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7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie
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Revue Philosophique de Louvain
Philosophie de la philosophieClmence Ramnoux
Citer ce document Cite this document :
Ramnoux Clmence. Philosophie de la philosophie. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisime srie, tome 66, n92,
1968. pp. 581-596;
doi : 10.3406/phlou.1968.5457
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457
Document gnr le 24/05/2016
http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_202http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1968.5457http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1968.5457http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_202http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/ -
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hilosophie
de
la
philosophie
Nous
poserons
des
questions relevant
d une
discipline
que nous
appellerions volontiers philosophie
de
la philosophie
:
critique
de
la
philosophie
envisage comme phnomne de culture
parmi
les autres,
sans aucun
privilge
a
priori
sur
les
autres.
Prcisons
que
par
philosophie nous
voulons dire une cration
vivante,
et non
la
rptition
morte des crations
du pass,
ou l exposition de
pices
curieuses dans
le
muse imaginaire
de
toutes
les cultures. Prcisons aussi que
nous
parlons
de
la philosophie en
tant
qu elle s occupe des plus grandes
choses : pratiquement les questions d origine, de fin et de limite.
Voici
quelques-unes de
nos questions
:
dans
quelles conditions
une
tradition proprement
philosophique nat-elle, s panouit-elle, meurt-
elle ? La ntre
est-elle
en
train
de
mourir ?
Pourquoi
certaines cultures
se passent-elles tout
fait de
philosophie
? D ailleurs y a-t-il eu
jamais
de
philosophie
ailleurs
qu en
Grce,
et
dans
l Europe
hritire
de
la
Grce ?
Pourquoi
certaines cultures prouvent-elles le besoin
de
philosopher leur religion, comme les
Pres
de l glise, et surtout les Pres
grecs
l ont
fait
? Pourquoi d autres
cultures, ou d autres ges des
mmes cultures,
prouvent-elles
le
besoin
de rinvestir leurs
philosophies dans des formes religieuses, avec tout un appareil
de mythes,
de rites,
et
mme une vie de communaut? Comme il
semble
bien
que les sectes
gnostiques
grecques
l ont
fait,
et
comme il
serait arriv
au Bouddhisme. Ces questions obligent d ailleurs
reconsidrer le
caractre des
communauts
porteuses
de
livre,
de
doctrine orale,
ou
de
ce
qu elles appellent
du
nom de
la Vrit .
Leur typologie
systmatique
inclurait
certainement
le mode de transmission
des
doctrines
qualifies
de
philosophiques .
Cette
philosophie
de
la philosophie
est aussi une mise
en
question
de
la
philosophie, et elle commence par suspendre la question de la
vrit. Elle
s intresse aux formes
de
la transmission,
et
singulire-
(*) Texte
d une
leon
publique
donne Bruxelles, Ycole
des
Sciences
'philosophiques
et
religieues
de
la
FacuU
universitaire
Saint-Louis,
le
22
fvrier
1968.
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Clmence Ramnoux
ment aux modes de l criture, puisque
c est
par l criture,
et
dans
des
textes, que
nous est parvenu ce
que
nous
appelons les
grandes
philosophies du
pass.
D o le choix que nous
avions
fait nagure
des textes de
la
tradition prsocratique : ils
poussent
au jour,
en
effet,
en
un ge de
mutation,
dans
la contestation,
ou dans l accommodation
des rcits sacrs
traditionnels. La tradition
en question avait
d ailleurs
subi, au
pralable,
maints
bouleversements,
et maintes
restructurations lies
l histoire
sociale et politique.
Une
partie de notre
thse
consiste dire que
la restructuration
philosophique
est
reconsidrer
dans
la perspective
des
autres
restructurations, que les
philosophes
ont
le tort d abandonner aux
historiens
des religions.
Les
textes
prsocratiques poussent
au
jour en
profitant de
ce qu on
peut appeler
la
mutation
d un
champ smantique,
ou en
la
provoquant.
Les
anciens
donnaient dj les textes
de Thaes
et
d Anaximandre
pour les
premiers
de
la philosophie. Les
modernes aprs
eux et
d aprs
eux
parlent
toujours
d une
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Philosophie de
la philosophie
583
servateurs
et
les interprtes
d une
tradition, au contraire,
le champ
tait ouvert pour la philologie.
Nous
citions
tout
l heure
Empdocle
en
exemple.
A
en croire
ses
plus rcents interprtes, Empdocle aurait pratiqu lui-mme,
et
non
sans
gnie, l exprience, au
niveau,
par
exemple,
o l on
va
voir
ce
qui
se passe
dans un
uf
germ. Si
l on croit l uf
cosmique,
il
y faut
ou bien beaucoup
de hardiesse,
ou bien beaucoup
de
confiance
en
sa mission. Empdocle confesse que
nul
vivant-mortel
n est
capable
de
percevoir
le tout. Cependant
son oeuvre contient une
description totalisante : nous croyons pouvoir
l inscrire
dans
un
schma
imaginaire ;
nous
avons soutenu
la
thse, d ailleurs
contestable, que
le
dit
schma
imaginaire
s articule
selon
la
structure
d un
cycle
mythique.
Empdocle serait
donc plus enracin dans la
tradition
qu on ne croit,
ou enracin dans une tradition plus dfinie
qu on
ne croit.
Il
serait
hautement
reprsentatif
du type des accommodateurs ,
plutt que
du
type des contestateurs .
Cet
article-ci relvera d autres
exemples pour poser
des questions
plus compromettantes
:
qu est-ce
que
cela me dit,
prsent,
moi ?
Faisant ce que je fais, tudiant les formes
de
prsentation des
sagesses
archaques, est-ce
que
je fais
oeuvre
vivante? Et
que
deviennent
les
sagesses
du temps
prsent, si
on retourne contre elles
les mthodes
apprises avec
et
contre les
sagesses
du
pass
?
Que l on
relve
donc
l exemple
du discours
ontologique de Parm-
nide.
Par
sa structure, il est opposable aux formules d Heraclite. A
vrai
dire,
la loi prsume du discours hracliten est beaucoup plus
difficile saisir que la loi
de
progression du discours parmnidien.
On ira, croyons-nous, droit l essentiel,
en
prenant les formules comme
des
phrases, articules chacune sur un ou
quelques couples
contrasts
de
mots. Il
s agirait,
en
somme, d illustrer,
en
les mettant
en phrases,
les couples de
contraires
qui constituent le code
de cette
sagesse, selon
une
mode
commune
aux
sagesses du
mme
ge
(1).
C est pourquoi
nous
nous
sommes exprime ailleurs
en
disant que ces
formules donnent
un exemple
de
philosophie
rduite
sow
code
mis
en
phrases.
Le travail
est
fait, parfois,
avec une
habilet surprenante, parfois
ngligemment
:
on se contente de rassembler sous un en-tte
une
pure
enumer tion de couples. C est un
et
le
mme que
... , Le dieu est ... , Choses
(i) Nous
renvoyons notre
communication
prsente
au congrs
des Socits de
philosophie
de
langue franaise de
septembre
1967, et
notre
postface
la
seconde
dition
de
notre Heraclite.
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Clmence
Ramnoux
prendre
ensemble
... , Choses
attacher
: suivent des
couples
tantt plus abstraits, tantt plus
concrets.
Parfois encore, les
couples
sont
parvenus
l tat
de pices dtaches
cites
dans
le
contexte
d un
doxographe.
Cela
ne veut pas dire que les sentences ainsi formes
soient
vides
de
sens. Au contraire,
le
jeu consiste
arranger habilement
les mots
de
faon former
un
sens, ou mme double-sens, ou
condenser
le
plus
de
sens possible avec
le moins de mots.
On compltera
l essentiel
en
disant
que les sentences semblent renvoyer
les unes aux
autres par l articulation d un vocable rpt. Ce mode d articulation
n exclut pas
la possibilit
d emboter, d adapter les unes aux autres
les phrases,
de
plusieurs
faons. On
tiendrait ainsi
un
discours
de
structure, disons,
labyrinthique, ramenant
plusieurs reprises aux
carrefours les plus importants.
Maintenant,
quel effet cela
me fait-il
prsent moi
?
Premirement,
entrer dans
le
jeu justement
dveloppe l esprit de
jeu,
le
contraire
de
l esprit
de lourdeur
, mme si les rgles du
jeu
n ont pas
t restitues comme
il
faut,
et
le vrai sens a encore chapp.
Mme
si le vrai sens a chapp, la
recherche
fait beaucoup travailler,
en
remuant beaucoup de sens : le chercheur d or dit le matre, remue
beaucoup de terre
pour trouver
un peu
d or.
Finalement
ce
but,
dsign
de
loin comme
le
vrai sens , recule
et
recule encore, sans
jamais
cesser
de
solliciter.
Si on
ne
le
visait pas,
en
le
diffrenciant
des interprtations fallacieuses, on cesserait de
travailler.
Si on croyait
l avoir trouv, on
cesserait
de
travailler.
La vise
du sens maintient
donc en tat d alerte, l attention fixe sur le texte mme
et
ses
moindres
accidents, de faon carter de
lui
tout ce qui ne colle pas exactement
la
parole authentifie,
en
laguant les interprtations
prolifrantes.
Une attitude
se fomente,
une habitude
se
nourrit, qui applique au
texte mme, comme
l homme
de science
s applique
la chose
mme,
avec
le dsir
toujours
insatisfait,
sans cesse
renouvel, de
trouver
le
sens
authentique
par
del
les
interprtations.
Par
opposition aux
formules
hraclitennes, le
discours
ontologique
de Parmnide se prsente
comme avanant
selon une
seule
voie simple .
La
voie reprsente, sans doute, les dlinaments
prliminaires
du discours
encore
crire
:
c est--dire
la fois
le thme
et
les articulations, au sens de
la
structure
rythmo-potique et
de
la
structure
grammaticale, dj plus
que
grammaticale,
et
non
pas encore
tout fait logique. La
voie
que
suit
le
discours
transmis par
Sim-
plicius, numrot 8 dans
la
collection de
Diels,
se prsente comme
la
suite
purement
linaire
de
50
vers
la
queue
les
uns des autres.
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Philosophie
de h, philosophie 585
Purement linaire est une expression qui fait mal sentir l intensit
de
l effort
tendant
fermer le discours sur lui-mme au moment
de
le clore. Grammaticalement, le sujet
en
question reste non nomm,
ou nomm par le participe prsent
du verbe et
trait comme un
substantif
neutre.
Grammaticalement, ce
sujet non nomm d un
verbe
tre
la
troisime personne de l indicatif prsent
rassemble
une
concatnation
d attributs appels des
signes,
ou des bornes sur la
route.
Il
y en
a 8 de
nomms
: non-n, indestructible, tout d une seule
masse,
inbranlable,
non
terminer,
tout entier tout
la fois prsent,
un
et d un seul
tenant.
Nous
ne
savons
rien
d eux,
si ce n est
que
justement ils marchent
ensemble,
ils se
tiennent
l un l autre comme par
la
main,
et
marchent
tous
ensemble avec ce sujet-l.
Les
logiciens s expriment en
disant que
ces sept
ou
huit-l,
enchans
les
uns
aux
autres par
une
loi
de
cohrence
systmatique, constituent justement
l essence de
la chose en question.
Leur
cohrence systmatique
suffit
constituer le
champ
smantique
o elle se
dfinit.
Si l on veut bien lire
en admettant
que
la
suite
des vers
reprend
l numration en ordre, avec
des
accidents
de
parcours dont la maladresse
confirme
l authenticit, si on
lit
en
admettant que la suite des vers commente chaque signe en aggravant
sa densit, avec un grand
effort
pour
enchaner
les jointures, alors
on croira
mieux
deviner
ce
que chaque signe veut dire : inversement,
la
mise
en
place
des dveloppements
les plus
litigieux
les
claire.
La rsurgence
priodique, et quasi redondante, d une
entit
divine
reprsentant sous
trois noms,
Dik,
Anank,
Moira,
trois
formes de
la desse
aux
liens,
contribue
resserrer la solidit
de
la
chane.
Le
tout
referm sur
soi-mme voque
finalement
l image de
la Sphre.
Inutile de demander si
la
Sphre reprsente le tout d un univers
qualifi par
les modernes
de matriel, ou
une
structure
gomtrique
idale, ou une
mtaphore
pour le discours
parfaitement constitu :
elle appartient une couche
de
culture o l entit gomtrique n est
pas
encore
clairement distingue
de
l entit physique,
et
la
mtaphore
glisse au
symbole avec une
espce
d innocence.
Les uns aprs les
autres, de
multiples interprtes
ont relu
et
retraduit ce morceau clbre,
en projetant
dedans
une
inpuisable
richesse de penses. Mais
la
prtention de
nos contemporains va
plus
loin.
Elle va
dpasser la
srie
des
rinterprtations
rduites une
fonction de
la
personne,
ou
de
l poque
de
l hermneute. Une lecture
purement formaliste
du
texte se prsente
alors
comme invitable
tentation.
Purement
formaliste
veut dire que sept ou huit vocables
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586
Clmence
Ramnoux
restent lis entre
eux
par leur appartenance
commune
un
seul et
mme sujet, d ailleurs
parfois non
nomm dans le
texte,
mais
toujours
impliqu comme le
sujet du
verbe tre employ avec un accent,
et
le
sens
fort.
Sept
ou
huit
vocables
sont rendus solidaires par
des concatnations assures
grand
renfort
de mots de
liaison,
et
la triple invocation la desse aux liens. Ils
prennent
sens les uns
en
relation
avec
les autres.
Tous ensemble
dfinissent un
champ
smantique, dans
lequel
la redondance
de
l tre prend
un
sens qu il ne
faut
pas chercher plus loin.
Il
ne faut pas chercher
dfinir l tre
autrement ni ailleurs. Explorer l espace
ainsi
dlimit reste ce que
nous
pouvons
faire, et rien
de plus.
Nous
admirons alors
deux choses :
la
premire, que le vieux
matre
ait
russi
condenser
dans
son
difice
verbal
le
lent
dpt
de
plusieurs
gnrations
d cole,
en queste de parler des plus grandes
choses
avec
des
mots
purs. La
seconde,
que le vieux matre
ait
russi
constituer le
champ
smantique dans lequel les discussions
ultrieures
vont
s inscrire,
en
s affrontant
coups de
formules
renverses. Elles continuent s affronter avec les mmes vocables, en
s inscrivant
pour ou contre l tre un, immuable, indivisible
et
limit.
Toutes vont
prendre position par rapport
la problmatique ainsi
mise
jour :
comment est-il possible
que
toutes choses nous
apparaissent
multiples
et
changeantes,
sur un fond
d tre
suppos
un
et
identique
? Les
doctrines subsquentes peuvent chercher
la mdiation
d un jeu fini
ou infini d lments
inchangeables,
quoique
interchangeables.
Elles
peuvent choisir
de
nier l tre absolument. Dans
tous
les
cas,
les doctrines
ultrieures prennent
leur sens dans le
champ
dfini par
l ontologie
de
Parmnide, en prenant
position
pour
ou
contre
, et
les
unes
contre les autres.
Le discours
parmnidien se
situe
donc l articulation entre
un
pass d cole qu il achve,
et
un
futur de
philosophie
dont
il
a labor le canevas.
Mme
aprs
avoir
mis
entre
parenthse
la
question
de
la
vrit,
nul ne
pourrait
ne
pas
admirer ces effets-l.
Il
est certain que Parmnide
n a
pas
mis
entre parenthse
la
question
de
la vrit.
Bien au contraire, le nom de
la
Vrit prend
dans son discours
le
sens
qu il gardera
en philosophie pour
le meilleur
et pour le
pire.
Sa prtention allait plus loin qu condenser
un
vocabulaire
original,
en
ouvrant le
champ
clos des dbats futurs.
Il
croyait
penser
en parlant,
parler
en
pensant, puisque parler, penser font une
seule et mme chose, et
font un
avec la chose
mme.
Pourtant,
le
lisant
distance, avertis
contre les dangers des projections
abusives
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Philosophie de la philosophie 587
ou des
transferts
inconscients, il vaut
mieux
le lire
sans rien
changer,
non pas mme un accent, au
texte de
la
meilleure
transmission.
Il
vaut
mieux
le
lire
en
vitant
provisoirement
de
mettre
dedans
des
sens
nous. Le texte ressort alors
avec son opacit,
opposant
son
nigme toujours vivante
la
ronde des interprtations. Lire ainsi,
n est-ce pas lire potiquement
?
Ce serait donc commettre un attentat
que de
dire
:
ces textes
n ont
plus pour nous ni sens, ni vrit; ils font l objet d une lecture
purement
formelle;
ils
sont bons
fournir un motif des exercices
de
traduction
ou
d analyse. D une part,
le scrupule philologique
nous
oblige en effet les soumettre
des exercices
de lecture
formelle,
les dpouillant des fantaisies interprtatives. D autre part, le vrai sens
de Parmnide recule
et
recule encore
l horizon
de
la
recherche,
une
recherche
non finie
avec
des
horizons
toujours
fuyants. La lecture
gagne alors la fois en science
et
en mystre.
Ce que le lecteur y gagne, lui, c est de s habituer une
discipline
et
une
frustration.
Ayant
gagn cette
saine
habitude sur
ces
textes
lointains, il
la transportera volontiers aux autres
textes,
mme aux
textes prochains
de
la
philosophie. Tous prsent galement
il
va
les soumettre au mode formaliste de
la
lecture : dgager un vocabulaire
dont
les termes
principaux
prennent leur
sens
les
uns par rapport aux
autres
;
rduire les
contextes
des
philosophmes, dont
l nonc
sera
soumis l analyse
vrifier
les
modes
de concatnation entre noncs
principaux.
Nous savons par le
tmoignage
des
logiciens
que beaucoup
de textes,
et mme des plus
sducteurs, rsistent
mal
ce
mode de
lecture.
Mais
ce mode
de lecture
ne
suffit encore
pas.
Il
en faut encore
un autre pour lequel
la
lecture
formelle sert
d preuve de purification.
Une
catharsis
indispensable fait crouler les textes creux, disparatre
les interprtations
inadquates. Ce travail
fait, il serait drisoire de
comparer
le tissu restant au tissu d une mathmatique. Le reste ne
fait
peut-tre
rien
d autre que
construire
un
difice
verbal
beau
par
par lui-mme,
mais un
difice prpar tout
de
mme pour recevoir
quelque
chose. Quoi
donc
au
juste ?
Nous n avons envie de
rpondre
ni
l tre
mme, ni le Dieu inconnu. Le
nom
mme
de
l tre
et
celui du
Dieu
s y
rduisent des vocables parmi les autres,
et
leur
redondance
impuissante
invite
chercher encore plus loin, ou se
taire. Cette
exprience constitue le mode
potique de
la lecture. Nous savons
aussi, par le tmoignage des bons connaisseurs, que beaucoup
de
textes,
et mme des textes clbres rsistent mal cette
preuve-l.
Voil
pourquoi,
aux
philosophes
qui
organisent
leur
pense
en
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588 Clmence Ramnoux
systme et
calquent
les modes d expression
de
la
science,
mme si
cette science n est plus
la
gomtrie,
nous
prfrons pour notre
part
les briseurs de systmes,
et
le mode d expression de
la
formule ou
de
la posie. A condition
bien
sr
que
ce
mode de
l expression ne
soit pas le fruit d une impuissance construire, mais plutt les
dbris
d une construction prvue
et
refuse,
remodele
et refuse encore,
comme inadquate perptuit. La lecture potique,
ajoute
la
lecture
smantique,
ne
se
contente pas
de
respecter
un
agencement
de
mots.
Elle
essaye sur les
mots
des vcus
de
sens , quitte les
rejeter
et
rejeter encore, comme
inadquats
ce secret
: le
vrai
sens d un
crivain diffrent et
trs ancien.
Ce
faisant, elle
ne
cesse de viser
le
vrai
sens,
et
non contente
de le viser
elle
recreuse, elle largit le
vide autour
de
lui.
La lecture critique des textes anciens
d une tradition exige
donc
un entranement
spcial, trs
semblable l exgse des textes religieux.
Au terme
de
cet
entranement,
la critique se
retourne contre
les autres
textes, ceux de tradition
rcente et en apparence sans mystre.
Elle
va rejoindre
alors,
jusqu
un
certain
point,
la critique des logiciens
mais
jusqu
un certain point seulement.
Pour mieux nous expliquer, nous
avions
song
prendre pour
exemple
un
texte dj ancien (il date
de
la dcade 30-40)
et
connu
du
logicien
Carnap. Carnap
y
dmonte
un
texte
de
Heidegger
avec
le dessein de
prouver
que
ce
texte
ne
signifie
rien.
Le processus
consiste
:
1
rduire le
contexte choisi
des noncs
simples ;
2
se
livrer
l exercice
appel analyse
d noncs
;
3
reformuler les
noncs
rduits
avec les
moyens propres de
la logique.
La
conclusion
est
qu une
srie
d noncs,
qui prennent un sens
quand
on
met en
position de
sujet
un nom dsignant un
donn
exprimental,
la pluie
dans l exemple en question, et en position
de
verbe
il
pleut , la
mme
srie
d noncs, ou des noncs
de
mme
forme,
ne font plus
aucun
sens,
quand
on
met
la
place
de
sujet
un
terme
qui
ne correspond
plus
aucune
exprience,
bien
qu il garde la forme grammaticale
d un
substantif
comme
le nant
(2).
Plutt
que ce texte sign d un nom clbre,
nous
prfrerions
prendre
pour
exemple
l exercice
d un collgue logicien,
tendant
dnoncer, et
dmonter
ce
qu il
appelle l illusion ontologique (3).
(2) La
science
et la mtaphysique devant l analyse
logique du langage,
p. 26.
(3)
Communication
au
congres
des socits
de philosophie
de langue franaise,
septembre 1967,
pp.
39-41.
-
7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie
10/17
Philosophie de
la philosophie
589
M. Trottignon y attaque le discours ontologique par un seul nonc
principal, savoir A est A.
Il
commence par montrer que le
verbe
tre
est
ici
employ
dans
un
sens
quivoque.
L quivoque
du
verbe
tre
est
connue
de
longue date,
puisque les
catgories d Aristote
ont
prcisment
pour fin
de
dire en quels sens le verbe tre se
prend.
Bien que le sens
soit quivoque, au su d Aristote, celui-ci admettait tout
de
mme
la
possibilit de parler de
l tre,
ou de ce qui est en tant prcisment
qu *7
est,
parce
que les emplois
divers
et discernables
se
rapportent
tous
une seule et mme chose.
La
rigueur d Aristote, qui n est pas
comparable
celle du logicien contemporain, consiste connatre et
avouer le moment
o la
sagesse renonce
la
perfection de
la
rigueur.
L analyse
dcompose
donc
l nonc
A est A, en A est d un
ct,
de
l autre
est
A, en
dissociant deux
sens
du verbe
tre.
Elle
le
recompose
ensuite
l aide
d une
copule artificielle, une copule
logique
dite neutre,
dont
on
ne
connait
mme
pas
d abord la
valeur exacte,
mais qu on
dsigne
par
un signe.
Ce
signe se laisse
lui-mme
rduire
en plusieurs
facteurs,
parmi
lesquels un
signifie en tous
temps, un
signifie
sous tous
les rapports. Le rsidu pourrait alors s exprimer
il
existe une relation
constante entre A est
et
est A.
Le membre
en
fonction de
sujet rassemble
un
nombre
indfini
de
virtualits exprimables en lui accrochant des
attributs, exactement
comme
Parmnide accroche
un
sujet
non nomm des
signes,
en
nombre
fini,
qui marchent tous ensemble. Ici, supposant un nombre
fini d attributs,
ils entretiennent entre
eux
un
nombre fini
calculable
de
relations.
La meilleure
loi
de
cohrence systmatique entre
les relations exprime l essence de A.
Le second
terme,
en position d attribut dans
l nonc
reconstitu,
a
pour
sujets
possibles une
srie de termes lis entre
eux
par
une
seule loi. Ils
font
tous des sujets possibles pour cet attribut-l.
Donc, dans
le
premier terme,
le
verbe tre
a le
sens d une
essence
qui
dfinit
les
limites
d un
systme.
Dans
le
second
terme,
le
verbe tre
a le
sens
d une
gense
qui constitue une srie.
La relation
qui est incluse dans l nonc
correct
du principe
ontologique d identit nonce
elle-mme
qu il existe une
relation
constante,
en
tous temps
et
sous tous les
rapports,
entre le
systme
qui
constitue l essence de
A, et
le devenir o se produit
la gense
de A.
L illusion ontologique
se produit
quand
on fait
converger les
ides
de
systme et
de srie
jusqu au point o
elles
se confondent.
Si
nous
avons compris, le systme qui constitue l essence de tout
ce
qui
est
se
confond
avec
la
gense
d une
srie
identifiable,
la
limite,
-
7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie
11/17
590
Clmence Ramnoux
avec
un Individu, substituable
la
lettre A,
et
dsignable
autrement
par
le pronon
II.
Mais
nous prfrons
reprendre le texte de
notre
auteur :
Cette illusion est dsigne dans
la
formule par le signe
Z,
qui
sans doute
exprime bien un
acte
de rflexion,
mais
comme
cet
acte
n a
de
sens
que
dans
le
discours
de
tel
ego
dtermin
sur
tel contenu
d exprience
dtermin, il exprime
que
toute exprience
suppose une
rflexion
de soi
par
le
langage, non qu il
y
ait une rflexion du
soi
de l tre dans le langage qui est le moyen de cette rflexion. Toute
tentative
de
poser la question
ontologique au sein
du
langage
relve
d une confusion
entre
le
moyen
et les fins .
La
critique
de
M. Trottignon
porterait,
au
fond,
sur la possibilit
de
faire
dire
au
verbe
tre
de
notre
langue
autre
chose
qu une
fonction
de
relation, dans laquelle d ailleurs
le
sens mme
de l tre,
et
de
la
relation
qu il exprime,
a
besoin d tre soigneusement
analys. A
est A
prend un sens satisfaisant
et clair,
si
on veut
dire que le
vcu
rel
d un
ego
dtermin
comporte
une relation
constante avec la
prsence
relle
d un
objet de
son exprience.
L illusion
lui
fait
signifier la
prsence
et
la constance d un grand tre rflchi dans les formes
de
la
langue.
La critique
de
Carnap portait sur la possibilit d introduire
en
fonction
de sujet
dans
la
phrase,
ou
dans
l nonc
reform
selon
les
exigences du logicien,
la
place
du mot simple dsignant une
exprience
facile
reproduire,
un
vocable fabriqu tel que le
non-tre
ou le nant.
On peut bien expliquer comment le vocable
s est
form au cours de
l histoire. On peut
en
raconter
l histoire, en reconstituant
les
noncs
successifs, les
jeux
de
langage
accumuls
qui s loignent
progressivement
d une exprience d origine. Les deux critiques se rejoignent pour
nier
la possibilit
de constituer un
discours valable
sans rfrence
prcise
une
exprience reconstituable.
La
critique
smantique
des textes
de
la
tradition
va
dans
le
sens
de
Carnap, et
porte
de
l eau son moulin, parce qu elle reconstitue
la gense
de vocables
rares,
et
explique
la
formation
d difices
verbaux
singuliers,
tel
par exemple
le
discours ontologique de Parmnide.
Ces
difices tiennent grammaticalement
debout, mme si
leur
sens
se
laisse difficilement
rfrer
une exprience commune. On ne
peut
pas montrer
du
doigt le
sujet du verbe
tre dans l difice
verbal
du
pome parmnidien.
Mme en
dessinant
la
Sphre, on
ne
sait pas
si
la
Sphre
est physique,
mathmatique
ou mtaphorique,
Pourtant,
selon
Parmnide,
tre,
penser,
parler
s identifient
quand
il rcite
son
-
7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie
12/17
Philosophie
de
la
philosophie 591
pome. Son pome se veut plein comme un
oeuf, et
non vide comme
une coque.
Nous
ne
pouvons
pas ne pas respecter ce qui nous est
dit de
cette faon -l,
dit
et
mme
impos avec une pathtique
insistance. Ou bien suffirait-il, peut-tre,
en
rcitant son
pome,
de montrer
du
doigt n importe quoi de prsent
?
La
critique
potique intervient
donc justement pour
se substituer
la critique
smantique. La
critique
potique
admet
que de
grands
vocables, des
signes
sur
la
route,
marchent ensemble,
et
tous ensemble dlimitent, pour ainsi dire,
un espace
dans lequel remue quelque chose,
et
prcisment ce
que nous
visons,
mais quoi(4) ?
En philosophie
il
faudrait faire place, et
lgitimement place, un
procd autre que le procd logiquement
recommandable
qui
consiste
faire
correspondre
chaque
chose
un
signe, et
chaque
signe
une
chose. Autre
mme
que celui qui consiste
dresser l arbre
des
sens
pris par
un mme
mot. Celui-ci consisterait cerner une notion,
insaisissable
autrement, avec un groupe de mots. A
condition
de
les faire
marcher tous ensemble, nonpas comme des synonymes, ni
mme
comme
des quivalents, mais comme simultanment ncessaires : leur
jeu
dlimite une
rgion
o la pense
bouge avant
d avoir russi
dsigner,
ni nommer. L enchanement
en
mode de concatnation logique
masque alors
sous
une fausse apparence
de
dmonstration un autre mode
de
la
cohrence,
ou
de la cohsion
:
la
cohsion assure
par
l attraction
d un noyau commun impossible
saisir. Le travail mme
que
les
hommes
de
bonne volont
font
pour simuler la rigueur d une
dmonstration
drisoire trahit une exigence frustre, ignorante de ce
qui
pourrait
la
satisfaire.
Pour nous expliquer
encore un peu
plus
avant,
avec encore
un peu plus
de
compromission, nous citerons un autre texte du mme
Carnap, en
montrant jusqu o on peut y souscrire, partir
d o
il
ne
faut plus,
et ce qu on
pourrait bien
proposer
la
place :
Quel
rle
la
mtaphysique joue-t-elle
dans
l histoire
?
Nous
pouvons
voir
en
elle le
remplaant
de
la
thologie
sur
le plan
de
la
pense conceptuelle. Les
sources prsumes
surnaturelles
de
connaissance invoques
par la thologie
se
voient remplaces par des sources
naturelles, mais supposes extra-exprimentales
de
connaissance. A
regarder
de
plus prs ce vtement maintes fois
modifi,
nous trouvons
qu il recouvre
le
mme contenu
que le mythe
(4)
Un
ami suggre
pour
rponse
:
c est
le
dsir,
c est l ros.
-
7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie
13/17
592
Clmence
Ramnoux
Jusqu ici
on
peut suivre avec approbation. A partir d ici
on
ne
peut
plus
:
La mtaphysique surgit elle-mme
du
besoin de
donner
une expression au sentiment de la vie,
Vattitude
observe dans la
vie par tout homme,
la
position
qu il
prend,
dans
l ordre sentimental
et volontaire,
l gard
du monde
extrieur, de ses semblables, des
problmes qui retiennent son activit et
des destins
dont
il subit
l influence.
Cette vie
affective la plupart du temps se manifeste, sans
qu il en ait conscience, dans
tout
ce
que
l homme
fait
et
dit; elle
donne son empreinte son visage,
voire
sa dmarche. Beaucoup
prouvent alors le besoin de
la traduire en
outre sous quelque forme
particulire,
tendant
rendre
ce
sentiment de
la vie
perceptible
plus
intimement, lui
donner une intensit
concentre.
S ils sont artistes,
c est
dans
quelqu uvre
d art
qu ils
cherchent
extrioriser
ce
qu ils veulent traduire. Retenons
ce
qui est
essentiel
notre
thse,
que l art est
un
moyen d expression parfaitement adquat
mais
pas
du
tout
la
mtaphysique
au sentiment de
la vie.
Un
moyen
ou un autre,
nous
n aurions rien objecter au fond.
Les
choses
pourtant sont
telles,
en mtaphysique,
que par
la forme
de ses
product ions, elle
donne l illusion
d tre
ce
qu elle n est
pas. Elle
se donne
la forme d une thorie, d un
systme de propositions servant
en
apparence, se
fonder
les unes sur les autres; elle semble ainsi possder
un contenu
comme
les
vraies
thories, et
nous
avons
vu
qu il
n en
est rien
...
Nous sommes ports considrer
la
mtaphysique comme
un succdan de
l art, certainement
trs imparfait
...(5).
Le sentiment de vie est
srement
inadquat
la
motivation
de
la
mtaphysique. Un excs de
positivit
aboutit un excs de
romantisme. A lire ce texte, on gagerait
que la
balance de l histoire
remplacera
bientt la prminence du positivisme
logique
par une nouvelle
vague de
romantisme. Par quoi, pourtant, remplacer
le
sentiment
de
vie,
et
le besoin
de
l exprimer avec une intensit concentre ?
Que
ce qui
va
tre
dit
la
suite
reste
l tat
de
simple
suggestion : un
simple rapprochement
faire
entre
la
leon que
l historien
croit
pouvoir tirer du
surgissement de
la philosophie en
Grce,
et
la
faon dont
Lvi-Strauss
justifie la fonction
du
mythe.
La philosophie
semble
surgir dans Vcart
grandissant
entre une
tradition
dj
fortement
problmatise, mais toujours
vivante, et
des techniques, au
sens
grec de
la techn , dj rationnelles
et
pourvues d un
vocabulaire adquat, avec des structures de pense propres. Rduit par
(s)
Anthropologie structurale, p. 239.
-
7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie
14/17
Philosophie
de
la
philosophie 593
l analyse, le mythe, selon Lvi-Strauss, se condenserait en des
relations qui : 1 dfinissent une problmatique 2 essayent
de
la
mdiatiser.
Citons
l auteur
pour
ne
pas
risquer
de
fausser
sa
pense
:
Ce mythe (il s agit
de
l histoire d dipe
et
de
sa famille) exprime
l impossibilit o se
trouve
une
socit
qui croit l autochtonie de
l homme
de
passer
la reconnaissance du
fait que chacun de
nous
est rellement n
de l union
d un homme et d une
femme. La
difficult est insurmontable. Mais le mythe
offre
une sorte d instrument
logique qui permet de jeter un
pont
entre le problme
initial
:
nat-on
d un seul ou
de deux
? Et la
problmatique
qu on
peut
pproxim tivement formuler
:
le mme
nat-il du
mme
ou de l autre ?
Par ce moyen
une
corrlation
se
dgage.
La
survaluation de
la
paternit du
sang
est
la
sous-valuation de celle-ci comme l effort pour chapper
l autochtonie l impossibilit
d y
russir. L exprience peut dmentir
la thorie.
Mais
la vie sociale vrifie la cosmogonie, dans la
mesure
o l une et l autre trahissent la
mme structure
contradictoire (6).
Sans chercher
mieux
expliquer les dernires lignes difficiles,
retenons
cette leon : que le
mythe
surgit
et
fleurit
prcisment l
o l humanit se trouve aux prises avec une aporie de culture.
Or
l histoire
de
la philosophie
attache ses commencements
formulerait
avec
fruit une
hypothse
similaire, concernant les
compositions
dcores
du
nom
de
discours
de la Nature
substitues
aux
cosmogonies.
L histoire le la philosophie attache ses renaissances aurait mme
avantage essayer
la
mme hypothse sur les mtaphysiques . D o
l ide de rapprocher
la philosophie du mythe, mais
tout
autrement
que
Carnap,
et sans faire intervenir le sentiment de vie .
Il
s agirait
d une
solution
conquise par
un
travail
singulier de
l intelligence
sur
un
problme insoluble,
provisoirement
ou
dfinitivement.
Seulement,
les difficults
auxquelles rpond
le mythe
se dfinissent
un
stade
infrieur, concernant des problmes de l ordre de celui qui tait voqu
tout
l heure
:
les
hommes
naissent-ils
de la
Terre,
ou
de la
Mre
seule, ou des deux?
La
Mre produit-elle l homme ou
offre-t-elle
seulement la nourriture au germe paternel
Si
ces problmes sont
encore vivants,
et
troublants,
c est dans l imagination
des enfants,
ou dans l inconscient infantile des adultes. Ils chappent aux
philosophes
et
aux
savants,
parce
que
l angoisse
avec laquelle les
hommes
les
agitaient ne les
agitent plus, ou
ne
les agitent que dans leurs
rves.
Non seulement
la solution
scientifique
est acquise, mais elle est mo-
(6)
Anthropologie
structurale,
p.
239.
-
7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie
15/17
594
Clmence Ramnoux
tivement assimile. Les difficults
la
provocation desquelles
rpond
la mtaphysique se dfinissent un tout autre
niveau.
Elles se
dfinissent
aussi
un
niveau
tel
que
les
hommes problmatiss disposent
de
vocables,
de
modles
de phrases,
et
de concatnation
d noncs,
conquis
dans et par
le
travail intellectuel et
pratique
fourni pour
matriser les difficults matrisables, dans la
lutte
avec les autres
hommes
ou
la nature. Il
est
normal
qu ils transposent
ce
matriel
pour
tenter de
matriser
des
difficults
non
matrisables. Ce faisant
ils btissent des ponts, qui
sont
des constructions inadquates quoique
clbres. Telles quelles, ces constructions ont aid des gnrations
vivre avec
leurs
difficults.
Ce
fut
pour
les Grecs
la
difficult
d accorder
les
rcits
sacrs de
leur tradition avec
de
nouvelles exigences rationnelles ou thiques :
des exigences
de
rationalit acquises
la faveur
de diverses
techniques,
dont les techniques
du
calcul
et
de l criture; des exigences acquises
avec
les institutions de justice
et
de
gouvernement. Les
meilleurs des
Grecs
ont
ragi en rapportant aux dieux ou au
divin
leurs
exigences. Mais
cela ne s est pas fait sans contestation. Pendant
longtemps, toute leur histoire pourrait-on dire, les Grecs ont conserv des
constructions
parallles, dont
les unes drivaient
visiblement
des
cosmogonies traditionnelles, les autres se prsentaient
avec
un
appareil
savant,
et
avaient
oubli
leur
obscure
origine.
Le
cas
de
la
Grce
est
remarquable
en
ceci
qu il
s agit
d une
couche primaire, pourrait-on dire,
de
philosophie, primaire en ce
sens que les nouvelles
formes
de
discours
taient employes pour la premire fois. Tandis que toute philosophie
europenne est secondaire, ou
tertiaire, en
ceci qu elle difie sur
l hritage des Grecs.
Pour l Europe
moderne,
la
problmatique fut d accorder le rcit
sacr
de
la Gense, interprt avec ralisme, avec les
dcouvertes
nouvelles en mcanique cleste. Et pour
nous,
une
de
nos
problmatiques
sera
d accorder
une
thique
traditionnelle, d origine
chrtienne
incontestablement,
avec toutes
sortes d inventions, dont, par
exemple,
la matrise des processus
de
la
procration.
Il s agit l
de
problmatiques
de
culture, telles que
mme
la solution rationnelle d un problme
prcis ne
les supprime pas.
Dans la
mesure
o les reprsentations
traditionnelles
sont
lies aux systmes de
la parent,
la
hirarchie
sociale
et
au pouvoir, on s en dbarrasse par la violence,
aussi
bien
et mieux que par
la
raison. Ou sinon
la
violence, la lente
usure
du
temps.
Certaines
problmatiques de culture
disparaissent
tout
simplement
avec
le
temps,
aprs
avoir
fort
irrationnellement dur
pendant
-
7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie
16/17
Philosophie
de
la philosophie
595
des gnrations.
Pendant
tout ce temps les
hommes
problmatiss
ont
russi vivre : il est tout fait
habituel, et nullement
scandaleux,
qu une
socit vive
avec
ses
contradictions,
non seulement
avec
mais
d elles-mmes,
comme le moteur de
son dynamisme. Les vocations
philosophiques seraient
alors
motives par une haute exigence de
rationalit, associe une vive sensibilit aux valeurs religieuses.
Que
l une ou l autre vienne
disparatre,
ou
tre incomprise
dans le
milieu,
les
vocations philosophiques
vont
souffrir ou
disparatre. Leur
frquence
serait
fonction
d un
certain dynamisme social li
la
pro-
blmatisation des cultures.
Telle
est
la
suggestion, telle
l hypothse
essayer
ct
du
sentiment de
vie
de Carnap.
Pour tre
moins
romantique,
elle
n en
dmystifie pas moins
d une
certaine faon la philosophie. Quel rle
accorder
dans
ce
cas
la
mtaphysique dmystifie
?
dans une culture
hyper-lucide,
et
largement
dbarrasse de sa
tradition. Que nous
reste-
t-il faire,
nous,
philosophes
de
ce
temps, qui
ne
soit de
l histoire ?
Nous
reste-t-il seulement souffrir et
disparatre?
Nos
historiens
ont dj reconstitu l anamnse d un pass
que
nos archologues
reconduisent jusqu aux
ges
rvolus o
la philosophie
ne possdait pas encore
sa langue
propre pour
parler.
Il nous
resterait,
semble-t-il,
reconduire
les pseudo-solutions
jusqu aux
problmatiques sous-jacentes,
enracines
dans une
culture
en
mutation.
Une
faade de logique
disparatrait
alors au
profit
d une gnalogie des problmatiques.
Problmatiques parmi lesquelles
les
unes
s effacent
avec
le temps,
qui
a
rompu
leur aiguillon,
en
assurant l assimilation motive d une solution
rationnelle.
Les
autres persistent
et
se reformulent d une
faon
toujours
nouvelle. Pourquoi,
par exemple,
l homme
possde-t-il un tel apptit
d tre,
avec une si courte
dure de
vie? Il nous
resterait
formuler
le
bilan
des problmatiques non rsolues
de
la
condition
humaine.
En attendant,
aider
les
hommes
vivre
avec
des
conseils
simples :
viter les
pseudo-solutions
des
faiseurs de systme, viter
1
exacerbation pascalienne d une
problmatique
dchirante,
rduite au
dilemme tragique ; mais accepter
de
vivre avec ses problmes en toute
lucidit.
Des textes
survivent
aux
problmatiques^dont le
temps
a
bris
l aiguillon. Ils se prsentent comme anachroniques
et
mystrieux :
fascinants
aussi,
parce qu ils remuent des tragdies oublies de
la
psych.
C est
alors qu ils
relvent d une
critique
smantique
dmystifiante,
suivie d une
lecture potique pacifiante.
L espce
de
beaut
propre
ces
textes
provoque
des
hommes
vocation philosophique,
-
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17/17
596
Clmence
Ramnoux
fortement
dmystifis, trop
lucides pour accepter une fausse faade
de logique, tenter ce mode de l expression
plutt
que celui de
la
gomtrie.
Pour
clore
cet
article,
rien
ne
vaudra
mieux
qu un
chantillon
de
pome ontologique,
de
tradition franaise et
de
style renaissant
Premier
en son
rien
clos
se celait en son
Tout,
Commencement de soi, sans
principe et
sans bout,
Inconnu,
fors
soi,
connaissant toute
chose,
Comme toute de soi,
par
soi, en soi enclose,
Masse
de dit en soi-mme
amasse,
Sans lieu et sans espace en
terme
compasse,
Qui ailleurs ne
peut
qu en son propre tenir,
Sans
aucun
temps
prescrit pass
ou avenir,
Le
prsent
seulement
continuant
prsent,
Son tre de vieillesse
et
de jeunesse exempt :
Essence pleine
en soi d infinit
latente,
Qui seule en soi se plat et seule se contente,
Non agente,
impassible,
immuable, invisible,
Dans
son
ternit
comme incomprhensible,
Et qui de soi soi
tant
sa
jouissance
Consistait
en bont, sapience et puissance.
(Maurice
Scve)
Paris-Nanterre.
Clmence
Ramnoux.