chutes de schwa et registre de langue: comparaison des...

23
145 シュワーの脱落とレジスター: フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較 Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des productions de locuteurs en situation formelle et informelle 本稿の著作権は著者が保持し、クリエイティブ・コモンズ表示4.0国際ライセンス(CC-BY)下に提供します。 https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.ja バルカ コランタン BARCAT Corentin 要 旨 本稿は口語フランス語の /ə/(シュワー)の脱落とレジスター(言語使用域)の関係を 明らかにすることが目的である。一般的に、シュワーの脱落は低いレジスターの特徴の 一つとして挙げられるが、シュワーの脱落は本当にインフォーマルな状況での発話の特 徴なのか、あるいはフォーマルな状況でも頻度が高いのかを検証するため統計調査を行っ た。また、インフォーマルな状況とフォーマルな状況での発話の違いを比較した。 調査には、インフォーマルな状況で話している話者 6 人とフォーマルな状況で話してい る話者 6 人の発話を用いた。インフォーマルな状況の発話のデータは話し言葉コーパス ESLO2 から家族や友達と話しているものを選び分析した。フォーマルな状況の話者のデー タにはテレビでインタービューを受けている有名な政治家の動画を利用した。 フランス語ではシュワーのふるまいが非常に複雑であるため、必ず脱落がおこるコン テクスト、脱落が任意なコンテクスト、不可能なコンテクストをはっきりと分けること は困難である。本稿では Ernst PulgramFrançois DellStephen Anderson の研究をベース にシュワーの脱落の定義を再考し、シュワーが脱落した場合の子音連結のタイプと、話 し言葉の特徴である迷いの euh、ポーズ、長母音化、繰り返し、言い返しを考慮した定義 を提案した。 分析の結果、フォーマルな状況で話している話者のシュワーの脱落率は 54 パーセント で、インフォーマルな状況で話している話者においては 89 パーセントであった。確かに インフォーマルな状況で話している話者の方が脱落率は高いが、テレビで話している政 治家についても脱落率が 50 パーセントを超えており、フォーマルな状況においても脱落 の頻度が高いことが言える。インフォーマルな状況で話している話者は je (私)と me (私 に・私を)のシュワーを特に脱落させる傾向がある。フォーマルな状況で話している話 者は子音連結が長くなるほど脱落率が下がる。また、機能語より内容語の脱落率が低い。 さらに、本調査によってフォーマルな状況で話している話者の脱落率には大きなばらつ きがあることが分かった。つまり、フォーマルな状況であっても、話者はある程度自由 に話し方を選択しているということである。 言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Upload: others

Post on 12-Aug-2021

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

145

シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Chutes de schwa et registre de langue:

comparaison des productions de locuteurs en situation formelle et informelle

本稿の著作権は著者が保持し、クリエイティブ・コモンズ表示 4.0 国際ライセンス(CC-BY)下に提供します。https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.ja 

バルカ コランタン

BARCAT Corentin

要 旨

 本稿は口語フランス語の /ə/(シュワー)の脱落とレジスター(言語使用域)の関係を明らかにすることが目的である。一般的に、シュワーの脱落は低いレジスターの特徴の一つとして挙げられるが、シュワーの脱落は本当にインフォーマルな状況での発話の特徴なのか、あるいはフォーマルな状況でも頻度が高いのかを検証するため統計調査を行った。また、インフォーマルな状況とフォーマルな状況での発話の違いを比較した。調査には、インフォーマルな状況で話している話者 6人とフォーマルな状況で話している話者 6人の発話を用いた。インフォーマルな状況の発話のデータは話し言葉コーパスESLO2から家族や友達と話しているものを選び分析した。フォーマルな状況の話者のデータにはテレビでインタービューを受けている有名な政治家の動画を利用した。フランス語ではシュワーのふるまいが非常に複雑であるため、必ず脱落がおこるコン

テクスト、脱落が任意なコンテクスト、不可能なコンテクストをはっきりと分けることは困難である。本稿では Ernst Pulgram、François Dell、Stephen Andersonの研究をベースにシュワーの脱落の定義を再考し、シュワーが脱落した場合の子音連結のタイプと、話し言葉の特徴である迷いの euh、ポーズ、長母音化、繰り返し、言い返しを考慮した定義を提案した。 分析の結果、フォーマルな状況で話している話者のシュワーの脱落率は 54パーセントで、インフォーマルな状況で話している話者においては 89パーセントであった。確かにインフォーマルな状況で話している話者の方が脱落率は高いが、テレビで話している政治家についても脱落率が 50パーセントを超えており、フォーマルな状況においても脱落の頻度が高いことが言える。インフォーマルな状況で話している話者は je(私)と me(私に・私を)のシュワーを特に脱落させる傾向がある。フォーマルな状況で話している話者は子音連結が長くなるほど脱落率が下がる。また、機能語より内容語の脱落率が低い。さらに、本調査によってフォーマルな状況で話している話者の脱落率には大きなばらつきがあることが分かった。つまり、フォーマルな状況であっても、話者はある程度自由に話し方を選択しているということである。

言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Page 2: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

146

Introduction

L’une des caractéristiques bien connues des productions orales est ce que l’on appelle les chutes de son (ou réductions).

Parmi les différents phonèmes susceptibles de chuter, quatre se détachent en particulier par leur fréquence : le /r/, le /l/, le /y/,

et le /ə/ (que l’on appellera ici le « schwa »)1. Dans cet article, nous allons nous intéresser au schwa, dont les contextes de

chute sont les plus fréquents. La chute du schwa est depuis longtemps l’objet de débats en linguistique. Elle est

régulièrement présentée comme l’un des phénomènes les plus typiques de la variation sociolinguistique, associée à des

productions en situation informelle.

Pour cette étude, nous avons décidé de comparer les productions de six locuteurs en situation formelle et de six locuteurs

en situation informelle. Le but est de répondre à ces deux questions :

Contents

INTRODUCTION

1 LES RECHERCHES SUR LES CHUTES DE SCHWA

1.1 Ernst Pulgram (1961)

1.2 François Dell (1973)

1.3 Stephen Anderson (1985)

2 L’ENQUETE : CADRE METHODOLOGIQUE ET THEORIQUE

2.1 Cadre méthodologique

2.2 La cadre théorique : quelle définition des chutes de schwa?

2.2.1 Contextes de chute obligatoire

2.2.2 Contextes de chute impossible (ou de maintien obligatoire)

2.2.3 Contextes de chute facultative (pris en compte dans l’étude)

2.2.4 Cas difficiles : quand les contextes de chute interagissent

2.2.4.1 Cas où plusieurs syllabes adjacentes contiennent un schwa

2.2.4.2 Relation entre la chute du schwa et d’autres types de chutes

2.3 Paramètres vérifiés dans l’enquête

3 RESULTATS DE L’ENQUETE

3.1 Les chutes de schwa imprévues dans notre définition

3.2 Résultats globaux sur les chutes et maintiens de schwa

3.3 Chutes de schwa et longueur de la chaîne consonantique

3.4 Chutes de schwa et mots

3.5 Chutes de schwa et catégories grammaticales

3.6 Le ne en triple variation libre : omission, maintien partiel, maintien total

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 3: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

147

- Les chutes de schwa, à priori fréquentes en situation informelle, sont-elles également présentes en situation formelle?

- Où se situent les différences entre les productions en situation formelle et les productions en situation informelle

concernant les chutes de schwa?

Avant de mener cette étude, un problème de taille se présentait : celui de la définition des « chutes de schwa ». Cerner

avec précision les contextes où le schwa ne peut pas tomber, ceux où il peut tomber, et ceux où il tombe de façon quasi-

automatique s’avère particulièrement complexe. Cette question est cruciale, et nous allons la traiter en détail.

Dans la première partie, nous ferons un bref résumé des études sur le schwa qui ont influencé notre démarche. Dans la

deuxième partie, nous expliquerons la méthode que nous avons utilisée, et nous donnerons notre définition des chutes de

schwa. Dans la troisième et dernière partie, nous donnerons les résultats de notre enquête statistique.

1 Les recherches sur les chutes de schwa

De nombreux chercheurs ont tenté de définir de façon précise les contextes dans lesquels le schwa pouvait chuter. La loi

des trois consonnes de Grammont, proposée au début du siècle dernier, bien qu’ayant eu une influence considérable sur la

phonologie française, ne parvient pas à expliquer de façon exacte les cas où le schwa peut chuter2. Nous n’aurons pas la

prétention de croire que nous pouvons formuler une loi parfaite là où même les plus grands phonologues n’ont pas réussi.

Toutefois, nous tâcherons de trouver une règle qui soit la plus exacte possible, et qui soit surtout efficace pour analyser des

corpus oraux.

1.1 Ernst Pulgram (1961)

Dans un article publié en 19613, Ernst Pulgram cherche à trouver une règle qui puisse remplacer la loi des trois

consonnes. S’inspirant des travaux d’Harald Weinrich, il propose de prendre comme critère le type de chaîne consonantique

créée en cas de chute du schwa. Pulgram décide de prendre en compte les consonnes à partir de la deuxième consonne de la

chaîne consonantique. Pour le dire autrement, si l’on nomme la première consonne de la chaîne C1, la deuxième C2, et ainsi

de suite, il faut prendre en compte les éléments de la chaîne consonantique seulement à partir de C2. D’après Pulgram, si la

chaîne consonantique à partir de C2 existe en attaque de syllabe initiale dans le lexique français « authentique », la chute du

schwa est facultative. Dans les autres cas, la chute est impossible.

Prenons un exemple, cité par Pulgram4 : dans « bec de canard » la chaîne consonantique est /kdk/. La chaîne

consonantique à partir de C2 est /dk/. Dans le lexique français, il n’existe pas de mots commençant par /dk/, la chute du

schwa est donc impossible.

La définition du lexique français « authentique » n’est pas sans poser quelques problèmes. Pulgram explique qu’il exclut

les séquences consonantiques de mots limités à un seul domaine et peu fréquents, les mots savants comme ptérodactyle, et

les emprunts.

Comme il l’admet lui-même, sa règle échoue à expliquer quelques cas. C’est le cas notamment des réalisations en /ʒs/,

/lv/, /vn/ qui sont présentes dans des énoncés comme « je sais », « je suis », « levez-vous » et « venez-ici » prononcés sans

言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Page 4: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

148

leur schwa5. Il explique ces écarts à la règle par la variation inhérente à la langue, et affirme également que le nombre de

chaînes consonantiques que les locuteurs français sont capables de prononcer augmente.

1.2 François Dell (1973)

François Dell tente de trouver les différentes règles qui régissent la phonologie du français, et plusieurs règles qu’il

avance concernent directement le phénomène de chute du schwa6. Voici, dans l’ordre, les neuf règles qu’il propose

concernant la chute du schwa :

● Règle 1 (« ELIS ») : « Un schwa final de morphème tombe obligatoirement quand le morphème suivant

commence par une voyelle »7. Par exemple, dans la phrase « il parle d’unɇ autre », le e de une tombe. Toutefois,

DELL précise que le e du clitique le postposé ne peut pas tomber : dans « fais-le attendre », la chute du e de le est

impossible.

● Règle 2 (« V-E ») : « Schwa s’efface obligatoirement lorsqu’il suit une voyelle ». Le schwa de « remerciɇment »

tombe obligatoirement, mais celui de « débarquement » ne peut pas chuter8.

● Règle 3 (« PAUS ») : « Schwa tombe obligatoirement devant une pause lorsqu’il n’est pas l’unique voyelle d’un

mot », comme dans « elle est trop petitɇ ». Détail important : les monosyllabes ne sont pas concernés par cette

règle. Ainsi, « bats-le » ou « sur ce » conservent leur schwa9.

● Règle 4 (« E-FIN’ ») : « E-FIN’ efface toute voyelle qui suit l’accent de mot. Du fait de notre formulation de la

règle d’accentuation, une telle voyelle ne peut être que le schwa »10. Avec cette règle, tous les schwas qui se

trouvent en fin de polysyllabes chutent obligatoirement.

● Règle 5 (« NE-EX) : Dell affirme que lorsque plusieurs schwas contigus peuvent tomber (sous l’influence de la

règle 7 que nous expliquerons plus bas), le schwa de ne tombe en priorité11.

● Règle 6 (« INI-EX ») : « En syllabe initiale de mot, derrière une pause, schwa ne tombe jamais lorsqu’il est

précédé de deux consonnes ou plus (prenez-tout). Il peut tomber facultativement lorsqu’il est précédé d’une seule

consonne, sauf s’il est à la fois précédé et suivi d’une obstruante non-continue ; ceci vaut aussi bien pour les

monosyllabes que pour les syllabes initiales de polysyllabes »12. Ainsi, le e de « d(e)vant chez moi » peut tomber (/

v/ étant une obstruante continue) mais celui de « de quoi tu te plains ? » se maintient obligatoirement (/d/ et /k/

étant des obstruantes non-continues).

● Règle 7 (« VCE1 ») : « Lorsque l’unique consonne qui précède schwa est à l’initiale de mot, schwa se maintient

toujours si le mot précédent est terminé par une consonne, et il tombe facultativement si ce mot est terminé par

une voyelle »13. Ainsi, dans « j’arrivɇ demain » la chute du e de demain est impossible, mais elle est possible pour

le même e dans « j’arriverai d(e)main ».

● Règle 8 (« VCE2 ») : « Un schwa précédé de deux consonnes appartenant au même mot ne tombe jamais. […]

Lorsqu’un schwa interne est précédé d’une seule consonne, il faut distinguer deux cas selon que cette consonne

est ou non à l’initiale du mot. Lorsque l’unique consonne qui précède le schwa n’est pas à l’initiale de mot, il

tombe obligatoirement, même à débit lent »14. Cette règle concerne donc les polysyllabes (les monosyllabes

contenant un schwa ne sont jamais précédés de deux consonnes). Ainsi, le schwa se maintient obligatoirement

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 5: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

149

dans « malmener », « mercredi », mais tombe obligatoirement dans « achɇteur », et « clavɇcin ».

● Règle 9 (« E-FUT ») : « Dans les formes du futur et du conditionnel des verbes en -er, le schwa qui précède le r

du futur tombe non seulement lorsqu’il est précédé d’une seule consonne, ce qui est conforme à VCE2 (volɇras,

mangɇras), mais aussi, facultativement lorsqu’il est précédé de deux consonnes ou plus : parl(e)ras, fix(e)ras,

prétext(e)ras »15. Cette règle est nécessaire pour les cas comme « parl(e)ras » qui ne tombent pas sous le coup de

la règle 816.

1.3 Stephen Anderson (1985)

En 1985, dans son article « The Analysis of French Schwa : Or How to Get Something from Nothing »17, Stephen

Anderson établit une série de règles inspirées des travaux de François Dell. Ces règles sont au nombre de trois :

● La règle « Final Deletion » : le schwa final d’un mot n’est pas prononcé. Cette règle s’applique aux polysyllabes

mais pas aux monosyllabes18.

● La règle « Internal VCE » : lorsqu’un schwa au milieu d’un mot est séparé de la voyelle qui le précède par

uniquement une consonne, il chute obligatoirement, comme dans le mot « acheter »19.

● La règle « External VCE » : les schwas qui se trouvent sur la première syllabe d’un mot peuvent chuter

facultativement si le mot précédent se termine par une voyelle. Par exemple, dans « je repars » le e de repars peut

tomber, mais dans « Jacques repars » le maintien est obligatoire20.

Anderson ajoute une précision importante : les règles Internal VCE et External VCE ne peuvent s’appliquer pour deux

syllabes adjacentes. De même, la règle External VCE ne peut s’appliquer pour deux syllabes adjacentes. Anderson reprend

l’exemple (déjà présent chez Dell en 1973)21 des différentes réalisations possibles de l’énoncé « envie de te le demander ».22

Seule règle : la chute consécutive de deux schwas est impossible :

1. Envie d’ te l’ demander

2. Envie d’ te le d’mander

3. Envie de t’ le d’mander

4. Envie d’ te le demander

5. Envie de t’ le demander

6. Envie de te l’ demander

7. Envie de te le d’mander

8. Envie de te le demander

2 L’enquête : cadre méthodologique et théorique 2.1 Cadre méthodologique

Notre étude a été réalisée entre avril 2016 et décembre 2017 à l’université TUFS (Tokyo University of Foreign Studies).

言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Page 6: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

150

La chute du schwa, sauf cas exceptionnel, est relativement facile à entendre à l’oreille. Nous avons donc jugé des chutes et

maintiens de schwa à l’oreille. Dans les cas litigieux nous avons réécouté les passages en question à une vitesse de 50%.

La seule variable que nous avons voulu étudier ici était celle du registre de langue, en comparant les productions en

situation informelle et les productions en situation formelle. Au vu des résultats des différentes études déjà réalisées sur la

chute du schwa, nous avons décidé de ne pas prendre en compte les paramètres que sont le sexe, l’âge et le statut social des

locuteurs. Nous n’affirmons pas que ces paramètres n’ont pas d’influence sur le taux de chute, mais il nous semble que cette

influence reste encore à démontrer, les études que nous avons lues présentant des résultats plus ou moins contradictoires à

ce sujet. Réaliser une étude statistique qui prendrait en compte également l’influence du sexe, de l’âge et du statut social des

locuteurs aurait évidemment été plus intéressant, mais les données orales sur les locuteurs en situation informelle sont trop

peu nombreuses pour être pertinentes.

Nous avons choisi des locuteurs chez qui nous n’avons pas entendu de trace d’accent local, ni noté de formes relevant du

parler régional au niveau du lexique ou bien de la syntaxe. La définition du « français standard » reste l’objet de nombreux

débats, et les études portant sur le français dans sa variation nous prouvent bien qu’il faut toujours manipuler cette notion

avec une certaine distance23. Toutefois, nous avons considéré que le français parlé ici par nos locuteurs était suffisamment

proche pour qu’il y ait un sens à comparer leurs productions.

Pour les locuteurs en situation formelle, nous avons choisi six politiciens en interview à la télévision. Ces six personnes

sont très connues, habituées aux médias. Pour réaliser l’étude, nous avons fait nous-même la retranscription à partir de

vidéos mises en lignes par les chaînes d’information.

Pour les locuteurs en situation informelle, nous avons cherché des enregistrements où les locuteurs avaient le moins

de chances de « surveiller » leur langage. Nous avons utilisé trois enregistrements issus du corpus ESLO2 de l’université

d’Orléans, et analysé deux locuteurs pour chaque enregistrement. Le premier enregistrement est une conversation entre deux

amies (rubrique « 24 heures »). Les deux autres enregistrements sont des conversations pendant le repas entre membres de la

famille ou entre amis (rubrique « Repas »).

Les deux tableaux suivants contiennent les informations sur nos 12 locuteurs :

Locuteurs en situation formelle

LocuteurPOL1

NicolasSarkozy

POL2 Manuel

Valls

POL3 François

Fillon

POL4 MarineLe Pen

POL5 Marion

Maréchal-Le Pen

POL6 Ségolène

Royal

Occupation Homme politique Homme politique Homme politique Femme politique Femme politique Femme politique

Fonction au moment de l’interview

Président de l’UMP

Premier ministreCandidat à l’élection

présidentielle

Candidate à l’élection

présidentielle

Députée, conseillère régionale

Ministre de l’environnement

Age (moment de l’enregistrement)

59 ans 52 ans 63 ans 48 ans 27 ans 63 ans

Sexe Homme Homme Homme Femme Femme Femme

Origine géographique

Né à Paris,a grandi en région

parisienne

Né à Barcelone, a grandi en région

parisienne

Né au Mans,a grandi au Mans

Née à Neuilly-sur-Seine, a grandi en région parisienne

Née à Saint-Germain-en-Laye, a grandi en région

parisienne

Née à Ouakam (Sénégal), a grandi

dans les Vosges

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 7: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

151

Données utiliséesInterview au

journal de 20h de France 2

Interview au journal de 20h de

TF1

Interview au journal de 20h de

France 2

Interview au journal de 20h de

France 2

Interview sur RMC et BFMTV dans « Bourdin

Direct »

Interview sur LCI dans « 24 heures en questions »

Longueur 3772 syllabes 3759 syllabes 3283 syllabes 2977 syllabes 3669 syllabes 3479 syllabes

Date d’enregistrement

21 Janvier 2015 9 Janvier 2015 5 Mars 2017 24 avril 2017 27 juin 2016 27 février 2017

Tu ou Vous Vous Vous Vous Vous Vous Vous

ThèmeAttentats terroristes

Attentats terroristes

Campagne présidentielle

Campagne présidentielle

Aéroport de Notre-Dame-des-Landes, Brexit,

UE

Ecologie, Campagne

présidentielle

Locuteurs en situation informelle

Locuteur ESL1 ESL2 ESL3 ESL4 ESL5 ESL6

Nom dans le corpus ESLO2

NR390 NR390AMIE WZ384 WZ384FIE DR381 MQ293

Précisions Amie de ESL2 Amie de ESL1 Mère de ESL4 Fille de ESL3 Ami de ESL6 Ami de ESL5

Occupation Etudiante EtudianteGestionnaire

d’informationsCollégienne Etudiant Etudiant

Age (moment de l’enregistrement)

22 ans Entre 20 et 25 ans Entre 45 et 55 ans Entre 15 et 25 ans Entre 15 et 25 ans Entre 15 et 25 ans

Sexe Femme Femme Femme Femme Homme Homme

Origine géographique

Née à Angers (habite à Orléans)

Inconnue (habite à Orléans)

Née à Alger (habite à Orléans)

Née à Bamako (habite à Orléans)

Inconnue (habite à Orléans)

Inconnue (habite à Orléans)

Données utiliséesESLO2_24H

_1249ESLO2_24H

_1249ESLO2_REPAS

_1254ESLO2_REPAS

_1254ESLO2_REPAS

_1260ESLO2_REPAS

_1260

SituationConversation entre

amies(2 personnes)

Conversation entre amies

(2 personnes)

Repas en famille (4 personnes)

Repas en famille (4 personnes)

Repas entre amis (4 personnes) devant la télé

Repas entre amis (4 personnes) devant la télé

Longueur 2899 syllabes 3008 syllabes 3039 syllabes 2795 syllabes 3262 syllabes 2962 syllabes

Date d’enregistrement

19 décembre 2009 19 décembre 200916 mai 2012

16 mai 2012

21 novembre 2012

21 novembre 2012

Tu ou Vous Tu Tu Tu Tu Tu Tu

ThèmeVie d’étudiant,

travailVie d’étudiant,

travailEcole des enfants,

travailEcole, activités

sportives

Très divers (selon les sujets de la

télé)

Très divers (selon les sujets de la

télé)

言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Page 8: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

152

Les interviews de Marion Maréchal-Le Pen et de Ségolène Royal, ainsi que la conversation entre ESL1 et ESL2 n’ont

été utilisées qu’en partie car elles étaient plus longues que les enregistrements des autres locuteurs. Pour tous les autres

locuteurs, les enregistrements ou interviews ont été utilisés dans leur totalité.

2.2 La cadre théorique : quelle définition des chutes de schwa ?

En nous inspirant des études que nous avons présentées dans la première partie, nous avons tenté de définir les contextes

de chute obligatoire, impossible, et facultative. Seuls les contextes de chute facultative – où les locuteurs peuvent choisir

soit la chute soit le maintien – seront retenus dans notre étude statistique pour calculer les taux de chute de chaque locuteur.

Dans les exemples que nous allons donner :

● Le schwa sera noté e (barré) dans les contextes de chute obligatoire.

● Le schwa sera noté e (en gras) dans les contextes de chute impossible / maintien obligatoire.

● Le schwa sera noté (e) (entre parenthèses) dans les contextes de chute facultative.

  Par ailleurs, le ou les schwas dont il est question dans l’explication seront soulignés dans les exemples. Sauf

mention contraire, les exemples sont issus de l’interview de POL1 (Nicolas Sarkozy).

2.2.1 Contextes de chute obligatoire

En nous inspirant des études précédentes, nous avons considéré que la chute du schwa était obligatoire dans les cas

suivants :

● Cas 1 : Lorsque le schwa est en position finale d’un mot contenant au moins une autre voyelle (ce qui exclut les

monosyllabes) : « une seconde », « dramatiques ».

● Cas 2 : Dans les mots d’au moins trois syllabes, lorsque le schwa se trouve dans une syllabe qui n’est ni

la première ni la dernière, et qu’il est précédé d’une seule consonne : « événements », « naturellement »,

« proposerait », « arriveront ».

● Cas 3 : la chute a été considérée comme obligatoire dans la séquence puis-je.

2.2.2 Contextes de chute impossible (ou de maintien obligatoire)

Nous avons considéré que la chute du schwa était impossible lorsque :

● Cas 4 : situation identique au « Cas 2 », mais où le schwa est précédé de deux consonnes : « simplement ».

● Cas 5 : le schwa est suivi d’un h aspiré : « une sorte de hold-up » (POL3).

● Cas 6 : le pronom contenant un schwa est postposé : « lis-le d'abord » (ESL3).

● Cas 7 (règle de Pulgram) : la chute du schwa créerait une chaîne consonantique impossible en attaque de

syllabe initiale dans le lexique français authentique. Pour l’application concrète de cette règle à un énoncé, nous

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 9: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

153

ajoutons quelques précisions :

 Cas 7.1 : Dans la chaîne parlée, dans la plupart des cas, la première consonne de la chaîne consonantique

(C1) peut se rattacher en coda de la syllabe précédente (à gauche). Toutefois, certains phénomènes

linguistiques empêchent ce rattachement à gauche. Lorsque le rattachement à gauche de C1 est impossible,

on juge si la chute est possible ou non en regardant la chaîne consonantique à partir de C1. Nous avons

considéré que C1 ne peut pas se rattacher à gauche lorsque la syllabe contenant le schwa est précédée d’une

pause (cas 7.1.1), d’un euh d’hésitation (cas 7.1.2), d’un allongement de voyelle (cas 7.1.3), d’une

répétition de mot (cas 7.1.4) ou d’une reformulation de phrase (cas 7.1.5). La chute du schwa est donc

impossible dans les exemples suivants :

 Cas 7.1.1 (pause, notée #) : « ont décidé# de m(e)ner une guerre » une attaque en /dm/ n’est pas

possible.

 Cas 7.1.2 (euh d’hésitation) : « un exemple# euh le premier ministre » une attaque en /lpr/ n’est

pas possible.

 Cas 7.1.3 (allongement de voyelle, noté : ) : « (ils ont agi: de manière coordonnée » (POL2) une

attaque en /dm/ n’est pas possible.

 Cas 7.1.4 (répétition) : « permettez-moi de de de n(e) pas tomber à c(e) niveau-là » Le schwa du

deuxième de ne peut évidemment pas tomber. Le schwa du troisième de ne peut pas tomber non plus

car une attaque en /dn/ n’est pas possible.

 Cas 7.1.5 (reformulation) : « le risque# d’événements de c- que des événements d(e) cette nature# »

une attaque en /kd/ n’est pas possible.

 Cas 7.2. : si la première consonne de la chaîne consonantique (C1) peut se rattacher à gauche (dans tous

les autres cas), on juge si la chute est possible ou non en regardant la chaîne consonantique à partir de

C2. Dans les exemple suivants, la chute est impossible : « une seconde », « mode de vie », « je veux dire

que c’est ». En effet, les chaînes consonantiques à partir de C2 sont respectivement /sg/, /dv/ et /ks/, séries

impossibles en attaque de syllabe initiale dans le lexique français authentique.

● Cas 8 : la chute est également impossible dans tous les cas lorsque le schwa est directement suivi d’une pause

(cas 8.1), d’un euh d’hésitation (cas 8.2), d’un allongement de voyelle (cas 8.3), que le mot suivant est une

répétition (cas 8.4) ou une reformulation (cas 8.5), comme dans les exemples suivants :

 Cas 8.1. (pause, notée #) : « si nous avions donné le# le spectacle ».

 Cas 8.2 (euh d’hésitation) : « exactement je euh# c’est une bonne chose ».

 Cas 8.3 (allongement de voyelle, noté : ) : « parler de: débat théorique# ».

 Cas 8.4 (répétition) : « permettez-moi de de de n(e) pas ».

 Cas 8.5 (reformulation) : « le risque# d’événements de c- que des événements d(e) cette nature# ».

● Cas 9 : la chute a été considérée comme impossible dans l’expression figée que dalle, et dans les mots en verlan

(un locuteur a prononcé chelou plusieurs fois).

言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Page 10: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

154

2.2.3 Contextes de chute facultative (pris en compte dans l’étude)

Dans tous les autres contextes, nous avons considéré que la chute (ou bien sûr le maintien) du schwa était possible.

Ces contextes sont finalement assez limités. Lorsqu’il ne sont pas concernés par les cas 1 à 8, les schwas des monosyllabes

ce, de, je, le, me, ne, que, se, te peuvent chuter. Il en est de même pour les polysyllabes dont la première syllabe contient

un schwa. Voici deux exemples où la chute du schwa est facultative : « l’expression du droit d(e) la caricature », « ça

r(e)commence ».

Nous avons aussi compté dans notre enquête certaines réalisations prononcées comme schwa mais qui ne sont pas notées

e au niveau de la graphie. C’est le cas d’un certain nombre de formes du verbe faire comme nous f(ai)sons.

2.2.4 Cas difficiles : quand les contextes de chute interagissent 2.2.4.1 Cas où plusieurs syllabes adjacentes contiennent un schwa

Lorsque plusieurs syllabes adjacentes contiennent un schwa, les choses se compliquent, les schwas ne peuvent pas

chuter tous les deux. Nous avons considéré que ce qui avait été prononcé primait sur ce qui aurait pu être prononcé. Ainsi,

lorsque la chute d’un schwa (dans un contexte de chute facultative) rendait impossible la chute d’un autre schwa, nous avons

considéré que ce schwa voisin devenait alors un cas de maintien obligatoire (pas compté dans notre étude statistique). Par

exemple, dans « il s’agit pas là d(e) recruter », le schwa de de a chuté, rendant impossible la chute du schwa de recruter.

Le problème se complique davantage si aucun des deux schwas de la séquence ne chute. En effet, l’un ou l’autre peuvent

chuter, mais la chute des deux en même temps n’est pas possible. Il serait donc étrange de compter « 2 maintiens » ici. Nous

avons donc compté des demi-maintiens. POL1 a prononcé « les procédures d(e) r(e)crutement » en maintenant le schwa de

de et le premier schwa de recrutement. Nous avons donc compté un demi maintien (0.5) pour de et un demi maintien (0.5)

pour recrutement.

2.2.4.2 Relation entre la chute du schwa et d’autres types de chutes

La chute du /l/ des clitiques il(s) et elle(s) peut rendre possible la chute d’un schwa sur la syllabe suivante, allégeant la

chaîne consonantique. Quand c’était le cas, nous avons considéré que ce schwa était dans un contexte de chute facultative.

Nous l’avons donc comptabilisé dans notre étude statistique (soit comme maintien, soit comme chute).

La chute d’une liquide en position finale post-consonantique peut au contraire empêcher la chute du schwa. Par exemple,

dans la séquence centres de déradicalisation, le r de centres peut chuter. Si le r chute, le e final n’est jamais prononcé. Si

au contraire le r de centres est prononcé, le e final sera aussi prononcé (cas d’épenthèse), rendant alors possible la chute du

schwa de de. Nous arrivons donc à cette conclusion : la liquide finale ou le schwa de la syllabe suivante peuvent chuter l’un

ou l’autre, mais les deux ne pourront pas chuter ensemble. Nous avons donc procédé de cette façon :

- Quand la liquide est tombée, nous avons considéré que le schwa du mot suivant était dans un contexte de maintien

obligatoire (exclu de l’étude statistique)

- Quand la liquide s’est maintenue entraînant l’épenthèse du schwa final, le schwa suivant a été compté comme un

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 11: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

155

contexte de chute facultative (comptabilisé dans l’étude statistique).

- Si la liquide et le schwa se sont maintenus tous les deux, nous avons compté un demi maintien pour le schwa.

2.3 Paramètres vérifiés dans l’enquête

Voilà les critères que nous avons vérifiés pour les contextes de chute facultative :

● Le nombre total de chutes et de maintiens du schwa.

● L’influence de la longueur de la chaîne consonantique virtuelle (c’est-à-dire la chaîne consonantique créée en

cas de chute) sur le taux de chute réel : CC pour une chaîne virtuelle de deux consonnes, CCC pour une chaîne

virtuelle de trois consonnes, CCCC pour une chaîne virtuelle de quatre consonnes.

● L’influence du type de consonnes de la chaîne consonantique virtuelle sur le taux de chute : les obstruantes

notées O (plosives, fricative et nasales), et les sonantes notées S (approximantes et liquides). Nous avons fait

la même analyse plus détaillée dans les chaînes CC, en divisant les consonnes en 5 catégories : plosives (P),

fricatives (F), nasales (N), approximantes (A), et liquides (L).

● L’influence du type de voyelle (antérieure/postérieure ; orale/nasale) avant et après le schwa sur le taux de

chute.

● L’influence d’une éventuelle assimilation consonantique sur le taux de chute (voisement, dévoisement ou

nasalisation).

● L’influence du lexique sur le taux de chute.

● L’influence des catégories grammaticales sur le taux de chute.

● L’influence du nombre de syllabes des mots sur le taux de chute.

Dans la troisième partie, nous ne montrerons que les paramètres qui ont donné des résultats intéressants. De nombreux

paramètres vérifiés ne seront donc pas mentionnés.

3 Résultats de l’enquête 3.1 Les chutes de schwa imprévues dans notre définition

Avant de nous pencher sur les résultats de l’enquête en elle-même, nous allons aborder la question de la pertinence de

notre règle théorique sur les contextes de chute obligatoire, impossible et facultative du schwa. Nous avons remarqué un

certain nombre de chutes de schwas dans des contextes où nous avions considéré la chute comme impossible. Ces chutes,

que nous nommerons « chute imprévues », n’ont pas été comptabilisées dans l’enquête statistique qui suit, mais nous avons

trouvé intéressant de les comptabiliser à part, et de réfléchir à ces cas qui ont « échappé » à notre règle.

Sur l’ensemble des productions de nos 12 locuteurs, nous avons recensé 1883 contextes de chutes impossibles selon

notre règle. Parmi ces 1883 contextes, 265 ont en réalité fait l’objet d’une chute de schwa. Le graphique suivant montre

le nombre et le pourcentage de ces chutes imprévues chez tous les locuteurs (dans les graphiques, situation formelle sera

parfois abrégé en SF, et situation informelle en SI).

言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Page 12: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

156

Première constatation : les chutes imprévues existent en situation formelle comme en situation informelle. Cependant, le

taux de chute imprévue varie sensiblement en fonction de la formalité de la situation. Ainsi, sur le graphique 1, on voit que

les locuteurs en situation formelle (à gauche sur le graphique) ont tous un taux de chute imprévue inférieur à 10%, alors que

chez les locuteurs en situation informelle ce même taux varie de 14% (ESL3) à 37% (ESL1 et ESL2).

Dans la grande majorité des cas, les contextes de chute impossible avaient été considérés comme tels à cause d’une

chaîne consonantique à priori impossible en attaque de syllabe initiale. En regardant ce graphique 1, nous pouvons donc

affirmer que les locuteurs en situation informelle ont tendance à s’affranchir de ces règles sur les chaînes consonantiques, et

à prononcer des chaînes consonantiques plus complexes que prévu. Le même phénomène existe aussi en situation informelle

mais il est beaucoup moins fréquent.

Arrêtons-nous maintenant sur les mots concernés par ces chutes imprévues :

Chutes imprévues de

schwa Mot concerné Nombre de chutes

imprévues en SFNombre de chutes imprévues en SI

Nombre de chutes imprévues en SF +

SI

Pourcentage du total des chutes

imprévues

1 Je 30 169 199 75.1%

2 De + nom 11 6 17 6.4%

3 Que (conjonction) 8 9 17 6.4%

4 Le (déterminant) 4 12 16 6.0%

5 De (déterminant) 1 2 3 1.1%

6 Cela 1 1 2 0.8%

7 Le (pronom) 1 1 2 0.8%

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 13: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

157

8 Se 0 2 2 0.8%

9 Ce (déterminant) 0 1 1 0.4%

10 Celui 0 1 1 0.4%

11 Devoir (verbe) 0 1 1 0.4%

12 Me 0 1 1 0.4%

13 Regarder 0 1 1 0.4%

14 Etre (ser-) 0 1 1 0.4%

15 Venir 0 1 1 0.4%

TOTAL - 56 209 265 100%

En regardant ce tableau, on comprend que le nombre de mots concernés par ces chutes imprévues est très limité. Ces

mots sont d’ailleurs tous très fréquents, ce qui pourrait éventuellement avoir une influence sur le phénomène. Le mot je

concentre 75% des cas de chutes imprévues. Derrière je, seuls de + nom, que (conjonction) et le (déterminant) présentent

plus de 3 cas de chutes imprévues. Le graphique 2 montre le pourcentage de chutes imprévues de ces 4 mots en situation

formelle et informelle :

Je semble avoir un comportement tout à fait singulier, en particulier en situation informelle. En effet, chez les locuteurs

en situation informelle, je échappe totalement à notre définition des chutes impossibles : son schwa a chuté dans 75% des cas

où il était censé ne pas pouvoir chuter. Dans la plupart des cas, ces chutes imprévues interviennent après une pause en début

d’énoncé. Or, il n’existe pas d’attaque en /ʒ/ + consonne dans le lexique français authentique. Nos locuteurs en situation

informelle se caractérisent donc par le comportement linguistique suivant : ils font chuter le schwa de je dans presque

言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Page 14: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

158

n’importe quel contexte phonologique, créant, souvent après une pause, des attaques de syllabe en /ʒ/ + consonne ou en /ʃ/ +

consonne (dans les cas d’assimilation).

En regardant les chutes imprévues qui ne sont pas liées au mot je, un autre élément a retenu notre attention. En effet,

très souvent, la première consonne de la chaîne consonantique (C1) considérée comme impossible est le phonème /r/ placé

en position finale d’un mot, comme dans la séquence militaires de la gendarmerie où le e de de a chuté malgré une chaîne

/rdl/. En situation formelle, ces cas de chutes imprévues où C1 est un /r/ représentent 18 des 26 chutes imprévues où je

n’est pas impliqué. En situation formelle, le chiffre est de 17 sur 40. Ce phénomène semble bel et bien lié à la présence du

phonème /r/ en position finale et non à un même mot fréquent terminant par /r/ : les mots militaires, dire, pour, sur, faire,

contraire, électeurs, jour, valeurs, tour, égard, intermédiaire, sortir, et extérieur sont concernés. Il semblerait donc que les

chaînes consonantiques où C1 est le /r/ final d’un mot échappent également à notre règle sur les chaînes consonantiques,

les locuteurs se comportant concrètement comme si ce /r/ n’existait pas, en situation formelle aussi bien qu’en situation

informelle.

Les chutes imprévues ne sont donc pas totalement imprévisibles, et les cas qui semblent échapper à notre définition des

contextes de chute impossible sont essentiellement des cas où je est impliqué, et des cas où C1 est /r/ : ces deux phénomènes

permettent d’expliquer 234 des 265 chutes imprévues que nous avons recensées.

Après cet aparté sur les chutes imprévues, regardons maintenant les résultats de notre enquête statistique de base : les

chutes et maintiens de schwa dans les contextes où nous avons considéré la chute comme facultative.

3.2 Résultats globaux sur les chutes et maintiens de schwa

Nous avons recensé 1816 contextes où la chute du schwa était facultative. Le graphique 3 montre les taux de chute pour

chaque locuteur par ordre croissant. Le graphique 4 compare l’ensemble des locuteurs en situation formelle à l’ensemble des

locuteurs en situation formelle.

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 15: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

159言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Ces deux graphiques permettent de répondre à la première question que nous nous sommes posée : les chutes de schwa

sont fréquentes en situation informelle mais également en situation formelle. Le taux de chute des hommes politiques

interviewés à la télévision est en effet de 54%. Le fait que ce taux soit aussi élevé en situation formelle amène à reconsidérer

le sens de la norme en ce qui concerne les chutes et maintiens de schwa. Même si notre échantillon reste trop restreint

pour affirmer quoi que ce soit de façon catégorique, il semblerait qu’il y ait un décalage entre la norme subjective (le « bon

usage ») – qui recommande le maintien – et la norme objective (statistique) qui montre que la chute est très présente y

compris en situation formelle. Chez les locuteurs en situation informelle, le taux de chute est bien sûr beaucoup plus élevé,

avec 89%. La différence entre les situations formelles et informelles n’est donc pas la présence ou l’absence du phénomène

de chute du schwa, mais l’importance du taux de chute.

On aurait pu imaginer que la variation était très présente en situation informelle. Pourtant, c’est bien chez les locuteurs

en situation formelle que le taux varie le plus : de 33% pour POL4 (Marine Le Pen) à 77% pour POL3 (François Fillon).

Les locuteurs en situation formelle semblent ainsi garder une certaine liberté, certains se surveillant plus que d’autres. POL3

(François Fillon) atteint un niveau de chute quasiment identique à celui de certains locuteurs en situation informelle. Chez

les locuteurs parlant avec leur famille ou leurs amis, le taux de chute varie beaucoup moins : de 78% pour ESL3 à 97% pour

ESL1. La chute est donc quasi-systématique en situation informelle.

3.3 Chutes de schwa et longueur de la chaîne consonantique

A l’aide du graphique 5, nous allons voir si la longueur de la chaine consonantique virtuelle (c’est-à-dire en cas de chute

du schwa) influence le taux de chute en situation formelle et en situation informelle.

Page 16: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

160

Les hommes politiques à la télévision ont tendance à moins faire chuter le schwa lorsque sa chute implique de prononcer

une chaîne consonantique plus longue : 57% de chute pour les chaînes CC, 43% pour les chaînes CCC, et 31% pour les

chaînes CCCC. Chez les locuteurs en situation informelle, on observe une baisse mais beaucoup moins prononcée. La

longueur de la chaîne consonantique a donc une influence nette sur le taux de chute, mais seulement en situation formelle.

3.4 Chutes de schwa et mots

Dans notre corpus, 102 mots différents comprenaient un schwa susceptible de chuter (contexte de chute facultative).

Voici les 20 mots pour lesquelles les occurrences de schwa en contexte de chute facultative étaient les plus nombreuses :

Mot Occurrences Mot Occurrences

1 Je 297 11 De (déterminant) 44,52 De + nom 273 12 Ce (déterminant) 33,53 Le (déterminant) 188,5 13 Petit 294 Que (conjonction) 176,5 14 Te 275 Ce (pronom) 95,5 15 Être (ser-) 256 De + verbe 82 16 Devoir 187 Le (pronom) 71 17 Regarder 188 Ne 64,5 18 Que (pronom) 15,59 Me 62 19 Celui 13

10 Se 59 20 Demander 12,5

Le graphique 6 montre les taux de chute du schwa sur les mots je, me, te et se :

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 17: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

161言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Chez les locuteurs en situation informelle, les quatre pronoms ont presque le même taux de chute, très légèrement

supérieur au taux de chute moyen. En revanche, en situation formelle, nous pouvons voir que les locuteurs ont un taux de

chute pour je et me bien inférieur à leur taux de chute moyen. Le fait de faire l’effort de prononcer plus souvent ces deux

pronoms qui renvoient à soi dans leur forme canonique est une tendance assez claire chez les hommes politiques. C’est peut-

être le fait de parler de soi qui implique une surveillance plus forte chez eux.

3.5 Chutes de schwa et catégories grammaticales

Les graphiques 7 et 8 montrent les taux de chute relatifs à chaque catégorie grammaticale.

Page 18: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

162

Analysons tout d’abord les locuteurs en situation informelle. Chez eux, il n’y a que peu de variation du taux de chute du

schwa entre les différentes catégories grammaticales : la catégorie avec le taux le plus faible est les noms avec 76% de chute,

et la catégorie avec le taux le plus élevé est les adverbes avec 100% de chute.

En revanche, chez les locuteurs en situation formelle, la variation est forte : la catégorie des noms est celle qui présente

le taux de chute le plus faible avec 13% de chute, celle des pronoms est la catégorie avec le taux le plus élevé avec 67%

de chute. Les schwas des noms, verbes, adjectifs et pronoms personnels semblent chuter moins souvent. A l’inverse, les

pronoms et dans une moindre mesure les prépositions semblent présenter un taux de chute plus important.

Les catégories grammaticales ont donc une influence sur le taux de chute, mais cette influence est relativement modérée

en situation informelle, et beaucoup plus nette en situation formelle.

Pour poursuivre cette analyse, observons le graphique 9 où nous avons regroupé les différentes catégories grammaticales

en deux grandes catégories : celle de mots grammaticaux et celle des mots lexicaux.

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 19: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

163言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Le graphique 9 confirme que la catégorie grammaticale des mots influence le taux de chute en situation formelle, mais

assez peu en situation informelle. Ainsi, en situation formelle, le taux de chute passe de 58% pour les mots grammaticaux

à 33% pour les mots lexicaux. Il semblerait donc que faire moins souvent chuter les schwas des mots lexicaux soit une

particularité des locuteurs en situation formelle.

3.6 Le ne en triple variation libre : omission, maintien partiel, maintien total

Le ne de négation est un cas relativement complexe. En effet, le ne peut être omis totalement, être réalisé avec une chute

de schwa, ou bien encore être réalisé dans sa forme canonique ne. Contrairement aux autres mots ayant un schwa, il a donc

trois réalisations possibles. Observons à l’aide des graphiques 10 et 11 les différentes réalisations du ne de négation chez

chaque locuteur.

Il est important de préciser ici que seuls les cas où les trois réalisations sont possibles ont été comptabilisés : il peut

arriver que le schwa ne puisse pas chuter (dans les cas définis dans la partie 2.2.2). Il arrive aussi que l’omission soit

impossible (c’est le cas lorsque le il impersonnel est omis : il faut pas ou faut pas est possible, mais ne faut pas n’est pas

une réalisation possible). Ces cas ne sont donc pas comptabilisés dans le graphique qui suit. Les cas dont la forme canonique

seraient n’ (c’est-à-dire devant une voyelle) ne sont pas comptabilisés non plus.

Page 20: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

164

totalement, être réalisé avec une chute de schwa, ou bien encore être réalisé dans sa forme

canonique ne. Contrairement aux autres mots ayant un schwa, il a donc trois réalisations

possibles. Observons à l’aide des graphiques 10 et 11 les différentes réalisations du ne de

négation chez chaque locuteur.

Il est important de préciser ici que seuls les cas où les trois réalisations sont possibles

ont été comptabilisés : il peut arriver que le schwa ne puisse pas chuter (dans les cas

définis dans la partie 2.2.2). Il arrive aussi que l’omission soit impossible (c’est le cas

lorsque le il impersonnel est omis : il faut pas ou faut pas est possible, mais ne faut pas

n’est pas une réalisation possible). Ces cas ne sont donc pas comptabilisés dans le

graphique qui suit. Les cas dont la forme canonique seraient n’ (c’est-à-dire devant une

voyelle) ne sont pas comptabilisés non plus.

Chez les locuteurs en situation informelle, les résultats ne sont pas très surprenants : l’omission totale est choisie dans

plus de 90% des cas.

Les résultats sont un peu plus surprenants chez les hommes politiques : on aurait pu croire qu’ils opteraient plus souvent

pour le maintien total ne, et pourtant le maintien total n’est choisi que dans 10% des cas. Le maintien partiel (avec chute de

schwa) est la réalisation la plus fréquente en situation formelle avec 57%. L’omission totale du ne, souvent perçue comme

caractéristique du langage informel, est même choisie dans 32% des cas. Chez les hommes politiques, la variation entre

locuteurs est très visible au niveau du taux d’omission totale, qui va de 0% chez POL2 (Manuels Valls) à 55% chez POL5

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 21: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

165

(Marion Maréchal-Le Pen).

Dans les cas de triple variation du ne, il y a clairement un comportement linguistique différent entre locuteurs en situation

formelle et locuteurs en situation informelle. Mais les réalisations des locuteurs en situation formelle ne sont pas vraiment

celles qui étaient attendues. L’aspect informel semble marqué par une omission totale quasi-systématique. Le maintien

partiel (c’est-à-dire avec chute du schwa) semble suffisant pour marquer l’aspect formel. Si notre analyse est juste, une

réalisation du type « je n’ fais pas» serait donc, malgré la chute du schwa, une réalisation typique d’un locuteur en situation

formelle.

Ces résultats montrent bien que toutes les chutes de schwa n’ont pas la même valeur. Dans le cas du ne, la prise en

compte des choix qui se présentent au locuteur est importante : si la réalisation avec chute de schwa est si souvent choisie

chez les hommes politiques à la télévision, c’est parce que l’omission totale de l’élément est possible.

Conclusion

Il est important de repréciser que notre étude ne portait que sur 12 locuteurs, échantillon évidemment trop restreint

pour tirer des conclusions générales. Avec cette étude, nous avons souhaité apporter des pistes de réflexion. Ainsi, il serait

intéressant de voir si les résultats que nous avons trouvés ici seraient confirmés dans une étude à plus grande échelle. D’autres

éléments auraient pu être analysés, et il pourrait par exemple être intéressant de comparer les différents syntagmes contenant

des schwas susceptibles de tomber, afin de voir si ceux-ci jouent également un rôle dans sa chute / son maintien.

Le peu d’enregistrements disponibles concernant les locuteurs en situation informelle nous a empêché de prendre en

compte des paramètres pouvant éventuellement avoir une influence sur le phénomène étudié, tels que l’âge, le sexe, la

catégorie socio-professionnelle des locuteurs, le fait qu’ils se connaissent ou non, la possibilité qu’ils adaptent leur langage

en fonction de leur interlocuteur.

Enfin, pour comparer les registres, l’idéal aurait été de pouvoir comparer un même locuteur dans une situation formelle

et informelle, ce qui n’a malheureusement pas été possible.

Dans cette étude statistique, nous avons tenté de montrer le rapport entre la chute du schwa et la formalité du discours.

La chute du schwa est un phénomène linguistique particulièrement difficile à aborder, notamment parce qu’il est difficile de

définir de manière précise les contextes où sa chute est obligatoire, facultative, et impossible. C’est surtout la frontière entre

chutes facultatives et chutes impossibles qui pose problème ici. Dans la deuxième partie de cet article, nous avons proposé

une définition assez complexe, qui tient compte à la fois du type de chaîne consonantique créée en cas de chute du schwa,

mais également de la présence ou l’absence de différents phénomènes liés aux productions orales (pauses, allongements de

voyelle, euh d’hésitation, répétitions, reformulations), qui peuvent rendre impossible le rattachement à gauche de la première

consonne de la chaîne (C1).

Notre définition s’est révélée trop stricte : 265 contextes considérés comme des contextes de chute impossible ont

en réalité fait l’objet d’une chute de schwa. Toutefois, en regardant bien ces cas, il semble y avoir essentiellement deux

exceptions à notre règle : le schwa de je qui tend à tomber dans n’importe quel contexte (en particulier en situation

informelle), et les chaînes consonantiques où C1 est le phonème /r/. Ces chutes imprévues nous ont aussi permis de

comprendre qu’en situation informelle les locuteurs ont tendance à faire chuter le schwa de je en créant des chaînes

consonantiques plus complexes, ce que les locuteurs en situation informelle font plus rarement.

言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Page 22: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

166

L’étude statistique nous a permis de répondre à la première question posée : la chute du schwa n’est pas un phénomène

limité à l’oral informel, loin s’en faut.

Elle nous a aussi permis de répondre à la deuxième question, et d’identifier parmi les différentes chutes de schwa les

comportements linguistiques plutôt caractéristiques des situations formelles et ceux plutôt caractéristiques des situations

informelles.

D’une manière globale tout d’abord, les hommes politiques à la télévision présentent un taux de chute moins élevé.

Toutefois, ce constat n’est qu’une tendance statistique, et dire cela ne permet pas de rendre compte de l’hétérogénéité

des réalisations. Nous devrions donc peut-être formuler notre constat de cette façon : un locuteur en situation informelle

ne présentera probablement pas moins de 70% de chute du schwa. Un taux de chute inférieur à cela est clairement

caractéristique des productions en situation formelle.

Le fait de faire chuter quasi systématiquement le schwa de je dans n’importe quel contexte, y compris en créant des

chaînes consonantiques à priori difficiles, semble caractéristique des locuteurs en situation informelle.

Les locuteurs parlant avec leur famille ou leur amis ont tendance à faire chuter le schwa aussi bien sur les mots lexicaux

que sur les mots grammaticaux. A l’inverse, les hommes politiques à la télévision présentent un comportement linguistique

clairement différent pour les schwas des mots lexicaux et les schwas des mots grammaticaux : ils font tomber presque deux

fois moins de schwas sur les mots grammaticaux.

Dans le cas un peu particulier du ne en triple variation libre, on voit bien que la chute du schwa de ne est caractéristique

d’un locuteur en situation formelle, les locuteurs en situation informelle préférant omettre totalement l’élément.

Enfin, ce qui nous a marqué dans cette étude sur les chutes de schwa, c’est que l’oral formel est le domaine de la

variation : les locuteurs en situation informelle présentent des comportements homogènes alors que les locuteurs en situation

formelle présentent des comportements extrêmement variables. Peut-être que certains politiciens accordent plus d’importance

à l’aspect « naturel » de leur discours, quand d’autres tendent à vouloir montrer qu’ils « parlent comme il faut » à la

télévision. La formalité de la situation dans laquelle se trouvent ces politiciens pourrait laisser croire qu’il n’y a qu’un

comportement linguistique possible à adopter. Et pourtant, il semblerait que ces derniers aient (ou prennent) une certaine

liberté vis-à-vis de leurs productions linguistiques.

BibliographieListe des ouvrages⃝ BLANCHE-BENVENISTE Claire, Approches de la langue parlée en français, Paris, Ophrys, 1997, 164 pages.⃝ BLANCHE-BENVENISTE Claire et MARTIN Philippe, Le français. Usages de la langue parlée, Leuven-Paris, Peeters, 2010, 241

pages.⃝ DELL François, Les règles et les sons. Introduction à la phonologie générative, Paris, Hermann, 1973, 286 pages.⃝ GADET Françoise, Le français ordinaire, Paris, Armand Colin, 1989, 192 pages.⃝ STRIDFELDT Monika, La perception du français oral par des apprenants suédois, Thèse de Doctorat, Umea universitet, 2005, 239

pages.

  (バルカ コランタン)論文  シュワーの脱落とレジスター:

フォーマルな状況とインフォーマルな状況での発話の比較

Page 23: Chutes de schwa et registre de langue: comparaison des ...repository.tufs.ac.jp/bitstream/10108/92697/1/lacs025010.pdfrégulièrement présentée comme l’un des phénomènes les

167言語・地域文化研究 第 ₂5 号 2019

Liste des articles scientifiques⃝ ANDERSON Stephen R., « The Analysis of French Schwa : Or How to Get Something from Nothing », Language, n°58, 1985, p. 534-

573.⃝ BERRI André, « Aspects phonétiques et phonologiques du E-muet du français », Revista Fragmentos, n°30, 2006, p. 199-217.⃝ DURAND Jacques et LAKS Bernard, « Relire les phonologues du français : Maurice Grammont et la loi des trois consonnes », Langue

française, n°126, 2000, p. 29-38.⃝ FISCHER Robert A., « Phonologisation du schwa en français », Lingvisticae Investigationes, n°4, 1980, p. 21-38.⃝ HANSEN Anita Berit, « Le E caduc interconsonantique en tant que variable sociolinguistique », Linx, n°42, 2000, p. 45-58.⃝ KAWAGUCHI Yuji et DETEY Sylvain, « De la recherche sur le français parlé à son enseignement en FLE et vice-versa : focus sur

les dimensions phonético-phonologique et lexicale chez les apprenants japonais », Actes du Colloque international 2011 Nouvelles approches du FLE, Taipei (Taiwan), Université Tamkang, 2013, p. 27-44.

⃝ LUCCI Vincent, « Le mécanisme du" E" muet dans différentes formes de français parlé », La linguistique, vol. 12, n°2, 1976, p. 87-104.⃝ MEUNIER Christine, « Contexte et nature des réalisations phonétiques en parole conversationnelle », Actes des 29èmes Journées

d'Études sur la Parole, 2012, p. 1-8.⃝ PULGRAM Ernst, « French /ə/: Statics and Dynamics of Linguistic Subcodes » Lingua, n°10, 1961, p. 305-325. ⃝ WEBER Corinne, « Pourquoi les Français ne parlent-ils pas comme je l’ai appris ? », Le français dans le monde, n°345, 2006, p. 31-33.

Notes 1 Christine Meunier établit une liste des chutes de son les plus fréquentes par phonème. Utilisant le corpus CID, elle affirme que les

phonèmes qui représentent plus de 5% des chutes totales sont le /ə/ (ou schwa) avec 35,8%, le /l/ avec 19,1%, le /r/ avec 8,6%, et le /y/ avec 8,4%. (Christine MEUNIER, « Contexte et nature des réalisations phonétiques en parole conversationnelle », Actes des 29èmes Journées d'Études sur la Parole, 2012, p. 4).

2 Ernst PULGRAM, « French /ə/: Statics and Dynamics of Linguistic Subcodes », Lingua, n°10, 1961, p. 309-310. 3 Ernst PULGRAM, « French /ə/: Statics and Dynamics of Linguistic Subcodes », Lingua, n°10, 1961, p. 305-325. 4 Ibid., p. 311. 5 Ibid., p. 319. 6 François DELL, Les règles et les sons. Introduction à la phonologie générative, Paris, Hermann, 1973, 286 pages. 7 Ibid., p. 203, 252. 8 Ibid., p. 222. 9 Ibid., p. 224.10 Ibid., p. 243.11 Ibid., p. 256.12 Ibid., p. 227.13 Ibid., p. 229.14 Ibid., p. 229.15 Ibid., p. 231.16 Ibid., p. 231-232.17 Stephen R. ANDERSON, « The Analysis of French Schwa : Or How to Get Something from Nothing », Language, n°58, 1985, p. 534-

573.18 Ibid., p. 539-540.19 Ibid., p. 541.20 Ibid., p. 541.21 François DELL, Les règles et les sons, p. 245.22 Stephen R. ANDERSON, « The Analysis of French Schwa », p. 542.23 Concernant les études sur le français dans sa variation, voir : Sylvain Detey, Jacques Durand, Bernard Laks et Chantal Lyche « Les

variétés du français parlé dans l'espace francophone. Ressources pour l'enseignement. », Paris : Ophrys, 2010, 294 pages.