une etude comparee des effets de l'analphabetisme et de la
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Atlanta University CenterDigitalCommons@Robert W. Woodruff Library, AtlantaUniversity Center
ETD Collection for AUC Robert W. Woodruff Library
7-1-1988
Une etude comparee des effets de l'analphabetismeet de la polygamie dans quelques oeuvres deSembene Ousmane et Ferdinand OyonoOcha Kalu UkwuAtlanta University
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Recommended CitationUkwu, Ocha Kalu, "Une etude comparee des effets de l'analphabetisme et de la polygamie dans quelques oeuvres de SembeneOusmane et Ferdinand Oyono" (1988). ETD Collection for AUC Robert W. Woodruff Library. Paper 785.
UNE ETUDE COMPAREE DES EFFETS DE
L'ANALPHABETISME ET DE LA POLYGAMIE
DANS QUELQUES OEUVRES DE
SEMBENE OUSMANE ET FERDINAND OYONO
A THESIS
SUBMITTED TO THE FACULTY OF ATLANTA UNIVERSITY
IN PARTIAL FULFILLMENT OF THE REQUIREMENTS FOR
THE DEGREE OF MASTER OF ARTS
BY
OCHA KALU UKWU
DEPARTMENT OF FRENCH
ATLANTA, GEORGIA
JULY 1988
ABSTRAIT
FRENCH
UKWU, OCHA KALU B.A., UNIVERSITY OF LAGOS, NIGERIA, 1980
Une ttude Comparee des Effets de VAnalphabetisme etde la Polygamie dans Queiques Oeuvres de Sembene Ousmane
et Ferdinand Oyono"
Advisor: Professor Earle D. Clowney
Master of Arts degree conferred July 1988
Thesis dated July 1988
L'objet de cette etude est de faire une etude comparee des
effets de 1'analphabetisme et de la polygamie dans quelques oeuvres
de Sembene Ousmane et Ferdinand Oyono. En effet, 1'analphabetisme
et la polygamie sont deux des problemes qui ne laissent pas les
Africains progresser dans le monde comme il faut. Comme ecrivains
negro-africains engages, Sembene Ousmane et Ferdinand Oyono vont
eveiller la conscience des Africains envers ces problemes, a
travers leurs romans. Ainsi, les Africains peuvent reflechir encore
sur ces problemes et saisir la balle au bon en trouvant des solu
tions avant qu'il ne soit trop tard.
L'etude est presentee en quatre chapitres et une conclusion.
Le premier chapitre sert d'introduction. Elle analyse un peu sur
Vetat de sous-developpement en Afrique noire.
Le deuxieme chapitre discute la vie de Sembene Ousmane, le
milieu socio-culturel ou il a grandi et qui l'a influence dans ses
oeuvres. Le troisieme chapitre, pourtant, est consacre a Ferdinand
Oyono et ses contributions dans la litterature negro-africaine. Nous
verrons que bien qu'il n'ait ecrit que trois romans jusqu'ici, il a
fait des pas indelebiles dans les sables de l'histoire en Afrique
noire.
Le quatrieme chapitre analyse quelques livres des deux
auteurs tels que Le Mandat, VoitaTque d'Ousmane et Une vie de boy,
Le vieux negre et la medailie et Chemin d'Europe d1Oyono pour faire
sortir les problemes de la polygamie et de 1'analphabetisme.
La conclusion essaie de voir si nos deux ecrivains ont
bien pose les problemes. Elle suggere aussi une solution qui est
1'education des masses et de la femme--education adaptee aux besoins
du peuple.
REMERCIEMENTS
Mes etudes en francais, envers 1'acquisition d'une
mattrise, pour qui cette these est un point culminant, n'auraient
pas ete possible sans l'appui et l'aide que j'ai regus de tous cotes.
Je suis particulierement reconnaissante a 1'Universite
d'Atlanta pour l'aide financiere qu'elle m'a donnee pendant deux
semestres, sous la forme de bourse departementale. Je suis
egalement reconnaissante a mes tres competents professeurs dans le
departement de langues etrangeres pour m'avoir munie de 1'orientation
et la stimulation intellectuelle dont j'ai besoin pour une etude
de ce genre.
L'aide la plus substantielle et la plus inestimable est du
surveillant de mes recherches qui est aussi le chef du departement,
le Dr. E. D. Clowney, qui, en depit de ses autres multiples obliga
tions, m'a donne une attention considerable. Ses commentaires et
ses conseils sur l'ebauche de cette these etaient tres precieux.
Cette etude ne serait pas completee avec succes sans ses surveil
lances fideles, que je reconnais tres sincerement.
Je remercie mon mari et mes enfants pour leur comprehension,
leur patience et leur appui moral pendant la duree de mes etudes,
et plus particulierement, pendant la periode de 1'immersion
totale dans cette etude. Aussi, pour son immense aide, ses conseils
et ses critiques mordantes de quelques idees qui se trouvent dans
ii
cette etude, je dois a mon man", Kalu Ukwu, une grande reconnais
sance.
Je voudrais aussi remercier le personnel de la bibliotheque
universitaire, Robert W. Woodruff, pour m'avoir permis 1'utilisation
de sa bibliotheque bien installee.
Finalement, je voudrais aussi remercier Madame Reta L. Bigham,
pour 1'excellent travail qu'elle a fait en dactylographiant cette
these.
Les contributions de valeur des personnes et des etablisse-
ments ci-mentionnes mis a part, je suis entierement responsable
des points forts et des points faibles de cette etude.
111
TABLE DES MATIERES
Page
REMERCIEMENTS ^
CHAPITRE
I. INTRODUCTION *
II. SEMBENE OUSMANE: FONDS HISTORIQUES ETACCOMPLISSEMENTS LITTERAIRES 6
III UN APERCU SUR L'ECRIVAIN FERDINAND OYONOET SA'CONCEPTION DE L1ENGAGEMENT DANS
QUELQUES-UNES DE SES OEUVRES 19
IV. LA POLYGAMIE ET L1ANALPHABETISME MIS ENVEDETTE PAR OUSMANE ET OYONO 29
CONCLUSION 53
BIBLIOGRAPHIE 63
IV
CHAPITRE I
INTRODUCTION
L'intention de ce projet de recherche est d1examiner
1'analphabetisme comme un probleme social qui menace beaucoup de
pays du monde, particul ierement l'Afrique noire. On va examiner
aussi le lien etroit entre 1'analphabetisme et la polygamie en
Afrique noire comme eel a sera temoigne dans quelques oeuvres de
Sembene Ousmane et Ferdinand Oyono. Cette these va montrer aussi
jusqu'a quel point 1'Afrique a besoin de 1'education pour tous
dans le sens propre du mot.
Notre interet dans cette etude a ete eveille par un bon
nombre de questions sans reponses sur le sous-developpement ou
bien le soi-disant manque de progres en Afrique noire. Dans son
livre, Black Man's Dilemma, Oyebola Areoye a ceci a dire:
... it is strange indeed that the black man has remained,
far behind the other races of the world in his ability to
conquer nature or improve his environment. In terms of
inventions, discovery of better means of production and
the conquest of harsh climatic and physical conditions
(like the cold climate spurring the white races to invent
heaters and mine coal), the black man has made no remark
able progress. It has been particularly noticeable that
since the Industrial Revolution, Europe and America have
remained the world's centres of progress. The Chinese
had for centuries made their own significant contributions
to civilization. And in terms of effective and rapid
adaptation of modern science and technology to production
techniques, the Chinese and Japanese have made and are
still making important contributions to modern civiliza
tion and progress.1
Areoye Oyebola, Black Man's Dilemma (New York: Vantage
Press, 1979), 7-8.
Apres la lecture de l'extrait ci-dessus, on se demande comment
un peuple qui etait soumis pendant longtemps au traite des noirs
et au colonialisme, peut §tre compare1 avec des peuples et des
civilisations qui, depuis des siecles, subissent de l'gducation
et du developpement ininterrompu.
Le peuple de l'Afrique noire a besoin de 1'education. Le
peuple, ici, se rapportant a la masse des Africains illettr§s et
non pas le peu de gens privileges qui ont eu la chance d'etre
eduques. Parmi la masse du peuple, languissant encore dans
1'analphabetisme, la pauvrete et la maladie, il y en a qui adoptent
encore quelques aspects sociaux de la vie africaine qui mettent
de l'entrave sur les roues de progres et de modernisation. Par
exemple, quelques groupes ethniques ou groupes tribaux en Afrique
noire pratiquent encore le meurtre rituel, 1'adoration tradition-
nelle, 1'appartenance aux societes secretes et la polygamie, entre
autres.
Cette etude va examiner la polygamie comme un probleme
social menacant. Dans la societe traditionnellement africaine,
la polygamie est restee (et reste encore) une pratique commune,
surtout chez le musulman qui est permis, grace a sa religion, de
se marier avec quatre femmes. Dans ce genre de societe tradition-
nellement africaine, 1'importance et le rang social d'un homme
etait mesure par le nombre de femmes et d'enfants qu'il avait.
En outre de servir comme symbole de rang, les femmes et les
enfants avaient constitue" la force de travail. C'est-a-dire que
3
les multiples femmes et enfants d'un homme lui servaient de
laboureurs non salaries dans ses multiples champs. Cet acte avait
immanquablement prive les enfants de la chance d'aller a Vecole.
Dans certain cas, seulement un petit nombre de ces enfants
etaient envoyes a l'ecole, particulierement ceux qui etaient
tetus ou bien ceux qui etaient faibles et par consequent ne
servaient a rien sur les champs. Done, la polygamie a aggrave
et aggrave toujours le probleme de 1'analphabetisme en Afrique
noire. II y a des ecoles pour les enfants et il faut absolument
que les enfants y aillent pour s'instruire. Mais, dans une famille
polygame d'un salaire moyen (ce qui est le cas de plusieurs
families en Afrique noire), ce n'est pas tout a fait possible
d'envoyer tous les enfants de la famille. II faudra, dans ce cas,
choisir parmi les enfants de chaque epouse quels enfants profiteront
de 1'education.
Le pourcentage d'alphabetisation en Afrique noire est
toujours au-dessous de celui d'autres pays ou continents. II est
etabli que les pays comme la Norvege, le Danemark, l'Allemagne,
l'Angleterre et puis plus recemment le Korea sont parvenus a presque
cent pourcent d'alphabetisme. D'autres pays comme 1'Australie,
l'Autriche, le Canada, la Nouvelle-Zelande et les Etats-Unis ont
atteint un pourcentage assez eleve d'alphabetisme. Un niveau eleve
Progress of Literacy in Various Countries (Paris: UNESCO,1953), 10.
4
d'alphabetisme comme tel, a contribue tenement au dgveloppement
de ces pays. De Tautre cote, le probleme de Talphabe'tisme peu
eleve en Afrique generalement et en Afrique noire en particulier,
n'a pas ete resolu ou supprime a cause de Texplosion de la popula
tion, des ressources economiques pauvres. 1'instability politique
ou la guerre civile, une pauvre organisation et direction aussi
bien que des desastres naturels comme la famine qui est, 5 l'heure
actuelle, un probleme accablant dans quelques parties de 1'Afrique;
ce qui fait que beaucoup de ces gens doivent quitter leurs maisons
pour s'abriter dans des camps des refugies ou des amenagements
d'ecole sont presque nonexistants.
Done, 1'analphabetisme est un des myriades problemes qui
ont mi lite contre le developpement de TAfrique. Done, un projet
de recherche comme celui-ci, qui met au point les problems sociaux
qui se posent en Afrique noire est d'une grande signification.
Cette etude est divisee en quatre chapitres. Dans les
chapitres deux et trois, on va examiner la vie et les accomplisse-
ments litteraires des deux ecrivains de VAfrique noire—Sembene
Ousmane et Ferdinand Oyono respectivement. Ces deux chapitres
visent aussi a mettre en lumiere les fonds biographiques differents
des deux ecrivains et le milieu socio-culturel qui n'ont pas
seulement influence leurs travaux litteraires mais ont aussi forme
le cadre de leurs romans.
Le quatrieme et dernier chapitre est une analyse comparee
de la maniere dont les deux auteurs, par la voie de leurs oeuvres
litteraires, refletent les jumeaux problemes sociaux qui sont la
polygamie et 1 'analphabe'tisme, dans leurs societes respectives.
L'etude s'acheve avec une breve conclusion. Cette con
clusion va essayer de montrer jusqu'a quel point nos deux auteurs
ont eu du succes a mettre en vedette les deux problemes de la
polygamie et de 1'analphabetisme en Afrique noire particuliere-
ment; et aussi jusqu'a quel point ces problemes sociaux ont eu de
I1impact sur le developpement de ces deux pays. Cette conclusion
maintient aussi que, bien que 1'Afrique noire ait un niveau d'alpha-
betisme qui soit peu eleve quand on compare eel a a quelques pays
asiatiques et euro-americains, le probleme pose par 1'analpha
betisme est d'une dimension globale et non pas limit! a 1'Afrique.
Done, 1'exposition de Sembene Ousmane et Ferdinand Oyono n'est pas
pour rire a propos des problemes mais pour mettre en lumiere la
gravite de la situation et, par la suite, le besoin pour une solution
significative.
CHAPITRE II
SEMBENE OUSMANE: FONDS HISTORIQUES ET
ACCOMPLISSEMENTS LITTERAIRES
Sembene Ousmane est ne en 1923 dans une famille des
pecheurs wolofs a Ziguinchor, dans le province de Casamance au
Senegal. Sa vie aventureuse donne le ton a 1roeuvre deja
abondante de ce romancier vigoureux. II est un homme de
multiples talents et interets et il a travail le acharnement la
plupart de sa vie pour pouvoir poursuivre ses interets createurs.
Presque tout le temps, c'etaient des travaux bas qu'il trouvait.
Ce sont ces travaux multiples qui l'ont decide a developper et
maintenir ses interets createurs.
Autodidacte, mobilise pendant les quatre ans de la
derniere guerre mondiale, il a fait dix metiers, dont ceux de
pecheur, de docker a Marseille (d'ou Le Docker noir), de ceramiste
et enfin de cineaste. Dans ses ecrits d'abord et ses films plus
tard, c'est aux miserables, ceux qui ont eu moins de succes dans
la vie que lui, qu'il s'interesse.
Sembene Ousmane s'est eduque tout seul pour la plupart
et il est devenu ecrivain et cineaste bien renomme, grace a ses
propres efforts et determination. Ses ecrits et ses films ont
Jacques Nantet, Panorama de la litterature "oid'expression francaise (Paris: Editions Fayard, 19/2),
le plus souvent demontre le peuple du Senegal qui ont eu moins
de succes que lui malgre leurs efforts. Parmi ces gens dont on
parle ici figurent les pauvres, les illettres et les exploites.
Bien que ses ecrits soient des productions de l'ere coloniale,
Sembene Ousmane accepte le fait que cette exploitation des masses
n'etait pas seulement une question du colonise (dans ce cas les
Africains) contre le colonisateur (dans ce cas les Europeens) mais
aussi celle de l'Africain aliene contre VAfricain authentiquement
africain. II est aussi d'accord que les injustices sociales ont
continue des annees apres que la France avait donne son independance
au Senegal.2 Parmi les Africains qui ont oublie leurs traditions
africaines pour devenir des blancs en peau noire, il y en a qui
sont encore pi res que les blancs qu'ils ne cessent d1accuser pour
tous leurs malheurs.
Sembene Ousmane est un ecrivain engage. II suffit
d'examiner quelques-un de ses oeuvres pour realiser qu'il est un
critique social infatigable. II est toujours a critiquer les
institutions politiques au Senegal apres Tindependance de ce pays.
Pour cette raison, le gouvernement du Senegal se sent tres gene et
par la suite, Sembene Ousmane n'est pas populaire dans certains
quartiers, mais cela n'empeche qu'il soit un homme de principe qui
n'a peur de personne. Par exemple, quand il est alle en visite
aux Etats-Unis en 1971, et qu'un reporter pour le journal de "The
New Yorker" l'a accoste pour une interview sur la vie a Dakar, la
2Sembene Ousmane, Tribal Scars (Washington, D.C.: Inscape,1975), vii.
8
capitale du Senegal, voila ce qu'il avait a dire:
Dakar paratt prospere . . . mais au-dessus des
apparences, les gens sont actuellement plus pauvres qu'ilsne le sont avant 1'independance.^ Pendant 1'ere coloniale,par exemple, tous les services medicaux etaient gratuits
at executes sur-le-champ. Maintenant, les gens doivent
attendre a jamais pour avoir ces services, et il y a^peude medicaments disponibles au grand public. Notre desirpour moderniser n'est pas realistique car nous finirons
par avoir un systeme capitaliste qui ne produit que tres
peu. II y a un programme de logement qui a^rendu un petitgroupe riche et il y a des industries dirigees par lesFransais—qui embauchent un petit nombre des African'ns.
Mais les banques, les industries, les marches de vente en
gros sont toujours control is par les Frangais qui nepaient pas d'impots parce qu'ils fournissent le travailet de plus, ils sont permis de prendre leurs profits horsdu pays. J'ai constate que quand des nations riches comme
La France, La Grande Bretagne, Les Etats-Unis.^Le Japon
et L'Allemagne aident des nations en voie du developpement,
ils en tirent plus de profits qu'ils n'y donnent en aide.-3
Plusieurs de ses romans resultent directement de ses experiences
personnelles. Ce sont, dans la plupart, des experiences vecues.
Son premier roman par exemple, Le Docker noir, etait base sur
ses experiences personnelles de stevedore. II l'a ecrit a la
suite d'un accident du travail ou il a soutenu une fracture de la
colonne vertebrale qui lui vaut une longue immobilisation. Les
bouts de bois de Dieu est base sur ses experiences en tant que
chef du travail. II a voyage ensuite a travers 1'Europe et
sejourne en U.R.S.S. ou il apprend le cinema aupres du vieux
Donskoi. Sembene Ousmane est marie et son mariage est beni de
deux enfants. II faut signaler ici que la critique d'Ousmane des
Africains comme sa critique des Europeens se trouve partout.
3Ibid., viii.
9
C'est probablement en tant que cineaste, pourtant, que
Sembene Ousmane est plus connu et en Afrique et en Occident
pendant les temps recents. On connaft de lui plusieurs films de
grande valeur, tels Borrom Sarret, Niaye, La noire de . . ., et
le Mandat, tire d'un de ses romans--juste pour mentionner quelques-
uns. II en a fait une demi-douzaine. II s'est decide a se lancer
dans cette voie apres s'etre rendu compte que le nombre des Africains
qui peuvent lire et ecrire ses contes et ses romans est tres petit.
II a pris cette decision pour avoir plus d'auditeurs puisque plus
les gens s'en renseignent sur ses ecrits revelateurs ou bien ses
idles constructives, plus il y aurait de la chance pour une revolu
tion vers une amelioration pour le peuple en particulier et pour
le pays en general.
Sembene Ousmane a souvent marche seul, recevant peu de
reconnaissance pour ses oeuvres. II a marche et il marche toujours
sur ce sentier desert parce qu'il a le plus souvent ecrit sur des
choses que beaucoup de gens auraient prefere laisser dans l'oubli.
Etant donne que Sembene Ousmane est ne dans un pays presque
Islamique, et qu'il y a grandi et y a eu des experiences inoubli-
ables a cause de la vie mouvementee qu'il y a vecue, il est necessaire
d'elaborer un peu sur le pays et son peuple.
Le Senegal se trouve en Afrique occidentale. II partage un
frontier au nord avec la Mauritanie, au sud-est avec La Guinee, au
nord-est avec la Haute Volta et au Sud-Ouest avec 1'Ocean Atlantique.
41bid., viii-x.
10
Cette continuite est d'abord sensible dans les ethnies.
Sur les 3,200,000 habitants du Senegal se trouvent 450,000
Toucouleurs (au nord-est d'ailleurs), 250,000 Peuls repartisun peu partout et meme environ 50,000 Maures. A eux
s'ajoutent 200,000 Mandigues ou Malinkes, parmi lesquelles
des Sarakolles, cousins de ceux de Mauritanie. Le gros dupays est cependant fait de 1,150,000 Wolofs dont la plupart
sont musulmans et localises au nord-ouest, 500,000 Sereres
(egalement musulmans), sans parler des 200,000 Diolas etFloups, au Sud, en Casamance, des Lebous et des Nones tout
le long de la cote .... En tout, du point de vue religieux,
5 pour 100 de Chretiens, 16 pour 100 d'animistes et 79
pour 100 de musulmans!5
Done, le Senegal s'affirme au niveau religieux. Mais il faut
constater que 1'Islam a sa tonalite particulier au Senegal.
Ahmadou Bamba etait le fondateur de la confrerie senegalaise.
C'etait lui qui 1'avait introduit et en meme temps implante au
Senegal au debut du XXe siecle. Renoncer totalement aux choses
de ce monde etait Tune des bases de sa morale et en faisant cela,
Ahmadou Bamba a soutenu une foi inebranlable en Tissue de combat
interieur que mene le mystique. II maintenait que seul le
desinteressement total peut conduire le mouride a la contemplation.
"Sois, a-t-il dit au mouride, comme le petit ane qui ne
mangera pas la charge qu'il porte car le vrai bonheur consiste dans
Toubli de Texistence."6 II faut que Tadepte degage done son
ame de toutes preoccupations materielles parce que e'est seulement
a cette condition qu'il pourra etre en union avec Dieu et par la
suite recevoir sa grace lumineuse. La femme Mouride, surtout celle
du marabout a conserve Tusage du voile que le pagne wolof peut
remplacer. Toujours quand elle sort, elle a la tete toujours
^Tidiane Sy Cheik, La Confrerie senegalaise des Mourides(Paris: Ed. Presence Africaine, 1965), 4b. \
6Ibid., 49.
11
entouree de ce pagne et ses traits peuvent etre distingues a
peine. Ce souci de puritanisme est beaucoup plus prononce chez
les filles d'Ahmadou Bamba qui ont adopte en plus la robe longue
a manches longues pour tout cacher--meme les bras. Neanmoins, on
ne decouvre pas la meme attitude chez les filles des marabouts
qui semblent etre plus liberees dans leur comportement. Elles
semblent etre enclinees a montrer leur jeunesse et la beaute de
leurs traits. Elles ne se donnent pas la peine de faire aucun
travail menager et pour cette raison, elles s'attirent des
critiques nombreuses des gens de Vexterieur qui sont habitues a
voir la femme africaine travailler, quelie que soit sa position
sociale.
On voit deja que tout cela est inextricablement lie a
l'histoire meme du Senegal. Faisons attention en ce qui concerne
particulierement la situation de la femme. La polygamie continue
a faire du progres. Ce progres avec 1'elevation du niveau social
des chefs de menage s'explique par le fait que la polygamie est une
condition sociale acceptee par presque la totalite des couches
sociales. La population chretienne n'est pas consideree. La poly
gamie est plus frequente chez ceux qui ont les moyens economiques
les plus importants.
L'examen du taux de polygamie, comme du nombre demenages ouverts aux etrangers, montre que tout semblese passer comme si parmi les populations africainesurbaines, ces traditions s'attenuaient au niveau descouches les plus modestes qui sont souvent, en fait,
7Ibid., 48-55.
12
les plus liees aux coutumes, mais o,ui etaient reprises,
actualisees par les categories superieures qui sont, a
priori, les plus acculturees, les plus transformers parla vie moderne. Cette constatation prouve que les traditions sont tenaces et reapparaissent de"s que des conditions
favorables le permettent, celles-ci e"tant essentiellement
d'ordre economique.^
Pour completer ce tableau du SSnggal, il faut mentionner
que c'est au Senegal oD on compte aux environs de treize langues
vernaculaires dont seulement trois d'importance, que la franco-
phonie a fait ses premieres armes en terre d'Afrique noire, propre-
g
ment dite.
Les oeuvres de Sembene Ousmane montrent tant de varie"tes.
A travers ses ecrits, il demontre des experiences africaines et il
fait comprendre la vie des Africains depuis le temps avant l'arrivee
des colonisateurs jusqu'a la frustration de la periode apres
1'independance du pays. Sembene Ousmane est l'auteur d'un bon nombre
de livres et de nouvelles et chacune de ses oeuvres essaie
d'enseigner quelque chose a la societe ou d'y corriger quelque
chose. Les personnages du romancier sont des revoltes, des parti
sans, parfois des heros, mais ils restent toujours comme Sembene
Ousmane lui-meme, fort respectueux de la tradition islamique.
0 pays, mon beau peuple! fut ecrit alors qu1Ousmane etait encore
docker et plein de nostalgie. Un travailleur noir, Oumar Faye,
revient de La France apres huit ans d'absence, accompagne d'une
8Massata N'Diaye, Aspects sociaux africains (Paris: Nefde Paris, 1960), 96.
9Nantet, Panorama de la litterature noire, 34.
13
femme blanche. Quel accueil Tattendait chez lui? Quel accueil
allait-il recevoir de son pere qui etait Timam de la mosquee et
que tout le monde venerait non seulement a cause de ce titre mais
egalement pour son age. Beaucoup sont ceux qui quittent leur
pays natal pour chercher de Tor, c'est-a-dire de 1'education
chez les blancs. Us partent avec tant d'espoirs et pleins de
vivacite. Arrives la-bas, Vair de la chanson change. Ces gens
commencent a se sentir seuls et loin de chez eux car la vie est
difficile et il n'y a personne pour leur soulager cette solitude.
En plus, ils sont sans sou et sans moyen de survivre. II faut
done travailler sans cesse en faisant des travaux bas par-ci
par-la. On peut aussi travailler sur les docks ou bien chomer
toute la journee en errant le long de la rue comme un vagabond.
Dans cette situation miserable, quelques-uns n'ont meme plus
1'argent pour payer leur retour au pays natal. Ceci montre que
la plupart du temps, la terre promise dont on entend beaucoup
parler presque tout le temps, n'est que cela en reve. En
realite, e'est tout autre chose mais beaucoup de gens s'en
rendent compte quand il est deja trop tard. Les bouts de bois de
Dieu evoque les penibles conditions dans lesquelles etaient
installes, en 1947 et 1948, le chemin de fer au Senegal. La
revolte des ouvriers et des sabotages est decrite dans cette
vaste atmosphere patriotique et revolutionnaire. L'Harmattan est
d'une tonalite plus grave, qui tente de dresser un panorama en
plusieurs tomes. Le premier est sorti avec le sous-titre de
Referendum, et se rapporte aux evenements qui ont immediatement
14
precede l'independance du Senegal. Vehi-Ciosane est une etrange
histoire qui se passe dans le niaye. Le niaye est une sorte de
savane en bordure de la mer. Suivons un peii la description du
niaye par 1'auteur:
Le niaye est au singulier en wolof. Les colonialistes
Vecrivaient au pluriel. II n'est ni savane,^ni delta,^
ni steppe, ni brousse, ni foret: Une zone tres singuliere
qui borde 1'ocean Atlantique dans sa sphere occidentale,
et qui s'etend de Yoff a Ndar, et au-dela . . . d^ou^
surgissent des hameaux, des agglomerations aussi ephemeres
que les gouttes d'eau recueillies sur des cils. Des Pikine,
ce fameux champ de bataille que ressuscitent de temps en
temps les griots, surgit le niaye, vaste etendue sans fin
avec ses molles col lines revetues selon les saisons detoute une gamme de vegetation: herbes courtes d'un vert
bouteille nees d'une saison: le navet (saison des pluies);baobabs nains massifs aux fruits d'un^gotit savoureux: lelalo, feuilles de baobab sechees, pi lees, tamisees qui,assaisonnees au couscous, donnent a cette aliment sa saveur,
le rendent leger au palais; oasis de cocotiers; palmierspoussant a-la-va-ou-je-veux, elances, aux longues palmesmal nattees, folles, roniers solitaires d'une rigueurascetique, rudes de maintien, defilant la votite de leur^long fut, coiffes de feuilles en eventail, se mesurant a1'horizon du jour naissant comme a celui du jour finissant;vergers d'acajoutiers touffus, aux branches tombantes en
forme de case de pulard, peuples de cruelles fourmis,neres, cades, autres arbres aux noms inconnus de moi,etalaient--selon la saison—leurs branchages aux ombres
genereuses, ou, fatigues, venaient se reposer les oiseaux
minuscules du niaye . . . .*"
Un inceste a ete commis. Quel scandale au sein d'une famille noble.
La fille dont le pere a abuse s'enfuit. Le lendemain, apres tous
les preparatifs, le bebe sur les bras, elle reprit sa route. L'idee
d'abandonner Vehi-Ciosane la gagnait .... Le bebe vagissait
sur ses bras. Elle le laissa pleurer. Les pleurs s'entendaient,
couvraient 1'etendue de la mer. Dans sa tete, tels des grelots a
10Sembene Ousmane, Vehi-Ciosane (Paris: Ed. PresenceAfricaine, 1969), 19-22.
15
l'aube, se repercutaient les cris du nourrison. Je n'ai pu
resister a la tentation de relever cet extrait pour la simple
raison qu'il est une description exceptionnelle, tres lucide et
bien engageante--ce qui montre 1'ingenuite de cette auteur qui
decrit des plus petits details avec tant de dexterite et de clarte.
Voltai'que est un recueil de douze nouvelles. II tire son
titre d'une legende, selon laquelle les cicatrices que certains
noirs africains portent encore aujourd'hui etaient une precaution
prise au temps de la traite. Comme cela, les negriers refusaient
alors d'acheter les noirs ainsi marques. Done, e'est une attaque,
lancee contre la vente et 1'achat des esclaves. Un des contes,
Devant Thistoire, saisit au vif des couples, des families, qui,
dans une petite ville, entrent au cinema. En regardant de plus
pres, on verra qu'Ousmane lance ici une attaque brutale contre les
Africains qui ne sont plus Africains mais qui sont des copies,
des imitations des blancs bien qu'ils aient la peau noire. Dans
Lettres de France, il y a une autre variation sur 1'incompatibility
de 1'attitude de certains Africains envers le mariage. Sembene
Ousmane satirise le mariage par procuration. Une jeune fille aux
environs de vingt ans est envoyee a un homme qui avait presque
12quatre fois son age, comme epouse. II avait soixante-treize ans.
L'avis de la jeune fille n'est pas necessaire pour cette union.
Done, elle n'est pas consul tee. Elle n1avait qu'a obeir aux
UIbid., 106.
12Voltarque, 73.
16
ordres de son pere qui avait fait tous les preparatifs necessaires
en collaboration avec 1'homme concern! et ses proches. Toujours
sur 1' institution du manage, Ousmane satirise encore 1'attitude
des musulmans envers le divorce dans"5ouleymane. "
II attaque aussi la polygamie dans "Ses trois jours" o^l
il nous peint 1'image d'une femme musulmane, negligee par son mari
qui ne l'aimait plus aussi ardemment qu'il aimait ses autres femmes.
Pour mettre un peu d'humeur dans les choses serieuses,
Ousmane fait le conte d'Un amour de La "Rue Sablonneuse." Gotitons
un peu de cette description vive qui est caracteristique chez Sembene
Ousmane.
Dans la rue sablonneuse, demeurait la demoiselle Kine,
fille de premier lit de la deuxieme epouse d'El-Hadj-Mar.
De tous les coins de la ville, on parlait de sa beaute.
Lorsqu'elle revenait du marche, sa calebasse sur la tete
legerement inclinee, le cou gracile, un soupcon ploye, la
ligne de l'epaule degagee de l'encolure large de son boubou
en mousseline, la peau veloutee, lisse, la structure par-
faite de sa demarche, les habitants—surtout les hommes--
la taquinaient, elle souriait et ses dents, de petites
dents serrees et blanches, bien plantees, apparaissaient.16
Le Mandat montre clairement la versatilite de Sembene
Ousmane et sa capacite de donner de la forme a plusieurs des
experiences crues de sa vie pour les transformer en realites
artistiques. Done, avec son dernier livre, Le Mandat, notre
auteur revient sur plusieurs themes. Des themes lancinants en
13Ibid., 139.
14Ibid., 43.
15Ibid., 15.
15Ibid., 20.
Nantet, Panorama de la litterature noire, 42.
17
Afrique, des rapports entre la brousse et la vilie, le chomage,
le vie en communaute, la question de la religion, 1 'analphabetisme
et finalement le theme des Africains qui ont perdu toutes leurs
valeurs africaines pour se revetir des valeurs europeennes et
devenir par la suite des alienes parmi leur propre peuple. Dans
Le Mandat, il s'agit essentiellement d'lbrahima Dieng, chef de
famille, chomeur, pauvre et consider!, qui regoit un providentiel
mandat de Paris. II essaie d'en toucher le montant . . .; d'espoir
fou en ameres disillusions commencent alors ses tribulations. La
grande habilete de Sembene Ousmane a consiste, dans ce recit, a
reconstituer un monde a partir du plus modeste des evenements, Ce
monde, c'est le petit peuple africain des villes, a la frontiere
ambigue de I1Afrique traditionnelle, et de l'autre, celle de
1'administration, de la bureaucratie, de la police et ainsi de
suite. Sembene qui connaTt au plus pres cette situation de pauvrete
et cette ambiguite en evoque admirablement la presence et la parole,
le mouvement et la couleur, le cynisme et 1'innocence; lucide et
bienveillant, c'est la vie quotidienne du peuple africain urbain
d'aujourd'hui--ce peuple encore demuni et toujours decu—qu'il
donne authentiquement a voir et a comprendre.
Avant de terminer, je voudrais ajouter que Sembene Ousmane
connaTt bien le folklore traditionneliement africain—qui se dit
litterature orale. L'art theatral s'articule de la sorte directe-
ment, en Afrique noire, sur le recit. II existe chez les Toucouleurs
18Le Mandat, 192.
18
et les Wolofs de veritables troupes de griots qui se livrent,
sur commande, I Teloge academique d'une famille ou d'une person-
nalite. Quant au theatre noir d'expression francaise, il est
probablement ne au Senegal, a l'ecole William-Ponty vers 1933,
lorsque les eleves y representerent les premieres pieces composees
19par des Africains.
19Nantet, Panorama de la litterature noire, 34.
CHAPITRE III
UN APERC.U SUR L'ECRIVAIN FERDINAND OYONO ET SA
CONCEPTION DE L1ENGAGEMENT DANS QUELQUES-
UNES DE SES OEUVRES
Ferdinand Oyono, un ecrivain camerounais, etait ne au
fond d'une province eloignee, a Ngoulmakong, pres d'Ebolowa, au
sud Cameroun, le 14 septembre 1929. De la tribu bantou, "il a
ete marque par les troubles que provoquent parfois les conver
sions."1 IT est bientot dechire entre sa mere, catholique et
son pere, un personnage important et traditionaliste. II est
eleve avec sa soeur par leur mere qui etait une couturiere
ambulante et qui avait fui le domicile conjugal apres que son
mari, pourtant baptise, est devenu polygame. Sa soeur travaille
a la mission tandis que Ferdinand Oyono y entre comme enfant de
choeur et de temps a autre, comme "boy" aussi. Entre chez les
missionnaires, il apprend le frangais et le latin, grace aux
efforts d'un pretre, le pere Gilbert. Lorsqu'il est rec.u a son
C. E. P., son pere, flatte, se souvient de lui et Venvoie d'abord
au lycee de Yaounde, et puis en France, au lycee de Provins ou
il obtiendra son baccaiaureat. Plus tard, il suit, a Paris, les
Jacques Nantet, Panorama de la litterature noire d'expres-sion frangaise (Paris: Editions Fayard, iy72), 13b.
19
20
cours de 1'Ecole Nationale d'Administration et ensuite ceux de la
Faculte de Droit ou il prepare le metier d'avocat.
Ferdinand Oyono devient un moment comedien amateur, tout
en s'interessant a la litterature. (II a lu pas mal de Maupassant,
Zola, Balzac et Caldwell entre autres.) II s'est fait applaudir au
theatre dans une piece de Louis Sapin Papa Bon Dieu. II a
commence la redaction de son premier roman, Une Vie de Boy et
mime de son second, Le vieux negre et la medaille quand il etait
au lycee de Provins, a Paris. Les deux romans etaient publies en
1956. Notons alors que Ferdinand Oyono a commence sa propre
education tout seul et que 1'aide de son pere est venu plus tard
apres que Ferdinand a prouve qu'il pouvait tenir bon dans le
domaine de 1'education.
Revenu au Cameroun, Oyono y dirige un bureau d1etudes et
fait de la politique. II est d'abord delegue par son pays aupres
de I'O. N. U., et ensuite, il est envoye, comme ministre plenipo-
tentiaire a Bruxelles.4 Actuellement a Paris, il semble qu'il
n'ait plus rien ecrit depuis 1960, mais eel a n'empeche qu'il
soit un remarquable conteur, avec un humour rarement egale dans
2Francis Fouet et Regine Renaudeau, Litterature africaine(Abidjan: Les Nouvelles Editions Africaines, 1976), 386-38/.
3Ibid.
4Nantet, Panorama de la litterature, 136.
5Renaudeau, Litterature africaine, 387.
21
le roman negro-africain. II dresse de la societe coloniale et
des colonises un tableau impitoyable ou la finesse de 1'observa
tion s'allie au realisme le plus cru.
Une etude d'un ecrivain ne sera pas complete sans un
apercu du milieu ou il s'est forme. Ce milieu a toujours une
tres grande influence sur Vecrivain. C'est en reconnaissant
ce fait que 1'auteur va essayer de donner une breve histoire du
Cameroun pour bien aider le lecteur a bien situer et comprendre
notre ecrivain et ses ecrits.
Le Cameroun se situe, elle aussi, en Afrique occidentale.
II partage une frontiere au nord avec le Tchad, au nord-est avec
le Centre afrique, au sud-est avec le Congo Brazzaville et le
Gabon, au sud-ouest par le Nigeria et au sud par 1'Ocean Atlantique.
Le vaste Cameroun est de 500.000 kilometres carres et il est fort
peuple d'environ cinq millions d'habitants. Le Cameroun est un
kaleidoscope de peuples divers. Nous avons les arabes metisses,
les Peuls et les Haoussas au nord, les Banums, les Foulbes et
Mbams au centre, les Mbos et les Bamilekes au sud. Le tout est
complique par les structures des tribus—celle des Bassas, notam-
ment—a quoi il faut ajouter la confusion des dialectes. Parmi
celles-ci, figurent le bulu, la bete, le douala et l'ewondo. Le
Cameroun recoit son unite de la langue la plus re"pandue—le swahili
II faut reconnattre aussi que le swahili est la langue des Bantous.
Les villes principales du Cameroun depuis Kribi sur la cOte,
Douala, Yaounde—la capitale, Mbang, Bertoua, jusqu'a Garoua et
6Ibid., 230.
22
Maroua au nord, appartiennent, de meme, au niveau de la civilisa
tion, aii monde bantou.
Le Cameroun a, bien entendu, ete influence par la colonisa
tion. Les Portugais etaient les premiers Europeens qui sont
arrives pres du Cameroun en 1472. L'Angleterre, La France et
1'Allemagne avaient aussi leurs yeux rives sur ce pays qui etait
economiquement viable et en esclaves et aux ressources naturelles.
Voyons un peu ce que LeVine a a dire a ce point a propos du sujet:
... Although the scramble discreetly continued,
England between 1807 and 1884 was progressing in her
efforts to occupy the Cameroons coast. Thus in 1827,England, now possessing the most influential power along
the Cameroons coast and recognizing a very profitabletrade in the natural resources of the coast, began takingsteps to suppress slavery in the Cameroons by first
urging prominent African chiefs to sign a treaty whichwould inhibit the growth of the slave trade and graduallyreplace it by the trade in ivory and palm oil.°
Mais, l'Allemagne a fini par occuper le Cameroun officiellement le
14 juillet 1884. Quelques annees plus tard, pendant l'ete de 1914,
1'Angleterre et la France ont lancee une offensive contre Tarmee
tres puissante de l'Allemagne. Elles etaient aidees dans ce
combat par des soldats nigeriens. L'Allemagne a subi une defaite
ecrasante sous ce poids des trois armees unies. Par la suite, la
France et VAngleterre ont decide de partager ce pays qui est le
Cameroun, le 4 mars 1916. Par ce partage, la France a eu le cote
ouest tandis que VAngleterre a pris le cote est. C'etait done
7Nantet, Panorama de la litterature, 113,
8Victor T. LeVine, The Cameroons from Mandate to Independence(Berkeley: University of California Press, 1964), 16.
9Ibid.
23
comme un jeu de football. Les Camerounais n'avaient rien a dire
IS-dessus. Us n'etaient que des objets du jeu. Alors, c'etait
d'abord les Portugal's, puis les Anglais, puis l'Allemagne et une
fois de plus l'Angleterre mais cette fois-ci, en collaboration
avec la France. Partager un pays comme si c'Stait du pain! Mais,
c'est un problSme que les Camerounais avaient a supporter.
Pourtant, le Cameroun n'est devenu independant qu'en Janvier de
I960.10
Dans le domaine religieux, les Camerounais sont et des
Chretiens et des musulmans mais le culte des ancetres est en
quelque sorte un des corollaires de la hierarchie sociale. Si
les Bami lake's re"ve"rent les ancitres, c'est justement parce que,
pour eux, les morts sont supeVieurs aux vivants. Les morts
continuent non seulement I participer 5 la vie sociale, mais ce
sont eux qui rlglent la conduite des vivants. Ce sont eux qui
rendent possible la ficondation des femmes et qui font pousser les
semailles. Us commandent au soleil et a la pluie. Toute conduite
contraire a" leur volonte" peut faire abattre sur la communauti des
fle"aux et des calamite"s de toutes sortes.
VoiU done les donnles historiques sous lesquelles nous
allons maintenant regarder de plus pres les oeuvres de Ferdinand
Oyono.
10Ibid., 83.
UEnok Katte Kwayeb, Institutions de droit public du paysbamileke (Paris: Durand-Auzias, 1960), 9b.
24
Cet homme, Ferdinand Oyono, aux activites si diverses, aux
multiples talents et d'une grande culture generale, est un excellent
ecrivain. II a debute avec Une Vie de boy qui est un journal
intime d'un jeune domestique qui a pris la fuite. Place, vers
1948-1950, a la veille de 1'independance, aupres des Blancs a
Dangan, Toundi, le petit noir dont les sens s1eveillent, contemple
sans amertume ni illusion, la societe qui l'entoure. Cette
societe consiste des chefs traditionnels, du commissaire de police
et sa mattresse, d'une belle mulStresse, et le couple qu'il sert:
12un commandant et sa blonde epouse. Dans cette position de
"boy", il se rend compte petit a petit de l'hypocrisie du systeme
colonial. Sophie, une jeune Africaine qui etait la "cuisinSre-
boy"—en realite la mattresse—de Magnol, s'est enfuie en empor-
tant les 150.000 francs de la paie des manoeuvres. Elle est allee
en Guinee espagnole. Cette fuite de sa part allait declencher
tout un tas de problemes pour Toundi qui, a partir de ce moment,
ne connaTt plus un moment de paix a cause de la jalousie folle du
commandant qui pensait que Toundi en savait plus sur la cachette de
Sophia et ne veut pas la devoiler. C'etait aussi une belle occa
sion pour la femme du commandant et son amant Gosier-d'Oiseau
de se debarrasser du boy Toundi qui en sait trop long sur leur
liaison! Accuse d'etre 1'amant de Sophie, done son complice,
12Nantet, Panorama de la litterature, 136.
25
13Toundi est arrete1 et incarceVe. En prison, Toundi est brutalisl
et se>ieusement blesse1. II a fallu qu'on Tenvoie a l'hopital
par la suite et la, Toundi rencontre une Africaine qui l'aide a
echapper a la Guinee espagnole lui aussi, mais c'est deja trop
tard pour lui parce que ses plaies sont tellement contaminees
qu'il en meurt.
Remarquons qu'il y a une ressemblance tres etroite de la
vie de Toundi, notre heros d'Une Vie de boy, et celle de Tauteur,
Ferdinand Oyono au cours de son enfance. Mais si Toundi reflete
quelques-un des sentiments eprouves par Oyono au cours de son
enfance, Le Vieux negre et la medaille met peut-etre en scene son
pere. C'est en effet l'histoire d'un Noir traditionaliste et poly-
game:
Une tristesse indefinissable plissa son front.^ II se^rememorait ce bon vieux temps ou il avait succede a son pere.II etait riche alors et on disait a Zourian 'etre richecomme Engamba.' En mourant, son pere lui avait laissedix jeunes femmes et sa propre mere. Kelara avait alorsdes seins gros comme des citrons. Engamba passait desjournees dans la case a palabres, ass is entre les jambesde Tune de ses femmes, en discutant des milles choses dontest faite la vie d'un polygame africain.^ C'etait une viefacile, oisive, ou il etait le grand beneficiaire de
1'emulation qui opposait ses femmes.14
Engamba est un bon negre, totalement aliene par la colonisation,
et que l'annonce d'une decoration transporte de joie. Oyono
decrit avec humeur tout ce qui precede la ceremonie, les apprehen
sions du recipiendaire et les remous au village. Ensuite,
13Renaudeau, Litterature africaine, 259.
14Ferdinand Oyono, Le Vieux negre et la medaille (Paris:Ed. Julliard, 1956), 119.
26
viennent les deceptions, les disillusions et Tamertume que les
rival ites provoquent.15 La couverture du Vieux nggre et la
medaiiie porte, a 1'intention du lecteur presse, ces quelques
indications:
Meka est un 'bon negre'; au cours d'une vie dejalongue, 11 a 'donne' ses deux fils a la France et sesterres a la mission. En recompense de ses bons^etloyaux services, les autorites franchises lui decernent,a 1'occasion du 14 juillet, une medaille. Meka est fieret joyeux. Tous ses proches et amis se mobilisent pourl'assister dans ces solennelles circonstances. Mais lafete s"achieve en catastrophe et Meka regagne son village,decu et peut-etre irrlmgdiablement meurtri.
Ce ne'est qu'une histoire, Thistoire humoristique et touchante
d'un vieux negre et d'une midaille. Mais on peut y voir aussi
16bien davantage.
Oyono donne en 1958 une courte nouvelle intitulee Un
leoreux sur une tombe et puis en 1960, 11 a produit un roman,
intitule Chemin d'Europe, Dans ce roman, nous avons un heros
qui place aussi mal son ambition que le pauvre negre et la
medaille. II s'agit d'un jeune Africain adolescent qui se sent
frustre dans son propre pays et qui s'est dit que la seule chose
qu'il pouvait faire pour devenir quelqu'un etait d'aller en Europe.
Done, tout jeune, 11 ne revait que d'une chose: aller en Europe.
II a eu bien des detours avant d'y parvenir. II etait d'abord
envoye au s'eminaire par son pere qui voulait faire de lui un bon
Chretien. Mais, on l'a bientot mis a la porte parce que les
dirigeants du seminaire pensaient qu'il ne s'etait pas bien conduit
15Nantet, Panorama de la litterature, 137.
16Edouard Eliet, Panorama de la littgrature nggro-africaine
(Paris: Presence Africaine, 196b), 14/.
27
au seminaire par le seul fait qu'il avait developpe une relation
amicale envers l'un des seminaristes. Une fois hors du seminaire,
il §tait tour I tour un employe" chez un marchand grec, et puis un
professeur pour une petite francaise. Chez le marchand grec,
Monsieur Kriminopoulos, Aki n'etait pas content de la position
qu'on lui a donnSe et apre"s avoir echoue dans sa tentation de
mettre son patron dans une situation de gene, il a quitte pour
devenir comme nous l'avons dit auparavant, professeur pour une
petite Francaise. La encore, Aki tombe amoreux de la mere de
son elSve et il a dti quitter son travail encore. C'est alors
qu'il a demande une bourse a son gouvernement pour aller en
Europe. Pendant qu'il attendait une reponse du gouvernement,
il a trouve encore d'emploi a 1'Hotel de France ou il est
degoute" des plusieurs problemes causes par la colonisation—
la prostitution en particulier. Et puis, tout a coup, la change
s'est pre"sente"e sous la forme d'une secte chretienne farfelue
qui s'appelait "La Renaissance spirituelle." Cette secte
chretienne offre le voyage a qui saura le mieux se livrer a une
confession publique. Ici, Aki voit immediatement sa chance vers
la realisation de son reve et il la saisit au vive.
Constatons que Ferdinand Oyono, bien qu'il n'ait ecrit
que trois romans jusqu'ici, est un ecrivain realiste qui sait
analyser avec un remarquable clarte le mecanisme impitoyable de
17Ferdinand Oyono, Chemin d'Europe (Paris: Ed. Julliard,1960), 195-196.
28
la colonisation qui Vaccule a la violence. II se montre ici
comme un des grand auteurs de notre epoque avec une noblesse et
generosite des idles, rythme, familiarite et meme grossierete
des propos. Tous ces elements disparates s'unissent avec un
bonheur exceptionnel, sans que jamais soit rompue Vunite de ton.
CHAPITRE IV
LA POLYGAMIE ET L'ANALPHABETISME MIS
EN VEDETTE PAR OUSMANE ET OYONO
.-».»• ■».
Nous avons deja etabli le fait que Sembene Ousmane et
Ferdinand Oyono sont des ecrivains engages. Chez Sembene Ousmane
. . . c'est moins 1'adhesion de 1'individu a la conscience
collective que la prise de conscience individuelle des
forces d'oppression politico-economique qui consiste le
veritable engagement du romancier. Ainsi, le heVosd1Ousmane est l'individu qui incarne Tideal du groupe
progressiste et qui reunit en lui les souffrances des
opprimes et des ouvriers.l
Chez Oyono, on est en presence de deux formes de reaction I la
dependance coloniale. Le heros d'Oyono est l'individu qui n'a pas
atteint ses buts.
Au fur et a mesure qu'il nous raconte^son histoire,
et a travers ses inflexions tonales, les evenements et
les faits racontes, nous percevons surtout un esprit
naTf, parfois pathetique et sans aucune derobade
intellectuelle. Par contraste, le heros d'Ousmane
presente une image differente: individu adulte,conscient de sa personnalite et desireux de s'affirmer
plus ouvertement.2
Nos deux auteurs ont ecrit sur de nombreux themes (1'auteur
a deja cite quelques-uns au chapitre trois), parmi lesquels nous
Sunday 0. Anozie, Sociologie du roman africain (Paris:Aubier-Montaigne, 1970), 19T7
2Ibid., 192.
29
30
ailons maintenant examiner la polygamie de plus pres dans quelques-
uns de leurs oeuvres. En ce faisant, nous allons essayer de voir
comment elle nuit au progres du peuple en encourageant l'analpha-
betisme. Dans "Ses Trois Jours" de Sembene Ousmane, nous voila dans
un menage polygame ou 1'homme a donne a ses femmes trois jours
chacune ou il restera avec elles. Au fur et a mesure que Ton
progresse, il faut suivre de plus pres, outre la pauvrete du peuple,
la souffrance physique et 1'agonie mentale qui est le sort de
presque toutes les femmes dans ce genre d1union.
Noumbe pensait a ses trois jours, trois jours a
elle seule, oti son mari Moustaphe serait a elle . . . .
II y avait longtemps qu'elle n'avait eu semblable trouble
. . . Avoir Moustaphe!^
Moustaphe avait deja trois femmes. Noumbe est sa troisieme mais il
vient de se procurer la quatrieme. C'est a savoir aussi a ce point
que Noumbe est tres malade. Elle a une maladie de coeur mais au
lieu de trouver des moyens de se soigner, elle s'acharne a la
preparation pour recevoir "son" mari car ce sont ses trois jours,
et si elle les rate on ne sait jamais quand elle les aura encore.
Les femmes font tout pour recevoir leur mari:
C'etait vrai, Noumbe s'etait refait les tresses, avaitpasse du henne a ses mains et a ses pieds. Et ce matin,de tres bonne heure, elle avait reveille les enfants pour
un nettoyage a fond de sa chambre. Elle n'etait pas agee,mais les maternites tres rapprochees—elle avait cinq
3Sembene Ousmane, "Ses trois jours," in VoltaTgue (Paris:Presence Africaine, 1962), 43. Toute autre reference a cetouvrage sera indiquee dans le texte par les lettres STJ et lespages entre parentheses.
31
enfants--et sa maladie du coeur, Tavaient prematurement
vieillie (STJ, 44).
On constate aussi la jalousie amere chez les epouses d'avoir
a partager leur epoux et de cette volonte acharnee de vouloir le
garder pour soi a jamais. A une question d'une de ses arnies qui est
venue en vis He, voila la reponse de Noumbe a ce propos:
— Noumbe, je vois que tu prepares a cuisiner un
plat rare . . .
— Oui, repondit-elle a la femme. Ce sont mes
trois jours. Je veux ressusciter les fastes d'antan;
faire que son gosier garde la saveur du plat, des
lunes et des lunes, et oublie la cuisine de ses
autres epouses.
— En effet! faire que son gosier sollicite lespreparations S venir, dit la^femme qui auscultait
les provisions avec curiosite (STJ, 45).
Sans sou, Noumbe est allee jusqu'a emprunter des aliments pour cette
preparation au marchand, disant qu'elle lui payera apres que son mari
sera de passage:
Va dire a LaTty, dit-elle a Tun de ses enfants,
de te donner cinq francs de sel et vingt francs
d'huile. Dis-lui que c'est moi qui^t'envoie. Jeles payerai des que ton pere sera la ce midi,dit-elle a 1'enfant (STJ, 44).
Noumbe "avait absorb! plus que la prescription medicale n'ordonnait"
(STJ, 43) a son medicament. Cet acte est definitivement au detriment
de sa sante mais comme nous l'avons constate auparavant, les femmes
d'un menage polygame font tout pour s'attirer les considerations et
1'amour de l'homme et pour les garder pour aussi longtemps que possible.
Done, Noumbe
32
devait retourner aujourd'hui encore, chez le medecin, mais
les sous qu'elle avait, elle les avait defense's pour
Moustaphe. Elle ne voulait pas que son mari la considere
moins que les autres co-epouses, la trouve plus radine.
Elle ne negligeait pas son devoir de mere mais celui
d'epouse passait avant . . . (STJ, 47).
Dans les propos qui viennent ci-apres, nous allons voir la torture
mentale que souffrent ces individus. Apres toutes les prepara
tions, Moustaphe n'est pas venu et
Noumbe, de guerre lasse, avait fini par abandonner sonposte de guet. Depuis midi, elle attendait, vetue d'unensemble de velours violet. Elle n'avait rien mange desolide et se consolait en pensant que de minute enminute, Moustaphe all ait apparaftre .... Ces minutes,bien que traversees parfois de doute, de crainte (souvent,tres souvent, 1'idee de sa disgrace prochaine envahissaitson esprit) ne 1'affligeaient pas outre mesure (STJ, 49).
Prochainement, elle a envoye un de ses enfants d'aller appeler son
pere.
Ou mere? a demand! 1'enfant car il ne savait pas outrouver son pere mais par gene et par orgueil pour qu'onne rie pas d'elle, elle s'entete.
Ou? fut sa reponse, . . . a la grande place ou chez
tes autres meres.
J'etais deja, mere, a la grande place deja. II n y
etait pas.Retourne . . . peut-etre quMl y est maintenant.
L'enfant leva les yeux sur sa mere, puis lui donna la
nuque.
Quand votre pere aura fini de manger, je vous
donnerai le reste, c'est de la viande. Fais vite
Mactar . . . (STJ, 51).
Remarquons ici que meme les enfants ne sont pas bien nourris. Pour
eux, manger de la viande est un privilege. On leur donne juste de
quoi remplir le ventre—ce qui n'est pas a plusieurs reprises
nourrisant. Toutes les bonnes choses sont gardees pour l'homme.
Voila pourquoi Noumbe a refuse de donner seulement un peu de viande
a ses propres enfants. La nuit, elle leur a prepare du riz:
33
Les enfants quemanderent vainement de la viande.Noumbe se montra severe, intransigeante^ JLa viandec'est pour votre pere. IT n'a pas mange a midi.' (STJ, 54)
C'est penibie a remarquer que ces enfants ne sont pas envoyes a
l'ecoie. Us sont la, toujours a obeir a leur mere au doigt et
a l'oeil. Ajoutons encore le fait qu'ils ne nourrissent pas comme
il faut a cause de la pauvrete de la famille mais par contraste,
cette me*me pauvrete n'empeche que le pere de la maison ait le
meilleur plat bien riche meme si c'etait prepare aux aliments
tout empruntes.au marchand.
Au debut, Noumbe prenait plus que la prescription medicale
de son sirop mais maintenant que cela risque de finir a 1'improviste,
elle economise en buvant moins qu'on lui a present et en y joignant
de la cendre:
Elle commenr.ait a ressentir la fatigue. Son coeur
la relancait. La toux eclatait dans sa poitrine. Commeun incendie, tout lui brulait en dedans. Sachant d'avanceque pendant 'ses trois jours', elle n'irait pas audispensaire, par economie, elle alia chercher de la cendreet en fit une melasse avec de l'eau qu'elle but. Cen'etait pas agreable, mais c'etait pour economiser lesirop et circonscrire le feu et 1'apaiser un instant
(STJ, 54).
Au matin, Moustaphe n'etait pas la. Les enfants reveilles
demanderent si leur pere etait venu. Us subirent la colere de leur
mere. Maintenant, elle laissait tomber la pluie de son venin sur
ces enfants, innocents joueurs dans cette comedie d'un menage
polygame. Leur petit dejeuner se cotnposait du riz rechauffe et
parcimonieusement arrose de la sauce du ragout de la veille a midi.
Puis elle leur rendit leur liberte.
34
Voila le deuxieme jour qu'elle faisait de longues heures
d'attente, de longues heures qui se durcissaient a mesure que la
journee s'allongeait. Maintenant, elle est obsedee.
L'obsession grandissait, son regard se faisait terne,
scrutateur. A chaque voix d'homme, elle se redressait
fibrilement (STJ, 56).
Vers le soir, la deuxieme epouse est venue rendre visite a Noumbe
qui "incorporait dans cette visite, dont elle ignorait la cause,
une jalousie de la part de l'autre." (STJ, 60) Par la presence
de sa co-epouse, elle venait de saisir entre les propos qu'elle
n'etait plus la favorite. Enfin, cette deuxieme journee se passa
comme la veille . . . plus effroyable. Elle n'a rien mange de
solide encore ... que pour tromper la faim. Le troisieme jour
commenca comme les autres: pas de Moustaphe. C'est alors que
Aida, la premiere epouse est venue faire ses consolations a Noumbe.
— Tu veux que j'aille te le chercher?
— Non. (STJ, 64)
Elle pensait 'ou1' mais elle a dit 'non1 par gene. Elle emprunta
mi lie francs a Aida pour preparer quelque chose encore:
Dans Tair endimanche de la maison flottait lasenteur agreable de sa preparation. Elle rebalayasa chambre, ferma la porte et les fenetres, entreles interstices des planches mal jointes s'enfuyaitla baume enivrant de Vencens.^ Ell^e acheya de fairesa cuisine, prit un bain, proceda a sa^toilette ....L'attente durait .... Face a 1'entree de lamaison elle voyait les maris des autres femmes
rentrer.
Pour elle, rien . . .
Sur la table, trois assiettes, une par jour,
s'alignaient (STJ, 67).
35
C'est une situation bien pitoyable ici d'une maison
polygame ou 1'homme est le beneficier, de tous les cotes, et, la
femme est celle qui souffre dans le silence de la souffrance
emotionnelle et parfois physique et meme eicononrique car la femme
ne travaille pas, done, elle depend du peu d1argent que le mari
lui fournira pour payer ses depenses journalieres mais puisque
ce peu d'argent que le Mari en chomage verse a chaque femme est
tres petit et par consequent ne suffira a rien, elle vit perpetu-
ellement d'emprunts. Ce ne sont pas les enfants qui sont
epargnes dans toute cette melee. En fait, ils souffrent le plus
parce que personne ne pense a les envoyer a l'ecole. Ce n'est
certainement pas le pere qui est trop occupe a faire le tour de
ses femmes et ce n'est pas la mere non plus qui s'acharne, a tout
moment, a surpasser les autres co-epouses dans la reception du
mari afin de rester tres en sa faveur. Done, les enfants dans
la maison polygame passent au dernier rang alors que le contraire
doit etre le cas. Ce sont les enfants qui mangent le reste de la
nourriture preparee pour leur pere. Us n'ont pas de nourriture
saine. Done, les enfants souffrent physiquement, psychologiquement
et emotionnellement.
Le fait qu'un homme est polygame ne veut pas dire qu'il
restera fidele a ses multiples femmes. II y en a qui sont
insatiables, meme polygames. Souleymane avait depasse Ventre-
deux-ages et "il etait un etre exemplaire, pieux, modeste . . .
36
d'apparence tout au moins. Un homme discret." Dans sa vie privee,
il etait une autre personne. IT avait deja trois epouses et il les
tyrannisait avec ses vices. Avec 1'age, il voulait se couronner en
prenait une quatrieme femme. "II en voulait une jeune. Une qui
aurait 1'age de sa fille afnee" (S, 140). Souleymane prend la
situation de pauvrete pitoyable des jeunes filles de son milieu a
son avantage:
Devant la mosquee etait la borne-fontaine: Lieu de
rencontre de toutes les meres et des jeunes filles
avaient des camisoles trouees, a 1'encolure, dechiree,
d'ou surgissait a 1'improviste, au moindre mouvement,
des seins durs et fermes comme des fruits verts, la
peau luisante badigeonnee de sueur; et les rires des
me'nageYes fusaient. Notre Souleymane restait aj'affut
comme un chasseur de marais, les paupieres pincees,
les yeux fendus, le bout de la langue en pointe entre
les levres. Comme un assoiffe, il passait la main a
son cou, se l'etirait, avalait sa salive. Son esprit
se meublait de la possession d'une de ces gazelles.
Ce spectacle de la chair fratche le rendait vis-|-vis
de ses vieilles et anciennes epouses, plus acariatre,
intolerant. II en resultait, qu'il leur rendait la
vie impossible. II les frappait frequemment. Et on
disait (les hommes):— Un homme comme Souleymane! . . . II n'y a pas son
pareil, si doux, si calme, si religieux, faut bien
que tu aies fait quelque chose (S, 139).
En outre les autres vices de la polygamie, nous venons de temoigner
les abus physiques qu'elle incarne et le pire es que "... la
nature muette de Souleymane plaidait en sa faveur" (S, 141) et meme
les gens tout autour ont 1'impression que ses femmes sont mauvaises.
Voila ce qu'ont dit quelques-uns:
4 *•Sembene Ousmane, "Souleymane," in VoltaTque (Paris:
Presence Africaine, 1962), 139. Toute autre reference a cet
ouvrage sera indiquee dans le texte par la lettre S et les pages
entre parentheses.
37
— Elles se sont coalisees pour lui rendre la vie
impossible, disait l'un.
— Je crois que c'est vrai! Un si bon homme. Jamais
un mot de plus, ni de^travers . . .
— II ne se plaint meme pas, ajoutait un troisieme (S, 141-142).
Souleymane apparaissait comme le martyr de la polygamie. On le
plaignait et le respectait d'avantage. "Lui, il ne disait rien.
. . . apres la derniere priere--il rendait des visites. C'etait
son pretexte" (S, 142). Parfois, il appelait une jeune fille et lui
demandait de balayer la cour de la mosquee. Les enfants inexperi-
mentes lui faisaient confiance; se disant qu'il avait l'age de leur
pere, ils ne faisaient pas attention a toutes ses manoeuvres. Seul
a seule, il tournait les globes de ses yeux et "se jetait sur une
.... Les filles n'osaient pas se plaindre. Qui les croirait?
Un homme si pieux! Un homme qui a trois epouses? Qui? ... Les
victimes devaient se taire ou se defendre" (S, 143).
Souleymane, en 1'espace d'un an, avait beaucoup change. On
aurait dit un chameau en chaleur. Pourtant, sa mise etait toujours
soignee, il etait plus poli que de coutume. On avait a palabrer sur
son compte et on est arrive a une decision:
— Ses epouses lui empoisonnent 1'existence. II faut
faire quelque chose, dit l'un.
— Nous devons lui trouver une quatrieme epouse.
— C'est ca! . . . lui en trouver une quatrieme qui
effacera toute la crasserie des autres (S, 143).
En fait, on lui a trouve une quatrieme qui n'avait que vingt-trois
ans. Constatons ici qu'en Afrique noire, les filles illettrees
sont envoyees chez leurs maris a un tres jeune age parce qu'elles
ne frequentent aucune ecole. Elles sont toujours a la maison avec
38
leurs meres. Les parents donnent ces filles, tres jeunes, a qui ils
veulent. Peu importe l'age du pretendant. Cette pratique est tres
repandue parmi des families analphabetiques. Une fille eduquee fait
son choix de man et n'entre pas, la plupart du temps, dans un
menage polygame.
Quand la fille designee pour Souleymane a demande a son
pere ce qu'elle all ait faire de ce vieux, voila ce que lui a repondu
son pere, pour mieux comprendre la mentalite meme de la generalite
du peuple:
Ce vieux! Mais ce vieux t'offre ce que les jeunes
gens n'ont pas. L'honneur, le rang, la reputation:deux taureaux pour ton mariage! mime ta mere n'a paseu autant (S, 146).
Souleymane avait affecte a chacune de ses epouses trois
jours de sa presence. Des nuits entieres, Yacine gardait les yeux
ouverts. Ne pouvant plus supporter cette solitude, elle a fini par
prendre un amant.
Dans une maison polygame, l'homme est le mattre absolu et
tous les membres de la famine doivent le respecter et obeir a ses
ordres. Voila pourquoi une femme, en consolant une autre qui vient
d'etre battue par son man, avait dit ces paroles:
C'est notre lot de femmes! Nous devons etrepatientes. Les hommes sont nos maftres, apre"s
Dieu (S, 141).
Encore, ses femmes doivent etre pretes I lui servir S tout moment
comme nous allons le temoigner dans Le Mandat de SembSne Ousmane.
39
Dieng venait de rentrer. Ses deux femmes mettent devant
lui du riz bien assaisonne avec du poisson sec et du niebe. II
avait mange a satiete, en se regalant. Magistralement, il emit
deux rots et dit Allahou ackbar .... Sous Teffet
d'une lourde digestion, il se traTna vers le nda ....
Mety (l'une de ses femmes) entra, deposa devant lui sur
la peau de mouton, un petit bol contenant des tranches
de papaye dorees, juteuses, nageant dans un soupcon d'eau
sucree .... A belles dents, il mordait dans la chair
tendre qui fondait dans sa bouche, d'ou le jus degoulinait.
— Apportez-moi quelque chose pour m'essuyer.
— Tout de suite, Dieng. Aram apporta un vieux chiffon
et prit place a ses cote's: Elle s'affairait I remettretout en ordre .... Avec peine, il se leva, s'allongeasur le lit en re"citant des versets:
— Mety, pardonne-moi, masse mes jambes. Qu'est-ce que
j'ai marche aujourd'hui. Mety, docilement, massait les
membres 1'un apr§s 1'autre jusqu'aux reins. Dieng ne
tarda pas a s'assoupir. Elle se retira sur les points
des pieds.5
Ceci est presque une adoration et 1'homme par la suite devient de
plus en plus oisif et paresseux.
C'est a constater, chez Oyono, que le peYe de Toundi e"tait
polygame auparavant mais apr§s avoir accepte la foi chre"tienne, il
a renonce a cette vie-ll pour opter pour une vie monogame mais cela
n'a pas dure parce qu'il est retombe" dans sa vie polygame car, en
fin de compte, c'est l'homme qui a tout a" gagner dans une vie poly
game. Pour le seul fait de redevenir polygame, sa femme l'a laisse"
pour aller s'installer, avec ses deux enfants, a" la mission.
La femme meme, n'aime pas cette vie polygame mais elle y
entre malgre elle et parfois I cause des exigeances de la socie"te".
5Sembene Ousmane, Le Mandat (Paris: Presence Africaine, 1966),117-118.
40
El 1e ne la questionne pas et si elle le fait, ce n'est pas ouvertement;
c'est dans son fort interieur. C'est pourquoi Noumbe s'interrogeait
sur ce point:
Pourquoi n'en serait-il pas ainsi toujours pour toutes les
femmes .... Avoir un mari a soi? Eile se le demandait.6
Noumbe ruminait sur Vhypocrisie de la rivalite et, elle
decouvrit que tout eel a
s'inserait dans un univers commun a toutes les^femmes.
Cette constatation ne l'amena pas plus loin, neanmoins
l'envie de sortir du cercle de la pol^gamie achemina sa
pensee—plutot egarement de sa part--a se poser la question:
Pourquoi acceptons-nous d'etre le jouet des hommes?'
Done, la vie polygame favorise la production des enfants
comme dans une usine, mais elle nuit a* 1'education et aux soins de
ces enfants car elle entrafne avec elle, la plupart du temps, la
pauvrete".
Quant I 1 'analphabe'tisme, c'est une autre force negative
qui s'est enracinee en Afrique noire. II y a certains qui disent
qu'il faut d'abord combattre la pauvrete et la faim en Afrique noire
avant d'entamer la question de 1 'analphabetisine. Mais on oublie que
c'est en produisant plus d'alphabetes que la situation pauvre se
disparattra petit S petit avec le progres en technologie. Comme l'a
dit Henri Bala Mbarga dans son livre, ProblSmes africains de
1'education,
L1 analphabe'tisme dont ont souffert nos ancetres doitreculer. Les nouvelles generations doivent lire et ecrire.D'ailleurs, un minimum de savoir est la condition essentielle
Ousmane, "Ses trois jours," 48.
7Ibid., 61.
41
du progres economique. L'irrigation, l'emploi des engrais,
la lutte contre les maladies des plantes et des animaux
domestiques, le traitement du cacao, du cafe, et de la
banane, du mil ou du riz sont des actions eminemment
savantes. Elles impliquent les conrunssances diverses
relatives a la nature du sol, a 1'espece de maladie
vegetale ou animale, aux doses du remede a appliquer.
L'agriculture moderne exige un ensemble de procedes et
d'operations qui ne geuvent s'acquerir que si l'on
sait lire et ecrire.^
Dans Le Mandat de Sembene Ousmane, nous allons voir comment
Dieng a beaucoup souffert a cause de son etat analphabete. Un
mandat est tres facile a toucher pour une personne eduquee. Cela ne
prend que cinq a dix minutes, au plus. Mais, pour un analphabete,
cela devient toute autre chose et notre heros n'est pas lettre".
Enfin, il est le contraire. Done, des qu'il a rec.u le cheque, il a
fallu que quelqu'un d1autre lui dise le montant du cheque; il a fallu
que quelqu'un d1autre lui lise la lettre incluse. S'il y avait
quelque chose dans cette lettre pour ses yeux seuls, cela sera connu
par tous car une fois qu'une autre personne s'en renseigne en lisant
la lettre, cela devient de la connaissance publique. Parce qu'il
ne pouvait pas lire, e'etait chez un ecrivain public, place du cote
des bottes a lettres, que Dieng est alle chercher secours. Celui-ci
lui a lu sa lettre.
Pour toucher le mandat, il a fallu que Dieng montre une
carte d'identite. Evidemment, il n'en a pas. Nous allons maintenant
suivre les demarches penibles qu'il a pris pour l'avoir. Ses
8Henri Bala Mbarga, Problemes africains de Teducation(Paris: Hachette, 1962), 68.
42
demarches lui ont ete penibles et difficiles a cause de son etat
d1anaiphabetisme. Au depart, il ne savait meme pas ou aller chercher
cette carte d'identite. II se renseigna.
A la cour du commissariat, il fait la queue mais la queue
n'avancait pas. On murmurait son me'contentement sur la lenteur du
service. Enfin, arriva le tour de Dieng. La, a la fenetre-guichet,
on lui apprend qu'il a besoin d'un extrait de naissance, trois photos
et un timbre de cinquante francs pour avoir une carte d'identite.
g
"Dieng se redressa. II se sentit pris de vertige."
Le lendemain, il reprit son cours vers la Grande Mairie
cette fois. En y arrivant, c'est "encore la queue," (M, 139) pensa
Dieng, la mesurant du regard et en prenant place au bout. Bientot,
ce fut le tour de Dieng.
— Homme, attends un peu que je respire, dit le commisqui le recut, en allumant une Camel, et il engagea un
dialogue avec son colllgue, au fond du bureau.Mais la pause durait; derriere Dieng, une voix
feminine protesta (M, 139).
Ici, est un exemple de 1'exploitation de la naivete des gens comme
Dieng. Le commis fini par lui demander ou il etait ne et a quelle
date. Dieng, etant illettre et par consequent ne pouvant pas lire
dans ses propres papiers, les presenta au commis qui refuse de lire
dans les papiers et insiste que Dieng lui donne les renseignements
qu'il vient de demander. "Dieng chercha alentour, un soutien. II
90usmane, Le Mandat, 139. Toute autre reference a cetouvrage sera indiquee dans le texte par la lettre M et les pages
entre parentheses.
43
exhiba encore ses papiers" (M, 139). C'est alors qu'une femme
derriere Dieng, evidetnment illettre"e, elle aussi a demande" si
quelqu'un pouvait aider Dieng. Un gars s'approcha mais le commis
le renvoya a sa place d'un ton autoritaire. Le gars a fini par lire
a haute voix. Le mois de naissance n'a pas figure car il n'avait
pas ete indique mais le commis coulait le savoir. En fin de compte,
on suggera a Dieng, d'aller trouver quelqu'un de son age avec qui
sa date de naissance coincide afin de relever le mois de naissance
de celui-la pour lui-meme. Ou bien, il pouvait trouver quelqu'un
d1influent pour lui faciliter sa tache. A ce stade, il etait sans
sou. Souvenons-nous qu'il est en chomage. De la mairie, Dieng est
alle voir un petit cousin qui lui a donne un cheque de mille francs.
A la banque encore, un gars lui demanda
Pourquoi celui qui te l'a donne n'a-t-il pas libellele cheque au 'porteur1? (M, 146)
II n'y comprend rien mais avant de pouvoir demander ce que c'est
que le porteur, le gars lui dit de se presenter a lui des l'ouver-
ture des bureaux et il a disparu pour reapparattre au guichet a
Touverture. Dieng a fait comme le gars lui a dit et il a pu
toucher son cheque de mi lie francs. II a du partager le montant avec
ce gars qui est arrive a convaincre Dieng que c'est grace a lui que
Dieng a pu toucher son cheque. Quelle tromperie! mais c'etait
possible car Dieng etait illettre. "II bougonnait contre ces gens
qui se font payer pour tous les services" (M, 147).
Le lendemain encore, il est alle voir le petit-cousin qui
l'a amene a la Grande Mairie ou apres avoir parle avec un ami a lui,
44
tout etait regie pour Dieng. II devait revenir prendre sa carte
d'identite dans deux jours.
Cet etat penibie d'illettre ne sera bien apprecie qu'en
lisant dans les pensees de Douane--une fille qui voyage en France
pour rejoindre la famille qu'elle avait servie en Afrique:
De retours dans ce 'milieu' ou elle etait deux fois
etrangere, elje se durcissait. Ses pensees la ramenaient
frequemment a Tive Correa. Cet ivrogne lui revenait souvent
a la memoire, ses paroles se yerifiaient aujourd'hui cruelle-
ment. Elle aurait voulu lui ecrire, mais ne le pouvait pas.
Depuis qu'elle etait en 'France1, elle n'avait eu que deux
lettres de sa mere .... Madame lui ait promis d'ecrire
a sa place. Etait-ce possible de dire tout ce qui luipassait par la tete a Madame? Elle^s'en voulait. Son
ignorance la rendait muette. Elle ecumait de rage a son
propos.10
Etant illettree, elle ne pouvait pas ecrire et meme si quelqu'un
ecrivait a sa place, elle ne pourrait jamais tout dire. Elle est
vraiment coincee et cette situation de manque intellectuel la rendait
folle. C'est vraiment un handicap tres serieux d'etre illettre. II
se peut que Douane aurait pu se sauver au lieu de se suicider si
seulement elle avait ete alphabetique—on ne peut jamais savoir
maintenant.
C'etait Karl Marx qui avait dit que la religion est 1'opium
du peuple. L'enthousiame avec lequel les indigenes camerounais ont
accueilli les premiers evangelisateurs Chretiens et missionnaires
est vraiment remarquable. Done, par le vehicule de la religion,
plusieurs Africains ont ete eus.
10Sembene Ousmane, VoltaTque (Paris: Presence Africaine, 1962),181-182.
45
Meka et sa femme ne sont pas des exceptions. Us sont
illettres et naffs. En consequence, les blancs ont exploite leur
foi naive, leur esprit enfantin et leur situation illettree. Ceci
est une tromperie intellectuelle aussi bien qu'une manipulation
outre mesure. Meka et sa femme acceptent alors sans question, la
foi chretienne et ils ont aussi envoye leur deux fils lutter pour
la France. Ces deux fils ont trouve la mort aux champs de bataille.
Au lieu de batir des ecoles et encourager les indigenes d'y envoyer
leurs enfants, les blancs songent a decorer Meka. Cette decoration,
prise comme un grand evenement par les indigenes, ne voulait rien dire
aux blancs. II faut constater que Meka se tient debout dans un
cercle qu'on lui a dessine au sol, attendant 1'arrive du Haut
Commissaire et suant profondement sous le soleil accablant d'Afrique.
II faut noter aussi que pendant la ceremonie et meme apres,
Meka a besoin d'un interprete pour parler aux blancs et pour avoir
sa reponse. Dans cette situation, 1'interprete peut dire tout ce
qu'il veut au lieu de donner les rendements corrects des paroles
echangees et personne ne saura. Voila encore une autre evidence de
la frustration de 1'analphabetisme. On est contraint a accepter
tout ce qu'il dit. On se sent dans une sorte de piege et la cle
est 1'education.
AprSs la ceremonie, Meka perd sa medaille et il a failli
perdre sa vie meme dans la pluie torrentielle qui l'a presque
emporte. Apres cette nuit affreuse, il est recupere par des
gardes qui 1'amenent devant Gosier d'Oiseau mais Gosier d'Oiseau
ne le reconnatt m§me plus:
46
— Je me sens tres las, dit-il, si las que je ne trouve
rien a dire a Gosier d'Oiseau. Qu'on fasse de moi ce que
l'on veut .... Puis qu'il me demande qui je suis, dis-
lui que je suis le dernier des imbeciles, qui hier croyait
I l'amitie des blancs .... Je suis tres las, qu'on
fasse de moi ce que Ton veut.H
Ce passage est l'un des plus importants de l'ouvrage. Meka n'imagine
pas que, decore1, done distingue de la veille par des blancs, et pas
des moindres, un autre blanc, temoin de la ceremonie, ne le recon-
naisse pas! Mais, pour 'reconnattre', il faut d'abord 'connattre',
e'est-a-dire avoir pris conscience de la realite, de 1'existence
d'autrui . . . .12 On voit par la que toute la ceremonie ne valait
rien. Ce n'etait que Texploitation une fois de plus, de ces gens
encore naifs et illettr^s dans leur vie simple de la communaute
villageoise.
Toundi, notre heros d'Une vie de boy, est aussi illettre.
II avait redige son journal intime dans sa langue maternelle. Au
lieu de 1'envoyer dans une ecole proprement dite, les blancs sont
satisfaits qu'il soit leur boy. Peu importe une education, qui lui
aidera a passer d'un esprit naif a un esprit critique.
Les blancs etaient totalement aveugles au degats qu'ils
causaient en ne s'interessant qu'aux profits qu'ils feront au lieu
de s'acharner sur le developpement du pays en faisant b^tir des ecoles
et en y envoyant plusieurs enfants. C'est ce meme aveugiement qui
a pousse Douane a se tuer, en se suicidant.
UFerdinand Oyono, Une vie de boy (Paris: EditionsJulliard, 1956), 135.
12Edouard Eliet, Panorama de la litterature negro-africaine
(Paris: Presence Africaine, 1965), ibl.
47
Les blancs ne sont pas les seuls a exploiter les noirs. II
y a des noirs qui se croient 'arrives'. Us ont eu de 1'education
mais ils 1'utilisent comme un vehicule d'oppression contre des noirs
comme eux et c'est generalement les analphabetes qu'ils arrivent a
tricher le plus souvent. Prenons Mbaye par exemple.
Mbaye etait de la generation 'Nouvelle Afrique' comme
on dit dans certains milieux: le prototype, mariant a la
logique cartesienne le^cachet arabisant et l'elan atrophie
du negro-africain. C'etait un homme d'affaires—courtier
en tout genre—reel amant un tant pour cent sur chaque
commission, selon la valeur de 1'affaire. On disait de
lui tju'il n'y avait aucun noeud qu'il ne pouvait defaire.
Possedant une villa a Tangle du^secteur. Sud, il avait
egalement deux femmes, Tune chretienne, Tautre musul-mane et une 403. II tenait le haut du sable ....
La villa de Mbaye 'crechait' au milieu des bidonvilles et
des vieilles baraques.13
On le respectait dans le quartier. II se presente comme quelqu'un
a qui on peut faire confiance. Precisement, Dieng lui a fait
confiance en le laissant agir pour toucher le mandat qu'il avait
recu de Paris. Dieng devait revenir le lendemain pour ramasser
1'argent liquide. Mais, qu'est-ce qui s'est passe? Mbaye,
homme d'affaire au chic villa s'est decide a voler cet argent. II
arrive facilement a encaisser le mandat mais il dit a Dieng,
quand celui-ci est venu chercher 1'argent, qu'il s'est fait voler
quand il portait toujours 1'argent. Dieng le savait quand il se
fait voler et ce Mbaye vient de lui voler:
Dieng, abasourdi, avait du mal a reagir, meme
moralement, comme eel a lui arrivait de la faire. IIouvrait et fermait machinalement ses mains. Les phrasesdemeuraient informulees .... La colere et la deception
130usmane, Le Mandat, 178.
48
lui avaient ravi toute^volonte. Le revers brutal de son
optimisme, avait-il aneanti son cerveau?^
Le noir eduque au "chic villa" a vole le noir illettre a la
"vieille baraque". Ce n'est pas de ce genre d'influence negative
qu'a besoin l'Afrique. Toutes ces experiences penibles ne seraient
pas le cas si Dieng avait su lire et ecrire. C'est par le simple
fait de chercher quelqu'un d'autre, quelqu'un qui soit alphabetique,
pour agir a sa place que toutes ces malheurs lui arrivent l'un apres
1'autre.
Ibra etait l'espoir du monde ouvrier. II avait ete parmi
les plus exaltes qui prirent a 1'assaut de la verve, la
forteresse coloniale, pour l'egalite des salaires, entre
Blancs et Noirs . . . .^
En lisant cet extrait, on aura 1'impression qu'Ibra lutte sincere-
ment pour le peuple. II se peut que c'est ce qu'il faisait au
debut mais au fil des annees, apres qu'il a ete bien place dans
la societe, il oublie maintenant la pauvre masse des ouvriers pour
qui il luttait auparavant et il commence a faire un compte de ses
biens:
... II avait connu les pi res privations de cetteepoque. Son audience s'etait elargie jusqu'au^jour ou
sur une liste electorale, il se presenta depute. IIfut elu (et 1'etait encore). Par le retour des choses,ceux qui naguere lui fermaient leur porte au nez, lerecevaient: les patrons se montrerent enchantes de levoir a chaque reception. II eut une villa, une yoiture,sans debourser un sou, un compte en banque qui, a dire
14Ibid., 187.
Ousmane, VoltaTgue, 27. Toute autre reference a cet
ouvrage sera indiquee dans le texte par la lettre V et les pages
entre parentheses.
49
vrai, ne beneficiait pas de beaucoup de dividendes,
neanmoins dejegers interets s'amassaient comme des
heures supplemental*res qu'il effectuait en assistant a
des conseils d'administration. ... II passait ses
vacances en France. II avait son bureau S 1'U.S. . . .
(Union syndicale) (V, 27-28).
Ibra se dit le representant du peuple mais petit I petit, il n'est
plus cela qu'en nom seulement. II ne se donne me"me plus la peine
de regarder les renseignements que les ouvriers lui fournissent en
ce qui concerne leur etat. Malic, en tant que fournisseur de ces
renseignements est venu maintenant pour avoir la rlponse d'lbra
sur les renseignements qu'il avait apporte il y a une semaine:
— fa va chez toi? lui demanda Ibra.
— Non.
— Comment, non?
— Comment! repeta Malic, un jeune au visage e'macie',
des yeux en fentes d'un menton volontaire recouvert
d'une barbichette.
— J'ai envoye ici la semaine demiere un rapport sur
notre situation ....
— Ah! oui, fit Ibra. II est la. Bon ... Je vais
y jeter un coup d'oeil (V, 28-29).
II faut constater par la qu'il ne prend plus son travail au serieux.
Depuis une semaine, il n'a pas touche au rapport. Y jeter un coup
d'oeil maintenant ne servira a rien.
Rentre chez lui--une villa richement moublee, avec trois
climatiseurs, cloturee d'une haie vive—il reflechit aux avantages
materiels qu'il avait acquis, fit l'inventaire de son avoir;
trois maisons de rapport, deux taxis, sa satiete quotidienne. A
mesure qu'il developpait ses reflexions, il comprenait que rien
ne le liait maintenant a la societe des besogneux (V, 32). Et quelle
50
est cette societe des besogneux sinon que la masse des Africains
cherchant a ameliorer leur situation et leur pays. II s'est
coupe de cette masse en se liant a 1'autre--celle des exploiteurs,
et ceci, a l'insu du peuple qu'il pretend representer. Tout en
par!ant au peuple reunit le lendemain, il a dit "Nous ne voulons
pas chez nous d'un nouveau colonialisme de couleur, plus cruel,
plus abject que l'autre . . ." (V, 33). Quelle ironie, car c'est
precisement ce qu'il represente--"un nouveau colonialisme de
couleur." II lutte maintenant non pas pour son peuple souffrrant
"au visage emacie" (V, 28), mais pour son propre gain et pour ne
pas perdre tous les biens materiaux qu'il s'est accumules au cours
des annees.
En parlant aux ouvriers, Ibra leur fait des concessions
et tant de promesses et il decide de faire de Malic un exemple des
traftres. Done, il a recours a la menterie pour arriver a sa fin:
— Je ne vous ai pas tout dit. Le directeur m'a dit
que Malic reclamait des avantages personnels, dit encore
Ibra (V, 34).
II voulait disgracier Malic parce que celui-ci representait la voix
souffrante des Africains qui ne voulait pas se taire. Done, il
trouve ses moyens de la faire taire. Mais les autres ouvriers en
savent mieux.
Us savaient que Malic n'etait pas comme Ibra vient de le
decrire mais ils se sont tus parce qu'ils se sentaient las et
impuissants devant le pouvoir du jour que represente Ibra. Ce que
le doyen des usiniers dit a Malic apres la reunion temoigne a
ce fait:
51
— Tu avais raison Malic, tout a l'heure. Mais tu
comprends, tu comprends, nous n'avons pas eu le courage
de te soutenir. Oui c'est bien le courage qui nous a
manque! Ces types n'ont rien de^commun avec nous! Us
sont noirs dessus . . . leur interieur est comme le
colonialisme ... (V, 35).
Ibra est done l'un de ces noirs qui a une peau noire avec une
mentalite colonialiste et qui s'est servi de son education pour son
propre bien au detriment du bien du peuple. En plus, il exploite son
propre peuple, sachant d'avance que ce peuple est pauvre, illettre
naTf et sans soupcon envers un noir comme lui.
Obtenir un certificat d'etudes n'est pas une chose qui doit
faire accourir toute une ville ou tout un village pour contempler
celui qui vient de 1'obtenir. Mais, a cause du nombre alarmant des
ignorants chez lui, c'est precisement ce qui est arrive quand Aki
a recu son diplome:
Pour avoir obtenu le certificat d'etudes a un age
ou Ton n'a pas encore de poils sous le ventre, je passai
pour un genie; si grand etait le nombre d1ignorants chez
nous, a cette epoque, qu'ils ne cessaient d'affluer
pour me contempler, me toucher.*6
Aki est de ceux qui croient qu'il faut aller en Europe, cotite que
coute, pour decouvrir la joie de Teducation. Une fois la-bas, il
se rend compte que l'apparence ne fait pas la realite. La vie
devient dure et parfois sans esperance. Done,
pauvre, sans relations, sans amis, moque dans mes
esperances, je n'en fus pas decourage. Je dois ^confesser que j'etais une sorte d'Hydre aux chimeres,
un monstre d'optimisme dans un pays ou Tappetit dugain, du pouvoir, le culte d'interet, avaient des-
humanise 1'^
15Ferdinand Oyono, Chemin d'Europe (Paris: EditionsJulliard, 1956), 13.
17Ibid., 107.
52
Nous avons vu le noir comme celui qui est epris de
justice, de 1'education et de la verite. Nous 1'avons vu comme
celui qui dans son etat de pauvrete et d'anaiphabetisme, pratique
la polygamie qui nuit au progres du peuple. On va prochainement
examiner 1'education de peuple de l'Afrique noire en generale
comme solution a 1'anaiphabetisme et 1'education de la femme
noire en particuliere comme solution a la vie polygame en Afrique.
CONCLUSION
Comme 1'auteur 1'a deja mentionne, 1'analphabetisme et la
polygamie sont deux des problemes qui mettent de 1'entrave sur les
roues du developpement en Afrique noire. S'il en est ainsi, il
faut trouver la solution a ces problemes. La solution est done
dans 1'education de la masse du peuple. Outre 1'avancement,
1'education de la masse facilitera la communication et la compre
hension entre le peuple de 1'Afrique noire et les peuples des
autres nations du monde. L1education de la femme peut ne pas
effacer la polygamie totalement, mais elle la diminuera au strict
minimum.
Nous allons voir d'abord jusqu'a quel point nos deux
ecrivains ont eu du succes a mettre en lumiere ces deux problemes.
Selon Thomas Mel one:
La notion de guide, est liee a la categorie d'eliteet Vecrivain negro-africain appartient a cette categorie
d1elites.
C'est la situation politique coloniale qui avaitexile cette elite de son ordre nature!. Revolte par_
ce bannissement, le negre a acquis la conscience qu'ilexiste une dependance etroite entre la situation
politique et l'etat de culture, comme de l'economie et
de toutes les activites du pays; qu'il est impossiblede parler d'ecrivains, de litterature nationale, en un
mot, de travail intellectuel et de progres, sans parlerdu prealable fondamental et determinant, le prealable
politique. La veritable litterature negre, on 1'a vu,est 1'engagement collectif, liberation constante^et
progressive, une dynamique. Voila pourquoi le rolede Tecrivain negro-africain--celui qui, parce qu'ilest partie integrante de son peuple, parce qu'il vitde la vie de son peuple pour connaftre ses sentiments
53
54
et la direction dans laquelle le peuple souhaite e"voluer--le role du veritable gcrivain devrait et doit toujours §tre:
aider la masse a prendre conscience de sa situation en
expliquant et en posant clairement les problernes; ....
Dans ce sens, nos ecrivains ont pose les problernes clairement.
Ecoutons toujours les propos d'un autre ecrivain negro-africain,
Chinua Achebe, sur la situation des ecrivains negro-africains
vis-a-vis 1'education de la masse:
Instead of giving education, they (ici, l'ecrivainentend dire les colonialistes) continued to water down
years of denigration and self-abasement. It is our
duty to give education and to help our society regainbelief in itself and put away complexes of the yearsof denigration and self-abasement. And it is essentiallya question of education in the best sense of that word.1'
Depuis leurs independances, plusieurs nations africaines
voient 1'education comme la cle pour ouvrir la porte de leurs
destins. II y a toujours la question de combien le systeme
d'education existant favorise des viables economies africaines. .
II est evident qu'en Afrique independante, les ecoles n'ont pas
detache le lien qui etait inculque pendant l'ere coloniale entre
1'education et les pieces d'identite pour 1'avancement. Comme
pendant l'ere coloniale, 1'education est toujours, dans la pensee
de plusieurs africains, tres etroitement liee au travail. Done,
plusieurs se font eduquer uniquement pour trouver du travail.
Mais, il y a d'autres choses qu'il faut considerer, comme 1'avance
ment de soi, les decouvertes intellectuelles, la connaissance et
la comprehension d'autrui, entre autres.
1Thomas Mejone, De la Negritude dans la litterature negro-africaine (Paris: Editions Presence Africaine, 1962), 107.
2G. D. Killam, African Writers on African Writing (London:
Heinemann, 1973), 3.
55
Alors qu'un ecolier qui a termini ses etudes primaires peut
commencer a gagner sa vie en agriculture, ou dans une entreprise
rurale reduite, un jeune gen qui a termine ses etudes secondaires,
de l'autre cote, est, dans la plupart de cas, aliene de la vie
rurale. C'est a savoir, a ce point, que le secondaire, cree pour
- 4les bourgeois, meprise le primaire "ouvrieriste" et populaire.
Les gouvernements africains ont, le plus souvent, consacre
autant que vingt pour cent de leurs budgets annuels a 1'education
mais cela ne servira a rien tant que 1'education est toujours
generalement orientee aux besoins de la petite minorite qui peut
trouver du travail dans le secteur moderne, et surtout urbain.
Done, au point de vue education, le probleme se trouve dans
la decolonisation et 1'africanisation de 1'enseignement, c'est
ensuite 1'adaptation de cet enseignement a la situation d'un pays
sous-developpe qui doit, dans un temps court, combler son retard.
Ensuite, il faut adapter 1'enseignement au devenir economique
africain. II n'y a qu'a voir la situation actuelle qui est mal-
heureuse a cet egard:
Jennifer Seymour Whitaker, How Can Africa Survive? (NewYork: Harper and Row, 1988), 177.
Rene Dumont, L'Afrique noire est mal partie (Paris: Editions
du Seuil, 1962), 154.
5Richard Sandbrook, The Politics of Africa's EconomicStagnation (Cambridge: Cambridge University Press, 1985), 8.
Tradition et modernisme en Afrique noire (Paris: Editions
du Seuil, 1965), 132.
56
Des milliers, des dizaines de milliers de chomeurs
trafnent dans les vi 11 es parce qu'ils n'ont pas trouve
un debouch! et coutent doublement a l'Etat, d'une partparce que c'est un manque a gagner—ce sont des chomeurs--
ils ne travail lent pas dans des secteurs productifs, en
particulier dans 1'agriculture et, d'autre part, parce que
tout en ne travaillant pas, ils restent des consommateurs
et ils constituent, au point de vue social, un malaise
permanent. Sur le plan democjraphique aussi c'est un
malheur parce que ces gens-la, sont des improductifs.'
II faut alors que 1'education et 1'enseignement soient
desormais congus en fonction etroite du progres de l'economie, en
Afrique. L'ecole ne devrait pas done detacher le jeune el eve de
son monde rural originel; mais le former, pour qu'il soit reelle-
ment en mesure de le faire progresser, dans l'ordre technique et
economique. Ceci necessite une revision totale de la conception
meme d'un enseignement qui accroft d'abord le mepris du travail
manuel.
Jusqu'a une epoque toute recente, il n'y avait dans la
societe africaine que peu de changements dans les structures econo-
miques et sociales, de generation a generation parce que 1'accent
etait mis sur la conformite. On apprenait aux enfants a etre
obeissants, et aux jeunes a respecter les anciens. En grandissant,
chacun devait decouvrir ce qu'on attendait de lui dans la societe
simplement en regardant les autres vivre autour de lui. Maintenant
au contraire, 1'accent est mis sur le changement et le developpement
7Ibid., 137.
Dumont, L'Afrique noire est mal partie, 155.
57
politique, economique, social et culturel. Puisque ces changements
ne peuvent etre introduits que par des individus, il devient done
urgent de former des individus doues d'imagination, du sens de la
responsabilite et de 1'initiative, et capables de communiquer et
de cooperer avec les autres. Dans de nombreux pays, et pas seulement
en Afrique, il y a un abtme entre les elites qui progressent rapide
ment en de nombreux domaines, et la masse. Cette grande difference
d1education entre les elites et la masse nuit serieusement a la
communication des idees et donne lieu a des incomprehensions. De
plus, 1'ignorance generale expose 1'opinion publique a des manipu
lations abusives. Beaucoup considerent 1'education des adultes
comme une solution de secours pour remedier a une education
scolaire absente ou incomplete.
Ayant plus d'experience que les enfants scolarises, et
etant par consequent, plus aptes qu'eux a comprendre les divers
aspects du comportement de l'homme et de sa nature, les adultes
sont egalement plus prepares a reflechir sur leur propre experience,
et a faire le lien entre leurs connaissances accumulees et leurs
nouvelles acquisitions. Quoique la transmission et 1'acquisition
des connaissances soient une part importante de 1'education des
adultes, celle-ci met davantage 1'accent sur la reflexion et sur
la discussion de points de vue differents. Elle developpe la
capacite de distinguer entre les faits et les opinions, entre ce
qui est important et ce qui ne Test pas, et encourage une
appreciation sympathique de 1"opinion des autres.
58
En bref, on pourrait dire que 1'education des adultes
s1attache plus S developper les qualites de 1'esprit qu'a
remplir l'esprit de connaissances et d1informations. Alors que
1'Education des enfants vise le plus souvent a les preparer pour
l'avenir, celle des adultes les aide a* appliquer leurs connaissances
imme'diatement, soit dans leur vie personnelle soit dans les groupes
au sein desquels ils vivent. Les professeurs ignorent ce que
deviendront les enfants qu'ils enseignent, alors que dans
1'Education des adultes, tant le professeur que l'eleve savent ce
q
qui manque et doit etre acquis.
Done, 1'education des adultes a une valeur tres importante.
Le Cameroun a, depuis 1953, le College des Travailleurs, qui se
consacre a 1'education des adultes.
La femme africaine a besoin, elle aussi, de trouver le moyen
de s'exprimer elle-meme, de traduire ses sentiments, ses difficultes
et ses reactions spontanees. C'est en ce sens que la femme
africaine, comme les femmes de tous les pays du monde a une epoque
ou a une autre, a besoin de se liberer, de trouver une liberte
personnelle au sein de la societe ou elle vit. Puisqu'on a deja
etabli que la plupart des femmes se trouvant dans des menages poly-
games sont des illettnies et que la majorite des femmes eduquees
n'entrent pas dans de telle union, on peut facilement conclure que
g
Tradition et modernisme en Afrique noire, 166-168.
10Ibid., 172.
59
plus les femmes sont eduquees, moins sera la possibility qu'elles
opteront pour la polygamie, et la vie s'ameliorera pour tous.
La femme a besoin et de 1'education sociale qui vise les
femmes de tous les ages, non scolarisees et formant masse, et de
1'education scolaire qui s'adresse aux jeunes filles d'age scolaire.
Dans le cas de la jeune fille, on doit s1adapter au programme,
mais dans le cas de Vadulte, c'est 1 'educatrice qui se mettra a
la portee de la femme; eel a consiste a engager la femme dans une
evolution progressive et sans heurt, de fagon a combler le fosse
qui la separe de Vhomme et a se servir d'elle comme levier en
faveur du progres.
Dans plusieurs pays, 1'immatriculation des filles s'est
levee, d'un niveau tres bas avant leurs independances, a un niveau
qui egale la moitie de celui des gargons, dans les ecoles elemen-
taires, et aux environs de quinze pour cent des etudiants qui se
trouvent dans les ecoles secondaires.12 Ceci est une indication du
progres. Aussi indicatif du progres est cette discussion entre
deux hommes qui sont evidemment pour la polygamie:
Depuis qu'elles ont des associations, ces bougresses,
elles croient qu'elles vont diriger le pays, dit l'un
des hommes.
Ne sais-tu pas qu'a Bamako, elles ont vote une motioncondamnant la polygamie . . c . Que Dieu nous garde d'uneseule femme, ajouta le deuxieme homme.1-3
UIbid., 87-88.
12Ibid., 176.
13Sembene Ousmane, VoitaTgue (Paris: Presence Africaine,1962), 71.
60
Tout le monde sait que "eduquer un garcon signifie eduquer un
individu, mais donner une education a une fille, c'est eduquer
une famille entiere."
Ainsi done, la transformation de la condition de la femme
est avant tout une question d'education. Et 1'education de la
femme africaine, c'est 1'elevation morale et intellectuelle, c'est
la revalorisation des peuples africains.
Bien que la polygamie et 1'analphabetisme aient mis de
l'entrave sur les roues de progres dans plusieurs pays africains,
il est necessaire de savoir que la situation s'ameliore petit a
petit. Beaucoup de gens commencent deja a se rendre compte du
besoin d'eduquer leurs enfants et aussi du lourd fardeau qu'entraTne
la possession d'une grande famille a multiples enfants. Par la
suite, quelques-uns commencent deja a opter pour une petite famille
—e'est-a-dire, une femme et un nombre tres limite d'enfants.
Quand les gouverneurs coloniaux ont decampe, seulement un
tiers des enfants de l'age scolaire etait dans Tecole elementaire;
moins de trois pour cent dans les ecoles secondaires et une toute
petite fraction dans le petit nombre de colleges et d'universites
qui existaient sur le continent a cette e"poque-la. De cette petite
base-la", les immatriculations ont augmente cinq fois, et celles-ci
ont triple entre 1970 et 1983. (Sa taux de croissance a fait deux
fois celui de l'Asie et trois fois celui de l'Amerique Latine.)
Tradition et modernisme en Afrique noire, 88.
61
Maintenant l'ecole elementaire est presque universelle dans plusieurs
pays et Vecole secondaire a vu une croissance moyennant aux
environs de six a sept fois, atteignant a peu pres vingt pour cent
des enfants de 1'age scolaire aujourd'hui. En plus, la plupart des
pays africains ont, maintenant, une universite nationale au moins,
et le total des universites du continent est alle de six en 1960 a
quatre-vingt aujourd'hui--avec 1'immatriculation augmentant par
quatorze pour cent par an. Meme avec cet agrandissement, seulement
aux environs de un pour cent des jeunes gens qui terminent leurs
etudes secondaires vont a 1'universite.
En guise de conclusion alors, lisons dans les propos de
Makouta-Mboukou qui decrit avec une clarte merveilleuse le devoir de
Vintellectuel africain, qui ne doit plus subsister dans sa virulence
et qui doit mettre a cote "le mythe de TEurope accueillante" qui
tient toujours, pour mieux batir sa nation comme il faut:
Here, we will address ourselves first of all to thatclass of alienated Blacks to which we belong, that classwhich has escaped its environment which is 'detribalized.'That category is still a minority in Africa, but it isimportant because it includes the intellectuals and the
elite—the ruling class.That class is most blameworthy because it is the most
enlightened; it is the one which should teach the non-enlightened how a country evolves through the medium of
cultural education.17
15Ibid., 175.
16Monique and Simon Battestini and Roger Mercier,Ferdinand Oyono, ecrivain camerounais (Paris: Fernand Nathan, 1964),
57T~
17J.-P. Makouta-Mboukou, Black African Literature (Washington, D.C.: Black Orpheus Press, 1973), 150. •
62
Done, pour le peuple de 1'Afrique noire, il va falloir
faire beaucoup plus d'effort parce que e'est bien le premier pas
vers la lumiere et que 1'education n'etant pas une fin elle-meme,
est un moyen vers une fin.
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