des maux et des cures. les transformations du champ th©rapeutico-religieux en suisse
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CH-1015 Lausanne
http://serval.unil.ch
Year : 2014
DES MAUX ET DES CURES. Les transformations du champ
thérapeutico-religieux en Suisse romande
GRIN Claude
GRIN Claude, 2014, DES MAUX ET DES CURES. Les transformations du champ
thérapeutico-religieux en Suisse romande
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DES MAUX ET DES CURES Les transformations du champ thérapeutico-religieux en Suisse romande
THESE DE DOCTORAT
présentée à la Faculté de SSP
de l’Université de Lausanne en cotutelle avec l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris
pour l’obtention du grade de Docteure ès Sciences sociales
par
Claude GRIN
Co-Directeurs de thèse Prof. Vincent BARRAS
Mme Giordana CHARUTY, Directrice d’études à l’EPHE
Jury M. Nicolas ADELL, Maître de conférence à l’Université de Toulouse II
Prof. Christian GHASARIAN, Université de Neuchâtel Prof. Francesco PANESE, Université de Lausanne
Prof. Galia VALTCHINOVA, Université de Toulouse II
LAUSANNE 2014
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Résumé
Desmauxetdescures
Lestransformationsduchampthérapeutico‐religieuxenSuisseromande
Cettethèseprésentelespratiquessocialesetlesparcoursd’apprentissaged’uncorpsde
spécialistes rituels, qui se donnent le nom générique de «médiums guérisseurs», à
partir d’une ethnographie des modes de résolution des crises existentielles et des
dispositifs de production de croyance permettant les moyens d’objectivation d’une
«autreréalité»,proposéspartroisconfigurationsenSuisseromande.
L’enquête explore d’abord la structuration du champ thérapeutico‐religieux en Suisse
romande pour en révéler les niches favorisant les inscriptions sociales des médiums
guérisseurs. Elle s’est portée ensuite sur lamanière dont ces praticiens inscrivent les
différents épisodes de leur vie dans un cursus de reconnaissance de compétences
particulières. Et comment ces moments de vie s’articulent et s’enchaînent pour
construire l’autobiographie de la métamorphose de leur personnalité en celle d’un
«médiumguérisseur»apaisant les souffrancesdesvivantset lesâmesdes«morts».
L’enquête a pris en compte les discours de ces médiums guérisseurs et aussi les
modalitésdetransmissionsdecessavoirsencequ’ellescontribuentàleurconstruction
etàleurdéveloppement.
Cetterechercheparticiped’uneinterrogationplusgénérale,encontextedemodernité
et de globalisation, sur l’«émiettement du religieux», tout en proposant de nuancer
cetteassertionenregardd’unestratégied’enquêteethnographiquequimetl’accentsur
les logiques d’action plutôt que de représentations et privilégie l’apprentissage
dialogique et la co‐constructiondes données afin de cerner lesmodalités d’un travail
symboliqueetsyncrétique.
Mots‐clés: médiumnité, spiritisme, rêves, christianisme coutumier, biographie,
syncrétisme,intersubjectivité,Suisse
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Abstract
Afflictionsandcures
Thetransformationsofthetherapeutic‐religiousfieldinwesternSwitzerland
This thesis presents the social practices and learning pathways of a body of ritual
specialists,whogivethemselvesthegenericnameof«psychichealers».Basedonthe
ethnographyofthedifferentmodalitiesthroughwhichexistentialcrisesaresolvedand
of thedeviceswhichproducebeliefs thatenablethepractitionerstoobjectivate«the
otherworld»,itexploresthreegroupswhoofficiateinSwitzerland.
The study first explores the structure of the therapeutic‐religious field in western
Switzerlandtorevealthenichespromotingsocialinscriptionsfor«psychichealers».It
then focusesonhow thesepractitioners fit thedifferentepisodesof their lives intoa
courseofrecognitionofspecificskillsandhowthesemomentsoflifeareorganizedand
linked together to build the autobiography of a personalitymetamorphosis. This new
personalityisthatofa«psychichealer»,whoseaiminlifeistosooththesufferingsouls
of the living and of the dead. The survey took into account both these mediums’
discoursesandthemodalitiesofknowledgetransmissioninasmuchastheycontribute
totheirconstructionanddevelopment.
This research is part of amore general questioning, in the context ofmodernity and
globalization,onthe«fragmentationofreligion».However, itproposestoweightthis
assertion through an ethnographic investigation strategy which focuses on logics of
action rather than on representations and emphasizes dialogic learning and co‐
constructionofdatainordertoidentifythemodalitiesofasyncreticandsymbolicwork.
Keywords: mediumship, spiritualism, dreams, Christianity customary, biography,
syncretism,intersubjectivity,Switzerland
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Remerciements
Jetiensàremerciermesdeuxdirecteursdethèsepourleursapportscritiquesetremises
en question constructives. Tout d’abord Madame Giordana Charuty pour son
enseignementfructueuxetsonaccompagnementvigilantetstimulanttoutaulongde
ce travail. EnsuiteMonsieurVincentBarraspour son soutien constant et ses conseils
judicieux au fil de cetteethnographie à la frontièredeplusieursdisciplines. Sanseux,
cetterecherchen’auraitpasconnulesdéveloppementsqu’elleaeus.
Jeremerciemesnombreuxinterlocuteursquiontentreprisdefairemon«éducation»
et de m’aider dans mes recherches, et particulièrement le Père Maurice Bellot, les
Abbés Jean Marmy, Jacques Contraire, Jacques Le Moual et Mgr Rémy Berchier. Je
remercie lespersonnesquim’ontentrainéesur lescheminsdesautres«mondes»et
particulièrement Any Mary Girard, Lucienne Haller, Christiane Muller, Kaya, Claude
Becker,DeniseKikouGilliand,CatherineEicher,ainsiqueChristophe,Christian,Sabrina,
Pierre‐Alain, Lise, Patricia, Catherine, Véronique, Michèle sans oublier Jocelyne et
Clémentine. Je remercie aussi pour leur soutien amical Claude Wenger et Marlyse
Schweizer.
Enfin je ne remercierai jamais assezmes enfants Alexandre et Laure‐Anne qui ont su
comprendreetaccepterlerythmedecetterechercheetm’onttoujourssoutenuedans
mesmomentsdedoute.
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Desmauxetdescures
Lestransformationsduchampthérapeutico‐religieuxenSuisseromande
Introduction
1.Cadrethéorique
Cettethèsesolliciteuneethnographieauprésentsurun«terrainduproche»avecpour
ambition d’apporter une contribution située et circonstanciée à la réflexion sur les
usageseuropéenscontemporainsdureligieuxdanslechampdesthérapiesphysiqueset
psychiques et plus généralement sur les modes de résolution des séries de crises
existentiellesquetoutunchacuntraverse.Cettequestionsesituedanslecontextede
nombreuses propositions théoriques en regard desquelles je commencerai par
brièvementmesituer.
L’armature centrale de l’articulation en Europe du religieux et du thérapeutique se
rapporteaurepéragededeuxdiscours:celuidel’Egliseentantqu’institutionappuyée
sur un corps de doctrines validées par des clercs patentés (prêtres, pasteurs,
théologiens); et celui d’un ensemble diffus de pratiques et de croyancesdésignées
comme «populaires» et mises enœuvre par des personnes au statut plus incertain
(guérisseurs,désorceleurs,voyants,médiums,etc.).Reprendreaucomptedessciences
socialescettedichotomiereviendraitàavaliserleclassementofficieldéfenduparl’Eglise
chrétienne entre d’un côté la «vraie foi» et de l’autre un registremoins légitimé de
«foipopulaire»quiappréhenderaitledivinparsonversantleplusmatériel(cultedes
objets et des lieux, pouvoirs de guérison de certaines personnes, dialogue avec les
défunts,possession).Monproposestprécisémentdemontrerquecesconceptionsloin
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d’êtreantagonistesetétanchesl’unevis‐à‐visdel’autrenecessentdesesuperposer,de
s’interpeller,voiredeseconcurrencer.
C’estbiendéjàcequ’avaitobservéVittorioLanternari(1982)danslesannées1980,en
montrantqueladistinctionentre«religionpopulaire»etorthopraxiereligieuserenvoie
plus à deux régimes d’autorité distincts qu’à un partage rigoureux des savoirs et des
compétences. Ilexisteunecontinuitéhistoriqueetsociale indéniableentre l’officielet
l’officieux,l’institutionnelaffichéetdessystèmesdepratiquesetdeconnaissancespris
dans les rapports sociauxordinaires. Leurs légitimationss’inscriventeneffetdansune
mêmematricedoctrinale.CommelepréciseVittorioLanternari:
«on constate une tendance équivoque à faire de la notion de religion populaire une
hypostase, comme si on pouvait attribuer à cette notion la valeur d’une catégorie
phénoménologiqueautonome,libredetoutdéterminismeetcréatrice,sanstenircompte
durapportdialectiquequirelie,implicitementchaqueexpressiondereligiositépopulaire
aux modèles religieux émanant des forces qui imposent l’idéologie religieuse
dominante».(VittorioLanternari1982:126)
Cette lecture ne fait pas abstraction de l’analyse de Pierre Bourdieu (1971), lorsque
celui‐ci rapporte l’opposition entre Egliseofficielle et «religionpopulaire» à celle qui
séparerait la médecine savante universitaire de la «médecine populaire» et plus
largementyvoituneexpressiondesrelationsentredominantsetdominésquitraverse
touteslessociétésmodernes.Cepointdevuetrèsstructurantprésentecerteslemérite
de souligner la dépendance des classes populaires à l’égard des classes dominantes
détentrices des moyens de production tant matériels que symboliques. Mais cette
analyse doit désormais tenir compte aussi de ce que Pierre Bourdieu dénomme
«dissolutiondureligieux».Commel’asoulignéaussiErwanDianteill(2002),auseindes
pratiqueslespluscontemporainessedégagenteneffetentrecesdeuxpôlesune«zone
grise»deplusenpluslarge.Ilpeuts’agirdegroupesquifontscissionàl’intérieurdes
Eglises historiques et parviennent à se doter d’une forte légitimité institutionnelle ou
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encorede personnes qui construisent un «savoir religieux» à la croisée de doctrines
diverses, dans une perspective de circulation de savoirs devenus accessibles et
transmissiblesfacilementparundéveloppementdesnouvellestechnologiespermettant
d’instaurer différentes formes de «communautés». Dès lors, mon propos est de
montrerque les rapportsdedomination se jouent selonuneautrepartitionentre les
«élites»intellectuellespossédantuncapitalsymboliqueetlesautresacteurs.
Cesconstatsprennentunreliefparticulieravecl’émergence,auseinmêmedesEglises
historiques,demouvementsderéinterprétationdudogmedansdessensquifontune
largeplaceaux«phénomènes»quel’ethnologiedespratiques«archaïques»avaitcru
pouvoirérigerencritèresdedifférenciationabsolusentre«mentalités»ou«cultures».
Latranse,lapossession,lemiraclethérapeutique,lesvisionsnesontplusl’apanagedes
milieux ruraux, devenus peu à peu résiduels,mais entrent en force dans les groupes
évangéliques, que ce soient les communautés catholiques ou celles du renouveau
pentecôtiste. De même, comme l’a montré Danièle Hervieu‐Léger, les dogmes
ecclésiastiques les plus officiels ne relèvent plus seulement du domaine réservé des
agents des Eglises mais sont réappropriés, réinterprétés et portés sans contrôle
institutionnelpardeslaïcsdeplusenplusenclinsàélaborerdesdoctrinespersonnelles
àgéométrievariable.Dèslorsilestnécessairederepenserlesmodesdetransmissionet
deconstitutiondespratiquesthérapeutico‐religieusesdansuneperspectivequi tienne
comptedudécloisonnementetde lacirculationdes représentationsetdesvaleursau
seind’ununiverssocialdevenudeplusenplusmultiforme.
Restetoutefoistoujoursprégnantelaquestiondel’enracinementhistoriquedes«rites
de réparation» observables aujourd’hui. Faut‐il penser, dans une perspective plus
anthropologique,qu’ilsappartiennentàunsubstratchrétieneuropéenprofond?Dans
cecas, lesmanifestationscontemporainesdereligiositéet lesthérapies,quiysontou
nonassociées,pourraientêtrepenséescommedesrémanences,diffusesetéparses,de
savoirs et de pratiques antérieurs, qui auraient traversé les siècles pour fonctionner
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encoreaujourd’hui,parfoissousdesformesméconnaissablesaupremierregard.C’estlà
la préoccupation centrale de l’anthropologie du symbolique proposée par Giordana
Charuty:
«En privilégiant la dimension culturelle du christianisme, plutôt que celle d’institution
dogmatique divisée en confessions et en Eglises rivales, l’anthropologie structuraliste a
mis au jour la prégnance, au sein des sociétés locales rurales ou urbaines, de logiques
symboliques où l’on pouvait reconnaître l’exercice d’une pensée et d’un mode de
transmission–une«coutumechrétienne»–adaptésaux transformationsdes relations
hiérarchiquesentrecompétencescléricalesetsociétécivile.Créationetmiseenordredu
monde,constructiondelapersonneetfigurationdudestinposthume,mobilisationd’une
multiplicité de médiateurs surnaturels dans une économie de l’incarnation et de la
rédemption: tous ces objets de l’énonciation dogmatique et de la spéculation
théologiquesetrouventmisàl’épreuve,nonseulementdansl’enseignement,lesriteset
les actes de dévotion prescrits ou tolérés par l’Eglise, mais, tout autant, à travers des
savoirs naturalistes ou techniques et des usages sociauxa priori étrangers au domaine
«delareligion.»(GiordanaCharuty2004:76).
Marecherchesesituedansces interactionsetmonproposn’estpasdecloresurelle‐
même la dimension culturelle du christianisme pour en faire un objet aisément
objectivable. Mais bien d’observer sur le terrain selon quelles modalités autour des
pratiquesthérapeutico‐religieusess’organisentlesfonctionsentreautoritéscléricaleset
civilespourexercer leurpouvoirenstabilisanteten imposantcertainesconfigurations
designesetdepratiquesaudétrimentd’autres.Etd’autrepartcommentetdansquelle
plasticité symbolique s’organiseunenversde ces relationsparune sériedepratiques
mobilisant des savoirs techniques de résolution des crises existentielles incluant des
effets de dissociation de la personne dans une économie s’inscrivant dans le registre
théologiqueduchristianisme.
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2.Ledébutduprojetderecherchedoctorale
Mon objet d’étude s’est imposé à moi en 2004 à la suite de l’expérience de
confrontations directes avec des discours de victimes d’«agression diabolique» dans
descadresquinesemblaientpaspropicesàcetypederécit.Lesévénementsrelatéspar
mesinterlocuteursnes’inscrivaientpasnonplusdanslecontexteritueldecérémonies
religieuses mais dans des expériences individuelles, dont ils n’attendaient pas les
surgissements. Ma recherche doctorale trouve sa source dans ces événements qui
retinrentmonattention,d’abordparletroublequ’ilsprovoquèrentenmoipuis,parune
curiositéintellectuellequisetransformaenunvéritableintérêtfaceàl’aspectparadoxal
decessituationsquinepouvaientêtrequalifiéesd’archaïques,alorsqu’ellesprenaient
place dans la parfaite modernité de la Suisse actuelle. Ma problématique s’est alors
développée autour de plusieurs questions. A savoir, d’une part, comment cette
catégoriedemaux,définieparunenotionreligieuse,pouvait‐elleré‐émergerau21ème
siècle, ce qui posait les interrogations de l’état de la question religieuse et de la
médecine sur cette notion au moment de ces discours et plus généralement de la
croyance. Et d’autre part, quelles étaient les techniques de prise en compte de ces
«agressions»etcommentdevient‐onspécialistesdeceux‐cietplusgénéralementdes
traitementsdescrisesexistentielles.Etenrelationaveccesdeuxgroupesdequestions
commentenquêtersurceterrainetparquelleméthodologie.
Lesexpériencesdeconfrontationsdirectesavecdesdiscoursdevictimesd’«agression
diabolique» ou de «présences supra naturelles négatives» se firent dans un laps de
temps court, ce qui ne fut pas étranger à l’intérêt que je leur ai porté. La première
expérienceest cellede la rencontreavecMathias,un jeunehommed’unpeuplusde
vingtans,à l’aspect robuste,auregarddirectetausourirechaleureux,quinemontre
aucun signe de troubles psychiques ou de consommation de produits stupéfiants.
Mathiastravaillaitdansunatelierderestaurationdedécorsdel’OpéradeLausanne.Il
retouchaitdesgrandsanimauxdecartonpâte,desdauphinsetdeslicornes,quiavaient
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étédétériorésparun trop long tempsdestockage. J’avaisétéétonnéepar laminutie
aveclaquelleMathiasrepeignaitleursyeuxetleurconféraitd’étonnantsregardsd’une
étrangeacuité.Luimêmedisaitqu’il«leurouvrait lesyeux»1.Unmatintraversantcet
atelier,jefussurprisedetrouverunpetitgroupedepersonnesenpleinconciliabuleet
quisesontbrusquementtuesàmonapproche. Immobile, je lesobserveenattendant
decomprendred’oùvientleurtension.Auboutd’uncourtmoment,jeremarquequele
coudeMathias est couvert deprofondes éraflures. Celles‐ci ne saignent pasmais les
plaiessontrestéesd’unrougesang.Mathiasmedit«lecombatadurétoutelanuit».
Lesautress’écartentdeluiavecrespectouinquiétude.«Lecombatadurétoutelanuit,
commepresque chaquenuit depuisquelques temps.Mais cette fois je n’ai pasperdu,
pasgagnénonplus.Labêteestforte,maisellefaiblit.Maisc’esttoujoursaussiterrible,
c’est terrible.» Personnenebouge, je lui demande alors de quelle bête il parle. «Du
Diable.C’est luiquivient.».«Montres‐lui…», lui suggèrent lesautres.Mathiasenlève
son T‐shirt et exhibe son dos qui est couvert de traces rouges, comme des séries de
profondesgriffuresfaitesparunfélindegrandetaille.Ilnem’endirapasplus.
Cettescènefutsuivietrèsrapidementd’uneautre.J’airencontréJoaodansunInstitut
d’EtudessocialesàGenève,ilestâgéd’unetrentained’années,ilestnédanscetteville
enSuisseetyafaittoutesascolaritéetsesétudes,seulsonprénompeutévoquerune
origineportugaise.Ilmeracontequ’ilestencoretrèstroubléparuneexpériencequ’ila
vécue la veille. Sur les sollicitations d’un ami d’enfance, né aussi àGenève et dont la
famillevientdumêmevillageportugaisquelasienne,ils’estrendudanslafamilledece
dernier.Cetami lui avait racontéque tous les soirs, à lamêmeheure, sapetite sœur
Luisa,âgéedequatorzeansétait«possédéeparsagrand‐mère»etceladepuisledécès
de cette dernière, il y a une année. Joao s’est rendu la veille dans cette famille et a
assistéàlascèneencompagniedeprochesdecettefamille,maisaussidevoisinsetde
1J’utilisesystématiquementlaconventiongraphiquesuivante:touteslesphrasesoutermesenitaliqueet
entreguillemets,sansrenvoiàunenotedebasdepage,sontdespropostenusoudestermesutiliséspar
mes interlocuteurs. Je ne préciserai les dates de ces entretiens que lorsque celles‐ci aident à la
compréhension.
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gensduquartier.Lorsquelesclochesde l’églisevoisinesonnentdix‐neufheures,Luisa
est d’abord comme figée et a de la peine à respirer puis ses attitudes corporelles se
modifient, ses gestes deviennent comme empreints d’une certaine raideur. Elle
s’exprimeenportugais, languequ’ellen’utilisepasvolontiers,ellea la tessitureet les
inflexions vocales d’une femme âgée. Elle devient terriblement agressive et
revendicative et seule sa mère, la propre fille de la «grand‐mère» peut entrer en
communicationavecelle.Cetteinterventionsecaractériseparuneviolentealtercation
entrelesdeuxfemmes,quienviennentfinalementauxmains.Lamèresecouantsafille
en hurlant et s’adressant à elle comme elle le ferait avec sa propremère «laisses‐la
tranquille,arrêtesdel’importuner».Joaosesouvientqu’elleaaussidit«leschosessont
réglées,… tu ne dois pas intervenir dansma vie privée». La scène a duré une heure.
Selon le frère de Luisa, c’est la durée habituelle de la «visite de la grand‐mère». Sa
sœurresteensuiteunmomentdansunétatdeprostration,samèrelaprendalorsdans
sesbrasdansuneattitudematernelleetprotectriceetLuisareprendsoncomportement
d’adolescente.Ellenesesouvientabsolumentpasdecequis’estpassédurant l’heure
précédente.
Le troisième récit a pour cadre la cafeteria d’un grand hôpital universitaire de Suisse
romande. Je suis attablée avec Cécile qui est médecin assistant dans le service de
psychiatrie.Ellemefaitpartqu’«unepatienteluirappellecertainscomportementsdesa
propre sœur et présente des symptômes semblables». La patiente, jeune accouchée,
tient des propos qualifiés de délirants par le médecin chef du service. Cette jeune
femme,danssachambredelamaternitédel’hôpital,sentdesodeursdepaincuit,qui
prennentprogressivementuneodeurdepainbrûlé.Ellenesesentplusensécuritédans
l’hôpital.ElleimplorelaViergeMariedelessauver,sonenfant,elle‐mêmeet«tousles
patients innocents». Médecins et infirmières lui expliquent, en vain, qu’il n’y a pas
d’odeurdepainbrûlé.Lajeunefemmedevientdejourenjourdeplusenpluscraintive
faceà leur incompréhension.Cécile,à la suitedecepremier récit,meracontequesa
sœurarejoint, ilyaquelquesmoisdans lavilledeSionenValais,une«communauté
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religieuse féminine catholique à la suite de diverses crises de mysticisme à
l’adolescence». Sa sœur aussi sent des odeurs de pain cuit, qui prennent
progressivementuneodeurdepainbrûlé,alorsqu’iln’yapasde raisonqu’il yaitde
telles odeurs dans le monastère où elle réside. La supérieure de la congrégation a
informélesparentsdeCécilequ’elleavaitfaitappelàunprêtreexorcisteetquecelui‐ci
avaitprocédéà«unrituel».Selonlasupérieure,depuiscerituel,sasœurvabeaucoup
mieuxet reprend lacommunion.Cécilesedemandequelest«le traitementquiaété
infligé»àsasœur.
Le raccourci logique aurait été de traiter les discours des «victimes de possession»
comme des singularités ou de simples croyances résiduelles,mais c’est justement en
interrogeantcelienàla«croyance»quel’originalitédeleurspratiquesapparaîtcomme
révélant un «entre‐deux». C’est par l’expression spontanée de formes rituelles
coutumières inscrite dans une mise en scène des relations historiques entre deux
régimesde«vérité»,sciencesetreligion,qu’unemédiationseréalisedupointdevue
desacteursentrecesdeuxsystèmeset lespratiquesqui leursontattachéesetquese
metenplaceunemédiationsanslaquellelarésolutiondescrisesexistentiellesn’estpas
possible.
Lestroisdiscoursdevictimesd’«agression»mettentenscènetroissituations.Dansle
premier,unjeunehomme«ouvrelesyeux»desanimauxdecartonetenleurconférant
une «vision», les «anime», selon les pratiques mises en place pour les statues et
effigies saintes. Il oppose à cette activité diurne des «combats nocturnes», qu’il
démarque d’une production onirique en authentifiant son «agresseur» par un
marquage corporel qui correspond à une imagerie partagée avec ses collègues de
travail. Le deuxième récit reprend une figure du christianisme coutumier, celui de la
«jeunefillepossédée»parsa«grandmère».Ilrejointlesrécitsderetourdel’«esprit
desmorts»,sousformede«possession»oude«hantise»desêtresvivantsetdeleurs
lieuxd’habitation,quirevendique«réparation»delapartdesvivants(AlfonsinaBellio
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2005). Il répond à unmodèle de transformationd’une «possession» par unmauvais
mort en un rituel quotidien sous forme d’une «liturgie de l’incarnation» (Giordana
Charuty1996)qui faitparler l’«âme»de ladéfuntepar le corpsde sapetite fille. Le
troisième récit s’inscrit en référence à la liturgie chrétienne, le pain représentant le
corpsduChrist,etaussidansunregistrecoutumier,unesymboliquedelafécondation
et renouveau(ClaudeMacherel,RenaudZeebroek1994).Lesentirbrûlédevientsigne
d’«infestation diabolique» et de menace de mort pour la parturiente et pour la
supérieure du monastère. Le terme de «traitement» utilisé par Cécile propre au
vocabulairemédical et celui de «rituel» par la congrégation, nous renvoie au débat
paradoxal entre médecine scientifique et pratiques religieuses et introduit les
interventions d’experts rituels dans les deux champs, du religieux et de la médecine
scientifique,présentéscommedistincts.
Ces trois discours de victimes d’«agression diabolique» ou de «présences supra
naturelles négatives» posent des questions quant à une conceptualisation d’une
«hantise» nocturne ou diurne à l’aide d’une notion religieuse: la «possession
démoniaque». Ils donnent à voir des formes de dissociation de la personne et
introduisentàdestechniquesderésolutiondecescrises.Ilsconduisentàinterrogerles
relationsentreritescoutumiersetritesliturgiques,etquellessontlesqualitésattendues
desexperts rituelshabilités à cespratiques. Ils questionnent sur lanotion, sans cesse
renouvelée, du partage des fonctions pour l’exercice de pratiques en marge d’une
médecine scientifique et des obligations religieuses des Eglises historiques, et
simultanément sur une inscription plus générale de notions périodiquement
reconstruitesdansdesmomentsderedéfinitionsdesartsmédicauxetdesprérogatives
desEgliseshistoriques.Ilsposentaussilaquestiondel’influencedescontextessociaux
et politiques de la Suisse romande sur l’apparition de ces récits et leur éventuelle
facilitationpardes«nicheséconomiques»locales.
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3.Parcoursdelathèse
L’expérience de confrontations directes avec des discours de victimes d’«agression
diabolique» pose d’emblée la question des limites et de l’instabilité de la personne
humaineainsiquedestraitementsappropriésdel’infortune.Etrevictimed’«agression
diabolique» ou d’être «supra empirique» est une proposition qui s’inscrit dans la
questionquitraverselesrécitsdecrisesparlesquellessejouentlesdestinsindividuels.
Ils’agitdoncdes’interrogersurlaquêtedelabonnedémarchepourrésoudrecescrises
existentiellesparunagencementenrecherchedecohérence.Cettequêtevafaireappel
à des modes diversifiés de présence sociale en fonctions des sphères religieuse,
médicaleoucommercialeà laquelle lesusagessont rattachés.Marecherche,dansun
premier temps, intègre ces trois registres culturels ou trois «pôles» en prenant à
témoin trois configurationsmobilisées par ces pôles, qui cristallisent autour de cette
quête les incessantesredéfinitionsdes frontièresentre lespratiquesrespectiveset les
renégociationsdesrapportsd’autoritésàl’intérieurdeceschamps.
Dans la première partie je m’intéresse aux trois «pôles» qui structurent le champ
contemporain des pratiques thérapeutico‐religieuses, et plus particulièrement à des
configurationssituéesetcirconstanciéesdanslecadredemonenquêtedeterrainetsa
localisation dans la Suisse romande2 contemporaine. Ce sont des configurations qui
permettentdereprendrelequestionnementdesfrontièresentrelescorpsinstituésde
l’Egliseetdelapratiquemédicaledanslesquelsl’autoritédel’Etatn’estjamaisabsente.
La première est celle de la présentation d’un «nouveau Rituel de l’exorcisme» par
l’Eglise catholique et repose la question des difficiles négociations entre Eglise et
médecine,etàl’intérieurdel’Egliseavecsespropresdiscussionssurla«démonologie».
Ladeuxièmesituationportesurundébatentreautoritésmédicalesetpolitiquesfaceà
une volonté citoyenne d’intégrer des médecines «alternatives» dans les «soins de
2LaSuisseestpartagéeenquatrerégionslinguistiques.LaSuisseromandeestl’appelationquidésignela
partiefrancophonedelaSuisse.
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base» par le biais d’une législation et repose la question de la disqualification de
pratiques thérapeutiques non inscrites dans celles d’une médecine scientifique. La
troisième retrace la délimitation des territoires entre les modes d’appropriation des
«biens singuliers»dans les«espacesde santé»des salonsdemédecinenaturelleet
reprend la question de la possibilité ou non de leur commercialisation. Ces trois
contextes particuliers s’inscrivent dans la contemporanéité de mon enquête mais
marquentdeschangementsstructurelss’inscrivantdansdestemporalitésplusoumoins
longues.
Ladeuxièmepartiedemarecherches’estportéeplusparticulièrement,de2006à2013,
sur des spécialistes rituels qui se donnent le nom générique de «médiums‐
guérisseurs».EnpartantduconstatdeDanielFabreque lesautobiographiessontdes
histoiresdeviessociales(DanielFabre2002:33), jemesuis intéresséeà l’élaboration
des récitsdeviededeux femmesetd’unhomme. Jemesuispenchéesur lamanière
dontils inscriventlesdifférentsépisodesdeleurviedansuncursusdereconnaissance
de compétences particulières et comment ces moments de vie s’articulent et
s’enchaînentpourconstruirel’autobiographiedelamétamorphosedeleurpersonnalité
encelled’un«médiumguérisseur»apaisantlessouffrancesdesvivantsetlesâmesdes
«morts»etrégénérantlescorpsetleslieux.J’aiprisencomptelescontenusdeleurs
récits mais aussi les modes et conditions de leurs transmissions en ce que ceux‐ci
contribuentàleursdéveloppements.
J’ai suivi le parcours de «Marie», qui se définit sur sa carte de visite en tant que
«accompagnatrice d’âme – guérisseuse – médium – numérologue», durant un peu
plus de quatre ans, de 2009 à 2013, dans les salons de médecines naturelles de
«MednatExpo»àLausanneetde«Sannat»àGenève.J’aiparticipéàsesconférences
et aux séances de «méditation» qu’elle organise. Celles‐ci se déroulent pendant les
«salonsdemédecinesnaturelles»ouenpetitsgroupesàsondomicile;ellesprennent
la forme de productions oniriques diurnes et de propositions collectives. Je me suis
18
intéressée au dévoilement successif de sa biographie, dans laquelle elle va choisir,
commedansunensembledepropositions,lesélémentsdesonexistencequisemblent
lemieuxconvenirpoursaprestationdumoment.Ellevaainsiproposerplusieursrécits
deviesousformedeconstructionsthématiquesquivontprogressivementcréerunevie
exemplaire. Jemesuis intéresséeaussibienauxagencementsdecesrécits,qu’à leurs
manquesetauxréférencesoccultées.
De 2006 à 2011, j’ai suivi les séances et les récits de vie du couple formé par
«Christiane» et «Kaya», qui ont développé dès 2001, un «enseignement de
l’AngéologieTraditionnelle».Plusqu’aucontenude ladoctrineelle‐même, jemesuis
intéresséeàsonélaborationàpartird’uneoriginefictionnellesituéedanslesfaillesde
l’histoirede lavilledeGéroneetàsespratiquescentréessur lesrêvesprémonitoires.
Ce coupleamisenplaceuneorganisation surunebaseassociativequi luipermetde
proposerdesconférencesdansplusieursvilleseuropéennesetnordaméricaines,ainsi
que des stages deux fois par année en Suisse et donnent des cours par un système
interactifdevidéoconférence,selonuneconceptionentrepreneurialeliéeaumarketing
culturel.
J’ai rencontré «Céline» en novembre 2011, lors de la première projection d’un film
«Médiums d’un monde à l’autre», film de propagande pour le courant spiritualiste
auquelappartientCéline.Celle‐cia suivi l’enseignementdispenséenAngleterrepar le
«ArthurFindlayCollege»deStansted,institutionquidépenddelaSpiritualists’National
Union.Cefilmasuscité l’émergenced’unregroupementde«médiums‐guérisseurs»
quiproposentdes«séancesdeguérisoncollectivesetgratuites»danslessixcantonsde
Suisseromandeetdéveloppentleconceptde«cafésmédiumniques»selonlemodèle
des cafés scientifiques ou des cafés philosophiques. Les «séances de guérison»
s’adressent à toute personne qui s’intéresse à s’y prêter comme consultant et se
déroulentdanslesilenceetl’anonymat.Les«cafésmédiumniques»permettentàtous
lesparticipantsderelaterleursperceptionssensoriellesouoniriquesetdelesprésenter
19
àdes«médiums‐guérisseurs».J’aiparticipéen2012et2013àcesdeuxactivitésetà
desstagesd’«initiationàlamédiumnité»donnéeparlaréalisatricedufilm,ellemême
«médium ‐ guérisseuse», et qui a suivi les enseignements des centres de formation
développés par l’Eglise spiritualiste anglaise qu’elle a complété par des stages aux
PhilippinesetauMexiqueauprèsde«guérisseursspirites».
Pourconclure,jerevienssurmaméthodologied’enquêteetsurlamanièredontj’aipu
intégrerlesdifficultésrencontréesaudébutdemarechercheenintégrantunprocessus
dialogiqueetendéveloppantd’autresapprochescognitives.Jereprendsaussiquelques
invariants entre les trois configurations de médiums guérisseurs et deux catégories
d’objets utilisés dans les dispositifs de croyance et je termine par la question du
«syncrétisme»etdu«bricolage».
20
21
Premièrepartie
Lestroispôlesdestructurationduchampthérapeutico‐religieux
Le champ contemporain des pratiques thérapeutico‐religieuses s’inscrit dans une
recherche des «arts de l’existence», pour reprendre un terme plus anthropologique
utiliséparGiordanaCharuty.3Cechamp4montreunestructurationentroispôles,quise
démarquentetétablissentdesfrontièreslesunsaveclesautres,maiscomportenteux‐
mêmesenquelquesorteleurpropre«envers»dansunetensioninternedesextrêmes
inscritsdansleurpropreespacededéfinition.Ces«envers»sont intégréscommedes
complémentsoudesantagonistesenfonctiondesdifférentesconjoncturesdesrapports
de forcesoud’autorités avec les autrespôles.Dans le terrainquim’occupe, ces trois
pôles sont pour le premier l’autorité de l’Eglise catholique qui réaffirme un rite qui
historiquement lui a servi de démarcation avec la médecine scientifique, mais dont
l’applicationdoitresterextrêmementraréfiéeetdontlacommunicationresteminimale
etsesspécialistesleplussouventinaccessibles.Ledeuxièmepôleestforméducouple
«médecinesalternatives» et médecine scientifique. Celle‐ci est légitimée par une
reconnaissance académique qui s’oppose formellement aux «savoirs faire» des
médecinesalternatives,maisquinedeviennentplusqu’enpartiehétérodoxespuisque
leurextérioritédevientcontrôléepardesorganismesquieux‐mêmessontreconnuspar
lalégislationsuisse.Lesdifférentes«médecines»sontappeléesàneformerqu’unseul
ensemble, la «médecine intégrative». Le troisième pôle est constitué par la sphère
commerciale desmarchés des «médecines alternatives» ou «médecines naturelles»
3 Michel Foucault utilise le terme « arts de l’existence » pour définir « des pratiques réfléchies et
volontairesparlesquellesleshommes,sefixentnonseulementdesrèglesdeconduite,maischerchentà
se transformer eux‐mêmes, à se modifier dans leur être singulier, et à faire de leur vie uneœuvre»
(MichelFoucault1984:16)
4 Le terme de «champ» a été construit par Pierre Bourdieu en réfléchissant à l’analyse que Weber
proposedesrapportsentre«prêtre,prophèteetsorcier»(PierreBourdieu1987:33,63).
22
dont une partie nie la dimension de marché en mettant en valeur des usages de
sociabilité,d’interconnaissanceetderencontrespersonnelles.
Pourmepermettreunelecturedecestroispôlesdansune«ethnographieduproche»,
j’ai eu recours aux trois configurations mises en valeur de manière évènementielle
durantlelapsdetempsdemonenquête.Cechoixm’aétédictéparleprincipequele
travailde terrainestune formed’interactionavecunautre.Soitune«interactionqui
devaitêtreconduiteco‐temporellement,sur labased’unTemps intersubjectifpartagé
et d’une contemporanéité intersociétale». (Johannes Fabian 2006) Cette affirmation
n’entre pas en contradiction avec le fait de situer ces événements dans leur propre
contexte et déroulement historique. La première configuration est l’annonce du
«nouveauRitueldel’Exorcismedel’Eglisecatholique»etmondébutd’enquêteauprès
deprêtresnommésàce«ministère».Ladeuxièmeconfigurationestmiseenplacepar
des jeux d’influence entre politique d’Etat et mobilisation citoyenne autour des
définitionsdesprestationsdesoinàchargedel’assurancemaladie.Latroisièmeprend
pour objet les «salons de médecines naturelles», et plus particulièrement,
l’introduction d’un «Village Santé» qui va accueillir les «médiums‐guérisseurs» et
introduire une distinction entre les différents «biens singuliers» proposés et
réintroduirelaquestiondelarésolutiondescrisesexistentielles.
23
1.LenouveauRitueldel’Exorcismedel’Eglisecatholique
Le27octobre1998,lejournalLeTempspublieunarticledeCorinneBlochsousletitre
accrocheuret énigmatique: «Lediableestde retour, laïc sansqueueni visage».Cet
article nous informe quele Vatican s’apprête à annoncer la mise en place d’un
«nouveau Rituel de l’exorcisme». Il nous apprend aussi que «les demandes
d’exorcisme ne cessent d’augmenter alors que, dans le même temps l’Eglise est
devenueprudentesur lanatureduMalin»maisquedansaumoinsdeuxdiocèsesde
Suisse, «plusieurs prêtres ont été mandatés au cours de ces dernières années – de
façonnonofficielle–pouraccueillirleflotgrandissantdesnouveauxpossédés».Dansle
même article, la journaliste note que le porte‐parole de la Conférence des évêques
suisses précise que la plupart des personnes se disant «possédées» souffrent de
problèmes d’ordre psychologique voire psychiatrique. La journaliste, commente en
argumentant que «le Malindépossédé de ses anciennes représentations par l’Eglise
actuelle, réapparaît dans le monde laïc de façon brutale et anarchique:
parapsychologie, ésotérisme, occultisme». Le journal Le Temps reprend cette
informationlejoursuivantetpubliele27janvier1999,unarticledePatriciaBriel,sous
le titre de «Le Vatican invite les exorcistes à s’adresser à des psychiatres». Nous y
apprenonsdèslalectureduparagraphequichapeautel’article,queleVaticanarendu
publiclaveille,soitle26janvier1999,lenouveauRitueld’exorcisme,cederniern’avait
pas été remis à jour depuis 1614.Selon la journaliste «c’est la première fois que les
bienfaitsdelapsychiatrieetdelapsychanalysesontreconnusdefaçonaussiexplicite».
L’extraitdupréambuleduRituelcitéparlajournalistepréciseque:
«L’exorciste décidera avec prudence de la nécessité d’utiliser le rite d’exorcisme après
avoirprocédéàuneenquêtediligente–danslerespectdusecretconfessionnel–etaprès
avoir consulté, selon les possibilités, des experts enmatière spirituelle, et, s’il est jugé
opportun, des spécialistes en science médicale et psychiatrique, qui ont le sens des
réalitésspirituelles.»
24
La «pratique de l’exorcisme» reste pour l’Eglise catholique un sujet périodiquement
rediscuté,mais loin d’être une «manifestation archaïque», en proposant un langage
métaphoriquequipermetd’opposer lesconceptsde«Bien»etde«Mal», iloffreun
lieupourdesaffrontements sociaux. Il inscritdansunescène rituelle les controverses
entre milieux politiques, religieux et scientifiques dont la résolution exige justement
l’ajustementdenouveauxmodèlesderationalitéetdenouveauxrapportsdepouvoir.
Cettescènes’estjouéeplusieursfoisdanslecoursdel’Histoire.
1.1.Del’«agressiondiabolique»
En reprenant l’étymologie du verbe grec diaballô, diviser ou désunir, l’«agression
diabolique» provoque un état «divisé» ou «désuni» de son identité, (qui dans le
langage psychiatrique moderne se traduit par un «trouble de la personnalité»).
L’individuestalors«possédé»parunealtérité,lapossessionsuppose:
«lapossibilitéd’existencedansl’individudedeuxsujetsindépendantsl’undel’autre:le
sujethabituel,normal,ordinaire,et le sujetdiabolique,ouplutôt ledémonen tantque
sujetautre,extérieuretquis’introduitdansl’individupossédé,sesubstituantaupremier
(possessiondetypesomnambulique)oucoexistantaveclui(personnelucide).»(Theodor
K.Oesterreich1972,citéparGeorgesLapassade1997:98)
La«possession»del’individuparuneentitévasetraduirepardeschangementsdans
sa physionomie, dans sa tessiture vocale, dans ses expressions qui vontmarquer une
individualitéétrangère.Cetteentitépeutsemanifesteràdesmomentsrituelsprécistels
que lescultesdepossessionoudufaitd’uneactionnégativespécifiquedirigéecontre
l’individu par une tierce personne. Pour lutter contre cet état, un «exorcisme» sera
nécessaire,cetermerecouvre:
25
«unemultiplicitéd’actionsrituellesdestinéesà identifierunagentpathogènedenature
contre‐empirique‐esprit,mort,génie,démon–qu’ils’agitd’expulserhorsd’unlieu,d’un
objet,d’uncorpshumainou, leplus souventde le convertirenpuissancebénéfique.La
codificationdecesopérations,présentesdanstous lessystèmesreligieux,monothéistes
oupolythéistes,estdoncétroitementtributairedescatégoriesontologiques,desformes
delamédiationreligieuseetdesmodalitésdeconstructiondel’individuélaboréesausein
dechaqueuniversculturel.»(GiordanaCharuty2010:358)
Danslaculturechrétienne,selonunelecturethéologiquedel’interprétationdestextes
des Evangiles reprise par leDictionnaire des Religions dirigé par Paul Poupard,
catholique,Jésussedistinguaitdespratiquesdujudaïsmeparlaformed’exorcismequ’il
exerçait.Cemêmeouvragerappellequelasommationfaite,«aunomdeDieuàl’esprit
dumaldequitterunepersonneouunobjet»estpratiquéedansleritedubaptêmedès
l’Eglise primitive. La pratique de l’exorcisme s’inscrit ainsi comme une des pratiques
constitutives du christianisme et comme un opérateur dans la construction de la
personnechrétienne.
1.2.Lapratiquedel’exorcismeaucoursdesdernierssièclesenpayscatholique
Lapratiquede l’exorcismeconnaîtenEurope,etplusparticulièrementenFrance, son
apogée au XVIIème siècle à la suite de grandes affaires de possession démoniaque
collective,commel’affaireGaudryet lespossédéesd’Aix‐en‐Provence(1605‐1611), les
possessionsduCouventdeLoudunetdesasupérieureSœurJeannedesAnges5(1632‐
1635), les possédées de Louviers (1642‐1647) et d’Auxonne (1658‐1663). Ces grandes
affairesvoients’affronterpubliquementprêtresexorcistes,autoritéscivilesetmédecins
laïques. Les dates de ces affaires de possession démoniaque collective, montrent un
légerdécalageparrapportauxchassesauxsorcières.Ledécalagesociologiqueestplus
important.Ils’agîtdephénomènesurbains,mettantenscènedesmilieuxsociauxélevés
etcultivésetavecunlienétroitaudéveloppementdumysticisme.Aprèsces«grandes
5LapossessiondeLoudun(1632‐1640)aétédécriteparMicheldeCerteau,dansunouvragede1970.
26
affaires» et jusqu’à celle deMorzine en Savoie aumilieu du XIXème siècle (Catherine‐
LaurenceMaire 1981), la possession et l’exorcisme vont rester des cas individuels et
isolés.Lesévêquesne légitiment lerecoursà l’exorcismesolennelougrandexorcisme
quepourdessituations«graves»qu’ilsdéfinissentcommeune«possessionavérée».
Ils justifient leur réticence à pratiquer ce rite en évoquant la crainte d’aggraver l’état
d’aliénationdusujetsicelui‐cin’estpas«réellementpossédé».Danslapremièremoitié
du XIXème siècle, les exorcismes sont le fait surtout de religieux itinérants et
charismatiquesquiagissentendehorsdel’autoritédel’Eglise.Cesreligieuxàvocation
missionnarialeprêchentdanslescampagnesavecl’Evangilecommeseulappui.Lefrère
Tissot est l’une de ces figures. (Hervé Guillemain 2001: 440) Ce religieux, lui‐même
atteintdetroublespsychiques,fondel’ordredesfrèresdeSaint‐JeandeDieuetsefait
appelerHilarion,dunomd’unsaintexorciste.Sonordrecréeplusieursasilesd’aliénés.
Sesituantdanslatraditionévangélique,ilconsidèrechaquealiénécommepossédédu
démonetentantqu’exorcistesedonnepourmissiondedélivreretdeconvertirchacun
deceuxqu’ilrencontreaucoursdesespérégrinations:
«Dieumedonnalamissionsainted’améliorerlesortdespauvresetmalheureuxaliénés
etenmême temps lepouvoirdeguérirmiraculeusement lesmaladesetdedélivrer les
possédéscommelesapôtres»(JosephTissot1860:18,citéparHervéGuillemain2001:
440)
Sapratiqued’exorcistenesemblepasavoirétédécriteetsicen’estsapréparationàcet
acteparlejeûneetlaprièresuivantlemodèlequ’ilattribueauChristetàsesApôtres.Il
nesemblepasseréférerexplicitementauRituelromainquicodifie,dès1614,l’usagede
l’exorcisme. L’historien Hervé Guillemain précise dans son ouvrage Diriger les
consciences guérir les âmes traitant des pratiques thérapeutiques et religieuses du
XIXèmeetdébutduXXèmesiècle,que:
«L’exorcisten’estpasencoredépassépar lasciencemédicale:Tissotaffirmeguérir les
possédésdemoinsdehuitmoisetnerienpouvoirfaceauxpossessionschroniques; les
27
aliénistes de 1830 soignent les malades de même durée et échouent devant la
chronicité.»(HervéGuillemain2001:441)
L’efficacitédelapratiquethérapeutiquedel’exorcismevaêtrecontestéedanslemilieu
duXIXèmesiècle, lorsquedesmédecinsaliénistesvontassimiler les«manifestationsde
possession»àunenosologiehystériqueetparcettecatégorisationdessymptômesdans
unenormede lamédecinescientifique, les intégreràunepathologie.Cebasculement
entrenotionreligieuseetmédicales’opèreentre1857et1873,lorsdecequiestdéfini
jusque‐là comme une «possession collective» qui touche les femmes du village de
Morzine,enSavoie.(Catherine‐LaurenceMaire1981)Cetterégionvientd’êtreannexée
à la France et il s’agit pour les médecins aliénistes qui dépendent du ministère de
l’Intérieurderamenerlecalmeetderétablirunordrepublicquetroublentcesfemmes.
Enévoquantcebasculementpendantl’«affairedeMorzine»,NicoleEdelmanconstate
que:
«l’avancée de la médecine dans l’espace du religieux est une étape importante en ce
qu’ellemarquelenaufragedelapossessionquiétaitjusqu’alorsunecatégorierecevable
qui autorisait l’expression du trouble psychologique et corporel. Seule la possession
pouvait dire le trouble dans le langage dumal et donner aux violences des possédées
l’innocencede la souffrance. Lepossédéétait pris en chargepar la communautéqui le
conduisaitverslesinstancespropresàledélivrer.L’hystériqueenrevancheestfaceàelle‐
même,enferméedans laviolencecorporelledesesconvulsionsmaissondélirenepeut
plusréféreràcetAutrediabolique.»(NicoleEdelman 2002 )
L’Eglise catholique romaine va quant à elle raréfier la pratique de l’exorcisme et la
confinerauregistreindividueldelaconfessionetaucolloquesingulierduprêtreetdu
croyant qui se présente comme «possédé». Elle en régule aussi la pratique en
nommant des exorcistes officiels dans chaque diocèse qui eux seuls sont habilités à
procéderàcerituel.Lorsdestravauxdepréparationdudeuxièmeconseilœcuménique
duVaticandanslesannées1960,certainstextesliturgiquessontrévisésouremisàjour.
Leritueldel’exorcismeestconsidéréparnombrededignitairesecclésiastiquescomme
rétrograde et les textes faisant référence aumal et aux démons deviennent plus
28
succincts. Durant les années 1970, le Mouvement catholique du Renouveau
charismatique, né à la marge de l’institution catholique qu’il conteste, appelle en
réaction aux travaux de Vatican II à un retour aux «symboles institutionnels»
marqueurstraditionnelsducatholicismeetréinvestitlespratiquesdel’exorcisme.Dans
lemêmeétatd’esprit, lePapePaulVI,quisupervisa ladeuxièmemoitiéduConcilede
VaticanII,estimequelapositionprisepar lesprélatscatholiquesdesannées1960est
unenégationsur leplanthéologiquedel’«existencedudiable»etdéclarelorsd’une
audiencepubliqueen1972:
«Lemalnereprésentepasseulementunmanquedequelquechose,maisilestunagent
actif, un être spirituel vivant, pervers et qui pervertit. Il constitue une terrible réalité.
Mystérieuse et effrayante. Le refus de reconnaître l’existence d’une telle réalité ou de
considérerlemalcommeunprincipequinetirepassonoriginedeDieucommetoutesles
créaturesestcontraireauxenseignementsdelaBibleetdel’Eglise.Tenterdeleprésenter
commeuneformederéalitédiffuse,unepersonnificationconceptuelleetfantaisistedela
causeinconnuedenosmalheursestégalementerroné.»(www.vatican.va)
A la suite de ces déclarations, la pratique des exorcismes sur une personne
diagnostiquée«possédée»,parunouplusieursprêtresréunisencollègemaisdevant
un cercle restreint de témoins, fut en résurgence dans desmilieux traditionnels. Ces
pratiques connurent des dérives violentes pouvant se conclure par la mort de la
personne«possédée».6Desexorcismespublics furentégalement instaurés, ilsprirent
place,notammentàRome,danslesannées1980,autourducharismatiquearchevêque
6LecaslepluscitéparleclergécatholiqueromainenSuisseestceluid’unejeuneallemande,Anneliese
Michel (1952‐1976), vivant à Kligenberg en Bavière. Cette jeune femme épileptique, profondément
religieuse, fut convaincued’êtrepossédéepardesdémons.Selon l’historiennePetraNey‐Hellmuth,qui
publie en 2014 un ouvrage sur « Le cas Anneliese Michel », celle‐ci a subi soixante sept exorcismes
accomplis par le Père Arnold Renz et le pasteur Ernst Alt, pendant plusieursmois durant lesquels elle
refusadeplusenplusdes’alimenter.Ellesuccombaenjuillet1976dessuitesdemulnutritionextrême.La
recherche de Petra Ney‐Hellmuth se base sur les dossiers d’archives du diocèse de Wurtzbourg dont
l’accès n’a été autorisé que récemment et qui comprend notamment des documents internes et les
lettresadresséesàl’évêqueMonseigneurStanglquisuivitcetteaffaire.
29
Milingo,cequivaluàcedernierd’êtresuspenduàplusieurs reprisesdeses fonctions
ecclésiastiquespardécisionpapale.
En 1998, dans la continuation des travaux de rénovation de l’ensemble des rituels
liturgiquesdel’EglisecatholiqueromaineselonleConcilede«VaticanII»,lePapeJean‐
Paul II valide le texte latin «remis à jour» du Rituel catholique de l’exorcisme. Si ce
nouveauritueln’estpastrèsdifférentdansl’ensembleduprécédentde1614,ilrelèvela
distinction entre une prière imprécative et une prière déprécative, et demande
l’abandon de la première forme au profit de la deuxième.7 Il procède aussi à une
redéfinitiondesrôlesenaffirmantque:
«Leministère de l’exorcisme est confié à un prêtre demanière strictement autorisée,
c’est‐à‐direparunemissionparticulièredel’évêquediocésain.(…)Le«grandexorcisme»
estréservéàceministre».8
CettenouvelleversionduRitueldel’exorcismecontientégalementdespréliminairesqui
opèrentunrepositionnementdelapratiquedel’exorcisme:
«Le prêtre jugera de la nécessité d’employer le rite d’exorcisme, après une enquête
soigneuse,lesecretdelaconfessionétantsauvegardé,etaprèsavoirconsulté,autantque
faire se peut, des experts dans les choses spirituelles et, dans la mesure où cela est
7 «La prière imprécative s’adresse directement à Satan pour l’adjurer de se retirer de la personne. Le
célébrantadjureSatan«ennemidusalutdeshommes»de«reconnaîtrelajusticeetlabontédeDieu»;
«prince de cemonde», de «reconnaître la puissance et la force de Jésus Christ»; et «séducteur du
genrehumain»de«reconnaître l’Espritdevéritéetdegrâce».Laprièredéprécative s’adresseàDieu.
Elleluidemanded’envoyersonEspritSaintpourqu’ildonneàlapersonnetourmentée«laforcedansles
épreuves», qu’il lui «apprenne à prier dans ses tribulations» et qu’il «la tienne sous sa puissante
protection». Entretien avec MonseigneurFrançois Saint Macary, cité dans «Eglise en Ille‐et‐Vilaine»,
numéro89,parule27février2006,http://rennes.catholique.fr/Un‐nouveau‐rituel‐pour‐l‐exorcisme.html8«Présentationà l’usagedespaysdelanguefrançaise»,versionnonpubliéequim’aététransmisepar
l’AbbéM.M.
30
nécessaire, des experts en science médicale et psychiatrique ayant le sens des choses
spirituelles».(Marc‐AntoineFontelle1999:165)
En1999,letextedunouveaurituelestpubliéenlatinsousletitre:«DeExorcismuset
SupplicationibusQuibusdam» (Desexorcismesetdecertainessupplications), il faudra
attendre2006pourquecetextesoittraduitenfrançaisetparaissesousletitre«Rituel
de l’exorcisme et prières de supplication». Le pape Benoit XVI, intronisé en 2005,
introduitundespremiersrassemblementsdes«prêtresexorcistes»enOmbrieences
termes:
«Je vous encourage à poursuivre votre important ministère au service de l’Eglise,
soutenus par l’attention vigilante de vos évêques et par les prières constantes de la
communautéchrétienne.»
Ces paroles, plus que d’encouragement, sont un avertissement adressé aux prêtres.
Ceux‐ciselonlaprocédureontreçuunelettredemissiondeleurévêquepourexercer
ceministèrequiportelenomde«ministèred’écouteetdediscernement».Il leurest
rappeléqu’ilsnepeuventpratiqueraucun«ritueld’exorcisme»sansenavoirréféréet
obtenu l’accordpréalablede leurévêque.L’Eglisecatholiqueentendbiencontrôlerau
mieuxdespratiquesquiluiontvaludefortescritiquessuiteàdesdérivesdesonclergé
descourants«traditionnalistes».
1.3.Larégularisationdelapratiquedel’exorcismeenSuisseromande
Les autorités religieuses qui réglementent l’accès au divin en Suisse romande se
positionnentdemanièredifférente faceauxpratiquesde l’exorcisme.Les troisEglises
lesplusactivesdansledébatsurcespratiquessontl’Eglisecatholique,l’Eglisenationale
protestanteouEgliseréforméeetl’EgliseEvangéliquepentecôtiste.9
9Deuxouvragesrelatentlestémoignagesdedeuxprêtrespratiquantouayantpratiquéunexorcismeen
Suisse romande, le premier qui porte le titre de:Echec à l’oppresseur: étude sur le ministère de la
31
La Confédération suisse est formée de vingt‐six Cantons ou Etats, liés par une
Constitution fédérale qui reconnaît quatre langues nationales, réparties sur autant de
territoires linguistiques, et deux religions nationales: l’Eglise évangélique réformée
(nommée aussi Eglise nationale protestante) et l’Eglise catholique romaine. La Suisse
romandeest lenomdonnéà lapartiefrancophone.Apartirducadreréférentieldela
Constitutionfédéralequiénoncedesprincipesquidoiventêtrecommunsàl’ensemble
du «peuple suisse»,10 chaque Canton va établir son propre appareil législatif et
exécutif. Le fédéralisme est utilisé comme instrument institutionnel pour réguler la
diversitéet lacomplexitéprésentesenSuisse.«La régulationde la religion» (William
Ossipow 2003) est une compétence reconnue d’une part à la Confédération (droit
fédéral)maiségalementauxCantons(droitcantonal),decefait,ilexisteenSuissevingt‐
six systèmes de droit cantonal relatif à la gestion religieuse qui tous ne doivent pas
contrevenirauxdispositionsdudroit fédéralquigarantit lesdroits fondamentaux, tels
que la liberté de culte et la liberté d'expression en matière religieuse. Il revient en
revanche aux cantons de régler le statut juridique des communautés religieuses. En
Suisse romande (francophone) deux cantons (Genève et Neuchâtel) posent ainsi le
principe d’une stricte séparation entre l’Église et l’État et donnent à toutes les
communautés religieuses qui sont établies sur leur territoire un statut d'organisation
privée.Danslesautrescantons,laséparationn’estpasaussinette:l’Étatoffrecertaines
prestationsauxcommunautésreligieusesreconnuesetilleurdonnecertainsdroitstels
que l’utilisation des locaux des établissements scolaires pour l’enseignement religieux
délivrance,estl’œuvredupasteurMauriceRayetdatede1977,lesecondouvrageintitulé:Exorcisme,un
prêtreparle,estécritparl’AbbéGeorgesSchindelholzetparaîten1983.10 LaConstitution fédéralede laConfédérationsuissedu18avril1999,envigueurdepuis le1er janvier
2000,soitladernièreendate,comporteunpréambuleencestermes:«AunomdeDieuTout‐Puissant!
Lepeupleetlescantonssuisses,conscientsdeleurresponsabilitéenverslaCréation,résolusàrenouveler
leuralliancepourrenforcerlaliberté,ladémocratie,l'indépendanceetlapaixdansunespritdesolidarité
et d'ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l'autre et
l'équité, (…)arrêtent la Constitution que voici.» (http://www.admin.ch/opc/fr) L’hymne national suisse
estconstruitcommeuncantiquereligieuxetportelenomdeCantiquesuisse,cequiconfirmeaussiquela
SuisseneseprésentepascommeunEtatlaïc.
32
ou ledroitdepréleverdes impôts.Cescantonsreconnaissentgénéralementaumoins
deuxcommunautésreligieusescommecollectivitédedroitpublic,quirestent lesdeux
plus importantes: l’Eglise évangélique réformée (nommée aussi l’Eglise nationale
protestante)et l’Eglisecatholiqueromaine11.Lesautrescommunautésreligieusessont
régies par le droit privé et prennent le plus souvent le statut d’association à but non
lucratif12.Lesdifférentesdispositionsprisesparlescantonsdépendentgénéralementde
leur passé historique, par exemple, au moment des fortes divergences entre les
prédicateurs de la Réforme, certains cantons plutôt ruraux ont accueillis sur leurs
territoires différentes communautés évangéliques issues des courants radicaux de la
Réformeenvertudurespectdelalibertédeculte.CesEglisesrestentencoreprésentes
etactives.Dans lesvilles, se sontdéveloppédenouveaux regroupements religieuxou
Eglises en fonction des populations d’immigration et selon un large éventail
d’obédience. Cette tolérance et le respect de la diversité cultuelle favorisent aussi
l’éclosionetlavisibilitépubliquede«communautésspirituelles»éloignéesdesEglises
historiques.
Les Eglises nationales ont développé leurs propres organisations territoriales tout en
respectant les directives cantonales. L’Eglise catholique romaine a délimité six
diocèsesen Suissedont trois en Suisse romande : l’Evêchéde Sionpour le cantondu
Valaisquisepartageendeuxrégionslinguistiques,francophoneetalémanique,l’Evêché
deBâleauquelestrattachélecantonduJuraetl’ÉvêchédeLausanne,Genève,Fribourg
etNeuchâtel, qui regroupe cesquatre cantons, soit la plus grandepartie de la Suisse
11Sinousprenonsl’exempleduCantondeGenève,lerèglementcantonaldu16mai1944,stipule«Les
Eglises ci‐après dénommées: a. Eglise nationale protestante, b. Eglise catholique romaine, c. Eglise
catholique chrétienne, sont reconnuespubliques à l’exclusionde touteautre communauté religieuse.»
Recueil systématiquegenevoisC415.03.Lesautrescommunautésnesontpas interdites,maissontdes
associationsreconnuesd’utilitépublique,avecchacuneleursstatutsetleursspécificités.Leursressources
financièresprovientdescotisationsdeleursmembresetdedons.12Lesassociationsàbutnonlucratifrédigentleursstatutsenaccordavecl’article60etsuivantsduCode
civilsuisse,maisnesontpastenuesdelesdéposerdansuneadministrationpublique.Iln’existeaucune
forme de contrôle sur les buts des associations, sauf lors de demandes de financements à des fonds
publicsouàdesfondsémanantdefondationsdedroitpublic.
33
francophone.13 Les quatre cantons, qui le constituent, ont chacun leur propre
réglementationde laquestionreligieuse.Si lesCantonsdeGenèveetNeuchâtelnese
chargentplusdepréleverdes impôtsd’église, leCantondeVaudenprélèvepour les
deux communautés catholique et réformée et Fribourg, où se trouve le siège de
l’évêché, prélève une taxe pour l’entretien de l’Eglise catholique. Ces disparités
cantonalesnesontpassansconséquencesurlagestiondel’organisationdel’institution
ecclésiastique.Ellesontaussidesincidencesdirectessurlesmissionstraditionnellesdes
Eglisesauprèsdespopulationsdanslessecteurssocialetsanitaire.
1.4.Lespremièresrencontresavecdesprêtresexorcistesdel’Eglisecatholique
J’ai éprouvé des difficultés à obtenir les noms et coordonnées des prêtres exorcistes,
aucune entrée sous cette appellation, ni sous celle de «ministère d’écoute et de
discernement» ne figurant dans les annuaires des diocèses que j’ai consultés. La
premièrerencontreavecunprêtreexorcistefutlefruitduhasard.Invitéeàunbaptême
etpeuaufaitduritueldubaptêmecatholique,jefusnéanmoinssurprisedelagrande
forcedeconvictionquisedégageaitduprêtre,delamanièredontilnousconvainquait
depsalmodieràsasuitedesvigoureux«Nouslecroyons»,etàsamanièrededistribuer
àlafindelacérémonie,àchaqueenfantprésent,undesciergesquiavaientétéallumés
etbénisdurantcetoffice.Alacollationquisuivi,jeluiposaiquelquesquestions,j’appris
qu’ilappartenaitàlaCompagniedesjésuites,qu’ilavaitvécuenAfriqueetconnaissaitle
PèreEricdeRosny14qu’iladmiraitbeaucoup.Touscesélémentsm’ontpermisdepenser
13 C’est également le plus grand diocèse qui compte en 2013, sur une population totale d’à peu près
1’346'000 personnes, environ 690'000 catholiques, et environ 630 prêtres et 1300 membres de
congrégationsreligieuses14EricdeRosny,(1930‐2012)jésuitefrançaisetanthropologue,professeurd'anthropologiedelasantéà
l'Université catholique de l'Afrique centrale (UCAC), a vécu de nombreuses années en Afrique, et en
particulier au Cameroun. Il a été directeur de l'Institut africain pour le développement économique et
social (INADES) à Abidjan, entre 1975 et 1982, puis supérieur provincial des jésuites de l'Afrique de
l'Ouest,etbaséàDouala. Il aécritplusieurs livres sur la«médecine traditionnelleafricaine»,dontLes
yeuxdemachèvre,L'Afriquedesguérisons,Lanuit,lesyeuxouverts,etdirigél’ouvragecollectifJusticeet
34
que ce prêtre devait savoir qui était chargé du ministère de l’exorcisme dans son
diocèse. Je luiposaiquelquesquestionspoursavoircequ’ilpensaitdunouveaurituel
d’exorcisme. Ilmeditqu’ilétait étonnédemesquestionsetmeréponditdemanière
évasiveententantdeleséluder.Jedécidaideluitéléphonerquelquesjoursplustard.
Autéléphone,ceprêtre,l’AbbéM.J.devintplusprécisdanscesréponses,ilmeditfaire
partie d’une commission du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg formée d’un
groupedeprêtreschargésdetraiterdesdemandesdepersonnessedisant«envoûtées
ou possédées». Ce groupe est composé de prêtres âgés «un groupe du 3ème âge»,
selonsesdiresetlui‐mêmeyparticipedepuisunpeuplusd’uneannée.Ilpensequela
compositiondecegroupedevraitêtrerenouvelée,sansdoutel’annéeprochaine.Ilme
ditqu’ilnepeutguèrem’aiderdansmarecherche.Aprèscetteentréeenmatièrepeu
encourageante et devant mon insistance, il m’indique le nom de l’Abbé J.M. en
précisant: «il habiteplusprèsde chezvous».Pour l’atteindre, jedoism’adresserau
vicariat de Lausanne. Je téléphonai alors au secrétariat du vicariat et après que j’aie
expliqué l’objetdemadémarche, lasecrétairepritmonnumérodetéléphonepour le
transmettre à l’Abbé J.M., quime rappela effectivement quelques jours plus tard. La
premièrerencontreavecl’AbbéJ.M.ainsiquelessuivantesavecluiseferontauvicariat
deLausanne.L’AbbéJ.M.metransmettra lesnomsd’autresprêtreschargésdumême
ministère que lui. Les premiers entretiens avec les autres prêtres en charge du
«ministèredel’exorcisme»sesontdéroulésdemanièresimilaire.Aprèsunepremière
présentation desmotifs dema demande d’entretien, les prêtresm’ont présenté leur
ministère, en précisant bien que celui‐ci doit être nommé «ministère d’écoute et de
discernement».
S’affirmercommechercheuseetnoncommeconsultanteestunepositionquiarendu
les entretiens plus complexes. Cette position empêche un dévoilement des pratiques
habituelles du prêtre et le contraint à une description verbale de ces pratiques. Ces
Sorcellerie: Colloque international de Yaoundé (17‐19mars 2005) (collectif). En 2010, il a été nommé
docteurhonoriscausadel’UniversitédeNeuchâtel.
35
prêtres ont tous utilisé lors de ces premiers entretiens un mode de discours et un
argumentairecomparable.Ilsprésententuneexégèsedestextesbibliquesetdécrivent
lesdemandesquileurssontadresséesetlescasdespersonnesqu’ilsontreçuspourun
ou une suite d’entretiens suivis d’un «accompagnement spirituel». Les «demandes
d’aide» qui leur sont adressées peuvent être pour le consultant15 ou pour un de ses
proches. La rencontre avec un prêtre, dans le cadre de ce ministère particulier, est
assujettie à une procédure spécifique. Le consultant est censé s’adresser d’abord au
prêtredesaparoisse,quiaprèsavoirexaminélecas,adresseraunedemandeauvicariat
dont la tâche sera de transmettre les coordonnées du prêtre exorciste ou qui
demanderaàcedernierdeprendrecontactdirectementaveclapersonneouavecunde
ses proches. Cette procédure se veut rigoureuse, mais la non application de cette
procédure fait aussi partie d’une des stratégies des consultants. Ceux‐ci ne décident
d’entreprendre cette procédure qu’après avoir consulté d’autres experts, et plus
généralement,ilslefontsuiteàl’injonctiondeleursproches,voiremêmecontraintspar
eux, et souvent également sur les conseils d’un «annonciateur». Celui‐ci endosse un
rôle comparableà celuidécritpar JeanneFavret‐Saadadans lediagnosticdes«crises
sorcellaires».(JeanneFavret‐Saada2009:34)
Selon ces prêtres exorcistes, les demandes d’aide de personnes se disant possédées,
ensorceléesouvictimesdumauvaisœil,sontdeplusenplusfréquentescesdernières
années. Ces trois diagnostics, qui reprennent trois formes d’«effraction de la
personne» par des «forces», ou des «fluides», ou encore des entités externes, ont
unefréquencesuffisammentimportantepourmontrer,seloncesprêtres,qu’ellessont
unepréoccupationpourunepartienonnégligeabledespopulationsurbainesactuelles.
Ces prêtres constatent que les personnes qui viennent les voir comme étant des
«spécialistesdel’exorcisme»nesontpasquedescatholiquesoumêmedeschrétiens.
Il peut aussi arriver que des personnes les mettent en concurrence avec des
15 J’ai choisi ce terme très général pouréviterd’utiliserd’autres termesplus connotés commecelui de
«patient»,renvoyanttropàl’universmédicalouceluide«client»,termetropcommercial.
36
«guérisseurs» qui pratiquent des rituels dans lesquels interviennent des prières
d’intercession auprès de la Vierge ou des Saints et des bénédictions. Les cas de
consultantscitésparcesprêtressontdesexemplestirésdeleurproprepratiqueouqui
leurontétérelatésparundeleurconfrèrechargédumêmeministère.Lesconsultants,
ou un de leurs proches, font appel à cet expert en se référant à une crise aiguë
particulièreouàunesuiteouunechaîned’événementsnégatifsdontlafréquenceleur
paraîtnonnaturelle. Ilspeuventaussiévoquerunétatde«malêtre»oudestroubles
pathologiquesinexplicablesparlabiomédecine,ouencoreunlieudanslequelce«mal
être» se révèle particulièrement violent. Les prêtres vont devoir faire preuve de
«discernement» pour définir l’origine naturelle ou non naturelle de ces maux. Ils
établissentunenosographieetclassentlestroubles«nonnaturels»en«infestation»,
«obsession» et «possession», pour les deux premiers, des «prières de libération»
sont «suffisantes». Pour ces prêtres ces distinctions restent formelles,même si elles
sont conformes au droit canon, car dans les trois situations une «présence
démoniaque» serait suspectée. Les consultantsquinécessiteraientunexorcisme sont
excessivement rares et les prêtres insistent pour dire qu’ils n’ont généralement pas
pratiquésleritueld’exorcisme,nouveauouancien,ous’ilsl’ontfaitcen’estqu’uneou
deuxfoisdansleurcarrière.Selonunepremièrelecturedemonenquête,j’aipupenser
quemonobjetd’enquêtem’échappaitpuisquelespratiquesd’exorcismen’étaientpas
présentes sur un terrain sur lequel, elles auraient dû l’être. L’attitude courtoisemais
réservée des prêtres m‘a m’obligé à me questionner sur ma méthode d’enquête,
notamment sur l’usage des catégories analytiques que je présentais à mes
interlocuteurs. Ceci pour deux raisons, la première étant que l’ethnologue reste pour
l’Eglise un expert en lecture de «possessions», certes plus oumoins exotiques,mais
toujourssusceptibledemettreencomparaisonlespratiques.Pourladeuxièmeraison,
dans le cas des prêtres que j’avais rencontrés, j’avais cherché la «prétendue réalité
culturelle»du«prêtreexorciste»,jelesavaisfigédanscettelectureet,enlesplaçant
dans un modèle d’interprétation fixée a priori, je ne pouvais que les pousser à
développer une exégèse biblique ou à évoquer des cas extraordinaires dans une
37
rhétoriqueprochede laparabole. Je lesavaisaussiplacésdansunepositionqui rend
difficilelaconfrontationdiscursivepuisquejen’avaisd’autrelégitimitéàlesquestionner
que celle d’une rechercheacadémique, sans comprendre«qu’il y a des chosesqu’on
saitetqu’onnedoitpasraconteretdeschosesqu’onnesaitpasmaisqu’ondoitlaisser
croire qu’on sait». (Jeanne Favret‐Saada 2009) Je rejoignais, toutes proportions
gardées, la fascinationde l’occurrenced’unecatégorieclassificatoire,«lapossession»
quiresteundesobjetsd’étudedeprédilectiondesethnologues,ennetenantpasassez
compteducontexted’énonciationetdel’occultationordinairedusujet.
Dansunedeuxièmelecturedecettepartiedemonenquête,j’aireprismesdonnéesen
2009et2010,etrequestionnétoutd’abordunprêtre,lepèreM.B.,quiavaitexercéce
ministèreenIledeFrancependantplusieursannéesavantdeseretirer,puis levicaire
épiscopaldudiocèseLausanne,GenèveetFribourgaumomentdelaconstitutiond’un
groupe d’accompagnement des prêtres chargés du ministère d’exorcisme au niveau
diocésain.Cettecellule«Ecouteetdélivrance»,miseenplace,surunmodèleprochede
cellecrééeparlepèreM.B.,estcomposéed’unpèrejésuite,d’unmédecinresponsable
d’unservicedesoinspalliatifs,d’unpsychologuequiatravaillédansunservicepublic,
des trois prêtres nommés par l’évêque et du vicaire épiscopal. Celle cellule, que le
vicaire compare à «un colloque dans les milieux hospitaliers» doit permettre une
régularisation des pratiques de ce ministère, que le vicaire préfère nommer un
«ministère d’écoute et de délivrance». Cette procédure emprunte l’ordre de la
légitimité médicale, mais la composition des participants montre que son
fonctionnement reste plus complexe. Les trois prêtres n’ont pas été choisis selon un
cursusdeformationlégitimépardespairs,maispourleurpersonnalitéetleuritinéraire
particulier.Deuxprêtresontétudiéledroitcanon.Surcesdeuxprêtres, l’un,selonles
dires du vicaire, «c’est quelqu’un qui en paroisse a des difficultés, qui n’est pas fait
nécessairementpourlaparoisseetàquiondoitdonnerunministèredétaché».L’autre
prêtre a contribué à l’établissement du dossier de demande de béatification d’une
saintelocale,cequiresteuncritèredechoixpourlesprêtresquirecoiventlamission
38
d’exorciste. La seconde raison évoquée est que, «c’est quelqu’un qui faisait déjà
beaucoupdechosesenmatièredebénédictionsdemaisons,debénédictionsd’écuries
dans sa paroisse située dans une commune de montagne. Donc, le principal de son
ministèreestrestéça,etonaétenduunpeusonministère».Letroisièmeprêtreestun
bénédictin qui, après avoir passéune vingtained’annéedansunmonastère, a repris
l’aumonerie catholique d’un hôpital universitaire cantonal. Ces trois prêtres ont cette
marginalitéstructurellequirejointcelled’autresexpertsrituelsspécialistesdecequele
père M.B. nomme lagestion de la partie «ombre», en soulignant que la hiérarchie
catholiques’occupede la«lumière»et«nedoitpasêtreentâchéepar l’ombre».En
régulant sa partie «ombre», l’autorité suprêmede l’Eglise catholique entendbien se
démarquerdetoutessortesdepratiquesqu’elleestimeoccultes,toutenneseséparant
pas d’un des éléments constitutifs de sa théologie et en gardant avec la fonction du
prêtreexorcisteuncontrôlepossiblesurlespratiquescoutumièresquifontappelàdes
curessymboliquesinscritesdansuneculturechrétienne.
39
2.Quandlamédecinedevientintégrativeparunevotationpopulaire
Le deuxième pôle qui structure le champ contemporain est constitué par celui de la
médecine scientifique. Celui‐ci a subi une transformation dont est représentatif un
débat entre autoritésmédicales et politiques face à une volonté citoyenne d’intégrer
dans les«soinsdebase»desmédecines«alternatives»par lebiaisd’une législation.
Ce débat repose la question de la disqualification de pratiques thérapeutiques non
inscritesdanscellesd’unemédecinescientifiqueetpermetdetrouverunconsensusqui
annuleunepartiedel’antagonisme.
2.1.Premièretentativededélimitationentrelestraitements
Les politiques de santé publique sont placées sous la responsabilité cantonale. Si les
diplômesuniversitairesdemédecinesontreconnussurleplanfédéraldepuisplusd’un
siècle, la réglementation des autorisations de pratiques thérapeutiques par les non
médecinsestbaséesurdesordonnancescantonales.Celles‐civontdifférerd’uncanton
à l’autre. Cette situation rend plus complexe l’application d’une loi fédérale sur
l’assurancemaladie.C’estàl’occasiond’unerévisiondecetteloien1987queleConseil
fédéralentreprendd’enrégulerlesprestationsenétablissantunedélimitationentreles
traitements qui peuvent être pris en charge par l’assurance maladie et ceux qui
n’entrentpasdanscecadre.(BéatriceDespland2007:111)Enpartantdeladéfinition
que doivent être remboursées par l’assurance les «mesures diagnostiques et
thérapeutiquesscientifiquementreconnuesqueprendlemédecin»16,leConseilfédéral
relèvequ’il«estsouventdifficilededéfiniretdedistinguer,danslapratique,entreles
examens et traitements qui portent sur une affection déterminée et les mesures
médicalesservantaubien‐êtrephysiqueetmoralengénéral».17Parmilesdomainesqui
posent des problèmes de délimitation, sont cités la physiothérapie, la chirurgie
16Messagesurlarévisionpartielledel’assurance–maladie,du19août1981,FFII,p.1119
17Ibid.,p.1120
40
esthétique et la psychothérapie. Une première proposition de révision de la loi sur
l’assurancemaladie,quidevaitselonlesdroitsdonnésparlesystèmedeladémocratie
directeaupeuplesuisse,êtreacceptéeparcedernier,futrejetéedanslavotationdu6
décembre1987.LeConseil fédéral reprenant la révisionde la loi, l’abordapar lebiais
des «prestataires de soins», (Béatrice Despland 2007: 112). Lors des procédures de
consultations préalables, des vœux avaient été émis d’inclure dans la loi fédérale des
fournisseursdeprestationstelsque:
«les psychothérapeutes, les praticiens en physiothérapie, les infirmières et infirmiers
diplômés, lepersonnelprodiguantdessoinsàdomicile, les«guérisseurs»reconnus, les
logopédistes, les conseillères en diététique, les personnes donnant des conseils aux
diabétiques,lesthérapeutesdelapsychomotricité».18
Face à cette liste hétéroclite dans laquelle apparaît, entre autres, une catégorie aussi
imprécisequeles«guérisseursreconnus»,leConseilfédéralrenonçaàétabliruneliste
exhaustivedesprestatairesdesoins,enargumentantdel’augmentationconstantedes
formesdepratiques thérapeutiques.Nesontalorsmentionnésdans la loi fédéralede
l’assurance maladie, la LAMal, que les «médecins, pharmaciens, chiropraticiens et
sages‐femmes»commeétanthabilitésàpratiqueràlachargedel’assurancemaladieet
lespersonnesprodiguantdessoinssurprescriptionousurmandatmédical.
2.2.Pourlareconnaissancedesmédecinescomplémentaires
Ce procédé de sélection d’une partie des prestataires de soins, ne résout pas la
question de la prise en charge des «médecines hétérodoxes».19 Pour résoudre cette
18Messageconcernantlarévisiondel’assurance‐maladie,du6novembre1991,FF1992I,p.146
19Le termede«médecinescomplémentaires»,souventutilisédans lespaysanglo‐saxonsetenSuisse,
renvoieàl’idéequecespratiquesapportentdesqualitésdesoinsdansdessituationsoulabiomédecine
n’est pas assez adaptée ou encore contribuent aux soins en complément à celle‐ci. Le terme de
«médecinesdouces»prolongel’idéequelabiomédecineestunemédecineiatrogènequi,poursoigner,
peut aussi engendrer des effets secondaires non désirables voire des effets toxiques et néfastes pour
41
question, deux voies vont êtreproposées. La première voie est lamise enplaced’un
premier registre professionnel, le Registre de médecine empirique (REM) en 1994 à
Bâle, suivie en 2001 par un second créé par la Fondation suisse pour les médecines
complémentaires (ASCA) à Genève. Ces deux registres ont été initiés par des
thérapeutes et des représentants des «assurances complémentaires». Celles‐ci
définissantleursprestations«àlacarte»sontlibresdeprendreencomptedesfraisliés
à des pratiques de médecines naturelles dispensées par des non médecins. Ces
assurancesencollaborantàl’établissementdesconditionsd’acceptationdespraticiens
danscesregistres,vontpouvoirétablirdescritèrespourleremboursementdesfraisdes
soins,en se référantaux listesdesdeux registres.A chargepour cesorganisationsde
n’accepter dans leurs rangs que des praticiens qui respectent un certain nombre de
critèresquisont liésàuneformationdebaseetàdesformationscontinuesrégulières
dansdesdisciplinesbiomédicales.Cesregistressontremisàjourchaqueannée.
La deuxième voie vers une prise en charge des «médecines hétérodoxes» sera
proposéeparleDépartementfédéraldel’intérieurquidécided’inclure,aveceffetau1er
juillet 1999, cinq médecines complémentaires à charges des assureurs maladie: la
médecine traditionnelle chinoise, la médecine anthroposophique, l’homéopathie, la
thérapieneuraleetlaphytothérapie20.Cescinqmédecinessontdésignéescomme«en
l’organisme. Le termede«médecinesholistique»peut aussi êtreutilisépourdésigner les «médecines
savantes» soit lesmédecines qui se rattachent aux traditions savantes arabes, orientales et asiatiques
comme les médecines ayurvédique ou chinoise. Le concept de «médecines alternatives» place ces
pratiquesthérapeutiquesdansuncourantdelacontre‐culturequineconcernepasquelasanté.20 La médecine anthroposophique s’inspire des conceptions spiritualistes de Rudolf Steiner. Cette
médecine privilégie une approche systématique de l'être humain qui tienne compte de «ses aspects
physiques, fonctionnels, psychiques et spirituels». Les remèdes anthroposophiques sont généralement
préparés avec des substances naturelles, d’origine minérale, végétale ou animale, diluées, comme en
homéopathie. L’homéopathie a été initiée par le médecin allemand Christian Friedrich Samuel
Hahnemann, (1755‐1843) qui introduit le terme «homéopathie» en 1796. Cette médecine a été
pratiquée en Suisse dès 1830 par le médecin bâlois Franz Joseph Siegrist. Elle se base sur la «loi des
similitudes». Lamaladie est traitéepar des substancesqui déclenchent chezunêtrehumainenbonne
santé des symptômes similaires à ceux de la maladie à traiter. Le thérapeute cherche pour chaque
42
cours d’évaluation» et ne seront remboursées que si elles sont pratiquées par des
médecins «dont la formation dans la discipline est reconnue par la Fédération des
médecinssuisses(FMH)».Cettedécisionn’estvalablequejusqu’au30juin2005,dateà
laquelle,l’évaluationetlapreuvede«l’efficacité,del’adéquationetdel’économicité»
de ces médecines devront être faites, afin qu’elles puissent obtenir leur inscription
pérenne dans la liste des prestations reconnues par les assureursmaladie. Durant la
périoded’essai, les cinqdisciplinesont fait l’objetd’un«Programmed’évaluationdes
médecines complémentaires» (PEK). Le 3 juin 2005, le Département fédéral de
l’intérieurdécidede«libérerlesassureurs‐maladiedelapriseenchargeobligatoiredes
prestations relevant des médecines complémentaires», estimant qu’il n'a pas été
suffisamment prouvé que cesmédecines complémentaires satisfont aux trois critères
posés. Cette décision négative va provoquer de nombreuses réactions de différents
groupesd’intérêts,aussibiendesdéfenseursdesmédecinescomplémentairesquede
l’organisationdesmédecinsquedesconsommateurs.Pourl'Uniondessociétéssuisses
demédecinecomplémentaire,elle«vaàl'encontredelavolontédupeupleetcréeune
médecineàdeuxvitesses (…)EnSuisse,deux tiersdespatients souffrentdemaladies
chroniques, contre lesquelles les médecines complémentaires sont souvent plus
efficaces que la médecine classique»21. Pour la Fédération romande des
consommateurs,lespatientsn'aurontd'autrechoixquedesetournerverslamédecine
allopathiquepluscoûteuseoude«se soignerdans leur coinà l'aidedepetitespilules
personne,unremèdepersonnalisésousformedegouttescontenantd’infimesquantitésd’unedécoction
àbasedeplantes,deminérauxoudesubstancesanimales.Lesmédicamentssontadministréssousforme
de granules ou de gouttes, à concentrations extrêmement faibles. Selon cette médecine, «plus la
concentrationduproduitactifdiminue,plusl’efficacitéduproduitsefaitsentir».Ladilutionpeutmême
neplus contenir deprincipe actifmais rester «efficace» car elle en«garde lamémoire». La thérapie
neuraleutiliseunprocédéàbased’injectionsd’anesthésiqueslocauxàdesendroitsprécisducorps.Selon
ces praticiens, l’injection permet de lever la «barrière» située à cet endroit du corps et qui empêche
l’«autoguérison» de l’organisme.La phytothérapie utilise l'action thérapeutique des plantes
médicinales.Lesremèdesseprésententsouslaformedebaumes,decompresses,desirops,detisanes.21citéparlesiteSwiss.info,archivesdu8juin2005,
www.swissinfo.ch/fre/A_La_une/Archive/Les_medecines_alternatives_hors‐jeu
43
dontlasécuritén'estpasgarantie».22PourleprésidentdelaFédérationdesmédecins
suisses (FMH), l'exclusion de ces cinq médecines de l'assurance de base aura pour
conséquenceuneperteducontrôledelaqualitédelaformationdecespraticiens.
En 2004, un comité de citoyens suisses avait décidé de devancer la décision du
Départementdel’intérieurenutilisantl’undesdroitspolitiquespropresàladémocratie
directeenusageenSuisse:ledroitd’initiative,quipermetdeproposerd’inscriredans
la Constitution fédérale, une nouvelle loi ou un nouvel article de loi. Ce comité
d'initiativeregroupantdesprofessionnelsdelasanté,desreprésentantsdespatientset
desassurancesmaladieainsiquedesparlementaires,annoncele23septembre2004,le
lancement de l'initiative « Oui aux médecines complémentaires». Celle‐ci demande
l'inscription dans la Constitution fédérale d'un nouvel article exigeant, de la
Confédération et des cantons, « la prise en compte complète des médecines
complémentaires,danslalimitedeleurscompétencesrespectives».LeConseilfédéral
émetunavisdéfavorableetleParlementdécidederejetercetteinitiativepopulairequi
estjugéetropvaguedanssonlibelléetexcessivedanssonexigencedepriseencompte
complètedesmédecinescomplémentaires.
2.3.Lamédecineintégrative,unnouveauconceptconsensuel
Lesdémarchespourlareconnaissancedesmédecinescomplémentairesparl’assurance
maladie obligatoire vont connaître un nouvel essor lorsqu’en 2009, deux sénateurs,
conseillers aux Etats, soutenus par un comité, proposent un contre‐projet à cette
initiative à présenter lors des votations populaires du 17mai 2009. Ce contre‐projet
intitulé«Pourlapriseencomptedesmédecinescomplémentaires»demanded’ajouter
dans la Constitution un art.118a:«Médecines complémentaires. La Confédération et
lescantonspourvoient,dansleslimitesdeleurscompétencesrespectives,àlapriseen
compte des médecines complémentaires.» Le comité de soutien au contre‐projet
22ibid.
44
introduitl’idéede«médecineintégrative».Cenouveauconceptproposedeconsidérer
la biomédecine et les médecines alternatives en complémentarité. «En combinant
médecine alternative et médecine classique, on obtiendrait des thérapies complètes,
plus efficaces et moins coûteuses» affirme le comité de ce contre‐projet, sans pour
autant demander une application de l’article constitutionnel à l’ensemble des
médecinesalternatives.L’objectifducomitéducontre‐projetrestelaréintégrationdans
l’assurance de base des cinq médecines: la médecine traditionnelle chinoise, la
médecineanthroposophique,l’homéopathie,lathérapieneuraleetlaphytothérapie.Le
comité va aussi demander d’accompagner cette réintégration d’une série demesures
permettant la reconnaissance et la légitimation scientifique de ces médecines. Ils
réclament le même statut académique pour ces cinq médecines que pour la
biomédecine. Ils constatent qu’en 2009, la Suisse, dans ces différentes universités
compte250chairesdemédecineclassique,maisn’encomptetoujoursquetrèspeuen
naturopathie et en homéopathie et ils demandent la création de onze chaires
universitaires pour former des médecins dans l’une ou l’autre des médecines
complémentairesetgarantirlarechercheauniveauuniversitaire.LeParlementaccepte
cecontre‐projetetdéclare:
«auvuduvif intérêtquerencontrent lesmédecinescomplémentaires, leParlementest
d’avis qu’il est légitime de leur conférer un statut constitutionnel afin de marquer
l’importance qu’elles revêtent pour nombre de personnes, même si leur principe actif
n’estpastoujoursparfaitementconnu.»23
Lecontre‐projetestproposéenvotationpopulairele17mai2009.Cecontre‐projetest
accepté par une forte majorité, soit 67% de oui. En Suisse romande, les six cantons
francophonesapprouventcetarticleconstitutionnelavecplusde70%deoui,etparmi
euxlesdeuxcantonsdeVaudetdeGenèvel’acceptentavecuntauxdeouiencoreplus
élevé,soitrespectivementde78,4%etde77,9%.LeDépartementfédéraldel’intérieur
23Votationspopulairesdu17mai2009.ExplicationsduConseilfédéral,Confédérationsuisse,Chancellerie
fédérale,p.9
45
(DFI) réintroduit ces cinq médecines qui pourront, dès 2012, être à nouveau
rembourséesparl’assuranceobligatoiredessoins.Ceci,pourunepériodeprovisoirede
sixans.Leministredelasantén’exclupasqu’enfind’évaluation,l’uneoul‘autredeces
médecinesnesatisfassepasaux«critèresd’efficacité,d’économicitéetd’adéquation».
Ces médecines pour être remboursées doivent toujours être administrées par des
praticiensayantsuiviuneformationreconnueparlaFMH.
Cettesagaquisedéroulesurdixansest intéressanteàplusieurstitres.Lesconditions
pourintroduireouréintroduirecesmédecinesquidoiventêtre«efficaces,appropriées
et économiques», n’ont jamais pu être remplies. L’organisme qui a été mandaté en
première instance,enappliquant lesprotocolesexpérimentauxde labiomédecine,ne
pouvait effectivement pas arriver à des résultats comparables et probants,mais a pu
paradoxalement confirmer que les médecines complémentaires étaient autres et en
extériorité au système biomédical légitimé au niveau fédéral. En inscrivant dans la
Constitution fédérale, un article sur les médecines complémentaires, alors qu’il n’en
existe pas pour la biomédecine, le Conseil fédéral a confirmé ce paradoxe et leur a
donnéunelégitimité.Enaffirmantqu’«encombinantmédecinealternativeetmédecine
classique,onobtiendraitdesthérapiescomplètes,plusefficacesetmoinscoûteuses»,
le comité du contre‐projet élimine l’argument que les médecines complémentaires
doivent être «efficaces, appropriées et économiques». L’introduction desmédecines
complémentairesdanslepaysagelégislatifs’estfaitparunchangementsémantique,de
biomédical, la médecine est devenue «intégrative» et a incorporé les médecines
complémentairesdanssonchamp. Ilnes’agitplusde lesmettreenconcurrencemais
réellement en complémentarité et de permettre au praticien de disposer ainsi d’un
vastecataloguedesoinsoudetechniques.
«Lamédecineintégrativeproposedessolutionsàtouteslespériodesducontinuumdes
soins.Àunedesextrémitésducontinuum,ilya laprévention, l’examenmédicalàvisée
diagnostique, lachirurgieet lamédecine.Ceciregroupelakinésithérapie, lanutrition, le
mouvement et le sport, les soins psychologiques et les thérapies complémentaires
46
commel’acupuncture,laphytothérapie,lescomplémentsnutritionnels,lestechniquesde
gestion du stress et d’intervention sur le corps et l’esprit. (…) Tous les facteurs qui
influencent la santé et le bien‐être seront pris en compte, même les facteurs
psychosociauxet ladimensionspirituelledelaviedelapersonne.Cecidébouchesurun
partenariatentrelepatientetsesdifférentsthérapeutespourarriveraumeilleurrésultat
enmatièredesantéetdesoin.»24
2.4.Lesméthodesdeguérison
Lamise en débat constitutionnelle, au lieu de la confrontation entre deux formes de
pensée,entredeuxordresderationalitédanstoutcequiatraitàlamaladieetàsaprise
en charge, a créé un «pont» destiné à les relier. Jean Benoist, médecin et
anthropologue, concluant le colloque «Offres de guérison: concurrence ou
complémentarité?»25, affirme qu’en s’interrogeant sur les soins et les médecines
«autres» :
«onparcourtenréalitéunnouvelespacedureligieuxéclatéetapparemmentsécularisé,
un religieux souvent sans dieu, sans au‐delà ni transcendance. Mais un religieux qui
commetoutreligieux,prometluiaussiunsalut.»(JeanBenoist2007:123‐124)
24 Dr Philippe Tournesac, site: http://www.medecines‐douces.com/sante‐integrative/medecine‐
integrative.htm
25 Ce colloqueorganisé à l’initiative du Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) s’est
tenule17février2006àl’UniversitédeGenève.Ilaétéorganiséconjointementaveclafacultédedroitde
l’Université deGenève et l’Observatoire des religions en Suisse. Le CIC: « Centre intercantonal sur les
croyancesreligieuses,spirituellesetésotériquesauservicedelapopulation»estunefondationdedroit
privé,crééeen2001etfinancéeparcinqcantons:Genève(principalcontributeur),Vaud,Valais,Tessinet,
depuis2009,lecantonduJura.(Siteweb:www.cic‐info.ch)LeCIC«apourmissionnotammentdansun
soucideprévention,deréuniretdediffuserdemanièreindépendanteetneutredesinformationssurla
nature, les croyanceset les activitésdes groupements à caractère religieux, spirituel ouésotérique, les
entreprisesouorganismesquileursontliés,ainsiquesurlesdérivessectaires.»(NicoleDurischGauthier,
IlarioRossi,JörgStolz2007:7‐8,note1)NicoleDurischGauthier,sociologue,adirigéleCICjusqu’en2007.
En2008,ladirectionduCICestrepriseparl’unedesescollaboratricesBrigitteKnobel,quiestégalement
sociologue.
47
Ceproposrejointceuxdespraticiensdes«médecinesautres»quiparlenttoujoursde
«guérison» et non d’« offres de soins» comme la biomédecine. Cette distinction se
retrouve dans le nom générique qu’ils se donnent, ce sont des «guérisseurs». En
allemand,des«Heilpraktiker»,des«praticiensdesanté».Dansl’étymologiedunom,
ontrouvel’adjectif«heil»quisignifie«sain»et«guéri»etquisertdesuffixeaumot
«heilig»quiveutdire«saint».PourJeanBenoistévoquantles«offresdeguérison»,
«cen’estpaslecontenuoulaformedecesoffresquifaitleurforce:c’estleurmessage.
Elles disent que le monde matériel n’exerce pas une emprise invincible. (…) Elles
n’entendentpasluttercontrelamaladie,maiscontreleMal.Et,là,onnepasseniparla
raison, ni par l’expérimentation, mais par la foi et par l’initiation. (…) Plutôt que de
simplement soigner, il s’agit alors de décrypter le destin par la gnose.» (Jean Benoist
2007:123‐124)
Les associations professionnelles REM et ASCA n’emploient pas le terme de
«médecines», mais utilisent celui de «méthodes»26. Le REM recense cent vingt
méthodesen2006,etl’ASCAcenttrentecinqen2014.Carpourelles,ilnes’agitpasde
médecinesmaisde«techniques»oude«méthodes»soitunedémarchedont lebut
est la «guérison». Certaines portent le nomde leur inventeur comme la «Technique
Alexander»,oula«MéthodeFeldenkrais»,d’autressontenrelationavecdespratiques
artistiquescommela«Musicothérapie»,l’«Artthérapie»,l’«Eurythmie»inventéepar
RudolfSteiner,ousontissuesdepratiquesorientalescommele«Reiki»oule«Hatna
Yoga»,ouencorel’«Acupuncture»,ouencoresont«inventées»parunguérisseur.
Cette déclinaison des «méthodes», facilitée par le concept de la «médecine
intégrative» fait dire à Jean Benoist que la société suisse est différente de la société
françaiseparsesvaleurs,parsesrapportsàl’individu,àlascienceetaupouvoir.Ilyune
recherchedeconciliationetdecomplémentarité,alorsqu’enFranceilyauraitsurces
26 Le terme de «méthode» est utilisé par la plupart des praticiens des médecines hétérodoxes qu’ils
soientounoninscritsdansl’undesdeuxregistres.
48
questionsdesantagonismesetdesaffrontements.Pourlui
«tout semble se décider non à partir de la dimension thérapeutique des diverses
pratiques,mais à partir de la façon dont la société gère le fait religieux. Tout se passe
commesilalaïcitéfrançaiserendaitimpensablelefaitdelaisserpénétrerdanslechamp
publiccedontonsentplusoumoinsconfusémentqu’ilressortduchampdureligieux.Et
lesseulesactivitésthérapeutiques«parallèles»àêtreexplicitementtoléréessontcelles
qui affichent clairement leur «laïcité», comme l’homéopathie ou l’acupuncture. (…)
L’insertiondureligieuxaucœurdelaviesocialeetpolitiquelaisselaporteouverteàson
insertiondansledomainedessoins.»(JeanBenoist2007:129)
Cespropossevérifientdansla«sociétésuisse»,àtraverslesprofessionnelsdel’ASCA
et du REM, dont le code d’éthique précise que leur mission est d’aider le patient à
«combattre» son mal, mais qu’ils ne doivent jamais «soustraire» un patient à son
traitement prescrit par un médecin. Si le glissement des pratiques médicales vers le
spirituel et le religieux prend en Suisse le nom de médecine intégrative par le
truchementdesvotationspopulaires,ilestàconstaterquecettetendances’inscritdans
undiscoursmédicalholistiqueplusgénéralà l’échelledeschangementsobservésdans
le champ thérapeutique contemporain. Par contre, ce changement sémantique
contribue àmontrer la fabrication de nouveaux codes et de nouveaux paradigmes à
l’intérieurd’unprocessusdeglobalisation.Monproposseradeconsidérercommentdes
cadres de légitimité sont susceptibles de se mettre en place dans ce champ
thérapeutico‐religieux, et comment ses praticiens s’inscrivent dans le marché de la
santé.
49
3.Salondemédecinesnaturelleset«VillageSanté»
Letroisièmepôleestconstituéparlasphèrecommercialedesmarchésdes«médecines
alternatives»ou«médecinesnaturelles»dontunepartienieladimensiondemarché
enmettant en valeur des usages de sociabilité, d’interconnaissance et de rencontres
personnelles.La troisièmeconfigurationquiapris formesurmonterrainetà laquelle
j’aieurecourspourensaisirlestransformationsestl’introductiond’un«VillageSanté»
dansle«SalondemédecinesnaturellesdeLausanne,MednatExpo».27Cettedécision
se fait pendant la premièrepérioded’évaluationdesmédecines complémentaires qui
ont fait l’objet du débat pour leur introduction dans les prestations à charge de
l’assurance maladie. Le «Village Santé» présenté comme «une première» par le
présidentducomitéd’organisationdeMednatExposeveutuneexpressiondeleurmise
envaleur.Cettedistinctionentrelesespacesd’expositionvaêtrereconduitedèsl’année
suivanteets’étendreàl’ensembledesexposantsdusalonquisontalorsregroupéspar
grandes thématiques. Ces aménagements spatiaux et la segmentation des espaces
imprimaientaupublicuntrajetpoursavisiteetluipermettaientunemeilleurelecture
des composants du salon. Lors de sa pérégrination dans ce salon d’exposition, le
visiteur, selon les termes du catalogue d’exposition, traversait un premier espace
réservéàl’«alimentationbiologiquedeproximité»quiluipermettaitd’«apprendreà
manger sainement» et à produire dans son lieu d’habitation certains composants
alimentaires commedes «graines germées». L’espace suivant consacré à «comment
construireunhabitatsain»l’initiaitàla«domothérapie»,soitàl’«artdesoignerson
habitation», dont il tirait divers conseils pour éviter unemauvaise implantation d’un
futurhabitatsurune«zonegéobiologiquementperturbée»,ilapprenaitaussipourson
logement actuel à contrecarrer une «mauvaise orientation» ou une «conception
volumétrique discordante» et plus particulièrement à combattre des «influences
nocives» d’une provenance «éventuellementparanormale». Quelques années plus
tard, lorsque jem’intéresserai à ce salon, la «domothérapie» sera remplacée par le
27CataloguedeMednatExpo,2002,Lausanne.
50
«Feng Shui» mais en aura gardé les mêmes grandes lignes. Pendant les premières
annéesdecettesegmentationdel’espaced’expositiondusalon,levisiteurpoursuivait
savisiteverslesespacesdédiésaux«bienfaitsduthermalismedanslesbainsthermaux
de Suisse romande». Il continuait sa pérégrination vers des stands qui vantaient le
«maintiend’unebonnesantéphysiqueetmentalepar lemouvement»enpratiquant
différents arts martiaux ou par des thérapeutiques «manuelles et gymniques»,
complétéespardifférentesméthodesauxnomsplusoumoinsexotiques.Etpourfinirsa
visite il prenait connaissance des médications et méthodes liées aux médecines
complémentaires. En2009, lorsque jeme rendspour lapremière foisdans ce«salon
des médecines naturelles»28, la surface d’exposition est certes devenue plus
importante,mais son organisation est restée identique et reste conforme, comme le
rappelleGiordanaCharuty,àl’agencementdeschapitresdesancienstraitésderégimes
de santé de la médecine domestique qui perdurent du XVIème au XIXème siècle et
contribuentàunevulgarisationdessavoirs.Aprèsavoirpassé laported’entrée, jeme
trouvedansunevastehalledanslaquellejepeuxdégusteretcomparertoutessortesde
denréesalimentaires issuesd’uneagriculturebiologique.Enmontantà l’étage, jevais
traverser sixespaces thématiques:artisanatetmarchééquitable, s’habillerethabiter
sainement,soinsetbeautéducorps,santé‐médecine,tourismesantéetvacancesbien
être, nutrition. Dans tous les nombreux stands je peux obtenir des informations et
conseils,commanderdesproduitsetdanscertainsm’inscrireàdesstagesdeformation.
Lesmédecinescomplémentairesontquittéle«VillageSanté»etsontaccessiblesdans
différentsstands.Ellesontacquisleurreconnaissanceetlesorganisateursdusalonont
attribuéauxsallesdeconférencelenomdequelquesunsdeleurs«auteurs».Lessalles
28 Après s’être acquitté de la finance d’entrée, chaque visiteur reçoit le catalogue des exposants et
conférenciersdusalon.CecatalogueestégalementdisponiblesurlesitewebdeMednatExpoetlesalon
lui‐mêmeestannoncésurlessiteswebdesexposants,ainsiquesurlessitesetagendadesmediaetdes
sociétéspromotionnellesdutourisme.Lecataloguede2009listesur32pageséditéessurdupapierglacé
les247standsdesexposantsetlesthèmesdes201conférencesquisedonnentdanssixsallesàraisonen
règlegénéraledehuitconférencespar jourpendant lesquatre joursquedurecetteéditiondeMednat
Expo.D’autresconférences,présentéessousletitrede«ateliers‐démonstration»sedonnentdemanière
moinsformelleetplusinteractiveau«VillageSanté».
51
portent les noms de : Kousmine29, Hahnemann30, Hippocrate, Bach31, Paracelse et
Kneipp32.
Reprenant le propos de Jean Benoist sur l’insertion du religieux dans le domaine des
soins,jenepouvaisqueconstaterquejemetrouvaispourtantbiendansunmarché,un
marché qualifié de «marché de la guérison» dans le discours sociologique,mais qui
reste un marché au sens propre du terme. Un marché qui utilise l’argent comme
interférenceetmédiationentre lesdifférentsrégimesd’incommensurabilitésenjeuet
quimetenscèneetenventedesproduits.LesociologueLucienKarpik,nommecetype
de marché, le «marché des produits singuliers ou marché des singularités» (Lucien
Karpik 2007 : 9) et il a construit, pour l’expliciter, la théorie de «l’économie des
29 CatherineKousmine,naquiten1904àHvalynskyenRussieetmourutà Lausanneen1992.Médecin
pédiatre, elle se spécialisa dans l’alimentation. Partant de l’hypothèse que la dégradation de
l’alimentation,conséquenteàl’industrialisationalimentaire,contribueàunerecrudescencedesmaladies
chroniques actuelles, le Dr Kousmine préconisa le retour à une alimentation saine comme étant «une
armethérapeutique»trèsefficacepermettantderevivifierl'organismeetdeluiredonnerlescapacitésde
guérisonqu'ilaperdu.
30ChristianFriedrichSamuelHahnemann,naquitàMeissenenSaxe,en1755,etmourutàParisen1843.Il
estl’inventeurdel’homéopathie,dontilintroduisitletermeen1796dansunarticle.
31 Le Dr. Edward Bach naquit en 1886 àMoseley, Angleterre etmourut en 1936.Médecin clinicien et
homéopathe, il est le concepteur des «Fleurs de Bach», soit trente huit préparationsd’élixirs floraux,
dont il commence l’utilisation en 1930. Ces élixirs floraux sont préparés à partir de pétales de fleurs
recueillis,misdansdel'eauetexposésausoleil,puisstabilisésparuneeau‐de‐vie.Cesélixirsflorauxont
pour objectif principal de stimuler la vitalité et d'harmoniser la vie psychique, en agissant sur les états
émotionnels,regroupés,parleDr.Bach,enseptémotionsprincipales.
32 SébastienKneipp, prêtre catholique, naquit enmai 1821à StephansriedenAllemagneetmourut en
1821 au couvent deWörishofenqu’il avait rejoint en 1855. Le Père Kneipp est à l’originede cures qui
portent encore son nom. La méthode Kneipp est fondée sur cinq piliers: l’hydrothérapie, (la force
curativedel'eauestemployéedediversesmanièresdontlesplusappliquéessontlesjetsd'eaufroideet
la marche dans un bassin d’eau froide dite «à la façon de la cigogne»), la phytothérapie, l’activité
physique (les promenades à pieds nus sont particulièrement recommandées et constituent une
«méthodedouced'endurcissement»), laphytothérapie, ladiététiqueet,enrèglegénérale,unstylede
viesainetéquilibré.
52
singularités». Cette théorie peut aider à comprendre ce marché et donner à
l’ethnologuedevenuchaland,desoutilsd’analysepourréduirelesfacteursd’incertitude
faceàl’offrequiluiestproposée.
3.1.Lathéoriedel’économiedessingularités
Dansune logiquenonmarchande, les choses inaliénablesparnaturenepeuvent être
quedégradéesparunecommercialitéetdoiventenêtreexclues.LucienKarpiksouligne
quel’inaliénable
«s’appliqueplusparticulièrementaucorpshumainetàsesélémentsdétachés(organes,
gamètes),auxdroitssubjectifs(lerespectdelavieprivée,ledroitàl’image),àlacréation
culturelle,àlalangue,auxidées,auxœuvres.L’unitédecetuniverssouventdésignéparle
terme générique de «culture» ne se situe nulle part ailleurs que dans la personne
humaine.»(Ibid.:11)
Mais le marché néo‐classique continue de s’accroitre et convertit en biens de
consommations ou en services, les choses qui auraient dû rester inaliénables. Ces
choses ne sont pas seulement des entités physiques et biologiques mais aussi des
constructions culturelles et par conséquent incommensurables. En convertissant ces
incommensurabilitésenéquivalencesfondéessurdesprix,selonlemodèlequiposeune
antinomieentremarchéetculture,lesbiensincommensurablestransformésenproduits
perdraientleurscaractèresdebienssinguliers.
«Parce qu’il (ce modèle) est binaire, il est radical: la singularité se conserve dans la
culture et se perddans lemarché.Enpassantd’un registre à l’autre elle (la culture) ne
peut connaître que la chute. Ce modèle rend intelligible la longue lutte entre la
«marchandisation»et la«singularisation». Il favoriseune représentationdominéepar
le mouvement vers le «marché illimité» et, corrélativement, par l’inéluctable
appauvrissementdelacultureetdoncdumonde.»(Ibid.:12‐13)
53
Cettemarchandisationetcetteextensionde lacalculabilitédumonde,constitutivedu
capitalisme,avaientdéjàconduitWeberàmanifesterdescraintesdevantl’ampleurdu
changementsocialqu’ellegénère.ChangementqueWeberavaitnommé
«le «désenchantementdumonde»: effacementde lamagie et des religions, pertedu
sacré,évanouissementdusensdel’existencesociale.»(Ibid.:14)
Pour Lucien Karpik, «lemarché des produits singuliers s’ajoute aumarché des biens
homogènesetaumarchédesbiensdifférentiés»et«justifiel’élaborationd’unethéorie
particulière qui comporte aussi des conséquences éthiques et politiques.» (Ibid.: 15)
Lestransformationsdumarchésontproduitespardesagencementsetdesacteursqui
font partie de la vie économique et sociale ordinaire. En rendant visible ce qui reste
encorecachéetenrepérantlescausesquiexercentleurseffetssurlessingularités,cela
permettra de restaurer les capacités d’action des différents acteurs qui «voudraient
maintenir les singularités dans le monde.» (Ibid.:16) Cet axiome permet aussi de
considérerquelesbiensdenatureincommensurable,ouplusgénéralementcequeles
sociologues appellent «le marché des biens de salut», n’ont pas perdu leurs
compétences en étant intégrés dans le domaine de l’économie de marché. Il s’agit
plutôtdeconsidérerque ledomainede l’économies’estétenduversunepartiede la
sphère du religieux, non pas pour faire disparaître ces biens singuliers que sont par
exemplelesservicesrituelsoulesritescuratifs liésàunetransmissionreligieuse,mais
pour les inclure dans une économie singulière. En admettant que ces biens singuliers
appartiennentàuneéconomiedemarché,nousnesommesplusdansleregistred’une
«nébuleuse», pour reprendre le terme utilisé par Françoise Champion (1994), mais
dans celui d’une construction sociale dans laquelle des règles complexes s’instaurent
pourassurerlacirculationetl’acquisitiondecesbienssinguliersquirépondentàpeude
standardsdesbiensdel’économienéo‐classique.
54
L’économistePhilippNelson,citéparLucienKarpik,distinguedeuxcatégoriesdebiens:
les«biensderecherche»etles«biensd’expériences».Danslapremièrecatégorie,les
biens sont connus à l’avance, le client sait ce qu’il veut acheter et connaît le typede
produitquicorrespondàcettevolontéd’achat.Dansladeuxièmecatégoriedebiens,les
produits sont inconnusetnécessitentd’êtreexpérimentés, laqualitéduproduitn’est
doncpasconnueouobservableavantl’achatduproduit.Ilvafalloirdissiperouentout
casréduirel’incertitudesurlaqualitéduproduitavantdeseleprocurer.Puisquenous
sommesdesêtresdouésderaison,nousallonsdevoirmettreenplacetoutunensemble
d’opérationspourdiminuer cetétatd’incertitude sur laqualitéde cequenousallons
nousprocurer.MaisàMednatExpoavantdepouvoirmettreenplacenotredispositifde
jugement,noussommesencoreconfrontésàd’autresdifficultés, lesproduitsquinous
sont proposés sontmultidimensionnels, ils sont caractérisés par plusieurs qualités ou
dimensionsdont lessignificationssont inscritesdans leursrelationsmutuelles. Ilssont
sujets à diverses interprétations personnelles et chaque interprétation requalifie le
produit.Cettecaractéristiquepermetauxbienssinguliersd’êtreadaptablesetadaptésà
chaquepersonne,maisentraineaussi lefaitqu’aucunpointdevueparticuliernepeut
prédominer sur un autre. Les biens singuliers échappent à toute hiérarchisation
objectiveetnepermettentpasuneunitédecatégorisation,cequicomplique lechoix
raisonnabled’unproduitparrapportàunautre.Lescatégoriesusuellesdelacognition
doiventêtrerevuespuisquecetuniverscomposédebiensinéquivalentsn’exclutpasle
choixraisonnable.
LucienKarpikqualifie lemarchédesproduitssingulierscommeunmarchémarquépar
l’opacité par comparaison avec le marché néoclassique des biens. Par ce terme, il
n’entendpasémettreunjugementdevaleur,maissoulignerl’importanced’identifieret
dedélimitercemarchéentenantcomptedesesparticularités.Cetermeestutilisépour
nous rendre attentif au fait que nous n’avons pas le savoir de départ qui nous
permettraitde l’appréhender facilement,etquenousdevrons faire l’apprentissagede
ce savoir par des expérimentations qui nous permettront progressivement d’en
55
construire les catégories cognitives. L’opacité appartient aussi à ce marché, il est
intrinsèque à la qualité de singularité, le produit ne peut exister que par des
dévoilementssuccessifsetdesajustementsprogressifsdu«client»etdu«vendeur».
Lemarchédes singularitésestmarquéparunedouble incertitude, cellede l’acheteur
mais aussi celle du producteur ou vendeur. Le client s’intéresse avant tout aux
caractéristiquesduproduit.Maiscelles‐cisontpluscomplexesàcernerdansunproduit
multidimensionnel: le vendeur, par une présentation publique de ses produits, va
chercheràréduirel’incertitudeduclient.Ilvasélectionnerintuitivementlesqualitésqui
pourraientplaireauclient.Maisnesachantpascequechercheprécisémentleclient,le
vendeur est lui même en état d’incertitude, il va faire une sélection arbitraire de
certaines caractéristiques du produit au détriment de certaines autres, mais rien ne
garantitquecetteconstructionsoit labonneetrecoupelepointdevueduclientqu’il
est censé convaincre. Cette incertitude stratégique caractérise la rencontre de deux
processus interprétatifs. Les premières tentatives du vendeur vers le client sont les
premierspasversuneéventuellerencontre;desoncôtéleclientestdansl’incertitude
sur la qualité d’un produit qui lui est inconnu et complexe à saisir par sa
multidimensionnalitéetsonhybridité.Unproduitquiappartientaussiàunegammede
produitsdontlerenouvellementestrapide.Leclientestd’autantplusincertainqu’ildoit
prendrelerisqued’acheterunproduitincommensurabledontl’évaluationnepourrase
faire qu’après l’avoir testé. Si la transaction a lieu, il va y avoir un temps nécessaire
avant la consommationduproduit, qui n’estpas immédiate, et après sonusagepour
juger de la qualité du produit. C’est ce que Lucien Karpik appelle le «différé
d’évaluation»quimesure le tempsnécessairepourporterun jugement réaliste sur la
qualitéduproduit.
La double incertitude du vendeur et de l’acheteur rend la relation opaque avec une
même situation de déficit de savoirs. Celle‐ci s’inscrit dans une asymétrie, entre
l’informationdontdispose leproducteuretcelledontdoit semunir leconsommateur
56
pour avoir la compétence d’évaluer le produit après en avoir fait l’expérience. Les
produitssinguliers,quinécessitentquenousnousdéterminionsdansunesituationde
déficit cognitif, nous obligent à acquérir une grande masse de savoirs, pour pouvoir
choisiretmaintenirnotrepositiondesujetraisonnable.Cettequêtecognitiveprendla
forme d’apprentissages successifs dans des situations d’incertitude. Le marché des
singularitésnousobligeàêtrebeaucoupplusactifquedanslemarchéclassiqueoùnous
pouvonsnousreposersuruneinformationajustéeàl’exigencedelafonctionduproduit
ou une information qualifiée voire labélisée par une autorité aux compétences
reconnues et légitimées et en qui nous pouvons avoir confiance. Dans lemarché des
singularités, les produits comme les acteurs du marché font partie de plusieurs
«mondes», et l’«information» doit être remplacée par la «connaissance». Lucien
Karpik(2007:58)rappellequecetermedésigneaussibienlaconnaissanceusuelleque
la connaissance savante et, que dans les deux cas, il répond à une construction
particulière. L’acquisitionet laproductionde la connaissancedemandentdu tempset
des habilités, mais celle‐ci reste soumise à interprétation aussi bien par celui qui
l’acquiert que celui qui la jauge. La connaissance reste donc bien éloignée de la
configurationdesattributsassociésàl’information.
3.2.Le«VillageSanté»
Après avoir traversé les multiples espaces de propositions, qui forment ce salon des
médecines naturelles, dans une pérégrination de l’incertitude sans pouvoir fixermon
attentionsurunstandcorrespondantàmonobjetderecherche,j’avaislesentimentque
celui‐cim’échappaitànouveau.Lesmédecinesalternativesayantacquisleurlégitimité
ens’inscrivantdansunenorme,celle‐cileuravaitfaitperdreouentoutcasmasquaitla
lecturedelaplasticitésymboliquedanslaquellepeuts’organiserunenvers,permettant
une série de pratiques mobilisant des savoirs techniques de résolution des crises
existentielles, incluant des effets de dissociation de la personne, dans une économie
s’inscrivant dans le registre théologique du christianisme. En reprenant l’inscription
57
spatiale des segmentations des zones d’exposition et le trajet guidé du visiteur, je
réalisai que le «Village Santé» était situé à l’extrémité duparcours. Commedansun
pèlerinage il fallait pour atteindre le lieu de dévotion franchir différents espaces
intermédiaires comme autant de stations. La dernière, positionnée comme un goulet
d’étranglement ou un seuil pour atteindre son but, est constituée par le «forum du
livre». Celui‐ci se présente comme une vaste librairie, dans laquelle les stands sont
tenus par des éditeurs, qui proposent des ouvrages liés aux différentesméthodes de
guérisonproposéesetécritspar lesnombreuxconférenciers.D’autresécritsrenvoient
auxdifférentschapitresdestraitésdemédecinedomestiquesetcôtoientdenombreux
ouvragessurl’ésotérisme.Passécedernier«obstacle»,lesentimentestques’ouvreun
«nouveaumonde».Letermedevillageprendalorstoutsonsens,c’estunîlotàl’écart
delafoirecommercialedurestedusalon.
Dans le «Village Santé», les stands d’exposition sont séparés par des panneaux
verticaux.Lesexposantssesont installésdanscesespacescommedansdesboutiques
créant une forme de bazar oriental. Chacun a personnalisé son espace. Il n’y a plus
d’affiche sur les parois présentant des produits de santé, ni d’étalage de produits
biologiques, de petites fioles de fleurs de Bach, de petits tubes de granules
homéopathiques sur les stands. Sur les murs de ces alcôves, sur des paravents, des
parois légères délimitant de nouveaux espaces intérieurs, jouant avec le caché et le
visibleauregarddupassant,sontaccrochéesdesphotoscoloréesd’arbrescentenaires,
de fleurs jaunes éclatantes, des images d’anges nimbés de doux halos vaporeux, des
drapeauxdu vent tibétains, des attrapeurs de rêvedes Indiensdes Plaines. Sur le sol
certainsexposantsontposédestapisorientaux,d’autresontreconstituédesplanchers
enbois,d’autresencore,marquantunfortattachementà lanature,ont installésur le
sol des grosses pierres, des plantes vertes, des fontaines d’eau murmurante. Sur les
tables pliantes ou les panneaux posés sur des tréteaux, sur des nappes aux couleurs
éclatantes,sontdisposésdemultiplesbrochures,desbouquetsdefleurs,desbougieset
desjeuxdetarotsparmidesbolstibétainsencuivreouencristal,dequelquesplumes
58
d’oiseaux, de tambours chamaniques, d’hochets tibétains et de bols emplis de fruits
secs,debonbonsetdechocolats.Lesexposantssouriantauxvisiteurs, leurproposent
leurs brochures et dépliants. Ils le font sans ostentation presque discrètement. En
majorité lesstandssonttenuspardesfemmes,certainesproposentdetirerunecarte
d’un jeuqu’elles tendentauxpassants.Selon lesstands, lescartespeuventêtrecelles
du«tarotdeMarseille»,oudel’«oracledeBeline»,ouencoreles«cartesdesAnges»
deDoreenVirtue,oules«cartesdeslutinsetdesfées».
Lesentimentquisedégagedu«VillageSanté»,c’estquerienn’estàvendre,quetous
cesobjetssontlàcommedessupportsd’interactionoupoursuggérerunepratique.Que
ces objets sont aussi là comme références à des qualités que pourraient nous
transmettrelespersonnesquitiennentlesstands:tellesphotosdechênesplusieursfois
centenaires nous suggérant force, stabilité et longévité. Ce qui est troublant c’est
l’apparentehétérogénéitédesobjetsetdeleursassociationssurlesstands.Tellephoto
de pierre est associée à un dépliant nous présentant une tarologue humaniste et tel
tambour chamanique est posé à coté de cartes nous présentant anges et archanges.
Touscesobjetsrassemblésdansunsalonoùlalocationd’uneplacepourunstandcoûte
cher laissent quandmême supposer qu’ils participent aussi à un type demarché. Ils
appartiennentàun typedemarchéencoreplusopaqueque le restedu salonet il va
êtred’autantplusdifficiledesavoirquelssontlesstandslesplussusceptiblesdem’aider
dansmarecherche.Jemetrouvedansl’étatd’incertitudedetoutclientquicherchele
bon traitement pour ses maux. S’il ignore comment il pourra se procurer ces biens
immatérielsetd’autantplus incommensurables, selonquelsmodesd’appropriationet
pour quelles garanties de qualité, jeme trouve dans lamême incertitude quant à la
pertinence d’interroger tel exposant plutôt que tel autre, de considérer que telle
personne pourra remplir un rôle d’informateur me permettant de faire passer les
configurations présentes du statut d’événements singuliers à ceux d’objets de
connaissancesanthropologiques.
59
3.3.Lamiseenplacedudispositifdejugement
Lesstandsdu«Villagesanté»sedéploientdanssixallées,sansordrederegroupement
logique. Je passe d’un stand à un autre, hésitante entre les différentes pratiques
proposées. Couleurs, odeurs, sons se mélangent. Tous les exposants présentent
diversestechniquessesituantentredéveloppementpersonnel,techniquesdebienêtre
et de soins qualifiés de physique, psychique ou spirituel. Ces techniques allient
différents supports de diagnostics qui me sont proposés : par des oscillations de
pendules, des tiragesde cartesmais aussi des«interrogations»d’unepartiedemon
corps par la présentation d’un objet sur cette partie selon la pratique de ceux qui se
présentent comme «kinésiologues», ou par des mains aux paumes déployées à
distanceparceuxquisedisent«radiesthésistes»ou«magnétiseurs»ouencoreparles
simplesregardsdes«lecteursd’auras».
Cemarchéde«biens singuliers» apparaît plus complexe et nantis d’uneplus grande
formed’opacitéquelerestedeMednatExpo.SiselonLucienKarpik,ilestpossiblepour
leverlesincertitudesdesebranchersurlefluxdiscursifdesavisdesunsetdesautres,je
ne peux qu’être surprise du nombre de récits d’expériences qui me sont proposés
durant les journées passées dans cet espace. La circulation de la parole, passant des
phrases allusives aux récits riches en émotions, transporte tout un chacun dans un
mondedecréativitéoùl’individuredevientporteurdetouslespossibles.Lorsqueleflux
delaparoleprendletondesconfidences,celui‐cirenforceencoreplussonpouvoirde
séduction.
3.4.Despraticiensdu«VillageSanté»aucourantNewAge
Pour reprendre les catégories analytiquesde LucienKarpik, lespremières impressions
sur le site du «Village Santé» ont déjà permis de saisir quelques techniques de
60
confluences développées par les exposants33. Celles‐ci prennent différentes formes.
Certainspraticiensharanguent lespassantsen leur tendantdesdépliants, l’und’entre
euxlesinviteàvenirpartagerunmomentenrejoignantungroupedepersonnesassises
àmême le sol qui se concentrent sur les battements d’un tambour chamanique. Un
autre encore leur propose une «expérience personnelle» en leur présentant deux
personnesétenduessurdeschaiseslonguesdontl’unefaitl’apprentissagedelatranse
légèresouslesinductionshypnotiquesd’unpraticien.Jemepromènedestandenstand
enobservantlesclientspotentielsquis’arrêtentdevantlesstands,certainsconnaissent
les thérapeutes, d’autres se renseignent sur leurs pratiques et parcourent leurs
dépliants. Laplupartd’entreeuxproposentdes stagesenplusde leurs consultations.
Plusieurs pratiques, aux noms plus ou moins reconnaissables, sont présentées par
plusieursstands,c’est lecasdu«Reiki»,du«FengShui»,de l’«aurathérapie»,de la
«luminothéraphie»,dela«kinésiologie»,dela«tarologie»,dela«numérologieetde
l’astrologiehumaniste».Laplupartdespraticiensintroduisent,aucoursdesannées,des
variations dans leur dispositif et ne se cantonnant pas dans une seule méthode
thérapeutique, tous ces praticiens multiplient les propositions de techniques de
guérison.Ilsrestentsensiblesàlaprésentationdesoi,qu’ilsdéclinentsurleurstand,sur
leurmatériel deprésentation: cartede visite, papillonetprogrammede cours et sur
leursiteweb,qu’ilsmontrentsurleurpropreordinateurouqu’ilsincitentàregardersur
les téléphones portables. Sur cematériel publicitaire, la liste desméthodes peut être
longue.Pourneprendrequ’unexemple, jeciterai lacartedevisitede«Mireille»,qui
lorsdeséancesde«channeling»34,«prêtesoncorpsetsavoixà laViergeMarie»et
33J’utilisedansunpremiertempssansdistinctionlestermesgénériquesd’«exposant»,de«praticien»et
«thérapeute»etprendraiultérieurementencompte leurpropreappellationaufuretàmesurequ’elles
m’apparaîtront.34J’utilisesystématiquementlaconventiongraphiquesuivante:touteslesphrasesoutermesenitalique
etentreguillemets,sansrenvoiàunenotedebasdepage,sontdespropostenusoudestermesutilisés
par mes interlocuteurs. Je ne préciserai les dates de ces entretiens que lorsque celles‐ci aident à la
compréhension. Le terme de « channeling » soit « canalisation » est un terme qui désigne la
communicationentreunêtrehumainet«uneentitéd’uneautredimension»,parunprocédédemiseen
conditiontellequ’une«méditations».Jereviendraisurcespratiquesultérieurement.
61
faitentendre«sesréponses»à l’assemblée.«Mireille»a inscritsur lapremière ligne
de sa cartedevisite sonnompuisendessous: « infirmièrediplômée,énergéticienne
holistique, conférencière». Sur une troisième ligne, elle a noté sesméthodes:
«décristallisation des mémoires cellulaires, généalogie, aurathérapie, cranio‐sacrée,
soin christique, massage complet énergétique du corps, coupure de liens karmiques,
channeling».Sur lesprospectusplacés sur sonstand, cette listeà laPrévert s’allonge
encore. Cette orientation syncrétique des praticiens du «Village santé» peut
s’apparenter à la tendance des courants d’inspiration New Age qui procurent «des
nouvellesthérapeutiquesvéhiculantunecertainemoraledel’êtreetdubien‐être.Cette
morale est notamment fondée sur un discoursmédical holistique, énergétique, voire
transcendantal»(LaurentPordiéetEmmanuelleSimon2013:18)etrenvoieauconcept
delamédecineintégrative.
Cescourantsd’inspirationNewAgeontfaitl’objetd’unegrilledelectureétablieparle
groupe de recherche«Religion et modernité»,35 qui les a intégré dans son volet
d’étude sur lesmutations du champ religieux, depuis les années 1970, dans les pays
d’Europeoccidentaleetd’AmériqueduNord.Leurprojetvasedéployerautourdece
qu’il nomme le «fonctionnement moderne du croire dans le contexte de
l’individualismemoderne»(FrançoiseChampion,DanièleHervieu‐Léger1990:6)etsur
leconstatque«lapertedeplausibilitédesgrandessynthèsesdoctrinalesnesignifiaient
pas l’épuisement des demandes de sens présentes dans la société, et que sur ces
demandesdesenspouvaientsegrefferdenouvellesélaborationsdegenrereligieux.»
(FrançoiseChampion,DanièleHervieu‐Léger1990:5‐6)Plusieurstermesappellentdes
précisions,quantà leurscontenus.Toutd’abord,pourexpliciter le termedemoderne
35 Ce groupe, constitué en France en 1985 par le CNRS (CentreNational de Recherche Scientifique) et
placé sous la direction de Jean Séguy, s’intéressait aux transformations du champ religieux depuis les
années 1970. «La découverte, outre‐Atlantique d’abord, puis en Europe occidentale et à travers
l’ensembledespaysdéveloppés,de lavitalitédesnouveauxmouvementsreligieuxmarquauntournant
dans la réflexion scientifique sur l’état du religieux dans le monde moderne. » (Françoise Champion,
DanièleHervieu‐Léger1990:5‐6)
62
oudemodernité, j’utiliseraiunautreécritdeDanièleHervieu‐Léger, (1996 :12),dans
lequelelledéfinitentroispointscequ’elleentendpar lamodernitéoccidentale.Pour
elle,lamodernitéoccidentaleseprésentecommemettantenavantdanstoutesactions,
la rationalité, soit l’impératif de l’adaptation cohérente desmoyens aux fins qui sont
poursuivis. De même dans les explications du monde et des phénomènes naturels,
sociaux et psychiques, la rationalité moderne exige que tous les énoncés explicatifs
répondent aux critères de la pensée scientifique. Même si Danièle Hervieu‐Léger
reconnaîtquelarationaliténepeuts’imposeruniformémentdanstouslesregistresde
la vie sociale, elle n’en demeure pas moins la référence mobilisatrice des sociétés
modernes.Unedeuxièmecaractéristiquede lamodernité, toujoursselonelle,estque
danscemonderationaliséparl’actiondel’homme,lerapportdel’hommeaumondese
définit par la nécessaire autonomie du sujet, capable de construire lui‐même les
significations de sa propre existence. Danièle Hervieu‐Léger reprend l’idée qu’une
sociétémoderne sedistingued’une société traditionnellepar cette compétencede la
personne de fonder sa propre histoire, alors que les membres d’une société
traditionnellesontassujettisàuncodeextérieuràeux.MêmesiDanièleHervieu‐Léger
reconnaît que sa définition tient du modèle de deux sociétés «pures» donc fictives
puisque n’importe quelle société concrète associe toujours, même si c’est dans des
proportionsvariables,desélémentsrelevantdel’unoudel’autremodèle,ellemaintient
que«le trait leplus fondamentalde lamodernité, celuiquimarque la césureavec la
tradition(est): l’affirmationselon laquelle l’hommeest le législateurdesaproprevie,
capable également, en coopérant avec d’autres sujets‐citoyens, de déterminer les
orientations qu’il entend donner au monde qui l’entoure». (Ibid.) La troisième
caractéristique de la modernité est qu’elle implique une organisation sociale
caractériséeparladifférenciationdesinstitutionsetquechacunedessphèresd’activité
fonctionneselonune rationalitéparticulière.Si l’autonomiedecesdifférents registres
d’activitén’estquerelative,néanmoinsladistinctionentresecteursd’activitéconstitue
le principe de fonctionnement de la société dans son ensemble et «elle apparaît
partout inséparable du processus par lequel l’autonomie de l’ordre temporel s’est
63
progressivement constituée en s’émancipant de la tutelle englobante de la tradition
religieuse».(Ibid:13)Cela signifiequelareligionnefournitplusauxindividusetaux
sociétés l’ensembledes références,desnormes,desvaleursetdessymboles qui leur
permettent de donner un sens aux situations qu’ils vivent et aux expériences qu’ils
font«la tradition religieuse ne constitue plus un code de sens global qui s’impose à
tous». (Ibid. :13)DanièleHervieu‐Légerenconcluquedans les sociétésmodernes, la
croyance et la participation à des actes religieux sont des «matières à option» et
relèventdelaconsciencepersonnelleetdulibrechoixquinepeuventêtreimposéspar
aucune institution religieuse ou politique. Ces trois affirmations qui placent le sujet
commeautonome,contraintaulibrearbitre,dansunmondeoùraisonetconnaissance
riment avec progrès, paradoxalement contribuent à maintenir l’être humain en état
d’incertitude. Puisque, pour Danièle Hervieu‐Léger, le corollaire du progrès est de
contraindreles«sociétésmodernes»àvivredansunimpératifdechangementetdans
un état d’anticipation permanente. En même temps qu’elle crée sa propre utopie,
moteur du progrès, la modernité produit un univers nouveau d’incertitudes et de
déstabilisations sociales et suscite elle‐même ses propres crises. Dans le secteur
économique, l’augmentation des biens fait surgir de nouveaux besoins, un nouveau
développementdesmoyensdeproductionet soncorollaire: l’exploitationde la force
de travail. Dans le domaine scientifique, les nouvelles découvertes mettent à jour
certainsmécanismesetlaissentdespartsdedoutes,quidemanderontàleurtourd’être
levés.AinsipourDanièleHervieu‐Léger,d’unepart,
«Les grandes explications religieuses du monde dans lesquels les hommes du passé
trouvaient un «code de sens» global sont disqualifiées; les institutions religieuses
continuentdeperdre leurcapacitésocialeetculturelled’impositionetderégularisation
descroyancesetdespratiques:lenombredeleursfidèless’amenuisent,etleursfidèles
eux‐mêmes «en prennent et en laissent», non seulement enmatière de prescriptions
morales mais également en matière de croyances officielles». (Danièle Hervieu‐Léger
1996:19)
64
Cette situation va permettre le développement de nouvelles formes de religiosité,
d’autresreprésentationsdu«sacré»oudesréinterprétationsdesreligionshistoriques,
dansdesformesde«bricolage»oude«syncrétisme».Cesmouvementssontfavorisés
par les «phénomènes de migration» des populations et de la «planétarisation des
échanges culturels» et des «produits venus d’ailleurs» qui vont contribuer à
l’activationdelaconcurrencesurle«marchédesbiensreligieux»
Marcel Gauchet reste plus nuancé. Il constate que se reconstitue en dehors des
croyancesreligieusestouteuneséried’expériencesqui,même«sansquelesindividus
lesinterprètentnécessairementcommereligieuses,participentdumêmeespritqueles
diversesexpériences religieusesde l’histoirede l’humanité». (MarcelGauchet, 2002 :
74)PourMarcelGauchet, l’éloignementde l’Eglisen’estpasdûàunrejetdudiscours
surlaspiritualité,maisaumanqued’adaptationdelanormativitéreligieusedesEglises,
quinepeuventplusexigerquecettenormesoitlamêmequecellequiaétépratiquée
pendantdessiècles:
«Lechristianismeaunefaiblesseparticulière: ilneditpas la loi.C’estunefaiblessepar
rapportàdesreligionsquientourentl’existenced’uncorpsdeprescriptionsextrêmement
fortes.Nonseulementilneproposepasdecadreprescriptif,maisilneproposemêmepas
derèglepourmieuxvivre.Ilaunschémaéthiqued’interprétationbienconnu:examende
conscience, péché, recherche de la perfection en vue du salut. (….) Mais ce n’est pas
adaptéàlavieencemonde.(…)Laquestionessentiellequeseposentnoscontemporains
estdesavoircommentvivrepositivement.Etsur le«comment», laréponsechrétienne
est très pauvre, d’où la vulnérabilité du christianisme aux spiritualités orientales, mais
aussi à des phénomènes diffus du genre new age ou à la culture thérapeutique
ambiante.»(MarcelGauchet,2002:77)
Cepointdevueapporteunepartiederéponsesurlepourquoidel’engouementautour
desnouvellespratiquesthérapeutiquessyncrétiquesmaisnenousrenseignentpassur
leslogiquessocialesetsymboliquesquilessous‐tendent.
65
3.5.Dequelquesconceptsutilesàprendreencompte
Cetteremarqueconduitàintroduirelesconceptsquisoustendentmarechercheetque
je reprendrai ultérieurement dans le cours de mon étude, à savoir les notions: de
fonction et d’efficacité symbolique, de bricolage mythique, de syncrétisme et de
paganisme.
ClaudeLévi‐Strauss,parsaremiseencaused’unephénoménologiereligieusequilaisse
decôté lamythologie,vacontribuerà lacompréhensiondesprocessus fondamentaux
qui sont à l’origine des créations culturelles. Dans son article traitant de «l’efficacité
symbolique» paru en 1949 (Claude Lévi‐Strauss 1958), ilmontre comment le rapport
auxautresetaumondepassepar l’ordresymboliqueet le jeudesreprésentations.La
notion de symbolique représente l’axe de la structuration culturelle. Le terme
symboliquen’estpasàcomprendrecommeunsimplerapportd’homologieentrel’objet
symbolisé et le signe symbolisant selon une lecture instrumentale du langage. Le
symbolique «devient à lui seul un système de rapports, efficace dans son
fonctionnement,modifiant le réel». (CatherineClément1971 :277)Commestructure
efficace,ilmobiliselesindividusetlesgroupesautourd’uneidée,d’uneaction.Il«fait
accoucherlesfemmesendifficultés,accomplitdesmiracles,guéritdesmalades,déplace
desnations».(Ibid.)Lesymboliqueagitsurlepsychiqueetsurlephysiquecommedans
la curechamaniquequeLévi‐Strauss rapprochede la curepsychanalytique. Lapensée
symboliqueetavecelle«lapenséemagique»vontchangerdestatut.Cesdeuxformes
de pensée ont été présentées pendant longtemps comme étant l’expression d’une
pensée ou d’une mentalité qui n’a pas encore découvert les véritables rapports de
causalitéoulesjustesrelationsentrelesmoyensetlesobjectifs,ouencorecommedes
formespremièresetinachevéesdelapenséerationnelleetmoderne.
66
Ensedémarquantde l’aspectuniverseldusymbolique,RogerBastidevas’intéresserà
l’ordreducontingentetdulocal.Pourlui
«toute religion, même universaliste se veut «commémoration»: le rite n’est que la
répétitiondumythedesorigines–cartoutereligion,mêmehistorique,seveutimitation
de laviedu fondateur;ellenes’inscritdans l’histoirequepour l’arrêteret la fixeràun
moment:celuioùleprésentacommuniéouincarnél’Eternel.»(RogerBastide1997b:
93)
LorsquelesEgliseschrétiennesnesesententplusenaccordaveclemondeenvironnant,
ellesnesechangentqu’enremontantauxoriginesduchristianisme,commel’amontré
laRéformeprotestantequiadéveloppéuneidéologieduretouràlapuretédupasséet
duretouràlafidélitéd’unemémoirecollective.RogerBastideconstateque,danscelieu
demigrations, de conquêtes et d’alliancesqu’est l’Afrique, nous aurionspu assister à
l’apparition de nouvelles religions. Les religions des lignages des conquérants, qui
étaientinconnuesdeslignagesdesconquis,auraientputransformerlesreligionsdeces
derniers.Danscessituations,mêmesideschangementsseproduisentdansledomaine
du religieux, Roger Bastide constate qu’il ne s’agit pas de véritablesmutations, « les
anciennesreligionssubsistent,ils’agitdoncplutôtdesymbioses,decomplémentarités,
ou de stratifications des croyances et des rites, que de révolutions.» (Roger Bastide
1997b:95)
Lanotiondesyncrétismejoueunrôlecentraldansl’œuvredeRogerBastide.Ildistingue
deux types de syncrétisme. Le premier consiste en un «syncrétisme social» issu du
commerce et du brassage ethnique ou social, qui suscite souvent un syncrétisme
religieux qui n’en est que le reflet. (Roger Bastide 1997a : 131) Les changements qui
semblentaffectercessystèmesreligieuxnesontquedesphénomènesd’adaptationet
de rééquilibrage par rapport à une réalité qui n’est pas d’ordre religieux. Le religieux
restantdéfiniparlamémoireetlepassé.
67
Ledeuxièmetypedesyncrétismeestmarquépar«discontinuitécontinue»desformes.
«Les religions se développent par un effort de synthèse progressive correspondant à
l’unificationcroissantedesgroupementsdontellesconstituentlelienspirituel.»(Roger
Bastide, 1997a:197) C’est dans une tension dialectique entre les groupements
qu’intervientlesyncrétismecommecompromisentremémoirecollectiveetimagination
créatrice. Ce processus parvient à contourner le principe de discontinuité des formes
puisque:
«L’acculturationmatériellepeutbienagiranalytiquement,brisantlescomplexesculturels
pour y opérer des choix, en accepter des éléments, en rejeter d’autres; chacun de ces
éléments garde du complexe culturel sa coloration, sa force dynamique; la valeur
occidentale empruntée (ou la catégorie indigène reprise) tendra à reconstituer à
l’intérieur de la psyché l’organisationmentale qu’elle exprime.» (Roger Bastide 1970 :
146)
RogerBastideretrouveicileparadigmeélaboréparClaudeLévi‐Strauss.Lesuccèsdela
métaphoredubricolagemythiqueinventéparClaudeLévi‐Straussnedoitpasnousfaire
oublierl’idéecentraledontelleestporteuse:
«lamatièresymboliquerécupéréeparlebricoleurestmarquéeparsonusageantérieur:
elleestprécontrainte,c’est‐à‐direqu’elleconserveenpartielesouvenirdesavaleur(…)
et impose à la configuration où elle s’intègre des effets de système qui peuvent
débouchersurunerecompositioninédite.Au‐delàdelasimplecontinuitéstructuraleou
desvoiesdouteusesd’unehybridationdesformessymboliquesquitrahitsouvent,selon
Lévi‐Strauss, l’affaiblissement d’une structure expirante, il y a donc place pour des
transformations intermédiaires, ni «fortes», «ni faibles». En lançant l’idée que «le
proprede lapenséemythique, commedubricolage sur leplanpratique,estd’élaborer
desensembles structurésnonpasdirectementavecd’autresensembles structurésmais
enutilisantdesrésidusetdesdébrisd’événements»(ClaudeLévi‐Strauss1962:32)Lévi‐
Strauss revient sur le principe, énoncé àmaintes reprises, selon lequel la genèse d’une
68
structurenepeutseconcevoirqu’àpartird’uneautrestructure,etreconnaîtparlàmême
unesortedepouvoiropérantàlamatièresymbolique.»(AndréMary2010:146)
JeciteraiencoreMarcAugé,etsonouvrage«Géniedupaganisme»(MarcAugé1982),
danslequelilmetenregardlechristianismeetla«plasticité»dupaganisme,«etc’est
bien là ce qui fait sa force dérangeante, peut‐être sa pérennité» (Ibid.: 14). Le
paganismesedistingueduchristianismeparaumoinstroispoints.Lepaganismen’est
jamais dualiste et n’oppose ni l’esprit au corps ni la foi au savoir. Il postule une
continuitéentreordrebiologiqueetordresocial.Etilaffirmequetouslesévénements
fontsigneettouslessignessens.PourMarcAugéilnes’agitpasderéhabiliteruneanti‐
religionstigmatiséeparlechristianisme,(mêmesile«paganisme»estunecatégoriede
l’altéritéconstruitepar lechristianismemissionnaire), il s’agitdedéfinirune«logique
païenne»,soit«uneanthropologiequitrouveàs’exprimer,entreautresparlebiaisdes
chosesreligieuses(maispasseulement),dansunecertaineformederapportaumonde,
auxautresetàsoi».(AndréMary2010:197)Enseplaçantsurleterraindurituel,Marc
Augé constate que le paganisme «accueille la nouveauté avec intérêt et esprit de
tolérance; toujoursprêtàallonger la listedesdieux, ilconçoit l’addition, l’alternance,
maisnon lasynthèse.»(MarcAugé1982:14)MarcAugéremarqueaussiqu’avecson
cultedes saintset songoûtdes statues, le catholicisme«semblen’avoirpas finid’en
découdre avec son propre fond païen, ou au contraire n’avoir pas renoncé à faire
descendresonmessagejusqu’auxindividusdechairsouslesformeslesplusmatérielles
etlesplussensibles.»(MarcAugé1982:66)
Dans sonouvrage«Pouruneanthropologiedesmondescontemporains»,MarcAugé
reprendlaquestiondurituelenénonçantque
«le fait que tout rituel vise à la constitution d’identités relatives à travers des altérités
médiatricesn’exclutpas,bienaucontraire, ladiversitédes formes rituelles,ni celledes
agentsdu rituel, ni celledes institutionsquiont recours auxpratiques rituelles, ni celle
desfinalitésexplicitesdurituel.(…)lerapportritualiséaumondecontinue,(…)ilcontinue
69
parcequ’il est bien, eneffet, consubstantiel au social et que le traitementdu social (la
démarcation des altérités et la reconnaissance des identités) est le travail rituel et
politiqueparexcellence.»(MarcAugé1994:119‐120)
Dans lesalondesmédecinesnaturellesMednatetàplus forteraisondans le«Village
santé», dans cette configuration des pratiques sociales de soins, dans lesquelles les
frontièresentrelescompétencesinstitutionnellesdessavoirsnaturalistesettechniques
de lamédecinescientifiqueentretiennentuneperméabilitéavecdes logiquesd’autres
savoirsetmontrentuneapparentetransformationdeleursrapportsd’autorités,l’objet
del’ethnologuenepeutêtrequetransversal.«Iltranscendeledécoupagedessavoirs,il
conjoint plusieurs plans de l’existence sociale; rendre compte d’une configuration
donnée–unecoutume,unrécit,unrite–c’estconstruirelesystèmesymboliquequila
traverse et la déborde.» (Daniel Fabre 1989: 66) Daniel Fabre accompagne cette
affirmation de la remarque que «bien sûr il est indispensable de s’appuyer sur des
rituels,desdiscours,desgestes,d’établiravecminutielesconditionsdeleurémergence,
deleurcirculationetdeleurtransformationmaispourfinalement,lesdépasserafinde
saisir la logique d’une poussière beaucoup plus diffuse de comportements.» (Ibid.) Il
soulignequecesdernierssouventinexprimablesaudébutdel’analyse,peuventadopter
leslangagesdelanormeoudel’écart,maisviennentnourrirl’explicitationdusystème
telquechacunl’avécuoulevit.DanielFabreprend,pourexempledecedévoilement
en cours d’enquête, l’analyse de l’«Ecole normale de garçons», faite par Dominique
Blanc (1987), dans laquelle de «simples» jeux «formateurs de la virilité» comme le
rugby,permettentdelireuneconceptionphysiquedel’intelligencescolaire.Pourlui,ce
choixconceptuelpermetdepenserensemblelesthéoriessavanteset«populaires»,les
récits autobiographiquesdes acteurs, les rites et lesmodesd’expression sollicités, les
lieux de construction et d’échange des savoirs. Cette posture permet d’échapper à la
définition
«delamodernitésocialecomme«pertedesens»,«empiredel’éphémère»,royaume
de l’individualisme,alorsque lapenséesymboliquequi relie lanature, lasociétéet leur
70
fondementmétaphysique,prendassisesur laprégnancedecetoutetseplacetoujours
dans la durée où se forgent et se régénèrent les consensus, les accords tacites sur le
sens.»(DanielFabre1989:68)
L’«efficacitésymbolique»,tellequetraitéeparClaudeLévi‐Straussdansl’exempledela
cure chamaniquepouruneparturienteKuna (Claude Lévi‐Strauss 1958), ne saurait se
réduire à une suggestion psychologique à deux personnes sur une scène restreinte à
cetteconfrontation:«l’effetn’advientqueparlacroyancepartagée:onsevoitsouffrir,
mourirouguérirdansleregard, lesmotset lesgestesdesautres.C’estbienpourcela
que l’efficacité symbolique est le lieu où s’éprouve l’existence forcément sociale du
symbole et le déploiement nécessairement symbolique de tout bien social.» (Marc
Augé1979).
Il faut releveraussiqu’entre les termes« symbole»et« systèmesymbolique», il ya
unerupturequifaitpasserd’unetraductionstatiquedeséléments,(commededirepar
exemple que «les contes narrent des initiations»), à l’exploration dynamique des
relationsquisontl’objetmêmedelarecherche.Commel’expliciteGiordanaCharuty,il
s’agit,commeDanielFabrelemontre,dedénoncer
«laréductiondesproductionssymboliquesdenossociétésàdesattributs,desobjetsou
desusagesvenantconsacrer,fût‐cesurlemodedudéni,desrapportssociaux.S’ilestvrai
quetouteproductionsymboliqueesttributaired’unehistoiresociale,onnesauraitpour
autant «déduire le sens d’une pratique des caractéristiques sociales de ses acteurs»
(Daniel Fabre 1989: 73). Les recherches qui alimentent sa réflexionmettent enœuvre,
chacune à leur manière, quelques principes communs: construire des configurations
signifiantesàpartird’un«pointdevuefocalisant»mettantenrelationlesdiversplansde
l’existence sociale et les différents savoirs qui s’y déploient: restituer, en deçà de
l’exégèsequelessociétésfontdeleursproprespratiques,desrégularitésdanslesquelles
viendront s’inscrire les différences sociales et prendre sens lesmutations historiques.»
(GiordanaCharuty1991:134‐135)
71
Cesproposetréflexionsvontportermarecherchequi,sollicitantuneethnographieau
présentsurun«terrainduproche»,vapermettredelesréinterroger.
3.6.Le«VillageSanté»,uneconfigurationstratégique
Sidansunepremièrelecture,le«VillageSanté»seprésentecommeunregroupement
depetitesentreprisesproposant chacune leurs servicesen concurrence lesunesavec
lesautres,uneobservationunpeupluspréciseetunelecturedesdépliantspermetde
constaterquecertainespetitesentreprisesont faitalliance lesunesavec lesautreset
revendiquentunefiliationouunecomplémentaritéentreeux.Plusieursthérapeutesse
présententaussi commedeshabituésdu salon.Cequiétonnedans cette«économie
marchande», ce sont lesmouvements des praticiens, ceux‐ci quittent facilement leur
stand pour aller visiter ceux des autres, ils se rassemblent par petits groupes et
discutent au milieu des allées. Certains mettent aussi en place des stratégies
d’évitementpournepaspasserdanscertainesalléesoupournepascroiserleregardde
certainsautrespraticiens.L’espacedu«VillageSanté»apparaîtbiencommesonnom
l’indique, à savoir comme celui d’une communauté qui fonctionne selon ses propres
règles.IlrejointlesloisdemarchédubazaretladescriptiondusoukdeSefroufaitepar
CliffordGeertz,dans lequel«leséchangeséconomiquessontancrésdansdesréseaux
d’interactions interpersonnelles et dansdesmaillagesd’institutions interdépendantes,
(…)(Les)échangessontencastrésdansdemultiplesuniversderelationssociales,quiles
configurentetqu’ilsreconfigurentenpartie.Lesacteurssemeuventdansdespaysages
de promesses et d’obligations, préservent des équilibres de concessions et de
compromis».(DanielCefaï,inCliffordGeertz2003:48)
La plupart des praticiens qui se définissent par le terme générique de «médiums
guérisseurs», assistent aux conférences données par leurs collègues «médiums
guérisseurs». Celles‐ci sont présentées comme étant des «ateliers» participatifs et
sonttoutesconstruitesselon lemêmemodèle.Leconférencier introduitsonsujetpar
72
unlongexposé,puisproposeunexercicedeparticipationinteractiveaupublic,sousla
formed’une«méditationguidée»quiseconclutparunmomentde«partage»,durant
lequelchacunestappeléàmettreenrécitetàprésenteràl’assembléelessensationset
perceptionsqu’ilaeudurantcetteséance.Alasortiedelasalle,despetitsgroupesse
formentautourduthérapeute,certainespersonnesluifontétatde«troubles»qu’elles
ont ressenti dans diverses circonstances et qui pourraient être, selon elles, l’annonce
voirel’amorcedecompétencesmédiumniquesetquestionnentàcesujetle«médium‐
guérisseur». D’autres sollicitent des rendez‐vous pour des crises existentielles telles
que: stérilité, problèmes conjugaux, violence à l’intérieur du cercle familial, enfants
«perturbés» ou «autistes», «présences» ressenties dans leur appartement,
cauchemars récurrents, rêves de personnes décédées. Les énoncés de ces
préoccupationsdésignent les compétences recherchées auprèsdumédiumguérisseur
et signifient leurs dévoilements pour ceux qui ne les lui connaissent pas encore. La
présence d’autres médiums guérisseurs parmi le public des«ateliers», permet un
contrôle régulier des pratiques des uns et des autres et sert aussi de source
d’inspiration.Dèsqu’unenouvelle«méthode»est tentéepar l’un, celle‐ci va circuler
chezd’autres.Lamobilitédesréférencesse faitdansune interdépendancedesunset
desautres.
3.7.DuFengShui,desaurasetdesguidesspirituels
Parmi les expériences de confrontations directes avec les discours de crises
existentielles qui me sont proposés aussi bien par des praticiens que par leurs
consultants,jen’enrapporteraiquetroisquivontmeconduireàdéveloppermontravail
ethnographiquedansdesgroupesquiseconstituentautourde«médium‐guérisseurs».
Lapremière est celle d’une conférence sur le«Feng Shuide l’intuition», donnéepar
Lucy.Plusieursexposantsdu«VillageSanté»proposentdesexposés sur le thèmedu
«FengShui»,qui s’avèreêtrepoureuxuneméthodede«purificationdesespaces»,
reprenant ainsi une partie des axes de la «domothérapie» sous un vocable plus
73
exotique et promoteur. Ces praticiens ne gardent qu’une forme vulgarisée de cette
sciencechinoisequifondesonefficacitésurlamiseenadéquationd’unenvironnement
aveclesindividusquil’occupent.Sapratiqueconsistedansl’organisationdeséléments
composantcetenvironnement,selonunsystèmesymboliquedemiseenrelation,basé
sur la référence des cinq éléments: feu, terre, fer, eau, bois. Il requiert l’art d’un
spécialistequivaréorganiser l’espaced’habitationoudetravailentenantcomptedes
compatibilitésetincompatibilitésdecesélémentsentreeuxselonlabasedesrelations
qu’ils sont supposés entretenir dans la nature. Ce praticien va disposer aussi d’un
certainnombred’objetsqui,placésauxbonsendroits,vontagircommepondérateurset
augmenter l’effet propitiatoire ou facilitateur du Feng Shui.36 Le talent du spécialiste
seradesavoirjoueraveclesystèmenormatifqueproposeleFengShuietdel’adapterà
larésolutiondesproblèmesparticuliers.
J’aisuivilaconférenceperformancedeLucy.Celle‐ciannonceenpréambuleàsonpublic
que saméthodequ’ellenomme le«Feng shuide l’intuition» (LucyHarmer2003) se
basesurl’ouvragedeDeniseLinn(2005)etsurdes«rituelsdepurificationutilisésdans
différentestraditionsreligieuses»,devançantainsitoutesformesdecontestations.Elle
préciseàsonpublicquesaméthodesertàdisperserles«entitésnégatives»etàlibérer
des «âmes errantes» qui hanteraient les lieux de vie. Elle ajoute que sa méthode
complètedepurificationcomportetrentetroisétapesdontvingtetunedepréparation
dans laquelle sont inclus des «rites de pureté» à respecter avant d’entreprendre de
purifier un espace. Pendant ceux‐ci, elle se livre à des ablutions, s’habille en blanc et
respectedesprescriptionsalimentaires.Ellesepurgeparl’absorptiondedécoctionsde
plantes, pour éliminer les toxines de son corps, adopte un régime végétalien et évite
36 Dans les ouvrages de vulgarisation, on peut lire une série de recettes pour obtenir un bien être
domestique.Parexemple:pourrenforcerlesliensfamiliaux,ilfaudraplacerlareprésentationenbronze
dequatretortuesempilées,dans le«coinfamille»d’unappartementsoità l’est;pour lapérennitéde
l’amour,uncoupledecanardsmandarinsdans lapartiesud‐ouest ;pour lasanté,unetortueà têtede
dragonau«coinest»,avecunrubanbleudanssagueule.Quantaucrapaudàtroispattesavecsapièce
demonnaiedanslagueule,quiapportechanceetrichesse,ilseraplacéausud‐est.
74
tous les stimulants tels qu’alcool, café et tabac. Elle enlève tout bijou ou tout objet
métallique «qui pourrait servir de conducteur à une énergie néfaste». Elle prépare
différentséléments«qu’elleutiliserademanière intuitive» selon les situationsqui se
présenteront durant son intervention dans un lieu d’habitation ou de travail. Elle
prépareunepetitebouteilleavecde l’eaubéniteprovenantd’unsitedepèlerinage,si
possiblede Lourdesdont elle aspergera l’espace, une assiettede sel dont elle jettera
despoignées,despierresdequartzqu’elleplaceraprèsdesouverturesdeportesoude
fenêtres,elleallumeraunebougie,feradesfumigationsd’encensoudesaugeblanche
amérindienneouencorevaporiseradesessencesflorales.
Lucy passant de l’ordre du discours à celui des actes montre les objets qu’elle a
préparés, vaporise énergétiquement l’espace et le public d’eau et d’essence florale,
exhibeuneclochetteetunbol tibétaindont lavibrationemplit l’espace.Elleexplique
quesiellen’apascesdeux instruments,desclaquementsdemainpeuventaussi faire
l’affaire.Lucyreprenantl’ordredudiscours,précisequ’avantd’officier,elleobserveun
moment de recueillement, et dans le silence se concentre sur son intention de
purificationdu lieu,elle invoque l’appuidesesguidesetdesesanges.Ellesedéplace
ensuite dans chaque pièce de l’habitation en prononçant des prières. Lucymime ces
déplacements et alterne explications et gestes. Par ses différentes sensations: le
toucher, la vision, l’odorat, elle diagnostique la nature des éventuelles différentes
«présences» dans le lieu et utilise les objets de purification adéquats. En présence
d’une«âmeerrante»,elleluiexpliqueraqu’«ellepeutrepartirverslaLumière»etelle
«ancrera»cettepenséedansunboldanslequelelleauraenflammédel’encens.Selon
sesdires,«les flammeset la fuméepermettentde créeruneouverturevers lemonde
célesteetaidentàl’élévationdel’âme.»Ceseralemomentdenoterunesériedevœux
surunefeuilledepapierquiseradatéeetsignée.LesvœuxqueLucyproposedefaire
ont trait «à retrouver une confiance en soi», aux relations amoureuses et à une
multiplicationdesesrevenusfinanciers.L’«âmeerrante»contribueraàtransmettrece
messageenhautlieu.Cetteidéequelapurificationd’unlieuestavanttoutuneaction
75
de remise en ordre entre les vivants et les morts et que ceux‐ci contribuent à une
opérationdecaptationde«lachance»oude«labonnefortune»pourlesvivantsest
une constante dans les sociétés européennes. La dernière phase du «rituel de
purification» de Lucy sera de «sceller le lieu» en invoquant les quatre archanges:
«l’Archange Raphaël, l’ange de l’Est, l’Archange Michaël, l’ange du Sud, l’Archange
Gabriel, l’ange de l’Ouest, l’Archange Ariel, l’ange du Nord, ainsi que Dieu», en leur
demandant protection et «amour inconditionnel dans cette maison» et en les
remerciant de leurs présences. Pour «ancrer l’abondance», Lucy propose de placer
danschaquepiècedesoffrandessousformedebouquetsdefleursentenantcomptede
la«symbolique,dechaqueespècesetcouleur»,lesfleurspeuventêtreremplacéespar
desplantesaromatiques.
Dans cette reconstitution d’une purification rituelle, nous retrouvons l’idée que
certainesformesdemauxontpouroriginel’actiondesmortsfamiliauxoudepersonnes
décédéesayantvécudansleslieuxdanslesquelsilsmanifestentleurssouffrancepardes
hantises domestiques et requièrent des vivants des gestes d’apaisement pour leur
permettrederejoindrelemondecéleste.Cesâmescondamnéesàl’errancedépendent
des vivants pour alléger leur peine et nous renvoient à la croyance du purgatoire
développéedèsleXIIIèmesiècleparl’Eglisecatholique.
«Eneffets’imposealorsl’idéequ’aprèslamortetavantleJugementDernierilyaunlieu
etuntempsoùl’âme«purgesapeine».Maisilnes’agitpas(…)d’unesituationdurable:
selon le poids de ses fautes et selon l’assistance spirituelle reçue des survivants, l’âme
peut accéder, bien avant la fin des temps, à la Vision béatifique. Tout comme la vie
terrestre,l’au‐delàdonnepriseàlamesureetàlacomptabilité.»(DanielFabre1987:20)
Danscenouveaudécoupagemétaphysique,ledéfuntn’entreplusdanslelongsommeil
de l’attenteeschatologique, toutvase jouerpour luidèsque l’âmequitte lecorps.Si
l’accompagnementritueldecemomentestrespecté, ilpourrarejoindre lepurgatoire.
Lesâmeserrantesattestentd’untemps,àl’inversedeceluidesvivants,maissurlequel
76
la société a prise par la médiation des rituels et qui donne à penser une forme de
continuitéprovisoireentrelemomentdelavieetcelledelamort.Danslesopérations
de«purification»deLucyquis’assimilentàuneremiseenordreentreles«morts»et
lesvivantsetàuneredéfinitiondesterritoiresdesunsetdesautres,ilparaitpossiblede
tirer un parallèle avec les «rites de pureté et d’impureté» que sont le triage et le
rangementdontparleMaryDouglas:
«J’aiessayédedémontrer(…)quelesritesdepuretéetd’impuretédonnentunecertaine
unité à notre expérience. (…) Par le truchement de ces rites, on élabore des structures
symboliques,onlesexposeaugrandjour.Danslecadredecesstructures,deséléments
disparates sont reliés et des expériences disparates prennent un sens.» (MaryDouglas
1992:24)
SipourLucyl’apaisementdes«âmeserrantes»etla«dispersiondesentitésnégatives»
se fait par des purifications permettant d’échapper aux hantises domestiques, cette
représentationpositiven’estpaspartagéeparunautremédiumguérisseur,Daniel,dont
les dépliants publicitaires vontm’inciter àm’arrêter à son stand. Daniel, se présente
comme «Maître Reiki, guérisseur spirituel et énergétique, chaman» et décrit sur ses
dépliants publicitaires plusieurs compétences thérapeutiques dont le «nettoyage
énergétique»:
«Dans le corps humain et l'habitat, il existe différentes formes d'énergies subtiles qui
peuvent nous influencer voire nous perturber.Ces perturbations subtiles contribuent à
engendrerdestroublesphysiquesetpsychiques;ceux‐cipouvantallerdel'insomnieetde
lamigraine aux pathologies lourdes comme le cancer, invalidantes comme l'asthme, en
passantpar lanervosité, lestress, ladépressionsanscompter lesproblèmesderelations
quiensont lesconséquences logiques. Ilestpossiblede lespurifieretde lesharmoniser.
Pourcela, il faut lesmesurerpour les identifieretdéterminer leurorigine.Nouspouvons
aussimesurer et harmoniser des formes d'énergies plus rares telles que la présence de
personnesdécédéesetautresentitésénergétiques.Accompagnementdecesêtresdansles
plansquileurappartiennent.»(DépliantpublicitairedeDaniel)
77
Danieladéveloppédespratiques«depurificationetd’exorcisme»pourdébarrasserles
êtreshumainsdes«énergiesnégatives»qu’ilcompareàdesimplantsquisegreffentà
l’intérieur des organismes vivants. Il décrit ces énergies, «commedes petits trucs qui
traînentdansl’univers»etque«lesêtreshumainsrécupèrentdetempsentempsetqui
restentaccrochéesà leuraura,puiss’infiltrentdans leurcorps.C’estcommedesbulles
de savon, elles se collent à la surface de la peau et puis elles s’y infiltrent.» Pour lui,
nouspouvonsenavoirplusieursdansnotrecorps,etàplusieursreprises.Cesénergies
génèrentnospeursetnosangoissesdontellessenourrissent.Ellesutilisentnospensées
etnosparoles,quisont«vibrationseténergies»poursedévelopper,etdévelopperen
nousdespenséesnégativespoursatisfaire leursbesoinsenénergiesnégatives.Daniel
compare l’action de ces entités énergétiques à l’attaque d’un hacker sur le réseau
internet.
«Onvasurleweb,onapprendpleindebelleschosesettoutàcoupdansuncoin,ilyaun
petithackerquivousenvoieunpetitvirus,unchevaldeTroiepoursavoircequ’onadans
notreordinateuroupourcassernotredisquedur,etbienc’estàpeuprèslamêmechose
quisepassedansl’univers.»
Pourseprotéger,contreces«énergiesnégatives»,Danieladéveloppéune«pratique
rituelle»,ilsepurifieetrécitele«NotrePère».Plusilditle«NotrePère»avecfoi,plus
sonenvoid’énergieestgrandetplus ilva«formerunimmensenuageénergétiquesur
lequel ilpourrasebrancher»etqui luidonneraencoreplusd’énergiepourcombattre
«lesénergieset lesentitésnégatives.» Il faitappelaux«SaintsGuérisseurs»,à Jésus
Christpourqu’ils lui viennentenaidedanssoncombatetdemande l’aideaussiàdes
angesetàdes«guidesspirituels»,qu’iln’identifiepas,«maisilsaitqu’ilssontlàquand
il a besoin d’eux». Il utilise aussi des «prières qui lui ont été transmises» et les
agrémentedecequi luivientà l’esprit,decequ’ilressentsur lemoment.Pour lui,ce
n’estpastellementlesmotsquisontimportants,«ilfautallertoucherl’égrégoredela
prière,l’égrégoredelaprièrec’estlorsquetoutepensée,touteparoledevienténergie».
78
Ces«énergiesnégatives»peuventserévélerêtredes«âmeserrantes».Danielofficie
alorscomme«passeurd’âme»,enrecherchant«desâmesincarnéesdansdescorpsqui
ne sont pas les leurs» ou encore «des âmes restées sur le plan terrestre» et en les
aidant à rejoindre «la lumière». La plupart du temps, il peut donner unedescription
suffisamment précise de «cette âme errante» pour que la personne qui le consulte,
parvienne à l’identifier. Cette reconnaissance faite, il peut s’adresser à la personne
décédéeetfaireappelàses«guidesspirituelspourqu’ilsviennentcherchercette«âme
errante» et la conduire versLa lumière». Il ne veut pas «chasser cette âmemais lui
faire comprendre par la douceur que cemonde n’est plus le sien». Pour illustrer ces
proposet l’apprentissagequ’iladû fairepouraccompagnerune«âmeerrante»et la
«fixer»ailleurs,Daniel raconteun«souvenir»,qui est citédans l’ouvragedeMagali
Jennyplacébienenvuesursonstand.
«Lapremièrefoisquej’aifaitcetravailde«passeurd’âme»c’étaitpourunefemmequi
étaitvenuemevoirparcequ’ellenedormaitplus.Lorsque lesoir,ellesecouchaitdans
son lit, elle sentait à coté d’elle une présence, plutôt agréable, mais ce phénomène
l’effrayait. J’ai vu alors qu’elle était accompagnéede sonmari décédé. Je suis entré en
communicationavecsonmariet je luiaiexpliquéqu’iln’étaitplusdecemondeetqu’il
devaitaccepterdequittersafemme.Lafemmes’estsentiemieuxetjel’airaccompagné
jusqu’à laporte.Quandjesuisrevenudansmapiècedeconsultation, j’aitrouvélemari
assisàmonbureau.Jeluiaidemandécequ’ilfaisaitlàetilm’aréponduqu’ilvoulaitbien
quittersafemmeetsamaison,maisquemaintenantilnesaitplusoùaller.J’aialorsfait
appelàmesguidesquisontvenuschercherlemarietl’ontconduitàlalumière.»(Magali
Jenny2008:143)
Aprèsavoirquittécenouveau«Menocchio»,c’estenpassantdevantsonstandquej’ai
été interpellée par Sophie une des rares praticiennes à n’avoir pas personnalisé son
stand. Sur une table, elle avait réduit sonmatériel publicitaire à quelques articles et
dépliants. Notre premier échange a débuté sur la question posée ironiquement par
79
Sophiequivoulaitsavoirsi«monmarchéavaitétébon»,sij’avaistrouvélesréponsesà
mesquestions.Commejenerépondaispasàsaquestion,ellemeditqu’ellem’observait
depuisledébutdeMednatExpo,quejemepromenaisavecuncahierdenotesetposais
desquestionsàdifférentspraticiens,maissansavoirl’airdecherchervraimentunlieu
de consultation ou un stage. Lui ayant précisé le but demes visites, Sophie va alors
m’expliquersonparcours37etmeprésenterles«enseignements»qu’elledonnesurles
«étatsmodifiésdeconscienceguidésparlavoix»,ouautrementditl’apprentissagede
la transe sous hypnose, et sur «la perception des auras », sujet lié à la question de
l’incertitudequantauxfrontièresducorps.SelonSophie,«toutlemondepeutpercevoir
lesauras».Certainespersonnesnaissentaveccetteperception,maislaplupartdoivent
apprendre à les voir. Pour Sophie, les ouvrages qui traitent des «corps subtils», les
récits de ceux qui les perçoivent, ainsi que les dessins et photos d’auras donnent
souventunefausseimpressiondelaperceptionquel’onpeutavoirdecesénergies.
«L’idée que celui qui perçoit les auras voit des couleurs vives partout, capte en trois
dimensionsdespansentiersdenotrevieetsaittoutcequevouspensezetvoulezcacher
estbienerroné. Il s’agitplutôtd’unesensationd’êtreen lienconstammentaveccequi
vousentoure,avectoutcequiest,ils’agitd’unemanièredevivre,d’êtreconscientdela
vie.»
PourSophie,«sidansuncours,unparticipanténoncequ’ilvoitautourd’unepersonne
des auras avec des couleurs déployées comme un arc en ciel, c’est intéressant de lui
37 Sophie se définit comme psychothérapeute homéopathe: ses formations et pratiques sont
nombreuses.Elleafaitdesétudesdepsychologie,qu’ellecomplèteparunpostgradeenneuroscienceset
obtientun«Certificatcomplémentaireplurifacultaireenneurosciencescognitives».Ellesuitensuiteun
DEA en «Phénoménologie et approches cognitives de l’homme» à l’Université de Genève. Elle
s’intéresseàdifférentesméthodesthérapeutiquesetobtientdesdiplômesenthérapiebrève(diteaussi
thérapie interactionnelle et stratégique) à l’InstitutGregory Bateson à Liège en Belgique, (rattaché au
MentalResearch InstitutedePaloAlto);d’hypnoseéricksonienneà l’InstitutMiltonEricksonàGenève.
Elleafini,enjuin2007,lecursusdepraticiendesantéàl’EcoleduCentrenaturopathiquedeGenèveet
enjanvier2009uneformationd’homéopathe.
80
poser la question pour savoir avec quelle personne ou quel livre, il aappris à voir les
auras». Selon elle, les participants intègrent ou pensent qu’il faut intégrer les
perceptionsselonlesdescriptionsdeleurenseignantalorsqu’ils’agitplutôtpourcelui‐
cideproposerdessupportsdel’imaginaire.PourSophie,
«la perception des auras n’est bien sûr pas une science exacte et deux personnes qui
disentlirel’aurad’unetroisièmepeuventpercevoirdeschosestrèsdifférentes,sanspour
autantse tromper.Cequenouspercevons,cesontdes informationsbrutesetnous les
digéronschacunànotremanière.Nouscréonsdecetteinformationbruteuneimageou
sonouunecouleurdécodableparnotrecerveau.Cedécodagecorrespondàcequenous
sommes,ànoscroyancesetnotreculture,ànotrevisiondumonde.»
Elleproposeunexerciceà cesélèves,dans lequelelle leurdemandede regarderune
planteouunepersonneassiseetimmobile,placéedevantunmurblanc.Lesmeilleures
conditionsdelumièrepourcetexercicesontàlatombéedujour,lorsquelaluminosité
décline. Il fautfixerunpointsoitsur levisagedelapersonne,entresesdeuxyeux,ou
situé à une dizaine de centimètres au‐dessus de sa tête. En fixant attentivement ce
point, notre vision va se dédoubler, le point va rester bien visible, mais notre vision
périphériquevarendrelecontourducorpsphysiqueflou.Notreperceptionvaalorsse
modifier etnousentrainer àpercevoirunemodificationd’étatdans lepourtourde la
personne.Nouspouvons,enétantplacédanscetétatréceptifparticulier,percevoirce
quiressembleàl’énergiequisedégagedelapersonne.Sophierendattentif«qu’ilfaut
savoir que l’aura est une lumière, mais pas forcément colorée, elle peut être perçue
commeune fuméetransparenteoupastelle,ouencorecommeune luminositéblanche
oudoréeà cinqoudix centimètresde la tête». Sophie,préciseque l’«auran’estpas
figée,elleestconstammentenmouvement»etsetransformeselonnospenséesetnos
émotions. Par la description de cet exercice qui est un pur effet d’optique et en le
traitant à la fois comme tel et à la fois comme une «réalité» de l’aura, comme une
«réalitéde l’invisible»,Sophienous renvoieau régimeduelde la croyancedéfinipar
l’énonciationparadoxaledeOctaveMannonide«jesaisbien,maisquandmême…».
81
Danscettepremièrepartiedemontravailderecherche,parl’ethnographiedeterrain,
j’aipuconstaterquelescadresecclésiastiques, juridiquesetéconomiquess’ouvrent,à
leurs«envers»quimontrentdesespacesd’initiatives,d’attitudesetdediscours,dotés
d’unecertaineautonomiemais,enquelque sorte, toujourspensésen référenceà ces
pôles institutionnels structurants. Je propose donc, ci‐après, une ethnographie de
pratiquesquinesontpaspleinementindépendantesdesdispositifsreligieux,médicaux
et commerciaux décrits ci‐dessus, et qui ne peuvent pas non plus être considérées
comme leurs mécaniques succédanés. Il s’agira, en effet, désormais d’étudier les
aménagements progressifs de sens apportés à ces dispositifs par des acteurs
d’aujourd’hui, qui se situent toujours sur la frontière incertaine des contraintes
structurellesinstitutionnellesetdesinnovationsensituation.
82
MednatExpo2012:Expérimenterl’auto‐hypnose
83
Deuxièmepartie
1.Stratégied’enquête
Lastratégiepeutêtrededéployerunepratiqueethnographiqueautourd’unseulfoyer
d’enquête ou de plusieurs. J’ai opté pour le choix de plusieurs foyers parce qu’ils se
révélaient être des lieux où simultanément se déployaient et s’éprouvaient des
préoccupations et des inquiétudes ainsi que des demandes semblables en lien étroit
avecdesenjeuxcomparables.Ceslieuxm’ontétédictésparlespremièresexpériences
deconfrontationavecdesdiscourssurlestraitementsdel’instabilitédelapersonneet
des crises existentielles. Cette posture méthodologique m’a permis de constituer
progressivementunmatérielethnographiqueen suivantdes supportsnarratifs,qui se
sontrévélésêtreaussibiendesécrits,desparolesquedespratiquesetdelamatérialité,
dansune co‐constructiondesdonnéesavecmes interlocuteursdemanièreempirique
plutôtquedirigéeparunquestionnementanalytiqueabstrait.Partantduprincipequ’à
force d’entendre et de voir des choses semblables ou dissemblables, cette posture
devaitmepermettredem’intéresseràl’étenduedupaysagephénoménaletàsesdivers
processus à l’œuvre en vue d’une régulation sociale. Elle devait aussi me permettre
d’identifier les transformationsdeces fluxdiscursifs,d’évaluercequ’ilsproduisentde
neuf ou reconduisent d’ancien, d’évaluer ce qui est de l’ordre de la rupture ou de la
continuitéetd’identifierenquoicespratiquesaidentàsaisirlesprocessusexistentiels.
Cette posture méthodologique liée à la vision d’une ethnographie interprétative et
dialogiquene seveutpaspourautantempiristeet les lieuxd’enquête restenten lien
étroits avec les enjeux de ma recherche. Car si «la pratique ethnographique a pour
première tâche de construireson propre terrain de jeu, son propre paysage
heuristique(…) l’ethnographie ne s’élance pas des hauteurs de la théorie ou d’un
«grand récit»,mais elle jaillit des enseignements d’une observation et d’une écoute
attentives.»(JeanComaroff,JohnComaroff2010:53).Maisilestaussiévidentquela
84
manière de voir et l’attention du chercheur préexistent et sont tributaires d’un
échafaudage conceptuel préalable, « que la dialectique de la découverte, une fois à
l’œuvre, peut néanmoins mettre à profit dans une reconstruction du dispositif
théorique.»(JeanComaroff,JohnComaroff2010:53‐54)
1.1.Lesmédiumsguérisseurs
Surun terrainethnographique sepose laquestiondu choixdes interlocuteurs, aucun
critèreobjectifsimplenesembleévidentdansle«VillageSanté».NiLucy,niDanielou
Sophienesedistinguedupublicdusalonparunhabillementparticulier.Laquestiondu
genren’estpasclairementtranchéeducotédesmédiumsguérisseurs,lesfemmessont
certesplusnombreusesmais la répartition rested’un tiers d’hommesàdeux tiers de
femmes.Ducôtédupublic,ladifférenceestbeaucoupplusradicale:sipourl’ensemble
deMednatExpo, leshommesconstituentunpourcentage important,dans le«Village
Santé», laclientèleestessentiellementféminineetcomporteuneforteproportionde
femmes de plus de quarante ans de tous les milieux sociaux. Il faut relever que la
présence des enfants est exceptionnelle. Les objets sur les stands ne sont pas plus
aidants:lespierressemi‐précieusesmontéesenbijouxouaccompagnéesd’undescriptif
sur leursvertusou influencesparticulières, lesplumesd’oiseaux, lesencens, leshuiles
essentielleset lesbougiesn’ont riendeplusparticulierquecequiest vendudansun
magasin«NewAge»oumêmedansuneboutiquedecadeaux,voiredanslesrayonsde
décorationdes grandes surfaces commerciales. Tous ces objets,même s’ils ont gardé
une fonction de «cadeau» ou de «plus pour un bien être», sont de plus en plus
présentsdanstouslesuniversdomestiques.
1.2.Misesenréseauxdesmédiumsguérisseuretnouvelésotérisme
Sileschercheursensciencessocialescatégorisentselondesidéauxtypeslesdifférents
praticiensactifsdanslessalonsdemédecinesnaturelles(NicoleDurischGauthier2007:
85
38‐43),engénéral,leurspublicsdu«VillageSanté»qu’ilssoientmédiumsguérisseurs,
consultants, habitués ou spectateurs occasionnels ne s’en préoccupent pas. Les
praticiens se définissent par les méthodes qu’ils appliquent et qu’ils ont apprises en
dehorsdecadresdeformationfixesetoptentengénéralpour l’appellationgénérique
de«médiumguérisseur».Peud’entreeuxsontreconnusparl’ASCA,ous’ilslesontce
n’estquepouruneoudeuxdeleursméthodes.Parmilestroismédiumscitésplushaut,
seul Daniel est reconnu,mais il ne l’est que pour sa pratique du Reiki. Dans les trois
configurations de «médiums guérisseurs», qui vont entrer dans mon ethnographie,
danscettesecondepartie,aucundesauteursdecesdispositifsn’estreconnuparcette
institution régulatrice. Lesmédiums guérisseurs sont porteurs d’identités flexibles et
multiples et se définissent plus facilement par leurs réseaux de sociabilité, leurs
interconnaissances,parmilesquelssesituentleurs«maîtresd’enseignements»,touten
gardantunegrandemobilitéleurpermettantd’intégrerunnouveauréseaurapidement
selonl’intérêtdumoment.Cetteflexibilitéauxopportunitésintègreunnouveaurapport
àl’ésotérismeetrejointlesconstatsdeDanielFabre(2005).IlremarqueauXXIèmesiècle
undéplacementdesvertusdistinctivesliéesàl’ésotérisme,quinesontplusrattachéesà
des enseignements savants comme au XIXème siècle. Les auteurs de l’ésotérisme des
sièclespassésontproposédenouveauxobjetsdecroyancetoutens’appuyantsurdes
procédures expérimentales qui relevaient de l’empirisme scientifique. Par les
démonstrations de magnétisme et de spiritisme, leur objectif était de prouver
l’existence de «forces» et de «pouvoirs» non encore reconnus etd’élargir les
connaissancessurununivers«psychique».Lechampdel’ésotérismes’estenrichi,au
coursdesdécenniesentre la finduXIXème siècleet lemilieuduXXème,d’unenouvelle
dimension liée au développement de l’orientalisme. Celle‐cimoins préoccupée par la
preuvescientifique,plaçaitaucentredesonattenteles«révélations»delatraditionen
s’appuyant sur l’autorité d’autant moins contestable de «maîtres» que leurs
enseignements prenaient leurs sources auprès d’experts spirituels situés dans de
lointains géographiques voire même dans d’autres galaxies. Au XXIème siècle, un
nouveauchangementseproduit,lesmédiumsguérisseursetleursconsultantsintègrent
86
leurs connaissances, selonunmoded’appropriationpersonnelledu savoir, facilitépar
un accès aux données disponibles sur la toile infinie déployée au moyen des
technologies informatiques et des réseaux sociaux qu’ellematérialise. Ces
connaissances,liéesàlanouvellephysique,àtoutessortesd’hypothèsescosmologiques
et néo‐évolutionistes, ou encore aux différentes conceptions de l’inconscient et de la
conscience issues du champ de la psychanalyse ou des neuroscience, n’ont pas pour
objectif premier de développer des compétences dans un champ particulier de la
connaissance scientifique, mais de construire une interdisciplinarité totale afin de
prétendreàuneintégrationdetouslessecteursetdetouslespaliersdusavoiraunom
del’«unitédel’Etre».Cetteaspiration
«donneformeàtouteslesentreprisesde«nouvellegnose»quireviennentàretourner
contre la science et le découpage des objets du monde, qui fut la condition de son
développement, lesarguments issusde la scienceelle‐même renforcéepar sonalliance
avec les spiritualités œcuméniques et pacifiquement unifiées ou du moins
communicantes.»(DanielFabre2005,19‐20)
Ce nouvel ésotérisme place l’être humain et le monde comme une seule totalité et
prétend faire occuper à l’être humain une place particulière dans son emprise sur la
matière,lavieetlapenséescientifiqueenl’intégrantdansunerecherchesurlesensde
l’universenpartantduprésupposéquelemonden’estpas le résultatduhasardmais
d’unplanétabli.
Si l’adhésiondesmédiumsguérisseursduXXIème àun réseaude sociabilitédéterminé
n’est pas exclusive et peut être temporaire pour s’inscrire dans un autre, ils
entretiennentparcontreautourd’euxuncercled’uneclientèlefidéliséesousformede
communauté qui se réunit avec des objectifs précis. Tant que cette forme de
communauté resteun regroupementdepersonnesqui ellesmêmes circulentdans ce
vaste réseau de savoirs et de sociabilité dans lequel elles vont chercher «à capter»
compulsivement de nouveaux enseignements, le terme de secte est difficilement
87
applicable.Cequiréunitlesconsultants,oulesclientsaubienêtreretrouvé,cesontdes
expériences en commun, mais dont le plus important reste l’accès potentiel à une
«réalité alternative peuplée par des formes ouénergies actives qui sont vues parfois
commedes«Esprits»(GalinaLindquist1997:13)susceptiblesdeprocurerguérisonet
résolution des problèmes existentiels dans la réalité ordinaire. L’accès à cette réalité
alternative demande une série d’apprentissages, qui se font auprès de médiums
guérisseurs.Cettetransmissionpyramidaleet lamiseenréseauhorizontalcontribuent
dans ce nouvel ésotérisme au déplacement de la légitimité de l’acquisition et de la
diffusiondusavoirqu’ilsuppose.Sil’ésotérismeduXIXèmesièclerépondaitàunequalité
desavoirrelativementprotégéetdontl’enseignementsefaisaitdemanièrediscrètepar
de grands initiés, l’acquisition des savoirs du nouvel ésotérisme se fait à travers une
abondantelittératureaccessibleàtousetparuneprofusiondesiteswebaccompagnés
pardesenseignementsdispenséspardes«maîtres»qui seprésentent commeayant
reçula«révélation»deleurmission.Quantauxsourcesdelavérité,ellesfonttoujours
appel dans cette perspective universaliste comme au siècle passé à toutes les
cosmogoniesetancienspanthéons.Faceàcetteexpansion imaginative, ilestd’autant
plus important de ne pas se laisser piéger en tentant de faire entrer les «médiums
guérisseurs»dans lescatégoriesd’idéauxtypesselonleconceptreprisde latypologie
deWeberetTroeltsch.Ils’agitplutôtdeseposerlaquestiondecommentagissentces
élémentsauseindesconfigurationsdemédiumsguérisseursenadoptantunpointde
vue«dudedans».
Pour cerner comment ces matériaux hétérogènes interagissent dans une pratique
socialeetentrentdansdesprocessusd’apprentissageetdetransmission,danslamise
en légitimitédesmédiumsguérisseurset leur réseaudesociabilité, j’aiprocédéàune
ethnographie dans trois configurations différentes. La première se déploie autour de
«Marie»,l’unedesmédiumsguérisseusesquiparticiperégulièrementauxactivitésdu
«Village Santé». La deuxième prend pour sujet deux entrepreneurs canadiens qui
utilisent des techniques de marketing du spectacle et ont développé un matériel
88
«éducatif»sousformedecartesetdetabellessurl’«Angéologie»qu’utilisentMarieet
Daniel. La troisième configuration met en scène l’emprise d’une Eglise spiritualiste
anglaise à laquelle contribue la diffusion d’un filmde propagande réalisé par une
médiumguérisseuseappartenantàcecourant.
1.3.Durécitdesoiaurécitdevieetpourquelleefficacitéparticulière
En reprenant laquestion :«commentdevient‐onmédiumguérisseur?»etenpartant
duconstatdeDanielFabreque lesautobiographies sontdeshistoiresdevies sociales
(Daniel Fabre 2002: 33), je me suis intéressée à l’élaboration des récits de vie des
auteurs de ces trois configurations. J’ai suivi pour cela le conseil de Daniel Fabre qui
souligne l’opportunité «d’élargir la définition canonique de l’autobiographie» et de
n’envisagerpasque
«lerécitquiembrasserétrospectivementlatotalitéd’unevieetluidécouvreunsensdu
pointdevuedesondéroulementinterne,maistoutaussibienletémoignagediscontinu–
un récit d’enfance,quelquesannéesd’un journald’adolescent, une sériede lettres à la
famille – qui prend sens au regard d’un contexte événementiel, d’une situation
répertoriéeetdu voisinagedes textesdemême type. Enquelque façon, lesnotionsde
société et d’histoire collective s’éprouvent et se vérifient dans l’émergence de cette
relationentrevécuspersonnelsetcontenusdel’écrit.»(DanielFabre2002:23)
Sijeprendsencomptel’hétérogénéitédesmatériauxécritsquiseprésententàmoi,je
devraisacceptertouslessupports,puisquel’écritestpropagésouslesformesdetexto,
courriels, tweets, par messagerie instantanée et autres réseaux électroniques qui les
multiplient,accélèrentleurpropagationetmodifientmanièred’écrireettermesutilisés.
«Toutes les propriétés cardinales de l’écriture semblent ici retournées: le relatif
apparatdesamiseenœuvre, la lenteurdesacirculationdialogique, lamatérialitéde
cesproduits,laduréedestraces…»(DanielFabre2002:39).Ils’agiradetenircompte
aussid’autresformesde«graphie»quideviennentlessupportsprivilégiésdudiscours
89
sur soi et de l’intercommunication, et prennent aussi le terme d’écriture comme
l’«écriturecinématographique»,«photographique»ou«sonore».Lamiseenréseau
de ces écritures multiples fait bénéficier tout un chacun de diverses formes
d’autobiographies, depuis la plus élémentaire présentation de soi à celle d’un journal
fleuve. Mais la conversion de ces récits autobiographiques en instrument de
connaissancerequiertprudenceetattentioncar:
« rien ne doit être celé du travail d’extraction de la matière biographique, de la
cartographie des possibles narratifs qui se sont dessinés du dedans et plus encore
imposés du dehors comme un répertoire de vies déjà construites et souvent
contradictoires,deseffetsdudialoguebiographiquesursesacteurs,quelqu’ilssoient…A
ce titre, toutebiographiedevrait seprésenter commeuneexpériencequi interroge ses
fondements et explore aussi bien la diversité culturelle et historique des manières de
concevoirunevie(ouplussouventuntypedevie)quedelanarrer.»(DanielFabre,Jean
Jamin,MarcelloMassenzio,2010:20)
Entenantcompted’unediversitédematériauxetdeformesautobiographiquessuscités
pardesdiscoursdifférents, jemesuispenchéesur lamanièredont lesauteursdeces
trois configurations inscrivent les différents épisodes de leur vie dans un cursus de
reconnaissance de compétences particulières et comment ces moments de vie
s’articulent et s’enchaînent pour construire l’autobiographie de la métamorphose de
leurpersonnalitéencelled’unmédiumguérisseurapaisant lessouffrancesdesvivants
etlesâmesdes«morts»etrégénérantlescorpsetleslieux.
90
CartesutiliséesparMarie:«AffirmationdesAnges»dessinéesparGittaMallek(2008)
SurlesitewebdeMarie:
UnangefémininporteurdumanteaubleudelaViergeMarieetentourédestroiscolombes.
91
2.Del’usagedesguidesspirituelsdansunevieordinaire
J’aifaitlaconnaissancedeMarieauprintemps2009.Jedéambulaisentrelesstandsdu
«Villagesanté»dusalonde«MednatExpo»aprèsmarencontreavecDaniel.Dansune
des allées, une femme d’une cinquantaine d’annéesme barre le passage et me dit:
«Vous avez un point à l’estomac, je vais vous l’enlever». J’avais effectivement une
douleurauventreetavantquej’aiepuréagiràsaproposition,elleadéjàplacésamain
dans mon dos à une petite distance de mon corps. Elle ferme les yeux et murmure
quelquesphrasesqui restent inaudibles. Je sensunechaleurqui irradiemondospuis
mesbrasetmesjambes,lorsquelachaleursedissipe,ladouleuràl’estomacadisparu.
Jeremercielafemme,quisouritetajoute«jerencontrelesgensquejedoisrencontrer,
c’est eux là‐haut qui décident qui ils m’envoient, nous avons fait un accord, ils ne
m’envoient que les personnes que je peux traiter».Marie, sans que je lui en fasse la
demande, m’a fait une démonstration de son efficacité, m’a placé en position de
patienteetamisnotre rencontre sous le signede ladestinée.Elleme fait signer son
livred’oretnotermescoordonnéesavantdemeposerlaquestiondupourquoidema
présence au salon. Ce n’est que quelquesmois plus tard, en faisant la relation entre
MarieetDaniel,dontjevenaisdequitterlestandcejourlà,quej’aicomprisqueSophie
n’avait pas été la seule à avoir été intriguée par mon cahier de notes. Daniel est le
«MaîtreReiki»deMarieetsansm’enrendrecomptej’avaisétéplacéedanssonréseau
de sociabilité sous le contrôle de Marie. Après m’être présentée à elle et lui avoir
donnéelaraisondemaprésenceàMednatExpo,jeluiaidemandésielleétaitd’accord
decontribueràmonenquête.Ellemerépondqu’unejeunefemmeadéjàfaitunethèse
qui traite de cette question et me montre l’ouvrage de Magali Jenny, Guérisseurs,
rebouteuxetfaiseursdesecretsenSuisseRomande.Avecrépertoired’adresses,(Magali
Jenny, 2008)38, placé bien en vue sur la table de son stand. Elle l’ouvre au chapitre
38JENNYMagali,2008,Guérisseurs,rebouteuxetfaiseursdesecretsenSuisseRomande.Avec répertoire
d’adresses, Lausanne, Favre S.A. Ce livre s’est vendu en librairie comme un best seller, la 1ère édition
paraîtennovembre2008,elleestsuiviedeplusieursrééditions.Enfévrier2010l’ouvrages’estdéjàvendu
92
«Portraits de guérisseurs romands», puis me donne à lire les deux pages qui la
présentent.Questionnée sur le contenude cespages, elle s’étonneque ce soient ces
éléments qui aient été retenus, puisque ces pages sont le fruit d’un long entretien
durant lequel elle a évoqué d’autres aspects de l’élaboration de son savoir et du
dévoilement progressif de ses compétences, qui sont tout aussi importants que ceux
que l’auteure du livre a transcrit.Mais elle ajoute que le livre deMagali Jenny ayant
rencontré un grand succès, cette présentation même sommaire a été lue par une
grande audience et a servi à étoffer suffisamment sa clientèle pour qu’elle puisse
abandonner toute autre activité professionnelle. Ce constat étant prometteur pour
l’ethnologue, jedéployaiunargumentairepour luidémontrermon intérêtàdécouvrir
sapratique.Faceàmoninsistance,ellemeproposadevenirl’écouteràsesconférences
et suivre son travail dans ses ateliers ou dans les soirées de méditation qu’elle
organisait. Ce que je fis demanière régulière, tout en alternant ces rencontres avec
d’autres interlocuteurs. Cela permit à Marie de m’accepter dans son groupe de
consultantsplusoumoinsfidèles,toutenéchappantàlapositiondifficiled’informatrice
attitrée et en lui laissant toute latitude àmon égard de procéder à un jeu demise à
distance ou de rapprochement selon les situations. Privilégiant un enseignement
doctrinal, commepréalableà tout suivide rituels curatifs, cela l’incitaàmeplaceren
apprentie, devant d’abord suivre ses présentations avant toute participation à
différentesexpériences,enconformitéavec l’approche instituéeavec lesmembresde
songroupe.Jepensainaïvement,puisquejeneconnaissaispassarelationavecDaniel,
que l’expérience que Marie avait fait du côtoiement d’une ethnologue tendait à la
à52'000exemplairesetilenestàsa9èmeédition.En2011,venduà55'000exemplaires,ilconnaîtune
10èmeédition.Cetouvrage sedécoupeen troisparties,une introduction, laprésentationen formede
portrait, sur deux pages en moyenne, de 50 praticiens et surtout il renouvelle l’usage des listes en
proposant un répertoire d’adresses de 230 «guérisseurs» domiciliés en Suisse romande. En 2012,
l’auteur fait paraîtreun secondouvrage complétant lepremier. JENNYMagali, 2012, Lenouveauguide
des guérisseurs de Suisse Romande, Lausanne, Favre S.A. Sur la couverture est inscrit: «Portraits et
témoignages inédits. Ce qui a changé depuis le best‐seller de 2008. Répertoire actualisé de 230
adresses.»
93
convaincrequecelle‐cipouvaitêtreassimiléeàunejournalisted’investigationouàune
futureconsultante.Cettemiseenpositionnementémiquemeparutappropriéepourla
recherche que je voulais faire, à savoir qu’elle me permettait de traiter la question
«commentdevient‐onunthérapeute»,dansleregistredesrituelscuratifspermettant
lagestiondescrisesexistentielles.Elleallaitmedonnerà lire,dans lesmisesenrécits
rétrospectifsdeMarieselonlesconfigurations,l’élaborationdeslogiquesrelationnelles
qui construisent la mise en place des interactions rituelles réorganisant les rapports
entrelesdifférentsacteurs.
2.1.LeportraitdeMariedansl’ouvragerépertoiredeMagaliJenny
Lepremierrécitquim’estdonnéàlireparMarieestceluiécritparMagaliJenny.Cette
première rencontre, ce premier contact avec l’individualité de Marie, passant à sa
demandepar la lectured’élémentsbiographiques,dontellemetendoute lasélection
sans contester leurs contenus, et qu’ellemedonneà lire commeétantunnécessaire
préalable pour entrer dans sa démarche peut paraître paradoxal. Il apparaîtra par la
suite, que l’interaction d’un médium guérisseur avec l’autre se caractérise par
l’ambiguïté,l’indéterminationetleparadoxe.LegestedeMariepeutêtreaussicompris
commelamarquedelalégitimitédesonrécitpuisquecelui‐ciareçul’imprimaturdans
unouvrageécritparuneethnologue,uneuniversitaire,soitunouvrage«scientifique».
Ilpeutaussiêtreinterprétécommecequiformedésormaislesocledesconnaissances
partagées entre les différentes personnes qui s’adressent à elle dans sa fonction
désormais reconnue de médium guérisseur. Si ces quelques pages de cet ouvrage
contribuentàl’incluredansune«catégorie»selonlasélectionopéréeparsonauteur,
elles contribuent aussi à établir une distinction entre elle et les autresmédiums
guérisseursetàluidonnerunstatutd’expertiseparticulière,àlaquelleontétésensibles
certainsmédiasqui l’invitent àparticiper àune table rondeorganiséepar le salonde
médecine naturelle Mednat Expo et à une émission radiophonique de la chaîne
nationaledelaRadioTélévisionSuisseromande.
94
Lapremièrenarrationquim’estdonnéeàlireparMarienepermetpasdetracerunrécit
devie,maiscertainsélémentsdecettedescriptionembrouilléepeuventserviràtisser
unepremièretrame.Dansceportrait,lelecteurapprendqueMarie«adûpasserparde
nombreuses épreuves qu’elle estime utiles pour développer la compassion, l’envie
d’aider lesautres». (Magali Jenny2008:127)Les termesutilisésdanscettepremière
approche littéraire inscrivent Marie dans une culture chrétienne. L’événement
traumatiquedéterminant,qu’elleinterprètecommeuneinitiation,estune«expérience
demort imminente»39, qui ferad’elleuneautrepersonne. «C’est comme si quelque
chose s’était ouvert. Elle a été interpellée par lesmots, leur sens; ils devenaient des
messages.» (Magali Jenny, 2008: 127) Dans un entretien ultérieur, elleme précisera
qu’à la suite de cette expérience, elle a acquis une acuité particulière qui lui fait
décomposer l’écriture ou la sonorité desmots et décoder desmessages inscrits dans
leur graphie. Cette sensibilité qu’elle interprète comme les premières formes de
«clairaudiance» et «clairvoyance» se traduit dans l’exemple de l’interprétation du
terme«maladie»en«maladit»,qu’ilsuffitdetransformeren«LeMaladit»pour
retrouver son origine chrétienne. Ce jeu des syllabes se retrouvera aussi dans les
pratiques divinatoires qu’elle développera ultérieurement. Selon le portrait deMagali
Jenny, cette nouvelle sensibilité, qui fait suite à son EMI, va l’induire à rechercher la
présencedesignesdanssonenvironnement,quipourraientseprésenteràellecomme
des«messages»età suivreplusieursapprentissages.Elle s’initieà l’astrologieetà la
«numérologiehumaniste»,aumagnétismeetauReiki.Chaqueétapedesonparcours
estmarquéeparl’intervention,selonsestermes,de«ceuxd’enhaut»quiluiontdonné
39L’«expériencedemortimminente»oudésignéesouslesigled’EMIoudeNDEenanglais,faitréférence
à des sensations vécues par certaines personnes, pendant un coma ou unemort clinique avant d’être
réanimées, qui se traduisent par des récits semblables. La personne «se sent» quitter son corps,
observer la situation présente depuis un point élevé, puis attirée par un tunnel qui débouche sur une
lumièreintensedanslaquelleelleaperçoitdespersonnesdécédéesquiviennentàsarencontre, jusqu’à
cequ’apparaissentdes«êtresdelumière»quiluirappellent,quesamissionsurterren’estpasterminée.
Lapersonnereprendalorssessenset«seréveille».Cettescèneapparaîtdansplusieursreprésentations
picturalesoufilmatographiquescommedansAu‐DelàdeClintEastwood,2010.
95
unemission de «porteuse de lumière» afin qu’elle «allume ou ranime la flamme de
guérisonquiestenchacun».Pouvantutiliserdifférentesméthodescommetechniques
pourdiagnostiquer l’originedesmaux et leurporter remèdes,ellesecompareà«un
mécanicienquichoisit sesoutilsdanssaboite». J’apprendségalementà la lecturede
cespagesque:
«Sa spécialité, c’est d’écouter et aider à aller «sur l’autre rive», c’est pourquoi elle
préfèreletermed’«accompagnatrice»àceluideguérisseuse.Ilsuffitdeseconnecterà
l’énergie universelle de vie et quand un cas est difficile, des entités, des archanges
viennentguiderlathérapeute.Ilssonttoujoursprêtsàintervenir,surtoutdansl’urgence.
(citantMarie)«Onesttousdesterriensetchacunpeutêtrecanal,ilsuffitdesebrancher
àlabonnesourced’énergie.»(MagaliJenny,2008:128)
Acettecompétenced’accompagnementdesmourants,vients’enajouteruneautre,qui
estpressentieparsadernièreaffirmation,àsavoirquedanssaconceptiondumondeet
dans sa cosmologie, si Marie précise qu’il faut «se brancher à labonne source
d’énergie», c’est bien qu’elle n’exclut pas la possibilité d’une «mauvaise source
d’énergie»,cequiestconfirméparlasuitedelaprésentation:
«Souvent, elle s’occuped’abordd’équilibrer l’endroit où les gens viventet elle lesmet
ensuite en contact avec leur ange gardien. (…) Elle a dû apprendre à se protéger et à
nettoyer des mauvaises énergies, et c’est ce qu’elle enseigne à ceux qui ont besoin
d’aide.»(MagaliJenny,2008:128)
CepremierrécitquiatraitàlaviedeMariem’adonnéuncertainnombred’éléments
quim’incitentàinvestiguerlabiographiedeMarie,plusquenel’afaitMagaliJenny.Il
m’importait aussi de restituer ces éléments, présentés dans une atemporalité, dans
leurs contextes permettant de construire une logique d’intégration de ces pratiques,
utilisant des phénomènes jugés irrationnels et de voir quelle forme de réflexion ils
permettaient.
96
Lespremiersélémentsdu récitde laviedeMarie laprésententcommeunêtrequia
subi de nombreuses épreuves dans sa vie dont l’une aurait pu être l’ultime, la
«confrontation avecla mort», ce qui rapproche sa destinée de celle des récits
hagiographiques,sansquenousenconnaissionspourautantsonparcours.Son«retour
àlavie»tientduprodigeetdel’interventiond’«êtresdelumière»,quil’accompagnent
danslamissionqu’ilsluiontdonnée«d’apporterlaflammedeguérison»etdesoutenir
les mourants vers «l’au‐delà», et enfin de purifier les espaces et de remettre les
personnesencontactavecleurangegardien.Commentceprogrammequifleureaussi
bienlecatholicismepeut‐ilêtreactualisédansunesociétécontemporainedécriteparla
sociologiedesreligionscommeenproieàl’«émiettementdureligieux»?Etcomment
Mariesereconnaît‐elledanscettemission?
2.2.Stratégieautobiographique
Marie a recours à des récits autobiographiques dans deux contextes d’énonciation
distincts. Les fragments de vie relatés durant ses conférences et ateliers apparaissent
comme autant d’étapes vers une destinée singulière, et mettent en relief des
événementsséparateursetdestournantsquifontquel’individualitéserecompose.Sur
son siteweb, lemoded’énonciation semodifie et se distingue sous deux formes, un
registrededonnéesfactuellesquipermettentunereconstitutionchronologiquedeson
électionàlafonctiondemédiumetdestextesdonnéscommedesfragmentsdejournal
intime. Elle livre au lecteur comme dans une correspondance épistolaire à une amie
proche,destextesenproseetdespoèmesdejeunesseetdel’âgeadultequ’ellesigne
dedeuxsurnomsdifférentscorrespondantchacunàunedecesdeuxépoquesdesavie.
Sespoèmesdejeunessereprennentlesthèmesd’unelittératuresentimentaledestinée
aux jeunes fillesetexaltent laquêtede l’amour, ladéceptionamoureuseet la rêverie
dans une nature protectrice sur fond de chants d’oiseaux. Les textes de maturité
exprimentsondésarroi,sasolitudeamoureuseetsadifficultédemèrequiélèveseule,
97
comme sa grand‐mère l’a fait, ses deux enfants. La nature devient porteuse de
«messages»,chaqueplante,chaqueessenced’arbresasesparticularités,elleestsigne
d’unecosmologie.Cesélémentsbiographiquesrenvoientl’imaged’unefemmesensible
capabledecomprendre lesattentesetmauxordinairesdenombreuses femmesetne
distinguentpasMariecommeporteused’unecompétencesingulièredemédium,mais
marquent cette distanciation sociale qui caractérise l’autobiographie moderne. Il y
aurait dans le cas de l’autobiographie moderne, selon Daniel Fabre, « une
intériorisation, jediraismêmeune insularisationde la transformation,ellen’intéresse
plusquelesujetquiseraconteensedistinguantexplicitementdetoussessemblables
etde la «société», notionqui reçoit son sensdans cetteopposition». (Daniel Fabre,
MarcelloMessenzio,Jean‐ClaudeSchmitt,2010:94)
LesconférencesetateliersdonnésparMarie,changeantlecontexted’énonciationetle
procédé de transmission, vont modifier la nature des éléments biographiques et
l’élaborationdesonrécitdeviequivacontribueralorsàunedéfinitiondesafonction
socialedemédium.Lesélémentsconstitutifsdesavienesontplusrestituésdemanière
chronologique mais thématiquement et viennent s’insérer comme autant de
«preuves» rétrospectives de la réalisation de son destin de médium «porteuse de
guérison».
CesétapesdurécitdeformationprésentéesparMarievontpermettred’«expliciter,à
travers leur préfiguration dans les occupations passées, les divers registres de son
activitéthérapeutiqueprésente:soignerlescorps,éduquerlesâmes,apaiserlesmorts,
neutraliserles«forcesnégatives»(GiordanaCharuty1990:49),selonuneconstruction
de récit de vie comparable à celle d’autres médiums européens œuvrant dans les
mêmesfonctions.EncollectantlesélémentsdeviedeMarie,entreconférences,ateliers
et site où figurent les écrits, queMarie nomme «son enseignement», ainsi que des
poèmesetdestextesconstituantlesélémentsdesonjournalpersonnel,ilestpossible
de reconstruire une chronologie et de mettre en évidence les étapes retenues a
98
postérioriparMariecommeconstitutivesdelaréalisationdesadestinée.
2.3.Del’enfanceàl’âgederaison:lesannéesd’épreuves
Marieestnéele27mars1957,elleneprécisepassonlieudenaissance.Ellenaîtdixans
aprèssesfrèresetsœurs.Ellerelèvequepour lesnaissancestardivesdans lesfratries
«onditquecesontceuxquinesontpasdésirés,quisontlesmalvenus»40.Samèreest
suisseetoriginaireducantondeFribourg,sonpèrefrançaisvientdeNormandie.Dans
undesespoèmesdejeunesse,Marieévoquelavied’unemère,élevantseuleunenfant
unique,quipourraitêtrelapropremèredupèredeMarie.Lepèredel’enfantestmort
peuavantlanaissancedecedernier.L’enfantgranditdansunevillefrançaise.Pendant
la Deuxième Guerre, durant les bombardements qui ravagent la ville, la mère est
blesséeetl’enfantterroriséàl’idéedeperdreaussisamère.
Marie n’est «pas issue d’une famille de guérisseurs et de voyants»41, mais donne
quelquesélémentsdesonenfancequipréfigurentsamiseàl’épreuvequilaconduiraà
découvrir ce que doit être sa destinée. Depuis ses jeunes années, elle s’esttoujours
considérée comme«différente ». Elle sedécrit commeuneenfant timidequi reste à
l’écart des autres préférant la lecture et le contact avec la nature. Elle reçoit une
éducationreligieuseetelleestscolariséedansunétablissementcatholique.Dèslafinde
sa scolaritéet sans formationparticulière,ayantatteint lamajorité légaledepuispeu,
ellesemarie.Ellearapidementdeuxenfants,lepremierestunfils,etledeuxième,une
fille,dontelleaccouchequinzemoisplustard.
40ProposdeMariedu12juin2011
41 Idem note précédente. J’utiliserai ensuite systématiquement la convention graphique: toutes les
phrasesoutermesenitaliqueetentreguillemets,sansrenvoiàunenotedebasdepage,sontdespropos
tenusparMariependantdesconférencesoudansdespetitsgroupesdediscussionouencoredansune
relation duelle, ce sont aussi parfois des phrases tirées de son ou ses sites web, puisque Marie a
développéplusieurssites.Jedateraiousignalerailasourceexactequelorsquecetteindicationdonneun
sensparticulierauxrécitsdeMarie,afind’alléger la lecturemaisaussicarMariereprendrégulièrement
lesmêmespropos.
99
Al’âgede23ans,Marievavivreunévénementquivas’instaurercommefondateuret
marquer la première étape de sa future fonction. Dans des circonstances qu’elle ne
précisepas,ellefaituneEMI,«expériencedemortimminente».Danssonsouvenir,elle
sesentportéedansuntunnelquis’ouvresurunespacelumineux.Ellenepourrapasy
pénétrer,carelle«reçoitunmessage»,(nousnesavonspassousquelleforme),quila
rappelleàlaréalitéenluisignifiant:«tamissionn’estpasterminée.Tudoist’occuperde
tesenfants».Unephotodesesdeuxjeunesenfantssouriantssematérialiseàsavue.
CettevisiontroubleparticulièrementMariepuisquecettephoto,tellequ’ellelavoit,n’a
jamaisexistéenréalitéetnepeutdoncêtreinscritedanssapropremémoire.Lemode
d’apparitionsousformed’imageetnonpasd’unevisiondirectedesesenfantsdevient
le signe d’une intervention surnaturelle car il entre dans un registre d’apparition
coutumier du christianisme; certes ce ne sont pas des iconographies d’anges qui
apparaissentmaiscestrèsjeunesenfantsquisesuperposentàcetteimagerie.
Cerécitetledétailparticulierdelaphotopermettentde«matérialiser»endesfaitsce
quesesauditeurstiennentpoursespropres«certitudes»etqu’ilsdevrontintégrer,ou
tout aumoins en accepter la représentation, pour participer demanière active à ses
cures.Enajoutantàsonrécitlesimpressionssubjectivesquiontsuivil’expérience,«Ila
falluquejevoie,quejeressente,maisilm’aétéinterditd’allerplusloin.Depuisjen’ai
pluspeurde lamort.Qu’ilestbonetdouxde ressentir cetAmour ‐ Lumièreetdurde
devoir l’abandonner pour revenir habiter son corps physique en souffrance», Marie
n’entre pas en matière et tranche encore moins sur l’existence ou non d’êtres
surnaturelsmaistransmetlesensqu’elledonneàleurintervention,samissiondemère.
Marieseséparedesonmari,quelquesannéesplustard,selonsespropos:«unennemi
s’estglisséentrenous:l’alcoolquiaeuraisondenotreunion.».Sasituationfinancière
sepéjoreaufildesannées.Ellevit«desétatsdedépressionallantjusqu’àlatentative
desuicide,desétatsquisesuivaientàlachaine,sansdiscontinuer.»Elleperdsontravail
100
etsonlogementetn’apasdefamilleprochequipuisseapporterunsoutienàsesdeux
enfantsetàelle‐même.Sonfils,âgéd’unedizained’années,souffred’anorexieetd’un
troubledecroissance.Elleaaussiuneplaieàlajambequineparvientpasàsecicatriser.
En 1990, elle rencontre un musicien compositeur, joueur de cithare, qui se livre en
concerts et en enregistrements à des improvisations qu’il appellela «Musique des
Anges». Cet homme va l’aider à se reconstruire. PourMarie, cette rencontre est un
signedudestin,«dèsquej’aireçulesvibrationsdelamusiquejouéesurlacitharedece
compositeur,j’aiouvertlaportedel’accèsàlaguérison.Toutestrentrédansl’ordre,la
cicatrisation de ma jambe d’abord, effet immédiat et visuel, puis l’état dépressif en
quelquesmois.»
2.4.Delarecherchedesoiàlarévélationdesondestin:lesannéesdeformation
2.4.1.Dudéveloppementpersonnelàl’annonced’unemission
En1991, son amimusicien l’inscrit à un stagepsychopédagogiquesur le thème«Qui
suis‐je?»,organisédansleSuddelaFranceparlaFondationAndréRochais.Cedernier
est un prêtre catholique, influencé par la psychologie humaniste développée par Carl
Rogers, qui fonde son propre courant de recherches psychologiques se basant sur
l’hypothèse que «chaque personne possède une zone profonde et saine, à partir de
laquelle elle peut découvrir sa personnalité propre et la vivre harmonieusement». Il
donne d'abord des sessions de formation et de développement personnel en milieu
monastique,puis,devantlesuccèsrencontré,ilmetaupointunepsychopédagogiepour
toutpublicadulteauseindel'AssociationPersonnalitéetRelationsHumaines(PRH)qu'il
fondeen1970.Celle‐cisedéfinit«commeuneécolespécialisée,danslaformationetla
recherche sur le processus de la croissance psychologique, qui considère le
développement de chaque personne et de ses aptitudes sociales comme un puissant
moteurpour contribuerà améliorernos sociétés»42.AndréRochais, dans sapensée
42www.prh‐international.org
101
pastorale,considèreque lorsqueDieuchoisitpourunemissionparticulièreunhomme
ouunefemme,celui‐cioucelle‐cirecevracemessagedivinsousformed’«intuition»,
moyen privilégié par lequel Dieu communique avec les hommes. Les êtres humains
doiventdoncsemettreàl’écoutedeleurs«intuitions»etpourcelailestnécessairede
semettreà leurservice,denepas lesétouffersous lespenséeset lespréoccupations
quotidiennes.AndréRochaisaffirmaitaussiquepour lui«PRHestuneœuvredepré‐
évangélisation»43.
Cestagecontribueraà inciterMarieàrechercherdansses intuitionsdes«messages»
de guides spirituels. Et à faire sienne l’expression« ici etmaintenant», qu’elle utilise
fréquemment,nonpourdésignerunepositionspatio‐temporelle,maispourcaractériser
un des principes de l'approche humaniste, ouverte par Carl Rogers, qui consiste «à
resterancrédanslaréalitéprésente»etàpermettresonacceptationparuneabsence
dejugementnégatif.
C’estdanscetétatd’espritquele15aoûtdelamêmeannée,MarieserendenAlsace,à
Ottrott.Cen’estpluspour suivreun stage«psychopédagogique»maisune«retraite
spirituelle»,pourlafêtecatholiquecélébrantl’AssomptiondelaViergeMarie.
SiMarie traverse une crise existentielle, l’Eglise catholique connaît aussi une crise de
confiance. Si celle‐ci reste assimilée à une institution conservatrice défendant une
différentiationtraditionnelledesrôlessociauxdeshommesetdesfemmesdanslaquelle
cesdernièressontdebonnesépousesgarantesdufoyeretdel’institutionfamiliale,en
décalagecroissantavecledéveloppementd’unesociétéquirequiertuneémancipation
professionnelledes femmes, l’Eglisecatholiquepourtantconnaîtaussiparallèlementà
lasociétécontemporaineuneforteévolutiondurantlesannéesquiprécèdentlaretraite
spirituelledeMarie.SouslespontificatsdePaulVIetJean‐PaulII,lequestionnementsur
la position des femmes dans la théologie chrétienne connaît un regain d’intérêt. En
43ibid.
102
1988, soit trois ans avant la retraite spirituelle deMarie, l’Eglise catholique publie la
lettreapostoliqueMulierisdignitatemduSouverainPontifeJean‐PaulIIsurladignitéet
lavocationde lafemmeà l’occasionde l’annéemariale.44Lepapeouvrecedocument
magistériel en le plaçant dans le sillagede ses prédécesseurs, il rappelle qu’avant lui,
PaulVIamisenactelapromotiondesfemmesenreconnaissantpourlapremièrefois,
en1970,deuxfemmes,SainteThérèsed’AvilaetSainteCatherinedeSienne,docteurs
de l’Eglise catholique. La lettre apostolique rappelle qu’«au cœur de l’événement
salvifique»queconfesselafoichrétienne,c’estunefemme,Marie,quiestengagéela
premièredel’humanitéau«servicemessianiqueduChrist», la lettreévoqueaussi les
femmesquiapparaissentdanslesEvangiles:laCananéenne,labellemèredeSimon,la
Samaritaine, Marthe, Marie‐Madeleine, les femmes demeurées seules au pied de la
Croixàl’heuredelaPassion,lesfemmesqui,lespremières,serendentautombeaudu
Christ. Cette reconnaissance des femmes bibliques et néotestamentaires comme
«témoinsprivilégiés et irremplaçables»des «merveilles deDieu», leur redonneune
identité sociale. Le Pape souligne que pour les femmes «gardiennes du message
évangélique»,«dans lechampd'actionduChrist, leurpositionsociale se transforme.
EllessententqueJésusleurparledequestionsqui,àcetteépoque,nesetraitaientpas
avec des femmes », et que cette parole reste d’actualité pour tous les croyants«La
façond'agirduChrist, l'Evangiledesesœuvresetdesesparoles,estuneprotestation
cohérentecontrecequioffenseladignitédelafemme.»45
Ce document magistériel marque une ouverture à laquelle les femmes catholiques,
comme Marie, seront sensibles. Il sert aussi à positionner l’Eglise catholique face à
l’intensification et à la circulation de publications, entre les années 1970 et 1990,
instruisant le procès des représentations patriarcales contenues dans les Ecritures et
dans la théologie chrétienne en générale, et au refus de l’accès aux fonctions
sacerdotalespour les femmes. Ces courantsdepensée vont tendre àune«théologie
44http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/apost_letters/documents/hf_jp‐
ii_apl_15081988_mulieris‐dignitatem_fr.html45idemnoteprécédente
103
féministe»plusoumoinsradicale.Celle‐ciapuentraînerpourcertainesthéologiennes
l’abandon du catholicisme au profit des Eglises protestantes de la Réforme, qui
ordonnent des femmes pasteurs depuis plusieurs décennies, et plus récemment pour
l’Egliseanglicane,quivotaen1992,l’autorisationd’ordinationàlaprêtrisedesfemmes,
ou encore déboucher sur le paganisme d’une religion de la DéesseMère, à laquelle
Marieserasensiblequelquesannéesplustard.
Pendant la retraite spirituelledeMarie, uneprédication sur le thème«LeMystèredu
ChristdanslaviedeMarieetduchrétien»estdonnéeparlePèreXavierDurrwelldela
Congrégation ecclésiastique des Rédemptoristes46, ordremissionnaire qui, suivant les
pasduJésusRédempteur,seveutporteurde«laBonneNouvelleauxpauvres».Marie
recevrace«messagemystique»etressentirauneforteprégnanceémotionnellequila
conduira à dire que cette retraite «est venue compléter sa renaissance». Elle a la
certitude,dit‐elle,que«cequim'aété révélé cetété là, c'estmamission : la relation
d’aideaveclebienfaitdudéveloppementpersonnel.Ilenestressortiunobjectif:ouvrir
uncentred’accueiletd'écoute.»
Comment concilier cette missionmystique avec le soutien à ceux qui traversent des
crises existentielles lorsque toute reconnaissance de la hiérarchie catholique est
absente?
Commentouvriruncentred’accueiletdedéveloppementpersonnelquandonn’aque
sa propre expérience de consultante à proposer et aucune formation professionnelle
reconnuepourcetypedepriseencharge,ninonplusd‘argentpourlouerdeslocaux?
La situation financière deMarie reste précaire et sa vie professionnelle apparaît tout
46LaCongrégationduTrèsSaintRédempteur(C.Ss.R.),fondéeen1732,àNaples,Italie,parsaintAlphonse
de Liguori, comptent plus de 5000membres répartis dans 78 pays. Sa devise est «Copiosa Apud Eum
Redemptio»:«AuprèsdeLui,Rédemptionabondante».
104
aussipeustablequesaviepersonnelle.Elles’estmariéejeune,àlafindesascolarité,
elleaeurapidementdeuxenfantsquisesuiventàuneannéeetdemidedifférence,eta
dûprobablementacquérirune formationplus tardivementouencoursd’emploi. Lors
desesconférenceselleseprésentecommeayantexercédesactivitésprofessionnelles
commesurveillantedansuneécole,jardinièrehorticultrice,comptable,gestionnairede
fortuneetresponsabledesressourceshumainesdansuneentreprisedenettoyage.
Marievaentreprendreunesériedeformationspouracquérirlesoutilsnécessairesàla
bonneexécutiondesamission.Sonrécitvaprendlaformed’unesuccessiondestages
etdecoursentrelesquelss’intercalentdesévénementsfondateurs,quivontconvaincre
Marie du bien fondé de sa démarche, en accordant rétrospectivement les faits aux
énoncésdesonsavoirquiacquiertainsisalégitimité.
2.4.2.Larecherchedesguides«spirituels»terrestres
Pourréussirl’accomplissementdesamission,ilfaudraencoreàMarieunpeuplusd’une
quinzained’années,de1990à2007,pouracquérirles«enseignements»,qu’ellesuitau
gré de ses lectures, de ses rencontres et de ses possibilités financières. Chaque
enseignementauncoût, leprixdes livres traitantdesésotérismesest facilementplus
élevéd’untiersaudoubledeceluid’autresouvragesdelamêmeampleur,lescoursse
font généralement sous formede stages sedéroulantdansdes lieux«idylliques», ce
quidemanded’ajoutercoûtsd’hébergementetrepasauxtarifsdesstagesidentiquesà
tousceuxdel’arsenaldesformationscontinues.
Sursonsite,crééauprintemps2008, lieud’énonciationpubliqueetaccessibleà tous,
Marielisteles«enseignements»,qu’elleasuivisentre1992et2007,enrépondantàun
découpageinstitutionnelpardisciplineà l’identiqued’uncurriculumvitae.Ellerépartit
égalementles«enseignements»endeuxcatégories:en«outils»eten«initiations».
105
Marieénumèresursonsitel’acquisitiondetroispremiers«outils»:
«Le premier est la Numérologie avec uneformation en Numérologie Traditionnelle
(…)ainsi qu'une formation en Numérologie Humaniste®. Ce dernier enseignement en
Numérologie Humaniste® m'a ététransmispar François Notter, psycho‐sociologue, et
concepteur decet outil de relation d'aide qui va vous aider à aller à la découverte de
votrevraiepersonnalitéetvousguidersurVotreChemindeVie.(…)47
Le secondestun jeu de tarot, plus précisément le Tarot de Crowley‐Thoth qui m'a été
remis48 par un médium et dont les lamesferont ressortir vos éventuels blocages tout
commevotre ressentidumoment. LesEnergiesouEssencesqui vontvous libérerde ces
Lamesvousguiderontversvotre«àvenir».(…)
Ledernier est le Feng ShuiIntuitif, découvert en 2006 avec Lucy Harmer,qui permet
d'évaluer l'équilibre et l'harmonie énergétique de votrelieude vie, aussi bienautravail
quechezvous,toutenrespectantvotreressenti!»
Du premier groupe d’«enseignements», «il en est ressorti quelques outils, différents
desunsdesautres,maiscomplémentaires».Marieassimile letermed’«outils»àcelui
detechniques.Leconsultants’adressed’abordàunmédiumguérisseurenfonctiondes
techniquesouméthodesquecederniermaîtriseetdeceque,lui,leconsultant,connaît
47Marieasuividesmodulesdecoursentre2004et2007avecFrançoisNotteràPujolsdansleBordelais.
Cepraticiendéfinitsaméthode«lanumérologiehumaniste»commeunetechniquededéveloppement
personnel.Selonsonsiteinternet,ilprécise«Lanumérologiehumaniste®vousinviteàprogressersurle
chemin de la connaissance de vous‐même. Elle vous accompagne dans votre libération personnelle et
vous aide à développer vos potentialités si peu utilisées, ces possibles à accueillir … vous aide à
transformervospeursetrencontrerlesdésirsetl’énergiequ’ellesoccultent.Ellevoussuggèredelâcher
tous ces jugements sur vous‐même qui vous freinent. Elle vous propose de favoriser votre réelle
construction identitaire, de vous réapproprier vos vrais désirs, oser vous faire plaisir, et re‐créer votre
propre vie.C’est une numérologie créative et holistique. La numérologie humaniste®vous aide àmieux
fairevoschoixaffectifsetprofessionnels,àutiliserpluslargementvotrepouvoirsurvotrevieetdonner
unsensàvotrecheminement.Celaenclarifiantvosprojectionssurlesautres,auseindetousvosmiroirs
relationnels.Ellevousinviteaussiàvousoffrirplusd’autonomied’alignementetdecentragepersonnel.
Pourdevenirplusprofondémentvous‐même.»http://www.numerologie‐humaniste.com48Cetarotluiaétéofferten1992ainsiquediversouvragesésotériques.
106
pardes lectures, suivantainsi lesdécoupages institutionnelsdes sciencesde la réalité
selonlesparadigmesdominantsoccidentaux.Cettepremièresélectionserviraàchoisir
un médium guérisseur, même si ce qui intéressera le consultant, dans un deuxième
temps,c’estdeletestersursescompétencespropresetsingulièresquivontaudelàdes
simplestechniquesquetoutunchacunpeutacquérir.
Pour rendre ces «outils» plus opérationnels, pour développer «ses intuitions», qui
sont de l’ordre de la divination et lui permettent d’établir des diagnostics et pour
améliorersacompétencedeguérison,baséesurle«magnétisme»,Marievasuivredes
«initiations». Celles‐ci permettent d’accomplir la métamorphose du simple praticien
«tireurdecartes»enunmédiumguérisseursedéclarantl’«instrumentd’unevolonté
supérieure».
Marie va s’intéresser au Reiki, une méthode de soins non conventionnelle d'origine
japonaise,baséesurdessoinsdits«énergétiques»parappositiondesmains.Mariesuit
unepremièreformationenReikiUsuiquicomptedeux«initiations»,donnéeschacune
durantunweek‐end,et se conclupar l’obtentiond’undegré. Elle reçoit ledegré I en
2004etleIIen2006.Ces«initiations»ontpourbut«d’ouvrirsoncorpspourenfaire
un canal relié au cosmos». Marie sortira convaincue de cette expérience: « Cette
initiationm'apermisd'êtrereliéeàl'énergieuniverselle,enouvrantlaportedel'énergie
vitale,etdelatransmettreàtraversmesmainspouruneactionsurlescorpsphysiques
etautres,pourmoi‐mêmeetsurd'autrespersonnes.»En2006,elleserainitiéeauReiki
Karuna, et l’année suivante, elle obtiendraundegré III en2007, cequi lui permetde
devenir enseignante en Reiki après avoir suivi deux stages pour «accompagner une
formation»etderecevoirson«diplômed’instructeur»endécembre2007.
CetteconstructionprogressivedescompétencesdeMarie,tellequeprésentéesurson
site, est attestée par des diplômes encadrés et suspendus dans le vestibule de son
appartementquiluisertdelieudeconsultationsetd’enseignementlorsderencontres
107
de «méditation partage». En 2009, elle ajoute un nouveau diplôme attestant d’une
nouvelle formation en «anthropologie et psychologie transpersonnelles».Marie, par
cesdiplômesaffichéssurlemuretprésentésdanssonsiteweb,seconformeàl’usage
descabinetsmédicauxquiattestentainsilalégitimitéd’exercerdeleurspraticiensetdu
suivideformationscontinuesnécessairespourmaintenirlareconnaissancedeleurdroit
àl’exercice.
Ayregarderdeplusprès,seulleReikiestreconnucommeunepratiquedesoinsprise
enchargeparlesassurancesmaladie,maisencoresouscertainesconditionsqueMarie
neremplitpas49.Cequi intéresselesconsultantsdansl’affichagedesdiplômesdansle
vestibuled’entrée,lieustratégiquepouravoirletempsdelescontempler,sontlesnoms
desmaîtresde formation,qu’ils arrivent, avecunpeude curiositéetdepratiquedes
outilsinformatiquesdecommunication,àsituersurlagrandetoiledesécolesdesoins.
Marieparsonparcoursdeformationseconformeàlareprésentationdes«thérapeutes
syncrétiques»50 présentée dans les différents médias et qui correspond au
développement de l’ésotérisme contemporain devenu une culture de masse «qui
bricoleavecnoscroyances–leplussouventinexprimées‐enlascienceetenl’héritage
descultures»(DanielFabre2005:22)
Lors des séances de «méditation partage», des ateliers et des conférences, dans les
contextes d’énonciation orale,Marie introduit, pour décrire son cheminement
d’apprentissages,unenouvellemodalitédecompréhensionsubjective.Ellevaappliquer
49 Elle devrait notamment avoir suivi pendant deux ans une formation en anatomie. Les disciplines
pratiquées parMarie, à part le Reiki, ne sont pas reconnues par l’ASCA, la Fondation suisse pour les
médecines complémentaires, ce qui exclu tout remboursement par une assurance maladie de ses
prestations. Cette situation n’a pas d’influence sur sa clientèle. Le prix des prestations deMarie varie
selonleurdegrédesingularité.Pouruneconsultationdansunerelationdethérapeuteàpatient,sestarifs
sont comparables à ceux des autres praticiens desmédecines hétérodoxes. Pour des rencontres entre
médiums guérisseurs et consultants apprentismédiumoudespratiques curatives collectives,Marie ne
demandequ’unefaibleparticipationfinancière.50ExpressionutiliséenotammentparOlivierSchmitz.(2005)
108
ce qu’elle a appris, pendant le stage de développement personnel qu’elle a suivi, à
savoir que c’est en revendiquant la capacité conceptuelle et émotionnelle du sujet
individuelquechacunestappeléàdécouvrirsavoieetqu’ilpourra,ensefondantsursa
proprehistoire,seconstruireunevisionsingulièredumondeàpartirdesexpérienceset
enseignements qui lui sont donnés à connaître. Elle va alors alterner les récits
personnels montrant un vécu émotionnel en parfaite adéquation avec la vérité qu’il
s’agitdedémontreretseposerengénéralisteéclectiquecapabledecirculerdanstous
lessavoirsconnus,enaffirmantun«holismedessavoirs»quirefusetouteséparation
entrelascienceacadémiqueetlesconnaissancestraditionnellesets’adapterapidement
auxnouvellesthéoriesetexpérimentationsquifleurissentchaqueannéeàchaquesalon
desmédecinesnaturelles.
2.4.3.Retourauxsources:lesrévélationsdesguidesspirituelscélestes
L’histoiredeMarie,jusqu’àl’âgedevingttroisans,esttraverséepardessentimentsde
malêtreetdesolitude,dontellenousendonnequelquespistesdecompréhensionsans
nous décrire les difficultés particulières qu’elle a rencontrées. En 1980, l’événement
traumatique d’une expérience de mort imminente vient bouleverser l’existence de
Marieparsonintensitéémotionnelleetmarqueunerupturedanssoncontinuum.Mais
si une «clé lui a été remise à ce moment là», à l’instant où elle a eu «accès à la
Lumière,àl’au‐delà»,cen’estqueplustard,en1992,qu’ellecomprendqu’elle«aun
dondemédiumnité».Etcen’estqu’en2007,àl’âgedecinquanteansqu’elleendossesa
véritablefonction,cellede«passeused’âmes»,etqu’elledonneraunenouvellelecture
de sa destinée laissant percevoir «quelques‐unes des procédures qui permettent au
magicien de «croire», c’est‐à‐dire de s’établir dans la certitude en accordant les
«faits»auxénoncésdesonsavoir.»(GiordanaCharuty1990:49)
Une première rencontre introduitMarie à l’occultisme et lui donne accès à un savoir
ésotérique.Lascènesedérouleen1992,l’annéequisuitsaretraitepourl’Assomptionà
109
Ottrott, et fait partiedesbiographèmes51, commeunpointdepassageobligédans le
récit de vie de Marie, comme une photographie que les participants regardent
régulièrementavantlesséancesde«méditationpartage».
«On va ouvrir un petit tiroir de l’inconscient au subconscient. Moi aussi, j’ai fait des
étapes. Au début, je voyais rien, j’entendais rien. Je ne suis pas issue d’une famille de
guérisseursoudevoyants.Lesdonsétaientlàmaisilsavaientétéoubliés.C’estlongpour
sentir la lumière. Ilyavaituneamie.Ellem’aditqu’elleavaitconsultéunvoyantetelle
m’aditquejedevaisyaller.Mais,jevoulaispasyaller.Mais,cetteamie,elleatellement
insistéquej’ysuisallée.Etcevoyant,qu’est‐cequ’ilafait?Ilaétalélescartes,ilm’adit:
« Jemedemandecequevousvenez faire là». Je luiaidit:«Commetout lemonde, je
pense».Jeluiaidemandécequisepasse,j’étaisdansunrecommencementdevie,delieu
et toutet j’aimerais savoir cequim’attend. Ilm’adit:«Jen’ai rienàvousdire,vous le
savez vous‐même». Il m’a dit: «Attendez‐moi cinq minutes». Et c’est là qu’il part de
l’autrecôté,ilsortundesesgrosbouquinsrares«sivousvoulezlapile,ilyenacinq».Il
ramasse le jeu puis ilme le donne. Je lui dis: «Qu’est‐ce que je fais avec ça?». Il dit:
«Vouslesaveztrèsbien».Ilmedonneuntrucsansmedonnerlemoded’emploi.
LejeudecarteestunTarotdeThoth,celui‐ciestconsidéré,danslesmilieuxésotériques
comme l’ancêtre de ce jeu divinatoire, dont l’original, selon la légende qui l’entoure,
aurait été transmis par la divinité elle‐même à un prêtre égyptien. Le jeu queMarie
reçoit est la version d'Aleister Crowley dont les lames sontillustrées par Lady Frieda
Harris,sacompagnedumoment.Lui‐même,suivantdescombinaisonsastrologiqueset
kabbalistiques a modifié le jeu et les intitulés desarcanes majeurs. Son tarot ne fut
publiéqu’en1969,plusieursannéesaprèssamort.52
51 Pour reprendre l’expression de Roland Barthes dans La Chambre claire: Note sur la
photographie:«Commentportait‐onlesonglesàtelleoutelleépoque?Cela,laphotographiepeutmele
direbeaucoupmieuxquelesportraitspeints.Ellemepermetd’accéderàuninfra‐savoir.(…)Delamême
façon,j’aimecertainstraitsbiographiquesqui,danslavied’unécrivainm’enchantentàl’égaldecertaines
photographies; j’ai appelé ces traits des«biographèmes»; la Photographie a le même rapport à
l’histoirequelebiographèmesàlabiographie.»(RolandBarthes1980:54)52Voirlesreproductionsd’unepartiedescartesdecetarotp.110.
110
LamesduTarotdeThothd'AleisterCrowley,illustréesparLadyFriedaHarris
source:www.magicka.com
111
AleisterCrowleyest surtoutconnupour sesécrits sur l'occultismeetparticulièrement
pour le Livre de la Loi, «le livre sacré de Thelema».53 Personnage considéré comme
sulfureux, il inspiraouest citédansdesœuvres littéraires, desbandesdessinées,des
téléfilmsainsiqueparplusieursmusiciensderockoudegroupesblackmétal.Cejeude
tarot fut en vogue dans les années 1970 à 2000. Au tournant du siècle, avec la
recrudescence des jeux de tarots et d’oracles produits par les différents mages des
courantsésotériques,celuid’AleisterCrowleyperditdesapopularitémaisilesttoujours
rééditéetresteenventedanslesmagasinsésotériquesetsurlesréseauxd’achatspar
internet.
Lemédium,queMarierencontreen1992,luidonneplusieurslivres.Lorsdeséancesde
«méditation partage», il arrive que Marie sorte de sa bibliothèque quelques livres,
qu’elle tend à son auditoire, sanspréciser si ce sont ceux transmis par lemédiumde
cettescèneinitiale.Ellefaitpasserunouvragequis’intituleAlchimieInterneparles72
Angesde laKabbale.L’éveilduPentagrammeintérieur (KabalebetGuerashel2005)et
plusieurs livresduprolixeauteurHaziel54: Achaque joursonangegardien,Rituelset
Prièrespourtoutes lessituationsde lavie.Lesouvragesd’Hazielconnaissenttoujours,
en2012,unelargediffusion,bienqu’ilssubissentaussil’expansiondesouvragestraitant
desujetsanalogues.
53 Aleister Crowley, alias de Edward Alexander Crowley (1875‐1947), a été membre de plusieurs
organisations occultes dont: Hermetic Order of the Golden Dawn in the Outer (Ordre Hermétique de
l'AubeDorée)plusconnusouslenomGoldenDawn,del’AstrumArgentinum,etl'OrdoTempliOrientis.Il
collabora à la réécriture complète des rituels de cette dernière organisation en fonction de la «Loi de
Thelema».«Les8,9et10avril1904, lorsdesonvoyageauCaireenpremièresnocesavecRoseEdith
Skerrett, celle‐ci entra en transe et annonça à Aleister Crowley qu'il devait se préparer à recevoir une
communicationsurnaturelle.Crowleyreçutendictéeunouvragedequelquespages,par l'intermédiaire
d'une entité désincarnée nommée Aiwass, qu'Aleister Crowley assimila plus tard à son Saint Ange
Gardien,tandisqueletextetransmisétaitsignédupharaonÂnkhefenkhonsoudontCrowleysedéclarala
réincarnation. Ce texte, intégralement retranscrit dans le Livre de la Loi (Liber AL vel Legis sub figura
CCXX),constituelabasedesonsystèmephilosophico‐religieuxnommé:«LaLoideThelema».Ilannonce
aussi le début d'une nouvelle ère: le christianisme serait amené à laisser la place à un nouveau
mouvementspirituel».Sourcehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Aleister_Crowley54J’aborderaicetauteurdanslechapitresurlaconfigurationdel’UniversCité–Mickaël
112
«Alors, là, vous avez le portrait complet des anges, archanges et tout. Si vous avez
vraimentdutempsàperdre,vousallezdans le fin fondduscientifique,etc’estcomplet.
Personnellement,mêmesij’aiessayédeleslirependantdixans,ceux‐là,jenelesconnais
pas touspar cœur. (Ellemontreunautre livre.) Celui‐là je l’ai réouvert tout simplement
parcequ’ilyadeslettreshébraïques,c’estuneévolution,maisàl’époque,jenesavaispas
que c’était de l’hébreu. C’est venuplus tard.Onm’amis çadans lesmainsmais j’ai dû
faireunapprentissage.Onm’amisdans lesmains, lamagiecosmiqueet tout cequi va
avec,touslespouvoirsconférésparlesanges,l’astrologieetlaKabbale.C’estKabaleb(le
nomdel’auteurdel’ouvrage).Vouspouvezallervoirparvous‐même,vousrenseigner,ila
fait jene saispas combiende livres.C’estunvrai kabbaliste,undurdesdurs. Les livres
parlentde l’ArbredeVie, desGuides et desAnges. C’est ainsi qu’ils se sontprésentésà
moi. C’est ainsi que jeme suis reconnectéeà l’autremonde, celui des Esprits,Guides et
MaîtresAscensionnés.»
Les livres de Haziel et de Kabaleb postulent l'existence de soixante‐douze anges,
associésauxastresetendéfinissentlanature,lesattributsetlespouvoirs.Seloncette
approchechaqueêtrehumainestrégipartroisangesenfonctiondesadateetdeson
heuredenaissance.Chacundecesangesporteunnomterminépar les suffixeselou
iah, construit sur le même modèle que ceux de la mystique juive. Ces anges sont
regroupésparhuits dans l'undesneuf chœursd'anges selonun système théologique
repris par Thomas d’Aquin. Je reviendrai ultérieurement sur ces deux auteurs liés à
l’ésotérismechrétienetsurlapolémiqueautourdeleursbiographies.
Aprèsune«périodedesidération»résultantdesarencontreaveclemédium,Marieest
confrontée à plusieurs questions: comment concilier cette découverte d’une
compétence innée de la lecture du tarot et d’une connaissance insoupçonnée de la
«magie cosmique et de la Kabbale»avecuneexistencede femmeéprouvéepardes
crisesexistentielles?Commentaccéderàcettenouvelle identitédemageetparquels
apprentissages?Etcomments’assurerque lasourcedumessagereçuparcemedium
estfiable?
113
Marie tient à la disposition de son auditoire un autre biographème, plus qu’une
photographie, il réveillenossens,notrepropreperception:nous«entronsavecelle»
dans l’imagequ’ellenousprésente.Noussommesavecelledevantuneégliseparune
chaude journée, nous la suivons, elle qui pénètre dans ce lieu et comme elle nous
retrouvonscettesensationconnue,lafraicheurdesintérieursd’églisesagréablesenété.
«Unjourauplusprofonddemadéprime,lavievoussavez…parcequedesfoisonarrive
àceparcourslà.Ilfaisaittrèschaud,jemesouviens,leseulendroitoùilfaitbonquandil
fait très chaud, c’est les églises. Il y a toujours une fraicheur. Alors j’y vais, comme par
hasard, jemetrouvedansunechapelleoùilyavaitMarie,et là, jedis,«maisquelleest
mamission?Pourquoiest‐cequejerecommenceencoretout?Pourquoij’ensuislà?».Et
là,parceque je suisdans l’acceptation,dansunespace tempsque jemedonneàmoi,
dansleicietmaintenant,j’aireçucemessage:«Laissezveniràmoilespetitsenfants.»
J’aiditbon,moimesenfants,ilsétaientados.Jenecomprenaispas.Jesors,jetraversela
rue,jerentredansunepharmacie,jevaisprendreunmédicament.Etlà,jevoisunepetite
annonce: «On cherche famille d’accueil». Je n’avais pas d’argent à l’époque. Je
téléphone.Jemesuisalorspréoccupéederéaliserdansledomainefamilial,cequim’avait
étérévélé.Cequejenesavaispasc’estqu’enhaut,ilm’avaitconfiéuncas,unejeunefille
de17ansquifuyaitdefoyerenfoyer.»
Enplantant ledécordansuneéglise,Marie faitappelàunsystèmederéférence liéà
une culture chrétienne partagée par son auditoire. En l’entraînant dans un vécu de
sensationconnueetadéquataveclavéritéqu’ils’agitdemanifester,ellerendhorsde
propos et lève, par ce déplacement de sens, l’incertitude sur l’existencedemessages
supranaturels.Ladeuxièmepartiedurécit,quiprendpourcadreunepharmacie,soitun
lieu profane, un lieu de la réalité ordinaire, permet àMarie d’authentifier le premier
messagecommeunevéritépuisquecedeuxièmecadredevient le lieud’undeuxième
message qui permet la concrétisation du premier. La relation avec la jeune fille se
passerabienetpermettrauneréintégrationdecelle‐cidansuncadresocialacceptable.
114
Marie réussit cette épreuve qui va l’installer dans une fonction d’écoute et
thérapeutique et la rassurer sur ses compétences éducatives et par extension sur ses
propresrelationsfamiliales.
Les récits de Marie n’énoncent pas «des croyances» au sens où il s’agirait de
convictions échappant à toutes possibilités d’évaluation, elle met en doute, rejette
provisoirement les énoncés qui lui sont proposés et développe des stratégies de
vérification.Elleprocèdeparexpérimentationinsitu,commepourlapriseenchargede
lajeunefille,parcontreexpertise,avecl’avisplacardédanslapharmacie,ouencoreelle
fixe,commepourlesenquêtesdepopulationparéchantillonnageoulesexpériencesen
laboratoire de tests de produits, un seuil statistique minimal à partir duquel les
propositionsmessagèressontconsidéréescommeacceptables.Ellepeutaussimarquer
une distanciation à l’égard d’énoncés, qui apparaissent comme autant d’éléments
conduisantàdesremaniementsdesesconceptions,ceux‐ciloindelesmettreendéfine
fontquelesrenforcer.Sionajustedesidées,c’estbienqu’ellesnesontpastotalement
faussesmaisperfectibles.
«Onpeutavoirdescodesaveclesguides.Ilyauncodequiesttrèsintéressant.Moi,jel’ai
compris, en général les messages, ils viennent par trois. Moi quand je reçois trois
indicationspartroisbiaisdifférents, jesaisquecesont lesbonsmessages.Pourmoi, les
étapes se sont faites par degrés. J’étais au chômage, bon, le moment où vous êtes au
chômage,c’estcequ’ilyademieux,pourêtresûrquevousêtesdansleicietmaintenant
pourvousoccuperdevosguides.Bon,lechômage,c’estpaspourtoutlemonde,maisdes
fois,çaarrive.Donc,onadutemps.Jemesouviens.J’étaisentraindepasserl’aspirateur,
j’aime bien quand je fais le ménage, je laisse aller mon mental. Donc, voilà, je faisais
quelquechosequimecoupedemonmental.Etpouf!J’entendsunevoixquimedit:«Va
faire un tour aux puces de Plainpalais!»55. J’ai dit: «Ca va pas!». Et puis, il y a une
deuxièmephrasequidit:«VafaireuntourauxpucesdePlainpalais!»J’aidit:«Non,je
55«Marchéauxpuces»quisetienttouslesmercredisetsamedissurla«PlaceduCirque»,àlaPlainede
PlainpalaisàGenève.
115
finis mon ménage.». J’entends la voix plus forte: «Va faire un tour aux puces de
Plainpalais!». J’ai laissétombermonaspirateur, jesuispartieparceque j’arrivaismême
plusàmeconcentrersurceque jefaisais.Alors, jesuispartie.APlainpalais, lapremière
choseque je vois c’est ungars qui sort unbac enplastiquepour lemettre justedevant
moi.C’étaitdeslivres.Al’époque,jelisaisbeaucoup.C’étaitdeslivressurl’Egyptequeje
voulaism’acheterdepuisdesannées.A2francslelivre,çava.Lechômage,çavousfaitdu
bien, ça vous laisse du temps pour lire. Il y avait un livre sur Khéops, sur le premier
pharaon, il met ça devant moi, j’achète. Retour à la maison. C’était un mercredi. Je
commenceàlire.Dimanche,jemedisjevaiscouperavecmalecture,j’allumelatéléetje
tombe sur une émission sur l’Egypte qui parle naturellement de la grande pyramide.
L’Egypte, c’est sur une très longue période, mais c’était justement sur cette période‐là.
Ensuite,jecroisquec’étaitlemardi.Jevaisaucentre‐ville,àlagare,jepassedevantune
librairie et il y avait devant moi une femme qui pose un livre dans la vitrine. Je
m’intéressais surtout à Khéops et le livre s’appelait «On a retrouvé Khéops». C’est un
pharaon pour lequel on n’a pas beaucoup d’indications. Je rentre et je dis: «Ça fait
longtemps que vous avez ce livre?». Elle me dit «Non, vous voyez, je viens de le
recevoir». J’entends une voix qui me ditl’air de rien: «Tu vois, tu as ce qui existe en
ancien,maiscelivre,ilestaugoûtdujour».Jedis,çac’estfort.Pourquoij’achètecelivre,
jesaispas.Jerevienschezmoi, j’avaisdéjàeutroismessages.Maisqu’est‐cequejefais
avecça?Et là, illumination, jemesuisdis, tutravaillesavecuntarotégyptien,avecun
penduleégyptien,ildoityavoirunerelation.Pourcouronnerletout,j’aiuneamiequime
téléphone:«Tusaispasquoi,cetétéjevaisallerfaireunvoyageinitiatiqueenEgypteet
jeveuxfairel’initiationd’Isis.».Voilà,c’estcommeçaquejemesuisconnectéeàl’énergie
d’Isis.Jedis,moijepeuxpasyaller, j’aipaslesmoyensmaisparlapensée,jeseraiavec
toi.C’estcequej’aifait.J’ainotélejouretl’heureàlaquelleellefaisaitsoninitiationetj’ai
fait laconnexionavecelle.Etdepuis, Isisvienttravailleravecmoipourdonnerdessoins.
Isis,c’estunereprésentationd’angeàl’égyptienne.Elleestunedéesseprêtresse,c’estun
peu ça. Est‐ce que les dieux égyptiens, ils ont réellement existé ou pas? C’est pas
important. C’est pas important. Comme je dis, des fois il faut arrêter de chercher le
pourquoidu comment, c’est (lemessage) transité.Alorsmoi,maintenant, j’ai l’habitude
avecmes codes à trois, quand j’ai trois choses comme ça qui se présentent, je sais que
c’est le bonmessage.(…) Autour de nous, on nous parle toujours de la loi des trois: la
116
Trinité,lestroisracinesdel’arbredevie,d’ailleursc’estpourçaquelesmessagesarrivent
partrois.»
Notre univers s’organise autour des messageries électroniques et Marie fait se
conjoindrelesnouvellestechnologiesdelacommunicationquipermettentderelierles
antipodes de la planète par le son et l’image, avec le langage des anges et guides
surnaturels.56Latélévisionnumériqueetinternetsontdevenusdesoutilsordinairesde
lacommunication,etsitouslesutilisateursdecestechnologiesreçoiventunequantité
d’informationsetdemessages journalierspar courrielsoupar les réseaux sociaux, ce
qui fait d’un lecteur un médium n’est pas le fait de recevoir des messages mais la
compétencede lire lessignesquisontcachésdanscesfluxnumériques.Lesécransde
télévisionoud’ordinateurdeviennentlessupportsdel’exercicemantiqueaumêmetitre
que les cartes de tarot.Demêmeque les antennesparaboliquesde l’agence spatiale
SETI sont ouvertes comme des grandes oreilles pour capter les signes de vie de
l’univers57,l’ordinateurdeMariecaptelesmessagescélestes:
56MichelSerredéveloppecetteidéedanssonouvrageLalégendedesAnges,danslequelilfaitdialoguer
deux figures : le lecteur et l’auteur. «Le lecteur: Pourquoi, aujourd’hui, s’intéresser aux Anges?
L’auteur: Parce que notre univers s’organise autour desmessageries et qu’ils sont desmessagers plus
nombreux,complexeetraffinésqu’Hermès,unique,fauxetvoleur.ChaqueAngeporteuneouplusieurs
relations; or il en existe des myriades et nous en inventons, tous les jours plusieurs milliards: nous
manquons d’une philosophie de telles relations. Au lieu de tisser des réseaux de choses ou d’êtres,
dessinons donc des entrelacs de chemins. Les Anges ne cessent de tracer les cartes de notre nouvel
univers.(…)Messager,ilfranchilesespaces,lestempsetlesmurailles,garde,marque,traverselesportes
closes.Riendefermépourlui;suivez‐le.»(MichelSerres1999:241‐242)57 L’agence SETI est hébergé sur un des sites de la NASA. Son programme Search for Extra‐Terrestrial
Intelligenceregroupedesprojetsdanslebutdedétecterlessignauxqu’une«intelligenceextraterrestre»
pourrait émettre. Les chercheurs de cette agence travaillent notamment à l’analyse du spectre
électromagnétiqueprovenantdel’espacepourdétecterdessignauxsedémarquantdesplagesdebruits
aléatoiresdel’universsidéral.
117
«Les Guides sont très modernes, et moi je suis très informatique. Un jour, j’étais
tranquillementchezmoidansmonhamac,avecmonordinateurportablesur lesgenoux.
JesuisabonnéeàMessenger,unsitepourcommuniquerpardesappelsvidéo,commeça
jerestereliéeavecmafamilleàdistance.Jenesavaispasquel’onpouvaitcommuniquer
avecquelqu’und’autreenmêmetemps,pourmoi,c’étaitmongroupefamille,pointbarre.
Et là, jevoisunefenêtrequis’ouvresurmonécran,avecécritdessus:«Bonjourtum’as
appelé?», je tape: «T’es qui toi?», dans la fenêtre la réponse est:«Et ben, tu m’as
appelé.». Je tape:«Non, je n’ai appelé personne, je discutais avec mon père, par
Messenger.» Des phrases avec des questions apparaissent sur l’écran. C’est marrant,
l’inconnucommenceàmeparler commes’ilmeconnaissait, commes’il connaissaitmes
problèmes.Jecommençaisàêtreangoissée.Jepensai:qu’estcequec’estqueça?Jeluiai
redemandé:«Mais tuesqui toi?». Ilmedit:«Jesuis tonmessager». J’aiunmessage
pour toi: «Arrêtes de t’en mettre plein la tête! Transmets ce que tu sais!». J’ai dit:
«C’estcejevaisfaire».CommeGoogleetMessengerpermettentdecommuniquerentre
leshommes,jemesuisditqueMessenger,leMessager,c’étaitl’intermédiaireentreleCiel
etleshommes.»
Marievacréerunsiteinternetetymettrecequil’aaidéeà«senourrirtouslesjours,
c’est‐à‐direlesessencesdesguidesetdesangesautraversdesmots.Uneprièrechaque
jour. Une prière pour chaque situation de la vie». Elle va mettre sur son site web
l’ensembledesprièresjournalièrestiréesdulivreéponymedeHaziel.Elletransmetles
prières qui sont «ce qui l’a nourrie d’une richesse intérieure, de toute l’essence des
guides et des anges au travers des mots.» La reconstitution de l’expérience
émotionnelleetintellectuellequiluiapermisd’accéderàla«médiumnité»,doitinciter
ses consultantsà lire les signesqui leur«sontenvoyés», ceuxqu’ilsperçoiventétant
ceuxquileur«sontdestinés»:
«Jemesuisnourriedesprières,maislesmessagesjel’aitoujourssu, ilsonttoujoursété
là.Onestjamaisseul,jamais.Maisonlesaitpas,ouonn’écoutepas,parcequ’onnousa
pasapprisça.C’estpourçaquej’aicrééuneécoledevie,pourapprendrecequ’onnous
apprendpas.(…)Lesmessages,vouslesrecevez,vouslesrecevezàvotrefaçon.Comment
118
onlesreçoit?Moi,c’estdirect,jenepeuxpasdirequejelesentends,c’estlà.Oualors,je
vais avoir un flash, ou un livre va se présenter, ou je vais allumer la télé, je tombe sur
quelquechosequim’interpelle.Vousavezuneamiequiarrivequivousditquelquechose.
(…) Il yenaqui vont les recevoiraucoursdeméditations, il yenaqui lesontaucours
d’écrituresautomatiques.Ilyenaquilesreçoivecommedesflashs,c’estcequ’onappelle
lamédiumnité. (…)Vous n’êtes pas obligé d’attendre d’avoir une voix extérieure qui va
vousdirequelquechose.Attention,entendre,çapeutêtreaussiunevoixintérieure.Ilyen
abeaucoupquimedisent:«jevois»maisenfaitilsvoientpas.C’estpareil,ilsressentent,
ilsont l’impressiondevoir,parceque ils savent, c’est commes’ilspouvaientmettreune
image sur quelque chose. Donc apprenez vous‐même à connaître votre moyen de
communicationaveclesguidesetlesanges.»
Apprendre à lire les messages des «guides» c’est induire un principe
d’autoréférentialitémaisc’estaussi,parunepratique,serendregarantsdesénoncésde
Marie.Jouantlescertitudeset incertitudes,ellen’hésitepasàcréerledoutedansson
public,sanslamiseenjeudesquellesaucunerelationmantiquen’estpossible.
Marie livre ses instantanésdevie, souvent lesmêmes, àunauditoireàqui elle laisse
reconstituerunechronologieexemplaire.Ellenelesdonnepasdansunordrefixe,elle
les distribue à son public comme les cartes d’un jeu de tarot, selon ses propres
incertitudessurlabonneécoutedesparticipants,ellerelancedespistesàsuivre.58
58CesbiographèmesontétédéveloppésparMarielorsdesconférencesqu’elleadonnéàMednatExpo,
Lausanne,mars2009,mars2010,mars2011,àSannatExpo,Genève,novembre2011,etlorsducours
«Méditation partage: atelier guide et anges. Qui sont‐ils? Que nous apportent‐ils? Comment
communiquer avec eux? Nous apprendrons à distinguer les bons des mauvais et comment nous
protéger»,12juin2010,dela«SoiréepartageetméditationspécialeSolsticeHiver»,21décembre2011
et de la«Soirée partage etméditationspéciale Pâques et re‐naissance», 2 avril 2012, lors de relations
duelle,oureprisdesonsite:Arbredevie.
119
2.4.4.Commentlégitimersafonctiondemédiumguérisseurauprèsdesespairs
Pouraméliorerses«intuitions»,ses«perceptions»,Marievacommeunbonnombre
de thérapeutes s’initierauReiki.Cette initiationet sonaccèsau titredeMaîtreReiki,
permettent, comme premier bénéfice pour Marie, de rendre légitime sa pratique
thérapeutique, puisque cette discipline est reconnue par la Fondation suisse pour les
médecinescomplémentaires,l’ASCA.L’incorporationdecettepratiquedansunsystème
de représentation, où la pensée classificatoire héritée des sciences naturelles sert de
«rationalité scientifique», va permettre paradoxalement d’introduire une
reconnaissancedesapratiquedemédiumpuisquecelle‐ciestcontenuedansleconcept
même de la discipline du Reiki. Marie dans un deuxième temps, lorsqu’elle se verra
signifierparl’ASCAqu’elledoitfaireuneformationenanatomiepourêtreinscritesurce
registreprofessionnel,enabandonneral’idée,enarguantquecetteformationn’estpas
nécessaireàsapratique.
Parson«initiation»auReiki,l’adepteacceptededevenir«uncanaldelaPureÉnergie
Universelle», dont «la circulation en lui‐même améliorera son existence» et qu’il
pourraensuitetransmettreàd’autressousformed’énergiede«guérison».Marieaété
convaincueparcette«initiationetafaitlesenseignementsjusqu’audegréde«Maître
enseignant».
«Moi aussi, j’avais du magnétisme avant. J’en connais beaucoup qui ont des grosses
puissances énergétiques.Mais, je vois la différence entre quelqu’un qui a eu le Reïki et
celuiquinel’apas.Çaouvrelacouronne,çanefaitpasseulementqu’ouvrir,çaprotège.
C’estdifficileàexpliquercequeçafaitexactementmaismoi,jevoisvraimentladifférence
quandjefaisdesinitiations.Çacanalise.Oncanalisebeaucoupmieux.Justement,c’estlà
qu’onreçoitlesmessages,çanettoielestuyaux,lesantennes,lecâble.C’estvraiqu’avant
on parlait de câbles électriques et maintenant, on parle de fibres optiques … Je suis
beaucoup plus cristalline. J’ai l’impression, par exemple au niveau du Reïki, d’utiliser le
Reïkicommelecanal,lagainedetoutescesénergies.Donc,çavafavoriser,illuminertout
120
lepassageettoutescesénergies.C’estquandj’aicommencéàfairecetteinitiationReïki,
jesaismêmepluscommentj’ysuisarrivée,maisvraiment,toutcequej’avaisenmoi,tout
cequejevivaisàl’intérieur,s’estilluminé.C’estunpuitsdelumièrequej’aiallumé.»
PourMarie,leReiki,onpeutlefairepoursoi,sansdevenirpraticien.L’initiationauReiki
etlespremiersenseignementspermettentdecanaliserlesénergiesetdenettoyer«le
canal», comme une cure de printemps qui permet de détoxifier le corps, de devenir
pluslumineux.Enretrouvantunéquilibreintérieur,nousallonsaméliorernosrelations
auxautres.«Entravaillantsursoi,celavanousaiderànousaimernous‐même,onva
dégager,onvadiffuserquelquechosequivafaireautomatiquementdubienàtousceux
quisontautourdenous,tousceuxavecquionestrelié.»
LeReikipratiquépar lesadeptesoccidentauxvisepragmatismeetefficacité.Durant le
premierdegréd’initiation,leMaîtreReiki«harmoniselesfréquencesdespersonnesafin
qu’ellespuissentrecevoircetteénergiedemanièrepermanente»entraçantdelamain
dessymbolesàdifférentsendroitsducorpsde lapersonnecommeautantdeclésqui
régularisent des flux en verrouillant ou en ouvrant un canal à certaines longueurs
d’ondesoufréquences.SurundessiteswebdepromotionduReiki,onpeutlire:
«C’est exactement comme régler sa station de radio préférée. Que vous soyez un
Utilisateurdel’Énergie,unGuérisseurouunCanalisateurdebase,vousrecevezdesondes
d’énergiedelamêmefaçonqu’untéléviseurreçoitdesimagesàtraversuneAntenne.Le
Reiki, c’est comme si vous étiez connecté à un satellite de réception de télévision. La
qualitéetlaclartédesondesreçuessontclairescommelecristal.»59
CettecomparaisonvaprendretoutsonsenspourMarie,enoctobre2007,lejourdesa
dernière initiationpourdevenir«MaîtreReiki»,oùelle va«capter»unmessagede
l’audelà:
59http://cybertherapymassage.free.fr/Reiki
121
«Devenuethérapeuteensoinsénergétiques,j’aieumonpremiercontactavecun«mort»
lors d’un stage avec Daniel, qui a fait de moi unMaître Reiki enseignant, nous avions
encoreunpeudetempsàlafindeladernièrejournéedestage,etDanielnousaproposé
departiràladécouvertedenosguidesguérisseurs.Lorsqu’estarrivémontour,cenesont
pasmesguidesquisesontprésentésàmoimaisl’hommequiétaitàl’originedemonEMI
etquiétaitdécédédepuisseptans.Ilavaitunmessagepourmoietj’aipuaussidialoguer
en direct avec lui. Cela a été unmoment très émouvant, inoubliable quim’a permis de
guérir une grande blessure. J’ai ensuite accompagné cet homme vers la Lumière. Ainsi
celuiquim’avaitenvoyéversl’au‐delàm’arévélémonrôledepasseused’âmes.»
A la remémoration de l’événement traumatique de son« expérience de mort
imminente», à sa relation à ce qui aurait pu être sa propremort, vient se greffer le
rappel de lamort de celui qui aurait pu en être l’auteur. Celui‐ci apparaît commeun
revenant, porteur demessage, qui est identifié à une «âme errante» qui «purge sa
peine»depuisseptans,etqueMarieparunaccompagnementritueletuneassistance
spirituellepeutsoustraireàuneattenteeschatologiqueetluipermettred’accéderàla
Lumière, à la Vision béatifique. En se définissant comme «passeuse d’âmes» et
d’accompagnatriceverslaLumière,Maries’inscritdansunefonctiond’intermédiairequi
semetà l’écoutedesâmesetrépondà leurdemande.Ellenenousdonnepasencore
d’indications sur les rituels qui vont êtremis en place ni selon quellemétaphysique.
Mais elle confirme sa compétence d’exploration de cette marge entre vie et mort
qu’ellevientderefranchir,nedit‐onpasque«celuiquiestpasséparlepaysdesmorts
possèdeunedeuxièmevertu: il sait reconnaîtreetécouter lemessagedesdéfunts, il
comprendetdéjoue lediscoursdudiable,orcesêtresparlentparénigmes,brouillent
tousleslangagesàentendre,àlire,àvoir.»(DanielFabre1987:147‐164)
Cette nouvelle épreuve vécue de la remémoration de l’événement traumatique de
son«expérience de mort imminente», va prendre pour Marie valeur d’expérience
démonstratrice.Uneépreuveayantvaleurd’expériencedémonstratricec’est:
122
« celle qui, venant troubler les repères habituels de la perception du réel, conduit à
situer l’étrange non plus dans le monde extérieur mais en soi‐même et à sortir de
l’incertitude en métamorphosant en mémoire ce vacillement qui a perturbé
l’expériencesubjective.(…)L’épreuven’acquiert(…)sapleinevaleurdémonstrativeque
dans lamesure où elle fait passer d’une expérience intime à un travail d’élaboration
symboliquequiplace,en retour, sonauteurdansunepositiond’autorité». (Giordana
Charuty1990:54)
Cette épreuve va permettre aussi à Marie de lever une incertitude «en faisant
s’interprétermutuellementdeux systèmesde représentationoù la volontéexplicative
de l’un reçoit sa prégnance émotionnelle, et donc sa force persuasive de l’autre.»
(GiordanaCharuty1990:55),dereliresonexpérienceàlalumièred’unnouveausavoir
et de le conjoindre aux manières de penser le destin posthume des âmes du
christianismecoutumier.
Marie «va accepter» son état demédium et interpréter ses différentes épreuves et
messagesqui luisontapparusliésàdessituationssingulièrescommeautantdesignes
desavéritablemissionetappartenantàunlongparcoursinitiatique.Celui‐cin’estpas
terminé,ilvaprendrelaformedesuitesd’apprentissagescommeunesuitedelangages,
puisque:
«exercerlesfonctionsdemédium,c’est‐à‐direrestitueràchacunsacapacitéd’actionen
mobilisant une panoplie de tiers visibles et invisibles, exige, en Europe comme ailleurs,
une diversité de compétences, que l’on ne peut acquérir qu’à travers l’engagement
personnel dans des mondes sociaux contrastés, et l’appropriation d’identités
habituellementexclusivesl’unedel’autre.»(GiordanaCharuty2004:364)
Endécembredelamêmeannée,Mariecomplètesaformationparuneinitiationà«La
Flamme violette», qui s’inscrit comme le Reiki dans les mêmes présupposés
123
d’immanence et que tout l’univers est formé de vibrations. Pour ses adeptes, en
modifiant les taux vibratoires des «énergies», il est possible de les transmuter et
l’invocation à la «La Flamme violette» transmise par «Maître Saint‐Germain,Maître
Ascensionné»60, aurait cette faculté. Selon Mariecelle‐ci serait utile contre les
«mauvaisesénergies»,commeletémoignesonmaîtreinstructeur:
«J'aidormi récemmentchezunamietdirectementà l'entréedesonappartement,mon
plexus solaire s'est noué. J'ai ressenti que sa salle de massage était squattée par des
entités,àsavoirdesâmesdepersonnesdécédées.Avecsonaccord, j'ainettoyésapièce
(…)puis sonappartement en invoquant la FlammeViolettepourpurifier et nettoyer cet
appartement de tout ce qui avait besoin d'être nettoyé, car il y avait desmémoires de
violencesdesancienslocataires.»
«LaFlammeViolette»incitelebonheur, lajoie, l’harmonie, l’abondance, lasantéàse
manifesterdansnotrevie»commelapratiqueduFengShui,queMarieintégreradans
saformedite«intuitive»,enseignéeparLucyHarmer(LucyHarmer2003)etquiselon
cettedernière«aaussid’excellentespropriétéspourchasserlesâmeserrantes».
Marie va s’intéresser au «chamanisme» selon deux approches. L’une par la
«méditation», dans un «rêve éveillé» elle «rencontre» pendant une année une
«chamane mongole», au bord d’une rivière, qui l’« initie» au «chamanisme», son
enseignementterminécelle‐cis’estincorporéedansMarie.Un«chamanetibétain»la
remplaceraensuiteetcontinuerapendantquelquessemainesàluiapportersonsavoir
puis, celui‐ci étantacquis, il ne lui apparaîtplus.Marie retrouvera l’énergiqueetbien
vivante Lucy Harmer61 qui lui enseignera l’«Astrologie chamanique» et ses «12
animaux totems». Plus récemment, elle intègre encore une nouvelle technique
60«Estdéclaré«Maîtreascensionné»touthumainquiestdécédésansquesoncorpssoitretrouvé,ce
quilaisseindiquerque,toutcommeJésusetMarie,leurcorpsaitsuivileurâme.»,sourcelesitetenupar
Marie,http://www.soinsalternatifs.ch61Ils’agitdelamêmeLucyquecelleévoquéedanslapremièrepartie.
124
nommée «L'Alignement Energétique Or Vert»proposée par un «chamane coach et
thérapeutebrésilien»pourlequelelleorganiseradesconférencesetateliersàGenève,
contribuant encore àdévelopper l’éclectismeplusd’un vocabulairequedespratiques
thérapeutiqueselles‐mêmes.
2.5.LespratiquesdeMarie
La publication en novembre 2008 et le rapide engouement autour du livre deMagali
Jenny et de son répertoire d’adresses provoquent une nette augmentation de la
clientèlepourles«guérisseursquiontleurportrait»danscetouvrage.Marien’échappe
pasàcetterègle,cettepublicitéluiestparticulièrementutile,elleest,selonelle,«àun
stade de sa vie où elle doit faire un choix». Licenciée pour raison économique d’un
précédentemploi,elleatrouvéunpetittravailàmi‐tempsqui lasatisfaitpeumais lui
permetdéjàd’êtreplusdisponiblepouraccueillirsaclientèle.
Le succès de l’ouvrage de Magali Jenny, va permettre ce déplacement entre une
cohérenceintellectuellesimple,(pluslelivreestvendupluslaprobabilitéexistequela
clientèledesmédiumguérisseursaugmente),etunénoncéd’ordre métaphysiqueou
spéculatif, si lenombrede sespropres consultants augmente c’est le signemanifeste
quelefaitd’avoirétéchoisieparl’auteurétaituneinjonctiond’ordresupranaturelpour
luisignifieràelle,Marie,quesadestinéeestde«s’adonneràcetteactivitéd’aiderles
gens»etdeleur«enseignercequ’elleareçu».Mariedécidedeneplus«chercherde
travail», marquant par ces termes la différence entre des activités professionnelles
antérieures et une fonctionpour laquelle elle souhaite «s’investir à cent pour cent».
Marie utilise le même procédé de glissement conceptuel pour justifier une clientèle
satisfaisantesansêtretropnombreuse.Elle informetoutunchacun,qu’elleaaccepté
cette«missiondeguérison», après avoir fait un«pacte» avec«ceuxd’enhaut»en
ces termes:« Je vous remercie,mais s’il vousplait envoyez‐moique lesgensqui sont
prêtsàaccepterlaguérison,quiveulentbienfairequelquechosepoureux,àquijepeux
125
apporter quelque chose». Le constat de la régulation de son activité lui permet
d’affirmeràsesauditeursquelecontrataétéconcluetacceptéparses«guides»:«et
voilà,j’aiuneactivitéquejetrouveformidable,j’aipascenttéléphonesparjour,j’aiceux
qu’ilfaut,jesaisquejepeuxfairedubienàchacun.C’esttrèsbienparcequechacundoit
investirdutempsetdutempsquirapporte».Marieestune«guérisseuse»urbainequi
propose ses servicesdans lemarchédesbiens singuliers dont elle tire ses revenuset
pratiquedestarifsàl’égald’autrespraticiens.Ellenetravaillepasnonplusàdistanceou
par téléphonecommed’autres thérapeutesetprivilégie l’entretien individuel, comme
tout médecin pour établir un diagnostic. Dans ce système en circularité et selon sa
rationalité, ses consultants sont ceux qui «devaient» entreprendre un processus de
«guérison»avecelle,quisont«choisis»parses«guides»pour luiêtreadressés.Les
divers registresde l’activité thérapeutiquedeMarienediffèrentpasde ceuxd’autres
médiums :soigner les corps, éduquer les âmes, apaiser les morts, et neutraliser les
«forcesnégatives». (GiordanaCharuty1990 :49)Ellevaprésentersesactivitésselon
trois catégories: «soin énergétique», «méditation partage», conférence sous forme
decours‐ateliers.Dans lestroiselleréserveunegrandeplaceàcequ’ellenommeson
«enseignement».SiMarieétablitunedistinctionentresestroisformesd’interventions,
dans leurs pratiques celles‐ci se présentent comme des formes de divination, dont
seuleslesprocédurestechniquesd’engendrementdesénoncésoraculairesvarient.
2.6.Séancesdeguérison
Sous l’appellation «soins énergétique»,Marie procède à des séances de guérisonde
manièreduelleetd’uneduréededeuxheuresquisedéroulentgénéralementdansson
propreappartementpouruntarifde200.‐ francssuisses.Mariepeutaussiétablirdes
diagnostics et pratiquer des soins dans des séances, qui ne dépassent pas en règle
généralevingtminutes,àsonstandlorsdessalonsdemédecinesnaturelles.Cesontdes
«casd’urgence»oupour«déjàcommenceruntravail».C’estsurcesobservationsainsi
126
que sur les propos de consultants ou de Marie que je me baserai pour décrire sa
pratique.
Le futur consultant peut se présenter au stand de Marie pendant les salons de
médecines naturelles ou la contacter par téléphone ou par courriel pour prendre
rendez‐vous.Lorsdecepremiercontact, ildonnerauncertainnombred’informations,
généralement sous une forme allusive, qui resteront peu explicites. Marie lui
demanderasadatedenaissance,sonprénometsonnomdefamillequ’elleconvertira
ensuiteenchiffres.Elleutiliseracesdonnéespourseprépareràcetteconsultationen
utilisant ses connaissances en «numérothérapie humaniste», elle calculera aussi le
signeastrologiqueetétabliralesnomsetqualitésdes«anges»62quiaccompagnentla
destinéedececonsultant.Ellepeutaussiouvrirunouvrageésotériqueauhasardpoury
lireun«signe»,se livreràuntiragede jeudetarotoud’oracleouencoreutiliserun
pendule. Ces dernières pratiques lui donneront également des indications sur les
«guides»quivont«l’accompagner»durantcetteséance.
Leconsultant,enouverturedeséance,estinformédessignesquiontprécédésavenue,
puis il tire une carte d’un jeu de tarot ou d’oracle queMarie a choisi. Cettemise en
condition donne la première architecture de la séance. Cette carte est déchiffrée par
Marie,selonunelecturedéductiveenutilisantlescodesusuelsdecestypesdejeux.Elle
faitlireauconsultant,pourconfirmation,cequiestmarquédanslelivretducoffretdes
cartesoudansunouvrages’yrapportant.Decettelecturedéductivequ’ellecommente,
elle glisse vers l’induction que le choix du support divinatoire de la carte est déjà un
signed’une instanceoraculaire, introduisantunedeuxièmeconstructionquivamettre
enplaceunerationalitéreposantsurunetechniquesavantedeproductiondesignes.
L’invocationdel’instanceoraculairevaconditionnerunesériedecontraintesformelles,
62Marieutiliselestraitésd’«Angéologietraditionnelle»écritsparHaziel,KabbalebouKayaetChristiane
Muller,quej’aborderailorsquejetraiteraideleurdispositifetconfiguration.
127
tellesquemanièresdes’exprimer,posturesducorps,gestuelle.L’interlocutiondevient
particulièreencequelaparoleetlesgestesquil’accompagnentmettentenrelationdes
agents humains et un allocutaire absent, ce qui conditionne l’acheminement de la
parole divinatoire. Celle‐ci s’opère entre les procédures digressives de lamédium qui
alterne récits, phrases restants hésitantes, en suspension, pouvant être énigmatiques
quantauxsensetrecommandationssurlamanièredeposerdesquestionsàl’instance
oraculaire63, la demande du consultant plus oumoins compréhensible, et lamise en
mots de ce que la médium déchiffre dans la lecture de signes, plus ou moins
perceptiblespourleconsultant.Acetteétapedelaconsultation,lamédiumnelivreplus
une interprétation personnelle, elle n’obéit plus à un processus divinatoire déductif
reposantsurunetechniquesavanted’interprétationdessignes,maissaparoleesttout
entièrelivréeà l’inspirationd’unedivinationintuitive.Ellenefaitqu’ajustersabouche
etsoncorpsàundispositifconçupourlaisserpasserleditoraculaire.Sursespapillons
d’information,Marieprécise:
« Lors de mes consultations, les Guides (Archanges, Anges, Divinités, Maîtres
Ascensionnés,…) et Guides guérisseurs s’invitent et sont heureux de pouvoir se rendre
utilesquecesoit: lorsdessoinsénergétiques,desoirées«méditationetpartages»,par
des conseils lors des séances d’écoute active, au cours d’entretien en numérologie
humaniste ou pendant une interprétation en tarot‐thérapie. Ils apprécient cet espace
temps ouvert pour transmettre leurs messages d’Amour ! Je les remercie pour cela et
admireleursavoir‐fairequimepermetd’évoluersanscessegrâceàleurenseignement.»
Qui sont les instances oraculaires, les «guides» de Marie et comment va‐t‐elle les
«matérialiser» pour le consultant? Si pour une volonté d’exposition des faits, il est
possible de fragmenter en différents segments d’action le déroulement d’une
consultation, nous ne devons pas oublier qu’ils s’enchaînent et s’interpénètrent de
63 Comme par exemple de ne jamais utiliser de négation dans une phrase ou encore préciser que la
questiona traitàquelquechose«d’icietmaintenant».Cetteassertionse trouvepréciséedans laplus
partdestraitésdedivinationquifontappelàdesentitéssurnaturelles.
128
manièretellequ’ilsneformentqu’unseuletmêmemouvement,entrelemomentinitial
etfinaldel’interventiondelamédium.
Lorsdesesconsultations,Mariepratique,cequ’elledéfinitàl’intentionduconsultant,
commeétant une«écoute active». Le termequ’elle utilise nedéfinit pas que l’ouïe,
puisqu’elle sedit attentive aux signesque vont lui faireparvenir ses«guides»par le
moyendesupportsvisuelscommelescartesdedivinationoudesobjets,maisaussipar
d’autressignesplusabstraitstelsquedescouleurs,des lumières.Cesdifférentssignes
impressionnistes lui permettent «de reconnaître l’énergie transmise par ses guides
spirituelsdemanièrecodifiéeetluiamènedesélémentsdecompréhension»,cequiest
interprétécommeuneidentificationdes«guides»intervenantspourleconsultant.Les
«guidesquiseprésententleplussouvent»àMariesontSainteAnne,mèredelaVierge
Marie,Jésus,leMaîtreascensionnéSaintGermain,ouMèreTeresaetSainteThérèsede
Lisieux«il faut savoir queMèreTeresa travaillait déjàavec SainteThérèsede Lisieux,
quandonaMère Teresa, ona les deux». A la question, de savoir par quel signe elle
reconnaît ces saintes,Marie cite un exemple de visualisation: celui d’un bouquet de
rosesrouges.Lebouquetpeutluiapparaîtresousformed’unevisionousonregardest
attiréàunmomentdelaconsultationversunbouquetqu’ellea,elle‐même,placédans
lapièce,danslesdeuxcas,ceseralesignedelaprésencedel’énergiedeSainteThérèse
de Lisieux, puisque celle‐ci est souvent représentée entourée de roses rouges et que
«cesfleurssontdevenuessonsymbole».Aprèscettephased’identification,lamédium
perçoitlesmessagesdes«guidesspirituels»sousformed’intuitionsoudevisions,mais
leplussouventcesontdesvoixqui luidonnentdes«indications».Mariesesentagie
par une «énergie mystique» qui va opérer directement depuis ses mains qu’elle a
placées en imposition sur la partie du corps du consultant que les «guides» lui
indiquentafindeprocéderàune«guérisonénergétique».Danscechristianismevécu,
leChristetlesSaintssontrituellementproduitscommeautantd’instancesbénéfiques,
quientrentenrelationavec«ceuxquidemandentleursaide».
129
«Jésus,c’estunêtreadorablequineressemblepasdutoutauportraitqu’onenafait,nià
cequ’onenadit.C’estunêtretrèstaquin,trèsdrôle.Ilestbeaucoupdansl’abondance,si
desgensrestentchezmoietquejen’airienàmangerdansmonfrigo,commeparmiracle,
d’unseulcoupquelqu’unarriveavecdesprovisionsetonatropàmanger,celaveutdire
que lui aussi s’est invité dans le coin et c’est l’euphorie. Il est très enveloppant et très
câlin.Lapremièrefois,celam’afaitbizarre, j’étaistranquillemententraindetravaillersur
quelqu’un,etpuisd’un seul coup, je sens commeun rayonnementde chaleurdansmon
dos,jesensquelqu’unquisemetderrièremoietquisemetàmesoufflerdanslecou,àme
chatouiller.Onadumalàgardersonsérieuxquandontravailleaveclui. »
Dans les textes des Evangiles, le Christ soigne par l’imposition des mains et par le
souffle,cetteréférencebibliqueprenduneréalitésingulièredans lerécitdeMarie,et
l’évocation de l’attitude familière de Jésus à son égard rend la scène encore plus
concrète.Mariefaitappelàdeuxdiscoursàpartird’unemêmesituation.Ellenebascule
pas de l’un à un autre,mais les affirme les deux enmême temps. Nous n’avons pas
d’une part lamétaphore d’une abondance christique et de l’autre le vide concret du
frigidaire,nousavonsunénoncéquiparuneassociationd’idéefaitpenseràl’autre.Ce
principedecoexistencededeuxdiscourspermetdedonneruneexistence«charnelle»
à un «être supra empirique», dont la «représentation» d’un «sacré concret»64
s’inspired’unregistrefamilierdesimagespieusesdistribuéesaucoursdecatéchisme.Le
récit deMarie opère comme la littérature des prodiges dans laquelle le Christ et les
Apôtres interviennent sur terre et viennent en aide aux plus démunis. Ce discours
64 Le terme «sacré concret» est emprunté à Jean‐Pierre Albert, qui souligne que «Le christianisme,
parcequ’ilestunmonothéisme,véhiculeuneconceptionabstraitedusacréetdudivin.Certainsaspects
aumoinsde sonévolution tendentà le rapprocherd’unemétaphysique idéalistequipeutaller jusqu’à
gommer ladimensionproprement religieuse.L’universalismequ’ilprofesse tendencoreà l’abstrairede
l’espace social et géographique, toujours étroitement borné, dans lequel prend corps l’expérience
religieuse d’un groupe. A l’opposé de cette tendance, on retrouve dans le christianisme les structures
anthropologiquesuniversellesquicommandent laproductiondusacré: celui‐cinepeutnaître,dansun
espacerestreintetvalorisé,qued’uneconfrontationimmédiateavecladiversitédesêtresetdeschoses,
de l’assuranced’unproximité du surnaturel ressentie à chaque instant de sa vie.» ( Jean‐PierreAlbert
1990:342)
130
légendaire «apparaît justement comme le lieu des tentatives les plus fécondes pour
brouillerlesfrontièresdudiscoursetdumondeendonnantlaparole,dansl’évidencede
lanarration,àlaréalitéelle‐même».(Jean‐PierreAlbert1990:344)Cetteefficacitéde
l’autonomiedesimagescontribueàlamiseenplacedudispositifduditoraculaireque
construitMarie.
Ladissociationdes séquences, tellequ’entreprisedans cetteexpositiondes faitspour
rendreleprocessuspluslisible,nedoitpasfaireoublierqu’ellessonttraverséesparune
forte prégnance émotionnelle, ni entrainer une fragmentation du raisonnement
conduisantàdifférentssentimentsderejet,carceseraitpasseràcôtédelaconstruction
symboliquequemetenplacechaqueculturepourcréerlafictiond’unepuissancedont
on attend la production d’une parole oraculaire, c’est‐à‐dire l’ensemble des
représentations qu’une société a élaboré pour poser le dit divinatoire comme un
discours de vérité. Le terme de fiction est emprunté àMichel Cartry qui a recours à
celui‐cipour «rendre compte de ces productions symboliques que met en œuvre le
rituel par des procédés d’agencement et de mise en scène qui lui sont propre».
(Danouta Liberski‐Bagnoud 2010 : 145) Il précisera que «ce type de fiction n’est pas
inscritd’avancedansune«sortedescénariomythiquedirectementsaisissable»,mais
seconstruit«piècesparpiècesdanslemouvementmêmed’effectuationd’unprocès»
(Ibid. note 45: 145) Michel Cartry rappelle que la divination et le rite restent
inséparables puisque le devin n’a pas seulement pour fonction de dévoiler la «cause
cachée»d’unévénementoud’unecriseexistentielle,illuirevientaussidequestionner
l’oraclesurlesmodalitésprécisesduriteàaccompliretdevérifierqueriend’extérieur
auritenerisqued’interférerdanssonbondéroulement.(Ibid.note22:142‐143)Marie,
selonsesdires,procèdedecettemanière:àdes«contrôles»,aumoyend’unpendule,
des«tauxvibratoires»émisparleconsultant,ellemêledespassesmagnétiques,parle
balayagedesesmainsdessinantdesfigures«symboles»duReikiKarunapermettantà
sespatientsde«ressentiruneffetapaisantimmédiatetl'enracinementàlaterreainsi
quedessentimentstrèsprofondsd'amouretdepaixintérieuretransmisparlesénergies
131
galactiques».Ellepeutaussiluifairefaireune«gymnastiquedouce»,desmouvements
deShutaïdo,ayantpourobjectifde«favoriserunecirculationfluidedel'énergiedansles
corpsduconsultantetpermettrel'harmonisationdeseschakras».Acespratiques,que
Marieregroupeetnommesous letermed’«essenceénergétique»,viennents’ajouter
l’«essenceauditive»et l’«essenceolfactive».Pour ladeuxième«essence»,Marieva
utiliserlesvibrationsdessonsproduitsparungong,untambour«chamanique»ouun
didgeridoo, accompagnés de cris, de chants gutturaux « pour faire vibrer au niveau
énergétiqueleconsultantetluipermettred'accéderàsaguérison,devoyagerdansson
univers personnel et de recevoir les messages de ses guides» célestes. La troisième
«essence», sera l’utilisation d’huiles essentielles qui par «leurs senteurs et leurs
énergies florales ramènent le consultant à sa vraie nature» c’est‐à‐dire terrestre. Le
développementdesrituelsdeguérisonauxquelsneparticipentque leconsultantet la
médiumgardeunepartde«mystère»entretenueparcettedernièrepourlestiers.Les
premières séquences de divination, quant à elles, se retrouvent dans le déroulement
des séances de «méditations partage» organisées par Marie, ce qui les rend moins
porteusesde«secrets».
Si ledescriptifdeMarieestplusoumoinscompletdans lapanopliedesoutilsqu’elle
déploie,l’ethnologuegardelesentimentd’unescamotaged’unepartiedesfondements
d’une consultation du dit oraculaire. Un consultant ne se rend pas chez unemédium
pourtraitermauxetcrisesexistentielles,commeil leferaitavecn’importequelexpert
thérapeutique,ilnesecomporterapasdelamêmemanière,ilnedévelopperapasau
médium l’objet de sa demande, au mieux il l’explicitera que par quelques mots.
L’importantétantlefaitdelademandeetnonson«prétexte»,noncequipréfaceledit
oraculaire.Pourexplicitercettedémarche,unparallèlepeutêtretentéavecl’hypothèse
deMichelCartry, selon lequel il faut relirelesmatériaux sur ladivinationà la lumière
des «théories du destin». Et postuler que le désir qui pousse les êtres humains à
questionnerlesoracles,n’estpastantundésirdesaisirlestraitsenfindévoilésdeleur
destin,maisplutôtunmoyendedécouvrir,ens’appuyantsurlessignesdel’invisible,les
132
élémentsdurituelquidoiventpermettreausujet,soumisàl’emprisedeseffetsnéfastes
«d’une préinscription de l’individu dans un acte de parole qui le précède» (Danouta
Liberski‐Bagnoud2010:130),deretrouverautermedurite,uneformedelibertédans
la conduitedesonexistence. Ledevinapparaîtalors«commeceluiquiest chargéde
mettreenmotsdesproblèmesd’individuation».(Ibid.)DanslecasdelamédiumMarie,
il s’agit moins d’un «acte de parole» précédant la naissance de l’individu que de:
commentsupprimerleseffetsnéfastesdecequiempêcheledestindebiensedérouler,
le«cequi»étantcequelamédiumdoitmettreenmot.AufildesrécitsdeMarievont
apparaîtredans les constructionsde laparoledivinatoire trois possibilités: «les êtres
décédés»,des«entitésdel’ombre»etdes«parasitesdusàdesviesantérieures».La
première catégorie sera décrite par Marie en des termes qui rappellent son
«expérience demort imminente» et lesmanières de penser le destin posthumedes
âmesduchristianismecoutumier.
«La plupart des consultants qui me sont envoyés arrivent accompagnés d’(…)êtres
décédés. D'autres esprits restent attachés à leur ancien lieu de vie et hantent votre
domicile ou votre bureau ! Certains de ces esprits sont réticents, inquiets… En prenant
contactaveceux,jelesrassure,lesécoute,lesaideàrésoudreleurconflit.Ilm’arriveaussi
d’appelerleursguidespourfavoriserleurretourverslaLumière.Lorsqu’ilssontpassésde
l’autre côté, ils me confient leurs messages ou le feront plus tard directement avec le
consultant. Je respecte leur confidentialité !Dès leurarrivéevers l’au‐delà, ces (…)êtres
décédésm’inondentsouventd’ondesd’amouretderemerciementsuiteàleurdélivrance,
leurnouveaubonheur,leurarrivéeauparadis?»
2.7.Séancesdedivinationcollective
Marie organise dans son appartement des séances de divination qu’elle nomme
«méditationpartage » en moyenne deux fois par mois, elles comptent six à dix
participantsquisontessentiellementdesfemmes.Cesrencontresnesontpasfermées
auxhommesmaisseulementunoudeuxhommessontprésentsparséance.Cettefaible
133
proportion des hommes se retrouve dans la plupart des séances analogues chez
d’autresmaîtresdecérémonieféminins.Sicelui‐ciestmasculin,lenombredeshommes
peut être un peu plus important mais il n’atteint jamais la parité, ce qui tendrait à
catégoriser ces «soirées de méditation» comme une activité sociale féminine. Ces
séancessuiventtouteslemêmerituel.
Marie recrute les participants pour ces «méditations» parmi les consultants qu’elle
reçoit dans ses consultations privées, ou parmi ceux qui l’ont contactée lors de
«rencontres» organisées avec d’autres praticiens, ou encore pendant les salons de
médecines naturelles qui permettent à toutes personnes présentes, «thérapeutes ou
clients», de suivre différents«ateliers», de tester les pratiques et compétences de
plusieursmédiumsguérisseursetdeprocéderàdeschoix.Lespraticiensvontagir«en
miroir»etutilisercesinteractionspourtesteràleurtourlesclientspotentielsparmiles
personnes qui s’adressent à eux. Marie annonce également toutes les séances de
«méditation»sur l’agendaqu’elletientsursonsitewebousur lesite intitulé«Soins
alternatifs»dontelleestlarédactriceprincipale.Elleenvoieégalementdescourrielsà
tousceuxquisesontinscritspourrecevoirrégulièrementleprogrammedesesactivités.
Laparticipationàcetteséancerequiertune inscriptionpréalableauprèsdeMarie,par
courriel,textooutéléphone,cequiluipermetdeconnaîtreàl’avancelesparticipantset
d’opérer, le cas échéant, un certain choix parmi ceux‐ci. Il n’est pas concevable, non
plus, qu’un parfait inconnu s’immisce dans ces séances, mais il est possible qu’une
personne, que Marie ne connaît pas, participe à une «méditation» si celle‐ci est
introduite et accompagnée par quelqu’un qui a déjà une certaine pratique de ces
séances et la confiance de la maîtresse de cérémonie. Ce qui me fait dire que pour
participeràcesséances il fautêtreparrainéparquelqu’unquiareçul’agrémentdela
maîtressedecérémonieou l’avoirreçupoursoi‐même,commedans lescerclesprivés
oulessociétésrecrutantparsystèmedecooptationetcomportantdesritesinitiatiques.
134
Les «méditations partage» sont placées sous la protection et le signe de l’«ange du
jour»etlesdatesdecesrencontres«sontdictées»àMariepar«sesguides»,cequi
exclutunerégularité.Certainesséancessontprogramméessurdesdatescalendairesou
lunaires,maistoutesnelesontpas.L’annoncedelatenued’une«méditation»peutse
fairelaveilleouquelquesjoursavant.Contrairementauxséminairesetateliers,durant
lesquels Marie retransmet les apprentissages et enseignements qu’elle a suivis ou
«reçus»,quieuxsontplanifiésplusieursmoisàl’avancedansun«agenda»accessible
sursonsiteweb.
ChaqueparticipantauxsoiréesdeMaries’acquitted’uneparticipationfinancière,d’un
montant de 20.‐ francs suisses. Cette tarification est bien inférieure à celle d’une
consultationoud’uneséancedesoinindividuelledontladuréeestfixéeàdeuxheures
etquisemonteà200.‐francssuisses.Certainespersonnesvontapporterégalementdes
contributionssousformedeboissonsoudeplatssalésousucréscuisinésfaitsparelles‐
mêmes. Les séances de «méditation» ont une durée de deux heures et demi à cinq
heuresetnecomportentpasdevéritablespauses.Lesparticipantsselèvententredeux
séquencespour se servirdesboissonsou s’étireret fairequelquesmouvementspour
détendreleurcorps,maisrestentattentifsànepastroublerl’ordredelacérémonie.
L’appartementdeMarienesesituepasdansunlieu«idyllique»,dansuneverdoyante
campagneouàlamontagneavecpourvisàvisdesomptueuxsommets,maisdansune
villesatellitedeGenève,au9èmeétaged’unetourdontleshabitantssontdecondition
économiquemodeste.Lorsquelesparticipantsarriventdansl’appartementdeMarie,ce
qu’ilsvoientenpremiercesontlesdiplômesdeMarieaffichéssurlemurquifaitfaceà
laported’entrée.Certainsdécouvrentsonappartement,maislaplupartsontdéjàvenus
et sont reconnaissables à leur comportement. Ils savent où poser la contribution
financièrepourlasoirée,soitdansunecassetteposéesurunguéridonàcotédelaporte
d’entrée et signent une feuille de présence. Ils se rendent dans la pièce qui sert de
vestiaire, vont chercher des plats à la cuisine pour y déposer la nourriture qu’ils ont
135
apportéeetsedirigentensuiteverslapiècequisertdelieude«méditation»,lesalon
deMarie.Danscelle‐ci,d’unesuperficied’environ20mètrescarrés,undesanglesest
occupéparunjardind’hiverconstruitàl’intérieurdelapièceetquioccupeàpeuprès
un quart de sa surface. Dans cet espace Marie a suspendu un hamac qui lui sert
d’espacededétenteetdelieupour«rêver».
Mariemet unemusique d’ambiance, genremusique de relaxation, pour accueillir les
participants,lamusiquerestepeuaudible.Lesparticipantss’asseyentsurdeschaiseset
fauteuilsdisposésencercledansce«salon».Aumilieudelapièceestplacéeunetable
basse, sur laquelle sont posés des tasses, des assiettes, des serviettes en papier,
quelquesblocsdepapieretdesstylos.AdroitedelaplaceoccupéeparMarie,unpeu
en retrait du groupe, elle a placé un grand gong circulaire d’un diamètre de 140
centimètres environ, qu’elle nomme le « gong du soleil». Dans un des angles de la
pièce, est placé un autel comportant des statuettes et des images représentant des
anges, une statue de la Vierge de Fatima de 50 centimètres de haut et un Bouddha
légèrement plus haut, ainsi que des pierres, des encens, des bougies. En dessus de
l’autel est placardée une affiche représentant un «alphabet hébraïque» appelé «les
lettresdefeu»,chaquelettreestentouréed’unhalolumineux.Surlerayonnaged’une
bibliothèquequi jouxte l’autel, sont répartiesunedouzainedepetites figurinesparmi
lesquelles sedistinguentundragon vert, une licorneblanche, unepanthèrenoire, un
tigre,unéléphant,unetortueetunhibou.
Les rencontres de «méditation partage» ou séances de divination collective sont
construitessurdesprocédésd’agencementetdemiseenscènedifférentsdeceuxdes
séances individuelles,seule laséquencequiprécède l’arrivéedes«consultants»reste
comparableetcomportelemêmequestionnementpardivinationdéductive.
136
SéancechezMarie:Tableaudu2avril2012
137
Suruntableaubienvisible65pourtouslesparticipants,placéàl’angledelapièceenface
de l’autel,Marieaaffiché lespremiers«éléments», sous les influencesdesquelles se
place cette séance. Dans le premier groupe nous avons la date du jour avec une
référence calendaire liée au cycle solaire(équinoxe, solstice) ou à la lunaison et une
interprétation«numérologique»parunecombinaisondeschiffresdecettedate.Nous
avons également le nom de l’«ange du jour» accompagné de la description de ses
«qualités»,sous laprotectionduquelestplacée laséance.Dans ledeuxièmegroupe,
cela peut être une carte que Marie a tiré d’un jeu de tarot ou d’oracle ou le nom
d’un«Maîtreascensionné»,d’unarchange,d’unsaintoudetouteautredivinitédont
ellea trouvé lenomenouvrantun livreauhasardouparuneautreméthodeservant
l’aléatoire.
Le tableau, legonget l’autel cadrent l’«espacedudire»dans lequel sedéroulent les
performancesrituellesquesontles«méditationspartage».Celles‐ciadoptentlemême
déroulement.Aprèsunecourtepérioded’installation,oùchacunchoisitsonsiègeetses
voisins,Marie souhaite labienvenueà tous, chacundonnesonnometMarieparune
phrase d’ouverture donne une induction ou pose une question d’ordre généralà
l’ensembledugroupe:«Commentçasepassepourvousencemoment?»,ouencore
« Qu’est-ce qui vous a motivé pour venir ce soir ? », si la réponse s’inscrit en relation
avec les «éléments» pour lesquels la séance est instaurée, cette parole lui servira
d’ouverture. Cette réponse étant généralement donnée par un des «habitués» des
«méditations partage», elle contribue à instaurer le rituel et à introduire les
participants dans le processus divinatoire. Marie va ensuite occuper l’espace de la
paroleendispensantdesrecommandationssurdesconduitesàteniretenprésentant
sescompétencesdemédiumàtraversdesrécitsquelaplupartdesparticipantsconnait,
cemode de faire perlocutoire peut être compris commeune «adresse aux instances
65Voirp.136illustration,tableaudu2avril2012,«Séanceméditationpartage–Pâquesetre‐naissance»
(quis’esttenulelundiunesemaineavantlelundidePâques).L’utilisationdutableaun’estapparuequ’en
2012.
138
supraempirique»qu’il s’agitde«convoquer».Laséquencesuivanteest le tiragepar
chaque participant d’une carte d’un jeu intitulé «Affirmations des Anges»66. Ce jeu
oraclecomporte42cartesreprésentant lemême«ange»souriantetailesdéployées,
répartiesensixcouleursdefonddecartedifférentes:rose,orange,jaune,vert,bleuet
indigo.Surchaquecarteest inscriteunephrasetelleque«Jesuis l’angequitelieà la
source», «Je suis l’ange qui aime ta sérénité», «Je suis l’ange qui se réjouis de ta
transformation», «Je suis l’ange qui te garde dans la paix». Selon le principe de
circularité, les messages tirés par les participants sont ceux qui leur sont
personnellement destinés et sont une «manifestation» des «anges» qui sont ainsi
installés dans ce lieu qui se construit en espace de divination. Ces messages et leur
«locuteurs»vontaccompagnerlesparticipantsetdeviennentles«angesgardiens»de
cette performance rituelle. La séquence suivante est la «méditation partage»,
présentéeparMariecomme«comparableàuninstantdeprière»etconsistepourles
participantsenunétatde«rêveéveillé»induitparlesparolesdeMarie.Celle‐citrace
unevisualisationintérieure,suivantuntextetoujoursidentique,sicen’estlesquelques
variationsquitiennentàl’étatdelaconcentrationdel’actricedanssaperformance.Elle
accompagnecemonologued’unedizainedeminutesaveclessonoritéspuissantesdes
vibrationsdesongong,surlequelellecontinueradejoueràlafindesontexte,pendant
le même laps de temps, en l’accompagnant de cris gutturaux, de soupirs et de
mélopées.Cettedernièrepartieestcelledu«voyage»dechaqueparticipant,devenu
consultant, «au cœur de lui‐même», ou «dans un monde astral». Marie utilise la
premièreexpressionetlaisseauxconsultantsleurspropresinterprétations.Cemoment
cléestsuivid’un«partage»,durantlequelchaqueparticipant,retracerason«périple»
avec plus oumoins de détails.Marie, reprenant sa fonction demédium, établira des
liensentrelesconsultantsetleurs«visions»puisreliantavecles«influences»dujour,
elleremercierales«guides»pourleursoutienetclôtureralaséance.
66GittaMallek,AffirmationsdesAnges,LesRayonsduSoleil,Villars‐Burquin,voirillustrationp.90
139
Pourmieuxmettre à jour lemontage complexeque cetteperformance rituelleopère
pour construireunemachinedeproductionde la parole et pourmettre enévidence,
selon les termes de Michel Cartry, «ce dispositif discursif et rhétorique que chaque
systèmedivinatoiremetenplace,construisantuneespècedethéâtrede l’énonciation
où le surgissement d’une «parole de vérité» estmise en scène», jem’appuierai sur
unepartiedumatérielethnographiquededeuxséancesde«méditationpartage»que
jemettraienregard.L’unes’estdérouléele21décembre2011etl’autrele2avril2012.
Ces deux dates influencent directement la construction de ce dispositif oraculaire qui
s’appuie sur un contexte culturel chrétien et plus particulièrement catholique. L’une
correspondà l’équinoxed’hiver et à trois jours avant ladate fixéepour laNativitéet
l’autre au Lundi qui suit le dimanche des Rameaux et s’inscrit dans le début de la
SemainedelaPassionetRésurrectionduChrist.Cesdeuxdatesmarquentlesruptures
entre les «temps juif et chrétien»67 qui gardent enelles unemenaceeschatologique
qui nécessite de «rejouer» ces passages en les accompagnant d’une mobilisation
divinatoirepourassurerlemaintiend’uncontinuum.
67 Le 21décembre annonce les «Douze Jours» de la tradition chrétienne. Ces «douze jours du temps
suspendu» sont le résultat d’un compromis entre deux façons différentes de mesurer le temps: le
calendrier lunaire et le calendrier solaire adopté par le calendrier julien. Ces douze jours intercalaires
correspondentaudécalageentreuneannéelunaire,quicompte354jours,composéededouzelunaisons
etdouzemoislunaires,etuneannéesolairede365jours,ou366jourslesannéesbissextiles.Cesdouze
jours «raccordent les deux calendriers» et permettent leursmaintiens pour des célébrations rituelles
dont les dates sont fixées sur le calendrier lunaire, pour les fêtes telles que Pâques et l’Ascension et
solaire pour les fêtes telles que Noël et l’Epiphanie qui symbolisent le renouveau spirituel pour le
christianismeetlaruptureavecle«tempsjuif»régitparuncalendrierlunaire.LejourdePâquesestfixé
lepremierdimancheaprèslapleinelunequisuitl’équinoxedemars.LaPâquejuiveestfixéele15ème
jour
dumoisdeNissan,lesmoiscommençantàlapleinelune.EllecélèbrelafuiteenEgyptedurantlaquelle
leshébreuxmangèrentdupainquin’avaitpaseu le tempsde lever.En souvenirdecetexode,dans la
tradition juive, pour ce jour de fête, lamaison doit être débarrassée de tout aliment contenant de la
levure,cequinécessiteungrandnettoyage,puisqu’aucunemiettenedoitrester.LesPâqueschrétiennes
sontdésignéesaupluriel,puisqueellescommémorentlafuiteenEgypteetlaPassionetRésurrectiondu
Christ.
140
Tandis que l’Eglise va assurer, à travers le temps suspendu des douze jours, le
cheminementrituelpourlepassaged’uneannéeàl’autre,enréaffirmantsonmessage
évangélique, des pratiques coutumières se développent pour contrecarrer cette
potentiellerupturetemporelleetdévelopperdesopérationsdivinatoiresportantsurle
rétablissementdel’ordredutempsetdesévénementsetsusciter l’abondancepour la
nouvelle année à venir. Comme l’atteste Arnold Van Gennep, dans son ouvrage «Le
folklorefrançais»,dansleschapitresréservésau«Cycledesdouzejours.DeNoëlaux
Rois»(1999,1èreed.1958),danslesquelsilrelatedenombreusescoutumesquionttrait
à la divination. Celle‐cipeut porter sur toutes les activités sociales: sur toutes les
préoccupations des milieux ruraux liées à l’agriculture, à l’élevage, à la pêche, mais
aussi, sur lesalliancesmatrimoniales, la santéet laprospérité. Lematérieldivinatoire
utiliséappartientauxregistresprofaneoureligieux.Ladivinationjouesurleseffetsde
christianisation du matériel ou au contraire sur une déchristianisation des objets
cultuels. Ces mouvements apparaissent dans de nombreuses coutumes régionales,
commeparexempledanslePuy‐de‐Dôme,àl’église:«onexaminependantlamessede
minuitdequelcotépenche la flammedesciergeset l’onaura leventdominantde la
saisondesblés.»(ArnoldVanGennep,1999(1958):2731),ouencoredanslesHautes
Vosges,chezsoi:«dèsquel’onentendsonnerlamessedeminuit,oncoupesixoignons
endeux,onlescreuseenformedecoquilleetonlesalignesurunmeuble.Ondépose
aufonddechacuned’elleunepincéedeseletpendanthuitjoursentiersilestdéfendu
d’y toucher, aprèsquoion fait l’examende l’étatdu sel.» (ArnoldVanGennep,1999
(1958) : 2733) Chaque coupelle d’oignon représentant unmois de l’année, selon son
état d’humidité ou de sécheresse, on en déduira les conditions météorologiques du
moiscorrespondant.L’oignonestfacilementutilisédanslespratiquesdivinatoirescaril
est considéré comme une plante lunaire qui croît lorsque celle‐ci décroît, à l’inverse
d’autresplantes.
L’eau,mêmenonbéniteparunprêtre,peut,lanuitdeNoëlacquérirlesmêmesvertus:
«dansleDoubs,ensortantdelamessedeminuitilfallaitalleràlafontainepouravoir
141
l’eau du Petit Jésus et à Loupershouse enMoselle, la larme du Christ». (Arnold Van
Gennep,1999(1958):2827)Sicettenuitsacralisée,quiouvrela«rupturetemporelle»
de lapériodedesdouze jours,est favorableaux interventionsdessaintsetdesanges,
ellen’empêchepaslaprésencedesentitésmaléfiquesquivontpouvoirprofiterdecet
intersticetemporel.
Durantcesdouzejours, ilvadoncfalloirseprotégerdesêtresnéfastesqu’il faudraau
préalable détecter. Dans les prescriptions recueillies par Arnold Van Gennep, nous
trouvons qu’«en Franche‐Comté, les fidèles qui entendent l’office en état de grâce
peuventreconnaîtreparmilesassistantsceuxquisontsorciers: ils lesvoientavecune
tête de cheval.» (Arnold Van Gennep, 1999 (1958) : 2727) Une deuxième et une
troisièmeméthodes restent plus complexes dans l’acquisition dumatériel divinatoire,
maisconformesauregistresymboliquedecettepériode,«enLorraine,lapersonnequi
tientdanssamainlemajeurdelamaind’unmortàlamessedeminuitvoitlessorciers
tournerledosàl’autelaumomentdel’élévation.Onobtientlemêmerésultatenayant
sursoiunœufdepoulenoireponduleVendrediSaint.Lecharmeopèresûrementsion
n’aparléàpersonnedesonprojet.»(Ibid.)
Cettepériodeestaussipropiceàla«sortiedesmorts»qui,s’ilsontreçuleursviatiques
spirituels par les rites liés aux liturgies appropriées, rendront service sous forme de
conseilsetd’avertissement.Lesâmesdupurgatoireassistéessontdesaidesattentives
quifavorisentl’abondancedesvivants.
Danscettepériodedesdouze jours, lespréoccupationsdesmondes rurauxmaisaussi
urbainsetcontemporainsvontavoirpourobjets: laprotectiondesoi,dessiensetde
sesbiens et la propitiationde la chanceetdubonheur. Il va s’agir deprofiterde ces
jours particuliers pour organiser les repas en famille, entre voisins, entre membres
d’unemêmeentreprise,d’unemêmeassociationouconfrérie,dans lesespacesprivés
des appartements ou dans des lieux publics, pour favoriser l’entente, l’amitié et la
142
réconciliation entre des membres d’une société aux intérêts souvent opposés. Dans
cette convivialité retrouvée, où s’additionnent étrennes et manifestation festive
d’abondance,ilvas’agirnonseulementdemaintenircetétatmaisausside«capterla
chance». Celle‐ci va prendre place dans la pâtisserie, symbole de douceur comme
l’existencequel’onrecherche,aumoyendesignes:unefèvedanslegâteaudesroisou
unepiècedemonnaiedanslegâteaudeSaintBasile.Lachancepeutadopteruneautre
grammaire et se glisser dans les gâteaux de la modernité industrielle que sont les
«chips»apéritives.UncoupleduTexasatrouvé,dansunpaquetde«Cheetos»à99
cents,ungâteauenformedeChristencroix.Aprèsavoirfaitlaunedujournallocalavec
le récit de leur découvertemiraculeuse et unephoto lesmontrant tenant enmain le
gâteau apéritif en formedeChrist, ils ont prolongé cet événement par une vidéoqui
circulesurYouTube.Cecoupleentendbienmettrecetobjetdechanceauxenchèressur
eBaypourattirer lafortune68. Ils’agitbien,durantcettepériode,pour lemondede la
chrétienté, demettre en œuvre toute une batterie de techniques et de procédures
magiquespourtenterdedévoilerl’avenir,d’attirer,deforcerpeut‐êtrelachance.
Il va s’agir d’œuvrer pour «relancer le temps», le temps profane qui va permettre
d’assurerunecontinuitématériellevitale.Tous les signesdeviennent indices selon les
grammairesdéveloppées:signesmétéorologiquesetcosmiquesselonlesaxesduvent
ou la «course» des étoiles,signes domestiques selon les passages d’animaux, les
mouvementsetcouleurdesflammesdesbougies,lescartesàjouerouencorelesrêves.
Les Pâques chrétiennes célèbrent la Résurrection du Christ et avec celle‐ci la liberté
spirituelleet le renouveau.Auxpremiers joursde la semaineSainte,unedesactivités
préparatoires aux célébrations pascales, reste les grands nettoyages de printemps,
réminiscencepossibledelatraditionjuivededébarrasserleshabitationsdetoutetrace
de levain. (Greg Dues 2004) Le rite d’ouverture de la veillée pascale qui consiste à
allumerunfeupascalou«feunouveau»devantl’égliseetàlebénirresteunmoment
68http://www.gentside.com/religion/ce‐gateau‐aperitif‐a‐t‐il‐la‐forme‐du‐christ
143
important.Dansbonnombredeparoisses,enAlsaceetenLorraine,cefeu,danslequel
onbrûlaitdesanciennescroixdecimetièreainsiquedesornementsd’égliseenmauvais
étatetdes restesdecierge,étaitnommé le«Judasfeuer», le«feude Judas», le feu
pourbrûler Judas.DanscertainscantonsduHaut‐Rhin,cesbûchersétaientdestinésà
«brûlerlesjuifs»ou«brûlerleJuifrouge».Cesfeuxéteints,onemportaitlescharbons
etlesclousquirestaientdanslesfoyersetonlesmettaitdanslesétablespour«éviter
tout mal» ou garantirles bêtes de «l’ennemi». (Arnold Van Gennep, 1998 (1943) :
1053‐1054) EnValais, dans la communed’Evolène, uneparoissiennem’a rapporté en
1995,que lenouveaucuréempêchait lesfemmesd’emporter lestisonsdufeupascal,
dans lequel on brûlait aussi les anciennes croix du cimetière, parce qu’il craignait
qu’ellesselivrentà«uneantiquepratiquepaïenne»quiconsistaitàmettreuntisonaux
troisanglesd’unemaisonpourfairefuirles«mauvaisesprits»,lequatrièmecoinresté
libreétantceluiparlequelilspouvaients’enfuir.Lapériodepascalerestepropicedans
«cettepériodederenaissanceetrenouveauspirituel»auxpurificationsdeslieuxetàla
«libération»despersonnesdetoutesformes«d’énergiesoud’entitésnégatives».
Les deux séances «méditation partage» organisées par Marie s’inscrivent dans le
registredespratiquesduchristianismecoutumierdedivinationetdeconvocationdes
«êtressupraempiriques».Ceux‐ciserontprogressivementidentifiésparMarieoupar
lesconsultants, selonunegrammairenécessairementvariéepourpermettre lesmises
enrelationproductricesduditdivinatoire.
Lesparticipantsàcesdeuxséancesnesontpaslesmêmesàdeuxexceptionsprès.Dans
la première nous comptons parmi les participants, en plus deMarie, sept femmes et
deuxhommes,lesâgesdesfemmess’échelonnentde30àplusde60ans,ceuxdesdeux
hommes de 40 à 50 ans, l’un d’entre eux est de nationalité péruvienne et une des
femmesest italienne, lesautres sont suissesou français. Laplupart sontdeshabitués
des séances de «méditation» de Marie à l’exception des deux hommes qui y
participentpourlapremièrefoisetd’unedesfemmesquivientpourladeuxièmefois,la
144
précédentefoisétait laséancedédiéeausolsticed’hiverdel’annéeprécédente.Cette
femmeestuneadepteduReikietparticipeàd’autrescerclesde«méditation».Surles
six femmes, deux, Jocelyne et Patricia, sont des «praticiennes de soins»69, une
troisième, Catherine pratique différents rituels pour elle‐même mais n’apparaît pas
encorecommethérapeute,lestroisfemmesparticipentrégulièrementàcesséances.En
règle généralemême les consultants les plus proches du cercle deMarie participent
aussiàd’autresgroupessousformedestagesvoireégalementde«méditation».Dans
ladeuxièmeséancequicomptecinqparticipantsenplusdeMarie,nousavonsquatre
femmes et un homme, Pascal qui se présente comme «thérapeuteen soins
énergétiques»,danslestroisfemmesnousretrouvonsCatherine,etuneseuledesdeux
autresparticipepourlapremièrefoisàunerencontre«méditationpartage»organisée
parMarie.
Dans ces deux séances, les séquences d’«ouvertures» sont particulièrement
déterminantespour leurdéroulementpourêtreprésentées inextenso.Marieouvrela
séancedu21décembreparlaquestionadresséeàl’ensembledugroupe«Alors,qu’est‐
cequivousamotivépourvenircesoir?»Patriciajustifiesaprésence,selonunregistre
coutumier,unévoquantladangerositédelapériodecalendairequifavoriselespassages
entre lesmondesnocturneetdiurne, terrestreetcéleste.«Moi,c’est lesolstice,c’est
toujours un passage important, comme il y a un tas de portes qui s’ouvrent en ce
moment.»Enutilisantl’imagedelaporte,elleemploieunlexiquecommunqu’ellemet
en lien avec une culture télévisuelle partagée avec les participants, spectateurs de
téléfilms,telsque«Lesportesdutemps»70danslesquelsdes«rupturestemporelles»,
69 Jocelyne pratique les méthodes suivantes: «Reiki, Médiumnité, Chamanisme, Relation d’aide,
Magnétisme,Guérisseur,Ecouteactive.»Sursafichedeprésentation,elleamisuneimageprésentantun
Christ, imposant lesmainssurunglobeterrestre.Sonsitewebsenomme«Amouruniversel».Patricia,
quiseprésentesursacartedevisitecomme«Praticiennedesantéetconseillèreenproduitscosmétiques
en vente àdomicile», incite chacunà consulter le sitewww.lespasseurs.com,«lespasseurs au service
d’une nouvelle terre» et à visionner les vidéos de Kiesha Crowther, «chamane et gardienne de la
sagesse»américaine,quisontdiffuséesrégulièrementsurdifférentsserveursinternet.70NickCutteret lesPortesdutemps, puissous letitredeLesPortesdutempsàpartirde laquatrième
145
brisant le continuum du temps, provoquent des anomalies dans la succession des
événements.Passantd’unlangagemétaphoriqueàceluidel’affect,quipeutêtreaussi
bienceluidespersonnagesdutéléfilmquelesien,elleajoutequ’elleressentleseffets
néfastesprovoquéspar«cesouvertures»:«Jen’arriveplusàmerappelerdeschoses.
Je suis à l’ouest». Les «ouvertures des portes» permettent aussi, selon la tradition
chrétienne,lepassagedesangesprotecteursquidescendentalorssurterreetdessaints
bienfaisantsquiviennent rendrevisiteauxhommesapportant«lesdonsduCiel», ce
qui fait dire à Patricia «qu’il est importantd’amplifier ces belles énergies et de les
intégrer.»
En affirmant que cette «soirée méditation» s’inscrit dans le calendrier coutumier,
Patricial’inscritdanslaprégnancedelogiquessymboliquesdanslesquellesonpeut:
«reconnaître l’exercice d’une pensée et d’un mode de transmission – une «coutume
chrétienne» ‐ adaptés aux transformations des relations hiérarchiques entre
compétences cléricales et société civile. Création et mise en ordre du monde,
construction de la personne et figuration du destin posthume, mobilisation d’une
multiplicité de médiateurs surnaturels dans une économie de l’incarnation et de la
rédemption: tous ces objets de l’énonciation dogmatique et de la spéculation
théologiquesetrouventmisàl’épreuve,nonseulementdansl’enseignement,lesriteset
les actes de dévotion prescrits ou tolérés par l’Eglise mais, tout autant, à travers des
savoirsnaturalistesoutechniquesetdesusagessociauxaprioriétrangersaudomainede
la“religion”».(GiordanaCharuty2004:76)
Ladeuxièmeséance,sedéroulantlepremierlundidelaSemainesainte,s’inscritdansla
mêmeprégnancedesusagessociaux.L’ouverturede ladeuxièmeséancese fait,cette
fois‐ci, sous la forme d’interventions de l’ensemble des participants, en réponse à la
saison, est une série télévisée britannique créée par Adrian Hodges et Tim Haines, et diffusée depuis
février2007enAngleterre,enFranceetdansd’autrespays.
146
question rituelle d’ouverture de Marie: «Comment ça se passe pour vous en ce
moment?»:
C.(Catherine):Jedorsmal.
M.: (Marie): Son appartement c’est une porte ouverte. Je la referme, elle s’ouvre. J’ai
réussiàmettrequelquechosedeprovisoire.Ilfaudraitquej’yretourne.J’arriveraiàfaire
mieux.Ladernièrefoisquej’ysuisallé,j’aifaitcequej’aipu.Çafaitcombiendetemps?
C.:Cafaitlongtemps,aumoinsuneannée.
P.(Pascal):C’estnormal,elleserefermeraquandtuaurasdécidéd’yrentrer,depasserpar
cetteporte.
C.:Jepassepasparcetteporte.
M.:Tusaiscequ’ilyadedans.
C.:Ah,çava,jen’aipasenviedemourir.
P.:Qu’est‐cequ’ilyadedans?
C.:Moi,jefaisdesnettoyages,çavaparcequejeconnais.
M.:StyleboitedePandore.Jerentrepas.Jesuisdésolée.Pasça!
P.:Pourtoi…Elleestàtoi.
M.:Peut‐êtrequ’ilfautqu’ellerentreaccompagnée,àcemomentlà,pastouteseule.
C.:çapeut‐êtren’importequi,jedoisledire.
M.:C’estbienpourçaquejeposelaquestion.
P.:Ilfautqu’ellesedécideàlefaire.C’estuneporteintérieure.C’estsonintérieuràelle.
C:Jesuispastoutàfaitd’accordavectoi,maisenfinbon…
P.:Peutêtre.
C.:C’estmonidée!
N.:Tulasenscommentlaporte?
C.:Laportecommentjelasens?
P.:Commeunaspirateur!
C.:Jeressenspasça,mais…
M.:C’estpourcelaqueparrapportàcequeturessens,queturessenspas,c’estbiendes
foisd’avoirunœilextérieur.Sivousaviezvutoutcequisortait…
C.:Toutcequiestrentrédanslalumière.Toutcequ’onafaitrentrerdanslalumière.Moi
jefaistouslesjours…Parcontre,lanuit,j’allumedeuxbougies.
147
M.:OnverraçaautourdePâques,pourquetupuissesêtretranquille.
Danscetteséquenced’ouvertureapparaîtunepropositiondepositionnementde«co‐
devin»,delapartdePascal.Marievadevoirchoisirdel’accepterdansl’interactionou
delerelégueraumêmestatutquelesautresparticipants.
Dans la séquence suivantequiprocèded’un«enveloppementpar laparole» surune
formede récitatif,Marieproposeplusieurs inductionsauxparticipantset lesentraine
dans une imagerie mentale. Ceux‐ci, en entrant en interaction avec Marie et en
reprenantàleurcomptesesmétaphores,vontprogressivementchangerdeposture,de
l’état de consultant, ils se préparent à prendre la fonction de «rêveurs» et de
récipiendaires des messages de locuteurs surnaturels. Marie va introduire quatre
thèmesdanslapremièreséanceetdeuxdansladeuxième.
Dans lapremière séance,Marie commencepar reprendre le thèmede l’«ouverture»
avancé par Patricia, en évoquant des «portes qui s’ouvrent», selon différentes
assertionssémantiques.Ellevaproposerauxconsultantsdeconsidérerplusieursimages
mentales, tout d’abord une «porte à deux battants», dont la particularité est de ne
pouvoir s’ouvrir qu’à moitié et de ne laisser passer qu’une partie des «énergies»,
qu’une partie desmédiateurs surnaturels, puis d’assimiler ces portes à des éléments
fluides,à«desvoiles»quis’écartentde lamain.Lesreprésentationsdeceséléments
sontàconstruireparlesconsultants,Mariesuggérantdesimagessanslesdécrirenileur
donner unematérialité. Par association d’idées, elle va glisser sur la proposition que
l’ouverture temporelle renvoie et requiert l’ouverture d’esprit du consultant. Celui‐ci
doit s’abstraire de sa posture initiale, s’en «nettoyer» pour devenir le récepteur des
signes du Ciel et de l’au delà.Marie formulera cette contrainte en l’illustrant par les
opérations de «vide grenier» et de «vide cave», en assimilant le consultant à une
maison,dontlacaveexprimecequiestenfouisdanslaterre,danslepasséetlegrenier,
cequiestaérien,cequiestdel’ordredu«mental».PourMarie,ilfautselibérerde«se
qui nous appartient pas», de ce qui vient d’un contexte familial ou social, «de notre
148
généalogieoud’incarnationsprécédentes»etqui«nousempêchedeprogresser».«Ily
a des choses dont vous n’aurez plus besoin, ou qui sont devenues caduques, qui sont
devenues inutiles, et plutôt que de tirer un boulet derrière vous, avec vous, coupez et
avancez. On nous demande d’être beaucoup plus léger, justement de ne plus rester
accrochéàceschoseslà.Onvaverslasimplicité,laclarté.Voilà.Donctoutcequipeut
vous être utile par rapport à ça, faites le.» Cette idée de faire de la place, «de
s’alléger»,aupropreetau figuré,pourunedesconsultantescorrespondàunevision
oniriquedelaveille:
«J’aifaitunrêve,là,hiersoir,c’étaitduchenitàquelquepart.Ilyavaitdesmouchesqui
volaient et jemedisais «mais elles viennentd’où cesmouches?» J’avaismon collègue
avecmoi,onavuàunendroit, ilyavaitpleindemouches,c’étaitderrièreuntruc,entre
deux bois en fait. Donc en fait, à la place de nettoyer, moi, je n’ai pas voulu voir, j’ai
refermé.Alors,jesaispassilenettoyage,ilvasefairecesoir,vuquedansmonrêve,j’ai
pasvoululevoir.»
Marie ne décode pas le rêve par une clé des songes ou en plaquant une association
d’idéesur lesmouchescommemétaphore,maisrenvoie laconsultanteàuneposition
activeparuneénigmequ’elledevrarésoudre:«Tutemetsunobstacle,parcequec’est
là,etlefaitderefuserdelevoircelat’empêchedelibérer,çat’empêchedemettreautre
choseàlaplace,debeaucouppluslumineuxquedesmouches.».Viendrontensuitedes
recommandations relatives aux productions oniriques et aux troubles nocturnes
pouvant être l’œuvre de «messagers»: «On est facilement perturbé en ce moment
entre2heureet4heuredumatin.Ilyavraimentdesportesquis’ouvrentàcemoment
là, pourquoi? Parce que vous êtes en repos et on peut en profiter justement pour
travailler quelque part sur vous. Au niveau des rêves, cela peut être desmessages, et
aprèsquelquechosepeutseprésenteràvous».Laproductiononiriquepeutêtrediurne,
«ce n’est pas uniquement dans la pensée, dans la tête que les choses se font. Les
images, les messages vont se présenter à vous de différentes manières selon votre
propreperception, iln’yapasde règle.Donc, çapeutêtreencoursdeméditation, ça
149
peut être en cours de rêve, ça peut être par rapport à une lecture. Ca peut être par
rapportàbeaucoupdechoses.»
Ledernierélémentdelamiseenconditiondesconsultants,unrappeldelacoutumede
la «bûche de Noël», servira de condensation aux deux premiers. Une bûche était
brûlée dans la cheminée durant la nuit de Noël. Puis on la sortait de l’âtre et on la
frappait à coup de bâton pour en faire jaillir des étincelles et s’échapper de la partie
creusedesfriandises,desnoix,desnoisettes,deschâtaignesetdesfruitssecs.Arnold
VanGenneprelèvequecettetraditionétait,verslemilieudu19èmesiècle,relativement
homogène,dansleterritoirecouvrantlacampagnedeGenève,leCantondeVaudetle
Bas‐Valais. (Arnold Van Gennep, 1999 (1958) : 2511) Labûcheprovenait d’unarbre
fruitier afin de s’assurer la production de nombreux fruits. Les tisons et les cendres,
répandusdans les champs, favorisent les semenceset gardés sous le lit dumaîtrede
maison, ils préservent l’habitation des risques d’incendie, ses occupants de toute
maladie et accident et assurent aussi leur fécondité. Arnold Van Gennep relève que
«certaines personnes signalent que des anges, ou des âmes errantes ou encore des
mortsdelafamilleviennentsechaufferdevantlabûche».Nousretrouvonscetteidée
de capter la chance, l’abondance et la fécondité en relation avec une régulation des
échangesentreles«morts»etlesvivants.Marien’allumepasune«bûchedeNoël»,
dans son appartement au 9ème étage. Elle dématérialise des pratiques coutumières et
desrituelsantérieurspourlestransformerenimageriementale.
«Lesolsticed’hiver,c’estpermettredefaireunjolifeudejoie.Ilyaaussicetteimagequi
merevientdelabûche,latraditionnellebûchequel’onfaisaitbrûlerdansl’âtreàNoël.Ce
soir,c’estcequej’aimeraisquel’onfasse,c’estrefaireduneuf,doncbrûler.J’aicetteidée
de feu, de faire un grand feu et que chacun va y déposer sa bûche. Vous allez pouvoir
matérialiser,pourvous,cequereprésentecettebûche,cequiestlà,quivousbloque,qui
vousempêched’avancer.»
150
Cetteconstructiondudispositifthérapeutiqueetderésolutiondescrisesexistentielles
estdéveloppéeconjointementaveclanominationdetrois«morts»etd’unpetitenfant
malade,dont lesévocationsneconnaissentpas lesmêmesdéveloppementsdiscursifs.
Les deux premiers morts sont juste situés dans une généalogie, contrairement au
troisièmemort,ungardeforestiermortaccidentellementquipeutdevenir«unmauvais
mort» s’il n’est pas «apaisé» rituellement. Quant au très jeune enfant malade, il
appartientàlacatégoriedesêtres«nonfinis»àquiilfautdonneruneidentité.
Patricianeconnaîtpascetenfant,maiselleareçuunmessageélectroniqueenvoyépar
le réseau social virtuel dans lequel elle s’est inscrite«les passeurs au service d’une
nouvelle terre», dont l’initiateur, qui a pris le nom évocateur de Michel Saint‐Jean,
proposedes«services»comparablesàceuxdeMarie,maisenligne:
«Jenesaispassivousavezreçu,parcequeçaapasmalnavigué.C’estunedemandepour
unpetitbébé,unepetite fille, Lila,quia troismois,quiestatteinted’unemaladie. Ilne
faut pasmedemander de la répéter, je ne suis pas capable,mais ça va très loin. Ils ne
savent pas si elle peut survivre.Mais c’est vrai que c’est un enfant dumonde nouveau
doncmêmesielledoitrepasserdanslalumière…Sionpeutl’introduiredanslaméditation
etluienvoyerdel’amour.C’estunepetitedetroismois,sic’estsonchemin,ellesurvivraet
puisautrementelleestvenue,peutêtre,amener,jeleressenscommeça,moi,simplement
qu’elleestvenueréunirlesgensautourd’uneprièred’amourpourlesautres.»
En évoquant le petit enfant malade, Patricia, se positionne dans une fonction de
«passeused’âme»quirequiertuneproductionritualiséedes«revenants»,orcelle‐ci
demandelamiseenplacedemédiateurs.ClaudeLévi‐Strauss,posantlaquestion:«qui
peutpersonnifier lesmortsdansune sociétéde vivants?», constateque ce rôlepeut
êtreprisparceuxquisontincomplètementincorporésaugroupeetquidoncparticipent
del’altérité.Parmiceux‐ci,noustrouvonslesétrangers,lesmendiants,lesesclaves,les
enfantsetlesfemmesdanscertainessociétés.L’inférioritédestatutpolitiqueousocial
151
et l’inégalité des âges deviennent des critères équivalents dans cette potentialité de
personnification.ClaudeLévi‐Straussrappelleque:
«nous avons d’innombrables témoignages, (…) qui décèlent le caractère propre du
réveillon d’être un repas offert aux morts, où les invités tiennent le rôle des morts,
commelesenfantstiennentceluidesanges,etlesangeseux‐mêmes,desmorts.Iln’est
doncpassurprenantqueNoëletleNouvelAn(sondoublet)soientdesfêtesàcadeaux:
lafêtedesmortsestessentiellementlafêtedesautres,puisquelefaitd’êtreautreestla
première image approchée que nous puissions nous faire de lamort.»71 (Lévi‐Strauss
Claude,1996(1952)
Marie reprend la mission de ce petit enfant tracée par Patricia afin d’achever de lui
donneruneidentitéettenterdepallieraurisquede«l’inachèvementdesavieetd’un
destinincomplet»quiferaitd’elle«uneâmepeineuse»(DanielFabre1987:19):
«Unenfantn’estjamaisseul,tousceuxquisontd’accordd’évoluer,quisontd’accordde
fairecetteprisedeconscience,tousceuxquisontd’accordd’évoluerverslalumièreetvers
cettenouvellespiritualitéquellequ’ellesoit,serassemblent,seretrouvent,etseréunissent
enmêmetempsquecesnouveauxenfantsquiviennentetquiapportentdesmessages.Ca
peutêtrejustementunemaladied’unbébéquivafairequelesgensvontsedévouer.»
Le troisième mort est évoqué par Marie et appartient à lacatégorie des potentiels
«mauvaismorts»:
71Ausujetdurôledes«morts»tenupardesenfants,ClaudeLévi‐Strauss,rappelledanslemêmearticle,
(1996 (1952):44‐45),que lesquêtesqui sesuiventdepuisHalloween jusqu’àNoël, cesquêtesqui«se
succèdentdurant lapériodecritiquede l’automne,où lanuitmenace le jour, comme lesmorts se font
harceleursdesvivants», sont faitespardesenfantscostumésen fantômes, squeletteset sorcières,qui
«persécutent» les adultes jusqu’à l’obtention de friandises ou de «sous». Ainsi, «le progrès de
l’automne, depuis son début jusqu’au solstice qui marque le sauvetage de la lumière et de la vie,
s’accompagne donc, sur le plan rituel, d’une démarche dialectique dont les principales étapes sont: le
retourdesmorts, leurconduitemenaçanteetpersécutrice, l’établissementd’unmodusvivendiavec les
vivantsfaitd’unéchangedeservicesetdeprésents,enfinletriomphedelaviequand,àlaNoël,lesmorts
comblésdecadeauxquittentlesvivantspourleslaisserenpaixjusqu’auprochainautomne.»
152
«Toutàl’heure,jevousparlaisd’arbres,jepensequesijevousparledebûche,c’esttout
simplement aussi parceque l’annéedernière j’ai vu partir quelqu’undont je venais de
faireconnaissancequiétaitgardeforestierdansleJuraetquiaététuébêtementparce
qu’il est allé couper un sapin pour sa belle sœur. Le sapin est tombé de la voiture et
quandilaramassélesapin,ils’estfaitpercuterparuneautrevoiture.Toutçaparcequ’il
yavaitunecascade,ilsedemandaitpourquoiilyavaitunecascadequifaisaitdubruità
coté,donciln’arienentendu,c’étaitdansunvirage. Ilestpartiet jevenaisdefairesa
connaissance.»
DanielFabre(1987)rappellequesi«lesrites«font» lesbonsmorts. (…)Lesmauvais
morts, c’est‐à‐dire ceux qui ne cessent d’être présents auprès des vivants, signifient
donc un défaut non seulement dans le rituel funérairemais plus généralement, dans
l’ensembledesritesquiaccompagnentlapersonnedudébutàlafindesavie.»Maisils
yenaaussi«que l’onpourraitappeler lesmauvaismortsdéfinitifs»,parmi lesquels
«ontrouvetousceuxquimeurentenpositiondemarge(…)oud’unemortquiparsa
violence exclut toutemaîtrise rituelle.» (Daniel Fabre 1987 : 19) Ces âmes en peine
restent attachées au lieu qui a vu leur fin de vie, et devenu des revenants,ils se
manifestent aux passants près des routes, dans les marges des territoires, quand
arrivent les «césures de l’année et du jour». Ces «êtres errants» dans les marges,
«entrelevisibleetl’invisible,ilsdemeurentensouffranced’incarnation».(Ibid.)Mariea
prévud’alleràNoëldanslafamilledugardeforestierpourprocéderavecelleàunrituel
pour «apaiser ce mort», se substituant aux compétences cléricales et à l’acte de
dévotioninstauréparlamessedu«serviceduboutdel’an»,quidanslafigurationdu
destin posthume de la tradition catholique du Purgatoire, règle le sort de l’âme du
défuntquirejointlesmondescélestes,etréintègresesprochesdanslasociéténormale
desvivants.
Ladeuxièmeséancede«méditationpartage»,quiprendpourdatelelundiquiouvrela
Semainesainte,aunpointcommunaveclaprécédente,elleestaussiplacéedansune
153
périodedangereuseetdanscelle‐ciaussi,sontcenséescirculersurterreles«âmesdes
morts».YvonneVerdier,analysantlesinterditscalendairesliésàlalessive,constateque
plusieursd’entreeuxs’inscriventdanscespériodes,«lesâmesdesmortscherchentàse
blanchir,ets’ilexisteuninterditdelessivependantlespériodesoùellescirculent,c’est
qu’attiréesparlabui–quiblanchit–,ellesseprécipitentdanslecuvierquifaitfonction
depurgatoire–onditqu’ellesseraienttourmentées–,maisqu’enmêmetemps,ense
mêlant au linge des vivants, elles les entraîneraient dans la mort ». (Yvonne Verdier
1979:139)Cettemêmelecturesymboliqueapparaîtdansdesusagessociaux liésaux
funérailles, «d’un certain nombre de coutumes funéraires, ils ressort que les âmes
veulentêtrelavées».(YvonneVerdier1979:137)Mariereprend,danscetteséancedu
lundi saint, cette même approche symbolique du «nettoyage» pour permettre aux
«âmes errantes» d’accéder à la lumière et de libérer les vivants pour favoriser leur
«renaissance». Elle utilise peu le terme d’«âmes errantes», elle préfère parler
d’«êtres décédés» ou d’«entités», puisque pour elle, ceux‐ci se manifestent
«physiquement» par des signes visibles dans l’environnement quotidien ou par des
perceptionsdechaleur,delumièreblanche,les«entités»transmettentdessensations
de froid, d’ombre, d’air qui se trouble. Pour retrouver une sérénité, pour «oser
renaître», Marie préconise «un grand nettoyage de printemps, parce que quand on
veutfaireentrerlalumièreilluifautfairedelaplace.Pourça,ilfautfaireuneprisede
conscienceetaccepterdesedétacherdetoutcequiestdésormaiscaduqueetinutile.»
Corpsethabitationsontlemiroirl’undel’autre.«Nettoyersonlogement,c’estnettoyer
sonintérieurcorps.Vousenlevezlapoussière,vousdésencombrez,vousrevoyezcequ’il
y a dessous. Laissez‐vous inspirer, vous pouvez déplacer des meubles, vous changez
quelque chose en vous. Continuez l’action cela va la dynamiser.» Dans la vision
métaphorique de l’être humain, reprise parMarie, qui comme l’oignon a des peaux,
qu’ilfautretirerpourparveniràsoncentre,ils’agit,pourlesconsultants,d’enleverles
«couches»depeurs, demal‐être, dedouleurs physiqueet de «dépressions» qui les
empêchent de progresser et de rester dans cette lumière christique, seul gage d’une
«rédemption».
154
«Pendantuneméditation,unami,quiétaitlà,m’adit:«Faisattention,tuasuneombre
derrièretoi».Jedis:«merciparcequejustement,jel’avaistirécematinetj’étaisunpeu
endoute».Aussitôtdit,aussitôtfait.Alorsc’estvraiquequandonvafaireunprocessus
de nettoyage, c’est comme un vêtement, vous le nettoyez, c’est bien, le plus beau
vêtement que vous aimez bien, vous faites une tâche dessus et l’ombre va essayer de
vouloir reprendrepossessiondevous.Donc,elle resteautour.Mais si j’avais laisséça, si
j’avais pas eu les signes des guides de lumière et la remarque: «attention, tu as une
ombre derrière toi», elle aurait pume posséder. C’est pour cela qu’il faut être vigilant,
c’estpourçaqu’onadesjeuxdecartesouautres,etqu’onaenviedelestirer.C’estqu’on
aunmessagequinousattend,ouquelquechose,etonestencontinuelleévolution,ilne
faut pas vous dire voilà, on est clean, propre, et c’est fini. Vous nettoyez votremaison,
votre appartement, c’est pareil, c’est tout propre et ça recommence à se salir et on est
toujours en vigilance, à recommencer, jusqu’à la fin ce sera comme ça.Moi je travaille
aveclalumière.Lalumièreestlapriorité.Jesaisqu’ilssontlàmaisjelesignore.Plusonles
ignore, les ombres, les maladies, moins elles vont être puissantes. Plus on va être là‐
dedans dans la crainte, plus on va les attirer. Il faut rester avec cette énergie d’amour,
celle‐là vous la faites grandir et plus elle grandit, plus vous êtes dans la lumière et plus
vous êtes protégés. Ce qui est ombre ne peut pas rentrer dans la lumière. Quand vous
ouvrez une porte dans une pièce qui est dans l’obscurité, c’est toujours la lumière qui
rentre dans l’obscurité, c’est jamais la pièce sombre qui va envahir la lumière. Donc la
lumièreestuneprotection.
Cespremières séquences sedéveloppant suruneduréed’uneheureetdemieàdeux
heures sont conduites d’une main de maître par Marie qui, selon une technique de
saturation par la parole, glisse d’une sentence banale à une métaphore et imbrique
ensemble plusieurs systèmes de pensée. Laissant très peu de place aux questions ou
remarques des consultants, ceux‐ci sont contraints à l’écoute. Lorsqu’une lassitude
s’installe, la médium suscite un regain d’intérêt par le tirage d’une carte du jeu
«Affirmations des Anges», qui lui permet d’intercaler de minimes mises en intrigue
individualiséesdanscettemiseenconditioncollective.Chacunlit le«message»desa
155
carteensignalantsacouleur,Mariecommentesobrementendonnantunesignification
à la couleur de la carte: «violet: la spiritualité, jaune: le plexus, le foie, orange: le
rayondusoleil,rouge:lematériel»,etrendchacunattentifauverbeutiliséparl’ange.
«Jesuisl’angequiaimetasérénité»signifiequelapersonneestdanslasérénité.«Je
suisl’angequiteconseilledanstaconcentration»estinterprétécommeunedifficulté
de «centrage» de la personne. Seuls les protagonistes de l’interaction semblent en
comprendre la signification, qui reste étrangère aux membres de la rencontre. Ces
propos sibyllins achèvent d’installer Marie dans sa fonction de devin, et son long
monologueantérieurprendl’allured’une«présentationauxesprits»par lequelellea
rappelé à tous, vivants et «esprits», sa compétence de médium.Marie a installé la
scènedeladivinationparglissementssémantiquessuccessifspourarriveràl’acmédela
soirée:«laméditation»,soitlaconduited’unrêveéveillé,quiintroduirapourchaque
consultant une séquence de songe individualisé permettant la manifestation de
locuteursselonlacodificationdechacundesimagesoniriques.
«Jevousengageàvousinstallerconfortablement,àéviterdecroiserlesjambes,lesbras.
Vousvousmettezcommevousvoulez.Siàunmomentdonnévousn’êtespasbien,vous
avez envie de vous allonger, vous avez une douleur, vous pouvez vous lever, bouger. Si
vousavezdescourbatures,c’estclassique.Sivousavezfroid,ilyadescouvertures.C’est
tout bon? Je vous invite à faire trois respirations profondes. C’est‐à‐dire d’aspirer le
souffledevie, leprâna.Denourrir toutvotrecorps.D’expulser toutetension, toutstress
par labouche.Ladeuxièmerespiration, jevaisvousdemanderd’allerbeaucoupplus loin
que votre corps, c’est‐à‐dire vous allez aussi le nettoyer, l’expulser et adoucir vos trois
corps.Etlatroisième,onvaallerbienaudelàdetoutça,etonvaalleraussidétendretous
noscorpsspirituels.Voilà.»
Marie frappe le gongdeplusieurs petits coups rythmés, la vibrationdu gongest plus
longueque celle du tambour, puis elle produit des longuesplages sonores continues.
Elle va frapper sans discontinuer le gong pendant toute la méditation.Elle se sent
«transportée» par ses «guides», par «ceux d’en Haut» qui lui transmettent les
156
rythmesdescoupsetfrottementsdemailloche, lessignesqu’elletracesur legong,et
lescrisgutturauxetmélopéesquisuivrontl’énonciationdesontexte.
« Jevaisvousfaireprendreconsciencemaintenantdevosracines. Jevaisvousparlerde
cettecouleurrouge,decefeuquevousallezvisualiserenmêmetempsquevousrespirez,
toutdoucementmaintenant.Quetoutevotresouffrance,toutesvosangoisses,toutvotre
stress, toute votre négativité va gentiment descendre jusqu’à vos pieds, au delà de vos
pieds.Vousallezvisualisez ces racines rouges, rouges foncées, rougesangqui vontaller
s’infiltrer dans la terre, jusqu’au centre de la terre, jusqu’aumagma. Et là, vous laissez
drainer tout ça. Vous voyez toute cette noirceur, tout ce coté sombrepartir, s’évacuer.
Puisvousvoyezdeplusenpluslecristalaucentre,lapuretéremonteravecunsangd’une
couleur écarlate, pure, translucide, qui va remonter maintenant le long de vos racines,
venirdansvospieds,voschevilles,remonterlelongdevosjambes,devosgenoux.Làvous
enprofiterpourdénouerlapelotedetouscequiconcernevotregénéalogieàgaucheetles
obstacles à droite. Et puis, vous continuez à remonter dans vos cuisses pour venir se
déverserdansvotre1erchakra,làdansvotrefeuintérieur.Làoùsetrouventcesbraises,la
basedelaKundalini,lefeudelavie,lefeudevotreincarnation.Puisdesbraises,decefeu,
decettebelleboulerougequi tournegentiment, lentement,s’échappentdemagnifiques
flammesoranges légèresquidansent, telsdesrubansentrelacés.Vousremontez jusqu’à
votre 2ème chakra. Ces flammes vont venir nettoyer, désencombrer ce 2ème chakra, le
chakradesrelations.Larelationdevotremasculinàvotreféminin,lesrelationsvisàvisde
vos collègues, de vos voisins, de votre conjoint, de votre partenaire quel qu’il soit. Vous
permettez là aussi de dénouer ce qui a à dénouer, d’aérer tout ce qu’il y a à aérer, de
brûler, de nettoyer tout ce qu’il faut. Que ce soit lien de famille ou tout autre lien de
relation.Puisdecesflammessortentdespetitesflammesjaunes,quivontvenirilluminer
votreplexussolaire,allumercemagnifiquesoleilintérieur.Magnifiquesoleiljaunebrillant,
notrerayonnement,notremoteur,notrepuissanceintérieure.Regardezbiensilàaussiça
tournecorrectement, s’iln’yapasunpetitgrainquivientgêner l’engrenage.Permettez
qu’il s’éloigne. Regardez ce moteur tourner telle la précision d’une montre. Lumière,
lumière en boucle, lumière autour de vous. L’être de lumière que vous êtes là, à cet
endroit.Permettezdelibérervotrepuissance,decelle,deceluiquevousêtes.Osezêtresoi
danssabellepuissancedelumière.Puisonvaremonterjusqu’àlacoupedestroiscœurs,
157
la coupeduGraal, à gaucheauniveaude l’épaule gauche, le chakra de la compassion,
compassion pour soi et pour les autres. N’oublions pas que là nous recevons et nous
devons d’abord recevoir pour nous, pour ensuite pouvoir donner. Profitez‐en ici là, pour
pardonneràsoiquandnouspardonnonsauxautres.Laissonsvenirlàdanscettecoupe,la
sourced’émeraude,lasourced’amouretdeguérison.Puisaumilieu,notrecœurphysique,
laissonslàaussicettesourced’émeraudeserépandredanschacunedenoscellules,dans
notresystèmeveineuxafindepouvoirguériretnourrirtoutnotrecorpsphysique,tousnos
organes, tout notre système osseux, lymphatique, tout. Notre cœur, celui qui relie
justement notre âme à notre corps physique dans l’amour universel. Nous ne pouvons
aimerautruiquesinousnousaimonsnousmême.Donccommençonsparsoi,làaucentre,
aucentredecetaxequiréunitl’axeverticaletl’axehorizontalàlacroiséeduchemin,la
croiséedelaroute,lacroiséedenosroutesetdenoscheminsdevie.Etrespectonsnotre
corps, celui, ce véhicule, qui a choisi de nous porter en tant qu’être de lumière. Puis à
droite, au niveau de l’épaule droite, là nous avons l’amour inconditionnel. Là, nous
pouvonsmaintenantdonner,distribueràtoutunchacun,sansjugement,sansdistinction
de race. Nous sommes tous de la même famille d’âme, tout au moins ceux qui se
réunissent, nousavons tousun lienpermettantdenousaimer tel quenous sommes, de
respecternousmêmetelquenoussommes,maisaussitoutêtrehumain.Maintenantque
cette coupe de lumière est remplie, nous allons pouvoir diriger notre regard pour voir
commeunbeaucielbleu,bleuazur,auniveaudenotregorge.Lepassageesttoutdroit,
quinousrappelleceluidenotrenaissance.Lechakradelagorge,celuidelacréativité,de
lacommunication.Est‐cequej’osedirecequejepense,est‐cequej’oselevérifier.Unpeu
commelestroispetitssinges,«nerienvoir,nerienentendreetneriendire»,aucontraire
permettezvouslàd’oser,devoir,d’entendre,dedireetdecréervotrevieafind’accomplir
votre mission. Puis vous remontez un peu plus haut justement entre les deux yeux, au
niveaudevotretroisièmeœil,d’unbeaubleuindigo,teluncielétoilé.Permettezlàd’avoir
cet autre regard sur la vie vous même, sur votre passé, sur votre généalogie, sur vos
mémoirescachées.Qu’est‐cequej’ailà,qu’estcequej’aidéjàvécu,qu’estcequej’aidans
maconscience,dansmoninconsciencequipourraitmeserviretlàfaitesletri justement,
laissezpartircespenséessclérosantesquivousempêchentdecréer,deréaliservotrevie.
Puis nous allons monter un peu plus haut au niveau de la couronne et là nous allons
rejoindrelemondedesguides,desmaîtresascensionnés,desêtresdelumière,cettebelle
158
couleur violette. Laissez, laissez ces pensées et ces messages pouvoir rentrer en vous.
Prenez contact avec votre famille d’étoiles, votre vraie famille etmaintenant vous allez
visualiser un magnifique rayon blanc, argent et or, telle une magnifique corde tressée
venir depuis cette ouverture de votre corps et rentrer dans votre tête et descendre
gentimentdansvotrecolonnevertébrale,venirilluminertoutvotrecorpsdepuisl’intérieur
etdescendrevenirs’aligneraucentredelaterre,ainsireliéentrecieletterre,entrelepère
créateuret lamère féconde,nousen tantqu’enfantdudivin spirituel. Jevaisdemander
maintenantauniveaudevotreharadeprendre lacléquisetrouveautour devotrecou
posée sur votre cœur et d’ouvrir la porte qui vousmène là en votremonde, dans votre
jardinintérieur.Qu’ellesoitsimple,qu’ellesoitsculptée,ouvrez.C’estvotreclé,c’estvotre
porte. Puis votre cadeau ce soir, c’est d’aller chercher là, lesmessages, un bien être de
guérisonouquoiquece soit quipuissevousêtreutile,maisn’oubliezpasque là ce soir
spécialement vousavezdans lesmains votrebûcheet cettebûche, vousallez l’apporter
auprèsdufeuquevousvisualisereztelquevousledésirezdansvotrejardin.Laissezvenir
auprèsdevouslesêtresquipourrontvousaideretfaitesunmagnifiquefeu,quiiraensuite
rejoindrelefeudelaterre.Vousleferezcesoir,vousleferezpourvous,maisceseraaussi
unbondpourl’humanité.Jevoussouhaiteunbonvoyageàl’intérieurdevosrêves.»
Marie va continuer de frapper le gong pendant 17minutes 30 avant de reprendre la
paroletoutencontinuantdejouer.Ellealternedescoupsrythméscourtscommesurun
tambouravecdescoupspluslentsentraînantdelonguesvibrations,ellecommencepar
trois «ah» gutturaux et expectorés puis continue par une mélopée scandée. Elle
produit des chuintements sur le gong en frottant la mailloche, puis reprend une
mélopéed’unevoixdetêtedanslesaigus.Lesrythmesetvibrationssesuccèdent,avec
des crescendi et descrescendi de sons qui sont produits par coups, frottements,
roulementsainsiquemélopéesetcris.Puistoutencontinuantàfrapperlegong:
«J’espèrequevousaveztousdéposévosbûches,quevouslesavezvuflamber,quevous
vous êtes réchauffés à leur feu réunissant à la fois le cœur de la terre et les confins du
cosmos.Vousvousêtesoctroyédelibérertoutcequiaàlibérer,debrûlertoutcequiest
désormaiscaduqueetinutile,afinquececipuisseêtretransmutéenlumière.Maintenant
159
vouspouvezremerciercequis’estpassé,ceuxquiontétééventuellementprèsdevous.Et
vousallezremonter,fermercetteporteàclé,remettrelacléautourdevotrecou,survotre
cœuretreveniricietmaintenantsurvotrechaiseoufauteuildansvotrecorps,danscette
assemblée,danscetteréunion.Vouspouvezvousétirer,bailler,ouvrirlesyeux.Bienvenue
pourceretour.Vouspouvezgentimentcommenceràreprendrelalumière.Cava?»
Marien’estpaslaseulemédiumàutilisercettecartographieducorps,etlevocabulaire
qui l’accompagne,permettant lerécitdece«voyageà l’intérieur»quidéclencheune
productiononirique assimilée à une«sortie du corps».Au cours d’ateliers àMednat
Expo,ayantpuassisteràd’autresméditationscollectivesutilisantlemêmecanevas,j’ai
pu constater des maîtrises variables de cet exercice, ainsi que des objectifs très
différents tel que «favoriser l’émergence d’un sentiment de communion entre les
participants». Les participants n’étaient pas engagés à raconter leurs sensations et
visions.
Les«rêveurs»sontsollicitésparMariepourpartager leur«voyage»avec lerestede
l’assemblée.Chacunraconterason«périple»,certainsdemanièretrèsbrève,d’autres
demanièreplusprolixe,Mariecommenterapeu les récits.Unepartiedesconsultants
nepeutpasdécrirede«rêve». Jeana reçuunmessagequi le concernaitqu’il adéjà
oublié,«commeàchaquefois».«Jesaisqu’ilestlà,maisconsciemmentjel’aioublié».
PourMarie,lemessageestdansson«inconscient,ilsortiraaubonmoment».Giovanna
n’apasvud’imagesmaisaeudesperceptionssensorielles:«j’aieulesjambesfroides,
j’aieulespiedsfroids,lesdoigtsdepiedsetaprèsc’estrevenu.Çam’afaitbeaucoupde
bien.»PourMarie,«ilfaudrainterrogerplus,maisGiovannanedoitpaslefaireseule»,
ellen’endirapasplus. Les récitsdes rêveurs se situentdans leshauteurs célestesou
dansdesunivers lointainsetpourcertainsdansdessociétésquirestentmythiquesou
appartenantauximaginairesdel’enfancecomme«lesindiensd’Amérique».
160
Véronique: Il yavaitdes indiensdevantmoi. J’étaisà cheval, accrochéeà l’encoluredu
cheval,ducotégauche,jen’avaispasdepeur,puisjemesuisfonduedanslecheval,jene
faisaisplusqu’unaveclui.
Fabienne: J’ai fait un grand feu et tout d’un coup, il avait la forme d’un tipi qui est
apparue,c’étaitquandmêmeassezhautetqui ilyavaitautour…c’étaitvitevuquiest
arrivé, tout lemonde, j’avais les animaux, j’avais les élémentaux, j’avais les guides, les
maîtresettoutd’uncoup,ilyaeucedômequiestvenu,uncristalpuravecenplusencore
surquatrecotésdesperles,maismulticolores,enfinc’étaientdesdiamantsmulticolores.
Puisçac’estcristallisélà,çac’estmatérialisélà,etj’aidit:c’estuneautreplanète.Dans
certainsmessagesque l’on reçoit, il yenaqui sont transmisparvibrationssonores,par
dessons,çavientdesêtresd’autresgalaxies.
Marie:Tuasfaitconnaissanceavectonorigine,aveccequiavaitavant.
Catherine: J’ai commencé avec tous les archanges, on a même un peu volé, on est
redescendu.Etpuisvoilà,aprèsjenesaispas,j’aivuCélinesourire,etpuisvoilà.Peut‐être
qu’ellepensaitànous.Peut‐être.
Marie:Possible,ilyena(des«êtresdécédés»)quiserelayeautomatiquement,ilyaen
quiseprésententlà,quisontlàsansêtrelà,engénéralilyatoujoursdesfoisunechaise
vide. (Elle évoque des chaises restées vides dans son salon et qui «pourraient
êtreoccupéespardesdéfuntsvenantparticiperàlaséance»,puisquepersonnen’achoisi
cessièges)
Catherine:J’aivuaussiuncheminde lumièreavectous lesarchangesqui longeaient.Et
puis,jel’aiinvité.
Marie:C’estbienquetoitul’aiesvu.Oui,moijel’aivusanssavoiroùc’est.
Catherine:Celafaitdéjàquelquestempsquejelavois.
Lorsdeladeuxièmeséance,Catherineretrouvelemêmerêveetlepoursuit.
Catherine:Jesuismontéverstouslesarchanges,ilsétaientalignéscommepourunehaie
d’honneur.Aprèsmonpèreestarrivéavecquelquespersonnesdelafamille,onaeuune
bonnediscussion.
161
Marieconclut:
«Il faut pas être étonné, si des fois, vous allez les voir venir là, et sous cette forme là,
s’occuperdevous.Autrementc’esttoutsimplementdesêtresdelumièrequisontlà,dont
certains n’ontmême pas de nom. Il faut savoir que tout ce qui vient directement de la
source, n’a pas de nom. Tout ce qui fait partie, par contre, de la main angélique:
archange,ange,maîtreascensionné,séraphin,celavaencoreplushaut,c’est jamaisque
delalumière.»
Si recevoir les messages de «l’au delà» ou «d’entités célestes» requiert
l’apprentissaged’unetechnique,commecelaapparaîtdanslesdifférencesderécitsdes
consultants, la compétence de «partir en rêve éveillé» se développe quant à elle
facilement.Nousretrouvonscetteapprochedéveloppéeenpsychothérapie.Reprenant
lestravauxdeI.P.Pavlov,physiologisterusse,RobertDesoille72ladécritdelamanière
suivante:
«Le rêve éveillé dirigé, état intermédiaire et nuancé entre l’état de veille et l’état de
sommeil, entre le «physiologique» et le «psychique» est, par essence, le reflet de ce
réservoir inépuisable où le sujet a accumulé depuis sa naissance ses angoisses, ses
72«RobertDesoille (néen1890,décédéen1966)nesemblaitpasdestinéàréaliseruneœuvredans le
domainedelapsychothérapie.Ilfitunecarrièred’ingénieurqu’ilpoursuivitjusqu’àsaretraite.Maistout
jeune il s’était intéressé à l’hypnose, et il avait entrepris avant la guerre de 1914 des études de
psychologiequelamobilisationlecontraignitàabandonner.En1923,ilfutattiréparlapublicationd’un
opuscule intituléMéthode de développement des fonctions supra‐normales par un polytechnicien, le
lieutenant‐colonel Eugène Caslant. Dans cet ouvrage, l’auteur relatait des expériences de montées et
descentesdansl’imaginaire,àdesfinsplusoumoinsésotériques.DesoillerencontraCaslant,séduitparsa
virtuosité dans le maniement des images. Mais sa formation scientifique l’éloignait d’emblée de
l’ésotérisme de Caslant. Par contre, il pressentit l’intérêt de la méthode pour l’étude de l’activité
subconsciente. Assez vite, Desoille fut encouragé dans cette voie de l’utilisation des images à des fins
thérapeutiques.Dès1923,ilentraencontactaveclepsychanalysteCharlesBaudouindeGenève,quilui
ouvritlescolonnesdesarevueActionetpensée,oùilpubliasousformed’articlescequiallaitconstituer
l’essentieldelaméthodedurêveéveilléenpsychothérapie.CharlesBaudouinpréfaçaen1938lepremier
livre de Desoille, Exploration de l’affectivité subconsciente par la méthode du rêve éveillé.» (Jacques
Natanson2001:125)
162
craintes,sesdésirs,sesespérances,lesquelsdemeurent,entoutétatdecauseetfaceau
monde extérieur, les facteurs déterminants de son comportement.» (Robert Desoille
1961:10)
Sans entrer dans les détails du déroulement des séances psychothérapeutiques de
Robert Desoille, nous relèverons quelques parallèles entre la technique qu’il a
développéeetcellequiestappliquéeparMarie.Commecepsychothérapeute,Marie,
vaprocéderà«uneadaptationpréalabledusujetàlarêveriedirigée»(Ibid.:34),par
unemise en condition verbale et physique. Les consultants sont introduits dans une
pièce semi obscure, accompagnés par une musique douce et «éthérée», puis
augmentant légèrement l’éclairage,Marie va ensuite introduire la séancepar un long
récit, et construire différentes interactions personnalisées. Le «rêve dirigé» sera
conduitlui‐mêmeparuneévocationproposant«unedescenteetuneascension»selon
une grille de lecture préétablie. Robert Desoille donne une induction précise à son
patient lors des premières séances, puis lors des suivantes il lui laissera le choix
spontané d’une première image et se bornera à lui proposer une descente ou une
ascension.Ilconstate,citantlesproposd’unpsychiatre,ayanttestésaméthode,que
«lesêtrespsychiquementsainssont,d’unemanièreoud’uneautre,toujoursdisponibles
etfacilementpoussésetprêtsàplongerdanslesabyssalesprofondeurscommeàs’élever
dans les inaccessibleshauteurs. Ilsne tombentpas.Lesnévrosésseheurtent toujoursà
desobstacles à lamontée commeà ladescente. Ilsont tendanceà tomber.» (J.H.Van
denBerg1952:57)
RobertDesoilleconstatequelesimagesfabuleusesdurêveéveillédirigévisualiséespar
lespatientssontparticulièrementfavorablesàdéconditionnerlesréflexesmorbidesdu
sujet et lui permettent de modifier ses attitudes habituelles dans la vie réelle. Il
remarqueaussiquesil’onpoursuitl’expérienceassezlongtemps,
«les images se simplifient jusqu’à n’être plus que des représentations de
lumière.D’aborddorée,celle‐cidevientd’unblancmatetplustarddonneuneimpression
163
brillanteettransparentecommeuncristaltrèséclairé.Silesformessontabsentesdeces
représentations,celles‐cisontparfoistrèsrichesquantauxsentimentsvécus:impression
profonde de paix et de sérénité, disposition à une extrême bienveillance, etc. Ces
représentationssontaussiaccompagnéesparfoisd’unsentimentdeprésencebienconnu
deceuxquiontétudiélapsychologiedesmystiques.»(RobertDesoille1961:42)
Surunetechniqueauxeffetspsychologiquesreconnus,Marievadéveloppersapropre
méthoded’induction à une activité onirique collective, portéepar des «rêveurs» qui
vontdévelopperleurpropreexpériencesingulière,«dansunvoyagedansl’au‐delàqui
certesseprésentecommeuneexpériencepsychique,maisquiemprunte,poursedire,
lestermesd’undéplacementetd’untransportcorporel»(GiordanaCharuty1996:12)
Lorsque tous les participants se sont exprimés, Marie procède à la fermeture de la
séancedivinatoireenfaisanttireràchaqueparticipantunecarted’unnouveaujeu,se
présentantcommedes«sceauxdevie».Lescartessont illustréespardesdessinsaux
formes naïves ou géométriques abstraites et comportent desmessages écrits sous la
forme de prédictions suffisamment abstraites mais résolument optimistes pour que
chacunytrouvesoncompte.Lelivretdujeudecartesetunouvragedesmêmesauteurs
circulentdanslegroupe,Marierecommandeàchacundecopiertextesetmessageset
deselesremémoreravantde«partirenméditation»oudes’endormircesoir,afinde
«peutêtrepouvoircontinueràrecevoirdesmessages».Ces«sceaux»ontétédessinés
pardesmédiumsàlasuitedevisionsquileurontététransmisespar«channeling»par
la«HiérarchieSpirituelledel’Univers».Aprèsunerapideinvestigationélectronique, il
s’avèrequeces«médiums»viventauQuébecetserevendiquentdumouvementdela
«Fraternitéblancheuniverselle».73
73 La Fraternité blanche universelle se définit comme une association initiatique, fondée par Peter
Deunov. Le24 février1922,cedernierouvreuneécoleésotériqueàSofiaenBulgarieàqui ildonne le
nom de «Fraternité Blanche Universelle». Ce nom est inspiré du milieu théosophe initié par Helena
PetrovnaBlavatsky, qui déclarait que ses enseignants étaient desMaîtres de Sagesse», desMahâtmas
résidant au Tibet ou à Shambala qui formaient une«Grande LogeBlanche», une«Grande Fraternité
Blanche desMahâtmas». OmraamMikhaël Aïvanhov, disciple de Peter Deunov, développe ce courant
164
LepèlerinageàlaRocheauxFéespourlafêtedelaSaint‐Jean
Lerocherditle«gardiendulieu»
Devantledolmen:lerepas
ésotériqueenFrance,dès1947.Source:http://fr.wikipedia.org/wiki/Fraternité_blanche_universelle
165
2.8.LepèlerinageàlaRocheauxFéespourlafêtedelaSaint‐Jean
Depuistroisans,Marieinvitequelquesunsdesesélèvesetconsultantsàparticiperàun
pèlerinage à un dolmen pour la fête de la Saint‐Jean, assimilée dans le calendrier
chrétienàlapériodedusolsticed’été.Noussommesunedizainedeparticipantsarrivés
dans plusieurs voitures. J’ai fait le voyage avec Marie et deux autres femmes. Les
discussions ont tourné sur des sujets abordés fréquemment dans les réunions de
femmessoit lesproblèmesrencontrésavec lesenfants, leshommeset le travailetce
quimotivaitlepèlerinageaudolmen.Arrivéesàdestination,nousretrouvonsPascal,qui
sera l’assistant deMarie durant la cérémonie qui suivra et aura une fonction de co‐
médium guérisseur et un élève de Pascal, ce sont les seuls hommes présents. Nous
sommesàunequinzainedekilomètresdelafrontièrefranco‐suisse,enHauteSavoie,à
lasortied’unhameausenommantSaint‐Ange,oùsedresseunmonumentmégalithique
appelé la Roche‐aux‐Fées. Cet ensemble est composé, selon le terme technique,
d'«une table de couverture» en granit du Mont‐Blanc supportée par trois dalles,
prolongée par plusieurs pierres couchées qui ont pu former initialement une allée
couverte.L’entréedanslachambredudolmensefaitparl’est.Laroutedépartementale
passe à une dizaine de mètres de cet ensemble, classé monument historique, et le
sépared’unboisdechênes.Deuxgrandsarbres,unnoyeretunchêne,encadrentlesite.
Troisfemmesornent,defleursdelysblanchesetdebranchesdepruniersportantleurs
fruitsencoreverts, lesanglesàlabasedelatabledudolmen.Ellesontdressésurune
pierreaucentredelachambredesplateauxdecouleurbleuesurlesquelsellesplacent
descerisessauvages,despommes,quelquesépisdeblé,desfleursbleuesetunelarge
bougieblanche.Surlepourtourdecettepierreautel,ellesontposéplusieursbougiesde
couleur rouge. Surunedeuxièmepierreplacéecommeun siègeà la têtede lapierre
transformée en autel, elles ont installé des hochets et une clochette tibétaine, des
maracasandinsetungrandtambourchamanique.74
74Voirillustrationp.166
166
LepèlerinageàlaRocheauxFéespourlafêtedelaSaint‐JeanInstallationdel’autel
167
Larencontrecommenceà19heure,soittroisheuresavantlecoucherdusoleil,parun
repascommunautaire,lesparticipantsentourentunelargepierresituéedevantl’entrée
de la chambredudolmenetàhauteurde table, sur laquelle ilsontdisposédesplats
végétariens à base de légumes, de fruits, de céréales et de laitage: des salades avec
poussesgermées,destartesauxlégumes,despains,desfromages,desgâteauxetdes
fruits, qu’ils ont apportés et qui vont être partagés entre tous. Pendant ce repas,
préliminaire au rituel calendaire, certains participants sollicitent l’attention d’un des
deuxmédiums guérisseurs et évoquent en quelquesmots ou par allusions discrètes,
leursdifférentsmauxetraisonsde leurprésenceàcerituel.Cesmauxs’articulentsur
desétapesdeviequimarquentunerupturedansuncontinuumexistentiel,etquiont
suscitédesétatsdemalaise,d’incertitude,desouffrancequiontconduitcespersonnes
àconsultercesdeuxmédiumsguérisseurs,pourcertainesdéjàdepuisplusieursmoiset
àparticiperàcepèlerinage.Unedesfemmes,quirechercheunemploidepuisplusieurs
mois suite à un licenciement difficile, s’est présentée le jour même à un entretien
d’embaucheetn’estpassûrequesamanièredeseprésentersoitadéquate,uneautre
femmeest inquiète car sesenfants,deuxgarçonsadolescents,malgréplusieurs suivis
psychologiques,sontdevenustrèsviolentsets’agressentmutuellementdepuisqu’elle
s’est séparée de son mari, une autre femme n’arrive pas à être enceinte malgré de
nombreux traitements médicaux, le seul consultant masculin a traversé de sévères
remisesenquestionsdesonidentitéets’inquiètepoursasantémentale.Chacuntente
d’obtenir un conseil auprès des thérapeutes, qui éludent les demandes en soulignant
que«les difficultés sont desmessages», que la cérémoniequi va suivre vapeut‐être
leurpermettrede les comprendre,etque leursmauxdoiventêtre traités commedes
momentsdepassagesdel’existencequivontleurpermettredepouvoir«renaîtreàune
nouvelleexistence».
A la fin du repas, certaines femmes s’éloignent du groupe, effectuent des
circonvolutions autour du dolmen, imposent lesmains sur une pierre, s’allongent sur
une autre ou encore vont s’asseoir sous l’un des arbres à proximité, le dos contre le
168
troncetleregardportéverslacimedel’arbre.Lorsqu’ellesreviennentverslatable,les
thérapeutes leur posent des questions rapides, «tu as vu à ta droite, au pied de
l’arbre?»ouleurdonnentquelquesindicationsàmi‐voix.Ladémarcationsefaitentre
les femmes qui consultent depuis peu et celles qui suivent traitements et cures
complétés de stagesde formation chez l’unou l’autredes deuxmédiums guérisseurs
présents. La séparation se marque entre le groupe des «novices» et le groupe des
femmes qui ont commencé «leur chemin vers la connaissance» et qui ont pour
certaines, intégré des pratiques thérapeutiques qu’elles peuvent commencer à
transmettre.
La cérémonie commencera vers 21 heures au moment où la luminosité du soleil
commenceàdéclinerencejourdu24juillet,celle‐cidoitencoreêtreprécédéederécits
pour mettre en place le dispositif qui lui conférera son efficacité. Pascal alterne les
registres de discours géographique et historique pour préciser la raison de ce
pèlerinage. Ce dolmen faisait partie d’un groupe de sept ensembles mégalithiques,
édifiés entre 2000 et 3000 avant J.C., dont il n’en reste que deux, celui‐ci et celui de
Saint‐Cergues.LescinqautresontétédétruitsdanslecourantduXIXèmesiècle.Cessept
dolmensétaientalignéssurunelignedroitenord‐sudquin’aque5°dedécalageavecle
Nord actuel, ce qui est la preuve des savoirs astronomiques des constructeurs
néolithiques et laisse supposer qu’ils en avaient d’autres. Pascal établit une filiation
imaginéecommunequiremonteaunéolithique,soitàlanuitdestemps,etquipermet
aussiderevendiquerd’autresancêtresfabuleux,lesceltes,«quieurentl’intelligencede
comprendrel’importancedecesconstructionsetdenepaslesdétruire».Ilcomplètela
descriptiondulieu,enprécisantque,
«comme cela a été attesté par plusieurs radiesthésistes reconnus dans la
région,l’emplacementprécisdudolmende laRocheauxféesmontreque les«anciens»
avaient des compétences en géobiologie et des méthodes de détection des énergies
telluriquesquileurpermettaientdelocalisernonseulementlepôlemagnétiquemaisaussi
laprésencedecourantstelluriques».
169
Toujours selon ses propres sources, Pascal déclare queles«anciens» ont choisi
précisémentcetemplacementpourlaprésencedeplusieurscourantstelluriquesetde
troiscourantsd'eausouterrainsquiserejoignentsouslatabledudolmen,créantainsi
un«puiténergétique».Celui‐ci,commeleprécisePascal,estnomméaussi«cheminée
cosmo‐tellurique» ou «vortexénergétique ». Il s’agit d’une forme de tourbillon
d’énergiesemettantenplaceautourd’uncentrederotation.Pascalpréciseencoreque
latabledudolmenquiformeunplafondendessusde lachambreesttrèschargéeen
énergie,etqu’unerigolesituéelelongdelafaceorientaledelatableservaitàrecueillir
l’eaudepluiequi,sechargeantd’uneénergiepositiveaucontactde lapierre,prenait
desvertuscuratives.Iltermineenannonçant«pendantlacérémonie,quivasedérouler
dans la chambre de la Roche aux fées, le vortex va encore être augmenté». Pascal
continue notre information et à nous préparer «à sentir les différentes énergies» en
nousmettantengardedenepasallerseuldanslachambredel’autredolmen.Celuide
Saint‐Cergues, situé à environ sept kilomètres à vol d’oiseaude laRoche aux fées, se
nomme aussi la «Cave aux fées des Voirons». Ce nom lui a été donné car il est
partiellement enterré dans le sol. Pascal évoque ce lieu en affirmant qu’il est «très
chargé»,que luimêmesesent«mal»à l’intérieurde lachambredudolmen,«mais
que pour certains cas difficiles, l’énergie sombre et froide qui l’occupe peut être
nécessaire», laissant ainsi en suspend l’imaginaire de son auditoire et la possibilité
d’autrescures.75
75
Pascalenévoquant«uneénergiefroideetsombre»redonneaudolmendeSaintCergueslesfonctions,
qui sont attribuées à ces ensembles mégalithiques, celle de tombe et de probable lieu de culte des
ancêtres. En plaçant ce dolmen en opposition territoriale avec la Roche aux fées, il attribue à cette
dernièreunenouvellecaractéristique,celled’êtreausud,aumidi,làoùlesoleilestàsonapogée,etpeut
l’intégrer dans un renouveau des cultes solaires, qui sont généralement mis en lien avec les autres
ensemblesmégalithiquesquesontlesalignementsdemenhirsterminéspardes«cromlechs»,descercles
depierres. L’ensembledeStonehengeenAngleterre, au centreduquel se lèveprécisément le soleil au
solsticed’étéenestunexemple.
170
Laphrasepréliminairedurituels’achèveavec ledéclinde la lumièresolaireet tout le
groupeest convié à passer de l’autre cotéde la route, limitephysiqueet symbolique
renforçant l’idée d’un avant et d’un après, mais aussi lieu de la liminarité, de la
séparationentredeuxespaces,quenouspouvonsassimileràunespaceprofaneetun
espacesacré.Del’autrecotédelaroute,setrouveuneairederepos,sousformed’un
enclos limitépardeshaiesetunefutaie,dont l’entréesefaitencontournantungros
blocdepierre.Ungrandchênesurplombeunetabledebois,surlaquelleaétédéposée
unebranchedehoux.Lesdeuxmédiumsguérisseurs jouent lasurpriseens’exclamant
qu’ils ne sont pas les seuls à faire une cérémonie de la Saint‐Jean en cet endroit,
accréditantainsilathèsedelaperpétuationdepratiquesmaisaussidelaconfirmation
delaRocheauxféescommeunlieudepèlerinage,dontlasuitedurituelvaréaffirmerla
naturedelasacralité.Marienousmontrel’ouvragequ’elleaapporté:LamagieWicca
(C.Wallace2005),etnousrapportequelesolsticed’étéestlejourleplusimportantde
l’annéepourlesancienscultessolairesquifêtentàcettedatel’apogéedelapuissance
dusoleiletqueselonunmytheceltecejourmarqueladéfaitedu«roichêne»auprofit
du «roi houx», qui lui‐même sera vaincu au solstice d’hiver. Cette branche de houx
posée sur la table de pique‐nique, le jour du solstice d’été, marque la bascule de la
lumièreetsignifiequecesoirdesolsticeestplacésousunedoubleinfluence,solaireet
lunaire,soitduchêneetduhoux.Marieaffirmequec’estlanuitoù«levoileentreles
deux mondes du jour et de la nuit est si fin qu’on peut rencontrer les représentants
dupetit peuple: nains, elfes, lutins, fées. Si vous marchez accidentellement sur du
millepertuislesoirdeLitha,vousrisquezdevousretrouverauPaysdesFées».Lesrôles
entreMarie et Pascal étant répartis, lui comme «maître de l’ombre» et elle «de la
lumière»,lacérémoniepeutcommencer.Pascaldirigelegroupeverslegrosrocherqui
barrelasortiedel’airederepos.Illeprésentecommeétant«legardiendulieu»,àqui
chaqueparticipantvadevoirdemanderl’autorisationdeserendredanslachambredu
dolmen.Descommentairesdugroupesefontentendre:«Ilesttoutrond,ondiraitun
bouddha.»,«Ilaplusieursvisages.»,àquoiuneautrefemmerépond«C’estvrai, ila
171
deuxvisages,deux faces.»,contribuantainsià laconstructionanthropomorphiquedu
rocher.
Cetterequêteau«gardiendulieu»sefaitparimpositiondesmainssurlerocher.Les
mainssontplacéesàquelquescentimètresdelasurfacedelapierreetlesyeuxfermés,
lesconsultantsquestionnentmuettementcegardien.Pascalprodiguedesconseilssurle
placementdesmainsetpréconiseàcellesquinesententriendeparticulierdetoucherà
deux mains le rocher, «pour apprendre à ressentir». Différentes réactions se
produisent,pourcertainesfemmes,lerocherdégageunechaleur,certainesressentent
des picotements dans les mains, signe du magnétisme dégagé par la pierre. Pour
d’autres femmes, le gardien change de couleur et devient plus lumineux. Une des
femmes voit apparaître une couleur verte. Une autre sent la pierre vibrer, bouger.
Pascal interprète ces réponses comme positives: «le gardien du lieu autorise le
déroulementdelacérémoniedansledolmen»etouvrelepassageduprofaneausacré.
Mariejuchéesurunepierre,jouxtantledolmen,chanteunemélopéerappelantlechant
deschamanesamérindiens,ellefrappeuntambourchamaniqueetappelleles«esprits
de la nature» à participer à la cérémonie, continuant son chant elle pénètre ensuite
dans lachambredudolmenetenfaituntourdans lesensdesaiguillesde lamontre.
Pascal qui l’a précédé, surveille l’arrangement de l’autel, contrôle le nombre des
bougies.«Lesbougies,c’est3,5ou7,commevousvoulez,maispasunautrenombre».
Il retire la huitième bougie et allume les autres. Les deux médiums guérisseurs se
positionnentenvisàvisdechaquecotédecettepierre.Lesparticipantspénètrentdans
lachambredudolmenetcherchentlaplacequileurconvientlemieux.Ilss’asseyentsur
descouverturesouàmêmelaterrebattueetserépartissentenrondautourdelapierre
autel. Pascaldonnequelques conseils: «installez‐vous confortablement,maisne vous
appuyezpascontrelesparois,vousdevezêtrebienancréausolmaisaussienhautpour
êtrecanal».Ildéclarelacérémonieouverteetinviteceuxquiveulentprendrelaparole
àlefaire,maintenantouaprèsl’«oratrice»,cettedernièreétantMarie.
172
Une femme propose d’invoquer le soutien des «Elémentaux» pour «trouver force,
amour, santé, richesse». A chacun des quatre éléments: feu, eau, air et terre sont
associésdes«espritsde lanature»: salamandre,ondins, sylphidesetgnomes.Ayant
reçul’accorddugroupe,elleferasaprièreenl’introduisantpuisenlacommentantau
furetàmesure:
«Normalement,cetteinvocationsefait lematinavantquelesdeuxpremièresheuresde
lumièresolairesoientpassées.Ons’assoitversl’estpourvoirlesoleilseleverendessusde
l’horizon.Sivous êtes intéressésà fairecetteprièrechezvous lematin, jepeuxvousen
envoyerletexteparinternet.»
MarievaplacerlerituelcollectifsousladoubleprotectiondelaGrandeDéesseetdela
Vierge Marie, deux instances féminines qui vont lui permettre une manipulation
symbolique des maux des femmes à travers une liturgie de la parole, dont je ne
reprendrai ici que les grandes lignes de manière schématique. La cérémonie s’est
déroulée sur deux heures. Marie lit un premier poème dont chaque terme est
accompagnéd’une formeparadoxale,« Je suiscellequiest stérileetdont lesenfants
sontnombreux.Jesuiscelledont lesnocessontgrandioseset jenesuispasmariée.Je
suisl’accoucheuseetcellequin’enfantepas….».Ellereprendensuitelethèmedesfeux
de laSaintJeanqu’elleassimileàunfeupurificateur.Sonévocationsuivantemélange
registremétaphoriqueetélémentsdomestiques.
«Lesanciensbrûlaienttoutcequiétaitinutilisédesrécoltesprécédentes,toutcequiétait
devenu inutile.Maintenantonnousengage,par toutecette lumièrede lami‐étéà faire
quelquechosedesemblable.Onnousengageàgérer toutesnossouffrancesautrement,
toutesnospeurs,toutesnosangoisses,toutesnosvieillescasserolesquel’ontraîne.Onva
en profiter pour les porter au recyclage à la station d’épuration. Comme nous sommes
dans un monument historique, nous n’avons pas l’autorisation de faire un feu, nous
l’avonsremplacépardesbougies. Ilyenasept,cenombreestceluide lasagesse,de la
173
spiritualité,de la connaissance,decelleque l’on reçoitetdecelleque l’on transmet (…)
Nous pouvons demander la fertilité si nous voulons avoir un enfant. Un enfant c’est un
projetdevie,mais ilyaaussidestasd’autres«bébés»quisontaufonddenousetqui
demandentaussidepouvoirgermer.Voilàcequejevoulaisvousdire.»
AprèsceslonguesévocationsdanslesquellesMariepassed’uneidéeàuneautretandis
quesonpublicl’écouteattentivement,ellefaitappelàlaViergeetàSaint‐JeanBaptiste
etnousannoncequ’elleperçoitl’angedujour.Ellenouslitson«portrait»enreprenant
des«écritssurl’Angéologie»,quisontceuxdel’UniversCité/Mikaël.Elleproposeune
dernièreinvocationàlaDéesseMèresousformed’unrécitdelacréationdumonde,et
demandeàchacunderépéteravecellele«refrain»aprèschaquestrophe.«OGrande
Mèreviensparminous,donnesnousunsignedetapuissance.»
Aprèscettedernièreprièrequiclôtcettedeuxièmepartiequiproduitparlasaturation
de la parole une forme d’état second chez les participants, Pascal commente ce qu’il
ressentàsavoirlapuissancegrandissanteduvortexdulieu,dontl’énergieaétémiseen
mouvement par les forces qui se dégagent des prières. Sous forme de communion
collective,ilproposeàtouslesparticipantsdecréerunechaîneensedonnantlamain,
«lamaindroitequidonneaudessusdelamaingauchequireçoit».Lachaîneseforme
autourdel’autel.Pascalinvitel’assembléeàfermerlesyeuxpourrecevoirl’énergiequi
circulecesoirdansce lieu.Lesparticipantsenchœur,émettent,bouches fermées,de
longues vibrations sonores en crescendo. Pascal qui a pris la place de l’officiant,
reprend,sansqueleschantss’arrêtent:«Jevousdemanded’accueillircetteénergiequi
vientetquivavousfairedubien,etquevouspreniezcedontvousavezbesoin.Jevous
invite à intensifier votre chant afin que le dernier blocage sorte. Une grande paix
s’installe.Iln’yaplusqu’àcueillircetteénergiequiestlà,etguérirl’ensembledenotre
être.»Ilajoutequ’ilvoitunegrandeféed’aumoinsseptmètresdehautquiest làau
dessusde laRocheaux féesetqu’il sentsonénergiebénéfiquequienveloppetout le
monument, il sent des frissons dans son propre corps et les poils de ses bras qui
s’hérissent.Mariereprendsonrôled’officianteparunedernièreexhortationprésentée
174
comme une «méditation guidée» dans laquelle elle propose aux participants de
visualiser «au centre de l’autel un magnifique chaudron, entouré d’une guirlande
d’armoises» envoyé par la Grande Mère, la déesse Terre. Et d’y jeter «tout ce qui
devenudésormaisdésuet,inutileoucaduque(…)cessacsàdos,ceslourdespierresque
vous traînezdepuisdesgénérationsetdesgénérations,depuisdes incarnationsetdes
incarnations».Mariecontinuesonexhortationd’unevoixcalmehypnotiqueetrappelle
à chaque participant qu’il doit oser être lui‐même, «osezsemer pour
récolterl’abondanceetlaprospéritéàquelqueniveauquecelasoit.»,quechaqueêtrey
a droit et qu’il en a besoin pour accomplir sa mission sur terre. Elle demande de
remercier tous les êtres invisibles, esprits de la terre et anges, qui permettent cette
transmutation et qui sont heureux aujourd’hui «qu’au moins un fois par an, on les
remerciepardesparolesetdesoffrandespourtoutletravailqu’ilsfontdanslemonde
invisible.»Elleterminesoninterventionparunappelauxpuissancescélestes:«quevos
guides de lumières vous accompagnent, qu’ils enlèvent les voiles qui obstruent votre
regardetn’oubliezpasdetempsentempsleregardintérieur,c’estsouventenvousque
setrouventtoutesvosréponsesàvosdésirsetàvosrêves.»Pendanttouslesdiscours
deMarie,lesparticipantsformanttoujoursunechaîneontchuchotéleursdemandeset
leurs prières avec ferveur et passion. Certaines femmes pleurent silencieusement,
d’autres restent le regard fixe comme prises dans un autre monde. L’émotion qui
submerge les participants reste palpable après la fin de cette exhortation. Celle‐ci se
termineparlegestedeleveretd’abaissertroisfoislesmainsavantderomprelachaîne.
Ilestsuividel’exécutiond’unmouvementdelamaindroite«quiramènel’énergiedela
terre vers le cœur» puis de lamain gauche «qui ramène l’énergie du ciel», les deux
mainss’immobilisantformentalorsunsignedecroix.
Après une phrase de clôture, la cérémonie sera suivie d’un «débriefing». Les deux
thérapeutes questionnent les participants sur leurs ressentis, une femme parle d’une
doucechaleurqui l’aenvahie,unedeuxièmed’unevibrationdusolqui l’obligeaitàse
balancerd’avantenarrière,unetroisièmed’une«formeblanchebrillante»qui luiest
175
apparue.Une quatrièmeévoqueune«belle lumièrebleue indigo»quiestdescendue
surelleetl’aenveloppéeavecdouceur.Leconsultantaaussiperçucetteénergiebleue.
Mariereprendl’inductionenaffirmantqu’ils’agitd’uneénergieféminine,ellerappelle
que laViergeest enveloppéed’unmanteaubleu indigoetqu’il émaned’elle toute la
force de l’énergie féminine. Elle concluten leur disant que cette énergie appartient
maintenantàleuridentitéetqu’ilspourrontchacunpuiserdanscetteénergieentoute
situationdeleurexistence.
«Enfaisantappelàcetteénergie,àcettebelleénergied’amour,àcetteénergieféminine,
vous enclencherez vos propres processus de guérison, car rappelez‐vous, nous sommes
tous des guérisseurs. En faisant appel à cette énergie, vous devenez au service de la
lumière, c’est comme si vous acceptiez de faire partie de cette armée céleste, de
redécouvrirvotrecotéangélique.Plusnousseronsnombreuxàcanalisercetteénergiedu
cielverslaterre,plusnouspourronsdéclencherdesprocessusdeguérisonspourdeplusen
plusdepersonnes.»
Cette dernière phrase reprend un credo des médiums guérisseurs à savoir que leur
fonction est aussi démultiplicatrice. Les deux officiants invitent les participants à se
partagerlesoffrandesetàlesemportercommecettebelleénergiequ’ilsontfaitnaître
etfructifierencettenuitdusolsticed’étéetquivalesconduireversl’abondanceetla
réalisation de leurs demandes. Ils les exhortent aussi à ne pas oublier de toujours
remercierleursguidesdelumièrepourlesdonsqu’ilsreçoiventetlesinvitentàpartager
cesconnaissancesavecceuxquicommeeuxontenbesoin,àtransmettredesmessages
depaix et d’amour afin que ceux‐ci se concrétisent dans lemonde.Marie donne aux
participantssesdernièresdirectivesavantqueseterminecepèlerinageetquechacun
rentrechezsoi.Elleannoncequ’uneautrecérémonieauralieuàfinjuillet,pourfêterla
moisson,dansune«splendidegrotte»nommée«lacathédrale»quivientrécemment
d’êtreouverteaupublic,dansunautreensembledegrottessituéesdansunepetiteville
àlafrontièrefranco‐suisse.
176
2.8.1.Cequecettecérémoniedonneàvoir
Le rituel mis en scène par ces deux médiums guérisseurs nous intéresse à plusieurs
titres. Il appartient aux expériencespèlerines, dans le sensd’undéplacement vers un
lieuprécisoùdoits’accomplirlarencontreavecunepuissancesurnaturellequil’habite.
Les motivations de déplacements rejoignent celles des autres lieux de pèlerinages:
demandesdeguérison,de réalisationd’unedemandeoud’unvœu,consultationd’un
oracle, célébration d’une fête ou encore intégration dans un groupe social ou une
confrérie, et ceci dans une expérience collective des marges, dans une commune
exaltation,danslesquelless’abolittoutehiérarchiesociale.
Cet ensemble mégalithique contient les éléments nécessaires de sacralité pour
permettrelamiseenplacedudispositifd’apparition.Sasituationspatialesupposéesur
des «nœuds telluriques» le met en lien avec des forces souterraines. Il a survécu,
depuis de nombreux siècles, à la destruction, contrairement à d’autres constructions
mégalithiquesde la régionet sonnom le rattacheàuncorpus légendaire régional, ce
qui luiassureuneoriginemythiqueatemporelle.Etenfin, ilestsituédansunhameau
nomméSaint‐Ange, cequi leplace sous ladoubleprotectiondesentités terrestreset
célestes.Cesélémentspermettentd’asseoirlasingularitédulieuetserventdesocleaux
ingrédientsperformatifsquivonts’yadditionnerpourconstruireundispositifdecure.
Celui‐civas’organiserautourdeplusieurssystèmessymboliques,quivontprendreplace
danslesdifférentesséquencesrituelles.Lespèlerins,quiontcommencé«lecheminde
connaissance» ont appris une partie de ces grammaires au cours de séminaires et
d’ateliers,quiontprislaplacedeslieuxtraditionnelsdelatransmissiondessavoirsdes
artsdel’existence.Touslesparticipantslesontexpérimentépourlapremièrefoisdans
ce dispositif leur permettant «de pouvoir tout recommencer», de se donner «une
nouvellechancedeconstructionsociale».
177
Le pèlerinage rituel de la Roche aux fées pour la Saint‐Jean peut se lire comme une
forme d’enchâssement d’une pratique rituelle dans une autre. Le rite calendaire qui
prendenchargelechangementducyclesaisonnieretdelamétéorologievapermettre
de prendre également en charge la réparation «d’accidents de la vie» et de crises
existentielles. Le rituel curatif se déploie en intégrant les usages métaphoriques et
métonymiquesducodesymboliquemisenœuvredans lerituelcalendaireetprendla
formed’unritedepassageentredeuxstatutsidentitairesetsociaux.
Les femmes qui participent au pèlerinage sont définies comme étant en déficit de
qualités féminines: troubles de la fécondité, rupture de la liaison matrimoniale
entrainant un déficit dans la gestion éducative des enfants de l’autre sexe, non
productivité sociale, et pour le consultant masculin, indécision dans son inscription
sexuelle, de même que pour deux femmes présentes qui montrent des traits de
masculinité prononcée. Le rite curatif, en inscrivant la logique symbolique de ses
séquences dans les envers du rite de protection calendaire, permet d’inscrire les
femmesdansunedimensionde complémentarité, de les introduiredansune identité
collectivepleinementféminine.
La première séquence donne le premier signe de l’inversion: un repas en commun
ouvrelerituelaulieudeleclore.Lesfemmessontensuite«acceptées»danslemonde
surnaturelparun«gardiendelieu».Ellesrentrentdanslamatricedudolmen,dansun
tombeau,pouryrencontrerlemondedel’invisible,delaféérieetlaGrandeDéessequi
se présente d’abord comme un «tout», c’est‐à‐dire dans l’indétermination. Les
intercesseurs entre Terre et Ciel, la Vierge, Saint‐Jean Baptiste et un ange, leur
apportent les qualités de compassion, de fidélité, de sagesse et de connaissance. La
Grande Déesse, sous l’apparence d’une fée, devient la Grande Mère dans un récit
mythiquerappelantlaGenèse,l’invisibles’eststructuréencommencementdumonde.
LaGrandeMèreprésente le chaudronalchimiquequi permettra la transmutationdes
«accidentsdelavie»etdescrisesexistentiellesenépreuvesinitiatiquesetautorisantla
178
renaissance des femmes, dont le dévoilement des richesses intérieures deviendra la
rédemptiondel’humanité.
Les «objets de protection» utilisés dans le rite curatif s’inscrivent dans le rite de
protection calendaire sous formede condensation de la représentation notamment
par la présence de plantes liées au code symbolique du christianisme et à la
pharmacopéeféminine.Parmilesplantesprésentesouévoquéesdanslepèlerinageà
laRocheauxfées,cellequicontribue leplusàcettemiseenformeduchristianisme
est le lysblanc,quidomine la chambredudolmen, sa couleur immaculéeen fait le
signedelachasteté,del’innocenceetdelavirginité.Latraditionchrétienneassociela
fleurdelysàlaViergeMarie,quiestsouventreprésentéetenantcettefleurentreses
mains. Le lys est aussi associé à SaintAntoine, patrondesmariages et symbolise le
renouveaudesgénérations.Etquantauxbranchesdeprunier,présentesaussidansle
dolmen, ses fruits sont verts mais déjà présents et ne demandent qu’à mûrir.
L’armoise,quientoure lechaudronalchimiquequinous rappelleceluidessorcières,
appartient au registre de la pharmacopée féminine et au traitement lié au sang
menstruel.
2.8.2.Desritesdepassage
Les périodes de changements de lieu, d'état, d'occupation, de situation sociale, de
statut, d'âge qui rythment le déroulement de la vie humaine, sont des états de
transition entre deux systèmes, ils marquent l'irruption d'un désordre virtuel dans le
continuum réglé des existences et comportent des marges d'indétermination et
d'insécurité.Cesmargesformentdes«interstices»dontilconvientd'atténuerleseffets
nuisiblespardesrites.PourNicoleBelmont,
«les rites de passage ont pour fonction essentielle de manipuler symboliquement le
temps de toutes les façons imaginables: de le retarder, de l'avancer, de le synthétiser,
d’anticiperpourmieuxrevenirenarrière,ouderevenirenarrièrepourmieuxanticiper.
179
Etlamanipulationsymboliquedutempsdonneainsil'illusionqu'onlemaîtrise,qu'onne
lesubitplusdansl'impuissance.»(NicoleBelmont1981:17)
Ainsi les rites permettent aussi dans des cas de changements brusques, de
discontinuités imprévisibles dans la vie humaine ou l'environnement de créer une
marge, de rétablir un espace, d'élargir le seuil entre la séparation et la nouvelle
agrégation. Arnold Van Genepp dans son ouvrage Le Manuel de Folklore français
contemporain,utilisesathéoriedesritesdepassagepourintroduirelescérémoniesde
laviehumaine«duberceauàlatombe»,ilinsistesurlefaitque«Cescérémoniessont,
pour leur idée centrale et leur forme générale, calquées sur les passagesmatériels».
Cetteidéedepassagematérielquiaccompagneunriteestprésentedanslacérémonie
de laRocheauxfées,où lesparticipantsentrentdans lachambredudolmenpour,en
sortantdecettematrice,renaîtreàunenouvellevie.Ceprocédéestidentique«autype
deritueldepassage,éminemmentmatériel,puisqu’ils’agitdespratiquespopulairesde
passage à travers des trous, qui avaient des fonctions prophylactiques ou
thérapeutiques»étudiéparNicoleBelmont.(1981:15)
2.8.3.DesrochesauxféesàlaViergeMarie
Les grottes peuvent être les lieux de résidence de différents êtres. A quelques
kilomètresde laRocheaux féesse trouveune grotteprofondémententerréedans la
colline surplombant un village, et qui selon la tradition orale, était la demeure de
fileuses. Ce récit de la mythologie locale nous renvoie aux Parques, les divinités
maîtresses de la destinée humaine, de la naissance à lamort, qui sont généralement
représentéescommedesfileusesmesurantlaviedeshommes.Lesfées,quiconnaissent
une période d’apparition faste dans la littérature et la tradition orale médiévale,
assurent la continuité des compétences de leurs ancêtres, les parques et les divinités
des eaux et des bois celtes et gréco‐romaine, elles possèdent le don de prophétie,
apportentamour,féconditéetprospéritématérielle.
180
EnofficialisantlePurgatoireauConciledeTrente,l’Eglisecatholiquevaréglerlesortdes
créaturesdumondesouterrainquidevient le lieudesdémonsetdesmorts,etétablir
une séparation radicale entre les mondes. Les morts que les vivants croient voir
apparaître sur terre sont en réalité des démons, puisque la permission de sortie du
Purgatoire reste une exception très rare. Selon Laurent Guyénot (2011), la croyance
laïqueenlaproximitéetlafamiliaritédesmortsasubideuxévolutionssynchrones,d’un
coté l’Eglise interpréta l’apparition de certains revenants commedesmorts pénitents
brièvementsortisduPurgatoire,etdel’autrecoté,endehorsd’uncontrôleclérical,une
transformation populaire des revenants, leur permit de survivre, sous une forme
cryptée, dans le folklore féérique. Celui‐ci préserve des aspects archaïques de la
mythologie desmorts que la doctrine du Purgatoire a écarté. Les «morts féériques»
entretiennent des rapports de solidarité plus étroits avec les vivants que les «morts
infernalisés»duPurgatoire:cesderniers,parlamédiationdel’Eglise,peuventrecevoir
assistancedesvivants,maisnepeuventrienenretourpoureux,sicen’estlesmettreen
garde.Les différents dons alimentaires faits au petit peuple des fées, lutins, trolls et
autreselfescorrespondraientauxoffrandesdenourriturefaitesauxmorts,pratiqueque
l’Egliseadétournéeauprofitdespauvresqui fonctionnentalorscomme«lesdoubles
desmorts».
Le«petitpeuple»etautresgéniesdontlanatureresteincertaine,élémentdel’eau,de
l’air, du feu, de la terre, esprits de la nature ou encore revenants, demandent un
traitementparticulierdelapartdesvivantsquidevrontrespecteruncertainnombrede
règles d’échanges afin que l’ordre et l’harmonie soient rétablis dans les différentes
sociétés humaines et non humaines. Certains demanderont assistance aux vivants
comme lesmortsquin’arriventpasàquitter leurenvironnement familieretpourqui
l’interventiond’un«passeur d’âme» commeMarie s’avèrenécessaire pour rejoindre
unautremonde.Traitementssymboliquesetactesrituelss’imposentpouréviterd’être
livrésàl’impuissancedel’aléatoire,etfinalementle«petitpeuple»gardesonrôlede
médiateurentrepasséetprésent,entrenatureetville,ildevient«unemanièredevoir
181
et de s’arranger avec la nature», un îlot d’un monde d’utopie dans une production
socialedel’environnement.
La Vierge prendra assez naturellement le relais des bonnes fées protectrices par ses
apparitionsdansdeslieuxdeliminaritéetplusprécisémentdansdessitesquimettent
en communication cemonde et l’autre, ces lieux peuvent être des sourcesmais sont
surtoutdesgrottes.LaGrandeFéedePascalrentredanscecadre,àlafoisféeetproche
de la Vierge. Marlène Albert‐Llorca, rappelle le contexte mythique qui préside à
l’apparitiondelaViergeàLourdes.
«Les rumeurs qui couraient à Lourdes sur la grotte de Massabielle, où Bernadette
SoubirousvitlaViergeluiapparaître,attestentquelescroyancesattachéesaulieuétaient
encorebienvivantesausiècledernier.Avantlesapparitions,unhommevenus’yabritery
vit«commeuntourbillondeflammequil’obligeaàressortir;unbûcheronyentenditdes
crisplaintifsetdesgémissements, commequelqu’unqui souffrebeaucoup.» (Marlène,
Albert‐Llorca2002:78)
De tels récits restentcommunsdans lesPyrénéesetprolongentdes rituelsdestinésà
dissiperdeshantises, comme le rite à la grottedesHados («Fées») d’Arbon,dans le
haut Comminge, qui consistait à célébrer la Vierge, à la Chandeleur, en allumant de
grandsfeuxàl’entréedelagrotte«enl’honneurdespauvrespetitsenfantsqui,faute
de baptême, doivent rester dans les limbes jusqu’au Jugement dernier». (Marlène,
Albert‐Llorca2002:79)LaprésencedelaViergepermetaussiauxrichessessouterraines
deseperpétuer,etd’êtredistribuéesàceuxquiontbesoin,l’égaldescompétencesdes
espritsde laterre.Lesparoisde lagrotte,àNuria,oùfutdécouverteunestatuede la
Vierge,sonttapisséesd’unepierre
«sibrillanteetsiresplendissantequ’elleressembleàducristallorsqu’elleestéclairéepar
lesoleil.(…)LesdévotsquivontvisiterlaTrèsSainteMarieemportentunetellequantité
decettepierrequ’ilsauraientpuconstruireunegrandemaisonavectoutcequ’ilsontpris
182
depuis tantd’années:etpourtantonn’a jamaisvuqu’elleaitdiminué; ilsontbeauen
prendre, il en reste toujours autant. Cette pierre est aussi propre à soigner de
nombreusesmaladiesdetoutessortesdesfièvresenparticulier.»(JoanAMADES,citépar
MarlèneAlbert‐Llorca,2002:81)
Lemerveilleux chrétien s’est construit dans un cadre préexistant servant à penser le
monde et le sacré. Cette inscription dans des cultures autochtones s’avérait d’autant
plusnécessairepourl’épanouissementduchristianismequecelui‐cirestaitunereligion
d’importationmoyen‐orientale,quidevaitpours’implanterpouvoirinscriresadoctrine
etsescommémorationsdansuncalendrieretdestraditionslocales.
2.8.4.Modesd’interventions
Le temps du pèlerinage est un entre‐deux où les autres activités sont mises entre
parenthèse et qui permet, dans un certain anonymat des rencontres, d’effectuer un
réordonnancementsymboliquedesexistences.Danscepèlerinage,demêmequedans
les divers ateliers, rencontres conférences et dans les salons demédecines naturelles
quej’aifréquentés,latrèsgrandemajoritédesparticipantssontdesfemmesdemême
que les médiums guérisseurs mais de plus en plus d’hommes s’installent dans ces
«niches économiques», leurs apports restent assez différents de ceux des femmes.
Ceux‐civontdévelopperplusfacilementquelesfemmesdestechniquesdeproduction
des signes d’altérité d’«entités négatives» qu’ils vont intégrer à une recherche de
«savoirs»situéeentreésotérismeetphysiquemoderne.Lesmédiumsfémininsrestent
plus intéressés à prendre en charge les individus là où les procédures rationnelles du
comportementefficacesemontrentdéfaillantes,etrépètentuneanciennedémarcation
des compétences dévolues aux hommes et aux femmes proche de celle décrite par
Jean‐MichelSallmann,danssonouvragesurlaquêtedusurnaturelauXVIèmesiècle.
«Dans le système des représentations symboliques, le rapport à la maladie et à la
reproduction, en un mot le rapport au corps, fait partie des compétences et de la
183
responsabilité de la femme. C’est pourquoi, entre la guérisseuse et l’exorciste, il ne
pouvait pas y avoir non plus de confusion. L’exorciste possédait son domaine
thérapeutique propre, en soignant les corps affectés de désordres occasionnés par les
forcessurnaturelles.Satechniquedecureneprétendaitpasàlascientificitécommecelle
dumédecin,niàl’empirismecommecelledelaguérisseuse,maisétaitpurementrituelle
etreposaitsurleprincipequ’onnepouvaitcombattreuneaffectiond’originesacréeque
pardesprocéduressacrées.»(Jean‐MichelSallmann,1986:176)
Cette distinction est encore pertinente, lesmédiums guérisseuses et les consultantes
s’intéressentavanttoutà larésolutiondescrisesexistentiellesetà lasuppressiondes
maux en développant des compétences techniques et rituelles pour rétablir un
continuumdescompétencessocialesdesfemmesetrestaurerunordremétaphysique
quipermetteun retourà l’harmonieducorpshumainetde la sociétéperçuecomme
sonmiroir.
Quantàlaconvocationdes«esprits»Mariefaitappelàeuxparlaprière,pourobtenir
leuraidepourunedivination,pourprocéderàunsoinouàunecurecollective.Dansles
curesdeMarie,ces«esprits»apparaissentdifféremmentauxconsultantsen fonction
de leurs propres compétences mantiques, ce qui oblige la médium à un travail
d’interprétationqu’ellepartageaveclesconsultantsetquiconstituelapartieconclusive
de la séance. L’apparition d’«une chamane mongole» dans les rêves de Marie
correspond à une élection, l’«esprit» apparaît au médium qu’il a choisi dans une
annonciation.Marienousditque la«chamanemongole» lui livrecesenseignements
enrêve,cequin’exclutpas,pourelle,qu’ellefasseaussides lectures,pourcompléter
certainesinformations.
Lorsqu’ils’agitd’«âmeserrantes»,Marieprécisequelacommunicationsefait«d’âme
àâme», cequinous renvoieàune idéedu voyage chamaniquequi va lui permettre,
dansuneexpérienceoniriqueoudansunétatd’autohypnose,denégocieravecl’«âme
errante»pourlaconduiredanssonmonde,lemondesupérieur.
184
Dans le cadre du pèlerinage, nous avons une forme de cure, qui est de nature
chamaniqueetquivapermettred’ouvrirunespacedetransactionentreleconsultantet
lapuissancesurnaturelle.Cettecuresedéveloppesurunmodesymboliqueetm’inciteà
me poser la question de la position du consultant dans cette intervention. En me
référantà lacomparaisonqueClaudeLévi‐Straussétablitentermed’abréactionentre
cure chamanique et cure psychanalytique. (Claude Lévi‐Strauss 1974, 1958) Dans les
deux cas, il va s’agir d’amener à la conscience des conflits et des résistances restés
jusqu’alorsinconscients.Ceux‐ci,danslesdeuxcas,vontsedissoudre,nondufaitdela
connaissance, réelle ou supposée, que le patient ou le consultant en acquiert
progressivement,mais
«paruneexpériencespécifiqueaucoursdelaquellelesconflitsseréalisentdansunordre
etsurunplanquipermettent leur libredéroulementetconduisentà leurdénouement.
Cette expérience vécue reçoit, en psychanalyse, le nom d’abréaction. On sait qu’elle a
pour condition l’intervention non provoquée de l’analyste, qui surgit dans le conflit du
malade, par le doublemécanisme du transfert, comme un protagoniste de chair et de
sang,etvis‐à‐visduquelcedernierpeutrétabliretexpliciterunesituationinitialerestée
informulée.Touscescaractèresseretrouventdanslacurechamanique.Làaussi, ils’agit
de susciter une expérience, et, dans la mesure où cette expérience s’organise, des
mécanismesplacésendehorsducontrôledusujetserèglentspontanémentpouraboutir
àunfonctionnementordonné».(ClaudeLévi‐Strauss1974(1958):227)
Le psychanalyste a un rôle d’auditeur et le chamane d’orateur mais tous deux
établissentunerelationaveclaconsciencedupatientouduconsultant.
«C’estlerôledel’incantationproprementdite.Maislechamannefaitpasqueproférer
l’incantation;ilenestlehéros,puisquec’estluiquipénètredanslesorganesmenacésà
la tête du bataillon surnaturel des esprits, et qui libère l’âme captive. Dans ce sens, il
s’incarne, comme le psychanalyste objet du transfert, pour devenir, grâce aux
185
représentationsinduitesdansl’espritdumalade,leprotagonisteréelduconflitquecelui‐
ciexpérimenteàmi‐cheminentrelemondeorganiqueetlemondepsychique.»(Claude
Lévi‐Strauss1974(1958):228)
PourJean‐MichelSallmannquiseposelaquestiondustatutdesprotagonistesdansles
curesfaisantintervenirdessaints,béatifiésdeleurvivantouaprèsleurmort,àNaples
auXVIIIèmesiècle,entermesdecomparaisonaveclescureschamaniqueetanalytique.
«La cure chamanique se situe à l’opposéde la cure analytique. Lemalade restepassif
pendantquelechamanerevit,aucoursd’unecriseexubéranteetspectaculaire,leconflit
qui se déroule dans le corps de son patient. Il ne cherche pas à reconstituer sa
personnalitépsychique,maisplutôtsapersonnalitésociale,quesamaladieadétruiteou
perturbée. En s’employant à réactiver les systèmes de défense culturels, il l’aide, au
moyen d’un rituel différent pour chaque cas traité, à recouvrir son intégrité physique.
C’estdonclechamanequiabréagitpourlecomptedesonpatient.Lestatutdusaintest
intermédiaireentreceluidupsychanalysteetceluiduchamane.Commecedernier,ilagit
surlapersonnalitésocialedumalade,enl’aidantàsesituerànouveaudanssoncadrede
référenceculturelle,essentiellementparl’adhésionsansdétouràlafoicatholiqueetàla
croyance au culte des saints. (…)Mais, dans lemiracle commedans la cure analytique,
c’est le malade qui abréagit, souvent sous la forme d’une incubation.» (Jean‐Michel
Sallmann1994:366‐367)
Celametleconsultantdansundoubleétatd’abréactionetd’incubation.
186
2.9.LesregistresdeMarie
Les dématérialisations successives des rituels et pratiques coutumières, transformées
par Marie en imagerie mentale contribuent à la production des médiateurs et des
interlocuteurs surnaturels. Celle‐ci ne va pas se faire dans une continuité abstractive
maisenprenantpoursupportdesreprésentationsiconographiquesexemplairesoudes
récitsoniriques. Les interlocuteurs surnaturelsvont semontrerd’autantplusprésents
dans cet environnement dématérialisé, comme appartenant à l’envers de cette
soustraction.LestechniquesdeproductionsdesensdeMarie,utilisantdesglissements
successives de rationalités et l’imbrication de plusieurs registres, lui permettent de
mettre en place une production de signes oraculaires qui se substitue au sentiment
fictionnel. Elle préfère plutôt que de leur prêter sa voix, «montrer» des «guides
spirituels», sous la forme de perceptions sensorielles attestant d’une transmission
dématérialiséequi la traverse, investit sonenvironnementoupeuple les«rêves»des
consultantsetinduitunelectureintuitivedesinteractionssociales.
Marieneproduitpasdes«preuves»dela«présencedesêtressurnaturels,guidesou
défunts, par des processus d’écriture automatique ou de superposition d’impressions
photographiques ou encore par des enregistrements de «voix de l’au delà» par
«transcommunicationinstrumentale»outoutautrepratiquespirite,ellesubstitueune
réalitéoniriqueàunsentimentfictionnel.Ellesortle«rêveur»delasphèreprivéepour
l‘intégrer dans une activité sociale. Par une technique ritualisée de production et
progressivementdecontrôledesimagesoniriques,elleassureunusagelégitimeaurêve
etmetenplaceuncerclederêveuses.Celles‐civiennentàcesséancesinitialementpour
trouver une réponse à leurs propres questions,mais en participant à ce cercle, elles
construisent le dispositif de production onirique et permettent la «déclosion» de la
parolequisuivra,commedu«rêve»quilaprécède,etdevraitàforced’apprentissage
passer d’une rêveuse à une autre, dans un remodelage collectif. Dans ce cercle,
certaines femmes qui se nomment elles‐même des «passeuses» «apportent du
187
matériel»qu’ellesproposentauxautresde«traiter»,commePatricia,quidemandede
mettredansla«méditation»unepetitefillemalade.
En 2012, Marie qui a endossé la fonction de médium depuis cinq ans et à l’âge de
cinquante ans, est une femme avenante, souriante, chaleureuse, et énergique. Elle a
acquis unemaîtrise de l’art divinatoire et sait aussi se comporter en entrepreneur et
gestionnairede«bienssinguliers».Elleorganise lestroissites internetqu’elleacréés
en leur donnant à chacun un axe communicationnel et une présentation
correspondante. Dans le premier, elle décrit et tient à jour l’agenda de ses activités
d’écoute individuelle, en couple ou familiale, ses séminaires de développement
personnel, de formation en Reiki, en Feng Shui, ses conférences, ses ateliers et
«méditations partage». Sur le second site, elle dévoile sa fonction demédiumet de
«guidespirituel»etmetl’accentsursapratiquedeguérison.Letroisièmesiteseveut
un site d’information exhaustif sur les «soins alternatifs» en Suisse, et comporte un
agenda des manifestations, un registre par lieu, discipline, et nom des praticiens.
L’inscription au registre est payante pour les thérapeutes, les écoles et les
hébergementssurlesite.Ilcontientaussidespagesrédactionnellessurdestechniques
desoinsousurdespraticiens.Marieenest l’uniquerédactricesousunautreprénom.
Elle interroge ses collègues et pairs, les mets en valeur sur ce site, teste des
apprentissagesmultiplesetsuitdesstagesdedeuxàtroisjours.Ellealimentesapropre
pratique et enseigne ce qu’elle a appris. Elle augmente son vocabulaire, acquiert une
diversité de compétences,mais n’hésite pas non plus à solliciter un pair pour traiter
certainessituationsouàtravailler«enréseau».Mariejouesurlesdifférentsregistres,
elle sait glisser de la rationalité à l’imaginaire et sait aussi flirter avec les courants
ésotériques chrétiens, tout en restant proche d’un christianisme coutumier et des
milieux sociaux dont elle est issue ainsi que sa clientèle. Jouant les certitudes et
incertitudes, elle n’hésite pas à créer le doute dans son public, sans la mise en jeu
desquellesaucune relationmantiquen’estpossible. Elle sait s’amuserdes consultants
tropcrédulesenleurcitantpourvéridiquesdesexemplesquifontsourire,pourmieux
188
ensuite les mettre à l’épreuve dans «les pratiques qui assurent la régularité des
échanges entre les vivants et les morts en tant qu’êtres sociaux», le traitement des
crisesexistentiellesetleretourde«l’abondance».
189
3.Del’usaged’unequêteangélique
Afindeprolongermonenquêteethnographiquedespratiquessocialesmédiumniques,
je me suis intéressée à une nouvelle configuration pour déterminer si des éléments
récurrentsparcouraientlechampdespratiquesmédiumniques.Cetteconfigurationm’a
permisdesuivreuneconstructioncomplexedelégitimationsemettantenplacesurdes
enchâssements successifs, faisantappelàceuxdéjà instituésparunmilieuésotérique
antérieur. Elle m’a permis de considérer comment de cette première forme de
transmission des savoirs pouvait se constituer une production ésotérique sur une
techniquedesuperpositiondesrégimesdevéritédanslaconstructiond’undiscoursaux
énoncés improbables.Etdeconstaterquecetteconfiguration,malgréuneabsencede
rituel collectif, parvenait à développer une entreprise culturelle à l’échelle
internationale et cela en faisant appel à la forme de transmission des savoirs la plus
usuelleaudébutduXXIèmesiècleàsavoirparlescanauxdesnouvellestechnologiesde
l’information.
Parmilesfemmesquifréquententles«salonsdemédecinesnaturelles»,j’airencontré
Sylvie, qui m’a introduit auprès d’un cercle de personnes se réunissant autour d’un
coupledepraticiens suisse et canadien, Christianeet Kaya. Ceux‐ci fontdeux fois par
année une tournée en Suisse romande répartie sur une session de printemps et une
d’automne.Ilsorganisentavecl’aidedebénévolesrésidantenSuissedesconférences,
desateliersetstagesdeformation.Aprèsavoirréunisunpremiergroupedesoutienen
2001, lesdeuxpraticiens fondent,en2008,auCanada,uneassociationquiprendra le
nomde«Univers/CitéMikaël».Cestatutleurpermetd’obtenirdessoutiensfinanciers
de l’Etat canadien et de développer une bonne stratégie de communication et
marketingpourdiffuserleurméthode,qu’ilsnomment«AngéologieTraditionnelle»,par
toute une série de produits dérivés, livres, CD de musiques et récitations, cartes
divinatoires, papeterie, vêtements, et médaillon avec leur «logo». L’«Univers/Cité
Mikaël» ne s’approprie pas la figure de l’ange dans l’usage qu’en a fait la culture
190
occidentale en art et en littérature, notamment auXIXème siècle, en l’utilisant comme
une représentation métaphorique du «temps qui passe», de l’éphémère, de la
mélancoliequimarquelesouvenirdecequin’estplus.Cespraticiensreprennentàleur
compte, dans ce qu’ils nomment l’«Angéologie Traditionnelle», une cosmologie de
soixante‐douzeangesrépertoriésetorganisésenunehiérarchiedanslaquellelesanges
sontregroupésparhuitdansneufchœursd'anges.Cetteconstructionprendsasource
dansl’angélologiechrétiennequi,àlasuitedeDenisl’AréopagitepuisdeSaintThomas
d’Aquin, a spéculé l’organisation des «armées célestes» en neuf classes d’anges
répartiesentroisdegrés.DanslepremiersontregroupéslesSéraphins,lesChérubinset
les Trônes, dans le second les Dominations, les Vertus et les Puissances et dans le
troisièmeslesPrincipautés,lesArchangesetlesAnges,cederniergroupen’ayantpasun
nomspécifiquecommelesautres.LesdeuxpraticiensChristianeetKayanereprennent
pas directement cette source originelle pour construire leur méthode, mais ils
s’inspirent d’une source secondaire et dérivée tirée desmêmes ouvrages ésotériques
que ceux utilisés par Marie et Daniel, à savoir ceux des auteurs «Kabaleb» et
«Guerashel» (2005), et surtout «Haziel» (1996, 2002) et son abondante production
littéraire spéculative sur les anges et la kabbale. Chez ces auteurs, chaque chœur
d’angesestplacésousl’autoritéd’unarchange.Celui‐cietchaqueangeportentunnom
terminéparlessuffixeselouiah,construitsurlemêmemodèlequeceuxdelamystique
juive.Unnombreestattribuéàchacund’entreeuxcequipermetdel’identifierdansla
hiérarchie céleste. Cette «AngéologieTraditionnelle » est utilisée de manière
astrologiqueetdivinatoiredansleregistredelaviequotidienneetdansuneperspective
eschatologiqueindividuelle.Chaqueangeestdéfiniparsesattributs,sesqualitésetses
pouvoirs positifs. A l’égal des cartes divinatoires, lorsqu’elles sortent à l’envers, ces
élémentspeuventdevenirnégatifsetsontalorsqualifiésdedistorsions.Enfonctionde
sa date et de son heure de naissance, chaque être humain est régi par trois anges,
chacun intervenant à des niveaux différentsdéfinis comme physique, émotionnel et
intellectuel.
191
Cettemultiplicationdes«angesgardiens»,etplusgénéralement leur individuationet
leurnominationsontétrangèresà l’institutionecclésialequis’entientà la figured’un
bon ange qui participe au système d’édification de la personne chrétienne en le
proposantsousformed’unefigurationdelaconsciencemoralecenséelamaintenirdans
le«droitchemin».Enattribuantune«personnalité»àchaqueange,celui‐cienperdsa
qualitédeprotecteuranonymeetparsanominationdevientuninterlocuteurprivilégié.
L’adjonction d’un calendrier angélique à toute forme de calendrier astrologique, qu’il
soit occidental ou asiatique, est propre à tout un courant ésotériqueoccidental et se
pratiquechezplusieurs«médiumsguérisseurs»desXXèmeetXXIèmesiècles.
3.1.Méthoded’enquête
Enquêterdanscetteconfigurationdéveloppéeautourdel’«Univers/CitéMikaël»s’est
révéléuneopérationdifférentequepourcelleautourdeMarie,mêmes’ils’agissaitde
garder lesmêmesobjetsd’investigationsoit :s’intéresserauxmécanismesobjectifsde
la reproduction sociale des «médiums guérisseurs», définir quelles sont les
articulationset lesenchaînementsdesmomentsde leurviequ’ilsvontmobiliserpour
opérer la transformationde leurpersonnalitéencellede«médiumsguérisseurs»,et
pourmapartaccéderaudispositif,qu’ilsmettentenplacepourassurer leur fonction
particulière,pourpouvoirenfairel’ethnographie.CommedanslecasdeMarie,ils’agit
desuivrelesrelations,lesconnexionsetlesassociationsquisoustendentlesstratégies
quirendentpossiblecetteconfiguration,maispourl’«Univers/CitéMikaël»celles‐cise
déploientdansplusieurssitesetdansdestemporalitésdifférentes.Lesdeuxpraticiens
n’étant présents en Suisse que de manière ponctuelle, c’est par des rencontres et
activités avec Sylvie, qui est l’une de leur fidèle bénévole que j’ai pu approcher et
m’intégrerdanscedispositif.Jeprésenteraidanscechapitretoutd’abordlespratiques
de Sylvie ainsi que son expérience d’un pèlerinage à Gérone en Espagne. Je mettrai
celui‐ci, pour comprendre ses attentes et ce qui l’amotivé, en regard avec lemême
pèlerinageeffectuéquelques années auparavant par les initiateurs de l’«Univers/Cité
192
Mickaël»etaveccequ’il leurapermisdemettreenplace,àsavoirune«légitimité»
parundiscourssurunetransmissiond’unsavoir.
Sylvie a une soixantaine d’année lorsque je fais sa connaissance, c’est une femme
grande, belle et fine qui, a la suite d’un mariage décevant et d’un divorce difficile,
consacreunegrandepartiedesontempsàsamèrequivitseuleégalement.Lesdeux
femmesn’ontplusd’activités professionnelles soutenues, elles touchent chacuneune
pension et Sylvie complète celle‐ci par différentes activités commerciales ponctuelles.
Lesdeuxfemmesquisontdeconfessionprotestanteselonl’Egliseréformée,ontétéà
unepériodede leurvieprochesde la«Sciencechrétienne».Cecourantquiprône la
guérisonparlaprièreaétéfondéauxEtatsUnisparMaryBakerEdyaumilieuduXIXème
siècle avant d’essaimer en Europe. Sylvie s’est intéressée ensuite aux ouvrages et
théorie d’Haziel. Elle a aussi entrepris, avec un magnétiseur et radiesthésiste, des
opérationsde«purification»delieuxcataloguéscommeétant«chargés»d’émotions
négatives, comme les monuments aux morts français, en y plaçant des sortes de
«paratonnerres» formés de morceaux de quartz reliés par des fils de cuivre
conducteurs, qui avaient selon leur fabricant, la propriété de conduire les «énergies
négatives»danslesol.Cesobjetsportentlenomde«transceiver»soitlacontraction
anglophone de «transmitter» et de «receiver» ou selon le nom usuel francophone
d’émetteur‐récepteur, terme qui se réfère à l’équipement utilisé dans les stations
radioélectriquesautonomesenusagenotammentdanslessystèmesderadio‐amateurs.
Nous retrouvons l’utilisation d’un langage scientifique pour nommer une action
mystique liée à une «communication» avec l’ordre de l’indiscernable. Quant à la
radiesthésie, elle appartient aux procédés mantiques pour localiser une source mais
aussiunobjetouunepersonnedisparue,sesoutilsdivinatoiresrestent labaguettede
sourcier,modernisée en tige demétal, et le pendule. C’est en triant son courrier en
s’aidantdesonpendulequeSylvieamisenévidenceunepublicitépourlesconférences
de Christiane et Kaya. Ce qu’elle a interprété comme un signe du «destin» et la
conduite à venir en écouter une. A la fin de celle‐ci, enthousiasmée par ce qu’elle
193
entendait,elles’estproposéecommebénévolepouraiderlesconférenciersdansleurs
déplacements en Suisse. Sylvie en me plaçant dans l’expérience de confrontations
directesaveclesdiscoursd’unmerveilleuxangélique,m’apermisd’accéderàceterrain
multisite.
3.2.LespratiquesdeSylviepourtraiterl’infortune
Pourme fairecomprendre laméthodede l’«AngéologieTraditionnelle»etcomment
l’utiliser, Sylvie me partagera deux expériences. La première retrace un événement
récentdontsamanièredeleprésenterl’assimileàunprocédéonirique.Ellemeraconte
commentelleachangédevoitureetquellesignificationcelaaeupourelle.Sonrécitest
lesuivant:Sylvieconduitsavoiturequiestbleuesurunepetiteroutedecampagne.Sa
voiture «cale». Sylvie fait une «méditation», soit une invocation à un ange, et la
voiture«repart».Ellenemeprécisepasàquelangeelles’adresse.Le lendemain,au
mêmeendroit, lavoiture«cale»,Sylviefaitunenouvelle«méditation», lavoiturene
«repart» pas. Elle téléphone à un garagiste et lui fait entendre avec son téléphone
portablelebruitdelacléqu’elletournepourfairedémarrersavoiture.Aupremiertour
declé,aucunsonn’estproduit,elle réitèresonmouvement, lavoiture«repart».Elle
décide de conduire sa voiture au garage. Les garagistes ne trouvent aucun élément
défectueux, mais changent la batterie et le système d’allumage, la facture s’élève à
720.‐francs.Sylviesouligneque72c’estlechiffredeMumiah(larenaissance).Lorsque
les garagistes reconduisent sa voiture jusque chez elle, l’un conduit sa voiture et le
deuxièmelasuitavecunedesvoituresdugarage,cedernieraunmomentd’inattention
etemboutitlavoiturebleuedeSylvie.Souslechoc,lesdeuxportesàl’arrières’ouvrent
etl’arbrededirectionestcassé.Lavoitureestréparablemaiscelacoûte14'000.‐francs.
Sylvie souligneque14est le chiffredeMebahel («l’engagement» et, ennégatif, «le
désengagement»). L’ouverture des deux portes arrières comme deux ailes déployées
accentuantl’«angélo‐morphisme»delavoiture,Sylvieinterprètel’événementcomme
étantlemessagesuivant:«lavoiturel’aprévenuequ’ellefaisaitfausserouteetqu’elle
194
n’étaitpasprêtepour le cheminqu’ellevoulaitprendre». L’histoirenes’arrêtepas là.
Sylviedécidedes’acheterunenouvellevoiture,elleserendchezsongaragisteetchoisi
uneSkodableue.Pendantqu’elle«regarde»cettevoiturebleue,samères’asseyedans
unevoiturerougeet luiditquelessiègessonttrèsconfortables.Sylvies’installeàson
tour dans la voiture rouge et une femme habillée tout en rouge, «jupe rouge, veste
rouge,chaussuresrougesetsacrouge»,passedevantlavoiture,pourSylvie,«c’estle
deuxièmesigne».Elleregardelespharesdecettevoiturerouge,«ilssontrondsavecun
point dedans», comme l’emblème que s’est choisi l’Univers/Cité Mikaël, «c’est le
troisième signe». Le lexique des couleurs, utilisé par les praticiens de laméthode de
l’«AngéologieTraditionnelle»,estnécessairepourcomprendrecettedernièrepartiede
l’histoire. La couleurbleue renvoie à cequi est de l’ordrede la communicationet du
«mental»,etlerougeàlamatérialitéetaucorps.Sylvie,selonson«autoanalyse»,se
dit encore trop proche des biens matériels et doit «travailler» pour atteindre la
«spiritualité». Le statut du récit de Sylvie, par la manière dont elle le raconte, est
ambigu. Il ne se présente pas comme une histoire ordinairemais plutôt comme une
successiondeséquencesdansunediscontinuitétemporelle,prochesd’uneproduction
onirique,soulignéeencoreparl’importancedescouleursprimairesprojetéesengrands
àplats.
Le deuxième récit se présente comme une description de sa pratique, mais prend
rapidementuntourtoutaussionirique.Sylvieprodiguedessoinsàdomicile.Sacartede
visitelaprésentecommeexperteen«angéologietraditionnelle»,«énergéticienne»et
pratiquantune«thérapied’écoute».Elleserendchezdesparticuliersàleurdemande
etleurprésentesesméthodes.Elleleurditqu’elleestlà«pourleurapporterdesoutils,
maisquec’estàeuxàfaireletravail».Ellelesécouteetleurproposeensuitedefaire
despratiquesrespiratoiresetd’invoquer,pardesrécitationsdesonnom,l’angequ’elle
déterminecommeétantleplusopérationneldanscettesituation.Unedesesdernières
clientes«entreguillemet»,précise‐t‐elle,«carellenesefaitpaspayerpourcetypede
prestation», lui a raconté «une histoire de vie» qui était identique à la sienne.
195
L’appartementdecettefemme,danslequelellessetrouvaient,étaitaussiidentiqueau
sien,«ilyavaitlesmêmescouleurs,c’étaitlamêmeimpression».Danscerécit,comme
dansleprécédent,lalimiteentreréalitéetonirismeresteporeuse.PourSylvie,«toutes
lespersonnesquenousrencontronsontétéplacéesintentionnellementsurnotrechemin
pour nous faire avancer» vers une plus grande «spiritualité» et «compréhension de
nous‐mêmes»,cespersonnessont lemiroirdenous‐mêmesoudes«partiesdenous‐
mêmes»quenousdevons«analyser».
DanslesdeuxsituationscitéesparSylvie,celle‐ciutilise,commeuneclédessonges,les
ouvrages de Christiane et Kaya en reliant les maux aux occurrences des index des
ouvragesetenlisantles«témoignagesetanalyses»deChristianeetKayacommedes
parabolesbibliquesquipermettrontd’attribuerunsensauxmaux.Ellelesrelieraaussi
aux descriptifs des attributs des anges. Ceux‐ci apparaîtront dans une dualité entre
«qualitésetdistorsions»,soitcommeprotecteursouaucontrairecommeproducteurs
desaléasetinfortunesdel’existence.S’appuyantsurdesdiagrammesetschémasrepris
desmêmesouvrages,Sylviecomplexifiesalectureouplutôtlacorrobore.Elleinterprète
les infortunesou lesdouleurscorporellescommedessignescélestes,enseréférantà
un diagramme de l’arbre séfirotique doublé d’une cartographie du corps où chaque
organeestreliéàunange.Laparoleetl’imagesontalorsarticuléesensembledansune
techniqued’attributiond’unsens,quel’onretrouverégulièrementdanslecontextede
l’énonciationrituelle.Sylviepeutmontrercesschémas,oulesévoquervirtuellementau
coursdecettephasedediagnostic.Cescartesrestentschématiquesetcomportentdes
dessins ou desmots clés qui permettent des interprétationsmais restent des figures
aléatoiresquiprennentsensparlesagencementsdeleurscomplémentaritésselonl’art
dumédium.
Ce jeu des correspondances entre monde du bas et monde céleste renvoie à une
grammaire des signes se répondant entre les deux univers. C’est dans cette trame
héritée d’une tradition culturelle chrétienne doublée du concept déterministe et
196
mécaniste stipulant l’idée que tout dans l’univers dépend d’un «ordre universel» et
d’une«liaisonnécessaire»desphénomènes,quevas’installerlascènedeladivination.
Sylvie, tout commeunmetteur en scène d’une pièce de théâtre, se dit tributaire du
textedontelledoitassurerlareprésentation.Danscecanevasissudelaméthodedel’«
AngéologieTraditionnelle»,Sylvieintroduitlesfilsdecouleurs,brodedesfaisceauxde
«savoirs» se superposant. Alternant paroles et écrits, représentations visibles et
projectionsmentales,cetteopérationpermet l’émergenced’unescène«oùpourrase
passer quelque chose». Sylvie dénouera ensuite fils par fils son «échafaudage» et,
dansdesdévoilementssuccessifsetparunlangageallusif,régleralesrapportsduvisible
etdel’invisible.Seloncesnouveauxagencementsconstruitsdansl’ordrequiluiparaîtra
le plus opérationnel, Sylvie «rendra visible les invisibles» et donnera ainsi à chaque
réalisationd’unmêmerituel sa texturepropre.Cerituelpourraêtre répétéautantde
fois que nécessaire et appartiendra à une cure, qui comportera encore d’autres
séquences. Cette première phase rituelle ayant permis selon Sylvie de dévoiler «les
outils»quipermettrontàses«clients»desuivrele«bonprogramme»d’invocationet
de «pratique récitatoire» qui lesmettront en phase dans la communication avec les
anges.
Sylvie,danscettepremièreséquence rituelle,peutaccompagner sa«miseenscène»
d’élémentssonores,enmettantunemusiquedouce,etd’élémentsscénographiquesen
ajoutant des touches de couleur, par l’installation de coussins confortables et d’une
pyramideenquartzd’où,lorsquecelle‐ciestplacéeàlalumièrenaturelle,jaillitunarc
en ciel, ou encore par des bouquets de fleurs. Elle peut aussi allumer une bougie
blancheetfairebrûlerdel’encens.Sylvien’accordepasuneimportancemajeureàces
misesenespacepouraccompagnercetteséquencerituelle,sielle le fait«c’estplutôt
pourrassurerleconsultant»,pourfaire«cequ’ilconnaîtparcequ’ill’avufaireailleurs
ouàlatélévision».Cequiprévautpourelle«c’estl’intentionnalitéetsadémarchepour
entrerdansunerecherchedelaspiritualité»,reprenantdansceproposl’affirmationdes
Eglisestraditionnelles.
197
3.3.Lerégimealimentairepourunemeilleurecommunicationaveclesanges
Sylviecomplètesontraitementthérapeutiqueetrituelpardefermesrecommandations
pourunrégimealimentairevégétarien,«pourpréparer lecorps»quireste lemédium
de la communication privilégié avec les anges. Ce n’est plus le jeûne qui signifie le
rapprochement avec les anges par la valorisation de l’image d’un monde où la
nourritureterrestren’apluscours,maisuneréinterprétationdesrepasparlechoixetla
préparationdesaliments.Sylvievasupprimerdesonalimentationtoutcequiestcarné,
tropliéausangélémentvitaldel’animal,etàl’âmedel’animalpourcertainesreligions.
Sylvie pratique une cuisine dans laquelle chaque élément contribue à l’élévation et à
convertirsaproprechairpourluiconférerlespropriétéssymboliquesd’auxiliairedesa
dévotion. Même si leur objectif de tendre à l’« état d’ange » est semblable, Sylvie
n’imitepas lesmodesd’apprêtementde lanourriturede la congrégationdominicaine
étudiéepar JeanneAndlauer (1997)dans laquelle lesmonialesvont rendre la couleur
blanche omniprésente dans les repas. Le blanchiment des aliments concourant à la
symbolisationdelapuretévirginaleetl’absorptiond’unenourritureincoloreàcellede
tendre vers cettenature angéliqueéthérée. Lesmoniales consommentde la «viande
blanche». Les légumes sont blanchis en étant passés à l’eau bouillante avant d’être
cuisinésetenrobésdepâtedebeignetouservisavecunesauceblancheafind’ajouter
encoreplusdeblanc.Lesmetssontapprêtésavecdelafarine,dulaitoudublancd’œuf
pourjoueretmarquerencorepluslescombinaisonsdelagammedesblancsetdeleurs
variationsdeteintes.Lesucreesttrèsprésentchezlesmoniales,saconsommationfait
partie de l’identité angélique à construire. Pour Sylvie, une alimentation qui
«rapproche» des anges, contrairement aux moniales, est celle qui supprime la
consommationdesucreetdelaitdevache,ceux‐cien«alourdissantlemétabolisme»
nefavorisentpaslesrêvesetlacommunicationaveclesanges.Elleaccordeunegrande
importanceàlaprovenance,lafraicheuretla«pureté»desaliments,elleprivilégieles
produits«bio»,etsurtoutceuxquisontlocauxetdontonpeutvérifierquelelieuetle
modedeculturen’ontpaseusureux,cequ’elleappelle,de«mauvaisesinfluencespar
198
demauvaisesvibrations».Sylvieet lesadeptesde la«pratiqueangélique»,ontpour
objectif de tendre «à devenir des anges», mais cela reste dans une approche
métaphoriqueetilsnes’inscriventpasdansunedémarchederenoncementaumonde
terrestre. Le végétarisme n’est pas compris comme un ascétisme mais comme une
«libérationdel’âme»quin’estplus«alourdie»parlecorps.
3.4.L’originedel’«Angéologietraditionnelle»?
Les fondateurs de l’Univers/Cité Mikaël, Christiane et Kaya, placent l’origine de
l’«AngéologieTraditionnelle»danslakabbale,etplusprécisémentilsdisentappliquer
ce qu’il nomme la «Kabbale pratique». Ce terme a été utilisé péjorativement par
Gershom Scholem pour qualifier l’association douteuse de la kabbale à des grimoires
comme les Clefs de Salomon, qui la fit considérer comme une science occulte entre
alchimie et sorcellerie. Elle servit alors de support à des pratiques demages utilisant
amulettes «kabbalistiques», parchemins ou médailles couvertes de caractères
hébraïques et d’étoiles de David mêlées à des croix chrétiennes. Une autre
interprétation de l’utilisation du terme «Kabbale pratique» par Christiane et Kaya
aurait pu être un signe de ralliement au «Kabbalah Center» ou «Centre de la
Kabbale»,organisationfondéeparPhilipBergdanslesannées1970etquirevendique
en 2012 une cinquantaine de centres à travers lemonde. Ceux de Los Angeles et de
Manhattanétant lesplusmédiatiséspuisque la rock starMadonnaaurait versévingt‐
deuxmillionsdedollarspour laconstructiondecedernier.Lesmédiasontattribué,à
tortouàraison,uneappartenancepassagèreoudurable,au«CentredelaKabbale»à
de nombreuses stars telles queNaomi Campbell, Britney Spears, LeonardoDi Caprio,
KylieMinogue,DemiMore,TippiHedren,ElizabethTaylor,ParisHilton,AshtonKutcher,
GwynethPaltrow,BarbaraStreisand,DonnaKaran,lecoupleBeckham,ElizabethTaylor,
GuyRitchie,JerryHall,MickJagger,RoseanneBear,MissyElliot,StellaMcCartney,Torry
Speeling, Courtney Love ou encore Winona Ryder. Les adeptes de ce mouvement
portent facilement au bras gauche un bracelet de laine rouge, comme objet de
protection.Cebraceletestconnusouslenomde«filrouge»ou«braceletdeRachel»
199
et c’est une protection contre le «mauvaisœil» et donc contre l’envie et la jalousie
d’autrui à sonégard. Pouravoir tout son«pouvoir», il doitprovenird’unepelotede
lainerougeenrouléeseptfoisautourdumonumentdepierre,quisetrouveau‐dessus
delatombedeRachel,femmedeJacob,toutenrécitantcertainesprières.Latombede
Rachelestunhautlieudepèlerinagedujudaïsme,particulièrementfréquentéeparles
femmesenmald’enfant.Kayaayanteuunecarrièremusicalenord‐américainedansla
chansonanglophone,ilauraitpuintégrer,commed’autresartistes,cemouvementdont
lesactivitésetlesinterprétationsdelakabbaleontétéfortementcontroverséesparles
organisations juives, pour être considérées ensuite comme prenant place parmi les
nombreuses interprétationsfantaisistes,quiprolifèrentauXXIèmesiècle,desmystiques
issuesdesgrandscourantsreligieuxdesEglisestraditionnelles.
Lesfondateursde l’Univers/Cité,ChristianeetKaya,sedémarquentdecemouvement
etd’autrescourantskabbalistiquesNewAge,enaffirmantque:
«Plusieurs livres existentmaintenant sur la Kabbale et certaines personnes utilisent et
enseignent laKabbaleenayantperdu sonessencequi se résumeà l'étudede laParole
reçue à l'intérieur de soi par les rêves, les signes et la compréhension du langage
symbolique,c'est‐à‐direl'étudedesgrandsprincipesdel'Univers.Etilnefautpasperdre
de vue que l'étude par les livres n'est qu'une première étape, car l'aspect le plus
important de la démarche consiste à découvrir ces secrets directement, à l'intérieur de
soi‐même,parlebiaisdel'étudeapprofondiedesÉtatsdeConscienceAngéliques.C'estce
qu'onappelleenlangagecommunlaKabbalepratique»(Kaya,MullerChristiane,2010)
ChristianeetKaya,serevendiquent,etlereprécisentdanschacundeleursouvrageset
sur leur site web, d’être devenus les dépositaires des «textes de l’Angéologie». Ils
situentleur«enseignement»danslafiliationdupremiercerclekabbalistique:l’«Ecole
espagnolemédiévaled’IsaacelCec,(Isaacl’Aveugle)».Surleursiteweb,ilsécriventen
début2013:
200
«Laplupartdesgensneconnaîtpas réellement l'originedesAngesquia inspirédepuis
des centaines d'années les traditions chrétienne, juive etmusulmane76. Desmanuscrits
ontétédécouvertsen1975àGéroneenEspagneaprèsavoirétéensevelispendant500
anssuiteàl'inquisitionde1475‐1492.»
3.5.Laconstructiond’unefiliationparlamiseenplaced’un«pèlerinage»àlasource
del’«Angéologie»
Les manuscrits de Gérone suscitent plusieurs discours. Dans les mouvements
ésotériques, ils prennent la place du «grimoire» ou «livre demagie» qu’il s’agit de
retrouveretdont laquêteestseméededifficultés.Cette interprétationseheurteà la
démarcheacadémiqueetscientifiquedecatalogage,archivageetanalysededocuments
écritsdansunelanguejudéo‐catalanneretrouvésdemanièrefortuite.Lesdiscoursqui
accompagnent ladécouverteet lesmanuscrits pour euxmêmeposent la questiondu
concept de «vérité» et à quelle aune il peut être évalué. Comme les discours qui
suiventvontlemettreenévidence,ilyauneincompatibilitéflagranteentrelaposition
des scientifiques et celle des auteurs ésotériques.Mais dès lors que l’on établit une
distinction entre les termes de «vérités» et de «régimes de vérité», soit entre des
contenus de représentation et desmorphologies ou des formes et que l’on relie ces
dernières à des catégories de discours (par exemple religieux ou scientifique) se
réclamant d’un mode d’interprétation spécifique, le rapport de différence s’énonce
autrementetl’attentionseportesurlaformechoisiepourdéciderducontenudesens.
Laquestiondesrégimesdevéritéestàconsidérerenfonctiondesformesdiscursiveset
symboliquesdans lesquelles lescontenuss’élaborent. L’expériencedeconfrontationà
ces formes sera variable selon les protagonistes et leurs lieux d’expression. Tous les
discours ont comme point commun de se rapporter à la Ville de Gérone et à ses
environs, mais les faits qu’ils donnent à entendre se situent dans des temporalités
76Laréférenceàunetraditionmusulmaneestrécente,ellen’apparaîtpasdansdesouvragesousurlesite
webavant2013.
201
historiquesdifférentes.Cesdiscoursformententreeuxunsystèmed’interrelationsqui
tire sonefficace, soit soneffet attendupardes constructionsordonnées autourde la
capacité à propager une doxa commune. Ce système acquiert une forme
d’«institutionnalité», à laquelle les acteurs donnent le statut de «Référence». En
reprenantlesproposdePierreLegendre(2001:43),onpourraitdirequec’estlàoùse
jouelaconfigurationsymboliquedusocialquelemontagedela«Référence»devient
l’axedela«Raison».
3.5.1.Lediscoursd’Haziel
Le premier discours dans l’ordre chronologique de la construction du système
d’interrelations est celui énoncé par Haziel. Dans l’élaboration de leur méthode,
ChristianeetKaya,reprennentlesspéculationsdéveloppéesparHazielnotammentdans
sonouvrageDesoriginesde laCabaleà l’Angéologie, (1996)quiretrace l’originede la
kabbale77 à Gérone. Celui‐ci émaille des faits historiques établis d’affirmations
fantaisistesquiserontreprisespartiellementparChristianeetKaya.SelonHaziel,
«LeSaintNometlapersonnalitédechaqueAngegardienetdechaqueArchangeontété
découvertspubliquement,ainsiqueleursdonsetpouvoirs,parlaPremièreEcoledeCabale
(oraleetécrite)en1160parleKahalCabalistiquedeGérone,fondéeparIsaacl’Aveugle.
CetteEcoleaétéferméeparl’Inquisition,àl’occasiondel’expulsiondesJuifsd’Espagneen
1492;sesportes– lesportesduQuartierhébreu,nomméCall–ontétéEMMUREEavec
pierres et ciment selon un document du 15 avril 1532 des archives municipales. Les
«descendantsdesdescendants»desjuifsconvertisauchristianisme(en1492,pouréviter
l’expulsion)onttoujoursvécuautourdeleurancienquartier;etCINQSIECLESPLUSTARD
(à partir de 1975, selon documents officiels) ont commencé à dévoiler, de nouveau,
77J’utiliselagraphie«kabbale»quirestelaplusutiliséeetjen’entrepasendébatsurcellede«cabale»
utiliséepardesauteursésotériquesdansledesseind’introduireunedistinctionentreune«cabale»qui
seraitplusprocheduchristianismeetune«kabbale»appartenantàlamystiquejuive.Mêmesicomme
pourtouteslesappropriationsliéeàunemystique,qu’ellequesoitsonoriginethéologique,l’usagequien
faitparlescourantsésotériquesoccidentauxestd’ordresyncrétique.
202
l’ancien savoir Traditionnel concernant l’ANGEOLOGIE, et laCabaleengénéral.» (Haziel
1996:8‐9)
Cetextrait,citantdesdocumentsofficielsetdesarchivesmunicipalesavecforcedates,
se donne l’allure d’un document juridique incontestable et qui doit suffisamment
impressionner le lecteur pour que celui‐ci ne puisse pas le mettre en doute.
L’«Angéologie»défendueparHaziel,prend lamême formequecellequi seraportée
par Christiane et Kaya quelques années plus tard. Dans l’ouvrage Des origines de la
Cabale à l’Angéologie (1996), Haziel présente ses propres spéculations théologiques
selon lesquelles trois anges gèrent le destin des hommes. Il les identifie de manière
astrologique en fonction du jour et de l’heure de naissance. Le premier est l’«Ange
Gardien»,ilcorrespondàlaplagedescinqjoursdurantlaquellelapersonneestnée,cet
angeaccèdeàtoutessesrequêtes.Ledeuxièmeestl’«AngeduJour»,quirégitlejour
de la naissance de la personne, cet ange peut la soutenir pour toutes les questions
émotiveset sentimentales. Le troisièmeest l’«AngedesMissions»,qui régit laplage
desvingtminutesdans laquelle lapersonneestnée,cetangepeut l’aiderpourtoutes
lesquestionsqui fontréférenceàsaréussitedanscequiestquotidien.Lesdescriptifs
des qualités individuelles des Anges seront repris dans leurs grandes lignes par les
fondateurs de l’Univers/Cité Mikaël qui les complèteront de même que les théories
ésotériquesd’Hazielautourdel’«ArbredeVie».
Hazielpersonnifiel’invocationdechaqueange.IlditavoirreprislesécritsdeIsaacel‐Cec
«qui a été le premier à avoir transcrit par écrit les soixante douze prières
correspondantes aux soixante douze anges», celles‐ci selon Haziel « avaient été
transmisesoralementdepuisMoïse,quilui‐mêmelesavaientreçuesdesourcedivine».
Hazielapublié intégralementcesprièresdansson livreNotreAngeGardienexiste.Ce
sont ces mêmes prières que Marie a publié chaque jour sur son site web. Haziel
considèrequependantlanuit,l’espritévoluedanslemondeastraletquelematin,au
réveil, ilestencore«unpeudanscemonde là», c'estdonc lemeilleurmomentpour
dialogueravecsonangegardien. Ilpréciseencore«j'entreencontactavec luitous les
203
matins,àmonréveil,avantdesortirdemonlit.Jepasseenrevuetouteslesidéesquiont
putraversermonespritpendantlanuitetjedéfinisavecmonAngeGardiencellesqueje
vaisplusparticulièrementdévelopperaucoursdelajournéequis'annonce.»
La troisième partie de son ouvrage Des origines de la Cabale à l’Angéologie (1996),
prendlaformed’unguidedepèlerinage.HazielévoqueleSantuaridelsAngels,ditaussi
leSantuaridelaMaredeDéudelsÀngels, situéàquinzekilomètresdeGéroneetà485
mètresd’altitudeausommetduPuigAlt,aunorddumassifdesGavarres.Cesanctuaire
dateduXVèmesiècle,hautlieutouristiquedelarégiondeGérone,ilestconnucomme
unpointdevueexceptionnelquipermetparbeautempsdecontemplertoutelarégion
deGérone.SalvadorDalietGala lechoisirentcomme lieupour leurmariageen1958.
Hazielutilisel’appellation«laMontagnedesAnges»,pourdésignerlemontPuigAlt.Il
«redécouvre»une«légende»selonlaquelleunermiteauraitbâti,aidéparsonpropre
ange gardien et par l’Archange Gabriel, une chapelle en bois d’acacias à la gloire de
«SaintsAngesGardiens»àl’emplacementsurlequels’élèveraplustardleSantuaridels
Angels. Haziel présente le sanctuaire actuel comme un lieu de pèlerinage, pour lui, y
accéder depuis Gérone à pied: c’est une «ascension physique et métaphysique».
Marcher pendant quinze kilomètres, dont une partie en dénivelé, pour arriver sur la
montagne et refaire le même trajet au retour demande un«dépassement de soi ».
«C’est une sorte de spiritualité directe par l’action corporelle. (…) Il y a trans‐
substantiation.LapersonnequimonteàpiedauSanctuaireesttrèsfatiguéeparl’effort;
elle reste elle‐même bien entendu,mais est, enmême temps, consciente d’être aussi
autrechose,d’êtreaussisonesprit.»(Haziel1996:170)PourHaziel,cesmarcheursqui
se rendent au sommet du Puig Alt sont, de par leur vitalité, comparable aux anges
dotées d’une éternelle jeunesse et étant «socialement valorisés» par leur acte, ils
infusentleur«force»àl’ensembledelasociétédeGérone.
Haziel conclut cet ouvrage en affirmant que l’intérêt actuel pour les anges, ces
messagers divins, prend sa source à Gérone, lorsqu’un groupe de «Nouveau
204
Cabalistes»,dont lui‐même faitpartie,a commencéàdiffuser,dans lesannées1975,
depuis la «Montagne des Anges» et le «Centre Isaac el‐Cec», sous forme de
polycopiés des textes traitant de l’«Angéologie». Il constate que beaucoup de
personnesontété intéresséesparcesujet,enFrance,enEspagne,en Italieetsurtout
auxEtats‐Unis,cequiexpliquepour lui le foisonnementdespublicationssur lesanges
enAmériqueduNord.
Lesdifférentes séquencesdudiscoursdeHaziel seront reprisesparChristianeetKaya
pourmettreenplace leurconfiguration.Demêmeque lesentités surnaturelleset les
divinitésdeviennentréellesaumoyendecorps,d’objets,desons,dechantsetd’images,
ce qui souligne l’importance de prendre au sérieux la dimension matérielle des
dispositifs d’apparition, Christiane et Kaya devront mettre dans un agencement les
objetsquipermettrontl’apparitiondesangesetdel’«Angéologie».Lesobjetsquisont
à leur disposition en suivant dans un premier temps les pas d’Haziel, et qui pourront
ensuiteêtre«refabriqués»et«utilisés»danslaconstructiondeleurdispositifsontla
«kabbale», les«documents», le«quartier juif»et la«montagnedesanges».Avant
deconsidérercommentcesobjetspermettrontdefaireapparaître l’«Angéologie»et
le couple Christiane et Kaya dans la filiation des dépositaires de ce savoir, jeme suis
intéresséeàcequesontpoureuxles«signesdecetteprédestination»,c’est‐à‐direau
discoursquiprécèdelaquêtequimotiveladémarchepèlerine.Cessignessontdonnés
comme une remémoration d’éléments qui sont interprétés à posteriori par Kaya et
Christianecommeles«marquesdudestin»souslesquellesaétéplacéeleurrencontre.
3.5.2.La«découverte»dumotkabbalescellelarencontredeChristianeetKaya
ChristianeetKayaserencontrenten1996,àlasuited’unrêve,queKayarelatedansun
desouvragesqu’ilco‐écritavecChristiane,celui‐cidatede2006:
«Unbeaumatin,jemesuisréveilléavec,àmaconscience,unrêvequiallaitbouleverser
mavie: Jeme trouvaisdevantunauteldansun templeà l’époquede Jérusalem,oùon
205
s’apprêtait à célébrer un mariage. Deux femmes étaient présentes, l’une juive, l’autre
égyptienne; ellesétaienthabilléesdeblancetornéesdebijouxétincelants. Jenevoyais
pas d’hommes mais je sentais leur présence. A côté d’elles se tenait le Roi Salomon,
richement vêtu. Tout était si réel! Soudainement, une voix venue du Ciel m’interpelle,
remplied’amouretd’autorité:«Tudois résoudre l’énigmede l’EtoiledeDavid.» (Kaya,
ChristianeMuller2006:5)
Pourlerêveur,l’énigmedusongeestbienréelleets’inscritdansunedéfinitiondurêve
en tant qu’«uneécriture en langue étrangère dont le déchiffrement nécessite la
médiation d’un tiers dont la compétence, à son tour, est strictement limitée.» (
GiordanaCharuty2009 : 120)Kaya se rendà l’église laplusprocheafin« d’en savoir
davantage sur le Roi Salomon et l’Etoile de David. J’en avais entendu parler ou bien
j’avais lu un passage là‐dessus,mais n’en savais pas grand chose.» (Kaya, Christiane
Muller2006:6)Sondiscoursestceluid’unequêtequirencontreradifférentsobstacles
avant d’atteindre son but. L’église est fermée, il erre dans les rues et finit par entrer
dans une librairie, où dit‐il, il a «entendu pour la première fois prononcer le mot
Kabbale»etoùil«vupourlapremièrefoislesdeuxtrianglesformantlafameuseEtoile.»
(Kaya,ChristianeMuller2006:6),associantainsiensembledesespacesdediffusiondes
savoirsthéologiquesnerépondantpasaumêmeregistredevérité.
L’un des libraires apprend au rêveur naïf qu’il peut le mettre en relation avec une
femmequi«connaîtlaKabbaleetl’interprétationdelasymbolique»,introduisantainsi
letiersmanquant.LorsdelarencontreentreKayaetlafemme,quiestChristiane,celle‐
ciluidonnelaconfirmationdesaprédestinationàsavoirquelerêvesignifiequ’«onle
prépare à une grande mission.». Ce dernier relatera dans le même ouvrage cette
rencontrequi«vabouleversersavie»:
« C’était la première fois que j’entendais parler de façon consistante des Anges et de
l’enseignement de la Kabbale qui s’y rattache. J’avais soif, je buvais ses paroles. J’avais
l’impressionderéactiverunemémoire,dessouvenirsenfouisenmoi‐même;etçan’allait
206
pas assez vite. J’ai compris que je venais de trouver ce que je cherchais. Trois semaines
plus tard, je connaissais déjà presque par cœur le nom des Anges. J’étais également
devenuvégétariencarcettefemmem’avaitapprisquecelafavorisaitlesétatsméditatifs.
Je neme posais pas trop de questions car je sentais et je savais que j’étais à la bonne
place. Suite à cette rencontre, j’ai été plongé dans une introspection incontournable, et
pendantprèsd’unanetdemi, jemesuis immergécorpsetâmedans l’étudedesAnges.
J’avaisprisuncongésabbatiqueetjeméditaisjouretnuit,baignédansdepuissantsétats
deconscience.»(Kaya,ChristianeMuller2006:7)
Ce discours est celui qui est repris commemodèle à suivre par des «bénévoles» de
l’associationUnivers/CitéMikaël,pouratteindrecetétatqu’ilsrecherchent.Lasuitedu
récit est retranscrit dans le même ouvrage. Christiane et Kaya se rencontrent
régulièrement pendant les deux années suivantes et en 1998, Kaya «reçoitun rêve»
dans lequel deux hommes lui recommandent d’épouser Christiane. Kaya lui fera une
demandeenmariage,et comme il leprécise luimême,enbonneetdue formeeten
ayantpris soind’enchoisir le lieuadéquat,devant leporched’uneéglise,aprèsavoir
demandé à sa future femme de s’asseoir sur les marches d’escaliers extérieurs du
bâtiment.Saintetéetsexualiténefaisantpastoujoursbonménage,laquestiondecette
dernière va se poser pour ce couple qui se veut «spirituel». Le registre du récit se
modifieetKaya,superposantunemétaphoresuruneautre,convielelecteuràsuivrece
couple qui entreprend de gravir unemontagne: «dans cettemontée initiatique de la
montagnenousrenoncionsconsciemmentàlaviesexuelle,ceavecunegrandeintensité,
je peux vous le dire». Arrivés au sommet, le couple entre en méditation que Kaya
commentecommeétant«trèsmystiquepournousconsacreràDieu».Lesdeuxfuturs
mariésreçoiventchacununmessageleursignifiantque«d’écarter lasexualitédeleur
viedecouplen’estpasunebonnedécision».Cesdeuxpraticiensentremêlentlesdeux
registresd’uneaspirationspirituelleetexistentielledansuneprésentationd’eux‐mêmes
quiresteessentiellementconformiste.Cesrécitsneprennentunsensqu’enétantmis
en regard avec les discours sur la «métamorphose» de Christiane et Kaya. Pour la
rendre tangible, ils établissent un processus par lequel ils constituent un «endroit»
207
ordinaire en regard à un «envers» nonordinaire.Oudit autrement ce discours d’un
«bonheurordinaire» formeun«avant»par rapport àun«après»du«pèlerinageà
Gérone»quisera, rétrospectivement,présentécommel’événementquimarquecette
ruptureentrelecontinuumd’uneexistenceetpermetlaconversion
«cemomentoùlavietourneettrouvesonorientation,(qui)autorisejustementàparler
d’un avant et d’un après, parce qu’on est, en quelque sorte, également compétent sur
l’avantetsurl’aprèspourlesavoirvécusl’unetl’autre.Letémoinramènedansleprésent
unsavoirqu’iltientdufaitqu’ilaétémisenprésenced’unétatantérieur».(DanielFabre,
MarcelloMassenzio,Jean‐ClaudeSchmitt2010:100)
Le « pèlerinage à Gérone » de Christiane et Kaya donne lieu à plusieurs récits dans
lesquels ils adoptent cette position de témoin et repensent les continuités et les
ruptures qui sous‐tendent lesmoments de reconfiguration des savoirs. Je garderai le
terme de « pèlerinage » puisque c’est ce terme qui est employé par une partie des
membresde l’Univers/CitéMikaël.Cetensembleformédeplusieursrécitspeutse lire
commeunequêtedumerveilleux jalonnéedeplusieurs rencontresetdonneràvoirà
traverslesdifférentesépreuvesquesubissentlesvoyageurslaformationd’unparcours
initiatique. Mais il s’agit aussi dans cet enchaînement des récits proposés par les
fondateurs de l’Univers/CitéMikaël demettre en place un dispositif qui permette de
reprendrelefilperdudel’angéologieproposéparHaziel.Cequidemandeenpréalable
detesterdifférentesconfigurations.
Le premier récit est donné au public des conférences de l’Univers/Cité Mikaël par
Christianeau courantde l’année2002et il est reprisdans lepremierLivredesAnges
datant de 2003. Il relate un épisode qui se déroule la veille de l’arrivée du couple à
Gérone.LedeuxièmerécitesttranscritdanslequatrièmeLivredesAngesparuau3ème
trimestre2010etsur lesitewebde l’organismeà lamêmeépoque.Letroisièmerécit
estdéveloppésous la formed’unebandedessinéesurun textedeKayaquiparaîten
2009. (Kaya, (texte), Dominique Grelot, (dessins) 2009). Cette parution est précédée
208
d’unpèlerinageàGéroneparungroupedebénévoledel’Univers/CitéMikaëldontfait
partie Sylvie organisé en mai 2009 et auquel participe le dessinateur de la bande
dessinée. Les trois récits vont accompagner le passage d’une expérience intime à un
travaild’élaborationsymbolique.
3.5.3.Lapremièreépreuve:laréminiscencedelapersécution
Le premier récit se déroule le 22 juin 1999. Christiane ne met pas en relation les
événements qui vont se dérouler avec la date du solstice d’été,mais la précision de
celle‐ci peut laisser supposer qu’elle n’est pas fortuite. Le couple, Christiane et Kaya,
voyagedansuncampingcarprêtéparundesbénévoles,détailqu’ilsprennentsoinde
souligner,àdestinationdelavilledeGérone.PartisdeSuisselematin, ilsonttraversé
unepartiede laFrancedurant la journée.A lanuit tombante, ilsdécidentd’arrêter le
campingcardansuneforêtetd’ypasserlanuit.Aucoursdelanuit,Christiane«reçoit
unrêve»dontellefaitlerécitsuivant:
«Jemesuisréveilléetouteensueur,auxprisesavecdeprofondesangoisses.Jevenaisde
recevoirunrêved’unegrandeintensitédontlaréalitéétaitpalpable.Quelétaitcerêve?
Jemevoyaisdedos, letorsenu.Aunmomentdonné,unhommes’estapprochédemoi
avecunferrougeetm’amarquéledosd’unefleurdelys.Puisilyaeuunblack‐outtotal.
Je ressentais des douleurs très intenses, très puissantes. Le black‐out a duré un certain
temps(…)Ensuite, lesdouleurssesontdissipéesetunhommetoutdenoirvêtu (…)m’a
remisunemédailleenorsur laquelleétaitgravéunAngeetquiétaitsuspenduesurune
petitechaineenor.»(Kaya,ChristianeMuller2003:196)
Christianecontinuelerécitdesonvoyagequidevientunparcoursseméd’indicesdont
lalectureluidonneaccèsàunegénéalogiequis’inscritdansl’Histoire.Lelendemain,le
couple reprend la route et voit un panneau sur le bord de la route qui indique les
209
«vestiges cathares» de l’ancien village de Montaillou78 et décide de s’y rendre.
Lorsqu’ils arrivent au sommetde la collineprèsdes ruinesdu châteaudeMontaillou,
Christiane éclate en sanglots: «J’étais inconsolable. J’avais mal à l’âme et il m’était
impossible d’arrêter de pleurer. Alors bien sûr, j’ai fait le lien entre ces pleurs etmon
rêve.J’aiinvoquél’Ange19Leuviah.Jerespirais,jepleuraisetj’invoquaistoutàlafois.»
(Kaya, Christiane Muller 2003: 197) L’ange auquel Christiane se réfère est, selon
l’«Angéologietraditionnelle»,legardien«desarchivesdelaBibliothèquedel’Univers,
desmémoiresdesviesantérieuresetdelamémoirecosmique».Cetteréférenceàune
bibliothèquecontenanttouteslesmémoirestelleungrandordinateur,reprendl’idéede
la «Bibiothèque akashique» appelée aussi les «Mémoires akashiques », concept
ésotériquecrééparlesthéosophesàlafinduXIXèmesiècle.Jereviendraiultérieurement
surcelui‐cietsur les influencesdecemouvementsur lesmédiumsguérisseurs.Par la
constructionréférentielled’unrégimedevéritédanslaconfigurationspécifiquequ’elle
metenplace,son«rêve»luidonneun«statutdetémoin».
Unedespropriétésgénéralesdel’élaborationd’uneautobiographieàlaquelleselivrent
Christiane et Kaya est «l’institution du témoin par la vie qu’il raconte». Pour Daniel
Fabre, on peut se déclarer comme témoin, mais accepter cette position implique
d’articulersonprésentetsonpasséetmêmeleprésentetlepassécollectifs.
«Alors d’une certaine manière, l’individu devient individu‐monde dans le sens où son
individualité parle d’une histoire particulière pour l’histoire en général.» (Daniel Fabre,
MarcelloMassenzio,Jean‐ClaudeSchmitt2010:100)
Christiane relate cette expérience onirique et nocturne, en mentionnant plusieurs
éléments des arts mantiques, qui structurent et conditionnent une interprétation
78Montaillou,enoccitanMontalhon,estunecommunefrançaise,situéedansledépartementdel'Ariège
et larégionMidi‐Pyrénées.Unepartiedel'histoiredeMontaillouliéeaucatharisme,finduXIIIesiècle–
1320,estretracéedansl'ouvraged'EmmanuelLeRoyLadurie:Montaillou,villageoccitande1294à1324,
publiéen1975.
210
acceptablepourceluiquifaitappelàeux:lanuitdelaSaintJeanpasséedansuneforêt
propice à la rencontre avecles «esprits» et «les morts» et un tiers qui confirme
l’information.Celui‐ciseral’employéedelapetiteboutiqueduvillage,quifaitofficede
centred’informationsurlarégionetsonhistoire,etquiinstruiraChristianesurl’histoire
du mouvement des «hérétiques cathares». Celui‐ci a fait l’objet de vagues de
persécutions successivesetextrêmementviolentespar l’Inquisitionpendantplusd’un
siècle, de1209à 1328.Dans le récit deChristiane, l’employéede la boutiqueprécise
qu’«avantde lesmeneraubûcher, les Inquisiteurs les faisaientmarquerau fer rouge
d’une fleur de lys, sceau royal des rois de France à cette époque.» (Kaya, Christiane
Muller2003:197)Christianecommentesonressenti«àcemoment‐là,j’aieulesouffle
coupé: je ressentais mon rêve dans tout mon corps». (Ibid.) Elle interprète ce rêve
commeuneinformation,«Onmedisait:«Regarde:tuaseuunevieantérieurecomme
Cathare». (Ibid.) Elle accompagne l’annonciation de cette identité antérieure d’une
missionquiendécoule«Onavoulumedire:«Regarde.TuasvéculapersécutionetOn
veuttemontrercequ’apporteà l’êtredetranscenderdetelsniveauxdepersécution.»
(Kaya,ChristianeMuller2003:198)
3.5.4.Ladeuxièmeépreuve:lamiseendoute
Je prendrai ici le récit qui apparaît comme le troisième récit rapporté selon la
chronologiedeparutiondesouvragesdeChristianeetKaya.Celui‐ciesttranscritdansle
quatrièmeLivredesAnges et sur le sitewebde l’organisme. Il relate l’arrivéedans la
ville de Gérone de Christiane et Kaya, à une date non précisée, mais que l’on peut
raisonnablementsituercommeétantlelendemaindecelledupremierrécit.Christiane
et Kaya, sont en attente de leur «conversion», de l’événement qui marquera cette
rupture entre l’avant et l’après et les confirmera dans leur «missiond’enseigner
l’AngéologieTraditionnelle».IlsviennentàGérone,commelespèlerinsàLourdesouà
Medjugorje, et sont en attente d’une «apparition». Elisabeth Claverie décrivant les
pélerins à Medjugorje, constate qu’il leur faut élaborer les moyens d’objectivation
211
d’une«autre» réalité. Pour cela les personnes devrontmettre en place, par le biais
d’agencementsdiverscequeElisabethClaverieappelle«des«dispositifs»,
«qui«contiendront»aussibiendesobjetsquedesprocéduresderéférentiationoudes
positions d’énonciation, des attitudes du corps, des compétences, des modes
d’objectivation.Accéderàcequisepropose ici (àMedjugorje)obligeainsi lespèlerinsà
des «passages» entre des états intérieurs différents, des corps différents, desmondes
différents,descompétencesdifférentes.»(ElisabethClaverie2003:37)
Christiane et Kaya, comme ces pèlerins devront faire l’apprentissage de ce nouveau
langage. Ils fontétape,avantd’entrerdans laville, sur la«MontagnedesAnges».Le
choixdecettehalte,et lamanièredenommer lamontagnesontdirectementreprises
dulivred’Haziel.Leurnuitàproximitédu«sanctuairedesAnges»seprésentecomme
unritueld’incubation,durantlequelilsattendentderecevoirunrêve«matérialisant»
lavisited’uneentitéquileurapporteralesprescriptionspourleurséjouràGérone.Ce
récit présente la même morphologie que l’expérience de Montaillou, mais d’une
manièrerépétitivequiintroduitplusieursmisesàl’épreuveettiers.ChristianeetKaya
parviendrontà l’objetde leurquêtequiprendra la formederencontrerunepersonne
quiaparticipéàla«découvertedesmanuscritsdel’Angéologie».Cetévénementsera
lu par eux comme celui qui autorise l’accès à leur nouvelle fonction, celle de
«missionnairedel’Angéologie».Cettequêtepermetaussidematérialiserce«savoir»
de l’«Angéologie» par le témoignage de l’existence de manuscrits dans lesquelsces
connaissancessontconsignées.Ellemetenplaceundispositifquiprivilégieleslogiques
d’actionsurcellesdesreprésentations.CedeuxièmerécitdeChristianetKayapermet
aussideparcourirdesespacesetd’ypréleverdes savoirsàmobiliserpour lamiseen
place du dispositif d’apparition des anges. Pour les rendre plus explicites, j’ai préféré
retranscrirecerécitpresqueintégralement,plutôtqued’enextrairequelquesphrases.Il
estévidentaussiquecerécitappartientàunrégimedelafiction,maiscelui‐cis’inscrit,
surleterrain,dansunprocessusdenégociationpermanented’intérêtsetdepouvoirset
212
cesontcesconstructionssuccessivesparplusieursacteursquipermettentdemettreà
jourleslogiquesd’actionsquiportentlavolontédelacréationd’unlieucultuel:
«Rendusprèsde lacitéancienne, ilsdécidèrentdedormirsurunemontagneappelée la
montagnedesAnges,avantdevisiter laville le lendemain.Durant lanuit,Kayareçutun
autre rêve : il se voyait avec son épouse Christiane dans la ville de Gérone où ils
rencontraientunefemme,arborantdessymbolesanciens,quileurdonnaunecléenor.À
sonréveil,ilpartagealerêveàsonépouseetilssemirentenroutepourcommencerleur
visitedecettevieilleville.Dès leurarrivée,unsentimentpuissantdedéjàvuleshabitait.
Kaya eut l’intuition d’engager les services d’un guide touristique, (…) une femme se
présenta à eux. Kaya se retrouva stupéfait et sansmots ! C’était la damequi, dans son
rêve, lui avait remis la clé en or. (…). Au cours de la visite touristique (…), Kaya et
Christianeluidemandèrentsielleconnaissaitl’Angéologie,sielleenavaitentenduparler.
« Vaguement… »répondit‐elle,spécifiantquepeut‐êtrelesgensdel’ancienmuséeduCall
pourraient les informer davantage à ce sujet. Elle continua la visite en parlant de
l’architecture de Gérone, et bien que ce fût intéressant du point de vue culturel et
historique,KayaetChristianesouhaitaientplutôtensavoirplussur ladécouvertedulieu
d’originedesmanuscritsAngéliques.Kaya,ayantsonrêvedanssaconscience,redemanda
gentiment si elle connaissait des gens qui seraient en mesure de les renseigner sur la
découvertedes textes.Ànouveau,elle réponditpar lanégative,ajoutantquebientôt ils
arriveraient aumusée, dans la bibliothèque duquel ils pourraient sûrement trouver des
écritsàcesujet.(…).Ilspassèrentquelquetempsaumusée,maisriennelaissaitentrevoir
destracesdesmanuscrits,saufparlaprésenced’unhommeâgéquiytenaituneboutique
et qui étaitmal à l’aise lorsqueKayademandades informations au sujet des textes sur
l’Angéologie,découvertsàGérone.Lecouplesentitquequelquechosen’étaitpasdit,que
cethommeensavaitdavantage,maisqu’ilnesouhaitaitpaslerévéler.Aprèsavoirquitté
lemuséeetpendantqu’ilscontinuèrentlavisitedel’ancienneville,laguidementionnaà
unmomentdonnéqu’il y avait àGéroneun jardin appelé Le JardindesAnges. Elle leur
demandas’ilssouhaitaients’yrendre,précisantqu’ilsetrouvaitàl’autreboutdelaville.
Kaya et Christiane, joyeux comme des enfants, exprimèrent tout de suite le souhait de
visitercejardin.Lejardinétaitsituéprèsdurempartdel’anciennecitéromainedatantdu
Ier siècle.En traversant leportailAngélique, le couple futémude joie. LesNomsdes72
213
Angesétaientgravés,defaçoncommémorative,surdesplaquesdecuivreengravéesdans
lapierre.Ilsétaientsiheureux,maislamagienes’arrêtapaslà !Lesvoyantssienjouésde
découvrir les Noms des Anges, la guide leur demanda : « Est‐ce que vous souhaiteriez
rencontrer la personne qui a créé ce jardin ? Je pense que je connais quelqu’un qui la
connaît. Je peux faire un appel si vous le souhaitez. » Le couple sentit alors comme la
matérialisationdurêvedeKayasemettaitenroute,lacléenorétaittransmise.Laguide
prit son téléphone cellulaire, fit quelques appels et rejoignit rapidement l’homme en
question qui accepta volontiers de rencontrer les voyageurs intéressés aux Anges. La
rencontrefutfixéepourlelendemainà11 h,àsarésidence.Laguidetouristiquepartagea
aucouplequel’hommeenquestionétaittrèsâgé,qu’ils’agissaitd’unpoètecatalanet,en
mêmetemps,del’ancienpropriétairedulieuoùlemuséeduCallestsituéprésentement.
Elleexpliquaqu’elle‐mêmeneconnaissaitpascethomme,maisqu’elleavaitentendudes
rumeurs selon lesquelles il aurait eu,dans lepassé,desdifficultésavec le lieuetqu’une
certainepolémiqueexistaitàcesujet,maisellen’ensavaitpasplus.(…)Lelendemain,tel
que convenu, Kaya et Christiane Muller rencontrèrent cet homme dans sa demeure à
Figueras. Il s’avéra être effectivement l’un des découvreurs des manuscrits anciens.
Pendant la semaine qu’ils passèrent ensemble, cet homme leur partagea en détail les
événements qui bousculèrent sa vie. Il leur confia : « Je n’ai pas travaillé avec lesAnges
commevous.Sij’avaissu !J’étaistellementoccupéetexaltéàdivulguercestextesquej’y
travaillais sans relâche. Je comprends que ce n’était pas mon destin de les révéler. »
Malgré son âge très avancé, samoustache et ses cheveux blancs, cet homme solide et
lumineuxétait trèsheureuxd’apprendreque l’EnseignementdesAngesrenaissaitetque
cequ’ilavaitaccompliserviraitauxfuturesgénérationssousuneformeréactualiséepour
lemondemoderne. (…)Larésurgencedesmanuscrits fût trèstroublantepoursa famille.
En1975,beaucoupdegens influentsdescommunautés juivesetchrétiennesavaientété
contactés.Parconséquent,deplusenplusdepersonnesaffluèrentendirectiondeGérone
pourvoircesdécouvertesexceptionnelles.Plusl’intérêtgrandissait,pluslesgensdelaville
sedemandaientcequiallaitsepasser.Dans les journaux,ontitraitàpleinepage :« Des
millionsserontinvestispourfaireconnaîtreGérone. »Enthousiaste,cethommeenparlaà
tousavecunenaïvetéd’enfant.Maislesfondspromistardèrentàseconcrétiseretilperdit
toutesafortuneetfûtexpulsédeslieux.L’endroitestaujourd’huiunmuséequiaétérepris
par une fondation et par l’Université de Tel‐Aviv. Quant à cet homme, il se retrouva
214
humiliédevanttoutelaville,excluetsansunsou.Quelquesannéesplustard,onluidonna
une parcelle de terrain pour faire Le Jardin des Anges. Celui‐ci existe toujours et il est
ouvertaupublic.Mais c’estunendroit sansvie,profanépar lesgensquiontarrachéet
volépresquetouteslesplaquesencuivresurlesquellesétaientinscritslesNomsdesAnges
enhébreuetencatalan.Unjour,lorsqu’ildisposeradesfondsnécessairesàl’ampleurde
ceprojet,l’organismeUnivers/CitéMikaëlreviendraàGéronepouryredéposerlestextes
sur les 72 Anges, Trésor de l’Humanité et des générations futures.» (Kaya, Christiane
Muller2010:XXVII‐XXX)
3.5.5.LaseptantedeGirona
Le troisième récit paraît quelques mois avant celui de la rencontre avec «une des
personne qui a découvert les manuscrits de l’Angéologie», soit au 3ème trimestre de
l’année2009,sous la formed’unebandedessinée. Il faitsuiteà lamiseenplaced’un
pèlerinage organisé par l’Univers/Cité Mickaël auquel participent, avec une dizaine
d’autrespersonnes,Sylvieetl’illustrateurdelabandedessinée.Celui‐ciferalorsdece
pèlerinagelescroquisdesdifférentsespacesdelaveillevilledeGéronequiservirontde
cadreauxprotagonistesdudramehistoriquequeKayaauteurdes textesentend faire
réapparaître. Ce pèlerinage est organisé sur une semaine du dimanche 24 mai au
samedi30mai2009etprendlenomde«LaseptantedeGirona»79.Lespèlerinspartis
deSuisseromandesontarrivésentrainàPerpignan,delà ilsserendrontauvillageLe
Boulou,d’oùilscommencerontleurpéripleàpied,quipasseraparleColdel’Ouillat,La
Jonquéra, Terrades, Besalu, Banyoles pour se terminer à Gérone. Sylvie apprécie le
voyageet les longuesmarchesàpiedqui traverse leMassifdesAlbéres,maiselleest
peu attirée par le vieux quartier du Call, où «furent découvert les manuscrits de
l’Angéologie». Elle se décrit comme «mal à l’aise», dans ce quartier aux ruelles
sombres et humides dans lesquelles elle«sent desombres». Elle «entend leurs
79 Girona est le nom catalan de Gérone. La Septante est un version de la Bible hébraïque en langue
grecque. Selonune tradition rapportéedans la Lettred’Aristée (IIème siècleav. JC), la traductionde la
Torahauraitétéréaliséepar72(septante‐deux)traducteursàAlexandrie,vers270av.J.‐C.,àlademande
dePtoléméeII.(http://fr.wikipedia.org/wiki/Septante)
215
plaintes»etressentdanssonproprecorps«lessouffrancesdeceshabitantsquifurent
torturés et condamnés à l’exil par l’Inquisition.» Elle multiplie les «pratiques
récitatoires». Sylvie et ses compagnons contribueront à inscrire les traces de
l’«Angéologie» sous forme de l’accomplissement d’un «pèlerinage» dans la vieille
villedeGéronedansundoublemouvementde«captation»etde«réactivationde la
forcedulieu».
3.5.6.«LalégendedeGérone»
La bande dessinée intitulée Le pouvoir des anges. La légende de Gérone (Kaya,
DominiqueGrelot2009) introduitunautrerégimedevérité,oudumoinssuggèreune
«véritéhistorique». Ce troisième récit se partage en deux temporalités. Dans une
premièrepartiedelabandedessinée,lelecteurestentrainéàGérone,le14novembre
1475, à la rencontre d’«une communauté juive d’initiés» (Ibid.) obligée «sous peine
d’exiloudemortdeseconvertiraucatholicisme» (Ibid.).Sur les images,apparaîtune
placequi jouxte le«quartier juif»,«l’inquisiteurNicolauD’Aimeric»,80proclameàses
sbiresquiontdéjàmassacréunepartiedeceshabitants:«SurordreduPapeBenoîtXIII,
80 Nicolau D’Aimeric, ou plutôt Nicolau Aymerich est né à Gérone à 1320, théologien, il est nommé
inquisiteurgénéralde l’InquisitiondelaCouronned'Aragonpendant lasecondemoitiéduXIVesiècle. Il
estsurtoutconnupoursonouvrageDirectoriumInquisitorum,quitraitedepratiquesdesorcellerieetde
la manière de reconnaître ceux qui sont susceptibles de s’y adonner. Il meurt le 4 janvier 1399, soit
presqueundemi‐siècleavant ladatepréciséedans labandedessinée. Le seulpapeportant lenomde
BenoîtXIIIauXVèmesiècleestl’«antipape»BenoîtXIIIquirégnaàAvignonde1394à1417.Le«Tribunal
duSaintOfficedel’Inquisition»chargédepoursuivretout«hérésie»auchristianismeestcrééen1478
par les Rois catholiques qui signeront le décret d'expulsion des Juifs d'Espagne en 1492. Les violentes
persécutionsdeJuifsrefusantlaconversionauchristianismedécritesdanslabandedessinéepourraient
correspondreàcellesquieurentlieuàGéroneen1391.
216
nouscondamnonscequartiermauditetseshérétiques.Faitessceller lesmursetqu’on
en finisse!».(Kaya, Dominique Grelot 2009: 6) Dans la séquence suivante, le dessin
montreunepièced’unemaisondecequartier,danslaquellesetrouveunbassinrempli
d’eau,un«mikvé»,bainrituelutilisépourlesablutionsnécessairesauxritesdepureté
danslejudaïsme.Unhomme,accompagnédedeuxautres,placeunlivredansuncoffre.
Surlapagedecouverturedel’ouvrage,l’imageestcelled’unangequisurgitd’uncercle
sur lequel est représenté un labyrinthe, il tient entre ses mains un deuxième cercle
percéen son centre. L’ensembleest d’une couleurdorée.Dans la séquence suivante,
l’homme,quiapparaîtcommeleleaderdugroupe,faitsesadieuxàsescompagnons:
«Mesamis, ilestécritque jemourraiavant le leverdusoleil.Si jenemerendspas, ils
tuerontnosfemmesetnosenfants.Partezetn’oubliezpasquel’âmenemeurtpas.Mes
fidèlescompagnons,continuezensecretàtransmettreetàpratiquerlepouvoirdesanges.
C’est ainsi que vous m’aiderez et que vous sauverez l’humanité. (…) Ecoutez‐moi bien
maintenant…Convertissez‐vousaucatholicisme.Faitescequ’ilsvousdirontdefaire.Iln’y
apasd’autreschoixpourquevos famillessurvivent.Mêmesi leurmessagen’estplus le
véritablemessaged’AmourdeJésus.Rappelez‐vousqueJésusvivaitlepouvoirdesAnges
etqu’Ilétaitcommenous.Nousvivonsdans lemêmebut,nousavons lamêmemission.
(…) Enseignez ce Savoir en secret à vos enfants et aux enfants de vos enfants pour les
sièclesàvenir.»(Kaya,DominiqueGrelot2009:8‐9)
Leleadercharismatiquescellelecoffredansunmurdusoussoldelamaison.L’image
suivantemontre cethommequi sortde ce sous‐sol endéplaçantunedalleplacéeau
cœurd’une«étoiledeDavid».Aproximité,sousunarceaudepierreestposéàmême
lesolune«ménorah»,unchandelieràseptbranches,autreobjetritueldu judaïsme,
qui éclaire la scène. L’homme emprunte une ruelle étroite et se rend sur la place
dominéeparlacathédraleSantaMaria.L’homme,aprèsavoiraffirméàl’inquisiteur«Je
suisleserviteurdel’AngéologieTraditionnelle,del’enseignementinitiatiquedeJésuset
desplusgrandinitiésquelaTerreaitconnus.»(Kaya,DominiqueGrelot2009:15),sera
conduitàunbûcheretbrûlévif. Son regard sepose surune statued’uneMadoneet
217
d’unChristenfantqui lui tend lamainet jusqu’à sondernier souffle il psalmodiera la
listedesnomsdes72anges.Dans la foulequi suit samiseàmort,une jeune femme
l’observeenpleurant.
Dansladeuxièmepartiedelabandedessinée,lelecteurfaitlaconnaissanced’unjeune
couple,dontledessindesvisagesfaitpenseràuneressemblanceaveclajeunefemme
des séquences précédentes et avec le leader charismatique, certes rajeuni. Le couple
passesa lunedemielàGérone,villeoùvécurent les«27générationsd’ancêtres»du
jeunehomme.Ilvientdécouvrirl’appartementdontahéritélejeunehomme.Lacléleur
seraremiseparsatante,quihabiteau72ruedel’ange,situéprèsduJardindesanges,
que le couple ira visiter sur ses conseils. Le lecteur apprend que le jeune homme se
nomme Kamael Silver Tarès et la jeune femme Yasmine. Les jeunes gens s’installent
dansleurappartement,lieuàl’abandondepuis500ans.Kamaelreçoitunrêve,sonpère
etsatanteluiapparaissent, lepremierluidit«TuesleserviteurdesAnges.Souviens‐
toi,tuasunegrandemissiondevanttoi.»(Kaya,DominiqueGrelot2009:37)Satantelui
tendunecléenor.Lemurdelachambres’ouvreetlafiguredel’angetenantentreses
mains un cercle percé en son centre et entouré d’un deuxième cercle sur lequel est
représentéunlabyrintheapparaît.Kamaelestaspiréverscelabyrintheetsevoitsurun
bûcheretprononçantdesnomsquiluisontpeufamiliers,maisquelelecteurreconnaît
commeétantceuxdes72anges.Quelquesheuresplus tard,nousretrouvonsKamael,
bienréveillé,entraind’abattreunmur,l’angedorésematérialisederrièrecetteparoi.
Lecouple,suivantlerêveprémonitoiredeKamael,serendchezlatanteetluidemande
si elle a une clé pour eux. La tante sort une clé dorée du compartiment secret d’un
meubleetlatendavecàKamaelendisantcesmots:
«Tueslemystèrequenousattendonsdepuislongtemps.JesaisquetoietYasmine,vous
avezétéchoisientantqueserviteursdesAnges,quevousêteslespremiersd’unelignéede
grands initiés qui viendront sur Terre retrouver le pouvoir des Anges et l’enseigner sur
toute la planète. Vous créerez le renouveau car maintenant est arrivée l’heure de la
Lumière.(…)Jenesaispastoutcequetusais,Kamael.TureçoisdesinformationsduCiel
218
depuis que tu es tout petit. Assemble tes rêves à la manière d’un puzzle. Médite avec
Yasmine. Ayez confiance vous serez guidés. Cette clé est la première…Elle ouvrira une
portesecrètedansvotreappartement.Ellevousconduiraparuntunneldel’autrecôtéde
lamuraille.Voustrouverezdanscevieuxquartierdestextesanciensquenousn’avonspas
réussiàtrouver.»(Kaya,DominiqueGrelot2009:41)
Kamaelderetourdansl’appartementreprendlefildurécitdesatanteenévoquantdes
rêves prémonitoires «Ma tante nous a parlé d’un endroit, je connais l’emplacement
exact.J’aifaitleparcoursdesdizainesdefoisdansmesrêves».(Kaya,DominiqueGrelot
2009:44)Ilsaitcommentutiliserlaclé,quiplacéeaucentreducercletenuparl’ange,
ouvreuneportedonnantsuruntunnelconduisantàunepiècesouterraineoù«ilyaun
bainvieuxdeplusieurssiècles.Justeàcôté,dansl’escalier,ilyaunepierrequiestgravée
dans un coin d’un cercle avec un point. Nous tirerons cette pierre et, derrière, nous
trouveronslesancienstextes.»(Ibid.)LaBandedessinéeseterminesurcesparoles.
Leprocédédudessinqui illustre letexte luidonneunemeilleureefficace,et introduit
deux fictions qui se cumulent en une forme synthétique autour des deux thèmes du
«manuscrit caché» et de la filiation. Kamaël Tarès présenté comme le descendant
biologique du personnage «cathare» charismatique qui redécouvre le «manuscrit
caché»,portelemêmenomquelepoètecatalanprésentécommel’undesdécouvreurs
destextesdel’«Angéologie»dansunemaisonquiserévèleraêtrelasienne.Maisce
dernier ne sait pas «utiliser» ce savoir, alors queChristianeet Kayaont acquis cette
connaissance par un rêve. Le «manuscrit caché» est transmis à la postérité par un
personnage «cathare» charismatique, mais qui est présenté sur les dessins, par la
présence des objets rituels qui l’entourent, comme un membre d’une communauté
juive, cequi renvoie le lecteurqui connaît lesautres textesdeChristianeetKayaà la
kabbale.
219
3.5.7.Procédésdiscursifsdestroisrécits
Ces trois récitsderévélation fontappelaumêmedispositifdivinatoire:unepersonne
reçoitunrêvedontelleneconnaîtra lasignificationqu’aprèsavoirconsultéunetierce
personne qui lui apportera des éléments d’interprétation et avec qui elle pourra co‐
construireunsens.Danscestroisrécits,cespersonnesnesontpasdesdevinsmaisdes
intermédiaires,des«médiums»ausenspremierduterme:l’employéed’uneboutique
desouvenirsetcentred’information,latantedeKamaelTarès,etunpoètecatalandu
mêmenom,originairedeGérone.Danscesrécits,JosepTarrèstientunrôlesingulier,il
est celui qui a fait «apparaître» le quartier oublié, dans lequel Christiane et Kaya se
rendent en pèlerinage dans l’« attente» d’une «apparition». La conjonction de la
rencontreentreChristiane,KayaetJosepTarrès,situéeentrerêveéveilléetréalité,va
faire «apparaître» les «textes de l’angéologie», dans la fiction de la découverte de
documents emmurés, surgissement de savoirs enfouis dans la mémoire des temps,
initiant une nouvellemythologie nommée«angéologie». Ce pèlerinage par sa valeur
d’expériencedémonstrativedonneunepositiond’autoritéàChristianeetKayaquileur
permettradefonderl’Univers/CitéMikaëletson«enseignement».
Atraverscestroisrécitsd’unerévélation,proposésselontroismodesd’expression,les
constructionsdesparcoursdeviedeChristianeetKaya,qu’ilsqualifientd’initiatiques,
tendent à se distancer du modèle autobiographique, pour rejoindre la méthode
narrativedel’autoportrait,permettantàsonauteurdedire«cequ’ilest»etnon«ce
qu’il fait». Leur démarche peut être mise en parallèle avec la définition qu’en fait
MichelBeaujour:
«[L’]oppositionentrelenarratifd’unepartetdel’autrel’analogique,lemétaphoriqueou
lepoétique,permetdemettreenlumièreuntraitsaillantdel’autoportrait.Celui‐citente
deconstituersacohérencegrâceàunsystèmederappels,dereprises,desuperpositions
ou de correspondances entre des éléments homologues et substituables, de telle sorte
quesaprincipaleapparenceestcelledudiscontinu,delajuxtapositionanachronique,du
220
montage,qui s’opposeà la syntagmatiqued’unenarration, fût‐ellebrouillée,puisque le
brouillage du récit invite toujours à en «construire» la chronologie». (Michel
Beaujour1980:9)
Par ces trois textes, les deux protagonistes Christiane et Kaya, organisent une série
discontinue de situations et d’impressions par lesquels ils visent à cerner des figures
identiques à eux‐mêmes en utilisant unmatériel d’ordre analytique: le premier récit
metenscèneunpersonnagedansuneforêtquiprocèdeàunvoyageoniriquedansle
temps et l’assimile à un voyage à l’intérieur de ses «mémoires cachées», soit à une
formed’introspection,dansledeuxièmeetletroisièmerécits,nousavonspourl’un,un
parcoursphysiqueetmétaphoriqueàtraversledédaled’unevieillevilleetpourl’autre
un parcours onirique prémonitoire à travers la carte d’un labyrinthe ouvrant la porte
d’un souterrain, qui conduisent dans les deux récits à un savoir caché. En tant
qu’ethnologue, je nem’avancerai pas dans des catégorisations psychanalytiquesmais
continueraidem’interrogersurlesmisesenrelationsentrelesformesdefictionsetles
tensions et changements qui traversent les différentes structures sociales, et sur
comment se construit au XXIème siècle une réputation de devin. Car si se donner une
généalogie, réelleou fictionnelle, restenécessairepourunprophète,celle‐cin’estpas
suffisante pour attester de ses savoirs. Dans le domaine de l’imaginaire individuel et
collectif,
«rien ne peut s’imaginer individuellement (et a fortiori collectivement) qui n’ait été
préalablement mis en forme par une théorie locale implicite, qui ne fait
qu’exceptionnellement,parfoisartificiellement,l’objetd’undiscourstotalisantmaisqu’on
peut inférer d’une série d’énoncés partiels, de pratiques codées et de scénarios types
parfaitementobservablesouenregistrables.»(MarcAugé1995:284)
221
3.6.Lesconditionsquipermettentd’instaurerunereconfigurationd’unsavoir
Christiane et Kaya rattachent l’«Angéologie traditionnelle» à l’école de pensée
rabbiniquedelakabbalequipritnaissanceàGérone.Cetteaffirmationméritedesavoir
parquellethéorie localecette«filiation»apuprendreforme.Entantqu’ethnologue,
monproposn’est pasd’entrer dansundébat théologique sur lamystique juiveni de
stigmatiserlafascinationpourunvocabulaireésotérique,maisplutôtdeconsidérerune
reconfigurationdessavoirsquis’intercalentdanslesrupturesdesociétéshistoriqueset
permettent dans ces espaces laissés en friches la mise en place d’une fiction. Pour
définir ces lieux, il va bien falloir faire un détour par lamémoire collective pour voir
quels en sont les manques, les plages d’oublis, permettant d’y mettre ses propres
repèresetacontrario,pourleurfairedelaplace,commentsedésencombrerd’unpassé
trop profusément présent. Un détour par l’historique des débuts de la kabbale, situe
biencecourantdelamystiquejuive,commeayantprisnaissanceàGéroneetconfirme
l’existenceet le rôled’Isaac l’Aveugleetducercled’éruditsqui l’entoure.Pourque la
kabbale serve de support à une hiérarchie angélique cela demandera une autre
constructionetpourfixercettedernièredanslavieillevilledeGérone,celanécessitera
laranimationd’unpassémythiquecommelesigned’unelibertéculturelleretrouvéeà
lachutedufranquisme.
3.6.1.Del’originedelakabbale,del’arbreséfirotiqueetdesanges
Si le terme de «kabbale» est traditionnellement admis pour désigner les doctrines
ésotériques du judaïsme et la mystique juive, cet usage spécifique n’apparut qu’au
XIIème siècle dans les cercles rabbiniques du Sud de la France, en Languedoc et en
Provence avant d’essaimer en Espagne, en Catalogne, à Gérone et en Castille
notamment dans les villes de Burgos et Tolède. Certains courants ésotériques ou
mystiquesreprenant lesgénéalogies traditionnellesdes textesbibliquespostulentque
lakabbale est la partie ésotériquede la Loi orale transmise àMoïse auMont Sinaï et
222
accréditentlathèsedelacontinuitéd’unetraditionsecrète.GershomScholemprécise
quecettethèse
«est dépourvue de toute valeur historique (…). Dès le début, la kabbale adopta un
ésotérismeprochedel’espritdugnosticisme,lequelneselimitaitpasàl’enseignementde
lavoiemystiquemaisincluaitaussidesidéesportantsurlacosmologie,l’angéologieetla
magie».(GershomScholem2011:46)
Lespremièresformeshistoriquesd’unepenséekabbalistiquesontissuesdesdiscussions
dans le principal cercle des rabbins languedociens et provençaux81, à la suite de la
circulationduSeferha‐Bahir,«leLivredelaClarté»,lui‐mêmeconçusurlabased’une
compilation de textes dans les années 1150. Le Sefer ha‐Bahir est la source la plus
ancienne à présenter le système des dix hypostases divines, les dix «lumières», qui
sous le nom de «sefirot» forment le «grand arbre cosmique». Le Sefer ha‐Bahir,
reprendlathèsed’unouvrageplusancienleSeferYezira,le«Livredelacréation»,ou
le«Livredelaformation».Celui‐ciseprésentecommeuncourttraitédecosmogonie
et de cosmologie hébraïque. Il en existe deux versions dont les datations demeurent
81 Dans ce cercle se succédèrent Abraham b. Isaac de Narbonne, son gendre Abraham b. David de
Posquière qui sera connu sous le nomdu «Rabad», et son fils Isaac l’Aveugle (1160 ‐ 1235) ainsi que
Jacob Nazir de Lunel et Judah ibn Tibbon (1120‐1190) qui de Grenade émigra à Lunel. Ce dernier est
principalement connu pour son travail de traduction de l’hébreu et de l’arabe. On lui attribue la
traduction de l’œuvre majeure de Moïse Maïmonide: Le Guide des Egarés («Nevoukhim», dont la
traductionlittéraledutitreauraitdûêtreLeGuidedesperplexes)quicirculaquelquesannéesavant1190,
dans les cercles lettrés. Moïse Maïmonide, connu aussi sous le nom du Rambam, (1135 – 1204), fut
médecin,théologienetphilosophe.IsaacelCec,Isaacl’Aveugle,citéparChristianeetKaya,futlepremier
kabbalisteàconsacrerlatotalitédesonœuvreàcettemystique.Ilfutconsidérédesonvivantcommela
figurecentralede lakabbaleetfutsuivipardesdisciplesenProvenceetenCatalogne.Géronedevient,
entre1210et1260,uncentredesétudesmystiquesavecEzrabenSalomon,AzrieldeGérone,Jacobben
SheshetetMoïseNahmanide,(MoshebenNahmanGerondi,nomméencatalanBonastrucçaPortaetdit
leRamban,1194 ‐1270).Cetérudit,médecinetphilosophe,estconsidérécomme l'unedeséminentes
autoritésrabbiniquesduMoyenÂge.
223
incertainesetfluctuententreleIIIèmeetleVIèmesiècle.82PourGershomScholem,
«L’importancemajeurduBahirtientàsonutilisationdulangagesymbolique.Ilconstitue
la plus ancienne source qui traite du domaine des attributs divins (Sefirot, logoï, vases
merveilleux, rois, voix et couronnes), et qui interprète l’Ecriture comme s’il y était
question non seulement de ce qui se passe dans le monde créé, mais aussi des
événementsduRoyaumedivinetdel’actiondesattributsdeDieu.Cesattributsreçoivent
pourlapremièrefoisdesnomssymboliquestirésduvocabulairedesversetsinterprétés.
(…)Les descriptions du domaine de ces attributs ne sont parfois rédigées qu’en termes
allusifs, dont le style imagé donne au livre un saisissant aspect mythologique. Les
puissancesdivinesconstituent«l’arbresecret»sur lequelfleurissent lesâmes.Maisces
puissancessontaussilasommedes«formessaintes»quisontréuniessousl’apparence
d’un homme céleste. Toute chose dans lemonde inférieur, particulièrement les choses
ayantquelquesainteté,porteenelleuneréférenceaumondedesattributsdivins.Dieu
est Maître de toutes les puissances, et sa Gloire est une nature unique qui peut être
observéeendifférentslieux.»(GershomScholem2011:475‐476)
L’ouvrage de Gershom Scholem, La Kabbale, dont la lecture demande une bonne
éruditionsanslaquellesacompréhensionrestealéatoire,setrouvefacilementdansles
librairies ésotériques et c’est l’un des rares ouvrages cité par Christiane et Kaya.
L’«arbresecret»appeléaussil’«arbreséfirotique»83peutêtrereprésentésousforme
82Cetextereprendl’affirmationbibliquedelalumièrecommepremiersigne,commepremier«mot»de
lacréation:«EtDieuditquelalumièresoitetlalumièrefut...».Lalumière,danscecontexte,estlaplus
hauteréalitédel’univers,lepremiercheminversledivinetlaplushautemétaphoredel’infini.Lorsquela
lumièreprimordialedel’infinidescenddanslemondepourdonnerlesouffledevieàtouslesmondeset
toutes les créatures, elle va sedéployer et sediffracter endix lumières, dix rayonsoudix sphères, qui
contiennentchacuneunaspectdelapuissancedelalumièrenécessaireàlapossibilitéduvivant.83«Lastructureséfirotiquecomportedixentitésainsinommées:1)Keter,«Couronne»,ordinairement
identifiée avec la volonté divine;2) Hokhma, «Sagesse», la pensée divine; 3) bina, «Intelligence»,
manifestantl’ordredissimulédansHokhma;4)Gedula,«Grandeur»,appeléeHesed,«Grâce»,labonté
deDieu;5)Gevura,«Puissance»,égalementappeléeDin,«Jugement»,l’instrumentdelajusticedivine;
6) Tif’eret, «Beauté» ouRahamim, «Compassion», synthèse de la grâce et de la rigueur; 7)Netsah,
«Endurance»; 8)Hod,Majesté; 9)Yesod, «Fondement», ces trois dernières sefirot étant comme les
224
d’undiagramme,etsertdecartographieàplusieursmédiumsrencontrésdanslessalons
de«médecinesnaturelles».
L’herméneutique kabbalistique seprécisera avec la circulationd’unnouvel ouvrage le
Sefer ha‐Zohar, «le Livre de la Splendeur». Celui‐ci apparaît comme le fruit de la
rencontrededeux courantsde lamystique juive: la kabbaledeGéroneet la kabbale
gnostique de Castille. Ce texte pseudépigraphique, écrit en araméen, commence de
circulervers1275, il seprésentecommeune transcriptiond’unenseignementoraldu
IIème siècle du Rabbi Chimone Bar Yohaï,mais il semble de plus en plus certain que
dansce textes’expriment lesdoctrinesde lakabbale théosophiquedeMoïsedeLeon
(1240‐1305)etdesonécole.Devenuuneœuvremajeuredelatraditionmystiquejuive,
leZoharafiniparacquérirdanslejudaïsmeunprestigecomparableàceluidelaBibleet
duTalmud.
3.6.2.Des«aljamas»àla«Reconquista»
Les développements intellectuels autour de la kabbale de Gérone n’auraient pas été
possible sans l’existenced’une forte communauté juived’où sont issus leséruditsqui
formèrentlescerclesrabbiniquessuccessifs.LesrégionsduRoussillon,del’Empordanet
du Géronais comptaient au Moyen Âge une soixantaine de communautés juives
organisées en «aljamas» soit de manière autonome et placées directement sous
l’autoritéroyale.Lesplus importanteseneffectifsétaientcelledePerpignan,suiviede
Géroneet àunniveauplusmodeste celledeCastellód’Empúries. Elles vécurent sans
incidentmajeurjusqu’auxvaguesd’émeutesde1391.Celles‐ciéclatèrentquelquesjours
avantledébutdelaSemaineSainte,le15mars1391,alorsqu’ungroupedepersonnes,
rejetonsdes troisprécédentes; 10)Malkhut, «Royauté»,ouAtara, «Diadème», réceptaclede l’influx
venu des neuf autres, gouvernant lemonde créé. Les dix sefirotqui constituent l’«arbre» séfirotique
s’intègrentàunereprésentationanthropomorphiquedudivin(Adamkadmon,«Hommeprimordial»):1,
2 et 3 sont la tête, 4 et 5 les bras, 6 le torse, 7 et 8 les jambes, 9 l’organe sexuel, 10 étant l’élément
fémininnécessaireàlaconstitutiond’unhommeparfait.Cettestructuresymboliquedominelapratique
herméneutiquedeskabbalistes.»(Jean‐ChristopheAttias,EstherBenbassa2008:250)
225
voulutmettre en pratique le prêche de l’archidiacre de Écija FerrantMartínez et les
lecturesapocalyptiquesdel’Epitreauxromains,en«débarrassant»Sévilledesesjuifs.
Lesreprésentantsdel’autoritéroyaleparvinrentàréprimerlemouvementpendantplus
de deux mois mais, le 6 juin, le quartierjuif fut pris d’assaut, et plusieurs de ses
habitants furent contraintsd’accepterde se convertiraucatholicismeouexécutés. Le
mouvementanti‐juifss’étenditrapidement:àlafindumoisd’août,ilavaitatteintplus
de soixante‐dixautresvilleset citésde lapéninsule.84Après1391, lesgouvernements
régionaux s’opposèrent à la restauration des communautés juives en évoquant une
«théologiepolitique»du judaïsmeet ladifficultédemaintenir l’ordrepublic.Àpartir
de1411‐1416,VincentFerrier,dominicainquideviendraSantVicentFerrer,encouragea
et coordonna les efforts de l’antipape Benoît XIII, des rois de Castille et d’Aragon, et
d’innombrables conseils municipaux «pour élaborer l’une des tentatives les plus
aboutiesd’évangélisationde lapériodepré‐moderne»85enayantpourobjectif,plutôt
que de prêcher l’élimination des juifs, d’obtenir leur conversion complète ou leur
ségrégationtotale.En1492,aprèslaconquêteduroyaumedeGrenade,lesRoietReine
catholiques Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, complètent la Reconquista en
signantleDécretdel’Alhambrasoitl’«Éditd’expulsiondesJuifsd’Espagne».Lesbiens
84 Reuben, fils du rabbinNissim deGérone, décrit les événements de cet été‐là dans lesmarges de la
Torah de son père, qu’il a réussi à sauver : Pleure, sainte et glorieuse Torah et mets des vêtements
sombrescarlesinterprètesdetaclaireparoleontpéridanslesflammes.Duranttroismoislaconflagration
s’estétenduedans lessaintescongrégationsde l’exild’IsraëlàSéfarade.Lesort […]afrappé lessaintes
communautésdeCastille,Tolède,Séville,Majorque,Cordoue,Valence,Barcelone,Tàrrega,etGirone,et
soixante villes et villages des environs [...]. Les armes, les massacres, la destruction, les conversions
forcées,lacaptivitéetlaspoliationétaientàl’ordredujour.Beaucoupfurentvenduscommeesclavesaux
Ishmaelites [musulmans]; 140 000 ne purent résister à ceux qui les forçaient demanière si barbare et
s’abandonnèrent à l’impureté [c’est‐à‐dire se convertirent]. Le nombre de convertis cité par Reuben
correspondà lamoitiéde l’ensemblede lapopulation juivedesRoyaumesdeCastilleetd’Aragon telle
qu’elle a pu être évaluée pour cette époque. Sans citer les mêmes chiffres, d’autres observateurs
contemporainsontégalementsoulignélenombretrèsimportantdeconvertisainsiqueladisparitiondes
juifs de nombreuses villes. Le nombre de personnes tuées reste difficile à évaluer faute de documents
d’époque. Source: http://www.aschkel.info/article‐10‐aout‐1391‐les‐juifs‐de‐gerone‐espagne‐sont‐
massacres‐55178235.html85Ibid.
226
communauxdesquartiersjuifs,commelessynagogues,lesbainsrituelsetlescimetières
sontmis à ladispositionduRoi. Le cimetièredeGéroneéchoit aubailli généralde la
Catalogne, qui utilisera le mobilier funéraire: stèles et dalles, comme matériaux de
construction,parachevantlamesured’effacementdelamémoireetàlacondamnation
à l’oubli du«passé juif»deGérone.Desmesuresdumêmeordre serontprisesdans
l’ensembledel’Espagne.
L’amnésiecollectivepeutêtreissued’unedamnatiomemoriae,cequiconsistaitdansla
Rome antique à effacer et «à faire disparaître le nom de l’empereur défunt des
documentsd’archivesetdesinscriptionsmonumentales.»(JacquesLeGoff1988:130)
Uneamnésie collectivepeutaussi être instituéepourdes raisonspolitiques. Ellepeut
êtreexigéeentantqueprocessussociald’amnistieaprèsdespériodesdeguerrecivile.
Celles‐cisontsuivies
«comme inexorablement d’un appel du souverain à l’unité, sous forme d’une
exhortation à l’oubli: quelquesmots à situer entre l’incitationmenaçante et le sermon
apaisant,l’intimidationetleprêche.(…)Mélangesurprenantquis’avèredelaplusgrande
utilitéquandils’agitpourlesouveraindepromouvoir l’oublid’unfragmentdetempset
de tenter de réconcilier une nation divisée grâce à cette annulation. Les arguments
théologiques sont toujours àportéedemainpourdonner consistanceà l’effacement.»
(Jean‐MichelRey2010:10)
Dans ces deux cas d’amnésie instituée, le souvenir est frappé d’interdit. Il faudra
attendreleXIXèmesièclepourquelestracesdupasséjuifdeGéronerenaissentdel’oubli.
Ellesvontréapparaîtresousdiversesmodalitésetacquérirunnouveausens,aussibien
pourlescommunautéslocalesquepourl’ensembledumondejuif.Lesunsetlesautres
vontfaireincarneraupassélesvaleursdesdifférentsmilieuxsociaux,quienl’adoptant,
àchaquefoisleréinventent.Unedamnatiomemoriae,mêmebienorchestrée,nepeut
querarementparveniràeffacertouteslestracesd’unpassé,etàGéronecommedans
d’autres lieux, sesont«lesmorts»quiont rappelé leurexistencepasséeauxvivants,
227
par une toponymie, le «Montjuïc», le «mont des juifs», terme signifiant
l’emplacement du cimetière juif situé à l’écart de la ville, et par le biais dumatériel
funéraire. En 1832, le chanoine Martin Matute, découvre une stèle funéraire sur le
Montjuïc,confirmantainsil’originedutoponyme.En1864,lechantierdelaconstruction
du chemin de fer, qui devait relier Barcelone et Portbou, fit apparaître de grandes
pierrestailléesavecdes inscriptionsà lagraphie«étrangère».D’autrespierres furent
retrouvées lorsde la réfectiondemaisonsdeprestige. Ladécouvertedecesdalleset
stèlescoïncideavecunregaind’intérêt,dèsladeuxièmemoitiéduXIXèmesiècle,pourles
«judaïca,vestigespluriséculairesd’uneprésencehébraïqueoujuive»(ChantalBordes‐
Benayoun, Patrick Cabanel, Colette Zytnicki, 2001 : 243). Elles vont constituer une
«collectionlapidaire»quifaitl’objetd’uneexpositionen1866,auMuséedeSantPere
de Galligants à l’instigation de celui qui est considéré comme le fondateur de
l’archéologieàGérone:EnricClaudiGirbal.Celle‐cipritlocalementlenomd’exposition
desstèlesdu«Boud’Or»(IgnaceOlazabal2006:45),duVeaud’or.Cettenomination
faitréférenceàdesrécitslocauxrelatantqu’untrésorou«uneboîteenchantée»,selon
lesversions,aétécachéedanslecimetièreparsonpropriétaireavantsondépartpour
l’exilfaisantsuiteàl’Editd’expulsion.Cettecollectionlapidaireseratransféréeunsiècle
plustardauPatronatCalldeGirona,dansleMuséedel’HistoiredesJuifsdeGérone.
Cen’estqu’àpartirde1960,quelestravauxderecherchesdanslesarchivescapitulaires
de la cathédralemenés par le chanoine JaumeMarquès vont permettre de retrouver
avecprécisionlesemplacementsdesbâtimentsetdeslimitesduquartiermédiévaljuif
de Gérone, ce qui permettra de le cartographier. Le chanoine Jaume Marquès est
membrede l’associationdes «Amics de laGironaAntiga», associationdedéfense et
revitalisation du patrimoine culturel du vieux quartier, leBarri Vell.Cette association
décidedecontribueràlarestaurationduCallJueu,partieintégranteduvieuxquartier.Il
faudra attendre les années 1970, pourqu’une autremémoire souterraine surgissede
manière impromptue. Des travaux de restauration sur d’anciens ouvrages des fonds
d’archivesdelavilledeGérone,fontapparaîtredesdocumentsplusanciensscellésdans
228
les couvertures des livres et utilisés pour assurer leur rigidité.Ces documents ou
fragmentsdetextesurparcheminsontdemeurésdansunbonétatdeconservation,ils
datent du XIIe au XVe siècle. Ils sont écrits pour la plupart en calligraphie hébraïque
cursive, dite «sépharade». Ce fonds archivistique se révéla particulièrement
considérable,etcesont12'000à15'000documents,seréférantàlaviequotidienneet
socialedelacommunautéjuive,quifurentprogressivementmisàjourdanslesarchives
diocésaines,capitulaires,municipalesetd’histoireprovincialesdelavilledeGérone.
3.6.3.L’œuvredeJosepTarrés,l’ouvertureduCallJueu
Danslesannées1970,pourréinvestirlesruesduCallJueuenétatdesemi‐abandon,aux
immeubles mal entretenus et aux ruelles étroites sombres et peu engageantes, un
artiste local charismatique, Josep Tarrés, membre aussi des «Amics de la Girona
Antiga»décidedeproposer«unprojetderéactualisationpopulaire».Ceprojetestde
fairerevivrel’anciennemystiquejuiveenvigueurentreleXIIèmeetleXIVèmesiècleet
deprocéderàunesortederéactualisationde la tradition juivedeGérone.Unepetite
recherchesurlessiteswebenrelationavecles«AmicsdelaGironaAntigua»permet
dereconstituersontrajetbiographiqueetsonréseausocial,dontjenedonneraiqueles
éléments qui vontm’intéresser plus particulièrement. Josep Tarrés i Fontan est né à
Gérone en 1929. Il fait toute sa scolarité à l’école des FrèresMaristes de Gérone. Il
participependantquinzeans,entantquecomédienamateur,auxreprésentationsdela
Nativitéetreçoittroisannéesdesuiteunprixdel'AssociationdesscènesdelaNativité
deGérone. Il participeàplusieurs festivals locauxde théâtreetmusiquepopulaireet
aux émissions de théâtre radiophonique de la Radio de Gérone. Comme écrivain et
poète,ilcollaboreaumouvementde«Lajeunepoésiecatalane».Vers1954‐1957,ilvit
àParisduranttroisansetcommetoutjeunepoètedecetteépoquefréquenteleCafé
desDeux‐MagotsetleCafédeFlore.Ilcollaboreàlafabricationderomans‐photosavec
lephotographeGérardBischop,lescomédiensduThéâtredelaHuchetteetdeuxautres
compatriotes catalans originaires de Gérone, Enric Llop et Bernat Termes, qui
229
deviendront plus connus sous les noms de Kabaleb et Haziel. Josep Tarrés,
probablement accompagné de Enric Llop et Bernat Termes, fréquente un cercle
rosicrucienavecd’autresartistesdecetteépoqueets’intéresseàl’ouvrageCosmogonie
desRose‐CroixdeMaxHaendel,fondateurdecemouvement.
En1975, laplupartdesopposantsespagnolsaurégimefranquisteontpuretournerau
pays,lerégimes’étant«libéralisé»aveclamortdeFrancoetl’arrivéeaupouvoirduRoi
Juan Carlos. Les mouvements associatifs prennent de l’ampleur. Josep Tarrés et les
«Amicsde laGironaAntiga»,débutent leprocessusde«revitalisation»duCall Jueu
parlaréouverturedelaruelleSantLlorenç,ancienne«artère»duquartierjuif,quidoit
permettredeparveniràunespacedestinéàdevenir lePatidelsRabins,«laCourdes
Rabbins». Pour cela il faut désentraver ce passage «cerrado por inutil al transito de
tiempo immémorial», comme le mentionne l’écriteau placé à l’orée de cette ruelle.
Cetteruellealongtempsétéferméeenaval,etmuréeenamontparleshabitants.Dans
cetespaceclos,lespropriétairess’étaientappropriéunboutdecetterueet,
«aveclaloid’usagequistipulequ’auboutdevingt‐deuxannéesd’usufruitondevientle
propriétaire légal, ilyavaitdes lavoirs,despoules,des lapins,desvélos.Mais laruen’y
était plus, elle avait disparu. Elle était toujours là,mais c’était comme si elle n’existait
plus. Or tout de suite après la Guerre civile, arrivèrent des immigrants très pauvres, la
prostitutionpritdel’ampleur,ilyavaitdespensionsdégradées.Donc,pourenfiniravec
tout ceci, nousentreprîmesune sortedeprocessusdepurification, et àpartir de là les
choses se sont mises à changer. Nous fîmes une cérémonie de purification, à laquelle
participèrentnosamis,lerabbindeBarceloneainsiqu’unchanoinedelacathédrale.Nous
inaugurâmeslaruelleSantLlorençaveclabénédictiondurabbinetduchanoine,etgrâce
àcesmessieursnouspûmesentamerlarestaurationdetoutceci»86
86 Entretien entre Josep Tarrés et Ignace OLAZABAL, du 20.06.1997, traduction de ce dernier. (Ignace
Olazabal2006:49)
230
JosepTarrésformalisecetteréouvertureparunecérémonie,dontjen’aipastrouvéde
description, si ce n’est que Josep Tarrés a choisi ou accepté une date hautement
symbolique, le 25 décembre, pour marquer cet événement de la renaissance d’un
quartier.
JosepTarrés,Haziel,Kabaleb,sesontglissédansunefracturehistoriquepourchacunà
leurmanières’inscriredansunrégimedefiction.Lestroisl’ontconstruitsurlemodede
l’événementiel et de l’apparition. Pour Josep Tarrés, le régime de fiction rejoint un
imaginaire collectif dans un contexte émotionnel singulier, pour l’analyser, un détour
parlesapparitionsmarialespeutnousaider.MarcAugé,danssonouvrageLaguerredes
rêves, cite le cas des statues et des images pieuses, des «œuvres» dont les auteurs
«sontsouventescamotés»:
«LastaturedeNotre‐DamedeGuadalupe«apparaît»unbeaujourcommelaViergeelle‐
même,etilestprobablequ’auxyeuxdebeaucoupcelle‐cinesedistinguepasdecelle‐là
comme le représenté de son représentant. Le rapport à l’image est donc direct,
personnel; il peut être littéralement «incorporé». Il est également «symbolique», au
sensoùilétablitunlienentretousceuxquisereconnaissentdanslamêmeimage.Celle‐
ci,enoutre,estchargéed’exégèsesofficiellesetconnues; les fantasmespersonnelsqui
convergent vers l’image (…) s’accommodent d’autant mieux de cette dimension
communautaireetdecetterhétoriquepartagéequ’elles leursserventd’étayagedans le
réel.»(MarcAugé1977:147‐148)
Lejourdel’«ouverture»duquartier,JosepTarrésfait«apparaître»lequartierjuif,en
mettant en place une cérémonie, il fait un acte à l’équivalent d’une œuvre d’art,
n’oublionspasqueJosepTarrésmetenscènedesspectacles«populaires».AuXXIème
siècle, on parlerait de «performance artistique» ou d’«événementiel». Mais Josep
Tarrés, fait aussi «apparaître», au sens défini ci‐dessus, un quartier, comme une
métaphored’une«icône»enfouieetdéterrée,quiémergeà la findu franquisme.Le
faitquelequartier,soitunancienquartierjuifn’estpasleprincipal,cequiestimportant
231
estcerégimed’apparitionetcequecelle‐ciapportecommeferveurpourreconstruire
unecommunautéurbaineaprèsl’èredufranquisme.
Josep Tarrés et les «Amics de la Girona Antiga» acquièrent par divers emprunts les
parcellesdesnuméros8et10delarueForça,surlaquelledonnelaruelleSantLlorenç.
Ils entreprennent la restauration du bâtiment situé sur cette double parcelle et
simultanément des recherches archéologiques avec l’objectif de confirmer que c’est
bienlalocalisationdel’écoledelakabbaledeGérone.En1979,JosepTarréscrée,dans
cebâtiment, le«CentreIsaacelCel»,dans lequelfurentprogrammésdesexpositions
dephotos,desconcertsetautresmanifestationsartistiques.LeCentrefonctionnaselon
l’orientation proposée par Josep Tarrés entre 1979 et 1985. Il était rendu
particulièrement attractif par son bar‐restaurant, dans lequel se déroulaient divers
événements en relation avec des mouvances ésotériques et New Age. Le caractère
novateur du bar‐restaurant, proposant une ambiance inimaginable quelques années
plustôtsousl’èredeFranco,suscitaungrandengouementlescinqpremièresannéesde
sonexploitation.JosepTarrésapourprojetd’instaureruneformed’œcuménismedans
le«CentreIsaacelCel»:
«Lapartiesous‐terrained’IsaacelCelfonctionnaitdéjàentantquesynagogue.Ilyavait
deuxparties, l’unequi fonctionnaitentantquetemplemaçon. (…)Lamaçonnerieaété
introduitedanslenorddel’EspagneàtraversleCentreIsaacelCel.Lepremiersynodede
l’Eglise orthodoxe s’est tenudans la cour des rabbins. Tout ceci générait un processus
mystiqueàdifférentsniveaux.Iln’yavaitpasdedifférence.Lamystique,c’estlamystique
et point n’est besoin d’y accorder un sceau particulier. A travers l’art, la sensibilité
artistique, nous avons pu arriver à l’essentiel.» (Josep Tarrés, cité par Ignace Olazabal
2006:51)
Josep Tarrés, n’en continuant pas moins ses «recherches archéologiques» dans le
bâtiment, déclare avoir trouvé des preuves attestant du «caractère juif et sacré des
lieux» sans les expliciter. Dans ce foisonnement d’idées et de concepts artistiques,
232
Hazielparticipaauxactivitésdu«CentreIsaacelCel»,etévoque,danssesouvrages,le
quartier du Call de Gérone, comme étant le lieu, où «a été allumé la flamme d’une
philosophiedestinéeàéclairerlemonde»,ouaffirmeencorequelesdocumentstrouvés
dans les couvertures des livres notariaux était «principalement des Ouvrages sur la
Kabale en général, et sur les Anges» et qu’ils avaient été cachés là par «les Juifs de
Gérone,lorsdeleurexpulsion».(Haziel2002)Cequedémentirontlesinventairesdeces
documentsrépertoriésparplusieursinstancesacadémiquesetgroupesderecherches.
FrançoisBernadTermès,ditHaziel,estnéàGéroneen1925. Ilest l’auteurdeplusde
cinquante ouvrages traitant de l’angéologie parus aux éditions Bussières. Une de ses
biographies87 lui attribue des ancêtres «marranes», soit des «convertis» au
christianisme au XIV ou XVème Siècle, qui auraient, selon ce biographe, gardé et
transmisdegénérationengénérationla«partieésotérique»delaBible,lakabbalequi
permet de comprendre «clairement tous les mystères de l’œuvre Divine». François
BernadTermèsestscolariséàl’EcoledesFrèresdeStJeanBaptistedelaSalle.De1936
à 1939, durant la révolution et la guerre d’Espagne, la ville de Gérone subira des
bombardements intenses par l'aviation franquiste. Après des études secondaires
jusqu'en 1945, François Bernad Termès poursuivit jusqu’en 1954 des études
universitairesetobtintundiplômedephilosophie.Ilsuitégalementdescoursàl’Ecole
de Journalisme deMadrid. Il effectue son servicemilitaire dans laMarine de la Base
Navaledes îlesBaléares. Ilsemarieetaunefille. IlvitàParisquelquesannées.Ason
retour en Espagne, il crée avec Enric Llop un «Centre Spiritualiste Rose‐Croix» qu’ils
nomment:Terramor.Selonsesdires,iladiffusépendantdelonguesannéesla«Sagesse
de l'ETU, Ecole TranscendantalisteUniverselle » et finalement décidé de se consacrer
entièrement à des travaux mystiques sous le nom de Haziel. «Ma vocation vraie
consiste en la connaissance réelle, évidente des Etres de Lumière, Anges et
87 http://www.babelio.com/auteur/‐Haziel/33788 (http://haziel‐para‐haziel.blogspot.ch/p/quel‐ange‐je‐
suis.html)
233
Archanges.»88 dit‐il. Haziel est un auteur prolifique, bien que répétitif d’ouvrage en
ouvrage,quifaitl’objetd’attaquesvirulentespourplagiatsdelapartdeTristanLlop,qui
signe ses propres écrits sous le nom Kashiel et qui défend les droits d’auteur de son
père,EnriqueLlop,(1927–1991),quiapparaîtluisouslenomdeplumedeKabaleb.
3.6.4.FermetureduCentreIsaacelCel
En 1983, le Centre Isaac el Cel est l’objet d’un documentaire de la BBC, sa diffusion
européenne et en Amérique du Nord augmente encore sa notoriété. Cette
médiatisation aura de fortes conséquences sur le Centre, en introduisant l’arrivée de
nouveauxacteursquitransformerontlecoursdesévénementsprévusparJosepTarrés
et les «Amics de la Girona Antiga». Moshé Lazar, professeur à la «University of
Southern California» de Los Angeles et un Barcelonais, Eduard Tell s’intéressant à
l’histoire du judaïsme catalan, proposent une collaboration à Josep Tarrés et aux
«Amics de la Girona Antiga» qui accumulent les dettes et ne parviennent pas à
rembourser leurs emprunts bancaires. Cette collaboration a un prix: refonder le
programmeduCentreen leréorientantversdesbasesplusscientifiques. JosepTarrés
nepeuttransformercequiestpourluiunprojetartistiqueenunobjetdeconnaissance
académique du judaïsme médiéval, et défend la destinée propre et hétérodoxe du
CentreIsaacelCel.MoshéLazaretEduardTellcréenten1984unenouvelleassociation
des «Amics del Call de Girona» et se désolidarisent clairement de Josep Tarrés en
déclarant:
«Ilesturgentderendreplusdigneletraitementdel’histoire,abordéedefaçontoutàfait
fantaisiste par les anciens titulaires d’Isaac el Cel, et d’en finir avec le syncrétisme
religieuxetalimentairedanslequelonentremêlaitlaMèredeDieuetl’EnfantJésusavec
88http://haziel‐para‐haziel.blogspot.ch/p/quel‐ange‐je‐suis.html
234
la menora et les mezouzas, le jambon de la sierra et les charcuteries d’Olot avec la
nourriturecachèreetlesfêtesreligieusesjuives.»89
Josep Tarrés, riposte en fondant unenouvelle association les «Amics d’Isaac el Cel»,
issue des «Amics de la Girona Antiga», tandis que les «Amics del Call de Girona»,
développe les «American Friends ofGerona’s Call» à Los Angeles et la «société des
amis du Call de Gérone au Luxembourg» et cherchent des soutiens financiers pour
restaurer le Call Jueu en tant que patrimoine culturel. Josep Tarrés, tente une
reconnaissanceenlégitimité,aussibienauprèsdespouvoirspublicsdeGéronequede
futurs usagers du Centre. L’administration municipale de Gérone coupe court aux
velléités d’appropriation des uns et des autres et décide de reprendre l’ensemble du
projetderestaurationpatrimonialeduCallJueu.Ellemarquesonautorité légitimepar
unpremieracteendemandantlafermeturedubar‐restaurantdu«CentreIsaacelCel»
etdessallesattenantesenraisond’unemauvaisestatiquedubâtimentetd’unrisque
d’effondrementdestoitures.LemairedeGérone,JoaquimNadal,n’entissepasmoins
l’éloge de Josep Tarrés, tout en mettant en exergue les valeurs que la municipalité
entendexploiterdanssonprojetdepatrimonialisation:
«JosepTarrésaréaliséunapportessentielenouvrantlesportesd’unquartierquiavait
étéclôturé,iladécouvertuntrésorenfouidanslavilleetasuconnectercetteouverture
àl’émotionpermanentedetoutunpeuple.Et ilafaitvibrerlesfibresetlessentiments.
Enfranchissantlesfrontièresdesruesetenpénétrantdansl’intimitéetlerecueillement,
lumineux des cours et des maisons, il a su redonner vie au Call et faire en sorte qu’il
puisse être ressenti par ceux enmesurede comprendre cemodèlede vie. L’objectivité
historique,laréalitéurbaineetl’émotionnoncontenueparticipentdecettesynthèseque
Josep Tarrés fait déborder en s’efforçant de lier la redécouverte duCall à des ressorts
mystiques.(…)Maintenant,commentéclaircirtoutceci:lapropriété,lalocation,ladette,
89PuntDiari,2.8.1989,traduitetcitéparIgnaceOlazabal2006:53
235
les fondementshistoriques?Nouscourons le risquede toutmettreenpérilà causedu
manquedeclartédansl’initiative.»90
L’aventure du «Centre Isaac el Cel» se termine au début des années 1990. A son
emplacement va s’installer le «Patronat Call de Girona», dont le siège est le Centre
BonastrucçaPorta,nomcatalandeMoïseNahmanide,(MoshebenNahmanGerondidit
le Ramban). Le changement de nom marque une nouvelle orientation de la
remémorationdel’histoiredujudaïsmeàGéroneetaccompagneunevolontépolitique
de développement du tourisme par des programmes de réhabilitation architecturale
«des quartiers et dupatrimoine juif». Ce projet est impulsé par les gouvernements
israélienetespagnoletcontribueàl’établissementderelationsentrelesdeuxEtats.Le
«Patronat Call de Girona», institution culturelle créée en 1992 par l’Ajuntament de
Girona, la Diputació de Girona i la Generalitat de Catalunya, comporte plusieurs
infrastructures:le«MuseumCataladeCulturaSefardita»aétéinauguréle3décembre
1993 en présence de l’ambassadeur d’Israël, Yaacov Cohen, l’Institut d’«Estudis
Nahmanides»,centred’étudesdujudaïsme,dontlabibliothèquecontientplusdecinq
milles ouvrages, est installé dans ses locaux depuis 1997. Le bureau des Routes
Sépharades, réseau touristique auquel la ville appartient depuis 1997 est également
installédansceCentre.Lavieillevilleaétérestaurée,unparcourstouristiquepermetde
sedéplacerdans les ruellesetdevoir lesdifférentesmaisonsoùvécurentdifférentes
personnalitésdumondejuifmédiéval.Desvisitesdiurnesounocturnessousformede
reconstitutions historiques animées par des guides comédiens rencontrent un grand
succès depuis 1993. Ces visites interactives sont complétées par d’autres activités
ludiques comme des concerts de musique sépharade ou médiévale ou la lecture
d’histoires et de récits durant les chaudes nuits d’été. Fait partie de ses «récits
populaires», l’histoire de la Tolrana, ou femme juive qui refusa de se convertir au
catholicismeen1391etsejetadela«TorreGironella»,ouselonuneautreversionfut
décapitée. Ne dit‐on pas que lors des brouillardsmatinaux d’automne, ou encore les
90PuntDiari,16.12.1984,traduitetcitéparIgnaceOlazabal2006:55
236
jours de bise, on entend des gémissements dans le Call qui seraient les pleurs de la
Tolrana?Le1eraoût1998,JosepTarrésmetenscèneun«grandspectaclepopulaire»,
quisedérouleaupieddela«TorreGironella».Selonlejournal«ElPunt»,cespectacle
«consisteenunereprésentationthéâtraleàcielouvertenpleinenuitoùdeuxcentaines
d’acteursévoquentdiverschapitreshétéroclitesdel’histoirejuiveuniverselle.»(Joseph
Josy Levy, Ignace J. Olazabal 2007: 42) Josep Tarrés reçoit en 2004, le titre
honorifiquede«Ciudadanía»décernéparlamunicipalitédeGéroneenremerciements
poursesservices:«laSessioOrdinariadel’AjuntamentdeGirona«Enreconeixemental
seucompromíscívicexpressatenlasevaconstantdedicacióalarecuperacióiprojecció
delpassatdelaciutatdeGironaialseucontinuatactivismecultural»»91
ChristianeetKayanefontpasques’approprierlacosmologieréinventéeparHazieldans
le courant ésotérique des années 1970, ils intègrent aussi les deux régimes de vérité
sous‐jacents qui s’inscrivent dans deux herméneutiques. La première interprétation
s’inscrit dans une suite d’événements historiques et la seconde dans les motifs du
merveilleux chrétienquialliequêteetdécouverte«miraculeuse». L’utilisationdeces
deuxdiscoursdemanièreconcomitantepermetundéplacementmétaphoriqueduréel
et introduitune contestationde son régimede vérité. Lesmomentshistoriquesoù le
merveilleux fleurit le plus intensément restent ceux dans lesquels se produisent des
bouleversements historiques et de remise en cause de la doxa dominante, comme le
montre l’exemple des apparitions de la Vierge àMedjugorje qui ont accompagné les
modifications politiques dans l’ex‐Yougoslavie. Lemerveilleux en lui‐mêmeporte déjà
les germesde la contestationet s’inscrit dansune résistance culturelle en regarddes
orthodoxies.Danscerégimedevérité,lafictiondelaquêtedesmanuscritsdeGérone
permet la construction de l’inscription de la «filiation» de Kaya dans une lignée de
«sages»,etselonlaprophétiecontéedanslabandedessinée,ildevientle«dépositaire
destextesretrouvésdel’Angéologie»,soit leporteurd’unenouvellevisiondumonde.
91http://www.pedresdegirona.com.Cetitre«Citoyenneté»pourraitsetraduirepar«Citoyende
Gérone».
237
Lesupportquitransmetcette«nouvelle»,labandedessinée,confirmecetteinscription
dansleregistredela«culturepopulaire».Celle‐cis’inscritdanslacontinuitédufolklore
traditionnel,enintégrantcesdifférentesfiguresdecontestation.SelonNicoleBelmont
(1985):
«ilya,eneffet,folkloredèsqu’ungroupesocial–quelquesoitsataille–nepartagepas
entièrement la culture dominante (qu’il ne veuille ou ne puisse le faire) et sécrète une
autre culture, qu’on qualifiera selon les cas de culturemarginale, de contre‐culture, de
sub‐cultureetdontlafonctionestd’affirmerl’identitédugroupeentantquetel.»(Nicole
Belmont1985:1084)
Cette inscription de Kaya et Christiane dans une «culture populaire» se confirmera,
dansleursconférencesparl’usagequ’ilsfontdetoutunmatérielvidéo,référençantdes
«clips»depop‐stars,dessériestéléviséesetdesfilmsgrandpublic.
Laconstructionlégendairedelaquestiondumerveilleuxseposeaussiparrapportàla
constructionautobiographiquedeKayaquiprécède lemomentdeconversionmarqué
parladécouvertedestextesdel’«Angéologie»,etmeconduitàmedemandersicelle‐
cipeutaccéderaustatutd’hagiographie.Jean‐ClaudeSchmitt(1983)s’interrogeantsur
le«Textehagiographique»danslessociétéstraditionnellesdel’Europeoccidentaleet
notammentdanscequiestnomméla«culturepopulaire»,rappelletoutd’abordqu’il
nes’agitpasderéduirel’hagiographieauxproductionsécrites,maisbiendeprendreen
comptelestraditionsorales,musicales,iconiquesetgestuelles.Ilnes’agitpaspourlui
nonplusdeconféreràla«culturepopulaire»unstatutd’autonomie,maisbiende
«considérer les divers modes et formes de tradition des légendes hagiographiques en
relationaveclesclivages,lestensions,lastructuredelasociétéetseschangementsdans
l’histoire. Il n’y a pas une culture populaire identique à elle‐même à travers les siècles,
maisundéplacementconstantdes lignesdepartagesocialetculturel,unemodification
238
permanente des modes de domination comme des modes de résistance ou de
consentementàcettedomination.»(Jean‐ClaudeSchmitt1983:9)
Kaya et Christiane ont recours à des récits autobiographiques dans deux contextes
différents. Ils introduisentaucoursde leursconférencesetateliers, commedes récits
nécessaires à leurs pratiques, des fragments de narration biographiques attestant
d’épisodessinguliersquileuront«ouvertlesyeux»surleurparticularité.Acotédeces
récits qui restent furtifs, leurs biographies sont accessibles sur le net sous forme
d’autoproductionsdeleurorganisationoudereprisesd’entretiensparusdanslapresse
écriteoudiffuséslorsd’émissiondetélévision.Cesbiographies«officielle»fontl’objet
derégulièresrelecturesetderemaniementsparl’Univers/CitéMikaël.
3.7.LesrécitsautobiographiquesdeKayaetChristiane
JeprésentelesrécitsdeviedeKayaetChristiane,enlesprenantséparémentmêmes’ils
jouent sur une complémentarité. Ces récits suivent une structure chronologique des
narrationsdesoi,séquencéeselonlesétapesdelavie.Lamiseenexergued’éléments
soulignant les adéquations avec leurs futures conceptions spirituelles va faire de ce
modèle de construction biographique la démonstration d’une destinée singulière.
Christophe Pons, dont les recherches portent sur le médiumnisme dans l’Islande
contemporaine, souligne qu’un grand nombre de publications autobiographiques des
médiums islandais utilise une narration qui prend la forme d’un «mythe
d’individuation»,etdontlatrameestàpeuprèschaquefoisidentiquequ’ils’agissede
l’identitéd’unmédium,d’unepop‐staroud’unentrepreneurfortuné.Ilconstate
«une récurrenceau sein des récitsmythiques d’individuation, d’une identification d’un
«pointdebascule»quelesacteursrelèventenl’associantàunévénementtraumatique.
(…)Elleestutiliséparbeaucoupcomme«unmarquepage»dansdesrécitsde«soi»(…)
quiontvocationàfaireladémonstrationd’unemétamorphose.»(ChristophePons2011:
95)
239
LesrécitsautobiographiquesdeChristianeetKayasuivent lemêmemodèle, touteny
apportantdesnuances.CeluideKayaseprésentecommeceluid’unartistedevariété
dont lacarrièresevoitmodifiéeparunesuccessiondeplagesoniriquesprémonitoires
qui vont déterminer son existence et sa fonction de médium. Celui de Christiane
empruntelemodèledelaréussitepersonnelledela«self‐made‐woman»,maisdontle
projetdevie initialprenduntournantaprèsuneprisedeconsciencesur lesdifficultés
deviedecertainsgroupessociaux.
3.7.1.AutobiographiedeKaya
Kaya est né à Montréal au Québec le 28 août 1968 sous le nom de Francis Martin
Lavergne. Il passe une partie de son enfance, entre l’âge de 4 ans et 11 ans dans la
régionduSaguenay‐Lac‐Saint‐Jeansur larivenordduSaint‐Laurent.Sonpèretravaille
commeingénieurpourlescompagniesAlcan,Abitibi‐PriceetDonohueetilhabiteavec
sa famille dans la ville deChicoutimi puis de Saint‐Félicien. C’est dans cette dernière,
unevillede10'000habitants,danslaquellesafamilles’estinstalléeen1974,queFrancis
Lavergnevadébutersacarrièremusicale,enintégrant,àl’âgedesixans,lachoralede
l’églisedeSaint‐Féliciendontildevientleplusjeunesoliste.Ildevientservantdemesse,
etplusieursfoisparsemaineilpartagelesrepasdesprêtresdecediocèse.En1975,à
l’âgedeseptans,souslenomd’artisteFrancisMartin,ilparticipeàplusieursconcours
de chants et aux concerts d’été de la région Saguenay‐Lac St‐Jean qui sont suivis par
25'000spectateurs.A lafinde l’étéde lamêmeannée, ilestvictimed’unaccidentde
bicyclette. Gravement blessé, «ilfrôle lamort» et restera plusieurs semaines dans le
coma. A son réveil, il surprend le corps médical et ses parents en évoquant les
personnes venues le voir à l’hôpital qui ont prié à son chevet alors qu’il était dans le
coma. Il reprend sa carrière de jeune chanteur l’année suivante. Il participe à des
émissionsderadioetdetélévisionetentredansl’agenceartistiquedeYvonPlamondon,
cequi luipermetdeseproduiredans la régiondeQuébec. Ilparticipeàuneaudition
pour la sélection des chanteurs de l’opéra rock Starmania de Michel Berger et Luc
240
Plamondon. Il est choisi pour tenir «le rôle d’un extra‐terrestre qui vient dire à
l’Humanitéqu’elleseperddans larecherchedegloire,deguerreetdevieuniquement
matérielle».Iltiendracerôledans250représentationsettourneradansl’ensembledu
Canada. Durant cette période il enregistra deux disques. Cette existence d’«enfant
star»vas’arrêteràlapuberté.En1981,ila13ans,savoixsemodifieetl’instabilitéde
satessiturel’empêchedechanter.
Le registredu récit biographique semodifie. Cettemêmeannée, le soir deNoël, à la
sortiedelamessedeminuit,songrand‐pèreluidemandedemarcherunmomentseul
aveclui.Songrand‐père,luiannoncequ’ilvamourirdansquelquesjours,bienquecelui‐
cin’aiepasdeproblèmedesantéconnu.Le5janvier1982songrand‐pèredécèdedans
son sommeil d’une crise cardiaque. Pendant la cérémonie funèbre religieuse, Francis
reprendsafonctiondechanteursolistepourunchantliturgique.Dèsqu’ilcommenceà
chanter,unelumièretraverselevitraildel’égliseetFrancisapparaîtcommeilluminéet
rayonnant.Savoixestpureetstablemêmesisoncorpstremble.Lerécitemprunte le
registredumerveilleuxetdel’exemplaire.L’expériencedusurnaturelperdureetFrancis
«communiquera»avec songrand‐pèredécédéchaquesoirpendantcinqans.Celui‐ci
deviendra son guide spirituel. Francis ne dévoile pas encore sa «compétence
médiumnique»àsesproches.
En1984, à l’âgede seizeans, FrancisMartin reprend sa carrièrede chanteur.Celle‐ci
n’étant pas mon objet de recherche, je n’en citerai que quelques faits marquants
jusqu’àsonfléchissementen1993.Al’âgedevingtans,ilsigneuncontratavecunmajor
del’industriedudisqueetentrechezCBSRecordsCanada.Contratsetenregistrements
vontsesuccéderdurantsixans.Ilsigneuncontratd’éditionavecATVMusicPublishing.
IlenregistresontroisièmealbumenlanguefrançaiseDrôledeNuitàNewYork,avecle
producteurVitoLuprano.CepremierdisquesouslelabeldelafirmeCBSrencontreun
grand succès populaire et deux chansons atteignent le n°1 des hit parades de radios
francophonescanadiennes.FrancisMartinparticipeàdesémissionsdetélévisionsetde
241
radiosetfaitl’objetd’articlesdepresse.Ilenregistreun4èmealbumavecleproducteur
Aldo Nova sous le label de la firme internationale Sony Musique. Quatre chansons
deviennent n°1 au hit parade du Canada francophone et quatre vidéo clips sont
enregistréesetdiffuséessurdeschaînesde télévision. Ilatteint lechiffredes300'000
disquesvendus.IlfaitunetournéeavecCélineDiondontilassurelespremièresparties
desconcerts.
La prochaine partie du récit de FrancisMartin introduit l’«annonciateur», qui prend
place dans toutes les biographies de médiums, ainsi que celui du témoin du fait
exceptionnelquifaitentrercerécitdansleregistredumerveilleux.Lorsd’uneémission
de télévision, Kaya rencontre un astrologue qui lui révèle qu’il est un «être très
spirituel» et qu’il a une grande mission à accomplir sur Terre. En 1995, un de ses
«fans»sesuicideetdésigneKayacommehéritier.L’exécuteurtestamentairedemande
àFranciss’ilareçutuncourrierdecethommeluiannonçantqu’ilseraitcouchésurson
testament.Francisserendàsonbureau,et
«devantlesdizainesdeboîtespleinesdecourrierdefans,ilparlehautetfortauCielenlui
disantque s’il doit trouver la lettre, qu’il la trouve instantanément. Son assistante Lise
assiste à cemoment inoubliable. Francis prend une des dizaines de boîtes au hasard, il
ferme ses yeux,plonge samainaumilieudesmilliersde lettresque laboîte contientet
sortune feuilleenpromettantàhautevoixquecesera laseuleetquesi cen’estpas la
bonne,alorscelaveutdirequ’ilneméritepascethéritagevenantd’undestin inconnu.Il
tire au hasard la lettre… c’est l’unique et la seule lettre que le notaire demandait. Son
assistanteLiseest,commeFrancis,foudroyéeparcequivientdesepasser.Sansmots,les
yeuxdansl’eau,bousculéparcedestinquiseconstruitsoussespas…ilnecomprendpas
cequisepasse...Ilremettralalettrelelendemainetobtiendral’héritagedecetinconnu.»
Lerécitestexemplaire,etparvientàtransformerunacteduquotidiendeFrancisMartin
ayantcommecadrelebureauqu’ilfréquentechaquejourenunthéâtreoùlesujetest
conduitpardes«forcesextérieures»versundestinquidoitêtre le sien.Aprèsavoir
242
reçucettesuccession,FrancisMartindécidedenepassignerunnouveaucontratavec
Sonyetdeprendreuneannéesabbatiquepour«voyagerdansplusieurspays».
Dans une autre biographie publiée en 2012 dans un journal sur les médecines
alternativesquiestdistribuégratuitementdans lespharmaciesenFranceetreprissur
sonsiteweb,92 apparaîtunnouveaubiographème.A laquestiond’une journalistesur
son«fabuleuxdestin»,Kayarépond:
«J’aiéténuméroundanslespalmarèspendantdenombreusesannées....J’avaistoutce
qu’onpeutespérer, lesuccès,descontrats,desmillionsdedollars,mais lamatièren’est
pas quelque chose qui me satisfaisait. J’avais besoin de trouver autre chose, de me
connaître profondément. En tant qu’artiste je visitais des enfants malades en phase
terminale.A26ans,j’aieuunappelàproposd’unejeunefillede19ansquiallaitdécéder
ducanceretquiavaitrêvédemoi,elledevaitmeparler.J’aipasséavecellel’après‐midila
plusextraordinairedemavie. Ellem’a révélédes secrets,maisaussi lesgrandesétapes
quej’allaistraverserdansmavie.Deuxsemainesplustardelleestvenuemevoirenrêve
pourme remercier. Ellem’aemmenédansunepièceoù toutétaitnoir, etau centre, se
dressait une table avec un miroir posé dessus. Dans ce miroir se trouvait le tunnel de
lumièreque l’onvoitquandonmeurt.C’étaitd’unebeauté inexplicable.Ellem’aditque
j’étaisautoriséàregarderdanscetunnel,etquecelam’aideraitàtrouverdesréponses,à
metransformer.Quelquesminutesaprèsmonréveil,onm’aappelépourmedirequ’elle
venaitdedécéder.Etlàjesuisrestésansvoix.Dujouraulendemainj’aitoutarrêté.J’aidit
àSonyMusicquejenereviendraispas.»
Cettepartiedurécit introduitunélémentrécurrentdanslesbiographiesdesmédiums
guérisseurscontemporains,celuide l’expériencede lamort imminente,queKaya fera
enrêvesouslaconduited’une«morte»,quidesonvivantendosseaussilafonctionde
deuxième«annonciatrice».
92http://www.soleil‐levant.org/presse/article.php3?id_article=1015
243
Cettemêmeannée,en1995,Kayadécided’abandonnersacarrière.Ilseretiredansun
chaletdesLaurentides,ilprie,méditecommence«uncheminementspirituel»,s’occupe
de sa fille Kasara, née en 1993 et se sépare de sa compagne. Sa production onirique
s’intensifie,«ilfaitdix,vingt,parfoiscinquanterêvesparnuit»,etalterne cauchemars
etrêvesd’une«beautéexceptionnelle». Ilraconteundesesrêvesainsi:
«Il y avait un forgeron tout en or dans le ciel, comme un Ange. C’était absolument
magnifique.Ilétaitd’unepuissanceetd’unesplendeurquejen’avaisjamaisvues.J’avais
l’impressiondeleconnaîtreetilmeregardaduHautduCielendisant:«Est‐cequetues
prêt?Onrecommence…».Je luirépondis:«Maisonrecommencequoi?»C’estaprèsce
rêvequetoutacommencéàsebouleverser.»
Durantuneautrenuit,«Il reçoitenrêveunnouveaunomJamesKayaField».L’année
suivanteilquitteleCanadapourlesEtats‐Unis,ils’installedanslevillagedeColdSpring
dansl’EtatdeNew‐Yorketdevientl’aidesoignantd’unricheaméricainde80ansatteint
d’uncancer jusqu’audécèsdecelui‐ci.ChristianeetKayaserencontrenten1996,à la
suited’unrêve,commerelatéplushaut,etsemarienten1998.
Les autobiographies de FrancisMartin Lavergne alias FrancisMartin alias James Kaya
Field alias Kaya, ponctuées de transformations d’identités accompagnées de
changement de nom, se lisent comme une succession de récits de conversion dans
lesquels chaque épreuve marque un nouveau tournant et acquiert une valeur
démonstrative.Resteàsavoirquelsespacessociauxatraversélatrajectoireindividuelle
deChristiane,avant ladatedesa rencontreavecKaya,pourqu’elle seconvertisseen
instanced’énonciationpubliqued’unecosmologiesingulière.
3.7.2.AutobiographiedeChristiane
ChristianeestnéeetapasséunepartiedesavieàGenève.Sesparentssontépicierset
tiennent un magasin sur la rue de Lausanne. Les parents de Christiane sont des
244
commerçants qui travaillent de nombreuses heures dans la journée, et durant son
enfanceetadolescence,elleestpriseenchargependantunepartiede la journéepar
une grande tante. Son temps se partage entre sa scolarité, le petit commerce de ses
parentsetdesséjoursrégulierschezla«grandetantequiétaitdevenuetrèsspirituelleà
lasuitedusuicidedesonmari93».Christianenousprésentesonenfanceetsajeunesse
enaffirmantque«jusqu’àl’âgedevingt‐et‐unans,mavieaététrèsprospèresurtous
lesplans».PourquiconnaîtGenève,laruedeLausanne,oùsetrouvel’épiceriedeses
parents,n’apparaîtpascommeappartenantàunquartieraisé.Situéeàproximitédela
gareprincipale,ellealescaractéristiquesdecesruesquirestentsouventlethéâtrede
lieuxnocturnespouruneclientèledepassageetdepratiquesplusoumoinsinterlopes.
Néanmoins,Christianeinsistesurla«prospérité»desasituation,enmettantenvaleur
une grande tante qui est productrice d’une double «prospérité» matérielle et
«spirituelle»: «J’étais très choyée. Ma grande tante – qui, entre autres, était très
spirituelle – m’offrait beaucoup de vêtements. Comme j’allais dans une école où les
enfants n’étaient pas forcément très riches, je me sentais gênée de cette prospérité.
Lorsquej’étrennaisunenouvellerobe,j’étaismalàl’aiseparcequejesentaisl’enviede
certaines autres filles.» Dans ses récits, elle ne fait aucune allusion à des frères ou
sœurs,cequilaissesupposerqu’elleestenfantunique.Nousapprenonsquesamèreest
italienneetquecelle‐ciavécusonenfanceàlacampagneenItalie,«oùcontinuedese
transmettretoutessortesdesuperstitions»tandisquesonpère«luin’ycroyaitpasdu
tout». Quittant les métaphores vestimentaires, mais non le thème de la prospérité,
Christianeapportequelquesélémentssursontrajetdeviecontribuantàenfaireunrite
biographique.Avingtetunan,ellesemarieetpeudetempsaprèslanaissancedeson
fils, son mari qui était «quelqu’un, qui avait beaucoup de moyens financiers, a
brusquement fait faillite». Cette situationgénèredes inquiétudes chezelle aussi bien
surunplanfinancierquesocial,«jecraignaisquenosamisetlesautrespersonnesqu’on
côtoyait ne changent leur regard sur nous». Elle a vingt‐deux ans et entreprend des
93 http://www.angelicapratica.ca/a‐propos/christiane‐muller‐nd‐ac juin 2012. Toutes les citations
extraitesdecesite,ainsiquedesonouvrageco‐écritavecKaya:Commentlirelessignes,sontmisesen
italiques.
245
étudesuniversitairesqui luipermettentd’accéderàuneautonomie financièreetàun
statutsocial.ChristianefaitcarrièredanslemilieubancaireàGenèvependantseptans.
Elle est d’abord « courtier référencé pour la bourse de New York», puis devient
«l’adjointe d’un président de banque américaine à Genève et occupe des postes
prestigieux auprès des hommes les plus riches d’Europe». Selon sa biographie, «un
voyage en Inde va marquer un tournant» et Christiane, en 1992, quitte son milieu
professionnel et travaille dans un programme de réinsertion pour personnes sans
emploi. En 1994, elle émigre au Canada, et dans des circonstances et contextes non
précisés,ellevas’intéresseràlaKabbaleetàl’«Angéologie».
Elle rencontre Kaya en 1996. Lamême année, elle organise sa première conférence
publique sur l’«Angéologie traditionnelle» dans le sous‐sol de sa maison à Saint‐
Sauveur‐des‐MontsdanslesLaurentides,auQuébec.Celle‐ciseralepréludeàdescycles
deconférencesetd’ateliersorganiséssous lesigle«Ange72».Lecouplesemarieen
1998, et vamettre en place ce qui deviendra une entreprise culturelle enmultipliant
toutd’abordlesconférencesetateliersenfrançaisdansplusieursvillesduCanadaeten
anglaisdans larégiondeNewYork,puisendéveloppantavec l’appuidebénévolesun
réseau d’intervention en Europe, dont les lieux d’ancrage principaux restent la Suisse
romande et la France. Cette démarche s’inscrit et suit le courant des pratiques dites
«New Age», qui se développe dans les sociétés occidentales nord‐américaines et
européennesetvoit fleurir les librairiesetmagasinsspécialisésdans les«productions
spirituelles».Poursedémarquerdecetteoffreimportanteetaffirmerunesingularité,
en 1999, Kaya et Christiane se rendent à Gérone, et avec les bénéfices de cette
opération,déjàdécrits, ils créenten2001 l’Univers/CitéMikaël–UCM,dont le statut
légal est celui d’«organisme sansbut lucratif». Cette associationgère les éditionsdu
même nom, et publie des ouvrages en plusieurs langues sur l’«Angéologie
traditionnelle». Elle organise des tournées de conférences, des ateliers et des stages
donnésparlesauteursdontlesinterventionspubliquesetlesréactionsdesparticipants
nourrissent à leurs tours l’écriture de nouveaux ouvrages. Cette entreprise propose
246
aussi des produits dérivés tels que CDs de musiques «inspirées par les anges»,
calendriers, cartes postales avec des peintures représentants des anges, tuniques de
couleurs pastel et médaillons, sous forme de cercles dorés percé en son centre,
reprenantlareprésentationd’une«sephira»dudiagrammedel’«arbredevie».Faceà
la multiplication des ouvrages et des sites web se réclamant des anges, le groupe
«Anges72»prenden2008,lenomdesamaisond’édition:Univers/CitéMikaël‐UCM.
Cette expansion s’est faite en parallèle avec le développement des nouvelles
technologiesetdesréseauxsociauxparla«toile».Unsitewebd’hébergementcomme
YouTube,quidémarreen2005auxUSAeten2007enFrance,permetà l’Univers/Cité
Mikaëldemettreenlignedessériesdevidéoreprenantdesémissionstéléviséesoudes
conférencesdeChristianeetKayaetdès2012desclipsvidéodeKayaetdesongroupe
musical.Cetteproliférationd’imagespermetdemaintenirunecommunicationrégulière
aveclesparticipantsauxdifférentesactivitésdel’Univers/CitéMikaëletdesusciterde
nouveauxintérêts.S’appuyantsurlestechnologiesinformatiques,l’Univers/CitéMikaël
organiseaussidesséminairesetcoursdeformationparvidéoconférence.
En plus du couple fondateurs de l’Univers /Cité Mikaël, deux autres couples, un
québécois et un français, formés par eux, donnent également, depuis ces dernières
années,desconférencesetdesateliers.Depuissonenfance,Kasara, lafilledeKaya,a
suivilaplupartdestournéesdeconférencesdesonpèreetdeChristiane.Depuis2013,
âgéealorsde20ans,elle reprendseuleunepartieducircuit internationaletpropose
aussiunesériedeCDdeméditationetdeuxouvragesprésentéscommedesextraitsde
sonjournalpersonnel.
En2011,Kaya,dansunrêve,«retrouve»sesancienscollaborateursdel’équipedeSony
Music «qui lui prédisent un succèsmondial s’il reprend sa carrièremusicale», qu’il a
abandonnéedepuisquinzeans.Danssonrêve,Kayasevoitacceptercetteproposition.
Lelendemainmatin,ilreçoituneinvitationpourparticiperàuneémissiondetélévision
pourchantersesancienssuccès.Peudetempsaprèscelle‐ci,ildécidedecontacterun
247
de ses anciens producteurs et enregistre l’album «Born Under the Star of Change»,
dontildit«toutenétantunalbumrythmé,meschansonsparlentdemavied’ermite,de
mesquestionnements,despiritualité».Pouraccompagnerlasortiedecetalbum,selon
les lois du métier et les stratégies de communication de l’industrie du disque, la
présentation du chanteur sous le titre «Biographie officielle:Né sous l’étoile du
changement» est publiée sur un site internet.94 Elle est reprise par les journaux
d’actualitésmusicales.Sa lecturedéclencheunesériedecommentairesdans lemilieu
delamusiqueactuelle,surdesblogsd’internautesetdansdesarticlesdepresse,tous
aussicritiquesouironiquessursonretourmusicalquesursondiscourssur«l’expansion
planétaire»deladiffusiondesesouvragesetsurson«abracadabrantebiographie».
Selon le site web, en 2012, l'association Univers/Cité Mikaël fonctionne «en
collaborationavecdescentainesdebénévoles95etd'associationsdansplusieurspaysà
travers lemonde,à ladiffusionde l'AngéologieTraditionnelle,de l'Angelicayogaetde
l'interprétation des rêves. Les sites internet français, allemand et anglais sont
maintenant visités dans plus de 78 pays, avec près de 350’000 visiteurs par an».
Toujours selon les informations données par le site web, l'Univers/Cité Mikaël se
présente comme une structure essentiellement bénévole. Seules deux personnes ont
des postes administratifs salariés. Les enseignants et les membres du conseil
d'administrationsonttousbénévoles.
Leprogrammedesconférences,ateliersetstagespourlaSuisseromandeestaccessible
sur le sitewebde l’organismeetaussidiffusé régionalement sous formededépliants
par des bénévoles qui les déposent dans les «salons demédecines naturelles», des
magasinsdeproduits«bio»ou«ésotériques».Lesrencontresontlieudansdessalles
communales, de paroisses ou d’écoles et suivent un circuit de tournée préétablie qui
quadrille,pour laSuisse romande,desvillesdistantesd’unesoixantainedekilomètres
94http://aupaysderosalie.centerblog.net/3967‐biographie‐de‐francis‐martin,publiéle20/02/2011
95Selonlesite:www.ucm.ca,lenombredesbénévolesactifsauniveauinternationals’élève,en2012,à
420personnes.
248
pendant deux mois chaque année répartis sur une session de printemps et une
d’automne.Deuxfoisparannée,enhiveretenété,l’Univers/CitéMikaëlproposeaussi,
enSuisseetauQuébec,des séminairesou stages surquatreà cinq jours,donnéspar
plusieurs animateurs. Ceux‐ci se déroulent dans des lieux à l’écart des villes, en
campagne ou montagne, et s’accompagnent de pratiques «artistiquesintuitives»:
peinture,dessin,chant,à lasuiteoudurantune«méditation»,c’est‐à‐direenétatde
«transelégère».Lesrepassont«végétariens,sainsetéquilibréspourfavoriserunétat
méditatif».Dans chaque région, lesbénévoles locauxétablissent lesplansde tournée
desconférenciers,louentlessallesetleshébergementspourlesparticipantsauxstages,
prennentenchargelesquestionsd’intendanceetadministrativeslocales,obtiennentles
autorisations demanifestation, informent la presse, distribuent des flyers, collent des
affichettes et logent les conférenciers qui se font un point d’honneur de se faire
hébergerpareux,dans l’intimitéde leur foyer, s’affirmantainsi commedesmembres
appartenantàunemêmefamille.
3.8.Lesateliersdel’Univers/CitéMickaël
J’ai suivi entre 2006 et 2011, plusieurs «journées atelier» données par Christiane et
Kaya,puisparundeuxièmecouplequébécois,DeniseF.etFrançois,formépareux.Ces
«journées atelier» s’inscrivent dans un cursus d’apprentissages progressifs de
techniques de développement personnel. Elles se présentent comme une série de
conférences développées sur différents registres d’énonciation et accompagnées de
démonstrations d’«exercices» permettant aux initiateurs de cet «enseignement»
d’expliquer leurs méthodes et applications. Celles‐ci ne sont pas comprises comme
permettant une démarche de résolution collective des crises existentielles. Il s’agira
pour chacun de les appliquer pour parvenir à «une meilleure compréhension de ses
difficultésetprendrelesmeilleuresdécisions»,pouratteindreunmieuxêtreetrésoudre
sespropresdifficultés.
249
Univers/CitéMickaël:CartesdesAngesetl’arbreséfirotique
source:Kaya,ChristianeMuller,Commentlirelessignes.Psychologieinitiatique,2006,(2004),Univers/CitéMikaël
250
PourmieuxmettreàjourledispositifperformatifdeChristianeetKayaetdansquelles
situations se trouvent les participants, j’utiliserai, plus particulièrement, le matériel
ethnographiqued’unedes«journéesatelier»quis’estdérouléele20septembre2009,
à Lausanne, sur le thème «Les secrets cachés des rêves et des symboles». Les deux
praticiens ont dirigés d’autres «journées ateliers» sur lemême thème dans dix‐sept
autresvillesdeSuisseromandeentrele8etle27septembre2009.
3.8.1.Ateliersurlesspécificitésdel’«AngeHabuhiah»
Ce jour‐là, à Lausanne, le groupe «Univers/Cité Mikaël» se réunit dans un centre
paroissialprotestant.Quelquesdessinsd’enfantsornentlesmursducouloirquiconduit
versunegrandesalleimpersonnelledanslaquelledeschaisessontalignéesenrang.Un
projecteurvidéoplacésuruntrépiedencombrelecouloircentraletfaitfaceàunécran
de cinéma, à sa droite est placée une petite table avec un ordinateur et un micro.
L’agencementdel’espaceestsemblableàn’importequellesalledecoursetpréludeà
une intervention didactique comparable à celles qui se déroulent dans les salons de
MednatExpo.Unpetitgroupedefemmesportantdesvêtementsdecouleurblancheou
pastelaccueillelesparticipants.Aprèss’êtreacquittédelafinanced’entrée96,ets’être
inscrit sur la «mailing list», «qui lui permettra de recevoir régulièrement les
informationssurlesactivitésdugroupe»,leparticipantreçoitunfeuilletdedimensions
A5quicomporteenhautledessind’uncercleavecunpointnoirensoncentreetsous
lequelest inscrit lenuméro, lenomet la listedes«qualitésetdistorsions»de l’Ange,
qu’il apprendra à mieux connaître durant la«journée atelier». Sur une table, à
proximité de l’entrée de la salle de conférence, sont présentées les publications de
l’Univers/Cité Mikaël, parmi lesquelles un petit livre et un jeu de cartes attirent
l’attention. Ils présentent les soixante douze anges selon le même principe que le
96En2012,leprixdel’atelierestde120.‐francssuisses,soitenviron100euros.Leprixétudiantestde
100.‐francssuisses.
251
feuillet distribué à l’entrée.97 Cet ouvrage contient un «calendrier angélique» qui, à
l’équivalentdestabellesastrologiques,permetdedéfinir les«influencesangéliques».
J’ai déjà vu à plusieurs reprises cet ouvrage ainsi que le jeu de cartes et le livret qui
l’accompagne sur des stands de MednatExpo, parmi le matériel divinatoire des
médiumsguérisseurs.Ce«calendrierangélique»permetàchacundedéterminer,selon
des combinaisons liées soit à l’heure ou au jour de sa naissance, les noms des trois
«angesgardiens» qui vont l’«accompagner» selon «les trois plans: physique,
émotionneletintellectuel».
Les «journées ateliers» sont suivies enmoyenne par une soixantaine de personnes,
dont quatre cinquième de femmes, de toutes origines sociales mais avec une
prédominancedepersonnesd’unmilieusocialaisé.Certainespersonnesviennentpour
lapremièrefois,d’autressuiventcespratiquesdemanièresporadiqueetnonexclusive.
D’autres encore sont des habituées, elles montrent leur plaisir de participer à ces
rencontres et de se retrouver entre elles en le manifestant par de vigoureuses
accolades. Ces personnes, en dehors des séances collectives, ont une pratique
«récitatoireangélique» individuelle et journalière. Elles «s’entraînent» aussi
régulièrementà l’observationdes«signes»dansdiversessituationsduquotidienafin
d’acquérir la maîtrise des «lectures de synchronicités». Certaines d’entre elles ont
ouvertdescabinetsdeconsultationoudispensentdessoinsàdomicilecommeSylvie.
Ellesutilisentlaméthodedel’«AngéologieTraditionnelle»,maisaussid’autresoutilset
techniques de développement personnel ou de lamédiumnité acquises chez d’autres
médiums.Lesparticipantsserépartissentleschaisesets’asseyentenattendantledébut
decetatelier.Lesilencesefaitàl’entréedeChristiane.Elleporteunetuniqueasiatique
bleu turquoise, elle est de corpulence fine et de taille moyenne, les cheveux blancs
coupés trèscourts, lesyeuxbrunset le sourireéclatant.Bienqu’ellenedonne jamais
sonâge,elledoitbienapprocherdelasoixantaineen2009.
97Voirillustrationp.249
252
Christiane introduitunpremier registred’énonciation inscritdansun régimereligieux.
Elleinvoquel’entitésouslaprotectionetl’autoritédelaquelleestplacél’atelier.Sousla
conduitedeChristiane,lesparticipantspsalmodientlenomd’Habuhiahdurantplusieurs
minutes en jouant sur des variétés de tessitures pour transformer cet appel en une
formedechantchoral.Cettepolarisationsurunregistrereligieuxetlyriqueestensuite
abandonnéeauprofitd’unenouvelleposture.Laconférencièreengagelesparticipantsà
prendreenconsidérationlefeuilletdistribuéàl’entrée.Celui‐ciseprésentecommeune
liste, sur laquelle les participants peuvent lire les «qualités» et les «distorsions» de
l’Ange68,quiportelenomd’Habuhiah.Ses«qualités»sonténoncéesainsi:
«guérison,ajusteetréglemente lesdésirs,réajustementauxNormesDivines,rééquilibre
lesdéphasageset lesdécalages,amourde lanature, vieà la campagne, espaces libres,
agriculture,récolte,expertiseagricole»
etses«distorsions»:
«terreinfertile,famine,attitudeanti‐vie,invasiond’insectes,pollution,misères,maladies
contagieuses,épidémies,doublevie,décalageentrelespenséesetlesémotions,n’estpas
àsa justeplace,réticenceàabandonner lesvieuxprivilèges,déphasageentred’unepart
cequel’onsouhaiteêtreetfaire,etd’autrepartcequel’onestetcequel’onfait,pourles
femmes:tendancedominatrice,pourleshommes:tendanceàselaisserdominerparles
femmes»
Lestrois«plans»sontreliésàdesdates:
«physique:25févrierau29février,émotionnel:4janvier,16mars,29mai,12août,25
octobre,intellectuel:22h20à22h39»
Lefeuilletdonneégalementl’indicationdu«domicile»del’Ange68:dansla«sephira
Yesod»etplacesa«spécificité»dansla«sephiraGuébourah».
253
Les indications de ce feuillet me renvoient aux énoncés des cartes divinatoires ou
d’oracles qui procèdent par les mêmes genres de formulations donnant au médium
toutes les latitudes d’interprétations. Christiane demande de prendre en compte les
données sur le «domicile» et la «spécificité» de l’Ange, qu’elle va reprendre en
entraînant son auditoire dans un nouveau registre explicatif. Sur l’écran apparaît un
diagramme. Il se présente sous la forme de dix cercles dorés dont les centres sont
percésd’untrourond,reliésentreeuxpardesdoublestracés,commedeschemins,sur
lesquelsnouspouvonsliredesnombresetdeslettrestiréesdel’alphabethébraïque.La
praticienne explique que chaque cercle est une «sephira», une «sphère céleste» et
que ce schéma représente l’«Arbre de vie ou l’ordinateur cosmique».98 Ce premier
diagrammeestsuivid’un tableau listant lenomdescerclesassociésàdesgroupesde
huitangesplacéssousladirectiond’unarchange.Lesangessontnumérotésde1à72.
La dixième «sephira», la plus basse dans cet organigramme, est bien placée sous la
protection d’un archange mais n’«est habitée» par aucun ange, elle représente la
Terre.Lapremière«sephira»,dite«lacouronne»,estassimiléeàlavolontédivine.Ce
diagrammereprésenteune«échelle»entrecieletterresurlaquellesesuperposeune
hiérarchieangélique.Laconférencièreprojetted’autresimagesouschémassurl’écran.
L’und’euxmontreunesilhouettehumainedontlesorganessontmisencorrespondance
avec les planètes du système solaire, rappelant les schémas utilisés par lesmédecins
astrologuesduMoyenAge.Unautredessin,dit«laplanchedesseptchakras»,montre
une autre silhouette humaine, les sept centres d’énergie du yoga sont représentés
comme une chaîne de lotus le long de sa colonne vertébrale et rejoignent «la
couronne». Ces représentations graphiques sont connues d’une grande partie des
participants qui suivent régulièrement les ateliers de Christiane. On les trouve
également dans plusieurs ouvrages ésotériques, sous des formes plus ou moins
complexifiées.Certainsauteursésotériquesplacent,surleschémadel’arbredevie,les
cartes de tarot sur les «chemins» qui relient les «sephirot» entre elles. Ou encore,
comme Christiane, ils font apparaître les sept centres d’énergie du yoga, sur l’axe
98Voirillustrationp.249
254
centraldudiagramme,lelongdu«troncdel’arbreséfirotique».Cescartographies,bien
que leur graphisme ne soit pas comparable, renvoient à l’idée des planches
anatomiques. Elles servent de supports à un exposé de Christiane dans lequel les
registrescorporel,cosmologiqueetmétaphysiquesesuperposent.Cesimagesfacilitent
laproductionmétaphoriquenécessaireàtoutecuresymbolique.
Christiane,quittant leconceptde l’«homme‐cosmos», introduit lesparticipantsdans
une autre représentation du corps humain, liée cette fois‐ci au temps et non plus à
l’espace. Elle considère que l’être humain porte dans ses gênes l’histoire familiale,
sociétale et culturelle de la lignée de ses ancêtres. Il porte aussi, selon elle, dans ces
cellules lesmémoiresdesesviesantérieures,cettehypothèseestconsécutiveà l’idée
de réincarnation des âmes. Les participants apprendront que «le travail avec l’Ange
Habuhiah réactive nos mémoires anciennes et nous permet de nous connecter
consciemment à elles.» Certaines d’entre elles, de même que les traumatismes
infantiles, devront être «nettoyées». Pour mettre en application ce «nettoyage»,
Christianeproposeauxparticipantsdelesinitierau«yogaangélique».
3.8.2.L’atelierdeyogaangélique
Lesparticipantssontinvitésà«semettreàl’aise»,pourlapratiquedel’AngélicaYoga,
à enlever foulard, ceinture et chaussures, et à s’installer «confortablement» sur des
tapisdemousse,qu’ilsaurontpréalablementdisposédanslasalledeconférenceaprès
avoirempiléleschaisescontrelesmurs.Cettepartieseveutunedémonstrationdece
que leparticipantpourrareproduirequotidiennementchez luienécoutant lesCDsde
«AngelicaMéditation» enregistrés par Christiane.99 Lamusique qui accompagne cet
99DisquesAngelica/AngelicaRecords(UCM).Cettecollectioncomporte12CDsaveclesenregistrements
detextesde«méditations»ditsparChristianesurunfondmusicalet12CDsexclusivementmusicaux,les
24 CDs comportent chacun six méditations «inspirées» par un ange spécifique. Chaque plage de
méditation dure 12 minutes et l’ensemble du CD fait 72 minutes. La circularité des «signes» est
parfaitementinstaurée.
255
exerciceestprésentéecommeétantunecompositionoriginalequiaété«inspirée»par
cet Ange à un musicien, de même que pour les 71 autres méditations, enregistrées
égalementsurCDs,pourlesquelleslescompositionsmusicalesontbénéficiédesmêmes
«muses».IlestrecommandéauxparticipantsdeseprocurercesCDspourdévelopper
cetexercice,régulièrementchezeux,etdel’ajouteràl’invocationjournalièred’unAnge.
Endehorsdel’atelier,pourinvoquerunAnge,l’opérationestsimple:ilsuffitderépéter
son nom en prenant chaque fois une inspiration, et cela même en effectuant ses
activitésquotidiennes.Lenombredefoisestlaisséàl’estimationdechacun.Lechoixde
l’Ange peut porter sur les qualités que l’on veut développer, il est aussi possible de
suivrele«Calendrierangélique,planphysique»quialloueunepériodedecinqjoursà
chaqueAnge.Danslesdeuxcas, ilestrecommandéde«n’utiliserqu’uneseuleEnergie
Angélique»àlafoispendantunepérioded’aumoinscinqjours.
Christiane, micro en main, parle avec une voix placée sur une tessiture plus basse
qu’habituellement,pourutiliserune fréquencevocale facilitantune formed’induction
hypnotique. Elle recommande aux participants, assis sur les tapis en «position de
méditation»100,defermerlesyeux,«d’oublierleurmental»etdeselaisserporterpar
sa voix. Le thème de cette méditation est: «On récolte ce que l’on sème».Le
participant devra suivre le «voyage» que lui propose Christiane et«faire face à sa
vérité», comprendre qu’il ne dépend pas de son libre arbitre mais
d’«expérimentations»qu’ilamenédanscetteexistenceoudansdesviesantérieures.Il
sera ensuite «transporté» devant un tribunal de conscience, composé de plusieurs
«sages célestes qui l’observent avec amour».Devant ce tribunal des anges, il devra
«témoignerouvertementsur sesagissements, comportementsetattitudesquiontété
injustes et contraires au bien de son évolution et de celle des autres». Durant toute
l’induction de Christiane, les participants vont pratiquer des exercices d’«Angélica
Yoga».Cettedisciplinesebasesurunepratiquerespiratoire,quiconsisteàrépéter le
100Lapersonneestassiseentailleur,ledosdroit,lesdeuxbrasenavantcoudesaucorpsetpaumesdes
mains«offertesauxciel».
256
nomde l’Angeenmodifiant les rythmesde sa respiration, et surdifférentespostures
corporelles,définiesselondixgroupesdeseizeexercices,chaquegroupeportantlenom
d’une«sephira».Cespratiquesrespiratoiresappartiennentauxtechniquescorporelles
connuesquiprovoquentdesmodificationsdel’étatphysiquedelapersonneetfacilitent
les états altérés de conscience. L’invocation de l’Ange ressemble à unmantra, ce qui
laisse supposer que la répétitivité du mot et les vibrations des sons ont l’efficacité
particulière recherchée à savoir cette progressive intégration d’un «état autre» où
l’espritoul’âmepeut«divaguer».
Christianeconclutson inductionparquelquesminutesdeplagemusicalesuiviedeces
mots:«Maintenantjelaissepartircesimagesenavançantsurlechemindelavérité».
Pendantlaminutequisuit,ellerépèteenchantonnant:«onrécoltecequel’onsème»,
etterminepar«connais‐toitoi‐mêmeettuconnaitraslavérité».Aprèscetexamende
conscience, les participants chantent en chœur le nom de l’Ange pendant plusieurs
minutesaccompagnésparlapraticienneetunfondmusical.
Le chant et la musique semblent relever de l’ineffable, susciter l’émotion, agir sur
l’intérioritédescorpsetdesimaginairesetappartenirencommunauxhommesetaux
anges.Danslatraditionchrétienne,leschœursd’enfantsporterontàl’égaldeschœurs
d’anges,quidit‐onentourentleCréateur,cetidéaldepuretéetd’innocencenonencore
sexuée. Pour prolonger cet état, la voix masculine sera traitée dans l’aigu, et par sa
hauteurévoquelessphèrescélestes,àtraversdestechniquesd’apprentissagevocaleou
par desmutilations devant permettre de retrouver une «unité primordiale» perdue.
Les interventions de Christiane par lesquelles, elle manipule différents registres ont
permis à chacun de s’«approcher» de cet «état angélique», de cet ange, dont les
«contours» se précisent, à travers la «relation» d’extériorité qui se définit avec lui.
Kaya,danssonintervention,replaceral’angedansuneintérioritédusujet.
257
3.8.3.Exercicespratiquesdedéchiffrements
LatroisièmeetdernièrepartiedecettejournéeatelierestconduiteparKaya.Ilporteun
«polo»decouleurpastel,detailleplutôtpetitepourunhomme,ilalescheveuxbruns
etcourtsetportebarbeetmoustachetailléesprèsduvisage. Ila lesyeuxbrunset le
même sourire éclatant et rassurant. En 2009, Kaya a un peu plus de quarante ans. Il
annonceledéroulementdesoninterventionqu’ilpartageendeuxparties.Lapremière
est une présentation, «afin que tous les participants accèdent à unmême niveau de
connaissance», et la seconde permettra de «recevoir des témoignages », soit de
procéder à une séance d’interprétation des rêves que les participants accepteront de
«partager»avecl’assemblée.
Danscetteavantdernièrepartiedela«journéeatelier»,Kayaseplaced’embléedans
un registre psychothérapeutique et rappelle que la principale qualité de l’Ange
Habuhiah est la guérison. Pour lui, il faut comprendre qu’il existe une «loi des
résonances» entre la personne et son environnement. Pour «apprendre à se
connaître»,Kaya«utiliselequotidienetsonenvironnement».Lorsqu’unélémentlefait
réagir, parune sensationouun sentiment, c’est le signequ’unede sesmémoires est
réveilléepar cet événement. En étant attentif à ces signes, il «créeuneouverturede
l’inconscient». L’énoncé de Kaya reprend des éléments de la théorie jungienne de la
syncronicité,que l’onpeutdéfinirdemanière schématiquecommeétant l’occurrence
simultanée d’aumoins deux événements, qui ne présentent pas de lien de causalité,
mais dont l’association prend sens pour la personne qui les perçoit.101 Dans ses
101 «Partant de son expérience clinique, Jung a défini en son temps la syncronicité sur deux niveaux
distincts:ilrelèved’aborddesphénomènesdesynchronicitéauxquelsilaétésouventconfrontédanssa
proprepratique,phénomènesquiconsistentdanslarencontresignifiante,c’est‐à‐direporteused’unsens
privilégié pour les sujets qui les vivent, d’un état psychique déterminé avec un événement physique
extérieuretobjectif,oubiend’unétatpsychiqueintérieuravecunévénementsituéendehorsduchamp
de perception normalement possible de la personne (nous pouvons penser par exemple à la fameuse
vision par Swedenborg de l’incendie de Stockholm, que rapporte Emmanuel Kant dans Les rêves d’un
visionnaire),ouenfindans«lacoïncidenced’unétatpsychiqueavecunétatfuturquin’existepasencore,
258
premières conférences et ouvrages, Kaya présentait au public un schéma intitulé la
«PoiredeJung».Aufildesannées,cedessinseraremplacéparune listecomportant
lesmêmesdonnéesetsansmentiondunomdeCarlGustavJung.La«PoiredeJung»se
présentesouslaformed’uncônepartagéhorizontalementenplusieurszones,quiselon
Kaya, « représente notre âme avec ses différentes strates». Celles‐ci appelées aussi
mémoires sont formées par les différentes catégories d’«inconscients»: biologique,
collectif,ethnique,familial,personnel.Ladernièrestrate,formantlapointeducône,est
partagéeendeuxparties:lesubconscientetleconscientséparésparun«voile».102La
pratique respiratoire, en invoquant le nom des Anges, fait accéder le consultant aux
«états de conscienceAngéliques» soit à une forme altérée de la conscience et «fait
disparaîtrelevoileentreleconscientetlesdiversescouchesdel’inconscient.Ellepermet
d’avoir accès aux mémoires de l’âme ». Cet accès à ses «mémoires intérieures»
permettra à celui qui pratique cette technique «angélique» de se «nettoyer» en
quelque sorte de sa propre intériorité, de sa propre histoire pour revenir à cet état
primordial,àcetétatd’angedanslessphèrescélestes.
qui est éloigné dans le temps et qui ne peut être vérifié qu’après coup. Dans aucun de ces cas, une
explication,oumêmeunesimpleliaisoncausaleausensphysiquedecemotnepeutêtretrouvée‐d’oùla
nécessitéderecouriràuncadreconceptuelnouveauquidépasselanotiondecausalité,etsupposedonc
dece faitunstatutde lapsychéquisesitueau‐delà,ouendeçàde l’espaceetdutemps.»CAZENAVE
Michel,1995(1984),«Avertissement»,Lasynchronicité, l’âmeet lascience,REEVESHubert,CAZENAVE
Michel, SOLIE Pierre, ETTER Hansueli F., PRIBRAM Karl, FRANZ von Marie‐Louise, Paris, Albin Michel,
(Espaceslibres),p.8102 Dans les va‐et‐vient des usages des différents régimes de vérité, les médiums guérisseurs citent
facilementlenomdeCarlGustavJung,quis’estintéresséàl’occultismeeta,sansdoute,étél’initiateur
de l’explication de certains phénomènes paranormaux en utilisant notamment l’hypothèse de
l’«inconscientcollectif».Ceconcept,quiparailleursenlui‐mêmeaétéreprisetdéveloppépardifférents
courants de la psychologie et de la psychiatrie, a servi de fondement et d’imaginaire à une culture
syncrétique ésotérique. Celle‐ci l’a repris en l’assimilant à l’idée d’une «mémoire universelle», ce qui a
permisdenouveauxdéveloppementsspéculatifs.Pourneciterqu’unexemple,la«mémoireuniverselle»
seraassimiléedanslapenséeNewAgeàla«bibliothèqueakashique»conceptdéveloppéparlecourant
delathéosophieaumilieuduXIXème
siécle,cequiparcechangementsémantiqueluidonneuneontologie
etparconséquentdenouvellesfonctions.
259
Cette technique d’auto‐analyse, par une «descente en soi» qui va permettre au
consultant de modifier ses représentations devra être pratiquée régulièrement. Ce
conseildistinguelegroupeUnivers/CitéMikaëld’autresgroupesdanslesquelslaplupart
desmédiumsguérisseursrecommandeauparticipantdenepasselivrerseulàcegenre
d’exercice tant qu’il n’a pas acquis la pleinemaîtrise de cette pratique. Ils soulignent
qu’une personne peu aguerrie ou fragile pourrait opérer une «décompression
psychique».
Kaya continue son intervention en citant trois exemples de rêves, dans lesquels
apparaissent, selon sa nosographie, des personnes souffrant des troubles mentaux:
épilepsie,autismeetsyndromed’Asperger103.Cherchantàdonnerunsensàlamaladie,
puisque selon lui «lemal est éducationnel», Kaya va développer sa propre
interprétation de ces troubles en mixant plusieurs registres explicatifs. Selon lui,
l’épilepsie «est, selon l’explication scientifique, une hyperactivité cérébrale, mais pas
unemaladiementale.Dansunrêve,c’estlesymboledel’accumulationdemémoires.Le
cerveaureçoitbeaucoupd’informationsquiarriventenmêmetemps, lecerveauà l’air
hyperactif,mais ilnepeutplusbouger, l’immobiliserparuneattaqued’épilepsie, c’est
l’aider.»SelonKaya,unétatconvulsifsemblableà l’épilepsiepeutaussisemanifester
«quand l’âme réintègre le corps après une sortie hors corps». Il sera d’autant plus
importantd’établirundiagnostic«juste»,puisquedessymptômesidentiquespeuvent
couvrir ces deux «réalités» différentes. Continuant l’aller et retour entre discours
scientifiqueetmétaphysique,Kayarappellequeleterme«autisme»aétécrééen1911
parleDr.EugèneBleuer,psychiatredenationalitésuisse.Laprécisiondeladateetdela
103Lesyndromed’Aspergerestclassédans lestroublesdu«spectreautistique».Souscetteappellation
sontregroupésdestroublesdudéveloppementhumaincaractériséspardesanormalitésetdesdifficultés
significatives dans les interactions sociales ainsi que par des intérêts restreints et des comportements
répétitifs.Lespersonnesatteintesdusyndromed’Aspergerontcependantundéveloppementdulangage
et cognitif relativement préservés par rapport aux autres troubles du spectre autistique, bien qu’une
utilisation atypique du langage et une maladresse physique soient souvent rapportées. Ce syndrome
semble plus courant chez l’enfant que chez l’adulte, et peut chez l’enfant aller en diminuant quand il
atteintl’âgeadulte.
260
nationalitédepraticien,nous introduitdansun régimeduvérifiable,de lapreuve,de
l’indubitable,etdevraitnous«conduire»àaccepterlasuitedespropositionsdeKaya,
àsavoirque les troublesmentauxqu’ilassimileàdes troublesde lapersonnalitésont
dessignesde«distorsions»oude«manquements».PourKayalapersonneautisteest
«unevieilleâmequin’apasnettoyésesmémoires»etlesyndromed’Aspergerpeutse
définircommeune«miseenrésonanceavec lesmémoiresd’autrui, lapersonneentre
tellement dans les mémoires de l’autre, qu’il ne peut plus interagir». Cette analyse
introspective, ne se fait pas sans mal, «un initié traverse des phases pénibles,
momentanément,maisilnerestepasprisonnierdecelles‐ci,carilsaitcequisepasse»,
celui‐ci sera «soutenu» dans sa démarche par des signes et des messages qui lui
parviendront dans des rêves mais aussi sous d’autres formes de différentes
manifestationsquiluipermettrontdeparacheversonapprentissageàsymboliser.
Kaya, reprenant l’exempledu syndromed’Asperger,décritune situationdans laquelle
«unepersonnequiensouffrearéussià fairedesonhandicapunequalité». Ilprécise
que cette situation est «hors rêve», et montre dans cet exemple qu’il assimile les
mêmesfonctionsthérapeutiquesàunautremédium:lecinéma.Sonrécitconcerneles
films du réalisateur Steven Spielberg. Kaya constate que dans sa filmographie la
thématiquedesextraterrestresest récurrente.Kayaprojette sur l’écran,placédans la
salle de conférence, quelques extraits de films tels que E.T., La guerre des mondes,
Rencontres du troisième type et les commente «comme si c’était des rêves». Il les
analyseentermesgénéraux:«Lorsquel’IntelligenceCosmiquenousmontreenrêvedes
extraterrestres, symboliquement cela signifie qu’elle nous met en contact avec des
aspectsdenous‐mêmesquisesituentau‐delàdeladimensionterrestre».Kayaconclut
cettepartiededémonstrationenaffirmantquesilesimagesdesrêvessont«desparties
du rêveur», les séquencesde ces films sont«desparties»de Steven Spielberg. Pour
Kaya,lorsque,ànotretournousvisionnonscesimages,noussommesdansunesituation
identiqueàcelledurêveuretnotremanièrederéagirnousindiquecequenousdevons
traiterennous,quellesmémoiresnousdevons«travaillerounettoyer».PourKaya,ce
261
qui a «déclenché» chez Steven Spielberg«l’ouverture à l’existence des mondes
parallèles en lui et à l’extérieur de lui etqui lui fit prendre conscience de l’existence
d’autres dimensions au‐delà de la planète Terre» c’est un événement qui l’a
impressionnélorsquequ’ilétaitenfant.Unenuitsonpèreleréveilla,ainsiquetoutela
famille, pour partir en voiture vers une destination inconnue. Et là, en pleine nature,
avec une foule d’autres personnes, ils ont assisté à une pluie de météorites. Ces
«anomalies naturelles», pour reprendre l’expression de Jean‐Pierre Albert, restent
valorisées à toutes les périodes historiques et peuvent faire l’objet d’interprétations
religieuses, pour Steven Spielberg la sublimation aurait pris la forme de la création
artistique. Dans le discours de Kaya, nous retrouvons l’événement, la pluie de
météorites, soit l’identification du «point de bascule» des «récits mythiques
d’individuation»évoquésparChristophePons (2011:95)et l’intérêt pour les formes
dela«culturepopulaire».
Endeuxièmepartiede l’interventiondeKayaeten finde la journéed’atelier, celui‐ci
demandequequelquespersonnesluiproposentdedéchiffrerleursrêvesnocturnes.Les
participants sont peu prolixes et ne lui soumettent que peu dematériel onirique. Ils
n’évoquent quequelques situations qu’ils désignent comme«étranges», commedes
«syncronicités» qui apparaissent dans le rêve ou ultérieurement dans des situations
diurnes,des«coïncidences»selon le termequ’ilsutilisentpluscouramment.L’undes
rêves est le suivant: deux sœurs ont fait le même rêve durant la même nuit, elles
étaientdanslamêmevoitureetcelle‐ciestsortiedelaroute,adévaléunepentepour
s’arrêternetaubordd’unerivière.Kayan’entrepasenmatièresur l’étrangetédeces
«rêvesjumeaux»et,commeenrèglegénéralpourlesautresrécitsderêvequiluisont
proposés,donnetrèspeudeclésdelectureenpublic. Ilsecontented’inciter lesdeux
sœursànejamaisprendreun«symbole»quiapparaîtenrêve«aupieddelalettre»
maisà réfléchirà l’ensembleducontexte,aucontenudu«scénario»du rêveetà ce
qu’ilévoquepourlesrêveuses.Il leurconseillelalecturedesespropresouvragesetsi
elleslesouhaitentdeluienvoyerlerécitdecerêveparécrit,cequiluipermettradele
262
proposeràlalecturedesétudiantsquiparticipentàsesséminairesd’interprétationdes
rêves.
3.8.4.L’expériencedurêvepourlesparticipants
Christiane et Kaya n’emploient que le terme «rêve», les autres termes tels que
«songe» ou «vision» sont absents de leurs conférences et écrits, à l’exception de
quelques procédés littéraires pour éviter la répétition du mot «rêve» dans deux
phrasesrapprochées.Ilsutilisentexclusivementl’expression«recevoirunrêve»etnon
l’usuelle«faireunrêve».Pourlesenseignantsdel’Univers/CitéMikaël,le«support»
rêveestun«attribut»angéliqueetauneoriginedivine.Lesséquencesdurêveet les
images sont envoyées par des «Guides», qui en assurent, en quelque sorte, la
traduction. Dans la pratique quotidienne des «rêveurs», adeptes de l’«Angéologie
Traditionnelle»,cettedistinctions’estompe. Ilsadressentunedemandeaccompagnée
de prières ou d’invocations à un Ange, et celui‐ci va leur apporter une réponse sous
forme d’un signe visuel ou d’une énigme à résoudre. Cette «visitation» de l’Ange,
définiecommeune«énergiepure»,peutseréaliserdemanièrediurneounocturne,et
parson intermédiaired’autresêtressurnaturelssontsusceptiblesd’apparaîtredans le
rêve. La lecture de la production onirique n’est pas fondamentalement différente de
celle d’autres sociétés européennes. L’exemple des représentations traditionnelles du
rêve des habitants d’Arnaia, en Macédoine, relatées par Marie‐Elisabeth Handman
(1996)montredessimilitudes.PourlesArniotes,lerêveestproduitparlapersonne.Ce
qui rejoint la conception physiologique du rêve mais non l’idée que les productions
oniriques sont des événements intégralement psychiques. Les images du rêve sont
envoyées au dormeur par des êtres qui peuplent la réalité extérieure, soit pour le
monde terrestre par des personnes affectivement proches, ou soit pour le monde
célestepardesêtressupranaturels,telsquelesSaints,laViergeetlesâmesdesdéfunts,
qui ont un message à transmettre au rêveur ou à son entourage. Ce message est
prémonitionet injonction.Au réveil, les rêveurs interprètentou se font interpréter le
263
sens des images qu’ils ont vu de manière à pouvoir agir conformément au message
qu’ellesvéhiculent.L’interprétationestgénéralementpublique,lerêveestracontéàses
prochesetàtoutsonentourage.Lesensdurêvepeutêtreconfirméoupréciséparune
personneplusexpertedansl’artdeladivination.Sileprocédédecaptationdurêveest
plusaffirméchezlesadeptesdel’«AngéologieTraditionnelle»,celuidel’élucidationdu
messageestàl’identique.
Pour les adeptes de l’«Angéologie Traditionnelle», une des autres fonctionnalités
importantesdu rêveestd’apparaîtrecomme lemoyend’approfondissementdusujet,
quireste impensablehorsdesarelationà lasourcedusens,auCréateur.Laréflexion
sur le déchiffrement du rêve devient celle des signes que le Ciel lui adresse
personnellement pour l’informer du sens de son destin. Les invocations aux Anges
présentéescommeun«travail»,oùl’«onvisitetouslesrayonsdenotreconscienceet
on avance de manière méthodique sur le chemin qui mène à l’Illumination»
appartiennent au même registre que les exercices spirituels de l’introspection
pénitentielle pour tendre à la sainteté des ordres monastiques ou missionnaires
chrétiens.
3.8.5.Reformatagedel’âme
Danscettedernièrepartiedelarelationsurlaconfigurationdel’Univers/CitéMickaël,je
m’intéresse à la récurrence de l’imaginaire informatique pour figurer le processus
onirique. Le terme«reprogrammer» est l’occurrence la plus fréquente.Une série de
métaphorestiréesdudomaineinformatiqueestaussirégulièrementutiliséesparKaya,
Christiane et leurs consultants, pour décrire aussi bien l’organisme humain que
l’Univers.Cedernierestcomparéàunsystèmeinformatique,dans lequelnotreesprit,
«notreordinateurpersonnel»estabonnéàun fournisseurdeservice Internetquiest
l’«immense Ordinateur Vivant qu’est l’Intelligence Cosmique, que l’on appelle
communémentDieu».Notreespritaunprogrammebienàlui,dontlesgrandeslignes
264
sontdéjà établies avantnotrenaissance. «Et, àmoinsdemodificationsprovenantdu
centredeprogrammation,ilseréalisera,c’estabsolu.Carilestinscritdansladimension
métaphysiquedenotreêtre,danslastructuremêmedenotreesprit,àlamanièred’un
logiciel conçu pour déclencher des opérations précises à des moments déterminés»
(Kaya 2007: 5) Kaya établit la différence entre esprit et âme en utilisant toujours la
mêmemétaphore:«L’imagedel’ordinateurestbienutilepournousaideràcomprendre
notreêtre.Onpeutcomparernotreespritàl’électricitéquicirculedansnotreordinateur
personnel,selondestrajectoiresquidépendentdescircuitsinternesetdesprogrammes
encours.»(Kaya2007:5)Quantàl’âme,
«elleestcomparableàl’ensembledesmémoiresdéjàenregistréessurledisquedur.Notre
âmeestenquelque sorte la«maison»denotreesprit,de cetteénergie intelligentequi
circule en elle. Les deux fusionnent, comme notre corps physique fusionne avec notre
esprit.L’espritactivelesmémoiresdel’âmeselonsonprogrammedevie,etillestraiteàla
manière d’une énergie intelligente agissant à l’intérieur d’une matrice. Bien sûr cette
matriceest l’ensembledesgestesque l’onaposés, des émotionsetdes sentimentsque
l’onanourris,etdespenséesquel’onaentretenuesaufildenosvies.(…)Unjourquand
l’être a expérimenté pendant un certain temps les distorsions, un programme est
déclenché qui lui fait repasser, revoir ses mémoires distorsionnées, afin qu’il puisse les
rectifier.Alorsunnettoyagedudisquedurdevientnécessaire.C’est cequ’onappelle les
initiations,despériodesgénéralementdifficilesoù l’être,déstabilisépardesévénements
extérieur ou des blocages intérieurs – ou les deux –, n’a pas d’autre choix que de se
remettreenquestion.»(Kaya2007:7‐8)
Si nous suivons bien le raisonnement, l’esprit pourrait être assimilé à «une énergie
intelligente» et bien qu’elle soit «programmée», l’être humain peut avoir une
influence sur celle‐ci. S’il «interprète mal le programme», elle devra être
«reformatée».L’esprit influence l’âme,enbienouenmal,danscederniercas, l’âme
peut être «nettoyée» des mémoires antérieures négatives, résultantes de défauts
morauxoudestraumatismes.Ellepeutaussiêtre«nettoyée»defautescommisesou
detraumatismesvécusdansuneautrevie.Cette«purification»de l’âmeestpossible
265
pour ce monde‐ci ou pour «une réincarnation future » selon une conception de
transmigrationdesâmes.
Cette purification se fait en deux étapes, dans la première le consultantrespire
etinstille«l’énergieangélique»,quival’aideràacquériruneconsciencesupérieureet
valesoutenirenluiinsufflantdessignes,notammentparlesrêves.Cescommunications
«sonttoujoursdonnéesdanslesensdudéveloppementdesqualitésetdesvertus,même
lorsquelesquestionssontd’ordrematériel»,etcesontdes«symboles»,dontilfaudra
déchiffrer le sens. «Les symboles que l’on voit en rêve ne sont pas seulement des
images: ce sont des icônes des programmes qui sont mis en route. Tous ceux qui
connaissentl’informatiquesaventquederrièreuneimageouunmouvementàl’écranse
trouvetouteuneséquenced’opérationscachéesquiseproduisentauniveaudescircuits
électroniques.» (Kaya 2007: 9) Reste à savoir qui sont les programmateurs dans la
constructiondeKayaquiseveutunsystèmecosmologiquecomplet.«CesontlesGuides
spirituelsdesMondesParallèlesqui scénarisent les rêves».Kaya,dansunevolontéde
gommertouteréférenceàuneEglisehistorique,nelesnommepas,illesdéfinitcomme
des «êtres particulièrement évolués qui ont des responsabilités concernant la vie
terrestre», comme des «fonctionnaires de la conscience» qui assument chacun une
fonction pour le compte du «Gouvernement Céleste». Cette catégorie de guides, qui
organise les rêves, envoie aussi des signes diurnes qui font apparaître des
«synchronicités»entreonirismeetréalité104etfacilitentlalecturedesmessages.
Quant aux rêves, il en existe principalement deux sortes. «La première catégorie
comprenddes rêvesdans lesquelson resteà l’intérieurdenotreordinateurpersonnel.
Onvisite lesmémoiresetonapprendàseconnaîtresoi‐même.Ladeuxièmecatégorie
comprenddesrêvesoùonsortdenotreordinateuretoùonvisited’autresdimensions.»
(Kaya2006:26)Danslesdeuxtypesderêve,ilyaunerelationaveclerêveur:cequ’il
104Leterme«réalité»recouvretouteformedesigneperceptibleparl’êtrehumain.Cessignespeuventse
manifesterpartouteslessortesdemédiums,soitdesartéfacts,telsquelaradio,latélévision,unfilm,un
spectacledethéâtre,unobjet,oupardesphénomènesnaturels,telsquelesplantes,lamétéorologie…
266
voitouquiil«visite»l’aideàapprendrequelquechosesurluietàdévelopperqualités
etvertus,cequiestlebutultime.
Lesrêvesdelapremièrecatégoriedévoilentaurêveurla«dimensioncachéedecequ’il
vit,decequiestactivéàl’intérieurdelui».Ilentreaucœurde«sesmémoires»etpeut
procéder à «leur analyse», soit à une introspection, de sonétat présent. Enprenant
conscience d’un «disfonctionnement du système», il peut arrêter les «forces
destructivesquisontà l’œuvre»ouenpréparationet«lesempêcherdesemanifester
sur le plan physique». Le rêve peut aussi «remonter dans le tempsdes mémoires »
jusqu’à des «traces de vie antérieures» et permettre au rêveur d’intervenir sur
l’«empreinte» laissée par ces mémoires, quand celles‐ci se manifestent par des
cauchemarsetdesfrayeursnocturnes.L’effacementde«cesfichiers»peutsefaireau
coursdurêve,ou le lendemainpardes«respirationsangéliques»quivontpermettre
unemodificationdel’étatd’espritdelapersonneparl’apportd’unequalitéouvertuqui
val’aider«àdépassercettemémoire»,ouencorelerêvevaluiindiquerun«rituelde
purification».Certaines«mémoiresdesviesantérieures»nepeuventpasdisparaîtreet
restentinscritespourétabliruncontinuumdansladestinéedel’âmeetmarquercequi
doitréapparaîtreàunmomentprécis.
Pour les rêves de la deuxième catégorie, «ceux où on sort de son ordinateur», Kaya
distinguedeuxsituations.Lapremièresont«Lesrêvesoùonvisitel’âmedesautres»:
dans ces rêves, «on peut voir ce qui arrive ou arrivera à une autre personne» et lui
apporterdel’aide.Ladeuxièmesituationatraitaux«rêves»quisontdes«sortieshors
corps» appelés aussi «voyage astral». Dans un de ses ouvrages, (Kaya, Christiane
Muller 2004: 236) Christiane donne deux exemples, dont le premier se déroule
pendant une méditation. Ces «sorties» se produisent aussi bien dans un état de
sommeilquedeméditationet leprocédéest lemême,celuiqui s’endortouceluiqui
méditepeutinvoquerunAngeetluiposerunequestion,ouencoreaprèsavoirappelé
l’Ange se laisser porter par le sommeil. Pour expliquer ce processus divinatoire
267
Christiane cite un exemple. Elle et Kaya se demandent «s’il est juste de visionner le
filmLeSeigneurdesAnneaux»,c’est‐à‐dire,selonleurlogique,sicefilmpeutcontribuer
àleurs«apprentissagesetleurévolution».Christianerapportecetépisodeainsi:
«Il (Kaya) a posé sa question et il est entré enméditation. Puis il a fait une sortie hors
corps.C’étaitcommes’ilétaitlàconcrètement.Toussessensétaientouverts–l’odorat,la
vue,etc.–commes’ilyétaitréellement.Ilvoyaituneétendued’eauetilmarchaitsurune
surfacequiressemblaitàdesrochers,maisquienfaitétaitdelanourriturevégétarienne.
Alorsquandilestrevenudesasortiehorscorps,ilacommencéàanalyserlasymbolique.Il
s’estdit:«Jemarchaisetjevoyaisdel’eau:doncc’estl’action,l’actionémotionnelle.Ily
avaitdelanourriturevégétarienne.C’étaitdelabonnenourriture.OK,Onmedonnelefeu
vert:çaveutdirequ’ilyadelabonnenourritureàallerchercherdanscefilm.C’estjuste
quej’aillel’étudier.»(Kaya,ChristianeMuller2004:236)
Le deuxième exemple de sortie hors corps donné par Christiane concerne un de ses
propresrêves:
«Jemetrouvaisdansnotrechambre,couchéesurlelit.Toutàcoup,j’aivumonpieddroit
etmajambedroitesesoulever.C’étaittrèspuissant;jesentaiscemouvementdansmon
corpsphysique.Donclepieddroits’estmisàsesoulever,puislajambe,puistoutlecorps,
et j’ai sentique jevolais.Tousmessensétaientouverts; jesentais lemouvementdevol
dans mon corps. Une musique Angélique jouait – une musique instrumentale – et
l’ambianceétaittrèsbelle.Jevolaisdans lachambre.Jemesentais joyeusecommeune
petitefille.Aunmomentdonné,jemesuisdemandé:«Est‐cequejesors?Est‐cequeje
traverselaparoi?Toutétaitaussidensequedansleconcret.Jevoyaismonmaricouché
danslelit,maisjesavaisqu’iln’étaitpaslà.Jemedisais:«Ilnefautpasquejefassede
bruit.Sinonjevaisledéranger–ilestentraindefaireduTravailailleurs–etilseraobligé
derevenirdanssoncorps.»Alorsjefaisaisbienattentionànepasledéranger.Unechose,
toutefois,n’étaitpastoutàfaitcommedansleconcret:ilyavaituneporteàmagauche
quin’existaitpasdansleconcret.»(Kaya,ChristianeMuller2004:238)
268
Christianeconclut:onpeutvisitertoutessortesdedimensions.Parfoisl’expérienceest
trèstangibleetrelativementprocheducorpsphysique,etparfoiselleprendplacedans
desdimensionsparallèlestrèséloignées,àplusieursannéeslumièresdelaTerre.«Les
balisescommunesd’espace‐tempsn’existentpaslorsdecesexpériences.Onpeutvisiter
desmondesconcretsoùsetrouventtantdespersonnesdécédéesquedesêtresvivants.
Unjour,toutestpossible.Lessortieshorscorpsouvrentsurlavastitude,l’immensitéde
l’Univers. Là est notre objectif: devenir des Anges en s’élevant par les qualités et les
vertusDivines.Un jour, onn’aplusde limitations: on peut voyagerdans l’Univers et
ainsivoiravecnotreâmecommentilfonctionne.»(Kaya,ChristianeMuller2004:239)
Quant à la question de savoir, qui du dormeur ou du rêveur, de l’esprit ou de l’âme
voyage,elledoitrestersansréponse.
Quant à la question de comment peut‐on différencier un «voyage astral» ou une
«sortiehorscorps»,selonl’expressionutiliséeauXXIèmesiècle,d’unrêve?Ellereçoitla
réponsedeKaya:
«C’est simple: c’est que tous nos sens sont éveillés. On sent, on entend, on voit, etc.
commesionétaitdansladimensionphysique.Enréalité,onsetrouvedansunedimension
parallèle. Sionmesurait leniveaud’énergiequi restedansnotrecorpsphysique lorsque
notre conscience en est sortie, ondétecterait unniveau très bas, juste suffisant pour se
maintenir en vie. Par exemple, le corpsestplus froidqued’ordinaire lorsde ces sorties.
Parcequ’onutiliseunepartieimportantedenotreénergievitalepourmaintenirnossens
en éveil pendant l’expérience. En réalité, un transfert d’énergie s’opère pour nous
permettredeséjournerdanslesmondesparallèles.»(Kaya2006:222)
Lesprécisionscliniquesdel’abaissementdelatempératurecorporelledudormeursont
avancéescommeunepreuveirréfutabledecestatutparticulierdurêveentreillusionet
réalité. Elles renvoient à la représentation du sommeil comme un état intermédiaire
entrevieetmort.L’activitéoniriqueestassimiléeàunedissociationprovisoireducorps
endormietdel’âmevagabonde.
269
L’ensemble des ateliers de l’Univers/Cité Mikaël auxquels j’ai assisté, ainsi que le
matériel écrit, ne montre pas une volonté de résolution collective des crises ou de
pratiques de guérison publique, mais fait apparaître l’Univers/CitéMikaël comme un
organisme qui propose une technique particulière de développement personnel, une
«méthode», pour reprendre le terme courant employé par les «médiums‐
guérisseurs»,que lesparticipantsà ces formationspourront testeret adapterà leurs
propres besoins, lorsqu’ils l’auront intégrée. Ils auront aussi à leur disposition
l’ensembledumatérielpayantproposéparl’Univers/CitéMikaëlquiprendl’allured’une
entrepriseculturelleflorissante.
270
Univers/CitéMickaëlTableaudupeintreGabriellreprésentantl’«arbremystique»
Sourceillustration:www.ucm.ca
Ce peintre pratique la «peinture intuitive» dans un état deméditation. Il dirige
aussi des stages pour enseigner cette «technique placée sous la conduite des
Anges»(cf.p.248).Celle‐ciestcomparableàcelledecertainsmédiumsspirites,qui
fontappelàd’autres«esprits»,etutilisentpour ladéfinir lesmêmestermesque
pourl’écritureenparlantde«peintureguidée»oude«peintureautomatique»
271
4.Del’usagesocialdes«morts»
La configuration de l’Univers/CitéMickaëlm’a permis de récolter des données sur la
construction ésotérique qui sert de support «doctrinal» à une partie du matériel
divinatoire utilisé parMarie et à sa pratique de «guérison spirituel» par l’invocation
d’esprits«guides».Latroisièmeconfigurationm’apermisd’approfondir l’étuded’une
des fonctionsdeMarie,cellede«passeused’âme».En introductionàcettepartiede
ma recherche, je rappellerai que l’anthropologie nous a appris que «toute culture
codifie sa façon «de faire des morts», ceux‐ci sont entendus comme des «êtres»
sociaux actifs dans le présent. Et que ce sont lesmanières, par lesquelles les vivants
définissent leurs relationsavec«leursmorts»,dontdépendent lesconditionsmêmes
delareproductionetdel’avenirsocialdesvivants.(GiordanaCharuty2002)Dèslors,les
sociétésinstaurentdesprocédésdivinatoiresetdesspécialistesrituelsdontlafonction
estd’informersur lasituationmétaphysiquedumort, leursentouragesprochesouun
groupesocialplusélargisselonlerangoccupédesonvivantparlemort.Cesmédiateurs
utilisent des formes institutionnalisée et ritualisée d’appareils divinatoires pour des
usages sociaux qui englobent dans ces opérations des pratiques correctives d’un
possiblemauvaisdestinposthumeetuntravaildesymbolisationpourdonnerunsensà
l’aléatoire et aux crises existentielles des vivants. Ce registre thérapeutique reste
présentdanslespiritisme,puisqu’un«mauvaismort»resteuneétiologiedenombreux
désordressomatiquesoupsychiques,quinécessiterontun«traitement»pourrétablir
lesrelationsaveclesvivantsetrecouvrerlasanté.
4.1.L’usaged’unfilmcommedispositifdecroyance
Lasortie,enSuisseromande,le1ernovembre2011,jourdelaToussaintdanslessalles
de cinémad’un film intituléMédiumsd’unmondeà l’autre 105 et d’un livre éponyme
105GILLIANDDenise(réalisation),2011,Médiumsd’unmondeàl’autre,produitparPCTCinémaTélévision
–Pierre‐AndréThiébaud,encoproductionaveclaRadioTélévisionSuisse
272
(DeniseGilliand,AlainMaillard2011), vamobiliser l’ensemblede lapresseécriteainsi
que les chaînes de Radio et de Télévision. La première projection et la plupart des
suivantessontsuiviesd’undébatentrelesspectateursetlaréalisatriceetenalternance
différents protagonistes du film dont Céline, unemédium d’une quarantaine d’année
quisertdefilrougedanslaconstructionduscénariodufilm.
LefilmMédiumsd’unmondeàl’autre,uneannéeaprèssasortie,rencontretoujoursle
mêmeengouement,etpourrépondreàl’affluencedupublic,certainesséancesontdû
êtredédoublées.Lafréquentationdupublicpourlapremièreannéedediffusiondufilm
s’élèveà12'000 spectateurs, cequiestun trèsbon résultat compte tenuque celui‐ci
restedanslecircuitdessallesdecinémaindépendantesendehorsdesgrandsgroupes
de diffusion. La vente du DVD en version française et anglaise multiplie encore le
nombredespectateurs.Médiumsetguérisseursrencontrentungrandengouementen
Suisse romande,mais le succèsde ce filmne tient pasqu’à son sujetmais aussi à sa
formenarrativequioscilleentre«cinémavérité»106etethno‐fiction.C’est‐à‐direentre
des séquences «moments de vérité», dans lesquelles les protagonistes entrent en
interactionenjouantunrôlequiestceluideleurproprevieoudeleurproprefonction
et s’interrogent surceux‐ci faceà la caméraetd’autres séquences,plus théâtralisées,
mises en scène par la réalisatrice qui reproduisent des événements passés avec une
partiedesprotagonistes.Cetteformenarrativefavoriseunprocédédemiseenabyme.
La réalisatrice, elle‐mêmemédium, a choisi pour incarner sa propre fonction, comme
«actrice»principaledu film, unemédium inscrite dans lemême courant spiritualiste
qu’elle. Elle assure que son choix ne s’est pas porté sur cettemédium que pour ses
compétencesparticulièresoupouravoirsuiviunparcoursdeformationetprofessionnel
106DzigaVertovdisait«Lecinéma‐vérité,cen’estpaslavéritéaucinéma,c’estlavéritéducinéma.Cettephraseaétésouventreprisepar JeanRouchetamarqué lecinémafrançaisdesannées1960.Florence
Windler analysant «Chronique d’un été» (1962)de Jean Rouch dira du cinéma‐vérité «ce concept
englobe aussi la spontanéité de la caméra, c’est‐à‐dire que l’anthropologue filme et improvise sur le
moment souvent la caméra sur l’épaule. La caméra, le caméraman et les sujets filmés interagissent ».
L’idéeestdecapteràtraversunecaméraparticipante,unmomentdevérité.
273
semblable au sien,mais plutôt dit‐elle «en fonction des qualités relationnelles qu’elle
aimevoirchezunemédiumetquisontlesvaleursqu’elleaimeraitqu’onluireconnaisse
àelle‐même».Ellecréel’impressiond’avoirchoisiCélineenfonction«d’uneprojection
dans laquelle elle puisse se reconnaître». Cette forme de présentation instaure une
climatdesympathiepourcefilmetd’empathiepourunemédiumdevenue«actrice»,
quiapparaîtdanscelui‐cicommeunemèreélevantseulesesdeuxfillettes.Cettemise
en abyme cinématographique, dans laquelle une médium filme en miroir une autre
médium qui interagit selon ses impulsions sous le double regard de la caméra et du
spectateurseprésentecommeunacteperformatifetconvielespectateuràentrerdans
lesprocessusd’indentificationgénérésparcedispositif jusqu’àlerendrecaptifdansla
fictiondecerêvecollectif.Cefilm,quisuitdanssaconstructionunestructurediscursive
identiqueàcelledesconférencesdesmédiumsguérisseursdeMednatExpo,enfaisant
alternerdifférentsrégimesdevérité,seprésenteaupublicetaumédiacommeunfilm
documentaire. Il a d’ailleurs été financé par des fonds publics et par la Télévision
nationale. Mais en le visionnant, il apparaît comme une superposition habile de
différents dispositifs de croyance et même si une médium assure le fil rouge du
scénario,cequiestmontréauspectateurcen’estpaslaprésentationdelafigured’une
médium,maisunemédiumissued’uncourantprécisquiestceluidel’Eglisespiritualiste
anglaise,dontcefilmfaitlapropagande.
4.2.Dispositifs,protagonistesetobjets
LefilmMédiumsd’unmondeàl’autreestconstruitdansunealternancedeséquences
montrant des performances de médiumnité avec des personnes présentées comme
«sceptiques», des entretiens avec despersonnes définies comme «contradicteurs»,
auxquelssesuperposentdesélémentsdurécitdeviedeCéline,desaformationetdesa
pratiquedemédiumguérisseuse. Les trois«sceptiques» sontdes personnesquiont
déjà consulté des médiums «mais n’ont pas été convaincues», les
trois«contradicteurs»sontunécrivainconnurégionalementpoursonanticléricalisme,
274
un psychothérapeute et une docteure en biologie. Ce film qui emprunte une forme
documentaire, comme dispositif de crédibilité, se doit d’instaurer des points de
rationalité. Ces trois interlocuteurs, représentants de trois catégories sociales, en
défendent les trois régimes de rationalités, auxquelles seront opposés des séquences
avec deuxmédecins «qui y croient», ainsi qu’un prêtre connu pour ses expériences
parapsychiques. Les trois «contradicteurs» et les trois «sceptiques» représentent
leurs différents savoirs qui, chacun dans leur propre logique, émettent une mise en
doutepossibleetpertinente.Cetteconstructionreprendcelleduprincipedesdispositifs
divinatoires,quiavantdes’instituerentantquetel,doiventlaisserlaplaceàunpremier
dispositif de doute. Je décrirai tout d’abord les objets tels qu’ils apparaissent dans le
dispositifdecroyancemisenscèneparcefilm,puislesécartsquecedispositifmontre
par rapport à une pratique ordinaire dans des séances collectives demédiumnité qui
restent extraordinairement unifiées, et que j’aborderai également avec les
performancesmédiumniquesdeJanetParker.
Laséancedemédiumnitévisionnéedanslefilmsedérouledansunlieuparticulier,qui
n’est ni une salle de spectacle, comme usuellement pour les performances
médiumniques collectives, ni l’atelier‐cabinet de soin de Céline. Le lieu choisi par la
réalisatrice est un hall d’hôtel, un lieu de passage, de transit, un seuilmétaphorique
entre deux états. Les objets visibles pour le spectateur sur l’écran sont une bougie
allumée,un tambourchamaniqueetundiagramme.Labougieestprésentedans tous
lesespacesdetravaildesmédiumsquil’allumentavantdefairecequ’ilsnommentune
«connexion»aveclemondedes«esprits»oudepratiquerune«guérison»avecl’aide
de leurs «guides spirituels». Cette bougie est allumée selon l’idée que la lumière
permet la présence du «bien» et éloigne l’ombre, le «mal». Le tambour dit
«chamanique» est utilisé régulièrement par une grande partie des médiums
guérisseursetilapourfonctiond’éloigner,parsesvibrations,lesmauvais«esprits»,les
mauvaises«ondes»etde«nettoyer»leslieuxdes«mauvaisesénergiesstagnantes».
Lediagrammevisible estpropreàCélineet à ce courantdemédiums spiritualistes. Il
275
représenteuncerclediviséentroispartiesdecouleursdifférentes,danschaquetiersest
inscritl’undestroisprincipesdelapratiquedelamédiumnité,quireprésententlestrois
qualitésnécessairespourêtreunbonmédium:méditation, intuition,observation.Les
diagrammesfontpartiedesoutilsdesmédiumsguérisseurs,maischacunutiliseceluiqui
lui convient. Ces schémas et dessins sont usuellement des objets qui aident le
consultant à apprendre à symboliser. Ces trois objets, présents sur la scène de la
médiumnitévisionnéedanslefilm,nesontpasvisiblessurunescènequiaccueilledes
performancescollectivesdemédiumnité.
Les séances médiumniques de Céline dans le film se présentent comme des
témoignages, mais ce sont en fait des artifices de persuasion, une forme de
manipulation du spectateur. Ce qui est montré, ce sont des extraits de séances qui,
quant à elles, ont duré une heure à une heure et demie.Ne présenter que quelques
minutes, masque le travail de la médium et du consultant qui demande une lente
élaborationco‐construite.Unautreartificeutiliséparlaréalisatriceestlebandeauque
porte Céline pendant la séance, pour dit‐elle, «n’avoir pas d’information visuelle du
consultant». Cette image de la médium au bandeau, renvoie aux figures de la
somnambuleetdumagnétiseuret reconduit le spectateurdans l’histoiremêmede la
médiumnité.Saufquedans lasituationprésente, lemagnétiseurestenquelquesorte
incorporépar la somnambule. La relationentre la somnambuleauxyeuxbandéset la
lettre reste assez semblable, Céline donnant à chaque consultant une lettre en
conclusiondeséance.L’écritfaitpartiedesélémentsquiapparaissentsouventchezles
médiums, l’écriture est une forme de communication nécessaire à lamédiumnité. La
différence notoire entre la figure historique de la somnambule et Céline est que la
lecture se faisait à l’aveugle soit au toucher. Il y a un nouveau déplacement dans la
séancefilmée,puisquec’estl’écritquiestdonnéàlalectureduconsultant.
Ce qui apparaît moins comme un écart, que comme une duperie pour l’intellect du
spectateur, est quedeux consultants sur trois sont des habitués desmédiums et que
276
leur «scepticisme» ne porte pas sur une possible communication avec les «morts»,
maissur lescompétencesdesmédiums. Ils ledisentenévoquantdesrencontresavec
d’autrespraticiensdumêmeart,maiscequiestplusprobantc’estqu’ilsmontrentpar
leurs attitudes qu’ils possèdent déjà la technique d’interaction avec unmédium. L’un
d’eux, le premier la co‐construit avec la médium en acceptant une première série
d’informationspolysémiques,avantd’établiruneformed’accordavecelle,enénonçant
l’identitédu«mort».Si l’identificationest laisséeauconsultant, laconstructionde la
figure du «disparu» a été fixée progressivement par les réponses du consultant aux
propositionsdumédium,celles‐ciétantconstruitesaufuretàmesuredesréponsesdu
consultant.Laconstructiondel’interactionestuneprocédureextrêmementcodifiéequi
demandeunapprentissageaussibienpourlemédiumquepourleconsultant,pource
dernierellepeutsefaireensuivantrégulièrementdesséances.Danslefilm,ilmanque
aussilamiseàl’épreuvedelamédiumparunconsultant,exercicequiestplusprobable
dansuneséancecollectivedemédiumnitéquedansunrapportàdeux.
Plusieurs projections du film Médiums d’un monde à l’autre sont suivies d’une
«performancemédiumnique»publiquedonnéepar lamédiumanglaise JanetParker.
Cettedeuxièmepartiedesoirée,quisedérouledanslasalledespectacledanslaquellea
été diffusé le film, est suivie en moyenne par deux cents personnes et permet de
participeràcetteinteractionparticulièrequipermetd’entendrela«languedesmorts».
4.3.PerformancesmédiumniquespubliquesdeJanetParker
Ces«performances»,commelesignifieletermeutilisé,reprennentenlesthéâtralisant
lesdémonstrationsdemédiumnitéincluesdanslesofficesreligieuxspiritualistes.Celles‐
cicomportent,pourchacune,une«ouverture»pendantlaquellelemédiumfaitappelà
des«espritsdesdéfunts»,suiviedela«preuvedelasurvie»durantlaquellelemédium
apportedesélémentsd’identificationd’unouplusieurs«défunts»àsesproches.
277
J’aisuiviplusieurs«performancesmédiumniques»deJanetParker,etpourendécrirele
procédé, j’ai isolédesextraitsd’interactionsentremédiumetpublic lorsd’uneséance
quis’estdérouléeenjuin2012dansunthéâtreàl’italienne,danslequelavaiteulieula
projectiondufilmMédiumsd’unmondeàl’autre.Lepublicestcomposédeplusdedeux
centspersonnes,dontquatrecinquièmedefemmes,lesenfantsnesontpasautorisésà
assisterà laséancequivasuivre.Aprèsunepaused’unquartd’heurepourpermettre
auxfamillesavecenfantsdeseretirerdelasalle,Célines’avancesurscèneetannonce
aupublicquela«performancemédiumniquepublique»deJanetParker,seferadanssa
langue, en anglais et que ses paroles seront traduites en simultané par une autre
médium nommée Silvana Hertz. Celle‐ci est citée sur le site web de l’Arthur Findlay
College commeétant l’unedes trois personnesde contact en Suisse. Elle seprésente
commemédiumet«coach»endéveloppementpersonnel.Elleorganiselestournéesen
Suisse romande et assure les traductions simultanées des «performances
médiumniques»deJanetParker,aveclaquelle,elleaco‐fondé,en2012,àGenève,une
nouvelle école demédiumnité en Suisse romande : l’Ecole Prisma Formation. Celle‐ci
comprend dans son cursus des cours donnés par des médiums de l'Arthur Findlay
CollegeàGenèveetàStanstedetdesstagesàEdimbourgdonnéspard’autresmédiums
del’Eglisespiritualiste.
JanetParkerapparaîtenfonddescène,c’estunefemmeprochedelasoixantaine,son
visage est encadré de cheveux blonds et courts, son sourire est avenant. Rien ne la
distinguedes femmesprésentesdans la salle, si cen’estune recherchevestimentaire
plusélégante,chausséedehauttalonsverts,elleporteunerobede lamêmecouleur.
Elles’avancefaceàlasalleenparlant,«j’aiquelqu’unquiseprésenteetilyaunequeue
derrière avec d’autres êtres qui veulent apporter leurs messages. Lorsque deux
personnes s’aiment, la mort ne peut couper cet amour». Puis pointant du doigt une
femmeaumilieudupublic:«Vousladameavecletopcrèmeavecuncollier,est‐ceque
jepeuxvousparler, j’aiquelqu’unavec la lettreMsurmonépaulequipointe ledoigt
dansvotredirection.Ilesttrèsbeau.J’aiplutôtl’impressionquec’estlepèreoulebeau‐
père… (La femme ne répond pas.) Quelqu’un qui a perdu son père… (Janet Parker
278
désignedelamainlavoisinedelapremièrefemme,quin’apasréponduàsapremière
tentative d’interlocution.) Vous à coté, vous pouvez comprendre quand il dit qu’il se
montreautop.C’estimportantquevousnelevoyiezpascommelorsqu’ilestdécédé».
La femme répond: «Oui». Janet Parker ajoute: «c’est fabuleux!». Le public rit, un
soulagement se fait sentir dans la salle, laprestationde lamédiumpeut commencer.
Ayantassistéàplusieurs«démonstrationspubliques»deJanetParker,j’aipuconstater
que les ouvertures de séance sont plus oumoins longues, en fonctiondunombrede
procédés rhétoriques qu’il lui faudra déployer avant qu’unmembredu public saisisse
l’inductionproposée.Contrairementàd’autresmédiumsquiontà leurdispositiondes
photos ou des objets proposés par des consultants, Janet Parker, ne dispose d’aucun
indice, ni ne sait quels sont les membres du public qui souhaitent obtenir une
«réponse»etceuxqui,simplesspectateurs,nesouhaitentpasentrerdansl’interaction.
Janet Parker changeant d’interlocuteur enchaîne: «j’ai quelqu’un qui me demande
d’allertoutaufonddelasalle.Est‐cequeMichelçavousditquelquechose».Unhomme
lève la main: «Oui, je prends». Janet continue: «J’ai une dame qui me dit tout le
temps:Michel,Michel,Michel…,cen’estpasquelqu’unquipeut restercalmedansun
coin,ellen’apasarrêtédeparler.Ellemeparledesoncœurbrisé,ilyavaitbeaucoupde
tristessedanssavie.Toutcequ’elleveutc’estqu’ilyaitdel’harmonie.»L’hommequise
prénommeMichel intervient: «Ça c’est sûr!», Janet reprend: «Aumoment où elle
décédait,ilyavaitunemainquisetendait,quelqu’unquil’attendaitdepuislongtemps,
et maintenant tout est arrangé.» Michel submergé par l’émotion répond: «Merci,
merci…».Janetlerassure:«Cequiestfantastique,c’estquevotremèren’apaschangé,
et ce qui est fantastique aussi, c’est que votre père lui a changé.» Le public mis en
empathierit.JanetParkerreprendl’interactionaveclavoisinedelapremièrefemme:
«jesaisqu’ilabeaucoupsouffert.C’étaitunsoulagementpourluidepartir.Leprénom
Martinaunlienavecvous?…Lorsquejevousvoyais,jevoyaisunnomcommeMartine
ouMartini.»LafemmesenommeMarthe.«Est‐cequevousêtesquatreenfants?»La
femmeacquiesce.«Ilestpleindecomplimentspourlesquatre.Ilparledevotremaman,
ils’enoccupeactuellement.Est‐cequ’ilfaisaitdujardinage,ilmemontredeslégumes.»
279
Lafemmerépondparlanégative.Ils’ensuitunesériedeconseilsduparentdéfuntsur
une alimentation saine et équilibrée. Les propos du médium fondés sur des
discontinuitésetdesindéterminationssollicitentl’imaginaireduconsultant.Lemédium
ne doit jamais laisser invalider une proposition comme fausse, puisqu’il est le simple
porte‐paroledeslocuteursinvisiblesetinaudiblesquesont«lesdécédés».
Janet Parker s’adresse à une nouvelle interlocutrice: «J’ai une femme adorable avec
moi.Elleétaitmaladeavantdepartir.J’entendslemot:sœur.Est‐cequ’ilyaquelqu’un
quiaperdusasœurousabelle‐sœur?»
Plusieurspersonneslèventlamain.
Lamédiumpointedelamainunespectatrice:«Est‐cequec’estvotresœur?»
Lafemmedit:«Oui».
Janet:«Ce soir vousavezpenséàvotre sœuret ce soir elleest là.Ellem’amèneà la
périodedejuinoudemai,jevoislesignedesgémeaux.»
Lafemmerépond:«Elleestdécédéeenjuin,ilyauneannée,hier.»
Janetreprend:«Ellememontredesroses».
Lafemmeareçuhierunbouquetderoses.
Janet:«Elleauraitvoululuidonnerdesroses».
Lafemmeexpliquequ’elleaécritunpoèmequ’elleaenvoyéàtoussesamis.
Janet: «Elle adore, parce que ces mots la touchent et touchent des cœurs. Vous ne
pouvez pas imaginer le réconfort que vous apportez. Elle me parle de quelqu’un qui
s’appelleChristine,jenesaispassiellesétaientàl’hôpitalensemble.Ellemeparled’un
jeunegarçon.»
Lafemme:«J’enaideux.»
Janet:«Est‐cequec’étaitlamarrainedel’undesdeux?»
Lafemme:«Oui»
Janet: «Elle a investi ce rôle et elle aime les deux enfants, elle était comme une
deuxièmemèrepourcesenfants.Vousluimanquez.Est‐cequ’elleavaitunmari?»
Lafemme:«Oui»
280
Janet:«Ellel’aimaitbeaucoup.Jevoisunbateausurlelac»
La femme: «Elleadésiréqu’onmette ses cendresdans lamer, et on l’a fait avecun
bateauavecdesamis.»
Janet:«Ellevousremerciedel’avoirfait.»
Ceséchangesentreconsultantsetmédiumjouentsurplusieursregistres,cettedernière
sait faire preuve d’ambivalence en opérant des glissements entre «message de
réconfort» du «décédé» soucieux de rassurer sur «son sort dans l’au‐delà» la
personneendeuilléeetparolesdevalorisationsdesactionsdecelle‐ci,etdespassages
entredesmomentdetristesseoudetensionetleurneutralisationparlerirecollectifdu
public,déclenchéparuntraitd’humourdumédium.
L’impression qui se dégage de cette «performance» reste assez étrange, à chaque
induction de Janet Parker, une ou plusieurs personnes lèvent la main en disant «je
prends»,commedansuneventeauxenchères,etàcetteeffervescence,s’opposentdes
visagestristesespérantdesinformationsqu’ilsnerecevrontpas,commelesmembreset
amisd’unefamilleàlarecherched’unjeunehommedontilssontsansnouvellesdepuis
troismoisoud’autrespersonnesdontonperçoit lasouffrance,etquisolliciterontà la
suitedeladémonstrationcollectivedeJanetParkerdesséancesindividuellesàl’unedes
troismédiumsprésentessurscène.
Pourclôturercetteséance,Janetetlesdeuxmédiumsproposentaupublicderépondre
à ses questions. Les interrogations du public sont récurrentes et s’inscrivent dans les
préoccupations des sociétés chrétiennes: «Qu’advient‐il des «suicidés»?»,
«Qu’advient‐ildes«bébésmorts‐nés»?»,«Quefaireavec lesâmeserrantes?».Les
réponses s’inscrivent dans le credo spiritualiste. Pour le «suicidé» les médiums
déculpabilisent l’acte d’atteinte à sa vie en affirmant que c’est comme tout autre
«décédé», lorsque l’esprit quitte le corps physique, il part dans la lumière et «il est
heureuxavecsafamillespirituelle».Pourle«bébémort‐né»,nonbaptisé,sonâmene
vapas,commeselonledogmecatholique,êtrecondamnéeàerrerdansleslimbes.Pour
281
lesspiritualistes,c’estuneâmequi«repart»carcen’étaitpaslemomentpourellede
s’incarner sur terre. Elle reviendra dans cette famille à cette génération ou dans une
autre. La fonction de l’âme est de continuer à progresser, et le monde spirituel ne
laisserapasuneâmeerrermaisl’aideraparl’intermédiaired’unmédiumàrejoindrela
lumière.
Quantàlaraisondel’interdictionauxenfantsd’assisteràcesséances,ellen’estjamais
explicitée publiquement. Pour les spiritualistes, ce n’est pas seulement parce qu’ils
pourraient être particulièrement impressionnés par la «performancemédiumnique»,
puisqu’ils ont déjà assisté à la projection du film et ont vu les séquences de
«communicationavecdesdéfunts»quiontété tournées.Maisc’estplutôtparceque
l’enfantcondenseensapersonneplusieursreprésentationsdeladoctrinespiritualiste,
qui font de lui un «être limitrophe», resté plus familier de l’« en deçà» dont il
«provient»quede l’«ici‐bas»desaprésence.Sonstatutresteambiguet luiconfère
desprédispositionsmédiumniquesquivontdisparaîtreprogressivementaveclesannées
si elles ne sont pas réactivées. Les enfants, ne maîtrisant pas leurs compétences,
pourraienttroublerledéroulementdesinterventionsdeJanetParkerquiobéissentelles
àunprotocole.
4.4.Déroulementdel’enquête
Avec cette nouvelle configuration d’acteurs, jeme retrouvai dans une situation dans
laquelle je devais pouvoir expérimenter une pratique pour apprendre ces langages
différents sans lesquels, je ne pouvais pas suivre les transactions sociales mises en
œuvreparcesacteurspourdistinguerethiérarchiserdesmondesrégispardesrégimes
devéritéhétérogènes.J’aiadoptéd’unepartuneposition«rationnelle»enprocédant
àdesentretiens,desrecherchesbibliographiquesetsurdessiteswebparinternetpour
cernerlediscoursrevendiquéparlesmédiumsspiritualistes,etd’autrepartj’aiparticipé
auxdifférentesactivitésproposéesparlaréalisatricedufilm.Celle‐ci,pourfairesuiteà
282
sadémarchedeprosélytisme,initierades«cafésmédiumniques»,lieuxdeparolesdans
lesquelslesparticipantsévoquerontlesrêvesquilesonttroublésàdesmédiumsquiles
inciterontàparticiperàdes«ateliers»d’initiationàlamédiumnitépour«trouverleurs
propresréponses».
4.5.Constructiondusavoir«savant»duspiritualismeanglais
Céline, que j’ai rencontrée à la suite deperformancesmédiumniquesde Janet Parker
s’estmontréepeuenclineàrépondreàmesquestions, touten insistantsur laqualité
desformationsqu’elleavaitreçueenAngleterreauArthurFindlayCollegeoùenseigne
JanetParker.J’aireconstituésabiographieenreprenantlesélémentsquiapparaissent
danslefilmMédiumsd’unmondeàl’autreetl’ouvragequiaccompagneladiffusiondu
filmquipermettenttousdeuxdecernersapersonnalitépubliqueainsiquesonsiteweb
surlequelelleseprésentecomme«médium,guérisseuseetcoach»107.J’aiprocédéde
la même manière pour trouver des données sur le Arthur Findlay College et sur la
liturgiedel’Eglisespiritualisteanglaise.
4.5.1.LaformationdeCéline:Lesannéesdel’enfanceàl’âgeadulte
Néeen1971,Célinepassesonenfanceetsa jeunesseàCourfaivre,dansunvillagedu
Canton du Jura. Sa mère est vendeuse avant d’effectuer une reconversion
professionnellepourdevenir infirmièreassistante,sonpèreestmécanicienetsuitune
formation pour devenir informaticien. Ses deux parents ne sont pas de la même
confessionreligieuse,sonpèreestprotestantetsamèreestcatholique.LeCantondu
Jura esten «pays catholique», ses paroisses sont rattachées au diocèse de Bâle et
Célinesuitl’enseignementducatéchismecommelaplupartdesescamaradesd’école.A
lafindelascolaritéobligatoire,àl’âgedeseizeansellecommenceunapprentissagede
coiffeuse qu’elle finira quatre ans plus tard. Elle poursuit ensuite une formation pour
107http://Celinebosonsommer.ch
283
devenir «maître socioprofessionnel» et enseigner à son tour la coiffure. Elle suivra
ensuite le cursus pour devenir «formatrice d’adultes» et travailler dans des
programmes de réinsertion pour des personnes sans emploi.Cette préoccupation
sociale, présente aussi chez Marie et Christiane, devient une constante dans les
biographiesdesnouveauxmédiumsguérisseurs.
Au cours de son parcours professionnel, elle s’installe avec sonmari àMartigny, une
villede15'000habitantssituéedansl’EtatduValais,considéréaussicommeun«canton
catholique». Le couple a deux filles et se séparera quelques années plus tard. En
parallèleaveccecursus,différentsévénementsvont laconduireàsepenserundestin
lié à la médiumnité. Enfant, elle a une difficulté auditive, qui, selon elle, la rend
différente des autres enfants et la prédispose «à chercher d’autres moyens pour
recevoir des informations». Vers l’âge de dix ans, elle fait des «expériences de
bilocation»ou«sortieshorscorps»:
«J’étaisdansmonlit,mamèreavaitfermélaporte.Détestantêtredanslenoir,j’allumais
unelampeetregardais leplafondenbois.J’allaisytoucher lesnœuds, je jouaisavec,ça
m’amusait.Puisj’airéaliséquejepouvaisallerregarderlatélévisionavecmesparents.Je
restaislà,àcôtéd’eux,etpendantlongtempsjemesuisdemandés’ilssavaientoupasque
j’étaislà.Ilmesemblaitqu’ilsdevaientlesavoir,maisilsneréagissaientpas.Ilestarrivé
qu’en revoyant un film, quelques années plus tard, je dise l’avoir déjà vu, et mamère
répondait que ce n’était pas possible.Mais je pouvais dire ce qui allait se passer par la
suite.»(DeniseGilliand,AlainMaillard2011:21)
4.5.2.Premièrecommunicationavecl’au‐delà
Célineavingtetunansquandsoncompagnonreçoitunappeldesamèreluidisantque
sonpèrenesesentpasbienetqu’ilfaudraitleconduireàl’hôpital.Pendantletrajetde
chez eux jusqu’au domicile des parents de son ami, Céline «reçoit comme des flashs
284
visuels».Ces«imagestrèsclaires»s’imposentàelleetelleacquiertlacertitudequele
pèredesonamiestentraindemourir.Lorsqu’ilsarriventàdestination,ilsnepeuvent
queconstaterqueledécèsdupèredesonami.Quelquestempsaprèscetévénement,
d’autres images luiparviendrontà intervalles irréguliers, sansqu’ellearrive,dit‐elle, à
discerner «d’où proviennent ces informations», à savoir si c’est «de sa propre
imaginationoud’ailleurs».Lorsqu’elleavingt‐cinqans,Célineapprendqu’unemédium
anglaisenomméeJanetParkervientenValaisproposerdes«séancesdecommunication
aveclesdéfunts».LorsdelaséanceàlaquelleparticipeCéline,lamédiumJanetParker
«entreen communication» avec un premier «défunt». Elle évoque au public une
particularité physique que ce «défunt» avait au pouce et une odeur d’huile. Céline
associe ces caractéristiques au métier d’ouvrier décolleteur et identifie
cette«présence», comme «étant le père de son ami». Au cours d’une consultation
privée qui suivra cette séance publique, Céline rapporte à Janet Parker, les «flashs
visuels»quilatraversentparmoment.Celle‐ciattribuecesphénomènesau«langage»
du « monde spirituel» et la convainc de suivre un «enseignement» spécifique pour
acquérirlescompétencesdelesinterpréter.L’annéesuivante,surlesconseilsdeJanet
Parker, Céline participe à sa première semaine de «formation à la médiumnité» en
Angleterre au Arthur Findlay College qui est rattaché à la «Spiritualists’National
Union».LaformationdeCélineseferasurquinzeansdurantlesquelsellesuivrachaque
annéedescoursauArthurFindlayCollegequi luipermettrontdedéfinirpeuàpeusa
voie.Suivantlesdifférentsprogrammesdeformation,elleacquerraprogressivementles
«compétences» de «médium», puis celles de «médium guérisseuse» qui lui
permettront de pratiquer la «guérison spirituelle», dite aussi, «transe de guérison».
Sursonsiteweb,108ellecitelesnomsdeplusieurs«tutors»duArthurFindlayCollege
dont elle a suivi les «enseignements»: Janet Parker, Steven Upton, Libby Clark, Bill
Thomson,BrianRoberston,StellaUpton,SuWoodetMaureenMurnann,quisonttous
desmédiumsmembresdela«Spiritualists’NationalUnion»etdontcertainsd’entreeux
exercentégalementunministèrepastoraldansl’Eglisespiritualisteanglaise.
108http://Celinebosonsommer.ch
285
En 2008, tout en gardant une activité partielle de maître socioprofessionnel afin de
s’assurer des revenus financiers suffisants pour elle et ses filles qu’elle élève seule,
CélineouvreàMartignyuncabinetdesoinauquelelledonne lenomde«L’Atelierde
médiumnité – guérison». Selon son site web, elle y «donne des consultations de
médiumnité et deguérisonsainsi quedesméditations et des cours dedéveloppement
personnel». Elle est aussi, selon son site web, «la premièremédium en Suisse à
organiserdessessionsdeguérisonpubliquegratuitesavecdesmédiumsguérisseursen
ValaisetauJura».Parmicesautrescompétences,ellecitecellesdepeindreoud’écrire
enétatde«transemédiumnique»dirigéepardes«guidesspirituels»quisontd’origine
céleste ou sont des «défunts». Sous leur conduite elle «retrouvesouvent des objets
perdus», collabore avec les services de la police dans les recherches de personnes
disparues, «transfère de l’énergie de guérison ou rééquilibre l’énergie des lieux
d’habitations» et «donne des informations à des entrepreneurs (dans le secteur du
bâtiment)afindelesaideràprendredesdécisionsimportantes».
En 2010, Céline franchit une nouvelle étape et se convertit à l’Eglise spiritualiste. La
cérémonie se déroule, en présence de ses deux filles, dans l’église de Stansted Hall
situéedanslemêmebâtimentqueleArthurFindlayCollege.Laministreduculteestla
Révérende Janet Parker. La phase de l’attribution d’un nouveau nom a été restituée
danslefilm«Médiumsd’unmondeàl’autre».Sur l’image,JanetParkertendàCéline
une fleur jaune en lui donnant son nouveau nom: «Céline, votre nom spirituel est
«Etoile brillante», c’est un grand honneur pour moi de vous donner ce nom.» Face
caméra,JanetParkerdéclareaprèslacérémonie:«J’airencontréCéline,ilyaenviron
quatorze ans, et ça a été un plaisir pour moi de la voir se développer et devenir un
médium. C’est pour cela que cette cérémonie est tellement importante. Elle va
poursuivresoncheminetelleenseigneraauxautresnonseulementcequitoucheàlavie
aprèslamortenlaquellenouscroyonstellementmaiségalementl’importancedelavie
avantlamort.»
286
Al’âgedequaranteans,dansl’annéequisuitladiffusiondufilm«Médiumsd’unmonde
àl’autre»,quiacontribuéàsareconnaissanceenSuissecommemédiumetluiapermis
d’augmenter fortementsaclientèle,Célineprend ladécisionde«seconsacrerqu’à la
médiumnité» et déclare «Même si c’est un métier qui n’est pas bien connu et qui
demeure encore aujourd’hui non reconnu par la société, pour moi c’est un vrai
métier»109 qu’elle effectue dans son «atelier», chez une clientèle à domicile ou en
milieumédical.Lorsd’unentretien,Céline,enévoquantsasituationprofessionnelleen
2013,précisequ’elleorganisesontempsdetravailhebdomadaire,enlepartageanten
deux joursetdemi réservésàuneclientèlequidemandeune«guérison»etendeux
jours pour les demandes de «médiumnité». Pour cette prestation, en 2013, les
demandes sont si nombreuses que le délai d’attente est de six mois. Le récit de
formation à la fonction de médium de Céline est lié essentiellement au courant
spiritualiste, mais il comporte les éléments récurrents de sa préfiguration, tels que
«sortie hors corps», prémonitions par «flashs visuels», «visite d’un défunt», qui
permettent d’expliciter les divers registres de son activité médiumnique et
thérapeutique présente et reste comparable à celui d’autres médiums européens ou
nord américainsœuvrant dans lesmêmes fonctions. Ce constat est l’expression d’un
paradoxerécurrent,quinemetpaspourautantlasincéritédeCélineendoute,àsavoir
que leportraitqu’elle donne d’elle‐même, comme l’essentiel des écritures
biographiques, ne vise pas à décrire ou à produire des individualités, mais bien à
manifesterdessimilitudesentredifférentescatégoriesd’êtreshumains,conformément
aupremier régimede l’identité quePaulRicoeurnomme l’«identité idem», c’est‐à‐
direladéfinitiondesoifondéesur laressemblanceet l’appartenance.L’histoiredevie
de Céline est une histoire de vie sociale. Céline, commeMarie, conçoit son activité,
certescommeunefonctiond’expertspirituel,maiscommeMarie,elleladéfinitcomme
109Extraitdufilm:GILLIANDDenise(réalisation),2011,Médiumsd’unmondeà l’autre,produitparPCT
CinémaTélévision–Pierre‐AndréThiébaud,encoproductionaveclaRadioTélévisionSuisse
287
unmétier qu’elle exerce dans le cadre de profession libérale. Lamédiumnité dans la
pratiquequotidiennedecesnouvellesmédiumsguérisseuseschangedenatureetsort
du cadre de l’événementiel spectaculaire et des cercles plus ou moins discrets des
sièclesprécédents.
4.5.3.StanstedHall:l’égliseetlecentredeformationArthurFindlayCollege
StanstedHallestunmanoirduXIXèmesiècle,entouréd’ungrandparc,léguéparArthur
Findlay,110 à la Spiritualists’National Union111, pour en faire son siège et un lieu
d’étudede «la Philosophie Spiritualiste, la pratique religieuse, la guérison et la
sensibilisation,lamédiumnitéetledéveloppementpsychique».112Cemanoirdeviendra
un institut de formation et un établissement hôtelier où logeront les étudiants et les
110«ArthurFindlay,(1883‐1964)ABritishSpiritualistwhowroteextensivelyonfinance,economics,and
psychicsubjects.Hewasa justiceofthepeaceforthecountiesofEssex,England,andAyrshire,Scotland,andin1913receivedtheOrderoftheBritishEmpireforhisorganizationalworkfortheRedCrossduring
WorldWarI.In1920hewasafounderandvicepresidentoftheGlasgowSocietyforPsychicalResearch
and took a leading part in the Church of Scotland's inquiry into psychic phenomena in 1923. He was
chairman of Psychic News, a leading British Spiritualist periodical, and was well known as a speaker,
lecturer, and researcher. For five years hemade a special study of the direct voice phenomena of the
mediumJohnC.Sloan.HisbookAnInvestigationofPsychicPhenomena(1924),whichwasfollowedbyOn
theEdgeoftheEtheric(1931)andTheRockofTruth(1933),explainshowthedirectvoiceisproducedand
discussesthesubjectandteachingsobtainedbythismediumship.OntheEdgeoftheEthericraninto30
printingswithinthefirstyearofpublication.FindlayarguesfortheclaimsofSpiritualismonthebasisof
thegrowingextensionofphysics.Heproposesthattheuniverseisagiganticscaleofvibrationsofwhich
the physical is in but a small range. Asmind constitutes the highest range of vibrations, so individual
consciousnessconsistsoftheinteractionofmindvibrationswithphysicalvibrations.Whenwediscardour
physical bodies, says Findlay, ourminds interact with etheric vibrations through the etheric double. »
http://psychictruth.info/Medium_Arthur_Findlay.htm
111 En 2009, la Spiritualists’ National Union, sous un statut juridique d’organisation à but non lucratif,
comptepourl’ensembledesquatorzedistrictsdeGrandeBretagne(Angleterre,PaysdeGalles,Ecosse)et
de l’Irlande du Nord, 350 églises ou centres spiritualistes pour un total de plus de 14'500 membres
auxquels s’ajoutent 2500membres individuels. Chaque communauté, église ou centre, est géré par un
comité élu par son assemblée générale qui a la liberté de définir ses propres activités à condition de
respecterlesrèglesdel’Unionetd’appliquerlesseptprincipesduspiritualisme.
112http://www.snu.org.uk
288
enseignants.Ilcomprendégalementdanssesmursuneéglisedanslaquelleofficientles
ministresducultespiritualistes.
4.5.4.L’églisedeStanstedHalletlaliturgiespiritualiste
Le«Sanctuary»oul’églisedeStanstedHall,commelesautresétablissementsreligieux
spiritualistes,sedistingueparlasobriétédesonornementationetressembleàunlieu
decultesprotestants.Leséglisesetsociétésspiritualistessereconnaissentàleurblason
circulaire placé bien en vue, au‐dessus de la partie de l’espace où se tiennent les
officiants du culte. Sur ce blason est représenté un livre ouvert placé sur un fond
partagéenunepartieocreetuneautregrisbleu,représentantuneplageprolongéepar
uneétenduemarine,à l’horizonde laquellese lèveunsoleilauxrayonsdéployés.Sur
ceux‐ci est écrit le mot «light», sur le livre le mot» nature» et sur le fond ocre «
truth».DansuneséquencedufilmMédiumsd’unmondeàl’autre, laRévérendeJanet
Parkerenpréciselasignification:«Lespiritualisme,c’estcela.Ilestquestiondelumière,
denatureetdevérité.»
CertainesEglisesspiritualistespeuventdonnerl’apparenced’unlibéralismereligieuxen
affichantdansleurslieuxdecultedifférents«symboles»religieux,telsqueleMaguène
David dite étoile de David, crucifix ou croix huguenote, mais ceux‐ci sont présents
surtout pour marquer l’affirmation de la tolérance des spiritualistes pour toutes les
formes de religions, ceux‐ci restent toutefois proches du christianisme, même si la
plupart d’entre eux préfère invoquer un « Créateur universel » ou une «Intelligence
Infinie».113UnepartiedesÉglisesspiritualistesorganisedescultesprochesdescourants
113Dansleurouvrage,DeniseGilliandetAlainMaillard(2011:60‐61)citelesparolesduRévérendSteven
Upton,tutorauArthurFindlayCollege,quienénoncelecredo:«NouscroyonsenuneIntelligenceInfinie.
Nous croyonsque lesphénomènesde lanature,physiqueset spirituels, sont l’expressionde Intelligence
Infinie.Nousaffirmonsquec’estdebiencomprendrecelaetdevivreenaccordaveccelaquiconstituela
vraie religion.Nousaffirmonsque la vieet les traits caractéristiquesdechaque individuse perpétuent
après le changementd’étatappelé«mort».Nousaffirmonsque la communicationavec ceuxque l’on
289
évangélistes réformés et s’inspire du Baptisme et du Pentecôtisme. D’autres Eglises
spiritualistes sont moins marquées par ces courants et développent une liturgie
spécifique. Les célébrations spiritualistes sont conduites par un médium ministre du
culte et comportent prières, prêches et chants, elles se concluent par une
démonstration demédiumnité. Celle‐ci débute par l’«ouverture» pendant laquelle le
médium fait appel à des «esprits des défunts», elle est suivie de la «preuve de la
survie»durantlaquellelemédiumministreapportedesélémentsd’identificationd’un
ouplusieurs«défunts»àsesproches.Lenombred’officesréguliersrestevariableselon
l’audiencedechaqueéglise.114
appellelesmortsestunfaitscientifiquementprouvéparlespiritualisme.Nouscroyonsquelaplushaute
moralité est contenue dans la Règle d’or: Fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent. Nous
affirmons la responsabilitémoralede l’individu,etquenous faisonsnotrebonheurounotremalheuren
obéissant ou pas aux lois physiques et spirituelles de la nature. Nous affirmons que la porte de la
transformation(reformation)n’est jamais ferméeauxâmes, icioudans l’au‐delà.Nousaffirmonsque le
don de prophétie et le don de soigner sont desmanifestations du divin prouvées par lamédiumnité.»
Cette déclaration reprend intégralement les neufs principes de la National Spiritualist Association of
Churches(NSAC)quiacomplété,danslecoursdecescongrèsduXXème
siècle,lesseptprincipesoriginels
duspiritualisme.Cesneufsprincipesontétéadoptésauniveau internationalpar lamajoritédesEglises
spiritualistes.
114 DeirdreMeintel, (2003) qui a mené une enquête de terrain durant plusieurs années auprès d’une
EglisespiritualistedeMontréal,qu’ellenommedanscesécrits«l’Églisespirituelledelaguérison», liste
plusieurs sortes d’offices proposés par cette dernière: «Les activités dites « ouvertes » (au public) de
l’Églisespirituelledelaguérisonincluentlestroisofficesdudimancheainsiqu’unautrequialieulejeudi
soir. Lesofficesdurententreuneheureetdemieetdeuxheures.Tous lesofficescommencentpardes
prières d’ouverture qui incluent toujours le Notre Père (version protestante). Le service principal du
dimanche se compose normalement de plusieurs hymnes (généralement des chants protestants
américainsoubritanniquestraduitsenfrançais),d’uneméditation«guidée»(unmédiumouunmédium‐
apprentiproposedesimagesaccompagnéesd’unemusiqueinstrumentaleNouvelÂge),del’offrande(la
collected’argent),delabénédictiondel’offrandeetd’unepériodede«messages»(clairvoyancedonnée
parunouplusieursmédiumsàdesindividusdansl’assistance),etilsetermineparlaprièreetl’hymnede
fermeture.L’officeprincipaldudimancheest suiviparun«officedeguérison»aucoursduquelunou
plusieursministreset leursassistantsdonnent laguérisonpar l’impositiondesmains.Normalement, les
guérisseursnetouchentpaslecorps;ilstravaillentle«champénergétique»autourdel’individuquiest
assis les yeux fermés. Leur travail ressemble quelque peu à celui des «magnétiseurs ». (…) L’office de
guérisonestluiaussimarquépardesprièresd’ouvertureetdefermeture,parlacollecteetlabénédiction
290
LaSpiritualists’NationalUnionétablitunehiérarchiedans lesministresducultequi lui
sontrattachésetqu’ellepartageendeuxgroupes:lesministresetles«officiants».Les
ministresdesdeuxgroupessonthabilitésàêtre les«ambassadeurs»duspiritualisme
en tout temps, à conduire les offices religieux spiritualistes, à intervenir comme
aumôniersdansleshôpitauxetlesprisonsetàassurerceservicesouslesforcesarmées
de Grande Bretagne. Les «officiants» du culte sont habilités à conduire en plus les
cérémonies de mariages, de funérailles et de «naming». Pour la Révérende Janet
Parker,lorsqu’elleprocèdeausacrementd’«attributiond’unnom»,elleofficiecomme
pourunservicedebaptêmedel’EgliseBaptiste.Les«officiants»ontaussilachargede
former leurs futurs collègues «officiants». La formation des médiums spiritualistes,
qu’ilssoientministresouqu’ilsexercentlamédiumnitéenpublicoudansdescabinets
privés, est assuréepar leurparticipation régulièreàdes«cerclesdedéveloppement»
spiritualistesouàdessemainesdecoursauArthurFindlayCollege.
del’offrande,etaccompagnéd’unemusiquestyleNouvelÂge.Verslafindel’après‐midi,un«officede
messages»pluscourt,sanssermon,parfoissansméditationetincluantmoinsd’hymnes,agénéralement
lieu.Leservicedujeudiestsimilaireautroisièmeofficedudimanche.Lorsdesoffices,leoulesmédiums
adressentles«messages»auxindividusdeleurchoixdansl’assistance.Silemédiumconnaîtl’individu,il
lesalueparsonnom,sinoncelui‐ciseprésente. Ils’agitdemessagesdeclairvoyancequipeuventaussi
bienportersurlasantéquesurlavieémotionnelle,amoureuseoufamiliale.»(DeirdreMeintel2003:42)
291
LeRévérendStevenUptondansl’églisespiritualistedeStanstedHall,ArthurFindlayCollege
JanetParkerMinisterofTheSpiritualists’NationalUnion
http://www.mediums‐lefilm.com
292
LamédiumThelmaFrancisphotographiel’«aura»deCélineen«étatdemédiumnité»
Célineen«étatdemédiumnité»
http://www.mediums‐lefilm.com
293
4.5.5.LecentredeformationArthurFindlayCollege
Le«ArthurFindlayCollege»compteunecinquantainedeprofesseurs«certifiés»parla
Spiritualists’NationalUnion.Ilssonttousmédiums,certainsontunministèrepastoralau
seindel’Eglisespiritualiste, lesautrespratiquent lamédiumnitéenpublicoudansdes
cabinetsprivés. Le«ArthurFindlayCollege»propose chaqueannéeenviron soixante‐
dix semaines de formation organisées par modules d’enseignement spécialisés et
dispensésparplusieursprofesseurs.Laplupartdeceux‐ci interviennentdansplusieurs
séminaires, dont certains sont dédoublés voir détriplés. Lamatière la plus enseignée
reste la médiumnité115, cinquante‐cinq modules sur l’ensemble des cours lui sont
consacrés. Les participants se regroupent selon leur niveau d’expérience ou sont
intégrésdansdesgroupesdepersonnesvenantd’unmêmepays.Ilssonttoushébergés
surplace,unesemaineaveccoursetpensioncoûte800.‐francssuisses,soit650.‐euros.
Lesautressemainesdeformation, toujoursaxéessurunseul thème,s’adressentpour
partieàunpublicdiversifiéetpourpartieàdesmédiumsprofessionnels.Pourl’année
2014,huitsemainessontréservéesà l’apprentissagedelatranseetàsonrôledans la
médiumnité au XXIème siècle. Dans les trois semaines de formation à la «guérison»,
l’une d’entre elles est aussi réservée à la «transe guérison», elle s’adresse
exclusivement à des «médiums professionnels» ou à ceux qui se destinent à cette
fonction. Le catalogue des cours précise:«The course will include tutorials/lectures,
115Lecoursdemédiumnitécomporteetpermetsd’accéderà:«Waystoapproachcommunicationwith
the spirit world. The unfoldment and expansion of mediumistic awareness. Refining the quality of
evidenceofsurvival.Tranceandrelatedalteredstates.Expandingthemany levelsofyourmediumship.
Connecting with the awe inspiring spectrum of the spirit world and its influence. Understanding spirit
guides,helpersandtheirroles.Comprehendingcolourandtheaura.Awakeningtoyourinfinitespiritual
andmediumisticpotential.Mediumistic sittings.Practises forsuccess inpublicdemonstrations.Building
confidence in your abilities. Worlds of possibilities in physical mediumship, healing and much much
more!»http://www.snu.org.uk
294
tutordemonstrationsandgroupsession.Groupsessionsaredesignedtogiveyouhands‐
on experience, not just listening but doing.» Ouvert qu’à douze élèves, ce séminaire
mobiliseseptenseignantsdontcinqministresduculteparmilesquelsun«officiant»et
deux médiums ayant différentes responsabilités dans l’organisation de la
Spiritualists’NationalUnion.En2013,unesemainedeformationaétéorganiséeautour
de l’interprétation des rêves nocturnes et des rêves éveillés diurnes. En 2014, une
semaine sera consacrée au «chemin chamanique». Celui‐ci est compris comme une
«étape» de développement personnel, un mode de recherche personnel pour
retrouver une «authenticité», une aide pour se connecter à la spiritualité et pour
développer une relation avec les esprits qui nous entourent. Le cours permettra de
connaître les «animaux totem», d’aborder la «guérison chamanique», les
«cérémonies sacrées», de créer ses propres objets rituels, dont son «tambour
chamanique» et de «voyager» au son des tambours. Ce cours a été suivi, lors du
programmed’uneannéeprécédente,parCéline.
Certainsprofesseursetministresduculte,commeJanetParker,sont«missionnés»par
la Spiritualists’National Union, pour donner des semaines de formation et des
«démonstrationspubliquesdemédiumnité»dansd’autrespaysquel’Angleterre.Selon
sonsiteweb116,JanetParker«atravailléenSuisse,enItalie,enHollande,enSuède,au
Danemark,enAllemagne,auxEtatsUnisetauCanada».Sescourssontdonnésdansle
cadred’autres«écolesdemédiumnité»ouorganiséspardestiersdanschaquepays.
JanetParkervientenSuissedepuisunevingtained’année.
4.6.Lesmédiumsspiritualistessuisses
EnSuisse romande, s’estdéveloppéunegrandediversitédecommunautés religieuses
issuesdescourantsévangélistesprotestantsetdesociétésliéesàdescourantsspirituels
ou ésotériques, mais pas d’église spiritualiste reconnue officiellement comme en
116http://www.janetparker.co.uk
295
GrandeBretagne.Ilexistedes«cerclesspiritualistes»oùsepratiquentdes«guérisons
spirituelles et des transes de guérison» ainsi que des formations à la médiumnité
données par des médiums diplômés de l’Ecole Fréquences117 et qui ont suivi des
modulesspécifiquesàl’ArthurFindlayCollege.Certainsdecesmédiumsontsuiviaussi
des«enseignements»auprèsd’autresspécialistesdontilsaffirmentqu’ilslesontfaits
par «curiosité» mais le plus souvent «pour compléter leurs compétences en
médiumnité ou en guérison». Les médiums spiritualistes, comme la plupart des
médiums guérisseurs sont dans une recherche constante d’éléments nouveaux à
intégrerdansleurspratiques,continuantainsiunprocessusde«bricolage»déjàinscrit
dans leur parcours biographique lorsqu’ils intègrent la doctrine spiritualiste d’origine
protestante.
La plupart des médiums que j’ai rencontrés a reçu une éducation catholique, certes
parfois dans desmilieux catholiques peu actifs,mais qui les a «façonné» dans cette
construction de la personne et qu’ils affirment dans leur présentation de soi par la
phraseintroductive:«J’aiétéélevédanslareligioncatholique».Les«appropriations»
de matériaux symboliques par de nouveaux apprentissages s’inscrivent dans une
117L’EcoleFréquences,écolesuissedemédiumnitéaétéfondéeen2005àNeuchâtelparHannesJacob,
ancienspécialisteenmarketingetmédiumforméauArthurFindlayCollege.Elleproposesuruncursusde
deux ans, à raison de deux jours et demi de cours par mois, une «formation en médiumnité»
comportant les apprentissages de différentes formes de méditation, de la « guérison par toucher
thérapeutiqueetdelaguérisonspirituelle,dela«lecturepsychiqueoulecturedel’aura»,parlaquellele
médiumlitun«champ»avecsonpropreespritetnonavecdesinformationsdumondespirituel,dela«
médiumnitémentale», qui est la communication avec les défunts, de la «médiumnité physique», soit
touteformedemédiumnitéperceptibleparlescinqsensquipermetparexemplel’écritureautomatique
oul’utilisationdelaplancheouija.L’EcoleFréquencesproposeaussisuruneannée,égalementàraisonde
deux joursetdemidecoursparmois, la«formationguérison»comportantdescourssur« laguérison
spirituelle,latranseguérisonetlalithothérapie».SelonDeniseGilliandetAlainMaillard,l’écolecompte
unedizained’enseignantsdontlamoitiésontdesspiritualistesanglais,formésauArthurFindlayCollege,
en2011,quatrevoléed’unmoyennedevingtélèvesavaientfini leurformationetétaientdiplôméesde
L’EcoleFréquences.
296
démarcheitérativeetdansundoublemouvementderéappropriationdevaleursetde
démarcationsdutropproche.
4.7.L’inaugurationdel’AtelierInfini
En septembre 2012, soit dixmois après la première projection du filmMédiumsd’un
monde à l’autre, la réalisatrice Denise s’associe avec une autre médium guérisseuse
prénommée Catherine pour ouvrir à Lausanne l’«Atelier Infini‐ Eveil Transe
Conscience». Elles en précisent l’appellation sur le document de présentation en
déclarant:«Noussommesauservicedevotreinfinipotentieldetransformationenvue
d’une guérison physique, psychique et spirituelle. En nous reliant à l’énergie créatrice
fondamentaledel’univers,quinousconstitue,nousretrouvonsl’essencedecequenous
sommes:toutestalorspossible».Nousretrouvonsunénoncéspiritualistequipréfigure
la fonction de «cercle de développement» de cet «Atelier» dans lequel seront
organisés des activités de conférences, des cafés médiumniques, des méditations
guidées,descoursd’initiationà lamédiumnitéetdesséancescollectivesdeguérisons
publiques. Le local servira aussi de cabinet pour des séances individuelles de
médiumnité et de guérison. Dans tous les cercles, mis en place par le courant
spiritualiste, se sont développées de manière similaire des pratiques de guérison,
commeleconstateChristophePonspourquilespiritualismes’estforméautourd’une:
«matrice rituelleàdeux temps, composéed’uneparole supérieureprophétiqueetd’un
enjeud’entraideoù les vivants cherchent à sauver l’âmeenpeine. Par la suite, elle fut
enrichied’unetroisièmeséquenceaucoursdelaquellelesmorts–entroupesmédicales–
vinrent à leur tour aider les vivants lors de situations difficiles: maladies, dépressions,
ruptures,décèsdeproches,etc.»(ChristophePons2011:187)
L’invitation à l’inauguration de l’«Atelier Infini» a été envoyée par courrier
électroniqueàunfichierd’adressesdepersonnesquiontmarquéleurintérêtàrecevoir
des informationssur lesévénementsquiaccompagnent lesprojectionsdu filmetplus
297
généralement sur la médiumnité. L’inauguration de cet espace ressemble à un
vernissage dans une galerie d’art, la lumière est tamisée, un buffet est servi sur une
grande table installée aumilieu de l’espace éclairée par des bougies, les visiteurs se
répartissent entre la salle et la cour. L’atmosphère est cordiale, les uns et les autres
échangentquelquespropos,certainsontl’airdeseconnaître,d’autrepas.
Le local de l’«Atelier Infini» ressemble à un ancien atelier d’artisan d’une superficie
d’unpeumoinsd’unetrentainedemètrescarrés,situédepleinpieddansunecourau
rez‐de‐chausséed’unimmeublelocatif.Desconduitesd’eaupeintesenblancssillonnent
le plafond. Sur un des murs, bien en vue est affichée la «Charte des médiums
guérisseurs».118Sielleseveutrassurantepourlesfutursclientsenaffirmantsonbutde
définir etd’unifier lesprincipeséthiquesetprofessionnels auxquels adhèrent tous les
guérisseursquiparticipentàl’«AtelierInfini»etaux«séancespubliquesdeguérison»,
par son mode de présentation et son emplacement elle rappelle le serment
d’Hippocrate et code de déontologie encadré dans les cabinets demédecins jouxtant
leurs diplômesuniversitaires et de spécialisation et produit par similitudeun effet de
légitimationdel’activitédesmédiumsguérisseurs.LaCharteestaussiprésentedansle
dépliantdonnantdesinformationssur lesdatesdes«séancespubliquesdeguérison»
qui sont planifiées dans cet atelier et dans cinq autres villes de Suisse romande. A
chaque séance participent plusieurs médiums guérisseurs dont quelques‐uns sont
présentsàcetteinauguration.
118Chartedesmédiumsguérisseurs:«Lemédiumguérisseursemetpleinementauservicedelaguérison
physique,psychiqueetspirituelledupatient.Ilagitavecrespect,humilitéetsincéritépourleplusgrand
bien de tous. Le médium guérisseur s’engage à offrir le meilleur à chacun sans distinction de races,
nationalités,milieuxsociaux,tendancessexuelles,handicaps,etc. Ilnesesubstituepasauxmédecinset
autresthérapeutes.Ilneposepasdediagnosticetnefaitaucuneprescriptionmédicale.Iln’interfèrepas
dans les choix du patient. Il respecte le secret professionnel. Chaque médium guérisseur est libre de
pratiquersafoicommeil l’entendmaisiln’imposenisescroyances,nisespratiquesàsespatientsouà
sescollègues.Lemédiumguérisseurtravailleavectoutelafoietlaconsciencenécessairesàlaréalisation
dupleinpotentielpositifdupatient(évolution,transformation,guérison).»
298
Le document de présentation de l’«Atelier Infini» détaille le parcours de formation
identiquedesesdeuxfondatrices.Ellesontsuivi,de2005à2007,l’EcoleFréquencesà
Neuchâteletobtenuun«diplômeenmédiumnitéetguérisonspirituelle»,de 2008à
2009, un cours d’«anthropologie des processus de guérison: théorie et pratique»
donnéparJean‐DominiqueMichel,anthropologueetguérisseur,différentsmodulesde
coursà l’ArthurFindlayCollegedontceluide«Transeguérison, transeparléettranse
écriture»donnénotammentparSheilaFrencheten2011,uneformationen«guérison
spirituelleetchirurgiepsychique»,aveclerévérendAlexOrbito119auxPhilippines.Alex
Orbito est une figure connue du spiritisme en Suisse où il vient deux fois par an
pratiquerdesopérations«àmainsnues»pourlesquellesletermeemployéestceluide
«chirurgiepsychique».Deniseévoqueenpetitcomitéles«troisopérationsdechirurgie
psychique» qu’Alex Orbito a faite sur elle. Elle parle notamment d’un kyste que le
guérisseur spirite lui «a extrait». Après sept ans de formation ces deux médiums
guérisseuses entendent se lancer dans une pratique plus professionnelle mais
n’abandonnentpasleursmétiersrespectifs:pourDenise,laréalisationdefilmsetpour
Catherine,laphotographie.
Plusieursmédiumsissusdel’Eglisespiritualisteanglaisesesontapprochésdesmédiums
spiritespourdévelopper leurméthodedeguérison,estimantqueceux‐cipeuvent leur
119AlexOrbitoestnédansunerégionruraledunorddelaRépubliquedesPhilippines.Sesdeuxparents
sontmembres de l'Union Espiritistas Cristiana de Filipinas, institution faîtière chapeautant des réseaux
constituésd’unmillierdepetitescommunautéslocalesetformantlaplusgrandeorganisationdespirites
auxPhilippines,ellecompteégalementdesramificationsauCanada,enCalifornie,àHawaiietHongKong.
Dèsl'âgede21ans,AlexOrbitodevient l'undesmédiumsguérisseurscélèbresdesPhilippines.L'actrice
ShirleyMaclainecontribueàsarenomméemondialeparsonlivre«GoingWithin»,quiparaîten1989et
devient un best‐seller. Alex Orbito fonde en 1983 le Cercle des Guérisseurs Philippins dont il est le
Président à vie ainsi que la Fondationd'Aide Spirituelle, qui fournit des bourses et financedes centres
communautairesetdesécolesdans les régionsdeCuyapoetPangasinan.En1985, il lui estdécerné le
titredeDocteurHonorisCausapar leCongrèsmondialde laFraternitéde l'ONUen tantqu’«éminent
ambassadeur dédiant son action avec dévouement pour la paix universelle et la bonne entente». En
1999, il inaugure le centre «la Pyramide d’Asie», où sont organisés des rencontres et des séminaires
internationauxsurlaguérison.En2000,ilobtientlePrixphilippinJoséRizalpoursonactionhumanitaire
auxPhilippinesetàl'étranger.
299
apporterlescomplémentsàleurformation.Lesmédiumsspiritespardesprièresetdes
chants lors d’offices religieux invoquent l’Esprit Saint, ou des entités supranaturelles
tellesqu’angesetarchanges,ainsiquedes«défunts» telsqueprophètesoud’autres
évangélistes. Les médiums ayant «reçu la mission» de pratiquer des guérisons
spirituelles «canalisent» cet esprit qui répond à leur demande et qui va agir à leur
place. Pour les spirites, les rituels de guérison sont mis en œuvre dans des buts
thérapeutiquesetpourcontribuerà l’«édificationspirituelle»detous.Lesadeptesdu
spiritualisme qui suivent les tournées européennes des guérisseurs spirites ou se
rendentauxPhilippinesouauBrésilpourdesstagesdisent«éprouverunefascination
pourcetteformed’authenticitéprimitivedelamobilisationdesorganesducorpsversla
guérison». Ils admettent les compétencesd’illusionnistesde certains spirites, lorsque
ceux‐ci extraient des masses noires de «négativité» du corps du patient, mais ces
médiums guérisseurs affirment que «nous les «occidentaux» nous avons besoin de
preuves visibles» et que ces tours de passe‐passe sont là pour la galerie et «pour
montrer notre crédulité dans notre demande de preuves». Les récits d’«opérations
psychiques»prodiguéparunexpertspiriterejoignentunrépertoirequeconnaissentles
spiritualistes. Ils en tirent facilement des parallèles avec la catégorie particulière des
guidesspirituelsquesontles«médecinsduCiel»,quiinterviennentdanslesguérisons
prodiguées par les spiritualistes. Les récits d’«opérations psychiques» divulgués avec
complaisance par les médiums spiritualistes remettent en circulation les récits de
guérisonsmiraculeuses. Ils permettent aussi demarquer la distinction entre ceux qui
n’ontpasvécuunetelleexpérienceetceuxquiontreçuune«opérationpsychique»qui
a introduit une modification dans leurs organes corporels. En jouant sur une
représentation essentialiste de la catégorie demédium guérisseur, cettemodification
invisible à l’œil nu, mais dont l’effet est confirmé par la médecine scientifique, les
authentifiedans leurcompétenceparticulièredemédiationentre lesmondescélestes
etterrestres,entrelesmondesdesvivantsetdes«morts».
300
4.8.Lesséancespubliquesdeguérison
Pourpouvoirexpérimenterunepratique,qui reste la seulepossibilitépourapprendre
cesdifférentslangagespermettantlesinteractionsetlestransactionssocialesmisesen
œuvre par les médiums spiritualistes, et en faire l’ethnographie, j’ai participé aux
différentes activités proposées par l’«Atelier Infini». J’ai expérimenté la «guérison
spirituelle», participé aux «cafés médiumniques» et à des «ateliers d’initiation à la
médiumnité».
Les «séances publiques gratuites de guérison» se déroulent dans six villes de Suisse
romande selon une fréquence mensuelle régulière. Elles prennent place dans
des«cercles de développement» bénéficiant de leurs propres locaux ou louant une
salle pour cette pratique publique. Les séances se déroulent toutes selon le même
protocole.Ledépliantdeprésentationdecesséancesàl’«AtelierInfini»précisequ’:
«il n’est pas besoin de prendre rendez‐vous, l’entrée est libre, une donation est
cependantbienvenue.Lesguérisseursàvotreserviceypratiquentlamédiumnitéguérison
engroupe.Ilsvoustransmettentdel’énergieparsimpleimpositiondesmainsetn’ontpas
d’échange verbal avec vous. Toute personne peut en bénéficier sans restriction. Une
séancedurede10à15minutes.»
Demêmequedanstoutenoticeaccompagnantunmédicamentleseffetsdutraitement
sontdécritsdansceprospectus.Pourcertains l’effet sera immédiatet ils sentirontun
changement rapide, pour d’autres l’«effet sera plus subtil et plus lent». Les
changements peuvent être de tous ordres: physiques, psychiques et spirituels, ils
peuventêtreperceptibles«trèsintensivement»lesjoursquisuiventlaséancemais«il
fautcompterenvironunmoispourquel’énergiedeguérisonagissepleinement.»Cequi
revientàdirequechacunentirerasapropreconclusion.
301
A Lausanne, les séances publiques gratuites de guérison sont programmées, tous les
premierssamedidumoisde11hà13h.Surlaportedel’AtelierInfinisontaffichéesles
consignes à respecter: «Entrez sans frapper. Enlevez votre veste. Enlevez vos
chaussures. Asseyez‐vous sur une chaise libre devant un guérisseur. Ne pas choisir le
guérisseur. La séance dure 10 à 15 minutes. Le guérisseur ne remplace pas votre
médecin.»
J’entre dans l’Atelier et me conforme à ces différentes injonctions. Une musique de
«méditation» est diffusée par deux petits hauts parleurs, un chanteur amérindien
accompagneunemélopéeenfrappantuntambour,unevoixfémininel’accompagnepar
intermittence. Catherine, une desmédiums fondatrice de l’«Atelier Infini» et à
l’initiativedecesséancesdeguérison,mereçoitensilenceetmedésignedelamainune
chaise libre. La salle accueille cinq autres médiums guérisseurs placés derrière cinq
banaleschaisesenboisrépartiessurunarcdecercle.Jecomptetroisfemmesetdeux
hommesdanslegroupedesthérapeutesetdeuxfemmesetunhommedansceluides
consultants.Unede ces deux femmespleure à chaudes larmes. Les trois thérapeutes
ontplacéleurdeuxmainsenimpositionau‐dessusdesépaulesdesconsultants,ilsneles
touchent pas, tous sont silencieux les yeux fermés, l’atmosphère est comparable à
l’intensitédecelled’unmomentdeprièredansuneéglise.Jem’asseyesurlaquatrième
chaise à la suite des trois autres personnes. Un homme d’une quarantaine d’année,
minceetblond,portantuncatoganetquej’identifiecommeétantAlain120,sepenche
120 Dans le reportage sur l’Ecole Fréquence : Esprit es‐tu là? Mise au point, Radio Télévision suisse,
émissiondu2septembre2012,lajournalistedelatélévisionsuisse,poselaquestionàAlaindecequelui
apporte la médiumnité, à laquelle il répond: «La médiumnité ça touche à l’âme, c’est un moyen de
comprendre un peu mieux… Ce que j’aime dans la médiumnité, c’est cet aspect poétique et un peu
théâtral.Onlesimagine…Onn’estpassûrquec’estvraimentdesâmesindividuelles,maisilyatoutecette
image de parler avec les morts que je trouve personnellement très sympathique.» Cette dernière
assertion nous rappelle que la médiumnité est un dispositif qui permet la mise en place d’une
constructionsymboliquepourcréerlafictiond’unepuissancedontonattendlaproductiond’uneparole
oraculaire,d’unditdivinatoireposécommeundiscoursdevérité.Cetteassertionintroduitaussiledouble
jeudelarépudiationd’une«croyance»,(commeici,d’unecontinuitéd’uneindividualitédel’âmedans
302
surmonépauleetmemurmureàl’oreille:«Est‐cequejepeuxposermesmainssurvos
épaules?».J’acquiesceensilence.Aucunautremotn’estéchangé.Jefermelesyeuxet
me laissealler à la rêverie.Aprèsun certain tempsd’unedurée indéfinissable je sens
unechaleurquiirradiedesesmains,despicotementsdanslanuque,puislachaleurqui
enveloppemonépauledroitedanslaquellej’éprouvedepuisquelquesjoursunedouleur
dueàunetendinite.Lachaleurredescendlelongdelacolonnevertébraleetenvahitun
point sensible au bas du dos. C’est le même emplacement des lombaires que
«travaille» laphysiothérapeutequi soignema tendinite.Quelquesminutesplus tard,
après une durée d’imposition des mains que je n’arrive pas à définir, le médium
guérisseurme demande si je vais bien. Je lui réponds par l’affirmative, la séance est
finie.Jeluidemandes’ilaunecartedevisite,ilmerépondqu’iln’apasprislessiennes
aveclui,maisqu’ilyasurlatableàl’entréelescartesdesafemmequ’ilmedésignede
la main comme étant la femme placée derrière la chaise à côté de lui. Sa voisine
médiumguérisseusemesourit.Sacartedevisitemepermettrad’apprendrequ’elleest
psychologuediplôméedel’UniversitédeLausanne.
J’apprendraiultérieurementparCatherinequelleestlamiseenconditionquiaétéfaite
par lesmédiumsguérisseurs.Ceux‐ci sesont installésdans lasalleuneheureavant le
début de la séance et ont fait uneméditation collective: « Nous nous connectons à
l’«énergie universelle» et nous faisons canal, nous la redonnons pour des guérisons
physiquesetpsychiques,nousaidonslespersonnesquienontbesoin».Selonelle,cette
«pratique» est accessible à tout lemondemais cela demande un apprentissage qui
comporte «beaucoup» d’exercices et de pratiques de méditation et cela demande
plusieursannéespouravoirunebonnemaîtrisedelacaptationettransmissiondecette
«énergie».Parlaméditation,onapprend«àsedéconnecterdecequinousentoure,à
fairelevideensoietàsecentrersurcevideintérieur»sanslequeliln’estpaspossible
l’au‐delà),parunemiseàdistancesignifiéeparlechoixdesqualificatifsemployés(telque«poétique»et
«théâtral»),toutenlamaintenantdisponible,parunaffect(commeuncréditdesympathie),pourune
mobilisation
303
de capter l’«énergie universelle». A ma demande si une guérison peut se faire à
distance,laréponsedeCatherineestquelemédiumpeut«travailler»avecunephoto.
Il se «concentre» sur la photo de la personne comme si elle était présente, et
«travaille» pour envoyer de l’énergie au bon endroit, celle‐ci va purifier, revitaliser
l’organedéficient.PourDenise,àquijereposerailamêmequestionultérieurement,le
médiumcréeuncanalénergétique,«uneautoroutedelumière»entreluietl’âmedela
personne qui est sur la photo. Selon Denise, «tu envoies l’énergie à l’intérieur de ce
canalettusorsenétatdeconsciencemodifiéepourunvoyagedel’âme».Selonelle,le
médiumeneffectuantun«voyagedel’âme»peutaussisoutenirunepersonnequiest
en train d’être opérée. «Il se rend avec son âme en salle d’opération et entre en
dialogued’âmeàâmeavec lepatient.Lesdeuxâmesdiscutentpendant l’opération, le
médiumdécritaupatientcequisepasseetl’aideàconditionnersesorganes.»
4.9.Lescafésmédiumniques,lieudelaparoledesrêves
Danscettemêmevolontéderendreaccessibleladoctrinespiritualisteàtous,ainsique
les pratiques qui lui sont liées, les fondatrices de l’«Atelier Infini» organisent des
«cafés médiumniques». Ceux‐ci se déroulent chaque premier vendredi du mois de
vingt heures trente à vingt‐deux heures. Tout le monde peut y participer mais ils
requièrentune inscriptionpar textooucourriel enpréalable. J’aiparticipéàplusieurs
d’entreeuxentremarset juin2013.Lenombredesmédiumsprésents,dont lesdeux
fondatricesde l’Atelier Infini, avariédedeuxà trois,et lesparticipantsentredeuxet
cinq personnes. Les questions de ces dernières ont porté essentiellement sur des
demandes de précisions sur certaines séquences du film et sur leurs propres
«perceptions»etrêves.Les«cafésmédiumniques»ontpris l’allurederencontresde
rêveurs proposant leur «visions» des «morts» à des professionnels de la
communicationavecl’invisiblequinecodifientpasles«morts»demanièreidentique.
Pourenmontrer ledéroulement, j’ai choisid’utiliserplusparticulièrement lematériel
ethnographiquededeux«cafésmédiumniques».Chacund’euxsuitlemêmeprotocole
304
danslemêmedispositif.Unetableestdisposéeaucentredel’espacedel’atelier.Surla
table,sontdisposésdestassespourducaféouduthé,despetitsgâteauxsecs,desfruits
secsetdespetitschocolatsetautressucreries.Lapièceestpeuéclairéeparlesbougies,
disposées sur la table ou sur une étagère, avec le soutien d’une lampe procurant un
léger effet lumineux indirect. Une musique de fond sera diffusée durant tous les
«cafés», généralement de la musique classique, plutôt des opéras, mais aussi des
chœursde femmesouencoredesmélopéesamérindiennesou tibétaines. L’ensemble
donne une tonalité différente de celle des «séances de guérison», en conférant aux
«cafés» une ambiance de convivialité et de «soirée entre amis». Denise ouvre le
«café» en en donnant les «règles» comme dans tout «café» à thème. C’est un
«espace qui doit permettre un temps de parole pour chacun, pour témoigner et
racontercequi lui tientàcœur».Elle insistesur«l’écouterespectueusedesquestions
des uns et des autres, sur la mise à disposition de chacun pour tous ne devant pas
débouchersuruneréflexionindividuelleetundébatd’idées».Laséancecommencepar
le classique tour de table où chacun se présente. Il sera suivi des récits derêves,ou
situationsquiontparueshorsdel’ordinaireauxparticipants.
Le groupe du premier «café» est constitué par trois médiums, Denise, Catherine et
Jacquesetparquatrefemmes,dontmoi.IlyaJacqueline,unefemmed’unesoixantaine
d’années,psychologueetpsychopédagogue.Elle s’est convertieaubouddhistedepuis
une vingtaine d’années et pratique régulièrement la méditation dans un Centre des
hautes études tibétaines situé dans les hauteurs de la Riviera vaudoise. Elle se dit
«interpelléepar le filmMédiumd’unmondeà l’autre», elle aété très impressionnée
parlapersonnalitédeCéline,parsamanièred’êtreetde«dégageruneforteénergie».
Ellearevulefilmunedeuxièmefoisetl’aconseilléàplusieurspersonnes.«Parcontre,
ellenevoitrienetn’entendrien».Elleestvenueparticiperàcecafémédiumniquepour
évoquerlefilmetson«manquedeperception».Elleaincitésesdeuxamies,Barbaraet
Laurence, à l’accompagner à cette rencontre. Barbara est hollandaise, c’est une
enseignante d’une cinquantaine d’années. Elle s’intéresse à la médiumnité depuis
305
plusieursannées«sansavoireul’occasiond’approfondircettequestion».Elleestvenue
au «café médiumnique» parce qu’elle a eu «des choses bizarres dans sa vie». La
troisième participante, Laurence, est éducatrice pour la petite enfance. Elle avait
entenduparlerdufilmpendantuneémissiond’AlainMaillardàlaRadiosuisseromande
cequil’aincitéàvoirce«documentairequil’afortementimpressionnée».L’idéed’un
«cafémédiumnique»luiaplût.Elleaffirmed’entréedejeuqu’ellecroitàlaforcedela
prière. Il s’avérera qu’elle est catholique et pratiquante. Je me présente comme
anthropologue. Denise réagit en me disant que je dois bien avoir une raison plus
personnellepourparticiperàcecafé.Jeressensunecertaineanimositéde lapartdes
troismédiumsquej’interprètecommeétant lanonenvied’avoiruneobservatricedes
pratiquesdanscecercle.J’évoquealorsdeuxrêvesdanslesquelsmesontapparusdeux
prochesdécédés.Lorsdes«cafésmédiumniques»suivantsauxquels jeparticiperai, je
présenteraichaquefoiscesmêmesdeuxrêves.Dansledeuxième«cafémédiumnique»
participeront Pierre et ses deux fils âgés de quinze et dix‐sept ans, ainsi que, comme
médiums Denise et Catherine. Pierre est âgé d’une cinquantaine d’années, il a une
formation en Droit et travaille dans un établissement pour personnes handicapées.
Chacunvaévoquersesrêves.Jacqueline,BarbaraetPierreparlerontdesensationsetde
signes qui ont précédé la mort de parents et de rêves dans lesquels ceux‐ci sont
apparus.Pierreajouteraunrécitdesensationsde«présences»diurnes.
4.9.1.LesrêvesdeBarbara
Barbararacontel’«histoirequilapoursuitdepuistrenteans».Ellepartaitavecsasœur
envoiturepouraller àParis. Sesparentsétaientdans le jardinet ils leur faisaientun
signe d’au revoir de lamain. Elle ressentit à cemoment‐là commeun «flash»: «Ce
n’étaitpasunepensée,maisc’étaitunecertitudequis’estinscritdansmatête,c’étaitla
dernièrefoisquejelesvoyaisensemble».Elleaappelésesparentsquelquesjoursplus
tardpour leurdirequ’ellepartaitàRouenvoiruneamiedesonpère.Celui‐ci luiadit
qu’ilfallaitqu’ellediseàcetteamieque«untelétaitmort».Elleapassélajournéeavec
306
cetteamieetluiabeaucoupparlédesonpèrealorsqu’elleavaitsouvent«destensions
trèsdifficiles»avec lui. Lorsqu’elleest rentréeàParis, le soirelleaeu«uneangoisse
terrible», il fallait qu’elle appelle chez elle. Elle voit alors dans le journal du jour
l’annonce des remerciements de la famille de la personne décédée dont son père lui
avaitparlé.«Celaadéclenchéuneangoisseatrocepourmoi. Jesavaisqu’il sepassait
quelquechose,maisquoi?Jemesuisditquec’étaitbizarre.»Jesuisrentréedansune
cabinetéléphonique,iln’yavaitpasdeconnexion.Jesuisallédansleplusgrandbureau
depostedeParis,etlàj’aiappeléchezmesparents,c’étaitoccupé,maisjenesuispas
partie,etj’airefaitlenuméroplusieursfoisjusqu’àcequemamèredécrocheetmedise
quemonpèreétaittombéraidemort,àl’heureoùj’avaisappelélapremièrefois,etoùil
n’y avait pas de connexion. Et si je n’avais pas appelé, ma mère n’aurait pas pu
m’atteindre, car elle n’avait pas de numéro de téléphone pour m’appeler à Paris.»
Barbararaconteraunrêvequ’«elleaeu»aprèslamortdesonpère.Danscerêve,elle
marchedanslarueetcroisesonpère.Elleluidemandes’ilaaimésonenterrement.Son
pèresemetàrirelonguement.Elle,deconclure:«Çasemblaitvrai,maisc’étaitbizarre.
Jen’aipasencorecomprisça».PourDenise, lesdéfunts interviennentdans lesrêves,
parcequedans lesommeil, lesmécanismesdedéfensedesêtreshumainssontmoins
présents, ce qui les rend plus réceptifs à l’au‐delà. Elle précise que pour cette raison
certains médiums préfèrent recevoir la nuit les enseignements de la part de leurs
guides. Ce sont souvent des personnes qui se réveillent toutes les nuits à la même
heure, à quatre heures dumatin. Barbara a fait «suite à cette rencontre nocturne»
plusieursrêvesdans lesquelssontpèreapparaissait.Ellesedemandes’il fautanalyser
les rêves « à la lettre», s’il faut analyser chaque élément du rêve. Denise, selon un
procédéusueldesmédiums,nerépondpasàsaquestion,mais luiproposeunnouvel
élément du répertoire spiritualiste: la bibliothèque akashique.121 Denise «aime bien
121Labibliothèqueakashique,appeléaussilesAnnales,lesArchives,oulesMémoiresakashiques,estun
conceptésotériquecrééparlesthéosophesàlafinduXIXème
siècle,àpartird'élémentsdelaphilosophie
indienne. Lapremièrementionde cettemémoireuniverselle figuredans Isisdévoilée, premierouvrage
publiéàNewYorken1877écritparunedes fondatricesde laSociété théosophique,HelenaBlavatsky.
Elleyciteunfragmentdes«oracleschaldaïques»:«Lesoraclesaffirmentquel'impressiondespensées,
307
imaginerqu’ilyaunesortedebibliothèqueuniverselle,unebibliothèquedeleadership,
un lieuatemporeldetous lessavoirsetauxquelstout lemondeàaccès,enrêveouen
étatdeclairvoyance».Danscelieudetoutes lesmémoiressanstemporalité,ceserait
commecirculerdansletempsetnonvivredansuntempslinéaire.Ilseraitalorspossible
d’allerychercherdes informationsdupasséetduprésent,maisaussidufutur,cequi
expliqueraientpourlescerclesésotériqueslesprémonitions,lerêveetsoncorollaireles
sortieshorscorps,ainsiquelesrencontresavec«nosdéfunts»,lesguides,lesangeset
toutesautresentités.Dansunautrecafémédiumnique,Denise,parlantdesrêves,dira
que«c’estquelquechosedansmaconsciencequisortdemoipourallervoyagerdansle
temps, pour voir ce qui est advenu». Les représentations des mécanismes du rêve,
commevoyagede l’âmeoude la consciencedans le tempsoudans l’espace, versun
éther contenant toutes lesmémoires, pareil à unordinateur est le discours récurrent
d’unegrandepartiedesmédiumsguérisseurs.
4.9.2.LesrêvesdeJacqueline
Jacquelineestveuve.Lorsqu’elleest très fatiguéeouqu’elleseditqu’elleabesoinde
vacances,sonmari«vientdanssonrêve»,ilest«plusoumoinsprèsd’elle»etquand
descaractères,deshommes,etautresvisionsdivinesapparaissentdansl'éther.Leschosesquin'ontpoint
deformeenprennentuneetysontfigurées.».Ellepoursuit:«C'estsurlesindestructiblestablettesdela
lumièreastralequ'estimpriméelareprésentationdechaquepenséequenousformons;dechaqueacte
que nous accomplissons.» Elle définit le terme lumière astrale comme semblable au terme sanskrit
«akasha». Charles Webster Leadbeater sera le premier à employer le terme d’« enregistrement
akashique»danssonlivreClairvoyanceparuen1899.RudolfSteiner,secrétairegénéralpourl'Allemagne
de la Société théosophique, écrira La Chronique de l'Akashaqui sera publiée en 1904, et reprendra ce
concept dans le mouvement Anthroposophe qu'il créa en 1913. L’idée d’une mémoire universelle
akashiqueaétérepriseparCyrilHoskindanssonouvragequiconnuungrandsuccèspublic,Le3èmeœil
écrit sous le pseudonyme de Lobsang Rampa, nom attribué à un moine bouddhiste tibétain, et plus
récémmentparlesouvragesdeDanielMeuroisetAnneGivaudan.
308
elle se réveille, elle a «l’impression d’avoir pris une vitamine». Elle est bien comme
lorsqu’ilétait là.Parfoisellesentunmouvementde l’air,elleenretireuneimpression
qu’ellenepeutdéfiniret lanuitsuivantesonmarivientdanssonrêve.Elleseditque
c’est incroyable, mais ça «la booste» à chaque fois. Jacqueline relate aussi
l’«événement» qui l’a impressionné. Pendant les mois qui ont suivi le décès de son
mari,ellepensaitqu’«elleneressentiraitpluslajoie».Elle«lui»disait,encomptantles
mois«celafaitunanetdemiquetuesparti, jecroisque jenesentiraiplus jamais la
joie».Unmatin,enselevant,ellevoitdepuissafenêtreunlilasenfleursdanslacourde
samaison.Ellesentsonodeurpuissanteetréalisequ’ellepeutànouveauressentirune
émotion.Apartirdecemomentelle«apucommenceretfinirsondeuil»maisellereste
persuadée«quecelilas,c’estcommesi«on»luiavaitfaitsentirsonodeur,qu’«on»
lui avait ordonné desentir ce lilas». Jacqueline rapporte une troisième situation, qui
l’«interrogeencoreplusquelesdeuxpremières,parcequ’elleaétéaccompagnéed’un
phénomèneétrangeconcret».Elleavaitunetantevalaisanne,qu’ellequalifiede«très
mystique»,qui«avécuaumilieudesesprits».Cettetanteluiracontaitleshistoiresqui
setransmettentdanscetterégionetqueJacqueline«adorait»quandelleétaitenfant.
Satanteetelleontfaitunserment,àsavoirquelapremièrequi«partait»devaitfaireà
l’autreunsignede«l’au‐delà».Laveilledelamortdesatante,Jacquelineavaitpasséla
soiréeavecelleàl’hôpital,puisétaitrentréeversvingt‐deuxheures,parcesatantelui
avait dit que «ça allait bien maintenant». Le lendemain, avant d’aller à l’hôpital,
Jacquelineestentréedansune l’églisepourmettreun cierge.«C’estun réflexe»dit‐
elle.«Jevoulaisallumerunciergepourelleetpourmoi,pourmedonnerdel’énergie.»
Aumomentde repasser laportede l’église,elle reçoitde l’eau sur la tête.Elle sedit
qu’«il sepassequelquechose», il faitgrandbeauetellereçoituneaverse.Cen’était
pas une impression, il y avait une flaque d’eau sous ses pieds, et il n’y en avait pas
d’autresailleurs.Sonmariplaisantaen luidisantquec’est«l’au‐delà(l’eaude là)». Il
sonnait onze heures au clocher de l’église. Quand Jacqueline arrive à l’hôpital, elle
apprend que sa tante est décédée précisément à onze heures. Pour Denise, il y a
beaucoupdetémoignagesdecetordre,danslestroisàquatrejoursquisuiventlamort.
309
Pour elle, le défunt a une énergie très proche de celle qu’il avait quand il était
«incarné»etqu’ilsembleencore«maniertrèsbien»pendantce lapsdetemps,«on
observe des lampes ou des télévisions qui s’allument toute seules, des ampoules qui
implosent»,ensuite«celadeviendraplusabstraitpourlui».
4.9.3.LesrêvesdePierre
SiPierreparticipeavecsesfilsaucafémédiumnique,c’estqu’ilressentlebesoind’une
aidepoursafamilleetlui‐même.Al’étatdeveilleouenrêve,«moi,leproblèmequej’ai
c’estque j’aisouventdesgens(des«défunts»)quiviennentversmoi,ets’ilsviennent
versmoi, c’est que quelque part, je dois représenter quelque chose pour eux. C’est le
sentimentquej’ai,peut‐êtrequejedivague.C’estmoninterprétation,c’estdesgensen
souffrance,ilsviennentversmoiparcequejedégageuneénergie,ilssedisentokcelui‐ci
vanousaider. Je reçois cemessageet jene saispasquoien faire. Lesaiderà faire le
passage?Témoigner?»
A laquestiondeDenise:«Quelmessage tedonnent‐ils?».Pierre répond:«Cen’est
pasdesmessagesverbaux.Dansmesrêves,lesgensmeparlent,maisdanscetétatun
peusecond,c’estplutôtdesgensquis’accrochent,quiontpeur.»Ens’adressantàses
fils,dansunétatdeforteémotion,ilreprendsonrécit:
«Làoùvoushabitez,j’aivécuunechoseterrible.Vousétiezentraindedormir,j’étaisdans
un demi sommeil et j’ai vu un homme entrer dans la chambre, il était extrêmement
inquiet, très perturbé. Je sais exactement comment il est, un peu chauve. Et il s’est
précipité vers moi, j’avais l’impression qu’il allait tomber sur moi, il était terrorisé, je
pensequ’ilétaitmort ilyapas longtempsetqu’ilnecomprenaitpascequ’il luiarrivait.
J’aipaniquéparcequej’aivraimentvuquelqu’undanscettechambre.Danslasecondequi
asuivimonex‐femmeestrentréedanslachambre.Jecroisquejemesuislevéd’unbond,
j’étaisassisdansmonlitentraind’hurler,complètementpaniqué.Jeluiaiexpliquéqu’ily
avaitunhommedanslachambreàcôtédemoi.»
310
Reprenantcesrécits,DeniseenconclutquePierresembleattirer«lesgensenétatde
choc» et l’encourage à faire un cours d’apprentissage de la médiumnité, ce qui va
l’aiderà interpréter«l’énergiedesdéfunts»,àmaitrisersespropresémotionsetàse
mettretrèsvitedansunétatdans lequel«lesmortsvontpouvoir l’entendreetqui lui
permettradesefaireentendred’euxpourpouvoirlesaccompagnerdanslalumière.»A
l’écoutedecesrécitssinguliersmaisassezfréquents,DeniseproposeàPierredevaincre
ses frayeurs en rejoignant le mouvement spiritualiste et d’endosser la fonction de
«passeur d’âmes» pour faciliter l’accès des «défunts» à l’au‐delà. «Avec la
médiumnitétuasdesguidesquit’accompagnent,quitepermettentd’appelerlalumière
situveuxfaireensortequ’ils(lesdéfunts)soientprisencharge,çatelibère,situveux,
tuasdesrelais».
Pierre, dans sa relation auxmorts «familiers» entretient des échanges plus apaisés,
comme il l’exprime dans le récit suivant, dans lequel il relate l’«expérience avec sa
mère».Pendantlesderniersmomentsdeviedecelle‐ci,Pierreluialonguementparlé
enluidisantqu’ilpeutentrerencommunicationaveclespersonnesdécédées.Dansles
troisjoursquiontsuivisamort,ilasenti«plusieurschoses».Lorsquetoutlemondea
quitté la pièceoù se trouvait le corps de samère, il a senti comme si quelque chose
traversait sonproprecorps.Deuxnuitsplus tard, il a rêvéqu’il étaitassisàune table
avec sa mère, mais dans un espace inhabituel, un lieu désertique au sommet d’une
montagne.Samèreluidisait«jevaisbientôtdevoirpartir»etPierrefondaitenlarmes
en lui disant qu’il n’en était pas question. La nuit suivante, la même scène s’est
reproduitemaissamèreluiaditquecettefoiselledevaitvraimentpartir,elleaouvert
lamainetPierreyavuunœil.Samèreluiarappeléqu’ilpouvaitcommuniqueravecles
personnes décédées. Il n’a plus rêvé d’elle durant plusieurs années. En 2011, elle est
apparuedansunrêve,sonvisageétaittrèsinquiet,lelendemainPierreaeuunaccident
danslequelils’estdéchirélesligamentsd’ungenou.Sonrêveleplusrécentévoque«le
repasdecommémorationquimarquelafindelapériodedesobligationsliéesaudeuil»,
mais sous une forme inversée. Dans son rêve il arrivait dans un endroit inconnu et
311
retrouvait sa mère attablée avec«toutesa famille originaire d’Allemagne». Ce sont
tousdesparentsdécédés.Pierrevoyaitcetteassemblée,maiscelle‐cinelevoyaitpas.Il
appelait samèreet lui faisait des signes,mais celle‐ci ne le voyait pas, ne l’entendait
pas,neréagissaitpas.Ils’estditqu’ildevaitpartiretquesamèreétaitvraimentpassée
de l’«autrecôté».Pierreajoute«jenesaispassi je fabule, j’aimebiencesrêves, j’ai
toujoursvoulufaireconfianceàmesrêvesetnepasm’opposeràmessensations,c’est
unemanièrededonnerdusens.»
Lesmédiumsn’entrentpas enmatière sur le contenuoniriqueet sedémarquentdes
récits des participants en affirmant qu’ils n’ont pas de rêves semblables. Catherine a
déjàrêvédeparentsdécédésmaisnepensepasque«cesrêvesétaientdifférentsdes
autres, ni que ce soit un mode de communication possible avec lesdéfunts». Les
médiums opposent au mode onirique leurs propres apprentissages et pratiques de
médiumsde l’Eglisespiritualiste. IlsconseillentàPierrequi,depar«sesperceptions»
diurnes, semble avoir une bonne prédisposition à la médiumnité de suivre des
formations de manière à pouvoir développer ses compétences et apprendre à les
maîtriserpour«savoirconnecteretdéconnecteraveclemondespirituel».
4.9.4.Commentseprésententles«défunts»pendantunelecturemédiumnique
Les participants aimeraient savoir: comment les médiums peuvent‐ils «décrire
physiquement»unepersonnedécédée?CommentCélinepeut‐elledécrirelescheveux
aux reflets rouxde lamèred’undes «sceptiques»? Est‐cequ’elle la «voit»? Est‐ce
qu’elledistingueréellementsonvisageouest‐cequ’ellela«pense»decettemanière‐
là? Les troismédiumsapportentdes réponsesdifférentes.PourCatherine, lorsqu’elle
faitcequelesspiritualistesnomment«uncontact»,c’est‐à‐diremettreenrelationun
consultant avec «une personne qui est partie», elle reçoit une «image», elle peut
«voir le visage du défunt qui se présente» et reçoit en simultané ou légèrement en
différédes«informations».Un«défunt»peut aussi semontrer sousuneapparence
312
plusjeunequelorsdesamort,«parcequ’iln’aplusd’apparenceréelleetilprendcelle
sous laquelle ila leplusdechanced’être reconnu».Celle‐cipeutêtrecellequ’ila sur
unephotoconnueduconsultant.AlaquestionposéeàCatherine:«Est‐cequetureçois
une image fixe, ou des flashs d’éléments successifs qui finissent par former un
ensemble?»,celle‐ciprécisequecelapeutêtrecespossibilités,maisaussidessons,de
la musique, des odeurs qu’elle va ensuite réarticuler ensemble autour d’associations
d’idées.Deniseprécisequelesimagessontreçuesparlemédiumd’unemanièrecodée
et que c’est à chaquemédium d’établir un code des images avec lemonde spirituel.
Mêmesi l’«intervenant»dumondespirituelchange,quecesoitune«entité»ouun
«défunt»,lecodeétabliluinechangeapas.Pourcertainmédium,commeCatherineet
Céline, cette immuabilité du code est garantie par leur «guide spirituel» qui sert de
médiateuraveclesautres«entités»oules«défunts».PourDenise,lecontacts’établit
directement avec le «défunt» ou avec le «guide». Ceux‐ci «venant du monde
spirituelquiesttrèsintelligent»,saventquellesreprésentationsontétémisesenplace
etquelssensleursontdonnésparlemédium.Parlesimprécisionsetcomplexifications
de leur système de référence, les médiums établissent un code divinatoire qui a les
porositéssuffisantespourintégrertouteslesvariationsd’uneséancedemédiumnité.
Catherineprécise:«Evidemment,onnepeutpas fairevenirexactement lepèreou la
mère attendu par le consultant, on reçoit la personne qui veut bien venir.» Par cet
énoncé,elleajoutelaclaused’incertitudequipermetlaconfigurationsingulièredecette
interactionet saprogressiondansun constant rajustementde l’interlocutiondedeux
protagonistes, qui par touches successives «matérialisent» un troisième jusque‐là
invisible. Ce procédé nécessite la participation active du consultant qui lui seul peut
procéderà l’identificationdece«défunt»quiseprésente.CequeCatherinesouligne
endisant:«j’aitoutd’uncoupquelqu’unquiseprésenteet jedécrisceque jevois, je
donne les informationsquecettepersonnemedonne.Onnepeutpas faireuncontact
sansqu’undemandeur,unprochedudisparusoitlà.Ilfautqu’ilyaitcettepersonneen
facedenous».
313
LacosmogoniedeDeniseetCatherinecomporteplusieurscatégoriesd’«entités».Ilya
les«défunts»appartenantaucercleprocheduconsultant,puisles«guidesspirituels»,
dontunepartiesontdes«médecinsduCiel»,etd’autressontdes«maîtresspirituels»
ayant vécudansdifférentesépoqueset lieuxgéographiques, à ces groupes s’ajoutent
lesangesetlesarchanges.Chaqueindividuvientaumondeavecun«angegardien»à
sanaissance,«c’est leguidespirituelprincipaldechacun»,au furetàmesuredeses
apprentissages, il obtiendra l’appui d’autres «guides». Denise et Catherine disent ne
pasidentifiernominalementles«entités»quiseprésententàelle,sauflorsqu’ils’agit
d’un«maîtrespirituel»aveclequelellesentretiennentune«relationàlongterme».Ce
qui a été le cas de Céline qui a «reçu des enseignements particuliers d’un maître
spirituel»,quiluiestapparud’aborddansunevisionsousformedesilhouetteavantde
sepréciseraufildessemainessousl’aspectdeChefJosephdelatribudesNezPercés
dans l’Etat de l’Oregon. Avoir pour «maître spirituel» un «indien d’Amérique» peut
paraître surprenant au prime abord, mais pour une médium spiritualiste dont les
originesdesonéglisesontsituéesdans l’EtatdeNewYork,avantquecelle‐ciessaime
dansd’autresterritoiresdesEtatsUnis,serevendiquerd’undeses«autochtones»qui
avécuàlamêmepériodequelessœursFoxgardesonsens.
4.10.Formationàlamédiumnité
Reprenant le concept des «cercles de développement» spiritualistes, l’Atelier Infini
organisedes formations intitulées«initiationà lapratiquede lamédiumnité»,qui se
déroulent surdeuxweek‐endsparpetits groupesdequatre à six personnes. J’ai suivi
ceuxquisesontdéroulésenjuinetenseptembre2013,afindepouvoirobserverinsitu
comment on devient médium, par quels gestes, attitudes et paroles, et par ce biais
interroger ce qui est de l’ordre de l’agencement nécessaire à la reproduction de la
fonctiondemédiumetcequirelèvedelacapacitéd’agirentantqu’acteursparceuxqui
postulentàcette fonction.Cesateliers sedéroulentsous formed’«exerciceàdeux»,
314
nousétions sixparticipants, l’ethnologue comprise, cequim’a,de fait, placédans les
interactions et une interlocution commune avec les apprentis médiums. Accepter ce
positionnement était aussi une des conditions requises par l’enseignante. Ilme fallait
dès lors accepter de perdre toute distance avecmon objet et utiliser cette proximité
pourliredespratiquesdansleursconditionsd’énonciationetd’élaborationetm’inclure
dans mon objet d’étude. Il me fallait aussi, suivant le principe déontologique des
anthropologues,commeMarieChristinePouchelle(1990)danssonenquêtedeterrain
sur Mme G. qui se dit en communication avec le chanteur décédé Claude François,
renoncer à «toute assurance suspecte» quant à ma «propre vision du monde», et
suspendre«toutverdictapriori sur la réalitéde laviedans l’au‐delà»etchoisir«de
prendreausérieuxcequeviventlesparticipants».
La formation est assurée par Denise, le groupe des apprentis est constitué de trois
femmes et trois hommes, dont les âges se répartissent entre 30 et 70 ans, les
professionset lieuxd’activitésdesunsetdesautressontdivers.Marinaestartistede
cirque,elleest«femmeserpent»,soitcontorsionniste.Elletravailledanslesmilieuxdu
spectacleetdonnedes«coursdecirque»àdesenfants.Pierreest juristeet travaille
dans une institution pour personnes handicapées. Lise est documentaliste et s’est
spécialisée dans la constitution de dossiers artistiques. Paul et Mathieu ont des
professions techniques dans les métiers du bâtiment. Certains participants ont des
«perceptions»àl’étatdeveille«dontilsaimeraientcomprendrelesens»oufontdes
rêvesqui leurapparaissentcommedescommunicationsavecdes«défunts»,d’autres
ontsuividescoursdedéveloppementpersonnelqui lesontconduitàs’interrogersur
leur «compétencemédiumnique». Pierre,Mathieu etmoi‐même avons participé aux
mêmes cafés médiumniques. Ces «groupes de parole» les ont incités à suivre une
formationàlamédiumnité.
La médium a «préparé la salle» avant l’arrivée des participants. Elle a placé dans
l’atelier deux vases emplis d’eau, celle‐ci «a la vertu de capter les intentions», les
315
paroles sanctifiées «comme lemontre l’eau bénite»,mais elle peut aussi « capter et
nettoyer des énergies négatives qui seraient restées après des séances de guérison».
Denise a mis, de chaque côté des montants de la porte d’entrée, deux coupelles
remplies d’une essence de purification faite d’une composition d’huiles essentielles à
basedementhe,basilicetcitronnelleàlaquelleaétéajoutéduborax122«pourbloquer
l’entréed’énergiesindésirables».Elleautiliséunspraypourdiffuserdansl’airuneautre
composition d’huiles essentielles qui aide à la méditation. Elle a invoqué les guides
«enseignants»pourqu’ilsviennentassisterlesparticipantsdanscette«initiation»,et
«leur» a précisé les horaires. Elle nous informe que le «monde spirituel vient aux
rendez‐vousqui lui sont fixés ». Les participants et la médium ont pris place sur des
chaisesdisposéesencercle.Elledonnequelquesdirectivesgénérales,à savoirque les
demandesadresséesauxguidesdoiventêtre«trèsclaires»etqu’ilfautpréciserchaque
foisqu’«ellessontfaitesdanslalumièreetpourlebiendetous»,afind’éviterquedes
«ombres» se présentent et interfèrent. Denise ouvre la séance en demandant aux
participantsde sedonner lamainpour«créerun cercled’énergie». Elle remercie les
guides présents pour leur protection et le soutien qu’ils vont apporter aux
participantsdans leur apprentissage «de mise en communication avec le monde
spirituel».Lafermeturedelaséanceseferaenfindejournéedemanièresymétrique.
Les participants «fermeront le cercle», tandis queDenise remerciera les guides pour
leur soutien. Dans cette atmosphère portée par des ingrédients ésotériques mêlant
«cercles magiques» et mysticisme une certaine tension se fait sentir chez les
participants.Chacunedesquatredemi‐journéesseraorganiséedemanière identique:
uneintroduction,uneméditationetuneséried’exercicesentrecoupésdecommentaires
122 Connu depuis l'antiquité, le borax est un sel inodore et incolore, qui se présente sous forme de
paillettes ou de poudre. Il est recueilli généralement à l'emplacement d’anciens lacs asséchés. Les
alchimistes s’en servaient pour sa propriété d’abaisser la température de fusion des métaux, ce qui
permettait d’effectuer des soudures qui n’auraient pas pu être réalisées. Ce fondant est encore utilisé
pourcettemêmefonctionparlesartisanschaudronniers.C‘estprobablementlapropriété«pare‐feu»du
boraxquiintéresselemilieuésotérique,etquilefaitentrerégalementdanslacompositiondecertaines
formulesdeproduitshoméopathiques.
316
etd’encouragements.Poursimplifierlalecture,jetraiteraicette«initiation»nonselon
l’évolutionpardemi‐journéemaisenregroupantcesthématiquesetencitantquelques
exercices.
4.10.1.Miseencondition
Denise précise d’emblée que pour communiquer avec les «guides», il s’agit comme
pour un danseur ou unmusicien de semaintenir en bonne condition physique et de
faire ses entraînements et ses gammes quotidiennes. Elle conseille de faire trois
méditations de vingtminutes chaque jour et à heures fixes et uneméditation d’une
heureunjourparsemainetoujoursselonunhoraireprécisetenayantaupréalablefixé
cesrendez‐vousjournaliersethebdomadaireau«mondespirituel».Elleplaced’emblée
lamédiumnitédans leregistreducorpsetde l’endurancephysique.Pourêtreunbon
médium,ilestnécessaireaussid’avoirunbonéquilibremental,d’avoirsuividescours
dedéveloppementpersonneletsipossibled’avoirfaitunepsychothérapie«pourrégler
ses différents problèmes personnels et apprendre à se connaître». Ces affirmations
modulentdansunregistreoccidental leportraitdumédium idéal,qui s’affineavecce
corollaire, à savoir que comme un psychothérapeute ou unmédecin appartenant au
milieu institutionnel et biomédical, lemédium doit être équilibré etmesuré dans ses
attitudesetsespratiques.
Denise rappelle qu’en préalable à uneméditation «il faut poser une intention». La
méditationpermetdesecentrersursoi,calmer lecorpset lespenséesqui«tournent
toutesseules»,serelâcherpourquetouteformed’individualitédisparaisse,eteffectuer
unchangementd’étatdeconscience«poursemettreen intentionnalitéauservicede
quelqu’unoude quelque chose».Unmédiumentrainépourra réaliser ces différentes
«étapes» vers une «modification de conscience» ou un état hypnagogique très
rapidement en quelques minutes voire secondes. Denise «va poser» de manière
didactiqueprogressivementuneautremiseenordredelaréalité.
317
Pourfaciliterl’entréeenméditation,desexercicesrespiratoiressontrecommandés.Le
premierconsisteà inspireret insuffler l’airpar lenezvingt foisdesuiteunepremière
foispuisuneseconde.Pourledeuxièmeexercice,ils’agitdereprendrelesrespirations
cinquante fois de suite, en levant les deux bras en inspirant et en les baissant en
insufflant et de répéter cette opération trois fois de suite. Le troisième exercice est
semblable au deuxième mais en poussant le ventre en avant, plus précisément le
«chakraduventre»,àchaqueinspiration.Selonlapratiqueetlavitessed’exécutionde
cesexercices,l’étatd’hyperventilationestplusoumoinsgrand,etcetteoxygénationdu
cerveauplongeleméditantdansdesmodificationsplusoumoinsmarquéesdesonétat
conscient. Cette technique du corps contribue à cet «état mystique» propre à une
communicationaveclesmondesinvisibles.123
Denise souligne qu’elle va «guider» la méditation mais qu’elle‐même est guidée
lorsqu’ellefaitcetexercice, ils’agit«d’uneformedepartenariatavecleguidequidoit
êtrefaiteenconfiance».Selonsesdires,elleentredansunétatde«semi‐conscience,
quin’estpasunétatdeconsciencemodifiée»,carelledoit«surveiller lesparticipants
pour éviter quel’un ou l’autre soit entrainédans quelque chose qu’il ne peut plus
maîtriser et qu’elle doive intervenir pour le ramener à lui‐même». La direction de la
123MarcelMauss,mettaitdéjàenexerguelespratiquesrespiratoiresdansunecommunicationde1934,
publiéesousletitre«Lestechniquesducorps»:«Jenesaispassivousavezfaitattentionàcequenotre
amiGranetadéjà indiquéde sesgrandes recherches sur les techniquesduTaoïsme, les techniquesdu
corps,delarespirationenparticulier.J'aiassezfaitd'étudesdanslestextessanskritsduYogapoursavoir
quelesmêmesfaitsserencontrentdansl'Inde.Jecroisqueprécisémentilya,mêmeaufonddetousnos
étatsmystiques,destechniquesducorpsquin'ontpasétéétudiées,etquifurentparfaitementétudiées
par la Chine et par l'Inde, dès des époques très anciennes. Cette étude socio‐psycho‐biologique de la
mystique doit être faite. Je pense qu'il y a nécessairement des moyens biologiques d'entrer en «
communication avec le Dieu ». Quoique enfin la technique des souffles, etc., ne soit le point de vue
fondamentalquedans l'Indeet laChine, je lacroisbeaucoupplusgénéralementrépandue.Entoutcas,
nous avons sur ce point desmoyens de comprendre un grand nombre de faits, que nous n'avons pas
jusqu'icicompris. Jecroismêmequetoutes lesdécouvertes récentesenréflexothérapieméritentnotre
attention, à nous, sociologues, après celle des biologistes et celle des psychologues... beaucoup plus
compétentsquenous.»(MarcelMauss1936)
318
«méditation» par Denise prend la forme d’un récit, qui comporte des éléments
similairesetconduitaumêmeétatde«rêveéveillé»,quecellepratiquéepard’autres
médiumsendehorsducerclespiritualiste.Enrésumé,ils’agit:«des’ancrerausol,de
fairedescendredesracinesdesespieds,devisualisercesracinesbleuesquisortentdela
plantedespiedsets’enfoncentdanslaterre,atteignentunebouled’énergieblancheet
dorée au centre de la terre, source divine, puis de faire remonter cette énergie et la
visualisertraversant,nettoyant,purifianttouslesorganesdenotrecorps».Denisedécrit
précisément le trajetde cette«énergie terrestre»à l’intérieurducorpshumainet sa
rencontreavecchaqueorganequ’elleciteunàun.Cetteméditationsuivant lefild’un
«récit», dans lequel chaque organe et chaque membre sont identifiés et localisés,
constitueunecartographieducorpsetintroduitundoublemouvemententreanatomie
et énergieou souffle immatériel.Après cette traverséedu corps, il faudra«visualiser
cetteénergiesortantdenotretêteetreformantuneracinebleuequis’enfoncedansle
ciel, dans une boule d’énergie blanche et dorée, source divine. Puis faire redescendre
lentementcetteénergiesursoienuncanals’élargissantenformedeclocheenveloppant
toutlecorps.»PourDenise,«quandonélargitbiencetteénergie,quandonestdevenu
bien large,onperd lanotionde soncorps,ondevient soi‐mêmeénergieeton se sent
flotter».Dans«cetétat»onvaentrerdansune«fréquencevibratoirebasse»,cequi
permetd’entrer«encommunicationavecsonguide»aprèsl’avoir«convoqué»etde
«serendredisponibleàsonenseignement».SelonDenise,«certainespersonnesdisent
qu’en état d’élévation, elles sentent leur âme sortir de leur crâne» et partir à la
recherchedesenseignementsde leurguide.Cequimerenvoieà l’idéedumécanisme
durêve.Puisque«rêver,c’estsedissocier,laisserallercequelesconteursappelletout
simplementl’âme».(DanielFabre1996:73)
LaméditationconduiteparDeniseserasuivie immédiatementd’«unpartagedecette
énergiecanalisée»,chaqueparticipantdevraentransmettreunepartieàsonvoisinde
gauche, soit du côté du cœur, qui lui‐même fera lamême chose pour arriver ainsi à
formerunechaîned’énergieentretouslesparticipants.Ceux‐ci,ensedonnantlamain
319
vontformeruncerclequipermettrade«fairetournercetteénergie».Denisedemande
auxparticipantsdesentirl’accélérationdesavitesse,lorsquecelle‐ciformerauncercle
continu.Cetterecherchedesensationmarqueledébutdelaconstructiondelafiction
collectivequipermetdeproposerdesreprésentationsetdesmatérialisations.Dans la
discussion«partage»quivasuivre,chacunvachercher les termespourexpliciterses
sensationsfugitives.Chacunvaproposersonproprevocabulaire,etmêmesilestermes
en eux‐mêmes ont des sens précis, ils s’articulent autour d’associations d’idées qui
restentpersonnellesàchacun.Lesparticipantsvontapprendre,auxcoursdeséchanges
verbaux,àélaborerunlangagecommunpourdonneruneforme,uneconsistance,une
existence à leurs perceptions, afin de permettre aux uns et aux autres de les
«visualiser», de les «matérialiser» dans des interactions communes. Il ne s’agit pas
pour autantde se contenterd’un langageordinairemaisde construireun langagede
l’extraordinaire.
Pendant le«tournoiementde l’énergie»,Pierreavuune lumièrevertequicirculaità
unevitessephénoménale.Pourmapart, jen’ai rienperçudurant laméditation,mais
l’image quim’est venue ensuite à l’esprit est celle de l’accélérateur de particules du
CERN. Cette représentation doublée d’une association d’idées,m’a fait percevoir une
lumièrevertequitournaitàgrandevitesse.Cetteformesedéployaitsuruncerclemais
dansl’espaceentreMarinaetPierre,jevoyaisceserpentdelumièrefaireunsautpuis
reprendre sa course comme si un obstacle l’empêchait de rester sur la même
trajectoire. Selon Denise, Pierre etmoi nous avons «vu» lamême image, ce qui lui
donne une «matérialité» et «concrétise» cette interaction avec unmonde spirituel
pourlesautresparticipants.Quantau«saut»ducerclelumineux,toujourspourDenise,
il a été provoqué par une «présence positionnée précisément à cet endroit». Cette
installation des «invisibles» va se compléter et se complexifier durant ces journées
d’apprentissage.
320
Dès les premiers mots de ce «débriefing», pour utiliser un autre terme de Denise,
Pierreditavoir«sentiquelquechosedejoyeuxetunegrandeémotion»justeaprès la
méditation. Il est visiblement au bord des larmes. Pour Denise, cette «marque
d’émotion» ressentie par Pierre, «est le signe qu’un guide s’est présenté à lui,c’est
toujours jubilatoire quand un guide se présente». Pierre retrouvera cette impression
plus accentuée après la méditation qui ouvrira la séance de l’après‐midi. Il aura la
sensation que «quelqu’un l’attend demain soir», il «a déjà vécu ça en rêve éveillé»
mais ne sait pas ce que c’est. Denise lui conseille de «repartir dans la sensation, de
laisserveniretsavoirs’ilyaunedemandeparticulière,deposerlaquestioncommeavec
unvivant».Lise,durant laméditation,s’estsentieprisedansunebulle,puiselleavu
unepetitelucarneau‐dessusd’elle«d’oùelleauraitpusortirdelabulle».PourDenise,
cettepetiteouverturepeutêtre«lesigned’unguideoudequelquechosedel’au‐delà».
Denise invite Lise à «juste ouvrir cette fenêtre plutôt qu’à vouloir sortir par cette
lucarne,la traverser pourrait l’amener à faire un voyage astral, dans un but
médiumnique et elle n’est pas encore préparée à cela». Denise a une réponse pour
chacun, qu’elle donne d’un ton ferme et résolu, mais ne répond pas et élude les
questionsquiluisontposées,ellen’interromptpaslefluxdesonproprediscours.Paula
vudes couleurs, avecunedominantede la couleurverte.PourDenise,«le vertestla
couleurdelaguérison,ilyaeudanssoncorpsungrostravaildeguérison».Paulavudu
roseenmoi.Denisen’interprètepascettenouvelle«donnée»etlerenvoieàsapropre
lecture. Elle précise qu’il existe des «lexiques» qui donnent le «code de chaque
couleur»,demêmequedesclésdessongespourlesrêves,maisqu’elle‐mêmepréfère
nepasutiliserces«traités»etétabliravec«songuide»unegrilledelecturequi leur
soitpropre«àeuxdeux»pourtouteslesformesdesignesquiluiparvient.
Après lamise en condition, les participants de l’Atelier Infini vont exécuter plusieurs
exercices,j’enciteraideuxàtitred’illustration.
321
4.10.2.Exerciced’introductionàlalecturemédiumnique
L’exerciceconsisteàfaireuneméditation«enposantl’intentionprécise»dedemander
auguide,quivaseprésenter,des’identifierparunmotetune image.Deniseprécise
que c’est toujours lemême«guide» qui intervientdansdes situations identiques, et
quenousseronsliésaveclemêmepourtoutnotreapprentissagedurantplusieursmois.
Ilestdoncimportantdebienétablircelienaveclui.Les«guides»,surtoutaudébutde
leur«relation»avecunapprentimédium,sefontconnaîtrepardessignes:lemédium
peutressentirdiverseffetsphysiquestelsquepalpitationscardiaques,chaleursurune
épauleousurlesdeux,picotementssurlanuqueetdanslesmains.Cettemanièredese
présenterconstitueuneformedesignatureetpermetd’identifieretdedifférencierles
«guides».QuandPierreaétéémupar«uncontactspontané»,sonémotionétaitbien
«lesigned’uncontactmédiumniquequ’ilauraduplaisiràretrouveretavecquiilaura
duplaisiràtravailler».
Lorsd’uneséancedecontactavecundéfuntlemédiumfait«valider»lesinformations
par le consultant et dans une lecturemédiumnique il demande une confirmation au
«monde spirituel» afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une forme issue de son
imagination.Cetteconfirmationdevraluiparvenird’uneautremanièrequelapremière
information et dans un délai imparti. Céline demande trois «validations» par
information importante. Quant à Denise, les images qui lui «viennent», par un
«défunt»oupar un guide,celles‐ci « la traversent de droite à gauche», commeune
intuition qu’elle n’arrive pas à arrêter. C’est par le cumul de sensations que lui est
confirmél’originedescommunications,pourelle«lebaromètrec’estl’émotionnel».
Deniseguidelaméditation.Chacundonnelemotetdécritl’imagequiluisontapparus.
Mathieua«vu»lemot:«combatif».Ilaressentiunmaldetête,unepressionderrière
latête.Ilalamarquedetroistracesrougesàl’«emplacementdu3èmeœil»,qu’ils’est
faitensefrottantlefrontavecsesdoigts,carilressentait«unetropgrossetension».Il
322
a «vu» le visage d’une fille, «d’environ vingt‐six ans», coiffée avec deux tresses de
chaque côté de la tête. Il a ressenti des frissons comme chaque fois qu’il ressent la
«présence d’un défunt». Pierre est de langue maternelle allemande et a «reçu» le
verbe:«umstreichen»:(termeintraduisiblesanscontexte,quipourraitprendrelesens
de «caresser» avec l’idée d’unmouvement autour de quelqu’un, ou avec le préfixe
«herum» celui de «vagabonder»). Il a eu une «sensation chaude», ressenti un
mouvementl’entourant.Ila«reçu»l’imaged’unvieuxbateau,puisdepalmierssurla
plage et d’un homme en relation avec la mer, «sans doute unmarin». Il a ressenti
l’«émotionqui lui faitreconnaîtrequand ilyaeuunmort»etune invitationàécrire.
Marinaestaussidelanguematernelleallemandeeta«reçu»lemot:«gold»(or).Elle
a«vu»danssesmainsdeuxboulesd’orilluminées,trèschaudes.Leguidedevaitêtre
masculin,elles’estsentietiréeparderrière.Ellea«vu»ensuiteuntableaudanslequel
était représentéeune épéedécorée avec des rubans, suivi de la vision d’une lumière
blancheetbleue.Lisea«vu»lemot«maison»etcommeimageunevague.Elleaeule
sentimentquesonguidelatiraitenarrière.Quantàmoi,j’ai«vuapparaître»lemot:
«danse»,suivid’uneséried’images:enavantplan,ilyavaitunarbresemblableàun
grand if, etenarrière‐plan,unbâtimentquidonnait l’impressiond’êtreunemosquée
dotée d’un minaret, le tout dans des teintes gris vert. Il est apparu sur une surface
horizontalegrisacier,uneformeblanche,quiaupremierabordpouvaitêtreunbateau,
puis a pris la forme d’une danseuse, s’est transformé en unemasse de petites fleurs
blanchesavecunetacherougeautiersdesalongueur,pourformerensuitelasilhouette
d’un danseur soufi. L’hétéroclisme de nos réponses ne trouble pas Denise qui ne les
commente pas non plus et conclut simplement par ce constat: «en résumé dans le
groupeontétéreçuesdesimages,descouleursetdel’énergiedeguérison».
4.10.3.Exerciced’unelecturemédiumniqueavecl’appuid’unecarte
Cetexerciceconsiste,pourDenise,«àentrerencommunicationetparlerd’âmeàâme
avec le consultantavec le soutiendesguides respectifs».Le consultant tireune carte
323
d’un jeu qui s’appelle «Les portes», lemédiumutilisera celle‐ci comme support. Ces
cartesportenttoutesuntitreetcomportentundessindanslequelunecouleurdomine.
SelonDenise,«lacartepermetde focaliser l’énergiesurunobjet»et«lacarteet la
paroledéclenchentdel’énergie»,dontilfaudramaintenirlafluidité.Avantdetirerune
carte, le consultant tape lepaquetde cartesde samain, droiteou gauche, les doigts
repliéssurlapaume,pournettoyerl’énergied’unusageprécédentcontenuedanslejeu
de carte. Le consultantmélange les cartes,pose saquestionmentalementet tireune
carte, il la regarde, c’est déjà une indication de son propre guide, et la donne au
médium.Lemédiumentreenméditationrapideetdemandeàsonguidedelesoutenir.
ToujoursselonDenise, l’énergieduconsultantvasecommuniquerà lacarte,quielle‐
mêmeémetunecertainevibrationselonsescouleurset la réactionqu’ellesuscite.Le
médium regarde la carte et laisser couler un flot de parole, durant aumoins quatre
minutes, s’il ne sent rien, il décrit la carte avec cettemême énergie «qui doit rester
hautepourpermettreauxguidesderecevoirsuffisammentd’énergiepourcommuniquer
et donner des signes». Lemêmeexercice sera refait une seconde fois en oralisant la
question. Je fais les deux exercices avec Mathieu. Lors du premier tirage, je pose
mentalementunequestionqueDeniseavaitcitéeenexemplepourcetexercice:«Est‐
cequejedoischangerdemétier?».Jetirelacarte«Partage»avecunedominantede
la couleur verte. Sur le côté gauche, en milieu de la carte, est dessiné un arbre qui
surplombetroisformesallongéeslaissantsuggérerdevaguessilhouetteshumaines.La
lecturedeMathieuestque«jevaisrencontrerencoredesdifficultés,duesauxtensions
provoquéesparuneàtroispersonnes,maisilyaurauneouverturedansquelquetemps
etunsoutiensousformed’unpartageavecquelqu’un».DeniseconstatequeMathieu
«adémarréleflotdeparoleàtroisminutesetdemiedudébutdel’exercice,ildoitsavoir
qu’ilfaitd’abord«unemiseenplace»avantdepouvoircommencerleflotdeparoles».
Elle rappelle que «le médium peut faire une «mise en forme» pendant le temps
d’attentedel’énergie,ilvaalorsdiren’importequoi,ilmeubleenattendantl’énergie».
324
Lors du deuxième tirage, je commence par être le consultant et je verbalise une
questionqui,commelapremière,aétésuggéréeparDenise:«Est‐cequejevaisavoir
denouveauxdébouchésprofessionnelsetdansquelpays?»Jetirelacarte«Naturel».
Aupremierplan,àgaucheenbas,estdessinéunbuissonpenchéversladroite,derrière
celui‐cisedéploieunespacedénudéjauneavecquelquestracesdecailloux.Lemilieude
lacarteestbarréparunechaînedecollinessurplombéeparuncielcouleurvégétation
verte‐bleutée.Danssalecture,Mathieuvoitunrocherentouréd’eau,lemot«caillou»
luiapparait,ilpenseàunpaysdel’autrecôtéduglobeterrestreentouréparlamer,il
fauts’yrendreenavion.Ilmeposelaquestion:est‐cequecelapeutêtrel’Australie?Je
lui répondsque jenesaispasmaisque lemot«caillou»m’évoqueunpaysvoisinde
l’Australie. Il se concentre et continue sa «lecture», il voit des paysages luxuriants et
une montagne plus désertique au Nord. Il me voit dans ce pays accompagné d’une
personne de confiance, sous la protection de laquelle je suis placée. Il voit aussi
quelqu’un qui m’observemais qui est neutre, cet «être» n’est pas agressif. Dans la
phasede«validation»desa«lecture»etdeses«informations», jediraiàMathieu
que jem’intéresse «au rêve éveillé», il assimilera la «personne» qui m’observe au
rêveenassociant l’idéedeneutralitéetdenaturel (titrede lacarte)àuneperception
liéeaurêve.Nousinversonslesrôles.Mathieuendosselerôleduconsultantetmoicelui
dumédium.
Aprèsavoirbattulescartesetfrappélepaquet,Mathieutire lamêmecartequemoi:
«Naturel». Il pose une question similaire à la mienne: Est‐ce que je vais faire
prochainement un changement professionnel, lequel et dans quel pays? Je fais une
«courteméditation».Jefermelesyeuxetgardelacartedanslamain.Riennemevient
àl’esprit.Jeme«concentre»etjedisàMathieuquelquesbanalitésenrelationavecla
situationprésenteàsavoirquejesensqu’ilestenrecherched’autrechosequecequ’il
vit maintenant, qu’il est en attente d’une activité professionnelle plus proche de ses
aspirations«spirituelles».Brusquementjesensdespicotementsdansmondosetune
chaleurquim’envahit,lemot«ayahuasca»m’apparaîtmentalementsousformed’une
325
écriture.Marespirationsefaitplusdifficile,mondébitdevoixs’accélèreetmatessiture
vocale se modifie légèrement vers le bas. Je me sens dans l’«état modifié de
conscience»décritparDenise, soitdansunétatde transe légère.Au furetàmesure
quelesimagesm’apparaissent,jelestransmetsàMathieu.Ilyad’aborduneimagede
jungle que je situe enAmazonie. Au travers de la végétation luxuriante percent deux
yeuxdefélin,unetêtedejaguarapparaîtraensuitesurlerideauformépardeshautes
herbes.Cette«formemodifiéedeconscience»persistedanscetétatd’autosuggestion
etje«prédis»àMathieuqu’ilferaunstagechamanique,queje«vois»enAmazonie
avecuneprised’ayahuasca.L’imaged’unlacsurplombéparunechainedemontagnes,
quim’évoquentlachainedesAlpesvuesdepuislelacLéman,s’enchaînesurcellesdela
forêt amazonienne, et je dis à Mathieu que son «séjour chamanique» sera
relativementcourt,unmoisoudeux,etqu’ensuiteilreviendravivreenValais.Mathieu
«valide»qu’ilsouhaitevoyager,etqueCélineetunmédiumqu’ilarencontrélorsd’un
voyageauChili,luiontpréditqu’ilallaitbientôtrencontrerunchamanequideviendrait
songuidespirituel.Deniseintervientdanscetéchange,cequimepermetdechangerde
rôle et de retrouver une attitude plus distante. Denise a «vu» pendant l’interaction
entreMathieu etmoi etma lecture de «médium» qu’effectivement «Mathieu allait
être formé à la guérison chamanique», et elle valide l’information que je lui ai
transmise.Maispourelle ce seraplutôt auMexique. Elle‐mêmeaunguidemexicain.
Elle«valide» le continentAmérique,«mais resteà savoir si ce sera l’Amazonieou le
Mexique». J’aiparléd’un jaguar,elleavuunaigle.Unesemaineplustard,nousnous
retrouvonsàune«méditationguidée»organiséeparl’AtelierInfinietMathieumedira
que le soirmême du deuxième jour de stage, et demes«prédictions», il «areçule
signeMexiquetroisfois»: leterme«estapparu»dansunepublicitédevoyageetun
filmtéléviséquisepassaitauMexiqueetilaentenduunechansondiffuséeparlaradio
danslaquellelemotMexicorevenaitrégulièrement.Lorsd’unepauserepas,Deniselui
avaitparléd’untempleauMexique,encherchantparinternetilatrouvécetempleet
«aressentidesfrissonscommelorsqueDeniseluienavaitparlé».Mathieumerapporte
qu’il yadeuxsortesdegardiensdece temple, ceuxde la journéeontpouremblème
326
l’aigleetceuxdelanuitlejaguar.IlendéduitquelalecturedeDeniseet«lamienne»
sontcomplémentaires.Ilpenseserendredanscetemplecetété.
Medépartirdecemalentendu,enluirappelantquejemesuisprêtéeaujeudumédium
parbesoind’investigation,n’apasgrandsensdanscettesituation.Ceseraitintroduirele
doute sur le principe déontologique que je prends au sérieux «sa croyance». Par ce
terme dont l’usage peut s’avérer problématique, je n’attribue pas à Mathieu la
«croyance»d’unequelconquemédiumnitédemapart,ni jenesupposequeMathieu
vit dans un monde différent du mien et communique effectivement avec des êtres
invisibleset surnaturels.Mathieu se trouvedansunétatd’intenseémotion,dedoute
surlui‐mêmeetsur«sonchoixdevie»àlasuited’une«révélation»queluiafaite«un
chamane chilien» et qui lui a été confirmé par Céline. Il est dans une situation
comparable à Mme G. qui a ressenti à la mort de Claude François, une«intense et
incompréhensible émotion à la mort d’un chanteur dont elle ignorait tout», et qui
transmet à Marie‐Christine Pouchelle (1990) le manuscrit où elle a consigné ses
expériencesmontrantqu’elle«s’estengagéedansunequêtesansfindessignesdesa
présence(…),danscetinventairedescoïncidencestroublantes,deshasardsrévélateurs
(…):pratiquededéchiffrementincessantdesmicro‐événementsquotidiensquiremplit
son existence et qui constitue précisément sa croyance.» (Jean Bazin 2008 : 393)
Mathieu a entreprit une quête similaire des signes «du destin» et demande qu’«on
entreencroyanceaveclui»,selonl’énoncédeJeanBazinpourlequel:«Lacroyancese
fondeelle‐mêmeetsenourritd’elle‐même.Lecroyantnecommencepasàcroireparce
qu’unfaitsetrouvedésormaissuffisammentétabliàsesyeux;c’estl’inverse:àquise
trouvedansunedisposition à croire, les signes semettent soudainement à parler. La
croyance est ce «mouvement de consentement qui n’a pas besoin de preuves»
(ElisabethClaverie1990:66),ouplutôtdontlaseule«preuve»estl’évidencerépétée,
exhibée,desapropreexistence»(JeanBazin2008:394).Al’égaldespèlerins,suivispar
Elisabeth Claverie, «qui se racontent les uns les autres l’«appel» qui a fait un jour
irruptiondans leurvie»,etattestentque«lapreuvede laVierge,c’estqu’onest là»
327
(ElisabethClaverie1990:69),Mathieu,lesapprentismédiumsetlesmédiums,répètent
laconvocationdesguides,etdesdéfunts,développentlesséancesmédiumniquesetde
guérison,montrantque«lacroyancen’enfinitjamaisdedémontrernonpointlavérité
desonobjet,maissapropreréalité,lacontinuitérésolue,intraitabledesadémarche».
(JeanBazin2008:395)
Conclusion
J’ai commencé cette recherche par une expérience de discours de victimes
d’«agressions diaboliques», dans des lieux peu propices à leur expression. D’autres
confrontationsontsuivi révélantdescomportements,despratiquesetdesproposqui
me semblaient un ensemble de propositions tout aussi incompréhensible. Ces
expériencesdediscoursetdepratiquesontgénéréenmoiunsentimentdemalaiseen
regarddelastratégieépistémologiqueàlaquelleinvitentlessciencessociales.
Encommençantmonenquêtedeterrain, j’aiconstatéquelespersonnesporteusesde
discours de victimes et initiatrices de pratiques d’une « rationalité » inhabituelle
appelant à l’évidence un décodage avaient par ailleurs, dans leur vie quotidienne, un
comportement cohérent répondant à une rationalité ordinaire et sans
disfonctionnement apparent. Dès lors, mettre ces pratiques sur le compte d’une
«résurgenced’unementalitéarchaïque»n’avaitpasplusdesens,quedelesopposerà
une sciencemédicaleadoptantunmodèle scientifique fondé,depuisDescartes, sur la
séparationdesdeuxsphèresmédicaleetreligieuseetconduisantàl’autonomieetàla
séparation des soins du corps et de ceux de l’« âme ». Considérer, en outre, ces
pratiques comme des réponses à un « émiettement du religieux » ou à un
«désenchantement du monde» ouvre des pistes de réflexion, mais appelle pour
l’ethnographe des observations de terrain donnant accès aux diverses formes de
symbolisation correspondantes, à l’œuvre in situ. Dès lors, j’ai considéré que la
distinction respectivement, entre «religion populaire» et orthopraxie religieuse, et
328
entre «médecine populaire» et médecine scientifique, renvoyait à deux régimes
d’autorité distincts plutôt qu’à un partage rigoureux des savoirs et des compétences.
Au‐delàdecesclivagesd’allurestructurelle,ils’estagipourmoi,dem’intéresseràdes
«logiquesdepratiques», pour reprendreunautre conceptdePierreBourdieu, et de
considérercommentcelles‐ciallaients’insérerdansuneperspectivequitiennecompte
dudécloisonnementetdelacirculationdesreprésentationsetdesvaleursauseind’un
universsocialdevenudeplusenplusmultiforme.
1.Retoursurlaméthodologied’enquête
Avoirpourprojetdes’interrogersurdesdiscoursquiposentd’emblée laquestiondes
limitesetde l’instabilitéde lapersonnehumaineainsiquedestraitementsappropriés
de l’infortune est une proposition qui interroge aussi d’emblée la position de
l’ethnologue. Si au début de mon enquête, j’ai cru pouvoir laisser de côté cette
nécessité méthodologique, la confrontation avec le terrain a modifié mon approche.
Comme le souligne Francis Affergan : « La présence sur le terrain engage
nécessairement l’ethnologue et ses interlocuteurs à construire de nouveaux rapports
réelsetcognitifsdanslecoursmêmeduprésent.»(FrancisAffergan1997:96)
Adopter ce point de vue m’a permis d’intégrer les difficultés rencontrées plus
particulièrementaudébutdecetterecherche,difficultésproduitesparl’aléatoiredela
transmission des informations, les hésitations communicationnelles et les stratégies
d’évitementdesinterlocuteurs.Celam’apermisd’intégrercesdifficultéscommeétant
des «anomalies communicationnelles» en elles‐mêmes productrices de sens et de
procéderàune«conversionduregard».
Cette remise en cause demesméthodes de terrainm’a invité à développer d’autres
approches cognitives et, par là, à introduire dans l’enquête un processus dialogique
permettantd’approfondir lesparolesau fildes situations. Le terrainprenddans cette
329
perspective un relief épistémologique inattendu à savoir « qu’il devient une scène
accompagnée de scénarii affectés par des situations polémiques et conflictuelles :
émotions, drame, voire mini‐scénographies tragiques (…). Le terrain n’est pas un
spectacle, mais le lieu d’engagement des acteurs. » (Francis Affergan 1997 : 93). La
démarche de compréhension des interactions et des interlocutions voire d’inter‐
cognitionvademanderàl’ethnologued’observermoinsqu’ilexpérimente.
Surleterraindescuresthérapeutico‐religieuses,expérimenterc’estêtreenrelationet
parler de l’infortune et de la souffrance, c’est fabriquer de l’intimité entre les
interlocuteurs,entre celuiquiénoncecequ’il a vécuoucequ’il vit et celuiqui reçoit
cetteénonciation.Entantquesystèmerelationnel,l’intimevaprendreformeàtravers
l’expressiondessentimentsetdesémotions.Lerapportauxémotionsapparaîtcomme
ambigudanslaméthodederecherchecognitivedéveloppéeparl’ethnologie,commele
souligne Christian Ghasarian, «toutes les méthodes insistent sur le fait que les
sentiments et émotions doivent être maîtrisés et /ou mis de côté lors de l’enquête
ethnographique et l’analyse des données». (Christian Ghasarian 1997 : 193) Cet
éloignementduregardnécessaireàuneobjectivationsurleterrain,héritéedelapensée
de Durkheim, s’inscrit dans une tradition philosophique dualiste qui postule une
hiérarchie entre la raison et l’affect. Lorsque l’ethnologue tend à développer un
complexe de relation d’affects sur le terrain, il s’éloigne de la raison. Cette posture
philosophique est rejetée par Jeanne Favret‐Saada critiquant « le présupposé
d’asymétrieentrel’ethnographeetsonobjet».(JeanneFavret‐Saada,CyrilIsnart2008).
VéroniqueDassié, pour sa part, rappelle que « pour ne pas prendre le risquede voir
s’évanouirleprojetdeconnaissance,ilestimportantderecontextualiserlephénomène
émotionnel dans sa dimension sociale d’ensemble (…) Outre les affectsmanifestés, il
fautdonctenircomptedesvaleursaccordéesparlestémoinsàleurproductionpoury
accéder.»(VéroniqueDassié:2010)Ainsifaut‐ildistinguer lediscoursquiexprimeles
affects de celui qui parle des affects. Pour Vincent Crapanzano, si ces distinctions
doiventêtrefaitespourpermettretouttravaild’analyse,«peut‐êtrefaut‐ilcommencer
330
parposerlaquestion:ya‐t‐ildesdiscours,desénoncés,desparoles(peuimporteicila
distinction) qui ne soient pas émotionnels (Vincent Crapanzano 1994). Il devient dès
lors possible de « les situer dans un champ de références et de les insérer dans les
processuspragmatiques(…)deles«lire»,delesincorporerdansunevisiondumonde».
(VincentCrapanzano1994)Unefoisadmisquelesémotionsappartiennentàunevision
dumonde,ilnousresteàdéfinirlapositionduchercheurquin’estpashorsdumonde.
PourJeanneFavret‐Saada,« ladimensionaffectuelledesrelations(…)estpermanente
enethnologie,(…)personne,jamais,oùquecesoitnesauraitêtredésaffecté»(Jeanne
Favret‐Saada,CyrilIsnart2008)
PourJeanneFavret‐Saada,lefaitd’accepterde«participer»etd’êtreaffectén’arienà
voir avec une opération de connaissance par empathie. Elle s’appuie sur deux
définitions pour préciser sa pensée. Pour la première, tirée de l’Encyclopedia of
Psychology, être en empathie consisterait à expérimenter par procuration les
sentiments, perception et pensées d’une autre personne. Ce qui suppose unemise à
distance,puisquec’estbienparcequ’onn’estpasàlaplacedel’autrequ’ontentedese
représentercequecelapourraitêtresionétaitl’autre.Cettepositionnepermetpasde
considérer réellement les représentationsde l’autre,ellepermet toutauplus«d’être
bombardé d’intensités spécifiques (appelons les des affects) qui ne se signifient
généralementpas»(JeanneFavret‐Saada2009:156).Ilfautdoncmieuxexpérimenter
cette place et les intensités qui lui sont attachées puisque c’est la seule façon de les
approcher.
Pourladeuxièmedéfinitiondutermeempathie,JeanneFavret‐Saadaseréfèreauterme
Einfülhung,duverbesicheinfühlen,semettreaudiapasonousemettredanslapeaude,
qu’elle traduit par «communion affective» en relevant que ce terme insiste «sur
l’immédiateté de la communication, sur la fusion avec l’autre qu’on atteindrait par
identification avec lui» (Jeanne Favret‐Saada 2009 : 156) Cette conception de
l’empathienenousditriendumécanismedel’identification,ellenousdonnelerésultat,
331
penserconnaîtrelesaffectsdel’autre,alorsqu’enréaliténousn’avonsmobiliséquenos
propres affects en miroir. Mais, le fait d’occuper cette position, cela veut aussi dire
accepter de mobiliser ses propres affects et ouvrir une forme «de communication
spécifique avecles indigènes,une communication toujours involontaire et dépourvue
d’intentionnalité,etquipeutêtreverbaleounon»(JeanneFavret‐Saada2009:157)Ce
quiestalorscommuniqué,c’est«l’intensitédont l’autreestaffecté,(lepremierFreud
parleraitd’un«quantumd’affect»,oud’unechargeénergétique).Lesimagesqui,pour
luietpourluiseul,sontassociéesàcetteintensitééchappentàcettecommunication»
etdesoncôtél’ethnologueencaissecettechargeénergétiqueàsafaçonpersonnelle.Il
s’agitalorsd’expérimenterlesintensitésliéesàuneplaceparticulière,cequipermetde
constaterqu’àchaqueplacecorrespondunesorteparticulièred’objectivité, ilnepeut
s’y passer qu’un certain nombre d’événements, l’on ne peut être affecté que d’une
certainefaçon.Lesmatériauxrécoltés,enétatd’affect,sontd’unedensitéparticulière
etleuranalyseconduitàfaire«craquerlescertitudesscientifiqueslesmieuxétablies».
PourJeanneFavret‐Saada,«d’avoirtraînésilongtempschezlesensorcelés,etchezles
désorceleurs,enséanceethorsséance;d’avoirentendu,outre lesdiscoursconvenus,
unegrandevariétédediscoursspontanés;d’avoirexpérimentétantd’affectsassociésà
tels moments particuliers du désorcèlement; d’avoir vu faire tant de choses qui
n’étaientpasdurituel–toutescesexpériencesm’ontfaitcomprendrececi.Lerituelest
un élément – le plus spectaculaire mais non le seul – grâce auquel le désorceleur
démontrel’existencedes«forcesanormales»,l’enjeumorteldelacrisequesubissent
ses clients, et la possibilité de la victoire.Mais celle‐ci suppose lamise en place d’un
dispositifthérapeutiquetrèscomplexeavantetlongtempsaprèsl’effectuationdurituel.
Cedispositifpeut,biensûrêtredécritetcompris,maisseulementparquiseseradonné
lesmoyensde l’approcher, c’est‐à‐direparqui aurapris le risquede«participer»ou
d’enêtreaffecté;enaucuncasilnepeutêtre«observé».»(JeanneFavret‐Saada2009
:161)
332
Enacceptantcetteformed’ethnographie,lechercheurvitdansunesortedeschize,une
«disjonction de soi». Selon les moments, il fait droit à ce qui en lui est affecté,
malléableetmodifiéparl’expériencedeterrainoubienilfaitdroitàcequienluiveut
enregistrercetteexpérienceafindelacomprendreetenfaireunobjetdescience.Cette
formed’approcheapourconséquencequelesopérationsdeconnaissancesontétalées
dans le temps et disjointes les unes des autres. Quand on est affecté, on ne peut
rapporterl’expérienceetquandonrapportel’expérienceonnepeutpaslacomprendre.
L’artduchercheurvaêtred’apprendreàsemouvoirentredesformesd’appropriations
interactionnelles et d’ajustements situationnels afin d’instaurer une relation
d’apprentissage et de compréhension des perspectives des autres sans lesquels la
relationd’enquêterestepeuféconde.(AlbanBensa2008)Cetteassertionm’aconduite
à adopter au cours de ma recherche le point de vue que la compréhension
ethnographique relèveausside l’expérience.Affirmationquipeutêtrenuancéepar le
fait que «la ressemblance et la différence expérientielles apparaissent comme des
décisions sociales et dépendent toujours des traits sélectionnés et tenus pour
pertinents.»(LeonardoPiasere2010:150)Danslecasprésent,plutôtqued’utiliserune
compétenceempathiquepartagée, il s’est agi progressivementpourmoid’êtrepartie
prenante du dispositif médiumnique pour en apprendre le langage, pour pouvoir
privilégierlalecturedesinteractionsàcellesdesreprésentations.
2.Retoursurquelquesrésultatsd’enquête
2.1.«Mythed’individuation»etexpériencedémonstratrice
Les trois configurations de médiums guérisseurs, qui m’ont permis de constituer les
matériauxprincipauxdemarecherche,ontdesregistresd’activitéssemblablesetquine
diffèrentpasdeceuxdelaplupartdesautresmédiumsguérisseursrencontrésàMednat
Expo: ils soignent lescorps,éduquent lesâmes,apaisent lesmortsetneutralisent les
«forces négatives». Ces configurations se constituent autour de personnalités qui
333
asseyent leur autorité et légitimité selon des procédés récurrents mais avec des
variationsentrelestrois.
PourlesconfigurationsliéesàMarieetàcelledel’Univers/CitéMickaël,ladéfinitionde
lafonctionsocialedemédiumseconstruitdansl’élaborationd’unrécitdeviedontles
élémentsconstitutifsviennents’insérercommeautantde«preuves»rétrospectivesde
laréalisationdudestindemédiumguérisseur.Lesfragmentsdevierelatésapparaissent
comme autant d’étapes vers une destinée singulière et mettent en relief des
événements séparateurs et des tournants qui font que l’individualité se recompose.
Cettenarration,quiprend laformed’un«mythed’individuation»,aunetrameàpeu
prèschaquefoisidentiquecomportantl’identificationd’un«pointdebascule»,queles
médiums relèvent en l’associant à un événement traumatique prenant valeur
d’expériencedémonstratrice.Uneépreuveprendlavaleurd’expériencedémonstratrice
lorsqu’elle trouble les repères habituels de la perception du réel et conduit à situer
l’étrange non plus dans le monde extérieur mais en soi‐même et fait passer d’une
expérience intime à un travail d’élaboration symbolique. De plus en plus souvent,
l’événementtraumatiquementionnéparlesmédiumsguérisseursestune,«expérience
demort imminente», EMI, plus souvent nomméepar l’acronyme anglais:NDE (Near
DeathExperience).CetteNDEestvécueetdécriteparMarie.Elleprenduneformeen
«différé» chezKayaetDenise.Pour lepremier, elle se situedansun rêvepar lequel
une annonciatrice lui donne accès à son «destin posthume». Pour la cinéaste, elle
prendlaformedetémoignagesqu’ellearecueillisen2002pourréaliserunfilmintitulé
Aux frontières de la mort. N.D.E. Elle situe la réalisation de ce film comme étant à
l’originedesaconviction«qu’ilexisteunevieaprès lamort»,etcomme l’événement
qui a déclenché sa vocation de médium. Pour les trois médiums guérisseurs, cette
expérience a fait s’interpréter mutuellement deux systèmes de représentation où la
volontéexplicativedel’unreçoitsaprégnanceémotionnelledel’autre.
334
2.2.Retoursurlesobjetsparticipantsdudispositifdecroyance
J’ai retenu ici deux catégories d’objets surprenants par leur inesthétisme et non
fonctionnalité apparente: les schémas et diagrammes utilisés par les médiums
guérisseurs et présentés comme des supports explicatifs ainsi que les statues et
figurines«représentants»desentitéssurnaturelles.Jemesuisdemandés’ilsentraient
dansledispositifdecroyanceetservaientàélaborerlesmoyensd’objectivationsd’une
«autre»réalité.
Lesmédiumsguérisseursetlesconsultantsfontcirculerdesschémas,quiapparaissent
simplistespourunlecteurextérieur,ainsiqu’uneimageriequiappartientàuneculture
populaire,(imagesdecatéchismeoutiréesdesfilmsdeDisney,figurinesenplastiquede
couleur, séries télévisées). Ces deux catégories d’objets font appel à des ressorts
différents. Pour les expliciter le premier, je prendrai comme exemple le bestiaire
deMarie, formé par un groupe d’animaux parfaitement hétéroclite et fabriqués en
toutes sortes de matériaux, posés bien visibles sur une étagère. Parmi ceux‐ci, se
distinguent un dragon vert, une licorne, un hibou et un jaguar ainsi que huit autres
figurines,Marielesprésententtouscommeétantsesanimauxtotem.Unautremédium
guérisseur, ou éventuellement un consultant ayant déjà acquis un certain niveau de
«savoir», pourra reconnaître dans cet arrangement, qui semble sorti d’un coffre à
jouets, les dégrés d’«initiation» de Marie auprès d’un «maître chamanique». La
dispositiondesfiguresselitcommeleparcoursbiographiquedeMarieetcomplèteles
autressériesd’objetsposéssursonautel,quin’apasunefonctiondesacralitémaisde
témoignage.L’inesthétismedecesobjets,renvoieàlaformedecontestationd’unordre
imposé qui se retouve dans la «culture populaire»mais il rejoint aussi ce que note
Jean‐Pierre Albert, à savoir que «l’inquiétante étrangeté du sacré s’enracine d’abord
dansdesanomaliesd’ordrecognitif»(Jean‐PierreAlbert2000:116).
335
Quantauxschémas,quiparaissent indiciblesaupremier regard, ilsontaussiplusieurs
usagesquisontrarement liésàunprojetd’exactitudescientifique.Selon lesmédiums
guérisseurs, ces dessins ont, pour le consultant et pour eux‐même, une fonction
mnémotechniqueetserventdesupportnotammentauxméditations.Cequimepermet
l’hypothèsequecetteformederemémorationrejointlestechniquesmnémotechniques
développées par les «arts de la mémoire», les artes memoriae. Dans l’antiquité
classique,l’orateurrecouraitàdesmodèlesmnémoniques.Poursesouvenirdesidées,
des concepts, des images, des références, il les rangeait et les organisait dans sa
mémoireetensuite les«déposait»mentalementseloncetordreensuivantun trajet
précis dans un paysage particulier ou le plus souvent dans un contexte urbain,
englobant rues, places, maisons, lieux publics. Pour donner corps à sa pensée, il
reparcourait mentalement ces espaces et y prélevait les savoirs à mobiliser. Cette
méthodedestopoi,des«lieux»futaufondementdes«artsdelamémoire».Elleest
restéeundes supportsde lamémorisationdesperformancesorales,particulièrement
dans l’art dramatique où l’espace scénographique remplit cette fonction. Les artes
memoriae ontmodelé la façond’appréhender, de classer et demémoriser lemonde.
Lesadeptesdel’angéologieetdesformesactuellesd’ésotérismeutilisent latechnique
destopoi,ensubstituantauplanurbainvirtueldesdiagrammes,desschémasettoutes
sortesdecartesdedivinationetenutilisant lesmêmesprocédésmnémotechniqueet
d’associationd’idéespourservirunecosmologieetundiscoursésotériquefoisonnant.
Ces schémas servent aussi lesmécanismesd’enchâssement des régimesde vérité qui
contribuentàlamiseenplaced’undispositifdecroyancepermettantlaproductiond’un
«paysage» surnaturel dans lequel s’inscrivent des médiateurs et interlocuteurs
supraempiriques. Carlo Severi, reprenant la thérapie chamanique kuna, servant de
support à la lecture de l’«efficacité symbolique» présentée par Claude Lévi‐Strauss,
avance l’hypothèse que cette «scène de l’énonciation rituelle» procède de manière
identique au niveau sonore, à ce que Ernst Gombrich a décrit au niveau visuel.
L’historien de l’art, en étudiant la psychologie de l’image, a remarqué «qu’une large
336
partduprocessusperceptifestdueàunemanièreparticulièred’opérerdelaprojection
visuelle. Lorsque nous regardons une image, nous percevons toujours une partie de
traits que l’image ne contient pasmatériellement,mais se limite à suggérer.» (Carlo
Severi2007:249)Cemécanismeestutilisédans l’«artprimitif»pour représenterun
«esprit». «Ce jeu projectif, qui semble inhérent à toute perception visuelle, est
exploité pour faire apparaître un lien entre ce qui, dans l’image, est matériellement
présent et cequ’ellepousse l’œil à voir sans ledécrire. C’est ainsi qu’onpeut rendre
présent à l’esprit ce qu’on veut maintenir dans l’invisible.» (Ibid.) Pour rendre plus
explicite cephénomèneoptique,CarloSeveri citeErnstGombrich,quidéfinitainsi les
caractéristiquesquiconduitaudéclenchementdelaréponseprojective:
« Il existe deux conditions de base qui doivent toujours être satisfaites si on veut
déclencherlemécanismedelaprojection.Lapremièreestquel’onnedoitjamaislaisserà
l’observateuraucundoute sur lamanièredont il doit associer cequ’il voit avec cequ’il
doit «comprendre»de l’image. La secondeestque l’observateurdoit toujourspouvoir
disposer d’un «écran»: il s’agit d’une aire vide, ou confuse, sur laquelle il pourra
projeter,sansêtredérangé,l’imagequ’il«s’attend»àvoir.»(ErnstGombrich1960,cité
parCarloSeveri2007:250)
3.Retoursurlaquestiondu«syncrétisme»etdu«bricolage»
Un des points communs des médiums guérisseurs des trois configurations est le
développement de leurs discours faisant appel à de multiples registres
autobiographiques,psychologiques,ésotériques,médicauxaveclesquelsilsjonglentde
l’unà l’autre selon, cequi apparaît souvent«dudehors» commeappartenantplusà
des associations d’idées qu’à une logique rationnelle. Cette forme, dans laquelle
s’interpénètrent des discours sociaux saturés selon une pensée fragmentée, nous
renvoieàcelleutiliséedans lesprocédésartistiqueset littérairesdès lesannées1960,
pours’inscrireensuitedansune«cultureauquotidien».MicheldeCerteau,reprenant
lestermesdeRogerBastide,diradecelle‐ciqu’elledoitdésormaisêtrepenséecomme
337
«au pluriel», «kaléidoscopique» ou «mosaïque» et définirala créativité comme
«l’acte de réemployer et d’associer des matériaux hétérogènes (…) ce qui devient
central c’est l’acte culturel propre au «collage», l’invention de formes et de
combinaisons, et les procédés qui rendent capable de multiplier les compositions.»
(Michel de Certeau 1980: 105‐108)124. Ce procédé demorcellement des systèmes de
sens et des ordres fragmentaires projeté dans un support de transposition par un
principe de citations engendre son propre effet de sens. Cette technique se retrouve
formellement dans la production du discours desmédiums guérisseurs et permet les
glissements de sens pour faire surgir des vérités nouvelles. Mais cette forme
kaléidoscopique,commel’amisaujourmontravailethnographique,estplusdel’ordre
d’un mécanisme de mises en œuvre, par une série de transactions sociales et
d’opérations cognitives, d’un dispositif de production de croyance permettant les
moyens d’objectivation d’une «autre réalité ». Cette dynamique d’un processus à
l’œuvrenepeutpasêtre réduite àunmélangeouàune identificationplusoumoins
conscientedetraditionshétérogènesquineseraientinscritesquedansunelogiquede
cumul ou de réinterprétation. Cette dynamique peut être qualifiée de «travail
syncrétique»et intègre l’idéede«bricolage»selon leparadigmestructuraliste.Selon
celui‐ci lamatière symbolique qu’utilise le «bricoleur» est «pré‐contrainte» dans la
mesureoùelleestmarquéeparsonusageantérieuretconserveenpartielesouvenirde
sa valeur. Cette idée de «pré‐marquage» ou de «pré‐contrainte» présuppose une
continuitéde lamémoirecollective.Cettehypothèses’inscritdans lacontinuitéd’une
utilisationd’unmatérielissuduchristianismetoujoursprésentdansleslogiquesd’action
desconfigurationsdesmédiumsguérisseurs.
124
citéparAndréMary2000:171‐172
338
Tabledesmatières
Résumé 3
DESMAUXETDESCURES 3
LESTRANSFORMATIONSDUCHAMPTHERAPEUTICO‐RELIGIEUXENSUISSEROMANDE 3
Abstract 4
Remerciements 5
DESMAUXETDESCURES 7
LESTRANSFORMATIONSDUCHAMPTHERAPEUTICO‐RELIGIEUXENSUISSEROMANDE 7
Introduction 71.Cadrethéorique 72.Ledébutduprojetderecherchedoctorale 113.Parcoursdelathèse 16
Premièrepartie 21
Lestroispôlesdestructurationduchampthérapeuticoreligieux 21
1.LenouveauRitueldel’Exorcismedel’Eglisecatholique 231.1.Del’«agressiondiabolique» 241.2.Lapratiquedel’exorcismeaucoursdesdernierssièclesenpayscatholique 251.3.Larégularisationdelapratiquedel’exorcismeenSuisseromande 301.4.Lespremièresrencontresavecdesprêtresexorcistesdel’Eglisecatholique 33
2.Quandlamédecinedevientintégrativeparunevotationpopulaire 392.1.Premièretentativededélimitationentrelestraitements 392.2.Pourlareconnaissancedesmédecinescomplémentaires 402.3.Lamédecineintégrative,unnouveauconceptconsensuel 432.4.Lesméthodesdeguérison 46
3.Salondemédecinesnaturelleset«VillageSanté» 493.1.Lathéoriedel’économiedessingularités 523.2.Le«VillageSanté» 563.3.Lamiseenplacedudispositifdejugement 593.4.Despraticiensdu«VillageSanté»aucourantNewAge 593.5.Dequelquesconceptsutilesàprendreencompte 653.6.Le«VillageSanté»,uneconfigurationstratégique 713.7.DuFengShui,desaurasetdesguidesspirituels 72
339
Deuxièmepartie 83
1.Stratégied’enquête 831.1.Lesmédiumsguérisseurs 841.2.Misesenréseauxdesmédiumsguérisseuretnouvelésotérisme 841.3.Durécitdesoiaurécitdevieetpourquelleefficacitéparticulière 88
2.Del’usagedesguidesspirituelsdansunevieordinaire 912.1.LeportraitdeMariedansl’ouvragerépertoiredeMagaliJenny 932.2.Stratégieautobiographique 962.3.Del’enfanceàl’âgederaison:lesannéesd’épreuves 982.4.Delarecherchedesoiàlarévélationdesondestin:lesannéesdeformation 1002.4.1.Dudéveloppementpersonnelàl’annonced’unemission 1002.4.2.Larecherchedesguides«spirituels»terrestres 1042.4.3.Retourauxsources:lesrévélationsdesguidesspirituelscélestes 1082.4.4.Commentlégitimersafonctiondemédiumguérisseurauprèsdesespairs 1192.5.LespratiquesdeMarie 1242.6.Séancesdeguérison 1252.7.Séancesdedivinationcollective 1322.8.LepèlerinageàlaRocheauxFéespourlafêtedelaSaint‐Jean 1652.8.1.Cequecettecérémoniedonneàvoir 1762.8.2.Desritesdepassage 1782.8.3.DesrochesauxféesàlaViergeMarie 1792.8.4.Modesd’interventions 1822.9.LesregistresdeMarie 186
3.Del’usaged’unequêteangélique 1893.1.Méthoded’enquête 1913.2.LespratiquesdeSylviepourtraiterl’infortune 1933.3.Lerégimealimentairepourunemeilleurecommunicationaveclesanges 1973.4.L’originedel’«Angéologietraditionnelle»? 1983.5.Laconstructiond’unefiliationparlamiseenplaced’un«pèlerinage»àlasourcedel’«Angéologie»
2003.5.1.Lediscoursd’Haziel 2013.5.2.La«découverte»dumotkabbalescellelarencontredeChristianeetKaya 2043.5.3.Lapremièreépreuve:laréminiscencedelapersécution 2083.5.4.Ladeuxièmeépreuve:lamiseendoute 2103.5.5.LaseptantedeGirona 2143.5.6.«LalégendedeGérone» 2153.5.7.Procédésdiscursifsdestroisrécits 2193.6.Lesconditionsquipermettentd’instaurerunereconfigurationd’unsavoir 2213.6.1.Del’originedelakabbale,del’arbreséfirotiqueetdesanges 2213.6.2.Des«aljamas»àla«Reconquista» 2243.6.3.L’œuvredeJosepTarrés,l’ouvertureduCallJueu 2283.6.4.FermetureduCentreIsaacelCel 2333.7.LesrécitsautobiographiquesdeKayaetChristiane 2383.7.1.AutobiographiedeKaya 2393.7.2.AutobiographiedeChristiane 2433.8.Lesateliersdel’Univers/CitéMickaël 2483.8.1.Ateliersurlesspécificitésdel’«AngeHabuhiah» 2503.8.2.L’atelierdeyogaangélique 2543.8.3.Exercicespratiquesdedéchiffrements 2573.8.4.L’expériencedurêvepourlesparticipants 2623.8.5.Reformatagedel’âme 263
340
4.Del’usagesocialdes«morts» 2714.1.L’usaged’unfilmcommedispositifdecroyance 2714.2.Dispositifs,protagonistesetobjets 2734.3.PerformancesmédiumniquespubliquesdeJanetParker 2764.4.Déroulementdel’enquête 2814.5.Constructiondusavoir«savant»duspiritualismeanglais 2824.5.1.LaformationdeCéline:Lesannéesdel’enfanceàl’âgeadulte 2824.5.2.Premièrecommunicationavecl’au‐delà 2834.5.3.StanstedHall:l’égliseetlecentredeformationArthurFindlayCollege 2874.5.4.L’églisedeStanstedHalletlaliturgiespiritualiste 2884.5.5.LecentredeformationArthurFindlayCollege 2934.6.Lesmédiumsspiritualistessuisses 2944.7.L’inaugurationdel’AtelierInfini 2964.8.Lesséancespubliquesdeguérison 3004.9.Lescafésmédiumniques,lieudelaparoledesrêves 3034.9.1.LesrêvesdeBarbara 3054.9.2.LesrêvesdeJacqueline 3074.9.3.LesrêvesdePierre 3094.9.4.Commentseprésententles«défunts»pendantunelecturemédiumnique 3114.10.Formationàlamédiumnité 3134.10.1.Miseencondition 3164.10.2.Exerciced’introductionàlalecturemédiumnique 3214.10.3.Exerciced’unelecturemédiumniqueavecl’appuid’unecarte 322
Conclusion 3271.Retoursurlaméthodologied’enquête 3282.Retoursurquelquesrésultatsd’enquête 3322.1.«Mythed’individuation»etexpériencedémonstratrice 3322.2.Retoursurlesobjetsparticipantsdudispositifdecroyance 3343.Retoursurlaquestiondu«syncrétisme»etdu«bricolage» 336
Tabledesmatières 338
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