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  • SOMMAIRE

    12345678910111213141516171819202122232425262728293031323334353637383940

  • 41424344454647484950515253ÉpilogueRemerciements

  • PourChris,sansquijeseraisperdue.

  • Parfois,lavietedonneunesecondechance.Parcequelapremièrefois,cen’étaitpasencorelebonmoment.

    ANONYME

  • 1

    Vince

    Sousmoncrâne, lebattementsourddutambourquirésonneauloinse transformeensoloà lagrossecaisse,justederrièremespaupières.J’aipeurd’ouvrirl’œil–cettesaloperied’instrumentvam’achever.Maisunesonneriedetéléphonebourdonneavecinsistanceetsonboucanmefaittropmal.Impossibledel’ignorer.Dansl’obscurité,jerepèrefacilementl’originedubruitinfernal,quivientdel’autrecôtédelapièce:

    l’intruslancedeséclairsetvibrecommeundingue.Ondiraitqu’ilfaitdesbonds–unvraipoissauteur.Jemelèvepourallerleramasser,enignorantlemarteau-piqueurquivientaussitôtremplacerlagrossecaisse,etjelorgnelaphotod’unefillequejeneconnaispas.Rienqu’àlaregarder,ellem’énerve.Puisjeme rends compte que ce n’est pasmon portable. Je rejette l’appel et je flanque l’appareil surmacommode.Puisjevaismesoulageràlasalledebainsetjereviensaulit,letoutsansallumer–jesaisd’expériencequelalumièreaggraveramoncas.Jerampesousmesdraps,jefermelesyeuxetlesommeilrevientpetit àpetit. Jusqu’à cequ’unnouveau téléphone semette à sonner.Etmince.Cette fois-ci, çavientdematabledenuit,àportéedemain,etlasonneriem’estfamilière.Surmonécranclignotelenomd’Ella.Surlepointderejetercetappel,jeremarquesoudainl’heure.Ah,lavache!Cettefois-ci,Nicovamemassacrer.‒Salut…J’essaiedemasquerlefaitquejeviensjustedemeréveiller–cen’estpasunsuccès.‒Jesuisdésolée,tudormais?faitlavoixd’Ella,pleined’inquiétude.ElleestconscientequeNicosauterasurlemoindreprétextepourm’éjecterdesséancesd’entraînement.

    Encoreunefois…Jeluimensaussitôt.‒Non,non,jesuisenroute.Jesuisdanslesem-

    bouteillages.‒Super.Parcequ’ilestdéjàenbasàguettertonarrivée.Outonabsence.‒J’yserai.Jeraccrocheetjettemontéléphoneàl’autreboutdelapièce.Jel’entendssefracassercontrelemuret

    jelâcheunjuron–encorequatrecentsdollarsdeperdus.‒Qu’est-cequisepasse?Lavoix fémininemesurprend. J’aidixminutespourmedoucheret arriver à la salle.Sinon, jevais

    encoremeretrouversansentraîneur.Unemain tented’explorermesfessesetdes imagesde lanuitmereviennent.Krissy.Merde.‒Lève-toi.Jesuisàlabourre.Jene faispas lemoindre effort pour êtrepoli. Jem’enveuxde l’avoir amenée ici. J’ai enfreintma

    proprerègled’or:pasdegroupiechezmoi.J’étaistropbourrépourm’endébarrasser.

  • Vouscomprenez,jesuisfighter.Unprodufree-fight,unbon.Etlesbonsontdesgroupies.Ellessonttoutespotentiellementbaisablesetpournous,c’estdubongibier.Ouais,jesais,cen’estpasfranchementcoolcommeattitude.Maisquiaditquej’étaiscool?Siunenanamesuitpartouteninsistantpourquejelaprenneenlevrettedanslestoilettesd’unbar,pourquoijediraisnon?Jenemeconduispascommeuncrétinaveccesfilles.J’enprendssoin,jeveilleàleurplaisiravantlemien–laplupartdesnuitsentoutcas.Simplement,jenelesramènepaschezmoi.Parcequesinon,çaleurdonnedefauxespoirs,etqu’enplusellesconnaissentmonadresse.

    ***Nicom’attendàl’entrée.‒T’esenretard.Jel’ignoreetjevaisprendremonposted’instructeur.C’est vrai, je ne suis pas à l’heure. Mais grâce à sa femme, je n’ai que dix minutes de retard.

    Aujourd’hui, c’est à mon tour de jouer les gentils moniteurs au Centre des femmes. Eh oui, je suisbénévole–personnenepeutdirenonàNicoHunter.Ilestàdeuxdoigtsdemelaisser tomber,commeentraîneur, mais même si ce n’était pas le cas, je serais incapable de m’en dégager. Quand on veuttravailleravecNico,onluiobéit.Mêmequandilfaitsemblantdenousdemandernotreavis,onn’apasvraimentlechoix.Cettemission de bénévole, c’estma punition.Nico estime que je doisme structurer et apprendre à

    mieux respecter les femmes.Évidemment : la sienne lemèneà labaguette ! Il croit peut-êtreque j’aioublié comment il était avant de la rencontrer,mais jem’en souviens très bien. Tous lesmatins, unefemmesortaitdechezluiàpasdeloupparlaportedederrière.Ettouslesmatins,c’étaitunenouvelle.Je n’avais que treize ans et jem’en souviens comme si c’était hier. Parce qu’elles étaient toutes tropbonnes. De beaux nibards et des petites jupes courtes – à cet âge-là, on ne risque pas d’oublier ça.Certainsmatins,quandjecouraissurletapis,jebandaiscommeunâne.PuisNicoarencontréEllaettoutachangé.Attention:Ellaestlameuflapluscoolquejeconnaisse.QuandleschosessegâtententreNicoetmoi,

    elle gère. Toujours est-il que cette histoire de bénévolat, c’est leur truc, pas lemien. Et pourtant,mevoilà, un samedimatin, à dix heures. Je vais donner un cours de self-défense à une classe entière defemmes.Lasalleestbondée.Jelaparcoursrapidementduregardenaffichantmonplusbeausourire.Celuiqui

    m’aideàm’ensortirquandjesuisdanslepétrin–auprèsdesfemmesentoutcas.Jelancelecoursavecuneséanced’étirements,souslesyeuxdeNico,quim’observedepuisl’entrée.Àmongrandsoulagement,il finit par s’en aller. Jepeux enfin arrêter de faire semblant d’êtreheureuxdeme trouver ici, deboutdevant tout lemonde,àm’occuperdecesdames.Jepréféreraisnettementêtrechezmoi,couchésur ledos,avecunenanaquis’occupedemoi…Jecirculedanslesrangsetmesélèvescommencentunesériede coups de pied. Je rectifie une position par ici, je souris par là, tout en reluquant leurs tenuesmoulantes.Enfait,j’étudieleterrainencherchantmaprochaineassistante.Parcequesijedoisfaireunedémonstrationavecquelqu’un,autantqu’ellesoitagréableàtripoter,non?Ducoindel’œil,j’enrepèreunedanslerangdufond.Ellemetourneledos,etjesaisquec’estelle

    quejevaischoisir:sonderrièreestàtomber–ilestenformedecœur.Ellelèvelesbraspours’attacher

  • lescheveuxenqueue-de-chevaletsontee-shirtserelèveetlaissevoirunepeaudeporcelaine.J’aienviedemordrededansàpleinesdents.Cecoursneserapeut-êtrepassidésagréable,finalement…Jemedirigeverselleenpensantquesile

    devant est aussi beau que le derrière, il est même possible que je prolonge le cours. Alors que jem’approche,prêtàluifairemonnumérodecharme,ellesetourneversmoietjem’arrêtenet.Cen’estpaspossible…C’estelle?

  • 2

    Liv

    JamesHawthorne est unvicieuxde première. Il y a deuxminutes, je l’ai vupincer les fesses de sasecrétaire,etlà,illorgnesurmonchemisier,alorsquej’ailagentillessedemebaisserpourramasserlespapiersquiontglissédesatabledetravail.Illesafaittomberexprès,j’ensuissûre.Iln’amêmepasladécence de faire l’innocent. Il poussemême jusqu’àme faire un sourire arrogant. Le gros dégueu parexcellence. Je lui retourneun sourire et jem’assois devant sonbureau– et pourtant, je suis tellementécœuréequej’enaipresquemal.Maisceboulot,jeleveux.Assezpoursupportersesconneriespendantlesseptdernièressemainesdestage.Ma concurrente fait son entrée à son tour, et le vieux libidineux m’oublie soudainement. La fille

    s’appelle Summer Langley.Grande, d’uneminceur demannequin, elle a de longs cheveux platine quicontrastentavecsonteintmat.Elleest très jolieetçanem’étonnepasqu’ilbavedevantelle.Maiscen’estpasunconcoursdebeauté:noussommesenconcurrencepourunposte.Etpasn’importelequel.Ils’agitd’undesjobslesplusconvoitésdetoutChicago.Nousnesommesplusquedeuxsurlecoup.Masolutionderepli,pourlecasoùj’échouerais,setrouveàNewYork,àpresquedeuxmillekilomètresdemafamilleetdemesamis.Monparcoursparlede lui-même.Résultatsexcellentsd’unboutà l’autredemesétudessecondaires,

    rédacteurenchefdujournaldel’université,etassistanted’unprofesseurd’anglaisrenommépendantmonmaster.LeCVdeSummerprésentecependantuntrèslégeravantageetcomportenotammentdeuxpointscontrelesquelsjenepeuxrien:sonpèresiègeauconseild’administrationduDailySunTimes.Etellen’éprouvepaslemoindrescrupuleàflirteraveclepatron.Cejob,jeleveuxdepuislelycée.Alorsjem’efforcedemeconvaincrequ’àlafindecestage,c’estla

    meilleure de nous deux, celle qui aura fait le plus beau travail, qui l’obtiendra. Il y avait onze centscandidats au départ et il n’en reste que deux. Je suis si près du but que le parfum de la victoiremechatouillelesnarines.J’aitoujoursvouluécrirepourleDailySunTimes.Cesontsesauteursquiraflenttousleslauriersetles

    prixPulitzer.Summers’installeàcôtédemoietjeluisouris.Grosdégueuvanousdonnernosprochainesmissionsetnousattendonsavecimpatience.Summern’estpasqualifiée–sipapan’étaitpasmembreduconseil,elleneseraitmêmepas là.Pourtant,monestomacsecrispeenentendant lesordres.Elledoitinterviewerun jeuneentrepreneurenvue,dont lastart-updewebmarketingvaentrerenBourse.Alorsquemoi,onm’envoiedansunquartierminableposerdesquestionsàunboxeurperturbéquicognepourgagnersavie…J’adressenéanmoinsmonplusbeausourireàGrosdégueu,quime tendmonordredemission,etjefaisminedenepasêtrevexéequ’ilaitdonnélemeilleursujetàSummer.‒Merci,James,jecroisqueçavafaireunpapiertrèsintéressant.C’estça.Quel’onmepiquetoutdesuitepourabrégermessouffrances!Jamesme rend polimentmon sourire avant de reporter son attention sur Summer. Il lui demande de

  • resteruninstant,prétextantqu’ilveutdiscuteravecelledelafaçondontellevaorienterl’histoire.Etmeditderefermerlaporteenpartant.Jem’exécutedignementetjecroisbienqu’ilneremarquemêmepasquedelafuméemesortparlesnaseaux.

    ***Aprèsune rapide rechercheen ligne, j’apprendsque le fighter enquestiondonnedes coursde self-

    défensepourfemmes.Jepourraissansdouteaborderlesujetenpartantsurlabruteaucœurtendre.Ilvafalloirlutterdurpourempêcherleslecteursdes’endormiravantlafindel’article…Jeprendsmavoitureetmeperdsenroute.Àmonarrivée,lecoursestentraindecommencer,alorsque

    j’auraisvouluêtresurplaceenavancepourmeprésenteràl’instructeuretorganiserunrendez-vouspourl’article. Tant pis. Je me glisse discrètement dans le fond, jette mon sac par terre et m’attache lescheveux.Lavoixdugarsdevientplusforte, tandisqu’ilserapproche.Ilchercheunevolontairepourl’aiderà

    montrer les mouvements. Son timbre résonne étrangement à mes oreilles. Je le trouve sexy, éraillé,presquerocailleux.Commes’ilavaithurlétoutelanuitetqu’ildevaitforcerpoursefaireentendre.Etsoudain la voix s’interrompt en plein milieu d’une phrase. Je termine ma queue-de-cheval en meretournant,curieusedesavoircequiacoupélavoixsensuelle.Etjemanquedetomber.Àlavisiondel’hommequisetientdevantmoi,l’airfuitviolemmentmespoumonsetmarespirationsebloque.

  • 3

    Liv

    SeptansetdemiplustôtIlpénètredanslabibliothèque,etsansm’enrendrecompte,jeretiensmarespiration.Jel’observealors

    qu’ilfouillelapièceduregard,conscientequec’estmoiqu’ilcherche.Depuiscinqsemaines,nousavonsrendez-vousiciàlamêmeheure,touslesjeudis.Pendantuninstant,jem’imaginequ’ilesticiparcequ’ilm’appartient.EtnonpasparcequeM.Huntermepayepourluidonnerdescoursdesoutien.Vinnyestsidifférentdesautresgarçons.Passimplementparcequ’ilestplusgrandetplusfort.C’estbienplusquecela. Ilyaquelquechose,danssa façond’êtreetdese tenir,qui lemetàpart. Jepeineà trouver lesmots…Maisilestdifférent,c’estindéniable.Ilestfort,assuré,insensibleàlaviedelycéeordinairequisedérouleautourdelui.Tandisque je leguette, ilme repèreetm’adresseun sourire.Ses fossettes se creusentdans sapeau

    hâléesi lumineuse,et j’enperds la tête.Jen’aiplusconsciencede l’endroitoù jemetrouve.Aveccesourire, ilmefaitmêmeoublierqui jesuis.Vinnysedirigeversmoid’unpasconfiant, indifférentauxregardsdesfillesquis’arrêtentsursonpassagepourlesuivredesyeux.‒Liv!Çava?Jevoisbienqu’ilestinquiet,maisjenesaispastroppourquoi.Jene luirépondspas.C’est indépendantdemavolonté.Brusquementparalysée, jesuis incapablede

    réagir.Latêtemetourne…jevaism’évanouird’unesecondeàl’autre.‒Liv?insisteVinnyd’unevoixplusforte.Sortantbrusquementdema transe, jeme rendscomptequema respiration s’étaitbloquée. Je souffle

    soudainement avant d’inspirer profondément, et l’arrivée brutale d’oxygène me brûle la gorge,déclenchant une quinte de toux incontrôlable. Tout lemondeme regarde et je n’ai qu’une envie :mecachersousunetable.Manifestementagité,Vinnymetientlamain,l’airinquiet.Ilme faut unmoment,mais jeme remets enfin et je parviens à couiner une réponse – unmensonge,

    évidemment.‒Çavaaller,jemesuisjusteétrangléeavecunepastillepourlagorge.Jenepeuxtoutdemêmepasluidirequ’ilmecoupelesouffleetque,parfois,j’enoubliederespirer!Il

    doitdéjàestimerquejesuisdugenrebizarre.Vinnyattrapeunechaiseetlaretournepours’asseoiràcalifourchon,sesavant-brassurledossier.Je

    trouveçahypermasculin.‒BonDieu, Liv. J’ai cru que tu t’étouffais, jeme suis dit que j’allais devoir te faire du bouche-à-

    boucheouunmassagecardiaque !Mais tues tellementminusculeque j’auraiseupeurde tecasserendeux,termine-t-ilenchuchotant,penchéversmoi.Devantsonsourireespiègle,moncœursemetàcognerdansmapoitrine.‒Jevaisbien…

  • Parchance,monvisageesttoujoursrougiparmaquintedetoux.Ilnevoitdoncpasquej’aichaud,rienqued’avoirsentisonsouffledansmoncouquandilmeparlait.Jereprendsaussitôt.‒Allez, on s’ymet.On a beaucoup de choses à couvrir aujourd’hui si tu veux réussir ton contrôle

    d’anglaislasemaineprochaine.Etsurtout,moncœurvaexplosersil’onneseconcentrepassurautrechose.Quandjesuisprèsdece

    garçon,j’arrêtetoutsimplementdepenser.Moncerveausetransformeenbouillieetj’oubliederespirer–maisçan’arriveàpersonne,ça!Jesuisvraimentdébile.Furieuse,labibliothécairenousdemandedefairemoinsdebruitetVinnylèvelesmainscommes’ilse

    rendait,enluisouriantfranchement.Ellechangeaussitôtd’expression–leseffetsducharmedeVinnyneconnaissentpasdelimited’âge.Nousreprenonsenfinnosrôlesrespectifs,celuidulycéenetdelatutrice,etjepeuxmeconcentrerde

    nouveausurlaraisonpourlaquellej’ailachancedepassertantdetempsauxcôtésdeVinnyStonetti.Iladeuxansdeplusquemoi,maisunanderetardenanglais.Commej’aiunand’avance,noussommesdanslemêmecours.Cetteannéeencore,ilrisquel’échec.Certainementparcequ’ilnepassepasbeaucoupdetempsencours.Ilesttoujoursmaladeouexclupourcausedebagarre.Ilyasixsemaines,monpèreapromisàundesesamisquesafilleaccepteraitdedonnerdescoursde

    soutienàsonfils,quiavaitdesproblèmesenanglais.Enprincipe,çaneposaitpasdeproblème.Saufquand j’aidécouvertque legarçonenquestion,c’étaitceluipour lequel jecraquaisdepuis lecollège.Depuistroislonguesannées,jel’observedeloin,secrètementobsédéeparsadémarche,parsafaçondes’asseoir, et même, quand je suis assise à la cafétéria et que je le guette du coin de l’œil, par lemouvementdeseslèvrespleinesquandilmâche.Etmevoilà,assisependanttroisheurestouteslessemaines,toutprèsdugarçonquihantemesrêveset

    mesnuitsdepuissilongtemps.Jenem’attendaispasàcequej’aitrouvéenlui–jenesaispasvraimentàquoi jem’attendais,d’ailleurs. Ilestencoremieuxqueceque j’imaginais. Ilest intelligent, ilapprendvite, et en plus, il est drôle.On passe de bonsmoments ensemble tout en travaillant, et àma grandesurprise,nousavonsdéjàrattrapépresquetoutleretarddusemestre.‒Finalement, tu as imaginé cequi vient aprèsque Juliette a parlédumariage à samère ? J’ai hâte

    d’arriverà la suite,aux trucspluschauds–à lanuitdenocesparexemple…faitVinnyenagitant lessourcilsd’unairsuggestif.Mais qu’est-ce qui m’a pris de lui raconter mon petit hobby ? Depuis que je sais lire, j’adore les

    tragédies romantiques. Je dévore chaque mot et parfois je me laisse emporter par toute cette beautétragiqueetjepleure.Ensuite,jeréécrislafin–jenepeuxpasm’enempêcher.Parcequepourmoi,toutehistoireadroitàsafinheureuse.Il y adeux semaines, alorsque l’on travaillait surRoméoet Juliettepouruncours, j’étais tellement

    prisedanscettehistoired’amourquejeluiairévéléquej’avaiscommencéàécrireuneautrefin.Gênéeparmonaveu,j’avaisenviedemecacherdansuntrou,maisVinnys’estmontréintéressé.Intrigué,même.Aulieudemetrouverdécaléeetdes’enfuiraugalop,ilsembleavoirenvied’ensavoirplussurmoi,surcequej’aimefaire.Cequimerendheureuse.‒Enfait,jecroisqu’aprèsquesamère…Je suis sur le point de lui raconter le chapitre que j’ai rédigé pendant leweek-end, quand une voix

    m’interrompt.Unevoixquej’aiapprisàdétester.

  • ‒Ehbiendisdonc,ondiraitquevousvousamusezbien,toiettapetitemaîtresse!LetonnasillarddeMissyTatummeramènebrusquementàlaréalitéetj’atterrisavecfracas.Unseul

    regardmesuffitpourmerappelerqu’elleesttoutcequejenesuispas.Elleportesipeudetissusurelleque si elle en avait moins on l’arrêterait pour attentat à la pudeur. De là où je suis assise, je voisclairementledessousdesesnichons–deface,soncrop-toplesrecouvreàpeine,etencoremoinsd’endessous.Monpropremanquedecourbesmesauteimmédiatementàlafigure.Elleestenterminalealorsquejenesuisqu’enseconde–etphysiquementpastrèsenavance.Enunriendetemps,toutlebien-êtrequejeressentaisauprèsdeVinnys’évanouit,etjeredeviensunepetitefille.‒Vam’attendredehors,Missy,j’enaipourquelquesminutes,ordonneVinny.Sontonachangé,sadouceurtaquineremplacéeparquelquechosedeplusduretautoritaire.Pendantun

    instant,Missyparaîtsurlepointdeseplaindre,maisleregardqueluilanceVinnyestsansappel.Avecunemouedépitée,elleseretourneetsortdelabibliothèquesansunmotdeplus.‒Désolé.‒Cen’estpasgrave.‒Biensûrquesi.Ellen’apasàteparlercommeça.Ilestencolèreetças’entend–ilnes’adressejamaisàmoisurceton-là.‒Merci,maisj’ail’habitude,tusais.‒Qu’est-cequetuveuxdire,tuasl’habitude?Jehaussel’épauleetjetteunœilversMissy,quifumedehorsavecsesamies.‒C’estcommeça,avecelleetsescopines.Ellesfontdespetitesremarques,c’esttout.‒Quelstylederemarques?LesmâchoiresdeVinnysecrispentdefureur.C’estuncôtédeluiquejen’aipourl’instantvuquede

    loin, et jamais dirigé contremoi. Il devient effrayant. Son attitude détendue et joueuse a disparu pourlaisserplaceàdespoingsserrésetàdesépaulespluscarrées.Jetentedelerassureravecunsourire.‒Jet’assure,cen’estrien.Feignantl’indifférence,jecommenceàramassermeslivrespourpartir.Pendantuninstant,Vinnygardelesilenceetm’observeattentivementtandisquejerangemesaffaires

    dansmonsacàdos.Ilmerendnerveuseetjerougissousl’intensitédesonregard.Unefoisprête,jen’aid’autrechoixquedeleregarder–alorsquejepréféreraisdisparaîtresousterre.Ilrestemuet,maissesbeauxyeuxbleupâlemecapturent.J’oublietoutetjemelaissealler,cédantaupouvoirqu’ilasurmoi…Brusquement,ilselèveetattrapesespropresaffaires.‒Onsevoitlasemaineprochaine?Jehochela tête, incapabledeprononceruneparole,et lesuisdesyeuxtandisqu’ilpasse laporteet

    sort.Missys’insinueaussitôtdans sesbras.L’espaced’uneseconde,Vinnyse retourneetme lanceunregard.Jesuistoujoursfigéesurmachaise.Puisilsedétourneetposeunbrassurl’épauledeMissyetilss’envont,touslesdeuxenlacés.

  • 4

    Vinny

    SeptansetdemiplustôtEn arrivant chezmoi, je suis toujours hors demoi, après ce qui s’est passé pour Liv. Et j’ai bien

    l’intentiondepassermacolèresurMissy–ellequiesttoujoursprêteàprendrecequej’aienviedeluidonner,ellevaprendreaujourd’hui,çac’estcertain.Commesilajournéen’étaitpasdéjàassezpourrie,mamèreestaffaléesurlecanapé,inconsciente,et

    deuxjunkiessontentraindesegoinfrerdecéréales,àmêmelaboîte,lesyeuxfixéssurlatélé.Jesuisàpeuprèscertainqu’ilsnesontmêmepasconscientsdecequ’ilsvoient. Il est troisheuresde l’après-midi,etilsnesesonttoujourspaslevésdeleurnuit.Jem’approchedusacd’ospouilleuxquiestassissurlachaise.Ilestsipétéqu’ilnem’amêmepasremarqué.Jebalaielachaised’uncoupdepiedetelletombe,luiavec.‒Tire-toi!Ilserendbrusquementcomptequej’existeetsemetàgémir.‒Hé,mec!C’estquoitonproblème?‒Toi.Dégage!Maintenant,jetedis!J’aitellementdemalàmecontrôlerquejerugis,chaquemotsortantplusfortqueleprécédent.Lelooserestsansdoutedéfoncé,maisiln’estpascomplètementdébile.D’unseulregard,ilacompris

    qu’il était à deuxdoigts deprendreune raclée.Unebelle. Jemeursd’enviede lui rentrer dedans.Çam’aideraitsansdouteàm’éclaircirlesidées.Letypeagrippesonpotecaméparlebrasettousdeuxseruentverslaporte.J’aimemieuxça.Lavieilledamed’enbasm’aentendugueuler,c’estcertain,maismamère,elle,nebronchepas,étenduedetoutsonlongsurleventre.Ellerespireencore.J’hésiteentrelesoulagementetlesregrets.Unmouvementversmadroiteattiremonattention.C’estMissy–jel’avaisoubliée,celle-là.‒Vadansmachambre.Débarrasselelit.Elledisparaîtaussitôt.Je recouvremamère et ramasse la nourriture éparpillée sur la table et par terre, pour la jeter à la

    poubelle.Lasalleestjonchéedeboîtesenplastiquequiontservidecendriers:lesrestesdeplatstoutpréparéssonttruffésdemégots.Super,onn’aplusrienàmangerpourlasemaine.Commed’habitude.J’entredansmachambre.Missys’estoccupéedemonlit,quej’avaislaisséenbordel,etsetientdevant

    moiensous-vêtements.Lorsquejem’approche,ellemetendlamain.Elleaenviequejesoisgentil,quejel’embrasse,quej’y

    ailledoucement.Maiscen’estpasçaquejeveux.Cen’estpascequ’ilmefaut.Jeprendslamainquem’offreMissy,maisjem’enserspourlaretournerd’ungesteetlafairetombersurlelit.Attrapantsesjambes,jelatired’uncoupsecversleboutdulit.Elleestdebout,penchéeenavant,levisagedansla

  • couverture.Sonpostérieurtoutrondestenl’air,soumis,prêtàmerecevoir.Rienqu’àlevoir,jebandedéjà.Jedéfaismabraguettepourmelibérer.Jeluigiflelesfessesàtoutevoléeplusieursfois.Bienfort.Envoyantlapeauprendresabelleteinte

    rose foncé, je bande encore plus fort. J’ai à peine enfilé la capote que je la prends sans prévenir. Jem’enfonce d’un coup, jusqu’à la garde. Elle est déjà mouillée – mais je n’avais pas pris le soin devérifier.Elleadorelafessée,elleaimequejelapunisse,quejeluimontrequicommande–elleestaussiperchéequemoi.Jefermelesyeuxetbrusquement,lepetitvisageadorabledeLivmesauteàlafigure.Jele vois si clairement que je n’ai aucunmal à faire semblant que c’est en elle que jeme trouve. Je lapilonnecommeunfou,enessayantdelachasserdematête…maisçanemarchepas.Cestemps-cidetoutefaçon,jenepensequ’àelle,quoiquejefasse.

  • 5

    Liv

    Envoyantl’hommequ’ilestdevenu,moncœurfaitdumilleàl’heure.Jemesuisfigéesurplace,lesyeuxrivéssurlui.Ilesttoujourslemême,maisenplusmatureetplussexy–etpourtant,jenevoispascomment c’est possible. Il a toujours été imposant, mais là, c’est encore plus flagrant. Aussi mincequ’avant,ilaprisdescentimètresainsiquedumuscle,justelàoùilfaut.Sesbrassontcommesculptés.Et je me souviens de ces bras autour de moi… Seulement aujourd’hui, ils sont presque totalementrecouvertsdetatouages,dessinéssursapeaulisseethâlée.Alorsqu’illescroisedansunmouvementquifait saillir ses biceps, j’aperçois sur son bras gauche une grande croix et des symboles. Je me senssoudainhappéeparlesmotifset l’enviedevoirceuxquisontcachéssoussontee-shirt.Jenesaispascombiendesecondesse sontécouléesmaisen relevant lesyeux, je levois sourired’unaircomplice.J’étaisentraindel’admireretilm’apercéeàjour.Sonpetitsouriremoqueurs’élargit,révélantdesfossettesàsedamneretsoulignantsonassurance–il

    estparfaitementconscientde l’effetqu’ilproduit sur les femmes. Ilplisse imperceptiblement sesyeuxincroyables aux prunelles d’azur pâle, et une lueur espiègle les anime soudain tandis qu’il hausse unsourcil.‒ Mademoiselle ? Vous voulez bien être mon assistante pour le cours ? Il me faut quelqu’un pour

    montrerlatechnique.Déconcertéequ’ilnem’aitpasappeléeparmonnom,jecomprendsalorsqu’ilnem’apasreconnue.Il

    n’estpasleseulàavoirchangé:ladernièrefoisquejel’aivu,jen’étaisqu’unejeuneadotouteplate.Physiquement,j’étaisenretardparrapportauxautresfillesetmatignassesombreplutôthirsutetombaitn’importecommentsurmesépaules.Jesaismaintenantcoifferlesbouclesauburndemalonguechevelureépaisse. J’ai remplacémes lunettespardes lentilles,etmonmaquillage léger rehaussemespommettessaillantesetmonteintnacré.Jen’aiplusriend’uneplancheàpainetjetravailledurpouravoirdejoliescourbesbiendessinées.Oui,onpeutdirequejenesuispluslamême.Lesourciltoujourslevé,Vinnyattendpatiemmentmaréponse,leregardamusé.Jem’aperçoisquetout

    legroupes’estretournéetnousobserve.‒Euh,oui,biensûr!‒Super!Nousavonsunevolontaire!annonceVinnyàl’assemblée.Mefaisantsignedelesuivre,ilreprendsaplacedevantetselancedansladémonstrationsansperdre

    une seule minute. Les premières manœuvres qu’il nous enseigne sont plutôt inoffensives – pour moi,s’entend.Ilnousapprendàbloqueruncoupetànousprotéger la tête.Maisnousarrivonsbientôtàcequ’ilappelle«l’attaqueenloucedé».M’ayantindiquéquejedevaismeretourner,ils’approchedemoidansmondos.Ilpenchelatêtevers

    monoreilleetchuchote:‒Pourmontrercelle-ci,ilfautquejevousserredansmesbras.

  • Savoixbasseetsensuelle,accompagnéedesonsoufflebrûlantdansmoncou,déclencheunfrissonquimeparcourtlacolonnedehautenbas.Toutenprenantsontemps,ilm’entouredesesbras,sesmainsserefermantl’unesurl’autrejusteendessousdemesseins.Ensentantsoncorpschaudpressétoutcontrelemien,j’ailachairdepouleetjepicotedepartout.Énervéecontrelaréactioninvolontairedemoncorps,jepriepourqu’iln’aitrienremarqué.‒Vousavezfroid?chuchote-t-ilàmonoreille,manifestementravi.Etmince.‒Mesdames les attaquantes, accrochez-vous de toutes vos forces.Mesdames les victimes, tentez de

    vouséchapper,lanceVinnyd’unevoixfortesansdesserrersonétreinte.‒Vouspouvezessayerdevouséchapper,maintenant,souffle-t-ildenouveau.Etsoudain,jemerendscomptequ’ilyatrèslongtempsqu’unhommen’apasposélesmainssurmon

    corps.Bientroplongtemps.Ilinsiste.‒Allez-y,débattez-vous!Essayezdem’échapper.Moncorps,quiavaittemporairementneutralisémonesprit,finitparcéderdenouveauàmesneurones,

    etjetentedem’extrairedel’emprisedeVinny.Maisenvain:plusjemedébatsetplusilmeserre,etplusnoscorpsserapprochent.Soudain,ilmerelâcheetfaitunpasenarrière–l’espaced’uninstant,unevaguededéceptionmebalaie.Reportantsonattentionsurlegroupe,notreinstructeurnousmontrecommentselibérerdecestylede

    prise.‒Regardez,nousallonsvousmontrer.Ilm’enlacedenouveau.‒Allez,lancez-vous!Pour de vrai ? Il veut vraiment que je lui fasse toutes ces choses douloureuses qu’il vient de nous

    apprendre?‒Jeneveuxpasvousfairemal…J’aiparléàmi-voixpourqu’ilsoitleseulàm’entendre.‒Net’inquiètepas,Liv,jesurvivrai.‒Vousêtessûrque…Attends,ilm’aappeléeLiv,là?‒Vinny?‒Liv?Ah,lesalaud!Ilm’avaitreconnueetn’ariendit!Leprenantparsurprise,j’exécutesoudaintousles

    mouvementsqu’ilnousaapprisetluiéchappe,avecunderniercoupdegenou.Pliéendeuxdedouleur,lesmainssurlesgenoux,Vinnysemetàrire.‒O.K.,mesdames,jecroisqu’onaterminépouraujourd’hui!Agacée, je traverse la salle à grands pas pour aller reprendre mon sac, tandis que les femmes se

    rassemblentautourdeVinny.Ellesledistraient,cequim’arrange,carjen’aiaucuneenviedeluiparler,cherchantplutôtàm’éclipserdiscrètement.Jenesaispastropcequejevaisfairepourl’article,maiscequi est sûr, c’est que je veux sortir d’ici et tout de suite. J’ai presque réussi lorsque je sens un brass’enroulerautourdematailleetmetirerenarrière.‒Alors?Tuallaist’évadersansmedireaurevoir?

  • Jenemeretournemêmepaspourrépondre.‒Tuétaisoccupé,jenevoulaispast’interrompre…‒Jeneseraijamaistropoccupépourtoi.Vinnym’afaitpivoter,lesbrastoujoursserrésautourdemoi,etsonregardbrûlantmetransperce.‒N’empêchequetuavaisl’airoccupé.J’ai laissé percer plus d’amertume que je l’aurais souhaité. De la tête, j’indique le petit groupe de

    femmesquis’attardentpourquémanderunpeudesonattention.Vinnysepencheunpeuenarrièreetm’examinelentementdelatêteauxpiedsavecunregarddefauve.‒Ettoi,tuasl’air…d’avoirdrôlementgrandi...‒Cesontdeschosesquiarriventquandonnevoitpasquelqu’unpendantseptans.‒Toutlemalheurestpourmoi.Sonsourirearrogants’estévanouietilmeparaîtsincère,cequimecalme.Unpetitpeu.‒Tum’asreconnuetoutdesuite?‒Jetereconnaîtraisn’importeoù,Liv.Àcesmots,prononcésd’untonintimeetsensuel,jesensmaméfiancerefluerencoreunpeu.‒Alors,qu’est-cequetudeviens?Maintenantquenotreconversationreprenduncoursunpeuplusnormal,jesuistrèsconscientedufait

    qu’ilmeserretoujourscontrelui.Ondiraitqu’ilapeurquejem’enfuies’ilmelâche.‒ Oh, ça va, je m’en sors, répond-il en levant la main pour repousser tendrement une mèche folle

    derrièremonoreille.Ettoi?‒Çava.Jesuisjournaliste.Sonsouriresincèremerappelle lesmomentsquenousavonspassésensemble. J’ai l’impressionque

    celafaitsilongtemps.C’étaitavant.Avantcequis’estpassé.‒Jesavaisqueturéussirais.Tuastoujoursvouluécrire.Sa réponseme touche, car je vois qu’il se souvient demes rêves, ceuxque je lui ai racontés.Et je

    baisseencoreunpeumagarde.Jeluisourisàmontouretsesyeuxtombentsurmabouche.Sonregards’assombritetlachairdepoule

    quinem’apasquittéedepuisqu’ilme touchem’électrise.Unechaleurviveparcourtmesveineset lerestedumondes’évanouit.Sesyeuxremontentrapidementauxmiens,avantderetomberàmeslèvres.Ilsepencheenavantetj’ail’impressionqu’ilvam’embrasser.Maislavoixd’unefemmem’arracheàmoninstantdefolie.‒Vince,t’asbientôtfini?Jem’ennuiedanslavoiture!

  • 6

    Vince

    Merde!J’avaiscomplètementoubliéKrissy.J’étaistellementenretardquejen’aipaseuletempsdeladéposerchezelle–iln’étaitpasquestiondelalaisserseulechezmoi.Savoixnasillardemetranspercelecrâne.‒Vam’attendredanslavoiture,Krissy.Avecunsoupirénervé,elleseretourneetm’obéit.Mais lemalest fait.LevisagedeLivestdevenuunmasqueet l’émotionque j’aicruyapercevoira

    disparu.‒Ilfautquej’yaille,jedoisretournerautravail.Elle aparléd’un ton sec et professionnel et je voisqu’elle adu tempérament.Elle est devenueune

    femmemagnifique,incroyablementsexy.Çanem’étonnepasd’elle.Elles’estdégagéeetatendulamainverslapoignéepoursortir.‒C’étaitsympadetevoirVinny,medit-elleledostourné.Prendssoindetoi.Brusquement,lapeurmeglacelesosetjepanique.‒Attends!Ellesefige,sanspourtantfairedemi-tour.‒Retourne-toi,Liv.J’aperçoissonrefletdanslaportevitrée.Lesyeuxfermés,ellesembletiraillée,commesiellehésitaità

    s’enfuir.‒Dis-moijusteunechose.Pourquelleraisontuesvenueiciaujourd’hui?Laseulepenséed’unhommequiposeraitsespattessurLivpourluifairedumalmerendfouderage.

    Lesfemmesquiviennent iciprendredescoursdeself-défense le fontpourunebonneraison.On lesaagressées et elles ont peur que ça recommence. De plus, certaines vivent au quotidien avec leuragresseur.L’idéequ’onaitpuattaquermapetiteLivmeretournel’estomac.‒Jesuisvenuefairedesrecherchespourmonboulot.Elles’interromptetmelanceunbrefregardainsiqu’unsourirepleindetristesse,puisreprend.‒Aurevoir,Vinny.Puiselledisparaît.

  • 7

    Liv

    Ma journée s’annonce aussi mauvaise que ma nuit, que j’ai passée à m’agiter dans tous les sens,accaparéepardesémotionsquejen’avaispasressentiesdepuisdesannées.LefaitderevoirVinnym’acomplètementchamboulée.Jemesuisendormieversquatreheureset j’étaissiépuiséequejen’aipasentendumonréveilàsixheuresetdemie.Jesuistellementenretardquejedécidedenepasmelaverlescheveux.Jemecontentedeleslisseren

    arrièreetdelesattacherenqueue-de-chevaltoutesimple.Çaira.Unpetitcoupdemascara…Quinefaitrienpourcachermescernes.Unboncafédevraitmeréveiller.Jeverselamoitiédelacafetièredansmonmugdevoyage.Dansmahâte,jenem’aperçoispasquej’aimalvissélecouvercle.Jeprendsunegorgéeetleliquidebrûlantserenversesurmajupecrèmepréféréeetmonchemisierchocolat.Jesuistrempéeetmêmeobligéedechangermessous-vêtements.Malgrémapannederéveiletmonchangementdetenueintempestif,jen’aiquevingtminutesderetard

    enarrivantaubureau.Àmongrandsoulagement,personnenesemble leremarquer. Ilnemeresteplusbeaucoupdetempspourfairebonneimpression.Sijerataisleboulotdemesrêvesàcaused’unoudeuxretards,jenemelepardonneraisjamais.Une fois installée, je sors le dossier de recherches sur Stone, celui que j’aurais dû consulter avant

    d’arriveràlasalleetd’avoirlasurprisedusiècle.Puisjeparcourslestonnesdephotosetdecoupuresdepresse.Ilyadesdizainesdeportraitsde«VinceStonel’Invincible»surlering.Surcertaines,ilalebras levé en signe de victoire, l’air fier et plein d’assurance. Malgré notre passé, je ne peux pasm’empêcher de sourire et de me réjouir pour lui. Il a attendu ces moments si longtemps – il avaitcommencélefree-fightavantmêmequejelerencontreaulycée.Puisj’enarriveauxclichésspontanésetmonsourires’effacerapidement.Photoaprèsphoto,lesfillesà

    sonbrassonttoutesdifférentes,quelascènesepassedanslarue,devantunbaroudevantlasalle.J’ail’impressionquedepuis toutescesannées, rienn’avraimentchangé. Jeprends le tempsde lesétudiermalgrétout,pourvoirsicertainesyfigurentplusieursfois,maisapparemmentVinnyselasseenunenuit.Onnepeutpasnierquecesfemmessoientattirantes.Ilyenadesbrunes,desblondes,desrousses.Des

    grandes,despetites…Apparemment,M.Stonen’estpasattachéàuntypephysiqueenparticulier.Jenotecependantqu’ellesonttouteslemêmestyleetsonthabilléesdefaçonprovocante.Cetteflopéedefemmesaccrochées à Vinny commence à me taper sur les nerfs, et je parcours les photos de plus en plusrapidement.Jusqu’auxdeuxdernières.L’uneestunportrait,celuid’unbelhommequidoitavoiràpeuprèsl’âgedeVinny.Sonvisagemesemblecurieusementfamilier,maisjenesaispaspourquoi.Frappéeparleregardbleupâlesaisissantetlamâchoireraséedeprès,jerestedessusquelquessecondesavantderetournerlaphotopourlirelesinformationsquidevraientyfigurer.Àmasurprise,leversoestvidedetoutcommentaire.Serait-ceunadversairedeVinny?Ladernièrephotoestcelled’unhommed’âgemûr.Ilressembleaujeunehommedelaprécédenteetje

  • lescompare.Ils’agitpeut-êtred’unpèreetdesonfils.L’hommeplusâgéestbienmis,distingué,etsestraitsmesemblentencoreplusfamiliers.Unacteur?Quelqu’unquej’auraisvuàlatélévision?Habillésimplement, d’un pantalon avec un pull, il rayonne d’assurance.C’est sûrement un acteur. Je finis parconclurequecesphotosontétémalrangées.Après avoir refermé le dossier, je m’efforce d’oublier le magnifique fighter des clichés. Avec sa

    mâchoiresimasculine,voiléed’unebarbenaissante tout simplementparfaite. J’aidumal. Je reprendsmesnotespourlestaper,maispuisquejen’aipasvraimentinterviewémonsujet,jen’aipasgrand-choseàécrire:enfouillantdansmamémoire,jeparvienspéniblementàremplirtroisquartsdepage.Avantd’allerrendreledossierderechercheàGrosdégueu,jejetteunedernièrefoisunœilauxphotos.

    J’aihonte,maisjenepeuxpasdétachermesyeuxdeVinceStone–etc’estbienpourcelaquejedoisàtoutprixmettrelesdistancesetm’éloignerdelui.

  • 8

    Vince

    Çafaitdeuxjoursetjen’arrêtepasdepenseràLiv.Elleestcoincéedansmatête,jelavoischaquefoisquejefermelesyeux.Etcen’estpasseulementàcausedesoncorpssublime–elleapourtantdesfessesde rêve, que je ne risque pas d’oublier. Non : Liv est différente. Elle l’a toujours été. Intelligente,marrante,elleaunregardpursurlavie.Ellem’afaitprendredureculetouvertlesyeux.Grâceàelle,j’aivudupositif làoùjenevoyaisquedunégatif.J’aieubeaucoupdemalànepas luisauterdessuscommeunfauvesursaproie.Àvoirsafaçondemeregarder,avecsesgrandsyeuxrondsnoisette,j’avaisl’impressiond’êtreunhomme,moiquin’étaisqu’ungamin.Jemesouviens,j’aifoiréplusieurscontrôlesexprès,rienquepouravoirunprétextedepasserdutemps

    avec elle. Même dans cette foutue bibliothèque. Elle était tellement jeune, adorable, innocente. Lecontraire de tout ce qu’il y avait dans ma vie. Elle était différente à l’époque et elle l’est encoremaintenant.Jel’aiàpeinevue,l’autrejour,maisjelesais.C’estlegenredefillequel’onramèneàlamaisonpour la présenter à samère.Sauf que lamienne est toxico. Je viens tout juste de terminermaséanced’entraînementquandjeremarqueSal,àlaréception.Apparemment,ilm’envoieunefemme,quivientd’arriver.Etpasn’importelaquelle.Unevraiebombasse.Ah,voilàquivamechangerlesidéesetmefaireoublierlaprincesseauxgrandsyeux!‒MonsieurStone?lance-t-elleens’approchant.J’avaisfinimaisjemelancedansunesériedepompessuruneseulemain,autantluifairemonshow.

    Puisjemelèveetretiremontee-shirt–trempé–pourm’essuyerlevisage.Leregarddelabellevadroitsurmesabdos.Tropfacile.Jebraquesurellemonsourirelepluscharmeur.‒Vousêtes…?Sesyeuxremontentverslesmiensetellerejettesescheveuxenarrièreavantdemetendrelamain.‒ Je suis SummerLangley, duDaily SunTimes. Jeme demandais si vous accepteriez deme parler

    quelquesinstants.Nousaimerionsfaireunarticlesurvousetvotreprochainchampionnat.‒Biensûr…Je retiens sa main un instant avant de poursuivre, en indiquant du menton ma pogne couverte de

    transpiration.‒J’espèrequeçanevousgênepasd’êtretoutetrempée…‒Maispasdutout!merépond-elleavecunlargesourirelascif.Parfait,noussommessurlamêmelongueurd’onde.‒Venezavecmoi,onvatrouveruncoinplustranquille.Jelamèneverslapetitecuisine,aufonddelasalle,etjem’effaceenluifaisantsignedepasserdevant

    moi.Cequim’offreunevueimprenablesursonpetitcul,serrédanssajoliepetitejupe.Mignon,maisunpeumaigrichonpourmongoût.RienàvoiravecleboulemagnifiquedeLiv,enformedecœur.Ah,çay

  • est,c’estreparti!Ilfautabsolumentquej’arrêted’ypensertoutletemps–surtoutaveccebeaupetitlotdevantmoi,quimesouritcommesil’affaireétaitdéjàdanslesac…‒Alorscommeça,vousêtesjournaliste?Livaussiestjournaliste.‒Absolument.Enfait, jesuisstagiairepourl’instant.Jebataillepouravoirunpostedejournalisteà

    pleintemps.Onn’estplusquedeux.Alors,j’espèrequ’avecvousjevaisavoirquelquechosedejuteuxpourmeplacerenpremièreligne.Elleinsistesurlemotjuteux–ondiraitpresquequ’elleronronne.T’inquiètepas,jevaistedonnerdu

    juteux,moi.Jenevaispasêtreobligédemefouleraveccelle-là.Jecroisbienqu’elleenaautantenviequemoi.Peut-êtremêmeplus.Enprincipe,j’aimebienpartirenchassepourtrouvermondîner.Maispasdesouci,parfoisc’estcooldesefairelivrerunrepastoutprêt.Ons’assoit,etlamaigrichonnesortsonbloc-notes d’un sac de luxe qui a dû coûter plus cher quema dernière bagnole. Puis elleme sourit ànouveau,découvrantdesdentsblanchesparfaitementalignées,quiontdûruinersondaron.‒Alors,monsieurStone,parlez-moidevous.VousêtesnéàChicago?‒Ouaip,j’yaitoujourshabité.JesuisalléàSouthShore,del’écoleprimaireaulycée.‒Ahbon?s’étonne-t-elleengriffonnantsesnotes.C’estpareilpourl’autrereporter.Çamesurprend

    quevousnevousconnaissiezpas.‒Quelautrereporter?‒OliviaMichaels.Cellequidevaitécrirecepapieràl’origine.Bordel.Jen’enrevienspas…C’estvrai,Livabienditqu’elleétaitvenuepourfaireunerecherche.

    Ellen’ajamaisditquec’étaitmoisonsujet.‒Qu’est-cequiluiestarrivé?‒Jenesaispastrop.Entoutcas,ellearenoncéàlamission,faitSummerenm’adressantunsourire

    carnassier,commesielleavaitenviedemedévorer.Maisjesuisravie.J’aihâted’arriverauxélémentsjuteux…Jedevraisremercierlesdieuxpourcequ’ilsviennentdedéposersurlepasdemaporte.Maisbienau

    contraire.Jesuisfurieux.Vraimentfurieux.

  • 9

    Liv

    Gros dégueu vient de nous convoquer dans son bureau. Je lance un bonjour à Summermais elle nem’adresse même pas un regard. Elle est de mauvaise humeur, ce matin. C’est pire que d’habitude.Papounetadûluicoupersonargentdepoche.‒Bon!commenceGrosdégueuenvenants’asseoirsurlecoindesatabledetravail,lesbrascroisés

    surlapoitrine.Mesdames,j’aibienl’impressionquenousavonsunproblème.Summercroiseelleaussilesbrasetrelèvelementon.Apparemment,leproblèmevientdesonaltesse.

    Prenantsoindemasquermonamusement,jeprendslaparole.‒Quelestleproblème,James?Est-cequ’onpeutvousaider?Quellefayote!Maisjem’enfous.Encoresixsemaines.Jevoislalumièreauboutdutunnelets’ilfaut

    passerunpeudepommadepourarriverlapremière,tantpis.‒Ehbien,ilsembleraitqueM.Stoneaitrefusél’interviewavecSummer.Jemetourneversmacostagiairepouravoiruneexplication,maisellem’ignoreavecmépris.Jereporte

    doncmonattentionsurGrosdégueuetj’attendsqu’ils’encharge.‒ Il n’acceptedeparlerqu’à toi,Olivia, fait-il enhaussant les épaules avantdepousserunprofond

    soupir.Tevoilàdoncde retoursurcepapier ! Jenesaismêmepaspourquoice typeest si important,maismon boss insiste. Et puisqueM. Stone a décidé que c’était toi qu’il voulait, c’est ce qu’on luidonnera.Toi.Puisilnouscongédieetjerestebouchebée.J’aipresqueréussiàm’enfuirlorsquemonaffreuxpatron

    reprendlaparole.‒Olivia,resteiciencoreuninstant.Summer,refermelaporteensortant.Oh!non,jetrouvaispourtantquemajournéeétaitdéjàassezfoireusecommeça…‒Écoute,jesaisquetuasdemandéàêtreretiréedel’affairepourraisonspersonnelles.Maislà,nous

    n’avonsplusvraimentlechoix.Alorsconsidèreçacommeunebonneexpérience.Jenesaispascequ’ilyaentretoietM.Stone,maisquoiqu’ilensoit,tum’exploitesçaettumerapportesunbonpapier.Unvraiconnard…

    ***Enrevenantaubureauquenouspartageons,jetrouveSummerquifaitlescentpas,apparemmentfolle

    de rage. La fifille à son papa n’a pas l’habitude d’être snobée, pauvre chérie. De mon côté, je suisfurieusecontreVinny,quin’auraitpasdûsemêlerdemontravail,maisjedoisbiendirequevoirSummerremiseàsaplacenemedéplaîtpas.‒Jenesaispasàquoi tu joues,Olivia,maismemettreenporte-à-fauxvis-à-visdeJames,çava te

    coûtercher!crache-t-elle,levisagedistordudehaine–elleestsoudainbienmoinsjolie.Jepeuxtedireunechose:nonseulementjevaisl’avoir,ceposte,maisenplus,jevaism’essuyerlespiedssurtasalepetitetêtemiteuse!

  • Incapabledemeretenir,jepouffederire…Laprincessesesurpasse!Quil’eûtcru?Bien,elleveutlaguerre,ellel’aura.

    ***JesaisoùVinnyfaitsesentraînements,etenquittant lebureau, jemerendsdirectementà lasalleen

    question.Jenesaispass’ilyseracettefois-ci,maissic’est lecas, ilvam’entendre!Jepensaisquequelques heures auraient suffi à calmer ma colère initiale, mais au contraire, ma fureur ne cessed’empirer.Là,jebouillonnelittéralement.Àgros,grosbouillons,etlaCocotte-Minutevaexploser.Àlatêted’uncertainfighter!Maispourquiilseprend?Commentose-t-ilintervenirdansmonboulot?J’aitravaillétropdurpour

    arriver là où j’en suis, pour laisser une simple amourette de lycée semettre en travers du chemin. SiVinnyveutjoueràcejeu-là,ilvadécouvrirquejenesuispluslapetitefillequ’ilpensaitconnaître.J’aigrandidepuisqu’ilm’abrisélecœur.Vraimentgrandi.Une fois entrée, je fouille la salle du regard. Elle est pleine de grands gaillards tatoués et je suis

    surprise de voir une jolie femme s’approcher demoi. Enceinte jusqu’aux yeux, elle est habillée d’untailleurrougeélégantetcaressedistraitementsonventrerondcommeunballondebasket.Saprésenceicimesembleincongrue.‒Voussemblezperdue,medit-elleavecunsourirechaleureux.Vouscherchezquelqu’un?Jeluirépondsd’untonhésitant.‒Euh…oui.JechercheVinnyStonetti.‒Vousdevezleconnaîtredepuislongtemps,non?Lajoliefemmepenchelatêtedecôtéetm’observe.Bizarrement,saquestionetsapostureluidonnent

    unairmaternel, presqueprotecteur.Pourtant, elle est bien trop jeunepour avoir un enfantde l’âgedeVinny.Jeplisselefront,laissantvoirmaconfusion.‒En fait, oui. Je le connaisdepuis l’adolescence,onétait aumême lycée.Mais commentavez-vous

    deviné?Sonsouriresefaitencoreplusbienveillant.‒Parcequ’ilachangédenomilyadéjàquelquesannées:ilestpassédeVinnyStonettiàVinceStone.

    Personne ne l’appelle plus Vinny. Enfin, sauf moi, et mon mari, Nico. Vince était ado quand je l’airencontré, alors pour moi, c’est toujours Vinny. Pour Nico aussi, mais ça, c’est surtout pour le faireenrager.Jeluiretournesonsourire.Àsafaçondeparler,onvoitbienqu’elleaunfaiblepourVinny.Cequine

    mesurprendpas.C’estpareilpour laplupartdes femmes. Jusqu’àcequ’il les trahisseet lesdétruiseavantdeleslaisserenplan,lecœurencharpie.Commepourmoi.‒Est-cequeVinny…euh,Vince,estdanslecoin?‒Pasencore,maisilarrivegénéralementdanscesheures-là.Ils’entraîneavecmonmari.‒Ah,d’accord.Jepeuxrevenirplustard.Oujepeuxl’appelerpourprendrerendez-vous.‒Vouspouveztoutàfaitl’attendreici.J’allaismeprendreunetassedethé,là-basdanslefond.Vous

    voulezm’accompagner?OnéchangeradesdossierssurVinny.Madécisionestpriseendeuxsecondes.Jesuisdéjàlà,etjepourraipeut-êtrecollecterdesinfospour

    monpapier.Jeluitendslamain.

  • ‒Pourquoipas?Aufait,jemeprésente,jem’appelleOlivia.‒Moi,c’estElla.Ellemeserrelamainensouriant,avantdereposerlasiennesursonventre.‒EtvoiciNicholas Junior. Jecroisqu’il s’entraînedéjàauxcoupsdepied. Il est commesonpapa,

    pleindeforceetd’énergie!Nous traversons la sallepourpasserdansunepetite cuisine, et ellebrancheunebouilloire avantde

    poserdeuxmugssurlatable.‒Jen’aiquedudéthéiné.Dèsqu’ilasuquej’étaisenceinte,monmaris’estprécipitésurtousleslivres

    de puériculture qu’il a pu trouver. En une heure, il a jeté tout ce qui contenait de la caféine ou de lathéine!mesourit-elleenfrottantsonbedond’unemainprotectrice.Onaattendulongtempspourl’avoir,ce petit bonhomme.L’andernier,monmari s’est enfin retiré du ring. Il est un peuprotecteur quand ils’agitdenous.Safranchiseestdésarmante.‒Ceseraparfait–j’aipristroistassesdecaféaubureauetjesuisdéjàsurlesnerfs.Ensuite,Ellaetmoibavardonstranquillement,toutnaturellement.C’estunpeucommesijemetrouvais

    avecunevieilleamie,plutôtqu’encompagnied’unepersonnequejeconnaisàpeine.Curieusement,j’ail’impression que je pourrais traîner avec elle pendant des heures, en pyjama, que l’on regarderait devieuxfilmsetquel’onmangeraitdelaglaceàmêmelepot,toutennousracontantnosruptures.Jesuiscertainequec’estexactementcegenred’amiequ’elleferait.Jenevoispas le tempspasseret j’oublieque je viens juste de la rencontrer.C’est l’amitié instantanée, on se tutoie et on pouffe de rire tout letemps.Unefoisnostassesvidées,Ellaregardeaufonddelasienneetsoupireavecregret.‒Lecafé,çamemanque…Raconte-moitestroistassesd’aujourd’hui,mesupplie-t-elle.Jen’enpeux

    plus!Neserait-cequed’ensentirl’odeur,çameferaitdubien.Maismonmariestuncinglédelasanté,iln’enboitpasunegoutte,alorsjenerisquepasd’enreniflercheznous.Jesuisraviedem’exécuterpourelle.Nonseulement jesuisaccroaucafé,mais j’adoreraconter les

    histoires.‒Ehbien, aujourd’hui, j’ai commencéparduKona,un caféhawaïen.Fraîchementmoulu et préparé

    avecunepointedeBailey’s,ilavaitdestonalitésdenoisetteetdecrèmequit’emportentpourunvoyageaucœurdesmontagnesdeKauai…Surprisedemonenvoléelyrique,Ellahausselesourciletlâcheunrire.‒Tumetues.Maiscontinue.Ellefermelesyeuxensouriantetattendlasuite.‒Puis, dans l’après-midi, j’ai eu besoin d’un petit coup de fouet, alors je suis allée chezBartome

    prendreunexpresso…Jemepencheenavantpourchuchotermalicieusement.‒…undouble.‒Hmmm,chezBarto…Etcelui-là,ilétaitcomment?‒Sombre,pleindeforceetd’assurance.Unpurarabica.Jemarqueunepause,pourménagermeseffets,etEllaselècheleslèvresd’unairrêveur.‒Dèslapremièrepetitegorgéedélicate,onaenviederetenirtoutecettesaveurchaudeetliquoreuse

    pourqu’elledure.Maisonnepeutpas.Parcequel’onconnaîtlasuiteetqu’elleestirrésistible:legoût

  • inimitable du chocolat noir. Sa douceur enrobe un trait léger d’amertume et te fait plonger dans larichessedesesarômes.Enfermantlesyeux,tuestransportéedanslescollinesdeToscane,etauloin,lesherbagesondulentdoucementdanslabrise.Ella,lesyeuxtoujoursfermés,afficheunsourireradieux.‒Hmmm…Onlesentiraitpresque.Allez,encoreunpeu.Parle-moidetatroisièmetasse!Ondiraitunepetitefillequiattendimpatiemmentlafindesonhistoireavantdesecoucher.Jesuissur

    le point de me lancer dans la description de mon café frappé au caramel, lorsqu’une voix de bassem’interromptenpleineréflexion.‒Oui,c’estça,continue,Liv.Raconte-nouscommetuaimestoutecettesaveurchaudeetliquoreuse…Vinny.L’atterrissageestrude.Enmeretournant,jeletrouveappuyéavecnonchalancecontrelemontantdela

    porte.Illèveunsourcilsardoniqueetunsouriresalaceéclairelaperfectioninadmissibledesonvisage.‒Vinny!s’exclameEllaenselevant.Tul’avaiscachéeoùcettemerveille?Jecroisbienqu’elleest

    manouvellemeilleureamie!Avecunsourireàmonintention,elleattendlaréactiondeVinny.‒Jenesaispasoùelletraînait.Maisj’espèrebienrattraperletempsperdu.Vinnymefixe,denouveausérieux,aveccequipourraitpasserpourdelasincérité.Ellameserrecontreelleavantdenouslaisser.‒Tiens,voilàmonnuméro.Appelle-moidanstroissemaines,m’ordonne-t-elleensefrottantleventre.

    Lepetitchampionestcensésemontrerdansunequinzainedejours.Etaprès,manouvelleamie,onvasortirseprendreuncafé.Onvamêmesesaouleràl’arabica;onferalatournéedesbarsàcafé!Puiselledisparaîtavecunderniersourire.Vinnyéclatederireetmerejointàlatable.‒JevoisquetuasrencontréElla!‒Oui,elleestvraimentcool.‒C’estclair.Sanselle, jeseraisà larueetsansentraîneurdepuis longtemps.Ellesemetentrenous

    quand ça chauffe –mon entraîneur, c’est Nico, sonmari. Il est super pénible,mais c’est lemeilleur,surtoutdepuisquePreachestpartienretraite.‒Apparemment,c’estunedetesgrandesfans.Etc’estvrai.Ilestévidentqu’EllaadoreVinny.Il sourit et choisit une chaise à côtédemoi, avantde la retournerpour s’asseoir à califourchon, les

    avant-brasappuyéssurledossier.Enunéclair,desimagesdelabibliothèquemesubmergent.‒Alors,Liv,qu’est-cequit’amèneici?commence-t-ilenbraquantsurmoisonsourireunpeutordu,

    insolentetmalicieux.Ilconnaîtparfaitementlaraisondemaprésence.‒IlsembleraitquetuaieseuunpetitproblèmeavecSummer…Leregardinterrogateur,j’attendssesexplications.‒Jen’avaispasenviequecettefilleàpapaécriveunarticlesurmoi.Unevraieprincesse.Pourmoi,il

    yavaitquelqu’und’autrequi feraitdumeilleurboulot.Quelqu’unquiécritdepuisqu’elle sait teniruncrayon.Jenepeuxpasm’empêcherdelaisserentrevoirmonamusement.Ilaviséjuste,ausujetdeSummer.

  • ‒Jepeuxtedirequesamajestén’étaitpasravie.‒Tum’étonnes.Àmonavis,c’estbienlapremièrefoisqu’onluirefusequelquechose.Vinnymefixesoudainavecintensitéetalorsquenosregardssecroisent,sonarrogances’évanouit.En

    voyantlaforcequisedégagedesesbeauxyeuxbleupâle,j’ail’impressiondeplongerdansunocéanauxeaux calmes, soulignées au loindenuages anthracitemenaçants. Je coupedélibérément ce contact.Cen’estpasfacile,maisjedoisprendredeladistance.‒Pourquoi,Vinny?Ilmedévisage,étonné,etjeprécise.‒Pourquoiavoirinsistépourquecesoitmoiquiécrivecetarticle?‒Parcequejevoulaisterevoir,m’explique-t-ilposément.Iln’éprouvepaslamoindrehontedes’êtreimmiscédansmavie.‒Tuauraispum’appeler,toutsimplement.‒Tuauraisacceptédemerevoir?Ah.Iln’apastort…J’ouvrelabouche–avantdelarefermerpresqueaussitôt.Unsouriresatisfaitsepeintsursonvisage.‒C’estbiencequejepensais.Jedécidedechangerdesujetetjesorsdemonsacuncalepinetunstylo.‒Bien,ons’ymet?‒Non.‒Non?‒Tupeuxm’interviewerpendantundîner.Demainsoir.‒Ah,jenecroispas,Vinny.Ilselève,remetlachaiseenplaceetcroiselesbrasd’ungestecalme.‒Bon.C’étaitsympadeterevoir,Liv.Jeplisselesyeux.‒Vinny…Tuesentraindebousillermeschancesd’avoirlejobdemesrêves.Sijelefaisculpabiliser,peut-êtresemontrera-t-ilplusconciliant…Maisilnebougepasd’unpoil.Cequinem’étonnepasvraiment.Jemelèveàmontour,hésitantsurlaconduiteàtenir.Jevoisbienquejevaisdevoircédersurquelque

    chose…‒Déjeuner.‒Dîner.‒Allez,Vinny,oncoupelapoireendeux!Déjeuner.Le visage impassible, il ferme les yeux à demi et je comprends que le garçon entêté est devenu un

    hommedéterminé.Quijoueselonsespropresrègles.Jenesaispastropcommentilvaréagiretjeretiensmarespiration.‒O.K.,concède-t-ilenfin.Ondéjeuneensemble.Demain.‒Demain,jenepeuxpas.J’aidéjàquelquechosedeprévu.‒Avecqui?‒Çaneteregardepas.‒Annule.

  • Jeleregardedroitdanslesyeux,espérantqu’ilestentraindeplaisanter.Maisnon.Ilestonnepeutplussérieux.‒Bond’accord.‒Jepasseteprendreàtonbureau.‒Jeterejoinsaurestaurant.Il ferme les yeux et penche la tête en avant, la secouant légèrement avant de prendre une profonde

    inspiration.Puisilfaitdeuxpasenavantetseplantetoutprèsdemoi.Assezprèspourquejesentelachaleurquirayonnedesoncorps.Sanspourautantletoucher.‒Demain.Àmidi.ChezLombardi.J’opinefaiblement,paralyséeparsaproximité,incapabledeformulerunephrasecohérente.Moncorps

    esttoujoursaussitraître.Unelongueminuteplustard,jeparviensenfinàredémarrermoncerveauetaprèsavoirlancéunsourire

    hésitantàVinny,jemedirigeverslaporte.‒Àdemain.‒J’aihâte,Liv.

    ***J’ail’impressiond’avoirsubilapluslonguejournéedemavie.Soulagéed’êtrerentrée,jefoncedroit

    surlefrigoetj’ensorsunebouteilledevinferméed’unbouchon.‒Maistun’asmêmepasencoreposétonsac!Tuaspasséunemauvaisejournéeaubureau,chérie?

    lanceunevoixmoqueuse.C’estAlly,macolocataire.Àmontour,j’élèvelavoixetluihurlemaréponse.‒Jetesersunverre?‒Biensûr!Ceseraitimpolidetelaisserboiretouteseule.Jenelavoispasd’oùjemetiens,maisj’entendssonsourire.Jevidelabouteilleennousservantdeuxgrandsverresencristal,etjelesemportedanslesalon.Puis

    jem’affalesurcanapéetmedébarrassedemeschaussuresd’uncoupdepied.Enfin,jeprendsunegrandeinspiration,jem’enfoncedanslescoussinsetj’avaleunelonguegouléedevinfrais.‒Allez,raconte!Tum’asl’airàbout!Assiseen tailleur sur lecanapé,Ally se tourneversmoietpointe la télécommandesur la télévision

    pourl’éteindre.‒J’airevuVinnyaujourd’hui.‒Noon!Jecroyaisquetuavaisfaitpasserledossieràquelqu’und’autre?‒Jecroyaisaussi.‒Qu’est-cequis’estpassé?‒Cequis’estpassé,ças’appelleVinny.J’avaleuneautregorgéeavantdepoursuivre.‒Ilarefusédefairel’interviewavecSummer,etiladitqu’iln’accepteraitquemoi.Jeposeleregardsurmameilleureamie,quimesouritlargement,manifestementravie.‒Etqu’est-cequit’enchanteàcepoint?‒Moi,jetrouveçasupercraquant,qu’ilaitexigédet’avoir,lâche-t-elleavantd’éclaterderire.Iln’a

    jamaisétédugenreàselaisserfaire,celui-là.Ilesttoujoursaussicanon?

  • À contrecœur, je réfléchis à Vinny Stonetti. Vince Stone. Les années ne l’ont rendu que plus sexy.Physiquement,ilatoujoursétésublime.Maisilyaquelquechoseenlui,danssonassurance,savitalitésimasculine,quiaccentuesabeauté.C’estuneforcedelanature.Maisjenesaispassijesuisd’attaque…‒Oui,ilesttoujoursaussicanon,maislàn’estpaslaquestion.Ilm’abaiséeunepremièrefois,jen’ai

    pasl’intentiondelelaisserrecommencer.‒Ilpeuttoujoursmebaiseràtaplace,intervientAllyenremuantlessourcilsd’unairsuggestif.Meilleures amies depuis l’école primaire, nous avons les mêmes goûts pour le physique de nos

    hommes.Maismoi, je resteà l’écartdesmauvaisgarçons, tandisqu’Allya justementuneprédilectionpourlesbadboys.‒Alors?Comments’estpasséel’interview?‒Cen’estpasencorefait.Jelevoisdemainpourdéjeuner.‒Aha,unrancard!Cool!‒Cen’estpasunrancard!‒Tulevoisbienaurestaurant,etvousdéjeunezensemble?‒Oui,maisçan’arienàvoir.C’estundéjeunerd’affaires.‒Tun’auraispaspul’intervieweraujourd’hui,quandtul’asvu?‒Si,j’aiessayé,maisilarefusé.Ilvoulaitquejefasseçapendantundîner.‒Bon,tuasdoncnégociédetransformerledînerendéjeunerrancard.‒Oui.Euh,non!Cen’estpasunrancard.‒ Ouais. Du moment que tu me racontes tous les détails après, tu peux appeler ça une séance de

    communicationdéjeunatoiresituveux.Jem’entape.

  • 10

    Vince

    ‒C’étaitqui,cettefille?Nicoestunemmerdeurdepremière.Ilestimequ’entantqu’entraîneur,ilaledroitdecontrôlermavie

    deAàZ.Etc’estcommeçadepuismestreizeans.‒Unevieilleamie.JedécocheunroundkickdanslesacetNicoreculeunpiedpourresterenposition.Depuisplusdedix

    ans,j’essaiedelemettreautapis.Jepensaisqu’enprenantsaretraite,ilperdraitunpeudesaforce,qu’ilralentiraitlesentraînements.Maisrienàfaire.Unanaprèsavoirquittélering,ilesttoujoursenparfaiteforme.Une fois.Une fois, j’ai réussi à lemettre au sol.Et je l’ai payé cher. J’étais arrivé défoncé àl’entraînement,etNicom’adescenduenflammes.Ons’estbattusetilafallujenesaiscombiendemecspournousséparer.Jemesuisretrouvédehorsetj’aiperdumonentraîneurpendantsixmois.Jusqu’àceque je puisse prouver que j’étais clean. J’étais obligé de pisser régulièrement dans un bocal et ilchoisissaitlesjoursauhasard.‒Hiersoir,Ellaenaparlépendantaumoinsdeuxheures.Elleditqu’elleestgéniale,quec’estunefille

    adorableetqu’elleseraitparfaitepourtoi.Ensuite,elles’estfixéesursonbesoindecafé,etpourfinir,elle s’est énervée surmoi parceque j’ai le droit d’enboire.Et pourtant, je n’enbois pas de ce truc.Depuisqu’elleestenceinte,elleestcomplètementdingue.Unefilleadorable…Ouaip,c’estça,Livestadorable.Etjemeursd’enviedelaplierendeuxpourla

    défoncer. La labourer. Et mince, je le sais bien pourtant que ce n’est pas possible.Moi et les fillesadorables,çanefonctionnepas.Unefois,j’aitoutefoisessayé.J’aimêmeréussiàavoirunerelationàpeuprèsnormale.Pendantunmoisentier,j’aifaitçaenmissionnaire.Maisça,cen’estpasmoi.J’aifiniparluidonnerunaperçudecequej’étaispourdevrai.Elleaeupeuretelles’estenfuieencourant.Etpourtant, jen’yétaispasallé tropfort. Je luiavais justedonnéunepetite fesséeet tiréunpeusursescheveux…Elleaeulesjetonsquandmême.J’imaginequedepuiselles’esttrouvéungentilgarçonquil’aépousée.Unbonpetitgarçonquilaprendraàlamissionnairetoutengardantsesfantasmesperverspourlaputequ’ilentretientendouce.JerépondsenfinàNico.‒ Ouais, Liv est une fille bien. Mais entre nous, c’est professionnel. Elle écrit un article sur mon

    prochaincombat.‒Quandj’airencontréElla,c’étaitprofessionnelaussi…JedevaisavoirdouzeoutreizeansquandEllaetNicosesontvuspourlapremièrefois.Audébut,je

    trouvaisqu’ilsfaisaientuncouplebizarre.Avocate,toujoursimpeccabledanssespetitstailleurs,elleaaidéNico à se sortir d’un contrat.Ellen’avait rien àvoir avec les femmes en tenueplutôt légèrequitraversaientlasalleensedandinant.Enprincipe,onnelesvoyaitqu’unefois.Deuxsiellesavaientdelachance.Mais tout a changédèsqu’il a posé les yeux surElla.Ensuite, il l’a poursuivie avec toute la

  • déterminationdontilestcapable.Jen’aipeut-êtrepascomprisleurhistoireaudépart,maisj’aivitevuquepourNicoHunter,iln’yavaitqu’Ellaetpersonned’autre.Laconique,jerépliqueaprèsuninstant.‒C’estpossible.Maismoi,jenesuispastoi.

    ***Quandj’enaiterminéàlasalle,ilestdéjàtard.Toutcequejevoudrais,c’estrentreretmecoucher.

    Maishier,madébiledemèren’avait pas l’air bien, alors jepasse lavoirpour jeterunœil. Jene lasupportepas,maisjenepeuxpasm’empêcherdeprendresoind’elle.C’estunejunkie,etpourmoi,c’estcomme ça depuis toujours.Elle n’a jamais pu garder un boulot.Quand elle était plus jeune, elle étaitdanseuse.Dès que j’ai eu cinq ans, ellem’a laissé seul la nuit pour aller travailler dans un rade quis’appelaitWally’s Den. Elle bossait pour le patron, unmec qu’elle voulait absolument que j’appelleTontonWally. Tontonmonœil, oui ! Toutes ses filles étaient défoncées, et il veillait à ce qu’elles lerestent.Commeça,ellesétaientplusdépendantesdelui.Unjour,elleaessayéd’arrêter.ElleamêmeplaquéWally’sDen.Jedevaisavoirseptans.Çaaduréà

    peuprèstroismois.Jem’ensouviensclairement.Lamaisonétaitpropre,etonmangeaittouslesjours.Etonn’avaitpasderatésquidormaientpartoutàlamaison.Unefois,ellem’amêmeemmenéauzoo.Mais ça n’a pas duré longtemps. TontonWally l’a récupérée. En deux semaines, lamaison était en

    bordeletlespaumésétaientrevenus.Rienn’achangédepuis.Certainsjours,çava,etd’autres,c’estlecontraire.Hier,c’étaitunmauvaisjour.Elleétaitdansunsaleétat.Elletremblaitcommeunedingue,etelleavaitlalèvrefendue.Ellem’ajuréqu’elleétaittombée,maismoi,jememéfiedeJason,sonderniercrétindecopain.Je frappe un coup mais personne ne répond. Alors je prends ma clé et j’entre. La télé hurle et je

    m’étonnequelesvoisinsn’aientpasencoreappelélesflics.Jetrouvemamèresurlecanapé.Ellepleure.Quandellemevoit,ellefaitdesonmieuxpourmelecacher,maisc’esttroptard.‒Qu’est-cequisepasse,m’man?‒Rien,monbébé,toutvabien.Tupeuxrentrercheztoi,jetel’aidéjàdit,t’espasobligédepassertous

    lesjours.Elleglisseunregarddecôtéverslasalledebains,puisrevientsurmoi.Elletientsamaincontresa

    joue.Enarrivant,j’aicruqu’elleséchaitseslarmesmaisjemerendscomptequ’ellemecachequelquechose.Jem’approcheetjebaissesonbras.Sursajoue,ilyalamarqued’unemain,rougeécarlate.Lecoupesttoutfrais–lacouleurn’apaseuletempsdechangeretdevireraurosebleuté.Jelanceunregardàlaportedelasalledebains,puisàmamère.‒Ilestlà-dedans?‒N’yvapas,Vinny.Jasonestunhommebien.Etenplusilm’aidefinancièrement.Ouais,illuipayesacame.Etaprès,illèvelamainsurelle–çac’estdumec,duvrai.Maisc’estpas

    possible!Jenepeuxpasm’enempêcher,quandilsortdelasalledebains,jevoisrouge.Il est tellement stone qu’il est incapable de se protéger. Je ne le tue pas,mais je le défonce. Il l’a

    cherché–etmamèreétaitdanslemêmeétatquandill’atabassée.Cetypeestunevraieloque,untaréquinesertàrien.Aprèslepremiercoup,mamèren’aplusriendit.Ellesaitcommentjefonctionne:quandjem’ymets,

    on ne peut plusm’arrêter. Surtout quand il s’agit de protégermamère. Je ne peux pas l’empêcher de

  • s’injectertoutecettesaletédanslesveines,maisjepeuxm’assurerquel’onnelacognepas.Desabrutisquicroyaientquelefaitdeleverlamainsurmamèrefaisaitd’euxdeshommes,j’enaifrappéplusd’un.J’avaisquinzeansquandj’aicommencé.Depuisletemps,j’aiarrêtédelescompter,cesraclures.Je laisse le crétin par terre et je prendsmamère dansmes bras, pour la porter à sa chambre et la

    border.Elleesttropcaméeettropfragilepourmarcher.Ilfaudraitqu’ellemangemieux.Jel’embrassesurlefront,puisjem’envaisramasserledéchetpourlejetersurletrottoir.Jenepeuxpassupportermamère,maisjenepeuxpaslalaissertomber.

  • 11

    Liv

    Quandj’arriveaurestaurant,Vinnym’attendaubar.Ignoranttouslesautresclients,labarmaidbavardeetflirteaveclui,penchéeenavantpourluidonnerunevueplongeantesursapoitrineénorme,ridicule,etmanifestement artificielle. Ses intentions sont claires, et sans prévenir, un sentiment de jalousie metransperceenpleincœur.Jemeforceànepastenircomptedecetteréactioninstinctiveetm’avanceverslebarpourrejoindreVinny.‒Salut!Oubliantaussitôtlaconversationdelabarmaid,ilselèveetm’embrassesurlajoue,posantunemain

    surmahanche.Cesimplecontactmedonnelachairdepouleetmefaitpicoterdepartout.Assaillieparlapuissancequ’ildégage,c’est tout justesi jenesursautepas.Mince.Il fautabsolumentque je le tiennephysiquementàdistance. J’adresseunsourirepolià labarmaid,quime regarded’unsaleœil lorsqueVinnynousemmèneailleurssansluiaccorderlemoindreregard.Ilachoisiunboxverslefonddelasalle,bienaucalme.L’endroitestparfaitpouruneinterview.C’est

    loind’êtrefacile,maisjemeforceàmeconcentrersurmontravail.Aulieudes’installerenfacedemoi,Vinnyvients’asseoiràcôtédemoi,lebrasnégligemmentposésurledossier.Ilm’estarrivédevoirdesgensencoupleassisl’unàcôtédel’autredansunbox,etjem’enétonnais.

    Jetrouvaisplusnatureldediscuterl’unenfacedel’autre.Maintenantpourtant,jecomprends.C’estplusintime,onpeutparleràvoixbasseeteffleurerl’autreentouteinnocence.Lefaitd’êtreaussiprochedeVinnymeperturbe.Enplus, ilmebarre le passage et je suis coincée contre lemur. J’ai l’impressiond’être enfermée.Ce quim’énerve le plus, c’est quemalgré ce que lui hurlemon cerveau,mon corpssembleapprécierlasituation.Jetentedeledécourageravecunsignedumentonversl’autrecôtédubox.‒Tuneseraispasmieuxlà?‒Non.Jesuistrèsbienici.Çat’embête?medemande-t-ilavecunsourireironique.Jeluimensdutacautac.‒Maispasdutout,c’estparfaitcommeça!Ilpivotedelatailleetramèneungenousurlesiègepourmefaireface.Danssonjeantaillebasseetson

    pull noir en V, il a un style décontracté et discret que j’adore. Les vêtements lui vont si bien qu’ilressembleplusàunmannequinqu’àunboxeur.Unmannequinquise fichedesonapparence– ilestàtomber,sansfairelemoindreeffort.Jerespireprofondémentetj’essaiedefairemontravail.‒Alors,dis-moi,est-cequelaperspectivedecechampionnatt’angoisse?‒Non.‒Tonadversaire t’a sali dans lesmédias,prétendantque tu étaisundrogué.Est-ceque tu souhaites

    réagiràcesaccusations?

  • ‒Non.‒Tuvascontinuerlongtempscommeça?Parcequeçavaêtreassezdifficiledefaireunarticleavec

    des«non».‒Tun’asqu’àposerdemeilleuresquestions.Vexée,jememetssurladéfensive.‒Ellessonttrèsbienmesquestions!‒Bonalors,chacunsontour.Moi,jetefaisdesréponsespluslongues,etonposedesquestionsàtour

    derôle.Surce,ils’approcheencoreunpeuplus.Jeproteste.‒Maiscen’estpasmoiquimefaisinterviewer!‒Trèsbien.Alorsmoinonplus.Vinnysaisittranquillementungressinsurlatableetlecassed’uncoupdedent.Àlalueurquiscintille

    danssesyeux,jedevinequ’ils’amusecommeunfou.‒Tuvasvraimentm’enfairevoirdetouteslescouleurs,toi…‒Pasforcément,çadépenddetoi,répond-il.Jeluttecontrel’envied’effacercesourirearrogantenluicollantunegifle.Ilsaitparfaitementceque

    cetteinterviewsignifiepourmoi,etilmefaitduchantagepours’amuser…‒Trèsbien,maismoid’abord.‒Toujours…susurre-t-il.‒Tuasunproblèmededrogue?Sonsourirecharmeurdisparaîttandisqu’ilmelanceunregarddur.‒Non.Maisj’enaieu.Jemesuiscassélebrasl’andernieretjenepouvaisplusmonterdanslacage.

    J’aicommencéàfairedesbêtises.Audépart,jemesuisditquec’étaitpourarrêterladouleur.Maisçam’a vite dépassé et je ne pouvais plus rien contrôler.Ça fait sixmois que je suis clean. Sinon,Nicorefusedem’entraîner.Ilmefaitfairedesanalyses,sansprévenir,pourvérifierquejerestedansledroitchemin.Sa franchiseme détend un peu et je baissema garde légèrement. Pendant qu’il parle, j’observe son

    visage à la beauté diabolique et je ne peuxpasm’empêcher de remarquer tout ce qu’il a de viril.Lemouvement de ses lèvres, l’ombre de sa barbe naissante, qui souligne les lignes simasculines de samâchoire…J’aidumalàdétachermesyeux.LesyeuxdeVinnyglissentsurlesmiensetunpliamuséapparaîtsurseslèvres.‒Àmoimaintenant.Jeluifaisunsourirehésitant.Ilvientdesedévoilerenrévélantquelquechosed’assezlourd,maisson

    tonjoueur,sesfossettesetsonsouriremontrentbienqu’ilpasseunexcellentmoment.‒Tusorsavecquelqu’un?Une jolie serveuse vient prendre nos commandes et Vinny s’en charge pour nous deux sans me

    demandermonavis.Deslasagnes.Pourledéjeuner…Jamaisjeneprendraisçaàcetteheure-ci,maisjesuistouchéequ’ilsesouviennequec’étaitmonchoixquandontravaillaittardtouslesdeux,àl’époquedulycée.Puisilreportedenouveausonattentionsurmoietmefixed’unregardinterrogateur.

  • ‒Alors?Ouiounon?‒Non.‒Maintenantc’esttoiquimedonnesdunon?Jecroyaisqu’onétaitd’accord.Saufsituveuxquej’en

    fasseautant…Faisantdemonmieuxpourparaîtreénervée,jelèvelesyeuxaucielavantdereprendre.‒Bon,d’accord!Encemoment,jen’aipasdepetitami.J’aieudeuxrelationsàlongtermeàl’époque

    delafac.Depuislafindemesétudes,j’aiuneaventurepar-ci,par-là,maislaplupartdutemps,jemefocalisesurmonboulot.Vinnyhochelatête,apparemmentsatisfait.C’estmontour.‒TuasrefuséuncombatcontreRavek,l’andernier,enprétextantquetun’étaispasprêt.Qu’est-cequi

    tefaitpenserquetuesprêtmaintenant?Surprisparmaquestion,ilhausselessourcils.‒Disdonc,tuasfaitdesdevoirs,toi…Flattéeparsoncompliment,j’attendssaréponse.‒Àl’époque,j’envisageaisdem’engagerdansl’armée.Physiquement,j’étaissansdouteaupoint,mais

    mentalement,cen’étaitpaslecas,surtoutpouruncombatdeceniveau-là.Je repense alors à nos années lycée, et aux plaques d’identité qu’il portait autour de son cou.Elles

    avaientappartenuàsonpère.‒Tonpèreétaitdansl’armée,non?Ilpasselamainsoussonpulletressortlesmêmesplaquesqu’autrefois.‒Jenelesaijamaisquittées,saufpourallerdanslacage.Ilestmortdansl’exercicedesesfonctions,

    quandj’étaisbébé.Àcetteévocation,sonvisageseremplitdetristesse,maisilseremetrapidement.‒Tum’endoisune.Tuesalléeaubaldefind’annéeavecEvanMarco?Cenommerappelledepéniblessouvenirs.‒Non.‒Pourquoi?‒Ilétaitblessé.Ilavaittropmalpouryaller.Jemedemandecequis’estpassé!Mesparolesdégoulinentdesarcasme.Jesuisétonnéequ’iloseparlerd’Evanetencoreplusqu’ilme

    pousseàparlerdecequis’estpassécejour-là.Jen’étaisqu’enseconde.Evanavaitdeuxansdeplusetc’étaitlecapitainedel’équipedefootball.Touteslesfillessebousculaientpourqu’illesinviteaubal.Etc’estmoiqu’ilainvitée.Jenepensaispasqu’ilpouvaitconnaîtreneserait-cequemonnom.Jefaisaispartiedecesfillesquel’onneremarquepas,unedecesintellosàlunettes.Maisilm’ademandéd’yalleravec lui et j’étais folle d’excitation. Pourtant, au fond de moi, j’aurais préféré y aller avec Vinny.Quelquessemainesavantlebal,Evans’estbattuavecVinny.Etilatoutannuléavecmoi.J’avaisdéjàacheté la robeet tout !J’étaisaffreusementdéçue.MaispourVinny,çaaétébienpire. Ilétaitdéjàenpériode demise à l’essai, pour délit de bagarre. Le père d’Evan était au conseil d’administration dulycée.AlorsquandVinnys’estfaitexpulser,personnen’aétéétonné.Montour.‒PourquoituastabasséEvan?Vinnymefixe,l’airfaussementétonné.

  • ‒OliviaMichaels!Jemetrompeoutuesentraindemeposerunequestionpersonnelle?Quin’arienàvoiravectonarticle?Lerougememonteauxjouesetj’aihontedemafaiblesse.Maisjemesuistoujoursposécettequestion.

    Vinnyétaitbagarreur,maisgénéralement,ilnesebattaitpasaveclessportifs.Avantcetépisode,ilavaitmêmeétéplutôtcopainavecEvan.‒Jecroisbienqueoui.Vinnymelanceunpetitsourire,denouveautendu.‒Iladitquelquechosequinem’apasplu.‒Iladitquelquechosequinet’apasplu?Jenepeuxpascroirequ’ilsesoitfaitrenvoyerpourquelquechosed’aussibête.‒Sijesuisobligédemerépéter,çavacomptercommeunequestion!m’avertitVinny,hilare.Jepoursuisl’interviewetpendantdeuxheures,Vinnyrépondàchacunedesquestionsquejeluiassène.

    Jesuisconvaincuequ’ilparleavecfranchise.Entredeux,nousreparlonsdesmomentsquenousavonspassésensembleàl’époquedulycée.Jesuistouchéedeconstateràquelpointilsesouvientdecequimeconcerne:mesplatspréférés,mamusique,lefaitquejeréécrivaislafindesgrandsclassiques,monrêvededevenirécrivainoujournaliste.C’est…mignon–ettotalementinattendu.PuisVinnyinsistepourréglerlanote,alorsquejeluiaiditquelejournalcouvraitmesfrais.‒Liv,jepeuxteposerunedernièrequestion?Taquine,jelèvelesyeuxauciel,maisaufildesheures,jenesaispastropquand,j’aibaissémagarde

    etilsaitquejeplaisante.‒Distoujours…Ilserapprochealorsetsepencheversmoi.‒Jepeuxt’embrasser?chuchote-t-il.Jeneréagispastoutdesuite–surtoutparcequ’ilnem’enlaissepasletempsetm’embrassepresque

    aussitôt. Au départ, il se montre doux, contrôlé, presque hésitant. Il a un goût délicieusement sucré,commeletiramisuquenousvenonsjustedepartager.Aprèsuninstant,ils’arrêteetsereculelégèrement.Prolongeantcettetendresse,noslèvressetouchentencoreetungémissementinvolontairem’échappe.Enunefractiondeseconde,touteladouceurs’envoleparlafenêtreetilfondsurmoicommeunfauvesursaproie, happant ma bouche, exigeant de me dominer. Submergée brusquement par toute la tension quis’accumuleenmoidepuisquejel’airevu,jesuisauborddel’implosion.Jel’agrippeparsachemiseàpleines mains et le serre contre moi tandis qu’il m’écrase contre lui tout en suçant ma langue avecfrénésie.Lorsquejetentedemedégagerpourrespirer,ilmemordlalèvrepourmeretenir.Àboutdesouffle,nousfinissonsparremonteràlasurface.Choquéeparl’intensitédemaréaction,je

    sensunecertainegênemegagneretm’efforceunenouvellefoisdem’écarterdelui.MaisVinnysuitmonmouvement sans me permettre de briser le contact et enfouit son nez contre ma joue. Sa respirationsaccadée,toutcontremonoreille,m’exciteetm’affole–jedoisabsolumentmettredeladistance,sinonjevaisfairedesbêtises.‒Liv,ilfautquejeterevoie,murmure-t-ild’unevoixrauque.Je fais de mon mieux pour récupérer, mais la tête me tourne et des émotions contradictoires me

    bousculent.Certainesnedatentpasd’hier.‒EtKrissy,ouMissy,jenesaisplus,tuenfaisquoi?

  • ‒C’estterminé,répond-ilaussitôtd’untoncoupant.‒Depuisquand?Parcequejevousaivusensemblelasemainedernière…‒Depuistoutdesuite.Waouh ! Je ne peux pasm’en empêcher, j’adore cette réponse, sans doute arrogante et socialement

    incorrecte,mais enmême temps sans artifice et honnête. Je réfléchis à tout ce quim’attirait chez luiautrefois.Ilestquiilest,etnes’enexcusepas,quoiquel’onpense.Aufonddemoi,jeluiaitoujoursunpeuenviécettecapacitéàvivresavieenétantlui-mêmeavanttout–c’estunechosesimpleàdire,maissidifficileàréaliser.

  • 12

    Liv

    Le samedi suivant, je vais au yoga. Je n’ai pas franchement envie de me sortir du lit mais j’en aivraiment besoin – plusmoralement que physiquement. Je prendsma voiture et d’un bout à l’autre duchemin,mespensées tournoientsansme laisserderépit,alorsque lematin,enprincipe, j’ai les idéesclaires.Jenesaisplusoùj’ensuisdepuiscerendez-vousavecVinny.Ilm’adéjàfaitmalunepremièrefois, et il m’a fallu du temps pour m’en remettre, plus que je n’oserais l’admettre. Ce ne serait pasraisonnablede tenter l’expérience ànouveau.Missy s’est transforméeenKrissy, et lesbagarresne sepassentplusdanslescouloirsmaisdanslacage.Garçon,ilprenaitcequ’ilvoulaitetneregardaitpasenarrière.Detouteévidence,iln’apaschangé.Saufquemaintenant,c’estunhomme.Etquelhomme…Cebaiser…Jen’avaisjamaisrienressentidepareil,jamaisconnuunetellemanifestationdepassionet

    dedésirbrut.J’enoubliaisoùj’étaisetmêmequij’étais.Ilestdangereuxpourmoidemetrouveràcôtédelui–jepourraissifacilementretomberamoureuse.Jesaisquejenedoispluslerevoir.Jeluiaiditque j’y réfléchirais,maisune fois seule, j’ai reprismesesprits et jen’aipaseudemalàprendremadécision.Aprèsmoncoursdeyoga,jemesensplusdétendue,plusconcentrée.Maisjen’aitoujourspasretrouvémonassuranceetmesfacultéshabituelles.Aprèsunehalteaucentre-villepourfairedescourses,je retourne au parking, les bras chargés de sacs d’épicerie, lorsque j’entends la sonnerie de montéléphone. Je fouille maladroitement dans mon sac pour le sortir et ne reconnais pas le numéro quis’affiche.‒Allô?‒Liv?C’estunevoixdefemme.Ellem’estfamilière,maislevisagenesematérialisepastoutdesuitedevant

    mesyeux.‒Oui...‒C’estElla!‒Ah,bonjour,Ella!Tuvasbien?‒C’estcommesij’avaisavaléunepastèque,soupire-t-elle.Dis-moi,jemeursd’enviedeprendreun

    café. Tu es occupée ?Moi, je prendrais un déca. Et toi, tu pourrais prendre du vrai etme le décrirecommetusaisfaire?Jesourisàcesouvenirdenotrepremièreetuniquerencontre–çaatoutdesuitefonctionnéentrenous,

    etjel’apprécieénormément.‒Biensûr,jetefaisça,sanssouci!Jesuisaucentre-ville.ChezBarto,çateva?‒Impeccable!J’yseraidansunedemi-heure.

    ***Ellaetmoibavardonsuntemps.EllemeracontesesdébutsavecNico,qu’ellearencontréentravaillant

    pourlui.Jeluiparledupostequejevoudraisremporteràtoutprix,etdemarouedesecours,auPost,à

  • New York. Au bout d’une heure, Ella devient silencieuse et baisse la tête un instant avant de medévisager,l’aircontrit.‒Ilfautquejet’avouequelquechose.‒Vas-y…Jemedemandecequivametomberdessus.‒Vinnym’ademandéde te contacter.Devoir si je pourrais te convaincre de sortir avec lui.Alors

    attention,jetetrouvevraimentgéniale,etjevoulaistevoirdetoutefaçon.Maismaintenant,jemesensmalhonnêted’avoirpassétoutcetempsavectoisansaborderlesujet.Mapremièreréactionestunsentimentdetrahison.Maisjevoisbienqu’Ellasesentmal,etjepréfèrela

    soulagerauplusvite.Ellemeplaîtvraimentbeaucoup,etjesuiscertainequel’onpourraitdevenirdesamiesproches.‒Mercidemel’avoirdit.Tut’esmontréehonnêteetjesuistouchée.‒Jesuisvraimentdésolée,tusais.Jenesaispaspourquoi,maiscegamin,jenepeuxjamaisluidire

    non. J’ai toujours eu un faible pour lui.Quand je l’ai rencontré, il n’avait que douze ou treize ans etdepuiscetemps-là,onatraversébeaucoupdechosesensemble.Ilaeutellementdedifficultésavecsamère.J’avaistoujourssoupçonnéquequelquechosenetournaitpasrondducôtédelamèredeVinny.Chaque

    foisqu’ilavaitdesproblèmesaulycée,ilmontaitaucréneautoutseulpourprendresapunition,etjamaissamèrenesemontrait.‒Commentvasamère?Manifestement,EllapensequejesuisaucourantdelaviepersonnelledeVinny,etjem’enveuxunpeu

    delapousseràm’endireplus,maisjenepeuxpasm’enempêcher,j’aibesoindesavoir.Ellapousseungrognementexaspéré.‒Toujoursdéfoncée,toujoursbonneàrien.Ellecontinued’attirerVinnydanssesproblèmes.Riende

    nouveausouslesoleil.Puiselleprendunepetitegorgéedesondécaetplisselenez.‒ Je ne comprends pas pourquoi le déca ne peut pas avoir un goût de vrai café ! On expédie des

    hommessurlaLune,nosportablesenvoientdesimagesdel’autrecôtédelaTerre,maisledéca,c’esttoujoursdelalavasse.Àquatorzeheures,unealarmemerappellequejedoisallerchercherAllyàsafac.Elleadécidéde

    reprendredesétudesetpuisqu’ellen’aplusdevoiture,jeluiaiproposédejouerlestaxispoursescoursduweek-end.Ellaetmoivenonsdepasserdeuxheuresensemble,etj’ail’impressionqu’ilnes’estécouléquedix

    minutes.‒Jesuisdésolée,jevaisdevoiryaller,jedoispasserprendremacoloc’.Nousnouslevonstoutesdeuxpournousserrerl’unecontrel’autre,enriantdugrosbedond’Ella.‒Alors?Qu’est-cequejedisàVinny?medemande-t-elleavecunregardinterrogateur,ensemordant

    lalèvre.Danssesyeux,jelisdel’espoir.ElleadoreVinny,c’estuneévidence.Lefaitdesavoirqu’unefemme

    tellequ’EllaveillesurVinnymeréconforte.Surtoutaveccequejeviensd’apprendresursamère.‒Jenesaispas,Ella.Jesaisqu’ilcomptebeaucouppourtoi.Etbizarrement,jemerendscompteque

  • pourmoiaussi.Maisjecroisqu’iln’estpasfaitpourmoi.Malgrésadéception,Ellamefaitunsourire.‒J’espèrequ’onpeutresteramies?‒Çameplairaitentoutcas!

  • 13

    Vince

    QuandElla est rentrée, ellem’a appris queLiv n’avait pas l’intention deme revoir.Depuis, jemedéfonceàmort.J’aifaitneufheuresd’entraînementàlasalleaujourd’hui.Jesaisquec’esttropetquejelepaieraidemain,maispourl’instant,jem’entape.QuandNicoafaitlafermeturetoutàl’heure,ilnem’apasditdemetirer.Ilacomprisquej’aibesoindemedéfoulerpourévacuerquelquechose.Ilsaitcommentjefonctionne–jevaistravaillerjusqu’àl’épuisement.Ilcomprendparcequ’ilestpareil.Etenplus,ilsaitcommentj’auraisgérélachoseilyasixmois,alorsilpréfèremevoiràlasalleplutôtquedehorsentraindefairelafête.‒Tuveuxenparler?NicovitavecElla,dansleloftau-dessusdelasalle.Ilestvenuvoiroùj’enétaisetdescendsemettre

    derrièrelesacquisebalancesousmescoups.Illestabilise,medonnantunemeilleurecibleàattaquer.‒Non.Jedécochequelquescoupsausac,etsouslapuissancedemespoings,Nicodoitreculerdedeuxpas

    pour rester debout. Je ne sais pas ce que je ressens, mais cela me pousse à frapper plus fort qued’habitude.Dommagequejenepuissepasenfaireautantquandj’enairéellementbesoin.‒Elladitquec’estàcausedelafille.Niconelaissepastomberetmepoussedansmesretranchements.Commetoujours.‒Putain,j’aipasenvied’enparler!‒Disdonc!Attentionàtonlangage.Jem’interrompsetm’immobilise.Jerêve,là…‒T’essérieux?J’aiplustreizeans,bordel!‒Oui,etjelecomprendsbien.Maistuteconduiscommesitulesavais.Enplus,tuhurles,etmafemme

    estenceinte.Elleestlà-hautetpouruneraisonquim’échappe,elles’inquiètedetoi.Ellet’entend,ettafaçondeparler,c’estunmanquederespectpourelle.Non,maisn’importequoi!‒Tusaisquoi?Jemecasse!Jerepousseviolemmentlesacenleprojetantcontreluietsorsentrombe,fouderage.Lesacneservait

    àriendetoutefaçon.Jevaistrouverunautremoyendemecalmercesoir.

    ***Uneheureplustard,jesuisdouchéetsurmamoto,enroutepourlebarleplusproche.Ilesttard,et

    l’endroitserabourrédegroupies.J’auraivitefaitdem’endégotterunequinedemanderaqueça.Pour un samedi soir, le centre-ville est très animé. Jeme suis tapé tous les feux au rouge depuis le

    début.Devantmoi,unautre feupasseau rougeet jem’arrête,posantmesbottesà terrepourattendre,avantdeleverleregardsurlesgratte-cielautourdemoi.C’estuncheminquejeprendssouvent,maisjen’avais jamais remarqué l’enseigne lumineuse sur celui-ci :Daily Sun Times. Ben tiens ! Il y a une

  • semaine, jene l’avaispasvuedepuisdesannées,etmaintenant, je la trouveà tous lesfoutuscoinsderue!EntrelemomentoùjerentreauFlannigan’setceluioùKrissyréussitàmeretrouver,ilnesepassepas

    dixminutes.Ellevientminaudercontremoietsefrottecontremajambe.Jesaisquejepeuxl’avoirtoutdesuite,sansfairelemoindreeffort.Enplus,elleadorequejelabaiseàladure.Entempsnormal,jeluisauteraisdessus.Maiscesoir,ellemegonfle.Jelalaisseaubaretmetireparlaportedederrière,sansmedonnerlapeinedel’avertir.De nouveau en selle, après avoir passémoins d’une demi-heure au bar, jeme sens plus énervé que

    jamais. Je suis seul, mais je n’ai pas envie d’avoir de femme dans mon lit. Il n’y en a qu’une quim’intéresse.Etmoi,jenel’intéressepas.C’estsuper.

  • 14

    Liv

    Lundi,jetermineàdix-huitheuresetmeprécipitepoursortirdubureau.Jeneveuxpasraterledébutdemoncoursdeyoga,quicommencedansuneheureetdemie.Lehalld’entréedel’immeubleestbondéetleflotd’employéss’écouleaucompte-gouttespar lesdeuxseulesportes tambour. Jem’insèredans l’unedes filesd’attente et prends la sortie àpetitspas,pournepasmecogner contre lesbattantsdeverre,lorsquemontéléphonesonne.Fouillantdansmonsacàlava-vite,jemanquederaterl’ouvertureetsorsmonportable,pour leporteràmonoreille touten remettant les lanièresdemonsacenplace surmonépaule.‒Allô?‒Liv?Enentendantsavoix,jemefigesurplaceetlapersonnequimesuitsecognecontremoi.‒Vinny?‒Oui.‒Commenttuaseumonnuméro?‒J’aipiquéleportabled’Ellapourletrouver.Jesourismalgrémoiàsafranchiseetreprendsmonchemin.‒Toutvabien,Vinny?‒Jeveuxtevoir.Jeprendsunegrandeinspiration.Leseulfaitdel’entendrefaitvacillermadétermination.Jeneveux

    pasretombersoussoncharme!Jedoisabsolumentresteràl’écartdelui.Peut-êtremêmem’abstenirderépondreàmonportable–lesondesavoixmefaitfondre.‒Jenepeuxpas,Vinny.‒Jecroisquetun’aspaslechoix,Liv.‒Etpourquoi?‒Parcequetuessurlepointdemerentrerdedans.J’en laisse presque tomber mon portable et je lève les yeux pour le trouver devant moi, appuyé

    négligemmentcontreuneHarley,sonsourireinsolentauxlèvres.Jem’arrêtenet.‒Qu’est-cequetufaislà?Commeuneidiote,jeluiparleencoredansl’appareilalorsqu’iln’estqu’àquelquesmètresdemoi.Sonsourires’élargitetilbranditsontéléphoneenhaussantlesépaules,l’airamusé,avantderépondre

    danssonmicromalgrétout.‒Jevoulaistevoir.‒Alorstuviensàmonbureauettum’attends?‒Sic’estleseulmoyen…

  • Vinnyseredresseetrangesontéléphonedanssapoche,avantdes’écarterdesamotopours’approcherdemoi à pas lents, presque comme s’il craignait que jem’enfuie en courant. Je reste immobile,monportabletoujoursenmain.Enquelquessecondes,ilsetientdevantmoi,siprèsquejepourraisletoucherenmepenchantmême

    légèrement. Je sensmême son odeur. Dieu qu’il sent bon… Son parfumm’enivre, j’en ai la tête quitourne.‒Maispourquoi?Pourquoitutienstantàmevoir?Vinnylèveunemainaveclenteuretrepousseunedemesmèchesfollesderrièremonoreille,avantde

    laisserglissersesdoigtscontremajoue,puisdoucementjusqu’àmonmenton,qu’illèvepourmeforceràleregarderdroitdanslesyeux.‒Jepenseàtoitoutletemps,medit-ild’unevoixgraveettendre.Unebouleseformedansmagorgeetjeluttepourrépondre.‒Vinny…Jenepeuxpas.Sesbrass’enroulentautourdematailleetm’emprison-

    nent.‒Tupeux.Sontons’estfaitplusferme,presqueautoritaire,etcechangementfaitbougerquelquechoseenmoi.

    Provoquéeparsonattitudeimpérieuse,uneboufféededésirmebouscule.L’universdelarues’effaceetmoncorpssesynchroniseaveclesien.Jenecomprendspasmaréactionàcecôtédominateur.Moncorpsréagitdutacautacalorsquejedevraispartirencourant!Ilenfouitsatêtedansmoncouetrespireàfondenmehumant.‒Tulesens.Jesaisquetulesens.Iln’apastort.Jesuisconscientedecetteattractionirrésistible,jusqu’auboutdemesorteils.J’aienvie

    delui.Éperdument.Maisj’aidéjàpriscecheminavecluietjesaisqu’ilymettrafin,tôtoutard.Etquejesouffriraiànouveau.Sesbrasmeserrentplusfortetmeplaquenttoutcontrelui.Soncorpsmusclérayonnedechaleuretson

    regardestaffamé.‒Embrasse-moid’abord.Tumedirassij’aitort,grogne-t-il,letimbrerauque.Sans m’en rendre compte, je passe ma langue sur mes lèvres soudain desséchées et il lâche un

    grondement sourd.Ce son pourtant presque imperceptiblem’incendie brutalement etma respiration sebloque, alors qu’il plonge son regard bouillant dans le mien et vient capturer ma bouche, possessif.Quoique agressif, son baiser révèle tout son savoir-faire et je m’abandonne à sa domination. Je n’aimêmepasremarquéquemessacsétaienttombésàterre.Libresdeleursmouvements,mesbrasremontentd’eux-mêmesetj’enfoncemesdoigtsdanssescheveuxrebellespourlesnouerdanssesmèchesetletirerversmoibrusquement.Notrebaiserpassionnésefaitencoreplusprofond.Vinnygrondeetm’empoigneavecplusdeforceencore,etmesoulèveenmefaisantglisserlelongdesoncorps.Sonérectionpalpitecontremonventreetjeperdstouteretenue.Affoléededésir,jeluirendssonbaiseravectantdeforcequej’ensuismoi-mêmesurprise.Àmagrandedéception,ilfinitparmereposerdoucementàterre.Jevacille,maisheureusementpour

    moi,ilaàpeinerelâchésonétreinteetmeretientdetomber.‒J’aibesoindetoi,Liv,jen’ypeuxrien,j’aienviedetoi.Dis-moiquetunesenspascequ’ilyaentre

  • nous,etjem’envais.Mon cœur bat la chamade etmes pensées tournoient aumême rythme.Désemparée, je garde la tête

    baissée.J’aipeurdecequesesbeauxyeuxd’azurclairvontmefaire.‒Regarde-moi.Ilyaquelquechosedanssavoixquimesommed’obéir.Souslaforcedesavolontésiimpérieuse,mes

    facultés s’effacent etmon petit univers se réduit à nous deux. Je ressens le besoin inexplicable de lecontenter.Doucement,jerelèvelespaupièresetlatête.L’intensitéduregardqu’ilbraquesurmoiesttellequej’ai

    dumalàrespirer.‒Dis-moiquetuneveuxpasdemoi,insiste-t-il.Jevoudraistantleluidire.Maisj’ensuisincapable.Parcequej’aibesoindelui,commejamaisjen’ai

    eubesoindequelqu’unde toutemavie.Lesémotionsqu’il faitnaîtreenmoisont indomptablesetmeconsument.Jeparviensenfinàmurmureruneréponse.‒Cen’estpasça…‒Alorsquoi?Jesecouelatêteencherchantàcomprendremessentimentsetàlesexprimer.‒C’esttoi.C’esttroppourmoi.Çavatropvite,c’esttropintense,çamefaitpeur.Tumefaispeur.Unpliamuséapparaîtsurseslèvresetilsedétendvisiblement.‒Jevoudraistepromettrequejevaisyallerplusdoucement,prendremontemps.Maisjeneveuxpas

    commencer surunmensonge.Parceque jene saispas si j’en serais capable avec toi,Liv, souffle-t-ilavecdouceur.Maisjeteprometsquejevaisessayer.Sic’estçaquetuveux,jeferaitoutpouryarriver.Puisilseredresseetplongesonregarddroitdanslemien.‒Maisjepeuxtedireunechose,Liv.Jenesaispascequiestentraindesepasserentrenous,mais

    c’est en trainde sepasser.Tupeux toujours rendre leschosesdifficiles,mais rienn’arrêteracequiacommencé.Nitoinimoi.Aufonddemoi,toutaufonddemoi,jesaisqu’ilaraison.

    ***Je finis par accepter de voir où cette histoire va nousmener etVinny neme laisse pas le temps de

    changerd’avis.Ilsentbienqueletempsetladistancepourraientmefairerevenirsurmadécisionetilnesetrompeprobablementpas.C’estmêmecertain.Jenesuisséparéedeluiquedepuisuneheure,etdéjàmesdoutesm’assaillent.Jeviensd’arriveràunesalle