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Les clauses d’évaluation sectorielles : outils d’ajustement ou de stratégie politique ? Le cas de l’interdiction de la mendicité à Lausanne The Sectorial Evaluation Clauses: A Tool to adjust a policy or to reach political goals? The case of the ban on begging in Lausanne Damien Wirths * Résumé Demander dans une loi que ses effets soient mesurés est considéré comme une bonne pratique synonyme d’expertise. Néanmoins, à travers l’étude d’une politique sécuritaire suisse, on s’aperçoit que cette expertise n’est pas l’apanage de l’evidence-based policymaking mais également un moyen de d’alimenter le conflit politique sur la base de données empiriques. Mots-clés Evaluation ; Evidence-based policymaking ; Suisse ; Politique sécuritaire ; Parlement Abstract Request into a law that its effects are measured is considered as a best-practice synonymous of expertise. However, the case study of a Swiss security policy shows that this expertise is not exclusively related to evidence-based policymaking but also to a means to continuous the political debate producing policy-based evidence. Keywords Evaluation ; Evidence-based policymaking ; Switzerland ; Security Policy ; Legislature 1. Introduction Depuis des années, les Etats post-modernes ont connu une « vague » d’activités évaluatives (Dahler-Larsen, 2005). L'évaluation est maintenant un domaine distinct avec ses propres sociétés professionnelles, revues, conférences, formation, cours, conseil, compagnies et * Quartier UNIL-Mouline, Bâtiment IDHEAP, CH-1015 Lausanne. [email protected] Doctorant FNS

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Lesclausesd’évaluationsectorielles:outilsd’ajustementoudestratégiepolitique?Lecasdel’interdictiondelamendicitéà

Lausanne

TheSectorialEvaluationClauses:ATooltoadjustapolicyortoreachpoliticalgoals?ThecaseofthebanonbegginginLausanne

DamienWirths*

Résumé

Demanderdansuneloiqueseseffetssoientmesurésestconsidérécommeunebonnepratiquesynonymed’expertise.Néanmoins,àtraversl’étuded’unepolitiquesécuritairesuisse,ons’aperçoitquecetteexpertisen’estpasl’apanagedel’evidence-basedpolicymakingmaiségalementunmoyen

ded’alimenterleconflitpolitiquesurlabasededonnéesempiriques.

Mots-clés

Evaluation;Evidence-basedpolicymaking;Suisse;Politiquesécuritaire;Parlement

Abstract

Requestintoalawthatitseffectsaremeasuredisconsideredasabest-practicesynonymousofexpertise.However,thecasestudyofaSwisssecuritypolicyshowsthatthisexpertiseisnot

exclusivelyrelatedtoevidence-basedpolicymakingbutalsotoameanstocontinuousthepoliticaldebateproducingpolicy-basedevidence.

Keywords

Evaluation;Evidence-basedpolicymaking;Switzerland;SecurityPolicy;Legislature

1. Introduction

Depuisdesannées,lesEtatspost-modernesontconnuune«vague»d’activitésévaluatives(Dahler-Larsen, 2005). L'évaluation est maintenant un domaine distinct avec ses propressociétés professionnelles, revues, conférences, formation, cours, conseil, compagnies et

*QuartierUNIL-Mouline,BâtimentIDHEAP,[email protected]

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institutions.L’évaluationdespolitiquesestdoncunphénomèneenpleinecroissance(Aubert,2003; Bussmann, 2007, 2008; Mader, 2005; Charles-Albert Morand, 2001) dontl’institutionnalisation est encouragée tant par les évaluateurs que par les acteursinstitutionnels (CDF, 2011; OFJ, 2004, 2005) – a fortiori dans un contexte de contraintesbudgétairesquiencouragelapromotiond’unemeilleuregouvernance.Untravailcomparatifauniveauinternationalaainsipermisd’identifierdansplusde21paysduglobeuneculturedel'évaluationmatureetintégréedanssonsystèmepolitiqueetadministratif(Furubo,Rist,& Sandahl, 2002, p. 6; Jacob, Speer,& Furubo, 2015). Cet élan s’est ainsi traduit par uneinstitutionnalisationaccruedel’évaluationobservabledanstouslespaysdel’OCDE,ycomprislaSuisse(Bussmann,2008).Cettedernièreavu,durantles20dernièresannées,lacréationdenombreusesinstitutionstellesquedesorganesdecontrôleparlementaireouunesociéténationaled’évaluation(Horber-Papazian,2006).Rienquesurlapériode1999–2002,Balthasar(2007,p.298)identifie308évaluationsauniveaufédéral,soitenvironunecentaineparannée.

Lephénomèned’institutionnalisationdel’évaluationestsouventcaractériséparlamiseenplace de nouvelles organisations (Jacob, 2005, p. 112),mais une autre facette consiste àprivilégierlerecoursàdesrèglespourendévelopperlapratique(Jacob,2005,p.109;Mader,1985,p.115).Communément,ils’agitdemettreenplacedesbaseslégalesnomméesclausesd’évaluation demandant de procéder à une évaluation des effets d’une loi lors de sonadoption,planifiantdèsledébutquedesexpertsautonomesjugerontdesonefficacité,desoneffectivitéetdesonefficience(CDF,2011;Mader,1985;Charles-AndréMorand,1993).AussirécentequepuisseêtrecettepratiqueenSuisse(débutdesannées80),elleétaitdéjàbienrépandueauxÉtats-Unisdanslesannées60(Jacobetal.,2015,p.20)oùl’ontrouvaitplus de 40 lois votées par le Congrès américain contenant explicitement une claused’évaluation (Mader, 1985, p. 119). La Suisse est en revanche le pays dumonde dont leParlement a le plus institutionnalisé l’évaluation (Jacob et al., 2015, p. 19), notamment àtraversl’introductiondeclausesd’évaluationdanslesloisqu’iladopte.Bienquecepayspuisseêtrecitéenexempledanscedomaine(Mader,2009,2015;Quesnel,2015),cettepratiqueestégalementrépandueauRoyaume-Uni,enAllemagneetauCanada(Prognos,2013)ainsiqu’auDanemark,auxPays-BasetenNouvelleZélande(Jacobetal.,2015,p.20),demêmequ’auxEtats-Unis(Wegrich,Jann,Shergold,&vanStolk,2005).Elleneselimited’ailleurspasaupaysdel’OCDEpuisquel’onentrouveégalementdansdespayscommeleMexique,laColombie,laChineouencorelaThaïlande(Oxmanetal.,2010).

Analyserleseffetsdesloisestsouventprésentécommeunoutild’ajustementdespolitiquespubliques(FOJ,2004)contribuantàlesrendremeilleures,demêmequel’administrationquilesmet enœuvre (Dreifuss, 2009; Karsson&Conner, 2006;Mader, 2001, 2006). Pour lespartisans de cette interprétation, l’institutionnalisation de l’évaluation dans le processuslégislatif,c’est-à-direlerenforcementdel’évaluationpardesrègles(enl’occurrencededroit)seraitlerefletd’unenouvelledynamique,témoignantd’uneplusgranderationalitédanslemanagementdespolitiquespubliques(Mader,1985)etquis’imposeraitnaturellementfaceàlacomplexitédesproblèmesquel’Étatdoitdorénavanttraiter(OFJ,2004).Certainsauteursn’hésitent pas à parler d’une «révolution» dans les motivations politiques vis-à-vis del’évaluation en évoquant la progression croissante de processus législatifs fondés sur lesrésultats (evidence-based policymaking) (Davies, Newcomer, & Soydan, 2006, p. 176). Ilreprésenterait un effort actuel de réforme et de restructuration du cycle des politiquespubliquesdemanièreàprioriser,danslaprisededécision,desconsidérationsrelativesauxeffetsdespolitiquespubliquesafind’éviteroudeminimiser leséchecsdemiseenœuvre(Howlett, 2009). Cette approche considère que des gens mieux informés prennent des

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décisions objectivement meilleures en mettant les résultats scientifiques au cœur duprocessusdedécision(Daviesetal.,2006,p.175).Cetteperspectivenormative2,largementpromutparl’administrationfédéraledepuisl’introductiond’uneclaused’évaluationdanslaConstitutionfédérale,sepositionneenporte-à-fauxavecunevisiondesprocessuslégislatifsfondés en priorité sur les opinions politiques et les choix de société (opinion-basedpolicymaking),quelsqu’ensoientleseffetsconcrets.

Cetarticlechercheàétudierlesraisonsquipoussentlespoliticiensàsolliciterdesévaluations,et plus particulièrement à insérer des clauses d’évaluation sectorielles, c’est-à-direconcernant une politique publique particulière non pas toute l’administration3. Il fautsoulignerquenotreétuderestelargementexploratoiredanslamesureoù,jusqu’àprésent,les travaux sur l’institutionnalisation de l’évaluation des politiques publiques ne se sontorientés que sur les organisations nouvellement créées (Jacob, 2005, p. 112). Bien quecertains auteurs reconnaissent qu’il fallait également s’intéresser aux clauses d’évaluationquelelégislateurinsèredansuneloi,cettedimensionaétéomise«pardéfaut»,tantilétaitconsidérécomme«peuréaliste»detenircompted’untelindicateuralorsque«aucuntravailsystématique de recensement desdites clauses évaluatives n’existe à ce jour » (Varone&Jacob,2004,pp.276-277).Notretravail,focalisésurlesbaseslégales,estdoncnovateurdansle domaine de l’évaluation des politiques publiques et s’inscrit dans la perspective d’uninventairerécemmentréalisédanstouslescantonssuisses(Wirths&Horber-Papazian,2016)quianotammentpermisd’établirunetypologiedecesclauses(Wirths,2016).Silesrésultatsde laprésente recherchen’ontqu’une faibleportée confirmatoire,nouspensonsqu’il estprimordialdepouvoirexplorerdenouvelleshypothèsessurlabased’observationsempiriques(Gerring,2004)récoltéesgrâceàunedémarchequalitativeconsistantàétudierendétailsunprocessus législatifdans lequel le législateuradécidéd’introduireuneclaused’évaluation.Selon Jacob et Varone (2004), la plupart des facteurs contextuels pouvant expliquerl’institutionnalisationdel’évaluationnes’avèrenthélasquepeusignificatifsetc’estpourquoinousallonsprivilégierunquestionnementorientéverslesacteursdel’évaluationetdesoninstitutionnalisation(Varone&Jacob,2004).Nouschoisissonsdoncd’abordercettequestionsous l’angle des conséquences des évaluations pour les agents élus et non pas sur lesinstrumentsou lesorganisations.Cetteperspective interactionniste consiste ainsi àplacerl’individuaucentrede l’analyseenessayantd’encomprendre lesactionsetà souligner larationalitédel’acteurplutôtqueledéterminismedesstructures.

L’articlecommencepardétaillerlaquestionderecherchequiconsisteàcherchersilesclausesd’évaluations’imposent,commeunoutildepilotage(commelessuggèrentleurprincipauxpartisans)ousiellesnerelèventpasdavantaged’unestratégiepolitique.Cettepartieserasuivied’uneréflexionthéoriqueafind’identifierdesindicateurspourlesdeuxutilisationsdesclauses.Ensuite,laméthodologiequalitatived’uncasselonuneanalysedecongruenceseraprésentéeavantd’entamerladescriptiond’unprocessus législatifconcernant l’interdictiondelamendicitéetquis’estdérouléen2013dansunegrandevilledeSuisse,Lausanne.Enfin,unecomparaisondesindicateursseraeffectuéeetmèneraàladiscussiondesrésultats.

2Danslamesureoùellepostulequelesevidences(souventconsidéréscommedesinformationssurlaperformance)doiventnécessairementguiderlespolitiquesversl’optimisationdelarationalitééconomiqueoumanagérialedel’actionpublique.3 Lanécessitédecesclausesn’estpasd’ordrestrictementjuridique(Mader,2015)dèslorsquedesclausesgénérales(souventderangconstitutionnelourelativesaufonctionnementdel’administration)suffisentàmettreenplacedesévaluationsrelativesàn’importequellepolitiquepublique.L’art.170delaCstSuisseestunexempledeclausegénéraled’évaluation.

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2. Questionderecherche

L’évaluationlégislativeapparaîtdésormaiscommeune«bonnepratique»,autrementdit«uninstrumentdecontrôleetdegestionquis’imposeentempsderestrictionsbudgétaires»(OFJ,2004).Pourtant,desvoixs’élèventpourdirequ’unetelleinstitutionnalisationdel’évaluationn’estpassansconséquencesentermedechargeadministrativeetnedoitsefaire«qu’àbonescient » (Mader, 2015, pp. 77-78). Cet article questionnedansquellemesure les clausesd’évaluations sont véritablement utilisées à bon escient, c’est-à-dire dans le but d’ajusterd’unepolitiquepubliquegrâcedespreuvesscientifique(evidence-basedpolicymaking)etnonpas comme une stratégie politique au service des opinions partisanes (opinion-basedpolicymaking).

Lapertinencedecettequestionnousparaîtdouble.Premièrement,entermesdesciencesadministratives,l’onremarquequelanotiond’l’evidence-basedpolicymaking(EBP)ad’oreset déjà massivement influencé la recherche helvétique (Frey, 2010a, 2010b; Frey &Ledermann, 2010; Ledermann, 2014; Sager&Markus, 2003, pp. 454-456;Widmer, 2009).Pourtant,laplupartdecestravauxn’ontfaitquepostulerl’associationentreévaluationsetEBPetilsontsouventpréféréseconcentrersurla(non-)priseencomptedesrésultatsdansleprocessus de décision ou sur l’optimisation de leur impact (Ledermann, 2012;Widmer &Neuenschwander, 2004). Les questions de recherche soulevées par l’EBP se sont ainsicantonnées à deux aspects qui sont d’une part déterminer ce que sont les evidences (etcomment les produire) et, d’autre part, quand, comment et par le truchement de quelsacteurslesevidencesinfluencent-elleslespolitiquespubliques(Frey&Ledermann,2010).Laquestionprimordialeconsistantàsedemanderpourquoisolliciterdesevidencesn’apasétéposée et la plupart des chercheurs en évaluation se contentent souvent de proposer deshypothèsesdetravail.Enfin,beaucoupdechosesontétéditessurl’attitudedugouvernementoudel’administration(voirnotammentBoswell2009)faceàl’évaluation,maisrarementsurcelledesParlements(voirparexempleSchwab,2005)oùsontpourtantadopterlesclausesd’évaluation.

Deuxièmement,ens’intéressantauxmotivationsdesacteurspolitiques,l’onpeutconsidérerqu’aveclaproductiond’uneévaluation,c’estlejugementd’unexpertnondémocratiquequiauralederniermotquantàlajustessedel’actionsouhaitée.Laqualitédeladécisionnesemesure ensuite plus à sa capacité à mettre d’accord une majorité de forces politiques(Freiburghaus, 1990), mais sur la base des résultats objectifs qu’elle produit -indépendamment des valeurs dont elle est porteuse et qui ont été défendues par lesreprésentants du peuple. Steve Jacob n’hésite pas à parler de l’évaluation des politiquespublique comme d’une désacralisation du processus législatif que nous interprétons icicomme une dépossession des représentants démocratiques du pouvoir de déciderpolitiquementducontenuetdelapertinencedesloisauprofitd’unexpertjugéplusobjectif(sanctifiéen2001parl’art.170delaConstitutionfédérale).JacquesChevalier(2004)parlequantàluid’unedémythificationdel’élupropreàl’Etatpost-moderneetquisignifiequelalégitimité élective (dont se prévalent les élus) serait à présent concurrencée par d’autresprincipesdelégitimité,parallèlesetconcurrents(principalementl’efficacitéetlalégalité).L’undescorollairesdeladiminutionde«l’omnipotencedesreprésentants»seraitl’avènementde l’évaluation des politiques publiques au rang de quatrième pouvoir (Morand, 1993) etferait passer l’opinion politique et le choix de société au second plan. La désacralisationinduite serait donc le résultat d’une « capitulation des élites » face à leur manque deressourcescognitives,afortioripourdesélusnonprofessionnels(miliciens)travaillantdans

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desparlementssuissespeudotésenressources(Klöti,2004).Cefaisant,«lesdécideurspublicsacceptentdesesoumettreàuncontrôle»(Jacob,2005,p.139)

Cettequestionestd’autantpluspertinentepourlaSuisseoùlesgrandesinstitutionsquesontlaconcordanceetladémocratiedirecte-fortementliéesàl’opinion-basedpolicymaking(OBP)-devraientsuffireàgarantirlalégitimitédespolitiquespubliquesetminimiserlerecoursauxévaluations (Freiburghaus, 1990). D'une part, la résolution des conflits se fait dans unprocessusdenégociation(concordance)et,d'autrepart,lesprocessusdedécisionbénéficientsouventd'unepériodedeconsultation4privilégiant les intérêtsdepartiesprenantesetnelaissentquetrèspeudeplacepourdesrésultatsempiriquesliésàlamiseenœuvre-etquirisqueraientderemettreenquestionlesaccordsnégociés(Bussmann,2008).

3. Théorie

Pourétudiercettequestion,nousallonscomparernosobservationsnonseulementaveclesconceptsdécoulantdel’EBP,maiségalementavecceuxdelatendanceinversequiconsisteàprivilégier l’opinionpolitiquedans laprisededécision(OBP).Contrairement,à l’EBP,cettesecondeapprochedesprocessuspolitiquessefondesuruneutilisationsélectivedesrésultatsetdesévaluations(quitteàcequ’ilnes’agissequed’uneseuleétudeetquellequesoitsaqualitéscientifique)ousurdespointsdevue,qu’ilssoientindividuelsoucollectifs,souventinspirésidéologiquement(Daviesetal.,2006,p.175).L’acceptationd’unepolitiqueparunefortemajoritédesforcespolitiquesenprésenceesticisupérieureauxrésultatsatteintsetàson efficacité (Freiburghaus, 1990) et cette approche souligneque le rôle d’un Parlementconsisteavanttoutàreprésenterdesaspirationsetdesintérêtsdelacollectivité,avectouteslescontradictionsquecelacomporte(Schwab,2005).

Schématiquement,nouspouvonsdécomposernotrecadrethéoriqueselondeuxconceptsquisont d’une part des décisions fondées sur l’efficacité (EBP) et d’autre part des décisionsfondéessurl’acceptabilité(OBP).Étantentenduque,selonlalittératureexposéeplushaut,lepremierseraitentraindeprendrelepassurlesecond.Cettedichotomiefaitégalementsensavec la typologie que Christina Boswell a pu établir quant aux utilisations politiques del’évaluation (Boswell, 2008, 2009). L’EBP se rattachant à une utilisation instrumentale del’évaluation (c’est-à-dire visant à l’ajustement des politiques publiques) tandis que l’OBPrenvoied’avantageàuneutilisationsymboliqueconsistantàalimenterdesjeuxdepouvoirensoutenant ou d’affaiblissant une position politique grâce aux évaluations (Bussmann &Knoepfel, 1998). Dans les deux cas, des arguments différents en faveur de l’évaluationpeuventêtredéduitsetreprésententautantd’indicateurs5—c’est-à-diredesobservationsconcrètesqu’onpeuts’attendreàobserverempiriquement.

Nousenavonsretenutroiscatégories(tableau1).Premièrement,nousconsidéronslerôlequel’électionjouedanslaprisededécisionpolitique.Sansmobilisertoutl’appareilthéoriqueduchoixrationnelquiapermisdesoulignerl’importanceprimordialedelaréélectionauxyeuxdes élus (Downs, 1957), les partisans de l’évaluation soulignent quant à eux combien larationalitéded’unrapportsurleseffetsd’uneloidevraitpermettrededégagerlesdécisionsde leurs enjeux électoraux et des tactiques politiciennes (Mader, 1985). Inversement, sil’électoratd’unélun’estquepeuintéresséauxrésultatsdesévaluations,onpeutendéduire

4Permettantàtouteslesforcespolitiquessoitdeproposerdesajustementssoitdemenacerdeblocagedurantlaphaseréférendaire.5Onpeutaussiparlerdeprédictions(Blatter&Haverland,2012,p.161).

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quecedernieryserad’autantmoinssensible.Deuxièmement,nousprenonsencomptedansquellemesure et à quelle condition une évaluation apparaît comme nécessaire. Pour lespartisans de l’EBP l’évaluation est une nécessité systémique inhérente à la bonnegouvernancedetoutepolitiquepublique6alorsque,sileschoixdesociétésontprimordiaux,l’évaluationne sera nécessaire que si l’enjeu est suffisant d’unpoint de vuepolitique. End’autrestermes,l’évaluationparaîtnormaledupointdevuedel’EBPalorsque,pourl’OBP,elleseracirconstancielle(voireinutile).Enfin,nousgardonsenlignedemirelasignificationattribuéeàl’évaluation.Eneffet,selonlesprincipesdel’EBP,laperformancedespolitiquespubliques (efficacité et efficience) peut être mesurée objectivement (Frey & Ledermann,2010).Or,lesjuristessesontdéjàquestionnéssurlacapacitédemesurerl’efficacitéd’uneloialors qu’il s’agit d’en comparer les effets avec des objectifs considérés comme «clairs,univoques, précis, mesurables aisément, opérationnels, précisément déterminés,expressémentexprimés, stables, certains, convergentsetnoncontradictoires» (Flueckiger,2007,p.94).Sidetellesconditionsnesontquerarementréuniesenpratique,lesrésultatsdel’évaluation sont ainsi constamment soumis à la double lecture des acteurs(partisan/opposant)pourqui les choixde sociétéprédominent.Unedes conséquencesdecettedifférencedesignificationimpliquequepourlesuns,lesrésultatsserontunivoquealorsquepourlesautres,ilsalimenterontlesconflitsdemanièreéquivoque(Bussmann&Knoepfel,1998).

Tableau1:Indicateursretenusdansnotreanalysethématique

Nomdel’indicateur Utilisationinstrumental(EBP)danslebutd’ajusterlesprestations

Utilisationsymbolique(OBP)danslebutdeparticiperàdesjeuxdepouvoir

Enjeuxélectoraux Secondaire PrimordialeNécessitédel’évaluation Constante CirconstancielleSignificationdesrésultats Univoque Équivoque

Source:personnelle

4. Méthodologie

Nousavonschoisideprivilégieruneapprochequalitativepourplusieursraisons.Toutd’abord,l’objetd’étude(lesmotivationsdespoliticiens)estdifficilementquantifiableetnécessitedefactouneanalysedediscoursquipermettedelesmettreenlumière.Parexemple,unrécentsondage réalisé dans tous les parlements suisses (Bundi, Eberli, Frey &Widmer, 2014) ainterrogé les parlementaires quant à l’utilité qu’ils confèrent aux évaluations mais cetteapproche quantitative n’a pas permis de distinguer significativement les partis politiquesselonqu’ilsutilisentl’évaluationdemanièresymboliqueouinstrumentale.

Le choixde réaliserune seuleétudede casnous sembleainsi se justifierpar leproblèmeméthodologiquequeposel’étudedesmotivationsdesacteurspolitiques,carlesdonnéessont

6Lesplusferventsdéfenseursdel’évaluationetdesoninstitutionnalisationn’hésitentpasàparlerdel’évaluationcommed’uninstrument«indispensable»et«quis’impose»alorsqu’ilsconsidèrelaquestiondel’efficacitécommeétantdesplusurgente(OFJ,2004).

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dèslorssoitinexistantessoittrèsdifficilesd’accès7.L’exempleducasleplusobscurestsansdouteceluidelaloifédéralesurlatransparence(Ltrans),demandantàceque«lepréposéévaluel'application,l'efficacitéetenparticulierlescoûtsengendrésparlamiseenœuvredelaprésente loi» (art. 19).Onne trouveaucunediscussionexpliquant l’apparitionde cetteclause ni dans les analyses juridiques de cette loi (Brunner & Mader, 2008) ni dans ladocumentationtantparlementairequepréparlementaire.C’estcetteparticularitéquinousincite leplusàprivilégieruneapprochequalitativeetàanalyserenprofondeurlecasd’unprocessuslégislatifsuffisammentdocumentéayantaboutiàl’introductiond’unetelleclausepourvérifierquelsobjectifsyontincitélesacteurspolitiques.

À ce titre, le débat qui s’est déroulé en 2013 au sein du Conseil communal de Lausanne(organe législatif) autour de son règlement de police nous paraît idéal de par sa naturerévélatrice(Yin,2014,p.52)etdeparlarichessedesdonnéesàdispositionquipermettentdegarantirunbonniveaudevaliditéinterne.Entantquedispositionsquiconfèrentdesdroitsoudesobligationsauxautoritésouauxparticulierslesunsàl’égarddesautres,lesrèglementssont les principaux actes législatifs que peuvent formuler les parlements communaux. Lapropositiond’yintroduireuneclaused’évaluationdanscecasadonnélieuàundébatnourri,mobilisanttouslespartisduConseil,etilnousdonnel’opportunitéd’observerunphénomèneprécédemment considéré comme inaccessible à l’étude scientifique8. Enfin, ce cas nousapparaîtd’autantplusintéressantqu’ilconcerneunepolitiquepubliquelargementrépanduesurleplanrégional(présenteégalementdansd’autrescantonsetdansd’autrescommunes),mais également d’actualité puisque ce cas communal a ensuite relancé la dynamiquecantonalesurlethèmedelamendicitéjusqu’àl’aboutissementd’uneinitiativepopulairesurlaquelleleshabitantsducantondevrontvoterdanslesannéesàvenir.

Le choix du cas que nous avons choisi d’analyser se justifie pour des raisons avant toutthéoriques et non pas pour des impératifs de variances quant à des variables jugéesexplicatives.D’unepart,cecasaeneffet l’avantagedecorrespondreaucontextede l’EBP(fortrisqued’échecdanslamiseenœuvreétantdonnélesrésultatsconstatésdansd’autrescantons)cequifaitdeluiun‘very-likelycase’vis-à-visdelathéoriedominante,l’EBP.D’autrepart,ilinvalideaprioril’OBPdanslamesureoùuncompromisavaitétéâprementnégocié-rendantinopportuneuneévaluationquirisquaitderemettrecelui-cienquestion–cequifaitégalementdeluiun‘veryunlikelycase’vis-à-visdelathéorieconcurrence,l’OBP.Lecasquenousproposonsadoncunniveaudepertinenceélevéqui luipermetsoitd’infirmeroudeconfirmer une théorie bien établie (selon laquelle des deux théories s’avère la plusexplicative).Ilpeutdoncêtreprisencomptecommeun‘cascrucial’pourl’élaborationd’unethéorieexpliquant l’utilisationdesclausesd’évaluation(‘strongcrucialness’selonBlatter&Haverland,2014:176).

Laméthodeappliquéereprésenteuneanalysedecongruence(Blatter&Haverland,2012,pp.144-204)quiconsisteàproduiredesrésultatsempiriquespourexpliquerlapertinenced’uneapprochethéoriqueparrapportàd’autresapprochesendéduisantdessériesdepropositionsobservables(tableau1).Cesélémentssontensuitecomparéspourvoiravecquelleapprocheest-cequ’ilscorrespondent lemieux. Pourcollecternosobservations,nousavonsd’abordprocédéàdesanalysesdocumentaires:(1)lesenregistrementsvidéodesséancesduConseil,

7Lorsqu’uneclaused’évaluationestintroduite,ontrouveparfoisdecourtsdébatsrelatésdanslesprocès-verbauxdesconseilsoudanslesrapportsdecommissions,maisceux-cinedonnentsouventquetrèspeud’informations.8Quandbienmêmedenombreusesclausesontétéintroduites.

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(2)lesrapportsdecommissions(rapportdeminoritéetrapportdemajorité9),ainsique(3)lesdélibérésjudiciairesrédigésdanslecadredeplusieursrecoursconstitutionnels.Ensuite,nousavonsréaliséunesériededouzeentretienssemi-directifsavectouslesparlementairesayantprispartaudébat(dontlaplupartsontàlafoisconseillerscommunauxetdéputésauGrandconseilvaudois),lesconseillersexécutifsconcernés,ainsiquelesrapporteursdemajoritéetdeminorité.Puisquenouscherchionsàmettreenévidencedesreprésentations,etnonpasdes pratiques, leurs discours ont été analysés à travers une analyse thématique liée auxindicateursquenousavonsretenus(Blanchet,2007,p.96).

5. ChronologieconcernantLausanneetlamendicité

LaConfédérationneréprimepaslamendicité.Dèslors,lescantonssuissesétantsouverainsetselonleprincipedesubsidiarité,ceux-cisontlibresd’intervenirounon.S’ilslesouhaitent,ce sont donc des lois cantonales qui vont régir la mendicité10 - voir des règlementscommunauxselonlalatitudequelesloiscantonaleslaissentauxcommunes(toujoursselonleprincipedesubsidiarité).Parexemple,silavilledeBernenepunitpaslamendicité,lesvillesde Fribourg, Bulle et Morat l’interdisent quant à eux dans leurs règlements de police.Historiquement, on peut considérer quenotre cas remonte à 2002 lorsque le Codepénalsuisseaétérévisé.En2006,lescantonsdeVaudetdeGenèveenprofitèrentpourabolirdeleursproprescodespénauxdesdispositionsjugéesobsolètesrelativesàlamendicitéetauvagabondage (jusqu’alors amendable àGenève11 et punissable d’emprisonnementdans lecantondeVaud12).Cesdeuxnouveauxcodespénauxentrèrentenvigueurdébut200713.

Par lasuite,unaffluxdemendiantappartenantprincipalementà lacommunautéRomestrapidementmisàl’agendapolitiquepardeuxpartisdedroite:lepartilibéral-radical(PLR)etl’Uniondémocratiqueducentre(UDC).Sousleursimpulsions,despostulatssontdéposésdanslesParlementsdesdeuxcantons,demêmequ’àLausanne.SilecantondeGenèveréinstaurarapidement une interdiction en novembre 2007, le Grand Conseil vaudois ne le fit pas,préférantlaissercechoixauxcommunes.ÀLausanne,leConseilcommunalconsidéraquelasituationnenécessitaitpasd’interventionetrejetaégalementlespostulats.Dansl’intervalle,àGenève,l’hypothèsed’interventionconsistantàamenderlesmendiantsaétécritiquéeparune association de défense des Roms (Mesemrom) jusqu’à ce que le Tribunal fédéralconfirme,enmai2008,quelamesuren’avaitriend’anticonstitutionnel14.Onconstatedoncque, très tôt, des acteurs ontmobilisé des instruments extérieurs à l’arène politique (enl’occurrence les juges) pour critiquer une décision politique via une stratégie dejudiciarisation15.

9 Lamajoritédelacommissionrédigeunrapportàl’attentionduplénumdit«demajorité»etquicontientsesrecommandationsetsesconsidérantssurl’objetquiluiaétésoumis.Siunoudesmembresdelacommissions’estimentsuffisammentendésaccord,ilsontlapossibilitéderédigerunsecondrapportdanslequelilsexposentleurdivergencedevueaveclamajoritédelacommission. 10 Chaquecantondisposedesonproprecodepénalquipeutsemontrerplusrestrictifquelecodepénalsuisse. 11Art.37,alinéa1,point33.12Art.23.131erjanvier2007pourVaudet27janvierpourGenève.146C_1/2008/rod.15Lephénomènedejudiciarisationdupolitiquequi,bienquepolysémique15(Commaille&Dumoulin,2009;Rayner&Voutat,2014),consisteàsolliciteruneautrecatégoried’expert,enl’occurrencedestribunaux,pourjugerinfinedelavaleurd’uneloi.Nousnousborneronsiciàleconsidérercommeuntransfertdepouvoir(plusoumoinsconsenti)del’arènepolitiqueversl’arènejudiciaire(Rayner&Voutat,2014).

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Tandis que les communes avoisinantes s’apprêtent à interdire la mendicité dans leursrèglementsdepolice,lesujetestremisplusieursfoisàl’ordredujourduConseilcommunaldeLausanneentre2009et2011.Bienquel’exécutifdelaville16reconnaissequelasituationaitévoluédepuis2007,l’idéed’uned’interventionestdenouveaurejetéeenblocle18janvier2011. D’une part, la majorité rose-rouge-verte du Conseil communal préféra toujoursconsidérerquelamendicitén’estpasunproblèmesécuritaireàrésoudre,maisplutôtlerefletd’une situation de pauvreté et d’exclusion sociale qui ne serait que renforcée par dessanctionspolicières17.D’autrepart,lapertinencedel’hypothèsed’interventionestégalementcritiquée, notamment sur la base de l’expérience genevoise qui a mis en évidencel’inapplicabilitéetl’inefficacitédelamesureconsistantàamenderdesgenssansargentetàquionnepeutnotifierdecontraventions,fauted’adressesconnues.

Parmi lasériedepostulatsdéposés, ilyenavaitun18,soumispar legroupepolitique« lesVerts »19 (Mme Isabelle Mayor et consorts) qui demandait spécifiquement à ce qu’uneévaluationexantesoitréaliséepourjugerdelanécessitéd’uneinterdiction.GrâceauxpropostenusàlatribuneparMmeMayor,ons’aperçoitquelaquestionestalorsjugéetropcomplexeettropsensiblepourêtreuniquementtraitéesurlabasedesidéologiespolitiques.Àcetitre,elleestimaquel’interventiond’expertsdevraitguiderlesélusàdéfinirtantl’existenced’unproblèmepublicquel’hypothèsed’interventionadéquateaumoyend’uneévaluation.:

«Endéposantleurpostulat,lesvertsproposentqu’aulieudeprendreunedécisionhâtive et émotionnelle une étude approfondie et étendue soit menée sur lathématiquede lamendicité à Lausanne.Certainsprétendent avoirdes solutionstoutesfaites, interdisonsoun’interdisonssurtoutpas.Bienheureuxsontcellesetceuxquisontcapabled’affirmerquetelleoutelleoptionestlarecettemiraclepourréglercetteproblématiquesicomplexe.(…)c’estlaraisonpourlaquellelesvertsnesouhaitentpasentrerdansundébatémotionnelaujourd’hui,débatquiserévéleraitàcoupsûrstérilepuisquelespositionsdesgroupessontassurémentdéjàfaites.»20

D’autresélusnepartageaientpourtantpascetavisetprivilégiaientlavolontédémocratiquequ’ilsestimaientdevoirreprésenter.LeConseillermunicipalMarcVuilleumier,représentantduparti«Lagauche»21àl’exécutifdelaville,résumetrèsbiencettepositionendisantque,bienqu’ilfailleapporterdesréponsesàcettesituation,l’interdictionn’enestpasune,car:

« Mêmes’ilyavaituneétudetrèsapprofondie [quiconclutà lapertinencedel’interdiction],jenepensepasquelaMunicipalitéprendraitlapositiond’interdirelamendicité,carils’agitlàd’unepositionpolitiquedebase.Ilestànotresensfaux,pourdesraisonséthiquesetsociales,d’interdirelamendicité.»22

16 LeConseilmunicipal,aussiappeléelaMunicipalité. 17Deplus,ilestditquesidesenfantsontparfoispuêtrevusentraindemendierilnes’agitqued’unphénomènerarissimeet,selonlapolicelausannoise,qu’iln’estmanifestementpasquestiondetraited’êtreshumains.18«MendicitéàLausanne:pouruneétudeapprofondieduproblèmepermettantd’apporterdessolutionsadéquatesdespointsdevuedelaprotectiondel’enfance,sanitaire,juridique,sécuritaireethumain».19 Partiécologiste. 20 Mme.IsabelleMayor(LesVerts). 21 Partipolitiquepositionnéplusàgauchequelepartisocialiste. 22 M.MarcVuilleumier(LaGauche).

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Suite à ce rejet, le parti libéral-radical (PLR)23 lança une initiative populaire communaleintituléeStopàlamendicitéparmétierdemandantd’interdirelamendicitéetquiestdéposéeenmai2011.Larécoltedesignatureeutlieudurantlacampagneélectoralepourlesélectionscommunalesquivitlaréélectionaupremiertourdetouslescandidatsàl’exécutiffigurantsurlalistecommunedupartisocialiste(PS),desVertsetduparti«Lagauche»,renouvelantleurlargemajorité(6siègessur7).Concernantlelégislatifdelaville,composéde100membres,les5partisayantatteintlequorumobtinrentlarépartitionsuivante:«LaGauche»13sièges,Uniondémocratiqueducentre24(UDC)14sièges,«Lesverts»20sièges,PLR24siègesetPS29sièges.Sil’alliancerose-rouge-verte(opposéeàl’interdiction)yrestalargementmajoritaireavecplusde60%dessièges,l’UDCyfitquantàelleunespectaculaireprogression(+133%).

Uneannéeplustard,enjuin2012,laMunicipalitéopposaàl’initiativedéposéeparlePLRunprojetde règlementproposantd’encadrerau lieud’interdire lamendicité («Restreindre lamendicité sans criminaliser la pauvreté»). Ce contre-projet, ne voulant pas interdiretotalement lamendicité,mais la limiter, est traité en commissionennovembre2012. LesdébatsentérinèrentuncompromisconvenuaveclePLRquiacceptaitderetirersoninitiativeenfaveurducontre-projet.Letravaildelacommissiondonnelieuàunrapportdemajoritéfavorableàcedernier(portéparlessocialistes25),maiségalementàunrapportdeminorité,signépardeuxConseillerscommunaux26.Ledébatenplénumeutlieudurantdeuxsoirées,les29 janvier et 5 février 2013. Peu de temps avant le terme du débat, peu après 22h, unamendement fut déposéparunConseiller communal vert,M.VincentRossi, chargeant laMunicipalitéde:

«Évaluerlesimpacts,surlesmendiantsaussibienquesurlapopulationlausannoise,desmesures présentées dans ce rapport-préavis, un an après leur introduction.Cette évaluation sera présentée au Conseil communal et à la populationlausannoise.»27

Légalement, cet amendement représentait un souhait du Conseil communal, noncontraignantpourlaMunicipalité,assimilableàuneclaused’évaluation.LePLRsepositionnad’abordenfaveurd’unetellel’évaluation28,soulignantqu’ilavaitdetoutemanièrel’intentiond’ensolliciterune(plutôtàtraversuneinterpellation29)encasderetraitdeleurinitiativepourvérifierlamiseenœuvreducontre-projet.Néanmoins,lesinitiantspréférèrentrejetercetteconclusionauprofitd’uneinterpellationultérieure(qu’ilsinvitentM.Rossiàcosigner)quisefocaliserait uniquement sur l’effectivité des mesures30 et non pas sur leur impact sur lapopulationlausannoise(jugétropdifficileàmesurer).Lemêmescepticismefutexpriméparl’UDC, appuyé par les socialistes, qui considèrent que «c’est quand même un scandaled’utiliserl’argentducontribuablepoursedonnerconscience.»31etque,pouravoir«quelquechosedesérieux»,sansdépensesadditionnelles,mieuxvaut«utiliserlesinstrumentsusuels

23 Partipolitiquededroite. 24 Partipolitiqued’extrêmedroite. 25MmeIsabelleDecollogny(PS).26M.Jean-MichelDolivo(Lagauche)etMmeGaëlleLapique(LesVerts).27 M.VincentRossi(LesVerts). 28M.MathieuBlanc(PLR).29 Uneinterpellationestunedemandeadresséeparunorganelégislatifàunexécutifquiaural’obligationd’yrépondreaprèsuncertaintemps. 30Lesmesuresont-ellesétémiseenœuvre?31M.Claude-AlainVoiblet(UDC)

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que sont les commissions de gestions32»33. Le Syndic de Lausanne (Les verts) appuyaégalementcettecritique,exprimantl’impossibilitédemesurerl’efficacitéd’unemesuresurtoutelapopulationlausannoise(àmoinsderéaliser«12thèsesuniversitaires»)etprivilégiantl’évaluationde l’effectivité34 desmesures (et leurs effets quantitatifs sur la populationdemendiants).Laconclusiondusyndicfutéloquente:

«Jevouslaissebiensûrlechoixdevotercetamendementoupas,detoutemanièrenous ferons des évaluations [d’effectivité] et de toute manière elles neconcernerontpas,quoiquevousvotiez,l’ensembledelapopulationlausannoise.Àmoinsquevousnevotiezunmillionavec.»35

SilaplupartdespartisfavorablesouartisansducompromisaveclePLRsemblèrents’opposeràcetteévaluation,c’estàgauchequel’amendementtrouvaleplusdesoutien.D’unepart,parmilesqualitéssoulignées,l’extrêmegaucheluiprêtanotammentlemérite,endéfinissantl’objetdel’évaluation,declarifierl’hypothèsecausaledelapolitique:

«Ilaurafalluattendre14conclusions36,dontdeuxnouvelles,pourqu’enfinlavéritésortedelabouchedeM.Rossi(…):cepréavisavaitpourbutdediminuerlenombrede mendiants Roms à Lausanne. Je pense qu’il aurait fallu être beaucoup plussincère,lediredèsledébut,ets’éviterdeuxsoiréesdediscussionsentachéesdefumée,debrouillardetdenuage.»37

Aufinal,les14amendementssontadoptés(ycomprisl’amendementdeM.Rossi)et,satisfait,lePLRretiracommeconvenusoninitiativequelquesjoursplustard.Troisfaitsmarquantsvontencoreponctuercettechronologie.Toutd’abord,lamesuretoutentièrefutcontestéedevantuntribunal,lacourconstitutionnelleducantondeVaud,aumotifque,selonlajurisprudenceétablieparletribunalfédéralconcernantGenève,lavariantelausannoiseseraitillégale.Cerecours,rejetéle12juillet2013,marquaunedeuxièmetentativedefaireintervenirlesjugessurcesujetafind’invaliderunedécisiondémocratiqueetreprésentaàcetitreunnouveausignedejudiciarisation.Deuxièmement,le12mars2013,soitjusteaprèsledébatduConseilcommunal,lesujetfutànouveautraitépuisrejetéauGrandConseilvaudois,cequisuscitalelancement et l’aboutissement d’une seconde initiative, cantonale cette fois et portée parl’UDC,surlaquellelesVaudoisvoterontdanslesannéesàvenirpourdéterminers’ilsveulentremettredanslaloipénalevaudoiseunarticlepunissantd’amende«celuiquimendie».Enfin,MmeGaëlleLapique(LesVerts)adéposéennovembre2014une interpellationauConseilcommunalpourdemanderoùenétaitl’évaluationceàquoileConseillermunicipalenchargedelasécurité,GrégoireJunod(SOC),annonçaquel’évaluationseraitréaliséeen2015etlaMunicipalitéprésentaunrapportle1erseptembredelamêmeannée.

6. Unoutild’ajustement

32 ChaqueorganelégislatifenSuisse,quelquesoitsonniveau(fédéral,cantonaloucommunal)disposed’unecommissiondite«degestion»composéedeparlementairesquiontlapossibilitédecontrôlerl’administration(notammentenprocédantàdesauditions).Deplus,cescommissionsproduitannuellementunrapportsurlefonctionnementdel’administrationqu’ilcontrôle. 33PhilippeMivelaz(SOC).34 Consitantàobserversilamesureaétémiseenœuvre. 35M.DanielBrélaz(Lesverts).36 Synonymed’amendement. 37M.AlainHubler(LaGauche).

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La première étapedenotre analyse de congruence consiste à comparer nos observationsrelatives à l’introduction d’une clause d’évaluation avec les indicateurs déductibles del’approchedominante,l’EBPafindevoirs’ilyacontradictionoucorrespondance(partielleoutotale).

Concernantd’abordlaplacequel’évaluationoccupeauxyeuxdesacteursencomparaisondel’élection,onconstatequepourcertainsélusavecquinousnoussommesentretenus,cettedernière passe effectivement au second plan au profit de la première. L’évaluation despolitiques publiques s’apparenterait à un «label» garant de qualité, indépendamment del’orientation idéologique ou partisane desmesures. Il ne s’agit plus, pour le politique, derésoudredesproblèmessurunebasedémocratique,maisdemettreenplacedesinstrumentsdegestion,«demettreenplaceunsystèmeglobaldemanagementetdes instrumentsdesuivi,etnonpasducasparcas».Cetargumentvad’ailleursdanslesensdereconnaîtrelanécessitédesévaluationscommerelevantd’unprincipepermanentde«bonnegouvernance»quivadepairavecl’attentequ’«uneinstanceexécutivefassedesévaluationsdesesproprespolitiques, de manière générale, toujours, en permanence» ce qu’il faudrait envisager«comme étant de la gouvernance du XXIe siècle». L’évaluation revêt effectivement pourcertainsunegrandenormalitéquireprésente«unemarquedeprofessionnalismequidéteintdanslesecteurpublic.C’estnormaldevouloirfairedumanagementavecdel’évaluation.Çafaitpartiedelabonnemanièredegérerl’entrepriseetc’estnormalqu’uneadministrationmodernes’évalue».Auniveaudesasignification,commelesoulignaitci-dessusMmeIsabelleMayor,l’évaluationapparaîtcommeunélémentquipermetdesortirdel’émotionneletdesidéologiesetonconstatedansnosentretiensque,pourcertains,«plusleproblèmepolitiqueestimportant,plusilfautobjectiveretplusonabesoind’uneévaluation».Cetteobjectivationestperçuecommeune«dépossessiondupoliticiendesonrôledethermomètrepublic»,de«renifleurdeproblème»quipeutparfoisl’ameneràsouleverdesproblèmes«objectivement»fictifsounonvérifiable—cequel’évaluationpeutrévéler.

Nonseulement,nousn’avonscollectéquetrèspeud’opinionallantdanslesensd’introduiredesclausesd’évaluationentantqu’outilsd’ajustementmais,deplus,aucunacteurnes’estexprimé dans ce sens concernant la clause d’évaluation concernant l’interdiction de lamendicité.C’estpourquoinousconcluonscettepremièreétapesurunecontradictionentrenosobservationsetl’utilisationdesclausesd’évaluationdanslesensdel’EBP.

7. Unestratégiepolitique

Ladeuxièmeétapedenotreanalyseestunecomparaisondenosobservationsavecl’autreapproche,opposéeàl’EBP,quiconsisteàprivilégierlesopinionspolitiquesdanslaprisededécision(OBP).Pourlaplupartdesacteursquenousavonsrencontrés,lerôledel’électionestbienplusprimordialquelesrésultatsdel’évaluation.Cesélussontainsiplutôtméfiantsparrapportàdesinstrumentsqu’ilsconsidèrentcomme«parallèlesauxinstrumentsclassiques-politiquespourévaluerlespolitiquesquisontmenées»parmilesquelsfigurentenpremièreplacelesélections.L'évaluationestperçuecommeunjugement,or,poureux,«lejugementd'un politique mené par un exécutif, c'est une question politique» qui ne concerne quel’électeur. Un conseiller communal lausannois souhaitant garder l’anonymat nous a parexempleexpliqué:

«Jememéfieunpeu,detouscesévaluateurs,ilyaunpeuunetendanceàconfierlapolitiqueàdestechnocratessousdestermestelsquegouvernance,etc.Onpart

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del'idéequ'ilyauraitunepolitiquequiseraitbonnedansl'absolu.Orcen’estpasle cas. On fait de la politique, on fait des choix de société, par rapport à desproblématiquesparticulières,onproposedessolutionsetpuisauboutducomptec'estquandmêmel'électeurquil'évalue.Penserqu'ilyaunebonnefaçondefaireetqu'ellepeutêtreconfiéeàdesexpertsn’estpasunebonnesolution.»

L’effetdesloissemesurealors«àl'équilibredesforcespolitiquesentregaucheetdroiteauniveaudespartispolitiques».Poureux,«onessaiedequantifier,dequalifierlapolitique[avecdesévaluations],pourpouvoirlacontrôleraumaximum,mais,finalement,pourlecitoyen,çacomptepeu».Cesacteurssoulignentcombienl’identificationpartisanedesélecteursprimesurlasubstancedesargumentsetquelesmécanismesd’acceptationouderejetd’informationsont avant tout dictés par des logiques d’appartenance (Gert, 1990; Mackie, Worth, &Asuncion, 1990). L’évaluation est ici mise au service de l’élection dès lors qu’«on a unepolitiquepluspolarisée,notammentavec l'UDCet leparti socialiste,quiutilise facilementl'initiativeetpouravoirdusuccèsavecuneinitiative,ilfautamenerdeschiffres,ilfautamenerdesstatistiques,etcenesontpaslespartisquifontcetravail».Ilestalors«évidentquesilerésultatde l'évaluation, surunsujetousurunautre,démontreque typiquementonavaitraisondeproposercetteidée-là,évidemmentonutilisecetargumentdanslapressepourdirequ’unrapportd'évaluationnousdonneraison».Néanmoins,l’évaluationaaussilesensd’unsignal visantà«montrerqu’onaccordebeaucoupd’attentionà l’objet,unpeucommeunmessageànotreélectoratdisantqu’onnevapaslaisserpasserçacommeça,qu’onvaêtretrèsattentiflà-dessus».

En ce qui concerne la nécessité des évaluations, ces élus auront tendance à privilégier lerapportdirectavec lapopulation,préférant«sebaladerdansLausanne»etdiscuteravecleursconcitoyensdetellesorteque,enayant«descontactsréguliersavecnosélusexécutifsetonsaitcequisepasse.Onentendaussi lesréactionsde lapopulationdonc iln’yapastellement d'intérêt àmandater quelqu'un pour des évaluations ». Une tellemesure peutnéanmoinssejustifierponctuellement«quandparexempleonperdsurunprojetetqu’onsouhaite se donner une porte de sortie » de telle manière que l’on demande « uneréévaluationdansdeuxansdontonpeutespérerensonforqu'ellemontreraquelamesureétaitinadéquateetqu’onpourradire"onvousavaitaverti"etdemanderàcequelamesuresoit supprimée ». Devant le parlement, quand on commence à mettre des critèresd'évaluation,enfaitc'estparcequ'onn’estpasd'accordavecletextequiestproposé».

Enfin,lasignificationdesrésultatsn’avaitriendeneutredanslaplupartdenosentretiens.Parexemple,undesélusquenousavonsrencontrénousexpliquaitque,enfonctiondel’équilibredesforcesetdel'analysequiestfaite:

«ilyauratoujourslalecturequiserafaiteparlamajorité,avec,entreguillemets,lesuccèsdel'opération,endisant"oui,ilyabeaucoupdechosesquin'ontpasmarché,maislesuccèsestquandmêmelàparcequeciouça"mêmesicen'étaitpaslecas,ondoitexpliquerques'étaitquandmêmeunsuccès,peuimportelesmajorités.Et,d'unautrecôté,vousavezlaminoritéqui,finalement,neveutpasentendreparlerdesuccèss'ilyasuccèsendisantque,sionconstatelesuccèsonconfortelamajoritéenplace.Doncellevamettretouslesmoyensenœuvrepourfairequele15ou20%quiétaitdel'insuccèsdansledossierparaîtgonflépourmontrerquecettepolitiquen’étaitpaslabonne.»

Dans lemêmeordred’idée,demanderuneévaluationsous-entendsouventuneremiseenquestion qui revient à «mettre au défi» ou à dire «on va voir ce qu’on va voir» et donc

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permettreunpossibleretourenarrière.Bienquequandunpoliticienestl’instigateurdelamesureetqu’ondemandeuneévaluation,«çapeutêtrepourprouverqueçafonctionne»,laplupart pensent que quand l’évaluation d’une politique publique est demandée par leparlement «c’est plutôt une mise sous pression vis-à-vis de la réalisation» et que « l’onutilisera l'évaluation d'une action politique en fonction de ses propres critères. Les élusconcèdentparexemplequ’«ilfauttoujoursvoirçadansuneperspectiveélectoraliste».

Alorsquecertainsparlentd’«unassautpolitiquequicacheunpeusonnom»ouque«sousunvernisd'objectivité,onfaitpassersesprojetspolitiques»puisque«lesclésd'évaluation,évidemment,sontclairementliéesauxobjectifs[politiques]qu'onveutatteindre»,d’autresmentionnent que « l'évaluation de cette politique[en l’occurrence l’interdiction de lamendicité]étaituneformedesanction(…)afindedonnerunepreuvedesonabsurditéoudesoncaractèrekafkaïen».L’évaluationdevientainsi«uninstrumentpourmontrerlafatuité,etlavacuitéd'unepolitiquepublique dansundomaine». End’autrestermes,siunéluveutsavoirlesrésultats,c’estsouvent«sous-entenduqu’ilsoupçonnequeçan’aurapasleseffetsescomptés.Oualorsilsoupçonnequeçanevapasêtremisenœuvredelamanièrequ’illesouhaite,etilaimeraitmettrelapressionsurlaMunicipalitéousurl’instanceexécutivepourquecesoitvraimentfait».Cequifaitque«quandvousêtesdansl’opposition,vousavezpeut-êtreplustendanceàdemanderdescomptes,àdemanderciouça,quesivousêtesdanslamajorité»étantdonnéque«quandonestdansl’opposition,onasurtoutbesoindemontrerqu’on existe, donc s’il n’y a pas de chiffres on les demande, s’il y en a on les critique».Autrementdit,pourlesforcespolitiquesminorisées,«c’estunefaçondenepasrepartirsansrien».Enconclusion,onpeutdoncdirequelaclaused’évaluationconcernantl’interdictiondelamendicité était bien unoutil de stratégie politique et quenos observations confirmenttotalementuneapprocherelevantdel’OBP.

Tableau2:RésultatdelacomparaisondanslecasdeLausanne

Indicateurs Avismajoritaireconcernantlaclaused’évaluation

Enjeuxélectoraux l’opiniondeleursélecteursestprivilégiéeetméfiancevis-à-visdesexperts(rôleprimordial).

Nécessitédel’évaluationLiéeaufaitqueledébatétaitterminédansl’arèneparlementaire,avecl’espoirdepouvoirlerouvrirlorsdelapublicationdesrésultats(nécessitécirconstancielle).

Significationdesrésultats Anticipationclaireendéfaveurdelapolitiqueafindesoutenirlapositiondesopposants(significationéquivoque).

Source:personnelle

8. Discussion

Ilestàprésentpossibledecomparercesdeuxrésultatspourévaluerlepouvoirexplicatifdesdeux approches que nous avons choisi de prendre en compte afin d’en dégager descontributions théoriques (Blatter&Haverland,2012,p.189). Le tableau2montre lesavismajoritairement entendus concernant la clause d’évaluation introduite dans notre casd’étude.Alorsquececasdevaitfortementcorrespondre(very-likely-case)aucontextedelathéoriedominante, l’EBP(étantdonnélerisqued’échecconnu),toutenétanttrèséloigné(very-unlikely-case)del’OBP(étantdonnéleconsensuspolitiqueenfaveurdelamesure),ons’aperçoit que les opinions exprimées dans le sens du premier n’ont que rarement étéentendues durant nos entretiens (contradiction) alors que celles expriment en faveur du

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second d’imposent clairement (confirmation). Notre cas atteste donc d’un statut de cas‘crucial’quicontreditunethéoriedominantequiauraitdûseconfirmer.Lagrandeportéethéoriquequiendécouled’untelcas‘révélateur’(Yin,2014)nouspermetdeformulerlescinqconstatssuivants.

Premièrement, il semblerait que l’EBP soit loin de «s’imposer», contrairement à ce quepensentcertainsauteurs(Daviesetal.,2006)etquelanormalitéquelesclausesd’évaluationsemblentrevêtirauxyeuxde leurprincipauxpartisans (OFJ,2004)n’estpas laperspectivedominantedansnotrecas.Aucontraire,telquel’évoquaitSchwab(2005),notreétudefournitunepreuveempiriquequ’auniveaudel’arèneparlementaire,lalégitimitépopulaire(etlefaitd’êtreporteurd’unmessage)estenl’occurrencerestéplusimportantequelarationalité.Si,pourcertainsauteurs,l’EBPestuneffortderationalisation(Howlett,2009)oudelégitimation(Boswell, 2009) réalisé par l’administration, le recours aux experts par les parlementairessembleégalementêtreunefaçondepoursuivre lapolitiquepard’autresmoyens.Certainsélusconsidèrentparexemplequ’«enpolitique,l’importantc’estdenejamaislâcheretqu’onpeut toujours gagner quelque chose, dans l’évaluation y compris». En 1990, Freiburghausanticipait déjà que les mécanismes de légitimation propres à la Suisse (concordance etdémocratiedirecte)empêcheraient l’évaluationdeprendreautantd’importancequedansdespayscommelesEtats-Unis.Sideplusenplusdeclaused’évaluationontétéintroduitescesdernièresannées,ilsembleraitquecenesoitpasparcequel’efficacitésoitdevenueplusimportante que l’acceptabilité, comme on aurait pu le croire, mais plutôt parce que lespoliticiens sontparvenus à trouveruneutilité auxévaluationsenen faisantunmoyenderemise en question du consensus lorsque cela s’avère nécessaire. Grâce au fait que ladogmatiquedelareprésentationseraitdésormaiscaduque(Chevallier,2004)etquel’électionneseraitpluslaseuledispensatricedelégitimité,contrairementàcequepensaitFreiburghaus(1990),l’évaluationscientifiquesembleavoirfinalementtrouvésaplaceentantqu’«arbitre»enproposantunprincipedelégitimitéparallèleauconsensus.

Deuxièmement,mêmesil’OBPestunélémentrécurrentchezpresquetouslesacteursdecedossier,ceux-cisemblents’accorderpourassocierl’EBPàunetendancepartisane.Parmiles«nouvellesvariablesexplicatives»queJacobetVarone(2004)invitaientàprendreencompte,ceux-ciproposaientnotammentdes’intéresserauxpartispolitiquesquipeuventsoutenirous’opposeràunrenforcementdel’évaluation.Ainsi,lorsqu’ondemandeauxéluss’ilstrouventquecertainspartisfontuneutilisationparticulièredel’évaluation,cesontlesparlementairesécologistes qui sont régulièrement cités. Leur apparition dans le paysage de l’évaluationsurprend dans lamesure où les travaux sur son institutionnalisation évoquent plutôt soitl’oppositionentredroiteetgauche38soitlesacteursvéhiculantlanouvellegestionpublique(NGP).Nosentretiensmontrentque,selonlesacteurs,lesmembresdecepartiseraientplusprochesd’une«culturede l’évaluation»etquecene seraitpas«parhasard» si c’estunreprésentant du parti écologiste qui a proposé la clause d’évaluation, car, de l’avis desparlementaires«cesontsouventdesgensquitravaillentdansdesbureauxdeconsultantsouquifontdel’évaluation».DavantagequelaNGP,c’estlethèmedelagouvernancequileurseraitassociéetqui les inciteraitàsolliciterplusd’évaluationquelesautres,detellesortequ’«ilsontunpeul'impressionqu'ilyauraitune"bonnegouvernance"etilsnesedéfinissentdéjàpascommeunparti,maiscommeunmouvement».Leurformation,apparuesurlascènepolitiquedanslemilieudesannées80saveclamiseàl'agendad'enjeuxenvironnementaux

38Soulignanttoutefoisquetantdespartisprogressistesqueconservateursontpusoutenirledéveloppementdel’évaluation(Varone&Jacob,2004).

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(Ladner,2007)estainsiperçucommeétantplus«technocratiques»qued'autresformationsplustraditionnellesquiseprévalentquantàelled’uneplusgrande«culturededébat»etquiconsidèrent que « l'action politique est d'abord une question de parole des politiciens».Néanmoins,étantdonnéquel'évaluationn'estpasunestratégiepolitiquerevendiquéeparceparti, on peut interpréter différemment cette attitude en admettant que les domainesenvironnementauxsurlesquelssepositionnentlesVertstolèrentpeut-êtremieuxlejugementd'expertsetqueleurspositionspolitiquesbénéficieraientdavantagedel’objectivationd’uneévaluationquedesdomainesdits"sociaux"oùprédominentdesquestionsd'appartenance.

Cecinousamèneànotretroisièmeconstat,quitendàcontredireSteveJacobdanslamesureoù la participation des experts ne s’apparente pas tant à une désacralisation de l’élu (audétrimentdeladémocratie),maisplutôtàunesacralisationdel’évaluateurauprofitdudébatdémocratique.End’autrestermes,onnedonnepasimpunémentlaparoleàl’expertetsionluiconfèreundroitdecitédansl’arèneparlementairec’estsouventlorsqu’onpensequesonavis servira un dessein politique. Cela va dans le sens de l’utilisation idéale-typique del’évaluationdécriteparWernerBussmannetPeterKnoepfel(1998)quandilssoulignaientquel’évaluationpouvaitserviràrenforcerouàaffaiblirlapositionstratégico-politiqued’unacteur.Lesrésultatsdel’évaluationsontconstammentsoumisàcettedoublelectureetpeuventainsiêtremobiliséssoitenfaveurdel’opposition,quivachercheràladélégitimersurlabasedeses faiblesses, soit en faveur des partisans qui y trouveront une source de légitimité. Lesévaluations elles-mêmes auront été programmées, selon leur formulation, afin decorrespondreàunecertainevisionnormativedesobjectifsdelaloi—traduitsseloncertainscritèresd’évaluationspécifiques–demanièreàpouvoirsoutenirlapositionpolitiquedeceuxqui partagent cette définition. Dans cette perspective, l’évaluateur est l’objet d’uneinstrumentalisationetsonjugementprofaneneseraitmobiliséparlesélusquepoursouteniruneopinionpolitique-quineperdainsiriendesasacralité.Notreétudeoùtouteunefranged’unparlementattendimpatiemmentdesrésultatsvisantàdécrédibiliserunepolitiquetendàconfirmer laperceptionthéoriquedeWernerBussmann(2008)qui,parlantde laSuisse,considérait que «In this political system, so heavily influenced by various political actors,evaluationcannotplayadecisiverole.Itmustserveasaresourceforallpartners(orratheropponents).Evaluation,atitsbest,canhelptoilluminatethestakesathandandtoimprovethequalityofargumentationwithinthelegislativeprocess.Often,itisusedasammunitioninthepoliticalprocessbydifferentinterestsinvolved.Atitsworst,itisdistortedorcompletelyignored». Faisant écho aux propos tenus par le Conseillermunicipal Vuilleumier, tenu enplénumdurantledébatrelatéplushaut,lesacteurspolitiquesconsidèrentparexempleque«mêmesionmontrequelapeinedemortpermettraitvraimentdefairebaisserletauxdecriminalité, tant pis, il faudra quand même trouver un autre instrument, car dans notredémocratiec’esthorsdequestion,résultatsoupas.».

Tandis que Dieter Freiburghaus (1990) estimait que la concordance et les compromis quicaractérisent les politiques suissesdevaient réduire l’utilisationde l’évaluation, le cas quenousavonsétudiémontreaucontrairequelademanded’évaluationpeutêtreutiliséecommeunmoyenderemettreleconsensusenquestion,aposteriori.D’unepart,l’initiativeduPLRfaisait peser une épée de Damoclès tant sur le travail de la commission que sur celui duplénum.D’autrepart,lecontre-projetproposéparlaMunicipalitéavaitmanifestementdéjànégocié le retrait de cette initiative. En conséquence, les parlementaires ont ressenti lapression que toute remise en cause du contre-projet risquait d’aboutir au maintien del’initiative.Mêmesilesdifférentsrapportsetlesauditionstendaientàmontrerl’inefficacitéd’uneinterdiction,lebutultimesemblait«detoutfairepourcontrerl’initiativeduPLR»quitte

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«à choisir entre lapesteet le choléra». Le compromis futde semettred’accord suruneformulationduproblèmepubliquequiévitelarhétoriquexénophobetoutensefocalisantsurlaquestiondel’abusd’utilisationdel’espacepublique.C’estlaraisonpourlaquellelesélusqui restaient critiques vis-à-vis de cet instrument estimèrent que «la seule chose qu’onpouvaitencoregagner,s’étaitderouvrirledébatdansquelquesannées».Acetitre,onpeutconsidérerquesil’évaluationn’estpassolliciterdansunbutd’evidence-basedpolicymaking,elleconsisteraplutôt,pourlesparlementaires,àfairedelapolicy-basedevidencemaking39(PBEM), qui consiste à demander des évaluations pour obtenir les informations dont lesacteursaurontbesoinafindepoursuivrelapolitiquepard’autresmoyens.

Decefait,unquatrièmeconstatpermetd’étudierenprofondeurlesmotivationsdesacteurspolitiquesvis-à-visdesclausesd’évaluationsectoriellesetdecompléterlerépertoiredeleurutilité,tropsouventréduitàunesimple«bonnepratique».Eneffet,bienquel’utilisationstratégiquedesévaluationsdanslebutdesoutenirousaperunepositionsoitbienconnue(Bussmann&Knoepfel,1998),lesclausesd’évaluationétaitquantàallesenséesapporterdela neutralité au débat (Mader, 1985; OFJ, 2004). Ainsi, dans les hypothèses de travailrécemment publiées par Luzius Mader (2015) quant aux raisons d’introduire des clausesd’évaluationsectorielles,lesprincipalesmotivationsreposentsurdesmotivationsrelevantdel’améliorationdes lois (EBP)à savoir le faitqu’unproblèmepublicpuisseêtredynamique,l’insécuritédulégislateurdansundomaineparticulierouencorel’importancedelalégislation.Ilnefaitquepeudecasdemotivationsplusstratégiquesquenousassocionsiciàdel’OBPet,àcetitre,notrerechercheseproposed’êtreuncomplémentempiriqueàsontravaild’analyse.Au-delàdeshypothèses,cetteétudeexploratoireaainsipermisdepénétreràl’intérieurdecette«boîtenoire»que sont les clausesd’évaluation sectorielles etd’ajouteruneutilitésupplémentaireconsistant,pourlesparlementaires,àsolliciterdesclausesd’évaluationdanslebutdeproduiredesrésultatspermettantdesoutenirleurposition.Onpeutainsidistinguer,d’unepart,uneutilisationqu’onqualifieraicidedéfensiveetquiconsisteàsoutenirlégitimersonaction(Boswell,2009)ouàchercheràrassurerdesopposantsréticents(Oxmanetal.,2010) et, d’autre part, une utilisation plusoffensive, qui consiste à déstabiliser une autreformation politique. Deux dimensions nous paraissent ainsi déterminantes pour expliquerl’introduction de telles clauses d’évaluation. D’une côté, la force relative du groupe quipropose la clause (minoritaire ou majoritaire) et, de l’autre, la position défendue par cegroupefaceàl’objetdébattu(partisanouopposantauprojetdeloi).Letableau3synthétisecesmotivations.

Si la proposition vient d’un groupe politique favorable à la mesure, mais minoritaire auparlement, la clause d’évaluation visera ainsi à favoriser le consensus et constituera un«gage»40donnéauxopposantsafindelespersuader(Jacobetal.,2015,p.20;Mader,2015,p. 76). Certains élus perçoivent que quand on se rend compte qu’un projet peine à êtreacceptéenl’état,maisqu’ilpourraitpassersouslaformed’unprojetpilote,lefaitdeproposeruneréévaluationauboutdequelquesannéestendàrassurerlesopposants(oudumoinsàleurdonnerlapossibilitéderouvrirledébat).Admettrequ’onn’estpascomplétementsûrdeseffetsdesmesuresqu’onproposepourraitainsipermettredefaireadopterdesmesures,maisceteffet, supposépardenombreuxacteurs,n’a jamaisétédémontré.Sicegroupeestaucontrairemajoritaire, rienn’empêcherapriori l’introductiond’uneclaused’évaluationquirelèverad’unedémarchedelégitimationoud’autojustification(Boswell,2009).Cesrésultats

39VoirFortieretal.(Aparaître)40 Facileàconcédersansremettreencauselecontenud’unprojet.

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d’évaluationssontd’autantplusprécieuxqu’ilestplusdifficiledeprouverqu’unepolitiqueestunsuccèsplutôtquelecontraire(Derlien&Rist,2002,p.441).

Enrevanche,silegroupeestopposéàlamesure,maisminoritairedansl’organelégislatif,laclaused’évaluationseraunetentativedepoursuivrelaluttepolitiquelorsquedesrésultatsserontdisponibles–telqu’illustréparnotreétudedecas.CommelesoulignentDerlienetRist(2002),ilestparailleursencoreplusfacilededélégitimerpolitiquementunpolitiquedansdesconditions de fortes pressions budgétaires. Enfin, un groupe opposé au projet, maismajoritaire n’a aucune raison de demander une clause évaluation puisqu’il aura toute lalatitudenécessairepours’opposerauprojet.

Tableau3:Motivationsquipoussentlesparlementairesàsolliciterdesclausesévaluationsdanslebutdepoursuivrelapolitiquepard’autresmoyens(policy-basedevidencemaking)

Forcepolitiquedansl’organelégislatif

Majoritaire Minoritaire

Positionsoutenuefaceà

l’objet

Partisan Soutien(légitimation) Persuasion(gagedebonnefoi)

Opposant -Opposition(remettrel’objetàl’agendaavecdesargumentsen

sadéfaveur)

Source:personnelle

Malgrétout,demanderdesévaluationsdansunbutstratégiquen’estpasunedémarchefacileàmettreenœuvrepourdesforcespolitiquesminorités.Bienquecertainspuissentconsidérerqu’il est difficile d’argumenter contre une demande d’évaluation dans la mesure où laproposition«necontientpasdestermesquisous-entendentqu’onanticipeunéchecetqu’iln’yadéjàunecritiqueimplicitequiselitentreleslignes»,d’autresconstatentenrevancheque«sivousêtesenminoritéetquevousfaitesça,enfait,vousêtesperçud'embléecommeceluiquivamettredescritèresd'évaluationpourpouvoirdireàl'avenirquecettepolitiquen'estpaslabonneetl’évaluationestrefusée».Cesoupçonexpliquepeut-êtrepartiellementque seule une clause d’évaluation sur deux soit acceptée (Bundi, Eberli, Frey, &Widmer,2014)41 dans lamesureoù l’on ressent parfois trop clairement que ceuxqui la proposent«souhaitentàl'aveniravoirunpointd'accrochepourpouvoirdévaluerlapolitique».

Enfin,ilconvientdesouligneruncinquièmeetdernierélémentquiressortdenotreétude.Quelle que soit l’importance que les clauses d’évaluation puissent revêtir aux yeux desacteurs,ceux-cis’accordentàdirequec’estunoutilqu’ilsreconnaissentuseravecdifficultéet maladresse. Soulignant la nature milicienne du travail politicien (le plus souvent sansassistance parlementaire) et les origines diverses dont peuvent être issus les élus, ceux-cin’envisagent pas que «du jour au lendemain, tout à coup ils passent dans une visiontotalementdifférenteetdeviennentdes"aguerris"dumanagement,notammentdetoutcequi est fixation de résultat, gestion de la démarche jusqu'à l’évaluation des résultats». Ilsembledoncimportantdegarderàl’espritquedansdetelsparlements«vousavezdesgensdetoutâge,detouteprovenancesocialeetprofessionnelle»etqu’ilestpeuprobableque«laculturedel’évaluationsoitquelquechosedelargementrépandu».Dèslors,touteanalyseducomportementdesélusvis-à-visdel’évaluationdevraitdoncprendreencomptelamanière

41 Etplusparticulièrementdespropositionsdeclausesenprovenancedeparlementairesdegauchedansdesparlementsmajoritairementdedroite.Ainsi,selonles295parlementairesannonçantavoirproposédesclausesd’évaluation,40%disentapparteniràlagauche(Bundietal.,2014).

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parfoishasardeuseoucavalièreaveclaquellecetinstrumentestutilisé,etdoncnepastropsefocalisersurlaformequerevêtiracetteutilisation.

9. Conclusion

AlorsquelaSuisseestprésentéecommeunexempleavant-gardisteentermed’évaluationlégislative(Quesnel,2015),lapolitiquelausannoisevisantàrégulerlamendiciténousapermisd’aborder concrètement la question des motivations des parlementaires à solliciter desclausesd’évaluationsdansdespolitiquespubliques.Onpeutregretterqueleniveaulocaldanslequels’inscritcecasd’étudeenlimited’autantpluslaportéequ’ilestunique.Néanmoins,ilconvientderappelerquelaplupartdesacteurssontégalementdéputésauGrandConseilducantondeVaudetqueleursopinionsontainsilemérited’avoiruneportéecantonale.Deplus,lesenjeuxduthèmedelamendicité(etdesarépression)dépassentlargementleniveaulocalet englobent une problématique d’envergure régionale qui dure depuis presque dix ans.L’ampleurdecesujetpourraitparailleurssusciterplusieurstravauxcomparatifs,notammentdans le domaine de la diffusion des politiques publiques. De l’expérience genevoise aujugementdutribunalfédéralenpassantparlafutureévaluationlausannoise,laplacequelediscoursdesexpertsaprisedansledébatd’idéedesdifférentsparlementsquionttraitédecettemesurepourraitêtreétudiéeplusendétail.

À travers l'étude d'un cas révélateur (Yin, 2014) consistant à introduire une claused’évaluation,nousavonscherchéàcomparerlesmotivationsdéductiblesd'uneapprochedesprocessuslégislatifsbaséesurlesrésultats(evidence-based)aveccellesquisontdéductiblesd'uneapprocheaxéesurl’acceptabilité(opinion-based).Alorsquecertainsauteurssemblentpercevoir unemontée en puissance de la première tendance (Davies et al., 2006), notreanalysedecongruence(Blatter&Haverland,2012)montrequantàellequelasecondeestencoretrèsvivaceetquel'évaluation,sielleestsouhaitée,nereprésenteraitpasforcémentunsimplemécanismederétroactiondusystèmelégislatif.Notreanalysepermetégalementdeproposerplusieurspistesde recherche.Toutd’abord, laplaceduparti écologiste« lesVerts»dansl’évolutiond’uneculturedel’évaluationmériteraàl’avenirplusd’attentiondansl’étudedel’utilisationdesévaluationsparlesparlements-dontlarecherches’estlongtempsfocalisée sur l’opposition conservateurs-progressistes (Derlien & Rist, 2002). Ensuite,l’efficacitéd’uneclaused’évaluationenvuedefaireadopteruneloiestunsentimentpartagépar de nombreux politiciens. Néanmoins, aucune étude ne l’a encore mis en lumièreempiriquement et l’explication des conditions qui permettent l’apparition d’un telphénomènepourraitêtreriched’enseignementsàlafoisthéoriquesetpratiques.

Enfin,surleplandumanagementpublic,ilestclairquelesadministrationsnesontpasdupentquantauxattentespolitiquesdesparlementsvis-à-visdeleurévaluation.Endiscutantavecdeshautsfonctionnairesdontlespolitiquessontsoumisesàdesclausesd’évaluation,certainsn’hésitent pas à considérer ces démarches évaluatives comme inutiles et inefficiente.Desressources par définition précieuses sont ainsi retirées des activités courantes pour êtreconsacréesàrédigerdesrapportsquineserontvraisemblablementpasmisauprofitd’uneaméliorationdelapolitiquemaisplutôtauservicederèglementdecomptepolitique.Unhaut-fonctionnaire de l’administration genevoise nous partageait son sentiment d’une volontépolitiquevisantà«fairesuerl’administrationd’unefaçonpunitive».

Ilya25ans,DieterFreiburghausanticipaitquel’évaluationnepourraitpasvenirperturberles mécanismes de légitimation des politiques publiques suisses. Depuis les années 80,

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l’évaluationestainsipasséed’uneactivitéadministrativeetgouvernementalepourdevenirunepréoccupationduparlement-Atelpointqueleparlementestdevenuunacteurcentralde cette activité (Derlien&Rist, 2002, p. 441). Bien que la valeur d’une politique sembletoujours semesurer à son acceptabilité (signe de la persistance de cesmécanismes), lesévaluationsscientifiquesetlesclauseslégalesquilessollicitentn’ensontpasmoinsdevenuesunemunitionpolitiquequelesparlementairesdetousbordssontmanifestementparvenusàs’approprier. Il n’estdoncpasétonnantde constaterdavantagededemanded’évaluationlégislativelorsqu’ilyaunconflitentrelespouvoirsexécutifetlégislatifs(Hamm&Robertson,1981). On s’aperçoit d’une part que, le plus souvent, cet arbitrage est utilisé par legouvernementetl’administrationpourlégitimersapolitique(Boswell,2009)et,d’autrepart,qu’ilpeutégalementêtremobiliséparleparlementpour‘nerienlâcher’(voirplus-haut)etfournirunesourcedelégitimitéconcurrenteauconsensus42.

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