenceàlescomptermaiscommeàchaquefois,jem’arrêteàcinq.Jenemerappelleplusduchiffrequivientaprès,doncjesuisobligéederecommencer.Ilfautquejecompteetrecomptecinqparcinqlesétoilespouroublierlaprésencedemonpapa.Jen’aimepaslecontactdesesmains,sonodeuretlesondesavoix.Alorsilfautquejecontinuedecompter,encoreetencore,sansm’arrêterjusqu’àcequejeneressenteetn’entendeplusrien.
Lorsquemonpapaafinidem’obligeràleremercier,ilramènemachemisedenuitsurmesgenouxenchuchotant:
—Bonnenuit,maprincesse.Jeme retourne en rabattant la couette surma tête et ferme les yeux très fort pour essayer de
contenirmeslarmesmaisiln’yarienàfaire.CommechaquefoisquePapam’apporteuncadeauenpleinenuit,jepleure.
Jedétestelescadeaux.
Dimanche28octobre2012
19h29
Jemelève,jescrutelelitetjeretiensmonsouffle,redoutantlescrisquimontentcrescendoenmoi.Jenepleureraipas.Pasquestion.Jetombelentementàgenoux,jeposelesmainssurleliteteffleurelesétoilesjaunesquiparsèmentle
drapbleumarinejusqu’àcequeleslarmeslesrendentfloues.Lesyeuxfermés,lesépaulestremblantes,j’enfouismonvisagedanslacouetteenm’ycramponnantet
j’éclateensanglots,incapabledemeretenirpluslongtemps.D’uncoup,jemerelèveenhurlant,j’arrachelacouetteetlabalanceàtraverslapièce.
Cherchantfrénétiquementautrechoseàlancer, j’attrapelesoreillerset lesjetteàlafiguredecettefilledans lemiroir,que jenereconnaisplus.Ellemedévisageenpleurnichantd’unairpitoyable.Seslarmes de faiblessememettent hors demoi.On semet à courir l’une vers l’autre jusqu’à ce que nospoings se fracassent contre le miroir et le brisent. La fille se disloque en une multitude de tessonsbrillantssurlamoquette.
Empoignant lacommodeàdeuxmains, je la faisbasculerenpoussantunautrecride rage refoulédepuis troplongtemps.Unefoisqu’elles’est immobilisée, j’ouvreles tiroirsà toutevoléeetvideleurcontenuàtraverslachambreenenvoyanttoutvalseràcoupsdepied.Ensuitelesvoilages:jetiredessusjusqu’àceque la tringlesecassenetetqu’ilsdégringolentàmespieds.Puis jem’emparedupremiercartondelapilequisetrouvedansl’angle.Sansmêmesavoircequ’ilcontient,jelejettecontrelemuravectoutelaforcedontjesuiscapableduhautdemonmètresoixante.
—Jetehais!Jetehais!Jetehais!Àchaquecrideragequejepousse,leslarmesquidévalentmesjouesmelaissentungoûtsalédansla
bouche.Soudain,Holderarrivepar-derrièreetm’étreintsifortquejenepeuxplusbouger.Jerésiste,jeme
contorsionne et je fulmine encore un peu, jusqu’à ce que mes gestes ne soient plus que des réflexesdésordonnés.
—Arrête,mesouffle-t-ilàl’oreille,refusantdemelâcher.Jefaisminedenepasavoirentenduetcontinuedemedébattre.Maisilnefaitquemeserrerdeplus
belle.—Lâche-moi!Jehurleàpleinspoumonsenluigriffantlesbras.Làencore,ilneselaissepasdémonter.Jet’ensupplie,lâche-moi.
Unepetitevoixrésonnedansmatête,etsoudain,jem’affaissedanssesbras,deplusenplusfaibleàmesurequemessanglotsredoublent.Jenesuisplusqu’unefontainedelarmesquin’enfinitplusdesedéverser.
Jesuisfaible,c’estpourçaqu’ilgagne.Holderme relâcheetpose lesmains surmesépaulespourme fairepivoter faceà lui. Jen’arrive
mêmepasàleregarderdanslesyeux.Épuisée,jesanglotecontreluienempoignantsontee-shirt,lajoueplaquéecontresoncœur.Alorsilposeunemainderrièrematêteetd’untonferme,détaché,ilmeglisseàl’oreille:
—Sky.Ilfautyaller,maintenant.Jesuisincapabledebouger.Moncorpstremblesifortquej’aipeurquemesjambesneveuillentrien
savoir.Commes’illedevinait,Holdermesoulèveenvitesseetonsortdelachambre.Iltraverselarueenmeportantdanssesbras,medéposesurlesiègepassagerpuisilsoulèvemamainpourl’examineretattrapesonblousonsurlabanquettearrière.
—Tiens,essuielesangavecça.Jeretourneàl’intérieurpourremettreunpeud’ordre.Laportière se referme tandisqu’il repart à toutes jambes. Je contemple avec étonnementmamain
entaillée.Jenesensrien.Aprèsl’avoirenveloppéedanslamanchedesonblouson,jereplielesjambes,poselespiedssurlesiège,etjeserremesgenouxcontremoienpleurant.
QuandHolderréapparaît,jeneleregardepas,tremblantdelatêteauxpiedsàcausedeslarmesquicontinuent de couler sur mon visage. Il démarre puis tend le bras pour poser une main sur ma tête,caressantmescheveuxensilencejusqu’àcequ’onsoitderetouràl’hôtel.
Ilm’aideàdescendredevoitureetmeraccompagneàlachambresansmedemanderuneseulefoissiçava.Ilsaitbienquenon,alorsàquoibonposerlaquestion?Unefoislaportedelachambrereferméederrièrenous,ilm’escortejusqu’aulitpourmefaireasseoiretmepoussedoucementenarrièrejusqu’àceque jeme retrouveallongée tandisqu’ilme retiremes chaussures.Ensuite, il part dans la salledebainspuisilrevientavecunganthumide,soulèvemamainetcommenceàlanettoyer.Aprèsavoirvérifiéqu’ilnerestaitplusdeboutsdeverre,illaportedélicatementàsabouchepourl’embrasser.
—Cesontjustedeségratignures,m’assure-t-il.Riendetrèsprofond.Ilm’installeconfortablementsurl’oreiller,ôteseschaussures,grimpesurlelitpours’étendreàcôté
demoi,puisilm’attirecontreluiencalantmatêtesursontorse.Ilrestelà,àmeserrerdanssesbrassansjamaismedemanderpourquoijepleure.Exactementcommeillefaisaitquandonétaitpetits.
Jem’efforcedemesortircesimagesdelatête,lesouvenirdecequisepassaitchaquenuitdansmachambre,maisrienàfaire.Commentunpèrepeut-ilinfligerçaàsafille…çamedépasse.J’essaiedemepersuaderqueçan’estjamaisarrivé,quej’aitoutimaginémaisenmonforintérieur,jesaispertinemmentquec’estfaux.Jemesouvienstrèsbienpourquelleraisonj’étaiscontentedemonterdanscettevoitureavecKaren, toutcomme jemesouviensdeces soiréespasséessurmon lit àme faire tripoterpardesgarçonspendantquejeregardaislesétoilesauplafond,complètementinsensible,ainsiquedelacrisedepaniquedontj’aiétépriselaveille,quandHolderetmoiavonsfaillifairel’amour.Jemesouviensetjeferais n’importe quoi pour oublier. Je voudrais oublier la voix et les caresses de mon père la nuit.Pourtant,àchaquesecondequipasse,lessouvenirssontdeplusenpluslimpides,raisonpourlaquellej’aid’autantplusdemalàarrêterdepleurer.
Holdermeplantedespetitsbaisersdanslescheveuxenmerépétantdenepasm’enfaire,queçavas’arranger.Maisilnecomprendrien.Iln’apasidéedunombredesouvenirsquimesubmergentetdeleurimpactsurmoncœur,monâme,monespritetmafoienl’humanitétoutentière.
Quandjepensequej’aienduréçadelapartduseuladultequipeuplaitmavie…Pasétonnantquej’aie tout refoulé.C’est à peine si jeme rappelle le jour oùKarenm’a enlevée etmaintenant je saispourquoi : aumoment où ellem’a arrachée àmon quotidien, je n’ai pas eu l’impression de vivre un
événementdésastreux.Lapetitefillequej’étais,terrifiéeparsonexistence,aplutôtdûconsidérerKarencommesasauveuse.
JerelèvelesyeuxversHolder.Ilamalpourmoi,jelevoisdanssonregard.Essuyantmeslarmes,ilm’embrassetendrementsurlabouche.
—Jesuisdésolé.Jen’auraisjamaisdûtelaisserentrer.Levoilàquis’enveutencore.Ilatoujourslesentimentd’avoirmalagialorsquemoi,jenevoisen
luiriendemoinsqu’unhéros.Àmescôtésdepuisledébut.Ilm’asoutenuesansrelâchedurantmesaccèsdepaniqueetdecolèrejusqu’àcequejemecalme.Ilatoujoursétélàpourmoietpourtant,ilcontinuedepenserqued’unecertainemanière,toutçaestsafaute.
—Tun’asrienfaitdemal,Holder.Arrêtedet’excuser,jedisenpleurant.Ilsecouelatêteenrepoussantunemèchefollederrièremonoreille.—Jen’auraisjamaisdût’emmenerlà-bas.Çafaittropàencaisserpourtoiaprèstoutcequetuviens
déjàdedécouvrir.Jemeredresseenm’appuyantsurlecoude.—Cen’estpassimplementlefaitd’êtreretournéelà-basquiétaittrop.Cesontlessouvenirsquiy
sontassociésetquecettemaisonaréveillés.Cequemonpèrem’afaitsubir,tun’ypeuxrien.Arrêtedet’accuserdetouslesmalheursquifrappenttesproches.
Ilmelanceunregardunpeuinquiet.—Dequoituparles?Qu’est-cequ’ilt’afaitsubir?S’ilposelaquestionavecautantd’hésitation,c’estsûrementparcequ’ilacompris.Jepensequ’on
soupçonnaitl’uncommel’autrecequim’étaitarrivédansl’enfancemaisqu’onrefusaitjustedeserendreàl’évidence.
Sansrépondre,jemerallongeenposantlatêtecontresontorse.Leslarmesremontentenforce,alorsilpasseunbrasdansmondospourmeserrerfort.
— Oh non, Sky, chuchote-t-il, accablé, en pressant la joue contre ma tête. Non, non, répète-t-il,refusantdecroirecequejen’aimêmepasdit.
Cramponnéeàsontee-shirt,jemecontentedepleurerpendantqu’ilm’étreintavecconviction,parcequ’ildétestemonpèreautantquemoi,jel’aime.
Ilm’embrassesurlehautdelatête,segardantbiendemedirequ’ilestdésoléoudemedemandercequ’ilpeutfairepourm’aider:ilestaussidésemparéquemoi.Aucundenousnesaitcequ’onvafaire.Àcestade,jesaisjustequejen’ainullepartoùaller.Jenepeuxniretournervivreaveccepèrequialégitimement ma garde, ni avec cette femme qui m’a injustement enlevée. Sans compter que je suistoujoursmineure, donc je ne peuxmême pasme débrouiller seule. Holder est la seule chose quimepermetdenepastotalementsombrerdansledésespoir.
Maisbienquejemesenteàl’abridanssesbras,lesimagesetlessouvenirsmehantentetquoiquejefasse, quels que soientmes efforts, je n’arrive pas à séchermes larmes. Je n’ai soudain plus qu’uneobsession : il fautque j’arrêtedepleurer. Il fautqueHoldermette finà toutescesémotionsetàcettedouleurparcequec’estinsoutenable.Jevoudraiseffacercequisepassaittoutescesnuitsoùmonpèreentraitdansmachambre.Jehaiscethommedetoutmonêtreetjeluienvoudraitoutemaviedem’avoirvoléecettepremièrefois-là.
Jeme redresseenapprochantbrusquement levisageau-dessusdeHolder.Posantunemainsurmajoue,ilm’interrogeduregardpoursavoirsiçava.
Non,çanevapas.Je lui grimpe dessus en l’embrassant pour qu’il dissipe mon agitation. Je préférerais devenir
totalement insensible plutôt que d’éprouver la haine et la tristesse qui me rongent à cet instant. Jem’emparedesontee-shirtenessayantdeleremonterpar-dessussatêtemaisilm’enempêcheetmefaitbasculersurledos.Enappuisurlebras,ilmedévisage.
—Qu’est-cequetufais?Glissantunemainderrièresanuque,j’attiredeforcesonvisageverslemienetplaquemabouchesur
lasienne.Sijel’embrasseassezlongtemps,peut-êtrequ’ilselaisserafléchiretmerendramonbaiser.Etalorstoutseraoublié.
Ilm’embrasseuninstant.Jerelâchesanuqueetentreprendsd’ôtermontee-shirtmaisilm’écarteetlerabat.
—Maisarrête.Qu’est-cequiteprend?Ilal’airtotalementperplexeettroublé.Maisjen’aiaucuneréponseàluidonnerpourlabonneraison
quemoi-mêmejenesaispastrop.Jevoudraissimplementmettrefinàladouleur.Quoique,iln’yapasqueça.Enréalité,çavabienplus loin : jesensaufonddemoiques’ilnem’aidepas toutdesuiteàeffacercequecethommem’afaitsubir,jen’auraiplusjamaislaforcederire,desourire,nimêmederespirer.
JeveuxjustequeHolderm’aideàoublier.J’inspireàfondetplongemonregarddanslesien.—Fais-moil’amour.Ilmefixedésormaisd’unairdur.Ils’appuiesurlematelaspoursereleveretsemetàarpenterla
chambre.Passantlamaindanssescheveuxd’ungestenerveux,ilrevientseplanteraupieddulit.—J’peuxpas,Sky.Jenecomprendsmêmepasquetuaiesenviedeçamaintenant.Assisesurlelit,jepaniqueàl’idéequ’ilrefused’allerjusqu’aubout.Jemerapprocheenvitesseau
borddulitetmeredresseàgenouxenagrippantsontee-shirt.—Jet’ensupplie,Holder.S’ilteplaît.J’enaibesoin.Ilrepoussemesmainsenreculant,secouantlatêted’unairtoujoursaussiperplexe.—Iln’enestpasquestion,Sky. Jecroisque tuesenétatdechoc…Jene saismêmepasquoi te
répondre,là.Je retombe sur le lit, abattue. Les larmes recommencent à couler et je le regarde, complètement
désespérée.—Jet’enprie.Jecroiselesmainssurmesgenouxenbaissantlesyeux,incapabled’affrontersonregardenajoutant:—Holder…Iln’yaqu’avecluiquejel’aifait.Lentement,jerelèvelatête.—J’aibesoinquetuluienlèvesceprivilège.S’ilteplaît.Silesmotsavaientlepouvoirdebriseruneâme,lesmiensauraientfaitvolerlasienneenéclatssur-
le-champ.Sonvisagesedécomposeetsesyeuxs’embuentde larmes.J’aiconsciencede luidemanderbeaucoupetjem’enveuxdeluiimposerça,maisj’enaibesoin.Jedoisàtoutprixréduireauminimumladouleuretlahainequim’habitent.
—Jet’enprie,Holder.Ilaimeraitquenotrepremière foissedérouledansd’autrescirconstances. Je l’auraispréféré,moi
aussi,maisilarrivequedesfacteursdifférentsdel’amourendécidentànotreplace.Desfacteurstelsquelahaine.Parfois,poursedébarrasserdecegenredesentimentnéfaste,onestprêtàtout.Holdersaitcequec’estquelahaineetladouleur,etsurtout,qu’ilsoitd’accordoupas,ilsaitquecequejeluidemandeestvraimentimportantpourmoi.
Ilrevientverslelitets’écrouleàgenouxdevantmoi.Ilm’attrapeparlatailleetmetirebrusquementau bord du lit, puis il glisse les mains derrièremes genoux pourme pousser à l’envelopper demesjambes.Sansmequitterdesyeux, ilôtemon tee-shirtpuis retire le sien. Ilm’enlace, se relèveenmesoulevantdanssesbraspuiscontournelelitenmeportant.Là,ilmereposeendouceurets’allongesurmoiavantdeposerlesmainsàplatdepartetd’autredematêteenmecontemplantd’unairhésitant.Ilessuieunelarmequicoulesurmatempe.
—C’estd’accord,dit-ild’untonsûrdeluibienquesonregardtémoigneducontraire.Ilattrapesonportefeuillesurlatabledenuit,sortunpréservatifetretiresonpantalon,toujourssans
melâcherduregard.Ondiraitqu’ilguetteunsignedemapartquiluiindiqueraitquej’aichangéd’avis.Oupeut-êtrequ’ilredouteunenouvellecrisedepanique.Jenepeuxpasgarantirqueçan’arriverapasmaisilfautquej’aillejusqu’aubout.Jenesupporteraipasunesecondedeplusquemonpèresoitleseulàdétenircettepartdemoi.
Unàun,Holderdéfait lesboutonsdemon jeanavantdeme le retirer.Détournant lesyeuxvers leplafond,jesensquejecommenceàdécrocher.
Jemedemande si je ne suis pas totalement foutue et si je serai capable un jour d’apprécier cetteformed’intimitéaveclui.
Il se garde de me demander si je suis vraiment sûre de moi. Je le suis, il le sait. Tout enm’embrassant,ilretiremonsoutien-gorgeetmaculotte.Jesuiscontentequ’ilm’embrasseparcequeçame donne une excuse pour fermer les yeux. Je n’aime pas son regard… on dirait qu’il aimerait êtren’importe où sauf ici avec moi. Je garde les yeux fermés au moment où il s’écarte pour enfiler lepréservatif. Lorsqu’il se rallonge, je l’attire contre moi pour vite l’inciter à continuer avant qu’il nechanged’avis.
—Sky.Ouvrantlesyeux,jelisledoutesursonvisage.—Non,Holder,neréfléchispas.Fais-le,c’esttout.Ilenfouitlatêtedansmoncou,incapabledemeregarderdavantage.—C’estque…jenesaispascommentréagiràtoutça.Jenesaispassic’estuneerreurousic’est
vraiment ce dont tu as besoin. J’ai peur d’aller jusqu’au bout et que ça rende les choses encore plusdifficilespourtoi.
Ses paroles me percent le cœur car je comprends ce qu’il veut dire. J’ignore moi aussi si c’estvraimentunebonneidéeetsiçanevapastoutgâcherentrenous.Maispourl’heure,jeveuxàtoutprixtenirunerevanchesurmonpère,aumoinssurceplan.Alorsjesuisprêteàcourirtouslesrisques.Tandisquejel’étreinsdetoutesmesforces,mesbrascommencentàtrembleretjefondsànouveauenlarmes.Levisagetoujoursenfouidansmoncou,ilmetientdélicatementlatêtemaisenm’entendantpleurer,jesensqu’iltenteaussitôtdecontenirsespropreslarmesetlefaitqu’ilsoitaussibouleverséquemoimeprouvequ’ilcomprend.Jemehissecontrelui,l’implorantensilencedenepasrenoncer.
Ils’exécute.Ilsepositionnesurmoienplantantunpetitbaiserdansmescheveuxpuisilmepénètrelentement.
J’aimalmaisjenedisrien.J’étouffemaisjeretiensquandmêmemonsouffle.Jeneréfléchismêmepasàcequ’onestentraindefaire–niàçaniàrien.Jem’imaginejusteces
fichuesétoilesenmedemandantsiunjourjefiniraiparlesarracherduplafond,sijenemesentiraiplusobligéedelescompter.
Alorsquejeréussisàfaireabstractiondel’acteensoi,brusquementils’immobilise,latêtetoujoursaucreuxdemoncou.Haletant,ilfinitparpousserunsoupirenseretirant.Ilmefixepuisfermelesyeuxetbasculesurlecôtépours’asseoirauborddulit,dosàmoi.
—Jenepeuxpas,Sky,çamegêne.Çamegêneparcequec’estdivinmaisjeregrettedéjàchaquesecondepasséeentoi.
Ilselève,renfilesonpantalon,puisattrapesontee-shirtetlacartemagnétiquesurlacommode.Sansunregardniunautremot,ilsortdelachambre.
Aussitôt,jemetraînehorsdulitpourallerprendreunedouchecarjemesenssale.Jem’enveuxdelui avoir forcé la main et d’une certaine manière, j’espère que cette douche effacera un peu maculpabilité.Jemenettoieenmefrottantvigoureusementlecorpsaupointdemedécaperlapeaumaisça
ne sert à rien. J’ai réussi à nous gâcher un autre moment d’intimité. J’ai bien vu son air honteux aumomentdepartir.
Je coupe l’eau et sors de la douche. Après m’être séchée, j’attrape un peignoir et m’enveloppededans.Jemebrosselescheveuxpuisjerangemesarticlesdetoilettedansmatrousse.Jen’aipasenviedepartirsansprévenirHoldermaisjenepeuxplusresterici.Jen’aipasnonplusenviequ’ilsesenteobligédem’affronteraprèscequivientdesepasser.Jen’aiqu’àappeleruntaxipourqu’ilm’emmèneàlagareroutièreetm’éclipseravantqu’ilrevienne.
Sitoutefoisilcompterevenir.Aumoment de repasser dans la chambre, je nem’attends pas à le voir assis sur le lit, lesmains
croiséesentrelesjambes.Dèsqu’ilvoitlaportedelasalledebainss’ouvrir,ilrelèvebrusquementlatête. Je me fige dans mon élan en le dévisageant. Il a les yeux rouges et la main imbibée de sangenveloppéedansunbandagedefortuneimproviséàl’aidedesontee-shirt.Jemeprécipitepourexaminersamain.
—Maisqu’est-cequetut’esfait?Tournantsamaind’uncôtépuisdel’autre,j’avisesesarticulationstoutentaillées.Ilretiresamain
pourlacacherdansleboutdetissu.—C’estrien,assure-t-il,indifférent.Jereculed’unpasenlevoyantselever,m’attendantàcequ’ils’enailleencore.Maisaulieudeça,
ilresteplantélà,devantmoi,àmeregarder.—Jesuisvraimentdésolée,Holder.Jen’auraisjamaisdûtedemanderça.J’avaissimplementbesoin
de…Posantlesmainssurmonvisage,ilm’interromptaubeaumilieudemesexcusespourm’embrasser.—Tais-toi,souffle-t-ilenplongeantsonregarddanslemien.Tun’aspasàt’excuser.Sijesuisparti
toutàl’heure,c’estparcequej’étaisencolèremaispascontretoi:contremoi.Jemedérobeenmetournantverslelit,refusantdel’écouterencoresefairedesreproches.—C’estpasgrave,jedisenrabattantlescouvertures.J’auraisdûm’attendreàcequetun’aiespas
enviedemoidanscescirconstances.C’étaitunemauvaiseidée,c’étaitégoïsteetdéplacédemapartdetedemanderça,etjesuisvraimentdésolée.
Jem’allongeetmetournedosàluipourqu’ilnepuissepasvoirmeslarmes.—Essayonsjustededormir,d’accord?Je ne m’attendais pas à parler d’un ton aussi calme. Je n’ai sincèrement aucune envie qu’il
culpabilise.Tout au long de cette histoire, ilm’a soutenue etmoi, je n’ai jamais rien fait pour lui enretour.Àcestade,leplusgrandcadeauquejepourraisluifaireseraitderomprepourqu’ilnesesenteplusobligéderester.Ilnemedoitrien.
—Tucroisquec’estdifficilepourmoiparcequejen’aipasenviedetoi?Ilfaitletourdulitpourvenirs’agenouillerdevantmoi.—Maisbonsang,Sky,sij’aiautantdemalc’estparcequetoutcequit’estarrivémebriselecœuret
quejenesaispasquoifairepourt’aider!J’aienvied’êtrelàpourtoietdet’aideràsurmonterça,maischaquefoisquejedisquelquechose,j’ail’impressiond’êtreàcôtédelaplaque.Chaquefoisquejetetoucheouquejet’embrasse,j’aipeurquetun’enaiespasenvie.Maintenant,tumedemandesdetefairel’amourpoureffacercequ’il t’a faitet jecomprends.Je tecomprendsparfaitementmais le faitque tun’arrivesmêmepasàmeregarderdanslesyeuxpendantquejetefaisl’amournemefacilitepaslatâche.Çamefaittellementdepeine,tuneméritespasqueçasepassedanscesconditions.Tuneméritespascettevie.Et il n’y a absolument rienque jepuisse fairepour te la rendreplusbelle. Jevoudrais toutarrangermaisc’estimpossibleetjemesensimpuissant.
J’étaissiabsorbéeparsonexplicationquejeviensseulementderemarquerqu’entre-tempsils’estassissurlelitetqu’ilmetientdanssesbras.Avecdouceur,ilmesoulèvepourmehissersursesgenoux,
calantmes jambesautourdesa taille.Tenantdélicatementmonvisage, ilplongeunenouvelle foissonregarddanslemien.
—Etbienque jemesoisarrêté, jen’auraismêmepasdûcommencer sansd’abord tedireàquelpointjet’aime,Sky.Jet’aimetellement.Tantquetuneseraspasconvaincuequechaquefoisquejetecaresse,c’estparamouretuniquementparamour,jenemériteplusdetetoucher.
Ilm’embrasseàpleinebouchesansmêmemelaisserl’occasiondeluidirequemoiaussi,jel’aime.Je l’aime tellementquec’enestdouloureuxphysiquement.Àcet instantprécis, jenepenseplusà rienhormisaufaitque je suis éperdument amoureusedecegarçon, etquemalgré le chaosdans lequel estplongéemavie,jenevoudraispourrienaumondeêtreailleursqu’iciaveclui.
J’essaiedetraduirelaforcedemessentimentsdanscebaisermaisçanesuffitpas.Jem’écartepourl’embrassersurlementon,surlenezetlefront,puisj’embrasselalarmequicoulesursajoue.
— Je t’aime aussi,Holder. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi. Je t’aime tellement… je suisvraimentdésolée.Jevoulaisquetusoismonpremieretjesuisdésoléequ’ilt’enaitprivé.
Holdersecouelatêted’unaircatégoriqueetmefaittaired’unbaiser.—Neredisjamaisça.Jet’interdismêmedelepenser.Tonpèret’avolécettepremièrefoisd’une
façonignoblemaisjepeuxtegarantirquec’estlaseulechosedontilt’aprivée.Cartuessiforte,Sky.Tues épatante, drôle, intelligente et belle, et tu as une force et un courage incroyables. Ce qu’il t’a faitn’enlèverienàtoutcequ’ilyademerveilleuxcheztoi.Tut’enessortiesansluiunepremièrefoisettut’ensortirasencore.J’ensuiscertain.
Posantunemainàplatsurmoncœur,ilprendensuitelamiennepourlaplacersurlesien,puisbaisselesyeuxpourcaptermonregardets’assurerqu’ilatoutemonattention.
—Onsefoutdespremièresfois,Sky.Laseulechosequicompte,c’estquenousdeux,cesoitpourtoujours.
Jel’embrassecommeunefolle,detoutmoncœuretdetoutmonêtre.—Je t’aime, répète-t-ilengrimpant surmoiaprèsm’avoir rallongée.Ça faitdéjà longtempsmais
j’étaisincapabledeteledireavant.J’étaismalquetupuissestomberamoureusedemoialorsquejetecachaistantdechoses.
Denouveau,mes larmescoulentmaisbienqu’ellessoient identiquesauxprécédenteset issuesdesmêmesyeux,ellessonttotalementnouvellespourmoi.Jenepleurepasdechagrinoudecolère…maisàcausedel’émotioninouïequimesubmergeenl’entendantmedéclarersonamour.
— Je crois que tu n’aurais pas pu choisir un meilleur moment que ce soir pour me dire que tum’aimais.Jesuiscontentequetuaiesattendu.
Holder sourit enme contemplant, fasciné, puis il m’embrasse. Doucement, tendrement, ses lèvresglissent sur les miennes tandis qu’il dénoue mon peignoir. Je retiens mon souffle en sentant sa maineffleurermonventre.Leurcontactmeprocureunesensationdifférented’ilyaàpeinequinzeminutes.Ladifférence,c’estquej’enaienvie.
—Bonsang,jesuisfoudetoi,souffle-t-ilendéplaçantsamainversmataille.Lentement,ilpromènesesdoigtssurmacuisseetjegémiscontreseslèvres,cequientraîneunbaiser
encore plus appuyé. La main à plat sur l’intérieur de ma cuisse, il exerce une légère pression pourl’écarteretseglissertoutcontremoimaisbrusquementjemecrispe.Percevantcemomentd’hésitationinvolontairedemapart,ilreculelatêteenmeregardant.
—N’oubliepas,Sky:sijetecaresse,c’estuniquementparcequejet’aime.J’acquiesce en fermant les yeux, craignant encore d’être gagnée par la même torpeur et la même
angoissequ’avant.Holdermeplanteunbaisersurlajoueetrefermemonpeignoir.—Regarde-moi,exige-t-iltoutbas.Lorsquejerouvrelesyeux,ilsuitlatraced’unelarmeavecsondoigt.—Tupleures…
Jeluisourisd’unairrassurant.—Net’inquiètepas.Ceslarmes-làfontdubien.Sceptique,ilacquiesceenm’observant,puisilmeprendlamainenjoignantnosdoigts.—J’aienviedefairel’amouravectoi,Sky,etjepensequetuenasenvieaussi.Maisavant,ilfaut
quetucomprennesunechose.Serrantmamain,ilsepenchepourembrasseruneautrelarmequis’échappe.—Jesaisquetuasdumalàacceptercequeturessensaujourd’hui.Çafaittroplongtempsquetuas
appris à refouler tes émotions chaque fois que quelqu’un pose la main sur toi. Mais il faut que tucomprennesquecenesontpaslesabusphysiquesdetonpèrequit’ontleplusblesséeétantenfant:cequit’abrisélecœur,c’estqu’ilaabusédetaconfiance.Tuasenduréunedespireschosesqu’unenfantpuissesubirdelapartmêmedesonhéros,decethommequetuidolâtrais…jen’osemêmepasimaginerce que tu as dû ressentir.Mais n’oublie jamais que ce qu’il t’a fait n’a rien à voir avec nous et cesmomentsd’intimitéqu’onpartage.Sijetecaresse,c’estparcequej’aienviedeterendreheureuse.Sijet’embrasse,c’estparcequetuaslabouchelaplusdélicieusequej’aiejamaisgoûtéeettusaisquejenepeuxpasyrésister.Etsijetefaisl’amour,c’estlittéralementcequejefais:jetefaisl’amourcarjesuisamoureux de toi. Les sentiments négatifs que tu associes depuis toujours aux contacts physiques nes’appliquentniàmoiniànous.Jetecaressecarjesuisamoureuxdetoietuniquementpourcetteraison.
Ladouceurdesesparolesmesubmergeetmecalme.Tandisqu’ilm’embrasseavectendresse,peuàpeujemedétendsetm’abandonneàsescaresses,descaressesquesesmainsmeprodiguentuniquementpar amour, laissant mes lèvres accompagner les siennes, nos mains s’enlacer et nos mouvementss’accorder.Trèsvite,jecommenceàm’impliquer,prêteàvivrecetteexpérienceavecluiparcequej’enaienvieetuniquementpourcetteraison.
—Jet’aime,chuchote-t-il.Duranttouteladuréedecetteétreinte,alorsquesesmains,saboucheetsesyeuxexplorenttoutesles
facettesdemoncorps,ilmerépètejenesaiscombiendefoisqu’ilestfoudemoi.Etpourunefois,jenedébranchepas, bien au contraire. Je ne veuxpas perdre unemiette de ses caresses et de ses paroles.Lorsqu’iljetteenfinmonpeignoirdecôtéetsecollecontremoi,ilmelanceunregardetunsourire,etm’effleurelajoue.
—Dis-moiquetum’aimes.Jesoutienssonregardavecassurance,pourqu’ilsoitconvaincudemasincérité:—Jet’aime,Holder.Vraiment.Etjustepourinfo:Hopeaussit’aimait.Haussantlessourcils,ilrelâchebrièvementsonsoufflecommes’ill’avaitretenupendanttreizeans
enattendantcesmotsprécis.—Tun’aspasidéedel’effetqueçamefaitd’entendreça.Ilsejettesurmoietlegoûtsucréetfamilierdesesbaisersm’envahitaumomentoùils’introduiten
moi,meprocurantbienplusqu’unesimplesensationphysique.Enmêmetempsquesoncorps,c’estaussisasincérité,sonamouret, l’espaced’un instant,unepartdenotreéternitéensemblequim’imprègnent.Agrippantsesépaules,j’accompagnesesmouvements,pleinementconscientedecequejesuisentraindevivre.Etcequejevisestmerveilleux.
Lundi29octobre2012
9h50
Lorsque jeme retourne,Holder, assis à côtédemoi sur le lit, a lesyeux rivés sur son téléphone.Sentantquejem’étire,ilinterromptcequ’ilestentraindefaireetsepenchepourm’embrassermaisjetourneaussitôtlatête.
—Haleinedumatin,jemarmonneenmetraînanthorsdulit.Holderrit,puisils’intéressedenouveauàsontéléphone.Bizarrement,j’airéussiàremettremontee-
shirtpendantlanuitmaisàquelmoment?Mystère.Jel’enlèveetmefaufiledanslasalledebainspourmedoucher.Unefoisprête,jereviensdanslachambreoùHolderestentrainderassemblernosaffaires.
—Qu’est-cequetufais?jedemandeenleregardantpliermontee-shirtetlerangerdanslesacdevoyage.
Ilmelanceuncoupd’œilavantdereportersonregardsurlesvêtementséparpilléssurlelit.—Onnepeutpasrestericibienlongtemps,Sky.Ilfautqu’onréfléchisseàcequetuveuxfaire.Jefaisquelquespasverslui,etmoncœurs’emballedansmapoitrine.—Mais…j’ensaisrien,pourl’instant.Jenesaismêmepasoùaller!Enentendantmontonpaniqué,ilcontournelelitpourvenirmeprendredanssesbras.—Jesuislà.T’angoissepas.Onn’aqu’àrentrerchezmoipourréfléchiràunesolution.Enplus,on
vaencoretouslesdeuxaulycée.Onnepeutpasarrêterd’allerencoursdujouraulendemainetencoremoinsvivreindéfinimentàl’hôtel.
LaperspectivederetourneràseulementtroiskilomètresdechezKarenmemetmalàl’aise.J’aipeurque le faitd’êtreaussiprèsd’ellenemepousseà luidemanderdescomptes,or jenesuispasencoreprêteàl’affronter.Jeveuxjusteunejournéedeplus,rienqu’une.Jevoudraisrevoirlamaisondemonpèreunedernièrefois,dansl’espoirqueçaréveilled’autressouvenirs.JeneveuxpasêtrecontraintededépendredeKarenpourdécouvrirlavérité.Ilfautquej’apprenneunmaximumdechosesparmoi-même.
—Encoreunjour.S’ilteplaît.Onresteencoreunjouretons’enva.Ilfautquej’ailleauboutdecettehistoireetpourça,j’aibesoinderetournerlà-basunedernièrefois.
Holders’écarteunpeuetmescruteensecouantlatête.—Pasquestion.Jerefusedet’imposerencoreça.Jenetelaisseraipasyretourner.Jeposelesmainssursesjouespourlerassurer.—Illefaut,Holder.Jeteprometsdenepassortirdelavoiture,cettefois.Promis,juré.Maisilfaut
quejerevoiecettemaisonavantqu’onparte.Tellementdesouvenirssontremontéspendantqu’onétaitlà-bas ! J’aimerais justeme rafraîchir encoreunpeu lamémoire avant de repartir et de réfléchir à lasuite.
Poussantunsoupir,ilsemetàarpenterlapièce.Ilrefused’acceptercetargumentdésespéré.
—Jet’enprie,j’insiste,conscientequ’ilnepourrapasdirenonsijecontinuedel’implorer.Lentement,ilsetourneverslelitpourramasserlesacetillejetteaupiedduplacard.—Trèsbien.J’aipromisdefairetoutcequetuvoudraissituenéprouvaislebesoin,alorsd’accord.
En revanche, tu te débrouilles pour raccrocher toutes ces fringues sur des cintres, plaisante-t-il endésignantlapenderie.
Jerisenmeruantversluipourmejeteràsoncou.—Tueslepetitamilepluscompréhensifetleplusgénialdetoutl’univers.Ilsoupireenm’enlaçantàsontour.—Tuparles,réplique-t-il,amusé,plantantunbaiserdansmescheveux.Jesuissurtoutlepetitamile
plusinfluençabledetoutl’univers.
Lundi29octobre2012
16h15
Detous les intervallesdedixminutesquecompteune journée,pourseposterdevantchez lui, ilafalluqu’onchoisisseceluioùmonpèresegaraitdansl’allée.Dèsquesavoitures’immobilisedevantlegarage,Holderavancelamainpourremettrelecontact.
D’unemaintremblante,jeretienssongeste.—Nedémarrepastoutdesuite.J’aibesoindevoiràquoiilressemble.Holdersoupire,reposantàcontrecœurlatêtecontresondossiercarilsaittrèsbienquemêmesion
feraitmieuxdepartir,jen’endémordraipas.Jereportelesyeuxverslevéhiculedepatrouillegarédel’autrecôtédelarue.Laportières’ouvre,
laissantapparaîtreunhommeenuniforme.Dosànous,iltientuntéléphonecontresonoreille.Commeilestenpleineconversation, ils’arrêtedans le jardinetcontinuedeparlerau téléphonesansrentrer.Lascène me laisse de marbre. Je ne ressens absolument rien… jusqu’à ce qu’il se retourne et quej’aperçoivesonvisage.
—C’estpasvrai…,jechuchotetouthaut.Holdermelanceunregardinquietmaisjelerassured’unsignedetête.—T’inquiètepas.C’estjusteque…satêtemerevient.Jen’avaisaucunsouvenirdeluimaissi je
l’avaiscroisédanslarue,jel’auraisreconnu.Oncontinueàl’épier.Holder,quiestcramponnéauvolant,alesphalangestoutesblanches.Jejette
unœilàmespropresmains,etjemerendscomptequejeserremaceinturedesécuritétoutaussifort.Monpèrefinitparraccrocheretrangerletéléphonedanssapoche.Enlevoyantavancerdansnotre
direction, Holder repose immédiatement la main sur le contact. Pétrifiée, je retiens mon souffle enespérantqu’ilnenousapasrepérés.C’estlàqueHolderetmoiréalisonsenmêmetempsquemonpèresedirigesimplementverslaboîteauxlettresauboutdesonallée;onsedétendinstantanément.
—C’estbon, tuenasassezvu?questionneHolder,àcran.Je tepréviens, jevaisavoirdumalàresterunesecondedeplussanssauterdecettevoiturepourallerluimettremonpoingdanslagueule.
—Presque, jedispour l’empêcherdefaireunebêtisemaisaussicar jeneveuxpaspartir toutdesuite.
J’observemonpère qui trie son courrier en repartant vers lamaison, et pour la première fois, unautreaspectduproblèmemevientsoudainàl’esprit:
Ets’ils’étaitremarié?S’ilavaiteud’autresenfants?S’ilavaitrecommencé?
Lespaumesdeplusenplusmoitesàforcedeserrerlasangledelaceinture,jelalâcheetessuielesmainssurmonjean.Mesmainstremblentencoreplusqu’audépart.Toutàcoup,laseulechosequimehante, c’est qu’il puisse s’en tirer sans jamais être inquiété. Je ne peux pas le laisser rentrertranquillementchezluisachantqu’ils’enprendpeut-êtreàd’autres.Ilfautquej’enaielecœurnet.Jedois le fairepourmoietpour tous lesenfantsquientrentencontactavec luiafind’êtrecertainequ’iln’estpaslemonstrequem’évoquentmessouvenirs.Pourtirerçaauclair,ilvafalloirquejel’affronte,quejeluiparleetquejedécouvreenfinpourquoi.
Lorsquemonpèreouvrelaported’entréeetdisparaîtàl’intérieur,Holderrelâchebruyammentsonsouffle.
—C’estboncettefois?s’impatiente-t-ilensetournantversmoi.S’ilsedoutaituneseulesecondedecequejem’apprêteàfaire,ilmesaisiraitillicoàbras-le-corps,
c’est sûr et certain. Alors histoire de ne pas lui mettre la puce à l’oreille, je me force à sourire enacquiesçant.
—Oui,onpeutyaller.Ilreposelamainsurlecontactetaumomentprécisoùiltournelaclépourdémarrer,jedétachema
ceinture,j’ouvrebrusquementlaportièreetjeparsencourant.Jetraverselarueetlejardindemonpèreàtoutesjambesjusqu’enhautduperron.Jen’aimêmepasentenduHoldermecouriraprès.Sansunbruit,ilm’attrapeetmesoulèvedeforcepourmerameneraubasdesmarches.Jemedébatsàcoupsdepiedententantderepoussersesbrasquimeceinturentleventre.
—Maisçavapas?!Oùtucroisallercommeça?Ilcontinuedememaîtrisertoutenmetraînantdeforceàtraverslejardin.—Lâche-moitoutdesuite,Holderoujehurle!Jetejurequej’hésiteraipas!Devant cettemenace, ilme retourne face à lui etme secouepar les épaules enme fixant d’un air
furieuxetprofondémentdéçu.—N’yvapas,Sky!Riennet’obligeàteconfronterencoreàluiaprèscequ’ilafait.Laisse-toidu
temps.Lecœurserré,jeluilanceunregardoùselitlasouffrancequej’éprouve.—Ilfautquejesoissûrequ’iln’apasrecommencéetquejevérifies’ilaeud’autresenfants.Jene
peuxpaspartircommeçaensachantcedontilestcapable.Ilfautquejelevoie.Quejeluiparle.Quejem’assurequ’iln’estpluscethommeavantderemonterdanscettevoitureetdem’enaller.
Ilsecouelatêteensignederefus.—Nefaispasça.Pastoutdesuite.Onn’aqu’àpasserquelquescoupsdefil,récolterunmaximum
d’infossurluisurInternet.Jet’enprie,Sky.Ilmeprenddoucementparlebraspourm’entraînerverslavoiture.J’hésite,toujoursbiendécidéeà
provoquercetteconfrontationavecmonpère.Riendeceque jepourrai trouversur luien lignenemefourniralapreuvequejepourraiobtenirrienqu’àl’intonationdesavoixouàsonregard.
—Ilyaunproblèmeici?Holderetmoitournonsbrusquementlatête.Plantéaupiedduperron,méfiant,monpèretoiseHolder
quimetienttoujoursfermementparlebras.—Est-cequecegarçonvousfaitdumal,mademoiselle?Ausimplesondesavoix,mesjambessedérobent.Sentantquejefaiblis,Holdermecalecontrelui.—Allons-y,chuchote-t-ilenmetenantets’élançantverslavoiture.—Plusungeste!JemefigemaisHoldercontinued’essayerdemefaireavancer.—Retournez-vous!Cettefois,letondemonpèreestbeaucoupplusimpérieux.Holders’immobiliseenmêmetempsque
moicaronsaittouslesdeuxcequ’ilencoûtedenepasobéirauxordresd’unflic.
—Jouelejeu,meglisseHolderàl’oreille.Ilnevapeut-êtrepastereconnaître.J’acquiesce en inspirant à fond tandis qu’on se retourne lentement. Mon père se rapproche avec
prudence.Unemainsursonholster,ils’avanceversmoienmedévisageant.Jebaissealorslesyeuxverslesolcaràsonexpression,ilestclairqu’ilmereconnaîtetçameterrifie.Ils’arrêteàquelquesmètresde distance, interloqué. Holder resserre son étreinte pendant que je fixe le sol, trop angoissée pourseulementrespirer.
—C’esttoi…maprincesse?
Lundi29octobre2012
16h35
—Jevousinterdisdelatoucher!Holderhurleetjesensunepressionsousmesbras.Savoixesttoutprès,doncc’estsûrementluiqui
metient.Jerelâchelesmainsetsensdel’herbeentremesdoigts.—Mabelle,ouvrelesyeux,jet’enprie.Holderme caresse la joue. Lentement, j’ouvre les yeux et lève la tête. Penché au-dessus demoi,
Holderm’examined’unairaffolétandisquemonpèresetienthésitantderrièrelui.—C’estrien,tut’esjusteévanouie.Essaiedeterelever.Ilfautqu’onparte.Unbrasautourdemataille,ilmemetdeboutenfaisantpratiquementtoutletravailàmaplace.Àprésentpilefaceàmoi,monpèremedévisage.—C’estvraimenttoi,constate-t-il.IljetteunœilàHolderavantdereveniràmoi.—Hope?Tutesouviensdemoi?Sesyeuxsontembuésdelarmes.Paslesmiens.—Allons-y,insisteHolderenmetirant.Mais je résiste etm’écarte un peu en soutenant le regard demonpère…cet hommequi faitmine
d’êtreému,commes’ilm’avaitaiméeautrefois.Quelsalehypocrite.—Tutesouviens?demande-t-ilencoreenserapprochantd’unpas.Àmesurequ’ilavance,Holdermefaitreculerpeuàpeu.—Est-cequetuterappellesdemoi,Hope?—Commentj’auraisput’oublier?L’ironiedelachose,c’estquejusqu’àrécemment,jel’avaisbeletbienoublié.Complètement.Son
existence,sesabus,toutemavieici:aucunsouvenir.Maisjemegardebiendeleluidire.Jeveuxqu’ilsachequejemesouviensdeluietdetoutcequ’ilm’afaitdanslesmoindresdétails.
—C’estbientoi,dit-ilenremuantnerveusementlamain.Tuesenvie.Saineetsauve.Ildégainesaradio,jesupposedanslebutdeprévenirsescollègues.Maisiln’amêmepasletemps
d’appuyersurleboutonqueHolderladégagebrusquementd’ungeste.Monpèresebaissepourramasserl’appareil tombépar terrepuis,sur ladéfensive, il reculed’unpas, lamaindenouveauposéesursonholster.
—Àvotreplace,j’éviteraisdesignalersaprésence,menaceHolder.Jedoutequevousayezenviedevoirvotresaletêtedeperversenunedesjournaux.
Monpèredevientsubitementblêmeetpivoteversmoi,apeuré.
—Qu’est-ceque…?Ilmefixe,incrédule.—Hope, jenesaispasqui t’aenlevée…maison t’amenti.Toutcequ’on t’a racontésurmoiest
faux.Désespéré,ils’approcheencoreenmesuppliantduregard.—Quit’aenlevée,Hope?Quic’était?Dis-le-moi.Jem’avanced’unpasassuré.—Jemesouviensdetout.Maissitumedonnescequejesuisvenuechercher,jeteprometsdem’en
alleretquetun’entendrasplusjamaisparlerdemoi.Ilcontinuedesecouer la tête,ahuriderevoirsafilleenchairetenos.Àmonavis, ilestaussien
traind’accuserlecoupettentedesefaireàl’idéequesavietoutentièreestdésormaiscompromise.Sacarrière,saréputation,sa liberté.Aussi incroyablequecelapuisseparaître,sonvisagedevientencorepluspâlelorsqu’ilcomprendqu’ilestcoincé.Ilsaitquejesais.
—Qu’est-cequetuveux,aujuste?Jejetteunœilàlamaison.—Desréponses,jedissèchementenlefixantdenouveau.Etaussitouteslesaffairesqu’ilterestede
mamère.Holdermetientfermementparlataille.J’étreinssamain,justepourmerassureretsentirquejene
suispasseuledanscemomentdevérité.Pluslesminutess’écoulent,plusmonassuranceenprésencedemonpère s’effrite.De sa voix enpassant par ses expressions et ses gestes, tout chez luimedonne lanausée.
Monpèrelanceunbrefcoupd’œilàHolderavantdesetournerversmoi.—Allons discuter à l’intérieur, propose-t-il avec calme en jetant des regards furtifs auxmaisons
alentour.Ilsembletenduàprésent,cequiprouvebienqu’ilasoupeséleschoixquis’offraientàluietcompris
qu’iln’yenavaitqu’unpossible.D’unpetitsignedumenton,ildésignelaported’entréeetsedirigeversleperron.
—Laissezvotrearme,exigeHolder.Mon pèremarque un temps d’arrêt, sans se retourner. Lentement, il porte lamain à sa taille pour
sortirsonrevolverdesonétui.Aprèsl’avoirposéendouceursurlesmarches,ilcommenceàlesgravir.—L’autreaussi,insisteHolder.Monpères’arrêteencoreavantd’atteindrelaporte.Ilsebaisse,soulèvelebasdesonpantalonet
retireégalement l’armefixéeàsacheville. Ilentreensuitedans lamaisonenlaissant laporteouverte.Avantquejeluiemboîtelepasàl’intérieur,Holdermefaitpivoterfaceàlui.
—Jet’attendslà,laporteouverte.Jememéfiedelui.Net’éloignepasdusalon.Je faisouide la têteet ilmeplanteunbaiser appuyé sur laboucheavantdeme lâcher.Quand je
pénètredanslesalon,monpèreestassissurlecanapé,lesmainsjointesdevantlui,leregardrivéausol.Jem’approchedupremierfauteuilvenuetm’assiedsjusteaubord,n’ayantaucuneenviedeprendremesaises ici.Meretrouveravec luidanscettemaisonm’embrouille l’espritetmeserre lecœur. J’inspirelentementàplusieursreprisespouressayerd’atténuermonangoisse.
Je profite de cemoment de silence entre nous pour nous trouver d’éventuelles ressemblances. Lacouleurdesescheveux,peut-être?Ilestbeaucoupplusgrandquemoietsesyeux,quandilarriveàmeregarder,sontvertfoncé.Paslesmiens.Àpartlanuancecarameldesescheveux,jeneluiressemblepas.Etça,çamefaitbienplaisir.
Monpèrerelèvelatêteensoupirant,gigotant,l’airmalàl’aise.—Avantquetutedisesquoiquecesoit,ilfautquetusachesquejet’aimaisetqu’ilnesepassepas
unesecondedemaviesansquejeregrettecequejet’aifait.
Bien que je reste silencieuse, ce n’est pas l’envie qui me manque de réagir violemment à sesconneries.Ilpourraitpasserlerestedesavieàs’excuserqueçanesuffiraitpasàeffacerneserait-cequ’uneseuledecesnuitsoùmapoignéedeporteapivoté.
—Jeveuxsavoirpourquoi,jedisd’unevoixtremblante.Je m’en veux d’avoir l’air aussi craintive. On dirait la petite fille d’autrefois, qui le suppliait
d’arrêter.Jenesuispluscettepetitefilleetunechoseestsûre,jeneveuxpasparaîtrefaibledevantlui.Ilselaisseallerenarrièresurlecanapéensefrottantlesyeux.— Je ne sais pas, Hope, soupire-t-il, irrité. Après la mort de ta mère, je me suis remis à boire
beaucoup.Cen’estqu’unanplustard,aulendemaind’unesoiréeoùj’étaisparticulièrementsoûl,quejemesuisréveilléenayantconscienced’avoircommisquelquechosed’atroce.J’espéraisquecenesoitqu’un cauchemar mais ce matin-là, quand je suis venu dans ta chambre pour te réveiller, tu avais…changé.Tun’étaisplus lapetite fille joyeuseque je connaissais.Du jour au lendemain, tu t’esmiseàavoir très peur de moi. Je m’en suis terriblement voulu. Je ne sais même pas ce que je t’ai faitexactement:j’étaistropivrepourm’ensouvenir.Maisjesavaisquec’étaitterribleetjesuisvraiment,vraiment désolé, Hope. Ça ne s’est jamais reproduit et j’ai fait tout mon possible pour me fairepardonner.Jet’achetaisdescadeauxtoutletempsett’offraistoutcequetuvoulaispourquetuoubliescetteterriblenuit.
Agrippantmesgenoux, je luttepournepas traverser lesalond’unbondetaller l’étrangler.Lefaitqu’iltentedemefairecroirequeçanes’estproduitqu’uneseulefoismepousseàlehaïrencoreplus,sitantestquecesoitpossible.Ilconsidèreçacommeunaccident,commes’ilavaitcasséunetasseouqu’ilavaiteuunbêteaccrochageenvoiture.
—Çaacontinuépendantdesnuitsetdesnuits,jelâche.Jedoisrassemblertoutmonsang-froidpournepashurleràpleinspoumons.—J’avaispeurd’allerdormir,demeréveiller,deprendreunbainoumêmedeteparler.Jen’étais
pasunepetitefilleterroriséeparlesmonstresdanssonplacardousoussonlitmaisparlemonstrequiétaitcensél’aimer!Tuétaiscensémeprotégerdesgenscommetoi!
Àprésentagenouilléàcôtédemoi,Holdermetientparlebraspendantquejecrieaprèsl’hommeassisenfacedemoi.Tremblantderage,jem’appuiecontreHolderpourm’imprégnerdesaforce.Ilmefrottedoucementlebrasetm’embrassesurl’épauleenmelaissantvidermoncœursanstenteruneseulefoisdes’interposer.
Monpères’enfoncedanslecanapétandisquedeslarmessemettentàcoulersursesjoues.Ilnesedéfendpas,carilsaitquej’airaison.Iln’aabsolumentrienàdire.Alorsilsecontentedepleurerensecachant le visage ; il regrette moins ce qu’il m’a infligé que le fait d’être enfin mis face à sesresponsabilités.
—Est-cequetuaseud’autresenfants?jedemandeenlefixantaveccolère.Ilatellementhontequ’iln’arrivemêmepasàmeregarderdanslesyeux.Têtebaissée,ilsetientle
frontsansparveniràmerépondre.—OUIOUNON?Réponds!Il faut que j’aie la certitudequepersonned’autre n’a subi ses abus, qu’il n’a jamais recommencé
depuismoi.Ilsecouelatête.—Non,jenemesuisjamaisremariéaprèstamère.Àl’entendre,ilsembleabattu;etàlevoir,c’estégalementlecas.—Jesuislaseulequiaitsubiça?Leregardtoujoursrivéausol,ilcontinued’esquiverlefeudemesquestionsenmarquantdelongues
pauses.
—Tumedoislavérité,j’insisteavecfermeté.Est-cequetut’enétaisdéjàprisàquelqu’und’autreavantmoi?
Jesensd’iciqu’ilestentraindesefermer.Àlafroideurdesonregard,jevoisbienqu’iln’apasl’intentiondem’endévoilerdavantage.La têteentre lesmains, je réfléchis,déconcertée.Çameparaîttellement injuste de le laisser poursuivre sa petite vie !D’un autre côté, je redoute ce qui pourrait sepassersijeledénonce.J’aipeurquemonexistencenebasculeetquepersonnenemecroiepuisquelesfaits remontent à si longtemps.Mais ce quime terrifie par-dessus tout, c’est que je crains de l’aimerassezpournepas avoir enviededétruire le restede savie.Me retrouver face à luime rappelle nonseulementtoutesleshorreursqu’ilm’afaitendurermaisaussi,malgrétout,lepèrequ’ilaété,autrefois.Àforced’êtredanscettemaison,jesensprogressivementuntasd’émotionsdéferlerenmoi.Jetantunœilàlatabledelacuisine,jeretrouvepeuàpeudesbonssouvenirs,desdiscussionsqu’onaeues,assislà.Regardantensuitelaportedujardin,jenousrevoisnousprécipiterdehorspourallerregarderpasserletrain dans le champ qui longeait la maison. Tout ce qui m’entoure réveille en moi des souvenirscontradictoiresetl’idéequejepuissel’aimerautantquejelehaisestinsoutenable.
Aprèsm’êtreséchélesyeux,jel’observeànouveau.Ilestlà,àfixersespiedsensilence,etj’aibeautenterdelenier,l’espaced’unbrefinstantjerevoismonpapa.Jerevoisl’hommequ’ilétaitàl’époqueoùilm’aimait…bienavantquejememetteàavoirunepeurfolledespoignéesdeportequitournent.
Quatorzeansplustôt
—Chut…,susurre-t-elled’unevoixdouceenmecaressantlescheveux.Allongéederrièremoisurmonlit,ellemeserrecontreelle.J’aiétémaladetoutelanuit.J’aime
pasêtremalademaisj’adorelafaçondontmamamans’occupedemoidanscescas-là.Je ferme les yeux et j’essaie de dormir pour reprendre des forces. Alors que je suis presque
endormie, j’entends lapoignéedemachambrepivoter ; je rouvre lesyeux.Monpèreentreennoussouriantàmamanetmoi.Maissonsourires’évanouitquandilcroisemonregardcarilvoitbienquejesuismalenpoint.Monpapan’aimepasquandjesuismalade:iltientàmoietçalerendtriste.
Ils’agenouilleenmecaressantlajoue.—Commenttutesens,mapuce?—Pastrèsbien,papa,jechuchote.Ilfroncelessourcils.Mince,j’auraismieuxfaitdeluidirequeçaallait.Illanceunregardàmamaman,quiestallongéejustederrièremoietluisouritenluicaressantla
jouecommeilvientdelefaireavecmoi.—Etcommentsesentl’autrefemmedemavie?Jesensleursmainssetoucherpendantqu’illuiparle.—Fatiguée,répond-elle.Jesuisrestéeàsonchevettoutelasoirée.Il serelèveen la tirantpar lamainpour l’obligeràse lever.Je l’observe tandisqu’il laprend
danssesbrasenluifaisantunpetitbisousurlajoue.— Je prends la relève, décide-t-il en passant la main dans les cheveux de maman. Toi, va te
reposer,d’accord?Mamanfaitouidelatêteetl’embrasseunedernièrefoisavantdesortirdelachambre.Papafait
letourdulitpourvenirs’allongeràsaplace.Ilmeserrecontrelui,commeellelefaisaitàl’instant,etcommenceàfredonnersachansonpréférée.Ilditquec’estsapréféréeparcequ’elleparled’espoir,commemonprénom:
—«J’aibeaucoupperduaucoursdemalonguevie.Oui,j’aiconnudesdouleursetdesconflits.Maisjamaisjenerenoncerai;jamaisjenelâcheraiprise.Carmalueurd’espoirseratoujourslà.»Bienquejenemesentepastrèsbien,jesouris,etmonpapacontinuedechanterjusqu’àcequeje
fermelesyeuxetm’endorme.
Lundi29octobre2012
16h57
C’étaitmonpremiersouveniravantquecettesalehistoiren’effacetout.Leseulquej’aiedemamèreavant samort. Jeneme rappelle toujourspas sonvisage, car l’image reste assez confuse,mais jemesouviensdecequejeressentais:jelesaimais.Touslesdeux.
Monpèrerelèvelatête, levisagedévastéparlechagrin.Jen’éprouvepaslamoindrecompassionpour lui car après tout…est-cequ’il ena eupourmoi à l’époque ? J’ai bien consciencequ’il est enpositiondefaiblesse,là,alorssijepeuxenprofiterpourluiarracherlavérité,jenevaispasmegêner.
Holdertentedemeretenirenmevoyantmelevermaisjelerassured’unsignedetête:—Çavaaller,t’inquiètepas.Il acquiesce etme lâche le bras à contrecœur puis ilme laisse approcher demon père. Lorsque
j’arriveàsahauteur,jem’agenouilledevantlui,soussonregardrongéderemords.Enétantsiproche,jesensmoncorpssecrisperetlacolèrequimeserrelecœursedéverserenmoi,maissijeveuxréussiràluisoutirerdesréponses,jesaisquejen’aipaslechoix.Jedoisenpasserparlà,luifairecroirequejecompatis.
—J’étaismalade,jeraconted’unevoixdouce.Mamèreetmoi…onétaitdansmonlitettuesrentrédu travail. Elle avait passé la soirée àmon chevet et elle était fatiguée, alors tu lui as dit d’aller sereposer.
Unelarmecoulesurlajouedemonpère;ilconfirmed’unsignedetêtepresqueimperceptible.—Cettenuit-là,tum’astenuedanstesbrascommeunpèreestcensétenirsafille.Tum’aschantéune
chanson.Jemesouviensqu’àl’époque,tufredonnaistoujourscetairquiparlaitdetalueurd’espoir.J’essuiemesyeuxpleinsdelarmesencontinuantdeleregarder.—Avant lamort demaman…et le chagrin auquel tu asdû faire face… tunem’avais jamais fait
toutesceschoses,n’est-cepas?Ilsecouelatêteenm’effleurantlajoue.—Non,Hope.Jet’aimaisdetoutmoncœur.Etjet’aimetoujours.Jevousaimaisplusquetout,ta
mèreettoimaisquandelleestmorte…j’aisombréenmêmetempsqu’elle.Serrantlespoings,jereculelégèrementaucontactdesamainsurmajoue.Toutefois,jeréussis,jene
saiscomment,àfaireabstractionetàgardermoncalme.—Jesuisdésoléequetuaiesdûendurerça,jedissansfaillir.Et c’est vrai, je le suis. Jeme souviensqu’il était fou amoureuxdemamère et quelleque soit la
manièredont il agéré sadouleur, j’auraisquandmêmepréféréqu’iln’ait jamaisétéconfrontéàcetteperte.
—Jesaisquetul’aimais.Jem’ensouviens.Pourautant,jesuisincapabledetepardonnercequetum’asfait.Jenesaispaspourquoicequit’animeestsidifférentdecequianimelesautres…aupointdetepermettred’agircommetul’asfait.Maismalgrécela,jesaisquetum’aimes.Etmêmesic’estduràadmettre…moiaussi,jet’aiaimé.J’aimaistoustesbonscôtés.
Jemerelèveenreculantsanslelâcherduregard.— Je sais que tu n’es pas foncièrementmauvais. Je le sais.Mais si tum’aimes vraiment… et si
vraimenttuasaimémamère…alorstuferastoutcequiestentonpouvoirpourm’aideràguérir.Tumedoisbiença.Toutcequejetedemande,c’estd’êtrehonnêtepourquejepuisserepartird’iciuntantsoitpeuenpaix.Jesuisvenueuniquementpourça,d’accord?Jenedemandequ’àêtreenpaix.
Ilsangloteàprésent.Ilacquiesceensetenantlatête.JereviensverslecanapéetHolder,toujoursàgenoux,meprenddans sesbras.Moncorps continuede trembler, alors je croise les bras contremoi.Holder,quisentbiendansquelétatjesuis,glisselamainlelongdemonbrasjusqu’àcequ’iltrouvemonpetitdoigtetleserre.C’estunpetitgestederiendutout,maisiln’auraitpasputrouvermieuxpourmeprocurerlesentimentdesécuritéquej’attendsdeluiàcetinstant.
Monpèrepousseungrossoupirenrelâchantlesmains.—Audébut,quandj’aicommencéàboire…çan’estarrivéqu’unefois.Jem’ensuisprisàmapetite
sœur…maisçanes’estjamaisreproduit.Ilrelèvelatête,l’airtoujoursprofondémenthonteux.—C’étaitbienavantquejerencontretamère.Safranchisebrutalemeconsternemaisleplustragiqueàmesyeux,c’estqued’unecertainemanière,
ilpensequecen’estpassigravepuisqueçan’estarrivéqu’unefois.Ravalantlabouledansmagorge,jepoursuisl’interrogatoire:
—Etaprèsmoi?Est-cequ’ilyenaeud’autresdepuismonenlèvement?Ilbaisse lesyeuxsur sespiedset sapostureme fait l’effetd’uncoupdepoingdans leventre.Le
soufflecoupé,jeretiensmeslarmes.—Qui?Combien?Ilsecouefaiblementlatête.—Çanes’estreproduitqu’unefois.J’aiarrêtédeboireilyaquelquesannéesetjen’aiplustouché
personnedepuis.Ilaffrontedenouveaumonregard,àlafoisdésespéréetpleind’espoir.—Jelejure!Iln’yenaeuquetroisetc’estarrivéquandj’étaisauplusmal.Quandjesuissobre,
j’arriveàcontrôlermespulsions.C’estpourçaquejeneboisplus.—Qui était-ce ? je demande pour l’obliger à regarder la vérité en face encore quelquesminutes
avantdesortirdéfinitivementdesavie.Ilesquisseunpetitmouvementdetêteverssadroite.—Ellehabitaitlamaisond’àcôté.Ilsontdéménagéquandelleavaitunedizained’annéesdoncjene
saispascequ’elleestdevenue.C’étaitilyatrèslongtemps,Hope.Jen’aipasrecommencédepuisdesannées,c’estlavérité.Jelejure.
D’unseulcoup,moncœurpèseunetonne.Lebrasquimetenaitparlatailleadisparuetenlevantlatête,jevoisHoldersedécomposersousmesyeux.
Le visage tordu par une douleur insoutenable, ilme tourne le dos en se passant nerveusement lesmainsdanslescheveux.
—Less…,chuchote-t-ilavecamertume.C’estpaspossible…Latêteappuyéecontrelechambranle,ilsetientlatêteàdeuxmains.Jemelèvepourallerlevoiret
pose doucement lesmains sur ses épaules, redoutant qu’il ne soit sur le point d’exploser. Il semet àtrembleretàpleurer sansmême fairedebruit. Jene saisniquoidireniquoi faire. Iln’arrêtepasderépéter«non»ensecouantlatête.J’éprouveunimmensechagrinpourluimaispourl’instant,jenesais
pasdutoutcommentl’aider.Jecomprendsmieuxcequ’ilvoulaitdirel’autrejour,quandildisaitqu’ilavaittoujoursl’impressiond’avoirdesparolesmaladroitesavecmoi:àcetinstant,absolumentriendecequejepourraisluidireneserviraitàquoiquecesoit.Alorsàdéfaut,jecollematêtecontreluietilfinitparseretournerlentementenmetenantlebras.
Aux soulèvements de sa poitrine, je sens bien qu’il lutte pour contenir sa colère. Sa respirationdevientsaccadéetandisqu’iltentedesecalmer.Jeleserreplusfortenespérantpouvoirl’empêcherdedéchaîner sa colère.Pourtant j’aurais enviequ’il se lâche, qu’il brutalisemonpère et se vengede cequ’ilnousafaitsubir,àLessetàmoi,maisj’aipeurqueHoldern’éprouvetropdehainepourqueçanedégénèrepas.
Ilmelâche,levantlesmainsàhauteurdemesépaulespourmerepousserdoucement.Sonregardestsisombre…jesuisaussitôtsurladéfensive.Nesachantpasquoifaired’autre,jem’interposeentreeuxmaisc’estàcroirequejesuistransparente.Holdermeregardecommesijen’étaispaslà.Derrièremoi,j’entendsmonpèreseleveret jevoisHolderlesuivreduregard.Jemeretournebrusquement,prêteàdire àmon père de foutre le camp du salon, quandHolderm’attrape par le bras et m’écarte de sonchemin.
Je trébucheet je tombeà terre,assistantà la scèneau ralenti tandisquemonpèreattrapequelquechose derrière le canapé et se retourne, un pistolet à la main. Il le braque droit sur Holder. Je suistétanisée. Incapable de protester, de crier, de réagir oumême de fermer les yeux. Je suis obligée deregarder.
Monpèrebranditsaradioentenantfermementl’armed’unemain,leregardvide.SansquitterHolderdesyeux,ilappuiesurleboutonenapprochantlemicrodesabouche:
—Agentàterreau3522,OakStreet.Jelanceuncoupd’œilnerveuxàHolder,puisunautreàmonpère.Illâchelaradioquitombejuste
devantmoi.Toujoursincapabledecrier,jemerelève.Lentement,leregardabattudemonpères’arrêtesurmoi…ilretournel’armecontrelui.
—Jetedemandepardon,maprincesse.Lefracasquis’ensuitenvahittoutelapièce.Unevéritableexplosion.Jefermelesyeuxdetoutesmes
forcesenmebouchantlesoreilles,sansmêmevraimentsavoird’oùvientceboucan.C’estunbruittrèsaigu,semblableàuncri.Ondiraitunefillequihurle.
C’estmoi.Jesuisentraindecrier.Ouvrantlesyeux,jedécouvrelecorpssansviedemonpèreétenduàquelquespasdemoi.Holder
meplaqueunemainsurlaboucheetm’entraîneverslasortie.Iln’essaiemêmepasdemeporter.Mestalonsraclentlapelouse.Ilmebâillonned’unemainetmetientlatailledel’autre.Quandonarriveàlavoiture,samainesttoujoursplaquéesurmabouchepourétouffermescris; il jettedesregardsaffolésautour de nous pour s’assurer que personne n’a été témoin de la catastrophe en cours. Les yeuxécarquillés, je secoue la tête, refusant deme rendre à l’évidence, pensant que laminute qui vient des’écoulerfinirapars’effacersijem’entêteànepasycroire.
—Arrête,Sky.Ilfautquetuarrêtesdecrier.Toutdesuite!J’acquiescevigoureusement,réussissantjenesaiscommentàréprimerlescrisirraisonnésquienflent
ma gorge. Tentant de me calmer, je m’entends inspirer et expirer par le nez de façon chaotique.MapoitrinesesoulèveavecpeineetlorsquejeremarqueleséclaboussuresdesangsurlajouedeHolder,jeluttepournepasmeremettreàhurler.
—Tuentends?dit-il.Cesontdessirènesdepolice,Sky.Ilsvontarriverd’uneminuteàl’autre.Jevaisretirermamainetensuitejeveuxquetumontesdanscettevoitureetqueturestesaussicalmequepossibleparcequ’ilfautqu’onsetired’icitrèsvite.
J’acquiesceencore,alors il retiresamainetm’installeàbord.Contournant lavoitureà lahâte, ilmonte, et démarre. Juste au moment où on bifurque au premier croisement, deux voitures de policedéboîtentàl’autreboutdelarue,derrièrenous.Tandisqu’ons’éloigne,jebaisselatêteentremesgenouxpouressayerdereprendremonsouffle.Jenepensemêmepasàcequivientdeseproduire.C’estau-dessus de mes forces. Je n’y crois pas. Impossible. Je me focalise sur l’idée que tout ça est unépouvantablecauchemaretm’entiensàrespirer,neserait-cequepourm’assurerquejesuistoujoursenvie.Carunechoseestsûre,pourl’instant,j’aijustel’impressiond’êtreenenfer.
Lundi29octobre2012
17h29
On franchit la porte de la chambre commedes zombis. Je neme souviensmêmepas d’être sortiedelavoitureenarrivantàl’hôtel.Unefoisaupieddulit,Holders’assoitetenlèveseschaussures.Pourmapart,jesuisencoreplantéedansl’entrée,lesbraslelongducorps,latêtepenchée,incapabled’allerplusloin.Jefixelafenêtredel’autrecôtédelapièce.Lesrideauxouvertsn’offrentqu’unevuelugubresurl’immeubleenbriquequijouxtel’hôtel.Rienqu’unmurcompactsansfenêtreniporteapparente.Unmur,c’esttout.
Cemur symbolisema propre vie. J’ai beau essayer d’envisager l’avenir, je suis incapable demeprojeter. Jenesaispascequivasepassermaintenant :niavecqui jevaisvivre,nicequeKarenvadevenir, ni si je dois signaler le drame qui vient de se produire. Je n’arrivemêmepas à émettre unehypothèse.Entrel’instantprésentetceluid’après,iln’yaqu’unmurcompactsanslemoindretagenguised’indice.
Depuis treize ans, mon existence n’a été qu’un rempart dressé entremes premières années et lessuivantes.Uneparoiimposantedistinguantmesdeuxvies,celledeSkyetcelledeHope.J’avaisentenduparlerdecesgensquiparviennentà refoulerdessouvenirs traumatisants,mais j’ai toujourspenséquec’étaitplusoumoinsvolontaire.Enl’occurrence,moi,pendanttreizeans,jen’aipaseulamoindreidéedemes origines. Je sais bien que j’étais très jeune quand onm’a arrachée à cette première viemaismalgré tout, j’aurais pu en garder quelques souvenirs. En dépit de mon jeune âge, je crois que dèsl’instantoùjesuismontéedanscettevoitureavecKaren,j’aiprisdélibérémentladécisiondefairetablerasedupassé.Une foisqueKarenacommencéàme raconterdesanecdotesau sujetdemaprétendueadoption,çaadûêtreplusfaciledansmatêted’assimilercesmensongesinoffensifsquedemerappelerl’horribleréalitéquiavaitétélamienne.
Àl’époque,ilm’étaitimpossibled’expliquercequemonpèremefaisaitcarjen’étaispascertainedecequisepassait.Jesavaisjustequejedétestaisça.Orquandonnesaitpastropcequ’ondétesteaujuste,nimêmepourquoionledéteste,difficiled’entrerdanslesdétails…alorsons’entientàcequ’onressent.J’aiconsciencequejen’aijamaisvraimenteulacuriositédefouillerlepassé,dumoinspasaupoint de vouloir découvrir qui étaitmon père ou les raisons qui l’avaient poussé àme faire adopter.Désormais, je sais que c’est parce que au fond, cet hommem’inspirait toujours autant de haine et decrainte.C’étaitdoncbeaucoupplusfaciled’érigercemurdebriqueetdenejamaisrevenirsurlepassé.
Maintenant, alorsmême qu’il n’aura plus jamais l’occasion de poser la main surmoi, je nourristoujourslesmêmessentimentsnégatifsàsonégard.Jecontinuedelehaïr,deleredouterplusquetoutetaussid’êtreaccabléeparsamort.Jeluienveuxd’avoirgravédansmamémoired’horriblesimagesetde
réussirquandmême,aumilieudecettetempête,àmefairedelapeine.Jen’aipasenviedepleurersadisparition,aucontraire.J’aimeraism’enréjouir.Saufquej’ensuisincapable,voilàtout.
Jesensqu’onmeretiremaveste.Délaissantcemurquimenargueàtraverslafenêtre,jetournelatêteetdécouvreHolderjustederrièremoi.Ilposemavestesurunechaisepuisôtemontee-shirtmaculédesang.Lesnerfsàvif,minéeparlatristesse,jemerendscomptequejesuisgénétiquementliéeausangséchéquiimprègnedésormaismeshabitsetmonvisage.Holdervientseplacerfaceàmoietsepenchepourdéboutonnermonjean.
Ilestencaleçon.Jen’avaismêmepasremarquéqu’ils’étaitdéshabillé.Parcourantsonvisagedesyeux,jeremarquedesgouttelettesdesangsursajouedroite,cellequiaétéexposéeàlalâchetédemonpère.Levisagegrave,ilgardelesyeuxrivéssurmonpantalon.
—Ilfautquetum’aides,là,mabelle,dit-ild’unevoixdouceenatteignantmeschevilles.Agrippant ses épaules à deuxmains, je sors un pied après l’autre demon jean. Sans le lâcher, je
continue de fixer les éclaboussures de sang dans ses cheveux. Machinalement, j’effleure une de sesmèchespuisexaminelerésidusurmesdoigtsenfrottantmonindexcontremonpouce.Lesangestépaisetvisqueux,plusqu’ilnedevraitl’être.
C’estparcequ’ilnes’agitpasuniquementdesang.Jecommenceàm’essuyerlesdoigtssurmonventreenessayantdésespérémentdem’endébarrasser
mais je ne fais qu’enmettre partout.Magorge se noue etm’empêchede crier.C’est commedans cesrêvesoùilsepasseunévénementsiterrifiantquejemeretrouvetoutd’uncoupmuette.Holderrelèvelatête;jevoudraishurler,crieretpleurer,maisjeneréussisqu’àécarquillerlesyeuxd’unairhagardencontinuantdem’essuyercommeuneforcenée.Enmevoyantpaniquer,Holderseredresseetmesoulèvedanssesbraspourmeporterrapidementjusqu’àladouche.Ilmedéposedanslabaignoireetilsejointàmoienouvrantlerobinet.Unefoisquel’eauestchaude,ilfermelerideaudedouchepuissetournefaceàmoietprenddoucementmespoignetsdontj’essaieencored’effacerlestracesrouges.Ilm’attirecontrelui enme faisant pivoter sous le jet. En sentant l’eaum’asperger les yeux, je suffoque et aspire uneénormeboufféed’air.
Holders’emparedelasavonnettesurleborddelabaignoire,déchiresonpapierd’emballage,puispasse la têtederrière le rideauetattrapeungant.Bienque l’eausoitchaude, je tremblede la têteauxpieds.Aprèsavoirsavonnélegant,illeposesurmajoue.
—Chut,calme-toi,chuchote-t-ilenessayantdecaptermonregardaffolé.Jevais t’enlever toutça,d’accord?
D’ungestedélicat,ilentreprenddemenettoyerlevisageetjefermelesyeuxenacquiesçant.Jelesgardeferméspournepasvoirlegantimbibédesangquandill’écarterademajoue.Jelelaissefaireenrestant aussi immobilequepossiblemalgré les tremblementsqui continuentd’agitermoncorps. Ilmetplusieursminutesàeffacertoutesles tracessurmonvisage,mesbrasetmonventre.Ensuite, il tendlebraspourretirerl’élastiquequitientmaqueue-de-cheval.
—Sky,regarde-moi.Jerouvrelesyeux,etilposedoucementlamainsurmonépaule.—Jevaisenlevertonsoutien-gorge,d’accord?Ilfautquejetelavelescheveuxetjenevoudrais
pasletacher.Letacheravecquoi?Quandjecomprendsqu’ilfaitréférenceàcequiesttrèsprobablementincrustédansmachevelure,je
recommenceàpaniqueretjebaisseprécipitammentlesbretellesdemabrassièrepourl’enlever.—Retire-moiça,jem’empressedediretoutbas.Remettantlatêtesouslejetd’eau,jepasseplusieursfoislesmainsdansmescheveuxpourbienles
mouiller.—Enlève-moiça!jerépèted’untonaffolé.
Ilinterromptmongesteenprenantmespoignetspourlesposersursataille.—Jem’enoccupe.Tiens-toiàmoietessaiedetedétendre.Jemechargedureste.Appuyant la tête contre son torse, je me cramponne à lui. Je sens le parfum du shampooing
m’envelopper tandisqu’ilenversedanssesmainset l’étalesurmatêteduboutdesdoigts.Nousnousrapprochons du jet jusqu’à ce que l’eau se répande sur ma tête puis il me masse et me frottevigoureusementlescheveuxenlesrinçantàplusieursreprises.Préférantnepasposerdequestions,jelelaisserépéterl’opérationautantdefoisqu’illejugenécessaire.
Unefoisqu’ilaterminé,ilpermuteavecmoipoursemettresouslejetetselaveàsontour.Lâchantsataille,jereculeunpeupouréviterdeme«tacher».Contemplantmonventreetmesmains,jeconstatequ’ilneresteplusunetracedemonpèresurmoncorps.JerelèvelesyeuxversHolder,quisefrictionnelevisageetlecouavecungantpropre,etjerestelà,àleregardereffacercalmementtoutemarquedecequinousestarrivéilyamoinsd’uneheure.
Lorsqu’ilafini,ilouvrelesyeuxenmelançantunregarddésolé.—Sky, j’aibesoinque tuvérifiesque je suisparfaitementpropreetque tunettoies les zonesque
j’auraismanquées,d’accord?Ils’adresseàmoiavecbeaucoupdecalme,commes’ils’efforçaitdenepasmefairefuir.Enfait,à
sonton,jecomprendsquec’estexactementlecas:ilapeurquejenesoissurlepointdecraquerpourdebon.
Craignantqu’iln’aitraison,j’attrapelegantqu’ilmetendetprendsmoncourageàdeuxmainspourl’examiner.Ilresteunepetitetraînéerougeau-dessusdesonoreilledroite,alorsjem’approchepourlanettoyer.Aprèsquoi,jepasseenrevuechaquepetitetracequ’ilnousrestesurlecorps,puisjerinceunedernièrefoislegantenregardantl’eauemporterlesangdansuntourbillon.
—Ilneresteplusrien,jemurmure.Jenesuismêmepassûredefaireallusionausang.Lorsque je relève la tête, je m’aperçois que ses yeux sont encore plus rouges qu’avant mais je
n’arrivepasàvoirs’ilpleure:l’eauruissellesursonvisagecommeleferaientdeslarmes.C’estàcetinstant,unefoisdébarrasséedetouslesvestigestangiblesdecequivientdesepasser,quejerepenseàLesslie.
Denouveau,jesensmoncœursebriserenmillemorceaux,maiscettefoispourHolder.Unsanglotm’échappeetjeplaqueunemainsurmabouche,lesépaulestremblantes.
—Holder,jesuistellementdésolée.Situsavais!Jepleure,cramponnéeàlui,regrettantquesondésespoirnesoitpasaussisimpleàfairedisparaître
que le sang. Ilmeserre si fortque j’arriveàpeineà respirer.Mais il enabesoin. Il abesoinque jepartagesadouleuràcetinstant,toutcommej’aibesoinqu’ilressentelamienne.
Repensantàchacunedesparolesdemonpèreaujourd’hui,jem’efforcedem’endéfaireenpleurantunebonnefoispourtoutes.Jeveuxoubliersonvisage,savoix,toutemahaineàsonégardettoutl’amourquej’aipuluiporter.Riendepirequelesentimentdeculpabilitéqu’onéprouvequandonestcapable,malgrésoi,d’aimerlasourcedenossouffrances.
Holder calemonvisage contre son épaule en posant la joue surma tête et cette fois, je l’entendspleurer.C’esttrèsdiscret,ilessaiedeseretenir.IlestdévastéàcausedecequemonpèreafaitsubiràLesslieetjenepeuxm’empêcherdemesentirenpartiefautive.Sij’avaisétélà,ilnes’enseraitjamaisprisàsasœuretellen’auraitpassouffert.Sijen’étaispasmontéedanscettevoitureavecKaren,elleseraitpeut-êtreencoreenvieaujourd’hui.
Jeluiempoignelesépaulesetmehissesurlapointedespiedspourl’embrassertendrementdanslecou.
—Jesuisvraimentdésolée.Ilnes’enseraitjamaisprisàellesij’avais…
Holdermesaisitparlesbrasetm’écarteavecunetelleforcequejesursauteetlefixeavecdesyeuxronds.
—Jetedéfendsdedireça.Ilmelâcheets’empressedeprendremonvisageentresesmains.— Je t’interdis de t’excuser encore une seule fois pour lemoindre truc que cet homme a fait, tu
entends?Tun’yespourrien,Sky.Jure-moiquetunetelaisserasplusjamaisminerparuneidéepareille.Sonregardestdésespéré,noyédelarmes.—Jetelejure,jerépondsd’unepetitevoix.Sansmelâcherunesecondedesyeux,ilchercheàs’assurerdemasincéritésurmonvisage.J’enai
encorelecœurquicognedesaréactionetdelarapiditéaveclaquelleilarejetél’idéequejepuisseêtreuntantsoitpeuresponsable.J’aimeraisqu’ilsoitaussipromptàrejeterlestortsdontlui-mêmes’accusemaishélas,cen’estpaslecas.
Incapabledesoutenirsonregard, jemejetteàsoncoupour leserrerdansmesbraset ilm’étreintaveclaragedudésespoir.Assommés,frappésdepleinfouetparlavéritéconcernantcequ’asubiLesslieetlaréalitédontonvientd’êtretémoins,onsecramponnel’unàl’autredetoutesnosforces.Ilacesséd’essayerd’êtreunrocpourmoi.Àcetinstant,c’esttoutl’amourqu’ilportaitàLesslieetlacolèrequ’iléprouvedevantcequiluiestarrivéqu’ildéversedansceslarmes.
ConscientequeLesslieauraiteubesoinqu’ilpartagesonchagrin, jen’essaiemêmepasdetrouverlesmotspourleconsoler.C’estpourellequel’onpleureàprésentcaràl’époque,elleétaitseuleavecseslarmes.Jeplanteunbaiserdanssescheveux.Chaquefoisquemaboucheseposesurlui,ilm’étreintun toutpetitpeuplus fort. Ileffleuremonépauledeses lèvreset trèsvite,oncherche tous lesdeuxàoublier cette douleur qu’aucun de nous n’a méritée en s’embrassant. Subitement plus fougueux etempressé,tentantàtoutprixdetrouveruneéchappatoire,Holdermeplantedesbaisersdanslecoupuisreculeenplongeantsonregarddanslemien,sesépaulessesoulèventetretombentalorsqu’ilcherchesonsouffle.
Il fonddenouveaufiévreusementsurmabouche,empoignantmescheveuxetmanuqued’unemaintremblante.Ilmecalecontrelemurdeladoucheetglisselesmainsderrièremescuisses.Tandisqu’ilmesoulèveetenroulemesjambesautourdesataille,jeperçoisledésespoirauquelils’abandonne.Ilveutquesadouleurdisparaisseetpourça,ilabesoindemonaide.Toutcommemoij’aieubesoindeluicettenuit.
Commeuneinvitationàmefairel’amour,jel’attirecontremoipourqu’ilmettesasouffranceentreparenthèseset je le laisseprendre lescommandes.Àcet instant, j’enaibesoinautantque lui. Jeveuxoubliertoutleresteetoccultercettevie-làletempsd’unesoirée.
Colléàmoi,ilmepressecontrelemurdeladoucheetmetientlevisageàdeuxmains,l’empêchantdebougertandisquenosbouchessecherchentimpatiemment,enquêted’unsemblantdedélivrance.Jel’étreinsplusfortpendantquesabouchedescendavecfrénésiedansmoncou.
—Dis-moiquec’estnormal,supplie-t-il,horsd’haleine,toutcontremapeau.Ilrelèvelatêteencherchantanxieusementmonregard.—Dis-moiquec’estnormald’avoirenviedetoidansunmomentpareil…Parcequeaprèstoutce
qu’onaenduréaujourd’hui,çameparaîtinjusted’avoirautantbesoindetoi.Je l’empoigne par les cheveux en l’attirant plus près encore et l’embrasse d’une façon si
convaincantequejen’aimêmepasbesoindeluirépondre.Dansungémissement, ilsortdelasalledebains en me portant jusque sur le lit. Sa façon d’arracher les deux derniers bouts de tissu qui nousséparentetdedévorermaboucheestassezviolentemaisàvraidire,s’ilfaisaitdansladouceur,jenecroispasquemoncœurlesupporteraitpourlemoment.
Debout au bord du lit, il se penche pour me voler un autre baiser puis s’écarte pour mettre unpréservatifavantdem’attraperparlatailleetdemetirerverslui.Ilmesoulèvelajambepourlacaler
contresahanchepuisglisseunemainsousmonbrasenm’agrippantl’épaule.Aumomentoùsonregardplonge de nouveau dans le mien, il s’introduit en moi sans la moindre hésitation. Le souffle coupé,bouleversée par le plaisir intense qui vient supplanter la douleur fulgurante, je l’enlace et bouge enrythmeavecluitandisqu’ilmeserrelacuisseetm’embrassesurlabouche.Lesyeuxfermés,jelaissematête s’enfoncer dans le matelas pendant qu’on profite de notre amour pour tromper provisoirementl’angoisse.
Remontantlesmainsversmataille,ilm’étreintaurythmedesesoscillationsfrénétiques.Accrochéeà ses bras, je m’abandonne et le laisse me guider, tant qu’il peut y trouver un réconfort. Sa bouches’écarteetilouvrelesyeuxenmêmetempsquemoi;ilssontencorehumides,alorsjeprendssonvisageentremesmains pour essayer de détendre d’une caresse ses traits froissés. Tout en continuant demeregarder,ilplanteunbaiseraucreuxdemapaume,puisils’interromptsubitementetmetombedanslesbras.
Alorsqu’oncherchenotresouffle,jelesenstoujoursenmoi,inapaisé.Sansmequitterdesyeux,ilglisselesbrassousmondospourmesouleveretilnousfaitpivotertoutenselaissantglisserparterre,dosaulit.Jesuisàcalifourchonsurlui.Lentement,ilm’embrasseencore.Cettefois,c’estunbaisertrèstendre.
À présent, ilm’enlace d’un geste protecteur en butinantmes lèvres etmes joues ; celame donnepresque l’impression d’avoir affaire à un autre Holder et pourtant, ses baisers n’en sont pas moinspassionnés.Uneminuteilestdanstoussesétatsetexalté…etlaminuted’après,ilestdélicatetcâlin.Soncôtéimprévisiblecommencevraimentàmeplaire.
Jesensbienqu’ilaenviequejeprenneleschosesenmain,maintenant,maisj’ailetrac.Jenesuismêmepassûredesavoirfaire.Percevantmagêne,ilposelesmainssurmataillepourmeguiderenmefaisantbougerlentementsurlui,m’observantavecsérieuxpours’assurerquejenedécrochepas.
Non, je suis bien là, avec lui. Je suismême si absorbéepar notre étreinte que je nepense à riend’autre.
Ilposeunemainsurmajoueencontinuantdepilotermonbassindel’autre.—Tuconnaismessentimentspourtoi,souffle-t-il.Tusaisquejet’aimeetquejeferaistoutcequi
estenmonpouvoirpoureffacertessouffrances,n’est-cepas?Jehoche la tête :oui, je le sais.Etquand je le regarde, là, etque jevois sesyeuxdébordantsde
sincérité,jecomprendsquesessentimentspourmoiremontentàloin,bienavantaujourd’hui.—Situsavaiscommej’aibesoindetonamour,Sky.J’aibesoindesavoirqueturessenslamême
chosepourmoi.Sonêtre toutentiersecrispe.Jeferaisn’importequoipourlerassurer.Jerassemblemoncourage.
Joignantnosmains,jelesposesurmoncœurpourluiprouverquejel’aimed’uneforcetoutaussiinouïe.Toutenleregardantdroitdanslesyeux,jemesoulèveunpeuetredescendslentementsurlui.
Ilgémitbruyammentpuisfermelesyeuxenrenversantlatêteenarrière.—Ouvrelesyeux,jedisàvoixbasse.Regarde-moi.Ilrelèvelatête,lespaupièresmi-closes.Jecontinueàmenerladanse,animéeparl’uniquevolonté
deluifaireentendre,sentiretvoircombienilcomptepourmoi.Lasensationprocuréeparlefaitd’êtreaux commandes est totalement différente, mais en bien. Le regard qu’il pose sur moi me donnel’impressiond’êtredésiréecommepersonnene l’a jamaisété.Dansun sens, ilmedonne le sentimentd’êtreindispensable,commesimaseuleexistenceétaitessentielleàsasurvie.
—Nedétourneplusjamaislesyeux,j’ajouteenmesoulevanttoutdoucement.Lorsque je m’abaisse de nouveau sur lui, la sensation est si intense qu’elle m’arrache un petit
gémissement. Son regard tourmenté neme quitte pas un seul instant.Mon corps semet à refléter lesmouvementscadencésdusiensansquej’aiebesoinqu’ilmeguide.
—Tusais,lapremièrefoisquetum’asembrassée?Cemomentoùteslèvressesontposéessurlesmiennes?Cettenuit-là,tuasraviunepartdemoncœur.
Jecontinueàoscillersoussonregardbrûlant.—Lapremièrefoisquetuasditquetumevivaisparcequetun’étaispasencoreprêtàdirequetu
m’aimais?Jepressemamainplusfortsursapoitrineetm’abaissedavantagepourqu’ilmesentetoutentière.—Cesmots-làm’ontconquiseunpeuplus.Il desserrenospoings calés contremoncœurpourposer lamain àplat surmapeau. J’en fais de
mêmeaveclui.—Lesoiroùj’aidécouvertquej’étaisHope?Jet’aiditquejevoulaisresterseuledansmachambre
maisquand jeme suis réveilléeetque je t’aivuàcôtédemoidans le lit, j’ai euenviede fondreenlarmes.Çam’abouleversée:j’avaisvraimentbesoindetoiàcemoment-là,ettuétaislà.Dèscetinstant,j’aisuquej’étaisamoureusedetoi.J’aimaistafaçondem’aimer.Etlorsquetum’asprisedanstesbras,j’aicomprisquequellequesoitlatournurequeprendraitmavie,c’étaitavectoiquejevoulaislapasser.Cettenuit-là,tuasconquisunmorceaugigantesquedemoncœur.
Jemepenchepourl’embrasseravectendresse.Ilfermelesyeuxetrenversedoucementlatêtecontrelelit.
—Gardelesyeuxouverts,jechuchoteenm’écartantdesabouche.Illesrouvreenmecontemplantd’unairsolennelquimetoucheenpleincœur.—Ilfautquetulesgardesouverts…carjeveuxquetumevoiest’offrirletoutderniermorceaude
moncœur.Ilrelâchelentementsonsouffleetj’ail’impressiondevoirlittéralementsessouffrancess’envoler.Il
serremesmainscontrelui,lalueurdanssesyeuxpasseimmédiatementd’undésespoirviolentàundésirfougueux.Ilseremetàaccompagnermesmouvementstandisqu’onseregardefixement.Nosdeuxêtressefondentl’undansl’autreàmesurequenoscorps,nosgestesetnosregardsexprimentensilencecequelesmotsnepeuventtraduire.
Ongardecettecadencecomplicejusqu’àladernièreseconde,alorsqu’ilestsaisiparlesfrissonsquisuccèdentàsadélivrance.Alorsquejesenssonpoulssecalmerunpeu,ilmelâchepourm’agripperlanuque et m’embrasse avec une passion implacable, puis il m’allonge par terre sur le dos, reprenantl’ascendantsurmoi,etm’embrasseencoreavecabandon.
Onpasselerestedelanuitàsedéclarermutuellementnotreamoursansprononcerlamoindreparole.Lorsquel’épuisementaenfinraisondenous, jem’assoupis,bercéeparunsentimentd’émerveillement.Onvientde se livrercorpsetâme l’unà l’autre. Jamais jenemeseraiscruecapabled’avoirun jourassezconfianceenunhommepourluiouvrirmoncœur,etencoremoinspourleluioffrirsansréserve.
Lundi29octobre2012
23h35
Lorsquejemeretournepourlechercheràtâtonsàcôtédemoi,Holdern’estpaslà.Jem’assoissurlelitetcommelanuitesttombée,jetendslebraspourallumerlalampedechevet.Seschaussuresn’étantpluslàoùillesavaitlaissées,jem’habillepuissorsdiscrètementpourpartiràsarecherche.
Je traverse la courmais ne l’aperçois nulle part du côté des cabanons.Alors que jem’apprête àrebrousser chemin, je le vois allongé sur la bordure de la piscine, les mains calées sous la tête, àcontemplerlesétoiles.Ilal’airincroyablementpaisible,sibienquejedécidedem’éclipserdansl’undestransatspournepasledéranger.
Pelotonnée sur le siège, lesmains rentréesdansmonpull, je l’observe.Lapleine lunebaigne soncorpsd’unelumièredoucequiluidonnepresquel’aird’unange.Ilauneexpressionsereinesurlevisage,etjesuisheureusequ’ilpuissetrouverenluisuffisammentdepaixpoursurmontercettejournée.JesaiscombienLessliecomptaitpourluietcombienilsouffreaujourd’hui.Jesaisexactementcequ’ilressent,carnotredouleurestdésormaiscommune.Quoiqu’ilendure,jepartagesasouffranceetréciproquement.Voilàcequiarrivequanddeuxpersonness’unissent:ellesnepartagentplusseulementdel’amour,maisaussitouteslessouffrances,leschagrinsetlestourmentsdel’autre.
Malgréledésastrequ’estencemomentmavie,unagréablesentimentdebien-êtrem’habitedepuisnotreétreintedecettenuit.Quoiqu’ilarrive,j’ailacertitudequeHolderm’aideraàtoutsurmonter.J’aicomprisquetantqu’ilferapartiedemavie,ilmeresteratoujoursdel’espoir.
—Vienst’allongeravecmoi,propose-t-ilsansdétacherlesyeuxducielquilesurplombe.Le sourire aux lèvres, jequittemonsiègepouraller le rejoindre.Lorsque j’arriveà sahauteur, il
enlèvesonblousonpourmel’offrirenguisedecouverture.Jem’allongesurlafraîcheurdubitumeetmeblottis contre son torse. Pendant qu’ilme caresse les cheveux, on fixe le ciel, admirant les étoiles ensilence.
Desbribesdesouvenirscommencentàremonteràlasurface,alorsjefermelesyeux,biendécidéecettefoisàmerappeler.Çasembleêtreunsouvenirjoyeuxets’ilyenad’autresdescommeça,jesuispreneuse.SerrantfortHolder,jemelaissehappersansretenueparceretourdanslepassé.
Treizeansplustôt
—Pourquoitun’aspasdetélévision?Çafaitmaintenantpleindejoursquejesuisavecelle.Elleesttrèsgentilleetjemeplaisbienici,
saufquelatélévisionmemanque.Enfin,pasautantqueDeanetLesslie.—Jen’aipasdetéléparcequelesgenssontdevenusaccrosàlatechnologieetqueçalesrend
paresseux,répondKaren.Jenecomprendspascequ’elleveutdiremaisjefaiscommesi.J’aimevraimentbiensamaisonet
jeneveuxsurtoutpasdirequelquechosequiluidonneenviedemeramenerchezmonpapa.Jeveuxpasrentrertoutdesuite.
—Hope, il y aquelques jours, je t’ai dit qu’il y avait quelque chosede très important dont jevoulaisteparler,tutesouviens?
Non,pastrop.Jefaistoutdemêmeouidelatêtepourluifairecroirelecontraire.Elledécalesachaisepourserapprocherdemoi.
—Écoutebiencequejevaistedire,d’accord?C’esttrèsimportant.J’acquiesceencore.J’espèrequ’ellenevapasannoncerqu’ellemeramènechezmoi.Jenesuis
pasprête.DeanetLessliememanquentbeaucoupmaisvraiment,j’aipasenviederentrerchezmonpapa.
—Est-cequetuconnaislasignificationdumot«adoption»?demande-t-elle.Jesecouelatête;jen’aijamaisentenducemot.—L’adoption,c’estquandunepersonneaimetrèsfortunenfant,àtelpointqu’elleaimeraitqu’il
soit son fils ou sa fille. Alors cette personne l’adopte afin de devenir lamaman ou le papa de cetenfant.
Ellemeprendlamainenlaserrant.—Jet’aimesifortquejevaist’adopterpourquetupuissesêtremafille.Jeluisourismaisenfait,jenecomprendsrienàcequ’elleraconte.—Tuvasvenirvivreavecmoichezmonpapa?Elleditnondelatête.—Non,mapuce.Tonpèret’aimetrès,trèsfortmaisilnepeutpluss’occuperdetoi.Ilabesoin
quejeveillesurtoidésormais,carilveutêtresûrquetusoisheureuse.Alorsàpartirdemaintenant,aulieudevivreavectonpapa,tuvashabitericiavecmoietjedeviendraitamaman.
J’ai enviedepleurermais je sais paspourquoi. J’aimebeaucoupKarenmais j’aimeaussimonpapa.LamaisondeKarenestjolie,ellecuisinebienetj’adoremachambre.J’aivraimenttrès,trèsenviederestericimaisjen’arrivepasàêtrecontenteparcequej’aimalauventre.Çaacommencéàmefairemalquandelleaditquemonpapanepouvaitpluss’occuperdemoi.Jemedemandes’ilestfâché.Jepréfèrenepasposerlaquestion.J’aipeurqu’ellepensequej’aitoujoursenviedevivreavecmonpapaetqueducoupellemeramènechezlui.J’aitroppeurderetournervivreaveclui.
—Tuescontentequejeveuillet’adopter?Tuasenviedevivreavecmoi?Oui,j’enaienviemaisjesuistristeparcequeçanousaprispleindeminutesoud’heurespour
arriverjusqu’icienvoiture.DonconestloindeDeanetLesslie.—Etmesamis?Jelesreverrai?Inclinant la tête vers moi, Karen sourit en ramenant une mèche de mes cheveux derrière mon
oreille.—Tuvastefairepleindenouveauxamis,mapuce.Jeluifaisunsourirebienquej’aiemalauventre.Jeneveuxpasdenouveauxamis,jeveuxDean
etLesslie.Ilsmemanquent.Jesensquej’ailesyeuxquibrûlent,j’essaiepourtantdenepaspleurer.Jeveuxpasqu’ellepensequejesuispascontentequ’ellem’adopteparcequec’estfaux,jelesuis.
—Net’inquiètepas,mapuce,ajouteKarenenmeserrantdanssesbras.Tulesreverrasunjour,tesamis.Maispourl’instant,onnepeutpasretournerlà-bas.Alorsonseferadenouveauxamisici,d’accord?
Jehochelatêteetelleplanteunbaiserdansmescheveux.Jeregardelebraceletàmonpoignet.J’effleurelepetitcœurenespérantqueLessliepenseàmoi.J’espèrequ’ilssaventquejevaisbiencarjeneveuxpasqu’ilss’inquiètent.
—Unedernièrechose,ajoute-t-elle.Çavateplaire,tuvasvoir.Karenselaisseallerenarrièreentirantunefeuilleetuncrayonjusqu’àelle.—Cequ’ilyademieuxquandonsefaitadopter,c’estqu’onalapossibilitédechoisirsoi-même
sonprénom.Tusavais,ça?Jedisnondelatête.Jesavaispas.—Avant qu’on te choisisse un prénom, il faut qu’on dresse la liste de ceux qu’on ne peut pas
utiliser.Parexemple,onnepeutpaschoisirtonancienprénom,nilessurnoms.Est-cequetuasdessurnoms?Unpetitnomquetonpapatedonne?
J’acquiescesansriendire.—Lequel?Jefixemesmainsendéglutissant.—«Princesse»,jedistoutbas.Maisjenel’aimepas.Maréponseal’airdelarendretriste.—Danscecas,onnet’appelleraplusjamais«princesse»,d’accord?«D’accord»,jefaisdelatête.Jesuiscontentequ’ellen’aimepascesurnomnonplus.—Donne-moidesexemplesdechosesqui terendentheureuse.Deschoses jolies,que tuadores.
Peut-êtrequ’ontetrouveraunprénomparmielles.Jen’aimêmepasbesoinqu’elleprennedesnotescariln’yaqu’unechosequicorrespondeàcette
description:—J’adoreleciel,jedisenrepensantauconseilqueDeanm’adonné.—Leciel…,répète-t-elle,songeuse.Quedirais-tudeSky?Jetrouveçaparfait,commeprénom.
Bon,maintenantréfléchissonsàunsecondprénom,parcequetoutlemondeenadeux.Qu’est-cequetuaimesd’autre?
Jefermelesyeuxpouressayerderéfléchirmaisjenetrouverien.Lecielestlaseulebellechosequej’aimeetquimerendeheureusequandj’ypense.Jerouvrelesyeuxenlaregardant.
—Ettoi,qu’est-cequetuaimes,Karen?Accoudéeàlatable,ellesouritenappuyantlementonsursamain.—Ilyadeuxchosesquej’adoremaissurtoutlapizza.Tuveuxqu’ont’appelleSkyPizza?Jeglousseenfaisantnondelatête.—C’esttropmoche.—OK,alorsvoyonsvoir…Quedirais-tudeNounours?Onpourraitt’appelerNounoursSky?
Jefaisencorenonenriant.Ellerelèvelatêteenreposantlamainsurlatableetsepencheversmoi.—Tuveuxsavoircequej’aimepar-dessustout?—Oui.—J’adorelesherbesmédicinales.Cesontdesplantesquiontlepouvoirdesoigneretj’adoreles
fairepousser,trouverdesremèdespouraiderlesgensàsesentirmieux.Unjour,j’aimeraisavoirunmagasindeplantesàmoi.Etsiontechoisissaitunnomdeplantepourteporterbonheur?Ilenexistedescentaines,dontcertainesportentdetrèsjolisnoms.
Elleselèvepourallerchercherunlivredanslesalonqu’ellerapporteàlatableetl’ouvreàunepage.
—Quepenses-tuduthym?propose-t-elleenmefaisantunclind’œil.Jepouffeenrefusantd’unsignedetête.—Sinon…calendula?Jerefuseencore.—Jesauraismêmepasledirecommeilfaut.Ellefroncelenez.—Trèsjuste.Ilfautquetupuissesprononcertonprénomtouteseule.Ellesepenchedenouveausur lapagepourenénoncerquelquesautresmais ilsnemeplaisent
pas.Alorsellecontinuesurlapagesuivantepuiselledit:—Et le tilleul?C’estplusunarbrequ’uneplantemaisses feuillesont la formed’uncœur.Tu
aimeslescœurs?—Letilleul…J’aimebiencenom.Ellesouritenrefermantlelivrepuissepencheversmoi.—Alorsdanscecas,vapourLindenSkyDavis1.Désormaistuasleplusjoliprénomdelaterre!
Nepensonsplusjamaisàtesanciensprénoms,d’accord?Àpartirdemaintenant,toutcequicompte,c’estcejoliprénometlajolieviequit’attend.Promis?Linden,letilleulenanglais.
—Promis,jeréponds.Etc’estvrai.Jeneveuxpluspenseràmesanciensprénoms,àmonanciennechambreniàtoutes
ceschosesquemonpapamefaisaitquandj’étaissaprincesse.J’adoremonnouveauprénometaussimanouvellechambreparcequeici,jenesuispasinquiètequelapoignéedelaportepivote.
Je tends les bras pour lui faire un câlin et elleme serre fort. Je suis heureuse car çame faitexactement l’effetque j’imaginaischaque foisque j’auraisvouluquemamamansoit encoreenviepourmeserrerdanssesbras.
1.Linden,letilleulenanglais.
Mardi30octobre2012
0h10
Jelèvelamainpouressuyerunelarmesurmajoue.Jenesaispastroppourquoi jepleure, là ;cesouvenirn’étaitpasvraimenttriste.Àmonavis,c’estparcequec’estàpartirdecemoment-làquej’aicommencé àme prendre d’affection pourKaren.Quand je pense à l’amour que j’ai pour elle et à cequ’elle a fait, çame rendmalade.Çame faitmalparceque j’ai l’impressiondeneplus la connaître,commes’ilexistaitchezelleunepartd’ombredontjenesoupçonnaismêmepasl’existence.
Cependant, ce n’est pas ce quim’effraie le plus. Ce quim’angoisse vraiment, c’est que la seulefacettequejeconnaissevraimentd’elle…nesoitenfaitqu’uneillusion.
—Jepeuxteposerunequestion?ditHolder,brisantlesilence.J’acquiesce,latêteappuyéecontresontorse,etj’essuieunedernièrelarme.Sentantquejefrissonne,
ilm’enlacepouressayerdemeréchaufferetmefrottelesépaules.—Tupensesqueçavaaller,Sky?Laquestionn’ariend’extraordinaire.Elleesttrèssimpleetdirecte,etpourtant,àmonsens,c’estla
questionlaplusdifficileàlaquelleilm’aitétédonnéderépondre.—J’ensaisrien,jedissincèrementenhaussantlesépaules.J’aienviedecroirequeoui,surtoutsachantqueHolderseraàmescôtés.Maispourêtrefranche,je
n’ensuisvraimentpaspersuadée.—Dequoias-tupeur?—Detout, jem’empressederépliquer.J’ai la trouilledemonpassé, la trouilledessouvenirsqui
envahissentmon esprit chaque fois que je ferme les yeux.La trouille de la scène dont j’ai été témoinaujourd’huietdesconséquencesquecelaaurasurmoilessoirsoùtuneseraspaslàpourmechangerlesidées.Latrouilledenepasêtreassezfortepsychologiquementpoursupportercequiarriverapeut-êtreàKaren.Etj’ailatrouilledepenserquejenesaismêmeplusquielleest.
Jesoulèvelatêtepourleregarder.—Maistusaiscequimefaitlepluspeur?Il me passe la main dans les cheveux sans détacher son regard du mien, pour me montrer qu’il
m’écoute.—Non,quoi?répond-ild’untonsincèrementintéressé.—Deme sentir coupéedeHope. Je sais bienqu’elle etmoi, on est lamêmepersonne,mais j’ai
l’impression que son vécu n’est pas vraiment le mien. Un peu comme si je l’avais laissée là-bas, àpleurerdans le jardin, terroriséepour toujours,pendantque jemontaisavecconfianceàborddecettevoitureetm’enallais.Aujourd’hui, je suisdeuxpersonnes totalementdistinctes. Je suisà la foiscettepetite fille qui restera à jamaismorte de peur… et celle qui l’a abandonnée. Jem’en veux tellement
d’avoirmisunmurentrecesdeuxviesetj’aipeurqu’aucunedecesviesoudecesfillesneréussisseunjouràretrouveruneunité.
Jecachemonvisagecontresontorse,conscientequecequejeraconteestsûrementabsurde.Holdermeplanteunbaisersurlatêtetandisquejelèvelesyeuxverslecielenmedemandantsijeseraiunjourcapabledemesentirnormale.C’étaitbeaucoupplussimpledenepasconnaîtrelavérité.
—Aprèsledivorcedemesparents,raconte-t-il,mamèreacommencéàsefairedusoucipourLessetmoi,alorsellenousaobligésàsuivreunethérapie.Çan’aduréquesixmois…maisjemesouviensque j’étais toujours trèsdurenversmoi-même.J’étaispersuadéqu’ilsavaientdivorcéàcausedemoi.J’avais le sentiment que l’erreur que j’avais commise le jour de ton enlèvement les avait stressés.Aujourd’hui je saisque lamajeurepartiede ceque jeme reprochais à l’époquen’était pasma faute.Maisunjour,monthérapeuteafaitquelquechosequi,d’unecertainefaçon,m’aaidé.Àl’époque, j’aitrouvéçavraimentgênantmaisdetempsentemps,jemesurprendsàlerefaire.Ilm’ademandédemereprésenter dans le passé et dem’adresser à l’enfant que j’avais été pour lui dire tout ce que j’avaisbesoindeluidire.
Ilsoulèvemonmentonpourm’obligeràleregarder.—Jecroisquetudevraisessayer.Jesais,laméthodeal’airunpeuridicule,expliquéecommeça,
maisjet’assure:çapourraitt’aider.IlfautqueturetournesdanslepassépourdireàHopetoutcequetuauraisaiméluidirelejouroùtul’aslaissée.
Jereposelementonsursontorse.—Commentça?Genre,jedoism’imaginerentraindeluiparler?—Exactement.Vas-y,essaie.Fermelesyeux.Jem’exécute.Jenesuispassûredecomprendrecequ’ilattenddemoiaujustemaisjelefaisquand
même.—C’estbon,tuesprête?—Oui.Jesuisprêtemaisjesaispastropcequejedoisfaire.—Imagine-toisimplementtellequetuesaujourd’hui,roulantjusquecheztonpèreettegarantdansla
rue,enfacedelamaison.MaisilfautquetutereprésentesHopetellequ’elleétaitàl’époque.Tuarrivesàterappelerlamaisonquandsafaçadeétaitblanche?
Tâchantdemeconcentrer,jeretrouveunevagueimagedecettemaisonaufinfonddemamémoire.—Oui.—Bien.Maintenant,va lavoirpour luiparler.Dis-luiquec’estunepetitefille trèscourageuseet
trèsjolie.Dis-luitoutcequ’elleabesoind’entendredetoi,Sky.Toutcequetuauraisaimépouvoirtedirecejour-là.
Une fois que j’ai fait le vide dansma tête, je suis son conseil. Jeme représente telle que je suisaujourd’huietlesconditionsdanslesquellesjeferaiscetrajetjusquechezmonpère.Jemeverraisbienvêtued’unepetiterobed’étéetlescheveuxrelevésenqueue-de-chevalparcequ’ilferaittrèschaud.J’aipresquel’impressiondesentirlesoleilcogneràtraverslepare-brise,meréchauffantlapeau.
Bien que peu enthousiaste, je me résous à descendre de voiture et à traverser la rue.Mon cœurs’emballeaussitôt.Jenesuispassûredevouloirlavoir;malgrétout,jesuislesinstructionsdeHolderetnem’arrêtepas.Dèsquelafaçadedelamaisonapparaît,jel’aperçois,assisesurlapelouse,lesbrascroiséssursesgenoux.Hopesecachelevisagepourpleurer.Çametordlecœur.
Lentement,jem’approcheetjemarqueuntempsd’arrêtavantdem’asseoirdansl’herbe,incapablededétacherlesyeuxdecettepetitefillevulnérable.Commejesuispositionnéejusteenfaced’elle,ellesortlégèrementlatêtedesesbraspourmeregarder.Àcetinstantprécis,sesgrandsyeuxmarronéteintsmebouleversent.Ilsnereflètentaucunejoie.Cependantjem’efforcedesourire:jeneveuxpasqu’ellevoiequesasouffranceestpourmoiundéchirement.
Paumeouverte,jetendslamainverselle,maisretiensmongesteaumomentdelatoucher.Sonregardtristes’arrêtesurmesdoigtsenlesfixant.Mesmainscommencentàtrembleretellelevoitbien.Lefaitqu’elleserendecomptequemoiaussij’aipeurm’aidepeut-êtreàgagnersaconfiancecarellerelèveunpeupluslatêtepuisdécroiselesbraspourposersatoutepetitemaindanslamienne.
Je contemple la main de mon enfance qui se cramponne à celle de mon présent, mais plus quesimplementsamain,j’aimeraisaussiprendretoutessessouffrancesetsespeurspourl’endébarrasser.
RepensantauxconseilsdeHolder,jem’éclaircislavoixenserrantsamain.—Hope.Ellecontinuedem’observerpatiemmentpendantquejepuiseenmoi-mêmelaforcedeluiparler…et
deluidiretoutcequ’elledoitsavoir.—Tusaisquetuesunedespetitesfilleslespluscourageusesquej’aiejamaisrencontrées?Ellesouffleenbaissantlesyeuxverslapelouse.—Non,c’estfaux,proteste-t-elledoucement,persuadéedecequ’elleavance.Jetendslebraspoursaisirsonautremainetlaregardedroitdanslesyeux.—Si,c’estvrai.Tuasuncourageincroyable.Ettuvast’ensortircartuaslecœursolide.Uncœur
capable d’aimer les autres et plein de choses dans la vie, comme jamais tu n’aurais cru qu’un cœurpouvaitaimer.Ettuesbelle, j’ajouteenpressantmamaincontresoncœur.Ici.Toncœurestvraimentbeauetunjour,quelqu’unaimeracecœurcommeilmérited’êtreaimé.
Ellereprendunemainpours’essuyerlesyeux.—Commenttusaistoutça?Jemepenchepourlaprendredansmesbrasetellemelaisselacâliner.Alorsjepenchelatêtepour
luichuchoteràl’oreille:—Jelesaisparcequej’aivécuexactementlamêmechosequetoi.Jesaiscombientonpetitcœur
souffreàcausedetonpapaparcequ’ilm’afaitsouffrirmoiaussi.Jesaisquetuledétestesàcausedeça,maisaussiquetul’aimestrèsfortparcequeçarestetonpapa.Etcen’estpasgrave,Hope.C’estnormalquetuaimessesbonscôtéscaraufond,iln’yapasquedelaméchancetéenlui.Etc’estnormalaussiquetudétestessesmauvaiscôtésquiterendentsitriste.Tuasledroitd’avoirtouslessentimentsquetuveux.Promets-moiseulementdenejamais,jamaistesentircoupable.Promets-moiquetunet’envoudraspas.Tun’espasresponsable.Tun’esqu’uneenfantetcen’estpas ta fautesi tavieestbeaucoupplusdifficilequ’ellenedevraitl’être.Mêmesiplustard,tuvoudrasoubliercepandetavie,ilfautquetut’ensouviennes.
Jesenssespetitsbrassemettreàtrembleralorsqu’ellepleureensilencecontremoi.Seslarmesmepoussentàdonnerlibrecoursauxmiennes.
—Jeveuxquetuterappellesquitues,endépitdesépreuvesquetutraverses.Carcesépreuvesnetedéfinissentpas.Cesontdesévénementsquiseproduisentdanstavie,c’esttout.Ilfautquetuacceptesquecequetuesetcequisepassedanstaviesontdeuxchosesdistinctes.
Jesoulèvedoucementsatêtepourplongermonregarddanssesgrandsyeuxpleinsdelarmes.—Promets-moiquequoiqu’ilarrive,tun’aurasjamaishonted’êtrequitues,mêmesituenmeurs
d’envie.Etpuis,çavapeut-êtreteparaîtreabsurdepourlemoment,maispromets-moiquetunelaisserasjamaisceschosesquetonpapatefaitdictertonavenir.Promets-moiqueHopenedisparaîtrajamais,jeconclusenessuyantseslarmes.
—Promis,acquiesce-t-elleenmesouriant.Pourlapremièrefoisdepuisquej’aicroisésonregard,j’yentrevoisunepetiteétincelledevie.Elle
s’agrippeàmoncoutandisquejelahissesurmesgenouxetlabercecontremoi.Onpleuredanslesbrasl’unedel’autre.
—Hope,jeprometsdeneplusjamaist’abandonner.Jevaist’emmeneravecmoiettegarderdansmoncœurpourtoujours.Tuneserasplusjamaisseule.
Meslarmescoulentdanssescheveuxmaisquandjerouvrelesyeux,c’estdanslesbrasdeHolderquejepleure.
—Tuluiasparlé?—Oui,jerépondssanschercheràcontenirmeslarmes.Jeluiaitoutdit.Holdercommenceàseredresseralorsj’enfaisautant.Ilsetourneversmoipourprendremonvisage
entresesmains.—Non,Sky.Cen’estpasàellequetuastoutdit…maisàtoi.C’esttoiquiasvécucedrame,pas
quelqu’und’autre.Hopel’avécu,Skyaussi,toutcommel’amiequej’aiaiméeduranttoutescesannéesetlafillequej’aimeaujourd’hui,etquimeregardeàcetinstantprécis.
Il m’embrasse puis s’écarte. Ce n’est qu’aumoment où je relève les yeux que je remarque qu’ilpleureluiaussi.
—Ilfautquetusoisfièred’avoirsurmontétoutcequetuasendurédanstonenfanceparcequemoijesuissacrémentfierdetoi.Nedistinguepascetteviedelatienne,aucontraire,intègre-la.Chaquefoisquejetevoissourire,jesuisfascinécarjesaisquelcourageilt’afallu,quandtun’étaisqu’unepetitefille,pourt’assurerquecettepartdetoines’éteignepas.Ettonrire,Sky?Tuneterendspascompte!Penseunpeu à la force qu’il t’a fallu pour réapprendre à rire après tout ce qui t’est arrivé.Et ton cœur…,ajoute-t-il en secouant la tête d’un air totalement perplexe. Le fait que ton cœur ait trouvé le moyend’aimerànouveauunhommeetdeluifaireconfianceprouvequejesuistombéamoureuxdelafemmelaplus courageuse que j’aie jamais connue. Je sais qu’il t’a fallu beaucoup de courage pourm’accepteraprèscequetonpèret’afait.Etjejuredepasserlerestantdemesjoursàteremercierdet’accordercebonheur.LindenSkyHope:mercidufondducœurdem’aimer.
Ilprononcechacundemesnoms lentement, sansmêmeessayerdeséchermes larmescar ilyenatrop. Jeme jette à son cou et le laissem’étreindre tout entière,moi et les dix-sept années quim’ontamenéeàêtrecellequejesuisaujourd’hui.
Mardi30octobre2012
9h05
Lesoleilestéclatant ; ildardeses rayonsà travers ledrapque j’ai tirésurmesyeux.Cependant,c’estsurtoutlavoixdeHolderquimeréveille.
—Écoutez,vousnevousrendezpascomptedecequ’elleatraversécesdeuxderniersjours…Soitpournepasmeréveiller,soitpourm’empêcherd’entendresaconversation,ils’efforcedeparler
doucement.N’entendantpersonne lui répondre, jeprésumequ’il est au téléphone.Reste à savoir avecqui.
—Jecomprendsquevousvoussentiezobligédeladéfendre,vraiment.Maisjevouspréviens:Skyneremettrapaslespiedsseuledanscettemaison.
Unelonguepauses’ensuitavantqu’ilnepousseungrossoupirdanslecombiné.—Jeveuxd’abordêtresûrqu’elleavalequelquechose,alorsaccordez-nousunpeudetemps.Oui,
promis.Jelaréveilledèsquej’airaccroché.Onpartd’iciuneheure.Ilneditpasaurevoirmaisjel’entendsreposerleportablesurlatable.Trèspeudetempsaprès,le
lits’enfonceetilglisseunbrassurmoi.—Debout,mechuchote-t-ilàl’oreille.Jenebougepas.—Jesuisréveillée,jerépondsdesouslescouvertures.Jesenssatêteappuyersurmonépaule.—Alorstuasentendu?devine-t-ilàvoixbasse.—Quic’était?Ilchangedepositionpourbaisserledrapsurmatête.— Jack. Apparemment, Karen lui aurait tout avoué hier soir. Il est inquiet pour elle. Il aimerait
vraimentquetuluiparles.Moncœurs’arrêtedebattre.—Elleaavoué?jerépète,méfiante,enmeredressant.Ilconfirmed’unsignedetête.—Onn’estpasentrésdanslesdétailsmaisilal’airdesavoirdequoiils’agit.Enrevanche,jeluiai
racontépourtonpère…uniquementparcequeKarenvoulaitsavoirsitul’avaisvu.C’étaitauxinfoscematin. Ils ont conclu à un suicide, compte tenu du fait qu’il avait lui-même passé l’appel radio. Ilsn’ouvrentmêmepasd’enquête.
Ilmeprendlamainenlacaressantdupouce.—Sky,Jackal’airvraimentpresséquetureviennes.Etàmonavis,ilaraison…Ilfautqu’onrentre
etqu’onenfinisse.Tuneseraspasseule.Jeseraiàtescôtés,Jackaussi.EtKarenal’airdesemontrer
coopérante.Jesaisquec’estdifficilepourtoimaisonn’apaslechoix.Ilmeparlecommesij’avaisbesoind’êtreconvaincuealorsqu’aufond,jesuisprête.Ilfautquejelui
parle face à face pour obtenir des réponses aux dernières questions que je me pose. Repoussantcomplètementlescouvertures,jemeglisserapidementhorsdulitetmelèveenm’étirant.
—Ilfautd’abordquejemelavelesdentsetquejemechange.Ensuite,situveux,onyva.Jeparsdanslasalledebainssansmeretournermaisjesensd’iciqu’ildébordedefierté.Ilestfier
demoi.
***
Unefoisenroute,Holdermetendsontéléphone.—Tiens.BreckinetSixsonttrèsinquietspourtoi.Karenatrouvéleurnumérodanstonportableet
lesaappeléstoutleweek-enddansl’espoirdeteretrouver.—Tuleurasparlé?Ilacquiesce.—J’aieuBreckincematin,justeavantqueJackappelle.Jeluiairacontéquetut’étaisdisputéeavec
tamèreetquetuavaisjustebesoindet’échapperquelquesjours.L’explicationestpassée.—EtSix?Ilmelanceuncoupd’œilenesquissantunpetitsourire.— Elle, il vaudrait mieux que tu l’appelles. On a échangé quelques e-mails et j’ai essayé de la
rassurerenluiracontantlamêmehistoirequ’àBreckinmaisellen’yapascru.EllearépliquéqueKarenettoinevousdisputiezjamaisetquej’avaisintérêtàluidirelavéritésinonellerentraittoutdesuiteauTexaspourmecasserlagueule.
Je grimace, consciente que Six doit être folle d’inquiétude.Ça fait des jours que je ne lui ai pasenvoyédetexto,alorsjedécidedereportermonappelàBreckinetd’envoyerd’abordunmessageàSix.
—Commentonfaitpourenvoyerune-mailàquelqu’un?Holdermereprendletéléphonedesmainsenriant,appuiesurquelquesboutonsetmelerendenme
montrantl’écran.—Tapesimplementcequetuveuxluiécrireici,etaprèsrepasse-le-moi,jel’enverrai.J’écrisunbrefmessagedanslequeljeluiexpliquequej’aidécouvertdeuxoutroischosesconcernant
monpasséetquej’aieubesoindeprendreunpeuderecul.Jeluiprometsdel’appelertrèsvitepourtoutluiraconter,bienquejenesachepastropsijeluidiraitoutelavérité.Pourl’instant,jenesuispassûred’avoirenviequelesgenssoientaucourant.Dumoins,pastantquejen’auraipasobtenulesréponsesàmesquestions.
Holderenvoiel’e-mailpuisilmeprendlamain.Reportantmonattentionau-dehors,jecontemplelecielàtraverslafenêtre.
Aprèsavoirroulésansriendirependantplusd’uneheure,Holdermelance:—Tuasfaim?Jeluifaisnondela tête.Sachantquejem’apprêteàaffronterKaren, jesuisbientroptenduepour
avalerquoiquecesoitoumêmetenirunesimpleconversation.Enfait,jesuistroptenduepourfaireautrechosequederegarderfixementparlafenêtreenmedemandantoùjeseraidemainàmonréveil.
—Écoute,Sky.Tuasàpeinemangédepuistroisjoursetvuquetuastendanceàtomberfacilementdanslespommes,jepensequeçaneteferaitpasdemaldegrignoterunbout.
Conscientequ’ilnelâcherapasl’affaire,jecèdeenronchonnant:—D’accord.
Comme je n’arrive pas à décider d’un endroit où déjeuner, il finit par opter pour un restaurantmexicainenbordurederoute.Histoiredeletranquilliser,jecommandeunplat,mêmes’ilyadegrandeschancespourquejesoisincapabled’enavaleruneseulebouchée.
—TuveuxjoueràQuestionsPourUnDîner?propose-t-ilenplongeantunefritedanslepotdesauceépicée.
Jehausselesépaules.Jen’aiaucuneenviederuminercequim’attenddanscinqheures,alorscejeum’aiderapeut-êtreàmechangerlesidées.
— Pourquoi pas.Mais à une condition : interdiction de poser des questions en rapport avec lespremièresannéesdemavie,cestroisderniersjoursoulesprochainesvingt-quatreheures.
Holdersourit,visiblementsoulagé.Siçasetrouve,luinonplusn’apasenviedeparlerdetoutça.—Lesdamesd’abord,suggère-t-il.—Danscecas,reposeça,jedisenlevoyantprêtàfourreruneautrefritedanssabouche.Illaregardeenfronçantlessourcils,amusé.—Dépêche-toideposertaquestionalors,parcequejemeursdefaim!Jeprofitedesagalanteriepourboireunegorgéedesodaetgoûterlafritequejeviensdeluiprendre
desmains.—Qu’est-cequiteplaîttantdanslacourseàpied?—Jesaispastrop,répond-ilens’adossantàsonsiège.J’aicommencéàcourirquandj’avaistreize
ans.Audébut,c’étaitpouréchapperàLessetàsescopinescasse-pieds.Parfois,j’avaisbesoindesortirde la maison. Les cris perçants et les gloussements d’une bande de filles de treize ans, ça peut êtreextrêmement pénible, tu sais. J’aimais bien le silence que je retrouvais en courant. Au cas où tu nel’auraispasremarqué,jesuisunpeudugenreàcogiter,alorscourirm’aideàfairelevide.
—J’avaisremarqué,jedisenrigolant.Ettuastoujoursétécommeça?Ilmelanceungrandsourireespiègleensecouantlatête.—Çafaitdeuxquestions.Àmoi!Ilmeprenddesmainslafritequej’étaissurlepointdemangeretlafourredanssabouche.—Pourquoitunet’esjamaisprésentéeauxsélectionsd’athlétisme?Unsourcilarqué,jem’étonne:—C’estdrôlequetuposescettequestionmaintenant.C’étaitilyadeuxmois.Secouantlatête,ilpointeunefritesurmoi:—Onnecritiquepaslechoixdemesquestions.—D’accord, je concède en riant.Écoute, franchement, j’en sais rien.Le lycéene correspondpas
vraimentàl’idéequejem’enétaisfaite.Jenem’attendaispasàcequelesfillessoientsiméchantes.Pasuned’entreellesnem’aadressélaparole,saufpourmedirequej’étaisunevraietraînée.Breckinaétéleseuldetoutel’écoleàfaireuneffort.
—C’estpasvrai,rétorqueHolder.TuoubliesShayla.Jepouffe.—Shayna,tuveuxdire?—C’estça,répond-ilensecouantlatête.Allez,àtoi.Ils’empressedefourreruneautrefritedanssaboucheenmelançantungrandsourire.—Pourquoitesparentsontdivorcé?Sonsouriresecrispeunpeuetilpianotesurlatableenhaussantlesépaules.—Jepensequ’ilétaittempspoureux,avoue-t-ilavecindifférence.—Ilétaittemps?jerépète,déconcertéeparcetteréponseévasive.Lesmariagesontunedatelimite
deconsommation,denosjours?Ilhausselesépaules.—Pourcertainespersonnes,oui.
Son raisonnement commence àm’intriguer. J’espère qu’il ne va pas décider que c’est à son tour,maintenantquej’airenchériaveccettequestion,carj’aimeraisvraimentavoirsonavissurlesujet.Nonquej’envisagedememarierbientôt,maisétantdonnéquejesuisamoureusedelui,çaneseraitpasplusmaldeconnaîtresaposition,histoirequejenetombepastotalementdesnuesd’iciàquelquesannées.
—Pourquoituconsidèresqueleurmariageétaitarrivéàexpiration?—C’est le lot de tous ceuxqui consentent à semarier pourdemauvaises raisons.Lemariagene
facilite pas la vie… au contraire : ça la complique. Si on épouse quelqu’un dans l’espoir que ça vaarranger les choses, autant enclencher tout de suite le compte à rebours à partir dumoment où on dit«Oui».
—Pourquellesmauvaisesraisonsilssesontmariés?—Lessetmoi,lâche-t-ild’untonneutre.Çanefaisaitpasunmoisqu’ilsseconnaissaientquandma
mèreesttombéeenceinte.Monpèrel’aépouséeenpensantbienfairealorsqu’ilauraitpeut-êtremieuxfait,d’abord,denepaslamettreencloque.
—Lesaccidents,çaarrive.—Jesais.C’estbienpourçaqu’aujourd’huiilssontdivorcés.Jesecouelatête,attristéequ’ilattacheaussipeud’importanceaumanqued’amourentresesparents.
Cependantlepetitgarçondedixansqu’ilétaitaumomentdesfaitsn’apeut-êtrepaspriscedivorceavecautantdelégèreté.
—Pourtoi,touslesmariagesnedébouchentpasforcémentsurundivorce,si?Lesbrassurlatable,ilsepencheversmoi,lesyeuxplissés.—Sky,jen’aiaucunproblèmeàl’idéedem’engager,sic’estçaquetuveuxsavoir.Unjour,dansun
avenir très, très, très lointain…genreaprès la fac…quand je t’auraidemandéeenmariage…etça, tupeux compter dessusparceque tu nevas te débarrasser demoi commeça… je ne t’épouserai pas encroisantlesdoigtspourquenotremariagefonctionne.Lejouroùtudeviendrasmafemme,ceserapourl’éternité. Je te l’ai déjà dit : la seule chose qui compte pourmoi, c’est que nous deux, ce soit pourtoujours,etjesuistrèssérieux.
Jesouris,encoreplusamoureusequejenel’étaisilyatrentesecondes.—Pourunefoisquetunemetspastroisheuresàpréparertaréponse!— C’est normal, mon avis ne date pas d’hier : le jour où je t’ai croisée au supermarché, j’ai
immédiatementenvisagédepasserlerestedemavieavectoi.Nosplatsn’auraientpaspuarriveràunmeilleurmomentcarjenesaispasdutoutquoirépondreà
ça.J’attrapemafourchettepourattaquermaisiltendlebrasau-dessusdelatablepourmel’arracherdesmains.
—Onnetrichepas!Lejeun’estpasfinietj’allaisteposerunequestiontrèsintime.Il prend une bouchée de son plat qu’il mâche lentement pendant que j’attends qu’il me pose sa
fameusequestion«trèsintime».Aprèsavoirbuuncoup,toutsourire,ilprendunedeuxièmebouchéeenm’observant,mefaisantlanguir.
—Bon,tumelaposes,cettequestion?jerelanceenfaisantmined’êtreagacée.Ilritens’essuyantlaboucheavecsaservietteenpapier.—Est-cequetuprendslapilule?chuchote-t-ilensepenchantversmoi.Saquestionmefaitéclaterderirecarellen’a riende très intimequandon laposeà la filleavec
laquelleoncouche.—Non.Jen’aijamaisvraimenteuderaisondelaprendreavantquetudébarquesdansmavie.—Ehbien,çavachanger,décrète-t-il.Prendsrendez-vouscettesemaine.Jemebraqueunpeudevantcetonbrutal.—Tusaisquetupourraisledemanderunpeuplusgentiment?Ilhausseunsourcilenbuvantunegorgéepuisreposecalmementsonverredevantlui.
— Je reformule, reprend-il tout bas d’une voix rauque : j’ai l’intention de te faire l’amour.Trèssouvent.Presquechaquefoisqu’onenaural’occasion,enfait,parcequ’endépitdescirconstances,ceweek-end dans tes brasm’a beaucoup plu.Donc afin que je puisse continuer à te faire l’amour, je teseraistrèsreconnaissantdebienvouloirprendretesdispositionspourqu’onneseretrouvepasobligésdesemarierpouruneduréelimitéeàcaused’unegrossesse.Tucroisquetupourraisfaireçapourmoi?Commeça,onpourralaissernotreappétitsexuels’exprimerentoutelibertéettrès,très,trèssouvent,tuvois?
Sans le quitter des yeux, je poussemon verre vide vers la serveuse qui est en train de dévisagerHolder,l’airtotalementmédusée.
— C’est beaucoup mieux, je réponds en gardant mon sérieux. Et en effet, je devrais pouvoirm’arranger.
Ilhochelatête,puisposesonverreàcôtédumienenlançantunregardàlafille.Ellefinitparsortirdesatranseets’empressedenousresserviravantdes’éclipser.Dèsqu’elleestpartie,jefusilleHolderduregard,mortifiée.
—DeanHolder,tuesdiabolique!—Benquoi?rétorque-t-ilenouvrantdegrandsyeuxinnocents.—Tudevrais avoir interdiction de prononcer lesmots « faire l’amour » et « sexe » en présence
d’unefemmeendehorsdecellequialachancedesortiravectoi.Jecroisquetuneterendspascomptedel’effetquetuleurfais.
Ilsouffleenbalayantmaremarqued’ungeste.—Jet’assure,Holder.Loindemoil’idéedeflattertonegosurdimensionnémaisilfautbienquetu
comprennesqu’auxyeuxdepresquetouteslesfemmesayantuncœurquibat,tuesextrêmementséduisant.Regarde:jenecomptemêmepluslenombredemecsquej’aiconnusdansmavie,ettuesleseulquim’aitvraimentattirée.Commentt’expliquesça?
Iléclatederire.—Facile.—Ahoui,pourquoi?—Parce que, réplique-t-il enme lançant un regard qui en dit long, avantmêmedeme croiser au
supermarché, tum’aimaisdéjà.Tuavaispeut-être réussi à refouler les souvenirsque tuavaisdemoi,maistoncœur,lui,n’avaitrienoublié.
Ils’apprêteàengloutirunecopieusebouchéemaismarqueuntempsd’arrêt.—Aprèstout,tuaspeut-êtreraison.Siçasetrouve,c’estjustedûaufaitquetuastoutdesuiteeu
enviedeléchermesfossettes,ajoute-t-ilavantdefourrerlafourchettedanssabouche.—Ça,c’estsûr.Lesfossettesontjouéunrôledécisif!jeconfirmeavecmalice.Depuisnotrearrivéedanscerestaurantilyaunedemi-heure,jenecomptepluslenombredefoisoù
Holderm’afaitsourireetj’aimêmeréussijenesaiscommentàmangerlamoitiédemonplat.Mêmesuruneâmemeurtrie,saseuleprésencefaitdesmerveilles.
Mardi30octobre2012
19h20
Onn’estplusqu’àunpâtédemaisonsdechezKarenquandjedemandeàHolderdes’arrêter.Monappréhensionétaitdéjàunsupplicependant touteladuréedutrajet jusqu’icimaismaintenantqu’onestpresquearrivésc’estcarrémentterrifiant.Jen’aiaucuneidéedecequejevaisluidireoudel’attitudequejesuiscenséeadopteraumomentdefranchircetteporte.
Holderserangesurlebas-côté,serrelefreinàmainetmelanceunregardembêté.—Besoind’unepausechapitre?devine-t-il.J’acquiesceeninspirantàfondtandisqu’ilmeprendlamain.—Qu’est-cequitefaitlepluspeuràl’idéedelarevoir?—Quoiqu’ellemedisecesoir,jerépondsenpivotantverslui,j’aipeurdenejamaisréussiràlui
pardonner.Jesaisqu’enfindecompte,mavieaétéplusbelleavecellequ’ellenel’auraitétésij’étaisrestéeavecmonpèremaisellenepouvaitpasêtreaucourantdecequisepassaitquandellem’aenlevée,c’est impossible.Maintenantque je sais cedont elle est capable, je voispas comment jepourrais luipardonner.Si jen’aipasétécapabledepardonnersesabusàmonpère…alors jepensequ’ellene leméritepasdavantage.
Ilmecaresseledessusdelamain.—Tupeuxnejamaisluipardonnerdet’avoirenlevée,maistupeuxaussiluiêtrereconnaissantede
laviequ’ellet’aofferteaprès.Elleaétéunebonnemèrepourtoi,Sky.Gardeçaentêteaumomentdeluiparlertoutàl’heure,d’accord?
Jepousseunsoupirnerveux.—C’estjustementcequejen’arrivepasàoublier:c’estvrai,elleaétéunetrèsbonnemèreetc’est
pourçaquejel’adore.Jel’aimeénormémentetj’ailatrouilledelaperdre.Holderm’attirecontreluipourmeserrerdanssesbras.—Jecomprends.Moiaussij’aipeurpourtoi,mabelle,avoue-t-il,refusantdefairecommesitout
allaitforcéments’arranger.Ce qui nous unit à cet instant, c’est la peur de l’inconnu. Aucun de nous ne sait quelle tournure
prendrama vie une fois que j’aurai pénétré dans cettemaison, nimême si c’est un chemin que nouspourronssuivreensemble.
Jem’écarteetreposelesmainssurmesgenoux,rassemblantmoncouragepourqu’onenfinisse.—Jesuisprête.Ilhochelatête,redémarreettourneaucoindelarueavantdesegarerdansmonallée.Enapercevant
lamaison,mesmainssemettentàtremblerdeplusbelle.AumomentoùJacksortsurleperron,Holderouvresaportièreetseretourneversmoi:
—Attends-moiici.JevoudraisparleràJackd’abord.Je reste assise sans bouger, comme ilme l’a demandé, pas franchement pressée de sortir de cette
voiture.JeregardeHolderetJacks’entretenirunpetitmoment.LefaitqueJacksoittoujourslà,àsoutenirKaren,mepousse àmedemander si elle lui avraiment avoué cequ’elle a fait. Jedoutequ’il soit aucourantdetoutelavérité,sinonilseraitdéjàparti.
Holderrevient,ilouvremaportièreets’accroupitprèsdemoi.—Prête?demande-t-ilenm’effleurantlajoue.J’acquiescemachinalement,sansavoir l’impressiond’êtremaîtredemesmouvements.Jevoismes
piedssortirde lavoitureetmamainattrapercelledeHoldermais jenesaispascommentmoncorpsréussitàbougeralorsquementalement,jeluttepourresterassisedanscettevoiture.Jenesuispasprêteàentreretpourtant,jecontinuequandmêmedem’éloignerdelavoiture,endirectiondelamaison.Lorsquej’arrivedevantlui,Jacks’avanceetdèsquesesbrasfamiliersm’étreignent,jereprendsbrusquementmesespritseninspirantàfond.
— Merci d’être revenue, dit-il. Elle va pouvoir tout t’expliquer. Promets-moi de lui en laisserl’occasion.
Jem’écartepourleregarderdanslesyeux.—Tuesaucourantdecequ’elleafait,Jack?Ellet’araconté?Ilhochelatête,peiné.—Oui,etjesaisquec’estdouloureuxpourtoi.Maislaisse-latedonnersaversiondesfaits.Unbrastoujourssurmesépaules,ilsetourneverslamaisonenmefaisantpivoteraveclui.Holder
me prend la main et tous deux m’accompagnent jusqu’à l’entrée comme si j’étais une petite fillevulnérable.
Jenelesuispas.Jem’arrêtesurlesmarchesetleurdis:—Jevoudraisluiparlerseuleàseule.Jesais,jepensaisavoirenviequeHoldersoitàmescôtés,maisfinalementj’aibesoindemeprouver
quejesuisforte.J’adoresoncôtéprotecteurmaisceface-à-faceestl’épreuvelaplusdifficilequej’aieeueà affronterde toutemavie et jeveuxpouvoirdireque je l’ai surmontée seule. Si j’y arrive sansl’aidedepersonne,alorsjesaisquej’aurailaforcedetoutaffronter.
Ilsnes’yopposentnil’unnil’autre,cedontjeleursuisreconnaissante.Jesaisquec’estunepreuvedeconfiance.Holdermeserrelamainetm’inciteàyaller,l’aireffectivementconfiant.
—Jenebougepas,jet’attendslà,assure-t-il.Aprèsavoirprisunegrandeinspiration,j’ouvrelaporte.Jepénètredans lesalonetenm’apercevant,Karen,qui tournecommeun lionencage,se retourne
brusquement.Dèsquenosregardssecroisent,elleperdsoncalmeetseprécipiteversmoi.Jenesaispasquelletêtejem’étaisimaginéqu’elleferaitaumomentoùjepasseraiscetteportemaisunechoseestsûre,jenem’attendaispasàlavoiraussisoulagée.
—Tuessaineetsauve!s’exclame-t-elleensejetantàmoncou.M’agrippantlanuque,ellemeserrecontreelleetfondenlarmes.— Je suis vraiment désolée, Sky ! Je suis désolée que tu l’aies appris avant que j’aie pu tout
t’expliquer.Elles’efforcetantbienquemaldeparlermaissessanglotsredoublent,deplusenplusviolents.Sa
détressemefendlecœur;sesmensongesnepeuventpaseffacerinstantanémenttoutl’amourquejeluiaiportéduranttreizeans,alorslavoirsouffrirmefaitsouffriraussi.
Tenantmonvisageentresesmains,elleplongesonregarddanslemien.—Je te jureque je comptais tout te révéler à tesdix-huit ans. Je suisdésoléeque tu aiesdû tout
découvrirpartoi-même.J’aijustementfaittoutcequej’aipupouréviterqueçan’arrive.
Jerepoussesesmains.—Pourlemoment,jenesaisabsolumentpasquoitedire,maman.J’aidesmilliersdequestionsàte
posermaisj’aitroplatrouille.Situyréponds,commentjesauraiquetudislavérité?Qu’est-cequimeditquetunevaspasencoremementircommetul’asfaitpendanttreizeans?
Karen s’approchedubar de la cuisinepour attraper une serviette enpapier et s’essuyer les yeux.Tremblante,elleprendquelquesgrandesinspirationspourtenterdereprendresesesprits.
—Vienst’asseoirprèsdemoi,mapuce,suggère-t-elleenpassantdevantmoipoursedirigerverslecanapé.
Sansbougerd’uniota,jelaregardeprendreplaceetreleverversmoidesyeuxdévastés.—Jet’enprie,insiste-t-elle.Jesaisquetuteméfiesetc’estbiennormalaprèscequej’aifait.Mais
tusaisquejet’aimeplusquetoutaumondeetsitutrouveslaforcedelereconnaître,alorstupourrasmelaisserunechancedet’expliquer.
Son regard est empreint de sincérité.Rien que pour ça, j’accepte dem’installer à l’autre bout ducanapé.Elleprendunegrandeinspirationpuisrelâchesonsoufflepoursecalmer,letempsdetrouverlecouragedeselancer.
—Afindepouvoirt’expliquerlavéritésurtonpassé…ilfautd’abordquejeteracontelemien.Elles’interromptuninstantens’efforçantdenepascraquerànouveau.Jevoisbiendanssesyeux
quelerécitqu’elles’apprêteàlivrerluiestpresqueinsupportable.J’aienvied’allerlaprendredansmesbrasmaisc’estimpossible.J’aibeaul’aimer,jenepeuxpaslaconsoler.
—J’avaisunemèremerveilleuse,Sky.Tu l’auraisadorée, toiaussi.Elle s’appelaitDawn,etellenousaimaitdetoutsoncœurmonfrèreetmoi.MonfrèreJohnavaitdixansdeplusquemoi,desortequenous n’avons jamais souffert de rivalités fraternelles durant notre enfance. Ilmeprotégeait.C’était ungrandfrèreformidable,commemamère.Malheureusement,quandj’aieutreizeans,lefaitqueJohnfûtcommeunpèrepourmoiestdevenuuneréalité:mamèreestmorte.
«À l’époque,Johnn’avaitquevingt-troisansetétait fraisémoulude la fac.Aucunmembrede lafamillen’étaitdisposéàmerecueillir,alorsilaprissesresponsabilités.Audébut,çanesepassaitpastropmal.MamèrememanquaiténormémentetJohn,lui,avaitdumalàaccepterlaresponsabilitéqu’ilvenaitd’endosser.Ilvenaitdecommenceràtravailleretilenvoyaitdedures,autantquemoi.Quandj’aieuquatorzeans,lestressliéàsonmétieracommencéàsérieusementleminer.Ils’estmisàboireetmoiàmerebellerenrentrantplustardquejen’auraisdûquandjesortais.
«Unsoiroùj’avaisabusé,ilétaittrèsencolèrecontremoi.Trèsvite,notredisputes’esttransforméeenbagarreetilm’abattue.Iln’avaitjamaislevélamainsurmoietçam’aterrifiée.Jemesuisréfugiéedans ma chambre et quelques minutes après, il est venu s’excuser. Son comportement des moisprécédents,dûà l’abusd’alcool,m’effrayaitdéjà,alorssienplus,ça lepoussaitàmefrapper…cettefoisj’étaisterrorisée.
Karenchangedeposition,malàl’aise,etsepenchepourboireunegorgéed’eau.Jelaregardeporterleverreàsabouched’unemaintremblante.
— Il a essayé de s’excusermais je n’ai rien voulu savoir, poursuit-elle.Mon entêtement l’amisencoreplusen rogne, alors ilm’a repoussée sur le lit en semettant àmehurlerdessus. Il s’estmisàvociféreretàmereprocherd’avoirgâchésavie.Ilaajoutéquejeferaismieuxdeleremercierdetoutcequ’ilfaisaitpourmoi…quejeluiétaisredevablecarilétaitobligédetravaillertrèsdurpourpouvoirs’occuperdemoi.
Les yeux à nouveau embués de larmes, Karen s’éclaircit la voix et s’efforce de poursuivre sondouloureuxrécit.Ellearrêtesonregardsurmoietjecomprendsquelaphrasequiluibrûlelalangueàcetinstanttientpresquedel’inavouablepourelle.
— Sky…, reprend-elle douloureusement, cette nuit-là,mon frèrem’a violée. Non seulement cettefois-là,maisaussipresquetouteslesnuitsquiontsuividurantdeuxannéesd’affilée.
Lesoufflecoupéparl’horreur,jeplaquelesmainssurmabouche.Jedevienslivide,maisplusquemonvisage,j’ail’impressionquec’estmoncorpstoutentierquisevidedesonsang.Anéantieparcetaveu,jeredoutepar-dessustoutcequ’elles’apprête,àmonavis,àmerévéler.Ladétressequiselitdansses yeux est encore pire que celle que j’éprouve. Plutôt que d’attendre qu’elle le dise, je lui pose laquestiondebutenblanc:
—Maman…John…c’étaitmonpère,n’est-cepas?Elleacquiescebrièvement.—Oui,mapuce.C’étaittonpère.Jesuisvraimentdésolée.Moncorps se crispedansunbrusque sanglot etdèsquemes larmes semettent à couler,Karen se
précipitepourmeprendredanssesbras.—Jesuistellementdésoléequ’ilt’aitfaitça,jedisensanglotant,cramponnéeàelle.Karenseblottitcontremoisurlecanapéetonrestelà,àpleurerdanslesbrasl’unedel’autreàcause
deshorreursquenousainfligéesunhommequ’onaimaitdetoutnotrecœur.—Çanes’arrêtepaslà,reprend-elle.Jeveuxquetusachestout,d’accord?Jehochelatêtetandisqu’elles’écarteunpeuenmeprenantlesmains.—Àseizeans,j’aiconfiéàuneamiecequ’ilmefaisait.Elleenaparléàsamère,quil’aensuite
signaléauxautorités.Àcetteépoque,Johnétaitpolicierdepuistroisansetilcommençaitàsefaireunnom.Quandon l’a interrogésur les faitsqui luiétaient reprochés, ilaprétenduque j’affabulaisparcequ’ilm’interdisait devoirmonpetit copain.Au final, il a étédisculpé, et l’affaire classée sans suite.Maisjesavaisquejenepourraisjamaisretournervivreaveclui.J’aihabitéchezdifférentsamisjusqu’àcequej’obtiennemonbacdeuxansplustard.Jeneluiaiplusjamaisreparlé.Sixannéessesontécouléesavantquejelerecroise.Àl’époque,j’avaisvingtetunansetj’étudiaisàlafac.Jemetrouvaisdansunsupermarchéquandsoudain,j’aientendusavoixdansl’alléevoisine.Figéesurplace,j’aitendul’oreilleenretenantmonsouffle.J’aurais reconnusavoixentremille.Quandonest terrifiéparunevoix, ilyaquelquechoseenellequi,quoiqu’ilarrive,restegravéàjamaisdanslamémoire.Maiscejour-là,cen’est pas sa voix qui m’a pétrifiée… c’est la tienne. En l’entendant parler à une petite fille, j’aiimmédiatementpenséàtoutescesnuitsoùilabusaitdemoi.J’étaisécœurée:jesavaiscedontilétaitcapable.Jevousaisuivisàdistancepourvousobserverunpeu.Àunmomentdonné,ils’estéloignéunpeuduchariotet j’aiattirétonattention.Tum’asscrutéeunlongmoment…et tuétais lapetitefille laplusjoliequej’avaisjamaisvue.Maisaussilaplustriste.Àlasecondeoùnosregardssesontcroisés,j’aicomprisqu’iltefaisaitsubirexactementlamêmechose.J’ailuladétresseetlapeurdanstesyeux.Durantlesjoursquiontsuivi,j’aipassémontempsàessayerdetrouverunmaximumd’informationssurtoietsurlarelationquetuentretenaisaveclui.J’aiappriscequiétaitarrivéàtamèreetqu’ilt’élevaitseul.Finalement,j’aitrouvélecouragedeledénoncerenpassantuncoupdefilanonymeàlapolicedansl’espoirqu’ilauraitenfincequ’ilméritait.Unesemaineplustard,j’aiapprisqu’aprèst’avoirinterrogée,lesservicessociauxavaientclasséledossiersanssuite.J’ignoresilefaitqu’ilétaithautplacédanslahiérarchiepolicièreainfluencécettedécisionmaisjeseraisprêteàleparier.Entoutcas,çafaisaitdeuxfoisqu’ils’entiraitentouteimpunité.Jenesupportaispasl’idéedetelaisservivreavecluiensachantce que tu endurais. J’imagine que j’aurais pu trouver une autre solution mais j’étais jeune, et morted’inquiétudepourtoi.Lajusticenousavaitdéjàlaisséestomberpardeuxfoisalorsjenesavaisplusquoifaire.Quelquesjoursplustard,j’aiprisunedécision.Sipersonnenesedécidaitàt’aideràluiéchapper,moi,j’allaislefaire.Lejouroùjemesuisgaréedevantcheztoi…Jen’oublieraijamaislapetitefilleeffondrée qui pleurait, la tête cachée dans les bras, assise toute seule sur la pelouse. Quand je t’aiappelée,quetut’esapprochéeetqu’ensuitetuesmontéedanslavoiture,j’airedémarréetjen’aiplusjamaisregardéenarrière.
Karenserremesmainsenplongeantsonregarddanslemien.
—Sky,dit-elle, je te juredu fondducœurque j’ai seulementvoulu teprotéger. J’ai fait toutmonpossiblepourl’empêcherdeteretrouveretpourquetuneleretrouvespasnonplus.Onn’aplusjamaisreparlédeluietj’aifaitdemonmieuxpourt’aideràsurmontertontraumatisme,pourquetureprennespeu à peu une vie normale. J’étais consciente que je n’allais pas pouvoir pas te cacher la véritééternellement,qu’unjourviendraitoùjedevraisassumermonacte…maisàmesyeuxc’étaitsecondaire.Etjelepenseencoreaujourd’hui.Laseulechosequim’importait,c’étaitdetemettreàl’abrijusqu’àcequetusoissuffisammentâgéepourqu’onneterenvoiejamaisvivreaveclui.Laveilledetonenlèvement,jesuisalléecheztoiquandiln’yavaitpersonne.Jem’ysuisintroduitecarjevoulaistrouverquelquesaffairesquipourraientteréconforterunefoisquetuseraisensécuritéchezmoi.Undoudououtapeluchepréférée,par exemple.Maisenarrivantdans ta chambre, jeme suis renducompteque riendanscettemaisonnepourraitjamaisteconsoler.Situmeressemblaisunpeu,toutcequiavaitunrapportavecluiterappelleraitconstammentcequ’ilt’avaitfait.Alorsjen’airienemportécarjevoulaisjustementquetuoubliescettepartiedetavie.
Elleselèveetsortsansbruitdelapièceavantderevenirquelquesinstantsplustardavecunpetitcoffretenboisqu’ellemeposedanslesmains.
—Jenepouvaispaspartirsansça,explique-t-elle.Jesavaisquelorsquelemomentseraitvenupourmoidetedirelavérité,tuauraisaussienviedetoutsavoirausujetdetamère.Lepeuquej’aitrouvé,jel’aigardépourtoidanscetteboîte.
Les larmesauxyeux, jepromènemesdoigts sur le coffret enboisqui contient les seuls souvenirsd’unefemmequejen’auraisjamaiscrupouvoirmerappelerunjour.Jenel’ouvrepas.C’esttropdur.Ilfautquej’attended’êtreseule.
Karenrepousseunemèchederrièremonoreille;jerelèvelatêtepourlaregarder.—Jesaisquec’étaitmaldet’enlever,conclut-elle,maisjen’aiaucunregret.Sic’étaitàrefaire,je
recommenceraissanshésiter.J’aiconsciencequetum’enveuxsûrementbeaucoupdet’avoirmenti.Maisje le comprends et je l’accepte, Sky, car je t’aime assez pour deux.Ne culpabilise pas d’avoir de larancœurenversmoi.Celafait treizeansque j’anticipeceface-à-faceetcettediscussion,alorsquellesquesoienttaréactionetlesdécisionsquetuprendras,jem’ysuispréparée.Faiscequetupensesêtrelemieuxpourtoi.Situveuxquejepréviennelapolice,jelefaistoutdesuite.Jenedemandepasmieuxquedeleurrépétertoutcequejeviensdeteraconter,siçapeutaideràt’apaiser.Situpréfèresquej’attendequetuaiesdix-huitansetcontinueràvivreicienattendant,j’attendrai.J’iraimerendreàlasecondeoùtuseraslégalementenâgedetedébrouillerseuleetjenem’yopposeraipas.Maisquoiquetudécides,Sky,net’enfaispaspourmoi.Savoirquetuesdésormaisensécuritéestlaseulechosequej’aiejamaissouhaitée.Peu importecequim’attend,çavautbienchaquesecondedes treizeannéesque j’aivécuesauprèsdetoi.
Je contemple le petit coffret en continuant de pleurer en silence, complètement perdue. Je ne saispasquelchoixfaire,nisi,enl’occurrence,lemieuxneseraitpaspire.Jenepeuxpasluirépondretoutdesuite.Après cequ’ellevient deme raconter, le troubleque j’éprouvepar rapport à ceque je croyaissavoirsurlajusticeetl’équitémefaitl’effetd’unegifle.
Jelaregardeànouveauensecouantlatêteetrépondstoutbas:—Jenesaispascequejeveux.Jen’ensaisrien.Etc’estvrai.Enrevanche,jesaiscedontj’aibesoin:unepausechapitre.Tandisqu’elleresteassiseàmeregarder,jemelève,marchejusqu’àlaported’entréeetl’ouvresans
parveniràlaregarder.C’estau-dessusdemesforces.—J’aibesoinderéfléchirunpeu,j’ajoutedoucementensortant.Dès que la porte se refermederrièremoi,Holdermeprenddans ses bras.Tenant délicatement le
coffretd’unemain, jeglisse l’autredanssoncou.Désemparée, jepleurecontresonépaule,nesachantpasparoùcommencerpourencaissertoutcequejeviensd’apprendre.
—Leciel.J’aibesoindevoirleciel.Holderneposeaucunequestion.Ilsaitexactementàquoi jefaisallusion,alors ilmeprendpar la
main et m’entraîne vers la voiture. Jack rentre discrètement dans la maison tandis que nous quittonsl’allée.
Mardi30octobre2012
20h45
ÀaucunmomentHoldernemequestionnesurmontête-à-têteavecKaren.Ilsaitquejeluienparleraientempsvoulu.Maislà,toutdesuite,jecroisquejenesuispasprête.Tantquejen’auraipasdécidédelasuite,jenepourraipasenparler.
Quandonarriveàl’aérodrome,ilserangesurlecôtémaiss’arrêtebeaucoupplusloinquel’endroitoù l’on se gare d’habitude. En descendant vers la clôture, je découvre avec surprise une petite portegrillagéequin’estpasferméeàclé.Holdersoulèveleloquetetl’ouvreengrandenmefaisantsignedepasserdevant.
—Ilyauneporte?jeconstate,perplexe.Maisalorspourquoionescaladetoujourslaclôture?Ilmelanceunsouriremalicieux.—Lesdeuxfoisoùonestvenus,tuétaisenrobe.Çaauraitétémoinsdrôledepasserparlaporte.Je ne sais vraiment pas comment,mais je trouve la force de rire.Une fois que je suis passée, il
refermelapetiteportederrièremoienrestantdel’autrecôté.Jem’arrêteentendantlamainverslui.—Viensavecmoi.—Tuessûre?Jepensaisquecesoirtuauraisenviederesterunpeuseulepourréfléchir.—Non,j’aimebienêtreallongéeiciavectoi.Jetrouveraisçabizarred’êtretouteseule.Il rouvre la porte, saisit ma main, et on descend jusqu’à la piste pour s’installer à nos places
habituellessouslecielétoilé.Jeposelecoffretàcôtédemoi,toujourspassûred’avoirlecouragedel’ouvrir.Àvraidire, jenesuispascertainedegrand-chosepour lemoment.Pendantplusd’unedemi-heure, je reste étendue là sans bouger, à réfléchir en silence surma vie… celle deKaren… celle deLesslie…etj’aipeuàpeulesentimentquemadécisiondevratenircomptedenoustrois.
—Karenestmatantebiologique.Je ne sais pas si je le déclare tout haut pour en faire profiter Holder ou simplement pour me
l’entendredire.Iljointsonpetitdoigtaumienentournantlatêteversmoi.—Lasœurdetonpère?demande-t-iltimidement.Enmevoyantacquiescer, ilfermelesyeux,devinanttouteslesimplicationsconcernantlepasséde
Karen.—C’estpourçaqu’ellet’aenlevée,endéduit-il.Àl’entendre,çatombesouslesens.—Ellesavaitcequ’iltefaisait.Jeconfirmed’unsignedetête.
—Ellemelaisselechoix,Holder.Elleditquec’estàmoidedéciderdelasuite.Leproblème,c’estquejenesaispasquelleestlameilleuredécisionàprendre.
Cettefois,Holderagrippemamaintoutentièreenentrecroisantnosdoigts.—Iln’yapasdebonnedécision,explique-t-il.Parfois,onse retrouvefaceàdeschoix tousplus
mauvaislesunsquelesautresmaisilfautquandmêmeenfaireun.Prendssimplementladécisionquitesembleêtrelamoinsmauvaise.
Faire payer à Karen une erreur qu’elle a commise par pur altruisme serait sans conteste la piredécision.Aufond,jelesais.Maisj’aiencoredumalàadmettrequecequ’elleafaitnedevraitpasavoird’importance. J’aiconsciencequ’ellenepouvaitpass’endouterà l’époque,mais le faitqu’ellem’aitéloignéedemonpèren’afaitqu’aboutiràcequiestarrivéàLesslie.Difficiledenepastenircomptedufaitqu’enm’enlevant,Karenaindirectementprovoquélevioldemameilleureamie,laseuleautrefemmedanslaviedeHolderqu’ilalesentimentd’avoirlaisséetomber.
—Ilfautquejeteposeunequestion,Holder.Sansriendire,ilattendlasuite,alorsjemeredresseenleregardant:—Nem’interrompspas,d’accord?Laisse-moiallerauboutdemapensée.Ilmetouchelamainenacquiesçant,alorsj’enchaîne:—JesaisqueKarenafaitçauniquementpouressayerdemeprotéger.C’estunedécisionqu’ellea
priseparamour…pasparhaine.Maissijenedisrien…siongardeçapournous…j’aipeurquetun’ensouffres.Carjemerendsbiencomptequesimonpères’enestprisàLess,c’étaituniquementpourmeremplacer,vuquejen’étaispluslà.EtjesaisbienqueKarennepouvaitabsolumentpasleprévoir;enplus, avant de commettre cet acte désespéré, elle a essayé de bien faire en le dénonçant d’abord à lapolice.Mais,etnous?Qu’est-cequisepasseraquandonessaieradereprendrelecoursnormaldenosvies, comme avant ? J’ai peur que tu ne détestes Karen pour toujours… ou qu’à la longue, tu necommencesàéprouverduressentimentàmonégard,quellequesoitladécisionquejeprendraicesoir.Jeneveuxpast’empêcherdepensercequetuveux.SituenveuxàKarendecequiestarrivéàLesslie,jecomprendrai.Jecroisquej’aisimplementbesoindesavoirquequellequesoitmadécision…jeveuxêtresûreque…
Jecherchelafaçonlapluséloquentedeledire,envain.Parfoislesquestionslesplussimplessontlesplusdifficilesàposer.Jeserresamainetleregardedanslesyeux.
—Toi,Holder…est-cequeçavaaller?Impassible,ilm’observepuisentrelacenosdoigtsenreportantsonattentionverslecielau-dessusde
nostêtes.—Nuit et jour, depuis un an, répond-il finalement d’une voix douce, j’ai passé mon temps à en
vouloir à Less de s’être suicidée. Je lui en voulais parce qu’on avait exactement lamême vie et lesmêmesparents,quitraversaientlemêmedivorce.Onavait lamêmemeilleureamie,quiabrusquementdisparu de nos vies, et ta disparition nous a causé le même chagrin. Elle et moi avons déménagéensemble,danslamêmemaison,aveclamêmemèreetpourallerdanslamêmeécole.Ilsepassaitlesmêmes choses dans nos vies respectives. Mais elle vivait toujours tout très mal. Parfois, la nuit, jel’entendaispleurer.J’allaism’allongeràcôtéd’ellepourlaconsolermaistrèssouvent,j’avaisenviedelui hurler dessus pour qu’elle arrête d’être aussi faible. Alors le soir où j’ai appris qu’elle s’étaitsuicidée…jeluienaivouluàmort.Jeluienaivoulud’avoirrenoncéaussifacilementetd’avoirpenséquesavieétaitbeaucoupplusdurequelamiennealorsqu’onvivaitlesmêmes.
Ilseredresseetsetourneversmoienmeprenantlesmains.—Aujourd’hui,jeconnaislavérité.Jesaisquesavieaétéeffectivementmillefoisplusdurequela
mienne.Etquandjepensequ’elleacontinuéàsourireetàriretouslesjourssansexceptionsansquejemedouteunseulinstantdel’enferqu’elleatraversé…jeprendsenfintoutelamesuredesoncourage.Etsiellen’apassugérersasouffranceautrement,c’estpassafaute.J’auraispréféréqu’elledemandede
l’aideouqu’elleenparleàquelqu’un,maischacunréagitcommeilpeut,surtouts’ilsecroitseul.Toi,tuasréussiàtoutrefouleretc’estcommeçaquetut’enessortie.Àmonavis,elleatentéd’occulteraussimaiselleétaitbeaucoupplusâgéequandçaluiestarrivédoncellen’apaspu.Aulieudeneplusjamaisypenser,jecroisqu’elleafaittoutlecontraireetqueçal’adétruiteàpetitfeujusqu’àcequ’ellecraque.Maistun’aspasledroitdedirequeladécisiondeKarenainfluencé,directementoupas,cequetonpèreafaitàLess.SiKarennet’avaitpasenlevée,ils’enseraitsansdoutequandmêmeprisàLess.Ilétaitcommeça.C’étaitplus fortque lui.Alorsnon, jene tienspasKarenpour responsable, sic’estque tuveuxsavoir.Laseulechosequejeregrette…c’estqueKarenn’aitpasemmenéLesslieaussi.
Ilmeserredanssesbrasetapprochelaboucheducreuxdemonoreillepourajouter:—Quelleque soit tadécision, si tupensesqu’ellepeut t’aider àpanserplusvite tesblessures…
c’estcequejeveuxpourtoi.Etc’estcequeLessvoudraitaussi.Jeleserredetoutesmesforces,latêteblottiecontresonépaule.—Merci,Holder.Pendantqu’ilm’étreintensilence,jeréfléchisàmondilemmequin’enestplusvraimentunàprésent.
Auboutd’unmoment,jem’écarteetprendslepetitcoffretsurmesgenoux.Promenantmesdoigtsdessus,je n’ose d’abord pas toucher le loquet. Puis, je me décide à appuyer dessus et soulève lentement lecouvercleen fermant lesyeux,hésitantàvoircequ’il contient.Une fois lecouvercle levé, j’inspireàfondetrouvrelesyeuxentombantdirectement…surceuxdemamère.D’unemaintremblante,j’attrapelaphotodecettefemmequinepourraitabsolumentpasmerenier:delaboucheauxyeuxenpassantparlespommettes,c’estmonportraitcraché.Jeluiressemblecommedeuxgouttesd’eau.
Je repose la photo pour prendre celle qui se trouve en dessous. Celle-ci réveille encore plusd’émotionscarc’estunephotodenousdeux.Jenedoispasavoirplusdedeuxansetjesuisassisesursesgenoux,lesbrasenroulésautourdesoncou.Ellem’embrassesurlajouependantquejefixel’objectifavecunsourirejusqu’auxoreilles.Aprèsavoiressuyéquelqueslarmestombéessurlaphoto,jelatendsàHolderpourluimontrercequejevoulaisàtoutprixrécupérerenallantchezmonpère.
Ilresteundernierobjetdanslecoffret.Jelesorsencoinçantlachaîneentremesdoigts.Àl’intérieurdumédaillonenargentenformed’étoilequiyestsuspendu,unepetitephotodemoi,bébé.Etenfacedecettephoto,uneinscription:«Malueurd’Espoir1».
J’ouvre lefermoirenapprochant lecollierdemoncou.Holderattrape lesdeuxpartiesdufermoirpendantquejesoulèvemescheveux,illefermeetmeplanteunpetitbaiserdanslescheveuxtandisquejeleslaisseretomberdansmondos.
—Tamèreétaitmagnifique.Toutleportraitdesafille.Ilmerendlaphotoenm’embrassanttendrementpuisilexaminelemédaillon,l’ouvreetcontemplela
photoquelquesinstantsensouriant.Illerefermeavecunpetitbruitsecetmeregardedenouveaudanslesyeuxendisant:
—Prête?Je range les photos dans le coffret, rabats le couvercle et relève la tête d’un air assuré en
acquiesçant:—Prête.
1.Hope,l’espoirenanglais.
Mardi30octobre2012
22h15
Cettefois,Holderentreavecmoi.KarenestassisesurlecanapéàcôtédeJack,quilaserrecontreluienluitenantlamain.Enm’entendantpasserlaporte,ellelèvelatêteetluiselève,prêtànouslaisserseules.
—C’estbon,tupeuxrester.Ceneserapaslong.C’estàJackquejem’adressemaisilnerépondrien.Ils’éloigneunpeudeKarenpourmelaisserla
possibilitédeprendreplaceàcôtéd’elle.Aprèsavoirposélecoffretsurlatablebasse,jem’assoisetmetourneversKaren,conscientequ’ellenesaitpasdutoutcequel’avenirluiréserve.Bienqu’ellen’aitpaslamoindreidéedeladécisionquej’aiprise,ellemesouritquandmêmed’unemanièrerassurante.Elleveutquejecomprennequequelquesoitmonchoix,ellel’acceptera.
Serrant ses mains, je la regarde droit dans les yeux. Je veux qu’elle comprenne bien ce que jem’apprêteàluidireetqu’elleensoitconvaincue,afinqu’entrenous,iln’yaitquelavérité,rienquelavérité.
—Maman,lorsquetum’asenlevée,tuconnaissaisleséventuellesconséquencesdetonactemaistuesquandmêmealléejusqu’aubout.Tuasmistavieenpérildansleseulbutdemeprotéger.C’estunchoix que tu as fait et jamais je ne pourrai te demander d’en payer les conséquences. Tu as déjàsuffisammentsouffertenmettanttavieentreparenthèsesparamourpourmoi.Jen’aipasl’intentiondetejugerpourtesactes.Àcestade,ilnemerestequ’unechoseàfaireetàjustetitre…c’estteremercier.Alorsmerci,maman.Mercidufondducœurdem’avoirsauvélavie.
Ellefonden larmesetonse tombedans lesbras,à lafoismèreet fille, tanteetnièce,victimesetrescapées.
***
Jen’arrivemêmepasàimaginerlaviequ’amenéeKarendurantcestreizedernièresannées.Chaquefoisqu’elleadûfaireunchoix,c’étaituniquementdansmonintérêt.Unefoismamajoritéatteinte,elleavaitenvisagédetoutm’avoueretdeserendreauxautoritéspourassumerlesconséquencesdesonacte.Maintenantquejesaisqu’ilexistedeuxpersonnessurterrequiseraientprêtesàtoutpourmoiparamour,dontKaren,jemesenspresqueindigne.C’estpresquetropàaccepter.
Ils’avèrequeKarenabeletbienenviedepasseràl’étapesuivanteavecJackmaisellen’osaitpasfranchirlepas,pensantquelejouroùildécouvriraitlavérité,ilenauraitlecœurbrisé.Cedontellenesedoutaitpas,c’estque,exactementcommeellevis-à-visdemoi,Jackl’aimed’unamourinconditionnel.
L’entendreracontersonlourdpasséetavouerlesdécisionsqu’elleadûprendren’afaitqueluiconfirmerlaforcedesessentimentspourelle.Àmonavis,d’iciauweek-endprochain,toutessesaffairesauronttrouvéleurplaceici.
Karen passe la soirée à répondre patiemment à toutes mes questions. En premier lieu, je necomprenaispascommentelleavaitréussiàchangermonnometàmeprocurerdespapiersdemanièrelégale.Cettequestionl’afaitrireetellem’aexpliquéquemoyennantunecertainesommed’argentetdebonscontacts,j’avaisétéfacilement«adoptée»àl’étrangeretnaturaliséeàl’âgedeseptans.Jeneluidemandemêmepaslesdétailscarj’aimemieuxnepaslesconnaître.
L’autrequestionquimetravaillaitétaitlaplusévidente:est-cequemaintenant,onpouvaitavoirunetélé?Enfindecompte,Karenestloindemépriserlatechnologie,commeelleavoulumelefairecroiredurant toutes ces années. Je sens que demain, on va aller faire une petite razzia au rayon appareilsélectroniques.
AvecHolder,onluiaracontédansquellescirconstancesilavaitfinalementdécouvertquij’étais.Audébut,Karenn’arrivaitpasàcroirequ’enfants,onaitpuêtresiproches,aupointqu’ilsesoitsouvenudemoi.Maismaintenantqu’elleaeuunpeuplusletempsd’observernotrecomplicité,jecroisqu’elleestconvaincuequelelienquinousunitestbienréel.Malheureusement,jevoisbienaussisonregardinquietchaquefoisqu’ilsepenchepourm’embrasserouqu’ilposelamainsurmacuisse.Aprèstout,elleestmamère.
Auboutdeplusieursheures,lorsquechacunestfinalementaussiapaiséqu’ilsoitpossibledel’êtreaprèsceweek-endéprouvant, tout lemondedécided’aller secoucher.Holderet Jacknous souhaitentbonnenuit.HolderassuremêmeàKarenqu’ilnem’enverraplusjamaisdetextodésobligeant–nonsansm’adresserunpetitclind’œilendouce.
Karenmeserredanssesbrasunlongmoment.Aprèsunedernièreembrassadepourlanuit, jevaisdansmachambreetmeglisseau lit. Je tire les couverturesàmoiet croise lesmains sousma têteencontemplantlesétoilesauplafond.J’avaisenvisagédelesarracher,pensantqu’ellesneserviraientqu’àréveillerd’autresmauvaissouvenirsetpuisfinalement,non.Jepréfèreleslaisser,commeçaquandjelesregarde,jepenseàHope.Ellesmerappellentquijesuisettoutcequej’aidûsurmonterpourenarriverlà.J’auraisdequoim’apitoyersurmonsortenmedemandantpourquoitoutçam’estarrivé…maisjeneleferaipas.Jeneprétendraipasàunevieparfaite.Lesévénementsquivousmettentàgenouxsontdesépreuvesquivouspoussentàchoisirentrerenoncer,etresteràterre,oubienvousfrotterlesgenoux,etvousrelever,latêteencoreplushautequ’avantlachute.Jefaislechoixdemerelever.Jevaissûrementprendreencorequelquescoupsquim’enverrontautapisavantquelavieenaitfiniavecmoimaisjeneresteraijamaisàterrebienlongtemps,ça,jevouslegarantis.
J’entends frapper doucement à la fenêtre dema chambre juste avant qu’elle coulisse. Sourire auxlèvres,jemepelotonnedemoncôtédulitenattendantqu’ilmerejoigne.
—Onnevientpasm’accueilliràlafenêtre,cesoir?souffle-t-iltoutbasenlarefermant.Ils’approchedesoncôtédulitetsoulèvelacouettepourseglisseràcôtédemoi.—Tuesgelé,jesouffleenmeblottissantdanssesbras.Tuasmarchéjusqu’ici?Ilm’enlaceensecouantlatêteetmeplanteunbaisersurlefront.—Non,j’aicouru.Ilglisseunemainsurmesfesses.—Çafaitplusd’unesemainequ’onn’apasfaitdesport.Tucommencesàavoirunculénormissime!Jeglousseenlefrappantsurlebras.—Essaiedenepasoublierquelespetitespiques,c’estdrôleuniquementpartexto.—Enparlantdeça…tucroisquetuvasrécupérertonportable?Jehausselesépaules.
—J’aipastrèsenviedereprendrecetéléphone.J’espèreplutôtquemonpetitamisi«influençable»m’offrirauniPhonepourNoël.
Ilritenbasculantsurmoi,plaquantseslèvresglacéessurlesmiennes.Lecontrastedetempératureentrenosbouchessuffit à luiarracherungémissement,et ilm’embrasse jusqu’àcequesoncorps toutentierseréchauffe…bienau-delàdelatempératureambiantedelapièce.
—Tusaisquoi?fait-ilenseredressantsurlescoudes,unadorablesouriretoutenfossettesaucoindeslèvres.
—Non,quoi?Denouveau,ilprendcetongraveetexalté:—Onn’aencorejamaisfaitl’amourdanstonlit.Jeréfléchisuninstantavantdelefairerebasculersurledosensecouantlatête:—Tantquemamèreseraàl’autreboutducouloir,pasquestion.Amusé,ilm’attrapeparlataillepourmehissersurluietjeposelatêtesursontorse.—Sky?—Oui,Holder?—Jeveuxquetusachesuntruc.Etjeneledisnientantquepetitaminimêmeentantqu’ami.Jele
disparcequ’ilfautbienquequelqu’unlefasse.Cessantsescaressessurmonbras,ilimmobilisesamainaucreuxdemondos.—Jesuisvraimentfierdetoi.Jefermelesyeuxpourmieuxsavourercettephrasequimevadroitaucœur.Levisageenfouidans
mes cheveux, il m’embrasse, et que ce soit pour la première, la vingtième ou la millième fois, peuimporte.
Jel’étreinsplusfortensoupirant.—Merci,Holder…Jerelèvelatêteetcontemplesonsourireenajoutant:—Etpasseulementpourcequetuviensdediremaispourtout.Mercidem’avoirdonnélecourage
detoujoursposerlesquestionsmêmequandjenevoulaispasconnaîtrelesréponses.Mercidem’aimercommetulefais.Mercidemeprouverqu’onn’estpastoujoursobligésd’êtrefortspoursesoutenir,quetantqu’onestlàl’unpourl’autre,c’estpasgravesionaunmomentdefaiblesse.Etmercidem’avoirfinalementretrouvéeaprèstoutescesannées.
Jepromènelesdoigtssursontorsejusqu’àcequej’atteignesonbras,puiscaressechaquelettredesontatouageavantdemepencherpourl’embrasser.
—Maissurtout,mercidem’avoirperdueilyasilongtemps…carmavieneseraitpaslamêmesitun’étaisjamaisparti.
Moncorpssesoulèveaurythmedulongsoupirqu’ilpousse. Ilpose lesmainsencoupeautourdemonvisage,s’efforçantdesouriremalgrélechagrinmanifestedanssesyeux.
—Millefoisj’aiimaginécommentceseraitsijeteretrouvaisunjour…maisjen’auraisjamaiscruqu’àlafintumeremercieraisdet’avoirperdue.
—Commentça,lafin?Laformulenemeplaîtpastrop.Jemeredressepourluifaireunpetitbisousurlabouche.—Paslanôtre,j’espère?jedisenreculantlatête.—Sûrementpas!Etj’aimeraispouvoirtedirequedésormaisonvavivreunvraicontedefées,mais
c’estpeuprobable.Touslesdeux,onvaavoirencorebeaucoupdechosesàrégler.Entretoutcequis’estpasséentretoi,moi,tamèreettonpère,etmaintenantquejesaiscequiestarrivéàLess…certainsjoursonsesentirasansdouteaufonddutrou.Maisons’ensortira,c’estsûr,parcequ’onestensemble.Alorsjenesuispasinquietpournotreavenir,mabelle.Vraimentpas.
Jeplanteunbaisersursafossetteenluisouriant.
—Moinonplus.Etpourinfo,jenecroispasauxcontesdefées.—Tantmieux,répond-ilenriant,carc’estpastropauprogramme.Toutcequejepeuxtepromettre,
c’estd’êtrelàpourtoi.—Tantmieuxaussi,alors,parcequejen’aibesoinderiend’autre,jeréplique.Enfinsi…j’aibesoin
delalampe,ducendrier,delatélécommande,desraquettesetdetoi,DeanHolder.Maissinon,c’esttout.Jen’aibesoinderiend’autre.
Treizeansplustôt
—Qu’est-cequ’ilfaitdehors?jedemandeàLesslieenobservantDeanparlafenêtredusalon.Allongésurledosdansl’alléedujardin,ilcontempleleciel.—Ilrêvasse,répond-elle.Çaluiarrivesouvent.Jemeretourneenluilançantunregardinterrogateur.—Çaveutdirequoi,rêvasser?Ellehausselesépaules.—J’ensaisrienmaisilrépondtoujoursçaquandilfixelecielpendantlongtemps.Jejetteunnouveaucoupd’œilparlafenêtrepourl’observerencore.Jenesaispastropcequ’il
fait au juste,mais j’ai l’impression que çame plairait bien. J’adore regarder le ciel et surtout lesétoiles.Jesaisquemamamanaussiaimaitçaparcequ’elleenacollépartoutdansmachambre.
—Jeveuxessayer.Onpeutyaller,nousaussi?MaisLesslieestentraind’ôterseschaussures.—Jepréfèreresterici,dit-elle,maistupeuxyallerpendantquej’aidemamanàpréparerlepop-
cornetàchoisirnotrefilm.J’aimebienlesjoursoùj’ailedroitd’allerdormirchezLesslie.Enfait,dumomentquejenesuis
pas obligée de rester à la maison, je suis contente. Je descends du canapé et pars enfiler meschaussuresdansl’entrée,puisjesorsetjevaism’allongerdansl’alléeàcôtédeDean,quicontinuedefixerlecielsansmêmetournerlatête.Alorsj’enfaisautant.
Lesétoilesbrillent,cesoir.C’est lapremière foisqueje lesadmiredecettemanière.Ellessontbienplusjoliesquecellessurmonplafond.
—C’estdrôlementbeau.—Jesais,Hope.Jesais,répond-il.Lesilenceentrenousdureunbonmoment.Pendantplusieursminutesouplusieursheures, jene
saispas,onrestelààcontemplerlesétoilessansriendire.Deann’estpastrèsbavard,detoutefaçon.Ilestbeaucouppluscalmequesasœur.
—Tuveuxbienmefaireunepromesse,Hope?Jetournelatêteversluimaisilcontinuedefixerleciel.Jen’aijamaisrienpromisàpersonne,à
partàmonpapa.Jeluiaipromisdenepasraconterqu’ilm’obligeàleremercieretpourl’instant,jen’ai jamais riendit àpersonne,même si parfois j’aimeraisbien.D’ailleurs si un jour j’enparleàquelqu’un,ceseraàDeancarjesaisqu’ilgarderalesecret.
—D’accord,jeluiréponds.Cettefoisilmeregardemaisilal’airtriste.—Tusais,quandparfoistonpapatefaitpleurer…?Jehochelatêteenessayantdenepaspleurerrienqued’ypenser.JesaispaspourquoimaisDean
saitquec’esttoujoursàcausedemonpapaquejepleure.
—Promets-moidepenseraucielquandilterendtriste,d’accord?Bienque jenecomprennepas trop le sensde lapromessequ’ilmedemandede faire, j’accepte
quandmême.—Maispourquoi?—Parceque.Iltournedenouveaulevisageverslesétoiles.— Le ciel est toujours beau. Même quand il fait nuit, quand c’est pluvieux ou nuageux, c’est
toujoursunbeauspectacle.C’estceque jepréfèredans laviecar je saisquesi jamais jemesensperdu,seuloueffrayé,ilsuffitquejelèvelatêteetlecielseratoujourslà…toujoursaussibeau.Tun’asqu’àtedireçaquandtonpapatefaitpleurer,commeça,tun’esplusobligéedepenseràlui.
Çamerendtristequ’ilparledeçaetpourtant,jesourisetcontinuedefixerleciel,méditantsonconseil.Jesuiscontentecarmaintenant,chaquefoisquej’auraienvied’êtreailleurs,jesauraioùmeréfugier.Quandj’auraipeur,jen’auraiqu’àpenseraucieletçam’aiderapeut-êtreàsourire:quoiqu’ilarrive,lespectacleseratoujoursbeau.
—C’estpromis,Dean.—Bien,chuchote-t-il.Surce,iltendlebrasetenroulesonpetitdoigtautourdumien.
Remerciements
À l’époque de mes deux premiers romans, je n’ai jamais sollicité les comités de lecture ou lesblogueurspouravoirleuravisenavant-première(pasparchoixmaisparignorance).Jenesavaismêmepascequ’étaitunBAT.
Sivoussaviezcommejeleregrette!MerciàTOUSlesblogueursquisedonnenttantdemalpourpartagerleurpassiondelalecture.Votre
travailestvraimentcapitalpournous,auteurs,etjevousremerciedetoutcequevousfaites.Plus particulièrement, je tiens à remercier Maryse, Tammara Webber, Jenny et Gitte du site
totallybookedblog.com, Tina Reber Tracey Garvis-Graves, AbbiGlines, Karly Blakemore-Mowle etAutumn d’autumnreview.com, Madison de madisonsays.com, Molly Harper detoughcriticbookreviews.com, ainsi que RebeccaDonovan, Nichole Chase, Angie Stanton, Sarah Ross,Lisa Kane, Gloria Green, Cheri Lambert, Trisha Rai, Kay Perez, Stephanie Cohen et Tonya Killiand’avoir pris le temps de me faire part de leurs impressions aussi détaillées que précieuses. J’aiconsciencedevousavoiràtousbiencassélespiedsaumoisdedécembrealorsmercid’avoirsupportémesinnombrables«versionsmisesàjour».
Et SAPERLIPOPETTE ! Sarah Augustus Hansen, je ne te remercierai jamais assez : non seulementd’avoir créé cette couverture sublime mais aussi d’avoir accepté mes multiples demandes demodificationsavantquejereviennefinalementàtesrecommandationsinitiales.Tapatienceàmonégardneconnaîtpasdelimites.Alorsc’estd’accord,tupeuxavoirHolderpourtoitouteseule.
Jedédicaceégalementcelivreàmonépoux,quiinsistepourapparaîtredanslesremerciementscarilm’a suggéré une formule qui m’a permis de boucler la phrase d’une scène bien précise. Sans cettetrouvaille(ils’agissaitd’«ouvrirlesvannes»,lesamis),ceromann’auraitpeut-êtrejamaisvulejour.C’estluiquim’ademandédedireça.Maisdansunsens,iln’apastort.Certes,celivreseseraitsansdoute très bien porté sans cette formule, sauf que sans son soutien, son enthousiasme et sesencouragements,jen’enauraissûrementpasécrituneligne.
Àmafamille(notammentLin,quiabesoindemoicommepersonne).Jenemesouviensplustropdela tête que vous avez, tous, et j’ai beaucoup de mal à me rappeler la plupart de vos prénoms maismaintenantquecebouquinestfini,jejurederépondreàvoscoupsdefiletàvosSMS,devousregarderdans les yeux quand vous me parlez (au lieu de décrocher, happée par le monde merveilleux del’imagination),d’allermecoucheravantquatreheuresdumatinetdeneplusjamais,augrandjamais,lireun e-mail pendant que je suis avec vous au téléphone. C’est promis… du moins jusqu’à ce que jecommencel’écrituredemonprochainroman.
Enfin, aux trois enfants les plus formidables de tout l’univers. Nom de Dieu, ce que vous memanquez!Oui,jesais,lesgarçons…mamanvientencorededireungrosmot.Pournepaschanger!
Biographiedel’auteur
AcclaméeparleNewYorkTimes,ColleenHooverestl’auteureàsuccèsderomansdontSlammed,PointofRetreatetHopeless.EllevitauTexasavecsonmarietleurstroisgarçons.Pourensavoirplus,rendez-voussurlesitewww.colleenhoover.com.
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Noussuivresur
Titreoriginal:Hopeless
Collection«Territoires»dirigéeparBénédicteLombardo
Couverture:KatiaMonaci.Photos:©MaikeMiaHöhne/Plainpicture–©Istock.
©2013,ColleenHoover.
©2014,FleuveÉditions,départementd’UniversPoche,pourlatraductionfrançaise.
EAN:978-2-823-81154-4
«Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,detoutoupartiedecetteœuvre,eststrictementinterditeetconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelaPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.»