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Octobre 2014 Les troubles factices et la « Sinistrose » : des enjeux pour l’évaluation et la prise en charge cliniques Par Nathalie Baste (CHU de Saint-Etienne) Article commenté: Factitious disorders and malingering: challenges for clinical assessment and management Christopher Bass, Peter Halligan. Lancet-Avril 2014-N° 383 Le diagnostic de troubles factices est rare, en comparaison avec d’autres troubles psychiques. Leur identification dépend en grande partie du recueil systématique d’informations pertinentes, comprenant une chronologie détaillée et un examen minutieux du dossier médical du patient. La prise en charge de tels troubles nécessite dans l’idéal une approche pluridisciplinaire et une implication forte du médecin traitant. La tromperie étant un élément clé, constitutif des troubles factices, le diagnostic a d’importantes implications pour de jeunes enfants, en particulier quand il est identifié chez leurs mères ou les personnes qui prennent soin d’eux. La Sinistrose, en pratique clinique, est considérée comme un trouble rare, alors que la simulation de symptômes, motivée par l’appât du gain, se trouve plus courante dans le cadre médico-légal. Des investigations psychométriques peuvent aider à repérer la simulation d’une maladie, pour cela elles doivent utiliser des tests de validité de symptômes qui doivent s’appuyer sur des sources de preuves convergentes, comprenant des entretiens d’évaluation détaillés, des notes médicales, et des investigations non-médicales pertinentes.

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Octobre 2014

Les troubles factices et la « Sinistrose » : des enjeux pour l’évaluation et la prise en charge cliniques Par Nathalie Baste (CHU de Saint-Etienne) Article commenté: Factitious disorders and malingering: challenges for clinical assessment and management Christopher Bass, Peter Halligan. Lancet-Avril 2014-N° 383 Le diagnostic de troubles factices est rare, en comparaison avec d’autres troubles psychiques. Leur identification dépend en grande partie du recueil systématique d’informations pertinentes, comprenant une chronologie détaillée et un examen minutieux du dossier médical du patient. La prise en charge de tels troubles nécessite dans l’idéal une approche pluridisciplinaire et une implication forte du médecin traitant. La tromperie étant un élément clé, constitutif des troubles factices, le diagnostic a d’importantes implications pour de jeunes enfants, en particulier quand il est identifié chez leurs mères ou les personnes qui prennent soin d’eux. La Sinistrose, en pratique clinique, est considérée comme un trouble rare, alors que la simulation de symptômes, motivée par l’appât du gain, se trouve plus courante dans le cadre médico-légal. Des investigations psychométriques peuvent aider à repérer la simulation d’une maladie, pour cela elles doivent utiliser des tests de validité de symptômes qui doivent s’appuyer sur des sources de preuves convergentes, comprenant des entretiens d’évaluation détaillés, des notes médicales, et des investigations non-médicales pertinentes.

Un enjeu principal, dans l’observation d’un comportement de recherche pathologique de soins, serait de savoir dans quelle mesure des symptômes rapportés par la personne relèvent de son propre choix, ou d’un mécanisme psychopathologique dépassant le contrôle volontaire, voire des deux. Les compétences cliniques seules ne suffisent pas à détecter ou diagnostiquer la Sinistrose. Les études de médecine doivent apporter au praticien une structure, un cadre conceptuel, développemental et de prise en charge pour comprendre et s’occuper de patients dont les symptômes apparaissent comme étant simulés. Les modèles basés sur l’explicatif et les croyances, utilisés pour donner du sens à la fois aux patients et aux médecins, sont d’une importance fondamentale pour la compréhension des troubles factices et de la sinistrose. Dans le futur, les progrès dans la prise en charge bénéficieront d’une plus grande considération pour les facteurs non médicaux, ainsi que d’une information plus importante concernant les découvertes conceptuelles et cliniques apportées par les neurosciences sociales, la médecine du travail et la psychologie clinique. Les troubles factices, la sinistrose ou encore le syndrome de Münchhausen ou Münchhausen par procuration sont des concepts auxquels nous pensons parfois sans savoir le préciser et encore moins l’évaluer. Devant tant de complexité, il s’agit de se montrer extrêmement prudents, tout en sachant le repérer, comme le dit l’article pour les patients eux-mêmes qui peuvent considérablement aggraver leur état de santé ou pour les enfants de ces patients (dans le syndrome par procuration). Ce terme de troubles factices peut paraître péjoratif à certains, il recouvre pourtant une réalité qui bien repérée et analysée peut contribuer à aider les patients. Pour cela, le travail en équipe pluridisciplinaire est indispensable avec l’utilisation des mêmes outils et du même vocabulaire. Le problème est que la médecine du travail et l’expertise médicale peuvent, dans certains cas, venir entraver le travail accompli par les équipes de soins. Les troubles factices sont des troubles où se mêlent des aspects conscients et inconscients dans des processus qui échappent en grande partie aux patients eux-mêmes. Pour les investiguer, il nous faut une pensée clinique, psychopathologique, neurologique et sociale. En clinique de la douleur, nous avons l’habitude de tenir compte de ce que l’on nomme avec précision en anglais « disease, illness, sickness et sick role », dans les troubles factices, cela demeure tout aussi vrai. En effet, disease suppose que la maladie soit objectivée, quantifiée, découverte et traitée ; illness nous dit ce que le patient vit, en tenant compte de ses symptômes, ses interprétations, ses émotions ; sickness signifie la socialisation de la maladie et le sick role la validation du statut de malade avec ses droits et ses devoirs. Les troubles factices, la sinistrose, le syndrome de Münchhausen ne demandent qu’à être investigués à ces trois niveaux qui permettent vraiment de tenir compte de leur complexité et d’apporter une réponse thérapeutique pertinente.

La maladie de Lyme et la douleur : faisons le point Par Virginie Piano (Timone, AP-HM) Article commenté : Acute and chronic pain associated with Lyme borreliosis: Clinical characteristics and pathophysiologic mechanisms. Jeffrey Zimering, et al. Pain 2014, 155 : 1435-1438 Il s’agit d’une revue systématique de la littérature portant sur la maladie de Lyme et ses conséquences douloureuses en aigu et en chronique. Les auteurs nous rappellent les fondamentaux : la maladie de Lyme est transmise par une morsure de tique infectée par Borrelia. Selon les zones endémiques, cette bactérie possède un tropisme préférentiel articulaire ou neurologique (selon les régions), mais peut aussi atteindre le système cardiaque. Il faut savoir que la forme articulaire a une prévalence supérieure à la forme neurologique aux Etats-Unis, contrairement à l’Europe. Une carte permet de rappeler que le bassin de Borrelia en France est le Nord-Est et les pays frontaliers tels que la Suisse, l’Allemagne ou encore la Belgique. Dans les douleurs aiguës, la douleur musculosquelettique concerne les arthralgies, notamment l’articulation temporomandibulaire et le genou et la douleur neuropathique concerne la radiculalgie en Europe et la méningite aux Etats-Unis. Concernant la douleur chronique, les formes musculosquelettiques peuvent mimer une fibromyalgie ou un syndrome de fatigue chronique. La forme neurologique met en évidence des céphalées avec un tableau de douleur neuropathique diffuse. Il faut savoir que le traitement de référence aux Etats-Unis est l’injection intraveineuse de 2g de ceftriaxone, alors qu’en Europe, la doxycycline orale ou la pénicilline G en intraveineux peuvent aussi été proposées. Ces traitements permettent de réduire considérablement l’intensité des douleurs, surtout en phase aiguë de la maladie. Cette étude est intéressante, car elle nous rappelle d’éliminer la maladie de Lyme dans la recherche étiologique de nos patients souffrant de douleur chronique. Cependant, aucune information n’est donnée sur la détection par un dosage de Borrelia qui reste souvent insuffisante, une spécificité d’au moins 90 % étant demandée (méthode IFI ou ELISA). Par ailleurs, cet article fait surtout état de la forme américaine et la forme européenne que nous pouvons rencontrer dans nos consultations est différente en matière de tropisme et d’épidémiologie.

Prise en charge psychologique et comportementale dans la prévention et le traitement de la douleur du cancer Par Vianney Descroix (Hôpital de la Pitié-Salpêtrière) Article commenté : Psychological and behavioral approaches to cancer pain management. Syrjala KL, et al. J Clin Oncol. 2014 1;32(16):1703-11 Cette revue étudie l’ensemble des études qui ont évalué l’influence de la prise en charge psychologique et comportementale dans la prévention et le traitement de la douleur du cancer. L’article est construit en reprenant l’ensemble des différentes étapes de la vie du patient atteint du cancer : le diagnostic et le traitement, en post-traitement et la survie, et la fin de vie. Il est aujourd’hui admis qu’il existe un lien clairement établi entre détresse émotionnelle, dépression, anxiété, incertitude, désespoir et douleur. La douleur non soulagée peut augmenter le désir de mourir plus rapidement. Ainsi, les patients atteints de cancers peuvent gérer la douleur en utilisant différentes stratégies comme, par exemple, le catastrophisme qui accentue la douleur ou l’auto-efficacité qui la diminue. Plusieurs études randomisées et contrôlées de haut niveau de preuve, ainsi que différentes méta-analyses ont pu mettre en évidence l’efficacité de différentes thérapeutiques comportementales et cognitives dans la réduction de la sévérité de la douleur et des pertes de fonctions. Les méthodes efficaces comprennent l'éducation thérapeutique, l’hypnose, les approches cognitivo-comportementales et de relaxation avec des images. L'exercice physique a été testé chez des patients atteints de cancer et chez les survivants à long terme, mais peu d'études ont évalué l’effet des exercices directement sur la douleur. Chez les survivants post-traitement, le yoga et l'hypnose, ainsi que l'exercice physique sont des méthodes intéressantes pour contrôler la douleur. Bien que certains de ces traitements réduisent efficacement la douleur pour les patients ayant un cancer de stade avancé, seuls quelques-uns, dans un petit nombre d’études, ont été testés chez des patients en fin de la vie. Beaucoup de ces méthodes psychologiques et de thérapies comportementales ont été évaluées et semblent efficaces pour réduire la douleur dans de nombreux cancers. Il faut maintenant que l’efficacité de ces méthodes soient plus amplement analysée chez les patients suivis en post-traitement et chez les patients en stade terminal. Cet article démontre, de façon particulièrement pertinente, l’importance d’une prise en charge pluridisciplinaire en cancérologie et la place toute singulière que doivent occuper les

prises en charges psychologiques et comportementales tout particulièrement dans la prévention et le traitement des douleurs liées au cancer.

La composante émotionnelle comme cible de la chirurgie de la douleur : une série de patients traités par stimulation cérébrale profonde du cortex cingulaire antérieur Par Marc Lévêque (Hôpital de la Pitié-Salpêtrière) Article commenté : Targeting the Affective Component of Chronic Pain: A Case Series of Deep Brain Stimulation of the Anterior Cingulate Cortex Boccard SG et al. Neurosurgery 2014 ; 74: 628-637 La douleur est une expérience multidimensionnelle, dont la composante affective est considérée comme étant la souffrance. Le cortex cingulaire antérieur (CCA) intervient dans cette dimension émotionnelle et des lésions de cette structure peuvent diminuer la souffrance. Cette étude est la première à prendre pour cible — par stimulation cérébrale profonde (SCP) — le CCA, afin d’atténuer la souffrance de patients présentant des douleurs neuropathiques (DN) rebelles. Seize patients souffrant de DN ont ainsi été opérés. La douleur et ses répercutions ont été évaluées en pré et postopératoire en utilisant l’Echelle Visuelle Analogique (EVA), le Short Form 36 sur la qualité la vie (SF- 36), le Questionnaire de la Douleur de McGill (MPQ) et le Questionnaire EQ-5D. Un stimulateur a été implanté chez quinze patients (93,3 %) et le suivi a concerné onze d’entre eux durant une période moyenne de 13,2 mois. Suite à la stimulation, la VAS a chuté en deçà de 4 pour cinq malades, dont un libre de toute douleur. Une amélioration notable de l’EQ-5D a été observée (moyenne 20,3 %, 0-83 %, p = 0,008). En outre, des améliorations significatives ont été notées sur le fonctionnement physique 64,7 % (-8,9 à 276 %, p = 0,015) et les douleurs corporelles 39,0 % (-33,8 % à 159 %, p = 0,05) parmi les items du questionnaire de qualité de vie SF- 36. La SCP du CCA permettrait donc de soulager les DN pharmaco-résistantes et de restaurer la qualité de vie. Depuis les travaux du Français Le Beau — il y a soixante ans — on sait que la cingulectomie est un geste chirurgical capable d’atténuer certaines douleurs irréductibles. En supprimant la composante émotionnelle, les patients ressentent, comme le précise les auteurs, une douleur

« qui ne les concerne plus ». L’efficacité de la cingulotomie établie, la suite logique était de s’attaquer au CCA non plus par lésion, mais par stimulation : la SCP possédant l’avantage d’offrir des effets réversibles et modulables. Cette réversibilité est précieuse en cas de modification de la personnalité. Ce travail britannique tend à démontrer l’efficacité de la SCP et ouvre ainsi des perspectives prometteuses dans le traitement des douleurs rebelles. Outre le faible effectif et le suivi limité, certaines réserves doivent, néanmoins, tempérer ces résultats encourageants. On regrette, tout d’abord, qu’avec le « design » ouvert et non randomisé de l’étude, les auteurs se soient privés d’un des atouts méthodologiques majeurs de la SCP : la possibilité d’effectuer une évaluation en double aveugle lors d’une stimulation On/Off. On peut également déplorer l’absence d’information sur les raisons pour lesquelles la stimulation médullaire n’a pas été privilégiée chez six des seize malades souffrant de Failed Back Surgery Syndrome (FBSS). On s’étonnera aussi de l’absence d’évaluation des fonctions cognitives, de l’humeur et de la personnalité dans cette étude. On connait pourtant le rôle du CCA dans chacune de ces dimensions constitutives de notre Être. Débarrasser la douleur de la souffrance apparait extrêmement tentant et les avancées technologiques nous dotent, aujourd’hui, d’outils pour y parvenir. Néanmoins, intervenir sur les structures émotionnelles du cerveau — ce territoire de la personnalité et de l’intime — exige une méthodologie extrêmement rigoureuse et une évaluation qui ne sauraient se borner à celle de la douleur et de ses répercussions.