url - hermes-ir |...

23
Hitotsubashi University Repository Title Shinto�sme et Islam au Japon de l�entre-deux- guerres: Comment est-ce que des japonais en sont- ils venus � croire en l�Islam? Author(s) MISAWA, Nobuo Citation Mediterranean world = ��, 22: 43-64 Issue Date 2015 Type Journal Article Text Version publisher URL http://hdl.handle.net/10086/28557 Right

Upload: others

Post on 01-Feb-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

Hitotsubashi University Repository

Title

Shintoïsme et Islam au Japon de l’entre-deux-

guerres: Comment est-ce que des japonais en sont-

ils venus à croire en l’Islam?

Author(s) MISAWA, Nobuo

Citation Mediterranean world = 地中海論集, 22: 43-64

Issue Date 2015

Type Journal Article

Text Version publisher

URL http://hdl.handle.net/10086/28557

Right

Page 2: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

Shintoïsme et Islam au Japon de l’entre-deux-guerres:Comment est-ce que des japonais en sont-ils venus

à croire en l’Islam?

Nobuo Misawa

الديانة الشنتوية واإلسالم في فترة ما بين الحربين العالميتين في اليابان

ــرة ــي فت ــة بالمســلمين ف ــة اآلســيوية والمتعلق ــة للقومي ــة الياباني ــرت دراســات ســابقة حــول األيديولوجي اعتبــوا مجــرد “مســلمين ــن كان ــلمين اليابانيي ــع المس ــة أن جمي ــة الثاني ــن والحــرب العالمي ــن العالميتي ــن الحربي ــا بي مــك الدراســات أن ــرض تل ــة. وتفت ــح الياباني ــة المصال ــة تســخير المســلمين لخدم ــوا اإلســام بغي ــن”، اعتنق وهمييــي. وبالفعــل، ــوف الشــعب اليابان ــي صف ــن” ف ــروز هــؤالء “المســلمين الوهميي ــت وراء ب ــة كان ــة الياباني الحكومفقــد اعتنــق عــدد مــن العمــاء العســكريين اليابانييــن اإلســام مــن أجــل تفعيــل هــذه األيديولوجيــة ضمــن األوســاط اإلســامية فــي شــرق وجنــوب شــرق آســيا. وعلــى الرغــم مــن ذلــك، فقــد أصبــح عــدد ال يســتهان بــه مــن المثقفيــن والناشــطين اليابانييــن المذكوريــن أعــاه مســلمين بمحــض إرادتهــم. فعندمــا ننظــر فــي تاريــخ المســلمين اليابانييــن، ينبغــي أن نفهــم كيــف توصــل هــؤالء إلــى تقبــل الديانــة اإلســامية، وخاصــة كيــف أنهــم لمســوا توافقــا وانســجاما

بيــن الديانــة الشــنتوية واإلســام.ــن ــن الحربي ــا بي ــرة م ــي الفت ــن عاشــوا ف ــن مــن نوعهــم الذي ــن الفريدي ــن هــؤالء المســلمين اليابانيي ومــن بيالعالميتيــن نذكــر )1882 – 1934( نــور محمــد إبــاي تانــاكا Nur Muhammad Ippei TANAKA وأحمــد ــن ــا )Ahmad Bunpachiro ARIGA )Fumihachiro ARUGA اللذي ــيرو أريج )1868-1946( بونباشقدَّمــا لنــا تفاصيــل تتعلــق بكيفيــة فهمهــم لإلســام والطــرق الفريــدة التــي اســتخدماها مــن أجــل التوفيــق والمواءمــة ــا اندلعــت ــة والكونفوشيوســية وعندم ــة الصيني ــم اللغ ــى تعلّ ــاكا إل ــادر تان ــد ب ــة الشــنتوية واإلســام. فق ــن الديان بيــك بعــد أن ــن ليعمــل كمترجــم للجيــش وظــل هنال ــى الصي ــة فــي عــام 1904، ذهــب إل الحــرب الروســية اليابانيوضعــت الحــرب أوزارهــا لدراســة الكونفوشيوســية كطالــب مســتقل. وقــد كان مهتمــا خــال إقامتــه فــي الصيــن بالنظريــة الصينيــة المعروفــة بـــ “كاي جو” Kai-ju أو “هــوي رو” Hui-ru، وداللتها الحرفية “الكونفوشيوســية اإلســامية”. وأخيــرا، اعتنــق تانــاكا اإلســام فــي عــام 1924 وذلــك خــال إقامتــه فــي الصيــن. وحيــث إنــه وجــد تشــابها بيــن الشــنتوية واإلســام، فقــد فكــر فــي إمكانيــة إيجــاد صيغــة توافقيــة بيــن هاتيــن الديانتيــن. إال أنــه لــم يتمكــن مــن تحقيــق غايتــه تلــك نظــرا إلــى أن المــوت قــد فاجــأه إثــر حجــه للمــرة الثانيــة إلــى مكــة فــي عــام 1934. أمــا أريجــا فإنــه اعتنــق اإلســام فــي عــام 1932 وذلــك بعــد تقاعــده كرجــل أعمــال. لقــد كان أريجــا شــديد التحمــس للقيــام بمبــادرات تبشــيرية مــن خــال الترويــج “إلســام ذي صبغــة يابانيــة” يعتمــد علــى المواءمــة بيــن معتقــدات الديانــة الشــنتوية واإلســام، وهــي مقاربــة تختلــف تمامــا عــن األســلوب الــذي كان قــد توخــاه تانــاكا، إذ أن أريجــا لــم يكــن رجــل ديــن بــل إن توجهاتــه كانــت قوميــة باألســاس. ولذلــك، كان تفكيــره نابعــا مــن الرغبــة فــي التوفيــق

والمواءمــة بيــن القوميــة اآلســيوية واإلســام.

Page 3: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

44 N. MISAWA

ال بــد إذن مــن التنقيــب فــي حيــاة مســلمين يابانييــن فريديــن مــن نوعهــم مــن أمثــال تانــاكا وأريجــا لكــي نتمكــن مــن إدراك الميــزات التــي يتســم بهــا المســلمون اليابانيــون فــي فتــرة مــا بيــن الحربيــن العالميتيــن.

I. Introduction

L’histoire des musulmans japonais date de la fin du XIXe siècle. Si on la compare à celle des musulmans chinois et coréens, on notera que le caractère récent de la conversion des musulmans japonais a constitué un fait exceptionnel en Asie de l’Est. Nous devons admettre que le shintoïsme a influencé le processus ayant conduit le peuple japonais à découvrir l’islam. Dans les premiers stades de leur conversion, avant la Seconde Guerre mondiale, les musulmans japonais ont essayé de syncrétiser shintoïsme et islam.

Le Prof. Dr. Toshihiko IZUTSU )1914-1993(, l’un des plus éminents chercheurs sur le soufisme au XXe siècle, a rencontré l’islam pour la première fois durant la période du Japon de l’entre-deux-guerres. Après avoir supervisé une série d’excellentes études universitaires sur le soufisme, il a essayé par la suite de comparer le soufisme au taoïsme.1 Comme il se l’avouait lui-même dans ses œuvres complètes, il était de plus en plus fasciné par les idées et la philosophie orientales au cours de sa carrière académique ultérieure, si bien qu’à l’âge de soixante-dix, il dit avoir trouvé ses racines en Orient.2

Comme nous le montre si bien l’exemple du Prof. Dr. Izutsu, il est naturel que les intellectuels japonais de l’entre-deux guerres soient séduits par l’islam, et ce en raison de son contraste avec la religion et la pensée orientales. Parmi ces intellectuels, certains se sont convertis à l’islam sans toutefois renoncer à leur croyance au shintoïsme. Je dois souligner que ce fait constitue un phénomène d’une grande importance. Il nous rappelle un comportement similaire de la part des musulmans chinois, qui avaient fondé la doctrine du Kai-ju ou Hui-ru, voulant dire littéralement ”confucianisme islamique“. On peut dire que les populations est-asiatiques ont réussi à développer un intérêt et une croyance en l’islam en harmonie avec leurs religions et pensées d’origine, comme le bouddhisme, le shintoïsme, le confucianisme, le taoïsme, et ainsi de suite. En d’autres termes, les communautés musulmanes de l’Asie de l’Est ont été fascinées par l’islam tout en conservant une croyance solide en leurs religions et idées autochtones.3

1 Toshihiko IZUTSU, A Comparative Study of the Key Philosophical Concepts in Sufism and Taoism: Ibn ‘Arabi and Lao-Tzu, Chuang-Tzu. Tokyo, 2 vols, 1966-67; do. Sufism and Taoism: A Comparative Study of Key Philosophical Concepts, Tokyo: Iwanami Shoten. 1983 )reprint Berkeley, 1984(.

2 IZUTSU, Sufism and Taoism, 1-4. IZUTSU a montré un vif intérêt dans les philosophies orientales. Il a également étudié le bouddhisme Zen. Voir Toshihiko IZUTSU, Toward a Philosophy of Zen Buddhism, Téhran: Tehran Imperial Iranian Academy of Philosophy. 1977 )reprint Boulder, 1982(.

3 Nous trouvons des cas de syncrétisme religieux non seulement au Japon mais aussi en Corée )et en Chine(. Par exemple, le mouvement coréen Donghak )=apprentissage de l’est(, fondé en 1860, a cherché à créer une nouvelle religion coréenne en fusionnant le bouddhisme et le christianisme.

Page 4: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 45

Cependant, les choses se sont probablement passées autrement pour les peuples de l’Asie du Sud-Est comme les musulmans indonésiens et malaisiens.

Selon des études antérieures sur l’idéologie japonaise du panasiatisme, ayant évoqué les musulmans de l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale, tous les musulmans japonais étaient des ”pseudos musulmans“, qui se seraient convertis à l’islam avec l’unique intention d’utiliser les musulmans pour servir les intérêts japonais. La création de ces pseudos musulmans japonais aurait été l’œuvre du gouvernement japonais. De nombreux agents militaires japonais se seraient ainsi convertis à l’Islam afin de promouvoir une telle idéologie dans les milieux musulmans en Orient et en Asie du Sud-Est. Nous devons toutefois admettre, comme il a été mentionné auparavant, que certains intellectuels et militants du Japon de l’entre-deux-guerres, aient embrassé l’islam de leur propre chef.4 Si l’on considère l’histoire des musulmans japonais, il est nécessaire de comprendre le processus qui les a entraîné à croire en l’islam et d’appréhender leur perception d’une concordance qui aurait prévalu entre le shintoïsme et l’islam. Je suis convaincu que des musulmans japonais uniques en leur genre comme ceux-là avaient bel et bien vécu au cours de la période de l’entre-deux-guerres.

II. Emergence d’un Islam japonais

En raison de la politique d’isolement adoptée par le gouvernement du shogunat TOKUGAWA, des informations très limitées sur l’islam avaient pu circuler au Japon entre les XVIIème et XIXème siècles. En effet, le gouvernement avait strictement restreint aux étrangers l’accès au Japon et au peuple japonais de se rendre à l’étranger. Par conséquent, nous ne pouvons trouver aucune trace de musulmans étrangers au Japon au cours de cette période. Les japonais connaissaient donc peu de choses sur l’islam à cette époque 5 et aucun d’entre eux n’a été tenté de se convertir à l’islam.

Le gouvernement a renoncé à cette politique en raison d’une forte pression exercée par le gouvernement américain, et a décidé d’ouvrir le pays aux étrangers en 1854. En outre, après la restauration Meiji en 1868, le nouveau gouvernement japonais sous le règne du Mikado,

4 Certains musulmans étrangers ont définis les musulmans japonais avant la Seconde Guerre mondiale comme des ”pseudos musulmans“ ou des ”musulmans pragmatiques.“ Il est faux de classer tous les musulmans japonais dans la même catégorie comme REZRAZI l’a fait )REZRAZI el-Mustafa, ”Pan-Asianism and the Japanese Islam: Hatano Uho: from Espionage to Pan-Islamist Activity,“ Annals of Japan Association for Middle East Studies, 12)1987(, 89-112(. Il y avait des musulmans japonais qui étaient effectivement attirés par des croyances religieuses islamiques. Il est très difficile de distinguer les vrais musulmans des pseudos musulmans. Nous pouvons trouver de véritables musulmans parmi les intellectuels japonais avant la Seconde Guerre mondiale. En outre, ce serait une grave erreur de mélanger les deux HATANO qui sont deux personnes différentes )Yosaku HATANO et Haruhusa HATANO( voir REZRAZI 1987.

5 Seul le gouvernement du shogunat TOKUGAWA avait joui du privilège d’avoir eu des informations sur les pays étrangers, y compris des informations sur le monde islamique; il les a reçues par le biais de marchands chinois et néerlandais. Voir Hideaki SUGITA, La Découverte japonaise du Moyen-Orient, Tokyo: L’Université de Tokyo Press, 1995 )en japonais(.

Page 5: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

46 N. MISAWA

ou Tenno )l’empereur(, a facilité l’amélioration des relations avec les pays étrangers. Cette politique d’ouverture du nouveau gouvernement a permis aux étrangers d’entrer au Japon et aux Japonais de se rendre à l’étranger. À la suite de ce changement radical de circonstances, certains musulmans étrangers ont pu débarquer au Japon et certains japonais ont eux aussi eu l’occasion de rencontrer des musulmans dans des pays étrangers. Comme il est indiqué dans de nombreuses sources narratives de japonais qui ont visité des pays européens via le canal de Suez en Egypte en ces jours, des japonais ont pu avoir un contact direct avec l’Islam. Bien qu’ils fussent alors très étonnés, ils ne purent maintenir l’intérêt que l’islam avait suscité en eux après leur court séjour en Egypte. Outre les pyramides et le Sphinx, ils n’ont rien trouvé d’exotique dans ce pays islamique. En conséquence, nous n’avons trouvé aucun japonais qui s’était converti à l’Islam durant son séjour en Egypte à cette époque.

Parmi les Japonais qui ont visité divers pays étrangers, des prêtres bouddhistes ont commencé à recueillir des informations sur l’islam. En 1878, Mokurai SHIMAJI, un célèbre prêtre bouddhiste japonais et membre de la mission Iwakura, a visité Istanbul dans l’intention de découvrir le centre du monde islamique. Son rapport, qui relate ses impressions sur l’islam, a stimulé l’intérêt des prêtres bouddhistes japonais. En 189I, quelques jeunes moines bouddhistes japonais, qui avaient pratiqué l’ascétisme à Ceylan, ont visité Istanbul. Ils ont voyagé à bord des frégates japonaises Hiei et Kongo après la tragédie de l’Ertuğrul, pour mieux connaître l’islam et les musulmans de l’Empire ottoman.6

D’autre part, des musulmans étrangers tels que les marchands indiens ont commencé à venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un mouvement missionnaire à grande échelle eût existé au Japon pour convertir le peuple japonais à l’islam. Après l’incroyable victoire du Japon sur la Russie en 1905, de nombreux musulmans étrangers entreprenants, tels que les musulmans indiens, les musulmans égyptiens, et les Tatars ont souhaité utiliser la puissance japonaise au profit du mouvement panislamiste à travers le monde. Il n’existe cependant aucune preuve indiquant qu’un seul japonais eût embrassé l’islam par la force de persuasion de ces musulmans étrangers.

D’après les données source existantes sur les musulmans japonais, nous trouvons que Shotaro NODA )1868-1904( fut le premier musulman japonais; il s’est converti à l’islam pendant la période de son séjour à Istanbul en 1891. Il a été nommé professeur de japonais à l’Ecole militaire de l’Empire ottoman quand il a débarqué en Turquie pour remettre un don japonais )qui était en francs français collectés par l’entreprise de presse où NODA a travaillé en tant que journaliste permanent( suite à la tragédie de l’Ertuğrul.7 Les pays européens craignaient qu’il ne

6 Voir Hiroshi NAGABA, The Modern Records of the Inspections in Turkey, Tokyo: The Keio University Press, 2000 )en japonais(; Naoji OKUYAMA. ”The Voyage of the Hiei and Kongo to the Ottoman Empire as Observed by Japanese Monks who Studied in Ceylon“, The Annual Bulletin of the Asian Culture Research Institute, Toyo University, 43 )2008( )en japonais(, pp. 84-100.

7 Voir Nobuo MISAWA & Göknur AKÇADAĞ, ”The First Japanese Muslim, Shotaro NODA )1868-1904(“, Annals of Japan Association of Middle East Studies, 23-1 )2007(, pp. 85-109.

Page 6: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 47

devienne un missionnaire islamique au Japon.8 Toutefois, quand il est retourné au Japon en 1893, après un séjour de deux ans à Istanbul, il a abandonné le mode de vie islamique. Toutefois, il ne convient pas de le stigmatiser en tant que ”pseudo musulman“ ayant des intentions égoïstes. Il serait plus approprié de dire que sa conversion à l’islam était une mesure temporaire qu’il avait prise durant son séjour à Istanbul. En conséquence, jusqu’en 1909, d’après nos données source, nous ne trouvons aucun cas de conversion à l’islam parmi les japonais.

Le deuxième cas de japonais convertis à l’islam concerne deux officiers militaires japonais, Takeyoshi OHARA et Mitsutaro YAMAOKA )1880-1959(. Il est probable d’affirmer, selon nos données source, qu’ils aient été les premiers japonais musulmans à se convertir sur le sol japonais. Pendant la guerre russo-japonaise )1904-1905(, OHARA a travaillé comme capitaine sous les ordres du Major général Yasumasa FUKUSHIMA )1852-1919(, qui était célèbre pour ses activités de renseignements militaires dans le continent eurasien. Après la guerre, OHARA quitte officiellement l’armée, mais il continue de collaborer avec celle-ci en tant que militant du Panasiatisme. Au cours de sa carrière en Chine dans la guerre russo-japonaise, une rumeur a circulé qu’il était devenu un agent spécial ayant manœuvré derrière les coulisses pour le compte de l’armée.

En 1909, Abdürreşid İbrahim )1857-1944( d’origine tatare, l’actıvist de Pan-islamisme, a visité le Japon. En même temps, OHARA a essayé d’organiser l’association de pan-asianism. Après qui OHARA est devenu une connaissance de İbrahim, il a converti à l’Islam en sa présence. Comme son nom musulman, il a pris le nom Abu Bakr, le nom du premier calife de l’Islam. Alors OHARA a présenté à Ibrahim un autre Japonais qui a voulu convertir à l’Islam, à part Shintoism. Ce Japonais était YAMAOKA, qui avait travaillé comme un officier militaire d’intelligence. YAMAOKA a aussi converti à l’Islam en sa présence. Comme son nom musulman, YAMAOKA a pris le nom Umar, le nom du deuxième calife de l’Islam. Il est devenu un musulman pour le pèlerinage à Mecca sur l’ordre d’OHARA. Tant OHARA qu’arc d’YAMAOKA ont dit pour être ”les musulmans faux“. Ils avaient l’intention d’utiliser le pouvoir musulman pour le Grand mouvement Asianism sous les nationalistes japonais. À cette fin, OHARA a établi l’association, le nom d’Ajia-Gi-Kai, avec Abdürreşid İbrahim.9

8 Par exemple, le journal français a rapporté que NODA représentait une menace future qui pourrait transformer le Japon en un pays islamique. Les Européens ont exagéré l’influence de NODA. Les médias japonais ont été intrigués par cette étrange nouvelle. NODA a gardé le silence sur sa conversion à l’islam et n’a mené aucune activité missionnaire au Japon. Voir MISAWA & AKÇADAĞ, ”The First Japanese Muslim“.

9 Voir TOYO University, Asian Culture Research Institute, Asian Region Research Center )ed.(, Le Bulletin d’Ajia-Gi-Kai, DAITO (CD-ROM ed. Ve1: I), Tokyo: TOYO University, 2008; Hisao KOMASTU, Ibrahim, Trip to Japan, Tokyo: Azekura Shobo, 2008 )en japonais(. Nous trouvons certains officiers militaires japonais et nationalistes qui se sont convertis à l’Islam avec la même intention. Nous pouvons trouver des sources photographiques de ces pseudos musulmans dans le projet de recherche scientifique JSPS ”The Establishment of the Data-base of Japan and Islam“ et Université de Waseda, Faculté des sciences humaines )eds.(, CD-ROM the Photographical Sources of' the Great Japan Islam Society: Ver.1, Tokyo: Japan Women’s University, 2006.

Page 7: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

48 N. MISAWA

On peut supposer qu’OHARA et YAMAOKA fussent des ”pseudos musulmans“ œuvrant pour le compte du gouvernement japonais et le service de renseignement militaire. Ce n’étaient pas des cas isolés. En effet, avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y avait eu un nombre croissant de musulmans japonais qui s’étaient convertis à l’Islam avec l’intention de servir le Panasiatisme, sachant qu’ils avaient eu des liens étroits avec le gouvernement et les militaires japonais.

Nous pouvons identifier un autre type de musulmans parmi les intellectuels japonais avant la Seconde Guerre mondiale. Ils sont très différents desdits ”pseudos musulmans“. On ne doit surtout pas classer tous les musulmans japonais dans la même catégorie. Car certains musulmans japonais ont tenté d’être de véritables musulmans à travers un processus de syncrétisme avec l’ancien shintoïsme japonais. Parmi ces musulmans japonais, citons le cas de Muhammad Nur Ippei TANAKA )1882-1934( qui nous fournit des détails sur sa perception de l’islam et sa façon unique de vouloir syncrétiser le shintoïsme et l’islam.10

III. Nur Muhammad Ippei TANAKA

1. Rencontre avec l’islamNur Muhammad lppei TANAKA est né dans une famille adepte de l’école Zen Rinzai, l’une

des deux sectes de Bouddhisme Zen japonais.11 Pendant son enfance, il a également maîtrisé le Misogi-kyo )ou Kikkyo( shintoïstes, des ablutions rituelles du shintoïsme.12 Au Japon, Shinbutsu Shugo, littéralement le ”syncrétisme du shintoïsme et du bouddhisme“, était un phénomène bien connu. Quand le bouddhisme a été introduit au Japon à travers la Chine au VIème siècle, les japonais n’ont pas écarté l’ancien shintoïsme, mais ils avaient plutôt essayé de le concilier avec la nouvelle religion, en supposant que les deux croyances fussent authentiques. Au cours de la première étape de la restauration Meiji, sous l’empereur japonais Mikado en 1868, le Mouvement Kishaku Haibutsu, qui signifie littéralement ”abolir et détruire le bouddhisme Shakyamuni“ a pris naissance. Mais cette agitation s’est calmée en très peu de temps, et le peuple japonais a vite fait de restaurer l’ancien syncrétisme du mouvement Shinbutsu Shugo. Le gouvernement

10 Récemment, les travaux de TANAKA ont été réévalués par des chercheurs de l’Université de Takushoku. Ses œuvres ont été publiées en cinq volumes. Voir la Section éditoriale du 100ème anniversaire de l’Université de Takushoku, Ippei TANAKA, Tokyo: Takushoku University, 2002-05, 5 vols )en japonais avec un résumé en arabe(. Nous pouvons étudier les idées de TANAKA sur l’islam à travers ces œuvres complètes. Cette université a également organisé un cercle d’étude sur TANAKA.

11 Le bouddhisme Zen est une école du bouddhisme mahayana qui est apparue en Chine au VIIème siècle. On dit que le bouddhisme Zen a été introduit au Japon au XIIIème siècle. On trouve deux sectes au Japon: L’école Zen Soto et l’école Zen Rinzai.

12 Le Shintoïsme Misogikyo est l’une des écoles de shintoïsme qui était sous la direction de Masakane INOUE )1790-1849(. Cette école adore les neuf divinités principales du shintoïsme, sous le nom de Misogioshie-no-ookami. Selon Mori )Professeur à l’Université de Takushoku(, TANAKA a découvert qu’il y avait une concordance entre le shintoïsme Misogikyo et l'islam dont l’origine est le respect de Dieu. Voir, Nobuo MORI, ”Notes explicatives,“ dans la section éditoriale du 100ème anniversaire de l’Université de Takushoku, Ippei TANAKA, vol.l, Tokyo: Takushoku University, 2002 )en japonais(, p. 395.

Page 8: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 49

Meiji avait eu l’intention de séparer les Kamis )les Dieux( du shintoïsme du bouddhisme Shakyamuni afin d’instaurer la reconnaissance du nouveau gouvernement dirigé par le Mikado, le Kami actuel. Cependant, cette tentative a échoué. Les Japonais ont témoigné de leur respect envers le Mikado et le shintoïsme, tout en faisant preuve d’égard envers Shakyamuni. En outre, certains Japonais ont mélangé les deux types de dévotion religieuse. Ce n’était donc pas chose inhabituelle de voir le jeune TANAKA maîtriser simultanément le bouddhisme Zen Rinzai et la secte shintoïste Misogi-kyo. Il est fort probable que les circonstances spirituelles ayant entouré son enfance eussent affecté sa conversion à l’islam et l’eussent amené ultérieurement à syncrétiser l’islam avec le shintoïsme.

En 1900, TANAKA intègre l’Ecole de l’Association taiwanaise )aujourd’hui l’Université de Takushoku( à Tokyo pour apprendre le chinois et le confucianisme. Lorsque la guerre russo-japonaise éclate en 1904, TANAKA part en Chine avec l’armée en tant qu’interprète; il y réside après la guerre pour étudier le confucianisme en sa qualité de chercheur indépendant. Il était très attiré par la doctrine Kai-ju ou Hui-ru, littéralement ”confucianisme islamique“. Il était particulièrement intéressé par le célèbre savant musulman chinois, Liu Zhi )l660-l739(. Liu Zhi est né dans une famille musulmane chinoise et avait appris le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme depuis son enfance. Liu Zhi était un admirateur de Confucius )551 av. J.-C - 479 av. J.-C(, le fondateur du confucianisme, et de Mencius )372 av. J.-C ?- 289 av. J.-C(. Ils étaient pour lui les ”Sages de l’Orient“, alors que Muhammad était le ”Sage de l’Occident“. À l’âge de trente ans, il commence à traduire et à faire connaître les écritures islamiques en utilisant des études confucéennes, et continuera à le faire pendant une vingtaine d’années. L’islam et le confucianisme coexistaient en sa foi.

Etant donné l’emprise que les œuvres de Liu Zhi avaient eu sur lui, TANAKA a traduit un des travaux que Liu Zhi avait lui-même traduit, Tianf’ang Zhisheng Shilu, ”Témoignage authentique sur le dernier Prophète de l’Islam“, une biographie de Muhammad, en japonais.13

TANAKA percevait l’islam à travers le prisme du Kai-ju ou Hui-ru. Cette vision ne se réfère pas à un contexte purement originaire de l’islam, mais plutôt à son syncrétisme avec le confucianisme. Il pouvait facilement accepter le concept d’un syncrétisme entre deux autres religions en raison de la spécificité religieuse du Japon.

Grâce aux divers articles qu’il a publiés, TANAKA réussira ultérieurement à propager les connaissances des musulmans chinois au Japon.

Lorsque l’islam s’est répandu en Chine, contrairement à d’autres régions, il a fusionné avec le confucianisme. Le peuple chinois a reconnu qu’il n’y avait pas de

13 Cette traduction japonaise a été publiée en 1941. Voir Liu Zhi )Ippci TANAKA: tr.(, Tenpo Shisei Jitsuroku )titre original: Tianfimg Zhisheng Shilu(, Tokyo: The Great Japan Islam Society Press, 1941. Il y avait eu quelques traductions japonaises de la biographie de Muhammad écrites par des européens. C’était la première traduction japonaise des œuvres chinoises de Kai-ju or Hui-ru.

Page 9: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

50 N. MISAWA

différence entre la voie de Muhammad et la voie de Confucius et de Mencius. L’ancienne foi chinoise équivalait à l’ancienne foi arabique. Donc, certains intellectuels chinois ont commencé à se convertir à l’islam.14

Environ trois cents millions de personnes à travers le monde considèrent qu’ils sont musulmans et que l’islam est leur religion. Seuls les musulmans chinois considèrent qu’ils sont adeptes du Kai-kyo )ou Hui-kyo( et que leur religion est le Kai-kyo )ou Hui-kyo(, ou Seishin-kyo )vérité pure(. Bien que l’Islam soit difficile à adapter et à assimiler à d’autres religions, ce cas suggère qu’il est possible de syncrétiser l’islam avec le système de croyance chinois, c.à.d. le confucianisme.15

C’est ainsi que TANAKA a commencé à publier un nombre appréciable de ses propres articles sur les affaires courantes et la religion dans des magazines japonais populaires. Il est ainsi devenu un homme de lettres dans les médias japonais pendant la période de l’entre-deux-guerres. Peu à peu, son nom est devenu célèbre dans les cercles religieux populaires et les milieux proches du panasiatisme.

2. Conversion à l’islamEn 1924, après avoir terminé la traduction japonaise de Tianf’ang Zhisheng Shilu en 1922,

TANAKA a voyagé en Chine pour se convertir à l’islam. Il était fasciné par l’islam à travers les différentes œuvres de Liu Zhi.

En Janvier 1924, il visite une Mosquée chinoise dans la province de Shandong et demande au chef religieux de la mosquée )un Aheng(, de superviser sa conversion à l’islam. Ainsi, il devient musulman et on lui accorde son pseudonyme musulman: Nur Muhammad.16 Quand il a offert sa première prière à la mosquée, il a constaté que le rituel de se purifier avec de l’eau fut semblable aux ablutions du shintoïsme, un rituel qu’il avait pratiqué depuis son enfance. En outre, il a trouvé une similitude entre le chant des versets du Saint Coran et Nenbutsu )ou Nianfo dans la langue sanskrit(, littéralement la prière de chant dédiée à Amida Buddha dans le bouddhisme Mahayana, un acte de dévotion qui lui était aussi familier au cours de son enfance. Ces simples affinités l’ont amené à développer le syncrétisme du shintoïsme et l’islam.

Il a décidé par la suite d’entamer un pèlerinage à La Mecque en tant que membre d’un

14 Ippei TANAKA, ”The development of the Chinese Muslims and Liu Zhi“, Japan and the Japanese, 846 )1922( )en japaonais(, p. 61.

15 Ippei TANAKA. ”A Study on Kai-ju or Hui-ru“, The Great Toast Culture, 5-12 )1928( )en japonais(, p. 2.

16 Nous pouvons obtenir des informations détaillées à propos de sa conversion à l'islam dans son livre sur sa conversion et son premier pèlerinage à La Mecque. Voir Ippei TANAKA, The Travel Account of a While Cloud, Seinan: Rekika Shoin, 1925. Ce livre a été récemment réimprimé avec une note éditoriale. Voir Ippei TANAKA )Takahiko TSUBOUCHI ed.(, The Pilgrim of Islam: The Travel Account of a White Cloud, Tokyo: Ronsii-sha, 2005 )en japonais(.

Page 10: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 51

groupe de pèlerins musulmans chinois. Avant d’atteindre la Mecque, il avait jeûné pendant un mois, du 6 Avril au 5 mai. Même s’il est permis aux musulmans de ne pas jeûner pendant le voyage, le groupe de pèlerins chinois a préféré jeûner. C’était le premier jeûne de TANAKA, et il était profondément bouleversé par cette expérience. L’austérité religieuse du jeûne lui a rappelé les similitudes entre le shintoïsme et le bouddhisme Zen. Comme tout croyant au shintoïsme, il considérait l’ascension du Mont Fuji, le plus haut sommet du Japon, comme une pratique religieuse importante. L’austérité religieuse de cette expérience vécue dans un contexte naturel primitif convie TANAKA à trouver une similitude entre le shintoïsme et l’islam. Ainsi, les rituels du pèlerinage à la Mecque et l’ascension du Mont Fuji fournissent à TANAKA le germe de l’idée du syncrétisme entre le shintoïsme et l’islam.

TANAKA a exprimé sa découverte du concept du syncrétisme entre le shintoïsme et l’islam pendant son pèlerinage à la Mecque comme suit:

Quand j’ai pensé à la vision de l’univers, l’idée maîtresse de l’ancien système de la croyance chinoise, je ne pouvais m’empêcher de voir combien la divinité de Muhammad était semblable à celle des Kamis )Dieux( au Japon. J’ai découvert qu’il y avait un rapport entre le confucianisme et l’islam, ainsi qu’un rapport entre le confucianisme et le bouddhisme Zen; par la suite, j’ai découvert le lien qui existe entre l’islam et le shintoïsme.17

3. Syncrétisme u Shintoïsme et IslamBien que TANAKA se convertît à l’islam, il n’a renoncé ni au shintoïsme ni au bouddhisme

après son retour au Japon. Il continue à pratiquer la prière selon les rites des deux religions. Sa conversion à l’islam ne signifie pas l’abandon de ses croyances antérieures. Faisant allusion à la tradition japonaise de Shinbutsu Shugo )syncrétisme du shintoïsme et du bouddhisme( susmentionnée et à la tradition chinoise du Kai-ju ou Hui-ru )confucianisme islamique(, il était évident pour TANAKA que le shintoïsme et l’islam )ainsi que le bouddhisme( pouvaient coexister.

TANAKA relate que lorsqu’il a comparé le christianisme et l’islam, il a dû admettre que l’islam était très semblable au confucianisme et à l’ancien shintoïsme. Il a ensuite exprimé ce qu’il pensait réellement, c.à.d. que l’islam devait fusionner avec le confucianisme et le shintoïsme afin de permettre au peuple japonais de relancer l’Asie.

Après son retour au Japon de la Mecque, il fit valoir ce concept de syncrétisme en ayant recours à des médias:

Notre Mikado révéré a syncrétisé le confucianisme, le taoïsme, le bouddhisme et

17 TANAKA, The Pilgrim of Islam.

Page 11: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

52 N. MISAWA

le christianisme en prônant une politique d’”absorbes les, et ne pas les abandonner“. Ce processus reconnaît la vérité de notre foi. Mais il n’y avait pas une occasion de connaître l’islam, qui a été introduit par le révéré Muhammad en Occident, et qui recèle une vérité égale à notre vérité de la voie des Kamis )Dieux(.18

Comparé au christianisme, l’islam ressemble davantage au confucianisme et à notre ancien shintoïsme. Ainsi, la religion de l’islam doit être en harmonie avec le peuple japonais pour impulser le mouvement du renouveau de l’Asie.19

La science des religions, en particulier l’étude comparative, a constaté une similitude entre les trois religions du judaïsme, du christianisme et de l’islam de par leur monothéisme sémitique. Cependant, TANAKA n’a pas étudié la science des religions dans le style européen. C’est ce qui le différencie d’une manière évidente de Shumei OKAWA )1886-1957(, qui était considéré comme un personnage clé des études japonaises sur l’islam jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bien qu’OKAWA eût été considéré comme l’idéologue le plus compétent du panasiatisme, ce dernier a insisté que l’islam avait un caractère occidental, basé sur les diverses études des orientalistes.20 En bref, la perception de TANAKA de l’Islam n’était pas fondée sur l’islam originaire, mais sur la doctrine du Kai-ju ou Hui-ru )confucianisme islamique(. En outre, son impression de la similitude entre le shintoïsme et l’islam a été renforcée par son pèlerinage à la Mecque.

Dans la dernière étape de ce processus de syncrétisme, TANAKA a fondé la doctrine de Go-ichi Kai, littéralement Société Cinq-un en 1933.21 Cinq se réfère aux cinq religions: confucianisme, le bouddhisme, le taoïsme, le christianisme et l’islam, tandis que le chiffre 1 se réfère au shintoïsme. Le but de cette société était de syncrétiser les cinq religions et le shintoïsme.

TANAKA a exprimé l’idée qui sous-tend cette société dans la déclaration de Goichi Kai, publiée dans le magazine Dainichi, comme suit:

Il ne devrait y avoir aucune limite aux voies; l’absence de limites suggère l’existence d’une voie.

Dans les pays de l’Orient, les arts martiaux, les idées spirituelles, et la religion sont

18 Ibid, p. 2.19 TANAKA, ”A Study on Kai-ju or Hui-ru“, p. 10.20 La perception d’OKAWA de l'Islam a été récemment réexaminée par diverses études au Japon. Voir,

Akira USUKI, Shumei OKAWA, Tokyo: Seito-sha, 2010 )en japonais(.21 Nous pouvons trouver la déclaration sur la création de cette société dans le magazine religieux

The Great Sun )= Dainichi( I )1931(, p. 34. Nous ne pouvons pas, cependant, trouver des informations détaillées sur les activités de cette société. Il est important de clarifier ultérieurement ses idées sur "le syncrétisme du shintoïsme et l'Islam".

Page 12: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 53

considérés comme une ”voie“. Son utilisation figurative de ”chemin“ suggère qu’il n’y a aucune démarcation dans le processus de syncrétiser le shintoïsme )la voie des Kamis( et l’islam.

Selon les doctrines originales de l’islam, il est impossible pour l’islam de coexister avec nos idées japonaises fondamentales.

Bien que la possibilité de syncrétisme du shintoïsme et l’islam ne fusse directement rejetée, TANAKA a remarqué que ce syncrétisme n’était pas conforme à la doctrine originale de l’Islam. Cet écart, cependant, ne l’a pas amené à abandonner le concept de syncrétisme entre le shintoïsme et l’islam. En fait, il avait cherché les motifs pour faire valoir ce concept en Chine.

Quand l’islam a été introduit en Chine, il a évolué dans un contexte imprégné de Mahayana )Islam Mahayana(.

C’est sa conclusion. Il a constaté que le syncrétisme du confucianisme et l’islam en Chine, Kai-ju ou Hui-ru )confucianisme islamique(, ressemblait au bouddhisme Mahayana. Il se rendit compte que le peuple chinois en était venu à croire en l’Islam à travers son syncrétisme avec les religions antérieures. Il se référait alors à l’islam chinois, l’islam Mahayana, ou l’islam Grand Véhicule. Il a conclu que si l’islam pouvait adopter les caractéristiques du bouddhisme Mahayana, il était possible de syncrétiser shintoïsme et islam. Il croyait que les idées de base de l’islam étaient compatibles avec celles du peuple japonais. TANAKA n’avait pas l’intention de réaliser un simple syncrétisme des deux religions, car il visait l’absorption de l’islam par le shintoïsme. Il voulait dissoudre l’islam et quatre autres religions dans le shintoïsme.

C’était en fait une hérésie à l’encontre de l’islam. TANAKA a reconnu que son idée constituait une hérésie aux yeux de l’islam original et orthodoxe, mais il ne pouvait renoncer au shintoïsme.

Malheureusement, nous ne pouvons trouver aucune donnée source sur les activités de cette Société Go-ichi Kai. Je me demande si les idées de Tanaka avaient été favorablement accueillies par les intellectuels japonais. Son approche était en fait assez originale et mériterait beaucoup plus d’attention.

Cependant, l’absence de toute autre information des médias japonais suggère l’échec de cette société.

TANAKA a par la suite commencé à étudier le syncrétisme du panasiatisme et l’islam.

4. Syncrétisme du Panasiatisme et IslamIl est naturel que TANAKA ait approuvé le panasiatisme. Conformément à sa croyance au

shintoïsme, il avait une profonde vénération pour le Mikado, comme la création de Go-ichi Kai nous l’a bien montré. Bien qu’il se soit converti à l’islam, il tenait à ce que les idées préconisées

Page 13: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

54 N. MISAWA

par cette religion soient absorbées par le shintoïsme. Il a continué à croire au shintoïsme et n’a jamais laissé entendre qu’il avait la moindre intention d’abandonner cette croyance après sa conversion à l’islam. Bien que le shintoïsme et l’islam aient pu facilement coexister dans la foi de TANAKA, ce dernier considérait que le shintoïsme était prioritaire par apport à l’Islam, et il n’a jamais renoncé à sa vénération pour le Mikado. Après la restauration Meiji en 1868, le Mikado était à la fois empereur actuel de l’Etat et un Dieu vivant, selon le shintoïsme.

D’autre part, TANAKA a critiqué le Mouvement du Panasiatisme sous la direction des présumés ”pseudos musulmans japonais“, qui avaient bénéficié du soutien de l’armée japonaise:

Comme notre armée japonaise accorde la plus grande attention à la question chinoise, certains de nos officiers militaires japonais ont étudié les affaires des musulmans chinois par le biais du service de renseignements militaires et entamé des négociations avec eux. Mais on ne trouve aucune fondation islamique au Japon. Les officiers militaires japonais ne sont pas musulmans. Leur comportement ne peut avoir aucun impact sur les musulmans chinois. Plus Précisément, un geste théâtral de la part d’un officier voulant attirer l’attention musulmane au mouvement panislamiste a eu un impact néfaste et pernicieux sur les musulmans indiens et chinois. 22

Il avait toujours eu une attitude critique à l’égard des activités des ”pseudos“ musulmans japonais. On suppose que le Mouvement du Panasiatisme et TANAKA avaient eu les mêmes objectifs. Toutefois, quelle était la différence entre TANAKA et ces ”pseudos musulmans japonais“?

Exposant sa perception du monde de l’entre-deux-guerres, TANAKA était convaincu que le Japon devait adopter une attitude positive envers la relance des pays asiatiques sous la direction du Mikado. Même s’il avait critiqué ”les pseudos musulmans“ à la solde du gouvernement japonais et de l’armée, il a estimé que tous les pays asiatiques devaient trouver leur salut dans le panasiatisme sous la direction du Mikado. Il est possible de dire qu’il prônât le syncrétisme du panasiatisme et l’islam, à l’image du syncrétisme entre le shintoïsme et l’islam auquel il avait cru. À cette époque-là, TANAKA, en tant que musulman connu et indépendant, était un partisan du panasiatisme, ce qui plaisait au gouvernement japonais. Selon TANAKA, l’islam ne contredisait ni le shintoïsme ni le panasiatisme. Même si de telles idées étaient semblables à celles des ”pseudos musulmans japonais“, ou qu’elles étaient soutenues par l’armée japonaise et le gouvernement, TANAKA, cependant, n’avait aucunement envisagé d’utiliser l’islam pour les intérêts nationaux japonais. Il croyait vraiment à la possibilité de régénérer tous les pays asiatiques dans l’intérêt général, et ce sur la base de son propre syncrétisme entre le shintoïsme et l’islam. C’est pour cela que TANAKA a décidé en fin de compte de promouvoir le syncrétisme entre le panasiatisme et l’islam. Cette idée a été favorablement accueillie par l’armée et le

22 Ippei TANAKA, Muslims and Muslim Affairs, Tokyo: Tohoshoin, 1935 )en japonais(, p. 2.

Page 14: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 55

gouvernement japonais. Comme mentionné précédemment, TANAKA a critiqué tout ce que les services de renseignements et les ”pseudos musulmans japonais“ avaient entrepris. Il n’a jamais coopéré avec eux, même quand ils avaient essayé de s’approcher de lui. On rapporte qu’il était affligé par une telle situation et par le fait que la Société Go-ichi Kai eût stagné.

En 1934, TANAKA a entamé un second pèlerinage à la Mecque. Il était le premier musulman japonais à se rendre à la Mecque à deux reprises. Cette fois-ci, il a visité non seulement la Mecque, mais aussi l’Afghanistan et les pays africains. Bien que la rigueur de ce pèlerinage l’eût satisfait et qu’elle répondît à ses attentes religieuses, le calendrier chargé du pèlerinage a ruiné sa santé. Il mourut peu de temps après son retour au Japon.

La Société Go-ichi Kai a disparu après sa mort soudaine. TANAKA n’a pas pu convaincre le public japonais de l’entre-deux-guerres de croire à sa version de l’islam.

IV. Ahmad Bunpachiro ARIGA

1. Rencontre avec l’IslamD’autres musulmans japonais ayant vécu au Japon de l’entre-deux-guerres méritent notre

attention. Par exemple, Ahmad Bunpachiro ARIGA )ou Fumihachiro ARUGA( )1868-1946( voulait lui aussi syncrétiser le shintoïsme et l’islam, mais sa perception de l’islam était différente de celle de TANAKA.23 S’agissant du Mikado, ”l’islam japonais“ d’ARIGA prônait une doctrine très différente par rapport à celle de TANAKA ou celle des ”pseudos musulmans japonais“.

ARIGA a eu un parcours unique avant qu’il ne devienne musulman avec l’idée de propager ”l’islam japonais“ à travers des activités missionnaires. Au cours de son enfance, peu de temps après la restauration Meiji, il a connu le Mouvement Haibutsu Kishaku, littéralement le mouvement qui veut ”abolir le bouddhisme et détruire Shakyamuni“. Cette expérience lui a appris que ni les Kami du shintoïsme ni le Shakyamuni du bouddhisme ne pouvaient nuire aux êtres humains. En 1885, il devient directeur d’une école élémentaire à un âge précoce. Il constate que les discours sur le confucianisme, le shintoïsme, ou le bouddhisme n’ont aucun effet sur les élèves. Cependant, quand il parle du christianisme, les élèves lui prêtent leur attention. Après cette expérience, ARIGA se convertit au christianisme.24 En 1889, il abandonne son emploi et se rend à Tokyo pour propager le christianisme. Peu de temps après, en 1891, il renonce à ses activités missionnaires et prend le large sur l’Océan Pacifique périlleux en direction des pays du Sud, en tant que membre de Kôshin, la société de négoce établie par le célèbre politicien Takeaki ENOMOTO. En 1893, il s’engage dans le commerce dans l’océan indien. En 1896, il renonce

23 Citons deux études précédentes en langue japonaise sur Ahmad Bunpachirii ARIGA: la première a été élaborée par Fujio KOMURA The History of Japanese Islam, Tokyo: Japanese Islam Friendship League, 1977 )en japonais(: la deuxième par Junya SHINOHE. ”Ahmad ARIGA Bunpachiro )Amad(,“ The Study on Religions, 78-2 )2004( )en japonais(, pp. 517-539.

24 Tetsutaro ARIGA )1899-1977(, le fils de Bunpachiro ARIGA, devint plus tard un célèbre érudit en matière de théologie protestante.

Page 15: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

56 N. MISAWA

aux activités commerciales et tente le lancement de diverses entreprises à Tokyo et à Osaka.En 1892, lorsqu’ARIGA s’engage dans le commerce avec l’Inde, il fait la connaissance de

Hedarali, un marchand musulman indien. ARIGA est fortement attiré par le discours de Hedarali sur l’islam. Son interaction avec Hedarali était le premier contact d’ARIGA avec l’islam.

Fujio KOMURA, un célèbre musulman japonais, a ultérieurement considéré cet épisode à proprement parler comme la conversion d’ARIGA à l’Islam. Un pareil témoignage peut être extrêmement trompeur et demande à être vérifié. ARIGA a lui-même fait une déclaration claire à propos de sa conversion en 1932.25

2. Conversion à l’islamEn 1932, lorsqu’ARIGA s’est retiré du monde des affaires à l’âge de soixante-cinq ans, il

décide de devenir musulman et s’engage dans des activités missionnaires islamiques ciblant le peuple japonais. Il n’a pas avoué les causes de sa conversion. Son parcours peut d’ailleurs nous rappeler celui du Prophète Muhammad. Il est possible de supposer que la vie mouvementée d’ARIGA eût affecté sa conversion à l’islam.

En Mars 1932, ARlGA visite Kurbangali )Kurbangaliev(, le leader des Tatars exilés à Tokyo, pour se convertir à l’Islam. Kurbangali le présente à Shamguni, le leader des musulmans à Kobe. En Septembre 1932, ARIGA devient musulman sur le site prévu pour la Mosquée de Kobe, qui sera construite en 1935.26

Il est intéressant de noter qu’ARIGA a eu un parcours différent de celui de TANAKA. ARIGA s’intéresse lui aussi à la religion, tout comme TANAKA. Cependant, ARIGA était de plus en plus enclin à faire des distinctions entre les différentes religions comme le bouddhisme, le shintoïsme, et le confucianisme. C’est vrai qu’il décide ultérieurement d’accepter le christianisme, mais après sa conversion à l’islam, il exprime dans son autobiographie son mécontentement avec toutes les religions qu’il avait expérimentées jusqu’à sa conversion à l’islam, comme suit27:

25 Voir, KOMURA, The History of Japanese Islam, 152-157; Bunpachirii ARIGA, ”As a Japanese Muslim“, Islam, 6 )1939( )in Japanese(, pp. 34-39. Nous devons recueillir toutes ses œuvres afin d'analyser sa perception de l'Islam. Shinohe a mentionné sa conversion en I892 ou 1896. Voir, SHINOHE, ”Ahmad ARIGA Bunpachiro“, pp. 517-524. Cependant, quand nous lisons sa propre description, qui n'a été mentionnée ni par KOMURA ni par SHINOHE, nous voyons qu'il s’est converti à l'Islam après sa retraite du monde des affaires en 1932. Il est également de notre devoir de clarifier les circonstances ayant entouré les conversions d’ARIGA et de TANAKA.

26 Pour plus de details sur Kurbangali, voir Katsunori NISHIYAMA, ”The Quest for Kurbanali, )1(-)2(“, The Study of International Relations & Comparison of Cultures, 4-2 )2006a(, pp. 325-350: do. 5-1, )2006b( )en japonais(, pp. 93-109: Akira MATSUNAGA, ”The Explusion of Kurbangali, The leader of the Tokyo Muslim Association, and the Development of the Japanese Policy for Muslims“, in Tsutomu SAKAMOTO )ed.(, Islam and the Japanese War against China, Tokyo: Keio University Press, 2008 )en japonais(, pp. 179-232: Ali Merthan DUNDAR & Nobuo MISAWA, Books in Tatar- Turkish printed at Tokyo’da Matbaa-i Islamiye (1930-38) [DVD ed., Ver.1], Tokyo: Toyo University, 2010. The situation of Islam in Interwar Kobe, sec Yoshiaki FUKUDA, ”The Establishment of Kobe Mosque“, The Annual Bulletin of the Asian Culture Research Institute, Toyo University, 45 )2011(, pp. 94-113 )en japonais(.

27 ARIGA, ”As a Japanese Muslim“, pp. 34-37.

Page 16: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 57

Il a d’abord critiqué le Bouddhisme comme étant de vieux rites cérémoniaux:

Nous les japonais n’avons guère étudié les religions. Nous nous sommes aveuglément conformés au bouddhisme parce que nos ancêtres y ont cru. Nous considérons la religion comme étant des rites cérémoniaux du bouddhisme, tout comme nos ancêtres.

Il a ensuite critiqué le christianisme.

Au nom du Père, du Fils )le Christ(, et du Saint- Esprit. ... Les chrétiens croient que ceux-là constituent les trois faces d’un seul Dieu. Je suppose que ça aurait été plus naturel d’affirmer que trois visages de Dieu devraient représenter trois Dieux. Pourquoi, devrions-nous alors qualifier cette foi de monothéiste .... En raison de cette bizarrerie, on ne devrait pas nous attendre à ce qu’il [le Christianisme] ait de nombreux adeptes.

Il a enfin critiqué le shintoïsme.

Je ne voudrais pas faire de commentaires sur le shintoïsme. Je suppose que le shintoïsme soit le culte des ancêtres ou le culte des héros. J’accepte de faire montre de respect pour les tombes de nos ancêtres et nos héros, mais je ne puis accepter le shintoïsme comme religion .... Amenonakanushi est le seul Kami )Dieu( [parmi les différents Kamis du shintoïsme] et il correspond à Allah en islam. Donc, je suppose que la croyance en Amenonakanushi corresponde à la croyance en Allah.

Cette attitude critique à l’égard des religions existantes fournit un indice pour la conversion d’ARIGA à l’Islam. Il est possible qu’ARIGA eût cherché une religion monothéiste. Il trouve d’abord le christianisme, qui lui procure une certaine satisfaction, mais le fameux problème de la Trinité )le Père, le Fils, et le Saint- Esprit( est pour lui une source d’incertitude. Il trouve finalement le vrai monothéisme en l’Islam et devient musulman.

Après qu’il se soit converti à l’islam, ARIGA s’engage dans des activités missionnaires islamiques ciblant le peuple japonais. Il réside d’abord à l’ouest du Japon: Kobe, Kyoto et Osaka. En 1933, il s’installe à Tokyo et aménage un bureau privé qu’il réserve à des activités missionnaires islamiques. Il tente par la suite de faire connaître l’islam à travers des publications. En 1934, il entreprend la publication d’une traduction japonaise du Saint Coran qu’il distribue à des coûts réduits, car il constate que la première traduction japonaise du Coran se vendait à des prix fort chers au Japon. Sa version japonaise du Coran est publiée en 1938. Il publie également une biographie du prophète Muhammad en 1935.28 C’est ainsi qu’il a œuvré d’une manière

28 La première edition japonaise du Saint Coran en deux volumes dans la série the World Holy Books

Page 17: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

58 N. MISAWA

énergique à promouvoir l’islam au japon.

3. Syncrétisme du Shintoïsme et l’IslamAu vu de ses activités missionnaires, on peut dire qu’ARIGA est un musulman pieux.

Cependant, en réalité, sa compréhension de l’islam est très différente de celle qu’on voit chez des musulmans normaux. Bien qu’il fût à la recherche d’un véritable monothéisme, il n’était pas satisfait de l’Islam, ou plutôt de l’islam orthodoxe. En tant que japonais, il a essayé de mélanger les anciennes religions orientales avec l’islam, tout comme TANAKA. Il a finalement choisi le shintoïsme, en se basant sur sa critique des religions existantes susmentionnées. Son but consistait à syncrétiser le shintoïsme avec l’islam, mais d’une manière très différente de celle adoptée par TANAKA. Il ne pouvait accepter aucun des dieux shintoïstes excepté Amenonakanushi, l’un des Kamis du shintoïsme. Il nie le fait que le shintoïsme ait représenté le culte des ancêtres et des héros et suppose qu’Amenonakanushi soit l’équivalent d’Allah. Partant de cette constatation, il déclare ”l’islam japonais“.

Malheureusement, comme il ne nous a pas laissé un compte rendu détaillé sur ses activités missionnaires, nous devons supposer qu’il ait eu cette idée quand il s’est converti à l’islam. Le bureau missionnaire qu’il a installé à Tokyo fut nommé ”l’Office missionnaire de l’islam japonais“. La Biographie du Prophète Muhammad, son premier livre, a été publié en 1935 par ce bureau.

En 1937, il a commencé à distribuer une petite brochure )exhibant le témoignage de foi écrit de la conversion!(, intitulée ”Explication de l’islam japonais“, et c’était une édition privée.29 Cette brochure met en lumière la version de ”l’islam japonais“ prônée par ARIGA. Elle comprend quatre parties: ”Objectifs des activités missionnaires du sublime islam japonais“, ”Croyances de l’islam“, ”Moralité de l’islam“ et ”Qu’est-ce que l’islam?“ A en juger de la manière avec laquelle il aborde l’islam, ”les croyances de l’islam“ semblent acceptables, par contre ”la moralité de l’islam“ ne l’est pas. ARIGA présente ”la moralité de l’islam“ dans cette brochure comme suit:

Nous croyons en un seul Dieu )Allah(, nous respectons le Prophète Muhammad .... Nous respectons Tennô )Mikado(, Kôgô )l’Impératrice(, et la famille royale.

a été traduite par Kenichi SAKAMOTO en 1930. Ahmad ARIGA )ed.( & Goro TAKAHASHI )tr.(, The Holy Koran, Tokyo: The Publication Press for the Holy Koran, 1938 )en japonais(. TAKAHASHI avait traduit le Coran en japonais et ARIGA a publié cette traduction. Ahmad ARIGA & Miki NISHIMOTO, The Biographv of the Prophet Muhammad, Tokyo: The Missionary Office of Japanese Islam, 1935 )en japonais(. Pour la traduction du Saint Coran en japonais, voir Reiko OKAWA, Illustrated Book on the World of the Holy Koran, Tokyo: Kawade Shobo Shinsha, 2005 )en japonais(.

29 Nous pouvons trouver l'origine de cette petite brochure dans son deuxième livre, intitulé Islam in Japan, Tokyo: Toho Shoin, 1935 )en japonais(.

Page 18: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 59

On y trouve d’abord la description suivante: ”Amenonakanushi est l’unique Kami )Dieu( [parmi les différents Kamis du shintoïsme], et il équivaut à Allah en islam“, ensuite il se demande ”Qu’est-ce que l’islam?“ ARIGA a déclaré sa vénération pour la famille royale du Japon. Il ne pouvait apparemment pas renoncer à la vénération de la famille royale. Il n’a pas indiqué la raison de cette vénération. En bref, ou il a déclaré sa vénération pour la famille royale du Japon sans raison, ou bien il a omis de poser la problématique de la coexistence de l’islam avec la famille royale du Japon )qui sont des descendants de Kamis )dieux(, selon le shintoïsme(. Même s’il a renié le shintoïsme, il a tenu à préserver sa vénération pour la famille royale. On découvre un décalage énorme entre ses idées et ses sentiments. Nous pouvons supposer qu’ARlGA ait nommé cette religion ”islam japonais“ précisément en raison de ce décalage. En comparaison avec le syncrétisme de TANAKA, le syncrétisme du shintoïsme et l’islam prôné par ARIGA n’était pas contemplatif. TANAKA a eu beaucoup de peine à promouvoir ses deux types de syncrétisme. Contrairement à TANAKA qu’on qualifiait de personne ”en quête de vérité“ ou de pessimiste, ARIGA semble avoir été engagé avec enthousiasme dans les activités missionnaires de ”l’Islam japonais“ comme un vrai optimisme.

Certains insistent qu’ARIGA ait soutenu cette vénération pour la famille royale seulement pour l’utiliser comme une stratégie ou une tactique visant à faire progresser ses activités missionnaires, ce qui était plausible en islam. Toutefois, lorsque nous examinons ses idées sur le syncrétisme du panasiatisme et l’islam, nous découvrons que sa vénération pour la famille royale transcendait cette contradiction entre ses idées et ses sentiments.

4. Syncrétisme du Panasiatisme et IslamLorsque nous examinons de près la brochure succincte d’ARIGA, nous découvrons la raison

de son respect pour la famille royale du Japon. L’idée de ”l’islam japonais“ a été construite sur la base du syncrétisme entre le panasiatisme et l’islam. Dans la première section de la brochure, ”le but des activités missionnaires du sublime islam japonais“, il expose sa perception du monde qui l’entourait comme suit:

Actuellement, les races blanches méprisent les races de couleur. Les races blanches ont de tout temps mis les races de couleur sous leur joug afin de les diviser et les garder sous leur contrôle. Je suppose que si la situation continue en tant que tel, une guerre mondiale va éclater entre les races blanches et les races de couleur dans un proche avenir. Je crois que notre peuple japonais sera le chef de file des races de couleur dans cette guerre mondiale. Mais je crains que ce soit impossible pour nous de continuer cette guerre future parce que la population japonaise ne dépasse pas les soixante-dix millions de personnes. Nous devons donc créer une alliance de forces spirituelles. Pourquoi avons-nous besoin d’une telle alliance? Selon des études que j’ai entamées depuis de nombreuses années, nous devons d’abord organiser une

Page 19: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

60 N. MISAWA

communauté de musulmans japonais grâce à des activités missionnaires islamiques. Deuxièmement, nous devons relier cette communauté de musulmans japonais avec les sept cents millions de musulmans à travers le monde. Je crois que cette grande alliance spirituelle soit l’unique moyen pour nous de nous préparer à cette future guerre mondiale. Certaines personnes affirment que nous pouvons utiliser le bouddhisme ou le shintoïsme, étant donné le grand nombre de leurs adeptes au Japon. De tels propos ne sont que des balivernes! Il faudrait plus de cent ans pour que le bouddhisme et le shintoïsme se répande dans les pays étrangers.

Il semble qu’ARIGA soit davantage un nationaliste de panasiatisme qu’un musulman japonais. Il n’insistait pas sur la mobilisation du respect que les japonais portaient à la famille royale du Japon, comme le préconisait le shintoïsme. Il tenait plutôt à mettre à contribution l’islam au profit d’un panasiatisme dirigé par le Japon.

Il niait l’efficacité du bouddhisme et du shintoïsme parce qu’ils avaient besoin de temps pour se répandre parmi les races de couleur. Si le bouddhisme et le shintoïsme étaient efficaces pour le lancement d’une alliance contre la race blanche, il ne les aurait pas reniés, et les aurait sans doute adoptés. Se basant sur une approche purement pragmatique, il a cherché à mettre à contribution n’importe quelle religion dans l’intention d’organiser diverses races de couleur sous la direction du Japon.

En outre, ARIGA a justifié ses activités missionnaires d’une manière plus directe, comme suit:

La raison pour laquelle le peuple japonais a besoin de l’Islam:

Essentiellement, la religion est le moyen d’élever l’esprit et la culture. Il y a peu de choix à faire entre les religions car la différence entre les religions est minime. Il serait donc judicieux de choisir la religion qui est la mieux adaptée aux circonstances actuelles et à l’avenir de notre peuple japonais.

Au cours des derniers siècles, les races blanches des pays européens ont exercé leur pouvoir, insulté les gens de couleur, les ont surclassés, et les ont privés de leurs territoires. Les choses étant ainsi, il semblerait qu’il n’y aurait pas eu d’êtres humains sans la race blanche. Il y va de notre devoir, nous peuple japonais, de nous dresser contre une iniquité pareille.

À la suite de la guerre sino-japonaise et la guerre russo-japonaise, nous pouvons prétendre avec grande assurance à gagner la guerre si l’ennemi est un pays unique, peu importe lequel. Mais si nous entrons en guerre contre plusieurs pays, je ne puis m’empêcher d’avoir des doutes sur notre victoire. Nous devons donc chercher à former une alliance spirituelle. Quelle puissance serait la plus appropriée pour former une telle

Page 20: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 61

alliance? Je crois qu’il serait plus raisonnable de faire en sorte pour que les quelques centaines de millions de musulmans à travers les différentes parties du monde fassent partie de notre alliance japonaise afin de créer une forte puissance de combat.

Il nous semble que l’esprit de combativité et la culture de l’islam soient semblables aux nôtres. Les musulmans croient qu’Allah est toujours à côté des croyants, et ils font tous les efforts possibles en raison de leur foi pour que leur armée soit invincible. Je crois que cette religion est utile pour le présent et l’avenir du peuple japonais. Nous sommes donc tenus d’organiser dans les meilleurs délais possibles une communauté de musulmans japonais au Japon et coopérer avec les cent millions de musulmans de par le monde. Je ne puis pas m’empêcher de souligner l’importance de telles mesures pour pouvoir rivaliser avec l’oppression exercée par les races blanches.

Dans cette déclaration, ARIGA ne cache pas son idée pragmatique de mettre la religion à contribution au profit du panasiatisme. Il a simplement mis à nu son cœur. Bien qu’il se souvienne de ses études ou expériences avec les autres religions, il affirme qu’il y avait peu de différence entre les doctrines de toutes les religions. Il considérait que toutes les religions étaient pareilles les unes aux autres. Il n’était pas apparemment religieux, étant donné qu’il avait connu le Mouvement Kishaku Haibutsu au cours de son enfance.

ARIGA était un nationaliste du panasiatisme, une doctrine axée sur la vénération de la famille royale du Japon. Il était naturel qu’il fît une déclaration explicite dans laquelle il exprimât sa vénération pour la famille royale du Japon et tentât de syncrétiser panasiatisme et islam. Ses activités missionnaires visant à propager ”l’islam japonais“ parmi la population japonaise ont été embourbées par l’empressement. Le Japon a déclaré la guerre contre l’Amérique en 1940. Bien qu’ARIGA eût poursuivi ses activités missionnaires, elles se sont éteintes futilement avec la défaite du Japon en 1945. ”l’islam japonais“ n’a pu prendre racine dans le peuple japonais.

V. Conclusion

TANAKA et ARIGA étaient tous les deux intéressés par l’Islam et se sont convertis à l’islam de leur propre initiative en tant qu’intellectuels indépendants; ils n’avaient aucun lien ni avec les activités de services de renseignement de l’armée japonaise, ni avec le gouvernement, contrairement aux ”pseudos musulmans japonais“. En outre, ils ont tous les deux essayé d’abord de syncrétiser shintoïsme et islam dans l’islam japonais, et tenté par la suite de fusionner le panasiatisme et l’islam.

En apparence, TANAKA et ARIGA appartiennent à la même catégorie de japonais musulmans ayant tenté de syncrétiser le shintoïsme et l’islam. Toutefois, en réalité, leurs points de vue étaient diamétralement opposés l’un à l’autre. TANAKA était un homme religieux alors qu’ARIGA n’était pas du tout religieux mais un patriote.

Page 21: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

62 N. MISAWA

TANAKA est finalement parvenu au syncrétisme du panasiatisme et l’islam après avoir passé beaucoup de temps à réfléchir profondément sur le syncrétisme entre le shintoïsme et l’islam.

ARIGA, de son côté, n’était pas concerné par les activités des services de renseignement japonais à l’encontre des musulmans )qu’on nommait ”seisaku Kaikyo“(, sachant que de telles activités étaient dirigées par l’armée et le gouvernement japonais. Les opinons d’ARIGA à propos du syncrétisme entre le shintoïsme et l’islam, et le Panasiatisme et l’islam, étaient essentiellement différentes de celles Tanaka. En bref, nous pouvons supposer qu’il y ait eu une certaine concordance entre les idées d’ARIGA et celles des ”pseudos musulmans japonais“ soutenus par l’armée et le gouvernement japonais.

TANAKA et ARIGA ont tous les deux échoué dans leur tentative de répandre leur concept de syncrétisme parmi le peuple japonais. Bien que certains musulmans japonais se soient accrochés à ce concept jusqu’à nos jours, le nombre total de musulmans japonais est encore minime au Japon actuel.

Je voudrais clôturer mon exposé en évoquant les perspectives d’avenir. Bien que les cas de TANAKA et d’ARIGA aient constitué un modèle unique de conversion à l’Islam, nous devrions recueillir et examiner des informations plus détaillées au sujet des musulmans japonais ayant vécu dans la période de l’entre-deux-guerres, notamment en ce qui concerne leur perception de l’Islam. Si nous nous empressons de conclure hâtivement que tous les musulmans japonais furent des ”pseudos musulmans“ à la solde du gouvernement japonais, non seulement nous ferions une erreur, mais nous perdrions aussi la possibilité de comprendre comment l’islam s’est propagé dans le Japon de l’entre-deux-guerres.

* C’est l’amélioration de mon article anglais; Nobuo MISAWA, ”Shintoism and Islam in Interwar Japan: How did the Japanese come to believe in Islam?“, Orient: the Reports of the Society for Near Eastern Studies in Japan, 46)2011(, pp. 119-139.

Page 22: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

SHINTOÏSME ET ISLAM AU JAPON DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES 63

01 TANAKA 02 TANAKA

03 TANAKA )1923( 04 TANAKA

Page 23: URL - HERMES-IR | HOMEhermes-ir.lib.hit-u.ac.jp/rs/bitstream/10086/28557/1/chichukai0002200430.pdf · venir au Japon. Cependant, nous ne pouvons trouver aucune trace indiquant qu’un

64 N. MISAWA

05 la couverture de la traduction de Tianf'ang Zhisheng Shilu

06 ARIGA 07 la couverture de la traduction de Coran