Écologie trophique de la tortue verte chelonia mydas dans les
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cologie trophique de la tortue verte Chelonia mydasdans les herbiers marins et algueraies du sud-ouest de
locan IndienKatia Ballorain
To cite this version:Katia Ballorain. cologie trophique de la tortue verte Chelonia mydas dans les herbiers marins etalgueraies du sud-ouest de locan Indien. Sciences agricoles. Universit de la Runion, 2010. Franais..
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UNIVERSITE DE LA REUNION
ECOLE DOCTORALE INTERDISCIPLINAIRE
Thse de Doctorat prsente pour obtenir le grade de Docteur
Discipline : Biologie
Spcialit : Biologie de lEnvironnement et des Populations, Ecologie
par Katia BALLORAIN
Ecologie trophique de la tortue verte Chelonia mydas
dans les herbiers marins et algueraies
du sud-ouest de locan Indien
Soutenue publiquement le 12 Fvrier 2010 devant la commission dexamen constitue de : Jean-Yves GEORGES Co-directeur de thse Charg de recherche, CNRS IPHC, Strasbourg Henri GRIZEL Co-directeur de thse Directeur de recherche, IFREMER, La Runion Herv FRITZ Rapporteur Directeur de recherche, CNRS LBBE, Lyon Charles Franois BOUDOURESQUE Rapporteur Professeur, Centre dOcanologie, Marseille Henrich BRUGGEMANN Examinateur Professeur, ECOMAR, Universit de La Runion Georges HUGHES Examinateur Directeur du KwaZulu-Natal Wildlife, Afrique du Sud Simon BENHAMOU Examinateur Directeur de recherche, CNRS CEFE, Montpellier Stphane CICCIONE Membre invit Directeur de Klonia lobservatoire des tortues marines, La Runion
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Rsum
Les relations interspcifiques sont un indicateur naturel de ltat de sant dun cosystme et de son ventuelle volution. Dans le contexte actuel de changement climatique et dintensification des activits humaines, nous dcrivons, par une approche intgre, les interactions existant entre les tortues vertes et leurs ressources trophiques, afin de comprendre une partie de la dynamique de la biodiversit marine. La tortue verte est la seule tortue marine herbivore aux stades sub-adultes et adultes. Elle se nourrit principalement sur des herbiers et des algueraies en milieu ctier relativement peu profonds et constitue ainsi un modle privilgi pour tudier lcologie trophique et fonctionnelle des tortues marines en conditions naturelles.
Le travail prsent dans ce manuscrit tudie deux populations de tortues vertes : la premire salimentant de phanrogames marines sur le site de NGouja Mayotte et la seconde dalgues benthiques sur la cte ouest de lIle de La Runion. A ce stade de ltude, le systme tortues vertes-herbier est le mieux connu. Nous pouvons proposer une synthse des relations existant entre le comportement de plonge et dalimentation dindividus sexuellement immatures et matures avec la disponibilit trophique au sein dun herbier marin plurispcifique. Par ailleurs, notre tude nous a permis dengager le monitoring du systme tortues vertes herbier marin de NGouja et den dcrire les premires tendances. Il dcoule galement de notre tude des indicateurs du stade phytodynamique dun herbier plurispcifique et de la pression dherbivorie exerce par les tortues vertes qui nous permettent denvisager les rponses cosystmiques dun systme tel que celui de NGouja sous diffrents scnarii environnementaux. Enfin, dans un cadre plus large, nous posons la question de savoir si lvolution statutaire de Mayotte peut contribuer approfondir et prenniser la protection des tortues marines qui se trouvent sur son territoire. Nous dcrivons la dpartementalisation comme un moyen daccentuer le processus de clarification du droit applicable Mayotte et dassurer des moyens humains, matriels, et financiers ncessaires la protection de lenvironnement.
Des recensements ariens raliss au dessus de la cte ouest de lle de La Runion rvlent la prsence dindividus sexuellement matures et immatures, dont le nombre augmente depuis 1996. Cette approche nous aura permis didentifier une frquentation prfrentielle des habitats coralliens et de dcrire, partir dobservations sous-marines parallles, la cte ouest de lle comme un site dalimentation dindividus matures et dindividus en phase de croissance.
Ce travail renforce les bases scientifiques ncessaires la mise en place de stratgies de conservation des tortues marines et de leurs habitats.
Mots clefs : tortue verte Chelonia mydas, herbier marin, phanrogame, algueraie, Mayotte, Runion, Sud-ouest de lOcan Indien, cologie trophique
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
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Abstract
Sea turtles are long-distance migratory species with a worldwide distribution. Their reproduction primarily relies on body reserves stored during the time spent on foraging grounds prior to the nesting season. Accordingly, the investigation of foraging behaviour of sea turtles is critical for better assessing their biology but also for conservation issues of these endangered species. Green turtles predominantly forage in shallow coastal waters, which are fairly accessible marine ecosystems, providing a unique opportunity to investigate sea turtle ecology.
The study was conducted in two foraging sites of green turtles located in the south-western Indian Ocean: Mayotte (seagrass meadow) and Reunion Island (algae spots). Thanks to fine-scale sampling of feeding activities, we addressed the lack of research investigating the food requirements and the trophic role of green turtles. To day, feeding activities of green turtles are better known on seagrass. We described the habitat use, the food intake, and the herbivory pressure of green turtles exploiting a multi-sepcies seagrass meadow of Mayotte Island.
Such results are paramount for the management and conservation of seagrass meadows and endangered sea turtles.
Key-words: green turtles Chelonia mydas, seagrass, algae, Mayotte, Reunion Island,
Southwestern Indian Ocean, foraging ecology
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Laboratoires et organismes daccueil
:
Institut Pluridisciplinaire H. Curien Dpartement Ecologie, Physiologie et
Ethologie, UDS, CNRS ; 23 rue Becquerel, 67 087 Strasbourg, France
Kelonia, lObservatoire des tortues marines de La Runion, 46 rue du Gnral de
Gaulle, 97 436 Saint Leu, La Runion, France
Institut Franais de Recherche pour lExploitation de la Mer de La Runion, Rue
Jean Bertho, BP 60, 97 822 Le Port Cedex, La Runion, France
Universit de La Runion, 15 Avenue Ren Cassin, BP 7151, 97 715 Saint-Denis
Messag Cedex 9
Financements et soutiens logistiques
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
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Sigles utiliss
:
CCL : (pour Curved Carapace Lenght) : longeur courbe de carapace
CDM : Collectivit Dpartementale de Mayotte
CEDTM : Centre dEtude et de Dcouvertes des Tortues Marines
CMR : Capture-Marquage-Recapture
CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
DAF : Direction de lAgriculture et de la Fort
ICE : Indicateur de Changement Ecologique
IFREMER : Institut Franais de Recherche pour lExploitation de la Mer
IPHC : Institut Pluridisciplinaire Hubert-Curien
SCL : (pour Straight Carapace Lenght) : longeur droite de carapace
SOOI : su-ouest de lOcan Indien
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Table des Matires Table des Matires .................................................................................................................. 7
1 Introduction gnrale ......................................................................................................... 111.1 CONTEXTE ECOSYSTEMIQUE ............................................................................................................ 12
1.1.1 Services et processus ................................................................................................................... 121.1.2 Fonctionnement des cosystmes ............................................................................................. 13
1.1.2.1 Lacquisition des ressources trophiques ...................................................................................... 131.1.2.2 Le rle fonctionnel des espces .................................................................................................... 151.1.2.3 Les indicateurs cologiques ........................................................................................................ 151.1.2.4 Les relations plantes-herbivores ................................................................................................. 16
1.2 ECOSYSTEMES MARINS LITTORAUX ................................................................................................. 171.2.1 Des cosystmes vgtaux .......................................................................................................... 18
1.2.1.1 Les herbiers marins .................................................................................................................. 191.2.1.2 Les algueraies ........................................................................................................................... 23
1.2.2 Des herbivores ............................................................................................................................. 241.3 TORTUES MARINES .............................................................................................................................. 27
1.3.1 Leurs statuts .................................................................................................................................. 271.3.1.1 Le contexte gnral ................................................................................................................... 271.3.1.2 Des modles dtudes ................................................................................................................. 28
1.3.2 La tortue verte .............................................................................................................................. 291.3.2.1 Les phases de vie ....................................................................................................................... 301.3.2.2 Un modle dtude pertinent ...................................................................................................... 31
1.4 PROBLEMATIQUE & OBJECTIFS DE LETUDE .................................................................................. 32
2 Contexte rgional & Caractristiques stationnelles ........................................................... 352.1 LE SUD-OUEST DE LOCEAN INDIEN ............................................................................................... 37
2.1.1 Le contexte rgional .................................................................................................................... 372.1.1.1 Les tortues marines ................................................................................................................... 372.1.1.2 La vgtation marine ................................................................................................................ 38
2.2 LES STATIONS DETUDE ...................................................................................................................... 392.2.1 Mayotte .......................................................................................................................................... 392.2.2 La Runion .................................................................................................................................... 42
3 Size-related habitat use of green turtles foraging on a multispecific seagrass bed ........... 47
4 Early assessment of trends in a multispecific seagrass meadow exploited by green turtles at Mayotte Island ................................................................................................................... 71
5 Seasonal diving behaviour and feeding rhythm of green turtles at Mayotte Island .......... 97
6 Daily food intake of green turtles foraging in an intertidal seagrass meadow ................ 129
7 How green turtles contribute to the maintenance of coastal biodiversity ....................... 147
8 L'volution statutaire de Mayotte et les enjeux environnementaux : l' exemple de la protection des tortues marines ............................................................................................ 173
9 Ultralight aircraft surveys reveal marine turtle population increases along the west coast of Reunion Island ................................................................................................................ 217
10 Discussion gnrale & Perspectives ............................................................................... 23310.1 SYNTHESE ........................................................................................................................................ 235
10.1.1 Systme tortues vertes-herbier marin .................................................................................. 23510.1.1.1 Utilisation de lhabitat et stratgies alimentaires des tortues vertes ......................................... 23510.1.1.2 Dynamique du systme ........................................................................................................ 238
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
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10.1.1.3 Bilan ................................................................................................................................... 23810.1.2 Systme tortues vertes-algueraie ........................................................................................... 239
10.1.2.1 Rpartition spatio-temporelle des tortues vertes ...................................................................... 23910.1.2.2 Structure de la population de tortues vertes ........................................................................... 24010.1.2.3 Comportement alimentaire des tortues vertes ......................................................................... 24210.1.2.4 Les phanrogames marines ................................................................................................... 243
10.2 ACQUISITION DES RESSOURCES TROPHIQUES .......................................................................... 24410.2.1 La tortue verte : un herbivore ............................................................................................... 245
10.2.1.1 La valeur nutritionnelle des ressources trophiques ................................................................. 24510.2.1.2 Variation spatiale et temporelle des ressources trophiques ...................................................... 247
10.2.2 La tortue verte : une tortue marine ...................................................................................... 24910.2.2.1 La phase post-mergence ...................................................................................................... 25010.2.2.2 La phase de dveloppement .................................................................................................. 25110.2.2.3 La phase adulte ................................................................................................................... 253
10.3 ALLOCATION DES RESSOURCES TROPHIQUES .......................................................................... 25610.3.1 La balance nergtique ........................................................................................................... 25610.3.2 Les contraintes de reproduction ........................................................................................... 258
10.3.2.1 La qualit de la phase dalimentation .................................................................................. 25910.3.2.2 Lidentification des trajets migratoires .................................................................................. 260
10.4 APPLICATION A LA CONSERVATION ........................................................................................... 26210.4.1 Le contexte des changements globaux ................................................................................ 262
10.4.1.1Les tortues marines ............................................................................................................... 26210.4.1.2 Les phanrogames marines ................................................................................................... 26310.4.1.3 Les activits anthropiques .................................................................................................... 264
10.4.2 Prservation et restauration ................................................................................................... 26410.4.2.1 Les herbiers marins de Mayotte ........................................................................................... 26410.4.2.2 Les outils ............................................................................................................................ 26610.4.2.3 Le site de NGouja ............................................................................................................. 267
Rfrences bibliographiques ............................................................................................... 269
Annexes ............................................................................................................................... 289ANNEXE 1 .............................................................................................................................................. 290ANNEXE 2 .............................................................................................................................................. 291ANNEXE 3 .............................................................................................................................................. 293ANNEXE 4 .............................................................................................................................................. 294
Remerciements .................................................................................................................... 295
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Articles prsents dans la thse
- Ballorain K, Ciccione S, Bourjea J, Grizel H, Enstipp M, Georges J-Y, Size-related habitat use of green turtles foraging on a multispecific seagrass bed. Submitted
- Ballorain K, Bourjea J, Ciccione S, Grizel H, Enstipp M, Georges J-Y. Early
assessment of trends in a multispecific seagrass meadow exploited by green turtles at Mayotte Island. In preparation
- Ballorain K, Bourjea J, Ciccione S, Kato A, Hanuise N, Grizel H, Enstipp M,
Fossette S, Georges J-Y. Seasonal diving behaviour and feeding rhythm of green turtles at Mayotte Island. Submission process
- Ballorain K, Bourjea J, Ciccione S, Grizel H, Robin JP, Enstipp M, Georges J-Y.
Daily food intake of green turtles foraging in an intertidal seagrass meadow. In preparation
- Ballorain K, Bourjea J, Ciccione S, Grizel H, Enstipp M, Georges J-Y. How green
turtles contribute to the maintenance of coastal biodiversity. Submission process - Ballorain K, Nivert N (2009) L'volution statutaire de Mayotte et les enjeux
environnementaux : l'exemple de la protection des tortues marines. Revue Juridique de lOcan Indien 9:107-135
- Jean C, Ciccione S, Ballorain K, Georges JY, Bourjea J (2009) Ultralight aircraft
surveys reveal marine turtle population increases along the west coast of Reunion Island. Oryx, in press
Articles non prsents dans la thse
- Jean C, Ciccione S, Talma E, Ballorain K, Bourjea J (2009) Photo-identification method for green and hawksbill turtles and first results from Reunion. Indian Ocean Turtle Newsletter, in press
- Chevallier D, Ballorain K, Bourjea J, Ciccione S, Grizel H, Hanuise N, Fossette S,
Georges J-Y. Home range size and habitat fidelity of green turtles at Mayotte Island. In preparation
Communications orales
- Quillard et al. (2010) Bilan des actions menes Mayotte. Colloque Tortues Marines, Socit Herptologique de France (SHF) et Musum national d'Histoire naturelle, Janvier, Paris
- Ballorain K, Bourjea J, Ciccione S, Enstipp M, Grizel H, Georges J-Y (2009) Green
turtles herbivory effect on the seagrass ecosystem functioning at Mayotte Island,
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
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Southwestern Indian Ocean. 6th Western Indian Ocean Marine Science Association (WIOMSA) Scientific Symposium, August, St Denis, La Reunion
- Ballorain K, Ciccione S, Bourjea J, Grizel H, Georges J-Y (2009) Habitat use and
food intake of green turtles (Chelonia mydas) foraging on a multispecific seagrass bed at Mayotte Island. 29th Symposium on Sea Turtle Biology and Conservation, February, Brisbane, Australia
- Ballorain K, Ciccione S, Bourjea J, Enstipp
M, Grizel H, Georges J-Y (2008) Utilisation de lhabitat et prise alimentaire dune population de tortues vertes Chelonia mydas sur un herbier marin plurispcifique Mayotte, Sud-ouest de lOcan Indien. Congrs Annuel de la Socit Herpthologique de France (SHF), Octobre, La Rochelle, France
- Ballorain K, Ciccione S, Bourjea
J, Grizel H, Georges J-Y (2007) Tortues vertes et herbiers marins de Mayotte. Les confrences de Kelonia, Novembre, St Leu, La Runion
Communications affiches
- Ballorain K, Bourjea J, Ciccione S, Grizel H, Enstipp M, Georges J-Y (2010) Green turtles as multispecific seagrass meadows engineers. Colloque Tortues Marines, Socit Herptologique de France (SHF) et Musum National d'Histoire Naturelle, Janvier, Paris
- Jean C, Ciccione S, Ballorain K, Bourjea J (2009) Photo-identification of marine
turtles: an alternative method to mark-recapture studies. 6th Western Indian Ocean Marine Science Association (WIOMSA) Scientific Symposium, August, St Denis, La Reunion
- Jean C, Ciccione S, Ballorain K, Bourjea J (2009) Photo-identification of marine
turtles: an alternative method to mark-recapture studies. 29th Symposium on Sea Turtle Biology and Conservation, February 2009, Brisbane, Australia
- Jean C, Ciccione S, Ballorain K, Georges JY, Bourjea J (2009) Aerial surveys of
marine turtles in the west coast of Reunion Island. 29th Symposium on Sea Turtle Biology and Conservation, February, Brisbane, Australia
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11
1 Introduction gnrale
CHAPITRE
1
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
12
Dans le contexte actuel des changements globaux, quils soient dorigine climatique
et/ou anthropique, le fonctionnement des cosystmes est menac par lappauvrissement
de la diversit biologique (perte de 40-50% de la biodiversit mondiale estime dici 2050,
Loreau et al. 2002, Thomas et al. 2004, Worm et al. 2006). Or la sauvegarde de la
biodiversit dpend de notre comprhension du fonctionnement des cosystmes au sein
desquels les interactions entre espces sont complexes (Cardinale et al. 2000). De
nombreuses tudes, encore insuffisantes aujourdhui, sattachent comprendre le
fonctionnement de ces interactions et prdire leur dynamique au cours de diffrents
scenarii de changements environnementaux (McKee et al. 2003, Neilson et al. 2005, Botkin
et al. 2007). Bien que les ocans recouvrent 71 % de la surface du globe et possdent un
rle majeur dans lconomie mondiale (Peterson & Lubchenco 1997, Costanza et al. 1997,
Beaumont et al. 2007) et dans la rgulation du climat (Ramanathan & Collins 1991,
Hartmann & Michelsen 1993), la majorit des recherches concernent les cosystmes
terrestres (Kinzig et al. 2001, Loreau et al. 2002). Aussi, un des objectifs du prsent
travail est de contribuer au dveloppement dune approche fonctionnelle des
espces marines afin de mieux comprendre leur rle au sein de leurs cosystmes.
Lobjectif ultime est daboutir une meilleure comprhension des mcanismes
sous-jacents de lcologie des populations animales et du fonctionnement de leurs
cosystmes pour contribuer la mise en place ou lamlioration de plans de
gestion des espaces et des espces.
1.1 CONTEXTE ECOSYSTEMIQUE
1.1.1 Services et processus
Un cosystme est dfini comme un milieu au sein duquel des organismes vivants
regroups en communauts (la biocnose) interagissent avec lenvironnement physico-
chimique (le biotope) dans une relation d'troite interdpendance pour former une unit
cologique fonctionnelle (Tansley 1935). Le maintien de cette unit rsulte ainsi des
interactions liant les facteurs biotiques et abiotiques qui constituent cette unit (Fig. 1).
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13
Population 1 Population 2
BIOTOPE
BIOCENOSE
Fig. 1 Reprsentation schmatique dun cosystme. Flches en trait plein : interactions directes ; Flches en trait discontinu : interactions indirectes.
La biodiversit, dfinie comme la varit et la variabilit des organismes vivants,
constitue une des principales sources des services rendus par les cosystmes. Ces services
rsultent des relations entretenues par les tres vivants avec leur milieu et sexpriment
notamment par le traitement des ressources naturelles (biotiques et abiotiques) par les
organismes vivants. Au sein des rseaux trophiques, les ressources naturelles d'un
cosystme sont engages dans des processus cycliques qui dcrivent des flux nergtiques
(Polis & Strong 1996). Les niveaux trophiques sont des tapes stratifies dans le temps et
dans l'espace, par lesquelles les ressources naturelles intgrent ces processus cycliques.
Chaque niveau trophique se caractrise par des processus plus ou moins exclusifs qui lui
sont associs et qui constituent le rgime alimentaire. Ltude du fonctionnement dun
cosystme permet alors de rendre compte du flux nergtique, ascendant ou descendant,
dun niveau trophique un autre.
1.1.2 Fonctionnement des cosystmes
1.1.2.1 Lacquisition des ressources trophiques
Au cours de l'volution, le processus de slection naturelle, auquel sont soumis les
organismes vivants, favorise les individus prsentant la meilleure aptitude biologique
contribuer aux gnrations futures ( fitness , Stearns 1992). Face aux contraintes
environnementales (disponibilit alimentaire, prdations), les individus doivent faire face
-
Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
14
des compromis entre leur survie, leur croissance et leur reproduction. Cest travers
lexistence de rgles de dcisions bases sur le principe doptimisation, dites stratgies, quils
supportent ces compromis et maximisent leur valeur slective (Stephen & Krebs 1986).
L'cologie comportementale est la discipline qui tudie le comportement animal li ces
compromis en milieu naturel (Krebs & Davies 1997). Elle accorde un intrt particulier
ltude des stratgies dacquisition des ressources alimentaires. Selon la thorie de
lapprovisionnement alimentaire optimal (Optimal Foraging Theory, MacArthur & Pianka
1966, Pyke et al 1977, Pyke 1984) les animaux visent optimiser le temps et l'nergie
allous aux activits alimentaires, de manire maximiser le gain net d'nergie (Schoener
1971, Cezilly & Benhamou 1996). Les modles doptimisation ont dans un premier temps
cibl les relations proies-prdateurs (MacArthur & Pianka 1966), puis ont t adapts aux
herbivores (Freeland & Janzen 1974, Westoby 1974, Belovsky 1978). Tandis que les
carnivores se nourrissent de proies de valeur nutritive leve, les herbivores exploitent des
ressources de valeur nutritive souvent faible qui en ncessite de grandes quantits. Chez ces
derniers, lallocation du temps consacr lalimentation devient une contrainte importante,
puisque ce temps est born par celui ncessaire aux autres activits, telles que le repos, la
surveillance des prdateurs, les interactions sociales et la reproduction. En accord avec les
prdictions doptimisation, les herbivores slectionnent gnralement les sites
dalimentation qui leur permettent le plus fort taux dingestion (Black & Kenney 1984, Illius
et al. 1992). Le taux dingestion dpend de la quantit de ressources disponibles sur le site
exploit, mais galement de sa facilit de rcolte, laquelle est troitement lie la structure
du couvert vgtal. Le modle classique dapprovisionnement optimal est le Thorme de
la Valeur Marginale (Marginal Value Theorem, Charnov 1976) qui prdit que
lapprovisionnement alimentaire dun individu sera maximis tant que sa vitesse dingestion
instantane sur le site slectionn est quivalente ou suprieure la valeur moyenne pour
lhabitat. Dans le cas contraire, la thorie prdit que lindividu quittera le site exploit au
profit dun autre qui lui assurera un meilleur approvisionnement. Toutefois, lefficacit de
lapprovisionnement alimentaire dun individu peut tre la fois fonction de la vitesse
dingestion et dapports nutritifs spcifiques. Aussi, loptimisation du temps consacr
lalimentation dun individu pourrait se traduire par la prospection rgulire ou
occasionnelle de diffrents sites dalimentation afin de satisfaire des besoins nutritionnels
spcifiques (Pulliam 1975, Pyke 1984).
-
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1.1.2.2 Le rle fonctionnel des espces
Cest travers les adaptations comportementales, dmographiques,
morphologiques ou encore physiologiques la disponibilit, laccessibilit et la
qualit de leurs ressources alimentaires que les consommateurs expriment
notamment leur rle dans le fonctionnement des cosystmes. Le rle fonctionnel
des espces peut tre ainsi dtermin par les relations liant leurs traits biologiques
(morphologie, rgime alimentaire, besoins nergtiques, habitats) au fonctionnement de
leur cosystme.
La classification des espces dun cosystme a longtemps t base sur des critres
taxonomiques qui rvlent une description statique de la biodiversit locale, sans rellement
documenter la dynamique cologique du systme (Candolle 1813). A linverse, une
classification plus rcente, qualifie de fonctionnelle , est base sur la comprhension du
rle de la biodiversit dans le fonctionnement des cosystmes (Grime et al. 1988, Solbrig
1993, Lavorel et al. 1997). Lintrt dune approche fonctionnelle dans lanalyse dun
cosystme est de pouvoir dcrire les mcanismes de coexistence des espces au sein
dun mme habitat et didentifier les espces essentielles au fonctionnement de cet
cosystme.
1.1.2.3 Les indicateurs cologiques
En raison de leurs spcificits cologiques, et de leur rle fonctionnel dans
lcosystme, les espces peuvent constituer des indicateurs prcoces de
modifications biologiques dorigine anthropique, biotique ou abiotique, de
lenvironnement. On les qualifie alors de bio-indicateurs de lenvironnement, dont la
notion peut se distinguer entre les bio-marqueurs et les co-indicateurs (ou indicateurs
cologiques). Les bio-marqueurs sont des tats ou des modifications rvls lchelle
molculaire, cellulaire, physiologique ou comportementale, qui indiquent ou non
lexposition de lorganisme une substance chimique polluante (Rainbow 1995, Lagadic et
al. 1997). Un indicateur cologique est un taxon ou un ensemble de taxons qui, par ses
caractristiques qualitatives et/ou quantitatives, tmoigne de ltat dun systme cologique
et qui, par les variations de ses caractristiques, permet de dtecter dventuelles
modifications environnementales (Prez et al. 2000). Les indicateurs cologiques sont ainsi
des outils privilgis dans le cadre des suivis et diagnostics de l'tat des ressources dun
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
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systme et permettent didentifier le rle de la diversit biologique dans le fonctionnement
dun cosystme (Leroux 1989, Pergent 1991, 1995, Bost & Le Maho 1993). Selon leur
niveau trophique, les espces renseigneront diffrement sur ltat de leur cosystme. Les
espces appartenant des niveaux trophiques basaux par exemple, tel que le plancton,
peuvent indiquer le niveau dacidification des ocans (Hays et al. 2005), tandis que des
niveaux suprieurs, tels que les grands prdateurs marins, peuvent permettent de surveiller
les effets de la pche sur les niveaux trophiques infrieurs (Rochet & Trenkel 2003).
Les espces pour lesquelles la disparition ou la diminution des effectifs entrane de
profondes modifications des processus cologiques au sein de lhabitat quelles occupent
possdent un rle clef dans le fonctionnement de leur cosystme (Power et al. 1996). Face
aux difficults lies au recensement exhaustif des populations naturelles sauvages, des
alternatives ont t proposes afin de suivre lvolution de leur effectif. La notion
dindicateur de changement cologique (ICE), qui caractrise la relation population-
environnement, dcoule du concept de densit-dpendance. La densit-dpendance est
dfinie comme une relation fonctionnelle entre un ou plusieurs paramtres
dmographiques et des changements deffectif de population. Cette relation est
couramment observe dans les populations de grands herbivores terrestres (Bonenfant et
al. 2009). Ainsi, tout paramtre sensible aux changements deffectif dune population pour
une qualit dhabitat donne peut tre considr comme un potentiel ICE. Cette approche
est base sur lhypothse que la tendance temporelle observe chez les ICE reflte la
trajectoire dmographique de la population suivie. Par exemple, trois principales catgories
dICE ont t dveloppes et valides par le Groupe Chevreuil franais. Celles-ci se basent
sur la variation 1) de labondance dindividus observs, telle que la densit dindividus
mesure au cours dun transect (Vincent et al. 1995), 2) de la qualit et de la performance
des individus de la population, tels que le succs reproducteur (Vincent et al. 1995) et
lvaluation de paramtres morphologiques des jeunes (Togo et al. 2006, Zannse et al.
2006), et 3) de limpact de la population sur lhabitat, telle que la pression dherbivorie
(Morellet et al. 2003).
1.1.2.4 Les relations plantes-herbivores
Linfluence des rgimes de perturbation comme lherbivorie sur les communauts
vgtales est aborde par une approche fonctionnelle, travers les traits biologiques et les
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17
stratgies adaptatives des espces (Mc Intyre et al. 1995, de Mazancourt et al. 1998, Moran
& Bjorndal 2007).
La croissance, et par consquent la survie, des plantes sont essentiellement
dtermines par la disponibilit en nutriments du sol, laccessibilit la lumire et les
possibles comptitions interspcifiques, auxquelles sajoute la pression dherbivorie
(Crawley 1997). De nombreuses tudes montrent que les herbivores expriment des
prfrences entre les diffrentes ressources (espces vgtales, organes vgtaux) et font
des compromis entre la quantit et la qualit de celles-ci (Westoby 1978, Vourch et al.
2002, Bergvall & Lemar 2005). Face la pression slective quexercent les herbivores sur
les plantes, celles-ci ont dvelopp des adaptations structurales et mtaboliques
remarquables de faon pouvoir lutter (via le dveloppement dorganes ou de substances
de dfense, Tollrian & Harvell 1999) et survivre (via des taux de croissance levs
compensatoires au taux de broutage, une activit photosynthtique accrue, ou encore
lutilisation de produits de rserves, Duffy & Hay 2001, McNaughton 1983, Lindroth 1989,
Davidson 1993, Tiffin 2000). Les relations plantes-herbivores rsultent ainsi de sries
dadaptations spcialises, dcrites sous le terme de covolution (Ehrlich & Raven 1964).
Parmi les tudes portant sur les processus mis en jeu par les espces vgtales en rponse
l'herbivorie, certaines sattachent dmontrer la notion d'optimisation de la vgtation par
les herbivores, suggre par McNaughton (1979). Une pression dherbivorie quilibre (par
opposition une surexploitation des ressources) favoriserait la production primaire, la
diversit spcifique, le recyclage des nutriments limitants et la teneur en nutriments tel que
lazote (de Mazancourt et al. 1998,
Olff & Ritchie 1998, Olofsson et al. 2004, Moran &
Bjorndal 2007). Enfin, par cette slectivit alimentaire, les herbivores modulent la
composition et les processus cologiques des cosystmes vgtaux tels que les patrons de
successions des espces. Ces phnomnes ont largement t dmontrs en milieu terrestre
chez les onguls (Marquis 1992, Hobbs 1996, Olff & Ritchie 1998, Hester et al. 2000,
Horsley et al. 2003, Tremblay 2005) et dans une moindre mesure en milieu marin
(Lubchenco & Gaines 1981, Andrew 1991, Hay & Steinberg 1992).
1.2 ECOSYSTEMES MARINS LITTORAUX
A l'interface entre le milieu terrestre et ocanique, les cosystmes marins littoraux
constituent des cotones diversifis et un capital cologique fragile sur lequel
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
18
reposent le maintien et la survie dune large part de la biodiversit mondiale et des
services associs (Angel 1993, Gray 1997). Cette grande biodiversit est responsable de la
forte productivit des cosystmes littoraux, au sein dun milieu ocanique tropical pauvre
en nutriments (Hutchings et al. 1994). Parmi les cosystmes tropicaux, on recense
classiquement cinq types principaux dhabitats marins littoraux : les substrats nus (meubles
ou rocheux), les herbiers de phanrogames marines, les algueraies, les communauts
coralliennes (bioconstructrices et non bioconstructrices) et les mangroves. La plupart des
espces marines dpendent du fonctionnement de ces cosystmes littoraux, notamment
via des interactions trophiques.
1.2.1 Des cosystmes vgtaux
La vgtation marine benthique se prsente sous deux formes : les algues et les
phanrogames marines qui possdent un rle cologique primordial en termes de
production primaire (Charpy-Roubaud & Sournia 1990). Les algues pluricellulaires (ou
macro-algues) vivent gnralement fixes au substrat et constituent la majorit des algues
benthiques, que l'on oppose aux formes unicellulaires libres du plancton. Contrairement
aux phanrogames marines qui prsentent une structure vascularise et des tissus nettement
individualiss, les macro-algues sont des vgtaux thallophytes, avasculaires, sans fleur ni
fruit et ne prsentent pas de diffrenciation tissulaire marque (bien quil existe une
spcialisation fonctionnelle des diffrentes parties du plant, tels que le crampon de fixation
et les lames foliaces).
Des adaptations morpho-physiologiques permettent aux espces de coloniser des
aires favorables leurs fonctions mtaboliques et cologiques. En zone intertidale, le
rythme des mares entrane des conditions de vie extrmement variables quaccentue la
variation de facteurs physiques (substrat, temprature, lumire), chimiques (salinit, pH,
oxygne, sels nutritifs) et biotiques (comptition, synergie, piphytie, prdation). Cet
quilibre entre loptimum cologique et la concurrence entre espces entrane, de ltage
supra littoral ltage infra littoral, une zonation des espces particulirement visible chez
les organismes fixs comme les algues benthiques ou les phanrogames marines. Par
ailleurs, par leur position basale au sein des rseaux trophiques, mais galement par leur
statut dorganismes autotrophes fixs, les vgtaux marins benthiques fournissent des
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19
informations uniques sur le fonctionnement des cosystmes, en comparaison la
majorit des espces animales.
1.2.1.1 Les herbiers marins
o Leur distribution
Les phanrogames marines sont des plantes angiospermes monocotyldones
formant des prairies sous-marines appeles herbiers marins. Elles regroupent moins de 60
espces appartenant 12 genres et figurent parmi les taxa marins les plus pauvres en
nombre despces (Duarte 2000, Kuo & Hartog 2001) ; pour comparaison, on dnombre
prs de 30 000 espces dalgues et 234 000 espces dangiospermes, Lecointre & Le
Guyader 2001). Cette faible diversit spcifique explique que prs de la moiti des herbiers
marins dcrits dans la littrature soient monospcifiques (Duarte 2000). La majorit des
herbiers plurispcifiques ne sont composs que de 2 ou 3 espces et lherbier marin le plus
riche recens ce jour regroupe 14 espces (Philippines, Green & Short 2003) (Fig. 2).
Toutefois, les herbiers marins se distribuent des eaux tempres aux eaux quatoriales et
sont parmi les cosystmes ctiers les plus rpandus au monde (recouvrement de 0.1
0.2% du fond des ocans, Duarte 2002). A lchelle des cosystmes ctiers, bien que la
composition et le dveloppement des communauts de phanrogames marines soient
influencs par lensemble des facteurs physico-chimiques du milieu, la lumire reste le
facteur le plus limitant de la distribution verticale des prairies sous-marines (Duarte 1991,
Dennison et al. 1993, Albal & Dennison 1996). Laccessibilit la lumire est alors rgule
par la profondeur, la charge en particules de la colonne deau et le taux dpiphytie foliaire.
La profondeur peut tre soumise au rgime des mares et la charge en particules (turbidit)
et en piphytes est, quant elle, fonction de lhydrodynamisme et du niveau dapports
extrieurs en substances nutritives. La majorit des herbiers recenss se dveloppe en zones
intertidales et infralittorales infrieures 30 m, bien que des profondeurs de prs de 90 m
aient t rapportes (Duarte 1991).
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
20
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7)
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21
o Leur rle
A lchelle mondiale, les herbiers marins figurent parmi les systmes biologiques les
plus productifs (1% de la production primaire nette ocanique et 500 1000 gC m- an-1
,
Duarte & Cebrin 1996, Duarte & Chiscano 1999) et sont les seuls possder la
particularit de juxtaposer une production primaire issue des phanrogames marines et une
production primaire issue de leurs piphytes (Boudouresque 1996). Leur contribution
significative dans les flux dnergie lchelle des ocans explique limportante diversit
biologique et la complexit du rseau trophique qui leur sont associes (Hemminga &
Duarte 2000, Beck et al. 2001). Leur biomasse reprsente un habitat refuge et une source
dalimentation directe pour de nombreuses espces animales (dont certaines possdent une
valeur commerciale directe, Duarte et al. 2000) et leur systme racinaire dense stabilise les
sdiments (Gacia et al. 2003, Green & Short 2003, Larkum et al. 2006). A linterface entre
la colonne deau et le sdiment, les phanrogames marines permettent galement un
recyclage efficace des nutriments (Fig. 3, exemple de lazote et du phosphore, Gobert
2002). En milieu tropical, de fortes interactions relient les herbiers marins aux rcifs
coralliens et aux mangroves : chacun des systmes fournit aux autres un support physique
(p. ex. retenue de sdiments) et biologique (p. ex. nurserie, habitats nourriciers, refuges,
Green & Short 2003, Gillander 2006).
Fig. 3 Dynamique de lazote et du phosphore au sein dun herbier Posidonia oceanica (Godert 2002)
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
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o Leur qualit de bio-indicateur
Les herbiers marins jouent un rle fondamental dans lquilibre cologique des
zones ctires et sont particulirement sensibles aux variations environnementales.
Ils constituent par consquent des tmoins potentiels des effets des changements affectant
leur environnement (Hemminga & Duarte 2000, Fourqurean et al. 2002). Les phnomnes
deutrophisation par exemple, induisent de nombreuses modifications physiologiques
(teneur des tissus en nutriments, composition en acides amins, diminution des rserves en
carbone) et morphologiques (diminution de la longueur de feuille, augmentation de
lpiphytie (Short et al. 1995, Tomasko et al. 1996, Frankovich & Fourqurean 1997, van
Katwijk et al. 1997, Udy & Dennison 1997, Wear et al. 1999, Invers et al. 2004). Les ratios
des isotopes stables carbone, azote et sulfure au niveau des tissus de phanrogames marines
sont galement des outils efficaces pour valuer des changements dintensit lumineuse
(Grice et al. 1996), des modifications dapport en produits azots (Udy & Dennison 1997,
Yamamuro et al. 2003), ou encore le degr danoxie du milieu (Chambers et al. 2001, Oakes
& Conolly 2004). Particulirement, certaines espces sont dcrites comme des outils
pertinents dvaluation du statut cosystmique telle lespce Posidonia oceanica, endmique
du Bassin Mditerranen (Delgado et al. 1999, Ruiz et al. 2001, Ruiz & Romero 2003, den
Hartog & Kuo 2006). Toutefois, des variations de structure des communauts de
phanrogames marines, tels que la densit et le recouvrement vgtal, ne fournissent pas
dindication spcifique sur lorigine des perturbations environnementales, qui peuvent tre
simultanment ou sparment mcaniques, biologiques, et/ou chimiques (Pergent et al.
1995, Ruiz et al. 2001, Ruiz & Romero 2003, mais voir Leriche 2004). Aujourdhui, les
herbiers marins sont soumis de fortes pressions dorigines climatique et anthropique et
sont menacs de disparition lchelle mondiale (Short & Wyllie-Echeverria 1996,
Orth et al. 2006). Ils sont notamment soumis aux effets destructeurs des cyclones et de
lamnagement du littoral, et aux pollutions lies au dveloppement des activits humaines
(Short & Neckles 1999, Duarte 2002). Lie la perte de biens et de services cologiques
procurs par les herbiers marins, la destruction des ces cosystmes provoque galement
des impacts conomiques et sociaux importants (Costanza et al. 1997, Duarte et al. 2000).
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23
1.2.1.2 Les algueraies
o Leur distribution
Les algueraies, ou communauts de macro-algues marines, possdent une large
distribution (~30 000 espces, des ples lquateur), toutefois la rpartition bathymtrique
des espces reste limite par leur quipement pigmentaire qui dtermine leur capacit
photosynthtique. Le spectre dabsorption de la lumire des pigments photosynthtiques
contenus dans les cellules vgtales est la base de la classification des algues et permet de
diffrencier les algues vertes (Chlorophyceae) contenant uniquement de la chlorophylle A, des
algues rouges (Rodophyceae) contenant de la chlorophylle A et des phycorythrines, des
algues brunes (Phaeophyceae) contenant de la chlorophylle A et des fucoxanthines. Dans les
zones tropicales, certaines algues rouges, de la famille des Corallinaceae, ont t rcoltes
jusqu' 268 mtres de profondeur (Bahamas) ; toutefois, les plus grandes abondances et
diversits algales se trouvent dans les profondeurs infrieures 30 mtres. La nature du
substrat, dfinie par sa structure et sa texture, intervient galement dans la rpartition des
espces. On distingue ainsi des espces de substrats durs, c'est--dire se fixant sur les
roches compactes, et des algues de substrats meubles ou colonisant les accumulations
sdimentaires. De plus, le degr de cohsion du substrat joue un rle fondamental dans la
dure de la fixation des algues (Heijs 1985) et explique pourquoi la flore algale reste
relativement pauvre et peu diversifie en zones frangeantes peu profondes de substrats
meubles soumis un fort hydrodynamisme.
o Leur rle
Outre leur contribution directe la production primaire, au recyclage des
nutriments et aux rseaux trophiques, certaines formes calcifies confrent aux algues un
rle clef dans la calcification des rcifs. La bioconstruction est essentiellement le fait des
algues rouges Corallinaceae, tandis que la formation des sables revient principalement aux
Halimeda (algues vertes). De plus, lchelle des populations humaines, les algues
reprsentent une valeur conomique importante, puisque prs de 221 espces dalgues sont
consommes directement ou utilises comme glifiants ou mulsifiants alimentaires (par
exemple, les codes E 401 E 407 apposs sur les tiquettes de produits alimentaires
commercialiss correspondent des extraits d'algues) (Zemke-White & Ohno 1999).
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
24
o Leur qualit de bio-indicateur
A limage des herbiers marins, les algueraies sont soumises de nouvelles
contraintes majeures, climatiques (El Nio, cyclones) et anthropiques (amnagement des
zones ctires, exploitation de la ressource) pouvant affecter leur survie, leur distribution et
la biodiversit des communauts associes (North & al. 1990, Dayton et al. 1992, Tegner &
Dayton 2000). Les mesures de croissance, productivit, biomasse et de reproduction ou de
valeur dadaptation sont particulirement utilises comme bio-indicateurs du niveau de
pollution (Levine 1984). Les algues accumulent directement les composs prsents dans la
mer des concentrations dpassant de plusieurs ordres de grandeur celles de leau de mer
ambiante (Levine 1984). Ainsi en agissent comme bio-accumulateurs de micropolluants,
lanalyse du tissu algal fournit un indicateur fiable de la qualit de leau (Levine 1984,
Pavoni et al. 2003). Notons que contrairement aux phanrogames marines, les algues
tendent prolifrer lors dvnements deutrophisation du milieu (Schramm &
Nienhuis 1996, Lyngby et al. 1999, Fabriciusa et al. 2005).
1.2.2 Des herbivores
Parmi les consommateurs de macro-algues et ceux de phanrogames marines, les
premiers ont davantage t tudis (Strong 1992) car considrs comme plus nombreux et
dont le rle cologique tait le plus important (notamment au regard du recyclage des
nutriments, Cebrian 2002). Ces conclusions se sont longtemps bases sur les grandes
abondances observes de phanrogames marines en dcomposition (Fenchel 1970),
suggrant leur faible consommation. Dautres tudes montreront par la suite la grande
variabilit spatio-temporelle de consommation de phanrogames marines (Valiela 1995,
Fig. 4). Les proprits non-apptantes (taux de lignine et phnols, Cebrian 1999) des
phanrogames marines expliquent la faible diversit despces qui en consomment les tissus
vivants (par opposition aux dtritivores, Thayer et al. 1984, Mazzella et al. 1992) : les
oursins (Klumpp et al. 1993, Heck & Valentine 1995), les poissons (Phillips & McRoy
1980, Kirsch et al. 2002), les oiseaux deau (Baldwin & Loworn 1994, Michot & Chadwick
1994, Bortulus et al. 1998), les tortues vertes (Bjorndal 1997) et les sirniens (Packard 1984,
Preen 1995) sont considrs comme les principaux consommateurs et peuvent prsenter
http://www.sciencedirect.com/science?_ob=ArticleURL&_udi=B6V6N-4DSPYY3-3&_user=10&_rdoc=1&_fmt=&_orig=search&_sort=d&_docanchor=&view=c&_searchStrId=1104645345&_rerunOrigin=scholar.google&_acct=C000050221&_version=1&_urlVersion=0&_userid=10&md5=915184be2f8c7bb424c1acf29a5ed39c#aff1#aff1
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25
une importante pression dherbivorie (Fig. 5). Cependant, la faible abondance dherbivores
au sein des herbiers marins peut tre le fait de leur prlvement excessif (Dayton et al.
1995, Madsen 1998, Jackson et al. 2001).
Fig. 4 Frquence de distribution de la proportion de production vgtale nette consomme par les herbivores : chez les plantes vasculaires, les macro-algues et le phytoplancton (Valiela 1995)
A ce jour, une disparit importante apparat dans le nombre dtudes consacres
aux diffrents brouteurs de phanrogames marines (Fig. 6) ou dalgues benthiques : les
poissons (principalement reprsents par les Acanthuridae et les Scaridae) prsentent une
importante diversit spcifique et ont fait lobjet principal des tudes portant sur
lherbivorie marine (Lubchenco & Gaines 1981, Bruggemann 1995). Les tortues marines,
espces menaces lchelle mondiale, comptent parmi les taxa les moins
reprsents.
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
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a) Surexploitation dun herbier Syringodiumfiliforme par une population doursins variables Lytechinus variegatus, Floride, USA (B. Sharp, Florida Department of Natural Resources, dans Heck & Valentine 2006)
b) Exploitation rpte dun herbier Thalassiatestudinum par des tortues vertes Chelonia mydas, Cte de Quintana Roo, Mexico (S. I. Aptekar, dans Moran & Bjorndal 2005)
c) Sillon de broutage dun dugong Dugong dugondans un herbier Halophila ovalis, Moreton Bay, Queensland, Australie (Preen 1995)
d) Surexploitation dun herbier Halophila ovalispar une population de dugongs Dugong dugon, Moreton Bay, Queensland, Australie (Preen1995)
Fig. 5 Illustration de pressions dherbivorie sur phanrogames marines
Fig. 6 Frquence de distribution des tudes portant sur lherbivore de phanrogames marines, au regard des diffrents consommateurs (Heck & Valentine 2006, suite Valiela 1995)
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1.3 TORTUES MARINES
1.3.1 Leurs statuts
1.3.1.1 Le contexte gnral
Prsentes dans tous les ocans, lexception des eaux polaires, les tortues marines
comptent sept espces appartenant la super-famille des Chelonioidea : la tortue luth
(Dermochelys coriacea), la tortue imbrique (Eretmochelys imbricata), la tortue olivtre (Lepidochelys
olivacea), la tortue de Kemp (Lepidochelys kempii), la tortue caouanne (Caretta caretta), la tortue
verte (Chelonia mydas) et la tortue dos plat (Natator depressus). Les constats alarmistes de
diminution des populations de tortues marines lchelle mondiale ont pouss les instances
internationales les considrer en danger dextinction. Classes en Annexe 1 de la
Convention de Washington et sur la Liste Rouge de lUnion Internationale pour la
Conservation de la Nature (UICN 2009, Red list of threatened species,
www.iucnredlist.org, Seminoff & Shanker 2008), les tortues marines font lobjet de mesures
de conservation internationales. Le dveloppement des activits humaines est la principale
cause du dclin important des populations de tortues marines. Croissance dmographique,
pche et pollution contribuent directement ou indirectement, par laltration des habitats
naturels, la rduction et parfois la disparition de certaines populations (Hughes 1974a,b,
Bjorndal 1995, Lutz et al. 2003). Le braconnage svit galement encore dans de nombreux
pays et touche principalement les femelles venant pondre sur les plages, provoquant ainsi
un impact aigu sur la dynamique des populations. Toutefois, les programmes de
conservation se sont multiplis ou cours des dernires dcennies et certaines populations
tendent crotre nouveau (Hays 2004, Broderick et al. 2006). Par ailleurs, en raison de
leur satut dectotherme (dont le mtabolisme est directement dpendant de la temprature
ambiante), les tortues marines, comme la majorit des animaux marins, sont directement
exposes aux effets des variations de tempratures atmosphriques et ocaniques
(Mrosovsky 1980, Spotila et al. 1997, Seebacher & Franklin 2005). Dans le contexte du
rchauffement global, diffrentes tudes rapportent un impact du rchauffement climatique
sur la biologie et la dynamique des populations de tortues marines (tels que la sex-ratio en
faveur des femelles ou la modification du pattern de reproduction, Davenport 1997, Hays
et al. 2003, Weishampel & Dean 2004, Hawkes et al. 2007, Chaloupka et al. 2008). De plus,
si les dpenses nergtiques, et par corollaire leurs besoins alimentaires, augmentent avec la
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
28
temprature, les tortues marines devraient lavenir exploiter des quantits croissantes de
ressources sous linfluence des conditions climatiques.
1.3.1.2 Des modles dtudes
Les tortues marines sont des espces migratrices qui acquirent leurs rserves
corporelles au cours de migrations pluriannuelles avant de les allouer la reproduction
(Fig. 7, Miller 1997). Ansi, le statut danimaux ectothermes, plongeurs ( respiration
pulmone) et migrateurs procure aux tortues marines dimportantes contraintes
physiologiques et cologiques, qui leur imposent une sgrgation spatiotemporelle des
pisodes alimentaires diffrentes chelles : lchelle de la plonge, de la journe et du
cycle de vie. Les tortues marines reprsentent alors des modles dtude pertinents pour
identifier les stratgies comportementales mises en place par les individus pour
rpondre leurs besoins nergtiques. Par ailleurs, par leur position au sein de
diffrents rseaux trophiques, chaque espce de tortue marine occupe une niche cologique
particulire (Bjorndal 1997) et est anisi susceptible de fournir des informations
spcifiques sur le milieu marin : les tortues luths sont planctonophages (plancton
glatineux), les tortues caouannes, olivtres, et de Kemp sont carnivores (poissons,
crustaces, invertbrs), les tortues imbriques sont omnivores (algues, ponges, coraux
mous) et les tortues vertes sont essentiellement herbivores. Outre leur contribution de
consommateurs dans le fonctionnement des cosystmes, les tortues marines assurent le
transport de nutriments et dnergie au sein de leurs habitats travers leur statut de proies
et leur production de matire organique (Bouchard & Bjorndal 2000, Heithaus et al. 2007).
Les tortues marines prsentent, comme les oiseaux de mer et certains mammifres
marins (Le Buf & Laws 1994, Descamps et al. 2002), la particularit de dpendre la fois
du milieu terrestre, o elles se reproduisent en pondant sur des plages de sable, et du milieu
marin, o elles salimentent (Fig. 7). Cette particularit constitue une contrainte volutive
majeure pour ces espces, mais reprsente galement un avantage pour les scientifiques : il
est en effet possible de profiter de leurs brves incursions terre pour tudier ces animaux
avec des contraintes logistiques minimes compares des tudes en mer. Par consquent,
les phases de reproduction terre sont davantage renseignes chez les tortues marines que
la phase dalimentation en mer. Pourtant, la phase dalimentation constitue une tape
dterminante la fois pour la survie et pour le succs de la reproduction des individus. A ce
jour, la comprhension de lcologie trophique des tortues marines reste trs
-
29
incomplte du fait de la difficult dtudier des animaux marins. Grce aux progrs de la
micro-lectronique, des systmes miniaturiss, automatiss et programmables (tlmtrie et
bio-logging) permettent dtudier lcologie trophique des tortues marines dans des milieux
difficilement accessibles par lhomme (exemples chez la tortue imbrique : van Dam &
Diez 1997 ; la tortue caouanne : Houghton et al. 2000, Okuyama in press ; la tortue
olivtre : McMahon et al. 2007 ; la tortue luth : Jonsen et al. 2007, Fossette 2008 ; et la
tortue verte : Makowski et al. 2006, Seminoff et al. 2006, Hazel et al. 2009).
Fig. 7 Cycle de vie gnralis des tortues marines (daprs Miller 1997)
1.3.2 La tortue verte
Espce classe en danger par lUICN, la tortue verte Chelonia mydas possde une
large rpartition spatiale (telles que les tortues luth, imbriques, caouannes et olivtres, Fig.
8) et se diffrencie des autres espces de totues marines par son rgime alimentaire
majoritairement herbivore aux ges sub-adultes et adultes.
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
30
Fig. 8 Aire de rpartition des tortues vertes Chelonia mydas (daprs RITMO, Rseau dInformation des Tortues Marines dOutremer)
1.3.2.1 Les phases de vie
A limage des autres espces ( lexception peut-tre de la tortue dos plat, Walker
& Parmenter 1990), la tortue verte occupe diffrents habitats, hauturiers et nritiques, au
cours de sa vie (Bolten 2003, Fig. 7). Aprs avoir quitt leur plage de naissance et durant
les premires annes, les jeunes tortues vertes ont une vie pi-ocanique et se nourrissent
principalement dorganismes planctoniques et dinvertbrs (Hughes 1974a,b, Frick 1976,
Carr 1987, Bolten & Bjorndal 1992, Walker 1994). Toutefois, cette phase, qualifie de lost
years (Witham 1980), reste mconnue. Les tortues vertes ne se rapprocheront des ctes
quaprs avoir atteint une taille leur assurant une vulnrabilit moindre face aux prdateurs
(Limpus & al. 1994). A titre dexemples, les premires longueurs courbes (CCL pour
curved carapace lenght) ou droites (SCL pour staight carapace lenght) de carapace
mesures prs des ctes sont : 35 cm CCL Hawa (Balazs 1980), 35 cm CCL dans le
Queensland (Limpus et al. 1994), 39 cm CCL Mayotte (Ballorain et al. donnes non
publies) et 39 cm CCL Europa (Bourjea et al. 2006b), 20 cm SCL aux Bahamas
(Bjorndal & Bolten 1988), 26 cm SCL en Mauritanie (Cardona et al. 2009) et 35 cm SCL en
Basse Californie (Brooks 2005). Les jeunes tortues vertes achvent alors leur croissance au
sein dcosystmes nritiques tels que les rcifs coralliens, les herbiers marins ou les
mangroves, et adoptent progressivement un rgime majoritairement herbivore (Mortimer
1981, 1982a, Bjorndal 1985, 1997, Limpus & Limpus 2000). Aux ges sub-adultes et
adultes, la base de leur alimentation est faite dalgues et de phanrogames marines dont
-
31
elles digrent la cellulose par laction de bactries intestinales symbiotiques (Bjorndal 1979,
Fenchel 1979) ; bien que diffrentes tudes rapportent un rgime alimentaire parfois
opportuniste compos de matire animale (Bjorndal 1990, Hatase et al. 2006, Seminoff et
al. 2006, 2008).
1.3.2.2 Un modle dtude pertinent
Les sites dalimentation sont majoritairement localiss prs des ctes, dans des
milieux peu profonds o la lumire garantit la production primaire benthique. Ils
constituent par consquent des cosystmes marins relativement accessibles et confrent
aux systmes tortues vertes-herbiers/algueraies un rle privilgi dans 1) ltude
qualitative et quantitative directe du comportement alimentaire chez les tortues
marines et 2) dans llaboration de modles trophiques de terrain centrs sur les
tortues marines, outil indispensable la gestion et la conservation de ces espces
et des cosystmes quelles exploitent. Par ailleurs, en consommant dimportantes
quantits de phanrogames marines et de macro-algues benthiques (Bjorndal 1997), la
variation des effectifs des populations de tortues vertes peut reprsenter un bon
indicateur des changements de qualit et de quantit des ressources marines (Fig.
9). En effet, quelques tudes rapportent le rle clef des tortues vertes au sein des herbiers
marins comme des agents favorisant leur production primaire et leur valeur nutritive, telle
que la teneur en azote (Thayer et al. 1982, Aragones et al. 2006, Kuiper-Linley 2007, Moran
& Bjorndal 2007, Fig. 10).
Nesting beach deforestation
Harvest
Fishing
Fig. 9 Diagramme conceptuel dune population de tortues vertes dans son cosystme (daprs M. Chaloupka dans Mast et al. 2007)
-
Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
32
Fig. 10 Diagramme illustrant le cycle de dcomposition de feuilles de Thalassia testudinum et le rle potentiel des tortues vertes dans le dtournement de ce cycle (Thayer et al. 1982)
1.4 PROBLEMATIQUE & OBJECTIFS DE LETUDE
Les interactions interspcifiques sont un indicateur naturel de ltat de sant dun
cosystme et de ses ventuelles volutions. Aussi, dans le contexte actuel de changement
climatique et dintensification des activits humaines, nous proposons de dcrire, par une
approche intgre, les interactions existant entre les tortues vertes et leurs habitats
trophiques, afin de comprendre une partie de la dynamique de la biodiversit marine. Il
sagit, au terme de ltude, de renforcer les bases scientifiques ncessaires la mise en place
de stratgies de conservation de ces cosystmes.
La comprhension de lcologie trophique des tortues vertes, espce au niveau de
conservation mondial, dans le fonctionnement des cosystmes littoraux, habitats forte
productivit et diversit biologiques, ncessite deux chelles : 1) celle de lindividu et de ses
-
33
rponses comportementales face aux conditions environnementales et trophiques et 2) celle
de la population et de son intgration sur lensemble de lhabitat. Plusieurs interrogations
ont ainsi motiv la tenue de la prsente tude :
Quels sont les mcanismes cologiques qui alimentent la dynamique des ressources
alimentaires des tortues vertes ?
Comment les tortues vertes ajustent-elles leur comportement alimentaire en
fonction des conditions environnementales et de leurs besoins spcifiques ?
Quel est le rle fonctionnel des tortues vertes au sein de leur habitat trophique ?
Afin dy rpondre, une approche fonctionnelle de lcologie trophique des tortues vertes a
t dveloppe au cours des CHAPITRES 3 9 (Fig. 11) de ce manuscrit et deux sites
dtude possdant des conditions environnementales contrastes ont t slectionns :
- un herbier marin plurispcifique situ sur le rcif frangeant de Mayotte
- des algueraies plurispcifiques situes sur le rcif frangeant de lIle de La Runion
Dans loptique dtablir le schma le plus complet des relations liant les tortues vertes
leurs ressources alimentaires, le systme herbier marin tortues vertes a t privilgi au
cours de ltude pour des raisons logistiques.
Interactions ConsommateursRessources
Fig. 11 Illustration schmatique des 3 compartiments abords dans ce manuscrit
Suite la prsentation du contexte rgional et des caractristiques stationnelles des
sites dtude (CHAPITRE 2), 8 articles scientifiques constituent la base de ce manuscrit et
sarticulent autour des trois compartiments illustrs par la Fig. 11 :
CHAPITRE 3 : Size-related habitat use of green turtles foraging on a multispecific seagrass
bed
CHAPITRE 4 : Early assessment of trends in a multispecific seagrass meadow exploited by
green turtles at Mayotte Island
CHAPITRE 5 : Seasonal diving behaviour and feeding rhythm of green turtles at Mayotte
Island
CHAPITRE 6 : Daily food intake of green turtles foraging in an intertidal seagrass meadow
-
Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
34
CHAPITRE 7 : How green turtles contribute to the maintenance of coastal biodiversity
CHAPITRE 8 : L'volution statutaire de Mayotte et les enjeux environnementaux :
l'exemple de la protection des tortues marines
CHAPITRE 9 : Ultralight aircraft surveys reveal marine turtle population increases along the
west coast of Reunion Island
-
35
2 Contexte rgional &
Caractristiques stationnelles
CHAPITRE
2
-
Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
36
Fig.
12
Hot
spot
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it (M
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et a
l. 20
00)
-
37
2.1 LE SUD-OUEST DE LOCEAN INDIEN
2.1.1 Le contexte rgional
Classes parmi les hotspots mondiaux de la biodiversit (Fig. 12, Myers 2000,
Cleveland 2008), les les du sud-ouest de lOcan Indien (SOOI) reprsentent un
laboratoire et un observatoire idal de la diversit biologique. Linfluence du Courant Sud
Equatorial sur les caractristiques hydrologiques, lisolement gographique et la
morphologie des les coralliennes et granitiques ont favoris lmergence dune forte
diversit de milieux ctiers et marins, et un taux dendmicit lev. Seulement cette
biodiversit remarquable et les cosystmes qui lui sont associs sont, comme lchelle de
la plante, de plus en plus soumis limpact des changements climatiques et de
lintensification des activits humaines.
2.1.1.1 Les tortues marines
Cette rgion ocanique accueille cinq des sept espces de tortues marines : la tortue
luth, la tortue olivtre, la tortue caouanne, la tortue imbrique et la tortue verte ; la tortue
verte tant la plus commune, notamment sur les les de Tromelin, Glorieuses, Mayotte et
Mohli (Archipel des Comores), Juan de Nova et Europa (Fig. 13).
a b
Fig. 13 Sites de ponte (a) et dalimentation (b) de la tortue verte Chelonia mydas dans la rgion du Sud-ouest de lOcan Indien (daprs Bourjea 2009)
Les populations de tortues marines du SOOI (essentiellement reprsentes par les tortues
vertes, imbriques et caouannes) ont fait lobjet de nombreuses tudes qui portent sur la
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
38
biologie de reproduction (Frazier 1971, 1975, Hughes 1974b, Servan 1976, Mortimer
1982b, Le Gall et al. 1984, 1985a,b, 1988, Mortimer 1985, 1988, Bosc & Le Gall 1986, Le
Gall 1988, Bourjea et al. 2006a, Ciccione & Bourjea 2006, Bourjea et al. 2007a, Lauret-
Stepler et al. 2007), les comportements migratoires (Le Gall & Hughes 1987, Girard et al.
2006, Luschi et al. 2007), la gntique des populations (Mortimer & Broderick 1999,
Bourjea et al. 2007b, Taquet 2007), le statut de conservation et la distribution spatiale
(Hughes 1973, 1974a, Frazier 1980, Mortimer 1984, Rakotonirina & Cooke 1994, Fretey &
Fourmy 1996, Mohadji et al. 1996, Ren & Roos 1996, Costa et al. 2007, Metcalf et al.
2007) et enfin la croissance et lcologie trophique (Rakotonirina 1987 , Mortimer 2002,
Ballorain 2003, 2005, 2006, Roos et al. 2005, Fontaine & Sinapayel 2006, Taquet et al. 2006,
Jean et al. 2009a). Toutefois, lcologie trophique des tortues marines sur site dalimentation
(dont les sites de dveloppement) reste trs peu renseigne ce jour du fait de la difficult
de capture et dobservation des tortues marines en mer.
Ainsi, contrairement aux sites de ponte, les sites dalimentation des tortues
vertes, sont encore trs faiblement tudis (Fig. 13). Il sagit de rcifs frangeants ou
barrires sur lesquels se dveloppent des herbiers marins et algueraies (comme Moheli,
Mayotte, Madagascar ou La Runion) ou de mangroves (comme Europa). La plupart de
ces sites sont connus pour accueillir des populations mixtes dindividus sexuellement
matures et des individus immatures. La mangrove dEuropa, par contre, constitue
principalement un habitat de dveloppement pour les stades juvniles de tortues vertes
(CCL variant de 39 68 cm, Bourjea & Ciccione 2009).
2.1.1.2 La vgtation marine
La rgion du SOOI supporte une grande diversit de phanrogames
marines, dimportance mondiale (Fig. 2, Annexe 1). Les herbiers reprsentent des
ressources importantes pour la pche de subsistance (poissons et invertbrs) qui contribue
aux apports alimentaires quotidiens des populations locales, mais aussi pour les pches
dexportation lchelle rgionale (de la Torre Castro & Rnnbck 2004). Il sagit
essentiellement dherbiers plurispcifiques dont les principaux brouteurs sont les oursins
(tel que Tripneustes gratilla), les poissons (tel que Leptoscarus vaigiensis), les tortues vertes
(Chelonia mydas) et les dugongs (Dugong dugon) (de Troch et al. 1996, Wamukoya et al. 1997,
Alcoverro & Mariani 2002, Muir et al. 2003, Eklf et al. 2005, 2008, Roos et al. 2005,
Metcalf et al. 2007, Mamboya et al. 2009). En contraste avec les pays dAfrique de lest, les
-
39
herbiers marins des les du SOOI sont trs faiblement reprsents dans la littrature publie
(Aleem 1984, Kalugina-Gutnik et al. 1992, Ingram & Dawson 2001, Gllstrm 2002) et
concernent souvent des rapports de mission (Gravier 1970, Bigot 1991, Guerniou & Nicet
2001, Ballorain 2005, Beudard 2005, Ciccione et al. 2005, Loricourt 2005).
Quant la flore algale benthique, celle-ci prsente une grande diversit lchelle de
la rgion du SOOI et de nombreuses espces prsentent un intrt conomique potentiel
ou avr (Delepine date inconnue, Bolton et al. 2004). Les tudes portant sur lherbivorie des
algues benthiques concernent ce jour principalement les poissons (Chabanet 1994,
McClanahan et al. 2002, Ledlie et al. 2007).
2.2 LES STATIONS DETUDE
Les deux stations slectionnes pour notre tude sont les les de Mayotte et de La
Runion (Fig. 14) : Mayotte tant connue pour accueilir une importante population de
tortues vertes salimentant de phanrogames marines et La Runion tant connue pour
accueillir une population croissante de tortues vertes salimentant dalgues benthiques.
OCEAN
INDIEN
Madagascar
AFRIQUE
MAYOTTE
LA REUNION
Canal
du
Mozambique
Fig. 14 Localisation gographique des sites dtude Mayotte et La Runion lchelle du Sud-ouest de lOcan Indien.
2.2.1 Mayotte
Lle de Mayotte, composante principale par ses dimensions de lArchipel
gographique des Comores, est situe lentre Nord du canal du Mozambique, mi-
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
40
distance entre Madagascar et la cte est africaine (Fig. 14). Dorigine volcanique, Mayotte
comprend deux les principales, la Grande Terre (364 km) et la Petite Terre (10 km), ainsi
quune vingtaine dlots rpartis dans un lagon de 1 100 km (Fig. 15).
a)
NGouja
b)
Fig. 15 a) Complexe rcifo-lagonaire de Mayotte (en bleu : zones rcifo-lagonaires, Thomassin 1996) ; b) Localisation des herbiers de Mayotte (en vert : zones dherbier, Loricourt 2005)
o Contexte local
Le climat mahorais est de type tropical humide avec des tempratures moyennes
annuelles comprises entre 21C et 28C et une pluviomtrie moyenne de 1 500 1 700 mm
par an, dont plus de 60% est effective de dcembre mars. La temprature moyenne varie
de 24C en hiver 28C en t. Le climat est rgi par la Zone de Convergence Inter
Tropicale. Bien que Mayotte soit situe sur une branche du Courant Sud Equatorial,
lhydrodynamisme du lagon ne serait pas influenc par les circulations deaux ocaniques,
mais par les vents, la mare et les diffrences de pression baromtrique, principalement en
priodes dpressionnaires voire cycloniques (Gourbesville & Thomassin 2000, Porcher et
al. 2002, Idier et al. 2008). La dynamique du vent dpend essentiellement du rgime
-
41
saisonnier altern aliz-mousson (Raunet 1992). Lors de la saison des pluies, ou mousson,
de septembre mars, les vents (le Kaskasi et le Miombeni ) qui soufflent du nord-
nord-ouest induisent de trs fortes houles lagonaires sur la partie Nord de lle. Au cours de
la saison sche ou aliz de mars septembre, les vents (le Koussi et le Matoula )
provoquent une houle lagonaire sur le secteur sud de lle. Les courants de drive lis aux
vents affectent la couche deau suprieure du lagon et sont fonction de la vitesse du vent et
de limportance du fetch (Porcher et al. 2002). Le rgime des mares est principalement
semi-diurne, avec un marnage de 4 m en mare de vives-eaux.
La Collectivit Dpartementale de Mayotte a connu ces dernires annes des
volutions majeures qui interrogent trs fortement sa dynamique de
dveloppement. Une forte croissance dmographique et lintroduction dun modle
conomique et social franais, due lancrage de Mayotte la France et lEurope,
bouleversent la vie traditionnelle mahoraise. Face cette situation, les risques
environnementaux sont devenus normes, particulirement pour le lagon. Vritable
rservoir de biodiversit (283 espces vgtales marines et 1 775 espces animales marines,
Rolland & Boullet 2005), le lagon de lle est alors soumis une dgradation progressive,
cause principalement par les activits humaines (apports terrignes lis la destruction du
couvert vgtal ctier, pche destructrice, pollution par les dchets mnagers) et par les
phnomnes climatiques pisodiques de blanchiment des coraux (1983 et 1998).
o Un observatoire privilgi
Comptant 170 plages (dont ~80 plages de pontes de tortues marines), 1 500 km de
complexe rcifo-lagonaire, 760 hectares dherbiers marins (Fig. 15), Mayotte reprsente un
site important de reproduction et dalimentation pour les tortues vertes lchelle
du SOOI (Ciccione et al. 2003, 2004, Roos et al. 2005, Bourjea et al. 2007a), et reprsente
un site privilgi pour leur tude sur site dalimentation (Ciccione et al. 2005, Ballorain
2003, 2005, 2006, Roos et al. 2005, Taquet et al. 2006). Des tortues imbriques sont
galement rgulirement observes en ponte sur les plages et en phase dalimentation sur
les rcifs coralliens. Parmi les grands vertbrs marins peuplant le lagon, les tortues vertes
reprsentent les principaux consommateurs de phanrogames marines (seuls quelques
dugongs sont sont recenss, Kiszka et al. 2003).
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
42
Rcemment identifi comme tant un site majeur dalimentation pour les tortues
vertes lchelle de lle (Roos et al. 2005), lherbier marin du site de NGouja situ au sud-
ouest de lle (Fig. 15), est un lieu privilgi pour lobservation de cette espce (Ballorain
2003, 2005, 2006, Taquet et al. 2006). La baie de NGouja, classe comme Zone de
Protection par lArrte Prfectoral N42/DAF-2001 (Annexe 2), accueille une importante
population mixte de tortues vertes et une population rduite de tortues imbriques. Depuis
prs de 30 ans, plusieurs tmoignages rapportent la prsence de nombreuses tortues vertes
salimentant sur lherbier de NGouja. Cependant, les tudes nont dbut quen 1998, date
laquelle la Cellule de Gestion des Terrains du Conservatoire du Littoral (ex-Brigade
Tortue) de la Direction de lAgriculture et de la Fort (DAF) de Mayotte (mais aujourdhui
rattache la Collectivit Dpartementale de Mayotte, CDM) a dbut un programme de
suivi individuel des tortues de NGouja laide de bagues Monel places sur les nageoires
antrieures. Cette mthode de capture-marquage-recapture a permis didentifier et de suivre
de nombreux individus depuis 2003, anne partir de laquelle le suivi de la population est
devenu plus rgulier grce aux missions menes par Kelonia, IFREMER-Runion, CNRS-
IPHC, en collaboration avec la DAF et la CDM de Mayotte. Une partie de la logistique de
ces missions tait assure par lHtel Le Jardin Maor, situ en arrire plage du site de
NGouja.
2.2.2 La Runion
Composante de lArchipel des Mascareignes, lle de La Runion stend sur une
superficie de 2 512 km (Fig. 14). Lle, volcanique et montagneuse, est borde dun littoral
de 207 km sur lequel seulement 40 km de plage alternent avec les falaises basaltiques.
o Contexte local
Le climat de lle est de type tropical. Il est rgi par la Zone de Convergence Inter
Tropicale et est conditionn par le rgime des vents (principalement d'est-sud-est). Sur la
cte, les tempratures schelonnent de 18C 31oC et la pluviomtrie annuelle varie de
900 mm l'ouest pratiquement 2 mtres l'est. De mai octobre, lhiver austral se
caractrise par de rares pluies et des tempratures moins leves. De novembre avril, lt
-
43
austral se caractrise par des pluies torrentielles de courte dure et des tempratures plus
leves (priode cyclonique de dcembre mars). La temprature moyenne de l'eau varie de
26C de novembre avril prs de 23C de mai octobre.
La diversit des habitats marins ctiers (rcifs frangeants, tombants basaltiques,
grottes sous-marines) est lorigine dune importante diversit biologique (>3 500 espces).
Bien que les surfaces rcifales runionnaises soient trs rduites (12 km environ), la
biodiversit quelles hbergent nen constitue pas moins un patrimoine naturel
exceptionnel puisque les eaux runionnaises renferment presque autant despces de
coraux que lensemble de la Polynsie Franaise dont les surfaces rcifo-lagonaires sont
1000 fois plus importantes. Cependant, la pression dune urbanisation croissante en zone
littorale (82% de la population rsidente) engendre notamment lappauvrissement de la
diversit spcifique des platiers rcifaux (DIREN Runion 2006). Trs frquents pour
des activits de loisir dont les impacts cumuls peuvent tre importants, soumis un effort
de pche excessif, supportant des flux de pollution importants du fait des nombreuses
activits et infrastructures implantes sur les bassins versants, ces rcifs sont aujourdhui
considrs 30% dgrads et 50% menacs (DIREN Runion 2006). Les phnomnes
deutrophisation rduisent notamment labondance des surfaces coralliennes et favorisent le
dveloppement algal (Cuet et al. 1988, Naim 1993). Afin de concilier les activits humaines
et la prservation des rcifs, de nouvelles rgles dusage ont t dictes par le dcret de
cration dune rserve naturelle et par divers arrts prfectoraux. Cre en 2007, la
Rserve Naturelle Marine de La Runion stend sur 40 km de ctes du Cap La Houssaye
Saint-Paul, la Roche aux oiseaux lEtang Sal (Fig. 16).
o Un nouvel observatoire
Lle de La Runion tait, avant larrive de lhomme, un site de ponte important
pour les tortues marines comme en tmoignaient les premiers navigateurs qui dbarqurent
sur ses plages (Lougnon 1992). Depuis, la capture intensive, lintroduction de prdateurs
des ufs et juvniles et lurbanisation du littoral ont entran la quasi-disparition des tortues
marines sur les ctes runionnaises. Suite ce bilan, un programme de dnombrement
arien OTOMAR (Observatoire des Tortues MArines de la Runion) a dbut en 1996.
Son objectif est de recenser les habitats favorables (plages et rcifs) la prsence des
-
Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
44
Fig. 16 Primtre gnral de la Rserve Naturelle Marine (RNM) de lle de La Runion (Dcret ministriel n 2007-236 du 21 f vrier 2007, D irection Rgionale de l Environnement DIREN-Runion).Dune superficie de 35 km, l a rserve sarticule autour de t rois types de zones : un primtre gnral, des zones de protection renforce (45%) et des zones de protection intgrale (5%). La rserve se si tue sur le Domaine Public Maritime, partir du rivage, sur une largeur moyenne de 1 000 m ( de 300 1 600 m) e t une pr ofondeur de 15 m 100 m. C e t erritoire comporte des ctes rocheuses basaltiques et lensemble des rcifs coralliens de la cte ouest de lle (20 km de rcif frangeants et embryonnaires).
-
45
tortues marines sur la cte ouest de lle et dintgrer ces rsultats dans les politiques de
gestion et damnagement du littoral (Ciccione et al. 1999). Suite une politique de
prservation des ressources marines de lle, la cte ouest du littoral runionnais reprsente
dsormais un site dalimentation et de dveloppement pour une population croissante de
tortues vertes (survols ariens 1996-2006, Michalowski 2007). Par ailleurs, suite un
programme de rhabilitation de certaines plages de ponte mene par Kelonia/Rgion
Runion/Mairie de St Leu/Office National des Forts, 13 pontes de tortues vertes ont eu
lieu depuis 2004 (Ciccione & Bourjea 2006, 2009) alors que lactivit tait relictuelle (3
traces de montes au cours de la seconde moiti du 20ime
sicle). Plusieurs individus
immatures de tortues imbriques sont rgulirement observs salimentant sur le rcif
frangeant mais aucune ponte na encore t recense.
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
46
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47
3 Size-related habitat use of green turtles foraging on a multispecific seagrass bed
Katia Ballorain
Stphane Ciccione
Jrme Bourjea
Manfred Enstipp
Henri Grizel
Jean-Yves Georges
(Submitted)
CHAPITRE
3
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Ballorain 2010 - Ecologie trophique de la tortue verte
48
Size-related habitat use of green turtles foraging on a multispecific seagrass bed
Katia Ballorain1,2, Stphane Ciccione3, Jrme Bourjea4, Manfred Enstipp1, Henri Grizel4,
Jean-Yves Georges1
*
1 Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien, Dpartement Ecologie, Physiologie et Ethologie,
Centre National de la Recherche Scientifique, Unit Mixte de Recherche 7178 CNRS-
Universit de Strasbourg, 23 rue Becquerel, 67 087 Strasbourg, France. 2 Ecole Doctorale Interdisciplinaire, Universit de La Runion, 15 Avenue Ren Cassin, BP
7151, 97 715 Saint-Denis Messag Cedex 9. 3 KELONIA, lObservatoire des tortues marines de La Runion, 48 Rue du Gnral de
Gaulle, 97 898 Saint Leu Cedex, La Runion, France. 4
Institut Franais de Recherche pour lExploitation de la Mer de La Runion, Rue Jean
Bertho, BP 60, 97 822 Le Port Cedex, La Runion, France.
* Corresponding author: Katia Ballorain
Email: katia.ballorain@c-strasbourg.fr
mailto:katia.ballorain@c-stras
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