yug texte .qxd 14/09/04 10:02 page 5 - signe de piste, une collection de … · 2011. 11. 28. ·...

GUY DE LARIGAUDIE

YUGsuivi de

YUG EN TERRES INCONNUES

Récits

Illustrations de Pierre Joubert

EEddiittiioonnss CCaarrnneett ddee BBoorrdd40, rue Carnot – 89100 – SENS

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DU MEME AUTEUR

Parus initialement :

AUX ÉDITIONS ALSATIADans la Collection SIGNE DE PISTE JUNIOR

LE TIGRE ET SA PANTHÈRE, roman.

CHEZ J. DE GIGORDDans la Collection FEU DE CAMP

YUG, récit,YUG EN TERRES INCONNUES, récit.

RAA, LA BUSE, roman.L’ILOT DU GRAND ÉTANG, roman.

LA FREGATE AVENTURIERE, roman.

CHEZ D’AUTRES ÉDITEURSVINGT SCOUTS AUTOUR DU MONDE

PAR TROIS ROUTES AMÉRICAINESRÉSONANCES DU SUD

ÉTOILE AU GRAND LARGELE BEAU JEU DE MA VIE

LA LEGENDE DU SKITous ces titres sont actuellement disponibles chez différents éditeurs.

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YUG et YUG EN TERRES INCONNUES furent publiéspour la première fois dans la Collection « Feu de Camp »

par J. de GIGORD, éditeur.


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DANS LA MEME COLLECTION

01 YUG, de Guy de Larigaudie, ill. de Pierre Joubert

02 LE CHEVALIER MENESTREL, de Gabrille Salzy, ill. de Pierre Joubert.

03 PIQUALISE, de Josy de Bouclans, ill. de P. Joubert

04 PIEDS NUS A TRAVERS L’INDE, de Helmut Junker, ill. de Pierre Joubert.

05 SOL Y SOMBRA, de Jean-Claude Alain, ill. de Pierre Joubert

06 LE CARNET ROUGE, de Michel Bloesch, ill. de Rolland Barthélémy.

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envoyez-nous votre adresse sur papier libre.


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AVERTISSEMENT

Yug date d’avant la guerre de 40 — cette guerreoù Guy de Larigaudie perdit la vie.

Yug et Yug en terres inconnues, que nous avonsregroupés ici, sont deux récits distincts, parus à des datesdifférentes.

Mais le récit de ses aventures aurait aussi bien puêtre écrit il y a vingt siècles que dans cent ans. Car l’âgede Yug, c’est le vôtre. Après avoir été l’ami de vos par-ents, Yug deviendra le vôtre et, sans doute un peu plustard, celui de vos enfants.

Hâtez-vous donc au rendez-vous qu’il vousdonne, et songez aux jours extraordinaires que vousauriez connus, si vous étiez nés quelques dizaines de siè-cles plus tôt.

L’Editeur


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Livre Premier

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Pour Alain et Jean-Marieces aventuresdu temps où il n’y avaitni nurses ni collèges.

Les Gérauds, 1933G. de L.


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SAUVÉ

Si chacun de tes pas représentait une année, il te faudraitfaire plus de cinq kilomètres pour arriver à l’époque oùse passe l’histoire de Yug, ce jeune garçon qui marcha,

tout seul, pendant des jours et des nuits, à la recherche de sonClan.

A ce moment-là, les hommes, peu nombreux, for-maient des groupements restreints. Parfois, plusieurs familless’en allaient au loin vers de nouveaux terrains de chasse ou depêche. Souvent, elles revenaient. D’autres fois, on ne lesrevoyait jamais et nul ne savait ce qui leur était advenu, si lesbêtes féroces les avaient dévorées ou si le fleuve les avaitemportées comme il arriva pour la famille de Yug.

L’Europe entière était couverte d’épaisses forêts quene traversaient ni routes ni chemins. Des troupeaux d’aurochspassaient, poursuivis par des hordes de loups. C’était uneépoque rude où il faisait bon savoir se débrouiller.

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Le soleil venait de se lever sur une terre désolée. Lefleuve, la veille, avait eu une crue subite, et ses eaux avaienttout détruit et saccagé à l’entour. Des familles qui campaient àl’abri d’un bois de châtaigniers, surprises au milieu de la nuit,n’avaient pu s’enfuir. Le courant les avait entraînées commefétus de paille.

Quelques toits de hutte tournoyaient encore dans lesremous.

Seuls épargnés, des arbres énormes se tordaient au-dessus de l’eau comme de gigantesques pythons.

Cependant, au sommet d’un haut châtaignier, un jeunegarçon, Yug, lové sur la fourche d’une branche, dormait,écrasé de fatigue. Un splendide adolescent de douze ou treizeans, et bien découplé, ma foi : un corps magnifique bruni parle soleil et le grand vent.

Des muscles longs couraient en jouant sous sa peaucomme un dur et souple acier. De beaux cheveux châtainstombaient sur ses épaules. Ses lèvres entrouvertes décou-vraient des dents de jeune fauve. Une liane serrait à sa tailleune fourrure de grand loup. A son côté pendait, pour toutearme, une sorte de hachette de pierre.

Ecoute en passant comment fut faite cette hachette :Le père de Yug l’avait fabriquée alors que ce dernier

n’avait pas encore sept ans. Il avait doucement fendu le troncd’un jeune frêne et avait glissé dans cette ouverture un lourdbloc de silex. Il avait ligaturé la blessure au-dessus et au-dessous. Le frêne avait repoussé, enserrant la pierre d’un étaude bois vif et, lorsque Yug avait eu dix ans, son père lui avaitdonné la hachette la plus solidement emmanchée qu’il fût pos-sible de rêver.

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Le soleil tombant maintenant d’aplomb sur sa figure,le garçon se réveilla. Sans bouger, il regarda autour de lui etn’aperçut que désolation. Une eau boueuse roulait en torrentau-dessous de lui. Aucune vie ne semblait palpiter à l’entour.

De toutes ses forces il appela, et n’eut pour réponseque le grondement sinistre de l’eau.

Il se vit seul, ses parents morts sans doute, ses com-pagnons disparus. Il lui sembla que son cœur allait se fendreet, brusquement, il éclata en sanglots. C’est une bonne choseque les larmes et ceux qui n’ont jamais pu pleurer sont très àplaindre. Mais il faut pleurer seulement lorsque cela en vaut lapeine.

Yug cessa bien vite de gémir parce qu’il sentait mon-ter en lui un prodigieux désir de vivre, et, pour vivre, il fautagir.

A ses pieds, l’eau roulait encore furieusement. Yugnageait comme une ablette, mais il eût été fracassé contre lestroncs d’arbres s’il avait essayé de plonger. L’eau s’arrêtait surune pente escarpée à huit ou neuf cents coudées de là. A toutprix il fallait atteindre la terre sèche.

Yug se coula sur la branche la plus longue du châtaig-nier et rampa vers son extrémité. La branche commençait àployer mais, comme un vrai chat sauvage, Yug continua d’a-vancer sans avoir peur. S’il avait eu peur, il serait tombé et seserait noyé. Or, il voulait vivre. Tout au bout de la branche quimaintenant faisait un terrible arc de cercle, il put atteindre l’ar-bre suivant qu’il agrippa et remonta jusqu’au tronc.

Ainsi d’arbre en arbre, il approcha de la terre.Tantôt la branche à l’extrémité de laquelle il se trou-

vait se courbait tant et tant qu’en un brusque craquement, ellese brisait, Yug, précipité dans le vide, avait juste le temps d’at-

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traper une autre branche au vol, d’une seule main. Un instantil se balançait les doigts crispés à mort, puis, d’une détente, ilremontait.

Ou bien il se trouvait séparé de l’arbre le plus prochepar une espace de près de quatre coudées. Il fallait sauter.Projeté par le balancement d’une branche, Yug faisait un bondsplendide, décrivant dans l’air une exacte trajectoire et seretrouvait dans l’eau jusqu’aux épaules, les doigts ancrés surune poignée de feuilles et de menus rameaux.

Le courant lourdement pesait sur lui, l’attirait, tordantà la briser la tige trop frêle qui le retenait.

Lentement, luttant contre le flot, Yug avançait sesmains l’une après l’autre. Avec des précautions infinies pourne pas rompre son appui, il parvenait à atteindre une épaisseurde bois suffisante pour le porter. Alors il grimpait jusqu’autronc et, exténué, s’arrêtait quelques instants.

D’autres fois encore, il était projeté dans le vide maisses mains, par malchance, empoignaient une tige couverte dechâtaignes dont les piquants, durement, s’enfonçaient dans sachair. C’est une chose difficile de se balancer au-dessus d’uneeau mauvaise qui gronde, toute prête à vous happer, à vousemporter comme une brindille de bois. Mais il est bien plusterrible encore de devoir le faire en serrant de toutes ses forcesdes épines qui vous déchirent. Yug le faisait cependant et, mal-gré sa souffrance, il regardait l’eau avec mépris parce qu’ellesemblait attendre une proie et qu’elle s’en allait bredouille àcause de son courage à lui.

Mais, arrivé à dix ou douze coudées de la terre, il futarrêté. Le courant était si fort qu’il avait arraché toutes lesjeunes tiges, tous les troncs entre l’arbre où il était et celui quise dressait sur l’escarpement à sec.

Que faire ? L’arbre était trop loin pour qu’il pût l’at-

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teindre, le courant trop fort pour qu’il tentât de le traverser àla nage !

Heureusement, Yug avait conservé sa hachette.Il grimpa tout en haut de son arbre et coupa une

perche de plus de douze coudées de long, laissant au bout unepousse en forme de crochet. Il s’avança le plus loin qu’il luifut possible, attrapa avec son crochet l’extrême branche del’arbre et hop ! il se laissa aller comme un balancier d’horloge.(A cette époque, bien sûr, il n’y avait pas d’horloge, mais lacomparaison est bonne tout de même.)

Une fois à terre, Yug fut content du bel exploit qu’ilvenait d’accomplir et s’étendit pour se reposer et se sécher ausoleil.

Un grondement tout proche le jeta debout, tendud’horreur.

A quelques pas de lui, un énorme chien, les yeux san-guinolents, la langue pendante, une écume blanchâtre dégout-tant de ses lèvres retroussées, bondissait.

Les hommes commençaient alors à mener avec euxces bêtes à demi sauvages et très près du loup. Le fleuve avaitépargné celle-là, mais une nuit de lutte contre le flot l’avaitrendue furieuse et, maintenant, elle se ruait, irrésistible.

Un autre garçon que Yug aurait certainement essayéde saisir sa hachette. Il n’en aurait pas eu le temps, et la bêtel’eût terrassé avant que sa main ait pu arracher l’arme de laceinture.

Yug le comprit. Il saisit par une patte la peau de loupqui le couvrait et la tendit, horizontale. La bête fonçant à l’at-taque, se rua sur le premier obstacle rencontré et, à pleinemâchoire, enserra la bande de fourrure.

En reculant pour empêcher l’animal de lâcher prise,Yug, de la main droite, saisissait sa hachette.

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Un bref éclair de pierre, la bête, le crâne fracassé, s’af-faissa.

C’était un maître coup, et Yug songea avec un peud’orgueil que jamais encore un garçon de son âge n’avait tuésemblable brute.

Puis il se rappela qu’il venait de perdre tous ses com-pagnons. Il se sentit l’âme lourde et, de nouveau, eut envie depleurer.

Mais, secouant sa tristesse, il décida de partir à larecherche de son Clan qui devait se trouver à des lieues et deslieues de là. Il savait seulement que, pour le rejoindre, ildevrait toujours aller du côté où le soleil se couche.

Il songea qu’il allait faire un très long chemin et, voy-ant ses pieds nus et meurtris déjà par sa course dans les arbres,il voulut se fabriquer des chaussures à la manière des hommesde ce temps.

Du tranchant de sa hache, il coupa la peau du chienabattu et en fit deux larges bandes qu’il enroula autour de sespieds. La peau toute molle et chaude encore en moulait exacte-ment les formes. A travers des trous pratiqués avec une longueépine, il entrelaça des lianes. Ainsi fixée, en séchant sur sespieds, la peau ne pourrait pas se déformer. Il possédait main-tenant les chaussures les plus solides, les plus chaudes et lesplus souples qu’il fût possible d’imaginer.

Se dirigeant vers l’ouest, il partit à la recherche de sonClan.

Pendant des jours et des nuits, il marcha. Le matin iltournait le dos au soleil ; au milieu du jour celui-ci l’avait déjàrattrapé, et malgré tous ses efforts, jamais Yug ne put arriveravant lui au bord de l’horizon.

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LES AUROCHS

Il serait bien difficile pour un jeune garçon de trouver unevie plus belle que celle de Yug.

Tout au long du jour, il parcourait les forêts, librecomme l’alouette. Le matin, la fraîcheur de la rosée le réveil-lait. Face au soleil qui se levait dans un brouillard irisé, il s’éti-rait et faisait jouer ses muscles comme une jeune bête.

Il aimait plonger dans le fleuve, sentir sur ses épaulesnues la caresse du flot. Il aimait, faisant la planche, la tête aucreux de l’eau, se laisser glisser mollement au fil du courant.

Il écoutait le chant des oiseaux, le cri des animaux, lebourdonnement des insectes. Il se racontait en marchant leshistoires merveilleuses dont les traces de bêtes lui fournis-saient le thème toujours renouvelé. Les hommes, à cetteépoque, ne connaissaient certes pas l’imprimerie, mais ilssavaient lire le livre de la Nature, ce livre prodigieux que l’onpeut feuilleter une vie durant sans pouvoir en épuiser lesrichesses infinies. Il savait que les hirondelles volant au ras dusol, viennent annoncer aux fleurs et aux herbes une pluieprochaine ; que les poissons bondissent joyeusement au-

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dessus du courant lorsque le temps sera beau, qu’ils se coulentau contraire au plus profond de l’eau lorsqu’ils pressentent lapluie.

Le soir, il se couchait sur un lit de feuilles et de bran-chages. Au-dessus de sa tête, les astres jouaient dans le feuil-lage. Il essayait de les compter sur les doigts de ses mains,mais il s’embrouillait et s’endormait bientôt d’un sommeilchargé d’étoiles.

Oui ! C’était une belle vie que celle de Yug.A coups de pierres, il chassait de menus animaux,

lièvres ou lapins. Non pas avec des pierres lancées à la main(il n’aurait jamais pu tuer ainsi), mais avec des projectilesenvoyés de toutes sortes de façons. Tantôt, il forçait un silex àl’extrémité fendue d’un bâton, et le projetait d’un tourniquetrapide brusquement arrêté. En ronflant, le silex tranchant allaitfrapper le but que Yug ne manquait jamais. Tantôt il fixait unepierre ronde à une courte liane qu’il faisait tournoyer. Lapierre dirigée par la liane frappait l’animal visé et l’assommaitd’un seul coup.

Il paraît étonnant qu’un garçon de treize ans pûtobtenir une telle précision avec des moyens aussi primitifs.Mais, il faut se rappeler que Yug, dès qu’il avait su se tenirdroit sur ses jambes et remuer ses petits doigts à peu prèscomme il le voulait, avait appris à lancer des pierres et à viser.Aussi, maintenant, ses muscles faisaient exactement ce qu’ilsavaient à faire sans que sa pensée ait à intervenir.

Cela s’appelle aujourd’hui le réflexe et si, physique-ment, nous agissions toujours ainsi, tous nos gestes seraientparfaits.

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Yug se nourrissait de fruits sauvages. Il buvait aussi lesang des petits animaux abattus. Il ne pouvait pas faire cuireses aliments parce qu’il n’avait pas de feu : la fleur rouge luimanquait, la fleur dont la chaude caresse détend les membresraidis par le froid, la fleur dont la lumière chasse les ombresperfides de la nuit, la fleur rouge qui donne aux chairs cruesleur saveur et leur goût.

Yug eut très souvent à se défendre contre les bêtesféroces. Un jour il fut poursuivi par un troupeau d’aurochs, etce fut une belle aventure pour lui de leur échapper. Mais, avantles aurochs il eut à lutter contre un sanglier, et cela aussi vautla peine d’être dit.

La chose se passa un matin où Yug traversait un boisembroussaillé de fourrés. Un fracas de branches brisées avaitbrutalement rompu le silence, et la bête avait boulé commeune énorme pierre dévalant d’une pente.

Surpris, Yug avait eu à peine le temps de se jeter decôté au moment où le boutoir arrivait à un pouce de sesjambes. La bête étonnée d’avoir rencontré le vide, s’étaitretournée et de nouveau chargeait Yug, qui, cette fois, l’at-tendait et l’évita d’une souple détente.

Alors, il s’amusa de la fureur du sanglier. Il est telle-ment palpitant de jouer avec le danger, surtout lorsque cela estinutile ! Et Yug jouait là un jeu terriblement dangereux.

Tantôt, au moment où la bête chargeait, il la sautait àpieds joints et se retournait pour voir la course du sanglier quis’arc-boutait des quatre pattes pour s’arrêter. Ou bien il plan-tait devant lui la perche de châtaignier qui ne le quittait plusdepuis l’aventure du fleuve, et s’enlevait au moment où lesdéfenses allaient le déchirer.

Lorsqu’il se sentit las, il s’adossa à un arbre et atten-

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dit. Une seconde avant la ruée de la bête, il s’écarta et, aumoment où le boutoir heurtait durement le tronc, il lui enfonçade toutes ses forces sa hachette dans le crâne.

Simultanés, les deux chocs étourdirent le sanglier quitomba sur le côté. D’un coup de hachette au cœur, Yug l’ache-va.

En somme, le vieux solitaire était beaucoup plus fortque Yug, mais il n’avait pas de cervelle gros comme un noyaude cerise. Yug au contraire, n’était pas plus solide qu’un jeunefrêne dans sa cinquième année, seulement il avait l’intelli-gence. Grâce à cela, il avait triomphé.

Contre le sanglier, Yug avait lutté pour son plaisir.Contre les aurochs il lutta pour sa vie.

Ce jour-là, il était à l’affût dans les herbes hautes.Collé au sol, il glissait silencieux comme un reptile. Il se trou-vait au centre d’une vallée large de deux ou trois mille coudéesqui, à droite et à gauche, se relevait en pente assez brusque surun épais bois de chênes. Au milieu, un ruisseau courait enchantant. L’heure était paisible. Seul le friselis de l’eaufrangeait le calme lourd.

Un grondement roula, vague d’abord, précis main-tenant. Yug d’un bond s’était redressé. Loin derrière lui unemasse grisâtre avançait : les aurochs. Un troupeau qui paissaittranquillement et que le passage de quelques loups avait affolésans doute, et lancé dans le vertige d’une course aveugle.

Les aurochs étaient des animaux énormes etfarouches, lourdement encornés. Il eût fallu être bien perspi-cace pour reconnaître en eux les ancêtres des paisibles habi-tants de nos étables : les bœufs.

Yug, d’un coup d’œil, jugea la situation. Se coucherdans le ruisseau, il n’y fallait pas songer. Le filet d’eau était

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trop ténu, et le troupeau là-bas ne paraissait point divisé par lacoulée plus verte des berges. Au loin, à droite, un rocher sedressait au-dessus des herbes. Yug le crut trop éloigné pourpouvoir l’atteindre en temps voulu.

Le salut était dans les bois qui, à droite et à gauche,longeaient la vallée. Il fallait couper à angle droit la ligne desaurochs.

Tous les muscles tendus par l’effort, Yug s’élança versla gauche.

Quinze cents coudées sont dures à parcourir dans lesherbes qui montent plus haut que les genoux. Yug avait lesjambes déchirées par les ronces et les herbes coupantes, maisil luttait pour sa vie, porté par le grondement du troupeau quifaisait trembler le sol sous ses pas.

La ligne des arbres approchait. Plus que cinq centscoudées. Plus que trois cents !

Hélas ! A un jet de pierre, la tête du troupeau venaitd’apparaître.

Impossible de gagner les arbres à temps. Yug le com-prit. Renonçant à sa tactique, il obliqua à droite et s’élança,devançant le troupeau.

C’était maintenant une course à mort. Yug courait. Iln’était plus qu’une chose vivante et qui ne veut pas mourir.

Il fixait les yeux au sol pour découvrir les moindresobstacles. Lorsqu’il les leva, il vit le rocher qu’il avait aperçutout à l’heure, et qui se dressait maintenant à deux portées depierre au plus sur sa droite. Une idée se fixa dans son espritembué de fatigue : parvenir au rocher, se blottir derrière lui etlaisser passer le troupeau à droite et à gauche comme une lamecoupée par un brisant.

Et Yug courut encore. A quelques pas derrière lui, ungrand auroch, le chef de la bande, faisait voler la terre de ses

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sabots. Butant sur une pierre, Yug trébucha. Il put se redress-er avant de toucher terre et cette chute en avant le fit pro-gresser comme un bond plus ample.

Il n’était plus qu’à quelques pas du rocher, mais, surses talons, il sentait déjà le souffle brûlant de l’auroch.

Les cornes de la bête l’auraient déchiré avant qu’il aiteu le temps d’atteindre la pierre.

Large d’une coudée à peine, une fente profondecourait de haut en bas du roc.

Au moment où les cornes de l’auroch touchaient sachair, Yug se jeta de côté, et, râpant sa poitrine et son dos auxparois rudes de la pierre, il se glissa dans la fente.

Un choc épouvantable retentit, le crâne de l’aurochlancé avec une force irrésistible venait de s’encastrer, cornesrompues, entre les deux murailles de pierre, le frontal à unpouce de Yug.

En ouragan déchiré par l’étrave du rocher, le reste dutroupeau passait à droite et à gauche.

Lorsque le grondement de la horde se fut assourdidans le lointain et lorsque son cœur eut cessé de danser danssa poitrine une douloureuse sarabande, Yug sortit de sonrefuge. S’arc-boutant des genoux et des épaules, il monta lelong de l’entaille du rocher et, mettant un pied sur la tête del’auroch assommé, il sauta dehors.

Autour de lui, la vallée avait changé d’aspect.

L’herbe foulée par le troupeau avait disparu, il ne restait plusentre la double ligne des arbres qu’une bande de terrebouleversée d’où une eau boueuse lentement commençait àsourdre.

Yug comprit à quelle mort affreuse il venait d’échap-per. Il leva les bras vers le ciel et remercia l’Esprit tout-puis-

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sant de lui avoir laissé la vie.La silhouette de Yug projetait devant lui comme l’om-

bre d’une croix. Un faucon traînait dans le ciel ses deux ailescruciales. Au loin, deux arbres sans feuilles dressaient leursbranches en croix. Si Yug avait vécu quelques milliers d’an-nées plus tard, il eût compris pourquoi la forme de croix setrouve partout dans le monde. Mais véritablement, à cetteépoque, il ne pouvait savoir cela, il sentait seulement qu’uneforce suprême avait veillé sur lui, et il remerciait cette force.

Avec sa hachette, Yug se tailla dans une corne de l’au-roch une longue pointe effilée qu’il glissa dans sa ceinture enguise de poignard. Il faisait là travail utile car, mieux que lamasse qui frappe, est efficace parfois la pointe acérée quipénètre.

Puis, fatigué par cette dure journée, il se coucha aupied du rocher et, les yeux papillotants de sommeil, il s’endor-mit au beau soleil.

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LA RENCONTRE AVEC LES HOMMES

Depuis quelque temps déjà, Yug sentait la proximité del’homme. Non d’une façon précise, certes, maisquelque chose dans l’ambiance environnante lui fai-

sait supposer cette présence. Nous ne savons plus, aujour-d’hui, réaliser la vraie solitude parce que nous vivons d’unefaçon continue avec nos semblables. Yug, lui, était vraimentseul dans la nature et, parce qu’il ressentait cette solituded’une façon aiguë, son instinct l’avait averti dès qu’elle s’étaitrompue.

Cette sensation, bientôt, était devenue certitude, desindices avaient surgi, vagues d’abord, puis plus précis : desherbes foulées comme aucun animal n’aurait pu le faire, desbranches non pas brisées mais coupées, un jour enfin, lesrestes d’un foyer récent et, sur le bord de l’eau, la trace d’unpied nu engravée dans le sable.

D’instinct, Yug eût changé de route, parce que, à cetteépoque, les hommes se rencontraient pour se combattre et nonpour s’entraider. Or, Yug était faible. Il avait continué àmarcher cependant, parce que la vue du foyer avait éveillé enlui un désir ardent : il voulait conquérir le feu.

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Les hommes, alors, ne savaient pas produire le feu enfrottant l’un contre l’autre deux morceaux de bois sec. Ilssavaient qu’une étincelle jaillit de deux silex entrechoqués,mais ils n’avaient inventé aucun système pour recueillir cetteétincelle et la transformer en flammes. Lorsque la foudre ou lafermentation embrasait forêts ou savanes, ils recueillaient lestisons et conservaient précieusement cette flamme obtenue parhasard. Jamais ils n’éteignaient complètement leurs feux. Ilsles conservaient pour le lendemain et pour les jours à venir.Lorsque après un orage, ou par négligence, ou après uneguerre les feux étaient détruits, le malheur s’abattait sur lesfamilles jetées ainsi sans défense dans la nuit et le froid.

Pour mieux conserver les précieuses braises, leshommes avaient coutume de les placer dans des récipients deterre cuite percés de trous, qu’ils emportaient avec eux danstous leurs déplacements.

Yug voulut conquérir un de ces récipients.Quelques instants avant que le soleil ne disparût à

l’horizon, il découvrit le camp des nomades. Caché derrière unrocher, il eut tout le loisir de l’observer. Des huttes se dres-saient dans une enceinte de rochers, protégée au sud par unbois épineux assez clairsemé, mais dangereux pour les assail-lants possibles à cause de ses piquants. Une vingtaine de chas-seurs au plus devaient séjourner là. Camp d’une saison sansdoute. Les huttes étaient faites d’un assemblage de grossesbranches recouvertes de ramilles et de mottes de terre. La plu-part étaient coniques et de dimensions assez restreintes.Autour d’un feu, deux hommes faisaient rôtir un cuissot desanglier. Un autre, debout près d’une hutte, gardait le récipientà feu. D’autres cousaient des fourrures, ou polissaient desépieux. C’étaient de grands nomades, splendidement musclés,vêtus de peaux de loups ou d’aurochs. Leurs yeux bleus

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étaient clairs et grands. Leurs armes étaient des haches depierre et des massues de chêne noueux. Rudes adversairespour Yug dont les trois coudées de haut faisaient piètre figureauprès de la carrure puissante de ces hommes.

Pour noter plus exactement dans son esprit le plan ducamp et la position du vase à feu. Yug, en rampant, vouluts’approcher.

Sa volonté bien arrêtée de conquérir le feu aurait dû lerendre circonspect.

Il commit cependant une grosse erreur. Il avait remar-qué dans le camp, attachés à un pieu, deux grands chiensloups. Malgré cela, il s’approcha sans prendre garde qu’ilallait dans le sens du vent, et qu’infailliblement, les chienspercevraient ses effluves et donneraient de la voix.

La chose était fatale. Au bout de quelques instants, leschiens se dressèrent, nez au vent, oreilles pointées. Ils com-mencèrent à gronder, puis, brusquement, se mirent à hurler.

Yug, le cœur serré d’angoisse, s’était tapi derrière unrocher. Dans le camp, les hommes avaient sauté sur leursarmes. L’un d’eux détacha un des chiens. Ils savaient en effetque, seule, la présence de l’homme pouvait motiver chez lesbêtes une si grande inquiétude. Trop près du loup encore pouraboyer comme de vrais gardiens, les chiens ne se faisaiententendre que rarement et seulement pour des causes extraordi-naires. La venue de l’homme en était une.

Les nomades lâchèrent le chien qui s’élança dans ladirection de Yug. Dans quelques secondes ce dernier allait êtredécouvert. La fuite était sa seule chance de salut. Il se leva et,de toute la vitesse de ses jambes, fila.

En quelques foulées, le grand chien loup l’avait rat-trapé. Yug méprisa la bête parce qu’il avait déjà vaincu desanimaux autrement redoutables. Il tira sa hachette et, au

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moment où les crocs du chien claquaient sur ses talons, il luibrisa la mâchoire et le laissa sanglant derrière lui.

Les nomades poussèrent un cri de rage et la poursuitecontinua, plus âpre.

Yug ne pouvant pas lutter d’endurance avec deshommes, il essaya de se sauver par la ruse. Courageusement,il se lança dans le bois. Parce qu’il était mince, il parvint àcourir entre les branches et les troncs, frôlant les épines lesplus acérées, risquant à chaque instant de s’ensanglanter ou des’aveugler. Derrière lui, gênés par leur haute stature, lesnomades perdaient du terrain.

Le but de Yug était de traverser le bois, de franchir unelarge bande de terre nue qui longeait le fleuve, de plonger duhaut de la falaise à un endroit qu’il avait repéré la veille, et dedisparaître à la faveur de l’obscurité qui, déjà, s’appesantissait.

Pourrait-il y arriver ? La distance entre les nomades etlui s’accroissait, mais la lisière du bois était proche et la terresans obstacle qui suivait, longue à parcourir. Yug, pour gagnerquelques instants et laisser à la nuit le temps d’arriver, obliquaun peu sur la droite et continua sa course dangereuse à traversles troncs épineux.

Les nomades comprirent bientôt sa tactique et, pourlui couper la retraite, ils se dirigèrent en droite ligne vers lalisière du bois. Il ne fallait plus hésiter. Yug se lança sur lechamp libre.

Le soleil n’était plus qu’un demi-cercle rougeaccroché au bord de l’horizon.

Sauvé ! Non. A quelques coudées de la berge du fleuve,un nomade vient de surgir, un chasseur sans doute qui, revenantau camp, a vu la scène. Il attend Yug, la massue à la main.

Que faire ? L’éviter ? Impossible. L’attaquer ? Yugn’est qu’un enfant et le nomade, d’un seul coup de sa massue,

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peut le briser.Sans hésiter, droit sur le nomade, Yug court. A une

coudée du géant qui, bien ancré sur ses jambes écartées, vaabattre son arme, il se jette à terre et se glisse comme un ser-pent entre ses jambes. Un bond pour se remettre sur pied, unbrusque revers de la hachette sur la nuque de l’homme aba-sourdi, et Yug à nouveau file vers le fleuve.

Un corps qui jaillit, lancé dans l’espace, un ploufretentissant, une forme qui fend comme une flèche le courant.Le soleil qui disparaît à l’horizon. Des nomades furieuxpenchés sur le bord de la falaise et scrutant l’obscurité.

Yug, une fois encore, venait d’échapper à la mort,mais n’avait pas conquis le feu.

***

Lorsqu’il se jugea hors d’atteinte, Yug sortit du fleuveet chercha un abri pour la nuit. Dans une petite crique derochers il entassa des fougères sèches qui lui firent unmoelleux tapis et, roulant dans sa tête des projets de con-quêtes, il s’endormit.

Yug ne connaissait certes pas le proverbe : La nuitporte conseil, mais le lendemain matin, lorsque le soleil vintle réveiller en chatouillant agréablement le bout de son nez, ilaurait pu reconstituer le dicton car une idée magnifique avaitgermé dans son esprit. Il venait de découvrir un plan d’attaquepour s’emparer du feu.

Les nomades étaient gardés par un chien et, d’autrepart. Yug n’avait ni assez de vitesse, ni assez de force pouréchapper à une poursuite. Il fallait donc lancer les nomades surune fausse piste pendant que lui profiterait de tout leur temps

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perdu pour prendre de la distance et s’échapper.A deux mille coudées du camp, le fleuve décrivait une

boucle assez accentuée pour que, de l’enceinte des nomades,le courant devînt invisible. Yug, avec de grandes précautionspour ne pas être aperçu, alla jusqu’à quelques coudées au-delàde cette boucle, dans la direction du camp. De là il s’éloignaen obliquant à la droite du fleuve, et décrivit une immenseboucle de plus de dix mille coudées qui le ramena tout au bordde l’eau, à son point de départ. Il parcourut deux ou trois foiscette boucle pour que la trace de son passage fût très nette etpût être perçue sans aucune difficulté par le chien loup.

Son but était d’aller, le soir, à la faveur de l’obscurité,enlever le vase à feu des hommes, de courir jusqu’au bord dufleuve à l’endroit où la boucle commençait et là, se jetant à l’eau,descendre le courant caché par la courbe, cependant que le chien,abusé par la fausse piste, partirait dans une mauvaise direction,donnant ainsi à Yug le temps de fuir. En descendant par eau, sapiste vraie serait définitivement perdue, le tour serait joué.

Le projet était audacieux. Il supposait que Yug pour-rait descendre le courant en tenant d’une main au-dessus del’eau le récipient à feu recouvert d’un chapeau de feuillagepour que sa lueur fût cachée aux ennemis. Il supposait aussiqu’il aurait suffisamment d’avance sur les nomades pour queceux-ci ne vissent pas sa fuite par le fleuve avant que leschiens ne les aient lancés sur la fausse piste.

Yug avait pensé à tout cela. Mais les difficultésn’étaient point pour l’arrêter, et la conquête du feu valaitbien quelques risques.

Il prépara, juste à l’endroit où il comptait se jeter àl’eau, un chapeau de feuillage pour couvrir le vase à feu, puisil attendit le soir.

Lorsque la lune eut glissé dans la nuit jusqu’à laisser

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tomber verticalement sur la terre une lueur diaphane entre-coupée de nuages, Yug commença de ramper vers le camp. Levent cette fois lui était favorable.

Se couler, la nuit, dans les herbes hautes, comme unecouleuvre, marcher à pas feutrés comme un fauve sans qu’uneseule brindille craque sous ses pas, devenir une ombre plusobscure dans l’ombre de la nuit, un silence suspendu dans lecalme du soir, percevoir le moindre souffle, le moindre bruit,le moindre frissonnement qui passe, sentir contre soi le volouaté d’un oiseau de nuit, le frôlement d’un rongeur, la vis-cosité d’un reptile, ramper longuement dans la nuit noire, iln’est pas possible de rêver instants plus inoubliables que cela !

Bientôt, Yug aperçut les lueurs du foyer. Par bonheurpour lui, le vent, assez violent, soufflait de telle sorte que lechien ne pouvait sentir son approche.

Il vit le feu. De gros tisons en croix auprès desquelsun homme accroupi veillait. Plus loin, près d’une hutte, troisgrands nomades appuyés sur leurs lourdes massues, gardaientle vase à feu. Une ombre de désespoir embruma le cœur deYug. Comment lui, si frêle, pourrait-il lutter contre ces troishommes et fuir avec le vase, bien plus encombrant qu’il nel’avait jugé tout d’abord.

Plus intensément, il fixa les bûches qui formaient l’é-toile du foyer. Elles étaient de bois très propre à se consumerlonguement. Changeant de tactique, il décida de s’emparertout simplement d’un des tisons. En prenant de grandes pré-cautions, il pourrait conserver la flamme pendant le temps desa fuite et, peut-être, la poursuite des nomades serait-ellemoins énergique que s’il enlevait le récipient à feu.

Brutalement, les choses se précipitèrent. Un sourdgrognement roula dans la gorge du chien attaché à un pieu àl’extrémité du camp. Yug comprit que les choses allaient se

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dérouler exactement comme lors de sa précédente attaque. Unefois pouvait passer, deux étaient trop. Devançant les événe-ments, il bondit sur le feu, et, avant que les hommes aient pucomprendre ce qui se passait, il s’enfonça dans la forêt, sontison à la main, luciole mouvante fuyant dans l’obscurité.

Les nomades, surpris, s’étaient levés. L’un d’euxdétacha le chien, mais, rendu prudent par la précédenteexpérience, il le garda en laisse. Puis, ayant allumé des torch-es de résine, une dizaine d’hommes se lancèrent à la poursuitede Yug. Confiant dans le flair de leur chien ils ne doutaientpas de rattraper le fugitif avant le lever du jour.

Erreur ! Les choses se passèrent comme Yug l’avaitprévu. Arrivé au bord du fleuve, juste à l’endroit où quelquesinstants auparavant le garçon venait de se jeter à la nage, lechien, abusé par la fausse piste, prit la mauvaise voie.

A cinq ou six cents coudées de là, un minuscule pointrouge filait au ras de l’eau. Yug nageait d’une main, soulevant del’autre le tison sur lequel il soufflait pour l’attiser, à travers lechapeau de feuillage dont il l’avait coiffé. De temps à autre, unrire silencieux glissait sur ses lèvres. Il songeait au bon tour qu’ilvenait de jouer aux nomades, il se représentait ceux-ci tournanten rond sur une piste qui les ramènerait continuellement à leurpoint de départ. Il y avait vraiment de quoi se réjouir.

Le courant très rapide entraînait Yug. Bientôt il futassez loin du camp pour se croire à l’abri de toutes poursuites.Déjà la braise du tison commençât à décliner. Il fallait agirvite.

En toute hâte, Yug gagna la terre, chercha des moussessèches et de menues brindilles, et dans une petite grottenaturelle il fit son premier feu.

La flamme haute et claire monta, jetant sur les parois

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du roc des lueurs dansantes. Le cœur de Yug se dilata de joieet d’espérance parce que sa solitude était finie. Il avait trouvéun compagnon fidèle, qui atténuerait pour lui les froidurestrop mordantes, éclairerait les nuits trop obscures, parfumeraitles chairs trop crues. Jusqu’au lever du jour, il rêva, les yeuxsur le rougeoiement du foyer, les membres délicieusementenrobés de bien-être.

Au matin il tressa un vase de roseau qu’il calfata deglaise, et se fit ainsi un récipient à feu léger et sûr. Puis, plusjoyeux désormais, il repartit à la recherche de son Clan.

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