art - la «secondaritÉ », concept central de la mÉtaphilosophie contemporaine

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LA «SECONDARITÉ », CONCEPT CENTRAL DE LA MÉTAPHILOSOPHIE CONTEMPORAINE Author(s): G. Hottois Source: Les Études philosophiques, No. 3, PHILOSOPHIE ALLEMANDE (JUILLET-SEPTEMBRE 1978), pp. 373-376 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20847498 . Accessed: 06/10/2013 17:40 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Les Études philosophiques. http://www.jstor.org This content downloaded from 186.125.44.154 on Sun, 6 Oct 2013 17:40:42 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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LA «SECONDARITÉ », CONCEPT CENTRAL DE LA MÉTAPHILOSOPHIE CONTEMPORAINEAuthor(s): G. HottoisSource: Les Études philosophiques, No. 3, PHILOSOPHIE ALLEMANDE (JUILLET-SEPTEMBRE1978), pp. 373-376Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/20847498 .

Accessed: 06/10/2013 17:40

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Etude critique

LA ? SECONDARITE ?, CONCEPT CENTRAL DE LA METAPHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

L'inflation du langage dans la philosophic contemporaine est un fait bien connu. C'est a tort que l'on pense quelquefois que ce phenomene affecte surtout ou exclusivement le monde anglo-saxon oil regnerait une ? philosophic du

langage ? par opposition a la pensee continentale centree sur les ? choses elles memes ?, sur la rtalite. Un coup d'ceil sur les productions recentes (posterieures a 1950) de la tradition continentale ttablit qu'en France, comme en Allemagne, la philosophic est litteralement obstdee par le langage1.

Pourquoi cette inflation du langage dans la philosophic contemporaine ? Est-ce que les formes allemandes ou franchises de ce phenomene sont compa rables aux manifestations anglo-saxonnes ? Est-il possible de cerner l'unite de cette obsession multiforme sous un concept unique ? Telles sont les questions auxquelles nous essayerons de donner, dans cet article, des elements de reponse.

Ecoutons Ayer :? Nous sommes convaincus que la philosophic n'est pas en etat de rivaliser directement avec les sciences; que c'est une activite secondaire, si je puis dire, c'est-a-dire qu'elle ne porte pas directement sur les faits mais sur la fa$on dont nous exprimons les faits ? (Colloque de Royaumont sur La philo sophic analytique, p. 340).

Cette phrase de Ayer cerne le probleme en introduisant incidemment la notion de secondarite et en suggerant meme quelle est la cause de celle-ci. La

philosophic serait vouee a l'etude du langage, des discours parce que la science

positive moderne a mis la main sur le referentiel reel, sur Pensemble du champ extralinguistique. Ce serait par une reaction a l'imperialisme techno-scientiflque que la philosophic s'est faite metalinguistique, deplacant son objet d'une reference directe ou primaire a une reference seconde : le langage. La philosophic tradi

tionnelle, elle, etait directement referentielle (il importe peu de notre point de vue que ses referents ultimes soient materiels ou ideaux); elle etait, selon des

i. Voyez, par exemple, Unterwegs Sprache de Heidegger ; Wahrheit und Methode de Gadamer ; Transformation der Philosophic de Apel ; Logique du sens de Deleuze ; Les mots et les choses de Foucault ; De la grammatologie de Derrida...

Les Etudes philosophiques, n? 3/1978

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374 G. Hottois

formes multiples, essentiellement ontologique, puisqu'elle parlait de cela qui est de la facon la plus eminente, la plus fondamentale et originelle.

Un exemple typique de la philosophic metalinguistique malheureuse est le Tractatus de Wittgenstein. Dans celui-ci, Wittgenstein attribue a la philosophic un role metalinguistique de critique du langage; pourtant, en meme temps, il ne peut se contenter de cette secondarite et il continue d'assumer le vecteur

metaphysique ou ontologique traditionnel puisque son Tractatus ne cesse de

parler de ce qui est, des choses elementaires, de la structure du monde. Cest la contradiction entre la persistance de la philosophie ontologique traditionnelle et la fatalite contemporaine de la secondarite qui se trouve au centre de Pincon fort de Pauteur du Tractatus oblige de denoncer comme non-sens Pensemble de ces propositions qu'il vient d'ecrire et qui transgressent Pinterdit d'un langage philosophique directement referentiel.

II n'est pas possible de faire ici Pinventaire de toutes les formes de la secondarite philosophique anglo-saxonne. Elles se deploient soit selon les

principes du positivisme logique (culminant par exemple chez Quine), soit selon les mots d'ordre de la philosophie analytique dont il ne faut pas exagerer le retour a des considerations extralinguistiques (ce retour est quasi absent du second Wittgenstein et la ou, par exemple, chez Austin il est revendique, il concerne presque exclusivement les choses psycho-socio-politique, c'est-a-dire

un champ referentiel intrinsequement symbolique, tres different de la classique referentialite extralinguistique). Le caractere principal de la secondarite anglo saxonne est, selon nous, la metalinguisticite : le philosophe thematise, objective et analyse plus ou moins methodiquement le langage et les discours; il les reflechit critiquement et systematiquement en un discours ou un langage seconds, d'un niveau distinct (metalinguistique).

La tradition la plus propre au continent est celle de la phenomenologie hermeneutique-dialectique. Cest dans le sillon de celle-ci que pensent philoso phes francais et allemands. A premiere vue, Pinflation du langage semble epar gner cette tradition. En r^alite, il n'en est ainsi que si Pon considere la premiere moitie du xxe siecle; Paboutissement de la tradition phenomenologique hermeneutique-dialectique est tout aussi hante par le langage que la philosophie metalinguistique. Nous Pavons signale

en commengant. II est curieux et significatif de retrouver ici encore et sous la plume de

penseurs tellement differents, la notion de secondarite. Derrida :? La secondarite

qu'on croyait pouvoir reserver a Pecriture (or la philosophie est pratique de Pecriture selon Derrida, HG) affecte tout signifie en general, l'affecte toujours deja, c'est-a-dire d'entree de jeu ? (De la grammatologie, p. 16).

Gadamer : ? Le langage de Pinterprete (or, pour Phermeneutique philoso phique de Gadamer, la philosophie est essentiellement ? interpretation ? de la

tradition, HG) est assurement un phenomene secondaire de langage, par exemple si on le compare a Pimmediatete de Pentente entre les gens (a propos de faits, HG) ou a la parole du poete ? (Wahrheit und Methodey p. 449).

Bien sur, nous y reviendrons, les formes de secondarite auxquelles Gadamer et Derrida vouent la philosophie ne sont guere comparables a la secondarite

metalinguistique. D'ailleurs, et nous touchons peut-etre ici a la raison profonde de la divergence entre Pinflation linguistique anglo-saxonne et Pobsession

langagiere continentale, il est possible de reperer dans les deux livres fondamen taux pour la tradition phenomenologique posthusserlienne

? Sein und Zeit et

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La metaphilosophie contemporaine 375

Phenomenologie de la perception ? cles passages ou Heidegger et Merleau-Ponty

refusent Tun et l'autre une philosophic qui ne serait que du langage et ou ils reclament une philosophic soucieuse des choses elles-memes, de la realite

ontologique. ? La reflexion philosophique doit renoncer a la ? philosophic du

langage ? pour se reporter aux ? choses elles-memes ? (...)? {Sein und Zeit, p. 166).

? Ce positivisme logique (qui, s'interrogeant sur la conscience par exemple, analyse les significations du mot? conscience ? et son histoire semantique, HG) est aux antipodes de la pensee de Husserl. Quels que puissent etre les glisse ments de sens qui finalement nous ont livre le mot et le concept de conscience comme aquisition du langage, nous avons un moyen direct d'acceder a ce qu'il designe,

nous avons Pexperience de nous-meme, de cette conscience que nous

sommes, c'est sur cette experience que se mesurent toutes les significations du

langage (...) ? {Phenomenologie de la perception, p. x). Refusant la ? philosophic du langage ?, la pensee continentale a tente de

conjurer ce qu'elle eprouvait comme le scandale d'une secondarite explicite, etalee au grand jour. Toutefois, Pinsistance du langage des les ouvrages fonda teurs de la phenomenologie posthusserlienne, l'explosion de Pinteret pour le

langage dans les productions avancees de la phenomenologie-hermeneutique dialectique, suggerent Phypothese suivante. La philosophie continentale n'aurait recule que pour mieux sauter; elle n'aurait esquive la secondarite metalinguis tique que pour se livrer de facon d'abord peu apparente mais progressivement de plus en plus eclatante a une secondarite et une inflation langagiere speci fiques. Car, dans Unterwegs ̂ ur Sprache de Heidegger ou dans Wahrheit und Methode de Gadamer par exemple, et, selon une forme differente dans Pecriture derridienne aussi, le langage a bien pris la place de Petre : Petre est langage. Autrement dit, la referentialite ontologique et extralinguistique classique s'est tout autant dissoute que dans la philosophie du langage.

II serait meme possible de montrer que le reel referentiel extralinguistique s'est derobe dans la phenomenologie-hermeneutique-dialectique d'une fa^on incomparablement plus radicale que dans la philosophie anglo-saxonne qui, somme toute, s'accommode le plus souvent d'un sens du reel ordinaire guere altere.

La secondarite anglo-saxonne etait metalinguistique. Nous proposons

d'appeler adlinguistique celle du continent. La philosophie adlinguistique n'as sume pas sa marginalite comme une necessite de reflexion thematique, objec tivante et analytique des discours d'autrui. Elle ne se situe pas a un niveau d'ou elle surplomberait Pobjet linguistique ou discursif dont elle s'occupe. Au

contraire, elle se veut sur le meme plan,

et c'est comme lateralement qu'elle s'alimente aux discours d'autrui (le plus souvent, les discours du passe, de la tradition ou des sciences humaines) qu'elle investit. La marge adlinguistique est hermeneutique, dialectique ou dialogique. La philosophie adlinguistique s'epuise toute dans le depassement ambigu (qui conserve autant qu'il rompt), dans la destruction ou la deconstruction egalement ambigues, dans l'explicita tion/interpretation du non-dit, de Pimplicite, de Pimpense, dans le dialogue avec la tradition qui la porte. On voit combien ces pratiques different de la philo sophie metalinguistique. Certes, il y a place entre ces deux limites typiques pour bien des exercices mixtes de la secondarite : celui par exemple de la philosophie

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376 G. Hottois

rhetorique2 qui est, simultanement, soucieuse de thematisation analytique meta

linguistique et ouverte a Phermeneutique, au dialogue, a la nature non refe

rentielle, non denotative du sens (glissements m&aphoriques et metonymiques, liaisons semantiques laterales multiples). Ce qui est sur, c'est que la secondarite

adlinguistique procede egalement d'une reaction au succes de la science moderne. On sait que la tradition phenomenologique-dialertique-hermeneu tique a toujours ete soucieuse de sauvegarder au profit de la pensee philoso phique une ouverture a une reality plus originaire que le reel de la science. Toute Thistoire de cette tradition est aussi Phistoire d'une strategic complexe deployee contre Pimperialisme techno-scientifique. Et il y a mieux : dans les ecrits du dernier Heidegger3, on percoit nettement une sorte d'effroi a Pendroit de la techno-science; cela montre combien toute son attitude philosophique a

ete, le plus souvent obscur^ment, guidee par la reaction aux succes de la techno science.

Le caractere specifique le plus universel de la philosophic contemporaine est Pinteret pour le langage. Cet interet pr^sente des formes multiples mais il

procede, semble-t-il, d'une cause unique, quoique tres inegalement reconnue, et il rassemble dans un meme destin. Ce destin est celui de la secondarite* philo sophique. La cause de cette secondarite est la mainmise par la science sur le referentiel reel extralinguistique.

La secondarite est polymorphe; pourtant, il est possible d'identifier deux

grands flancs : metalinguistique et adlinguistique, qui partagent dans Punite* d'une fatalite commune le monde philosophique et constituent en meme temps les deux modes majeurs de Pinflation du langage dans la philosophic contem

poraine. La notion de secondarite* est metaphilosophtquement importante pour deux

raisons : d'abord, parce qu'elle permet une determination metaphilosophique nuancee et unitaire de la philosophic contemporaine mondiale; ensuite, parce que la metaphilosophie habite la secondarite : jamais autant qu'aujourd'hui, le

philosophe n'a ete metaphilosophe, qu'il s'agisse du philosophe de la m?ta

linguisticit6 qui analyse les discours philosophiques ou du philosophe de

Padlinguisticite qui dialogue avec la tradition philosophique.

Colloque de Royaumont sur La philosophie analytiquey Paris, Ed. de Minuit, 1969. Derrida (J.), De la grammatologie, Paris, Ed. de Minuit, 1967. Gadamer (H. G.), Wahrheit und Metbode, Tubingen, J. C. B. Mohr, 1970. Heidegger (M.), Sein und Zeit, Tubingen, Niemeyer, 1967. ?

Unterwegs %ur Sprache, Pfullingen, Neske, 1971. Merleau-Ponty (M.), Pbe'nome'noloffe de la perception, Paris, Gallimard, 1972. Wittgenstein (L.), Tractatus, London, Roudedge & K. Paul, 1969.

(La date est celle de Tedition a laquelle nous nous referons.)

G> Hottois, FNRS, Universite de BruxeJ/es.

2. Ainsi, Pceuvre de C. Perelman (cf. notre article Philosophie du langage et Philosophie de Pargumentation, in Rev. de Mitapbys. et de Morale, 1977).

3. Voyez, par exemple, Hebel. Der Hausfreund, Die Frage nach der Tecbtu'k, Was heisst

Denken?, Spiegel-Gespracb...

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