temps et action dans la philosophie d'aristote

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TEMPS ET ACTION DANS LA PHILOSOPHIE D'ARISTOTE Carlo NATALI Presses Universitaires de France | « Revue philosophique de la France et de l'étranger » 2002/2 Tome 127 | pages 177 à 194 ISSN 0035-3833 ISBN 9782130526667 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-philosophique-2002-2-page-177.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Carlo NATALI, « Temps et action dans la philosophie d'Aristote », Revue philosophique de la France et de l'étranger 2002/2 (Tome 127), p. 177-194. DOI 10.3917/rphi.022.0177 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.52.229.40 - 31/05/2015 07h06. © Presses Universitaires de France Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.52.229.40 - 31/05/2015 07h06. © Presses Universitaires de France

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Carlo NATALI

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  • TEMPS ET ACTION DANS LA PHILOSOPHIE D'ARISTOTECarlo NATALI

    Presses Universitaires de France | Revue philosophique de la France et de l'tranger 2002/2 Tome 127 | pages 177 194 ISSN 0035-3833ISBN 9782130526667

    Article disponible en ligne l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Carlo NATALI, Temps et action dans la philosophie d'Aristote , Revue philosophique de laFrance et de l'tranger 2002/2 (Tome 127), p. 177-194.DOI 10.3917/rphi.022.0177--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • TEMPS ET ACTIONDANS LA PHILOSOPHIE DARISTOTE

    I. Le problme

    Pour dterminer quelle est lontologie de laction selon Aristoteou sa thorie du rapport entre action et temporalit, on ne peututiliser directement le texte aristotlicien pourtant le plus impor-tant quant ltude de lagir moral, lthique Nicomaque. Danslthique Nicomaque, Aristote pratique une espce dascse tho-rtique, au sens o dans cet ouvrage il vite tout approfondisse-ment ontologique de la ralit quil dcrit, mais sintresse seule-ment aux mcanismes et aux principes du raisonnement pratique, lintrieur dune thorie gnrale de la fin et du bien humain,laquelle ne dpend pas dune cosmologie mais se fonde sur larecherche de la quantit de vrit que lon peut trouver dans lesendoxa humains.

    De ce point de vue, lthique Eudme est un texte plusintressant. Comme la bien remarqu Donini dans la prface satraduction italienne rcente de cette uvre, seule lthique Eudme pose le problme : comment reconduire les fondementsde la thorie de la vertu et de laction la structure plus gnralede la thorie du mouvement et de la gnration 1 ? Mais, mmedans cet ouvrage, lattention dAristote se concentre principale-ment sur le problme de savoir ce qui distingue un mouvementcomme laction humaine, fruit dun choix, dun mouvement pure-ment physique.

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    1. P. L. Donini, Aristotele. Etica Eudemia, trad., introd. et notes, Roma-Bari, 1999, p. XVI.

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  • Dans plusieurs passages du livre II, lEE considre la praxiscomme une espce de kinsis : Laction est un mouvement.

    Prenons alors un autre point de dpart pour ltude suivante. Toutesles substances sont certes par nature des principes ; cest pourquoi chacunepeut engendrer plusieurs tres semblables elle, par exemple lhomme, deshommes, lanimal en gnral, des animaux, et la plante, des plantes. Enoutre, lhomme est certes le seul des vivants tre, en plus, principe de cer-taines actions, car nous ne pourrions dire daucun tre vivant : Ilagit. (...) Lhomme est principe dun certain type de mouvement, carlaction est mouvement1 (EE, 1222 b 15-29, texte de Walzer-Mingay ;cf. 1214 ba 28-30, 1220 b 21-27).

    Dans un passage, Aristote compare carrment le mouvementdun corps lourd qui tombe et laction qui drive dun choix : dansle cas des corps, sils sont mus dans une direction contraire celle deleur mouvement naturel, il parle de contrainte et ncessit , alorsque ces termes ne sont pas utiliss pour un corps qui se meut dunmouvement naturel. Il ne dit pas nanmoins que le mouvement estlibre, parce que cette opposition est sans nom (1224 a 19-20). Laseule diffrence semble rsider dans la complexit de la causemotrice.

    Chez les tres inanims, le principe [moteur] est simple, mais chez lestres anims il est multiple, car le dsir et la raison ne saccordent pas tou-jours2 (23-25).

    Dans lEE, donc, laction humaine est un mouvement (kin-sis), et elle se distingue des autres mouvements du fait davoircomme cause motrice un tre capable dagir de faons opposes, untre dont le comportement nest pas naturellement prdtermincomme celui des pierres, des plantes ou mme des animaux(cf. EE, II, 6).

    Cela peut surprendre le lecteur, car une des doctrines les plusconnues de la thorie aristotlicienne de laction est celle selonlaquelle il existe une diffrence de genre entre laction humaine et lemouvement naturel, et si lon sappuie sur cette thorie on peut direquaucune action nest un mouvement et quaucun mouvementnest une action. Laction est une activit, non pas un mouvement.Le passage dans lequel est formule cette thse est trs clbre, bien

    Revue philosophique, no 2/2002, p. 177 p. 194

    178 Carlo Natali

    1. L0wmen on 5llhn 3rcQn tRV CpioAshV sk@yewV. ecsa dQ p2sai mAn ad osBaikat1 jAsin tinAV 3rcaB, diq kaa Dk0sth poll1 dAnatai toiata genn2n, ojon 5nqrwpoV3nqrpouV kaa zon [vn], [secl. Dirlmeier] wlwV za kaa jutqn jut0. prqV dA toAtoiVw g 5nqrwpoV kaa pr0xen tinn Cstin 3rcQ mpnon tn zwn tn g1r 5llwn oqAneepoimen 6n pr0ttein.

    2. BEn mAn tobV 3yAcoiV 4plR T 3rcP, Cn dA tobV CmyAcoiV pleon0zei o g1r 3ea TurexiV kaa t lpgoV sumjwneb. st Cpa mAn tn 5llwn zwn 4plon tq bBaion.

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  • quil souffre dune grande incertitude textuelle ; je me limiterai ici rapporter le texte original en indiquant tous les points incertains, et en proposer ma traduction :

    1048 b 18 l@getai dA CnergeB1 o p0nta tmoBwV 3ll)V t2 3n0logon, V toto Cn toAt V prqV toto, tpd) Cntde V prqV tpde t1 mAn g1r V kBnhsiV prqV dAnamint1 d) V osBa prpV tina lhn.(...)

    Epea3 dA tn pr0xewn n Esti p@raV odemBa t@loV3ll1 tn pera tq t@loV, ojon to4 cscnaBnein T cscnasBa

    20 [atp]5, at1 dA wtan cscnaBn otwV Cstan Cn kinPsei mQp0rconta n Gneka T kBnhsiV, ok Esti tata pr2xiV Vo teleBa ge (o g1r t@loV) 3ll) CkeBnh 6 Cnup0rcei tqt@loV [kaa T]7, pr2xiV. ojon tr 7ma 8, kaa jroneb 9 kaa noeb kaa nenphken, 3ll) o manq0nei kaa mem0-

    25 qhken od) gi0zetai kaa gBastai e z kaa e Ezhken 7ma10,kaa edaimoneb kaa edaimpnhken. ec dA mP, Edei 5n pote paAe-sqai sper wtan cscnaBn, nn d) o, 3ll1 z kaa Ezhken.toAtwn11 dQ 12 t1V mAn kinPseiV l@gein, t1V d) CnergeBaV.p2sa g1r kBnhsiV 3telPV, cscnasBa m0qhsiV b0disiV ockodp-

    30 mhsiV atai dA13 kinPseiV, kaa 3telebV ge, o g1r 7mabadBzei kaa be0diken, od) ockodomeb kaa kodpmhken, odAgBgnetai kaa g@gonen V kinebtai kaa kekBnhtai, 3ll) Gte-ron, kaa kineb kaa kekBnhken Drake dA kaa tr 7ma tqatp, kaa noeb kaa nenphken. tQn mAn on toiaAthn Cn@rgeian

    35 l@gw, CkeBnhn dA kBnhsin.

    Toutes les choses ne sont pas dites en acte de la mme manire, maisseulement par analogie, de mme que telle chose est dans telle chose ourelativement telle chose, telle autre chose est dans telle autre chose ourelativement telle autre chose : dans certains cas lacte est comme lemouvement est la puissance, dans dautres comme la substance par rap-port une matire (...)

    Puisque aucune des actions qui ont un terme nest pas elle-mmeune fin, mais rentre dans le groupe des choses qui ont rapport une fin(comme par exemple lamaigrissement est fin du fait de maigrir, et cela est

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    1. E J Alex. Cn@rgeia Ab.2. Ab Alex. tp E2 J.3. 18-35 Ab Philop. Alex. (cod. F) ; om. E J recc.4. to... T mss ; tq... V Bywater, Ross.5. Secl. Christ.6. CkeBnh Bonitz ; CkeBn mss.7. Seclusi kaB ; [T] Bonitz.8. 7ma Bonitz ; 3ll0 mss.9. add. Bonitz.

    10. Bonitz ; 3ll0 mss.11. 28-35 espunxit Ab.12. add. Bonitz.13. d@ mss ; dP Bonitz.

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  • en mouvement pendant le processus de lamaigrissement, de faon tellequil na pas en lui-mme ce en vue de quoi le mouvement se produit), detelles choses ne sont pas vritablement des actions ou, au moins, desactions parfaites, car aucune delles nest une fin. Au contraire, celle laquelle la fin est inhrente est une action : par exemple, en mme tempson voit et on a la vision, on conoit et on a le concept, on pense et on a lapense, tandis quon napprend pas et on a la connaissance, ni non plus ongurit et on a la sant ; mais on vit bien et on a une bonne vie, en mmetemps, on est heureux et on a le bonheur.

    Sans cela, il faudrait quil y et arrt un moment donn, comme celase produit pour lamaigrissement ; mais, en ralit, il ny a pas de pointdarrt, au contraire on vit et on est en vie. Donc il est opportun dappelerces diffrents processus, les uns, mouvements, les autres, actes.

    (En effet, tout mouvement est incomplet : amaigrissement, tude,marche, construction ; ce sont des mouvements, et certes incomplets, caron ne peut pas marcher et avoir parcouru son itinraire, ni btir et avoirtermin la maison, ni devenir et tre devenu, ou recevoir un mouvement etlavoir reu, mais ce sont des choses diffrentes, et le sont aussi mouvoir etavoir m ; par contre on voit et en mme temps on a la vision, on pense eton a la pense.) Donc jappelle acte un tel processus, et lautre, mou-vement (Mtaph., 1048 b 6-35).

    On pourrait donc poser ainsi le problme : dans la Mtaphysiqueles activits de voir, de penser et de vivre sont qualifies de praxeis,et cela laisse penser que lanalyse ontologique qui y est conduitesapplique galement la pratique morale, celle qui se trouvedcrite dans les thiques, o elle est distingue de la techn et dumouvement en gnral. Si en Mtaph., IX 6, le syllogisme suivant,en Celarent , est valide :

    (1)

    Aucune energeia nest une kinsisToute pratique au sens strict est une energeia

    Aucune pratique au sens strict nest une kinsis

    La conclusion : Aucune pratique au sens strict nest une kin-sis contredit premire vue la thse de lEE soutenant que laction humaine est un mouvement (kinsis) . Comment peut-on concilier les affirmations de lEE et celles de la Mtaphysique ?Cela ne peut en tout cas se faire en invoquant lhypothse dunevolution de la pense dAristote dune uvre lautre, parce que laconception fondamentale de la Mtaphysique, lide quil y a desactivits dont la fin est lactivit elle-mme et non pas un rsultatau-del de lactivit, est dj prsente dans lEE. En 1219 a 11-18,Aristote distingue deux sens dergon, celui o lergon est le rsultatdune activit productive :Revue philosophique, no 2/2002, p. 177 p. 194

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  • En certain cas, luvre est autre chose que lusage, par exemple cellede larchitecture est la maison1 (13-14),

    et celui o lergon est lactivit elle-mme :Dans dautres cas, lusage est luvre, par exemple pour la vision,

    laction de voir, et pour la science mathmatique, la connaissance2 (16-18).

    La distinction entre des mouvements qui ont leur fin dans uneralit extrieure et lactivit qui est une fin en elle-mme est doncgalement prsente dans lEE et saccompagne dexemples sem-blables ceux de la Mtaphysique.

    Nous ne voudrions pas entrer ici trop avant dans la discussionde ce problme, que nous avons trait ailleurs3. Nous voudrions, laplace, dvelopper ce problme du point de vue de la temporalit.Selon certaines interprtations, le fait quaucune praxis ne soit unekinsis, joint lide que toute kinsis est dans le temps, fournit lapossibilit de dire que, par soi, lenergeia en gnral et la praxishumaine en particulier nadviennent pas dans le temps. Certainssavants franais ont soutenu des positions de ce genre.

    Se fondant sur le fait que, dans lanalyse du plaisir au livre X 3de lEN, Aristote rappelle la distinction entre activit (energeia) etmouvement (kinsis) et affirme que le plaisir est une activit maisnon un mouvement, le P. Gauthier, dans son commentaire de lEN,a soutenu ceci : On peut mettre plus ou moins de temps parvenirau plaisir, et plus ou moins longtemps cesser de lprouver ; leplaisir en lui-mme est hors du temps4.

    Revue philosophique, no 2/2002, p. 177 p. 194

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    1. Tn mAn g0r Cstin Gterpn ti tq Ergon par1 tQn crRsin, ojon ockodomikRV ockBa.2. Tn d T crRsiV Ergon, ojon uyewV wrasiV kaa maqhmatikRV CpistPmhV qewrBa.3. Je peux seulement indiquer la solution qui me semble la plus vraisem-

    blable : la praxis humaine est une ralit compose, et dont les lments compo-sants sont des mouvements physiques ; ceux-l visent par nature un rsultat dif-frent deux, mais le tout quils composent, laction en elle-mme, na pas lesmmes caractristiques ; au contraire, laction comme acte est fin en soi. Arra-cher un enfant un incendie est, la fois, accomplir un acte de courage, ce qui estune fin en soi, et produire un rsultat : sauver la vie de lenfant. Pour ces thmes,je voudrais renvoyer mon article : Azioni e movimenti in Aristotele, in A. Alberti(a cura di), Realt e ragione. Studi di filosofia antica, Firenze, 1994, p. 159-184 ;une nouvelle version, en traduction franaise, est en cours de publication dans unvolume de la revue Philosophie, textes rassembls par P.-M. Morel.

    4. R.-A. Gauthier et J.-Y Jolif, Aristote. L thique Nicomaque, introd.,trad. et comm., Louvain-Paris, 19702, vol. II, p. 828, ad 1173 b 2-4. G. Rodier,Aristote. thique Nicomaque, livre X, Paris, 1897, p. 87, ad 1174 a 14, taitdune opinion en partie diffrente : Tout ce qui est acte, ou fin pleinementralise, est indpendant du temps. Sans doute, lenergeia, comme la kinsis,peut avoir lieu dans le temps. Mais il nintroduit en elle aucun devenir ; elle esttrangre la tendance et au progrs, qui caractrisent le mouvement. Cecommentaire semble plus appropri, pour une raison que nous allons voir plusloin.

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  • Il y a plus. Dans un livre trs complexe, V. Goldschmidt a ana-lys les textes de la Potique dAristote la lumire de la distinctionentre energeia et kinsis pour arriver soutenir que, selon Aristote,laction nadvient pas dans le temps. Il affirme :

    Que la tragdie mme ait quelque rapport avec le temps, cela ne paratpas douteux : elle est limitation dune action, imitation qui possde unetendue (1450 b 25). Ltendue ou grandeur peut se comprendre comme latrajectoire le long de laquelle laction se meut et qui, daprs la doctrine dela Physique, est accompagne dun temps. Toutefois cet accompagnementnappartient pas essentiellement laction, et cest pourquoi, daprs lesCatgories, une action nest pas une quantit que par accident : on ditque laction est longue du fait que le temps estconsidrable (6, 5 b 3) [...]. Il semble mme que laction soit soustraite autemps.

    Et encore : Laction dramatique ne vise aucune uvre qui luisoit extrieure ; sa fin lui est immanente. Elle est en acte tout aulong de son droulement... Et enfin : Ce tout quAristote situehors du temps (...) que Plotin appellera ternit1.

    Ces affirmations, ce quil semble, ne valent pas seulementpour laction tragique qui est rcite sur la scne, mais stendent tout lagir humain, quil se produise sur la scne o lextrieurde celle-ci.

    Lide qui se trouve la base de cette lecture du texte aristotli-cien est que le mouvement, et seulement lui, comporte ltre dans letemps, alors que les activits, qui ne sont pas des mouvements, nesont pas dans le temps. On pourrait ainsi, selon cette interprtation,construire un autre syllogisme semblable au prcdent, du type :

    (2)

    Aucune energeia nest une kinsisToute kinsis est dans le temps

    Aucune energeia nest dans le temps

    Or, comme la praxis est une sorte denergeia, il semble facile dendduire quaucune praxis nest dans le temps.

    Ce syllogisme (2) reprend la majeure de (1) et lapplique autemps, de faon exclure que lactivit (energeia) advienne dansle temps. lvidence, ce syllogisme nest pas logiquement valide :le fait que toute kinsis est dans le temps nimplique pas que seulela kinsis soit dans le temps, donc la conclusion ne suit pas desprmisses.

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    1. V. Goldschmidt, Temps physique et temps tragique chez Aristote, Paris,1982, p. 408-410 et 418.

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  • En outre, du point de vue de lexprience commune, est-il vrai-ment possible de penser que laction humaine nest pas dans letemps ? premire vue, la thorie parat bizarre, et tre une sourcepotentielle de grandes confusions sur le plan thorique. Le dangerest de trop assimiler lagir humain et lactivit divine, deux ralitsquAristote cherche au contraire sparer de toutes les faons pos-sibles, mme sil reconnat quil existe quelque analogie entre lesdeux.

    Comme on la dit auparavant, ce nest pas dans lEN que lontrouvera la rponse au problme de la temporalit de laction. Leconcept de temps est mentionn de nombreuses reprises danslEN, mais, quand il parle du temps dans cette uvre, Aristoteutilise un vocabulaire populaire et imprcis, qui prend la notion detemps en son sens commun. Voici quelques exemples :

    On ne peut dire quelquun heureux que lorsque sa vie estacheve : une hirondelle ne fait pas le printemps (1100 a 5-6).

    La vertu nat dans le temps, grce lhabitude (1103 a 14-18).

    Lamiti entre bons est durable, et brve celle entre mchants(1158 b 4-5 ; 1159 b 7-10).

    En un mot, pour Aristote la vie humaine se dveloppe dans letemps, et le temps est un lment indispensable de lagir moral,mais cela ne conduit pas la thmatisation de ltre-dans-le-tempscomme particularit de lagir ; la notion de temps qui intervientdans lEN est tout fait banale1. Et, sur ce point, lEE ne paratpas avoir grand-chose de nouveau nous dire.

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    1. Voir une tude sur les passages de lEN o apparat la notion de temps :G. Verbeke, Moral Behaviour and Time in Aristotles Nicomachean Ethics ,in Kephalaion, Studies. De Vogel, Assen, 1975, p. 78-90, repr. in Ch. Mueller-Goldingen, Schriften zur aristotelischen Ethik, Hildesheim, 1988, p. 385-397.Elle arrive aux conclusions suivantes : 1 / Dans la Physique, comme dans leParmnide de Platon, le temps est vu comme destructeur ; dans lEN on a, aucontraire, une vision plus positive de luvre du temps, envisag comme unlment damlioration. Par exemple : la vertu sacquiert progressivement,avec le temps ; en outre, la connaissance des diverses circonstances de la viedrive du temps, est propre aux adultes et non aux jeunes gens. 2 / Deuxime-ment, pour Aristote, il y a une accumulation de lexprience morale delhumanit passant dune gnration lautre, qui conduit une sorte de pro-grs moral. Sur ce second point, nous avons un doute ; cela ne pourrait valoiren tout cas qu lintrieur dun seul cycle cosmique, parce que les catastrophesqui ravagent cycliquement la terre ramnent priodiquement la culturehumaine un niveau voisin de zro.

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  • II. tre-dans-le-temps selon Aristote

    La Physique peut nous aider rsoudre la question. Aprsavoir donn sa dfinition du temps comme nombre du mouve-ment selon lantrieur et le postrieur (3riqmqV... kinPsewV kat1 tqprpteron kaa steron) , Aristote veut dmontrer que cette dfini-tion est aussi capable de rendre raison des manires communes deparler utilisant la notion de temps. Pour cela, il consacre une sec-tion du chapitre IV, 12 la discussion de lexpression tre-dans-le-temps . Remarquons demble que, jouant son coup douver-ture habituel, Aristote affirme que tre-dans-le-temps se dit enplusieurs sens.

    Un premier sens, auquel Aristote fait seulement allusion, est :(x) tre-dans-le-temps par accident (sumbebken, 221 a 24).

    Ce cas rfre leinai tote hote ho chronos estin, tre quand letemps se produit , cest--dire la simple simultanit du tempscosmique et dun objet quelconque. Il dit :

    Il est clair, aussi, que le fait dtre quand le temps est, ce nest pas tre dans le temps , pas plus que tre en mouvement ou tre dansun lieu , ce nest tre quand le mouvement et le lieu sont. Car si ctait lle signifi de lexpression tre en quelque chose , il en rsulterait quetoutes les choses seraient dans nimporte quoi, et le ciel dans un grain demillet : car quand le millet est, le ciel est aussi. Mais cela est simplementpar accident (221 a 19-21)1.

    En ce qui concerne ce sens, la critique est partage ; les commen-tateurs antiques pensaient en effet quil sagit ici rellement, pourAristote, des ralits qui sont dans le temps seulement par accident.Alexandre2 soutient que cela renvoie ta aidia, aux choses ter-nelles ; pour Philopon3, il sagit de lme, de la sphre du divin, desanges, de Dieu et, en gnral, de toutes les choses incorporelles.Ces deux commentateurs comprennent quAristote parle ici dune simultanit qui est seulement simultanit , car, disent-ils,Aristote entend, par cette expression, dire la simultanit pure, sans

    Revue philosophique, no 2/2002, p. 177 p. 194

    184 Carlo Natali

    1. Fanerqn dA kaa wti ok Estin tq Cn crpn einai tq einai wte t crpnoV Estin,sper odA tq Cn kinPsei einai odA tq Cn tpp wte T kBnhsiV kaa t tppoV Estin. ec g1rEstai tq En tini otw, p0nta t1 pr0gmata Cn tton Estai, kaa t oranqV Cn tk@gcr wte g1r T k@gcroV Estin, Esti kaa t oranpV. 3ll1 toto mAn sum@hken.

    2. Alex. in Simplic., in Aristotelis Physicorum libros quattuor posteriores (d.Diels, CAG X, Berlin, 1895), p. 739, 14 ; Simplicius glose cette affirmation avecune rfrence au Time, 37 d : le vivant ternel qui est le paradeigma.

    3. Philop., in Aristotelis Physicorum libros quinque posteriores (d. Vitelli,CAG XVII, Berlin, 1887), p. 750, 13-15, cf. 747, 23-29.

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  • aucune autre connexion. Cette manire dtre dans le temps corres-pond plus ou moins ce que Gauthier et Goldschmidt attribuent laction et en gnral lactivit. Comme on la vu, Goldschmidtaffirme que laction est une quantit et nest dans le temps que paraccident, alors quen elle-mme laction est soustraite au temps.

    Les interprtations les plus rcentes voient au contraire dans lepassage cit ci-dessus une simple allusion critique. Selon elles, Aris-tote voudrait diffrencier sa position de celle du Parmnide, o Pla-ton affirme que tre dans le temps , cest tre ncessairementimmerg dans le devenir et sujet corruption : tre dans le temps,nest-ce pas forcment devenir plus vieux que soi-mme ? (141 a 5-6). Ainsi, selon Platon, il nest pas possible d tre dans le temps sans tre soumis au changement. Aristote sopposerait cette ide : travers lide d tre dans le temps par accident , il voudrait trou-ver un sens d tre dans le temps qui pourrait sappliquer aussi des ralits immuables, parce que cela nimpliquerait pas dtre sou-mis au changement. La contemporanit de limmuable et du temps,tant purement accidentelle, ne nous dit rien de la faon dont exis-tent en elles-mmes les ralits immuables1.

    Plus important que ce premier sens est le suivant :(y) tre dans le temps au sens propre, cest--dire de manireanalogue celle dont les autres choses sont dans un systmenumrique.

    Ce sens se subdivise en deux acceptions plus particulires :(y .1) tre un aspect du temps ,(y .2) tre mesur par le temps .

    Le texte dans lequel Aristote trace cette distinction est obscur etcomplexe. Voyons-le :

    Puisque le temps est mesure du mouvement et de ltre-en-mouvementet quil mesure le mouvement en dterminant un certain mouvement quimesurera lensemble (comme aussi la coude mesure la longueur en dfinis-sant une certaine grandeur qui mesurera la totalit) et puisque [a] pour lemouvement, tre dans le temps, cest tre mesur par le temps, aussi bienlui-mme que son essence (car simultanment le temps mesure le mouve-ment et ltre du mouvement) pour lui cela est tre dans le temps : avoirson essence mesure ; il est clair aussi [b] que pour les autres choses tredans le temps, cest cela, avoir son existence mesure par le temps. Eneffet, lexpression tre dans le temps signifie lune des deux choses sui-vantes : [x] lune, le fait dtre quand le temps se produit, [y] lautre le faitdtre la manire dont nous disons que certaines choses sont dans le sys-tme numrique . Mais cela son tour signifie [y .1] soit le fait dtre

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    1. E. Hussey, Aristotles Physics books III and IV, Oxford, 1983,p. 165.

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  • comme partie et proprit du nombre et en gnral comme quelque chosedu nombre, [y .2] soit quil y a un nombre de la chose. Et puisque le tempsest un nombre, linstant, lantrieur et toutes les choses de ce genre sontdans le temps la manire dont lunit, limpair et le pair sont dans lenombre (car les uns sont quelque chose du nombre, les autres sont quelquechose du temps), par contre les choses sont dans le temps comme dans unnombre. Sil en est ainsi, elles sont enveloppes par le temps comme leschoses qui sont dans un lieu sont enveloppes par le lieu.

    [Ici suit la section sur tre dans le temps par accident , dj cite.]Dans ce cas il y a une liaison ncessaire, car pour ce qui est dans le

    temps il y a ncessairement un temps dans lequel il existe, et pour ce quiest en mouvement, quil y a un mouvement en ce temps-l.

    Puisque tre dans le temps , cest comme tre dans le nombre ,on pourra prendre un temps plus grand que tout ce qui est dansun temps ; cest pourquoi il est ncessaire que tout ce qui est dans letemps soit envelopp par le temps, comme tout ce qui est dans quelquechose, par exemple ce qui est dans un lieu est envelopp par le lieu1 (Phys.,220 b 33 -221 a 18 e 221 a 26-30 ; les quatre parenthses sont ajoutespar moi).

    Aristote distingue deux sens de lexpression tre dans letemps : (x) tre quand le temps se produit et (y) tre lamanire dont nous disons que certaines choses sont dans le sys-tme numrique . En outre, il distingue ici deux objets auxquelson peut prdiquer ltre dans le temps : (a) le mouvement, (b) lesautres choses (nous verrons par la suite quelles elles sont). Le pre-mier sens, (x), est le sens accidentel et peut sappliquer nimportequelle chose, y compris aux tres ternels. Cela implique que la dis-tinction des types dobjets auxquels on peut prdiquer ltre dans le

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    186 Carlo Natali

    1. BEpea d Cstan t crpnoV m@tron kinPsewV kaa to kinebsqai, metreb d otoV tQnkBnhsin t trBsai tin1 kBnhsin X katametrPsei tQn wlhn (sper kaa tq mRkoV t pRcuVt trBsai ti m@geqoV x 3nametrPsei tq wlon) kaa Estin t kinPsei tq Cn crpn einai tqmetrebsqai t crpn kaa atQn kaa tq einai at [J1 Philop. ; atRV, E2 J2 recc.Simpl. Them.] (7ma g1r tQn kBnhsin kaa tq einai tRV kinPsewV metreb) kaa tot Estinat tq Cn crpn einai, tq metrebsqai atRV tq einai dRlon dA [mss ; wti Alex., Ross]kaa tobV 5lloiV tot Esti tq Cn crpn einai, tq metrebsqai atn tq einai pq tocrnpou. tq g1r Cn crpn einai duobn Cstin q0teron, Hn mAn tq einai tpte wte t crpnoVEstin, Hn dA sper Enia l@gomen wti Cn 3riqm Cstin. toto dA shmaBnei Utoi V m@roV3riqmo kaa p0qoV, kaa wlwV wti to 3riqmo ti, V wti Estin ato 3riqmpV. Cpea d3riqmqV t crpnoV, tq mAn nn kaa tq prpteron kaa wsa toiata otwV Cn crpn V Cn3riqm mon1V kaa tq perittqn kaa 5rtion (t1 mAn g1r to 3riqmo ti, t1 dA to crpnoutB Cstin) t1 dA pr0gmata V Cn 3riqm t crpn CstBn. ec dA toto, peri@cetai pqcrpnou [Torstrik, Ross, Goldsch. ; p 3riqmo mss, Carteron, Pellegrin] sper[ add. Ross] kaa t1 Cn tpp pq tppou. (...) Ckebno d3n0gkh parakolouqebn, kaa t unti Cn crpn einaB tina crpnon wte k3kebno Estin, kaat Cn kinPsei unti einai tpte kBnhsin. Cpea d@ Cstin V Cn 3riqm tq Cn crpn, lhjqPse-taB tiV pleBwn crpnoV pantqV to Cn crpn untoV diq 3n0gkh p0nta t1 Cn crpn untaperi@cesqai pq crpnou, sper kaa t9lla wsa En tinB Cstin, ojon t1 Cn tpp pq totppou.

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  • temps, (a) et (b), vaut seulement pour le sens (y) de lexpression tre dans le temps autrement dit, vaut seulement pour le sensnon accidentel.

    Dautre part, le sens de lexpression tre dans le systmenumrique se subdivise nouveau en deux significations particu-lires : (y .1) : tre comme partie et proprit du nombre et engnral comme quelque chose du nombre , et (y .2) il y a unnombre de la chose (= tre nombrable) . Le premier sens (y.1)sapplique seulement aux choses qui dsignent la limite de priodesdu temps, comme linstant, lantrieur et termes semblables, quisont quelque chose du temps 1. Le second sens (y .2) delexpression tre dans le systme numrique est au contrairecelui o vient la lumire le sens le plus propre de lexpression tre dans le temps .

    tre dans le temps signifie donc, au sens le plus propre duterme, tre envelopp dans le temps comme les choses qui sont dansun lieu sont enveloppes par le lieu dans lequel elles sont. Cettesignification, (y .2), sapplique, en des sens divers, au mouve-ment (a) et dautres choses (b). Le problme est prsentdtablir si lexpression tre dans le temps , dans le sensquon vient dindiquer, possde la mme signification quand ellesapplique (a) et quand elle sapplique (b), ou bien non.

    La premire solution se trouve dans certaines traductionsmodernes comme celle dite Traduction dOxford : To be in timemeans, for movement, that both it and its essence are measured bytime... clearly, then, to be in time has the same meaning for otherthings also, namely, that their being should be measured bytime 2 ; la traduction comme le commentaire de Hussey3 donnentle mme sens.

    Alexandre dAphrodise semble, au contraire, admettre une dif-frence entre les deux sens de lexpression quand elle est applique (a) et (b), puisquil dit :

    Et Alexandre soutient que dans ce chapitre il se propose de dmontrer :en quel sens on dit que le temps mesure le mouvement, en quel sens on dit

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    Temps et action dans la philosophie dAristote 187

    1. A. Vigo, Aristoteles. Fisica libros III-IV, trad., introd. et comm., Bue-nos Aires, 1995, p. 266.

    2. Trad. de Hardie et Gaye, in J. Barnes (eds), The Complete Works ofAristotle Translated into English. The Revised Oxford Translation, Princeton,1984, vol. I, p. 374.

    3. E. Hussey, op. cit., p. 147 et 165-166. Il relve que nest pas encore bienclaircie de cette faon la signification de tre dans le temps , et hsite comprendre to einai comme existence ou comme essence .

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  • que le mouvement se dit de quelque chose qui est totalement (hols) dans letemps, et en outre quen un autre sens on dit que toutes les autres chosessont absolument (hapls) dans le temps1.

    Dans ce texte, il semble que les spcifications hols (totalement)et hapls (absolument) voquent deux sens diffrents de tre dansle temps , bien quon ne voie pas trs clairement ce quest cette dif-frence pour Alexandre.

    Ce qui rend la solution difficile est lexistence dune obscuritsyntaxique dans le passage. La longue priode hypothtique quicommence la ligne 220 b 32 avec ces mots : Puisque le temps estmesure du mouvement trouve selon Alexandre et les interprtesqui pousent sa lecture son apodose aux lignes 221 a 7 sq. avec lesmots : Il est clair que pour les autres choses aussi tre dans letemps, cest cela, avoir son existence mesure par le temps. Si on litle texte de cette faon, il semble facile de soutenir que lexpression tre dans le temps , dans lacception (y .2), a le mme sens pour (a)et pour (b), mme si Alexandre ne tire pas cette conclusion.

    Cette lecture rencontre deux objections. Premire objection :elle nglige le fait quAristote affirme (221 a 5) que dans le cas dumouvement le temps mesure kai autn kai to einai auti, aussi bienlui-mme que son essence , alors que dans le cas des autres chosesil dit que tre dans le temps , cest to metreisthai autn to einai, avoir son existence mesure par le temps . Cette diffrence entreles deux formules permet de souponner que les deux sens de (y .2)sont diffrents.

    Seconde objection : tous les manuscrits ont aux lignes 221 a 7-8dlon de kai, ce qui, comme le note Philopon2, empche de consid-rer les lignes 221 a 7 sq. comme lapodose de la priode hypoth-tique qui commence en 220 b 323. Alexandre et, avec lui, les diteursmodernes corrigent en effet le texte sur ce point pour le faire cadreravec leur interprtation, en lisant dlon hoti kai la place de dlon dekai. Mais cela provoque une perplexit vidente.

    Il y a une autre lecture possible. Selon Philopon, qui respectele texte des manuscrits, la phrase hypothtique qui commence,en 220 b 32, avec les mots : Puisque le temps est mesure du mou-

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    188 Carlo Natali

    1. Alex. in Philop., in Phys., op. cit., 745, 192-222 : kaa t mAn Al@xandrpVjhsin wti prpkeitai at Cntaqa debxai, wpwV l@getai tQn kBnhsin t crpnoV metrebn,kaa wpwV wlwV Cn crpn l@getai einai T kBnhsiV, kaa 4plV t1 5lla p0nta pV l@gon-tai einai Cn crpn.

    2. Philop., in Phys., op. cit., 749, 23-24.3. Lexpression dlon de kai peut signifier : Il est clair aussi que... Cf.

    EE, 1219 b 21, et EN, 1174 b 28.

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  • vement trouve son apodose dans les lignes 221 a 6-7 : Pour luicest cela tre dans le temps : avoir son essence mesure , et nonen 221 a 7 sq. Les lignes 221 a 7 sq. constituent donc un ajout cequi vient juste dtre dit, et non pas lapodose de 220 b 32. Cettescansion du texte permet de soutenir plus facilement que le sens(y .2) de lexpression tre dans le temps diffre quand ellesapplique respectivement (a) et (b). Nous avons, dans notre tra-duction, suivi le texte des manuscrits et linterprtation de Philo-pon. Voici en effet ce quil dit :

    Pour les tres composs lexistence et lessence sont des choses diffren-tes (car lanimal diffre du mode dtre propre de lanimal, puisque ani-mal indique le compos, et le mode dtre propre de lanimal indiquela forme), et au contraire pour les tres simples lessence et lexistence sontla mme chose (...) et de la mme faon aussi dans le cas du mouvement,cest la mme chose que le mouvement ou son essence, puisque le mouve-ment est un tre simple1.

    Cest pourquoi, dans le cas du mouvement, le temps mesureautant son dploiement que son essence. Mais dans son essence estinscrit le fait que cela, le mouvement, doit durer seulement un cer-tain laps de temps. Dans les autres cas, en revanche, ce qui est dansle temps est ltre-l de ltre et non pas son essence : mme si ltrese manifeste seulement pour une certaine priode de temps, sa rela-tion au devenir est inessentielle2. Cette lecture semble tre celle quirend le mieux compte de la distinction entre le devenir, dontlessence rside dans le fait darriver un terme, et les autreschoses , auxquelles cette dtermination ne sapplique pas.

    Simplicius et dautres interprtes3 paraissent arriver au mme

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    Temps et action dans la philosophie dAristote 189

    1. Philop., in Phys., op. cit., 750, 1-7 : Cpa mAn tn sunq@twn 5llo Csta tq tpdeeinai kaa tq tde einai (5llo g1r tq zon kaa tq z einai tq mAn g1r zon tq sAnqetonshmaBnei, tq dA z einai tq eidoV), Cpa dA tn 4pln tatpn Csti tq tpde einai kaa tqtde einai (...) otwV on kaa kBnhsiV kaa kinPsei einai tq atp 4plon g0r ti T kBnhsiV.

    2. E. Hussey, op. cit., p. 166. L. Ruggiu, Tempo, coscienza e essere nella filo-sofia di Aristotele, Brescia, 1970, p. 485, soutient que le rapport de ces tresavec la temporalit est per accidens : sans russir dterminer de manire assezrigoureuse leur rapport avec la temporalit, on peut accorder que dans ce cas lapermanence des tres au sein du devenir est assure.

    3. Simplic., in Phys., op. cit., 735, 17-737, 10, suivi par s. Thomas dAquin,In octo libros Physicorum Aristotelis expositio (ed. Maggiolo, Torino-Roma,1954), p. 296 ; J.-M. Dubois, Le Temps et linstant chez Aristote, Paris, 1967,p. 220 ; L. Ruggiu, op. cit., 479 ; P. Pellegrin, Aristote, Physiques, traduction,prsentation et notes, Paris, 2000, p. 259-260. V. D. Ross, Aristotles Physics,text, introd. and comm., Oxford, 1936, p. 605, au contraire, ne voit pas dans ladistinction entre la chose et ltre de la chose une distinction entre essence etexistence, mais il y reconnat celle qui est mentionne en 221 b 19-20, entredeux faons pour un tre dtre mesurable : en lui-mme et dans son devenir(par ex. : un homme a une taille de 1,74 m et vit 87 ans).

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  • rsultat mais par un chemin diffrent : ils entendent to einai commel existence 1 et pensent donc que la diffrence rside dans le faitque, dans le cas du mouvement, le temps mesure autant le mouve-ment en soi que son existence, alors que dans le cas des autreschoses le temps en mesure seulement lexistence.

    Quoi quil en soit, si la signification de tre dans le temps dans lacception (y .2) diffre selon les objets auxquels elle sap-plique, il en dcoule des consquences ontologiques extrmementimportantes. Dans lun de ces deux sens, ce qui est dans le temps estseulement ltre-l dun tre ; dans lautre sens, le temps est au con-traire inscrit dans lessence mme de ltre, ce qui signifie que celui-ci doit ncessairement avoir un terme.

    Ce rsultat nous semble fort intressant : on peut tre dans letemps au sens de tre dtermin essentiellement par le temps (tre pour la mort, dirait Heidegger). Ce sens est celui selon lequel letemps sapplique au mouvement. Ou bien on peut tre dans letemps de telle faon que seul ltre-l de la chose est mesur parle temps, et non sa nature propre . Ce dernier sens est celui o letemps sapplique aux autres choses .

    Mais quelles sont ces autres choses dont il a t question jus-quici ? En 221 a 16, Aristote les appelle ta pragmata. Simplicius2discute ce point tout au long (737, 5-33) et arrive la conclusionque les autres choses sont les substances composes qui se trouventdites tre dans le temps, comme homme ou cheval, et il poursuit :

    Et elles sont aussi elles-mmes selon le mouvement essentiel, ce quiveut dire selon une activit de leur essence et de leur tre, activit ni com-plte ni permanente mais qui a son tre dans sa gnration, et qui a sontre dans le temps en tant quelle est compose de gnration et de corrup-tion. Soumettant donc examen, outre le mouvement, les autres choses

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    1. Littralement : lextension de ltre-l , tn paratasin ts huparxes,ou plutt la dimension , to diastma. La distinction entre essence et exis-tence nest pas encore formule de manire technique dans les commentairesnoplatoniciens, qui usent de paraphrases. Philopon, par exemple dans le textecit p. 189 note 1, exprime la distinction en opposant les expressions ltre decette chose et ltre typique de ce genre de chose (to tode einai et to tideeinai). Nous employons les termes essence et existence seulement parcommodit, sans vouloir nous engager dans une discussion technique de cesconcepts du point de vue de la mtaphysique moderne.

    2. Simplic., in Phys., op. cit.. 737, 5-33 : kaa at1 kat1 tQn osidh kBnhsinDautn, x shmaBnei tq einai Cn@rgeia tRV osBaV kaa to untoV vn kaa Cn@rgeia o teleBaodA Dstsa, 3ll Cn t gBnesqai tq einai Ecousa, kat1 toto Cn crpn Cstan Ckgen@sewV kaa jqor2V sugkeBmenon. t1 on 5lla par1 tQn kBnhsin t1V Cn crpn osBaVlan kaa taAtaV kat1 tQn Dautn kBnhsin, WtiV Cstan T to einai par0tasiV, Cn crpneinaB jhsin.

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  • que lon dit substances dans le temps , il affirme quelles sont aussi dansle temps selon leur propre mouvement, lequel est une extension de leurexistence.

    Selon Simplicius, dans le passage juste cit, lessence de lobjetsingulier ou dun tre vivant, homme ou cheval, est dans le tempsen tant quelle perdure seulement pendant une certaine priode, etest en devenir non pas en elle-mme, mais dans lextension de sonexistence (paratasin tou einai).

    Mais en ralit pragma est un terme dont la signification est trslarge : il peut indiquer soit le rsultat de ce qui se fait, soit ce qui sefait, ou par consquent soit les objets , les choses , soit lesactions , les affaires . notre avis, la description donne parSimplicius peut sappliquer aussi la praxis et pas seulement auxcomposs de forme et de matire, comme des tables ou des chevaux.

    Tout ce qui possde une essence et nest pas seulement un mou-vement est immuable dans son essence aussi longtemps quil existe ;en consquence son tre nest pas mesur par le temps, mme si sontre est dans le temps et si on peut dterminer un temps pendantlequel il est, et un temps o il nest plus ou pas encore. Il nest doncpas ncessaire den venir penser, comme le faisait Goldschmidt,que de manire absolue laction nest pas dans le temps. Il est vraiquen tant quactivit parfaite elle nest pas dans le temps commelest le mouvement physique, cest--dire au sens o elle seraitessentiellement destine son propre achvement. Mais dautrepart elle est dans le temps la faon dont le sont les ralits compo-ses de matire et de forme, comme des tables ou des chevaux, savoir quant son existence.

    III. Une contre-preuve : lanalyse du plaisir en EN, X, 3

    Le cas du plaisir est identique celui de laction : plaisir etaction sont pour Aristote deux types dactivit qui se distinguentdu mouvement du fait davoir leur fin propre en eux-mmes, et nonune fin extrieure leur droulement. Le cas du plaisir tait djmentionn au commencement parmi les arguments pour tablir quelaction est hors du temps : en effet, si le plaisir est hors du temps,laction lest aussi. Mais quelle raison y a-t-il de supposer que leplaisir advient hors du temps, comme le veut Gauthier ? Le passagepertinent est le suivant :

    Nous avons trait avec prcision du mouvement dans dautres dis-cours, et il nous semble quil nest parfait dans aucune partie du temps desa dure, mais que la plupart des mouvements sont imparfaits et diffrents

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  • du point de vue spcifique, puisque cest le point de dpart et le pointdarrive qui les spcifient. Du plaisir au contraire la forme est parfaitedans nimporte quelle partie du temps pendant lequel il dure. Donc il estclair que plaisir et mouvement ne sauraient tre que diffrents lun delautre, et que le plaisir est au nombre des choses compltes et parfaites. Ilsemble que lon pourrait tirer cette conclusion aussi du fait quil est impos-sible de se mouvoir autrement que dans le temps, alors que ressentir duplaisir, cest possible, car ce qui a lieu dans linstant est un tout complet. partir de cela il est clair que ne parlent pas correctement ceux qui disentque le plaisir est un mouvement ou une gnration. Mouvement et gnra-tion ne peuvent tre affirms de toutes choses, mais seulement de celles quisont divisibles en parties et ne sont pas des totalits compltes : car il ny apas de gnration de lacte de voir, dun point ou dune unit, et aucune deces choses nest mouvement ou devenir. Par consquent il nexiste rien detel pour le plaisir, puisquil est un tout complet1.

    Dans cette phrase, les expressions houden apanti chroni, dansaucune partie du temps de sa dure (1174 b 3), et en hotioun chro-ni, dans nimporte quelle partie du temps (b 5-6), sont interpr-tes par certains commentateurs comme se rfrant linstant. Leterme chronos naurait pas ici son sens habituel mais indiqueraitplutt linstant, nun : la partie du temps laquelle il serait faitallusion serait linstant, bien que, proprement parler, pour Aris-tote, linstant ne soit pas une partie du temps. Lorigine de cetteinterprtation est le commentateur byzantin Michel dphse, quicrit, propos de ce passage :

    Il a appel chronos linstant (nun) sans extension parce que celui-ci estquelque chose du temps ; chaque instant en effet le voir est complet etparfait selon lacte. Car si nous observons pendant une certaine priode detemps cette chose-ci, en chacune des parties de ce temps et dans le mmeatome temporel, linstant, cest cette chose que nous observons etlobservation napporte, dans linstant qui suit, rien qui nait t djperu linstant prcdent2.

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    1. EN, 1174 b 2-13 : di 3krieBaV mAn on pera kinPsewV Cn 5lloiV eerhtai, Eoikend od [L. Bruni, Susemihl ; ok mss] Cn 7panti crpn teleBa einai, 3ll ad pollaa3telebV kaa diaj@rousai t eedei, eeper tq ppqen pob eddopoipn. tRV TdonRV d Cntton crpn t@leion tq eidoV. dRlon on V GteraB t 6n eien 3llPlwn, kaa tn wlwn tikaa teleBwn T TdonP. dpxeie d 6n toto kaa Ck to mQ Cnd@cesqai kinebsqai mQ Cn crpn,Wdesqai d@ tq g1r Cn t nn wlon ti. Ck toAtwn dA dRlon kaa wti o kalV l@gousikBnhsin V g@nesin einai tQn TdonPn. [tRV TdonRV Ramsauer, Burnet, Rackham, Dirl-meier, etc. (cf. 1174 b 13)] o g1r p0ntwn tata l@getai, 3ll1 tn meristn kaa mQwlwn odA g1r tr0seV Csti g@nesiV odA stigmRV odA mon0doV, odA toAtwn oqAnkBnhsiV odA g@nesiV odA dQ TdonRV wlon g0r ti.

    2. Michel dphse, in Ethica Nicomachea comm. (ed. Heylbut, CAG XX,Berlin, 1892), p. 551, 3-7 : Crpnon tq 3platAV nn eerhken V to crpnou ti un. CnDk0st g1r nn tq tr2n t@leipn Csti kaa kat Cn@rgeian jestV. ec g1r Cn crpn tinatpde ti trmen, 3ll Cn Dk0st tn to crpnou mern kaa Cn at t 3tpm nn pan-telV atq bl@pomen kaa o d@cetaB ti T wrasiV, x ok eicen Cn t prot@r nn, Cn tmet1 tata nn.

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  • Selon Michel dphse, ce que veut tablir Aristote est que leplaisir est un tout complet chaque instant singulier, quil ny a pasune succession dtats de plaisir diffrant entre eux, mais que leplaisir est quelque chose dunique et dhomogne, et il arrive laconclusion suivante, passablement ambigu :

    Par consquent le plaisir ne se produit (ginetai) pas dans le temps,comme la maison, mais se produit dans linstant, et cela vaut galementpour la vision et pour le point1.

    En revanche, la Paraphrase anonyme publie par Heylbut dansles Commentaria in Aristotelem graeca prsente le contenu du textedAristote de manire plus proche de sa lettre et en gnral pluscorrecte :

    La forme du plaisir est complte nimporte quel moment du temps ; ilest donc clair que le plaisir et le mouvement diffrent entre eux : alors quele plaisir est un tout et est complet en soi, le mouvement nest pas complet tout moment du temps. Et il est clair aussi quil nest pas possible (oukendechetai) davoir un mouvement hors du temps, alors que cest possiblepour le plaisir, car il nest pas possible de se mouvoir dans un instant indi-visible, alors quil est possible dy prouver du plaisir2.

    Cette interprtation semble mieux respecter le texte et est enmme temps plus plausible. La diffrence entre les deux interprta-tions consiste au fond seulement dans la manire de comprendre leterme endechetai. Mais ce quAristote veut dire ici est que, mme si,abstraitement, il est possible dprouver du plaisir seulement pen-dant un seul instant, on ne peut en dduire quon prouve ncessai-rement du plaisir seulement pendant des instants singuliers et que,donc le plaisir est hors du temps, comme lest linstant. On prouvele plus souvent du plaisir pendant des priodes de temps dtermi-nes. Par exemple, le plaisir dassister un spectacle dure autantque dure le spectacle, et se prolonge peut-tre aussi un peu de tempsune fois quil est termin. Le plaisir est par consquent dans letemps, tout en ntant pas reli essentiellement au temps, et celavaut de mme aussi pour laction.

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    1. Michel dphse, in EN, op. cit., p. 553, 24-25 : ote dA T TdonQ Cn crpngBnetai V T ockBa oq T wrasiV oq T stigmQ 3ll Cn t nn

    2. Anonyme, [Heliodori] in Ethica Nicomacea paraphrasis (ed. Heylbut,CAG XIX/2, Berlin, 1892), p. 215, 30-34 : tRV dA TdonRV tq eidoV Cn tton crpnt@leipn Csti. janerqn toBnun, wti T TdonQ kaa T kBnhsiV GteraB ecsin 3llPlwn kaa T mAnTdonQ wlon ti kaa t@leion Cstin, T dA kBnhsiV ok Cn panta crpn teleBa, kaa wti kBnhsinmAn 5neu crpnou ok Cnd@cetai einai, TdonQn dA dunatpn.

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  • IV. Deux sens de tre dans le temps

    En conclusion, la relation pose par Aristote entre, respective-ment, le mouvement, le temps et laction semble pouvoir treillustre par lexemple suivant. Prenons un exemple de mouve-ment : aller de la gare de Venise lAcadmie, et un exemple depraxis : couter le premier mouvement de la Cinquime Symphoniede Beethoven. Les deux exemples se produisent, en un certain sens,dans le temps, les deux durent quelques minutes, mais le font dunefaon diffrente. Ce sont en effet des ralits diffrentes en ce quilsagit, dune part, de raliser une fin qui requiert un certain tempspour tre atteinte, et, dautre part, daccomplir une activit qui est elle-mme sa fin et qui se droule dans un arc de temps. Dans lepremier cas, en arrivant lAcadmie charg de valises, on se dit : Je suis arriv ! et lon sassied, parce que la fin, tre--lAcadmie, est dj atteinte. Dans le second cas, par contre, silexcution est plaisante, on rclame un bis ou lon remet le CD dansle lecteur. On ncoute pas la Cinquime de Beethoven pour arriver la fin et sexclamer : Cest fait ! , mais pour prouver un plaisirqui, en lui-mme, pourrait se renouveler indfiniment.

    Par consquent, laction humaine est dans le temps, mais ellelest dune manire diffrente des mouvements physiques, cest--dire quelle ny est pas compltement ; elle lest dune manire quinous rappelle l tre dans le temps des substances composes deforme et de matire.

    (Traduit de litalien par Monique Dixsaut.)Carlo NATALI,

    Universit Ca Foscari de Venise.

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