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Daniel Dumitran, Valer Moga (Eds.) Economy and Society in Central and Eastern Europe

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Daniel Dumitran, Valer Moga (Eds.)

Economy and Society in Central and Eastern Europe

Economy and Societyin Central and Eastern Europe

Territory, Population, Consumption

Papers of the International ConferenceHeld in Alba Iulia, April 25th – 27th, 2013

edited by

Daniel Dumitran, Valer Moga

LIT

Cover image:The city of Alba Iulia: image from the early twentieth century(Collection of “National Museum of Union,” Alba Iulia).

This book is printed on acid-free paper.

Bibliographic information published by the Deutsche NationalbibliothekThe Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the DeutscheNationalbibliografie; detailed bibliographic data are available in the Internet athttp://dnb.d-nb.de.

ISBN 978-3-643-90445-4

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Contents

Über Wirtschaft und Gesellschaft in Mittel- und Osteuropa der Neuzeit – Der Fall Siebenbürgens. Ein Plädoyer für die Erneuerung der Forschung Daniel Dumitran

1

The Use of Resources, Trade and Consumption: Between South-Eastern and Central Europe

A Forerunner of Capitalism in Central Europe in the Mid-Sixteenth Century: Peter Deák Szentgyörgyi of Baia Mare Marius Diaconescu

7

The Transit of Oriental Goods Through the Customs of Sibiu / Hermannstadt in the Sixteenth and Seventeenth Centuries: An Overview Mária Pakucs-Willcocks

19

Eighteenth Century Central Europe in Transcontinental Trade: The Trading Company of Molla Mustafa and the Viennese Conscription of 1767 David Do Paço

31

Territory and Economy in Vienna Government’s Reforms (Eighteenth Century) Die Landesbeschreibungen als Reformierungs-Instrument: Fürstentum Sieben-bürgens im letzten Jahrzehnt Maria Theresia’s Daniel Dumitran

43

Staatswirtschaftslehre des Kameralismus: Theorie und Praxis am Beispiel von den Kameralherrschaften im mittelslowakischen Bergbaugebiet. Einführung in das Thema Eva Ondrušová

63

Die Kirchenpolitik als staatliche Finanzierungsfrage in Siebenbürgen der 1760er und 1770er Jahre Kálmán Árpád Kovács

77

Families and Communities in the Context of Social and Confessional Changes

Religious Violence, Political Dialogue, and the Public: The Orthodox Riots in Eighteenth-Century Transylvania Radu Nedici

87

Style as a Weapon. A Fake Imperial Edict in Péter Bod’s Brevis Valachorum

CONTENTS VI

Transilvaniam incolentium Historia Monika Imregh

101

Jewish Mobility and Settlement in Bucharest Felicia Waldman

109

From Generation to Generation: Demographic Reproduction in Rural Szekler-land, From the Second Half of the Nineteenth Century and to the First Half of the Twentieth Century Levente Pakot

123

Cultural Formation in the Ethnic and Confessional Communities

Expressions of Ethnic Identity and Affiliation in the Donation Practices of Ma-cedo-Vlachs Living in the Hungarian Kingdom Márta Nagy

137

Patterns of Wealth Transmission in Eighteenth Century Sibiu Oana Valentina Sorescu

147

Books and Confessional Identity: The Library of the Uniate Bishop Ioan Giurgiu Pataki Greta-Monica Miron

159

Bücher als Thermometer der gesellschaftlichen und wirtschaftlichen Verände-rungen (16.-18. Jh.) Attila Verók

171

Faith and Charity. Aspects Concerning the Material Situation of the Higher Greek-Catholic Clergy in the Second Half of the Nineteenth Century and the Early Twentieth Century Ion Cârja

181

Memory, Religious Practice and Metamorphoses of Artistic Representation

Materielle Tradition und Innovation in der Sepulkralplastik des 15. und 16. Jahr-hunderts von Sibiu/Hermannstadt und Nürnberg Marco Bogade

193

Pilgrimage Art in Eighteenth Century Transylvania: Icons, Woodcuts and Engra-vings Anna Tüskés

203

Du berceau à la tombe. Les âges de la vie dans l’iconographie roumaine des XVIIIe-XIXe siècles et l’influence des modèles étrangers Cristina Bogdan

221

Master and Disciple: Family Tradition, Professional Solidarity and Artistic In-novation. Romanian Painters Either Side of the Carpathians and the Depictions of Saint Christopher (1730-1850) Silvia Marin-Barutcieff

241

CONTENTS

VII

Donation as a Sign of Change in Religious Sensibility

“That He May Be the Donor and Be Remembered in the Holy Liturgy” Donations of Artwork to Romanian Churches in Transylvania Down to the Mid-Nineteenth Century Ana Dumitran

259

Greek Patronage of the Arts in Lviv in the Sixteenth and Seventeenth Centuries Waldemar Deluga

289

Population Mobility and Social Integration

Affluence and Austerity. Romanian Students from Transylvania and Their Life in the European Universities (1850-1919) Cornel Sigmirean

303

Between National Passion and Individual Interests. A Possible Interest-Group in Transylvania. 1867-1874 Alexandru Onojescu

311

Social Mobility in Transylvania at the End of the First World War Valer Moga

323

Economy, Trade and Human Capital During the Twentieth Century

The German Secret Services in Romania: “Kriegsorganisation Rumänien”/ “Abwehrstelle Rumänien” and Intelligence Cooperation between Romania and Germany over the Defence of the Romanian Oil-Fields, 1939-1944 Ottmar Tra c , Dennis Deletant

343

Incomplete Modernization and State Socialism in East-Central Europe. A Framework of Analysis of Post-Communist Local Political Elites Roxana Marin

363

Territorial Expansion of Higher Education in Communist Romania (1948-1989). An Outline of Patterns and Factors Vlad Pa ca

381

Sources of the pictures 393

Contributors 397

DU BERCEAU A LA TOMBE. Les âges de la vie dans l’iconographie roumaine des XVIIIe-XIXe siècles et

l’influence des modèles étrangers

CRISTINA BOGDAN

Cette étude se propose de présenter la manière dont les Roumains d’antan perce-vaient les étapes de la vie humaine, à travers deux thèmes iconographiques apparentés – la Roue de la Vie et les Degrés des âges – mais qui ont puisé à des sources d’inspiration différentes. Les artistes ont choisi le dessin, la miniature, la gravure ou la peinture murale pour tracer les images de la trajectoire humaine du berceau à la tombe et pour comprendre les classes d’âge qui font d’un individu un enfant, un adulte ou un vieillard.

Le problème des étapes que l’homme traverse le long de sa vie et les caractéris-tiques qui leur sont associées ont préoccupé les philosophes, les médecins ou les hommes de lettres dès l’Antiquité, vu que l’âge est, d’une part, le signe indiscutable de la condi-tion mortelle de l’homme et la preuve certaine de sa périssabilité et, d’autre part, l’élé-ment à même de rapprocher l’être humain (avec le rythme de son devenir) des rythmes cosmiques1.

En fonction de l’auteur en question, les âges de la vie s’inscrivent d’habitude dans un modèle avec 3, 4, 6, 7 ou 12 étapes, mais une chose s’impose constamment : l’idée que l’homme doit se conduire conformément à son âge, afin de ne pas perturber l’ordre du monde dont il fait partie. En d’autres termes, chaque étape de l’existence repré-sente une sorte de seuil de la croissance ou de la décroissance, avec des attitudes, des conduites et un modus vivendi très précis.

Dans un ouvrage dédié à la perception des âges dans la pensée médiévale occi-dentale (The Ages of Man: A Study in Medieval Writing and Thought), J. A. Burrow situe les trois théories fondamentales sur les âges de la vie en fonction de la catégorie à la-quelle appartiennent leurs promoteurs : les biologistes (3 âges), les physiologistes (4 âges) et les astrologues (7 âges). Le schéma triadique – augmentum, status, decrementum – est présenté dans la Rhétorique d’Aristote, et repris par Dante dans Il Convivio. La variante saisonnière se revendique de Pythagore, étant reprise dans les ouvrages de Diogène Laërce ou d’Ovide (les Métamorphoses) et, plus tard, dans les textes du médecin arabe Avicenne ou d’Albert le Grand (De aetate). Pour ce qui est de la distribution en 7 âges, d’après le modèle des 7 planètes connues dans le monde antique, elle appartient à Ptolé-mée, et ne s’est imposée qu’au XIIe siècle dans l’imaginaire occidental.

À chacune de ces représentations d’un cursus aetatis peuvent être associées des explications de nature symbolique. Les âges de la vie peuvent être enfermés dans une vi-

1 Éric Deschavanne et Pierre-Henri Tavoillot, Philosophie des âges de la vie. Pourquoi grandir ? Pourquoi vieillir ? (Paris : Bernard Grasset, 2007), 100.

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sion ternaire, d’après l’image de la Sainte Trinité ou suivant le schéma tripartite du temps – passé, présent, avenir ; ils peuvent prendre 4 visages, comme les 4 vêtements successifs de l’année (les saisons) ; ils peuvent être disposés dans 6 étapes, comme les 6 jarres des noces de Cana, où Jésus Christ a transformé l’eau en vin (Saint Augustin) ; ils peuvent être mis en relation avec les 7 planètes2 (connus dans le monde antique) ou les 7 Sacre-ments de l’Église, tout comme ils peuvent rappeler les 12 mois de l’année, les 12 signes du zodiaque, les 12 apôtres ou les 12 portes du Jérusalem céleste3.

Mais au-delà de ce fondement théorique des escaliers qui montent vers l’âge de la maturité et puis descendent vers le gouffre de la mort4, ce qui nous intéresse dans l’étude présente est la manière dans laquelle les Roumains d’antan se sont représenté, visuelle-ment, le passage par la vie, les associations qu’ils ont faites entre les différents âges et leurs traits spécifiques, ainsi que les modèles que les artistes ont suivis, du monde post-Byzantin ou de l’univers occidental.

Dans l’espace balkanique, la succession des étapes de l’existence a été transposée dans l’image de la Roue de la Vie, le plus souvent selon les prescriptions systématisées dans le chapitre Comment on représente le temps mensonger de cette vie du manuel de peinture de Denys de Fourna. La Roue des âges de la vie est le troisième d’une série de cercles qui retracent le devenir tout d’abord au niveau du macrocosme – le cercle des sai-sons et des signes du zodiaque – et, ensuite, au niveau du microcosme – l’ascension et la déchéance de l’homme.

L’iconographie roumaine du thème est elliptique, les maîtres du pinceau n’ayant gardé de la série de cercles que celui des âges de la vie qu’ils réduisent, d’habitude, à trois. « Les seuils » de l’évolution et de l’involution de l’homme sont concentrés ainsi : l’enfant ou l’adolescent, l’homme mûr et le vieillard cèdent successivement leur place à l’autre, tout le long du parcours circulaire qui prend fin dans la gueule béante du dragon.

On retrouve cette séquence picturale dans la décoration de plusieurs édifices du culte d’une certaine aire géographique du pays, parlant de la manière dont les artisans itinérants étaient influencés non seulement par le texte des guides de peinture, mais sur-tout par les images vues dans d’autres églises. Dans quelques villages de la zone de Sibiu (R inari, Fântânele5, T lm cel, Ocna Sibiului), par exemple, la scène a été peinte dans la décoration intérieure ou extérieure des édifices religieux.

2 Puerulus (jusqu’à 7 ans) – la Lune ; Puer (7-14 ans) – Mercure ; Adolescens (14-21 ans) – Vénus ; Iuvenis (21-35 ans) – le Soleil ; Vir (35-49 ans) – Mars ; Senior (50-65 ans) – Jupiter ; Senex (jusqu’à la mort) – Saturne. 3 Axel Kahn et Yvan Brohard, Les âges de la vie. Mythes, Arts, Sciences (Paris : la Martinière, 2012), 137-140. 4 Il existe en ce sens une bibliographie fondamentale (surtout pour ce qui est de la perception des âges au Moyen Âge) : S. Shahar, Growing Old in the Middle Ages (Londres, 1977); E. Sears, The Ages of Man : Medieval Interpretation of the Life Cycle (Princeton, 1986); M. Goodlich, From Birth to Old Age. The Hu-man Life Cycle in Medieval Thought (1250-1350) (Lanham, 1989); J. A. Burrow, The Ages of Man: A Study in Medieval Writing and Thought (Oxford : Clarendon Press, 1988). 5 Aujourd’hui la représentation de la Roue de la Vie n’existe plus.

Les âges de la vie dans l’iconographie roumaine

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À l’église de R inari, Grigore Ranite, peintre d’église, a représenté (en 1761), sur la face sud de la tour clocher, les sept âges de la vie, en y ajoutant un détail destiné « à christianiser » bel et bien la scène. Dans un coin de l’image il a figuré Jésus Christ sur un nuage, la croix à la main droite. La vie, avec toutes ses étapes, n’est plus donc coordonnée par cette instance d’origine païenne qui échappe à tout contrôle – la Fortune –, comme il arrivait d’habitude dans l’art occidental, dès le Moyen Age6. Le peintre d’église de R i-nari propose ainsi un message chrétien : l’existence n’est pas à la merci du hasard capri-cieux, mais apparaît régie par les lois de la Providence Divine. Le phénomène avait déjà été saisi par Didron dans le périmètre de l’iconographie religieuse athonite, qui avait trans-formé un motif circulaire archaïque, issu du coffre des symboles du paganisme, « en une roue sanctifiée par le christianisme, qui a fait du destin aveugle une providence éclairée ».

La scène du narthex de l’église « Cuvioasa Paraschiva » [Sainte Paraskévi la Pieuse] de T lm cel, peinte en 1780 par Panteleimon, nous dévoile une Roue de la Vie beaucoup plus simplifiée, ne gardant que 3 étapes fondamentales de la vie humaine. L’enfant (ou l’adolescent) habillé d’un vêtement long, vert, les bras attachés à la roue, semble monter avec confiance, son pied gauche vivement élevé, tandis que le vieil homme, vêtu de rouge, glisse sans aucune chance de retour vers la gueule béante du monstre Léviathan (une image rappelant les scènes du Jugement Dernier). Symétrique-ment placé entre les deux, au-dessus la roue, habillé d’un vêtement censé attester par les couleurs (rouge et vert) sa position médiane entre les âges opposés, de l’enfance et de la vieillesse, l’homme mûr a un air imposant, renforcé par la posture des bras et la présence du chapeau, et confirmé encore par le texte de l’inscription.

Les légendes qui accompagnent les images nous indiquent le statut des person-nages de la manière suivante : au-dessus du jeune en ascension : C’est le moment de vivre ; au-dessus de l’homme mûr en haut de la roue : Superbe, celui qui me ressemblera et au-dessus de celui qui glisse vers la bouche de l’enfer : Oh, j’ai été quelqu’un et voilà main-tenant où j’en suis.

Un modèle compositionnel similaire, d’une certaine façon, apparaît sur la porte d’entrée de l’église « Na terea Sfântului Ioan Botez torul » [La Nativité de Saint Jean Baptiste] d’Ocna Sibiului (peinte dans la première moitié du XIXe siècle), où les trois personnages sont accompagnés par les inscriptions : Je veux hériter ; J’hérite ; J’ai hérité. La roue apparaît inscrite dans un ovale rouge foncé, inscrit, à son tour, dans un demi-cercle comme une chaîne de nuages blancs. D’un côté et de l’autre côté de ces trois con-tours circulaires, là où dans ce genre de scènes apparaissaient deux anges qui tiraient les ficelles de la roue, il y a ici deux personnages sommairement habillés d’un vêtement de feuilles vertes (autour de la taille et des cuisses), représentant Adam et Ève. L’homme mûr au-dessus de la roue, appartenant à une couche sociale riche, à juger selon ses vête-

6 Pour les différences entre la Roue de Fortune et la Roue de la Vie, voir Cristina Bogdan, « Sous le signe de Chronos ou de Fortuna. Les avatars d’un motif iconographique – la roue de la vie – dans l’espace roumain et bulgare (XVIIe-XIXe siècles) », Revue des Études Sud-Est Européennes XLVIII, 1-4 (2010) : 91-108.

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ments, indique l’arbre portant des pommes rouges autour duquel le serpent enroulé offre à Ève le fruit interdit. De cette façon, le trajet circulaire de l’homme vers la mort et la sil-houette terne du vieil homme qui glisse implacablement vers la gueule béante du monstre Léviathan acquièrent sens et justification, car la mort est la conséquence7 du péché d’Adam et Ève, présents dans cette scène. L’image s’éloigne ainsi des prescriptions du guide de peinture, prouvant le désir d’innovation du peintre anonyme.

Dans la plupart des fresques des églises roumaines (tout comme dans celles bul-gares ou grecques), ce sont deux anges qui « tirent les ficelles » de la vie (conformément aux indications de Denys de Fourna), symbolisant le passage continuel entre la dimension diurne et celle nocturne :

« Faites, du côté droit et du côté gauche de la roue, deux anges, ayant chacun au-dessus de leur tête la moitié des saisons, et tournant la roue avec des cordes. Au-dessus de l’ange qui est à droite, écrivez : < le Jour > ; au-dessus de celui de gauche < la Nuit > […] »8

Un cas intéressant dans l’espace de Transylvanie est celui de la similarité visuelle entre une gravure (signée par Prixner sc. Pest.) représentant la Roue de la Vie dans le Ca-lendrier pour 100 ans imprimé à Buda en 18149, la peinture sur bois exécutée par Ioan Eliazar (Laz r Toacaci) de Piro a (Valea Chioarului) en 1833 à l’église « Sfin ii Ar-hangheli Mihail i Gavril » [Saints Archanges] de R stoci (département de S laj) et la miniature de Picu P tru de Stihos adec viers, de 184410. Il est très possible que le peintre Ioan Eliazar ait connu la gravure de Prixner et s’en soit inspiré11. Pour ce qui est de Picu P tru , qui avait sûrement eu l’occasion de voir la Roue de la vie dans la décora-tion extérieure de l’église de R inari, il choisit de poursuivre dans sa miniature non pas le modèle offert par le guide de peinture ou par Grigore Ranite (le peintre d’église de R inari), mais le modèle plus laïque du Calendrier de Buda. La Roue de la vie n’apparaît plus ici contrôlée par les deux anges, mais par une incarnation de Chronos, portant sur sa tête un sablier. Les inscriptions des trois images (du Calendrier, de la pein-ture de l’église de R stoci et de la miniature de Picu P tru ) confirment l’emprunt de l’information d’un support à l’autre. Au-dessus de la scène apparaît le titre L’inconstante roue du monde et ses dangereuses vagues, et à côté des trois moments de la vie on peut lire, à l’intérieur de la roue, les légendes suivantes : Je veux hériter, J’hérite, J’ai hérité. Près de la roue est représentée une tombe, au-dessus de laquelle est écrit, en caractères

7 « Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a atteint tous les hommes : d’ailleurs tous ont péché… », cf. Romains 5 : 12, La Bible, Traduction Œcuménique (Les Éditions du Cerf et Société Biblique Française, 1988). 8 Denys, moine de Fourna, Guide de la peinture, trad. P. Durand, Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine (Paris : Imprimerie Royale, 1845), 410. 9 Anca Elisabeta Tatay, Tradi ie i inova ie în tehnica i arta ilustra iei c r ii române ti tip rite la Buda (1780-1830) [Tradition et innovation dans la technique et l’art de l’illustration du livre roumain imprimé à Buda (1780-1830)] (Alba Iulia : Altip, 2010), 48-54; 150-151. 10 Picu P tru . Miniaturi i poezie [Picu P tru . Miniatures et poésie], éd. Octavian O. Ghibu (Bucure ti : Întreprinderea poligrafic « Arta Grafic », 1985), 164 et fig. 112. 11 Tatay, Tradi ie i inova ie, 54.

Les âges de la vie dans l’iconographie roumaine

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cyrilliques, De la poussière je suis et à la poussière je suis retourné, comme un rappel des mots du texte de la messe des morts.

Les similarités compositionnelles sont évidentes, avec la mention que dans la mi-niature de Picu P tru on ne retrouve pas la partie consacrée, dans les deux autres images, à l’eau et au bateau (beaucoup simplifiée dans la peinture de R stoci, par rapport à la gra-vure de Prixner). Quant aux personnages de la roue, il faut remarquer qu’ils ne présentent pas de différences réelles d’âge à l’exception de la variante proposée par Ioan Eliazar ; dans les autres, le personnage apparaît dans tous les séquences sous les traits d’un jeune homme.

Par rapport aux images, commentées antérieurement, des églises de M rginimea Sibiului, dans ces trois scènes, l’Enfer (suggéré par la bouche béante du monstre Lévia-than) est absent, tandis que l’idée du passage dans le monde d’au-delà est suggérée par l’inclusion dans le schéma compositionnel de certains symboles manifestement funéraires : la tombe avec épitaphe, la croix du tombeau, la faux, le serpent (comme signe de la tenta-tion par laquelle la mort est entrée dans le monde).

Dans d’autres zones du pays, où nous avons pu identifier cette scène (dans le dé-partement de Maramure 12, d’Arge 13 ou de Vâlcea14), outre la bouche béante du Lévia-than, la Mort est elle aussi représentée, afin de respecter ainsi, par juxtaposition, ce que le guide de Denys de Fourna prescrivait :

« Puis, au-dessous de lui, faites un tombeau, dans lequel est un grand dragon, ayant dans la gueule un homme à la renverse et dont on ne voit plus que la moitié. Près de là, dans un

12 Aux églises de L pu (« Adormirea Maicii Domnului » [La Dormition de la Vierge]) et Dobricu L pu ului (« Sfin ii Arhangheli » et « Intrarea Maicii Domnului în Biseric » [Présentation de la Vierge au Temple]), que nous présenterons plus en détail ci-dessous. 13 À l’église de « Sfânta Treime » [La Sainte Trinité] du monastère de Valea, peinte en 1797 par Radu, Constantin, erban, Stroe (conformément à l’inscription sur l’un des piliers du porche), dans le registre supérieur de la face sud on déchiffre encore, vaguement, la roue et un reste très pâle du personnage qui tombe. L’édifice du culte « Sfin ii Arhangheli Mihail i Gavril » de Schitu Matei (la commune de Ciofrân-geni), peint en 1857 par le peintre Dumitru (signé sur la face nord de l’église) préserve une bonne conser-vation de la scène de la Roue, près de la confrontation entre le jeune Prince et la Mort, sur la face sud dans le registre inférieur, accompagnée par les inscriptions suivantes : « La vie de l’homme est comme une roue qui tourne, jusqu’à un certain moment, puis le pécheur descend dans la tombe ». À côté du jeune homme en ascension, il y a le texte : « Maintenant, si je vivais ». Au-dessus du personnage couronné, on lit l’inscription : « L’homme imposant qui va se montrer devant moi », et à côté du vieil homme tombant dans la gueule du dragon : « Oh, j’ai été quelqu’un et voilà maintenant où j’en suis ». Dans la même commune (Ciofrângeni), à l’église dédiée aux « Saints Archanges » aussi, du petit village de Ducule ti, dans la décoration du mur ouest du porche (faite en 1872, et refaite en 1998 par le peintre Constantin Ciubuc) on voit une variante de la Roue de la vie qui pourrait avoir apparue sous l’influence de celle de Schitu Matei (malheureusement, nous ne savons pas comme la scène était avant le renouvellement de la décoration, la variante actuelle étant une variante moderne, stylisée, qui présente 4 étapes de l’existence). 14 À Vâlcea, la scène pouvait être vue, dans le passé, à l’église de « Saint Nicolas » de Doze ti, peinte en 1828 par le prêtre Vasile Dozescu et à l’église des « Saints Voïvodes » de P u a (C lim ne ti), décorée en 1857. Malheureusement, aucune de ces représentations n’existe plus, mais celle de Doze ti a été dessinée par Maria Golescu dans un de ses cahiers d’études, préservé dans les collections de l’Institut de l’Histoire de l’Art « G. Oprescu» de Bucarest ; elle l’a aussi décrite en détail dans l’article « La Roue du monde », Revista Istoric Român IV (1934). Des détails sur l’image perdue de P u a peuvent être lus dans l’article de Victor Br tulescu, « Comunic ri » [Communication], Buletinul Comisiunii Monumentelor Istorice XXVI, fasc. 76 (1933), 91.

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tombeau est la Mort, armée d’une grande faux. Elle l’enfonce dans le cou du vieillard qu’elle s’efforce de tirer en bas. »15.

Dans l’espace roumain, la Mort n’est pas proprement incluse dans la scène (à deux exceptions, à Doze ti, dans le département de Vâlcea – disparue aujourd’hui16 – et à Bârza en Olt, une représentation tardive), comme il arrive, par exemple, dans les églises de certains monastères de Bulgarie (Troyan – « L’Assomption de la Vierge » – et Preo-brajenski – « La Transfiguration »17), peintes par le fameux peintre d’églises Zakharie Hristovitch de Samokov (1810-1853)18. Elle apparaît dans la proximité immédiate de la Roue de la Vie, soit dans la confrontation avec le Jeune Prince (comme à Schitu Matei, département d’Arge ), soit comme un personnage indépendant, dans une composition plus ample à caractère eschatologique (à Dobricu L pu ului, en Maramure ).

La juxtaposition des séquences visuelles est interprétée par Andrei Paleolog comme une intention non dissimulée d’en indiquer l’ordre de lecture:

« Si à Schitu Matei, la Roue de la Vie rejoint seulement le dialogue entre < la Mort > et < Le jeune Prince >, à Doze ti, la fable < Le Vieil homme et la Mort > est accompagnée par < Samson terrassant le lion >, < la Grue >, < la Roue de la Vie > et < la terrible Mort > à cheval. De telles associations, nullement fortuites, nous confortent dans l’idée que la pein-ture extérieure des monuments de Valachie propose un vaste programme invitant à philo-sopher moins sur le thème de la précarité de l’existence, que sur celui de la valeur de la vie et de l’espoir. »19

Parfois, au même artiste peuvent être attribuées plusieurs séquences picturales avec la Roue de la vie, présentes dans les édifices qu’il a décorés. C’est le cas de Radu Munteanu d’Ungureni, un peintre qui a exercé son activité durant la période 1767-1800 en ara L pu ului, Maramure et sur Valea Some ului20. Les églises de « Sfin ii Ar-hangheli » et « Intrarea Maicii Domnului în Biseric » [La Présentation de la Vierge au Temple] de Dobricu L pu ului (département de Maramure ), peintes probablement entre 1798 et 1800, ont inclus dans la décoration du narthex, sur la face ouest, une image de ce

15 Denys, moine de Fourna, Guide, 410. 16 Golescu, « La Roue », 299 : « À Doze ti, la scène (…) est réduite à une simple roue tournée par un person-nage grossièrement dessiné, et coloré en vert, qui a remplacé les deux anges et qui reste debout, sous la roue. À la gauche du spectateur il y a un autre personnage qui monte ; au-dessus de la roue, un troisième est assis, portant une couronne sur sa tête, c’est l’homme mûr ; à la droite, un quatrième, le vieil homme, s’écroule dans la tombe ouverte. À côté, on voit la bouche du dragon d’où la Mort sort à un cheval rouge, la faux à la main. » 17 Voir pour détails concernant les deux monastères, Bulgarian Monasteries, éd. Stefan Stamov (Sofia, 2004), 81-103 ; Ivan Gaberov et Plamen Pavlov, Orthodox bulgarian monasteries (Veliko Tarnovo : Gaberoff, 2004). 18 Bogdan, « Sous le signe de Chronos ou de Fortuna », 95-96. 19 Andrei Paleolog, Pictura exterioar din ara Româneasc (sec. XVIII-XIX) [La Peinture extérieure de la Valachie (XVIIIe-XIXe siècles)] (Bucarest : Meridiane, 1984), 58-59. 20 Ecaterina Cincheza-Buculei, « Câteva date noi despre me terii bisericilor de lemn din Maramure , secolul al XVIII-lea ( ara L pu ului) » [Quelques données nouvelles sur les artisans des églises en bois de Maramure au XVIIIe siècle (La région de L pu )], Studii i Cercet ri de Istoria Artei. Seria Art Plastic 27 (1980) : 28-36; Marius Porumb, Dic ionar de pictur veche româneasc din Transilvania (sec. XIII-XVIII) [Dictionnaire de peinture roumaine prémoderne de Transylvanie (XIIIe-XVIIIe siècles)] (Bucure ti : Editura Academiei, 1998), 248-252.

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genre. La scène dans le cas de l’église des Saints Archanges est mieux préservée ; nous pouvons ainsi découper 8 âges, inscrits sur les rayons de la roue (15, 25, 30, 40, 50, 60, 70, 80). Il est intéressant d’observer comment l’artiste marque le passage par les étapes de la vie, en créant un parallélisme entre les âges par l’intermédiaire des couleurs des vête-ments dont les personnages sont habillés, ou par le jeu de la présence / absence du cha-peau. À 15 ans, l’adolescent, les cheveux longs et tête nue, est habillé de bleu ; à 25 ans, le jeune homme imberbe, portant un chapeau, est habillé de vert ; à 30 ans, l’homme est représenté portant des habits rouges ; haut sur la roue, à 40 ans, l’homme à l’âge complet, portant une couronne sur sa tête, est habillé de vêtements des 3 couleurs – bleu, rouge et vert – de la partie ascendante, qui vont se retrouver sur le côté descendant aussi (rouge pour l’homme de 50 ans, vert pour l’homme de 60 ans et bleu pour celui de 70 ans). Les âges d’un côté et de l’autre du cercle sont drapés donc de vêtements de la même couleur : bleu pour 15 et 70 ans ; vert pour 25 et 60 ; rouge pour 30 et 50. Quant au vieil homme (de 80 ans) qui glisse vers le gouffre de l’Enfer, situé au pôle opposé par rapport à l’homme à l’apogée de sa vie (40 ans), celui-ci est figuré nu, la moustache, la barbe et les cheveux blancs, ses bras tendus vers le monde où il s’écroule. On peut encore déchiffrer quelques unes des légendes : à 25 ans – le monde est délectation ; à 40 – qui peut se comparer à moi ? ; à 50 – oh, monde, je me dirige vers la mort ; à 60 – oh, monde, comme je me suis trompé ; à 70 – fatigue et douleur ; à 80 – hélas, pauvre moi !

La scène de l’autre édifice religieux de bois de Dobricu L pu ului (« Intrarea Maicii Domnului în Biseric », dont la peinture a été signée dans le registre du Paradis, sur la face est du narthex, très près du plancher – « Munteanu Radu le peintre ») est au-jourd’hui difficile à déchiffrer, à cause de la couche de peinture qui a été superposée, au milieu du XIXe siècle, sur la composition initiale21. De la vieille Roue, couverte avec des fragments censés évoquer l’Enfer, ont été conservés le contour (deux courbes rouges, et l’espace au milieu coloré de jaune) et la partie supérieure, où se trouve le personnage à l’apogée de sa vie (40 ans, dans ce cas). Dans la partie gauche de l’image, il semble que nous pouvons encore discerner l’un des personnages de la Roue, vêtu de vert, mais vu l’état précaire de conservation de la scène, on n’a pas plus d’informations.

Nous recevons plus de détails dans la décoration de l’édifice du culte de « Ador-mirea Maicii Domnului » [La Dormition] de L pu (département de Maramure ), sur la face ouest du narthex, près du Paradis et de l’Enfer (des découpages de la scène plus ample du Dernier Jugement). La Roue de la vie a ici 8 rayons, chacun marqué avec un chiffre et accompagné d’une figure humaine. Il est intéressant de voir qu’à la différence de toutes les autres images de l’espace roumain, où l’ascension des âges est faite de la gauche à la droite, ici le développement est inverse, à la droite de l’image se trouvant l’enfant qui monte sur la roue, et à la gauche le vieux, qui se prépare à descendre dans

21 Cincheza-Buculei, « Câteva date noi », 32, note 19 : « Dans la même place s’est signé le peintre du XIXe siècle, 1857, qui a intervenu sur la peinture de Radu Munteanu dans le narthex, et a repeint l’abside de l’autel, nous léguant une décoration dépourvue de valeur : ‘Mo u Vasilie’ ».

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l’au-delà. Les similarités compositionnelles, ainsi que les ressemblances entre les textes des inscriptions adjacentes nous légitiment à supposer une influence exercée par cette image sur Radu Munteanu, d’autant plus que nous avons des informations précises que le peintre avait connu la peinture de L pu avant le moment de la décoration des édifices de Dobricu L pu ului (approximativement 1798-1800), vu que l’on lui avait commandé une icône avec la Sainte Trinité pour cette église-là (La Dormition de L pu ) en 176722.

Dans le cas des monuments du culte de l’espace roumain où l’on la rencontre (à la différence de ceux de l’espace bulgare, par exemple), la Roue de la vie est représentée comme une roue à rayons, employée pour les chariots des paysans ; elle n’apparaît pas comme une image abstraite, un cercle ou une succession de cercles concentriques, ayant le soleil au centre23 (comme c’est la cas à l’église de « La Nativité de la Vierge » d’ Ar-banassi) ou comme une femme habillée de vêtements riches, tenant une coupe (comme aux églises des monastères de Troyan et Preobrajenski).

Dans l’espace roumain (à la différence de Bulgarie), la scène apparaît le plus souvent beaucoup simplifiée par rapport aux détails donnés par les guides de peinture, renonçant aux cercles qui figurent le devenir au niveau du macrocosme (l’alternance des signes zodiacaux et des saisons), l’accent étant mis sur la succession des âges de l’homme. Une explication possible de cette option nous est suggérée à la fin de l’article de Maria Golescu de 1934, dédié à ce motif iconographique :

« La valeur décorative de cette composition, ainsi que sa signification parénétique, ont contribué à sa transmission le long des siècles ; la raison pour laquelle on ne la rencontre plus souvent pourrait être, pensons-nous, le fait qu’elle demande, vue l’exécution minu-tieuse et la richesse de détails, un temps trop long, étant difficile à rendre dans les fresques, dont la technique consiste justement d’une exécution aussi rapide que possible. Cette même raison clarifierait aussi la tendance constante à simplifier la représentation. »24.

Une variante de ce motif iconographique se retrouve aussi dans un autre contexte que celui de la peinture des monuments religieux, dans la décoration d’une pierre tombale de l’église de « Sfin ii Apostoli Petru i Pavel » [Les Saints Apôtres Pierre et Paul] (B rboi) de Ia i, construite entre 1841 et 1844 (à la place d’un édifice plus ancien, datant du XVIIe siècle) par l’architecte grec Andrei Caridis. La transcription de l’inscription funéraire, ainsi que la description de la scène25 sculptée en pierre ont été faites par Maria Golescu 22 Dana Tarnavski Schuster, « Biserici de lemn din ara L pu ului » [Églises en bois de ara L pu ului], Buletinul Monumentelor Istorice [Bulletin des Monuments Historiques] XLII (1973) : 48 : « Cette sainte icône a été payée par Budea Vasalie d’Ungureni et a été faite par Radu Munteanu le peintre d’Ungureni ». 23 Cristina Bogdan, « Les représentations de la Mort dans les scènes avec la Roue de la Vie dans la peinture roumaine et bulgare (XVIIIe-XIXe siècles) », Actes du XIVème Congrès International d’Études sur les Danses macabres et l’Art macabre en général, tome I (Chartres, 2012), 68. 24 Golescu, « La Roue ». 25 Maria Golescu, « ‘Lumea aceasta de art i am gitoare’ : o piatr de mormânt din biserica B rboi de la Ia i » [« Ce monde vain et illusoire » : une pierre tombale de l’église B rboi de Ia i], Cronica Numismatic i Arheologic 109 (1938), 2-3 : « Une ligne sépare l’inscription de la représentation du fameux « monde vain et illusoire ». De l’essieu à manchon partent huit rayons vers le centre de la roue, dans laquelle s’inscrivent deux carrés qui se croisent. Les rayons se continuent à l’extérieur de la roue par des consoles supportant des ornements floraux sur lesquels, à la gauche du spectateur, montent, l’un après l’autre, l’enfant, l’adolescent et

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dans un article paru dans Cronica Numismatic i Arheologic de 1938. L’hypothèse de la chercheuse, que nous partageons, est que l’auteur de cette œuvre en marbre (censée couvrir la tombe d’aga Filaret Athanasios, décédé en 1850) serait l’architecte de l’édifice, Andrei Caridis, qui a fait aussi en 1841 une icône sculptée pour le même édifice du culte. L’artiste grec aurait pu connaître ce motif iconographique dans son espace d’origine, étant donné que la scène était présente en Grèce et dans quelques uns des monastères du Mont Athos.

Les âges de la vie ont été représentés non seulement sur une structure circulaire (comme dans les exemples antérieurs), mais rangés aussi sur une échelle double, un motif « né dans l’estampe dès le XVe siècle et lié à la Roue de Fortune »26, qui ne se généralisa dans l’art occidental qu’au XVIIe siècle. Les Degrés des âges sont répartis sur les volées ascendante et descendante d’une échelle, le palier central correspondant généralement à l’âge de cinquante ans. Cette scène, fréquemment retrouvée dans l’imagerie populaire occi-dentale à partir du XVIIe et jusqu’à la fin du XIXe siècle, est assez peu figurée dans l’espace roumain. Elle apparaît notamment dans une composition incluse dans le cahier de mo-dèles de Radu Zugravu (Radu le Peintre), sous l’influence d’un prototype occidental.

On sait que les sources employées par ce peintre pour ses dessins et croquis sont très différentes, des modèles de tradition byzantine et post-byzantine aux sources occi-dentales, comme les gravures en bois et en métal, ou les illustrations des livres de l’art occidental des XVIe-XVIIIe siècles. Certaines des gravures d’Albrecht Dürer27, par exemple, lui étaient sans aucun doute familières et l’ont influencé. Un nombre d’images sont empruntées à l’art occidental, d’après la manière dont elles sont rendues : à la page 113r du manuscrit 4602 B.A.R., nous rencontrons une variante occidentale de représenta-tion de Saint Christophe portant l’enfant Jésus sur son épaule. Une source occidentale a dû être aussi le point de départ d’une scène que Teodora Voinescu intitule, vaguement, Composition allégorique liée à la Mort, et qui est en fait une illustration du thème connu comme Degrés des Âges. Nous ne savons pas exactement quelle a été la source de Radu Zugravu, mais il est certain que son dessin s’approche de point de vue compositionnel de

le jeune homme, représentés de profile. À côté du rayon du sommet de la roue, l’homme mûr est figuré assis, le sceptre à la main, en position frontale. À partir de lui, les consoles renversées écroulent l’homme qui vieillit, le vieux et, finalement, le vieillard dans la gueule béante du dragon, sous le rayon au milieu de la partie inférieure. D’un côté et de l’autre du dragon, deux anges, le Jour et la Nuit, tirent les ficelles de la roue pour la tourner. Au-dessus, le soleil et la lune représentent l’année et le mois. Dans les quatre coins de l’image sont représentés des têtes d’enfant soufflant : les symboles des vents. (…) Sur le cartouche se trouvant à la base de la pierre sous le dragon, on voit un squelette allongé. Sur les côtés, sur les deux premiers cartouches, un peu plus longs, on lit l’inscription grecque : ‘Pardonnez-moi, passants’ ; puis, dans deux cartouches plus petits, on voit un ange agenouillé soufflant dans la trompette et, dans quelques cartouches plus longs, de nouveau, l’inscription avec le même sens, et dans la partie supérieure de la pierre, la représentation du pélican déchirant sa poitrine pour ressusciter avec son sang les petits tués par le serpent qui ne se voit pas. ». 26 Frédéric Maguet, « Les objets qui représentent le temps : les Degrés des âges », Les temps de la vie (Les Dossiers du Musée National des Arts et Traditions Populaires) 4 (1995) : 15. 27 À la page 17v du manuscrit 5307 B.A.R., il y a un modèle d’après la Lutte des anges de l’Apocalypse illustrée par Albrecht Dürer.

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l’une des premières gravures sur les âges de la vie que nous devons à Christophoro Ber-telli (graveur et vendeur italien d’estampes, qui a fait son métier à Modène, dans la deu-xième moitié du XVIe siècle). Il a créé deux gravures (afin de figurer de manière distincte les âges de la vie de l’homme et de la femme) qui pourraient être considérées prototypes28 pour les nombreuses gravures et estampes populaires de plus tard.

Neuf étapes de la vie de l’homme sont réparties sur une échelle à 4 échelons as-cendants (incluant les âges de 1 à 30 ans) et à 4 échelons descendants (pour les âges de 50 à 80 ans), à l’intersection des deux côtés opposés se trouvant l’homme mûr (40 ans). Les âges sont symbolisés par l’intermédiaire des animaux, placés dans les niches au-dessous de chaque échelon de l’échelle : un goret, un agneau, une chèvre, un bœuf, un lion, un renard, un loup, un chien et un âne.

Les détails de la composition de Bertelli29 se retrouvent aussi dans le modèle pro-posé par Radu Zugravu, avec de petites modifications dans le contour des personnages (par exemple, le squelette à la faux qui se trouve dans l’arche à la base de l’échelle appa-raît dans la variante roumaine sans ailes, à la différence de l’image de l’artiste italien, ou d’une représentation (influencée probablement par l’estampe de Bertelli) datant de la deuxième moitié du XVIe siècle (environ 1550-1575) sur une assiette, présente dans la collection du Musée National d’Art de Nürnberg.

Les animaux-signe de l’âge sont placés dans la même succession dans le dessin de Radu Zugravu (avec leurs noms inscrits au-dessus), tandis que les échelons destinés aux personnages arrivés à une certaine étape de leur existence sont marqués de lettres (i, k, l, m, n, h, r), et les personnages en bas (l’enfant assis dans une sorte de trotteur en bois et le vieux assis sur la plaque funéraire de son tombeau ouvert) sont accompagnés par la même lettre – p – comme pour accentuer la symétrie des positions occupées au début et à la fin de la vie.30

Bien que le cahier de Radu Zugravu ait circulé dans les milieux artistiques de l’époque, étant reconnu aussi d’après le nom du dernier propriétaire et continuateur de cet art au XIXe siècle, Avram de Târgovi te31, l’allégorie des âges de la vie n’est pas devenue un thème d’intérêt pour nos peintres ou graveurs de plus tard. Dans la peinture murale, nous rencontrons d’autres représentations de la Roue de la vie (vers la fin du XIXe siècle32), mais le thème des Degrés des âges n’était pas spécifique à ce milieu de repré- 28 Edouard de Keyser, « Le thème des degrés des âges dans l’estampe et l’imagerie populaire », Bulletin de la Société Archéologique, Historique et Artistique. Le Vieux Papier pour l’étude de la vie et des mœurs d’autre-fois, fasc. 261 (1976) : 494. 29 Ibid. : « Dans une arche ménagée sous l’escalier se voit la Mort aiguisant sa faux, tandis qu’un ange conduit un élu vers la gauche et qu’à droite, un démon armé d’une fourche tire par la jambe un réprouvé. De côté se voient, à gauche, l’ange accompagnant l’élu et, à droite, le démon entraînant le damné. Le coin supé-rieur gauche de la gravure est réservé à la représentation du Christ dans une nuée accueillant les élus, tandis qu’à droite se voit l’enfer avec Satan entouré de démons ». 30 Teodora Voinescu, Radu Zugravu (Bucure ti : Meridiane, 1978), 47. 31 Ibid., 29. 32 À l’église de « Sfântul Nicolae » [Saint Nicolas] de Bârza, département d’Olt, fondée en 1856, refaite en 1869, la scène intitulée La Vie passagère du monde illusoire s’approche le plus (dans l’espace roumain) des

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sentation, et la gravure populaire sur bois, qui se répand dans l’espace transylvain, ne l’embrasse point. Apparu lors de la deuxième moitié du XVIIe siècle, et développé vers la fin du siècle suivant (comme nous indique la fondation d’une guilde de maîtres graveurs en bois à Gherla en 1777, au but d’établir certaines normes dans l’exercice de ce mé-tier33), l’art de la gravure populaire est principalement intéressé par les thèmes religieux34, car le résultat final du travail des artistes (comme ceux de Nicula, Gherla ou H date), est censé accomplir les mêmes fonctions que la beaucoup plus coûteuse icône sur verre ou sur bois.

Empruntée à l’Europe occidentale, l’image pouvait être vue assez souvent en Transylvanie à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, dans les maisons des familles hongroises, appartenant aux couches sociales moyennes, comme nous démontrent les quelques gravures (accompagnées de textes en Hongrois) que nous avons réussi à identi-fier jusqu’au présent, dans la collection du Musée Ethnographique de Transylvanie à Cluj, ou dans des collections privées. La source de l’une de ces images figurant les âges de la femme (provenue d’une maison du village d’Imper, le département de Harghita) est une chromolithographie de l’école française de la fin du XIXe siècle (environ 1880), qui avait bénéficié d’une large diffusion au niveau européen35 ; une preuve en ce sens est la pré-sence des textes, qui sont écrits, selon le marché de vente des gravures, en français, alle-mand ou hongrois.

Les 9 échelons de la montée et de la descente féminine sont accompagnés de brèves descriptions, censées suggérer la spécificité d’un intervalle temporel. La petite fille au ballon et à la palette est présentée par la légende : À dix ans, l’enfant joue heureux, dans la joie de son innocence ; la jeune fille, son amoureux agenouillé devant elle, est indications du guide de Denys de Fourna, ayant au centre l’image du monde vain et illusoire (en tant qu’un homme couronné) et conservant les deux séquences concentriques, la succession des saisons et des signes zodiacaux. Le passage de l’homme à travers les âges est accompagné par des textes suggestifs : Petit enfant de 7 ans (Quand est-ce que le temps passera pour que j’aille au royaume de haut ? ) ; Enfant de 14 ans (Oh, année, passe plus vite, pour que j’aille plus vite là-haut ! ) ; Jeune homme de 21 ans (Voilà que je suis près de la chaise) ; Jeune homme de 28 ans (Quel homme est plus haut que moi et qui pourrait me dépasser ?) ; Homme de 48 ans (Année, je me demande, ma jeunesse est-elle passée ?) ; [indéchiffrable] 56 ans (Oh, comme tu me trompes, monde perfide !); Vieil homme de 75 ans (Hélas, hélas, oh, mort, qui peut t’échapper ?). Dans la partie inférieure de la scène est représentée la Mort à la faux orientée vers la tête du vieil homme à demi avalé par le dragon (L’enfer dévore-tout). Les paroles du vieux renferment tout le désespoir du damné, sans possibilité d’évasion (Hélas, qui me délivrera de l’enfer qui dévore tout ?). La scène a été probablement repeinte au XXe siècle, vu que l’église a souffert des réparations en 1931 et 1943, et les textes des inscriptions sont écrits à caractères latins (non pas cyrilliques, comme c’était la coutume le siècle précédent). 33 I. Cristache-Panait, « O breasl a xilografilor din Transilvania » [Une guilde des graveurs en bois en Transylvanie], Revista Muzeelor 13 (1967) : 221-222; Marius Porumb, « Breasla pictorilor români fondat la Gherla » [Guilde des peintres roumains fondée à Gherla], in Un veac de pictur româneasc din Transil-vania. Secolul XVIII [Un siècle de peinture roumaine en Transylvanie. Le XVIIIe siècle] (Bucure ti: Meridiane, 2003), 79-83. 34 Marika Kiss-Grigorescu, Cuvânt înainte [Avant propos], Xilogravura popular din Transilvania în sec. XVIII-XIX [Gravure en bois populaire en Transylvanie aux XVIIIe-XIXe siècles] (Bucure ti: Arta Grafic , 1970). 35 Nous avons identifié des exemplaires de ce genre dans divers musées ethnographiques de l’espace européen, comme par exemple le Musée de la vie populaire (néerl. Museum voor Volkskunde, ou depuis 2000, Huis van Alijn) de Gand (Belgique).

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définie par les mots : À 20 ans, dans la fleur de l’âge, elle garde son amour dans la cel-lule de son cœur ; la femme, tenant l’enfant dans ses bras, son mari à côté d’elle, l’en-tourant protecteur de son bras, est figurée avec l’étiquette : À l’âge de 30 ans, les joies maternes lui procurent tout le temps les bonheurs les plus grands ; avec ses enfants ado-lescents agenouillés devant elle pour recevoir sa bénédiction, la femme est dans la posi-tion de projeter dans ses descendants l’image d’une étape dépassée (À 40 ans, les enfants lui rappellent avec joie qu’elle a eu leurs âges aussi). Au sommet de l’échelle, à l’apogée de la vie, elle jouit d’une nouvelle posture : À 50 ans, en retrouvant sa tranquillité, son petit-fils la rend si heureuse ! Sur le côté descendant de l’échelle de la vie, les inscriptions adjacentes rappellent plus ou moins explicitement la proximité du dénouement : À l’âge de 60 ans, le chemin (de la vie) mène déjà en bas. Le crépuscule de la vie s’approche à pas lents ; À l’âge de 70 ans, l’arrière petit-fils est une raison de joie pour la vieille grand-mère ; À l’âge de 80 ans, complètement affaiblie, elle s’appuie épuisée sur son petit-fils dé-voué ; À l’âge de 90 ans, toute blanche, elle est prête, tout le temps, pour le dernier voyage. Symétriquement, sous l’échelle, en deux médaillons situés d’un côté et de l’autre de la séquence centrale (présentant la scène de la création d’Ève, conformément à la Genèse chrétienne) sont représentés, chacun accompagné par un ange, le moment de l’apparition dans le monde (L’âge de la petite enfance. Pour toute sa vie, les anges sont les gardiens de la petite enfant) et du départ (Si elle vient déjà d’avoir cent ans, de Dieu elle demande grâce, priant sans cesse).

De cette façon, la stratification des âges (essentielle dans les époques passées) est codifiée à plusieurs niveaux, par le recours à certaines occupations, attitudes et compor-tements spécifiques à une période de l’existence, ainsi que par les textes-étiquette, qui accompagnent les personnages.

Curieusement, on n’a plus aujourd’hui que la chromolithographie avec les âges de la femme (une raison en pourrait être aussi le fait qu’elle appartenait à une femme, fille de meunier, née en 1910 environ, à Imper), bien que le modèle français offrît aussi une variante similaire, complémentaire, pour les âges de l’homme. Nous n’excluons pas la possibilité qu’elle soit perdue. De la même communauté (le village d’Imper, commune de Pl ie ii de Jos, département de Harghita) provient aussi la chromolithographie encadrée (no. d’inventaire A 589) et exposée dans une maison de Harghita, replacée dans le Parc ethnographique national « Romulus Vuia » de Cluj. Il s’agit toujours des âges de la femme, dans une disposition similaire (9 étapes échelonnées sur les deux côtés de l’é-chelle, et la nouveau-née et la vielle femme au seuil de la mort dans les médaillons au-dessous de l’échelle ; entre les deux s’interpose, cette fois-ci, à la place de la scène de la création d’Ève, une image domestique, ayant comme protagonistes une mère qui file au rouet et une fille qui berce un bébé). Cette variante manifestement plus populaire que celle analysée plus haut (les vêtements des personnages nous l’indiquent) a circulé dans d’autres zones de Transylvanie aussi, ce qui fait qu’un exemplaire détérioré se trouve dans la collection – datant de 1912 – du Musée ethnographique privé de Geleji Kiralyne

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Anna, du village de Rimetea, département d’Alba. Cet exemplaire (datable de 1900 envi-ron) a aussi un équivalent pour les âges de l’homme, conservé dans la même collection privée de Rimetea36.

Les gravures qui présentent les âges de la vie (répandues en Europe occidentale, mais aussi en Russie37 aux XVIIIe-XIXe siècles) sortent de la sphère de l’art académique, afin de rejoindre celle de l’imagerie populaire, et perdent graduellement leur dimension religieuse, afin de renforcer leur colorature sociale. Facile à saisir, leur message devient explicite, accentuant les valeurs spécifiques associées au masculin et au féminin (lorsque les gravures ne figurent plus des couples, mais traitent des âges de l’être humain confor-mément à la ségrégation de genre) : la réussite sociale de l’homme d’une part, l’accom-plissement en famille (par la maternité) de la femme, de l’autre.

Le succès durable de ce type de représentation, confirmé par le nombre impres-sionnant d’éditions imprimées38 et par la perpétuation de certains schémas composition-nels, nous autorise à affirmer qu’en Occident le thème a été l’un des plus connus et des plus appréciés par le grand public, les gens préférant une telle image dans leur maison, comme un miroir des transformations que le temps entraîne, mais aussi comme un mé-mento des joies et des difficultés de chaque étape existentielle.

La beauté des images réside dans leur caractère paradoxal : d’un côté, nous avons affaire à une segmentation de la vie en cycles ou seuils qui délimitent (le plus fréquem-ment) chaque dix ans, de l’autre côté la scène réunit dans un espace de la simultanéité des moments appartenant à une chronologie de l’individu, d’une succession donc. De cette façon, l’image réussit un artifice – saisi et subtilement nommé par Frédéric Maguet (« elle propose une projection synchronique d’un phénomène diachronique »39) – et offre au spectateur la possibilité de voir tout un cursus aetatis, avec les attentes, les modifications, les évolutions et les involutions de chaque étape.

Alain Charraud40 a proposé une analyse structurale de l’image, en fonction du dé-codage de ses 2 axes (horizontal et vertical) et des 4 zones qui pourraient être séparées (l’échelle, la partie gauche et la partie droite sous l’échelle, l’aire du demi-cercle placé à la base des échelons et le plan éloigné). Sur l’axe horizontal nous surprenons la vie avec ses moments essentiels, autour desquels les rituels de passages (la naissance et la mort) sont mis en scène, tandis que sur l’axe vertical nous est racontée l’histoire de l’intégration de l’homme dans la société, la manière dont il traverse les âges, en accumulant des expé-riences (au niveau affectif, mais social aussi), laissant derrière soi les gestes, les attitudes

36 Ces représentations nous ont été signalées par M. le Professeur des Universités Dr. Daniel Dumitran et Mme

Dr. Ana Dumitran, qui les ont rencontrées lors de leurs recherches de terrain là-bas. 37 Voir Pierre-Louis Duchartre, L’imagerie populaire russe et les livrets gravés : 1629-1885 (Paris : Gründ, 1961). 38 de Keyser, « Le thème », 500. 39 Maguet, « Les objets », 16. 40 Alain Charraud, « Analyse de la représentation des âges de la vie humaine dans les estampes populaires du XIXe siècle », Ethnologie française 1 (1971).

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et les comportements des étapes parcourues et fermées41. Le côté gauche (« l’âge de pué-rilité ») et le côté droit (« l’âge d’imbécillité et d’enfance ») sont associés à l’état naturel de l’homme, en opposition avec l’échelle qui quantifie son devenir en plan social. La zone au-dessous de l’arche est régulièrement destinée à des scènes qui relèvent d’un autre temps que le temps ordinairement connu (La Genèse, le Dernier Jugement, la séparation des espaces posthumes – la Paradis et l’Enfer), tandis que l’arrière-plan « délimite une quatrième zone, celle des phénomènes cosmiques, qui souligne plus particulièrement le côté cyclique et permanent de la nature : les arbres aux différentes saisons, le ciel, les astres »42.

Les deux thèmes antérieurement analysés dans l’espace roumain, et particulière-ment dans celui transylvain (la Roue de la Vie et les Degrés des âges), bien qu’ils illus-trent le même motif de l’itinéraire de l’homme à travers les âges, renferment quelques différences majeures, du support de représentation (la Roue de la Vie apparaît surtout dans la peinture murale43, tandis que les Degrés des âges n’apparaissent que dans les gra-vures, les lithographies ou les dessins), aux sources d’inspiration (post-byzantines pour la Roue de la Vie, occidentales pour les Degrés des âges) ou à la lecture/réception que l’on pratique (La Roue de la vie, par l’inclusion dans le programme iconographique d’un édi-fice du culte, à côté d’autres scènes à caractère religieux ou moralisateur, impose une ré-flexion dans l’esprit chrétien, tandis que les Degrés des âges, par l’accent mis sur la di-mension sociale du devenir humain et le positionnement du tableau dans l’espace privé de la maison, invite à une méditation à caractère laïque, sur la signification du passage par différents échelons à niveau social et familial, et sur la nécessité d’assumer des rôles spé-cifiques). Le point d’intersection de ces deux visions – religieuse et laïque – est la consta-tation du passage vers l’inévitable dénouement, mais aussi la reproduction d’attitudes adéquates correspondant à des périodes bien délimitées de l’existence.

Symbole suggestif de la naissance et du changement, de l’évolution et de l’inv-olution, la Roue de la Vie est en soi un rappel de la cyclicité du parcours humain, ca-ractérisé par des hauts et des bas avant de plonger dans la mort. Parfois, le motif de la roue est sublimé sur les façades des monuments roumains (surtout valaques) en celui de l’horloge solaire44, qui égrène, à son tour, les heures de la vie, régie par la même successi-

41 Maguet, « Les objets », 17 : « L’axe verticale mesure, de bas en haut, l’intégration dans la société, l’implication de l’homme dans les affaires communes en même temps que son ascension sociale ; cet axe culmine au sommet du pont, à la cinquantaine ». 42 Alain Charraud, apud Maguet, « Les objets », 18. 43 Nous la rencontrons aussi dans des gravures (telle celle du Calendrier de Buda) ou dans des miniatures (comme celle crée par Picu P tru ou celle du manuscrit d’Albina (Floarea Darurilor) [L’Abeille, (la Fleur des Dons)], copié par Sava Popovici de R inari, voir Gabriel trempel, Copi ti de manuscrise române ti pân la 1800 [Copistes de manuscrits roumains jusqu’à 1800], vol. I (Bucure ti, 1959), apud Paleolog, Pictura, 86. 44 Paleolog, Pictura, 60 : « À Cioroiu – Gura Olte ului (Olt), l’horloge solaire – horloge astronomique – compte les instants de l’éternité cosmique. En fin, l’horloge solaire mesure la durée de la lumière qui baigne la nature, peinte sur la façade de l’église de Iernaticu-B rb te ti (Vâlcea). Les horloges solaires mesurent en heures la lumière, mais aussi la vie qui passe. Elles comptent le temps et, par cet implacable comptage, elles

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on perpétuelle de la lumière et des ténèbres. La brièveté de l’existence terrestre, ainsi que l’impossibilité de connaître l’heure

dernière engendre l’idée de la préparation continuelle pour le moment de la séparation de l’âme et du corps. Le message proposé, à l’aube de la modernité, par les peintres d’église roumains, qui ont estimé nécessaire d’inclure la Roue de la Vie dans les programmes ico-nographiques des monuments qu’ils ont décorés, est à la fois un avertissement et un prae-paratio mortis. Le statut de « miroir » vers la mentalité, attribué aux images récurrentes à un moment donné, se voit ainsi confirmé. La suggestion de Laurent Gervereau, confor-mément à laquelle l’image n’existe que dans un contexte, car elle n’est pas atemporelle, mais représente le produit d’une interaction45, acquiert tout son sens si l’on interprète at-tentivement les rapports établis entre l’iconographie des églises roumaines peintes aux XVIIIe et XIXe siècles et la mentalité des communautés rurales au milieu desquelles (et souvent aux frais desquelles) s’élevaient lesdits lieux de culte.

vous remettent en mémoire et vous indiquent la perspective du passage dans l’au-delà ». 45 L. Gervereau, « Tuons les images », in Derrière les images, dir. M. O. Gonseth, J. Hainard, R. Kaehr (Neuchâtel : Musée d'ethnographie, 1998), 125.

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ILLUSTRATIONS

Fig. 1: La vie insensée du monde trompeur, fresque extérieure de l’église du monas-

tère de la « La Transfiguration » (Preobrajenski, Bulgarie), peinte en 1849 par Zakharie Hristovitch de Samokov.

Fig. 2: L’homme à 30 ans, haut sur la roue, monastère de la « La Transfiguration » (Preobrajenski, Bulgarie) (détail).

Les âges de la vie dans l’iconographie roumaine

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Fig. 3: Fresque extérieure de l’église du monastère de « L’Assomption de la Vierge » de Troyan (Bulgarie), peinte en 1847-1848 par Zakharie Hristovitch de Samokov.

Fig. 4: L’église des « Saints Archanges » de R stoci, département de S laj, peinte en 1833 par Ioan Eliazar (Laz r Tocaci) de Piro a.

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Fig. 5: L’église des « Saints Archanges » de Dobricu L pu ului, département de Maramure , peinte probablement entre 1798 et 1800.

Fig. 6: La Roue de la vie dans la décoration extérieure de l’église de « Saint Nicolas » de Doze ti, peinte en 1828 par le prêtre Vasile Dozescu.

Les âges de la vie dans l’iconographie roumaine

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Fig. 7: La Vie passagère du monde illusoire, l’église de « Saint Nicolas » de Bârza, départe-ment d’Olt, fresque de la deuxième moitié du XIXe siècle.

CRISTINA BOGDAN

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Fig. 8: Les Âges de la femme, Imper, département de Harghita.

Fig. 9: Les Âges de la femme, Imper, département de Harghita.