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HAL Id: hal-00558866 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00558866 Preprint submitted on 24 Jan 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Vérité et fiction chez Sophie Calle Magali Nachtergael To cite this version: Magali Nachtergael. Vérité et fiction chez Sophie Calle. 2000. hal-00558866

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HAL Id: hal-00558866https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00558866

Preprint submitted on 24 Jan 2011

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Vérité et fiction chez Sophie CalleMagali Nachtergael

To cite this version:

Magali Nachtergael. Vérité et fiction chez Sophie Calle. 2000. �hal-00558866�

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VERITEETFICTION

CHEZSOPHIECALLE

MagaliNachtergael

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Unroman:c’estunmiroirquel’onpromènelelongd’unchemin.

Saint‐Réal,

Stendhal,LeRougeetleNoir.

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Introduction

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Introduction:l’originalitédel’œuvredeSophieCalle.

Depuis sa première exposition au Musée d’art

moderne de la Ville de Paris en 1980, Sophie Calle alargement contribué au développement d’un mouvementartistiquecontemporain,l’artnarratif.Elledébuteparhasard,aprèsseptannéesd’erranceàtraverslemonde.Sarencontreavecdeuxpierrestombalesdansuncimetièrecalifornien luidonnegoûtàlaphotographie.Elleécritàsonpèreen1979:«J’ai pris des photographies de deux tombes où était gravéBrother etSister. Je croisque çam’a bienplu».De retour àParis, sans aucunes relations, sans activités, elle trouve unexpédientàsesjournéessolitairesetcommenceàsuivredesinconnusdanslarue.Plustard,elleamélioreleprincipedanslaSuitevénitienne1,oùellesuitunhommejusqu’àVenise.Ellel’appliqueensuiteàsonégard,dansLafilature.Undétectiveestalorschargédel’observerduranttouteunejournée.

Au début des années 80, comme par la suite, saproductionartistiqueestdiviséeentroisparties.Lapremièreest autobiographique, la seconde laisse une plus grandeimportanceauxtémoignagesetà lamémoiredespersonnesqu’elle interroge. Sophie Calle produit donc des sériesphotographiques beaucoup plus proche du documentairejournalistique comme L’Erouv, Les Anges, Les Aveugles,L’absenceou,paruplusrécemment,SouvenirsdeBerlin­Est.Ami‐chemin de ces deux catégories, elle exploite sonenvironnementproche,sestrouvaillesourituelspourréaliserLes dormeurs (28 personnes se relaient pour venir dormirdanssonlit,ellelesphotographietouteslesheures),L’hommeau carnet (après avoir trouvé un carnet d’adresses, elle

1Afindenepas surchargerdenotes cettepremière page, je vous inviteà consulter lesréférencesdesouvragescitésenBibliographie.NdA.

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Introduction

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interroge l’entourage de son propriétaire pour reconstituersonportrait),Leritueld’anniversaire(chaqueannéede1980à1994,elleinvitelenombred’invitéscorrespondantàsonâgeet garde leurs cadeaux en vitrine) ou encore L’hôtel, danslequel elle se fait engager comme femme de chambre etprofitedel’absencedesclientspourfouilleretphotographierleurs effets personnels. Plus ou moins marquées par saprésence, lesœuvresdeSophieCalleenconserventtoujoursune trace, dans le texte, en exergue, lorsqu’elle explique leprincipedesonprojetartistique.

L’étude qui suit s’attachera à sa productionautobiographique. Ses publications sont des compte‐rendusd’expériences personnelles. Sa vie se transforme en art etcelui‐citiresamatièrepremièredesavie.Sonautobiographieseréalisepar l’écriture, laphotographiemaisavanttoutparsesexpériences.Ellemetenscènedessituationsetdes faitsauthentiques afin de les exposer dans les musées. Dans lesoucihabitueldevéritéautobiographique, le fantasme restedel’ordredurêveetde l’improbable.SophieCalleprovoquedessituationsqu’elleorganiseaupréalableetlesintègredanssesrécitsaveclagarantiedeleurvéracité. Ennousattachantàcet ensemblequi trouvesonunitédans l’apparition systématique de l’auteur, les récits serontétudiésenregarddesphotographies.Larécurrencedu«je»et des descriptions forme une unité avec les images.L’indissociabilité des textes et des photographies surchargemutuellement les références authentiques. Il y a unesaturation réciproque due la plupart du temps au compte‐rendud’investigation.Le lecteur se trouve face àun artificequi lui donne l’illusion de la réalité. L’adjonctiond’autoportraitsdans ce récit autobiographiqueproduitdoncune surenchère réaliste. Appuyée par ses compte‐rendusminutieuxetsesphotographiesà la limitede l’amateurisme,Sophie Calle atteste son vécu. Peut‐on alors utiliser pourdéfinir son travail les termesd’autobiographie,d’autofiction

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Introduction

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ou de «photobiographie»? La mise en œuvre de ces«happenings» se déroule dans un temps et un espacedonnés.Le contextedes imagesest communiquéau lecteurdansdecourtsrécitsàlapremièrepersonne.Lesréférencesspatiales et temporelles sont authentifiées par lesphotographies et contribuent à réaffirmer constamment laprésencedeSophieCalle. Ilparaîtdonc essentiel d’analyserl’interventionde l’auteur sur sonenvironnement et laplacequ’ilyoccupe.Eneffet,sesactesetleursreprésentationsfontpartie intégrante de sa personnalité. Les études de HenriBergsonetdeJacquesLacansurlesreprésentationsmentalesdu corps et de la perception d’un corps photographiéamèneront à interroger la récurrence de l’image de SophieCalle.Ils’agiraensuitedevoircommentlesimagess’insèrentdansunrécitsuivietélaborentunehistoirepersonnelle.Lesautoportraits, alliés au texte, constituentune représentationauthentique de l’identité de Sophie Calle. Cependant, cetenvironnementesttroubléparlesmisesenscènedesimagesetdestextes.

En effet, les autoportraits obtenus au prix demachinations parfois machiavéliques subissent l’action desréférences mythiques et romanesques qui viennent s’ygreffer. A travers la localisation des expériences (Paris, laPlacePigalleetVenise), lesœuvresdeSophieCallerevêtentdes attributs fictifs. Les récits entretiennent une relationétroite avec la fiction. D’une part, les textes et lesphotographiesproduisentdeseffetsdramatiquesetopèrentdesrapprochementsavecdesgenreslittérairestelsleroman‐policierouleroman‐photo.D’autrepart,sacollaborationavecPaul Auster pour la rétrospective Doubles­jeux, s’inspiredirectement d’un double fictif que le romancier avait créépour Leviathan. Nombre d’articles avaient par ailleurs

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Introduction

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consacréSophieCalle«faiseused’histoires»2.Sesréalisationssuscitentparfoisdesdoutesquantàlapossiblecomplicitédesprotagonistesdesrécits.

Lepersonnagede roman,MariaTurner, vient alorsofficialisercerapportparuneffetdemiroir.Mariaestl’imagefictive de Sophie Calle. Egérie d’un romancier, Sophie Callepublie une rétrospective fortement imprégnée de fiction.L’espace autobiographique qu’elle avait établi dans sesœuvresesttraverséd’élémentsfictifsetlareprésentationdesonidentités’entrouveaffectée.Eneffet,sonautobiographieseplacesouslesignedeladuplicité.Doublesurl’image,dansle roman, Sophie Calle crée un personnage, à la fois réel etfictif. L’autobiographie est «contaminée». Cependant, ceschéma est l’aboutissement logique d’un processus demiseensituationdesoi.

Nousnousattarderonsdonc toutd’abord àdécelerles marques autobiographiques des récits de Sophie Calle.Grâce à l’intervention de la photographie et du pacteréférentiel qu’induit l’autobiographie, le sujet se fait ledémiurgede sapropre image,de sapropre identité tout enpréservantl’aspectauthentiquedesonhistoire.

NousverronsensuitecommentlesœuvresdeSophieCalle dérogent à cette ligne d’apparence réaliste pours’inscrire dans une forme de convenance mythologiquemoderne.Leslieux,personnagesetschèmesnarratifsflirtentavecdestraditionsromanesquesetcréentunetoilede fondoù des références à des auteurs, des mythes viennentbousculer l’ordre autobiographique établi. L’analyse de cestopoïetdel’intertextualitéartistiqueetlittérairepermettrontalorsdemieuxdéterminerlaprégnancedelafictiondansles

2«Panégyriqued’unefaiseused’histoire»,parHervéGuibert,inAsuivre,SophieCalle,catalogueduMuséed’artmodernedelavilledeParis,1991.

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Introduction

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œuvres de Sophie Calle. Ainsi le récit et les photographiesparticipent à la construction d’un personnage. Celui‐cis’installe dans une fiction initiale qui se réalise ensuite. Al’instard’unepiècedethéâtre,laphotographiedéfinitlecadrescéniqueoùvasejouerl’action.Unedramaturgietransparaîtdans l’image et dans les textes. Des effets romanesquesinternes aux récits accentuent l’impression de fiction quiplanesurlesœuvres.

Commentseconstituealorscetespaceindéfinioùsemêlent fiction et réalité? Entre les doutes rassurants queproposelafictionetletroubledel’autobiographie,onrepèreune rupture dans le cours traditionnel du récit. Le pointcentraldecettegêne,decetteimprécisionestessentiellementdûàlaconstitutiond’unpersonnagedouble.SophieCallejouesur l’ambivalence de son identité civile et artistique. Onétudiera plus précisément dans le coffretDoubles ­ jeux, lesvolume intitulés A suivre..., Le Strip­tease (ainsi que seséditions précédentes La fille du Docteur), De l’obéissance.L’opus Des histoires vraies servira également de référenceprincipale. En effet, il présente des extraits du strip‐tease,maisaussidufilmautobiographiqueNosexlastnight,réaliséavecl’ex‐marideSophieCalle,GregoryShepard.Cesouvragesontétéchoisispourl’aspectreprésentatifdelamiseenscènedessituationsautobiographiques.Lesautresouvragesserontcommentés dans une moins large mesure mais servirontnéanmoinsderéférencespourdenombreusesremarques.

Nous tenterons donc de démontrer que les récitsautobiographiques de Sophie Calle jouent sur l’ambivalencedel’identitédeleurauteur.Lepersonnagequienressortesten tous points identique à son créateur. Cependant, lacohabitation de ces deux identités, l’une réelle et l’autreartistique,produituntroubleautourdeleursreprésentations.Les récits séduisent par leurs ambiguïtés et amènent lelecteur–spectateuràsuivreSophieCalledansununiversoùsecroisentleréeletlafiction.

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Chapitre I. Les marques autobiographiques.

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ChapitreILefantasmeautobiographiqueAtraverslemiroir…

Le terme d’autoportrait recouvre une définition

large. De nombreuses formes d’expression permettent saréalisation.Lareprésentationde l’artistepar lui‐même, àunmomentdonnédesavie,àpartird’uncertainpointdevue,peut être parcellaire ou viser l’exhaustivité. Cettereprésentationengageuneprojectionvisibledesonidentité.Peinte,écriteouphotographiée,cetteprojectionestorientéepardeschoixdemisesenscène,eux‐mêmesrévélateursdesapersonnalité. Acte narcissique ou quête de l’identité,l’autoportraitcristallise larelationqu’entretientlesujetavecsonreflet. L’imagedumiroirsetrouve figéeenunalteregofiguré.

Pour sapart, l’autoportrait écrit reproduit cet arrêtsurimage,danslamesureoùilopèrelesmêmesprocessusdechoix et de mise en scène. L’auteur prélève des traitscaractéristiquesdesapersonnetantmoralequephysiqueeten les regroupant, les apposant, il forme un ensemble quirenvoiedirectementàunereprésentationpersonnelle.MichelBeaujour,dansson livreautitreexplicitedeMiroirsd’encre,précise en introduction les particularités de l’autoportraitécrit(ou«autodescription»)àpartirdesanalysesdePhilippeLejeune:

L’autoportrait se distingue de l’autobiographie parl’absence d’un récit suivi. Et par la subordination de lanarrationàun déploiement logique, assemblageou bricolaged’élémentsquenousappellerons(…)«thématiques».

Etplusloin:

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Chapitre I. Les marques autobiographiques.

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Chaqueautoportraits’écritcommes’ilétaituniqueensongenre.3

Les petites séquences des Histoires vraies de Sophie Calleprésententcesdéclinaisonsthématiquesetautonomes.DansLe cou, l’autoportrait photographique accompagné du textedonneàvoirunépisodedelaviedeSophieCalle.LePolaroïdauguraitparlatracerougequiétaitapparuesursoncou,uneaventure tragique qui se produisit deux semaines après lapriseducliché:

…la nuit du 11 octobre, un homme tenta dem’étranglerdanslarueetmelaissainaniméesurletrottoir.4

Cependant, bien que le visage de l’écrivainn’apparaisse pas, l’autobiographie élabore progressivementunautoportraitmoral. FrançoiseSagan sedisait à la lectured’autobiographies de ses contemporains: «Voilà donccommentilveutquejelevoie»5.Ladescriptionentraîneuneinévitablemiseen imagedusujet;le lecteur«imagine»sonapparence. Autobiographie et autoportrait produisent desreprésentations du sujet, directement perceptibles ouimaginaires.

La mise en récit d’une vie demande à l’auteur dechoisir et d’incorporer les éléments importants qui ontfaçonnésonidentité,sonindividualité.L’autoportraitpicturalne révèle en revanche rien de l’histoire personnelle d’unhomme ou d’une femme. Il présente des caractéristiquesvisuelles que le spectateur interprète selon sesa priori, sesconnaissances historiques, ses intuitions physiologiques.Rembrandt,déjàâgéetsouriantbéatement,apparaîtcommeun vieillard fantasque, peut‐être sénile. Le spectateur

3Miroirsd’encre,MichelBeaujour,éd.duSeuil,1980,p.8.4Deshistoiresvraies,SophieCalle,1994,éd.ActesSud,p.34.5 Citée par Jacques Lecarme et Eliane Lecarme‐Tabone dans L’autobiographie, éd.ArmandColin,1997,p.15.

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trouvera dans le tableau des informations sur sa classesociale,sonâge,lapériodedesavieoùleportraitaétéréalisé.Indirectement ce tableau fournira des informations sur lapersonnedeRembrandtentantquepeintreetsursavisionde lui‐même. Néanmoins ces considérations resteronttoujoursdel’ordredel’implicite.Seulelaplaquetteaccoléeaucadreditauspectateur:«Rembrandt,Autoportrait,1665».Ilmanque la parole du peintre qui éclairerait les sensationsqu’inspireletableau.

Les autoportraits photographiques reproduisentsous leur forme la plus classique le principe de laphotographie d’identité. Cependant, des autoportraits,commeceuxdeDenisRoche,nesontpascentréssurlaseuleimage(l’aspectduvisage)maissuruncontextedatéetsituégéographiquement.Lecontextedonneàvoirl’imagedeDenisRocheavecdesélémentsdemiseenscène.Celle‐ciinfluencela perception du spectateur : en embrassant à plusieursannéesd’intervallesafemme,surlesmêmeslieux6,ilapparaîtenhommeamoureuxetromantique.Sonattributprincipalestalors sa compagne.L’autoportrait est redoublé,unehistoirevientsegreffersur l’image.Celle‐cireproduitunévénementattesté et la réalité de la relation qui unit le couple. Laconfrontation des deux époques provoque alors un effet derécitparcetteellipsetemporelle.

Ce type d’autoportrait «en situation» est similaireaux réalisations autobiographiques de Sophie Calle. Dans lecoffretdeseptlivresDoubles­Jeux,onrecense62photosd’elle,groupées en séries: La filature, Le strip­tease,Des journéesentières passées sous le signe du B, C et W. Deux autresapparaissentdansleGothamHandbooketlaSuitevénitienne.Toutesprennent placeenextérieur, leplus souventdans larueoudansdeslieuxpublics.Seulesdeuxd’entreellesontétéprisesenstudio.LafiguredeSophieCalles’imposeaufildesœuvres comme la principale référence identitaire. Les

6DenisRoche,12avril1971.Honfleur,Bassindel’Est,et14mai1988.Mêmeendroitdix­septansplustard.

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autoportraitsmarquentsonomniprésencedanssonœuvreetservent de preuves aux récits autobiographiques. Lareprésentation sur lemode analogique de l’image complètel’évocationdecequiseprésentecommelaréalité,commeunepersonne«réelle»quiexistedans lemondeduspectateur‐lecteur.

L’autoportraitimpliqueunrapportintimeetsolitaireque l’artiste ou l’auteur entretient avec son image.Accompagné ou isolé, il se trouve toujours confronté à uneimagequ’ilcréedetoutespièces. SophieCalledit cependantêtre incapabledeprendreunephotographieetsesportraitssont réalisés par d’autres photographes. Pourquoi cesportraits sontalors considérés commedes«autoportraits»,alorsqu’ilsnesontpasdirectementproduitsparl’artiste?Aumoment de l’exposition ou «exhibition», le portrait prendunevéritable fonctionautobiographiqueetsetransformeenautoportrait par l’action du contexte. Une continuités’instaure dans lesœuvres de Sophie Calle, singularisée parl’identité de l’artiste, de son nom et de son visage quiapparaissent sur lamajeurepartiedesphotographies.Cetteunité ramène constamment les images et/ou le texte à sapersonne. Sa personnalité, son histoire se déroulent enimages lors des visites de ses expositions. Les clichés sontdonc des autoportraits qui s’insèrent dans uneautobiographieglobaleetmuséifiée.

De la même manière, l’absence d’images ou deportraits de l’artiste n’exclut pas la possibilité d’unautoportrait.Nousentronsalorsdanslarevued’objetschersou symboles d’événements marquants qui forment unportrait en creux, in absentia. Un «musée personnel»s’élabore, où les détails du quotidien sont révélateurs de lapersonnalitédel’artisteetdesliensquil’unissentàl’objet.Ceterme avait été utilisé pour l’une des expositions de SophieCalleauxPays‐Bas.ChristianBoltanskiaégalementcontribué,etdansunelargemesure,àenfaireunlieucommundel’art

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contemporain. Hervé Guibert dans L’image fantôme7 l’aappliqué à l’écriture autobiographique. Ainsi, l’opus desHistoires vraies8 associent photographies d’objets etanecdotes. Un peignoir blanc pris en photo se charge d’unehistoirepersonnelleenétantprésentécommelepeignoirdupremieramantdeSophieCalle.

Les autoportraits se multiplient autour des«traits» de la personnalité. Que l’écrivain ou le peintre se«dépeigne», des catégories «thématiques» se créent etabolissent la chronologie au profit de l’inventaire, del’accumulation. Les œuvres de Sophie Calle déclinent decourts récits écrits ou iconiques. Son autobiographie secomplèteparbribessuccessives.LasériedesHistoiresvraiesenestunexempleoulecoffretDoubles­jeux9quicompileenplusieurs parties et volumes ses expériences vécues.L’ensemble du Strip­tease ne fournit pas une véritabledescriptiondel’identitédeSophieCalleniuneautobiographiecomplète. L’auteur n’est défini qu’en qualité de «strip‐teaseuse»occasionnelle.Iln’yapasàproprementparlerderécit «suivi» de la vie de Sophie Calle. Entre l’autoportraitphotographiqueetlecourtrécitde l’expérience, l’histoiredesa personnalité s’efface et disparaît au profit de sa seuleimage, à un moment particulier et dans des circonstancesprécises.Cemanquedecontinuitéfutparailleurspalliéavecquelque ironie dansLa fille du docteur10 par l’insertion descartonsdefélicitationsqui furentenvoyésà l’occasiondesanaissance. L’attention du lecteur se détourne alors de l’actelui‐mêmepour se recentrer sur lepersonnage, qui est alorsdésignécomme«fillededocteurdevenuestrip‐teaseuse».Lerécit s’inscrit dans une chronique familiale. Un décalages’établit pour replacer le personnage dans une histoirepersonnelle etdonnerune significationnouvelle à l’épisode.

7L’imagefantôme,HervéGuibert,éd.deMinuit,1981.8Deshistoiresvraies,op.cit.9Doubles­jeux,SophieCalle,éd.ActesSud,1998.10Lafilledudocteur,TheaWestreich,New‐York,1991.

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Sophie Calle est une fille de bonne famille qui aurait maltourné, si les photographies du strip‐tease n’étaient pasdevenuesparlasuiteuneœuvred’art.

Le cadre en apparence strictement documentaireque la série affiche est largement dépassé. Relégué au rangd’unereproductiond’unphénomènesociologique,«Le»strip­teaseestreprésentatifdesacatégorienominale.Cependantletitre«Lafilledudocteur»amorceuneindividualisationet lestrip‐tease s’impose comme celui «de» Sophie Calle. Sonaspectévénementielluiconfèreunevaleurautobiographique.Un décalage entre la nature de cette action et le vrai statutsocialdeSophieCalles’instaure.Biensûrl’événementeulieu,elle fut strip‐teaseuse. A posteriori, instituée artiste doncrevenue à une certaine norme bourgeoise, elle produit unélémentdesonœuvreglobale.Ellel’insèredansunehistoirepersonnelle mais aussi artistique. L’acte est choisi etsingularisé par l’exhibition à lamanière des «ready‐made»de Marcel Duchamp. Se faire photographier et garder lesimages répond alors à l’irrépressible désir de se voir maisaussi d’être vu. Il ne s’agissait pas en effet de conscienceprofessionnelle(correctiondeladanse,positiondisgracieuse)maisd’unevolontéde conserverune traceobjective de sonacteetdesonimagedurantlestrip‐tease,pressentiscommeéphémères.

Paul Auster, au sujet deMaria l’alter ego fictif deSophieCalledansLeviathan,prétendque:

Maria avait demandé à une amie de venir ce soir­làprendre des photos d’elle pendant son exhibition – sansintentiondelesmontreràquiquecefût,justepourelle­même,afindesatisfairesaproprecuriositéquantàsonapparence.Ellesemuaitdélibérémentenobjet,enimageanonymedudésir,etillui paraissait capital de comprendre avec précision en quoiconsistaitcetobjet.11

11Leviathan,PaulAuster,éd.ActesSud,1992,trad.C.Leboeuf,p.84.

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Le romancier décrit le phénomène dedédoublement qu’engendre l’autoportrait. Sophie Calles’altérise, s’observe alors comme un objet extérieur. Leportraitou l’autoportrait renvoieau sujetune imagede lui‐mêmequil’identifiemaisàlaquelleils’identifieégalement.Lesujetdevientobjetetobjetdedésir.Ledésirestamplifiéparla situation exhibitionniste et la séduction nécessairementdéployée dans ce contexte social. Mais le portrait satisfaitaussiledésirdusujetenverssapropreimage.

Que représente alors l’autoportrait dans laproductiond’unartiste? Ilengageà la foisson imageetsonidentité,carl’autoportraitimpliquelespulsionsdésirantesdusujet envers sa propre image. Cette forme de narcissismetrouve son origine dès la petite enfance et constitue lesfondements de la formation de l’identité. Elle persistenéanmoinssousdiversaspectsdontunecertaineidéalisationdumoiquisemanifestedanslacréationartistique.

L’image du corps, et sa représentation mentale,

jouent un rôle essentiel dans le développement de lapersonnalité. Le «stade du miroir» est défini par JacquesLacancomme«formateurdu je». L’egoseconstruitàpartird’uneimageextérieureressentiecommesiennedèslapetiteenfance. Le «moi» se reconnaît alors dans une image quis’assimile au monde environnant et prend le statut d’unitésignifiable.«Je»devientunautre,ilsescindeendeuxentités– lecorpsetson image.A lamanièred’un«symbolon»,cesdeux unités forment un signe de reconnaissance. Laséparationpartielleinstaureainsidesliensentrele«moi»,entant qu’élémentdumonde, et avec celui‐ci.Deplus, le sujetdéveloppe un rapport égo‐centrique du «moi» au «moi».Sonimagesupportelamultiplicationdesrelationsdu«moi»avec les représentations des éléments qui l’entourent. Atraverslaprojectiondesonimagealtérisée,lesujetsemetenscène, joue sur son apparence pour tenir le rôle qui lui estassigné. La perception du corps transite par une imageintermédiaire,fantasmée,quisituelesujetdansunespaceetfaceauregardd’autrui.Lecorpssemetenscènedansl’espace

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social àpartirdecette image issuedunarcissismeprimaire.Jacques Lacan décrit l’origine de ce jeu de scène devant lemiroir:

Cet acte (…) rebondit aussitôt chez l’enfant enunesériedegestesoù iléprouve ludiquement larelationdesmouvementsassumésdel’imageàsonenvironnementreflété,etdececomplexevirtuelàlaréalitéqu’ilredouble,soitàsonproprecorpsetauxpersonnesvoireauxobjetsquisetiennentàsescôtés.12

L’image originelle rencontrée pour la première foislors du «passage au miroir» est sans cesse complétée defragments qui s’accumulent, s’unifient pour former unensemble hybride et homogène qui soutiendra lareprésentationdu«moi»entantque«positionpremièredel’imago». Cette image se trouve déterminante dans laformation de l’identité car elle en constitue le siège visuel.Henri Bergson avait au début du siècle proposé unedescription de l’influence de la représentation mentale ducorpssurlecomportementmêmedusujet:

D’un côté, en effet, cette image occupe toujours lecentre de la représentation, demanière que toutes les autresimagess’échelonnentautourd’elledans l’ordremêmeoùellespourraientsubirsonaction;del’autre,jeperçoisl’intérieur,lededans,pardessensationsquej’appelleaffectives,au lieud’enconnaître seulement, comme des autres images, la pelliculesuperficielle. Il yadoncune image favorisée, perçue dans sesprofondeurs et non plus simplement à sa surface, sièged’affection en même temps que source d’action : c’est cetteimageparticulièrequej’adoptecommecentredemonuniversetpourbasephysiquedemapersonnalité.13

12EcritsI, JacquesLacan,«Lestadedumiroircommeformateurduje»,éd.duSeuil,1966,p.93.13Matièreetmémoire,HenriBergson,PUF,1939,p.63.

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Lecorpssemeutdansunespacedereprésentationqu’il associe constamment à sa propre image. Celle‐ci,altériséemais identique à lui‐même, permet une projectionqui oriente son comportement et maintient l’unité de sonidentité en un schéma désiré et déterminé. Tandis que lesimages varient, le «moi» reste solidaire, «Un». Touterelationàautruisedéveloppedoncautourde la localisationpremièredu«moi»,c’est‐à‐diresonimage.

La réponse à ce désir de l’image de soi restefantasmatique. Elle est présente à l’esprit mais elle ne peutêtre perçue directement. Se représenter soi‐même enmouvement, en action engendre toujours l’évocation d’uneréalité absente au regard. Le jeu social et la relation«ludique» à l’environnement sont captés par l’imagephotographiquequilesreproduisentfidèlement.

Eneffet,lavéracitédel’imagen’étantpasremiseencause,lejugementseréfèreàelleetauxinformationsqu’ellefournit. Le sujet établit à cet instant une adéquation entrel’image proposée et celle qu’il se fait de lui‐même. Leproblème se pose différemment en peinture car la mainconduitl’image.Lesujetadapteleportraitselonsavolontéetnonl’inverse.Lareconnaissancen’estalorspasunerencontremais un cheminement vers l’image de soi. Le peintre peutmodifier son aspect sans que les détails ne l’altèrentconsidérablement. L’image photographique ne peut enprincipe êtremodifiée,nidonnerune image fausse.Ainsi laréalisationdesériesd’autoportraitsphotographiquespermetd’obteniruneimageconstantelaplusprochepossibleduréel.Chaque nouveau cliché provoque un étonnement, unedécouverte. Le point de vue, l’angle, la luminosité etl’expression du visage entraînent une restructuration du«moi».Cettevisions’ajouteàune«bibliothèque»d’images.Cependant,laperceptionestenpartiefausséeparlafixitéducliché.Bienque lesujetn’ait étésaisiqu’àun instantprécis,seulelatraceainsiobtenuepersiste,prenantledessussurlesautresimagespossibles.Laprisedevueserévèletotalementarbitraire. Certains artistes ont donc préféré faire leurautoportrait pictural ou écrit en fonction de leur

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environnementproche, s’inspirantvraisemblablementd’une«méthodeSainte‐Beuve»revisitée. SophieCalle élaboredesstratégies de prise de vue pour pallier cet arbitraire etcontrôlerautantquepossiblel’imageàvenir.

L’importancede l’autoportraitouduportrait résidedanslefaitqu’une imagedesoiestproduiteparlesujet lui‐même.Objetetsujet,lepersonnagesedédoubleenregardé‐regardant. Effectuer une série de photos de soi oucollectionner des portraits relève du même processus, soitconstituerunensembled’imagesdesoipourenobteniruneàla fois représentative et satisfaisante. Le désir de l’unitéidentitaire et de la multiplication des clichés soulève unparadoxe. Le parcellementdu«moi»permettraituneunitésanscesseaffinée.Lerécitetsonmontagepeuventréunirlesreprésentations du «moi» en un ensemble cohérent ethomogène. Ainsi, la série photographique autorise lerapprochement des antagoniques réunifications et divisionsdu «moi». Sophie Calle présente des séries d’images sousforme de récits. Ces séquences ont été elles‐mêmesregroupéesdansuneprétenduerétrospective,Doubles–Jeux,pouraboutiràdes«sériesdeséries». Lamiseenabîmedecesconstituantsdu«moi»tendàédifieruneautobiographieglobale et,parextension,une identité in‐finie.Elle regroupedesélémentsdisparatesenuneunitésignifiante:son«moi»,signifiéalorsparsonnompropre.

La reconstitution imaginaire reste cependant dudomainede l’illusoire.Par le truchementde laphotographiesupposée authentique, cette image offre une stabilitéréférentielle auquel le «moi» peut se raccrocher. Lacorrélationentrelareprésentationphotographiqueetcelledumiroirestdoncsatisfaiteparledésird’identificationdusujetàson image.Celle‐ci idéalementunifiéeouvre laporteàdesprojections fantasmatiques. Elle matérialise en effet undoubleparnatureincomplet,fixeetmuet.Lestadedumiroirest reproduit par la photographie qui fige l’image dite dumiroir et permet ainsi un arrêt de la phase «thétique»(positiondel’imago).Laphotographieconcentrecettephaseenunpoint,engardeunetraceimpérissable.Ellesesubstitue

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habilementaumiroiretfixelemouvementfurtif,l’expressioninsaisissable. Cependant, elle produit une image qui n’estqu’uneimitationélaboréeetillusoiredusujet.

Qu’apportelaphotographie?Lamêmeimagedésiréeetauthentiquequelemiroir.Afindedonnerunecohérenceàl’identitédusujet, les élémentsvisuels etautobiographiquessont reliés dans un récit qui prend à sa charge l’unitérecherchée par le «moi» en instaurant un pacte référentielréaliste.

L’autobiographie,unetraditionquiserespecte

L’autobiographie est, d’après la définition qu’en

proposePhilippeLejeune,un:

…récitrétrospectifenprosequ’unepersonneréellefaitde sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vieindividuelle,enparticuliersurl’histoiredesapersonnalité.14

Ils’agitd’unedéfinitioncontraignante,car lechampdel’autobiographiedépasselecadresimpledurécitenprose.Complété par l’image photographique, il exclut la notionmême de «rétrospection», tout du moins dans le cas del’autoportraitphotographique.Nousavonsvuprécédemmentque malgré les écarts formels à ce genre, les récitsautobiographiquesenimagesesontdémarquésenbaptisantcette pratique «Photobiographie», terme sur lequel nousreviendrons plus en détail. Philippe Lejeune exclut entreautresàl’époqueduPacteautobiographiquelejournalintimeet l’autoportrait dont nous retrouvons les marques chezSophieCalle.Iladmetnéanmoins:

14LePacteautobiographique,PhilippeLejeune,1975,éd.duSeuil,p14.

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…[les]transitionsquis’établissentnaturellementavecles autres genres de la littérature intime (mémoires, journal,essai)etunecertainelatitude[est]laisséeauclassificateurdansl’examendescasparticuliers.15

Bien que plus tard nuancée par l’auteur dansplusieurs ouvrages, la définition du récit autobiographiqueimplique des conditions essentielles que Philippe Lejeune acollecté et qui permettent une identification formelle dugenre.Ellescomprenaient,danslesgrandeslignes,l’écritureàla première personne du singulier, la similitude du nompropre du narrateur – personnage et de l’auteur ou encorel’absence de nomdu personnage. S’inspirant des catégoriesd’énonciationétabliesparBenveniste,PhilippeLejeunefondeson «Pacte autobiographique» sur un contrat référentielintrinsèqueétroitementliéàl’identitédel’auteur.Envoicilesprincipauxattributs:

L’identitésedéfinitàpartirdestrois termes:auteur,narrateur, personnage. Narrateur et personnage sont lesfigures auxquelles renvoient, à l’intérieur du texte (ou durécit)16,lesujetdel’énonciationetlesujetdel’énoncé;l’auteurreprésentéàlalisièredutexteparsonnom,estalorsleréférentauquel renvoie, de par le pacte autobiographique, le sujet del’énonciation.17

Cependant, Philippe Lejeune ne fait pas cas del’autofiction qui laisse dans le tableau une «case aveugle».Parailleurs,l’hypothèsed’uneautobiographiemiseenimageest totalement ignorée. Depuis 1975, l’autofiction a suscitéplusieurs études que SergeDoubrovsky a généré lors de la

15Ibid.,p.1516Parenthèsedel’A.17Ibid.,p.35.

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parutiondesonromanFils18.Ilyemployaitpourlapremièrefois ce terme. Nous reviendrons sur cette question lors del’observation des traces de fiction dans l’œuvre de SophieCalle.

L’autobiographieouplutôtlerécitautobiographiqueintègre donc des constantes que l’on retrouve dans lesœuvresdeSophieCalle.Eneffet,l’identitédunarrateuretdupersonnagesecroisentdansl’emploidu«je».Lenompropreseplacecommeleréférentstabledel’identité.Ilestsuppléépar la première personne du singulier. La repriseanaphorique du «je» est une référence directe au nom del'auteuretelleimpliquelaprésencedesapersonne«réelle»dansl'œuvre.Paroppositionaunomimaginaireousubstitué,Philippe Lejeune complètera sa définition du pacteautobiographiqueenyajoutantceterme:

J’appellerainomréelunnompropredepersonnequejelisenpensantqu’ildésigneunepersonneréellequiportecenom.Cenompeutêtre lenomd’étatcivil,unpseudonyme,unsurnom.19

Le nom propre comme le «je» marquentl’affirmation du «moi» et établissent une corrélation entrel'identité du sujet et sa représentation textuelle etphotographique.Lesrécitségo‐centréset l'omniprésencedusujet dans les photographies produisent un rapport demimesis avec la réalité. L'identité de l’autobiographe estengagéeparsaproprereprésentation.Ilenrésulteuneffetdemiroir et une fusion, une confusion, entre l'image et sonréférent.

Les textes de Sophie Calle sont toujours écrits à lapremière personne du singulier. Le «je» renvoiecommunément à l’énonciateur du discours, en l’occurrencel’auteur.Quels indicespermettentd’associer l’énonciateuret

18Fils,SergeDoubrovsky,éd.Galilée,1977.19Moiaussi,PhilippeLejeune,1986,éd.duSeuil,p.47.

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l’auteur?Seulleparatextedonneuneréférenceattestée,celledunomdel’auteur.Le«je»serapportedoncspontanémentaunomde l’auteur,puisqu’aucunautrenomdepersonnageneprendenchargel’énoncé.Aucoursdurécit,desréférencesimplicitesmaintiennentlepactedelecture.Cesontcependantlesélémentsréalistes,leslocalisations,datesetinterventionsde personnages réels qui authentifient les référencesimpliquées.Lesimagescomplètentcetteadéquationentre lenom de l’auteur et le «je» des récits. Le personnage quiapparaît sur les photographies s’impose par un processusd’analogiecommeétantSophieCalle.

Enquoiconsistele«pactedelecture»quis’instaureentre le lecteur et l’autobiographie? L’œuvre présentéecomme telle par des précisions paratextuelles induit laperceptiond’un récit devieplacé sous le signe de l’aveu etcommeunevéritableconfession.L’auteurprendàsachargeetsoussaresponsabilitéderacontersavie.Lepactesescellepar l’adéquation d’identité entre l’auteur et le narrateur‐personnage.Lehors‐textecomplète lepacteet labiographiesommairedel’auteurpermetalorsdecertifierleursimilitude.Lacompétenceculturelledulecteurrecoupelesinformationsbiographiquesdont il trouve lestracesdans lerécit.Lenomdel’auteurapparaîtdans letitre«CcommeCalleetCalleaucimetière»20 créant un «espace autobiographique»ostensible. Le lecteur qui dispose de surcroît dephotographiesnepeutdouterdelavéracitédesfaits.Lepacteautobiographiquesefondedoncessentiellementsurunpactedevérité.Ilinciteàregardertoutelaproductiondel’artistedupointdevuedecetespaceautobiographiqueavéré.

Outre la certitude de la réalité des faits relatés, lepacte lie l’auteur en tant que «personne réelle» aupersonnage – narrateur qui se fait l’énonciateur du récit.L’auteurseposedonccommelepersonnageprincipaldeson

20Del’obéissance,SophieCalle,inDoubles­jeux,1998,éd.ActesSud.Voirillustrationp.X‐XIII.

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récit.Lepactetientàgarantirquelenarrateurestbeletbienl’auteuretquesonrécitestauthentifié.

C'est donc avant tout par l'emploi de la premièrepersonnedusingulieretl'usageduvrainomde l'auteurquese constitue le pacte autobiographique. Rousseau déclare :«Moi,Jean‐Jacques…»,enouverturedesesConfessions,toutcomme Sophie Calle affiche son identité et pactise avec lelecteur.Sesrécitss’imposentcommeDeshistoiresvraies21etdoivent être regardées comme telles. Elles ne représententqu'une vision partielle de sa vie. Néanmoins, elles sontlargementconsidéréescommelesprincipauxattributsdesonidentité.LepersonnagedeSophieCalleestunepersonnalitétronquée, mais sa représentation d'elle‐même est suffisantepour que le spectateur ou lecteur l'identifie comme unpersonnage complet. Ses actions artistiques apparaissentcomme la partie immergée d'un iceberg, laissant supposerquelapartiesubmergéeestdemêmenature.

Une autobiographie ou biographie ne peut rendrecompteobjectivementdelavéracitédesfaits.L'auteurexposesavieenchoisissantdespassagesmarquantsouenoccultantd'autresépisodes,qu'ilssoientàsesyeuxanodinsougênants.L'autobiographie est contrôlée par son auteur. Ainsi,RousseauquijureenAvant‐proposdesConfessionsdedirelavéritésurcequ'ilestetsansambages,constitueunpactedevéritéavecsonlecteur.Al’instard’unserment,ils'engageànepas cacher qui il est, ou plutôt qui il a été. Ce que PhilippeLejeune nomme «pacte» est alors manifeste. Le lecteur,rendu confiant, va lire le texte comme une véritableconfessionetnoncommeunécritoùlafictionprendaussisapart.Ilneserapasalorsquestiondemettreendoutelerécit,bienqu'ilsoitpardéfinitionsubjectif.

On remarque cependant que l’autobiographie estconstamment considéré dans sa forme narrative. Il n’est en

21Deshistoiresvraies,SophieCalle,éd.ActesSud,1994.

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effet laissé aucune place à une représentation picturale.JacquesLecarmedansunchapitreintitulé«Autobiographieetimage»22semblefaireuneplaceàcemoded’autobiographie.On remarque cependant que l’association est considérée enmargedugenre.L’imagerestelasimpleillustrationd’unrécitautonome.

Le terme de «photobiographie» supplée donc auxmanques de la terminologie littéraire. Un terme hybridedésigne un genre du même type. La nécessaire mise encontextedel’imagepasseparuncomplémenttextuel.Cequel’autoportraitnepeutdiredeSophieCalle,letextel’exprime.Ilse fait l’interface entre l’image et l’identité. Le «je» agitcommelepivotphotobiographique.ClaudeNori,àl’occasiond’un colloque sur L’œuvre photographique, nomme cetterelation«unchargementdecontextualité»qui:

… correspond, dans le temps du vécu (…) à unerécupération maximale d’information du contexte, lephotographe sachant à l’avance qu’il sera, la photo prise,confronté à une perte contextuelle. (…) Le chargement decontexte, c’est le meilleur choix d’informations relatives autemps,àl’espace,àlachaîneévénementielle.23

L’accumulation des clichés‐séquences, décritsprécédemmentcommethématiques,trouvedanslecontexteautobiographique global une unité de sens. Au sujet desœuvres autobiographiques de Denis Roche et Sophie Calle,ClaudeNoriajoute:

22 L’autobiographie, Jacques Lecarme et Eliane Lecarme‐Tabone, 1997, éd. ArmandColin,p.253.23L’œuvrephotographique,ColloquedelaSorbonne,1984,Cahiersdelaphotographie,N°15,p.15.

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Car la photographie s’origine autour de leur proprehistoire.Et jugerde leursprojets,cen’estpasseulement jugerleurs images photographiques, mais aussi le lien qu’ellesentretiennentavecleurhistoire.24

Les déclinaisons thématiques des séquencestrouvent leur point d’ancrage identitaire autour du nom«SophieCalle».Lenompropresupportecesaccrochesetlesrattache à une linéarité, une continuité historique. La«photobiographie» (ou génériquement l’Art narratif)rassemblel’imagerieélaboréeparlesautoportraitsdansunetemporaliténarrative.Letemps,lelieuetlesujetSophieCallequi en subit les influences parviennent à dessiner unereprésentation mimétique du réel. Ainsi, La Filature sedéroule en une journée. Elle est rythmée par les actions deSophieCalledont leshoraires sontminutieusement relevés.CetemploidutempssimilaireàceluideMichelButordécritl’évolutiondu sujet («je»)dansunespace.L’itinérairepeutêtre précisément retracé. Le récit s’inspire au niveau de satournureformelledelavaguedereportagesquiétaitapparuedans lesannées80sur«une journée,24heuresdans laviede…».

L'alternancedetexteetd'imagefournitun compte‐renducomplet.LaprésencedeSophieCalleestécrasante.Lesujetestpartoutprésent,danslesphotographiesoudanslestextes.Laphotographieopèreunetransfiguration,uneimageincomplètequelesblancsentrechaquephotographielaissentvide. Le flottement entre les images seules estimmédiatementcomplétéparuntexte,quilégendel’imageetluidonneunsens.Lasituationestsaturéed’informations.Unevoix volontairement neutralisée vient pallier la subjectivitéinhérente à tout discours. Les effets lyriques ou poétiquesdisparaissent derrière la simplicité des phrases. Le «je» se

24Ibid.

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déclarerésolumentobjectif.Lestyledestextess’apparenteàdescomptes‐rendusd’enquêtepolicière,commeparexemple,:

Le8 janvier1981,unedemescollèguesmefichasontalonaiguilledanslecrâne(…).Jeperdisconnaissance.(…)25

Les phrases sont courtes, sans effets d’emphase,concentrés en un seul paragraphe et donnent l'impressiond'unrapportd'investigation,pourentérinerlepactedevéritéàlapremièrepersonnedusingulier.

Toutserait‐ilvrai?

Les«séries» répondentpar laphotographieetparles récits autobiographiques à un souci de réalisme. Laphotographieestconsidéréecommeunepreuveattestantdelaréalitédesfaitsetpermettantl’identificationdespersonnes.L’utilisation du médium photographique dans des récitsautobiographiques entérine donc demanière indubitable lepactedevéritéquel’auteurconclutaveclelecteuretaveclui‐même.

La photographie occupe chez Sophie Calle unedouble fonction. Elle témoigne d’une part de ce queRolandBarthes adéfinipar le «çaa été»26maisd’autrepartde laprésence incontestablede l’auteurqui figure sur les images.Laréalisationdel’œuvreestfondéesurlaseuleprésencedeSophieCalledansuncontextedonné.Cependant, l’imagen’apas de vocation esthétisante. Au contraire, l’impressiond’amateurisme (imprécision des plans, flous, contre‐jours)augmente l’effet réaliste du récit. La série du détective la

25Deshistoiresvraies,SophieCalle,op.cit.26Lachambreclaire,Notes sur lephotographie,RolandBarthes,1981,éd.Gallimard‐Seuil,p.121.

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présente sur des images floues, où elle est à peinereconnaissable, dans des lieux publics comme le jardin duLuxembourgoulemuséeduLouvre.

Le cadrage est imprécis et le grain de l’image fontpenserauximagesvoléesdesmagazinesàsensation.L’aspect«vécu» fait référence à l’hebdomadaire dumême nom quiparaissait dans les années 70 – 80. Les récitsautobiographiques devaient représenter objectivement leparcours,lavied’unepersonneessentiellementauregarddesa catégorie socio‐professionnelle. Les récits de «vie» ouaventuresdespersonnagesrelataientlequotidienducitoyenet instauraient avec lui une proximité empathique. Laconfession, l’aveu étaient considérés comme une preuve decourage et faisaient étalage des soucis ou plaisirs familiers.Mêlant un regard journalistique et un récit personnel, laméthodeestreprisedanslesœuvresdeSophieCalle.Lerécitdesavieaccompagnédephotographiessedistinguealorsensignifiantsasingularitémaisaussisonuniversalisme.Cevécuprésenté dans les musées est «auto‐produit». En effet,l’artisteprendàsachargelamiseenœuvreetlacompilationdes événements et des documents témoins. A l’intérêtsupposé du public se substitue l’intérêt de l’artiste pour saproprevie.Leschémade«Vécu»estréappropriéetréadaptépourdevenirobjetd’art.AinsireproduitenfiligranepourLestrip­tease27, l’effet de réalité, d’authenticité se trouveaccentué. On aborde en apparence un cadre strictementdocumentaire. Publié dans un journal, il se serait peut‐êtreintitulé«Soiréedansunshow‐room»ouauraitfigurédanslaveine du photojournalisme comme un reportage sur unequestiond’ordresociologique(cequeletitre«le»strip‐teaselaissesous‐entendre,onl’avu,parl’emploidel’articledéfini).Récit‐photo,à la limiteduroman‐photo, l’œuvreseplaceentémoin de l’expérience vécue. Le récit lui‐même produit un

27Op.cit.

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objetquioccultepartiellement lastratégiedéployéepoursamiseenimage.

Les photographiesne revendiquent pas de qualitésartistiques propres. La photographie n'a pas de valeuresthétiquesuffisantepourapparaîtrehorsdesoncontexte.Eneffet, lesphotographiesen sont entièrement tributaireset illes complète en leur apportant tout leur sens. Lesphotographies montrent mais n'existent pas en tantqu'œuvresd'art.Leurvaleuresthétiquenepeutquerarementprendre toute son autonomie, comme les photographies‐récitsdeDenisRoche.Danssoncas,lelieuetladatesuffisentàévoquer l'instant.LessériesdeSophieCalle,surtouten cequi concerne les filatures, nécessitent une introduction. Cesontlesprincipesgénérateursdel’œuvrequi luidonnentunintérêtetunespécificité. Il fautdonc«raconter»lesœuvresdeSophieCalle.Plusquedes illustrations,qui certesrestentporteuses d'une évocation ou d'un sens, les photographiesentretiennent un rapport de dépendance avec l'histoirerelatée.

Le texte joue un rôle capital. Mais l’image est plusqu’une illustration.Onnepeut lesdissocier, ils existent l'unpourl'autrecarilsformentuneuniténarrativehomogène.Eneffet, les textes sont trop courtspourappartenir àungenrelittéraire autonome. Cependant, ils dépassent la fonction desimple légendedes images. Ilsaniment lesphotographiesetlescomplètentpar lavoixde l’auteur.BienqueSophieCallene prenne pas toujours elle‐même ses clichés, elle se lesapproprieenleurdonnantuneexistencenouvelleparlebiaisdestextes.Unrapportderéciprocités’établitentreletexteetl’image.

Afin d’attester de manière indubitable dudéroulementdesrécits, SophieCalleprésente régulièrementles preuves des faits qu’elle rapporte. Les dossierscomportent à lamanière d’une enquête policière les dates,lieux, nom ou initiales des personnes impliquées et lesphotographies qui y font référence. Les répétitions etredoublements des motifs textuels et photographiquesopèrentunesurenchèreréaliste.Lesecondetderniervoletdu

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Strip­tease explique ladécisiondeSophieCalledequitter lascènedelabaraqueforaineoùelleseproduisait.Deuxdétailsdurécitapparaissentsurl’image:untalonaiguillequiatenulieud’armepoursacollèguestrip‐teaseuse(«[elle]me fichasontalon‐aiguilledanslecrâne»)ainsiquel’absencenotablede laperruqueblondeprécédemmentvisiblesur les images(«elle m’avait, ultime effeuillage, arraché ma perruqueblonde»). Le corpsde SophieCalle apparaît inanimé, ce quiestconfirmépar:«Jeperdisconnaissance».Laclausule«Cefutmon dernier strip‐tease.»28marque en effet la fin de lasérie photographique. Présentée comme la fin de sonaventure, lavérificationpossibledeszonesd’ombres(est‐cevraimentsuiteàlabagarrequelaphotofutprise?était‐celemêmephotographe?, etc.)nepourrait se fairequ’aprèsuneenquête biographique. L’ensemble fait donc apparaître enpremière partie un strip‐tease qui porte la marque de larépétition‐«jemedéshabillaischaquesoir»et«jedevaismedéshabiller 18 fois par jour» ‐ appuyée par l’imparfait dupremier texte, en opposition à la seconde partie relatée aupassé simple et dont la photographie rapporte le caractèreunique.Toutconcourtà instaurerunclimatréalistedanslesrécits et les images. L’environnement autobiographique deSophie Calle se rigidifie autour des éléments dontl’authenticitéestfréquemmentredoublée.

Le contexte est donné dans de brefs écrits.L'adéquation entre le récit et l'image paraît authentique. Lejeu de l'auteur consiste alors à saturer son récitd'informationsautobiographiquespourimposerunécrandereprésentation homogène et sans failles. Il en résulte unétouffement de la référence. Le référent est surchargé,verrouillé et prend l’apparence d’une référence stable etattestée. Rien ne semble pouvoir contester cettereprésentation.

28 Toutes ces citations proviennent deLe strip­tease, inLes panoplies, Doubles ­ jeux,1998,éd.Actes Sud,p.43et «Lestrip‐tease»et «Le talon‐aiguille», inDeshistoiresvraies,op.cit,p.19‐21.

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Chapitre I. Les marques autobiographiques.

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La présence insistante de Sophie Calle et lasurabondance d'indices réalistes laissent néanmoinstransparaîtrel'effacementprogressifduréférentauprofitdesa seule représentation. En effet, cette identité qui s'afficheentretientunemarge indéfinieentre ce réalismeàoutrancedes photographies et des textes à travers les marques defiction qui viennent brouiller cette autobiographie tropexemplaire.

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Chapitre II. Les mécanismes de la fiction

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ChapitreIILamécaniquedelafiction

Mythologiesàl’œuvre

Les récits autobiographiques de Sophie Calle sedéploient, on l’a vu,dans le temps et l’espace.Les lieuxdesexpériencesartistiquesseprésententcommedesréférencesauthentiques. Les photographies témoignent fidèlement deshistoires vécues. Cependant, des mythes romanesquesviennenttroublercettesurenchèreauthentique.Les filaturesprennentplaced’abordàVenisepuisàParis.LeStrip­tease29sedérouleplacePigalle,haut lieudescabaretsetdesrevueslégères. De même, les enquêtes journalistiques qui nes’inscrivent pas dans un processus exclusivementautobiographique (L’Erouv, Les Anges, Souvenirs de Berlin­Est)30sesituentellesaussidansdes lieuxdont l’histoireestliéeàdesmythesantiqueset contemporains, tels Jérusalem,LosAngelesetBerlin.Dansunrécit,lamentiondelieuxaunefonction référentielle.Elle insère l’œuvredansunprocessusdecompréhensiondéterminée.PhilippeHamonprésentecetapportdanslanarrationquipermet:

...[un]ancrageréférentieldansunespace«vérifiable»d’unepart,[le]soulignementdudestind’unpersonnaged’autrepart, (...) et [un] condensé économique de «rôles» narratifs

29Lestrip­tease,inLespanoplies,SophieCalle,éd.actesSud,1998.30SophieCalle,L’Erouv, éd.ActesSud,1991;SouvenirsdeBerlin­Est, ibid.,1999;Lesanges,feuilletonparudansL’autrejournal,26février–3avril1986.

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Chapitre II. Les mécanismes de la fiction

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stéréotypés (onne faitpas sur lesChamps­Élysées ceque l’onfait dans le quartier de la Goutte d’Or) ; (...) ces nomsdemandentàlafoisàêtrereconnusetcompris(...).31

Les lieux occupent toujours une fonction dansl’interprétationd’unrécit.PourSophieCalle,lamiseenœuvredu projet artistique ne se déroule pas dans des lieux del’imaginaire mais du réel. Ainsi, la ville, par ses réseauxcomplexesderues,parlamultitudetoujoursenmouvement,sedéfinit commeun terrainpropiceà la fictiond’obédienceréaliste ‐ pensons aux Illusions perdues de Balzac ou àl’AssommoirdeZola.L’anonymatdespassants,lesrencontreset intriguespossiblesentretiennentunemythologieurbaineoùchaqueombre‐mêmelaplusfurtive‐peutêtrelasourced’unehistoire.Lesréseauxdelavillefournissentunetoiledefond aux interventions de Sophie Calle. Au‐delà de l’espaceartistiquequ’elleinstituedansleslieux,l’auramystérieusedela ville vient contaminer les récits. En effet, Venise et Parissont chargées d’une histoire qui trouve un écho dansl’imaginairecollectif.LesaventuresdeSophieCallesubissentl’influence de cet espace qui génère des clichés et desreprésentations légendaires. LaSuite vénitienne32, grâce auxruellesentrelacées et labyrinthiques,metenplace le jeudecache‐cachepropreà la filature.LesdeuxsemainespendantlesquellesSophieCallepoursuitconsciencieusementHenriB.se trouvent être également celles du Carnaval. Sophie Calle«passe[une]nuit,couchéesurunbancavecunarlequin»33etelle se rend «au bal masqué organisé à l’Arsenal» où elle«photographielemairedeVenise,...»34.L’objetdelafilatureestmomentanément délaissé. Le récit se recentre alors sur

31«Sémiologiedupersonnage»parPhilippeHamon,inPoétiquedurécit,collectif,éd.duSeuil,1977.32 Suitevénitienne ‐Please followme, SophieCalleet JeanBaudrillard,éd.de l’Etoile,1981.33Suitevénitienne,inAsuivre,SophieCalle,éd.ActesSud,1998,p.93.34Ibid.,p.58.

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Sophie Calle et sur le Carnaval. Son travestissement (laperruqueblonde)et saquêteentrenten résonanceavec lesfestivités auxquelles elle participe, de fait, sans cesse. Laphotographie d’un masque vénitien sorti de l’obscurité(d’après la technique photographique du «cache») vientponctuerlafinduséjouràVenise.Lemasqueestentouréd’unhalopour intensifier le jeud’ombreetde lumièrequiaprisplaceàVenisedurant cesdeux semaines.La findu récit estplacéesouslesignedel’indiscernable,dusublimemaisaussidumystère. Lafilatures’inverseàParis.SophieCalleestl’objetd’une«suite parisienne» qu’elle a pris soin d’orchestrer. Elleconduit un détective dans des lieux qui sont présentés aulecteur‐spectateurcommesignificatifsdesavie.Onremarquecependantqueleparcourss’apparenteàuncircuittouristique: le jardin du Luxembourg, le Louvre, les Tuileries, lesChamps‐Élysées et un vernissage dans une galerie d’artcontemporain.35 Les lieux ne sont pas choisis au hasard. LePalais de la Découverte est inscrit au programme de lajournée. Cette étape avait en effet paru à Sophie Calle «decirconstance»36.La filatureavaitétépréparéeavecminutie:chaque jour un de ses amis devait se poster à l’entrée duPalais à 17 heures précises pour surveiller et prendre enphotol’éventuellearrivéedeSophieCalle,suiviedeprèsparle détective. Les lieux participent donc à l’élaborationd’uneimageriemythique qui s’associe à l’identité de Sophie Calle.Ellelesinsèredansseshistoires,danssonhistoirepourselesapproprier. Ainsi, les portraits «en situation» bénéficientd’une stratégie déployée pour obtenir ces imagesdéterminéesdesapersonne.Ellechoisitledécor,lesacteursafin de se voir photographiée dans un environnementvalorisantetfortementconcerté.

35LaGalerieChantalCrousel,au42ruedeQuincampoix,continueàcejouràdiffusersurlemarchédel’artlesœuvresdeSophieCallequ’elleavaitlancéesen1983.36Lafilature,inAsuivre,SophieCalle,op.cit,p.117.

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Cette mise en scène implique des personnages dontl’image contient une connotation mythologique.L’interventiond’undétectiveprivéintensifiel’aspectfictifdesrécits. Les personnages traversent des espaces mythiques.Maisilémaned’euxdesréférencesquisurpassentleursimplefonction dans l’expérience. Le détective est chargé d’unemission, ildoitsuivre,photographieretcollecterlespreuvesdecequesouhaitedécouvrirlecommanditairedelafilature.Cependant, ledétectiveestprisdansunpiège : il n’a rien àdécouvrir,sinonSophieCalle.Laprésencedel’hommesusciteimmédiatement des représentations du détective tellesqu’elles sont propagées dans les romans policiers et lecinéma. Le «privé» représente le sauveur, séduisant etséducteur. A‐t‐elle rêvé avoir un Philip Marlowe à sestrousses? Cherchait‐elle à provoquer un contact, unerencontre? Par la présence de ce personnage, la journée deSophieCalleprendunenouvelledimension,procheduroman. Seulementdéfinisdanslerécitparunefonction(lemari,ledétective...),lespersonnagessevidentdeleuridentitépourn’être plus que des pronoms («il»), des prénoms ou desinitiales : Henri B., le Docteur Z., Bernard F., ... Peu depersonnages sont identifiables sur les images. Le père deSophie Calle ou Greg Shepard, son ex‐mari, occupent uneplaceplusmarquée,bienquelevisagedumarisoitcoupéparle cadre des photographies illustrant «L’amnésie» et «Ledivorce»37. Seul Denis Roche est nommé. Mais il apparaîtindistinctementaudétourd’unerue,commeparunheureuxhasard, lorsd’unedes filaturesdeSophieCalledansParis38.Les personnages surgissent dans les récits comme desombres.Leursnoms,frappésd’anonymat,leseffacentunpeuplus de la réalité. Certaines présences se distinguentcependantcarellessontperçuescommeintempestivesvoiredangereusespourSophieCalle,essentiellementdesfemmes:la compagne de Henri B. à Venise, qui lui «fait peur», la

37Deshistoiresvraies,SophieCalle,éd.ActesSud,1994.Voirillustrationp.IX.38Asuivre,SophieCalle,op.cit.,«Préambule»,p.25.

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«rivale» Des histoires vraies39, soit la maîtresse de GregShepard,oulacollèguedustrip‐teasequitentelittéralementde la faire disparaître. Ces figures féminines semblentchercher lapertedeSophieCalle,posentunœildangereux,car ilnepourra jamaisêtreséduit.Ellesagissentcommeles«opposants» au bon déroulement de l’histoire, d’après ladescription des structures traditionnelles du récit40. Onremarque, dans La filature41, une femme noire qui regardedansladirectiondeSophieCalle.Ceregardsemblepercerlesecret, le mystère qu’il faut préserver pour maintenir lepouvoirdeséductionqu’elleexercesursonenvironnement. Le strip‐tease est lui aussi un élémentmythique de lasociété moderne. En 1979, Sophie Calle réalise pendant unmois son numéro dans une baraque foraine dressée placePigalle. La place, ses vitrines aguicheuses, les baraques,considérées comme des lieux mal famés au regard de lanorme bourgeoise, appartiennent au folklore parisien.Prostituées, strip‐teaseuses et travestis alimentent cetteimageàlafoismythiqueetsordideduquartier.Lecontrastemanifeste,danslaFilledudocteur42,desimagesdunumérodeSophie Calle et des cartons de félicitations d’éminentsdocteurset gensdebonne famille amplifie lechocdesdeuxmondes. Les clichés qu’ils génèrent divergent fortement etsontenoppositionconstante.SophieCallesubvertit lesdeuxmilieux par sa présence : le lieu et sa fonction necorrespondent pas à la «lignée» de ses origines. Elleembourgeoise le strip‐tease, tout en maintenant une ironiedistante face au monde bourgeois bien‐pensant. En restantdans le champ de l’inversion, du jeu carnavalesque, elle sedéguiseenstrip‐teaseuse,metuneperruque«aucasoù[ses]grands‐parentsquihabitaientdans le quartierviendraient à

39Op.cit.40Morphologieduconte,VladimirPropp,éd.duSeuil,1965,trad.deMargueriteDerrida,«Répartitiondesfonctionsentrelespersonnages»,p.96‐97.41Lafilature,inAsuivre,op.cit.,p.127.VoirIllustrationsp.II.42Lafilledudocteur,SophieCalle,TheaWestreich,New‐York,1991.

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passer.»43. Ce travestissement lui permet néanmoins degarderunedistancevis‐à‐visdesonidentitéetd’endosserunrôledecomposition.SophieCallejouelejeu‐toutcommelesrituelsqu’elles’imposesouslaformede«règledujeu»44‐surunescènequin’existequepourelle.D’unepart,ellenetombepasdanslemisérabilismeenmontrantdesphotographiesdecollègues qui n’auraient pas souhaité travailler dans cetendroit, d’autre part, elle domine une situation qui lui aéchappé unmoment : son histoire finit aumusée. Son récitévoqueparailleursdesrapprochementsdetyperomanesque.Lesouvenirdesstrip‐teasesfugacesdanslacaged’escalierdel’immeuble de ses grands‐parents renvoie à un passéidyllique:

J’avaissixansetj’habitaisrueRosa­Bonheurchezmesgrands­parents.Lerituelquotidienvoulaitquejemedéshabilletous les soirs dans l’ascenseur de l’immeuble et arrive ainsitoutenueausixièmeétage.(...)Vingtansplustard,c’estsurlascèned’unebaraqueforaine(...)quejemedéshabillaischaquesoir(...).45

La rue «Rosa‐Bonheur» réactive le souvenir d’unparadisperdu,enfantin,unlocusamoenusauquelsuccèdeunlieusordide,dontl’héroïneapparaîtinaniméesurladernièreimage.Lejeusemblemalseterminer.Laconclusiondurécitestambiguë,l’imagenoustrompe.Ellemontreuneréalitéquine peut être interprétée correctement qu’à l’aide du texte.Cependant, cet effetdramatique contribue àdisséminerdestracesdefictiondanslerécit.L’imagesaisitlelecteur,carelleest marquée d’une forte mise en scène qui prolonge l’effetdramatiquejusqu’àsonterme.

43Lestrip­tease,inLespanoplies,op.cit.,p.20.44Del’obéissance,SophieCalle,éd.ActesSud,1998,«Larègledujeu»,p.4et5.45Ibid.

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Lespalimpsestesfictionnels

Un strip‐tease, un détective, une filature à Venise, unattirail d’espionne (le squintar amené à Venise pourphotographiersansviserdirectement),desdates,horairesetlieux précis: les récits constitués comme des rapportsd’enquête ressemblent en tous points à un roman policier.Cependant, l’intrigue fait défaut : seule subsiste la mise enscène.Lespersonnagesn’onteneffetd’autrebutqu’êtrevus. Les récits‐photos ‐ ainsi dénommés pour ôter touteconnotation péjorative ‐ peuvent difficilement éviter lacomparaisonavec leroman‐photo,malgré lesdifférencesdemise en page. Considéré comme un sous‐genre «à l’eau derose», celui‐ci a été exploité essentiellement dans lesmagazines féminins. Les remaniement des artistes luidonnent une nouvelle existence. Les thèmes des romans‐photossupposaientdes intriguessimples.Celles‐cimettaienten scène les tourments généralement amoureux depersonnagesstéréotypés.LesrécitsdeSophieCallesemblentfaire des références allusives au genre : la filature à Venisen’estpasmotivéeparundésiramoureux,maiselleprétend,pour expliquer ses recherches, que «seul l’amour lui paraîtavouable»46.Unbasculementdanslestopoïduroman‐photorestepossible.SophieCallejouesurlesmargesquiséparentsonœuvredesgrandsgenresdéjàétablis.DansunentretienavecJ‐MColard47,ellejustifiecettedistancequ’ellegardeaveclafictionpure:

Cen’estpasuneaventure, et ça en estune enmêmetemps,maiscrééedetoutespiècesparlamiseenscène,etnonpar l’événement. Avec l’aventure, si l’homme que je suivaiscommettait soudainement un meurtre, ça deviendrait trop

46Suitevénitienne,inAsuivre,op.cit.,p.75.47 Entretien avec Sophie Calle «Femme d’actions», par Jean‐Max Colard, in LesInrockuptiblesdu9au15septembre1998.

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beaupour être vrai. Est­ceque je serai encore crédible? Jenesaispas.Cadeviendraitdupolar.Enfin,jedisquejen’aimeraispas,maispeut­êtrequ’enfaitjeseraisraviequeçam’arrive.

Les incursions dans le genre du roman‐photo ou duroman policier restent timides pour entretenir cet arrière‐fond romanesque qui contamine insidieusement les récits.Dans sesmises en scène avouées, Sophie Calle fabriqueundécortraverséderéférencesmythiquesetd’intertextualités.Elle stimule l’imaginaire, en espérant, dit‐elle, «que sontravail[fasse]plusrêverqueréfléchir»48,danslamesureoùsesprojetsnes’apparententpasàdesétudessociologiques. Eneffet,malgréleurréalisme,lesœuvresdeSophieCalleexercentune fascination sur l’esprit denombreux écrivains.HervéGuibert,JeanBaudrillardetPaulAusteronttrouvéenelle une «faiseuse d’histoire»49. Des allusions à GeorgesPerec,MarcelProustetRainerMariaRilkes’immiscentdansles textes ou sur les photographies. Lors de sa filature àVenise, Sophie Calle se promène sur la plage du Lido.DésespérantderetrouverHenriB.,elleditpenseralors:

... à cette phrase de Proust: «Dire que j’ai gâché desannéesdemavie,quej’aivoulumouriretquej’aieumonplusgrand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, quin’étaitpasmongenre»50.

Le lieu, la quête et la référence à un narrateur dontl’identitéestambiguëprolongent lemythed’uneVenisedesécrivains, des artistes mais aussi insèrent une part deromanesque dans La filature qui s’octroie une part de Larecherche du temps perdu retransposée dans la «recherched’uninconnu».

48«SophieCalle, fétichistedesa proprevie»,parMichelGuerrin inLemondedu11septembre1998.49«Panégyriqued’unefaiseused’histoire»,parHervéGuibert,inAsuivre,SophieCalle,catalogueduMuséed’artmodernedelavilledeParis,1991.50Suitevénitienne,inAsuivre,op.cit.,p.57.

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Par ailleurs, Sophie Calle dans sonBon plaisir... surFrance‐Culture avait confié au sujet de Georges Perec que«toutessesidées,j’auraisvoululesavoir,ellesmesemblaientfaites pour moi. Toutes.»51. Son «modèle» n’est pas celuid’un artiste ou d’un photographe (elle dit Perec «artiste»)mais celui d’un romancier dont les écrits l’ontvraisemblablementinspirée:Tentatived’épuisementd’unlieuparisien,La rueVilin (que Perec a photographiée lors de sadestruction), Je me souviens etW ou le souvenir d’enfance,histoire d’un dédoublement narratif et personnel. Le livreapparaît sur la photographie de la Journée sous le signe duW52.OnretrouveeneffetdanslesécritsautobiographiquesdeSophieCallelamêmevoixnarrativeneutreetfactuelle. LarelationlaplusouverteaveclafictionestconclueavecLeviathan53dePaulAusteroùl’auteurenexergue«remercietoutspécialementSophieCallede l’avoirautoriséàmêler laréalité à la fiction». Paul Auster, attiré par la créativitéautobiographique de Sophie Calle, a utilisé des traits de sapersonnalité, ses «excentricités» artistiques pour créer unpersonnagederoman.L’écrivain‐toutcommeHervéGuibert–aproduitnombred’ouvragesquilaissaientunegrandepartà l’autofiction. On peut noter le glissement de Sophie Calleversl’autofictionàtraverssacollaborationavecPaulAuster.En réponse à cette utilisation de son identité pour créer cepersonnageinspiréduréel,SophieCalle«amêlélafictionàlaréalité»etremercieàsontourPaulAusterdansDoubles­jeux.L’alter ego fictif qui resurgit du roman se prénommeMariaTurner. La description de ce personnage atypique reprendpointparpointlesexpériencesartistiquesdeSophieCalle.Larencontreentrelesdeuxpersonnagesaboutitàlapublicationd’une rétrospective des œuvres de Sophie Calle. Elle avait

51 Le bon plaisir de Sophie Calle, France Culture, le 29 juin 1996, transcription del’auteur.52Del’obéissance,SophieCalle,éd.ActesSud,1998,p.61.53 Leviathan, Paul Auster, éd. Actes Sud, 1991, traduction française de Christine LeBoeuf.

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alors pris soin de réaliser les projets artistiques que leromancierluiattribuaitparsonpersonnageinterposéetlesainclus dans le livre intitulé De l’obéissance54. «La règle dujeu»55 y présente le principe de parallélisme systématiqueentreSophieCalleetMariaTurner.Lesextraitsduromansontcommentés et corrigés, là où Paul Auster avait arrangél’histoire pour les besoins de l’intrigue. Ainsi, «pour fairecommeMaria»,SophieCallevitdesJournéesentièressous lesigneduB,CetWous’imposeLerégimechromatiqueimaginépar leromancier.Lesautres livretsqui composent lecoffretsontensuiteponctuésparlesextraitsduromanetlestextesoriginaux de Sophie Calle. Elle présente alors sonautobiographiesousl’égided’unpersonnagedefiction.Danscetteautobiographiequis’enrichitaufildesexpériences–àlamanièred’un«workinprogress»dontrêvaitMichelLeiris‐la rencontre avec Maria Turner permet à Sophie Calle deréécriresavieauregardd’unpersonnagedefiction.Ilrenvoieà Sophie Calle une image à la fois fictive et réelle, lareprésentation d’une vie et d’une identité nouvelles. MariaTurnerapparaît telunrefletdans lemiroirdéformantde lafiction. En effet, Maria est blonde, elle porte des perruquesnoires. Elle se définit comme un pendant travesti. Lesréférences doubles brouillent les pistes autobiographiquesdansleromanetdanslesrécitsdeSophieCalle.Ellen’estpasseulementunobjetde fictionpar l’actiondu romande PaulAuster, elleproduit elle‐mêmede la fictionen«provoquantdessituationsarbitrairesquiprennentlaformederituels»56,desparcellesdevieartificiellementobtenues. Sophie Calle donne à son personnage une existenceréelle. Grâce aux expériences communes qui les unit, lestextes de Paul Auster et de Sophie Calle se répondentmutuellement. La rétrospective s’élabore à partir d’un

54Del’obéissance,op.cit.55Ibid.,p.4et5.Touteslescitationssuivantesontlesmêmesréférences.56Provokingarbitrarysituationswhichtakeontheformofrituals,Artandtext,Australia,n°23‐24,mars‐mai,1987,p.80–102.

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personnagedefictionquidonneunnouveausensauxprojetsartistiques de Sophie Calle. Avec l’intervention de la fiction,parunchemindétourné,l’autobiographierevêtuncaractèreromanesque.Unenouvelle identité,double, transparaîtdansce recueil. On ne peut déterminer la véritable origine desexpériences artistiques, l’ombre de la fiction plane surl’autobiographiequi sembleavoir trouvé sonaboutissementdans la «rétrospective». La vie que Sophie Calle et MariaTurner «partagent désormais» jette un trouble surl’authenticitéaffichéedesrécits.Lesdeuxpersonnagesmêlentleurscaractéristiquespour créerunepersonnalitémixte.Unnouveau personnage en résulte, la projection d’une identitétraverséepar les attributs fictifsdeMaria Turneretpar lesexpériencesartistiquesdeSophieCalle. L’autobiographie dans l’ouvrageDoubles­jeux prend leparti de l’ironie pour aborder ouvertement la fiction. LesmisesenscènesphotographiquesdesJournéessouslesignedeB,C etW sont trèsappuyées.OnyvoitparexempleSophieCalleenBrigitteBardot,miseenscèneparlephotographedemode Jean‐Baptiste Mondino. Quant aux récits, Les menuschromatiques ou le Gotham Handbook, ils se détachentsouventduromanetdesinstructionsdePaulAuster.LorsqueSophieCalleconstateunelacunedansladescriptionduMenuOrangede«Maria»,elleexploite labrèchepourmodifier lescénariodePaulAuster.Ainsi,elletransgressepartiellementlemenu:

PaulAusterayantoubliédementionnerlaboisson,jemepermetsdecomplétersonmenuavecdu:Jusd’orange.57

Parfois Maria, parfois Sophie Calle mais souvententre les deux, le personnage qui apparaît sur les imageslaissedestracesdefictionsdanstoutel’œuvre.LestextesdePaul Auster rajoutent une part de doute. Il brouille labiographie de Sophie Calle. On confond aisément le

57Del’obéissance,SophieCalle,op.cit.,p.19.

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personnage du roman et Sophie Calle, au point de ne pluspouvoirdiscernerlapartdevéritéetdemensonge. Laprésentationdesexpériences,lestextesetlesimagesentretiennentdes liensconstantsavec la fiction.Nousallonsdonc étudier plus précisément la structure des récits, leseffets de style. Ensuite, nous regarderons en détail lescaractéristiques des mises en scènes photographiques. Lesrécitsde SophieCallemettentenvaleurune représentationdouble de sa personnalité, qui s’élabore insidieusement àtraversdestopiquesàlafoisréalistesetfictifs.

SophieCalle,roman. Lestrip­tease58estdiviséendeuxparties.Toutd’abord,SophieCalleprésentelecontextedesaperformancedansuncourt récit d’exposition. Il est immédiatement suivi desphotographies,sanscommentaires.Ensuite, l’auteurrelatelafin de l’histoire, ponctuée alors par une dernièrephotographie, dans un style dramatique très proche desUntitled Film Still # de Cindy Sherman. Sophie Calle y estétendue, sans connaissance, sur une palette en bois oùapparaît une tache sombre. Tache qui donne à penser qu’ils’agitdesonpropresang.

Le strip­tease induit dans sa continuité diégétiqueune intensification du drame qui se joue. Sophie Calle sedéshabille,imageaprèsimage,etàlafindesonnuméro,alorsqu’elles’apprêteàquitterlascène,uneultimephotographielamontre, inerte, après l’agression de sa collègue. Laphotographieennoiretblancaccentue l’effetdramatiqueetressembleauximagesqueprenaitlejournalisteWeegeedansles faubourgs du New‐York des années 30. L’image serapproche du documentaire et de l’iconographie des faits

58Lestrip­tease,inLespanoplies,SophieCalle,op.cit.

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divers. L’univers dans lequel Sophie Calle évolue estfortementassombripar la qualitéde l’image,par le lieu quiapparaît lui‐même fort précaire et incertain. Sa collègue, envéritable harpie, est venue éliminer la «rivale» pour luiprendreausenspropresaplace(surunechaise).SophieCallese pose en victime, en héroïne tragique. Dans la versioncourtequiapparaîtdansDeshistoiresvraies,elleprécisequelabaraqueforaineétaitinstallée«aucarrefourduboulevarddeClichyetdelaRuedesMartyrs»59.Cetajoutdisparaîtdansla réédition des Panoplies60 mais il indique toutefoisl’importance du symbole de la victime, invoqué dans cettecirconstance tragique. La suite d’images atteint à la fin dustrip‐tease son acmé et prépare une chute inexorable. Lesuspens créé par l’effeuillage en une suite de mouvementsfigés aboutit à un paroxysme, à une ultime tension, quis’effondreparlachutedanslescoulisses.SophieCalleterminedonc son récit par une formule laconique et pourtantcinglante : «Ce fut mon dernier strip‐tease»61. La chutesociale, dans la folie, la déchéance ou la mort, exploite unschémaromanesqueformelpresquecanonique.L’auteurpartd’unesituationinitialeidylliquechezsesgrands‐parentspourarriverdanslesredoutablescoulissesd’unebaraqueforaine.Le texte et ses effets dramatiques laissent dansl’autobiographie réaliste unemarge imaginaire qui dépassel’immédiatetédel’imageetducompte‐renduneutre.

Al’instardelaSuitevénitienne,oùSophieCallecroitpouvoirdécouvrir«unechosegravesurHenriB.,unechoseintime»62,lespectateurlasuitdansLafilatureàParisaveclemêmesentimentd’attente,voired’angoisse,d’unévénementqui viendrait troubler le cours trop tranquille de cettepromenadeparisienne.Cependant,rienneseproduit,SophieCallenecommetaucuncoupd’éclat.Lamiseensuspensdu

59Deshistoiresvraies,SophieCalle,op.cit.,p.20.60Ed.ActesSud,1998.61Lestrip­tease,inlesPanoplies,op.cité,p.43.62Suitevénitienne,inAsuivre,SophieCalle,éd.ActesSud,1998,p.104.

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récit par le rythme des images et du texte ne satisfait pasl’attentedulecteur.Laprésenceseuledudétectiveinduitdesinterrogations sur le but, le vrai propos de la filature et lesraisonsquiontpousséSophieCalleàsemettreenscènedelasorte. La comparaison des rapports présentés (celui dudétective, celui de la suivie et celui d’un troisièmeintervenant) met néanmoins en évidence un décalage. Ledétectivea levé lasurveillanceavant la finde la journée.LapartiedurécitdeSophieCallesansledétectiveest‐ellesujetteà caution? Aucune des photos qu’elle a prises durant cettejournée n’est fournie. Quelque chose est venu troublerl’emploidu temps tropbienpréparéde sonauteur.Par sonabsence, ledétective la laisseseule, l’abandonne, luiretire leregard dont elle se croyait assurée. Il lui fait perdrel’observateur essentiel et laisse sous‐entendre la manqued’intérêt de la journée en la compagnie de Sophie Calle. Lapériode sans le détective touche aux limites du ridicule.Cependant, il procure au récit un contrepoint, un détailcomique. Sophie Calle continue en effet à agir comme si ledétective était toujours sur ses traces. Elle ignore qu’il l’adélaissée.Elle se trouveà son tourdépossédéede l’élémentquimanquaitaudétectivependantsafilature:ilnesavaitpasqu’il étaitmanipulé et désormais elle se trouve prise à sonpropre piège. Il en résulte un effet tragi‐comique : ellepoursuitsonopérationdeséduction,sedemandesielleapluau détective, va jusqu’à lui présenter son père en amenantcelui‐cidans la rue, tandis que leprincipal intéressé,depuislongtemps,nelaregardeplus. Le mélange de deux formes d’expression distinctesinstaureunrythmedelecturequidivergedelatraditionnellelinéariténarrative.Lepassagedutexteàl’imageetvice­versaentraîne l’œil d’une lecture horizontale à une lecturetransversale.Leregardexplorel’image,l’inspecte,s’yattardecomme sur un tableau. L’œil suit donc des lignes formelles,

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s’arrêtesurundétail.Identiqueau«punctum»63deBarthes,cette petite partie de l’image lui donne un sens, uneprofondeur émotionnelle. La nature du «punctum» est engrandepartiedonnéeparletextequimetenvaleurcertainsdétails. La photographie porte à la vue la confirmation decette informationdonnéeaupréalabledans lerécit. L’imageentre en résonance avec sa légende qui l’engage au‐delà deson cadre. Elle met en effet en avant un hors champ, unehistoire.L’imageprolongelestextesetjetteunpontentreeux.Toutenlesreliantpardesdétailscommuns(commeonl’avudansladescriptionduStrip­tease),lerécitconnaîtdesheurts,des ruptures dus à cette dichotomie constante ente ladescriptionduréeletsonimage.Lerapportde«13h18»64dudétectivedécritletrajetdeSophieCalle:

A13h18,lasurveilléetéléphoneàpartird’unecabinesituée devant le N° 13 de la rue d’Ulm. Après cettecommunication,elleentredanslacourduN°26delarued’Ulm(église).65

L’image confirme le rapport etmontreSophieCalleentraindetraverserunerue.L’imagesuivantelamontrefaceau «n°8 rue de Seine à la boutique H. Roger Viollet –Documentation photographique.»66. Le rapport dephotographie n’est pas complet, il ne contient pas tous leséléments cités dans le texte. Le déplacement de la courintérieureet lecoupdetéléphonenesontpasprésentés.Deplus,les«8minutes»durantlesquellesSophieCalleesthorsdu champ de vision du détective sont représentées par ungroupe de pigeons picorant au sol. La première imagecorrespond au texte, la suivante manque, enfin la dernière,inattendue, fait apparaître l’ennui probable du détective

63LaChambre claire,notes sur laphotographie, RolandBarthes,éd.Seuil–Gallimard,1980,p.39.64VoirIllustrationp.II.65Lafilature,inAsuivre,SophieCalle,op.cité,p.130.66Ibid.,p.131.

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durantcesquelquesminutesd’attente.Lesdifférencesentrele texte et l’image laissent des blancs, dans lesquels leprosaïsmecèdeuneplaceaux sentimentsd’un individu, quiparvientàsedébarrasserdesafonctionpoursemontrersousunaspectpluspersonnel. Lepersonnagedudétective revêtun caractère plus humain, il s’ennuie, ce qu’il confirme enabandonnantsonposteetsonrôle.

Lafilatureoscilleentrelaréalitéetlafiction.Letextede Sophie Calle n’est pas interrompu par les images, tandisqueceluidudétectivel’estconstamment.Leprolongementdutexte et des images est perturbé par ces ellipses, ces chocsdiscursifs.Lacontinuitédurécitsefaitenpointillé,d’unepart,àcausedesdisparitionsetapparitionsdeSophieCallesurlesphotographies. D’autre part, certains éléments narratifs serecoupent tandis que d’autres prennent une autre voie. Ledétectiveacertesmenti,maisdesimagesviennentappuyerlaplupart de ses affirmations. Pour prouver son existence,SophieCallearéussiàobtenirdesclichésdeluienactionetlerapport d’un troisième intervenant venu surveiller le bondéroulementdelafilature.C’estcetroisièmerapportquinousapprendqueledétectiveainterrompulafilature.Lepointdevue de ces trois récits est très varié, le style, les élémentsrapportésdivergentsouvent.Cettemultiplicationdevoixfaitpartied’une formede romanesque qui confrontedespointsdevuedifférents.BienqueSophieCalleneseposepascommel’auteurdecestextes,elleorchestrecesvoixenleurdonnantleurthèmedecomposition.Ellelesfédère,lesregroupeetlescomposeenunensemblequirépondaubesoind’établirunecontinuité dans le récit, perturbé par la désertion d’unpersonnageessentielàlajournéedefilature.

Malgré l’impondérable départ du détective, SophieCalleobtientunrécitcohérent,dontellemarque lepointdedépartetd’arrivée.Ellepartagesajournéeavanttoutaveclespectateur – lecteur de cette filature. C’est sur le ton de laconfidence, du journal intime qu’elle nous présente sonproprerapportmaisaussiceluidudétective.Ellecommencesonrécitparcetteprésentationbrèvemaispleined’effet:

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Jeudi 16 avril. 10 heures. Je m’apprête à sortir. Unhommem’attenddans larue. Ilestdétectiveprivé. Ilestpayépour me suivre. Je l’ai fait payer pour qu’il me suive et ill’ignore.67

Lesphrasessontcourtes,deconstructionssimples.Lesquatrepremières sont très régulières (sept syllabespour lapremière, huit pour les trois suivantes) et produisent unrythmehaletant,pleinde suspens.Ladernière,plus longue,ralentit ce rythme. Mais il rechute subitement par laproposition «et il l’ignore». On remarque que le ton esténigmatiqueaudépart,lesproposdeSophieCalleproduisentsur le lecteur un sentiment d’angoisse. La rédaction del’incipitrépondàunsoucideneutralitédelavoix,lasituationest en effet décrite de façon très simple et condensée.Cependant, cette entrée en matière produit une viveimpressionsurlelecteur,trèsdifférentedecellequeproduitletextemisenexerguedel’œuvreoùSophieCalleexpliquait:

Selonmesinstructions,danslecourantdumoisd’avril1981,mamères’estrendueàl’agenceDulucdétectivesprivés.Elleademandéqu’onmeprenneenfilature(...).68

Dans ce cas, la description n’opère aucun effet desuspens,nid’emphase.Elleestuneprésentationrelativementdistante du récit qui va suivre. En comparant ces deuxextraits, on constate que le style influence la réception del’œuvre,malgrél’apparentesimplicitédespropos.Lamiseenrécitgénèredeseffetsromanesques,danslesquelslelecteurestprisàpartieetsubitlesdésirsdel’auteur.Laparticipationémotive du lecteur permet d’une part de le «passionner»pour l’histoire mais aussi de lui donner sur le ton de laconfidencedramatiquel’assurancedelabonnefoidel’auteuretdelavéracitédesfaits.

67Ibid.,p.113.68Ibid.,p.111.

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Les textes sont en effet travaillés pour provoquerl’empathie du lecteur à l’égard de Sophie Calle et de sonexpérience. La première édition de la Suite vénitienneracontaitl’arrivéedeHenriB.àParisencestermes:

10h08.Ildescenddutrain.Lafemmelesuit.Ilsportenttousdeuxdesbagagesencombrants.69

Dans la réédition sous le titreA suivre, lemêmepassage seprésentedecettemanière:

10h08.LUI.Lafemmelesuit.(...)70

Lesmajuscules traduisent la forteémotion queprovoque lavued’HenriB.SophieCalleadoncvolontairementmodifiécepassage pour augmenter l’impatience d’une attente enfinsatisfaite. Ce «LUI» est le seul terme utilisé enmajuscules.Dans le récit, les italiques viennent appuyer certainesréflexions de Sophie Calle. Cependant, l’utilisation desmajuscules est significative de son souci de produire «soneffet» sur le lecteur. Les textes, à la manière desphotographies, sontmis en scène et propagent la sensationd’unethéâtralitéambiante.Les imagesrépondentauxtextesendevenantleterrainscéniqueduscénario.

Ladramaturgiephotographique

Coupespatialeettemporelle,laphotographiecadreunetranchederéel.Lespersonnagess’yinstallentcommesurunescène de théâtre. Leurs relations y sont condensées,exacerbées.Concentréesenun temps,un lieuetuneaction,les photographies respectent étrangement les règles de latragédie établies initialement par Aristote dans laPoétique,

69Suitevénitienne–Pleasefollowme, SophieCalleetJeanBaudrillard,éd.deL’Etoile,1981,p.65.70Suitevénitienne,inAsuivre,SophieCalle,op.cité,p.107.

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dans le but de donner aux pièces de théâtre plus devraisemblance.

DansLestrip­tease71, lascènede labaraqueforaineestreproduitesurl’image.Lafilaturemontreunesuccessiondescènesderue,avecunoudeuxpersonnages.Lessaynètesélaborées dans De l’obéissance72 visent à rassembler desélémentsnécessairesàlaréalisationdelajournée.Bienqu’unseul cliché en témoigne, elle se synthétise dans ce cadre.L’instantestmisen scène,misen imagepour concentrer laduréeenunpoint.Parunefigurerhétorique,leclichédevientunesynecdoquedelajournée. Roland Barthes et Susan Sontag considéraient laphotographie comme la production d’un «imagophotographique»73. Celui‐ci faisait office de masquemortuaire.Lemêmetermeétaitemployépoursonutilisationthéâtrale.Modelédanslacire,ilépousaitlevisagedel’acteur,toutennegardantqu’uneexpressioncaractéristiquedesonrôle–persona‐danslapièce.Lapersonaadoncdonnélenomde «personnage» et l’imago, «image». La scène de théâtreantiqueoùlesimaginesavaientunevoixirréelle,oùlaparolesemblaitvenird’ailleurs,duhorsscène,produitcemêmeeffetpour les textes hors‐cadre que Sophie Calle joint à sesphotographies. Ens’attardantànouveausurl’étymologiedestermes,la«fiction»provientdulatinfingere,soit«modelerlacire».Lefingeresignifiaitdoncdonnerunvisageauxmasquesdecire.Demême,lafictionproduitdespersonnagesetdécidedeleurapparence,deleurrôle.Alamanièred’unauteurdefictionsetd’un metteur en scène, Sophie Calle initie un script puisdistribue les rôles aux acteurs. Image de soi et imago serejoignent dans la fiction photographique. Celle‐ci cède laplace à une vision figée d’une scène, d’un visage. La

71Op.cit.72Del’obéissance,SophieCalle,op.cit.73LaChambreclaire,op.cit.,p.121etSurlaphotographie,SusanSontag,éd.ChristianBourgeois,1993,trad.deP.Blanchard,p.182.

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photographiearrêteletemps,immobiliselelieuetconcentrel’action surun seulpoint, enun seul cadre, commesurunescènedethéâtrequisuitlespréceptesdel’unitétragique.Unprocédé dramatique similaireavait étéutiliséparHippolyteBayard,danssonfameuxAutoportraitennoyé(octobre1840),dont l’aspect mortuaire peut être comparé à la dernièrephotographieduStrip­tease.Cetautoportraitfutprisenvironun an après la présentation de l’invention deDaguerre parAragoàl’InstitutdeFrance.HippolyteBayardavaitrédigéauversodesonautoportraituncommentaire:

Lecadavredumonsieurquevousvoyezci­derrièreestcelui de M. Bayard, inventeur du procédé dont vous venez devoir ou dont vous allez voir les résultats. (...) Cela lui a faitbeaucoup d’honneur et ne lui a pas valu un liard. Legouvernement,quiavaitbeaucouptropdonnéàM.Daguerre,aditnepouvoirrienfairepourM.Bayardetlemalheureuxs’estnoyé.

MichelFrizot considère cette réalisationcommelapremièrephotographiede«fiction».Ilexpliquequ’elleest:

…l’illustration d’un récit dans laquelle les signesvisiblessontà interpréteren fonctiond’uneclé,d’unesortedelégende.74

L’imagenedonneeneffetaucuneinformationexplicitesurlasituationdelaprisedevue.Seulletextepeutl’inscriredansuncadrefictif.Lamiseenscènedel’imageestrévéléeparletexte.

Assemblage de plusieurs cadres, les récits se tissent àpartirdepointsdistinctsquilaissentdesblancsentrechaqueimage. Ces failles, comblées par les textes, représentent le

74NouvelleHistoiredelaphotographie,sousladirectiondeMichelFrizot,éd.Bordas,1995,inLenoyé,parHippolyteBayard,p.30.

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horschampcommuniquéaulecteur.Lehorschamp‐ouhors‐cadre‐représentelamargedefictionquiéchappeaulecteuretqueseul l’auteurmaîtrise.LescénarioélaboréparSophieCalle peut toujours être arrangé à sa convenance, mêmelorsqu’elles’estelle‐mêmeimposél’obéissanceauscript.«Larègle du jeu»75 est un scénario à appliquerconsciencieusement. Sophie Calle l’enfreint néanmoinsrégulièrement. Le personnage‐auteur affirme sonindépendance,salibertéparlatransgressiondelarègle.Elleestlaseuleàvraimentpouvoirmodifier,rectifiercequineluiconvientpas,lerajouteroulefairedisparaître. Sans basculer totalement dans la fiction, Sophie Calleexploite dans Doubles­jeux76 le principe de rituel qu’elles’impose. Ritueld’anniversaire, obéissanceau scriptde PaulAusterpourleGothamHandbook­New­york,moded’emploi77,et les filaturesminutieusement réalisées et rapportées sontautantde«règlesdujeu»quiétablissentdesscénariosdontle déroulement est néanmoins soumis au hasard. Seule lastructure de départ est donnée, ensuite, la mise en scènelaisseévoluerlesacteursaugréd’unarbitraireplusoumoinscontrôlé. Les rituels offrent des possibilités théâtrales àl’instardelacommediadell’arte.Apartird’unschémainitial,lesacteursimprovisaientunrécitetunemiseenscène.

L’interventiondutroisièmerapportdansLafilatureattestede lamachinationpresque infernalequipesaitsur ledétective. Sophie Calle mène le jeu. Elle produit du réel àpartir d’une aventure fictive. Elle parvient à réaliserl’improbable et à le rendre vraisemblable grâce à sesexplications réalistes et à des complicités propices.Cependant,lescénarioestbeletbienfictif,encoreinexistant,ne demandant qu’à être accompli. Jean Baudrillard avait

75«Larègledujeu»,inDel’obéissance,op.cit.,p.4et5.76Op.cit.77GothamHandbook–New­York,moded’emploi,SophieCalleetPaulAuster,éd.ActesSud,1998.

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qualifié Sophie Calle «d’éminence grise»78 lorsqu’ilcommentait sa filature à Venise. A Paris, son ombre, quiapparaîtsur les images,restetoujours celled’une intrigantequiagitcachéeetquitireles filsdesespersonnagescommeunemarionnettiste.

Les situations sont organisées dans un cadre quidépasselechampdel’imagephotographique.LecontextequeSophieCallefournitdanssesrécitsouvrel’espacescéniquedelaphotographieversunhors‐champinvisibledans lequel lascèneseprolonge.Toutcequivientagrémenter lasituationétablie par Sophie Calle contribue à instituer un espaceartistiqueet fictifoùtoutepersonnedevientunpersonnage,où chacun tient un rôle déterminé. Le rôle dénote dupersonnage tel qu’il apparaît. Il ne pourra être rectifié, nepourra changer sa fonctiondans le récit. Seul ledétective yparvientpartiellement,endisparaissant,enquittantlascène.Sophie Calle le fait cependant revenir, car les dernièresimagesdurécitsontcellesdudétective,prisenflagrantdélitd’abandon de poste. Le filet était tendu autour de lui, il nepouvaitpluséchapperàsonauteur.

Unefoislesdécorsetlespersonnagesposés,lascènepeut se jouer. L’appareil photographique est présent pourgarderunetracedecesperformancescorporellesetsociales.Le cadre scénique dans lequel desmythes, du romanesqueviennent se greffer s’emplit de références qui plusqu’autobiographiques transforment les récits en fictionsréelles. Les images participent à une illusion scénique, unemise en scène réaliste qui rejoint la fiction par lamultiplicationderéférencesmythiquesouromanesques.

Sophie Calle, personnage principal de ses œuvres,n’échappepasà cettethéâtralisation. Ilrésultedesélémentstantautobiographiquesquefictifsrelevésdanssesrécitsuneprojectiontroubledesonidentité.Celle‐ciesteneffetaffectéepar le foisonnement de références réalistes et romanesques

78Lesstratégiesfatales,JeanBaudrillard,éd.Grasset‐Fasquelle,1983,p.98.

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dont lestracessontdisséminéesautourdeson image.Nousallonsdoncvoircommentcesélémentscontribuentàengagerl’œuvre de Sophie Calle sur le chemin de l’autofiction. Lareprésentation de son «moi» s’articule à partir de la seuleréférencestabledesonidentité,c’est‐à‐dire,sonnompropre.Cependant, l’utilisation de cet environnement fictif et desfondements référentiels de son identité aboutit à desdédoublements.

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ChapitreIIILenomdeSophieCalle

Unpersonnagedechairetdepapier

Lesrécitss’articulent,onl’avu,àpartirdelaviedeSophieCallepourenproduireuneimagerie.L’autobiographieimpliqueuneexhibitionconstantedu«moi»faceaulecteur‐spectateur. Cette récurrence entraîne une surenchèreréférentielle.Au centrede l’image(sur laplaceSaintMarcàVenise, dans Le strip­tease ou La filature79), elle s’imposecomme l’objet incontesté du récit. Les regards se focalisentsur elle, le spectateur la suit dans les textes et sur lesphotographies.Leseffortsdéployéspourobtenirsesportraitsen font le centreabsolude toute l’œuvreautobiographique.Les autres personnages agrémentent ses récits. Ils restentsecondaires,ilsgravitentautourd’elle,puisdisparaissent.

Au sujet de La robe de mariée80, présentée enphotographie noir et blanc, Sophie Calle confie: «Depuistoujours je l’admiraisde loin».Elle rendensuitevisite àunmystérieux«il»etelleconclutleparagraphepar:«jelamispour notre première nuit ensemble». Le lecteur comprendtoutelamachinationdeSophieCallequiamènechezl’homme

79Op.cit.VoirIllustrationsp.II‐VI.80Deshistoiresvraies,op.cit.,p.30.Voirillustrationp.VIII.

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la robe rangéedansunevalise.Elle établitun rituel sacré àpartirde cette robequ’elle convoitaitdepuis l’enfance,pourdonner à la situation une importance quasi‐religieuse, unsimulacre de nuit de noces. Cette situation fantasmée seréalisegrâceà lapréméditationdeSophieCalle.Lecontrôleapparemment absolu des événements est dû à la formenarrativedurécit:court,affirmatif,relatéaupassésimple.Letextes’imposecommeunbloc,toujoursdanslacontinuitéducompte‐renduneutreetobjectif.Cependant,lareconstitutionimaginairedelasituationlaissesurgirdesdoutes.Etait‐ellesisûred’elle?Quereprésentaitce«il»?L’a‐t‐ondéjàrencontrédans le livre? Désigne‐t‐il toujours le même personnage?Cette appellation reste énigmatique, car le pronomn’intervientquedansl’optiquedelaréalisationd’uneœuvreetnonentantqueréférenceàunpersonnageàpartentière.Larobedemariéeet larelationqueSophieCalleentretenaitavecellereprésententleseulpointdefocalisationdurécit.Lepersonnage sans nom, sans identité, a plus une fonctiond’objetquelarobeelle‐même.Ilestauservicedel’œuvre.Lesautres «ils» rencontrés dansDes histoires vraies désignentdes personnages de même nature, complètementinconsistants. Seul lemari, dont le visage apparaît, pourraitdéroger à la règle. Bien que sa présence soit un peu plusmarquée,ilestluiaussivouéàladisparition,àlaséparationetà l’oubli. Tout comme les «ils», le mari s’assimile à unfantôme, un être évanescent que le lecteur reconstitue tantbienquemal.

Le nom de Sophie Calle ressort doncsystématiquement des situations qu’elle élabore. Malgrél’intervention d’autres personnages, elle concentre toutel’attentionsurelle.Le«moi»qu’elleinstituecommeunobjetde désir cristallise des attributs séduisants pour attirer leregard, sous une forme narrative ou dans l’image. Lesoccurrencesdel’imagedeSophieCallenesontcependantpas

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majoritaires. Mais sa présence habite toujours les œuvres.Dans L’hôtel81, où aucune photographie ne la montre – nemontre quiconqueparailleurs– elle évoque, aumême titreque les autres personnages, un fantôme qui hante les lieuxpendantl’absencedesclients.Faceàcettetotaledésertion,lavoix qui s’élève pour établir les portraits in absentia desclientsàpartirdeleurseffetspersonnelsramènedirectementau seul personnage présent textuellement, le «je», SophieCalle.Ce«je»baliselestextes,jalonnelesrécits.Savoixestlaseule en place. Elle présente au regard de l’autre ce qui estpasséparlefiltredeseschoix.

L’œuvreainsiprésentéen’estpasunematièrebrute,maisunproduittravaillé.Laréalitédesclichésestd’unepartréduiteparleseffetsdramatiquesdestextes.D’autrepart,cequiestdonnéaulecteur–spectateurparticipeàl’élaborationd’unereprésentationmonolithiquedeSophieCalle.Atraversces manipulations, elle monte une image d’elle toute‐puissante, affirméeen toutes circonstancespar lesmarquesdesaprésence.

Le«je»accumulelestraitscaractéristiquesdecettereprésentation. Ces deux lettres fondent son identité: ellessoutiennent,regroupentetrecoupenttouteslesinformationsqu’elledivulguedesonhistoireetdesonapparencephysique.Elles établissent un lien entre son identité et le monde.L’utilisationdu«moi»n’impliquepaslesmêmesattributsdelapersonnequecelledu«je».Le«moi»,plusdétachédanslediscours, renforce le «je» pour réaffirmer son unité. Le«moi» introduit la notion d’une entité, la totalité de l’êtretandisque«je»enexprimetouteslesfacettes.

Ce dernier s’inscrit dans plusieurs temporalités etespaces.Ilestainsitoujourssollicitépoursedire,seraconter,sedécrire.Cependant,sonindividualitésedisperse.Celle‐cise

81L’hôtel,SophieCalle,éd.ActesSud,1998.

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transforme en un conglomérat de références dont l’unitéparaît plus trouble. Sa répétition constante entraîne unesaturation,unexcèsmoïque.Le«moi»occupeeneffetparletruchement du «je» tout l’espace de représentation et denarration et apparaît comme un ensemble confus. Le «je»accumule,grossit,enfle.Ilenrésulteunevéritablelitanied’un«moi»quiestdisséminédanslestextes.Le«je»déclinelesthèmes de la personne, ses prédicats pour forger lapersonnalité à travers une balise linguistique et formelle,surchargéederéférences.

La redondance de l’image appuyée par la fictionlangagière produit une transfiguration photographique ettextuelle.L’apparencerigideduvisage,ducorpsphotographiéalliée au «je» textuel constitue un ensemble hybride.L’opacité identitaire ultra‐réaliste à vocation unitaire et lamultiplication de traits, de flashes temporels et spatiauxviennentlacérerle«moi».Lafractiondel’imageetdu«je»etl’incapacitéàsediresontpalliéesenapparencepar lesoucid’objectivité que satisfait le médium photographique et lavoix neutralisée du narrateur. La simplicité de l’ensemblesoutenant l’identité engendre un écran de représentationirréel,troubléparlafictionetlamiseenscène.SophieCalle,àtropêtreSophieCalle,devientunpersonnagedont laviesesitue entre la réalité et la fiction. Son apparence dédoubléedans les œuvres fait de son nom le point d’ancrage à desreprésentationsirréelles.

La distanciation photographique, le jeu de cache‐cache avec l’appareil et sa propre apparence, créent desmoments de disparition et d’apparition. Seuls les élémentstextuelsperpétuent laconstancedesaprésence.Cependant,cet ensemble autobiographique est fractionné en élémentsdisparates, parfois antinomiques. Sophie Calle échappe aulecteuret sème ledoute.Lepersonnagequi évoluedans lestextesetlesimagessembleinsaisissable.Enmargeduroman,mais aussi du réel, le «je» qui s’adresse au lecteur peut serapprocherd’un«je»lyrique,quinerenvoieàaucunindividu

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maisàuneentité.SophieCalleproposeeneffetune idéedeson «moi», une création qui se faufile entre la fiction et laréalité.Elledéguisesonidentitéetcomposedesrôlesdansunenvironnement social atteint par la mascarade qu’elle aorganisée.Lespersonnages,devenusdesombres,habitentunmonde où l’auteur prend place. Cependant, au lieu d’être leseulpersonnagetangible,elleseperdaussietdisparaîtdansles récits, étoufféepar toutes les référencesqu’ellevéhicule.Cette disparition progressive laisse néanmoins place à unsubstitut identitaire, une représentation travestie de SophieCalle.

Je(ux)detravestissement

Lesmisesen scènesphotographiqueset le romanesquedesœuvress’assimilentàlareprésentationdel’identitédeSophieCalle. Tout comme dans les écrits en apparenceautobiographiques,l’utilisationdunomdel’auteuretdu«je»génèreuneconfusionentrecelui‐cietcequi,àl’intérieurdutexte,apparaîtcommelenarrateuretlepersonnageprincipal.Lepacteréférentielesttrahidanslamesureoùl’auteursèmevolontairement un trouble. Le contexte et les référencesculturelles prennent plus d’importance et effacent sapersonnepouraliéner son«moi» àdes«traits» étrangers.Le visage n’est pas posé comme une référence, comme uneimaged’identificationdelapersonnedanstoutesonunité,entant qu’existant dans le monde (Da­sein). La personnedisparaît et les attributs du contexte gagnent du terrain.SophieCalleestdéclinéeenplusieurspersonnages: lastrip‐teaseuse, la Sophie Calle suivie par un détective, etc. Ens’attribuantdes«aventures»,deslieux,desactes,sonnomsecharge de caractéristiques qui altèrent progressivement saprésenceentantqu’individuàpartentière.Lamiseenavant

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ducontextes’effectueaudétrimentdel’unitédu«moi»etdesaprésenceaumonde.

En tant quepersonnagede l’entre‐deux, l'emploiqu’elle faitdu médium photographique prolonge paradoxalement leprocessusdedépersonnalisation.AndréRouilléexpliquequelesoucid’objectivitéseretournecontresonutilisateur:

L’abolition du sujet et le degré zéro de l’écriturephotographique visent à éliminer toute aspérité, dans le butd’atteindre à la platitude des documentaires techniques ou àl’indigenceformelledesclichésd’amateur.Dissoudrelesimagesdans le réel, les confondre avec lui: c’est ce fantasme’indifférenciationetd’effacementdel’artistequirendpossibleleprojetd’unearchéologieauquotidien.82

Lapersonnesematérialiseenunobjetdemêmenaturequelemondeextérieur.Laphotographie regarde chaquepersonneou objet de lamêmemanière. Ellene donne pas la vie auxchoses, mais la fixité aux êtres vivants et tout enimmortalisantleurtrace,lesconfronteàlamort.Leréeletlesujet, Sophie Calle, se fondent en un même objet, en uneimage.Lesphotographiespendantsonstrip‐teasefontd’elleàlafoisunobjetdedésiranonymeetuneœuvred’art.Legestereproduitsurleclichéparaîtmécanique,touslessoirsrépétépour les dix‐huit représentations. Seule sa nudité nousrappelleàsonexistenceconcrèteetàsonidentité.Soncorpsprendunstatutd’icônepublique,àlamanièredescélébritésprisesenphotodanslesmagazinesàsensation.

Le sentiment de la connaître, d’être intime, dans cescirconstances provoque des réactions parfois vives à sonencontre.Sonexhibitionnismepousselespectateurdansune

82 André Rouillé, in La photographie et au­delà, nouvelles expressions en France,Latitudes,collectifsousdirectionTimothyEatonetNissanPerez,Latitudes,1984,p.62.

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position de voyeur. Pris en défaut, il éprouve une forme derépréhensionmoraledugeste.Deplus,l’égocentrismeaffichéetl’aspectouvertementmanipulateurdesesœuvresprendàcontre‐pied lespréceptesde lamorale bourgeoiseet judéo‐chrétienne. Le «moi», considéré par Pascal comme«haïssable», s’expose ici dans toute sa corporalité en tantqu’œuvred’art. Il s’exhibe à tous les regardsdansun cadreinstitutionnel.83 Le principe est hors‐norme car il impliqueunemanipulationducorpsetdesonimagedansuncanevasréel.Unesensationdetromperie,demensongegénèrecetteréactionmorale. En effet, l’identité ne saurait êtremodifiéeartificiellement sous peine de tomber dans la comédiemensongère. Hors de la scène théâtrale, le rôle decompositionet lamodificationde l’imagenesontadmisquedans des contextes particuliers dans lesquels chaqueintervenantacceptetacitementl’étatdefait.Al’inverse,l’acteestdoncconsidérécommeob‐scène.SophieCallejouelejeude la séduction, à la manière d’un Don Juan féminin, quiintervertit les rôles à sa convenance. Ainsi, l’aspect réalistedes œuvres tend vers une authentification d’une identitétrouble,auxlimitesdelafiction.

La séduction à travers l’ambivalence du personnagefonctionneparfaitement.L’attiranceprovientdesdoutesetdela satisfaction d’un fantasme que le spectateur peut voir enimage.Ellecréedesébauchesd’histoiresd’amour,réalisedessituations qui appartiennent au domaine du rêve. Dufantasmedustrip‐teaseàceluidelafilature,lesstratégiessedéveloppent, s’affinent. La présence du «moi» est plusinsidieuse, fait intervenirplusieursélémentsextérieurspourélaborerdesrécitsdeplusenpluscomplexes.

83OnnoteraparailleursqueSophieCalleaeuquelquesdémêlésaveclepropriétaired’uncarnetd’adressesàcausedesloisconcernantledroitàl’imageetlaprotectiondelavie privée, dans le cas de son enquête intitulée L’homme au carnet. Voir Annexedocumentaire,p.79.

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Insérer de la fiction dans une autobiographiegarantiraitdoncson intérêt.Lesdifférentsrituels,dontnousavons parlé, s’assimilent à des schémas fictifs. Cependant,crééspar l’auteur lui‐même, ilsoutrepassent leurs fonctionset édifient des éléments constitutifs de l’identité de SophieCalle. DansDes histoires vraies, elle explique: «J’ai toujoursaiméqu’ondécideàmaplace»84.Unrituelavaitété instituéavec son amant. Selon le résultat d’un coup de dé, leursdécisionssetrouvaientmodifiées.Lerituelsedéfinitcommeune force qui commande les actions de son propre auteur.Sophie Calle manipule ses personnages mais se laisse elle‐même manipuler. Elle joue également un rôle dans sesœuvres, celuid’une SophieCalledansune situationdonnée.Sonidentiténepeutsoutenircedoublejeuduréeletdufictif.Un personnage artistique prend donc en charge l’impératifd’obéissanceetlesuitàsaplace.IlsedivisedoncenuneautreSophieCalledontl’existenceestlimitéeauchampdel’œuvre,aucadrephotographiqueetautexte.L’imagophotographiquecachelevraivisagedel’auteurpourn’endévoilerquelerôle.Celui‐ci se confond avec la personne, comme le personnageavec l’acteur. SophieCalle créeunmondeàpart, autonome,inspiré directement du réel. A la différence des universoniriques de Duane Michals, ceux de Sophie Calle restentprosaïques. Les souvenirs sont dépouillés en apparence detoutpoésieetilsubsisteàtraverslavoixneutreunesensationd’unétatdeslieuxaupassé.Pourtant,lelecteurressentdanssesrécitsunecertainenostalgie,unemélancoliedecaractèrepoétique. Cette impression provient d’une part de la formedes récits et de leurs effets dramatiques. D’autre part, lepersonnage qui présente au lecteur les récits alimentel’imaginaireparsonambivalence.Lepersonnageséduitcarilestàlafoismultiple,insaisissableettout‐puissantetrépondàun idéal de soi que les images viennent porter au regard,accentuantsonexistenceparlaforcevisuelle.

84Deshistoiresvraies,op.cit.,Ledé,p.30.

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SophieCalleetsondouble.Le «Moi Idéal» est au sens psychanalytique «un

idéal de toute puissance narcissique». Il implique desrelations complexes et graduées qui aboutissent au sensclinique à une pathologie. Le narcissisme des autoportraitsdanslesœuvresdeSophieCallenesesituepasdanslecadred’une névrose mais d’un comportement commun dont lesmanifestationssontamplifiéesparlestatutpublicqu’acquiertl’œuvred’art.Lenarcissismeprimaireparticipeau«maintiende l’identité»dansuneunitédite«moïque». Il estdoncunréflexenormalisé.Constitutivedelarelationàautrui,l’imagedu «moi» est constamment heurtée par les agressions duregardetnécessiteunretouràuneréflexionenmiroir.HeinzLichtensteinexpliquequecette imagerépondàun«modèled’agiretderéagirl’unàl’autre».Cemodèlesuppose:

…un sens de l’identité maintenu par la capacité àsélectionner des types d’action. (…) Le maintien de l’identitésupposeunecapacitétoujoursaccrueàobtenirdesréactionsàsespropresactionsdansungroupesocialtoujourspluslarge.85

Undesstadesavancésdecetteréflexivitéconduiraitdonc à une exhibition du «moi» – ce que les institutionsartistiques autorisent. Le modèle autobiographique et lemodèle narcissique se rejoignent alors dans cette mise enscène.GuyRosolatocomplètecetteanalyse:

…onpeutvoirlàlatoute­puissancenarcissiquecommerésultantdumodèledemaintiendel’identitéensemirantdansl’objet.

85 «Le rôle du Narcissisme dans l’émergence et le maintien de l’identité primaire»,HeinzLichtenstein,inNarcisses,NouvelleRevuedeLaPsychanalyse,1974,p.156‐157.

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L’unité retrouvée dans le narcissisme participenéanmoinsàuneidéalisationdesapropreidentitéconsidéréecommeun«objet»:

D’une manière générale, la projection du Moi Idéaldonnel’occasionauMoid’observersapropreimageidéaledansl’illusionmêmed’uneconstatation«objective»quiapoureffetd’emporterlacroyance.86

La photographie permet l’attestation d’un idéalréalisé.Cependant,cetteprojectionappartientaudomainedel’illusion,d’unereprésentationimaginairedu«moi».Ainsi,lamythomanie,littéralement«lamaniedumensonge»,qualifiela certituded’unevie fantasméepar lespersonnes atteintesde ce trouble. En tout créateur s’éveillent des sentimentsprochesde lamythomanie. Il façonneeneffetdesobjetsquitransportentunbagagemythique.Maiscesobjetsgénèrentàleurtourdumytheendevenantdesœuvresd’art.Lesrécitsde Sophie Calle contiennent et exposent cette attirance dumythe,ainsiqueledésird’yparticiperetdel’entretenir,touten lecalquantduréel.LessituationsprovoquéesparSophieCalle,agissantalorsenqualitéd’auteur,seréalisentàl’aidedeson corps et de son image qu’elle met à la disposition del’œuvre.Cettereprésentation,parletruchementdelamiseenscène photographique et du texte, fait apparaître unpersonnagenouveau.Cetalteregoréalisteprendl’apparencede Sophie Calle pour jouer son rôle. Ces dédoublementss’effectuentdansl’imageetdansletexte,danslaréalitéet lafiction.Ilsrenvoientunefoisdeplusàdesmythescommelagémellité,l’ombreetl’imagedumiroir.Cedouble,similaireaudoppelgänger, celui qui suit chaque homme tout en étantautre, versant obscur de la personnalité, opère sur lesphotographies. Son intervention témoigne des stratesd’identité qui traversent la seule référence stable, le nompropre. Il en résulteunedépersonnalisationdeSophieCalle

86«Lenarcissisme»,GuyRosolato,inNarcisses,op.cit.,p.22.

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auprofitd’unpersonnagequiportesonnometqui,poursapart,possèdeuneexistenceartistiqueréelle.Peut‐ondirequeSophie Calle se trouve dans une situation schizophréniqued’identification où, en définitive, toute référence demeureincertaine.Onpeutsedemander,entoutcas,quelestsonvrai«moi»? Ce personnage est‐il toujours «elle»? Peut‐elle legarder sous son contrôleou lui échappe‐t‐il endevenantdeplusenplusirréel?RégineRobinproposeuneexplicationdecephénomène:

Ils’agitdeseconstituersoi­mêmeenmusée,enespècede bureau des objets trouvés (…) la recherche du pleindébouche sur le vide, sur un fictif qui touche à l’absence deplace.Avouloirtoutconserver,àsefigerenvitrine,enstatue,onfinit par occuper toutes les places, c’est­à­dire aucune.Autofiction.Expérimentationsurlesfictionsdumoi,surunmoivide.87

Le corps est un champ «d’expérimentations»,considérécommeunobjet, ilestprojetéhorsdesoi,abjectépuisfaçonnécommeunecréationartistique.Cetteopérations’effectue à partir de ce que Philippe Lejeune nomme un«modèle», c’est‐à‐dire lavisionque l’artisteade lui‐même.DansDoubles­jeux,oùl’interventiondelafictionestmanifeste,l’auteur doit «faire comme Maria», devenir Maria. Cettedernièreconstitue lavraieréférenceautobiographiquede larétrospective.Lemodèleautobiographiqueestéquivoquecaril fait intervenir l’imagination et la réalité. Dans ses autresœuvres,SophieCalles'estinventéunenouvellepersonnalité,un personnage idéal. La remarque de P. Lejeune: «parmodèle, j’entends le réel auquel l’énoncé prétendressembler»danslecasdeSophieCallesignifieraitplutôt«lefictif auquel l’énoncé prétend ressembler». Ce qu’il nomme

87 «L’autofiction. Le sujet toujours en défaut.», Régine Robin, in Autofiction et Cie,ColloquedeNanterre,RITM,N°6,Doubrovsky,LecarmeetLejeune,1993,p.80.

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encoreune«copieconforme»88répondparfaitementàl’idéald’identification.Maiscelui‐ciestcontaminépar la théâtralitéenvironnante.Lemodèlemisenscèneparl’auteurorientelalecturedel’imageàsongré.LareprésentationdusujetSophieCalle est alors largement idéalisée. Malgré le principecommun que «identité n’est pas ressemblance», la parfaitesimilituderéalise le fantasmed’identificationà l’œuvred’artetàsonpersonnageprincipal.Onretrouveunefoisencorelespréceptes du roman réaliste qui privilégiaient non pas lavéritémaislavraisemblance,commeentémoignececélèbrepassagedelapréfacedePierreetJean:

Fairevraiconsistedoncàdonnerl’illusioncomplèteduvrai(…)89

La photographie au service de l’idéal narcissiquepermetdepréserverintactecetteillusion.L’imagedeSophieCalle s’exposeà traversunpacted’identité trouble : «ce futmoietjemesuisdésiréeainsi».

Cette manipulation identitaire soulève d’autresparadoxes. Rejetée hors de soi, cette image génère desreprésentations mythiques. Le personnage ainsi créés’impose comme une sublimation du «moi» originel, unecréation idéale de la personne. Présentée sous un aspectparfaitementautobiographique, ellenecache cependantpasla part de fiction qui vient s’y greffer. Le personnage quiapparaît sur les images forme un leitmotiv artistique.Néanmoins, l’auteur supporte cette icône et engage sonidentitépouràlafoisl’abjecteretlasublimer.

Le référent au nom propre et la représentation del'identitésontalorsmisendéfaut. Il résultedeceprocessusde transfiguration idéale unmonde clos, entre le réel et lefictif, où Sophie Calle prend place. Son personnage se

88Lepacteautobiographique,PhilippeLejeune,éd.duSeuil,1975,p.35.89PierreetJean,préfacede1888,GuydeMaupassant.,éd.ClassiquesGarnier,1959,p.12.

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dédoubledans l’imageetdans letexte.Cettemiseenœuvred'un processus d’autofiction engage l’identité dans unerelation à soi qui dépasse le cadre strict de lamythomanie.Vincent Colonna explique que la fiction avait été depuis«longtemps définie sous la catégorie du mensonge»90.L’identitéquiseplacedanscetenvironnementsecondamneàdemeurer partielle, incomplète. Elle prend néanmoinsl'apparence d'une projection de soi réaliste. Lareconnaissance du «moi» par le biais de l'autoportrait,décrite plus haut, engage l’identité dans un système derelations d'images à images. Celles‐ci sont troublées par lafictionetengendrentledédoublementdupersonnageSophieCalle. Les effets réalistes des images et des textes restentsoumisàunepartdefiction,àlareprésentationd'unmondeidéal dont persistent les traces dans les récitsautobiographiques. La perception subliminale – «auxmarges»–decettereprésentationperturbel'identificationauréférent. L'auteur fait varier, parfois avec dérision91, cettelimite indéfinie en réduisant ou augmentant l'écart entre leréel et le fictif. Cette multiplication des genres et desréférences autour d'un personnage omniprésent formel’assise de la perturbation identitaire. Les paradoxes etimpossibilités de cette d'affirmation du «moi» induisent leréférent vers une position équivoque. Le «moi» ne peutsoutenirdesmanipulationsqui l’engagent entièrementet lemènentàsubsisteràtraversdestopiquesirréels.

La perception de l'identité passe par l'image et lelogos.Elleestperpétuellementrenouveléepar ledevenirdusujet.Celui‐ci,mouvant,vitdansl’illusiond’un«moi»stableartificiellement conçu. Bien que la photographie défende lecaractère véridique de sa présence, celui‐ci a subi desremaniements. L’image photographique est arbitrairement

90VincentColonna,L'autofiction,1989,inédit,p.385.91VoirIllustrationdénommée«Naturemorte»,inDel’obéissance,op.cit.,p.42‐43.

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considérée comme une preuve du récit, une preuve de laprésence de Sophie Calle. Elle devrait plutôt être regardéecommelatraced’uneperformanceartistique,d’unemiseenscène du «moi». Ces réalisations autobiographiquesconstituent en effet un ensemble magnifié à partir d'uneidentitéfigée,miseenscène,quis’originedansunnometd'unvisage. Le personnage de Sophie Calle connaît unesublimationqui jouesur la frontièreentre laréalitéetde lafiction. Cette sublimation doit être considérée comme unélémentdel’œuvre,unemécaniqueinternequipousseSophieCalleàsetransformerenunecréature issuede l’imaginaire.

Le contexte conditionne le personnage car ildéterminelanaturedesesactes.Ilfournitunterraind’actionà son identité. Le lieu et les conditions de réalisations desoeuvres, la temporalité font partie de cette vie artistique.L’environnement donné par les photographies enfermel’acteurdanslasituationqu’ilachoisie.L’universcloisonnédelaphotographieleretientprisonnierdansunehistoire.SophieCalledoit faire faceà son«moi» et à sa représentation.Undescaractèressymptomatiquesdesa fuite,de ladisparitiondu personnage derrière le contexte, se décèle dans lesfilatures effectuées à travers les rues de Paris. Elle donnaitprocurationàdesinconnusquienretourluifournissaientunbut,uncheminàsuivre.Toujoursdanslecadred’unrite,elleconcèdesavolontéàunautre,pourrecouvrersonstatutdemarionnette soumise à la logique d’un scénario. JeanBaudrillardécritàcepropos:

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Le réseau de l'autre est utilisé comme façon de vousabsenter de vous­même. Vous n'existez que dans la trace del'autre(…).92

Cependant,lapositiondesuiveurestunefoisdeplusla seule qui soit assez ambivalente pour que les rôles dedominants – dominés s’inversent brutalement. Le suiveur,dans lamesure où il accepte de jouer le jeu, obéit au suivi.SophieCallepeutàtoutmomentreprendrel’attentionqu’elleaccordaitàcesinconnus.Al’originedurôle,ellelemodifieàsa guise. La poursuite permet de fantasmer l’existence dusuivietdeseprojeterdansunautremonde,luiaussifictif.Les«règles du jeu» qu’elle institue sont censées assurer lapérennitédelarelationentrefictionetréalité.Lecontextedesœuvres participent à cette élaboration personnelle. L’idéemêmed’une telle réalisationest à l’originede ladichotomieentrele«moi»etsonimage.Eneffet,ladécisiondemodifierles événements qui contingentent la représentation du«moi»augmenteladistancequiséparelevrai«moi»desonimage.

La photographie, et sa multiplication en séries,accentue les dédoublements de l’identité. Denis Roche avaitdans un de ses recueils introduit la notion d’écho (toujoursliéeà la légendedeNarcisseetde lanympheamoureuse) àtravers un néologisme pour qualifier ses photographies dePhotolalies93.Les imagesdeSophieCalleseredoublentde lamême façon en «écholalies photographiques». Le mêmemotif–elle–estreproduitsuruneinfinitédeclichésdansdeshistoiresdifférentesmaisqui toujoursrésonnententreelles.DenisRochedisaitqu’iln’étaitlui‐mêmequ’une«laliedesesphotos», un écho de sa propre image. La photographiepréserve une trace de cet écho. Inversement, le corps setransforme en un écho de la photographie. Sophie Calle

92JeanBaudrillard,«Pleasefollowme»inEcritsurl'image,éd.del'Etoile,1983,p.82.93DenisRoche,Lescahiersdelaphotographie,N°23,1989.

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morcelle l’imagede son corps, elle concèdeà sesduplicataeunecorporalité,bienqued’uneautrenature‐non‐organique.Unedoublecorporalités’installeàtraversl’imageetétablitlepointde jonctionentre lepapieret lecorpsdansunmondequi les contient tous deux. Une double existence s’installedans lemêmemonde,celuide l’art etde laviequotidienne.Elleinstitueundoublejeuentresonidentitéetl’imagedesonidentité pour faire une rétrospective sur un double «je»perpétuellementmisendéfautpar les excèsde réel que lestextesetlesimagesluiimposent.

La création artistique est comme Sophie Calle l’adéfinie elle‐même «l’art de provoquer des situationsarbitraires». Placée sous le signe du paradoxe, son œuvreautobiographique joue sur les marges entre réel et fictionpour obtenir une image tangible mais constammentcontaminée par «la provocation» de ces tranches de vie.L’exhibitiondanslesmuséesexacerbelescaractéristiquesdecette représentation. Celle‐ci prend un statut d’objet à partentière, d’uneœuvre d’art autonome qui se détache de soncréateur.

Lerapportqu’entretientSophieCalleavecsonimageest ambigu. Sublimationde savie, cette image fabriqueunereprésentation indistincte, floue, qui élève son identité aurangd’uneœuvred’art.Lesdésirsetpulsionsnarcissiquesseretrouvent dans le transfuge photographique. L’image d’ellequ’elle produit répond–elle au sens du procédépsychanalytique de la sublimation? Tout dumoins au senspremier, cette sublimation laisse entrevoir un objet éloigné,difficileàdistinguer,àcerner.Sublimationdansunecertainemesure, abjection dans une autre: en devenant autre, ellerejette sur un écran cette représentation d’elle, la met horsd’elle pour se rêver, se donner une autre existence. Sondoppelgänger,cetteombreinséparableatrouvéunvisage,lesien, et une existence. Jean‐Baptiste Pontalis explique lafonctionultimedel’autobiographie:

[elle] apparaît souvent comme une nécrologieanticipée,commelegesteultimed’appropriationdesoietpar

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là peut­être comme un moyen de discréditer ce que lessurvivants penseront et diront de vous, de conjurer le risquequ’ilsn’enpensentrien.94

La sublimation et l’abjection ne touchent plus lapersonne «Sophie Calle» mais son double. Elle modèle cepersonnagepourqu’illuiapportecequ’ellecraintdenepasavoir. Elle se transforme en une icône artistique. L’imagomortuaire que suppose la photographie amplifie cet effet.L’ombre, le double, destiné à disparaître, persiste dansl’œuvre.

94 Jean‐BaptistePontalis, inL’autobiographie, «Derniersmots,premiersmots»,p51,LesBellesLettres,1988.

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Conclusion:Ledédoublementetsesambiguïtés.

Sophie Calle entretient un mystère autour de savéritable identité. C’est ce qui explique son pouvoir deséduction.Manipulatrice,provocantemaisaussisoumise,elleélabore des fictions qui trouvent leur place dans lemonderéel. Grâce à ses autoportraits, elle parvient à contrôler lareprésentationdesoncorpsetdesonidentité.Lesimagesquila montrent participent à ce fantasme de réalisme etd’authenticité.Eneffet, laprésencedesonimageauseindesrécits garantit la véracité des faits rapportés. Tout tend àl’élaboration d’une vie rêvée qui se matérialiserait sur lesmursdesmuséesoudansleslivres. Onpeutconsidérer,toutesproportionsgardées,quelesoeuvres de Sophie Calle soulèvent de nouvellesproblématiquesdanslechampdel’autobiographie.Eneffet,leprincipederéalisationdecestranchesdevieetsonrapportàl’histoire personnelle de l’auteur restent fragmentaires. Lestextes sontaussides clichés, ilsne traitent quedu contextedirectdel’image.L’ensembleformedoncuneautobiographieoriginale, à laquelle la photographie vient apporter lespreuves des expériences relatées. En subvertissant le textepar l’ajout de clichés, la lecture est parasitée par leschangements de perspective. Cette alternance contribue àbrouiller la perception du récit. En effet, la photographieimpose une vérité que le texte réaffirme en grande partie.L’imageproposeunevisiondelaréalitéetletextecomplètecetaperçuenleprolongeantdansuncontextevraisemblable.

Toutconcourtàdonnerauxrécitsunvernisréalistequipourracomblerl’attentedulecteur,aveclequelunpacteréférentiel a été implicitement conclu. Ainsi les élémentsfictifs qui participent aux récits et aux expériences sontdonnés commedes constituantsdupacteautobiographique.LenomdeSophieCallerenvoieàunepersonneréelle,dontl’image apparaît sur les photographies, au même titre depreuvequelesautresobjets.Alafoissujetetobjetdesrécits,auteuretpersonnage,elleorientelalecturedansunedouble

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optique. Le lecteur dispose d’éléments suffisammentauthentifiéspourêtremaintenudansl’illusiondelaréalité.Lapersonnequiapparaîtestexposéecommeunereproductionfidèle de l’identité de Sophie Calle. Cependant, les topiquesfictifs et l’aspect romanesque des oeuvres atteignent cettereprésentation.Lamiseencontextedesimagesentraîneunedissolutiondu«moi»danslesrécits.Disperséàlafoisdanslaprofusiond’imagesetde fragments textuels, le «moi» perdson unité. Il entretient un rapport trouble à son égard etprojettesonimagenébuleusetoutenlefaisantpasserpourunensemblelimpide.

SophieCalle,afindesupporterlapartde fictiondesmoments qu’elle vit, crée un personnage qui prend à sacharge la perturbation identitaire. Considérer ces récitscomme Des histoires vraies sans aucune autre forme deprocès, alors qu’ils sont parasités par une mise en scèneromanesque,conduitàcroireenune illusion.Bienquecetterelative méprise soit le propre de toute perception et soitpartiellement nécessaire à l’existence, lorsqu’elle touchedirectementàlapersonneetàsesreprésentations,elleaffectel’identité. Le sujet se reconnaissant dans cette iconographieréaliste s’identifie à une représentation chimérique de lui‐même.Lepersonnagepermetdedélesterl’identitédeSophieCalle de ces interférences fictives par l’intermédiaire d’unecréationartistiqueetdesonexhibition.

Objet de toutes les attentions, mais aussi manipulécomme une simple matière première, le personnage deSophieCalleesquivelapossibilitéd’unqualificatifprécispourdésigner clairement son statut. Son identité resteindiscernable dans son intégralité. A la limite de la fiction,partagéentreletexteetl’image,le«moi»sescindeendeuxentités: la personne dite «civile» et la création artistique.AinsilarencontreavecMariaTurnerdansLeviathanmontred’unepartl’appareilfictifdanslequelPaulAusterapupuisersoninspiration.D’autrepart,onremarqueànouveaul’intérêtdeSophieCallepoursonalteregoqu’elleseréapproprieenréalisant les expériences qui lui étaient attribuées dans leroman.

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L’autoportraitphotographique,lerécitàlapremièrepersonne, la surenchère réaliste des textes et des imagesforment un ensemble autobiographique proche de laperfectionréférentielle.Maislafictionquivientsegreffersurles représentations de l’identité de Sophie Calle trouble cetécran compact. Une autre Sophie Calle, pure créationartistique, vient prendre place sur les images. Une traceincomplète de sa personne demeure dans les récits. SophieCalle présente un récit tout à fait significatif de cettepoétisation inhérente à ses œuvres. Devant la Little WhiteChapeloù GregShepard s’est enfin résoluà épouserSophieCalle,despanneauxpublicitairesaffichentqueMichaelJordanetJoanCollinsdelasérieaméricaineDynastie,sesontmariésaumême«weddingdrive‐in». Laphotographiedumariage,épingléesurunmur,estaccompagnéed’unenotice intituléeLadispute95.GregShepardetSophieCalleonteuuneviolentealtercation qui s’est soldéeparun troudans lemur. SophieCalle conclut: «cette dernière trace, je l’ai cachée derrièrenote photographie de mariage». L’auteur du récit montredans une mise en scène dramatique ce qui cache ici uneblessure, laissant au spectateur le soin de la deviner. C’estaussicetespaceentreleditetlemontréquilaisseuneàcetteformedepoésie.Lestrous,lesvidesetlespiècesmanquantesdans ce récit cloisonné de références réalistes amplifient latragédiehumainequisecacheparfoisderrière.

Entrelevraietlefaux,leditetlenon‐dit,lemontréet

le caché, le lecteur‐ spectateur est happé dans un gouffreattirant mais dont les limites restent indiscernables. Séduitparcettemiseenscènedu«moi»,ilestprisentrelesfeuxduréeletdel’illusion.SophieCallemodèle lareprésentationdesonidentitéetconçoitainsiunenouvelleformedeproductionartistique.L’auteurimpliquealorsplusquesoncorpsousonesprit,ilengagesonêtre,pourenfaireuneoeuvred’art.

95Deshistoiresvraies,op.cit.,p.48‐49.

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Bibliographie

Annexedocumentaire

Panégyriqued’unefaiseused’histoire,parHervéGuibert,25avril1991,préfacedeAsuivre,SophieCalle,catalogueduMuséed’artmodernedelavilledeParis,1991.

SophieCalle estuneaventurière. C’est ceque jeréponds quand on me demande qui est cette jeune femmeentreprenante.Elle­mêmesedit«artistenarrative».Ellenousracontedeshistoiresavecdesphotosetdeslégendes,desvéritésetdesmensonges,desusurpationsd’identité,desdéguisements.Autoportraitsenespionne,enfemmedechambrefouineuse,enfillededocteurstrip­teaseuseàsesheures.Enquoisontravailest­ildifférent,parexemple,deceluideCindySherman,qu’elleadmire?Cindysemetenscènegénialement, dans lespostureséprouvéesde certainsmythes éternels, le cinéma, l’enfance, laféminité, l’épouvante. Sophie Calle invente des posturesromanesques contemporaines. (...) Chaque travail de SophieCalle est l’illustration rigoureuse d’une idée de base, choc,subtile ou explosive, tordue, lumineuse, tirée par les cheveux.UneoeuvredeSophieCallesetient,serésumeetserésoutdansun concept, gonflé savamment commeunegrenouille coquinequi veut imiter le bœuf de l’art contemporain. Elle metrelativementsoncorpsàladispositiond’uneoeuvre,n’ylaissantqu’unesilhouette,uneombre,unfantôme.

SophieCalleadédiéàHervéGuibertsonfilmNosexlastnight.

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Bibliographie

Contre l’image, par Yve­Alain Bois, préface deA suivre,Sophie Calle, catalogue du Musée d’art moderne de lavilledeParis,1991.

ChezSophieCalle(...)d’unepartsesclichéssontinévitablement fades, «inintéressants», d’autre part ils sontdéjà mis dans une série narrative (elle tue dans l’œuf toutevicissitudeassociative).Aucuneunicité:vousnetombezjamaissur eux comme un charbon ardent, vous n’attendez d’euxaucunerévélation,vousn’avezpasàeffeuillerlessenspossibles.Toutvousaétédonnéd’avance:vousn’avezaucunelibertédelangage, laphotoa déjà étéparlée. (...) Sophie Calle fusionnedeux genres (document légendé, suite d’image formant récit),mais surtout elle inverse lapolaritéapparente (de l’imageaulangage), révélant dumême coup ce qui en l’image demeuretoujours prisonnier du langage. Elle part de la légende :LesDormeurs,LaSuitevénitienne,LeBronx,LaFilature,L’Hôtel,L’Homme au carnet, Les Anges, Anatoli, Les Aveugles, LesHistoiresautobiographiques,aucunedecessériesn’adesenssansletextequil’accompagne,aucunen’existeraitsanscetextecommecontexte.LaseulesérievenuedusilenceestLesTombes: serait­ce parce que les images diraient la véritéphotographique, parce qu’il n’y a rien à dire de trivial sur lamort?

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«L’éminence grise», par Jean Baudrillard dans Lesstratégiesfatales,édGrassetetFasquelle,1983.

Un jour S. (...) apprend qu’un homme qu’elleconnaîtàpeine,pourl’avoirsuiviunefoisparhasard,partenvoyage pour Venise. Elle décide de le suivre tout au long duvoyage.(...)Désirait­elleaufondqu’illatue,que,trouvantcettefilature insupportable(surtoutparcequ’ellen’escomptaitrien,etencoremoinsuneaventuresexuelle),ilsejettesurelle,pourluifaireviolence,telOrphéeramenantEurydicedesEnfers,illafasse soudainement disparaître? Désirait­elle être son destin,simplement,ouqueluidevîntsondestinàelle?Commetoutjeu,celui­ciavaitsarèglefondamentale:riennedevaityarriverquieûtcrééuncontactentreeuxouunerelation.Laséductionestàce prix. Le secret ne doit pas être levé, sous peine de tomberdansunebanalehistoire.

PaulAuster,Leviathan,éd.ActesSud,1992,trad.deC.LeBœuf.

Maria était une artiste et pourtant son activitén’avait rien à voir avec la création de ce qu’on appelle engénéral des œuvres d’art. Certains la disaient photographe,d’autres la qualifiaient de conceptualiste, d’autres voyaient

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encoreenelleunécrivain,maisaucunedecesdescriptionsneconvenaitet toutbienconsidéré jepensequ’ilétait impossibledelarangerdansunecase.Sontravailétaittropfoupourcela,trop singulier, trop personnel pour être perçu commeappartenantàunetechniqueouàunedisciplineparticulières.Desidéess’imposaientàelle,ellemenaitàbiendesprojets,desréalisations concrètes pouvaient être exposées dans desgaleries,maiscetteactiviténaissaitmoinsd’undésirdecréationartistiquequedubesoindecéderàdesobsessions, devivresavieexactementcommeellel’entendait.

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L’homme au carnet (ou les déboires de Sophie.), SophieCalle,éd.ActesSud,1998.

A la fin du mois de juin 1983, je trouve un carnetd’adresses.Jelephotocopieavantdelerenvoyer,anonymement,à sonpropriétaire, dont les coordonnées sont indiquées sur lapage de garde. Un quotidien m’ayant proposé de réaliser unfeuilleton destinéà êtrepublié durant l’été1983, jedécide decontactercertainsdeceuxdontlesnomsfigurentsurlecarnetet de leur demander de me parler de son propriétaire.J’approcherai ainsi cette homme par leur intermédiaire.J’essaieraideledécouvrirsansjamaislerencontreretdefairedeluiunportraitàladuréealéatoire,carelledépendradubonvouloir de ses proches à l’évoquer et de la tournure queprendrontlesévénements.

Le2septembre,jeterminaiainsimonenquête:«Jemedemandes’ilconnaîtdéjànotrehistoire,s’ilm’envoudra...Peut­êtrenelesaurai­jejamais.»

Ilm’en a voulu. Etm’en avisa, à son retour, dans lemême journal. (...) Cela finissaitmal. Bien que, d’une certainemanière,ilauthentifiâtmonrécit.

Je ne l’ai jamais rencontré. Mes quelques tentativessontrestéesvaines.Sonressentimentnes’estpaséteint.Ilmel’afaitsavoir.

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Enconséquence, etparceque«l’auteur garantit quesonmanuscritnecontientrienquipuissetombersous lecoupdesloisrelativesàladiffamation,l’atteinteauxbonnesmœurs...et garantit l’éditeur contre tout trouble, revendication ouéviction quelconques qui pourraient porter atteinte à lajouissance entière et libre de l’autorisation consentie», ilmanquelecorpsdecerécit.

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EntretientéléphoniqueavecSophieCalle,4juin2000.

SophieCallen’apasdetermepourdéfinirsonart.Elletendrait à l’appeler simplement un «travail artistique».Comme la plupart de ses clichés sont faits par d’autres, elleconsidèren’avoirjamais«commencé»laphotographie.Quantàsestextes,longuementtravaillés,ilsnesontpasleproduitd’untravail d’écrivain, dans lamesureoù«ellenesemetpasàsatable pour écrire». L’alliance de la photographie et du textesont venusnaturellement, l’unnepouvant suffire sans l’autre.Ainsi les récits constituent un ensemble presque indissociable,derrièrelequelsecacheunconcept,uneidée,quivadéterminerlavaleurdelaréalisationauxyeuxdesonauteur.

S’illuiarrivededouterpendantunedesesfilatures,undesesprojets,ellen’abandonne jamaisencoursderoute.Unefois le rituel ou l’action lancée, elle va jusqu’au bout. Malgrél’aventuremalencontreusedeL’hommeaucarnet,elleexpliqueques’ilavaitfallulerefaireunmoisplustard,«ellen’auraitpashésitéuneseconde»etauraitrecommencé.Peudecasest faitdes critiques, risques ­ elle les considère très limités ­ de sesprojetsartistiques.Dumomentquel’idéelaséduit…etséduitlesautres, sonpère enparticulier. Sansattendre laquestion, elleprécipite un «j’ai fait de l’art pour plaire à mon père», lui­mêmegrandamateuretcollectionneurd’art.Silapsychanalysene rentre pas chez lui, elle n’y répugne pas. Son projetactuellementmisenoeuvreauJapontraitedirectementd’elleetdelathérapie.Bienqu’elleconsidèrequetoutessesoeuvresla

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concernent,parlentd’elle,elleadmetsesentirplusprochedesesrécits «autobiographiques». Se reprenant, elle cite LesAveugles. Son implication, le temps passé et la forceémotionnelle de l’expérience, tout cela contribue à faire deSophieCalleunauteurengagé,engagédanssonart.

Sophie Calle n’a peut­être pas la fibre de l’artiste telqu’onpeutselereprésenter,obsédéparsontravail,sacréation.Sapremièreoeuvreexposée–Lesdormeurs–n’étaitparvenueau Musée d’art moderne que par un heureux concours decirconstances. Elle avait à l’époque demandé à une jeunefemme,qu’ellevoyaitsouventaumarché,devenirdormirchezelle,departiciperaupetitjeuqu’elleorganisait,«commeça».Une fois rentrée chez elle, l’invitée d’une nuit raconte à soncompagnonquelleproposition luia été faite. Critique d’art, ilincite alors Sophie Calle à présenter son expérience à laBiennaledes jeunesartistes.Depuis lors, son travail s’arracheaux Etats­Unis, en Allemagne, au Japon. Chacun de ses livresédités chez Actes Sud est vendu à plusieurs milliersd’exemplaires, son filmNosex lastnightestà l’afficheàParisdepuisplusdequatreans.Lesinstitutionsfrançaiseslaboudentun peu, mais son exposition au Centre National de laPhotographie96abattutouslesrecordsd’affluence.Son«artdevivre»attire.Ellereçoitdeslettres,essentiellementdefemmes,qui lui imaginent une vie hors du commun, une vie de rêve,qu’elle assure pourtant ne pas mener. Certains écrivent àl’artiste,d’autresàcetteicônequidéambuleentreVenise,ParisetNew­York.Bienqu’elleneseconsidèreaucunemententermede«femme fatale», d’après JeanBaudrillardses«stratégies»briguentnéanmoinsl’attribut.

Consciente de choquer parfois, Sophie Calle nerecherchepaslaprovocation.Elleréalisesesœuvrescommeonselèvelematin,naturellement,avecplusoumoinsdedifficultés,

96Doubles­jeux,du9septembreau11novembre1998.

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avecounonuneidéed’emploidutemps.Vientl’inspirationetlajournéesetransformeenœuvred’art. Il luiestdonnédevivrecommeellel’entend.Avecenretourlapromessederacontersesaventuresdetempsàautre.

Durant quelques instants, elle interrompt laconversation, craignant que son chat, «Souris», (encore unprotagoniste placé sous le signe du paradoxe), ne soit blessé.Fausse alerte. Surprise sur le moment, je me demandeaujourd’hui s’il ne s’agissait pas, en fait, d’un de ces effetsdramatiquesqu’elleaffectionnetant.

Qu’avez­vousfaitaujourd’hui,SophieCalle?

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OuvragesderéférenceSophieCalle,Doubles­Jeux,éd.ActesSud,1998.parmilecoffretdeseptlivres:

Del’obéissance,(LivreI)Leritueld’anniversaire,(LivreII)Lespanoplies,(LivreIII)Asuivre,(LivreIV)L’hôtel,(LivreV)Lecarnetd’adresses,(LivreVI)GothamHandbook,New­York,moded’emploi,encollaborationavecPaulAuster(LivreVII)

Ecritssurl’image.SuitevénitienneetPleasefollowme,SophieCalleetJeanBaudrillard,éd.del’Etoile,1983.Ecritssurl’image.L’hôtel,SophieCalle,éd.del’Etoile,1984.La fille du docteur, Sophie Calle, éd. Thea Westreich, New‐York,1991.Deshistoiresvraies,SophieCalle,éd.ActesSud,1994.PaulAuster,Leviathan,1991,éd.ActesSud,1993,traductionfrançaisedeChristineLeBœuf.AutresouvragesdeSophieCalleLecarnetd’adresses(oul’Hommeaucarnet),feuilletonpubliédansLibération,du2aoûtauseptembre1983.LesAnges,feuilletonpubliédansl’AutreJournal,26février–3avril1986.Lafilature,inAutrement,avril1988.L’Erouv,éd.ActesSud,1991.SouvenirsdeBerlin­Est,éd.ActesSud,1999.

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Provoking arbitrary situations which take on the form ofrituals, Sophie Calle, Art and text, Australia, n°23‐24, mars‐mai,1987FilmographieNosexlastnight,réaliséparSophieCalleetGregoryShepard,1992.TextescritiquesPhilippe Lejeune, Le pacte autobiographique, éd. du Seuil,1975.PhilippeLejeune,Moiaussi,éd.duSeuil,1986.JacquesLecarmeetElianeLecarme‐Tabone,L’autobiographie,éd.ArmandColin,1997.MichelBeaujour,Miroirsd’encre,éd.duSeuil,1980.Poétiquedurécit,collectif,éd.duSeuil,1977.HenriBergson,Matièreetmémoire,P.U.F.,1939.JacquesLacan,EcritsI,«Lestadedumiroircommeformateurduje»,éd.duSeuil,1966.VladimirPropp,Morphologieduconte,éd.duSeuil,traductiondeMargueriteDerrida,1965.Jean Baudrillard, Les stratégies fatales, éd. Grasset etFasquelle,1983.Jean‐BaptistePontalis,L’autobiographie,éd.LesBellesLettres,1988.SergeDoubrovsky,Fils,éd.Galilée,1977.Guy de Maupassant, Pierre et Jean, préface de 1888, éd.ClassiquesGarnier,1959.PériodiquesNarcisses,NouvelleRevuedeLaPsychanalyse,n°14,1974.

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Corpsécrit,N°5,«Surl’autoportrait»,P.U.F.,1983.Autofictions et Cie, Colloque de Nanterre, RITM, N°6,Doubrovsky,LecarmeetLejeune,1993.«L’œuvre photographique», Colloque de la Sorbonne,ouvrage collectif in Les cahiers de la photographie N°15, 2ètrimestre1985.DenisRoche,Lescahiersdelaphotographie,N°23,1989.TextessurlaphotographieRolandBarthes,Lachambreclaire,Notessurlephotographie,éd.Gallimard‐Seuil,1981.Susan Sontag, Sur la photographie, éd. Christian Bourgeois,1993,trad.dePhilippeBlanchard.Nouvelle histoire de la photographie, éd. Bordas, sous ladirectiondeMichelFrizot,1995.La photographie et au­delà, nouvelles expressions en France,éd.Latitudes,collectifsousdirectionTimothyEatonetNissanPerez,1984.L’imagefantôme,HervéGuibert,éd.deMinuit,1981.«Panégyriqued’une faiseused’histoire»,parHervéGuibert,inAsuivre,SophieCalle,catalogueduMuséed’artmodernedelavilledeParis,1991.Textesd’appuiPhilippeDubois,L’actephotographique,éd.Nathan,1990.Jean‐PaulSartre,L’imaginaire,éd.Gallimard,1945.ArticlesVerso,«ArtsetLettres»,LesviesjouéesdeSophieCalle,PaulEchinard‐Garin,13janvier1999.Entretien, Femme d’actions, par Jean‐Max Colard in LesInrockuptibles,septembre1998.

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Bibliographie

SophieCalle, fétichistedesaproprevie,parMichelGuerrin inLeMondedu11septembre1998.DocumentsonoreFranceCulture,LebonplaisirdeSophieCalle,29juin1996.SiteInternet

Sitepersonnel:http://nachtergael.ifrance.com.

GalerieChantalCrousel:http://www.crousel.com.