blaise cendrars ~t la guerre -...

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BLAISE CENDRARS ~T LA GUERRE

Q

by

pierre Fortin

A thesis submitted_ ta

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the Faculty of Graduate Studies 'and Research in partial fulfillment of the requirements

for the degree of Master of Arts

Department of French Language and Literature McGill University Montreal

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"

pierre Fortin Blaise Cendrars et la guerre

Department of French Language and Literature

Master of Arts

August 1973

ABSTRACT

Nous aimerions dans ce mémoire montrer ,l'importance de la guerre dans la vie et la pensée

de Blaise Cendrars. Nous croyons toutefois nécessai~e

de mettre, d'abord, en relief l~ mythe de l'aventurier

et du globe~trotter que Cendrars a ~difié autour de sa

personne, dans des oeuvres soi-disant autobiographiques.

Aussi, en étudiant sa chronique de guerre, sera-t-il

opportun de voir un d~calage entre la réalit~ et le rêcit

de l'êc~ivain, surtout lorsqu'il s'agira de montrer le

rôle que Cendrars se donne dans la description de ses hauts faits militaires.

Mais avant de nous pencher sur la vision de

la querre du poète, nous essayerons de déterminer les

raisons exactes de son engagement militaire, et ferons l'historique de s~ participation au premier conflit mondial.

De l'engagement de l'auteur découlera l'une des conclusions

majeures de ce~te th~se, i savoir ~u'en 1914, Cendrars, jeune

poête moderne, défenseur de l'esprit nouveau, n'était pas

moins homme de son temps" et qu'il pouvait fort bien, au ~ ,

départ, être persuadé de la justice de' cette guerre, quitte

3 l'ex~crer par la suite dans son oeuvre.

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- 4 -

( A l~: lumière de celle-ci. nous pourrons examiner l'iiage du soldat que l'auteur nous présente.

, 1

Nous analyserons ensuite le tableau des souffrances ~ ( .

physiques et morales de la guerre, telles que Cendrars

les a vues. Enf~n, le dernier chapitre nous permettra

d'établiIf la relation entre la peur et le courage dans ~

l'univers imaginaire de la guerre, chez un écrivain qui

affirmait que le dange~ était l'apanage même de sa vie. 1 Nous pourrons ainsi constater que la vision

de lJ guerre de l'auteur est fonci~rement pessimiste et

qu'il a dressé un bilan tr~s pên~ble de son séjour au front. Nous verrons que la guerre a marqué profondément

Cendrars qui en a fait le proc~s pour dégager l'absurdité

- de la' lutte A laquelle il a participé. La guerre sera A

l'origine de sa perte de foi en la civilisation, mais lui

/ fera aussi approfondir son sentiment de fraternité humaine •

. 1

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pierre Fortin

Blaise Cendrars et la guerre

D~partment of French Language and Literature.

Master of Arts

August 1973

ABSTRACT

The central theme of this thesis is the ,

importance of war in the life and thought of Blaise

Cendrars. Emphasis is first placed on the fictitious

self-image of adventurer and globe-trotter Cendrars created in his so-called autobiographical works. Cendrars'

war chronicle is used to illustrate the disparity between

his actual and imaginary military exploits.

The reasons for Cendrars' voluntary enlistment,

along with his subsequent military service in World War l,

are analysed and provide the basis for one of the major thesis

conclusions - i.e. that, Cendrars, while a young, modern poet

and defender of the "esprit nouveau", was also a man of his

age, one who could initially be persuaded as to the ju~tice ~

of the great War, the validity of which he later came to

reject.

The image of the soldier and the descriptions

of the physical and spiritual sufferings of war are also

examined, as is the relationship between fear and courage ~ . as 1t appears 1n the world of an author whose Iife's aim

was the courting of danger.

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- 4 (b) -

• The conclusion points out the absurdity of

war for ce~s and no~~s that the pessimism and anguish it pro~ed wit~in the author was both the

origin of his 10ss of faith in civilization and the

source of his deeper be1ief in the brotherhood,of ' , mankind.

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CHAPITRE l ..

·e INTRODUCTION

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BLAiSE CENDRABS ET SA LEGENDE

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C'est eeut-êt~e un des traits les plus caracteristiques du génie que ce besoin de se créer une légende. Comme les enfants, le génie, ce suprême enfant, veut rêver à des histoires dont il est le héros. C'est ce que Nietzsche appelait la volonté de puissance. (1)

On peut se demander avec raison si, en 1910, au

moment on il écrivait ces lignes au sujet de Remy de

Gourmont, Blaise Cendrars ne songeait pas déjà à créer sa

propre légende... Avant d'aborder toute étude sur cet

auteur particulier, il vaut mieux préciser que sa vie

demeure même aujourd'hui un domaine d'études difficile.

Les biographes de Cendrars (Albert Lepage, Jacques-Henry

Lévesque, Louis Parrot, Jean Rousselot, Jean Buhler) nous

ont habitués à voir en lui un merveilleux.conteur d'histoires

vraies, nous laissant entendre qu'il fut en quelque sorte

l'un des plus grands aventuriers du siècl~. Or tous ces

critiques ont repris la vie de Cendrars telle que le poète

s'était complu a la livrer lui-même à ses lecteurs; de

sorte que de nos jours encore l'existence de l'écrivain

reste légendaire. Il y a à peine quelque temps, dans une

page-prospectus du Nouvel Observateur annonçant les oeuvres ù

compl~tes de Cendrars, on présentait l'auteur comme suit: o

En 1902, à Neufchâtel, un garçon de 15 ans que ses parents avaient enfermé dans sa

(1) Blaise Cendrars, Inédits secrets, ~e Club français du Livre, Paris, 1969, p. 54.

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chambre s'évade par la fenêtre et saute dans le premier train en partance. Il vient de quitter sa famille pour toujours .•. Sa vie va devenir un voyage perpétuel: la Mongolie, la Perse, la Sibérie, le Caucase, l'Amérique du Nord, Berlin, Paris ..• Il se Éait appeler Blaise Cendrars. ( .•• ) Etrange aventure que la vie de ce po~te­romancier- globe-trotter- journaliste. Il fera tous les métiers: cour~ur automo­bile, tailleur pour dames, pi~~iste, homme d'affaires, cinéaste, éditeur, etc. Il fréquentera Charlie Chaplin, Jean Cocteau, ,0

Picasso, Modigliani, Honneger, Francis Carco, Lénine, etc. (2)

Devant une exis~ence aussi extraordinaire, Henry Miller,

dans son-essai sur Cendrars, écrit avec enthousiaame:

Sa vie même est un conte des Mille et Une Nuits. (3)

Mais comme dans tout conte, faudrait-il ajouter, la fiction

dépasse de beaucoup la réalité. ~

A. T'Serstevens, dans s6n livre récent sur Blaise

Cendrars, nous avertit que l'auteur du Transsibérien aimait

envelopper sa vie "de mystère et de fiction" et qu'une imagination féconde "l'entraînait, comme malgré (,J.ui, bien

loin de la réalité quotidienne". (4)

En 1965, soit quatre ans apr~s la mort de pendrars,

Jean-Claude Lovey, pour sa part, fut l'un des premiers! f

traiter le problème des affabulations constantes dont regorge l'oeuvre de Cendrars:

(2)\Le Nouvel Observateur, 28 sept. au 4 octobre 1970, No 307, p. Il. "

(3) Henry Miller, Blaise Cendrars, dans Les Livres de ma Vi~, " traduit de l'amêricain par Jean Rosentbal, Gallimard, collection Du monde entier, Paris, 1957, p. 63.

(4) A. T'Serstevens, L'homme que fut Blaise Cendrars, oenoêl, Paris, 1972, p. 10.

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- B -

Nous sommes 1C1 dans un èlimat de. mythomanie où tout est grçssi, transpos~ quand ce n'est pas inventé de toutes pièces. Cendrars~est un conteu~ génial. Tout est pour lui matière à poésie, aussi bien ses rêves que le féel quotidien. Dès lors la r~ali té peut se présenter avec une prodigieu'se ornementation s~s que la logique interne de l'auteur soit prise en défaut.' Le "je" dont il se sert est autobiographlq6e m@mi s'il ne colle pas toujours à la réalité vécue, parce que la vérité n'est pas néCessair~ent dans la r€alité vécue. (5) ~

Cependant, même Jean-Claude Lovey, qui a voulu faire le

point sur l'existence ambiguê de l'écrivain, n'a pu s'em­

pêcher de °multiplier les "erreurs et a continué de croire

en la légende de l' aventurie"r °et du globe-trotter.

Sans. vouloir manquer de respect envers Cendrars, -'

il nous est certainement' permis .de croire qu'à force de

transposer dans la réalité la vie aventureuse que lui avait

suggérée ou imposée son imagination Je poète, il en est venu

lui-même à ajouter foi aux supposées "histoires vraies" qu'il o

avait racontées. Actuellement, il nous est sans doute plus f~cile

~, ~ ~

de parler des "mensonges" de Cendrars, surtout depuis que

plusieurs érudits ont fait la lumière sur les pseudo-prouesses

et les vagabond"ges imaginaires de l'auteu~. Dans la préface

des oeuvres complètes de Cendrars (Club franç6iis dtl livre), (

on a parfois l'impression que cet éerivain singulier. fut un

Q imposteur conscient qui ne" cherchait qu'A-étonner, ses lecteurs.

5) Jean-Claude Mvey, Situation de BISl.;i.se Cf!ndrars, ~ Editions de la Baconn~~re, Neuchatel, 1965, p. 110.

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9 -

{I .. En réalité, ces prétendus)menson~es sont avant tout

l'expressio~d'un appétit du yoyage et de l'action

violente que Cendrars n'a jamais réussi à satisfaire. 1

Né à"La Cha~x-de~onds, non loin de Neuchâtel,

l~ premier septembre 1887, Frédéric-L~uis SauseF, le

futur Blaise Cendr~rs, ~onnut une enfance confortable,

étant fils d'un bourgeofs aisé.' L'enfance mouvementée . L " •

dont parlent ses biographes reste à éclairèir, car le

jeune Frédéric n~-clJlentionne nulleme~t .!dans ses premiers 1

écri trs les séjours en' ,Egypte, en Sicile, à. Par~s, en <-

Angleterre et à Naples ~uc Cendra~ prétend avoir faits

à la suite de son p~re, dans Boufling~er. Un fait demeure

certain: durant son adolescence, Cendrars lit beaucoup.

Passionné de' lecture, il ti~dra de ~~-ci un gont

d'aventure et d'évasion qui l'influertcera toute sa vie.

En 1904, à l'âge de dix-sept ans, ce~dr~rs r part pour Saint-Pétersbourg. Envoyé par son père pour

faire un stage dans l'entreprise commerciale d'un \

compatriote, un certain Leuba, entrepreneur d'horlogerie,

il devient correspondant français-allemand chez ce d~ier,

durant près de trois ans. Nous sommes loin de l'éva~ion par la fenêtre de la maison paternelle et de toute la

-légende russe que Cendrars a étlifi~edans ses livres, et

ses bïographes après lui. Dans ses carne~s de jeunesse,

il n'est pas une seule fois question de Moscou, encore~

(

~~s du Transsibérien et de la Chine.

En 1907, "

Leuba et revient à

Cendrars quitte son emploi chez ,~onsieur

Neuchâtel. Il dépose à la Cai~se d'Epargne

ses économies russej et entreprend des

l'Université de Berne. Il y rencontre

é~udes de médecine à

Féla Pozn~ska, une

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€tudiante polonaise venue de Saint-Petersbourg où,

en' 1906, elle avait passé son examen de "matura", avant

d'obtenir de son père l~ permission.de veftir pours~ivre

ses études en Suisse. (6) Il poursuit durant ·trois ans

ses études ~ Berne, puis, en,~909, y renonçe défi~i~ivement.

Dans son oeuvre cependant, Cendrars affirme

avoir quitté l'université, deux ans plus tôt. Agé de vingt

ans, nOUq dit-il dans L'Homme fouçroyé, il serait alors

arrivé à Paris. Grâce à l'héritage d'une tante, il aurait

acquis une proPfiété dans la banlieue et d~cidé de se faire

epiculteur:

Je faisais pour 8.000 francs de miel par an.

J'étais riche. Et -je lisais et j~écrivais des vers.

Les premiers! (7)

~,

/

Si. l'on en croit ses biographes, Cendrars se

lasse rapidement Qe l'apiculture et ést bientôt envahi

par le d€sir de voyager. Au hasard des il veut

suivre désormais la vocation du risque ét

en 1909, il est à Bruxellés, puis, à Londrès'Q~ il devient

jongleur dans u!l music-hall,'" partageant, le sb"ir, la chambre J

de Charlie'Chaplin (!), alors jeune €tudiant en medecine.

La même année, il retourne en Russie, et c'est là qu'il

Légende. de NovgQrode ,J' •

publie o

en russe son premier roman: La

touj~introuvable ••. ). '.

(livre c

(6)

, (7)

.. -

Bien que Féla fût d ,'origin'e polonaise (Cf; Inédits. secrets, p. 33), la plupart des biographes ~e Cendrars nous disent qu'elle ~tait Russe. Elle est née en tout cas à Iodz, en Russie~ le 6 décembre 1885. ' Blaise Cendrars, L'Homme fou~royé, Tome It, Oeuvres complètes, Editions Deno~l, Paris; 196~,·p. 192.

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/ - Il -

ù Cendrars se serait ensuite rendu aux Etats-

Unis, puis, a~ Canada on, il aurait travaillé comme

ouvrier agricole et conducteur de tracteur, près de

Winnipeg. ~En 1910, iÎ aurait voyagé continuellement:

Anvers, New York, Saint-Jean de T~rre-Neuve, Parts et . New York à nouveau. Employé à l'Uranium Steam Ship, il

aurait été interprète et convoyeur des plus misérables

émig~ants d'Europe. III aurait ainsi fait p.lusieurs fois

la traversée Libawa-New York.

Faut-il préciser que parmi tous ces voyages,

C extraordinaires très peu ont réellement eu lieu? En

avril 1910, ,Féla cite dans ses notes une phrase de

Cendrars qui nous éclaire un peu sur l'état d'esprit du

futur écrivain:

1 ,

Je regarde les couleurs du couchant qui me donnent le mal du départ. (8)

En jUillet, Cendrars part pour Bruxelles. Le mois suivant, l

il est à La Panne avec Féla. Les ,deux amoureux vivent très

pauvrement. Depuis quelques mois, Cendrars a découvert-.A

l'oeuvre de Remy de Gourmont qu'il s'est mis à étudier

-" ' avec ~. Au mois d' oc'tobre, il se rend à Paris avec

Ffola. Il écrit alors un conte~. sorte d'allégorie ?nirique,

qui s'intitule Au pays des Images, et qu'il dédie à sa ~ -

compagne. Il cherche à placer ses premiers textes et

collabo~e ~ des revues, notamment à L'Etudiant de Paris et

à La Forge, sous le nom de Freddy Sausay.

(8) Blaise Cendrars, Inédits secrets, p •• 7.

1 /

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Au début de 1911, Féla reço~t la nouvelle

de la mort de son père et décide de se rendre à New

York, où habite sa soeur, pour y régler certaines

affaires de famille. Seul à Paris, Cendrars se souvient

avec nostalgie de son propre voyage d'il y a. sept ans,

en Russie. Découragé par son échec dans le monde des

lettres, il retourne à Saint-Pétersbourg. Mais dépourvu

de' ressources matérielles dans la capitale,tzariste, il

passe des journées assez pénibles. Leuba, son ancien

patron, ne l'ayant pas repris, il cherche vainement un

autre emploi. Il se met à écrire des lettres angoissées

à Féla, qui lui donne finalement la possibilité d'aller

la rejoindre en Amérique, en lui envoyant un billet de

train et bateau Saint-Pétersbourg - New York.

Parti en novembre 1911, Cendrars arrive à New

York le mois suivant. Le jour de son départ, il avait

écrit:

Je cherche en voyage un moyen-âge impossible.

En Russie, j'en ai trouvé une illusion ;' presque raisonnable. Cette foule, ces paysans, ces soldats en (esclaverie) toute la vie groui lante des petites gens sales et loqueteux, es brandons des passions, les fièvres de a foi, parfois les névroses hallucinées et stiques/presque, la tristesse r

la mélancolie et cette résignation du "nonladro" asiatique tout eci et tout cela, et jusqu'à~ la force d la" lice, brutale en son insolence, est bien la qui sourd des fois avec fracas d'entre les pages de nos vieux chroniqueurs. (9)

Une fois aux Etats-unis,~l avouera avec aigreur:

Sale pays! Une Suisse encore plus,inhurnaine, plus m~rcantile, plus mécaniq~e, sans bonhomie,

(9) Blaise Cendrars, Inédits secrets, p. 153.

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o

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rigide, protestante, anglicane, puritaine, poussée à la hauteur d'une hérésie! Les gens: des bourgeois endimanchés, corrects qui, comme les chiens, se fourrent le nez dans le cul. Pour sentir'quoi, l'amour? Non, l'argent! ( ... ) Je me sens autant dépaysé qu'en Suisse. (10)

A New York, le jeune écrivain en herbe commence " un texte: Hic Haec Hoc, où figure sa nouvelle/signature:

Blaise Cendrart, avec un t. Durant les mois de février et

mars 1912, il seGretrouve encore une fois seul, Féla étant

partie enseigner dans une école de rééducation. Désespéré,

il' écrit: 1

je crie et ( ••• ) dors avec de la lumière dans la chambre: sans le sous, traqué, inquiet, ne' pouvant pas payer la chambre, etc., comme à Bruxelles, ne trouvant rien, n'ayant rien à trouver d'ailleurs, avec des chapitres de roman en tête que je (ne) puis pas écrire! ... (11)

Mais la misère ne réussit pas à l'abattre. 'Travaillant

presque jour et nuit, il se met à écrire plusieurs textes

en même temps. Une fois le printemps arrivé, il a mis au

point Aléa, a écrit Séquences et, surtou~ Les Pâques. Il

adopte définitivement son",nouveau nom d'écrivain: Blaise , ,

cendrars.

A Rentré en Europe, au mois de juin 1912, Cendrars

se rend à Gen~ve, puis, le mois suivant, s'iQstalle à Paris.

Sans amis et sans argent, il souffre à nouveau de l'absence

de Féla, ~estée en'Amérique. Le 17 septembre, il est arrêté

pour avoir volé Plac~ du Palais-Royal, à l'étalage de la

{lO} Il est d'ailleurs souvent arrivé à Cendrars d'oublier qu'il était Suisse ••• Dans Au coeur du monde, il prétend même être né à Paris, 216, rue Saint-Jacques, à l'Hôtel des Etrangers, dans la maison oit fut écrit Le Roman de la ROse. Il en est résulté de la confusion, et plus~eurs d~ctionnaires et biographies affirment, aujourd'hui encore,

(11) que Cendrars est né à Paris. ~ Blaise Cendrars, Inédits secrets, p. 202.

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- 14 -

librairie Stock, L'Hérésiarque de Guillaume Apollinaire.

Mais il ne reste en prison que quelques jours, la police

se montrant 'clémente d~vant un larcin aussi peu important •..

Bientôt, avec l'aide de deux amis, Emil Szitya

et Marius Hanot, Cendrars fonde une revue littéraire

franco-allemande Les Hommes nouveaux, dont le premier , ,

numéro paraît le 25 octobre. Durant l'automne 1912, il

ouvre aussi un "Bureau Internatioha1 de Traduction".

Lui-même polyglotte, Cendrars accepte de traduire des

pO~mes, des romans, des pièces ,de th€âtre, des ouvrages

philosophiques et sociologiques. En même temps, il

travaille pour de multiples publications dont certaines

s~nt fort éloignées du domaine litt~ra~re: Revue Inter­nationale de l'Industrie, du Commerce et de l'Agriculture,

Le Monde Industriel, La Revue des Industries de l'Alimentation, ,

etc. Il écrit de plus sur commande une monographie sur le

peintre Odilon Redon, des articles sur le douanier Rousseau

et sur les maîtres de la musique russe.

Au début de novembre, paraît un numéro "hors

série" des Hommes nouveaux: Pâques, po~e de Blaise Cendrars.

L'auteur en envoie un exemplaire à Guillaume Apollinaire qui

répond en lui faisant part de son dési~ de le rencontrer.

Chez Apollinaire Cendrars rencontre lei peintres Sonia et

Robert Delaunay. Bientôt, il est présenté à Remy de Gourmont

et se voit introduit au Mercure de France. La vie de Cendrars

change alors radicalement de ,couleur. Le nou~e~u po~te se

fait de nombreux amis' ~ Montparnasse: Modigl~~ni, Chaga1,

Fernand Léger, et plusieurs autres/moins connus aujourd'hui.

Mais si son nom s'impose rapidement dans les milieux artisti-

ques, ses ressource~ pécuniaires restent minime,s . En mai

1913, Fé1a rentre des Etats-Unis et vient le rejoindre. Pour

gagner un peu d'argent, Cendrars continue à s'astreindre A. div~rs travaux.

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Aprês son troisième num~ro, la revue Les

Hommes nouveaux cesse de paraître, faute de fonds. , Entre-temps, Cendrars pr~pare une nouvelle oeuvre.

Sous forme d'un d~pliant de deux m~tres de haut qui

est illustr~ en "couleurs simultan~esft par Sonia

Delaunay, 'La Prose du Transsibérien et de la Petite

Jehanne de France paraît au d~but de septembre.o

" ~a

critique d~clenche alors une pol~mique sur le ·simulta­

nisme" qui se prolongera jusqu'en juillet 1914. Cendrars

n'en con~ue pas moins à publier des poèmes et des textes

dans diff~rentes revues, en particulier dans Les Soir~es

de Paris, celle d'Apollinaire, et dans Le Mercure de

France.

Au cours des ann~es 1913 et 1914, il ~crit' la

plupart des po~es qui seront publi~s en 1919 sous le

titre Dix-neuf poèmes ~lastiques. Avec APollinaire,

Cendrars se fait le porte-par~le d'une po~sie "moderniste"

qui, comme son nom l'indique, se veut fonci~rement mo~erne

d'inspiration et de forme. Parti d'une r~action contre ce

que le symbolisme a de trop ~loign~ de la vie, le mouvement,

mode~iste va ~ercher a ramener la poésie vers 'une r~alit~

plus tangible. En prodnisant une po~sie de l'actuel et

du r~el, cet esprit ~tique nouveau amêne une r~forme pro­

fonde de l'~criture.

Autant les symbolistes d~siraient s'~vader de

la ~alitê quotidienne, autant les poêtes modernistes

veulent s'exalter au spectacle de ce que Cendrars appelle

le p~fond Aujourd'hui, 00 "les cosmogonies revivent dans

les marques de fabrique", 00 • de tous oat~s les trans-

' .. i

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, -l,

- 16 -

atlantiques s'avancent vers leurs o

oü tout est dynamisme et action.

"a pris conscience de son époque.

corre~pondances" (12),

Le poJte d'aujourd'hui

Il est la conscience

de cette époque", affirmera Cendrars. (13)

Tout ce qui caractérise le XXe siècle, aussi

bien les machines, les affiches que ~a vie trépidante

et bigarrée des grandes capitales, devient ainsi ~atière

~ poésie. Friand du fait brut et de l'actualité, Cenprars

contribue grandement à élargir la notion même de poésie. Dans Derni,ffe heure, "Télégramme - poème copié dans

Paris-Midi" (janvier 1914, le dixième des Dix-neuf poèmes

élastiquet), il recopie des fait-divers et les découpe

en versets. Il traite ses poèmes de "documentaires" et

n'hésite pas à parler de Lettre-Océan:

. La lettre-océan n'a pas ,l'été inventée pour faire de la poésie Mais quand on voyage quand on commerce quand on est à bord quand on envoie des lettres-océan On fait de la poésie (14)

Cendrars se fait aussi le promoteur d'une

technique d'écriture très fiouvelle: il compose à partir

d'un amas d'objets très différents qui, pris dans une même

lumière, lui donne la possibilité d'harmoniser les masses,

(12) Profond Aujourd'hui, Plaquette publiée par Cendrars en 1917 (La Belle Edition, Paris, et reproduite dans Aujourd'hui, Grasset, 1931, p. 10 et 13.

(13) Conférence Sur tes Poètes (Sâo-Paulo, 1924), reproduite dans Aujourd'hu1, p. 165.

(14) Blaise Cendrars, Lettre-Océan, dans Feuilles de route, l, Le Formose, Au Sans-Pareil, Paris, 1924, reproduite dans / Au Coeur du Monde, Collection Poésie, Gallimard, paris, 1968, p. 22.

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- 17 -

o de juxtaposer les' sensations et les rfialitfis psychiques

,~ ou phy~iologiques, d'entrechoquer les images. Il recom-

pose la 'réalité fragmentée en vers où le compte de syllabes

n'intervient aucunement:

Etincelles ,Jaune de chrome

On est en contact De tous les côtés les transatlantiques s'approchent

S'~loignent Toutes les montres sont mises à l'heure Et le~ cloches sonnent

~ Paris-Midi annonce qu'un professeur allemand a ~té Mangé par les cannibales au Congo

C'est bien fait L'intransigeant ce soir publie des vers pour cartes postales ..

C'est idiot quand tous les astrologues cam-briolent les étoiles

On n'y voit plus J'interroge le ciel L'Institut Météorologique annonce du mauvais

temps (15)

Apollinaire, quant à lui, suivra d'emblée la voie

ouverte par cette nouvelle poésie dynamique,:

o paris Du rouge au vert tout le jaune se meurt' Paris Vancouver Hyères Maintenon New-York et les Antilles

La fenêtre s' ouvre comme une orange Le beau fruit de la lumière (16)

Il est troublant n~anmoins de voir combien frêquemment

l'auteur de Calligrammes réutilise les notations et les

(15) Blaise Cendrars, Crépitements, (neuvième des Dix-neuf poèmes éla~tiques, septembre 1913, poème reproduit dans DU Monde entier,' Collection Poésie, Gallimard, Paris, 1967, p. 89. 1

(16) Guillaume Apollinaire, Les Fen@tres, dahs Calligrammes, collection Poésie, Gallimarq, Paris, 1966, p. 26.

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- 18 -

images de Cendrars. Dans ~deux derniers vers que'

nous venons de citer, on~ facilement remar~uer par

exemple la reprise d'une idée de 'Cendrars:

Tout est couleur mouvement explosion lumière

La vie fleurit aux fenêtres du soleil Qui se fond dans ma bouche (17)

, Il reste aussi la vieille ,polémique qui mit , aux prises les partisans d'Apollinaire et les exégètes

de Cendrars, polémique qui est d'ailleurs loin d'être

apaisée aujourd'hui. Elle repose sur les nombreuses b

analogies entre quelques pièces d'Apollinaire et La

Prose du Transsibérien de Cendrars. Selon certains,

Apollinaire aurait antidaté les poèmes incriminés pour

faire croir~ à un plagiat de Cendrars. De 'plus, ce

serait sous l'influence des Pâques qu'Apollinaire aurait

supprimé in extremis la ponctuation sur les épreuves

d'Alcools, titre proposé par Cendrars lui-même pour remplacer

Eaux-de-vie, celui qu'avait d'abord retenu Apollinaire. La i "

plupart des critiques s'accordent aussi à reconnaître un

changement de front chez Apo~linaire, une fois que ce dernier

eut découvert l'oeuvre de Cendrars. Quant à Cehdrars, il ne prit jamais position daps ce déôat, malgré les questions

pressantes de plusieurs interviews. Quoiqu'il' en soit, si

on combine les caractères communs aux Pâques et à Zone,avec

les effets rech~chés dans la présentation de La Prose du

Transsibérien, on obtient une três bonne idée de la poésie .cubiste" telle qu'elle correspondait à l'esthétique élaborée

par Picasso, Derain et Vlaminck, à la veille du premier

conflit mondial.

(17) Blaise Cendrars, Aux 5 coins, (daté de février 1914, le treiziême des Dix-neuf poêmes élastiques) reproduit dans Ou Monde entier, p. 97.

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En septembre 1914, avant de partir lui-même

pour le front, Cendrars épouse Féla qui lui a déjà donné

un enfant quelques mois auparavant. Démobilisé au prin­

temps de 1916, il revient vers elle un bras en moins. Son

~éjour au front l'aura beaucoup marqué, autant sur le plan

physique que moral. (18)

L'oeuvre poétique de Cendrars ira en s'augmentant

jusqu'en 1924: Le Pqnama ou les aventures de me~ sept oncles

(1918), Dix-neuf poèmes élastiques, Du monde entier (1919)

Anthologie nègre (1921), Kodak (1924). Poète de la vie

moderne, Cendrars s'intéresse bientôt à une nouvelle forme

d'expression: le cinéma. Il se rend en Italie et s'occupe

de films à court métrage pour le compte d'une compagnie.

Ayant rencontré le cinéaste Abel Gance, il collabore avec

lui, en 1921, à la réali~atioq du long métrage La Roue.

Mais comme il ne tire de- ses expérïences cinématographiques

que de pauvres bénéfices, il renonce rapidement à ce métier.

A en croire Cendrars, l'Amérique devient alors

son lieu de prédilection:

••. de 1924 à 1936 pas une année ne s'est écoulé~ sans que j'aille passer un, trois, neuf mois en Amérique, surtout en Amérique du Sud. (19)

Ses biographes le présentent, à cette époque, comme un

chasseur de fauves et un prospecteur. Or, en fait, Cendrars

ne s'embarque pour le Brésil que deux fois et sur l'i~vitation

(18) Afin d'éviter les redites, nous ne parlons pas ici d'une façon détaillée de la participation de Cendrars à la premi~re guerre mondiale, tout le deuxi~me chapitre de ce mémoire y étant consacré.

(19) Blaise Cendrars, L'Homme foudroyé, p. 275.

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- 20 -

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d'un ~écène, soit son ami Paulo Prado, un riche planteur

de café. (20) Ayant toujours rêvé d'une longue navigation

dans les mers du Sud, 11 ne peut malheureusement pas se

permettre de voyager longuement. Faute de~moyens pécuniaires,

il n'aura d'autre possibilité que de s'évader dans ses rêves.

c'est aussi d'une façon très onirique qu'il parcourra les îles

du Pacifique et bie,n d'autres endroits du mondé faisant partie

de ce qu'il appelle son "Utopie-land", celui du lointain et

de l'aventure.

Certes, sur le plan littéraire, de ~elles aspirations

conduisent Cendrars à écrire des romans ,pleins d'aventure

et de ~angér: L'Or (1925), Moravagine (1926), Le Plan de

l'Aiguille, L~s Confessions de Dan Yac~ (1929), Rhum (1930). \ Q

En 1938, il pù~lie un livre dont le titre résume bien , '

l'existence qu'il aurait voulu mener: La Vie dangereuse;

En réalité, depuis 1932, il n'a surtout fait que du journa­

lisme. Renonçant pour quelques années à des oeuvres d'enver­

gure, il publie des récits assez brefs qui sont tous néanmoins

orientés"vers l'aventure: Panorama de la Pègre (1935),

Hollywood (1936), Histoires vraies (1937), D'Oultremer à Indigo

(1940) •

En 1939, peu de temps après l'ouverture des hostilités,

cendrars sollicite un nouvel engagement. Sa mutilation lui

interdisant tout service actif, il accepte d'être nommé corres­

pOndant de guerre auprès du rrrand Quartier Général britannique.

Il se rend en Angleterre, puis revient en France, dans le

secteur d'Arras. Il su-it alors le sort des armées, séjournant

(20~ Cf. A. T'Serstevens, L'homme que fut Blaise Cendrars p. 30.

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)

- 21 -

~ Louvain, Bruxelles, Lille, Amiens. Le 18 mai 1940,

il publie ses reportages sous le titre Chez l'Armée

anglaise. Mais à peine sortie de presse, l'édition est .

,;

saisie et détruite par les Allemands qui saccagent aussi

les papiers et le domicile de l'auteur.

En juin, Cendrars est nommé correspbndant auprès, . de la R.A.F. pour le journal Paris-Soir. Le 17 juin, à

Barbezieux, il apprend la-nouvelle de lla~istice:)

••• j'étais seul, lat~te Vid~)~t noire, et j'eus une impress',on ~hyxie, de mort, la mort de la France .. (21)

Le 14 juillet, il se fixe à Aix-en-Provence. Le coeur

serré, il n'écrit pas un mot durant trois ans. Editeurs,

hebdomadaires, )ournaux le sollicitent en vain. Il préfère ù

, se taire et cultiver des plantes médicinales:

"Les vaincus doivent se taire. Comme les graines!", écrit Saint-Exupéry dans Pilote de guerre ( ••• 14. Je me tais ais donc et germais au milieu de mes graines qui fructi- ,,' fiaient et rapportaient. (22)

Ep 1943, à la suite d'une conversation avec son

ami Edouard Peisson, il se remet àu travail littêrq~re. Quatre

épais volumes, qui sont en quelque sorte les "confessions"

(très romancées, il va sans dire) de l'autegr paraissent peu

après, presque coup sur coup: L'Homme~foudroyé (1945), La Main

coupée (1946), Bourlinguèr (1948), Le Lotissement du Ciel

(1949) •

(21) Blaise Cendrars, L'Homme foudroyé, p. 305. (22) Blaise Cendrars, La Main coupée, Tome II, Oeuvres

complètes, Editions DepoMl, Paris, 1960, p. 476.

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- 22 -

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En 1949, Cendrars retourne à Paris qu'il ne

quittera plus jusqu'à sa mort. 'L'année suivante, il se

marie avec la comédienne Raymone (Duchateau). Peu ,après,

il enregistre pour:_21a radio des "Entretiens avec Michel

Manoll". Il transmet alors à des millions 'd'auditeurs

la légende qu'il a toujours développée ~: \iavorisée dans

ses livres. En 1955, Cendrars publie son dernier roman

au titre encore évocateur de son rêve de voyages:

Emmène-mo~ au bout du monde.

Jouissant d'un grand succès auprès du public,

il reçoit d~André Malraux, en 1959, la cravate de Commandeur

de la Lé~ion d'Honneurù Finaleme~~, le 17 janvier 1961, la

ville de Paris lui décerne son Grànd prix littéraire. Mais

compl~tement aphasique et réduit à !'immObilit~ la suite

d'une atta'que d' hémiplégie, Blaise Cendrars n'est pas là

pour recevoir son prix. Il meurt quatre jours plus tard,

après avoir lutté soixante heures danq le coma.

A la lecture de son't"oeuvre, on pourrait croire J

qu'il y a chez Cendrars "une haine farouche de toute servi-,. ù

~~ tude, de toute oppression, de toute entrave à la li~erté individuelle". (23) De fait, dans ses livres, seule une

très grande libe~té.lui permet de vivre atlssi intensément .... tant de randonnées, extraordinaires autour du globe. En

lisant Bourlinguer, on pourrait croire que Ceqdrars cherche

dês l'adolescence à orienter lui-même sa vie. Il n'accepte

pas .,le conformisme bourgeois et veut échapper II l'oppression

que constitue à ses yeux la vie 'familiale de Neuchâtel. "

(23) Jean-Claude Lovey, Si~uation de Blaise Cendrars, p. 160.

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- 23 -

Plusieurs fois dans sa vie, il rêp~te ce

geste d'évas~n. L'action directe, sous la forme' ~.;'>..

d'incessants voyages, lui permet alors de se libérer

et d'influer sur son destin. Le départ continuel

devient même une nêcessité vitale afin d'atteindre une

existence libre de toutes les contraintes familiales, \

sociales, artistiques et moralesl

• ) 0 lOb d Dans son oeuvre, cette V1e 1 re, Cen rars

la veut aussi dangereuse. Il se donne les traits d'un

homme d'action pour qui l'aventure et le risque conduisent • L -

à un véritâble hérofsme, en lui permettant d'aller cons-

tamment jusqu'au bout de ses possibilitês: .,. .... ~ ......

'. . .• dites bien à vos amis, lesf-ètes, que la vie est dangereuse aujou d'hui et que celui qui agit doit aIl jusqu'au bout de son acte sans se plaindre. (24)'

Dans Elo e de la vie

tr~s euphorique pour

existence:

l'auteur use d'un style

sa conception d'une telle

J'ai le sens des responsabilitês, moi. Hê bien, il faut savoir prendre les virages sans ralentir et franchir les ponts branlants en vitesse pour êviter les catastrophes, et tous les r~glements du monde n'y peuvent rien. Il faut avoir de.,.,l'initiative. (25)'

.,. Ironie du sort, Blaise Cendrars a·vêcu presque

toute sa vie attelé au travail. Il a passé le plus" clair

de son existence à aire et à écrire: ce qui nous a ~ans

doute valu des aventures plus belles et plus nombreuses

que ~utes celles qu'il aurait pu viyre réellement.

(24 )

(25)

Blaise Cendrars, Eloge de la vie dangereuse, dans Aujourd'hui,. Tome V, Oeuvres compl~tes, Editions DffuoêI, par1s, 1962, p. 158.< -Ibid., p. 157.

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- 24 -

Ecrivain:singulier, Cendrars avait voulu faire de ~,

l'aventure vécue le but principal de sa vie et le

thème essentiel de son oeuvre. Il en est venu ~api­

dernent à confondre sa vie et ses' ~crits; de sorte que

longtemps même après sa mort, l'image du globe-trotter

qu'il nous avait donnée a prévalu d'une façon légendaire

sur -celle plus vraie d "un herme de lettres qU,i, tout au 1 long de son oeuvre, nous p~le de "risque" et d'" inéonnu n,

mais qui ne peut faute de t~mps et d'argent assouvir sa

soif d'aventure et d'évasion.

Mais il demeure que Cendrars a été s9ldat ,

durant la première guerrè mondiale. De nombreux critiques

(Rousselot, Parot, Lovey, T'Serstevens.) ont vu dans l'en­

gagement militaire de l'auteur une merveilleuse occasion ,

de satisfaire son goftt pour l'aventure et le danger. Or,

Cendrars cédai't-il uniquement à l;attrait de la vie '

dangereuse? Affirmer que oui serait oublier totalement

le climat politique qui régnait à Paris en septembre 1914.

Jeune poête moderne, défenseur de l'esprit nouveau, Cendrars

n'aurait-il pas plutôt été persuadé de la justice de cette

guerre? De plus, il faut tenir compte du fait que Cendrars

était un ~tranger, vivant avec une étrangêre et qu'il avait

A cette, époque un enfant à nourrir. No'échappait-il pas en

s'enrôlant à toute suspicion de la part des Français?

Ne permettait-il pas à sa femme et son enfant de vivre

sans harassements? OU n1~chappait-il pas lui-même à

l'enlisement familial qui le guettait? Nous aimerions,

dans le chapitre suivant, ~erner les motifs exact~ de la' c

participation de Cendrars au premier conflit mondial et

faire l'historique de celle-ci.

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CHAPITRE ,II

LA PARTICIPATION DE CENDRARS A LA PREMIERE GUERRE MONDIALE·

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S'il faut.en croire Féla, sa compagne de

l'époque et future épouse, Blaise Cendrars, A la

veille du premier conflit mondial, ne crpit pas encore

A l'éventualité de cette guerre. (1) Ressortissant

d'un pays neutre, il affirme cependant qu'il partira volontaire, si jamais elle ·éclate. (2)

. Or, A la fin juillet 1914, la tension poli-

tique est grande dans la capitale française. L'air

devient lourd d'enthousiasme patriotique, enthousi~me

qui se retou~era bientôt contre les étrangers, beaucoup

~ant accusés ou soupçonnés d'espiunnage. Le 31 juillet,

Jean Jaurès, qui esp~re toujours que l'Internationale

ouvri~re pourra empêcher la guerre d'éclater est assassiné.

Passion et surexcitation: partout, dans Paris, l'animation

se fait très intense. Le 2 août, la mobilisation gên~rale

est d~crétée: la France entre en guerre.

Toutefois, le 29 juillet, soit quelques heures

A peine avant l'assassinat du chef socialiste et l'annonce

de la mobilisation générale, les journaux ont dé;A publié

le texte d'un appel qui va obtenir un retentissement con­

sidérable. Cet appel s'adresse A tous les étrangers amis

de la France. Il les somme de s'engager dans l'armée

française:

L'héure est grave. TOut homme digne de ce nom doit aujourd'hui

agir, doit se défendre de rester .. inactif au milieu de la plus formidable conflagration que l'histoire ait j~ais pu enregistrer.

TOute hésitation serait un crime.

(1) Cf. Blaise Cendrars, Inédits secrets, p. 377. (2) Idem.

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point de paroles, donc des actes. Des ~trangers amis de la France, qui

pendant leur s~jour en France, ont appris à l'aimer et à la ch~rir comme une seconde patrie, sentent le besoin im~rieux de lui offrir leurs bras.

Intellectuels, ~tudiants, ouvriers, hommes valides de toute sorte - nés ailleurs, domi­ciliés ici, nous qui avons trouv~ en France la nourriture matérielle, groupons-nous en un faisceau solide de volontés mises au service de la plus grande France. (3)

AU bas de cet appel sont apposées dix-sept signatures, dont

celle de l'écrivain Riccioto Canudo et du sculpteur Csaky.

Première de la liste, celle de Blaise Cendrars y apparaît

orthographi~e Blaise Gendrars. (4)

Comme beaucoup d'autres artistes ~trangers, Cendrars ~

en signant un tel appel ne ladsse plus de doute sur sa fidélit~

à la France. Alors que l'espionnite s~vit, le jeune poète se

d~douane entièrement. Quant à F~la, qui est regàrd~e d'une

façon haineuse par ses voisins, à Forges par Barbizon, elle r~ussit à convaincre le maire du village qu'elle n'est pas une ennemie en lui montrant un quotidien qui reproduit l'appel.

~Certes, dans ce texte, Cendrars fait preuve d'un grand patriot~sme envers la France, sa "seconde patrie".

c'est en France, dit-il avec les autres signataires qu'il a trouv~ sa' "nourriture matérielle". Si, "au milie~ de la plus

formidable conflagration qùe l'histoire ait pu enregistrer", il sent le "besoin impêrieux" d'offrir ses bras au pays qu'il

chérit, sans doute croit-il alors l la justice de cette

guerre. "Tout homme digne de ce nom dOit,agir", c'est-à-dire

doit défendre le sol national contre les barbares: tel semble

."

(3) cit~ dans Hughes Richard, ·Blaise Cendrars s'en va-t-en guerre", Le Journal de Genève, no. 229, 2-3 octobre 1965, p. Ill: ..

(4) Une "coqui1le·, nous dit Cendrars d~s 'La Main COu~e, p. 405. -

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~tre 'le sens v~ritable, a peine mitigé, de cette phrase.

N~anmoins, outre ce patriotisme très évident,

on peut croire qu'un autre mobile a aussi poussé Cendrars

A s'engager: ses difficultés p~cuniaires. En effet, durant le mois de juillet 1914, la situation financière du poète

laisse beaucoup à'désirer. Ayant un garçon de trois mois o·

et la mère de ce dernier A nourrir, Cendrars s'ingénie A trouver du travail. Mais malgré toute sa bonne volonté,

il n'est guère capable d'aider aux tâches familiales. Vers

le milieu de l'ét~, apr~s avoir passé quelques semaines à

la campagne A travailler aux champs, il nIa plus un sou en

poche. Cendrars, nous dit Féla, en vient A perdre. patience:

.•• il fondait en larmes. C'était deux enfants que j'avais ~ soigner. (5)

Et, plus loin, 'elle ajoute au sujet de son d~sir de s'engager: l

Il me demandait de le conseiller: f~lait-il qU'il parte ou qu'il reste? Il ne pouvait se décider ~ me laisser et ne' pouvait se rêsoudre A rester les bras crois~s. Ici il était retenu, la il ~tait attiré. Je ne le retins pas, et lui r~pondis: "Si tu sens que ton devoir est de part~r, pars., Moi, je me ' débrouillerai." (6)

Chez la plupart des biographes de Cendrars, l'enga­gement militaire de l'auteur apparaît sous un tout autre jour.

A. T'Serstevens, bien qu'il s'efforce constamment de démystifier le pseudo-aventurier que fut Cendrars, écrit au sujet de son

eng agamen t :

(5) Féla poznanska-Cendrars, Récit d'une vie, dans Inédits secrets, p. 377. 1

(6) Ibid., p. 379

Il

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Je m'en .voudrais de parler ici d'amour pour la France et autres poncifs trico­lores. C'~tait pour lui une merveilleuse occasion de satisfaire son goOt pour l'Aventure, et la guerre ~tait sans doute la plus chaude que pOt rêver' un homme de sa trempe. (7)

De faï t, dans son

entendre que son geste tenait

d'aventure et de danger:

oeuvre, Cendrars nous laisse vraiment de sa soif

Je m'êtais engag~, et comme plusieurs fois d~jA dans ma vie, j'~tais prêt A

. aller jusqu'au bout de mon acte. (8)

Mais dans La Main coupêe, Cendrars raconte aussi qu'au cours de la guerre, quelqu'un lui avait demand~ la raison

d de son engagement volontaire. L'auteur aurait alors

rêpondu:

1 • 1

- MOi ? Parce que je dêteste les Boches! (9)

Prenant ces paroles au pied de la lettre, un des nombreux biographes d'occasion de Cendrars n.'h~site pas l affirmer

10

que le poête d~testait les Allemands "avec cette rare passion des Sui~ses al&aaniques ayant optê pour la France". '(10)

Peut-être devrait-on toutefois s'arrêter sêrieusement au souci de fraternitê humaine de notre Parlant du poête allemand Rilke, Cendrars ~crit dans

foudroy~:

plus auteur. L'Homme

\

••• qu'~tait-il devenu alors que j'êtais soldat ? Lés journaux disaient qu'il s'fitait rêfugïê en Su,isse. Comme si la place d'un" po~te

(7) A. T'Serstevens, L'homme que fut Blaise Cendrars, p. '28. (8) Blaise Cendrars, La Main couPée, p. 413. (9) Ibid., p. 526. (lO)Jean Bubler, Blaise Cendrars, COllection ·Cfil'britês

suisses·, Editions du p~orama, Bienne, 1960, p. 62.

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n'est pas parmi les hommes, ses f~êres, quand cela_va mal et que tout croule, l'humanit~, la civilisation et le réate.· (11)

Il ne serait certes pas n~gligeable de vpir dans cette

solidarit~ approfondie avec les hommes un Jotif humanitaire qui a pu peser dans l'engagement de Cendrars, poête moderne,

d~fenseur de l'esprit nouveau et soucieux du bonheur terrestre

de l'humanit~.

o Lorsqu'il signe l'appel aux étrangers amis de la

France, Cendrars est donc loin de céder uniquement h l'attrait

de la vie danger~se. Il nous .faut alors reléguer assez loin l'opinion de no~~x biographes qui 'ont vu dans l'engagement militaire de Cendrars la possibilité pour l'auteur de mener une vie violente et sportive. Cendrars d'ailleurs avait déjA imaginé dans La Prose du Transsibérien un tableau três sombre

, ~e la guerre russo-japonaise de 1905: .

En Sibérie tonnait le canon, c'était la guerte La faim le froid la peste le choléra Et les eaûx limoneuses de l'Amour charriaient des millions de charognes (~~.)

\

A Talga 100,000 blessés agonisaient faute de soins' J'ai visité les h8pitaux de Krasno!ark Et 'a Khilok nous avons croisé un long convoi de soldats fous J'ai vu dans les lazarets des plaies b~an~es des blessures qui saignaient'A pleines orgues Et les membres ,amputés dansaient autour ou s'envolaient dans l'air rauque. (12)

Le 'climat d'horreur qui apparatt ici hisse croire que le poête

ne se faisait aucune illusion sur le caractêre exaltant des champs de bataille.

(11) (12)

Blaise Cendrars, L'Homme ~oudroyê, p. 72. Blaise Cendrars, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, Tome VI; Oeuvres 'cQmplltes, EditIons Denol1, Pari~ 1963, p. 50.

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·. '"

- 31 - •

Ayant ét~ feproduit ~ans les journaux plusieurs

fois par la suite, l'appel Canudo-Cendrars fait affluer plu­

sieurs milliers d'étrangers dans les casernes. (13) Le 7 aoat,

dans le Journal officiel, parait l'avis suivant:

Les étrangers qui désireraient contracter en France un engagement pour la durée de la guerre se présenteront au bureau de recru­tement le plus pfoche de leur résidence A partir du 21 août. Ils seront admis au titre de la ~gion étrangère. (14)

Le 3 septembre, Cendrars est reconnu nbon n et

signe aux Invalides son engagement définitif sous le nom

de Fréd~ric-Lo~is Sauser. (15) Une fois enr61é, il se

voit affecté non dans la Légion étrangère, mais dans un er .

régiment spécial de volontaires étrangers, le 1 R~giment

Etranger de Paris, 6e compagnie, Se escouade, Se bastion.

Caserné A Reuilly, il est nommé soldat de première classe, faisant fonction de chef d'escouade, faute d'autres gradés.

En septembre, le régiment de Cendrars compte

parmi ses membres un bon nombre de Chemises rouges garibaldiennes

et des Russes. Le mois suivant, cette unité mal entraînée

(13)

(14 ) (15)

88,000, selon Cendrars; Cf. La Main cou~e, p. 404. Hughes Richard est d'avis que, si l'on t1ent compte' des engagements contractés dans toute la France, au moins' 10,000 Suisses se seraient epr6lés; Cf.. "B1aise Cendrars s'en va-t-en a:erre·, p. III. cité par Hughes Richar , Idem. C'est le seul nom de l'auteur qui figure dans les archives des autorités militaires françaises. Cendrars, dans La Main coupée, p. 405, prétend qu'il a signé son engagement "d'un faux nom anglais·, qu'au régiment, il est resté ~un inconnu" et que "nul ne savait" qu'il était écrivain. Or, d~s le deuxi~e numéro du Bulletin des Ecrivains combattants, son pseudonyme d'artiste apparaît en toutes lettres ••• Mais c'est sous son vrai nom qu'il épousera Féla, le 16 septembre, avant son départ pour le front. ~

.1

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• /

-: 32

est envoy~e au front, à pied, les cadres venant du Corps J

des sapeurs-pompiers de Paris. Cependant, les hommes ne

sont pas men~s tout de suite au combat; leur mission est

de préparer déjà la grande (mais malheureuse) "offensive

de printemps". A la ~in de l'année 1914, le r~giment se

trouve très éprouv~ par le froid et le surmenage. Amput~

des Chemises rouges et des Russes, qui ont form~ une l~gion'

nation~le, il est dissous pour former bientôt avec des

légionnaires venus d'Afrique le 3e ~giment de Ma~che du \ 1

1er Etranger. Cendrars et ses camarades sont ainsi vers~s,

bien malgré eux, dans la Légion ~trangère.

Le 17 janvier 1915, soit le l66e jour de guerre,

le journal L'Intransigeant annonce que "Blaise Cendrars, qui s'est engag~ au 1er Etranger, a ~té nomm~ caporal". (16)

Le Bulletin des Ecrivains qui essaie de rester en liaison

avec les ~crivains engagés reprend la nouvelle en y ajoutant

l'adresse de l'auteur-combattant: "3e Régiment de Marche du 1er Etranger, 6e compagnie, 2e section". (17) , Dans La Main ~

coupée, Cendrars appelle ée régiment "le 3e dém~nageur",

parce gue dit-il, "nous avions servi de bouche-trou dans les

plus sales coins du front du Nord". (18)

Au cours du pr;ntemps 1915, le premier Etranger • c,

se trouve à la pointe extrême du combat. Cendrars; dan~, La Main coup~e, raconte en détails l'histoire de cette campagne.

Il rapporte que son Unit~ devait se d~placer continuellement

de la Marne à la Somme et souligne combien ces changements de

position déprimaient les soldats:

(16)

(17) (18)

L'on restait quatre jours en ligne et l'on redescendait pour quatre jours a l'arrière,

Cité p~ ~ughes Richard dans "Blaise Cendrars s'en va-t-en iderre", p. III. • 1 eDl. B1.aise Cendrars, La Main coupêe, p. ,410.

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- 33 -

et l'on remontait al' avant pour quatre jours, et ainsi de suite jusqu'a la fin s'il devait jamais y avoir une fin a cette triste histoire. Les poilus ~taient d~cou­ragês. Ce va-et-vient êtait bien la plus grande saloperie de cette guerre, et la plus démoralisatrice. (19)

, 1

Lorsqu'ils quittent la premiêre ligne, les' hommes ~

de front se retrouvent dans les cantonnements de l'arri~re,

dans des baraquements si inconfortables que cendrars dira:

Ces .cantonnements êtaient la deuxibe grande saloperie de cette querre. Il y avait de quoi vous foutre le cafard. On logeait dans des granges d~glingUêes. On couchait sur de la paille pourrie dans laquelle les hommes enfouissaient non pas leurs pauvres guibolles esquintêes, mais ces saucissons de Chicago qui schlinguaient, qu'on .lWpelait 'de "la ~iande êlectrique- car aussitôt port~e , la bouche, elle vous soulevait le",.coeur (c't!tait instantanê!) et dont les rats se ~galaient comme de la bonne merde. (20)

" ,

Le rêg~ent de Cendrars occupe ainsi les principaux seoteurs du front du Nord: Notre-Dame de Lorette, la cr@te vimy, le Bois d~ la Vache,·rrise, Tilloloy, la Grenouill~re, la ferme Navarin. Presque toujours, les soldats doivent se dêplacer

, 1 brusquement, lorsqu'ils s'y attendent le moins, venant a peine

de s'habituer au poste qu'ils occupaient:

Nous autres, on serait bien rest~s jusqu'a la fin de la guerre l l~ Grenoui1l~re, telle­ment on y êtai t pê~re; mais quand on descendait, on ne savait jamais si l'on allait y remonter, et ce1~ c'était bien la troisi~e grande salo­perie de cette guerre que de ne jamais savo~ si l'on reverrait le coin tranquille que vai~ que vaille on s '~tait amênagê. (21) "

(19) Blaise Cendrars, La Main coupêe, p. 442.' (20) Idem. (21) Idem.

(l , ,

; . ".,. cf.

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'~ ~ ----, --_.' ~~ -_ .... -......,

o

- 34 -

Au front, Cendrars n'~crit presque pas. A

part quelques cartes-correspondance envoy~es à sa femme

et à ses amis intimes, il ne produira, semble-t-il, qu'un

seul poème: Shrapnells, publié en 1919, mais écrit en

octobre 1914. Plus tard, il affirmera ne pas avoir écrit

du tout, pas même un mot à sa femme; il refusera de faire . partie de l'association des "Ecrivains anciens combattants",

soutenant avec fermeté: p

On est combattant ou l'on est ~crivain. Ouand on ~crit, on ne combat pas à coups de fusil, et quand on tire des coups de fusil, on n'~crit pas, on écrit apr~s. (22) Au front, j'étais soldat. J'ai tiré des coups de fusil. Je n'ai paS écrit. (23)

En juillet 1915, C~ndrars obtient sa première

permission. Il se rend à Paris, puis va retrouver Féla à Forges

'~1' --------(22)

(23) (24) (25)

(26)

Blaise Cendrars, Blaise Cendrars vous parle, TOme VI'II, Oeuvres compl~tes, Editions Denoêl, Paris, 1965, p. 206.­Blaise Ce~drars, La Main coupée, p. 405. Cf. Ibid;, p. 469. Cendrars s'est enr6l~, on l'a vu, le 3 septembre 1914; il sera réformé au début d'avril 1916. Il n'aura donc été soldat que dix-neuf mois, dont sept en convalescence. Blaise Cendr'ars, Moravaq ine " Tome IV, OeuVres complètes, Editions Denot!l, paris, 1960, p. 431,.

ù

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"

- 35 -

par Barbizon on elle passe l'été avec son enfant et une

amie. Dans L~Main coupée, lrauteur qualifie cette per­

mission (de quatre jours, aller-retour çompris) de "folleo

équipée" (27). Il nous parle de "ribote" et de "saoulo­

graphie", d'un 14 juillet au Chabanais, mais, ehose bizarre, ne mentionne aucunement son séjour chez sa femme,

qui selon celle-ci dura trois jours complets~ ••

De retour au front, Cendrars rejoint son régiment ,

A Sainte-Marie-Ies-Mines (Haute-Saône'). Il n'a jamais voulu

quitter ses camarades, ayant 'refusé plusieurs offres de

promotion ou de mutationudans l'aviation:

Il n'y avait pas tout A fait un an que nous étions ,J3oldats, nous les -plus vieux, et déjA nous avions appris A~ésespérer de tout, nous les survivants. Environ 200 hommes avaient déjA défilé dans mon escouade. Je ne croyais plus A rien. û

Mais qu'il me semblait bon ( ••• ) vivre! (28) u

~

Mais avant l'offensive de Champagne en septembre

1915, Cendrars et ses compagnons se v9ient affectés dans un

autre régiment. La plupart des nations ayant constitué des

corps nationaux indépendants, les survivants du "3e dêménag~ur"

sont versés directement dans la Légion d'Afrique, division

maroéaine. 'J Dans une carte-correspondance des armées de la

Rêpublique envoyée par Cendrars au'mois d'aoOt, il est dit u

que l'expéditeur fait partie du "2e Régiment de Marche, 1er

Etranger, Bataillon B 3". (29)

Le 5 septembre, Cendrars écrit dans les tranchées

une carte-militaire au sculpteur suisse. August Suter. Le texte

de cette carte nous éclaire beaucoup sur l'état d'âme de

l'auteur:

(27)

(28) (29)

o

Blaise Cendrars, p. 380-381, pour Blaise Cendrars, Blaise Cèndrars,

o

La Main cou~E!" p. 365; Cf. Infdits secrets, , la version que~éla donne de cette permission. La Main Coupée, p,. 344. înèd1ts secrets, p. 398.

b

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36 -

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':J\fu Cher ~,èl 0

(D~but~caviard~ par la censure.) Buve~, buvez. - J'ai bu d'un seul trait tou~e une année de guerre, sans m'en aper~evoir. Et je n'en suis pas plus saoul quu~vant.. C'est vieux, vieux -guerre# c~ons, F~la, sang, ba€ailles, mines, mon fils, mes livres, les morts -je suis plus seul,et plus d~tach~ que jamais. IJ;, n 'y a plus que des choses comme ,les aventures du G~néral Suter qui m'intéressent encore, et non pas sa vie, mais les sursauts-intimes de sa conscience. J'y peI1;se souvent. ( •.• ) (3~)

" A la fin sep~embr~ 1915, Blaise Cendrars et son '.\

unité se trouvent en Champagn~, A*~ ferme Navarin. Mardi, U \,) l.·,,~

D 28 septembre; Cendrars, miraculeu~ment0épargné jusque-lA, -\ .

est grièvement blessé: (31) une b;!le de mitraillette déchi-

quet~e son avant-bras droit. Vers l'arrière~ au Poste chirur-. \., ...

gical 55, on l'ampute ·au-dessus du coude. Une ambulance

l'emmème à Châlons-sur-Marne, à l'évêché de Sainte-Croix qui J 0

sert pfovisoirement d'hôpital militaire •. Quelques jours plus

tar~, il ~crira de sa main gauche à un qmi:

UMort de Remy de Gourmont. Pouvez-vous -.m'envoyer journaux la relatant? J'ai le

bras droit amputé. Cela me rajeunit jusqu'au. barbouillage. C ••• ) (32)

" ~emYode, Gourmont, l'éc*v,ain qu'il admirait tant

était mort le 27 septembre, presqu'au même moment où il perdait

son bras. Cendrars verra là plus qu'une cofncidence. Il

répétera d r ailleurs souvent cl,ans son oeuvre qu r il a été blessé

le j~ur même de la mort "du maître vénéré. 1" ~

(30)

(31)

(32)

(

Blaise Cendrars, Inéd~~ secrets, p.' 399. Suter, un ami personnel de Ceddrars depuis 1911, atfirmait @tre le petit­fils de JOhann-August Suter, le fameux pionnier de la Californie, dont Cendrars fera le héros de son roman L'Or en 1925. , ---­Cf. Hugues Richard, "Blaise Cendrars s'en va-t-en guerre", p. III. ._ Idem.

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\

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, "

- 37

,

• pour poursuivre sa convalescence, Cendrars

est transport~ à l'Hôpital auxiliaire du lycêe Lakanal,

lit II, ~ Sceaux (Seine). C'est là qu'il êcrira à ,August

suter: yous' avez raison, deux jambes et une

main suffisent, car je m'exerçàis dêjà à saisir tout avec la main gauche. Mainte­nant, je ne saisirai plus qu'avec elle. Par l'esprit et le courage, je me sens gaillard. J'ai encore de-la ~eine à, ~crire. Aussi, je ne pourrai plus travailler pendant un certain temps. C'est dommage, ca~ j'en aurais envie. ( ••• ) (33)

Lorsque sa femme le vis~te à l'hôpital, elle lui

a~nonce sa deuxième grossesse. Selon Fêla, Cendrars se sent

3 nouveau accablé par le poids de la' famille:

Freddy pleurait davantage sur l'accroissement de la famille que sur son propre malheur. (34)

(i

\ Le 23 février 1916, L'Intransigeant fait paraître

la noùve1le suivante:

Le poête Blaise Cendrars qui a perdu l'avant­bras en Champagne vient d'être dêcoré de la médaille militaire et de la croix de guerre avec palme. Voici le texte de sa citation: "Engagé volontaire, s'est signalé par son courage et son énergie. A ét~ grièvement bless~ au cours de l'attaque du 28 septembre 1915." (35)

Au d~but d'avril, Cendrars est réform~: il regagne

paris. Féla donne bientôt naissance ~ un deuxiême garçon qu'ils

(33) Blaise Cendrars, Inédits secrets, p. 399. (34) Ibid., p. 382. (35) Cité par Hughes Richard, dans "Blaise Cendrars s'en

va-t-en guerre", p. III

-o

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D

- 38 -

appelleront Remy, en l'honneur de l'écrivain tant aimé.

Dans l'un des derniers livres qU'il a pUbliés, Trop c'est

trop, Cendrars nous laisse croire qu'une fois démobilisê,

il a retrouvé dans la c~pitale quelques-uns de ses amis " 1 d'avant-guerre et qu'il -a essayé, aussitôt, de noyer dans

l'alcool sa misère physique et morale:

C'est dans ce même "Hôtel de la Paix" que Modigliani et moi avons bu tant de gros rouge en 1916, trinquant ~ l'humanité et honnissant la guerre ~ qui mieux mieux, des nuits entières, avant le départ de Lénine et de Trotsky pour la Russie. (36)

Pourtant, dans Notre grande 'offensive, un texte ~

trè's pref éc~i t au début de 1916, &endrars est loin d'honnir

la guerre. Il va~squ'a avouer, .

Il est~Qes moments oil, pour exagéré que cela semble, on a la nostalgie du feu, où , l'on r'ègrette son bras amputé, oil l'on vou­drait pouvoir reprendre contact avec la fièvre de là-bas, danser de nouveau dans le

~and bâl aux orchestres bruyants. Et cela, rtout au moment de la grande offensive.

élàs! il faut ronger son frein, se ~ésigner et vivre de souvenirs ••• Nous, ceux du début

'qui avons été touchés trop tôt, notre tâche est terminée. Place aux "Bleuets" de la classe l6! (37)'

En même temps, nous trouvons chez Cendrars 1es

Ct accents d'~ patriote convaincu. Dans un autre texte succint 'àe la même époque, COuelques villages de la Somme, il se montre

plein de tendresse pour ses camarades de combat morts pour la

patrie:

----------------~~o',~ .~ (36) Blaise Cendrars, Trop c'est trop, Deno!l, Paris, 1957,

reproduit dans re Tome VIII, Oeuvres compl~tes, Editions ..... nenoêl" ~ari', 1960, p. 94.

(37) Reproduit dans Inédits secrets, p. 400.

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- 39 - 1

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Le nom du héros était gravé sur une croix de bois habilement sculptée. Nous nous faisions un devoir sacré de veiller ainsi a l'embellissement de la dernière demeure de ceux qui sont tombés glorieusement pour le Pays, loin des leurs, et nos lourdes mains 'de poilus avaient des gestes tendres de mains maternelles. (38)

Le 19 novembre 1916, les journaux révèlent que

Cendrars a été l'objet d'une deuxième citation à l'ordre de

l'armée:

Coup de feu au bras droit, le 28 septembre 1915, à"Souain (Marne). Bien que grièvement blessé au début de l'attaque du 28 septembre, et épuisé par la perte de son sang, a continué à entraîner son escouade et est resté avec elle jusqu'à la fin de l'action. (39)

Phénomène intéressant, plusieurs journaux et

revues qui jusque-là avaient été franchement hostiles A

Cendrars lui demandent maintenant des textes et des poèmes.

L'auteur se produira alors beaucoup, allant même jusqu'A'

fréquenter les salons et ~es cafés littéraires en exhibant

sa croix militaire (40). Ce n'est qu'à cette époque

d'ailleurs que ses poèmes seront découverts par un public

lettré plus large.

Vers la fin de 1916, Cendrars fait paraî~re

La Guerre au Luxembourg. Dans ce po~e de tendresse et de

confiance en une paix prochaine, la guerre apparaît comme

un jeu d'enfants, un divertissement sans danger:

(38) (39)

(40)

, ( ) 00 ... Il n'y a que les petits enfants qui jouent l la guerre ( ... ) L'artillerie improvisée tourne autour des barbelés imaginaires

Reproduit dans Inédits secrets, p. 402. Cité par Hughes Richard dans Malaise Cendrars s'en va-t-en guerre", p .. III Cf. Idem.

D

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- 40 -

Un cerf-volant rapide comme un avion de chasse Les arbres se d~gonflent et les feuilles tombent par-dessus bord et tournent en parachute , Les 3 veines du drapeau se gonflent à chaque coup de l'obusier du vent Tu ne seras pas emport~e petite arche de sable Enfants prodigues, plus que les ing~nieurs On joue en riant au tank au gaz-asphyxiants au sous-marin-devant-new-york-qui-ne-peut­pas-passer ( ••• ) (41)

Mais dans un autre texte intitul~ J'ai tu~

qu'il publie en 1918, l'auteur donne une image tr~s diff~rente \

de la guerre: celle d'une abominable tuerie, qui! sert en quelque

sorte de prologue à un livre qu'il ~crira trente ans plus tard

au sujet de son ex~rience militaire: La Main cou~e. C'est

surtout dans ces deux oeuvres que Cendrars nous" dit que la - q }~,

guerre a laiss~ chez luA des traces indélébiles et on son

séjour au front apparaît comme une expérience tr~s-pênible.

cendrars rend alors hommage aux soldats qui, comme lui, ont

bout sacrifié à une cause qu'il juge maintenant aussi absurde "

qu'inhumaine.

(41) Blaise Cendrars, La'~uerre au Luxembourg, Niestl~, Paris, 1916, reprodu1t dans Dû MOnde entier, p. 111 et 113. (

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CHAPITRE III

LE SOLDAT DANS LI OEUVRE DE CENDRARS

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Ayant fait la guerre en volontaire, au

milieu de volontaires, Cendrars a donné une image

tr~s particulière du soldat. Nous essayerons, ici,

de montrer les caraçtéristiques essentielles de ce

dernier.

Nous avons vu, au chapitre précédent, que

Cendrars, une fois engagé, avait été affecté' dans un régiment de volontaires, qui ne faisait pas partie

de la véritable Légion étrang~re. Quelques mois plus , ,\

tard, le ~giment fut dissous pour être ver~é dans le

premier Etranger, l'un des ré~iments de la Légion. Cendrars fait remarquer dans La Main coupée que ce

changement provoqua chez ses compagnons une d~moralisabion

générale, tellement le renom de la ~9ion éta~t sinistre.

Ayant horreur de la Légion, les officiers quitt~rent même le régiment pour aller rejoindre un état-major ou

une unité réguli~re de l'armée française.

Cendrars, quant à lui, ne s'inquiétait nullement

de cette mutation:

Légion ou pas Légion. Personnellement cela me laissait absolument indifférent. (1)

Au contraire, il s~intéressa aussitôt l ces

légionnaires épris de liberté, qui étaient toujours_en quête d'aventures.

Dans L'Homme foudroyé, Cendrars présente ,-,

d'abord les légionnaires comme des hommes très instables,

des -éternels insatisfaits". -Il résume ainsi leur caractè~e d'aventuriers:

(1) Blaise Cendrars, La Main cou~e, p. 413.

r· J

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- 43 -

c

bravoure, chansons, j'm'en-foutisme, cafard, terribles saoulographies, disci­pline, propret~ corporelle, coquetteries d'hétafres, d~fi, h~rofsme. (2)

Il précise que ces légionnaires sont généralement de grands vantards qui se fabriquent une légende 3 laquelle ils finissent par croire. Dans son dernier roman, Emmême­moi au bout du monde, on peut voir un tel l~gionnaire:

i •

c'est u~ personnage haut en couleurs dont le corps se rév~le décoré dè tatouages suggestifs et qui proclame

fiêrement:

On ne me passe pas les menottes C ••• ). J'ai horreur d'être embarqu~ et je ne me laisse pas faire, une fois suffit! J'ai d~j3 port~ les fers aux pieds, J'ai été cond~é 3 mort, et "vive la libert~! Je ne me laisse pas mettre le grappin dessus. (3)' 1

cendrars avoue que ,les légionnaires étaient moralement

dêpravês et avaient rendu ~niques nombre d'engàgés volontaires. Mais même s'il les-peint tr~s souvent

comme des lurçms, des saoulards et des @"tres sCabreux-,

il leur conserve beaucoup d'admiration:

Etre un homme. Et découvrir la solitude. Voill ce que je dois l la IAgion et aux vieux lascars d'Afrique ( ••• ) qui vinrent nous encadrer et se mêler a nous en cama­rades, des ·desperados·, les survivants de Dieu sait quelles épo~es coloniales, mais qui-étaient des hommes, tous. (4)

\

(2) Blaise Cendrars, L'Homme foudroyê, p. 52. (3) Blaise Cendrars, Emmlîîe-moi au bout du monde, Tome VIII·

Oeuvres complêtes, Ëditions DenoêI, paris, 1964, p. 195. (4) Blaise Cendrars, La Main doup6e, p. 413.

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- 44 -

Ces aventuriers conservent toujours aux yeux de

l'auteur un côt~ d~sint~ress~ qui les rend tr~s par­

ticuliers:

••• chacun d'eux était prêt A payer de sa personne, pour rien, par glo-riole, par ivrognerie, par dêfi, pour rigoler, pour en mettre un sacr~ coup. (5)

Mais ces "desperado&" se distinguent finalement des

autres soldats par un désabusement irr~médiab1e:

••• chacun ayant subi des avatars, un choc en retour, un coup de bambou, ou sous l'empire de la drogue, de l'alcool, du cafard ou de l'amour avait déj~ été rétrogradé une ou deux ' fois, tous étaient revenus de tout. (6)

Dans La Main coupée, nous trouvons un défilê

impressionnant de l~gionnaires. La plupart se ressemblent

A bien des ~gards~ mais chacun ,a ses attributs qui le

rendent singulier. Le plus souvent d'ailleurs, il ne sont pas des-anciens ~'Afrique et forment le groupe de légion­naires ~trangers appelés par Cendrars les "bleus", par

<~position aux véritables lascars des colonies.

Raphael Vi~il, le premier légionnaire A

apparaitre dans La Ma j n coup6e, n'a rien d'un soldat " '

êmêrite: &C'éta~t un gentil garçon, un aimable je-m'enfichiste et fantaisiste, mi­peintre, mi-musicien, ayant le mot pour rire, toujours prAt l vous rendre service en parole~ mais n'aimant pas mettre la main a l'ouvrage, un v~ritable soldat a la manque. (7)

(5) Blaise Cendrars, La Main coup~e (6) Ibid.,·p. 414. (7) Ibid., p. 342.

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.' 1

- 45 -

Se faisant passer pour malade, Vieil est d~mobilisê a Nice sans aucune difficulté.

L'Italien Rossi ressemble, quant â lui, â

un hercule col~reux. Il s'enrage facilement mais demeure inoffensif, car il a peur de sa prodigieuse force musculaire. Il ne se saou~e pa$ de vin~ ce qui est la tradition A la L~gion, mais de "boustifaille". Il abhorre le langage obsc~ne de ses camarades et pr~fêre ~crire ~ sa femme au lieu de partager l'exu­b~rance grivoise des membres de l'escouade. De plus, . dans les tranchêes, il s'enrhume facilement et est vite d~oralis~.

Lang, le Luxembourgeois, est d~crit comme "

le plus bel homme du bataillon. C'est un bourreau

des coeurs, un homme ~ femmes, m.~s qui, au front, dê~rit tellement il a le ·cafard", êtant privê d'adulation et des succês faciles aUxquels l'ont habitu~ les ouvriêres de son pays. Il s'est engag~

, simplement parce que l'uniforme lui seyait et a pris

, soin, avant d'aller au front, de se faire tirer des centaines de photographies qu'il transporte toujours avec lui. Il reçoit un courrier volumineux et r~pond a toutes ses amoureuses ou admiratrices, glissant dans chaque lettre une de ses photos,. Cendrars s,e montre assez s~vêre envers lui:

C • êtai t un sqldat A la con. Quand son cafard le tenait, il êtait plua emmer~ dant qu'une feDllle qui a .,es affaires. Il avait la migraine, b~yait du dbir, 'tait franchement insupportable et faisait de la neurasthênie aigue. ' En­core un hyst'rique. Dieu que ces granœ

.'

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.. 46 -

et solides gaillards sont des poules mouillées! (8)

l, Dans sa chronique de la guerre, Cendrars met , en sc~ne plusieurs autres soldi±s fort étonnants dont

les portraits sont "peints en larges touches de couleurs . . vives, faisant ressortir presque caricaturalement le

l, '

traib saillant, A la Van Gogh." (9) Quelques-uns restent

inoubliables, tel Sêgouana l'érotomane invêtêrê, , . BikofÎ, le solitaire qui ne reçoit jamais de courrier,

plein-de-Soupe,le lieutenant maladroit qui mêprise ses

hommes, Griftith, l'ancien égoutier de Londres qui, avant

, ~ la guerre, a découvert un passage secret conduisant aux

caves de la Banque de Londres, Colon, le Canadien, venu

s'engager avec 300 ch~vaux dont personne ne veut. Sauf

Griffith,' qui est cynique et sceptique, ces volontaires

étrangers "amis de la France" ne sont pas dés~sês comme

lesJlégionnaires typiques. Cer~ains d'entre eux se sont

engKgés pour mériter la naturalisation française ou obtenir

la régulafisation de leur situation politique. Beaucoup ." L

sont verius-de l'étranger pOur la dur~e de la guerre et . comptent retourner dans leur pays d'origine.

Ainsi, on peut co~stater que le soldat, chez

Cendrars, est ou un aven~urier désabusé arrivant des

'colonies ou un étranger qui s'est engagé librement par

~ur pour la France. Dans les deux cas, même s'il

poss~de0le physique d'un homme fort, ce soldat n'a pas

l'étoffe d'un héros. Au fron~, il est en proie l un,

~ cafard presque continuel et ne s'acclimate pas lIa'

r.

\. ' (8) Bla1se Cendrars, La Main oou~e, p. 352. (9) Jean-Claude Lovey, Situation e Blaise 'C~ndrars, p. 63.

l,

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e,

,-, Jk-

- 47 -

~ ..... vie des tranchées. Il n'est jamais le combattant

valeureux auquel nous ont habitués les récits de guerre traditionnels, qu'ils soient historiques ou

légendaires. Nous assistons plutôt, ,A "un débou­lonnage de mythes, d'idoles, de fausses grandeurs".

(10)

Bien qu'il soit tr~s souvent orgueilleux

et vantard, le soldat chez Cendrars est rapidement démoralisé, et lorsqu'il se retrouve devant l'ennemi, l'arme à la main, toutes ses prétentiœns disparaissent.

La guerre, alors, n'~st plus une aventure collective

00 chaque soldat se sent lié A l'autre, mais une expé­rience personnelle. Dans J'ai tué, ce sentiment d'indi­vidualité au combat app~rart ~'une façon tr~s signifi­

cative:

Les balles crépitent. On avance en levant l'épaule gauche, l'omoplate tordue sur le visage, tou,t le corps / désossé pour arriver A se faire un bouclier 'de soi-même. On a de la 1

fi~vre plein les tempes et de l' an- &.~, ; goisse partout. On est crispé. Mais ~:,'.! on marche quand même, bien aligpé et avec calme. Il n'y a plus de chef ga­lonné. On su~t instinctivement celui qui a toujours montré le plus de sang froid, souvent un obscur homme de troupe. Il n'y a plus de bluff. Il y a bien encore quelques braillards qui se' font tuer en criant: "Vive la France" ou "c • est pour ma feJ1llle!" Généralement, c'est le plus taciturne qui commande et qui est en tite, suivi de quelques hystériques. voilA le groupe qui stimule les autres. Le fanfaron se fait petit. L'âne brait. Le.'licJlae se cache. ~ faible tombe sur les genoux.

(10) Jean Rousselot, Blaise Cendrars, Editions univer­sitaires, paris, 1955, p. 44.

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'c - 48 -

Le voleur vous abandonne'. Il y en a qui e~comptent d'avance des porte-mon­naie. Le froussard se carapate dans un trou. Il y en a qui font le mort. (11)

,Cendrars rejette le mythe du soldat \

h~rorque qui se bat pour sauver la Patrie. Avant tout, le soldat qu'il nous pr~sente Ra c9nscience de vivre sa propre aventure on la ruse, l'~gofsme,

l'adresse, la prêvoyance, l~ prudence, interviennent

autant que la force, l'intelligence, la pesanteur ou

la fatalit~". (12) Devant assumer seul sa d~fense, ce

soldat ressemble A un animal de combat, A un singe

tuant d'autres primates comme lui: D o

Me voici les nerfs tendus, les muscles band~s, prêt A bondir dans la rêalité. J'ai bravé 'la torpille, le canon, les mines, le.feu, les gas, les mitrailleuses, toute la machinerie anonyme, dêm9niaque, syst~matique, aveugle. Je vais braver l'homme. Mon semblable~_ Un singe. Oeil pour oeil, dent pour dent. (13)

. Se montrant plein de compassion pour ce ·pauvre bougre" \

(14), Cendrars estime qu'il se fait tuer "sans savoir ~,

,comment ni pourquoi·. (l5<)'.Im sacrJ:fiant tout pour une

cause inutile, il est devenu prisonnier de la "machinerie

anonyme, démoniaque, systématique, aveugle" (16) de la

guerre.

(11)

(12) (].3) (14)

(15) (16)

Blaise Cendrars, J'ai tué, d~s Aujourd'hui, p. 150-151. Jean Rousselot,"Blaise Cendrars, p. 43. Blaise Cendrars, J'ai tu~,dans Aujourd'hui, p. 152'. Cendrars emploie plusieurs fois lès mots -pauvre bougre" pour quali~ier le soldat, notamment dans J'ai tu~, dans Aujourd'hui, p. 151 et dans La Main cou~e, p. 345 et 543. Bla1se Cendrars, J'ai tu~, dans Aujourd'hui, p. 151. Ibid., p. 152.

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o - 49 -

Cendrars, qui se voulait libre avan~ la

guerre, a accepté la disci~line militaire et s'est

vu forcé de marcher "bien aligné" (17) comme se~

comgagnons. Mais il en "résulte chez lui un fort ~ "_) '~~

sentiment de révolte, car en dénonçant la "machinerie" . " '(18) de la. guerre, il rejette aussi ses "chefs galonnés".

('

(19) Ceci nous paraît important, car autant il com-

patit avec les soldats volontaires en leur rendant

hommage, autant il fait preuve d'av~~sion envers les

généraux ou les officiers de l'armée en les jugeant

tr~s sév~rement. (:

Dans La Main coupée, nous trouvons une

critique acerbe de l'administration militaire. Le c

moindre petit événement sert tr~s souvent de prétexte

A cendrars pour accuser l'armée. Nous sav?ns q~e Cendrars, durant la première guerre mondiale, faisait

des photographies pour le compte de certains journaux

français. Mais à l'époque, il était interdit aux soldats de prendre des photos. Ayant photographié A Tilloloy

~

un Falv~}re dont le Christ pendait la tête en bas, Cendrars écoppa de trente jours de prison. L'épisode parait banal

\

en soi et ne semble témoigner que d'une stricte discipline, , .(-4~8

militaire. cepe~dant, Cendrars profite de cet incident .,

pour s'en prendre aux états-majors, les accusant de

jalOUsie et de mauvai~ foi. ü

! - ~ C)­

De plus, Cendrars estime três peu les milit~res

de métier. Parlant du premier colonel qu'il avait connu

(17) B~aise Cendrars, J'aÀ tué, dans Aujourd'hui, p. 151. (18) I1Hd., p. 152. oc::::::::

(19) Ibid., p. ~5l.

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- 50 -

apr~s son engagement, il raconte que pOur en~raîner

ses hommes, le "vieux décrépit" (20) avait eu l'idée

de leur faire faire' la route à pied, de Paris à

ROsi~res (Somme), alors que les trains spéciau~-.. .. i

..

destinés aux soldats escortaient, à vide, ces de~iers,

encombrant la voie ferrée et embouteillant l~s gares.

Cendrars ajoute ~u'apr~s ayoir vécu une manqèuvre aussi

"géniale" (21) il ne croyait déjà plus aux ~ïôgans des

stratèges;

On est initié. L'art militaire est affaire des culottes de peau. Une sale roufine. "Marche ou crève". ~(22)

convaincu que ce colonel ignorait tout de la guerre~~, Cendrar~ devait par la suite rester sceptique chaque

fois qu'un chef militaire "galonné" ordonnait une

manoeuvre.

Les officiers surtout sont la cible des

critiques les plus sév~res de Cendrars. Nous avons

déjà mentionné que, lorsque le régiment de ~endrars

fut versé dans un régiment de lêgionnaires, les

officiers se firent ~édiatement affecter dans d'autres

unités. D'emblée, et avec raison sans doute, Cendrars

~~ trai~e de déserteurs.

Dans La Main coupée, on trouve le portrait

d'un officier français petit bourgeois, fat et satis­

fait, appelé ironiquement plein-de-Soupe. Ce dernier~

ne comprend rien à la mentalité des engagés volontaires

et se montre maladroit et gaffeur. Cendrars fait \.:.,.

(20) Blaise Cevndrars, La Mai-n coupée, p. 370. (21) 'Ibid., p. 371. (22) Idem.

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- 51 -

remarquer qu~ la plupart des officiers ne comprenaient

pas non plus pourquoi des ~trangers s'~taient engag~s

'librement. Selon lui.t .. les officiers méprisaient les '>. ~ "

légionnaires, les prenant pOur un ramassis de délinquants.

Cendrars lui-même se 'sentait constamment harcelé

,p~r des sous-officiers, su~tout apr~s sa promotion au grade - de-caporal:

••• les sous-officiers de service prenaient ma pr~sence pour une bravade, tant ils me dér testaient. J'étais leur bête"noire. Ils m'avaient visé. Ils ne s'en cachaient pas. Ils me promettaient le tourniquet. (23)

Faut-il préciser que, dans cette oeuvre, les

officiers ne sont jamais des héros ? Mais alors que

les soldats apparaissent comme des "pauvres bougres", u

les membres de l'état-major s'avèrent pour leur part . des lâches et des intrigants:

, , Au feu, ils brillèrent par leur absence ou se distingu~rent par leur incapacité. J'ai beau faire des efforts de mémoire, je n'arrive pas A situer A l'avant le poste de tel ou tel lieutenant ni A dire la part que tel ou tel a pu prendre ~ l'action. ( ••• ) J:ls venaient par intrigue et repartaient dare-dare poursuivre ail­leurs leur carrière d'intrigants car aucun d'eux ne manquait de piston. (24)

En g~néral, les officiers s'apparentent au

petit bourgeois Plein-de-Soupe. Comme lui, ils se

croient d'une essence supêrieure' et sont pleins de

suffisance. Ces officiers, souligne Cendrars, n'ont

(23)' Blaise Cendrars, La Main cou~eL p. 436. (24) Ibid., p. 412.

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- 52 -

d'autre motif que de d~crocher une citation et

d'obtenir de l'avancement:

••• le but de leur carri~re est non pas de finir en h~ros, mais chacun, chef d'état-major, généralissime. ( .•• ) Pour les officiers supérieurs, il n'y a que la carrière qui compte. Il n'y a pas d'a~tre con~fdération. (25)

"Toutefois, cette assimilation des militaires

de carri~re aux petits bourge8is int~ress~s n'empêche

pas Cendrars de se montrer plus conciliant envers les

légionnaires coloniaux qui,~ leurs façons, sont aussi

des soldats de métier. Parlant du légionnaire, Cendrars

avoue que:

••• le métier d'homme de guerre est une 'chose abominable et pleine de cicatrices, comme la poésie.

On en a ou l'on n'en a pas. Il n'y a pas de triche car rien

n'use davantage l'âme et marque de stigmates le visage (et secrètement le coeur) de l'homme et n'est plus vain que de tuer, que de recommencer. (26)

Dans Moravagine, le ~arrateur éprouve beaucoup

de honte en so~geant a la tuerie a laquelle il a participé

durant la guerre:

Je ressentais jusqu'au profond des entrailles la honte d'être homme et d'avoir collaboré A ces choses. (27)

De plus, les principes moraux ou patriotiques dont se

servent les généraux lui paraissent inadmissibles et

avilissants:

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(25) Blaise Cendrars, L~ Main, coupée, p. 413. (26) Ibid., p. 414. (27) Blaise Cendrars, Moravagine, p. 402-403.

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- 53 -

" Ce qui est honteux 1 c'est de tuer en bande, telle heure, tel jour, en l'honneur de certains principes A l'ombre d'un drapeau, sous le regard des vieillards, dlune façon d~sinté­ressée ou passive. (28)

RejetaJ~ les idéologies pour lesquelles les

hommes combattent, Cendrars en vient logiquement A

trouver absurde la fonction même de soldat. Dans

les tranchées, lorsqu'il observe de son créneau de

guet le spectacle de la guerre, il ne voi~ qu'une

"grande banlieue misérable" (29) on r~g~ent le désordre

et la contradiction. A l'image déjà étudiée du soldat­

primate qui assume seul sa défense, s'ajoute celle du

soldat solitaire qui se bat pour son propre compte.

cendrars souligne alors l'absurdité ,d'une telle situation:

)

se r~sume

• •• un homme perdu dans le rang, un matricule parmi des millions d'autres, ( ••• ) (la guerre) ne semble ob~ir A aucun plan d'ensemble mais au hasard. A la formule "marche ou crêve" on peut ajouter cet autre axiome: "va comme je te pousse!" Et c'est bien ça, on va, on pousse, on tombe, on cr~ve on se rel~ve, on marche et l'on rec4mmence. De tous les tableaux des batailles aux­quelles j'ai assisté je n'ai rapport~ qu'une image de paqafe. Je me demande on les

types vont chercher ça quand ils racontent qu'ils ont vécu des heures historiques ou sublimes. (30)' ""

D'autre part, pour notre auteur, l'art militaire

1.

ft des courbes et à des chiffres,' A des directives générales, ~la r~dac.tion

(28) Blaise. Cendrars, Moravagine, p. 402-403. (29) Blaise Cendrars, La Main coupêe, p. 382. (30) lbi?, ~. 380.

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d'ordres m€ticuleusement ambigus dans leur pr~cision, pouvant servir de canevas au d~lire de l'interpr~­tation. (31)

Faisant remarquer que tous les grands chefs de guerre,

de c~sar ~ Napol€on, d'Annibal ~ Hindenburg ont ~té

défaits ~ tour de rôle, Cendrars en conclut que: , La fortune des armes est jeu du hasard. (32)

Le soldat et sa· raison d'être, la guerre, lui appa­

raissent alors fondamentalement et radicalement ab­

surdes.'

- Enfin, Cendrars constate avec peine l'~chec

de la civilisation de l'Antiquit~ â aujourd'hui et ne

voit dans la g~erre qu'une d~gradation de l'homme courant

â sa perte:

Quand on en est là, ça n'est plus un probl~e d'art, de science, de prepa­ration, de force, de'logique ou de g~nie, ça n'est plus qu'une "question d'heure. L'heure du destin. Et quand l'heure sonne tout s'~croule. Dévas­tation et ruines. C'est tout ce qui reste des civilisations. Le Fléau de Dieu les visite toutes, les unes apr~s les autres. Pas une qui ne succombe A la guerre. Question de g~nie humain. Perversit~. Phénomêne de la nature de l.. 'homme. L' homme poursuit sa propre ~, destruction. C'est automatique. (33)

Cendrars donne donc un portrait fort réaliste

du soldat, mais, en même temps, sa propre ex~rience 3

rI militaire lui permet d'être tr~s personnel. Ainsi, bien '1

(31) Blaise Cendrars, La Main coupée, p. 381. (32) Ider: .• (33) Idem.

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- 55 -

qu'il détru s le mythe du soldat qui d~fend vail­

lamment la trie, il P!~sente avec un grand souci

'd'humanité le soldats qu'il raconte avoir connus.

M~e s'il peut pa ître partial dans sa vision de

l'administration mil taire et quoique sa conception de la guerre soit con estable, nous ne saurions douter

• de la sinc~rit~ qui se d~gage de sa chronique de guerre,

chaque fois qu'il souligne les misêres du soldat. " Cendrars d~crit la guerre comme un ~vênement douloureux,

un épisode ~nible de la vie des hommes. Le chapitre

suivant nous ,..8.ermettra de 'voir dans les souffrances de

la guerre l'origine 'du pessimisme qu'on trouve dans son

oeuvre.

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CHAPITRE IV

LES SOUFFRANCES Df LA GUERRE VUES PAR CENDlU\R5

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Dans plusieurs de ses ouvrages, Blaise Cendrars d~peint aveo acuité les souffrances qu'il nous dit avoir vues eu éprouvées durant son s~jour au front. Dénonçant les douleurs physiques des

soldats, il s'en prend aussi aux souffrances morales

eng1tdrée$ par l'~ur et l'ennUi,durant la guerre.

• La vie sexuelle du comba~tant est un sujet qui avait rarement été abordé par les écrivains ,avant Cendrars. Mais, pour notre auteur, la sexualité des soldats n'est pas un sujet scabreux. ~lle appa­rait comme une manifestation humaine qui 'dicte la

~v conduite des hommes au combat.- Parmi les th~es qui

reviennent fr~quemment dans La Main cou~e, nous trou­

vons celui de l'obsession de la femme. Dês le début de cette oeuvre~ Cendrars cite d'une façon significative ces paroles bibliques:

L'Eternel a créé une chose nouvelle sur la terre: la femme enviro~nera l'homme.

Jérémie XXXI, 22. Cl)

Au front, la femme s'avêre, en effet, une .. . idée fixe: elle hante les pensées des soldats. Si, parfois, l'activité militaire met un frein aux r@ve-

o

ries érotiques du combattant, le moindre moment de répit suffit l ranimer en lui des spuvenirs sexuels, et l'obtention d'une permission devient alors son seul but immlidiat. Parlant de Raphaêl Vieil, que nous avons déjà entrevu, Cendrars raconte comment ce dernier

. (1) Blaise Cendrars, La Main coupée, p. 314.

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- 58 -

donnait le cafard aux soldats, en leur envoyant

constamment des cartes postales. ~~aque fois, le "loustic" écrivait qu'~ Nice, il y avait de la

l'

"fesse" et que tous les soirs, il jouait" de la ~ /

mandoline avec une jolie marraine de guerre". (2)

Ayant eU bruit d'une permiss~on prochaine, Vieil

invitait cordialement ses anciens camarades ~ venir le rejoindre, d~s que cela leur ~erait possible.

Cendrars souligne que, bientB~~ son ~égiment en entier se mit à parler d~ permission., Avec l'arri­

vêe du printemps, lui-~ême se sentit fiêvreux: ,

Les colis arrivaient, -"res mandats, les lettres, les journaux qui, comme les cartes illustrées de Vieil, nous parlaient de permission prochaine. ·11 y avait une chance de s'en tirer, de se barrer, au m~ins pour un temps. Il y avait de l'espoir •• L'odeur des femmes, montait jusqu'a nous. (3)

Finalement, cette permission ne viendra qu'en juillet

1915. Cendrars fut l'un des premiers A l'obtenir et sa "folle equipêe" (4) resta pour lui un êvênement

mêmorable.

Nêanmoins, en dehors des permissions"qui

sont rares et br~ves, le probl~e de l'~our demeure

inhêrent ~ la vie du soldat en temps de guerre.

Cendrars avoue que l'amour

••• est une hantise (qui) vous dAm~ge et vous dêvore vif comme

(2) Blaise Cendrars, La Main ooupêe, p. 341. (3) Ibid., p. 344. (4) Ibid., p. 365.

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les poux. Au front, le soldat n'arrive pas A s'en dêbarrasser. Il lui faut venir A l'arriêre, partir e~ perme pour p'ouvoir se procurer de l'onguent gris et se soulager. Les hommes êcrivaient donc. Cela les dêmangeait. (5)

Les longues heures d'~criture qu'ils consacrent A leurs bien-aimêes permettent ainsi A plusieurs soldats''ae remêdiex:.- à· t'absence de femmes. Cendrars nous dit qu'A Tilloloy, l'heure de la correspondance était plus importante que celle des repas1~ même ~ ~e lêgionnairé qui "mangeait comme quatre" (6) arrivait'en retard à la soupe. Une telle conduite0

semble avoir be~ucoup ému notre auteur:

Qu'est-ce qu'un pauvre bougre pouvait bien êcrire A sa femme ou à sa dulcinêe dans de pareilles conditions sinon de la poêsie? (7)

Cependant, si l'êcriture suffit ~ certains

militaires, pour d'autres, elle n'est qu'un palliatif. En proie à la nostalgie -de la femme, nombre de soldats trouvent dans le langage obsc~ne un succédanê plus

adêquat:

On sait les horreurs que les hommes peuvent ,se raconter sur les femmes qUand ils sont seuls, entre SOi7 on s'imagine donc les saloperies qu'une escouade de légionnaires surexcit~s' et aux trois-quarts ronds arrivaieht. a dégoiser dans ce débat qui prenait '

_~ l'allure ~nragée d'un concours du plus beau mensonge, de la plus satanique exagêration, du comble le plus frén~­tique 00 chacun cherchait A damer le pion au voisin1 puis l'on glissait aux

)

(5) BIaisé Cendr~s, La Main cou~e, p. 345. (6) Idem. (7) Idem. ,

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confidences scabreuses et aux expériences êrotiques: tout ce~ ra~ntê dans les termes les plus crus du langage le plus vert et le vocabulaire si extraordinai­rement riche d'images, de trouvailles, d'invention (et de prêcision anatomique)

-qui coule de la bouche des Parigots. (8)

Abordant un sujet plus dêlicat, Cendrars

nous fait part aussi du rem~de ~e la plupart des soldats trouvent au probl~me de la femme absente: la

masturbation. Dans Dan Yack, le narrateur donfie un . têmoignage pathêtique tle l'êtat d'âme des combattants

et de la solution qu'ils apportent A leur malaise:

••• j'ai vu, moi, des hommes devenir fous de rage et fous d'amour danS la fournaise de Gallipoli.

OU'importait le Turc? C'êtait des femmes, des femmes qu'il fallait! ( ••• ) J'ai surpris, un matin, un homme en train de se violenter entre deux pierres. ( ••• ) S'il Y a eu beaucoup de sang rêpandu a Gallipoli, le sol y a êtê surtout arrosê de sperme. TOut celui de l'arm~e y a coulê, inutilement d'ailleurs, comme le sang des hommes. (9)

Dans La Main coupée et L'Homme foudroyê, nous retrouvons plusiéurs autres allusions A l'onanisme. Bien que, dans Dan Yack, le narrateur se montre comprêhensif envers les soldats, dans L'Homme foudroyê, Cendrars

dêplore l'effet mili~airement mauvais de la masturbation:

Quel genre de perles jetêes aux çochons mes hommes êpluchaieht-ils au fond de leur Sme avilie et quelles pouvaient bien être les pensêes pourries qu'iis manipu­laient? Une bande d'onanistes, ils me

(8) Blaise Ceildrars, La Main cou~e, p. 349. (-" (9) Blaise Cendra~, Dan Yack, Tome l, Oeuvres complêtes,

Editions Denoêl, Paris, 1960, p. 2l0~

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dégoGtaient de plus en plus et je devais sérieusement m'attraper avec chacun d'eux

) et les secouer dans leur marasme pour leur faire prendre leur tour de garde quand c'était l'heure. (10)

~J •

Cendrars parle peu de son propre comportement

sexuel ou amoureux durant la guerre. Nous savons que,

comme ses camarades, il avait ardemment désiré une per­

mission, A la fin de l'hiver 1915. Dans La Main cou~e,

il nous informe assez ~umoristiquement d'une escapade

! compiègne et des jeunes filles américaines qu'il y

avait rencontr~es. Mais jamais il ne parle de ses senti-.... ments envers sa femme. "

Il apparaît cependant que l'ennui a particu­

lièrement afflig~' Cen~rars. Il laisse entendre qu'il a éprouvê jusqu'à la nausêe la lassitude morale engendrée

par le désoeuvrement. Il raconte qu'A Tilloloy, ses

hommes s'ennuyaient "A pêrir" 1 ~ll) tellement "il ne se

passait jamais rien". (12) Le secteur était si bien

am~nag~ que les soldats n'avaient plus rien l ~aire.

Obligés d'attendre que l'ennemi se r~v~le, ils devenaient

chaque jour plus démoralisés.

Cendrars soutient d'a~tre part qu'il n'a jamais ... compris comment certains ~crivains ont pu écrire, durant

les longues heures d'attenté au front_ Il subissait,

quant a lui, tr!s p~niblement le poids des journées et

n'avait d'autre choix que d'observer l'activité d~primante

de la vie dès tranchêes:

(10) Blaise Cendrars, L'Homme foudroyé, p. 63. (11) Blaiae Cendrars, La Main couPée, p. 357. , (12) Idem.

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- 62 -

" Un homme se levait, prenait son fl~ngot au râtelier, sortait et, quelques ins-tants plus tard, l'homme que ~e premier ~tait all~ relever au créneau, descendait lourdement, soulevait la toile de tente, s'~brouait, entrait, tendait ses mains gourdes au feu, puis allait s'étendre tout boueux dans un coin. (13) ( ••• ) L'ennui nous ~crasait. C'est par des journées pa­reilles, et qui n,'en finissent pas, que l'on se dit que les heures sont vraiment des plombes qui, tombent, vous coincent, vous dêgringolent dessus, vous aplatissent, vous ~crasent sous leur éboulis. On ago- '. nise. (14)

Prêtan~ une oreille attentive aux bruits de

la guerre, Cendrars nous présente aussi avec beaucoup

de nuances les différents sons qui lui parviepnent,

du~ant ces moments d'inactivité. On constate que les

nombreux bruits qu'il note-servent souvent de dérivatif o l son ennui. Lorsque l~ calme s'établit, il s'habitue

difficilement au silence qui s'ensuit. Dans L'Homme

foudroyé, il se plaint même de ne plus entendre.la

canonnade

continue et monotone qui descend du nord ( ••• ) tellement elle fait partie du grand paysage nocturne dont elle ~~t comme la respiration, une forcT ~ique, depuis les mois et les mois qu'elle 'roule et se déverse avec' la regularité, le bercement "de l'oc~an. (15) , l

"j , ..i Cendrars brosse un tableau tr~s sombre des

~~~uf~ances physiques de la guerre. Celles-ci sont

dues quelquefois aux conditions de vie dans les tranch~es;

mais la plupart a~araissent comme le résultat pénible

(13) Blaise Cendrars, La Main coupée, p. 354. (14) Ibid., p. 3S5~

J15), Blaise Cendrars, L 'Homme foudroyé, p. -71.

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- 63 -

c

et in~luctable des champs de bataille.

Nous avons rnentionn~, au chapitre II,

les trois grandes "saloperies" que Cendrars voyait

dans la prerniêre guerre mondiale, soit le perpétuel d~placement des troupes, les baraquements inconfor­

tables qu'elles occupaient et l'incertitude du

leridemain. Cette situation hasardeuse des soldats #.

a fortement .. scandalis~ notre auteur. Il qualifie

d'"absolument i~humaine" (16) la vie au front et

prote~te violemme~t contre les souffrances qu'ont connues ses hommes, 3 l'int~rieur de tranchées tor­

tueuses et pleines d'embûches. L'eau, la pluie, la

boue, les fondri~res, le froid et d'autres éléments

naturels concourent a rendre misérable l'existence

des combattants. Cendrars mentionne certaines nuits

passées dans l'eau jusqu'au ventre, par des-températures de 0 et de _2°, ainsi que les nombreuses conséquences du

froid chez ses compagnons: pieds gelés, bronchites,

pneumonies, rhumatismes, conjonctivites, maux de dents,

etc. Il conservera un três mauvais souvenir de son hiver au front, alors que de telles souffrances faisaient

presque partie de la vie quotidienne des membres de son

escouade.

Mais Cendrars donne une vision beaucou~plus J"

noire des champs de bataille et de l'univers de dô~leurs

dans lequel il 'a vécu, a la fin de septembre 1915. Dans

un chapitre de La Vie'dangereuse intitulé J'ai saign~, nous retrouvons un climat d'horreur semblable a celui

évoqué dans La Prose du Transsib~rien et de la petite '0,):

(16) Blaise Cendrars, La Main coupée, p. 484.

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1

Jehanne de France. L'auteur y d~crit la cohue

qui r~gnait ~ Somme-py, quelques heures aprês son­

amputation:

On voyait des hommes tomber ou se coucher, bondir par terre. D'autres' enjambaient mon brancard en m'~cla~ boussant de boue. D'autres encore se trottaient d'~pouvante, couraient se carapat~r entre les monceaux de ferrailles qui s'~boulaient en les ensevelissant. Ce n'~tait partout que fuites, cris, hurlements, g~mis­s~ments, plaintes, et mon bras coup~ me faisait si mal que je me mordais la langue pour ne pas gueuler~ '(17)

Il r~vèle ici les douleurs atroces que

lui faisait subir sa blessure et nous fait part

de la lutte qu'il a livrée pour ~chapper au coma'.

La fiêvre, l'~puisement, la faim, le vertige sont

d~peints comme des maux cruels qui, en s'ajoutant

aux souffrances vives des blessures, amênent l~s soldats à hurler comme des animaux:

Et parfois un cri, un long hurlement de douleur nous d~chirait, et j'au-" rais ~t~ bien embarrassé de dire qui' de nous quatre, et si ce n'~tait pas moi, avait poussé ce hurlement, ce cri qui tenait de la bête et qui me faisait honte. ,\(18)'

\

Mais Cendrars nous dit, dans La Main coupée,

que le cri le plus affreux que l'on puisse ~ntendre

~ est l'appel ft - Maman! mam~! ••• " des hommes bless~s

a mort "que l'on abandonner entre les lignes aprês une

(17) Blaise Cendrars, La Vie dangereuse, ~. 489. (18) Ibid., p. 491.

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- 65 -

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attaq~e qui a êchouê et que l'on reflue en dêsordre".

(19) La mort est 'évidemment la pire consêquence de . .-

la guerre èt notre auteur restera mar~é par le ~ec- ~. . ,

taclè pitoyable des~ictimes de la ligne de feu. Parlant l' \ • d'un de ses homme~qui était mort d'une façon plutôt

inusitée, soit la tête la première dans les feuillées,

Cendrars fait la réflexion suivante:

Un mort de plus parmi des milltërs et des dizaines de milliers d'autres, tous plus" ou moins g·rotesques. Ce n'est pas possible. Je l'ai déjà dit. Dieu est absent des champs de bataille. Il se tient peinard. Il se cache. C'est une honte. (20)

La mort du fégionnaire Van Lees provoque aussi(chez lui

une grande consternation •

."

••• comme nous partions à l'assaut, il fut emporté par un obus et j'ai vu, j'ai vu dfi mes y'eux qui le suivaient en l'air, j'ai vu ce ~eau lêgio~riaire être violé, fripê, sucê, et j'ai vu son pantalon en­sanglanté retomber vide sur le sol, 9lors que l'épo~vantable cri de douleur que poussait cet homme assassinê en-l'air 'par uae goùle invisible dans sa nuée jaune re­tentissait plus formidable que l'explosion même de l'obus, et j'ai entendu ce cri qui durait encor~ alors que le corps volatisé depuis un bon moment n'existait déjà plus. (21)

Jean Rousselot remarque qu'on trouve dans La

MLin coup€e e~ L'Homme. foudroyé une sorte d'~bsession . )

"de l'éclatement, de l'éparpillement de l'homme dans le. (1

ciel, JHe obsession dont le caract~re occultiste et mys-" tlqu~ ne saurait éChapper.-. (22)'Nous relions, .pour notre

(19) Blaise Cendrars, La Main coupée, p. 553.\' (20) Ibid., p. 504.~" . 1

(21) Blaise Cendrars, ï' Homme faudroyé, p., 55. (22) ~an Rou$selot, B ~se Cendrar~, p. 45.

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- 66 -

.. part, cette 1mage du soldat pulv~ris€ par un obus

au sentiment que Cendrars ~prouve devant Dieu. Nous

avons vu, plus haut, que notre auteur se sent hanté par

l'absence de Dieu au front. Or, dans Le Lotissement du

ciel, ses paroles se heurtent à l'hostilité m~chante du 6

pr~cipe ~ternel:

Ce n'étaient pas des cris de d~tresse qui r~pondaient aux rites de Dieu, mais une incantation magique, un charme pour s'en rendre maitre, car tous ces cris qui montaient séparément des îlots flot­tants dans la boue se réunIssaient en l'air selon un rythme bien scandé pour

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former les syllabes d'un nom qui portait terriblement loin, et comme j'allais saisir, comprendre ce nom, m'en emparer ••• un deuxième obus ••. (23)

" Cruel et moqueu'l;.1 Dieu se sert, ici, d'un obus

mettre fin aux doléances de l'homme, empêchant

de saisir le nom de celui qu'il veut défendre.

ce le même obus qui emporte le légionnaire Van

lui fait pousser un cri affreux et persistant

en tout cas, "se tient peinard. 11 se cache"

?

pour

Cendrars

Serait-

LeeS et

Dieu,

(24) et

ne veut pas entendre les, gémissements de l'homme foudroyé.

N~anmoins, l'~clatement de ce dernier dans le ,cieî rend

encore'plus honteux le geste de Dieu, qui abandonne à

leur sort les victimes inutiles d'une "machinerie anonyme,

d~moniaque, systématique, aveugle". (25)

Lorsque Cendrars ne ·dénombre que six survivant~) .,.. parmi les deux cents membres de son escouade, on sent en

lui une ~ofonde amertume. Pour lui, tous ces hommes sont

(23 )

(24) (25)

Blaise Cendrars, Le Lotissement du Ciel, TOme III, Oe~vres compl~tes, Editions Denoêl, Paris, 1961, p. 529. Blaise Cendrars, La Main coupêe, p. 504. Blaise .Cendrars, J'ai tûi, dans Aujourd'hui, p. 152.

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morts sans raison, après avoir souvent'enduré d'horribles ~.

souffrances:

MACHIN, TRUC, CHOSE, tous morts, tous tués, crevés, écrabouillés, an~ntis, disloqués, oubliés, pulvérisés, réduits à zéro, et pour rien. (26)

Songeant à 'cette' catastrophe inutile, Cendrars en vien~ ~

A éprouver un fort sentiment de révolte. Il constate

que la civilisation porte en elle un principe 'd'auto-

,# destruction:

Me voici l'eustache à la main. C'est A ça qu'aboutit toute cette immense machine de guerre. Des femmes se cr~vent dans les usines. Un peuple d'ouvriers trime à outrance au fond des mines. Des savants, des inventeurs s'ingénient. La merveilleuse activité humaine est prise à tribut. La richesse d'un siècle de travail intensif. L'expé­riencevde plusieurs civilisations. (27)

Il ne peut comprendre comment l'homme arrive, siècle

apr~s siècle, à déclencher absurdement des guerres qui /

ne servent à rien. La f~ie de l'esprit humain lui fait

alors perdre foi en la vie et il sombre dans le pessimisme:

La douleur de vivre, la souffrance anonyme mUltipliée par autant de chi~f~s que com­portaient les numéros matricu~es des millions et des millions de soldats sur la ligne de feu, des générations de morts-vivants en bordure du "no man's land", peut-on concevoir un tableau synthétique plUS absurde et plus logique de cette grande fadaise qu'est la vie

(26) Blaise Cendrars, La Main coupée, p. 547. (27) Blaise Cendrars, J'ai t~~, dans Aujourd'hui, p. 151.

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" - 68 -

humaine sur terre, une meilleure illustration du néant de la vie spirituelle de l'homme, une preuve plus manifeste de l'impuisssance, de l'inutilit~ de son actiyit~ intellec­tuelle? (28)

Ainsi, Cendrars donne-t-il une vision très

noire des souffrances physiques et morales de la guerre. S'il fait le procès d'un Dieu absent et prononce un violent r~quisitoire contre la civilisation, c'est donc

"

o

avant tout à cause des souffrances'de la guerre. L'auteur

voit en celle-ci une source de malheurs et il la condamne <

d'une façon radicale.

Toutefois, pour un homme tourné vers l'aventure

comme Cendrars, la guerre vaudrait-elle quand même la

peine d'être vécue? Ne recèlerait-elle pas des valeurs

positives de d~passement et d'approfondiss~nt pour la conscience chez un ~crivain qui prône dans son oeuvre une vie "dangereuse" ?

(28) Blaise Cendrars, Le Lotissem~ht du Ciel, p. 506. o

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CHAPITRE V

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LA PEUR ET LE COURAGE ~ANS L'UNIVERS

IMAGINAIRE DE~~~NDRARS , .... /p# .. "

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Nous avons vu, au d~but de ce travail, ~

l'importance que Cendrars a voulu accorder ~ l'aven-ture dans son oèuvre, on il se d~crit comme un être assoiffé de danger'qui parcourt continuellement le

monde, et exerce de nombreux m~tiers. Or, dans l'univers imaginaire de l'auteur, la guerre, en 1914, permet a l'homme d'action qu'il aimerait personnifier de vivre plus dangereusement que jamais et dè prendre, encore

une fois, l'initiative d'aller "jusqu'au "bout de son acte". (1) Mais les champs de,bataille'vont lui fournir alors maintes occasions de connaître ses limites. Cendrars,

en effet, y connaît la peur et il trouve dans le courage ,l'unique moyen de continuer a combattre sous les drapeaux.

Plusieurs pages~de L'Homme foudroyé sont con-i

sacrées ~ la peur qu'§pro~vent les soldats durant la guerre. L'auteur montre comment la peur naquit et se

développa ~chez ses,co~p~gnons a Tilloloy. Rapfelons que cette ',zone du front du Nord avait ~t~ conçle en vue

d'une attaque ~ventue~le de$. Allemands et qU'un d~soeu­

vrement complet y r~gnait. Cendrars nous dit qu'apr~s vingt jours dans ce secteur parsemê de mines, la pens~e

~ de ~ster plus longtemps en ligne devint insupportable: - .

• •• attendre ••• attendre~· •• mais attendre quoi, bon Dieu! ••• "attendre, finissaient par conclure les hommes, attendre que ce cocu de sergent, le· sergent-du génie de service dans sa cagna comme .un chef de gare dans $on cagibi, bouffe l~ . consigne ët perde" la tA te en cas 4'attaque et appuie une

.~

(1) B1aise Cendrars, Eloge de la vie dapaereuse, dans Aujourd'hu~, p. 158; et La·MaIn cou __ e, p. 413 •

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- 71 -

, seconde trop tôt sur le bouton de contact él~ctrique ( ••• ) pour semer les bonshommes dans les airs"._. (2)

1 Il expltque que se~ hommes' étaient obsêdés par l'idée

d'une fausse manoeuv~e qui provoquerait absurdement leur mort. Peu ~ peu, la peur qu'ils avaient de _

s'aventurer sur ce sol dangereusement truquê pa~alysa toute activité humaine dans l'escouade:

Et quand j~voulus partir en patrquille ils me laissË!rent sortir seul. (.\' •• ) LeS bougres, les, sales bougres avaient le cafard. Il n'y avait plus rien ~ espérer. Ils flanchaient. (3)

Cendrars nous fait part de la Rçurieuse épidémie" (4) c

de désertion qui se propagea alors parmi les combattants:

••• on n'a plus la patience d'attendre. A quoi bon? On a peur du l~ndemain. Cet inconnu épouvante. A:lors, on se fie aux requins. Il suffit qu'un premier donne l'exemple, se laisse aller, coule h l'eau,' pour que les autres suivent. (5)

. Il note que les premiers déserteurs,étaient rêputês

pour leu,r sang-froid et que, sauf Raphaêl Vieil, le

joyeux mandoliniste, les autres soldats qui dêsiraient

partir,s'avêraient des gaillards trË!s hardis~ Ainsi,

afin'd'être évacuês sans accusation d'automutilation, , ,

deux engagês volontaires, Tarasa et Faval, eurent

l'idêe ingênieuse de se blesser mutuellement ~ ~is-

~ tance, évitant~ae cette façon toute trace de pigmen~

tation de poudre dans leurs chairs. Malheureusement,

.• Wle fois blessé, Tarasa n'eut pas la force de tirer

.'

. - . --~-.---- -

{2) Blaise Cendrars, L'Homme foudroyé, p. 58. (3) ;tdem. (4) Ibid., p. 59 • (5) Idem~ t

,':l.' '

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" sur son camarade et il mourut A la suite d'une infec-tion. Quand A Faval, Cendrars nous dit:

••• il avait tiré parce qu'il avait peur. Il avait peur de mourir. Un soldat qui n'a jamais eu peur au front n'est pas un homme. Je n'aime pas les jugeà de guerre qui envoyent un homme l Biribi pour une d~faillance. Le, soldat a le droit d'avoir peur.' C'est pourquoi j'~touffai cette ridicule affaire. (6)

,Cendrars compare la peur ! une drogue qui , paralyse l~s' facul t~s du s?ldat et le rend c~mplêtement mêconnaissable. Il confesse que lui-même, malgr~ sa vie dêj~ remplie d'aventures ••• n'êchappait pas A ce ph~nomêne étrange:

,.) .La peur. Ils me font rire ceux qui racontent n'avoir jamais eu peur au front. Et moi auss~ je le croyais quand je patrouillais tout seul en avant de La Croix, alors que la peur me tenait et non pas seulement le cafard, COJ1D1le je le· supposais. La peur m'avait intoxiqué car la peur est une drogue, je ne le sais que d'aujourd'hui. (7)

Il nous fait part de la peur violente qu'il êprouva une nuit, alors qu'il éta~t rest~ seul au front. Cendrars s'était installé, cette nu~t-là! ~à un endroit trê's dangereux oil ~l était sOr ~e les nientands dressaient une patrouille~ Il attendait patiemment que ceux-ci rêvAIent leur prêsence et avait même, noUs dit-il

(6) Blaise Cendrars, L'Homme foudroyé, p. 65. (7) Ibid., p. 68. 1

• ! 1

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( 73 -

~'a sensation d'une s~curit~ parfaite". (8)

~~efois, n'entendant aucun brüit, il restait

"sur le qui-vive". "l(9) Pour ~viter la peur, il

se r~cita des vers de Rilke et, s'il faut l'en croire, se crut transport~ par l'incantation du po~e

"dans les steppes infinies de la Russie". (10) Mais

sa rêverie devait se terminer brusquement:

TOut A coup, je saisis mon fusil, prêt a tirer. J'avais l'impression qu'un homme avait boug~, l~, en face de moi. '

Etais-je victime d'une illusion des sens? Je ne vQyais rien, mais j'~tais sar qu'un homme êtait là.

Je bandais toutes mes facultês. J'aurais criê de frayeur. Je ne voyais rien, je n'entendais rien, je ne perce­vais rien.

J'attendis longtemps. Le sang me montait l la tête. Je

sentais mon coeur battre. La vue, l'ouie, le flair, tout commençait à me faire ma~ tellement ma tension ,~tait ~iguê. (11)

Saisi d'effroi, Cendrars ne maitrisait plus ses mains

tremblantes. Il tira par inadvertance un coup de feu

qui provoqua la fuite de son enn~i invisible. De

retqur au camp, il apprit combien ses hommes avaient

ri durant ce faux duel on, sauf le coup de feu, tout

n'êtait que mise en scène. Il avouera cependant que .. jamais il n'avait connu une telle peur. Pendant que

(8) Blaise Cendrars, L'Homme foudroy~, p. 71. (9) Idem. (lO)Ibid., p. 72. (11) Idem.

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- 74 -

les membres d~ l'escouade s'amusaient A ~es dt§pens,

il avait eu l'occasion d'observer une t§clipse totale • de ses apti~udes en face du danger.

Daris J'ai tué, Cendrars constate aussi que

personne n'est exempt de la peur, au moment prt§cis on

retentit le signal de l'assaut. La peur agit alors

comme un excitant sur les soldats qui essaient tant

bien que mal de tromper ou de cacher le~r inquiétude:

C'est l'heure H. On part à l'attaque la cigarette au l~vres. AussitBt les mitrailleuses allemandes tictaquent. Les moulins ~ café tournent. Les balles crépitent. ",,>On avance en levant lft§paule gauche, l'omoplate tordue sur le visage, tout le corps désosst§ pour arriver A se faire un bouclier de soi­même. On a de la fiêvre plein les tempes et de l'angoisse partout. On est crispé. Mais on marche quand même, bien alignt§ et avec ~lme. -(12)

Loin de s'atténuer après les premiers coups de feu,

~a peur atteint son paroxysme dans le feu 'de l'action, 1

lo~s du contact avec l'ennemi:

Maintenant 1eR grenades éclatent comme dans une eau profonde~ On est entourt§ de flammes et de fuméQS. Et c'est une peur f~ensée qui vous culbute dans la tranch€e allemande. (13) ,

l'

TOutefois, ayant toujours fait du d,anger \

j.,l'idéal de sa vie, Cendrars véut agir sur la peur qui

l'assaillit. Et c'est dans le courage, soutient-il,

qu'il trouv~ le moyen d'être pleinement lui-même.

(12) Blaise Cendrars, J'a~ùt§, dans Aujourd'hui, p. 1?Q-15l. (13) Ibid., p. 151.

--. a

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- 75 -

Dans sa ch~onique de guerre, il cultive celui-ci

comme une méthode systématique de maîtrise de soi

et peut de nouveau aller jusqu'au bout de ses pos­

sibilités.

Dans La Main coppée, nous trouvons plu­

sieurs épisodes où le courage atteint sa forme la

plus parfaite: l'hérolsme. Cendrars y rapporte les folles équipées qu'il organisait à travers les

lignes ennemies. L?rs de ces expéditions,le cou­

rage apparaît très'~,souvent comme un moyen gratuit

et même insensé pour vaincre la peur. NéatUftoins,

les soldats n'hésitent pas à se joindre à Cendrars.

Leur caporal a la r~putation d'être veinard et ils

ont confiance en lui.

Ainsi le 24 décembre 1914, Cendrars et

trois de ses ho~~es voulurent souhaiter à leur façon

ia Noêl aux Allemands. Ces derniers occupaient depuis 1\

quelque temps, près 'de Frise, un fortin appel~ Le

Calvaire:

,

nous avions décidé, nous quatre, histoire de rire et de nous dégour-dir un peu,~~e profiter de la nuit de , Noêl, quand t:.ies Allemands chant,eraient leurs cantiques et que les sentinelles elles-mêmes deviendraient sent~entales, prises de~~Rehnsucht~, leur fameux mal du pays, pour tâcher de monter au Cal­vaire. (14)

Dans le réseau de barbel~s qui entouraient la petite " fortification, le groupe avait l'intention de placer

.;! tl ~

(14) Bl~ise CendraraQ La Main coupée, ~ •. 417 'l'.

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..

,

- 76 -

un granunophone, d~ux bombes et, quatre pétards. Il • s'agissait de faire sauter le tout, lorsqu'en enten-

dant de la musique, les Allemands viendraient voir

ce qui se passait~ ~ ----~-

Même si le but-âe---l-~~~dition ~tait --------d'abord de "ri9oler", l'~ration exigeait bEraU-~ _

de courage, aussl inutile fût-il. Cendrars n'hêsite

pas à souligner combien il eut peur en s'approchant de

l'ennemi:

Je devais souvent marquer, un temps d'arrêt parce que mon pouls me fai­sait mal et que je perdais conscience à force de prend~e conscience du dan­ger. 1 Tout ~tait par trop r~el et je crois bien que je serais mort ~sphyxi~ si cette tension avait dG durer une seconde de plus. Mais, tout à coup, nous fûmes là, le coeur battant, suant de peur... (15) .

A minuit, alors que les Allemands entonnaient

le "0 Tannenbaum", la voix de "La Marseillaise" reten­

tit du grammophone. Mais Cendrars eut alors la malen­

contreuse id~e de lancer deux grenades en direction de

la sentinelle. Se croyant attaqu~s en nombre, les

Allemands ouvrirent le 'reu. Aler~~es par le bruit, les

troupes françaises ripostèrent. Cendrars et.ses com­

pagnons se trouvaient pris entre deux feux. Ils durent' ~

se terrer et attendre vingt-quatre heures avant de

pouvoir rentre~ dans leurs lignes. /

Cendrars raconte aussi comment" le 9. mAi

1915, son escouade atteign\t la "crête" de Vimy, en

'sautant all~grement quatre lignes de tranch~es alle-

mandes •. Or, une fois au sommet de la crête, ses

(15) Blaise Cendrars, La Main coupée, p. 420.

:

-------

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- 77 -

"

'hommes se rendirent compte qu'ils avaient avancé trop

rapidernenr e~ qu'ils ~taient en avance sur l'horaire • ....

o

Imm~diat~ment leur propre artillerie se mit ~ les

bombarder et ils furent de nouveau pris entre deux

feux. ,Le poste de combat fi~reme~~!~cquis devenait ,:' 1

intenable. Ne voulant pas l'abandonner, Cendrars

fit construire un double parapet. Pendant que les

soldats s'affairaient à leur tâche, il sortit avec

que~ques hommes "pour aller nettoyer la quatrième

ligne allemande~. (16) Il conduisit hé~olquement ses

COmpagnons qui mirent l'ennemi en déroute. Sur le " chemin du retour, un membre de l'escouade d~couvrit

un d~pôt allemand rempli de cigares et de tonneaux

de biêre. Les sOlè\,ats pouss~rent alors 1"' audace

jusqu'au bout: i1~ ~tablirent une navette et, le cigare , 1

aux lêvres, allèrent à tour de rôle chercher des ton-

neaux pour les ramener ~ la crête. Finalement le

lendemain soir, les re~forts promis arrivèrent; Cendrars

et ses hommes furent relevés.

Lorsqu'il relate ces hauts faits militaires

(dont l'authenticité demeure fort douteuse, tellement

ils sont parfois péU plausibles), Cendra~~ se donne,

dertes, le rôle brillant d'un caporal aveiù:uz:eux, qui

m~nE courageusemen't ses hOJlUlles au comba~. Toutefois,

il se g'arde de' vanter directement son propre sang-froid.

Il nouS montre plutôt ses équipées comme des exutoires

quiopermettent d'agir sur la peur. Et, pour Cendrars, "-celle-ci est toujours présente au front. OOcrivant ,

~ (16) Blaise Cendrars, La Main cpupée, p. 393.

. , ~ .

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- 7.8 -

l'attaque de ia quatriêmè ligne allemande ~ Vimy~

cendrars mentionne avoir "tu€" un ennemi' a~éc son

couteau de tranchée:

Il me guettait, embusq~€ derri~re un ~re-êc1ats, le ~usil en arrêt. Je lui sautai dessus et ~i portai un coup terrible qui lui d€eolla presque la

'" '

tête et qui le fit tomber à la renverse, semant son cas~ue à pointe. Alo~s je ' constatai qu'il étai~ d€jà mort depuis le matin et qu'il ava~t eu le ventre ouvert/par un obus~ Il s'€tait vidé. Jamais un homme ne m'a fait aussi peur. (17)

(I!>'

Cendrars nous fait part de la peur qui ~aralysa

un de ses hommes lors de cette même expédition. Ce dernier

était en train de faire rouler un tonneau 4e biêre, qu~nd,

tout à coup, un obus le décalotta et lui fit perdre con­

naissarlce. Lorsqu'il reprit conscience, il ne pouvait ni c ~

bouger, ni parler. La peur l'avait tellement affect~ qu'il

lui €tait'même impossible d'ouvrir les yeux. Le croyant

mort, ses camarades l'enterrèrent. Par bonheur, un autre

obus tomba dans le trou où on l'avait déposé, lui emportant Q

une jambe, mais lui rendant aussitôt la parole.

Cendrars narre un'e autre patrouille saugrenue

dont le but, cette fois, éta~t de faire un prisonnier.

Cependant, loin d'être une folle équip€e, la mission .

s'avéra difficile et vaine:

••• l'affaire se présentait mal •. On ne distinguait ~i~n. Je n'arrivais -pas à ~'orienter sur une prêsence humaine. Le guetteur d'en face ne se révélait pas. Aucun indice" •••

Atten~re. Guetter. Patienter. Ne pas perdre s n sang-froid. Attendre que ,l'ennem,i se révèl. (18)

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(17) Blaise cc,mdrar's', La Main cou~e., p. 394;' . (18) Ibid., p. 449-45~

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79

Cendrars nous confie ~lors que le~ soldats

qui rentr~nt.d'urie-patrouille dangereuse sont ~prdés

ocomme des revenants par les hommes de garde et les

se~tfnelles.' Il _ co~pare ces s~rtes d' equïpées aux

effets de la dr6gfie sur la conscience:

Une patrouille c'est une ~ose massive. --.~ est abruti. Et il Y a aussi l'ac~

coutumance. On sort et l'on revient, et si l'on .revient, on n'est plus le même.homme.' On est flétri., Mais on

~ veut rèmettre ça et l'on y retourne. Bravade et cYnisme. ~ Le "desperado"

r--ett un homme usé par la sensation forte. Plut6t qu'un désespéré c'est un homme perdu. '{l9.}

~' Conversant un jour, au front, avec u~ , pseudo-poête qui était agent de la Sureté, Cendrars

prononça des paroles ~aptement significatives. Lors-, Q

que son interlocuteur affirma que(la'g\1erre était une

source sublime d'inspiration, notre auteur répondit

'111ïco: . ,

- Taisez-~ous, Monsieur. La guerre, c'est une saloperie ••• (~O)

, atonnê, l~pOête-policier demanda à Cendrars si la

/

vie dangereuse n'était pas précisément ce qu'il Fe-<-

~erchait au front. ,Cendrars répli~a:

(19) Blaise (20) Ibid,. , (2l) Ibid. ,

La guerre est une ignominie. Tout au plus ce spectacle peut-il' satis­faire les yeux, le, coeur d'un philo­sophe cynique eN combler la logique \ du pessimisme le plus -noir~ La vie' dangereuse peut convenir ~ un individu, certes, mais sur" le plan social cela mène directement A la tyrannie. (21)

li

Cendrars " La Malin couEée, p. 451-452. 525.

j

p. p. 526.

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1.

80

Ainsi, en affirma~t qu'elle conduit à des

excès condamnables, Cendrars n'admet pas la 'V,\e dange­

reuse sur un plan "collectif. Mais le soldat q~ t il

personnifie' dans La Main coupée et L'Homme foudroy~

continue' à rechercher le danger, puisque celui-ci est

le seul moyen de développer.sa personnalité et que le

courage s'âv~re l'unique remède à la peur qui paralyse r....:; .. \

ses 'facqltés. Néanmoins, il ne voit dans sa conduite

aucun hérofsme:

., •. ' il n 'yen avait pas un parmi nous qui. avait l'étoffe d'un héros et l'abomin~)le crest de constater que si tous nous étions martyrs (à nos corps défendants), aucun de nous ( .•. ) ne mérite une mention particu-liêre. (22)

Il ne considère pas non plus )a guerre comme

"un jeu à se faire peur" (~3)

.

C'est de la d~mence. A moins qu'il ne soit paradoxal de conclurè du particulier au général et d'affirmer que la guerre est pour les peuples un excitant, une drogue contre la peur de vivre. (14)

Or, si une fois engagé" il va "jusqu' atJ bout de son

acte" J2S), ce n'est certes pas parce qu'il a peur de

vivre. Bien au contraire, c'est parce qu'il veut

vivre, et même intensément, qu'il trouve dans le courage

l'unique moyen de poursuivre, le combat hasardeux qu'il a

entrepris:

(22) Blaise Cendrars, La Main ,aouaée, p. 543. (23) Blaise Celdrars, L'Homme fou royé, p. 70. (24) Idem. (25) Blaise Cendrars, Eloge de la vie dangereuse,dans

. Aujourd 'hui, p. 158'.

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- 81 -

Et \Toil~ qu' aujourd' hui j "ai le cou-teau à la main. L'eustache de Bonnot. "Vive l'humanité!" Je palpe une froide vérité sommée d'une lame tranchante. J'ai raison. Mon jeune passé sportif saura suffire. M~ voici les nerfs tendus, les ,muscles bandés, prêt ~ bondir dans la réalité. J'ai bravé la torpille, le canon, les mines, le feu, le gaz, les mitrailleu­ses •.. J'ai agi. J'ai tué. Comme celui qui veut vivre. (26)'

Mais apr~s avoir vécu avec intensité son

expérience militaire, Cendrars a le sentiment d'être J

revenu de t-out:

je ne savais pas que la Légiort me ferait boire ce calice jusqu'à la lie et que cette ~ie me saoulerait, et que prenant une joie cynique ~ me déconsidérer et à m'avilir ( ••• ) je finirais par m'affranchir deotout pour conquérir ma liberté d'homme. Etre. Etre un homme. (27)

La guerre pourra dêS lors fournir des possibilités .............. ,

d'approfondissement ~t de dépassement,~ sa conscience

d'aventurier. D~une part, Cendrars 'sera 'amené à découvrir , , ,

le sens seèret de ses'~q~ip6es dangereuses et souvent

inutiles entr.~ les ligaès allemandes:

'Mais pourquoi faisais-tu cela, Blaise, par dégueulasserie' ? ••• ~é!' parce que je découvrais tout cela pour, la première fois et qu'il faut aller jusqu'au bout pour savoir ce dont les hommes sont capables, e~ bien, en mal~ en intelligence, en connerie, et que de toutes les.façons la mort est au bout, que l'on triomphe

.' ou que l'on succombe.

(26)' Blaise Cendrars, J'ai tué, dans Aujourd'hui, p. 0152. (27) Blaise Cendrars, La Main coupée, p. 413.

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- 82 -

C'est absurde. C'est moche. Mais c'est ainsi. Et il n'y a pas

~ ~9rtiller. (28),

L'évocation de la mort inexorable et de l'absurdité

de la vie prend ici une dimension tragique qui marquerg

profond~ment Cendrars après le premier'conflit mondial.

D'autre part, bien que la guerre assombrisse

définitivement sa vision du monde en le forçant à des­cendre au fond de lui-même, elle produira cbez notre

auteur un effe~ bénéfique auquel nous attachons beaucoup

d'importance. Dans l'e dernier 0 chapitre de L' flomme foudroyé,

Cendrars copfie au lecteur:

Aujourd'hui, ma famille se compose des "pauvres que j'ai appris A aimer non par charité mais par simplicité ( ..• ). c La guerre m'a profondément marqué. Ça, oui. La g~erre c'est la mis~~e du peuple. De­puis, j'en suis... (29)

C'est dans une solidarité approfondie avec les

hommes que Cepdrars trouve un sens à son ex~rience mili'­

t'aire. DésorrrÎafs, sa ~vie qu' il transpos~ dans son oeuvre,

s '~panouira ..non seulement A' \'j.ntérieur;,,', aventures ~leines de dangers, mais aussi par la fraternité humaine. ,

'" La relation entre la peur et le courage d~les récits de-guerre de Cendrars joue donc un r6le import~nt

q. dans l'évolution de sa ~ensée. Cendrars, ,en' effet, continue,

dans son univer~ imaginaire A recherche~ une existence dangereuse, mais il avoue aussi que f'expérience de, la peur

'~

l'a b?aucoup ch~gé. AInsi, il n',a~et plus la, vie

(28) ,Blaise Cendrars, La Main caUpée, p. 452. (29) Blaise Cendrars, L'Homme f ûdroyé, p. ~03-304.

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- 83 -

"

dangereuse sur un plan collectif. Pour lui, l'af-

f,irmation gratuite du courage abrutit l'hQmme. Les

soldats deviennent us~s par les sensations fortes " \

quand ils doivent continuellement faire preuve de

bravoure. Finalement, aprês ~'être lui-même exposé

au danger par bravade ou cynisme, Cendrars a l'im­

pression d'avoir perdu ses illusions de jeunesse.

Bien qu'il nous ait fallu, dans ce chapitre,

faire 9R décalage entr~ le monde romanesque de l'auteur~

et l~nr~alitén, il demeure que nous pouvons voir ici

des conséquences directes dans la vie réelle de Cendrars.

Car même si tr~s souvent dans son oeuvre, l'image du .,

caporal aventureux apparaît douteuse et peu plausible,

Cendrars,'apr~s la première guerre mondiale, se veut

libre de toute contrainte. Et on peut croire que les

champs d~ bataille ont vraiment jou~' fin rôle dans

l'~volution de'son caractère. L

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Apr~s la guerre, le sentiment qu'a Cendrars

d'être revenu de tout le libère peu A peu de ses liens avec les milieux littéraires de 1914. Certes, à son

reto~r du front, ~l s'empresse d'afficher sès d€corations

militaires. Mai's,-bient6t, il juge sévèrement les pré­

occupations de ses am~s parisiens.

D'une part,. Cendrars dénonce les lacunes du mouvement artistique de l'avant~guerre.

plus les recherches formelles auxquelles

Il n'accepte

il s'adonnait

lui-même auparavant: ~

"

••• et ma main'cou~e mit fin A mes ve.lléités et A mon' ambition et me fit brutalement sortir de cette orni~re d'esth~te 00 j'allais probablement m'enliser à la suite des poètes et des peintres des "Soirées de 'Paris"~ en'1914. c'est la güerre qui m'a sauvé en me tirant de là et en me jetant anonyme parmi·le 1

peuple en armes r un matricule parmi des b'$P millions d'autres., (1)

cendrars nous dit que l'expérience de la Légion et de la

guerre rendait ce geste inévitable: /

1 1

mOn copain ( ••• ). lt moi, chacun dans son genre, -portions la mêma flétrissure, l'es­tampille de- là Légion qui fait que'l'on ne supporte pas plus la vie ( •.• ) que l'art ou l'esthétique. (2)

,\ ,

De fait, la rupture .du po~te avec le 'groupe 's' artistes qu~ l'a salué d~s 19l~ constitue un événement .capital 'dans, .:,"

l'histoire 'de sa pe~~e. Une divergence essentielle d'opin!on

Blaise Cendrars Editions t)enpêl laise C~ndrar ,

\ . '

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, Bourlinguer, Tome III, Oeuvres comp1ête~, Paris, ,1961, p: 166. ~ L'Homme foudroyé, p. 219.

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86 -

vient alors s~parer Cendrars de ses cama!ades, car,

s'ils ont ense,mble, reprochê ~ leurs devanciers de se

limiter aux formules dépass~es du symbolisme avant la

guerre, lui ,ne consent pas_~ être maintenant ernpêtr~

dans les dogmes du cubisme de l'apr~s-guerre. Il con­

sidère inutil~ l'activité èréatrice de ses amis, puisqu'à

peine libérés de 'l'influence du syrnbolism~, ils subissent

eux aussi la tyrannie d'une autre école.

D'autre part, Cendrars s'intéresse rapidement

à la jeune forme d'a:r:t qu'est, le cinéma. ' Il Y voit non

seulement un simultanéisme pa4fait (la cam~ra mobile peut'

enregistrer -simultanément tous les plans) _, ~~ais aussi

ur~e nouvelle façon d'être et de sentir:

Les derniers aboutissemènts'des sciehces p~écises, la guerre mondia1e, la conception qé la telativit~, les convulsions politiques, tout fait pr~voir que nous 'nous acheminons vers ,une nouvelle synthêse de l'espr~t humain, vers une nouvelle humanit€ et qu'une~ace d 'hommes nouveaux va paraître.- . Leur langage seya le cinéma. (3)

Lorsqu'~pr~s son exPérience cin~matographique, il se

remet ,à ,écrire, il se sent libre de toute ïnfluence

littéraire et po~rsuit, indépendant, sa qarriè~e. On

assi~te alors à une éclosion intense de. son lyrisme.

L'~crifure devient pour l\1i une forme nouvelle de l ',àcti-

vité vitale qui 1 ''l:lnime: "

••• écrire c'est brOler v-if, mais c.'est .. aussi :tpnaître de ses cendres. (4J

'(3) Blaise Cendrars, L'A.B.C. du Cfn~ma, Les Eèrivains ,ré!-mis, Paris, ,1926;, repr,oduit dans, AU'i0urd'hui, p.

(4) Blaise Cendr~rs, L'Homme ,foudroyé, p. 9~

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- 87 -

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Une fois d~mobilis~,"Cendrars n'arrive

pas non plus à supporter l'obligation matrimoniale.

Sa femme nous dit qu'il sort ~e l'h6pital "très chang~

dans son caractère" (5):

Son sentiment ne,pouvait plus rester centr~ ét le tourbillon de l'~poque l'engloutit. L'attraction âes plaisi~s, la peur des'responsabilités, l'indiff~­rence a l'avenir, l'éloignaient de sa famille. Freddy n'était pas fait pour vivre~une monotone et lassante vie quotidienne. " (6) "",

En 1920, Féla lui donne un troisième 'enfant. Mais cette

nouvelle naissance éloigne définitivement Cendrars. Apr~s . avoir quitt~ sa femme, il veut vivre le plus librement

possib~e. (7) Ce n'est qu'en 1950, on le sait, 9U'il

~pouseta la ~Jdienne Raymone, sa compagne depuis trente l ,!",~\r;~

ans. V:'.~j ,

Cependant, si la guerre a un effet de lib~ration

important sur Cendrars, elle ne trouve à ses yeux d'ancien

combattant aucune justification dans sQn oeuvre. ~l se

dégage, en effet, de son séjour au front un sentiment de

p'rofonde d~ception. Apr~s avq~r vécu luc~dement l'expé­

rience de la guerre, Cendrars sombre d ns le ,d~sespoir et~

le pe~simisme. Il développe iguê Be l'ab­

surdité de la vie humaine et rejoint par sa

auteurs contemporains ~els que Sartre, Camus et Malraux.-

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(5) Fêla Posnanaka-Cendrars, Récit d'une vie, dans l'nHjA. - acrets, p. 383.,'

(6) Id_. ( \

17) ~ut~ a, il ne divorcera d'avec Féla que le 16 • juill" .. 1937 •

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En tant que chroniqueur de guerre, Cendrars

se distingue nettement de plusieurs écrivains de sa génération (8), notamment de P~guy ou d'Apollinaire. La

guerre, pour notre auteur, est tout le contraire d'un acte héroïque et joyeux à la Guillaume Apollinaire', et

ne se veut pas sainte et justifiée comme chez Péguy:

elle est absurde dans son essence même. Marqu~ profon­

dément par les souffrances qu'elle engendre, Cendrars la

condamne radicalèment. Sans doute, cède-t-il lui aussi

3 la tentation de se décrire parfois comme un soldat'

intrépide.~' Mais dans l'ensemble de son oeuvre,~ il démystifie beaucoup plus qu'il ne valorise lJimage du soldat qui défend vai,llanunent la Patrie.

Il faut aussi préciser que Cendrars ne

s'inscrit aucunement d~s le éoura~t de la non~violence

à la suite d~~?andhi et Romain Rolland. ~ fasse huIle" distinction de gUèrre just~

, ...... .,., - )

Bien qu'il ne

ou de légitime

~-défense, nous pouvons croir~ que l'aut~ur adhêre aux "

.::.. ,'-' combats pour la préservation de la libert~. Lorsqu'en

1939 la deuxibe guerre., mondiale éclat~ra, ,il n'aura

qu'un but: reprendre le service. Son humanisme l~ porte , . .. alors d', emblé(! à défendre la dignité a~ 'la personne, humaine.

~. . Néanmoins, ~elques ann~es plus tart, Cendrars laisse

, ' échapper un cri de ~ésespoir: l'explosion de.la pr~ière bombe atomique (qu'il avait d'ailleurs prophétiquement

prév~e,d~~s Mbravagine) lui f~it_perdre à jamais toute

foi en la civilisation: a \

"',

,(8) Il serait certes intéressant de comparer' la guerre décrite par Cendrars aUx versions qu '., donnent Barbu.sse, Dorgelês, Duhamel et bien d'autres. Malheureusement, nous ne saurions le faire ,d'une façon três ~étaillêe" c.

dans ce 90urt mémoire. -

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~D'un seul coup 150,000 êtres 'humains volatisés en une fraction deoseconde. Pas'le temps de dir~ "Merde! ••• ft

.. Et tout autour du poin,t de chute, sur une vingtaine de kilomètres à la ronde, ISO~OOO autres, ~isant comme des toupies sul:' le flanc". Pompéi, Hiroshima. Quel progrès! On ~ppuie sur un bouton ••• Et pour un coup d'essai, cela n'est 'p~s mal et cela promet. Il paraît que l'on fera mie~ la prochaine fois. (9)

Il va sans dire qu'en 19l4,J3 la veille du , ,

premier conflit mondial, Cendrars estoloin d'avoir une

vision aussi sombre de l'avenir de l'humanité. Dans

l'appel qu'il signe avec Canudo, on trouve les ~lans

d'un défenseur de {a c~ilisation contre les -barbares" • . . Il f aut ~o~c conclure qpe ce n'est pas l' attrait _ d '_~n_~

vie dan~ereuse (comme le prétendent les biographes ~~

l'auteu!) qui a véritablement pouss~ Cendrars ~ s'engager.

Bien que nous ne voulions a~cunement conte~ter le goût

prononcé du po~te pour l'aventure, ii serait tout ~ fait

superf~ciel,de ~~ir dans sbn'~ngagement un remède ~ sa . -soif de l'inconnu,ou une occasion de mener la vie sportive

si souvent pr~née d~~ son oeuvre. c,

De plus, Cendrars s'est vite empressé, une

fois solpat, de faire savoir qu'il était homme de'son f!...),.) \ •

temps~ '~l n'a p~s_ combattu incogni~o, comme il l'affirme

dans La Main coupée. Au contraire, toùt le por~ait A

l'~poque a se dédouaner en montrant qu'i~ était p~êt à

défendre le pays qui l'avait acc~eilli. ~ mêm~'temps, la guerre lui pennettai:t de se libérer de ses nômb~.@:~

soucis p~cuniaires- ou familiaux.

. (9) Blaise Cendrars, Bourlinguer, p~·104.

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90 -

On peut 'souhaiter que bientôt: la critique ~ ,

,fasse officiellement le point sur la participation de

1'auteur à la première guerre mondiale et qu ',elle continue Î •

à démystifier la 1~ge~d7 de l'~crivain-aventurier que

Cendrars a si bien livrée à ses lecteurs.

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Qeuvrés ae Blaise Cendrars selon leurs années de parution. ,

S~quences, Edition des Hommes nouveaux, Paris 191'2.";

Les Pâques, Editions des Hommes nouveaux, ~aris, 1912.

La Prose du Transsibérien et de la etate Jehanne 8e rance, es Hommes nouveaux, Paris, 1913.

La Guerre au Luxembourg, ~iestlé, Paris, 1916.

Profond Aujourd'hui, La Belle Edition, Paris, 1917.

Le Panama ou les Aventures de mes sept oncles, Editions de la Sirène, Paris, 1918. ? , \

J'-ai tué, La'Bell~ Edition, Paris, 1918.

19 Poèmes élastiques, AU Sans Pareil, Paris, 1919. ,

Du Monde entier, N.R.p.}..Paris, 191,9. ' Ce volume comprend: Les'Pâques à New York, La Prose du Transsibérien, et ~e Panama.

La Fin du Monde, filmée par l'Ange N~D., Editions de la Sir~ne( Paris, ~919.

J'ai tué, nouvelle édition, Editions Georges Crès, Paris, 19l9~ ft

~'-Anthol"ogie nègre, Editions de la Sirène, Paris, 1921~.

Moganni Nameh, pub1i~ dans les'numéros 1 à t7 de Feuilles 11bres, p~ris. 1922-l92~. . 1

La Vénus noire, roman paru en feuilleton dans le Disgue vert, Bruxelles, 1923. ~ . .. L'Eubage (Aux antipOdes de l'Unité) , Etlitions dé l'Esprit nouveau, Paris, 1923. r .\

La Perle fiévreuse, publi~e en feuillet~n dans Signaux,. Bruxelles, 1923. .

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Kodak (DocumentaJ,,:esl. ;.ibrairie ~l>arfS. 19i~. ~.~--. \ : \-. ~

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o ,

- 93 -

Feuilles ,de Route (1. Le Formose), Au Sans Pareil, Paris, 1924.

L'Or, Grasset, Paris, 1925.

Moravagine, Grasset, Paris, 1926.

L'Eubage (Aux antipodes de l'unité), nouvelle édition, Au Sans Pareil, Paris, 1926.

Les Pâques à New York, nouvelle édition, René Kieffe-r, Paris, 1926.

L'Or, nouvelle édition, Collection Le Roman populaire, Paris, 1926. Q

Profond Aujourd'hui, nouvelle édition, Les Ecrivains r~unis, Paris, 1926.

J'ai tué, nouvelle édition, Les Ecrivains réunis, Paris, 1926. /J,-

Eloge de la Vie dansereuse, Les Ecrivains réunis, Paris, 1926.

L'A.B.C. du Cinéma, Les Ecrivains réunis, Paris, 1926.

AnthOloiie n~gre, nouvelle édition, Au Sans Pareil, Paris, 927.

Petits Contes n~~res pour les enfants des Blancs. Editions du Port~que, Paris, 1928.

L'Or, nouvelle édition, La Jolie Muse, Ferenszy, Paris, Inlf.

, Le plan de l'Aiguille, Au Sans Pareil, Paris., 1929.

Les Confessions de Dan Yack, Au Sans Parie1, Paris, 1929. ù

Comment 1.6B Blancs sont d'ancien~ Noirs, COf1ection Plais~r du Bibliophile, Paris, 1929.

Petits Contes n~gres pour les enfants des Blancs, nouvelle édition, Au Sans Pareil, Paris, 1929.

Verseau, 1929.

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- 94 -

Rhum (L'Aventure de Jean Ga1mot), Grasset, Paris, 1930.

L'Or, nouvelle ~ditiôn, Editions Henri Jonquières, Paris, 1930.

Aujourd'hui (Essais), Grasset, Paris, 1931. Ce volume comprend: Profond Aujourd'hui, J'ai tué, Eloge de la Vie dangereuse, L'A.B.C. du Cinéma, Le Principe de liUtilité, Le Roman français, Peintres, Poètes, Publicité: poésie, Actua1it€s.

Vol à Voile, Librairie payot, Lausanne, 1932.

L'Or, nouvelle édition, Editions des Bibliophiles "Les Exemplaires", Paris, 1932. '

Rhum, nouvelle ~dition, Nouvelles éditions de France, paris, 1934.

Panorama de la Pègre, B. Arthaud, Grenoble, 1935.

L'Or, nouvelle édition, L'Edition liégeoise, Liège, 1935.

Hollywood, Grasset, Paris, 1936.

Histoires vraies (Nouvelles), Grasset, Paris, 1937.

La Vie dangereuse, Nouvelles), Grasset, Paris, 1938.

O'Ou1tremer ~ Indigo (Nouvelles), Grasset, Paris, 1940~

Chez l'Armée anglaise, Corréa, Paris, 1940 (Edition détruite par les Allemands) •

·L' Or, nouvelle édition, Editions de la Nouvelle France, Paris, 1943.

Petits Contes n~gres pour les enfants des Blancs", nouvelle édition, Editions Jean Vigneau, Marseille, 1943.

poésies complètes de Blaise Çendrars, Denoêl, Paris, 1944. Cet ouvrage contient: Les pâques a New York, La Prosè du Transsib~rien, Le Panama, 19 Po~mes ê1asti~ues, La Guerre au Luxembourg, Sonnets dénaturés, poêmes n ares, Documentaires, Feuilles de Route, SUd-Américaines, poêmes ivers et les fragments parus de Au Coeur du Monde.

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L'Homme foudroy~, Deno~l, Paris, 1945. , , °l'

Le Vieux Port, Editions Jean Vigneau, Paris, 1946.

Rhapsodies gitanes, Editions Jean Vigneau, Paris, 1946.

Dan Yack, Edition de la Tour, Paris, 1946. Ce volume comprend: Le Plan de l'Aiguille et Les Confessions. de Dan Yack.

La Main coup€e, Denoel, Paris, ~6:

Anthologie nègre, nouvelle €dition, Corréa, Paris, 1947.

Moravagine, nouvelle édition, Club français du Livre, Paris, 1947

L'Or, nouvelle ~dition, Grasset, Paris, 1948.

Bourlinguer, Denoêl, Paris, 1948.

La Fin du Monde (avec une préface inédite Pro Domo), Seghers, Paris, 1948.

Le Lotissement du Ciel, Denoêl, Paris, 1949.

La Banlieue de Paris (avec 135 photographies de Robert 0ô1sneau), Seghers, Par~s, 1949.

Dan Y?ck, Club .français du L~vre, Paris, 1951 •

." Blaise Cendrars v'ous parle (texte d'une série de dix entretiens ~ la Radiodiffusion française, recueilli par Michel M~noll), Denoêl, Paris, 1952.

Le Brésil, - Des hommes sont venus, Les Documents d'Art, Mônaco" 1952.

La Grand-Route, Bibliophiles èt Graveurs d'aujourd'hui, Par1s, 1952.

No~l aux quatre coins du monde, Les Amis de l'Originale, Paris, 1953.

Bourlinguer, nouvelle ~dition, Club, du meilleur livre, /,

PatlA, 1953.

Emmêne-moi au bout du monde, Denoêl, Paris, 1955.

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- 96 -

. l' os 14 Serajevo dans Ed~cation et V1e rura e, N 13-" Paris, 1955.

Le Paysage dans l'oeuvre de Fernand Léger, -Editions ~ Carré, Paris, 1957.

Trop c'est trop( Denoêl, Paris, 1957.

A'l'Aventure (Textes choisis), Denoêl, Paris, 1958.

Films sans Imâ6es, Denoêl, IParis, 1959. (Avec la coll oration de Nino Frank) Ce volume contient: Serajevo, ~illes de Rais, Le Divin Arétin.

Bourlinguer, nouvelle édition, Le Livre de Poche, Denoêl, Paris, 1959.

L'Homme foudroyé, nouvelle édition, Le Livre de poche, Denoêl, Paris, 1960.

Moravagine, nouvelle édition, Le Livre de Poche, Grasset, Paris, 1960.

L'Or, nouvelle édition, Le Livre de Poche, ·Denoêl, ParIs, 1961.

~

Amours (trois po~es inédits de 1912) Seghers, Paris, 1961.

" -~ Oeuvres compl~tes: Les Editions Denoêl ont entrepris

d~s 1960 la publication des Oeuvres compl~tes de Blaise Cendrars" Huit tomes ont paru depuis lors comprenant dans l'ordre de parution:

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Tome l (3e volume de la s~rie):

Le Plan de l'Aigûille - Les Confessions de Dan Yack - Rhum, L'Aventure de Jean Galmot -HIStoir~raies. 1960.

Tome ~I (Se volume) :

L' Homme foudroyé - La Main coupêe.. 196.0.

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Torne III (6e volume) :

Bourlinguer - Le Lotissement du Ciel. 1961 • .

Tome IV (2e volume) : 1

La Fin du monde filmée par l'Ange Notre-Dame -L'Eubage - L'Or, la merveilleuse histoire du général Johann-August Suter - Moravagine -petits Contes n~gres pour les enfants des Blancs. 1962.

, Torne V (4e volume) :

La Perle fiévreuse - Moganni Nameh - Comment les Blancs sont.d'anciens Noirs - Aujourd'hui -Vol à voile - Panorama de la pègre - Hollywood, la Mecque du cinéma - La Vie dangereuse. 1962.

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Torne VI (1er volume) : ,

oésies corn lètes - Anthologie, nègre. 1963.

l (7e volume) :

\) 'une nuit dans, la forêt - Che:l: l' armée anglaise -La Banlieue de Paris - Emm~ne-moi au bout du MOnde. 1964.

Torne VIII (Se volume) :

D'Oul~remer A Indigo - Trop c'est trop - Films sans 1mages - Bla1se Cendrars vous parle -Bibliographie g~nêrale. 1965.

~élanges (Blaise Cendrars 1887-1961), Mercure de France, paris, 1962.

Le 'Transsibérien, avec un portrait in~dit de Blaise Cendrars par Modigliani, et, en suppl~ment, les repro­ductions inédites des premi~es ~preuves corrigées de la main (droite) de Blais~Cenarars en 1912, nouvelle édi tiQn qui reproduit, poul; le texte, la typographie _ originale de Blaise Cendrars exécutée en 1912 pour les "Editions des Hommes Nouveaux", Pierre Segher$, Paris, 1966.

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- 98 -

Du Monde entier, nouvelle êditi~n, Gallimard, Collection poêsie, Paris, 1967. Ce volume contient: Les Pâques A New York, La Prose du ~~ Transsib~rien, Le Panama, 19 Poèmes êlestiques, La Guer~ au Luxembourg, Sonnets dêna~urês,po~mes n~gres et Docu­mentaires.

- Au Coeur du Monde, nouvelle édition, Gallimard, Collection Poês~e, Par~s, 1968. ~ Ce volume contient: Feuilles de Route, Sud-Américaines, poèmes divers et lèS fragments retrouvês de Au Coeur du Monde.

oeuvres complètes (avec une Introduction ~ la 1ecturé de Blaise Cendra~s par Raymond Dumay), êdition êtab1ie avec la collaboration de Nino Frank, 15 volumes plus celui des Inêdits secrets présenté par Miriam Cendrars, la fille de l'auteur, Club français du Livre, Paris, 1968-69. , Dites-nous, Monsieur Blaise Cendrars ..• (Réponses aux enquêtes littéraires de 1919 à 1957, recueillies, anno­têes et préfacées par Hughes Richard) Editions Rencontre, Lausanne, 1969.

Emm~ne-moi au bout du Mon~11e édition, Denoêl, Collection Folio, 'Paris., 1971 • .J. L'Or, nouvelle éditiort, Denoêl, Collection Folio, Paris, ~. 0

Traductions d~ Blaise Cendrars selon leurs années de parution:

La Rose, po~e d'Otto Klein, traduit du tch~que, Editions des Hommes nouveaux, Pa~is, 1912.

'. Bringolf, Mémoires de feu ~e li~ut~nant Brinerolf, traduit" _. __ de l'all~and par Paul Budfy, version Blaise Cendrars; Collection Les Têtes brillées, Au sans Pareil, Paris, 19"30:

, (l -Al Capone, biographie par Fred P~sley, traduit de l' an91a~, collection. Les' Têtes brillées, -Au Sans' Pareil, Paris, 1930.

• 1 • r: Hors-la-loi, La vie d'un,outlaw américain, ~ Jennings,

" racontée par lui-même, traduit et adapté de l'américain, Grasset, Paris, 1936. t"'. ' '.

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Forêt vierge, roman de F~,,rreira de Castro, traduit du portugais, Grasset, Pari$, 1938.

Préfaces de Blaise Cendrars selon leurs ann~es'de parution:

La Poésie d'au~ourd'~ui, par Jean Epstein, Editions de la Sir~ne, Par1s, 1~2l.

( -

Csaky, par Walderman Garge, Editions"Art, Paris (sans date) .

L'Aigle et le Serpent, par M.L. Guzman (traduction de ~athilde pam~s) ,I J . O• Fourcade, Paris, 1930.

Forêt vierge, par Ferreira de Castro, Grasset, Paris, 1938.

Le spectacle est dans la rue, album d'affiches de A.M. Cassandre, niaeger Fr~res, Paris (sans' date).

Hors-la-loi, par Al Jennings, introduction A la traduction en portugais, Editions Teixeira, Lisbonne, 1940.

Les Fleurs du Mal, par Baudelaire, Union bibliophile de France, Collection Vox, Paris, 1940.

Le Paris de Balzac, préface ~ une nouvelle ~dition de Ferrag~s, Le Club français du Livre, Paris, 1950.

Fernand Léger, Les Constructeurs, Editions Falaize, Paris, 1951.

(,

La F~ticheuse, présentation du film Alger-Le Cap de Marcelle Goetz, choix, Paris, 1952.

La Voix du sang, préface A la traduction de L'Enfant de la plantation de José Lins do Rego, Editions des Deux Rives, ".

J paris, 1953. ~

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- 100 -

Liste des revues et journaux auxquels Cendrars a collaboré:

1907-1910: L'Etudiant de P~ris - La Forge - La Foire aux chim~res - Les Actes des Poètes - Le Journal des Etudiants.

1910-1912:

1912-1914:

1914-1918:

1918-1924:

924':1930:

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930-1939:

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Butterick's Maga~inJNew York).

Les Hommes nouveaux ~ Das Buch (~er1in) Les Feuillets (Gen~v - Revue Internationale de l'Industrie, du Commerce'et de l'A1ricuiture -La Revue Moderqe - Le Monde Industrie - La Revue des Industries de l'Alimentation - La Terre - Les Echos de Silence - De~ pionier- t {Berlin) - Les Soi~ées de Paris - Montjoie -Der Sturm (Berlin) - Die Aktion (Berlin) Revolution' (Munich).

1

Mercure de France - Le Journal des Inventeurs -La Renaissance - La Caravane - Le Miroir -L'Instant - Avanséoperta (Rome) - De Stilf (Leyde) - et,' sans le savoir au Cabaret Voltaire (Zurich) .

La Rose rouge - Les Hommes du jour - Les Ecrits nouveaux - LTAction - Litt~r~ture - La Revue europ~enne - sic - L'Oeuf dur - Montparnasse -t'Esprit'nouvëaü - Promenoir .(Lyon) - Le Disrue' vert (Bruxel.les) -' La Lanterne sourde (Bru'tE! les) '­LaRevue romande (Lausanne) - Cosmopolis (Madrid), -The~room (New York, Rome et Paris) - The ,

. plowhare (Woodstock) - D'Aci d'Alla (B8rëelone) Graecia (Séville) - Noi (Rome) - Ecrits du Nord (Bruxelles) - 900, (RO:më).

Les Feuilles libres - Le Navire d'argent Tous , les livréa - Les Cahiers du Sud ..! Les chronIques du jour -'~9ue - Chanteclerc - L'Intransi~eant ~ 1

Montparnasse - ttHumanit~ - N.R.F. - Le S01r · (Bruxelles) - Les câbias romands (Lausanne) -' . sê1ectioh (Anvers) - 0 Jorna1 (Rio de Janeiro) - J, Harper's'Ma9azine (New York) - Letros (Santiago de Chili)" . . . _

Vu - Orbes - Exce1sior - Gringoire - Paris-Spir Lës Noûvel1es littéraires - Le Jour - Match -Der Querschnitt (Berlin) - 0 Jornal (Rio de Janeiro) • >

,,. . '

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- 101 -

• 1939-1940: Correspondant de guerre accrédité au G.H.Q.

britannique, Cendrarstrepr€sente jusqu'en avril 1940 un consortium de jo~rnaux: L'a .. Petite Gironde - Le Petit Marseillais =-Le R€publicain orl€anais - La D€pêche algérIënne - .­Le Vigie marocaine - Le Mémorial de Saint-Etienne La Dép~che de Brest~ puis en mai et juin 1940, exclusivemenf5Paris-Soir.

1945-1950: po€sie 44 - Confluences - Carrefour - Gavroche -Le Pays - Minerve - Les Nouvelles littéraires -Cavalcades R€alit€ - Les Oeuvres libres - Adam -Samedi-Soir - P.-Magazine (Marseille) - Le~val de Troie --Maintenant - Horizon (Nantes) - La Revue de Paris - Souffles. (Montpellier).

, <-..

1950-195~: France-Soir - Di~che-Soir - Paris-Presse -'Intransi eant ~'El1e - L'Album du Figaro

Vo e - Le Jardin ~modes - Les Nouvelles l tt raires'- La Table ronde-- La Revue de Paris Les Oeuvres l~bres - Arts - Op§râ - La Revuê des voyages - La azett'e dëSLettres - Simoun, (Oran) Carrefour.

\1953-1957: L~s Nouvell~s litt€raires - Le JardiR des modes -Arts - Adam - Le Figaro littéraire - Les Lettres trançaises-- Carrefour.

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AB S TRACT

CHAPITRE l

CHAPITRE II

o CHAPITRE III

• CHAPITRE I~

, CHAPITRE V '

CONCLUSION L

B1BLIOGRAPHIE

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TABLE DES MATIERES

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- •••••••••••••.•••••••••••• .;............... 3

- INTRODUCTION BLAISE CENDRARS~T SA LEGENDE ••••••••••• 5

~

- LA PARTICIPATIQN DE CENDRARS ~ LA . " (fi. 25 PREMIERE GUERRE MpNDIALE • ' ••••••• ~ •••••

, LE SOLDAT DANS L'OEUVRE DE CENDRARS ••••• 41 ,

- LES SOUFFRANCES DE LA GUERRE VUES P'AR CEND ~S •••••••••••••••••••••••••••• 56

LA PEUR ET LE COURAGE DANS L,~UNIVERS IMAGINAIRE DE CENDRARS •••••••••• _ ••••••• 69

, _ •.................•......••.........•.•.. 84

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