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Frédéric Lasserre Un conflit oublié : les rochers de mer de Chine méridionale / A forgotten conflict : the small rocky islands of the South China Sea In: Revue de géographie de Lyon. Vol. 73 n°1, 1998. pp. 25-32. Abstract After the Chinese invasion of the Spratley islands in 1988, and the withdrawal of the Vietnamese troops from Cambodia, ASEAN gradually realized that it had become a possible next target of China's will to extend its sovereignty in the South China Sea. Too weak and divided to resist militarily against Beiging, the Association chose to adopt a diplomatic line of resistence. Vietnam, for geopolitical reasons, also chose to become a member of ASEAN and rapidly was admitted into the regional grouping, to the surprise of many observers. However, if Vietnam and Singapore developed a cultural and geographical regional concept that could undermine China's claims to the South China Sea, this concept does not seem to appeal to other member countries, because of a still very weak collective consciousness. Résumé Après l'invasion chinoise des îles Spratley, en 1988, et le retrait des troupes vietnamiennes du Cambodge, l'ASEAN réalisa graduellement qu'une possibilité de conflit nouveau était en train de surgir et que la Chine étendait sa souveraineté sur la mer de Chine méridionale. Trop faible et divisée pour résister militairement à Beiging, l'Association choisit d'adopter une ligne de résistance diplomatique. Le Vietnam, pour des raisons géopolitiques, choisit d'adhérer à l'ASEAN et fut très vite admise dans le regroupement régional, à la surprise de nombreux observateurs. Pourtant, si le Vietnam et Singapour ont forgé un concept culturel et géographique régional qui pouvait décider la Chine à des revendications en mer de Chine méridionale, ce concept ne semble pas faire réagir les autres pays membres, à cause d'une très faible conscience collective. Citer ce document / Cite this document : Lasserre Frédéric. Un conflit oublié : les rochers de mer de Chine méridionale / A forgotten conflict : the small rocky islands of the South China Sea. In: Revue de géographie de Lyon. Vol. 73 n°1, 1998. pp. 25-32. doi : 10.3406/geoca.1998.4800 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geoca_0035-113X_1998_num_73_1_4800

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Frédéric Lasserre

Un conflit oublié : les rochers de mer de Chine méridionale / Aforgotten conflict : the small rocky islands of the South ChinaSeaIn: Revue de géographie de Lyon. Vol. 73 n°1, 1998. pp. 25-32.

AbstractAfter the Chinese invasion of the Spratley islands in 1988, and the withdrawal of the Vietnamese troops from Cambodia, ASEANgradually realized that it had become a possible next target of China's will to extend its sovereignty in the South China Sea. Tooweak and divided to resist militarily against Beiging, the Association chose to adopt a diplomatic line of resistence. Vietnam, forgeopolitical reasons, also chose to become a member of ASEAN and rapidly was admitted into the regional grouping, to thesurprise of many observers. However, if Vietnam and Singapore developed a cultural and geographical regional concept thatcould undermine China's claims to the South China Sea, this concept does not seem to appeal to other member countries,because of a still very weak collective consciousness.

RésuméAprès l'invasion chinoise des îles Spratley, en 1988, et le retrait des troupes vietnamiennes du Cambodge, l'ASEAN réalisagraduellement qu'une possibilité de conflit nouveau était en train de surgir et que la Chine étendait sa souveraineté sur la mer deChine méridionale. Trop faible et divisée pour résister militairement à Beiging, l'Association choisit d'adopter une ligne derésistance diplomatique. Le Vietnam, pour des raisons géopolitiques, choisit d'adhérer à l'ASEAN et fut très vite admise dans leregroupement régional, à la surprise de nombreux observateurs. Pourtant, si le Vietnam et Singapour ont forgé un conceptculturel et géographique régional qui pouvait décider la Chine à des revendications en mer de Chine méridionale, ce concept nesemble pas faire réagir les autres pays membres, à cause d'une très faible conscience collective.

Citer ce document / Cite this document :

Lasserre Frédéric. Un conflit oublié : les rochers de mer de Chine méridionale / A forgotten conflict : the small rocky islands ofthe South China Sea. In: Revue de géographie de Lyon. Vol. 73 n°1, 1998. pp. 25-32.

doi : 10.3406/geoca.1998.4800

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/geoca_0035-113X_1998_num_73_1_4800

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Frédéric LASSERRE Université du Québec à Montréal

Un conflit oublié : les rochers

de mer de Chine méridionale

RESUME Après l'invasion chinoise des îles Spratley, en 1988, et le retrait des troupes vietnamiennes du Cambodge, l'ASEAN réalisa graduellement qu'une possibilité de conflit nouveau était en train de surgir et que la Chine étendait sa souveraineté sur la mer de Chine méridionale. Trop faible et divisée pour résister militairement à Beiging, l'Association choisit d'adopter une ligne de résistance diplomatique. Le Vietnam, pour des raisons géopolitiques, choisit d'adhérer à l'ASEAN et fut très vite admise dans le regroupement régional, à la surprise de nombreux observateurs. Pourtant, si le Vietnam et Singapour ont forgé un concept culturel et géographique régional qui pouvait décider la Chine à des revendications en mer de Chine méridionale, ce concept ne semble pas faire réagir les autres pays membres, à cause d'une très faible conscience collective.

MOTS CLES Iles Spratley, Mer de Chine méridionale, Chine, ASEAN. ABSTRACT After the Chinese invasion of the Spratley islands in 1988, and the withdrawal of the Vietnamese troops from Cambodia, ASEAN gradually realized that it had become a possible next target of China's will to extend its sovereignty in the South China Sea. Too weak and divided to resist militarily against Beiging, the Association chose to adopt a diplomatic line of resistence. Vietnam, for geopolitical reasons, also chose to become a member of ASEAN and rapidly was admitted into the regional grouping, to the surprise of many observers. However, if Vietnam and Singapore developed a cultural and geographical regional concept that could undermine China's claims to the South China Sea, this concept does not seem to appeal to other member countries, because of a still very weak collective consciousness. KEYWORDS Spratley Islands, South China Sea, China, ASEAN

L'archipel des îles Spratleys constitue l'un des points chauds contemporains les plus complexes. Sur près de 800 000 km2 s'éparpillent plus de 200 rochers, îlots, récifs et bancs dont la surface totale n'excède pas 4 km2. C'est après la fin de la Seconde Guerre mondiale que les pays riverains ont prêté une attention plus soutenue à ces poussières d'îles. L'ensemble des pays riverains revendique tout ou partie de la mer de Chine du Sud, un conflit aggravé par des différends portant sur la souveraineté sur des archipels de petits îlots, les Pratas, Paracels et Spratleys. Si les Pratas ne sont occupés aujourd'hui que par Taiwan, et les Paracels, seulement par la Chine depuis 1974, après en avoir chassé la garnison sud-vietnamienne, en revanche, des garnisons vietnamiennes, chinoises, malaisiennes, philippines et taiwanaises se partagent l'archipel des Spratleys; Brunei revendique également quelques récifs mais ne les occupe pas. Ce conflit territorial a déjà abouti à un bref conflit entre Chine et Vietnam en 1988, ce dernier ayant rapidement été vaincu par la marine chinoise. Les tensions se sont considérablement accrues depuis 1992 et la volonté affichée de Pékin d'affirmer sa souveraineté sur l'ensemble des îles de l'archipel. Au printemps 1995, le dispositif chinois s'est enrichi d'une nouvelle base, implantée cette fois au coeur du réseau d'îles occupées par les Philippines, et revendiquées par celle-ci sous le nom de Kalayaan. La tactique de descente au sud employée par la Chine depuis 1974, la géographie de ses positions dans l'archipel des Spratleys, la nature juridique peu claire de l'espace qu'elle revendique en mer de Chine du Sud, semble témoigner d'une stratégie de long terme, dans laquelle le maître mot serait de diviser pour régner, de jouer sur les non-dit et les divisions entre pays riverains.

REVENDICATIONS, AMBIGUÏTES ET ESQUIVES En mars 1988, les troupes chinoises, jusque là cantonnées à l'archipel des Paracels, envahirent l'archipel des Spratleys et livrèrent bataille contre la marine vietnamienne. L'invasion des Spratleys était certes dirigée contre le seul Vietnam. Cependant, l'irruption de l'armée chinoise au coeur de l'archipel des Spratleys impliquait que la profondeur stratégique entre Chine et ASEAN que constituait la mer, se trouvait subitement considérablement réduite. Le 13 août 1990, en visite à Singapour, le Premier ministre Li Peng affirma que la Chine était prête à négocier l'exploitation conjointe des ressources de la mer de Chine du Sud, à condition que la question de la souveraineté soit mise de côté1. Il semblait reprendre une idée proposée lors du premier atelier de discussions, organisé par l'Indonésie en janvier 1990 : la Malaisie avait proposé la constitution d'une Autorité du développement conjoint en mer de Chine du Sud ; cependant, la proposition malaisienne divergeait de la position chinoise en ce qu'elle

préconisait le maintient du statu quo militaire : la souveraineté des Etats n'était pas remise en cause2. Le 26 février 1992, la Chine a proclamé unilatéralement sa Loi sur les eaux territoriales, et a réaffirmé avec vigueur sa souveraineté sur l'ensemble des archipels de mer de Chine du Sud. Dans le cadre de cette loi, la Chine se réserve le droit d'agir par la force pour faire respecter sa souveraineté sur ces îles, ainsi que sur ses eaux territoriales. La loi chinoise de février 1992 a catalysé les craintes naissantes des pays de l'ASEAN. En effet, malgré les promesses chinoises de négocier et de ne pas prendre de mesures unilatérales, Pékin affirmait sa souveraineté sur un immense espace maritime et se prévalait du droit de la défendre par la force. En mai 1992, la Chine attisa la tension dans la région, et renforça les craintes de l'ASEAN, en accordant une concession d'exploration pétrolière à une compagnie américaine, Crestone Energy Co., au beau milieu du système de concessions vietnamien, et à près de 800 km des côtes chinoises. La compagnie affirma de plus la détermination chinoise à protéger ses activités par la force. Pékin exprimait, ce faisant, sa volonté de faire respecter sa souveraineté sur ses eaux territoriales définies par la loi de février 1992. En juillet 1992, des troupes chinoises occupèrent un îlot supplémentaire des Spratleys. En septembre, la Chine envoya deux navires d'exploration géologique dans le Golfe du Tonkin, du côté vietnamien de la ligne du traité franco- chinois de 18873, provoquant la colère de Hanoi.

Des espaces maritimes enchevêtrés Les revendications chinoises sont illustrées par les "neuf tirets", cette ligne en tiretés qui englobe l'essentiel de la mer de Chine du Sud et s'avance jusqu'au récif James, au large du Sarawak. La Chine fonde la légitimité de ses revendications sur des "droits historiques", cet espace maritime constituant les "eaux historiques" de la Chine. Or, cette notion n'existe pas dans le texte de la Convention du Droit de la Mer de 1982, que la Chine n'a ratifié qu'en 1996. De plus, Pékin n'a jamais explicitement exprimé l'idée que son titre sur la mer lui provenait de l'extension d'une zone économique exclusive (ZEE) tracée à partir des archipels des Paracels et des Spratleys, qu'elle estime siens, et pour cause : le statut de la ZEE est beaucoup plus restreint le statut des eaux revendiquées, sur lequel Pékin laisse planer une ambiguïté volontaire, laissant volontiers accroire qu'il s'agirait d'eaux territoriales. La Chine n'a jamais précisé la méthode retenue pour le tracé de sa revendication, ni sa position exacte par des coordonnées, ni la nature de l'espace ainsi défini, ni même la légitimité légale d'un tel tracé4. Après avoir proposé à la Chine, mais en vain, d'échanger la reconnaissance de la souveraineté chinoise sur les Paracels contre celle de la souveraineté vietnamienne sur les Spratleys en 1976, Hanoi s'est à son tour replié sur une argumentation historique pour légitimer sa revendication sur les deux archipels de mer de Chine méridionale. En mai

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1977, le Vietnam proclamait une ZEE de 200 miles marins, et précisait que celle-ci s'étendait également à partir des archipels vietnamiens (sans plus de précision), mais n'a pas fourni de carte de cet espace maritime. Seules furent précisées les lignes de base continentales à partir desquelles mesurer l'étendue de la ZEE, mais là encore les lignes de base des archipels ne furent pas précisées. De fait, si la nature de la revendication maritime du Vietnam est connue (il s'agit d'une ZEE), en revanche son tracé exact ne l'est pas. Les documents officiels transmis aux compagnies pétrolières font état d'un vaste espace maritime (fig. 1), subdivisé en multiples blocs pétroliers. Mais cette revendication ne serait pas celle que Hanoi souhaiterait défendre devant le droit international, selon le Comité pour le Plateau Continental du Vietnam, lequel a affirmé en 1994 que, pour le Vietnam, les îlots des archipels n'étaient que des rochers, et donc ne donnaient pas droit, au titre du Droit de la mer, ni à une ZEE, ni à un plateau continental5. Quels facteurs peuvent expliquer ce retournement d'inte-rprétation du Vietnam, un retournement par ailleurs d'autant moins crédible que les cartes postérieures à 1994 des blocs pétroliers vietnamiens présentent encore une ZEE qui s'étend toujours aussi profondément en mer de Chine du Sud, que Hanoi n'a jamais contesté les différentes cartes publiées sur sa ZEE, et que le Vietnam lui- même n'entend pas publier de version officielle ? Vraisemblablement, il s'agit de la perception plus fragile de la position stratégique du Vietnam dans les Spratleys depuis l'irruption chinoise en 1988, et qui le

pousse à adopter une attitude légaliste et diplomatique, une attitude destinée à séduire tant l'ASEAN que la communauté internationale (fig. 2). Les Philippines ont une position encore plus confuse du point de vue juridique. Manille revendique les îles comprises dans un quadrilatère dénommé territoire de Kalayaan, mais sans qu'un lien juridique soit clairement établi avec le statut légal des eaux englobées dans ce quadrilatère. Le gouvernement philippin serait en train de définir une vaste ZEE qui engloberait le Kalayaan, mais ce projet, parce que Manille ne souhaite pas envenimer le conflit avec la Chine, n'a toujours pas abouti. Quant à la Malaisie et au Brunei, le raisonnement juridique qui a prévalu à leurs revendications dans les Spratleys est qu'un certain nombre d'îlots se trouvaient dans leur ZEE, et donc relevaient de leur souveraineté, une attitude contestable car la ZEE ne confère aucun titre de souveraineté sur des terres émergées : c'est l'inverse qui est vrai. Les revendications enchevêtrées des différents pays sur tout ou partie des archipels des Paracels et des Spratleys, ainsi que sur les espaces maritimes environnants, rendent tout règlement négocié extrêmement délicat, d'autant plus que les statuts juridiques des zones maritimes ainsi revendiquées diffèrent considérablement d'un pays à l'autre, d'une part, et que, d'autre part, ces revendications procèdent parfois d'une lecture contestable du droit de la mer. Qui plus est, les Spratleys présentent une géographie des garnisons des différents pays fort

revendications maritimes: Vietnam Malaisie Indonésie Brunei Philippines (Kalayaan)

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1 -VALENCIA M., 1993, Spratly Solution still at Sea, The Pacific Review, Oxford, VI, 2, p. 155. 2 - CHEN H.-Y., 1991, The prospects for Joint Development in the South China Sea ", Issues & Studies, Taipei, XXVI, 12, p.1 15-1 16. 3-FINDLAYT., 1992, South China Sea Scramble, Pacific Research, V, 4, novembre, p. 10. 4 - LASSERRE F., 1996, Le Dragon et la Mer, Stratégies géopolitiques chinoises en mer de Chine du Sud, L'Harmattan, Montréal, p. 133-1 34 et 188-189. 5 - M. Huynh Minh Chinh, directeur du Département des Affaires Maritimes, Hanoi, 12 novembre 1994.

Figure 1 : Des chevauchements de revendications multiples

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6 - Le tracé chinois est contestable pour deux raisons : certains segments de la ligne de base entourant les Paracels sont trop longs (Art.47-2 du Droit de la mer, Convention de Montego de 1982) ; et surtout, la possibilité de se prévaloir ainsi d'un tracé archipélagique est expressément réservée aux États archi-pélagiques comme les Philippines, l'Indonésie ou le Japon (Art. 47-1), ce que la Chine n'est pas. 7 - On estime les réserves de ce gisement à près de 1450 milliards de m3, ce qui en fait l'un des plus grands du monde.

Figure 2 : La descente au Sud des Chinois

complexe, ce qui accroît le risque de conflit armé (fig. 3).

L'Indonésie entraînée dans le différend La République Populaire de Chine (RPC) se garde bien de préciser la nature réelle de la revendication qu'elle affiche sur toutes ses cartes, et, lorsqu'elle a proclamé des lignes de base le 15 mai 1996, elle s'est contentée d'établir un tracé autour des Paracels, tracé contestable au regard du droit de la mer d'ailleurs6, mais n'en a rien fait autour des Spratleys, se contentant de réitérer sa souveraineté sur l'archipel. Cette ambiguïté entretenue devenant troublante pour l'Indonésie, dont le plateau continental et la ZEE, clairement établis, chevauchent la partie méridionale de l'espace marin revendiqué par Pékin. Cette zone, à l'extrême sud de la mer de Chine méridionale, sur le plateau continental de la Sonde, était d'autant plus importante aux yeux de Jakarta que la présence d'un très important gisement de gaz naturel y était confirmée au début des années 19907. Or, à l'instar de la Chine, devenue importateur net d'hydrocarbures en 1994, l'Indonésie, qui voit sa consommation augmenter nettement plus rapidement que sa production, risque de devenir elle aussi importateur net vers 2005 ; une telle évolution priverait l'économie des recettes d'exportation de gaz naturel, lesquelles représentaient 25% des ventes du pays à l'étranger,

des exportations dont le pays a grand besoin pour sa politique de développement. De fait, de médiateur désintéressé, puisque ne revendiquant aucun récif des Spratleys, l'Indonésie s'est vue peu à peu prise dans un engrenage de soupçon et de détérioration de ses relations avec la Chine. Au début de 1994, Jakarta demanda officiellement aux autorités chinoises quelle était la signification de cette fameuse ligne qui englobait l'ensemble de la mer de Chine du Sud, et qui descendait jusqu'à 200 km environ des îles Natuna. De nombreux échanges verbaux n'éclairèrent en rien les Indonésiens sur les intentions réelles des Chinois. Ceux-ci firent de nouveau état de leur héritage des anciennes dynasties chinoises, un argument que l'Indonésie rejeta en bloc, rétorquant que sans occupation et intérêt continu, l'argument historique n'avait aucune valeur en droit international. La RPC tenta alors de détourner la question en insistant pour que seules des négociations bilatérales soient tenues sur la question de la souveraineté sur les archipels disputés8, mais Jakarta défendit la solidarité de l'ASEAN en rappelant que de telles négociations étaient peu crédibles dans la mesure où plusieurs parties revendiquaient les Spratleys. Ce n'est qu'en avril 1995 que la Chine reconnut que le statut de la ligne des neuf tirets devait être précisé, une confirmation de l'ambiguïté de l'attitude chinoise, mais qui ne rassurait Jakarta en rien : si Pékin reconnaissait ne pas revendiquer les îles Natuna, en revanche ses intentions quant au gisement de gaz

O port □ aérodrome X bataille

1980 Début des patrouilles aériennes en merde Chine du Sud

^ é*< Zhanjiang 1983

^ Députdes "\ circumnavigations

1956 s-<(iilitaires Occupation du groupe \

Yulin Amphitrite 1974 _ X

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1988 Victoire navale contre Occupation de

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©FUEG. 19981

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demeuraient inconnues. Bien pire : en juillet 1995, le ministre des Affaires étrangères chinois, Qian Qichen, confia à son homologue indonésien, Ali Alatas, que des négociations devraient sans doute être tenues entre les deux parties afin de régler la question des chevauchements de revendications maritimes, sous- entendant que Pékin défendrait la pérennité juridique du tracé de sa revendication, ce à quoi M. Alatas rétorqua qu'il "n'y [avait] pas de chevauchement", réfutant ainsi la légitimité du tracé chinois. "Vous tirez là vos propres conclusions" lui aurait répondu Qian Qichen9. Devant l'attitude chinoise, le gouvernement indonésien choisit finalement la fermeté : en septembre 1996, il organisa, au large des îles Natuna, les plus grandes manœuvres aéronavales depuis 4 ans. Le gouvernement indonésien reconnaissait ainsi qu'il n'était plus neutre dans la question du partage de la mer de Chine du Sud. Mais, certes au prix de cette neutralité indonésienne dans le litige, et qui s'inscrit en fait dans la longue tradition de suspicion et de rivalité entre Indonésie et Chine depuis 1965, la RPC maintenait ses options juridiques : en préservant le flou quant à la nature et à l'étendue de ses revendications maritimes en mer de Chine méridionale, Pékin pouvait se permettre de dévoiler son jeu au moment opportun.

La guerre pour le pétrole, ou " The Drilling Reids10 " ? Le pétrole serait-il, comme on le lit si souvent, le moteur de ces revendications multiples et chevauchées, et ce d'autant plus que les pays de la région connaissent des taux d'accroissement de la demande extrêmement rapides ? Du fait d'une industrialisation rapide et de l'élévation globale du niveau de vie des habitants, la demande en énergie croît à l'heure actuelle au rythme annuel de 7 à 8% en Indonésie, de 9% en Chine, de 15% au Vietnam. Les pays importateurs, comme les Philippines chez qui le pétrole représente près de 10 % des importations, sont donc confrontés à de graves difficultés pour satisfaire cette demande énergétique, tandis que les pays exportateurs, qui retiraient des profits substantiels de leurs ventes d'hydrocarbures, voient celles-ci se réduire considérablement du fait d'une augmentation très rapide des besoins en énergie, et en particulier en pétrole. Face à une telle équation, on comprend l'importance que peuvent attacher les gouvernements de la région à l'exploration du moindre gisement. Ainsi, la Chine, ancien exportateur majeur en Asie, est devenue importateur net en 1994. En 1985, l'exportation de 31,6 millions de tonnes (Mt) de brut avait constitué 20% de ses apports en devises ; mais c'est aujourd'hui une facture de plusieurs millions de dollars que la Chine paye chaque année, et ses importations, qui représentaient 15% de la consommation en 1996, pourraient être multipliées par 5 d'ici 201011. De même, l'Indonésie a exporté pour 20,8 milliards $ d'hydrocarbures en 1981, un chiffre tombé à 10,5 milliards $ en 1994.

Il est sûr qu'une telle évolution renforce l'intérêt que les pays peuvent nourrir à l'égard des gisements en mer. C'est en 1968 que la Commission Économique pour l'Asie et l'Extrême-Orient (ECAFE) avait annoncé que le bassin de la mer de Chine du Sud devait sans doute receler de vastes gisements de pétrole. La première découverte remonte à 1976, lorsque les Philippines ont annoncé un petit gisement dans le banc Reed, au nord-est des Spratleys. Les articles de l'époque font état de la dimension pétrolière dans les enjeux territoriaux sur les archipels de la région12. Les Chinois affirment estimer, encore aujourd'hui, les réserves totales de la mer de Chine méridionale à environ 65 milliards de tonnes, soit près de 455 milliards de barils, ce qui en ferait le deuxième gisement du monde, après celui de l'Arabie Saoudite, du Koweït et du sud de l'Irak. Pourtant, ces espoirs semblent aujourd'hui peu fondés. D'une part, environ 90% des réserves en hydrocarbures de ce bassin maritime se trouvent en fait dans les marges continentales des divers pays riverains, soit le delta de la rivière des Perles, les environs de Hainan, le golfe du Tonkin, les plateaux continentaux vietnamien et de la Sonde , au nord- ouest et au nord de l'île de Bornéo; les quantités exploitables dans les Paracels et les Spratleys seraient au mieux "modestes". D'autre part, les réserves estimées à l'heure actuelle sont loin des chiffres faramineux avancés par les Chinois. On parle de 3 à 5 milliards de barils de pétrole pour le plateau continental du Vietnam, de 700 millions de barils pour les Philippines, de 1,4 milliard pour Brunei, et de 4,5 milliards pour les réserves malaisiennes de mer de Chine du Sud et de l'océan Indien. En janvier 1997, la compagnie Royal Dutch/Shell a annulé la reconduction de son contrat de partenariat avec PetroVietnam pour l'exploration pétrolière du plateau vietnamien, après n'avoir pas pu découvrir de gisement commercialement viable ; quant à la compagnie australienne ВНР, elle a préféré perdre son investissement initial de 117 millions $ plutôt que de poursuivre ses opérations, au vu des conditions financières offertes par le gouvernement vietnamien et des ressources découvertes. Même en ajoutant les réserves indonésiennes et chinoises, on est loin, dans les connaissances actuelles, des chiffres atteints en mer du Nord, souvent citée comme élément de comparaison. Les réserves de gaz de la Malaisie (2171 milliards m3 au total) et de l'Indonésie (1823 milliards m3) sont considérables, mais sont situées à l'extrême sud de la mer de Chine méridionale, loin des archipels disputés ; celles de Brunei sont importantes (396 milliards m3), mais ce n'est le cas ni du Vietnam (57 milliards), ni des Philippines (84 milliards). Les Chinois ont découvert des gisements commercialement exploitables au sud de Hainan, là encore sur le plateau continental leur appartenant.. Si l'exploitation des gisements de pétrole en mer de Chine méridionale représente 100% de la production totale vietnamienne, 90% de celle de Brunei, 97% de celle des Philippines, et près de 55% de celle de la Malaisie, elle n'en constitue que 6 à 7% en Chine,

8 - Ce qui revenait, de plus, à exclure l'Indonésie des négociations directes, puisque Jakarta n'avait pas de litige territorial à proprement parler avec la Chine, ne revendiquant aucun récif des Spratleys. 9 -WHITING A. S., 1997, ASEAN Eyes China, Asian Survey, XXXVII, 4, p. 305-306 ; Far Eastern Economic Review (ci-après FEER), Hongkong, 27 avril 1995, 28 décembre 1995, 5 septembre 1996 ; Le Monde, 1er août 1995. 10 -FEER, 6 décembre 1990. 1 1 - Asian Wall Street Journal, 24 juin 1997. 12 -FEER, 27 décembre 1974.

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Figure 3 : Le partage des Spratieys : un enchevêtrement de garnisons (1996)

Figure 4 : Lignes de base proclamées par la Chine en mai 1 996

Positions occupées par : V Vietnam P Philippines

T Taiwan С Chine M Malaisie

Southwest Cay Thitu Reef Thitu Island P..

Subi Reef £

p Northeast Cay

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GOLFE DU TONKIN

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ligne de base limite des 12 miles nautiques repères de tracé

1

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90 km

MER DE CHINE DU SUD

groupe du ÂmphitrH^ CrçfSSjint /.;.

îles Paracels

©FL/EG. 1998

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malgré une dizaine d'année d'efforts considérables pour attirer les compagnies occidentales. Ces chiffres donnent certes la mesure de l'enjeu pétrolier pour les États riverains d'Asie du Sud-Est, mais soulignent la fragilité de l'argument du pétrole avancé par la Chine pour justifier ses revendications : quantités modestes produites, réserves non-négligeables mais non pas énormes, et faible part dans la production globale. Qui plus est, lorsque, à partir de la fin du second conflit mondial, se sont cristallisées les prétentions de la Chine, mais aussi des Philippines et du Vietnam, la présence d'hydrocarbures était certes supposée, mais était loin d'être avérée. Encore aujourd'hui, si des gisements sont prouvés, ils ne représentent que quelques années d'une exploitation difficile du fait d'une géologie tourmentée. La présence de pétrole ne fait que renforcer des prétentions territoriales préexistantes. Un autre élément d'intérêt, plus militaire, pourrait s'expliquer par la géographie même de ces îlots, qui constituent des positions stratégiques dans le contrôle du trafic maritime en mer de Chine du Sud, par laquelle passent près de 270 navires chaque jour entre l'océan Indien et le Pacifique. Si ces considérations ne sont certainement pas absentes des raisonnements des divers gouvernements, tant les économies régionales dépendent du trafic maritime pour leurs exportations, l'avantage réel qu'ils peuvent espérer retirer de la possession de ces cailloux ne peut être réalisé que sur le long terme, étant donné l'imbrication des garnisons et la relative absence de moyens de projection de puissance à partir de bases aussi réduites, à moins que le jeu ne consiste, justement, à limiter les moyens de projection des autres pays riverains par la seule présence de multiples garnisons.

UNE STRATEGIE DE CONQUETE ? Cette ambiguïté chinoise quant aux limites et à la nature exacte de leurs revendications en mer de Chine du Sud pourrait bien être instrumentale à ce qui ressemble fort à une stratégie délibérée et calculée de la part de la Chine : une progressive descente vers le sud, l'occupation de positions stratégiques et leur renforcement, et la pérennisation de la présence chinoise. C'est en 1974 que Deng Xiaoping, alors commissaire politique, organisa l'expédition aéronavale qui expulsa la garnison sud-vietnamienne des Paracels et permit à la RPC de rester seul maître de l'archipel. C'est également Deng qui, une fois devenu président de la Commission militaire centrale (CMC) en 1980, favorisa le développement rapide de la marine, que traduit éloquemment aujourd'hui la considérable amélioration de la capacité opérationnelle de la flotte du Sud, et qui permit le succès du conflit naval de 1988 contre le Vietnam. En effet, la Chine, absente des Spratleys jusque là, avait pris position en 1987 sur le récif Fiery Cross, sur une position menaçant directement le dispositif vietnamien; à la faveur d'une bataille qui vit la marine chinoise humilier son

adversaire vietnamien, la Chine occupa six positions supplémentaires des Spratleys. La stratégie chinoise consistait à canaliser la menace potentielle que pouvait susciter son irruption dans l'archipel contre le seul Vietnam, en l'attaquant directement tout en assurant les autres protagonistes présents dans l'archipel, Philippines, Taiwan et Malaisie, que Pékin entendait favoriser un règlement pacifique à la question. De fait, la Chine concentra l'établissement de ses positions au coeur du dispositif vietnamien, menaçant ainsi leur ravitaillement et affirmant du même coup sa confiance en une logistique navale dont beaucoup doutait de sa capacité à mener une campagne comme celle de 1988. Isolé à l'époque sur la scène internationale à la suite de la prise de Saigon en 1975, puis de l'invasion et de l'occupation du Cambodge, le Vietnam ne put solliciter l'aide de ses voisins de l'ASEAN, lesquels ne protestèrent pas contre le geste chinois. C'est le même calcul que fit Pékin en 1992, en proclamant sa souveraineté sur la mer de Chine du Sud, puis en octroyant une concession pétrolière à une compagnie américaine en plein coeur de la ZEE vietnamienne. De 1992 à 1995, de nombreux incidents opposèrent marines vietnamienne et chinoise, tant autour de cette concession qu'au sein même de l'archipel des Spratleys. Cette fois-ci, l'inquiétude se fit jour au sein de l'ASEAN, puisque les membres de l'association signèrent en 1992 la Déclaration de Manille qui appelle les protagonistes du conflit à un règlement pacifique ; mais la RPC était suffisamment habile pour limiter ses coups de force militaires et juridiques en deçà d'un seuil tolerable par les pays d'Asie du Sud- Est, par ailleurs de plus en plus intéressés par une coopération approfondie avec la locomotive économique que devenait la Chine. Au sein de l'ASEAN prévalait une attitude conciliante : il s'agissait, par une approche des petits pas, d'amener Pékin à négocier, à discuter de ses objectifs, une attitude que la Chine entretenait en multipliant les déclarations bilatérales de bonne volonté, proposant sans relâche que soit mise de côté la question de la souveraineté pour que les pays riverains puissent s'atteler à la tâche de l'exploitation des richesses marines. De fait, la découverte, en janvier 1995, d'une nouvelle position chinoise, sur le récif Mischief, cette fois-ci en plein cœur du dispositif philippin, fit l'effet d'une bombe dans les capitales de l'ASEAN. La pose de nombreuses bornes de souveraineté chinoises, puis la fureur de Pékin lorsque la marine philippine les dynamita, confirmèrent le changement d'orientation de la stratégie chinoise : le Vietnam n'était plus pris pour seule cible. Mais par ce geste, là encore, la Chine démontrait qu'elle était capable d'agir à sa guise à l'intérieur des dispositifs des protagonistes, pour éventuellement menacer leur logistique, et que toute sa stratégie consistait, par petits coups de force, à faire progresser son emprise sur l'archipel, emprise réelle par l'intermédiaire de garnisons, ou symbolique grâce à des bornes de souveraineté.

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DIVISER POUR REGNER L'occupation du récif Mischief eut sans doute pour effet d'accélérer le processus d'admission du Vietnam au sein de l'ASEAN, processus dont la plupart des observateurs avaient prédit qu'il serait fort long au vu des différences politiques et économiques qui séparaient encore le Vietnam des pays de l'association. De fait, le Vietnam fut admis en juillet 1995, soit 8 mois après avoir déposé officiellement sa demande. En intégrant l'association, Hanoi peut, d'une part, espérer la solidarité des membres pour faire face aux critiques occidentales en matière de droits de l'homme : les positions de Kuala Lumpur et de Jakarta, à cet égard, sont claires et rejettent toute ingérence. Surtout, l'intégration au sein de l'ASEAN permet de penser que Hanoi est en train de gagner les pays membres à l'idée qu'un front commun contre les ambitions chinoises est souhaitable, un front certes non pas militaire, mais à tout le moins diplomatique. La solidarité des pays membres tant envers le Vietnam qu'envers les Philippines dans leur différend avec la Chine devait permettre de dissuader Pékin d'adopter à nouveau une attitude agressive, en augmentant le coût politique d'un tel geste. L'admission du Vietnam au sein de l'ASEAN ne parut pas impressionner la RPC. En mai 1996, elle rendit public le tracé de ses lignes de base autour des Paracels, mais non des Spratleys. La démarche pouvait sembler dénoter une attitude prudente, mais envoyait aussi comme message à Hanoi, seul adversaire de Pékin dans la question de la

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souveraineté sur les Paracels, que cet archipel-ci n'était pas négociable. Fin février 1997, lors d'une séance de discussion sur la mer de Chine du Sud avec les pays de l'ASEAN, la Chine a refusé de signer la Déclaration de Manille, qui propose un règlement pacifique de la question. En octobre 1996, Hanoi et Pékin annoncèrent vouloir résoudre le conflit selon les termes de la convention du droit de la mer , un engagement purement rhétorique puisque, le 7 mars 1997, les autorités vietnamiennes découvrirent que la Chine avait installé une plate-forme de forage à 65 miles nautiques au large du Vietnam, à l'extrême limite de la zone revendiquée par la Chine dans son tracé des neuf tirets, un nouveau geste qui confirmait la très grande ambiguïté que Pékin souhaitait entretenir quant à la nature juridique de ce tracé ; cette ambiguïté même lui servait de paravent pour ce coup de sonde en zone vietnamienne, car Pékin put se prévaloir du fait que la plate-forme se trouvait "dans sa ZEE", selon un porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois. Après l'échec des pourparlers directs entre Chine et Vietnam, Hanoi se résolut à faire jouer la solidarité régionale de l'ASEAN. À la surprise de Pékin, l'association présenta effectivement un front diplomatique coordonné, et la Chine retira sa plate-forme deux semaines plus tard.

Pékin n'a pas renoncé pour autant à sa stratégie de pression, ciblant un seul pays à la fois : le 30 avril 1997, la marine philippine s'est aperçue de la présence de nombreux bâtiments militaires chinois autour de ses positions des îlots Loaita et Lankiam,

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dans l'archipel des Spratleys, ainsi que d'une construction sur un récif à 6 miles marins au nord-est de Lankiam. Les Philippins découvrirent également que la Chine avait activement promu l'aménagement d'installations radiophoniques amateur sur le récif Scarborough, d'où les émissions étaient identifiées comme provenant d'un territoire chinois. Après ces manœuvres d'intimidation de la marine chinoise, Manille décréta la mobilisation partielle des forces aéronavales, une réaction que certains jugèrent disproportionnée avec la menace, mais qui reflète bien la tension qui règne dans la région. En juin et juillet, Pékin s'éleva vivement contre la destruction des bornes de souveraineté que la Chine avait à nouveau éparpillées dans le secteur des Spratleys tenu par les Philippines. La Chine a rappelé à quel point elle se sentait peu affectée par les protestations de l'ASEAN lorsque, en novembre 1997, Pékin a accordé une concession gazière à une compagnie américaine, Atlantic Richfield, dans la zone même, au large du Vietnam, où avait été installée la plate-forme de forage en mars de la même année. La nouvelle concession, selon Hanoi, chevauche, sur une profondeur de 4,6 km, la ZEE vietnamienne. La RPC reprenait ainsi la tactique employée en 1992 avec Crestone Energy, soit se servir d'intérêts américains comme bouclier face à un Vietnam qui cherche désespérément l'appui de Washington dans la région. Le 5 décembre 1997, la Chine faisait rejaillir la tension autour de la concession accordée à Crestone, près de 1100 km plus au sud, en y dépêchant 3 navires d'exploration, lesquels furent interceptés par la marine vietnamienne, et ce, à quelques jours de l'ouverture d'une séance de négociations avec les pays de l'ASEAN. La rapidité avec laquelle la Chine s'est tournée contre les Philippines après le test de la résolution vietnamienne en mars, et l'attitude plus réservée de l'ASEAN pour soutenir Manille dans cette crise, puis la nouvelle dispute, par compagnies pétrolières interposées, qui a éclaté en novembre entre Chine et Vietnam, démontrent la fragilité du calcul politique de l'association : s'il est parfois possible de contrer les gestes chinois en déployant un ferme front commun, on peut se demander dans quelle mesure la Chine ne cherche tout simplement pas à tester les divers maillons de ce front, et à prouver que les tractations diplomatiques, auxquelles elle accepte de se prêter, ne remettent pas en cause, dans l'esprit de ses dirigeants, la légitimité de ses revendications. Si le Vietnam semble plus solide que par le passé, du fait de la fin de son isolement international et de son admission au sein de l'ASEAN, en revanche, les Philippines, dont la faiblesse militaire avait déjà été mise en évidence lors de l'installation d'une base chinoise sur le récif Mischief en 1995 , semblent être un adversaire d'autant plus tentant que, d'une part, les Etats-Unis refusent catégoriquement le principe de l'invocation de leur traité de défense mutuel depuis leur départ des bases de Subie Bay et de Clark Air Field en 1992, et que, d'autre part, l'interprétation de l'imminence de la menace chinoise est variable parmi les capitales de la région. La stratégie des "sauts de

puce", des petits coups de force qui affermissent la position chinoise en mer de Chine du Sud, mais sans aller jusqu'à effrayer les pays voisins, semble encore payante à long terme pour la Chine, d'autant plus que, dans la course aux armements qui se poursuit dans la région, les ressources financières de l'Armée Populaire de Libération de la Chine sont sans commune mesure avec celles des armées voisines. Pleinement consciente de sa revendication sur l'ensemble de la mer de Chine du Sud à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Chine n'avait pas les moyens militaires de faire valoir ses prétentions jusqu'au début des années 1970. Les îles Pratas, occupées par Taiwan de façon permanente depuis 1964 , ne sont pas l'objet de son attention du fait de l'entente tacite entre Taipei et Pékin sur la question de la mer de Chine méridionale. Après avoir obtenu la maîtrise des Paracels en 1974, la Chine a réussi à prendre pied en 1987 dans l'archipel des Spratleys, et y garde depuis l'initiative militaire, faisant peu à peu progresser ses positions aux dépends de l'un ou de l'autre de ses adversaires, sans alarmer les voisins, ni le Japon ni les États-Unis.

Le pétrole n'a agi que comme catalyseur dans un imbroglio de revendications inextricablement entremêlées. Non pas que les considérations énergétiques ou stratégiques soient négligeables : elles sont aujourd'hui aussi au cœur des préoccupations des gouvernements. Mais elles ne sauraient, à elles seules, expliquer le niveau de tension qui règne à l'heure actuelle dans la région, tant du fait de la réalité de la géographie des gisements, que de l'importance de ces gisements et de l'historique de leur découverte dans la chronologie du conflit.

C'est plutôt le nationalisme des acteurs qui permet le mieux de rendre compte des enjeux que constituent ces archipels pour les pays riverains. En particulier, l'importance que la Chine attribue aux Paracels et aux Spratleys provient plus du désir d'effacer le souvenir de ce que les Chinois se remémorent comme le "siècle de honte", que d'une réelle volonté hégémonique entretenue depuis trente ans. La volonté de puissance n'est pas ici première; elle peut venir, devant le succès économique et la puissance militaire que se bâtit la Chine, et, comme l'a rappelé en 1992 B. A. Hamzah, Directeur de l'ISIS Malaysia, la Chine doit se garder d'en revenir à la mentalité de l'Empire du Milieu et aux relations de tributaires en Asie du Sud-Est. Les gouvernements de l'ASEAN estiment que le front diplomatique de l'association devrait dissuader la Chine de recourir à une solution militaire pour les dix prochaines années . Et après ces dix ans ?

adresse de l'auteur : Chaire Téléglobe-Raoul Dandurand en Etudes Stratégiques, Université du Québec à Montréal Case postale 8888 succursale Centre-Ville Montréal (Québec) Canada H3C 3P8