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Linteraction entre la Fdration de lEducationNationale et sa principale minorit, le courant unitaire
, 1944-1959Laurent Frajerman
To cite this version:Laurent Frajerman. Linteraction entre la Fdration de lEducation Nationale et sa principale mi-norit, le courant unitaire , 1944-1959. Histoire. Universit Panthon-Sorbonne - Paris I, 2003.Franais.
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Universit Paris I Panthon Sorbonne
UFR dHistoire
Thse pour obtenir le grade de
Docteur en Histoire
prsente et soutenue publiquement par
Laurent FRAJERMAN
Linteraction entre la Fdration de lEducation Nationale et
sa principale minorit, le courant unitaire , 1944-1959.
Dirige par Monsieur le Professeur Jacques Girault
Membres du Jury : Jean-Franois Chanet, Jacques Girault, Antoine Prost, Andr Robert,
Jean-Louis Robert
16 dcembre 2003 TOME I
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Remerciements
Je voudrais tout dabord remercier mon directeur de thse, Jacques Girault, pour avoir
accept un sujet si proche de ses proccupations, pour sa disponibilit sans failles et sa
rigueur. En outre, je lui dois de mavoir confi les notes quil a prises aux archives du PCF.
La frquentation des sminaires dAntoine Prost et les nombreuses occasions de lentendre
et de discuter avec lui mont enrichi considrablement.
Je souhaite galement exprimer ma reconnaissance envers les universitaires qui mont tant
apport par leurs remarques : Ren Mouriaux, Jean-Louis Robert, Michel Pigenet, Danielle
Tartakowsky, Bernard Pudal, Frank Georgi, Michel Dreyfus.
Je songe aussi Claude Pennetier pour mavoir encourag choisir ce sujet et pour notre
travail prosopographique. Je remercie Andr Robert pour le plaisir pris travailler avec lui sur
le colloque sur lapoge des syndicalismes en Europe et pour avoir bien voulu confronter nos
ides sur de nombreuses questions.
Que mes proches sachent quel point je leur suis reconnaissant :
Je remercie Rmi Skoutelski, mon vieux complice, pour nos nombreux changes sur la
question, ses encouragements constants et sa relecture de ces pages.
A Ccile Ensellem, qui je dois tant : linitiation et la formation au plaisir de la sociologie,
la discussion passionne de toutes les hypothses, la relecture attentive et exigeante, des
tches annexes, oh combien ingrates, et enfin le soutien conjugual
Merci Thierry Bonzon pour la relecture de lintroduction, Laure Godineau pour ses
conseils, Franoise Rault pour la qualit de son concours sociologique, Pascal Torr pour
ses remarques avises.
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Je pense aussi aux docteurs du sminaire de Jacques Girault avec qui jai discut de
questions thoriques et du syndicalisme enseignant : Robert Hirsch, Loc Le Bars.
Je suis redevable Georges Mouradian davoir accept de retarder le dmnagement vers
le CARMOT de nombreux cartons des archives FEN pour que je puisse les consulter sur
place.
Merci aux militants de la FEN, devenue UNSA-Education, qui ont toujours prouv leur
intrt pour lHistoire en maccueillant et en mouvrant leurs archives, si peu de temps aprs
la scission : Jean-Paul Roux, Guy Putfin, Daniel, Martine Le Gal, Guy Le Neouannic.
Je remercie Louis Astre, qui outre son interview, a toujours rpondu mes sollicitations.
Merci aux militants dUnit et Action, pour mavoir accord des entretiens et aid
dfricher ce champ : Grard Alaphilippe, Andr Drubay, Etienne Camy-Peyret, Daniel
Renard, Alfred Sorel, Marcel Berge.
Je pense enfin ma famille, Denis, Claude et Clou, qui a retranscrit mes entretiens.
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Sommaire
Tome I
Glossaire
Introduction
Premier volet : 1944-1959 : La FEN et sa principale minorit : analyse
diachronique dune interaction
Chapitre 1 : Un enjeu mmoriel : les attitudes des syndicalistes enseignants
durant les annes sombres
Chapitre 2 : 1944 - 1946 : La redfinition du syndicalisme enseignant : mutation
du courant unitaire et naissance de la FEN
Chapitre 3 : 1947 - 1948 : Le choix dcisif de lautonomie
Chapitre 4 : 1948 1949 : Les premiers pas de la FEN autonome face la FEN-
CGT
Chapitre 5 : 1950-1953 : Lchec des enseignants cgtistes dans leur lutte
contre la FEN autonome
Chapitre 6 : 1954 1959 : La cration du courant Bouches du Rhne et
lactivit syndicale de la FEN
Second volet : Analyse synchronique du modle FEN et du courant unitaire
Partie I : Un modle pluraliste, le modle FEN
7
11
45
47
89
161
233
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Chapitre 7 : Un modle imiter : reprsentations de la FEN et relations avec
lextrieur
Chapitre 8 : Un modle syndical : pratiques revendicatives et identits
professionnelles
Chapitre 9 : Un modle organisationnel : appareils et pratiques militantes
Tome II
Chapitre 10 : Une spcificit du modle FEN : le jeu des tendances, pour
canaliser le dbat interne
Conclusion : Contribution de ltude du modle FEN la rflexion sur le
syndicalisme
Partie II : Le courant unitaire, une identit souple
Chapitre 11 : Quels sont les lments structurants du courant unitaire ?
Chapitre 12 : Des pratiques syndicales diffrentes ?
Chapitre 13 : Un appareil dans lappareil
Conclusion : Nature du courant unitaire : une version muscle du modle FEN
Conclusion gnrale
Sources
Bibliographie
Annexes
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Table des matires
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Glossaire et Abrviations
AG : Assemble Gnrale, runion de tous les adhrents.
ASU : LAction Syndicaliste Universitaire, journal mensuel de la FEN-CGT
BFI : Bulletin Fdral dInformation, bulletin intrieur mensuel de la FEN-CGT
BN : Bureau National, lu par le congrs pour le SNI et le SNES.
CA : Commission Administrative ou Conseil dAdministration, lu par le congrs.
CAPD : Commissions Administratives Paritaires Dpartementales, qui grent les carrires
des instituteurs.
CC : Comit Central, instance du PCF ou cours complmentaires, anctre du collge.
CE : Commission Excutive, lue par le congrs. Organisme quivalent la CA.
CCN : Comit Confdral National de la CGT, instance dcisionnelle entre deux congrs.
CN : Conseil National, par exemple pour le SNI, runion de tous les secrtaires
dpartementaux, instance dcisionnelle entre deux congrs.
CNAL : Comit National dAction Laque, compos du SNI, de la FEN, de la Ligue de
lEnseignement et de la FCPE.
CNJ : commission nationale des jeunes du SNI.
CNR : Conseil National de la Rsistance.
CS : Conseil Syndical.
EE : LEcole Emancipe, journal de la tendance Ecole Emancipe, tendance syndicaliste-
rvolutionnaire de la FEN.
EL : LEcole Libratrice, journal hebdomadaire du SNI.
EP : LEnseignement Public, journal mensuel de la FEN.
Ex-confdr : ancien membre de la CGT davant 1935, militant rformiste.
Ex-unitaire : ancien membre de la CGTU davant 1935, militant rvolutionnaire.
FCPE : Fdration des Conseils de Parents dElves, cre par le SNI et la Ligue de
lEnseignement.
FEN : Fdration de lEducation Nationale, nom de la Fdration partir de 1946, pour
marquer son ouverture aux personnels non-enseignants du ministre de lEducation Nationale.
FGAF : Fdration Gnrale Autonome des Fonctionnaires, cre en 1948.
FGE : Fdration Gnrale de lEnseignement, nom de la Fdration entre 1928 et 1946.
FGF : Fdration Gnrale des Fonctionnaires, transforme aprs en UGFF (CGT).
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FOL : Fdration des uvres laques, section dpartementale de la Ligue de
lEnseignement.
FSM : Fdration Syndicale Mondiale.
PCF : Parti Communiste Franais.
SERP : Syndicat de lEnseignement de la Rgion Parisienne, section de la Seine de la FEN.
SFIO : Section Franaise de lInternationale Ouvrire, parti socialiste.
SNCM : Syndicat National des Collges Modernes, fusionne en 1948 avec le SNES.
SNEP : Syndicat National des professeurs dEducation Physique.
SNES : Syndicat National de lEnseignement Secondaire.
SNET-FP CGT : Syndicat National de lEnseignement Technique Formation
Professionnelle, syndicat des Centres dApprentissage, il reste la CGT en 1948 et quitte
alors la FEN.
SNET : Syndicat National de lEnseignement Technique, affili la FEN.
SNETAA : Syndicat National de lEnseignement Technique Autonome Apprentissage,
affili la FEN dans les Centres dApprentissage.
SNI : Syndicat National des Instituteurs
SPES : Syndicat des Personnels de lEnseignement Secondaire, anctre du SNES (avant
1939), affili la CGT.
S1 : section dtablissement du SNES, ou du SNET.
S2 : section acadmique du SNES jusquen 1948, puis section dpartementale du SNES
(sur le modle du SNCM).
S3 : jusquen 1948, direction nationale du SNES, puis section acadmique du SNES.
S4 : partir de 1948, direction nationale du SNES.
TET : Le Travailleur de lEnseignement Technique, journal mensuel du SNET
UD : Union Dpartementale, structure dpartementale de la CGT et de FO.
UFOLEP : Union franaise des uvres laques dducation physique.
UGFF : Union Gnrale des Fdrations de Fonctionnaires, affilie la CGT.
UNEF : Union Nationale des Etudiants de France, syndicat tudiant.
US : LUniversit Syndicaliste, journal bi-hebdomadaire, puis mensuel du SNES.
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AVERTISSEMENT
Dans les citations, les passages souligns, en gras, en majuscules ou en italiques
correspondent la version originale. Si nous avons choisi de signaler limportance dun
passage par une mise en forme spcifique (en caractres italiques), nous le prcisons en note.
Nous nindiquons pas systmatiquement les prnoms, dans la mesure o la presse syndicale en
fait souvent lconomie.
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Introduction
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Introduction
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En France, la Fdration de lEducation nationale (FEN) domine le syndicalisme de
lenseignement public jusquen 1992. Cette organisation autonome depuis la scission
confdrale de 1948 regroupe plusieurs dizaines de syndicats nationaux, qui reprsentent les
diverses professions, syndiques massivement la FEN. Le plus connu sappelle le Syndicat
national des instituteurs (SNI), auquel appartient la majorit des membres de la Fdration.
Ses structures dpartementales travaillent en liaison avec les unions dpartementales des
confdrations ouvrires. Lidal lac soude cette organisation modre, partenaire exigeant
du ministre de lEducation nationale. Sur le plan politique, la direction de la FEN entretient
des rapports privilgis avec le parti socialiste.
La FEN possde une face longtemps nglige par les commentateurs et les historiens : sa
principale minorit, adepte dun syndicalisme combatif et anime notamment par les
enseignants communistes. Le courant unitaire est analys de faon priphrique, au dtour
dun paragraphe rituel, sans percevoir son apport, son dynamisme et ses ides. En un sens, on
a tudi jusquici la majorit de la FEN, assimile abusivement lensemble du groupe, et non
pas la FEN. Depuis 1992, la cration force et le succs de la Fdration syndicale unitaire
(FSU) ont impos une attention nouvelle au courant unitaire qui la dirige. Deux paradoxes
apparaissent : un courant domin depuis sa naissance dans le syndicalisme enseignant occupe
demble une place majoritaire, et ceux quon a longtemps dsigns comme des cgtistes
nvoquent pas publiquement la question du retour dans la Confdration. On peut percevoir
les prmisses de ce renversement de situation dans lvolution du courant, ds les annes
cinquante.
Le courant unitaire reprsente un courant dides habituellement cristallis dans un
syndicat distinct des organisations rformistes. Recueillant selon les annes entre 16,5 et
36,5 % des mandats1, il bnficie de la masse critique ncessaire la constitution dune autre
organisation. Dans le paysage syndical franais, il est rare que des militants dots de cette
capacit et divergeant de la majorit sur autant de questions importantes restent leur place de
minoritaires, carts de la gestion quotidienne. La dure de cette coexistence structure
invitablement les comportements, ce qui pose la question de lunit du syndicalisme
enseignant et des interactions entre ses composantes.
Sur une aussi longue priode, la majorit de la FEN subit ncessairement linfluence de sa
minorit, et rciproquement. Un postulat guide donc notre dmarche : la connaissance de la
majorit senrichit dune tude par le prisme de son opposition. Lintrt de chaque tendance
de la FEN consiste dvoiler le jeu de ses adversaires, dmystifier ses ides. Une fois
dissips les effets des polmiques, on constate la pertinence de leur propos quand il sapplique
1 Aux congrs de la FEN de 1953 et 1948.
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Introduction
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dsacraliser les positions adverses2. A partir de 1948, la FEN institutionnalise le dbat
interne, en crant des procdures rigoureuses et prcises dexpression des tendances et de vote
des syndiqus. Lhabitude enseignante dcrire et de thoriser, conjugue cette vie
dmocratique, contraint les directions syndicales justifier leurs actes en permanence, dans un
dialogue fcond avec les minorits. Ce dbat permanent constitue une source indispensable
propos des reprsentations et pratiques syndicales, dont lhistorien peut faire son miel.
Adoptant cette posture, nous avons avons mis au jour lmergence dun modle FEN,
nomm ainsi parce que ce systme syndical rsulte dune modlisation et parce quil se donne
en exemple, propose aux autres syndicats de limiter. Les lments du modle FEN
apparaissent progressivement, dans la premire partie du sicle, et marquent lidentit du
syndicalisme enseignant. Le modle, dans sa globalit et sa cohrence nouvelle, se manifeste
dans notre priode. Les unitaires apportent leur contribution sa dfinition, que ce soit par
leur opposition vigoureuse qui contraint la majorit prciser, durcir ses options, (entre
1948 et 1953, quand ils saffilient la fois la FEN et la FEN-CGT), ou au contraire par
leur contribution positive (reprable dans deux phases distinctes : la Libration et aprs
1954, la disparition de la FEN-CGT entrinant la victoire des majoritaires). En dfinitive, le
courant unitaire reprsente-t-il une version de ce modle FEN ou un modle alternatif ?
Comment seffectue concrtement cette interaction ?
La priode retenue pour notre thse commence la Libration. Cette date de dpart
correspond une coupure majeure dans lhistoire de la France et galement dans celle du
courant. Les unitaires, par leur participation la Rsistance, obtiennent une lgitimit
nouvelle dans le milieu enseignant et sy implantent durablement, phnomne esquiss
seulement avant-guerre. Leur activit durant la Rsistance est de nature autant syndicale que
politique et militaire, son analyse sort de notre registre. La clture en 1959 sexplique par la
problmatique retenue. Notre thse se conclut juste aprs lapoge du modle FEN :
solidement en place, accept par le courant unitaire depuis 1954, mais remis en question par la
politique gaulliste. A partir de 1959, le nouveau pouvoir conteste la place centrale accorde
la FEN dans ladministration de lEducation nationale. Pour se faire entendre, les appareils
syndicaux exprimentent alors des mthodes daction nouvelles, au dtriment des quilibres
anciens. Toutefois, nous ne nous interdisons pas de pousser linvestigation au-del de cette
date-butoir, lorsque cela permet dclairer des lments du modle FEN qui perdurent.
2 Andr Robert remarque ce phnomne pour les organisations enseignantes, et nous appliquons son raisonnement aux tendances : Trois syndicats denseignants face aux rformes scolaires. Positions idologiques du SNI, du SNES et du SGEN par rapport au systme dEducation nationale entre 1968 et 1982 , Thse NR, Paris V, [Viviane Isambert-Jamati], 1989, 508 p.
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Introduction
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I- POURQUOI TUDIER LA FEN ET SA PRINCIPALE
MINORIT ?
Lobjet de notre thse sest construit peu peu. Le point de dpart provient dune curiosit
pour la FEN et sa principale minorit.
A- Une historiographie abondante
Le syndicalisme enseignant fait lobjet de nombreuses tudes. La familiarit avec lcrit
explique une profusion de textes militants, outre lexercice oblig des mmoires de dirigeants
syndicaux en retraite3, qui permettent lorganisation de constituer sa mmoire collective.
Ds les annes 1970, Robert Chramy prsente avec talent le point de vue de la direction de la
FEN sur son histoire4. Il dcrit galement, avec Henri Aigueperse, ancien secrtaire gnral du
SNI, la vie de ce syndicat5. Un ouvrage dirig par Paul Delanoue claire le dbut de notre
priode et tmoigne de limportance de la Rsistance dans la mmoire du courant unitaire6.
Les chercheurs ne sont pas en reste. En 1985, une quipe interdisciplinaire, alliant deux
historiens (Alain Bergounioux et Jean-Paul Martin), un politiste (Ren Mouriaux) et une
sociologue (Vronique Aubert), publie une histoire pionnire de la Fdration de lEducation
nationale : La forteresse enseignante7. Par la suite apparaissent plusieurs ouvrages de
synthse : quatre livres traitent de lensemble du syndicalisme enseignant du XIX au XX
sicle. Parmi eux, signalons louvrage de Jacques Girault8. Deux manuels, crits par des
sociologues, enrichissent les problmatiques de recherche9. Par ailleurs, la thse dEtat de
science politique dYves Poirmeur analyse les tendances, question centrale pour la FEN10.
3 HENRY Andr, Dame lcole, Paris, Ramsay, 1977, 221 p. 4 CHERAMY Robert, FEN, 25 ans dunit syndicale, Paris, d. de lpi, 1974, 160 p. 5 Le titre nous parat significatif : Un syndicat pas comme les autres : le SNI, Paris, Martinsart, SUDEL, 1990, 376 p. Alain Dalanon, historien et militant du Syndicat national de lenseignement de second degr, vient galement de publier un livre sur lhistoire de son syndicat : Histoire du SNES. Plus dun sicle de mrissement des annes 1840 1966/67, tome 1, Paris, IRHSES, 2003, 272 p. 6 DELANOUE Paul, Les enseignants. La lutte syndicale du Front populaire la Libration, Paris, Editions sociales, 1973, 414 p. 7 AUBERT Vronique - BERGOUNIOUX Alain - MARTIN Jean-Paul - MOURIAUX Ren, La forteresse enseignante, la Fdration de lducation Nationale, Paris, Fayard, 1985, 364 p. 8 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale dans la socit franaise (fin XIX - XX sicle), Paris, Publications de la Sorbonne,1996, 351 p. 9 Le livre dAndr Robert apporte beaucoup sur les questions pdagogiques et didentits professionnelles : Le syndicalisme des enseignants, Paris, Documentation Franaise/CNDP, 1995, 175 p. Voir galement : GEAY Bertrand, Le syndicalisme enseignant, Paris, La Dcouverte, 1997, 123 p. 10 POIRMEUR Yves, Contribution ltude des tendances dans les partis et les syndicats : lexemple franais,
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Introduction
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Malgr cette historiographie, aucun chercheur na encore publi dtude prcise sur la FEN
ou un de ses syndicats dans une priode donne. Notons deux exceptions. Jacques Girault
inclut le rsultat de ses investigations personnelles sur quelques exemples significatifs,
analyss en profondeur, comme le Syndicat national des instituteurs la fin des annes 1930,
le syndicalisme du technique court ou les liens avec le mutualisme. La thse de Jean-Claude
Ruano-Borbalan propos des positions pdagogiques du SNI dmontre la valeur dune
approche monothmatique et monographique11. La qualit de plusieurs mmoires de matrise
confirme ce point de vue : Didier Sapojnik sest consacr au choix de lautonomie par la FEN
et Rmi Skoutelsky lattitude de la Fdration durant la guerre dAlgrie12. Plusieurs facettes
du syndicalisme enseignant restent encore confines dans la pnombre.
B- Un syndicalisme puissant et original
Si de nombreuses zones dombres restent clairer, la connaissance de ce syndicalisme
savre nanmoins apprciable. A notre sens, lune des raisons de cet attrait provient de
lexceptionnelle puissance des organisations enseignantes. Le taux de syndicalisation des
enseignants, trs suprieur la moyenne des salaris franais, justifie lemploi du concept de
sursyndicalisation enseignante : en 1954, chez les enseignants, le taux de syndicalisation
slve 72 %13, tandis que le taux moyen chez les salaris ne dpasse pas 26 %14. La
persistance de la force du syndicalisme enseignant mrite analyse, dautant que ses modes
daction, marqus par son origine associative, diffrent profondment de ceux adopts par le
syndicalisme ouvrier. Les associations professionnelles rejettent le versant politique du
syndicalisme, les grves et les manifestations, au bnfice du lobbying et de lintgration au
systme de pouvoir. Quen est-il pour la FEN ? Peut-on dceler un penchant pour le modle
associatif, notamment dans ses syndicats de personnels statut lev, comme les inspecteurs ?
La tertiarisation de lconomie franaise aboutit une augmentation de la place des
couches moyennes salaries dans la socit, dont les formes dorganisation restent
Thse dEtat, Amiens, [Jacques Chevallier], 1987. 11 RUANO-BORBALAN Jean-Claude, Le Syndicat National des Instituteurs face aux projets de rforme et rformes de lenseignement de 1945 1969. Essai danalyse de lidologie dune organisation projet, nouvelle Thse, Paris I, [A.Prost], 1990, 448 p. Un autre livre claire particulirement lvolution rcente du SNI et apporte une rflexion intressante : GEAY Bertrand, Profession : instituteurs. Mmoire politique et action syndicale, Paris, Seuil, 1999, 283 p. 12 SAPOJNIK Didier, Lautonomie de la Fdration de lducation Nationale lors de la scission syndicale de 1947 et son organisation, Matrise, Paris I, [J. Droz], 1972, 164 p. et SKOUTELSKY Rmi, La FEN et la guerre dAlgrie. Un syndicat lpreuve de la dcolonisation, Matrise, Paris I, [J.Girault, A.Prost], 1989, 246 p. 13 Selon les calculs de Jacques Girault : Instituteurs, professeurs, une culture syndicale, op. cit. - p. 293. 14 LABB Dominique, Syndicats et syndiqus en France depuis 1945, Paris, LHarmattan, 1996, 163 p. p. 132.
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Introduction
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mconnues15. Ltude du syndicalisme enseignant contribue donc la comprhension plus
gnrale des relations professionnelles dans de nouvelles couches sociales. A ce titre, nous
nous sommes interrogs au dbut de notre travail sur la pertinence de son insertion dans le
domaine de lhistoire des intellectuels. La revue du Syndicat national de lenseignement de
second degr (SNES) ne sintitule-t-elle pas LUniversit Syndicaliste ? Notre rponse
ngative provient de plusieurs considrations : dune part, le terme universit est compris
au sens napolonien, pour signifier lensemble du systme ducatif, dautre part les
enseignants ne constituent pas proprement parler des intellectuels. La dfinition retenue en
France ne les inclut pas, lexception des enseignants-chercheurs16. Les proccupations des
militants de la FEN appartiennent autant la sphre des dbats dides qu celle des
revendications concrtes. A la Libration, la plupart dentre eux exercent dans lenseignement
primaire. Si lon ne peut qualifier les instituteurs dintellectuels, ils jouent cependant un rle
incontestable de mdiateurs culturels, qui leur confre une certaine importance politique.
Dans les annes 1950, on assiste lmergence dun modle FEN. Pierre Bourdieu estime
que lappareil de mobilisation dun syndicat repose sur deux lments : dabord des
structures objectives comme la bureaucratie de lorganisation proprement dite, les postes
quelle offre, avec tous les profits corrlatifs, en elle-mme ou dans les administrations
publiques, les traditions de recrutement, de formation et de slection qui la caractrisent . Il
sappuie aussi sur des dispositions, quil sagisse de la fidlit () ou des principes
incorpors de di-vision du monde social que les dirigeants, les permanents, ou les militants
mettent en uvre dans leur pratique quotidienne 17. Larticulation de ces diffrents
paramtres ncessite donc une tude, partir du constat suivant : la force de la FEN rside
dans lharmonie entre ces lments, qui renforce sa cohsion. Loin de reprsenter une simple
configuration ponctuelle, la FEN daprs 1949 incarne un point dquilibre, qui la transfigure
en modle.
Nous utilisons ce concept en raison de la conscience rflexive exprime par le syndicat.
Les motions de congrs autonomes dfinissent certains points saillants de leur conception du
syndicalisme. En effet, un modle suppose une laboration idologique, ce qui explique
limportance de la motion Bonissel-Valire. N dans des circonstances fortuites fruit dun
compromis entre lEcole Emancipe et la majorit lors de la scission de 1948 cet lment
thorique du modle revt par la suite toute sa dimension en tant que mythe fondateur. Les
15 LAVAU et alii, Lunivers politique des classes moyennes, Paris, Presses de la FNSP, 1983, 389 p. 16 Cf ORY Pascal - SIRINELLI Jean-Franois, Les intellectuels en France, de lAffaire Dreyfus nos jours, Paris, Colin, 1987, 263 p. De plus, le syndicat des universitaires affili la FEN, le syndicat national de lenseignement suprieur (SNESup), ne dispose pas dune grande force dattraction. 17 BOURDIEU Pierre La reprsentation politique. Elments pour une thorie du champ politique , Paris, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n 36/37, fvrier-mars 1981 - p. 19.
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Introduction
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conditions particulires de rdaction de cette motion expliquent sa postrit ambigu : la fois
texte de rfrence, communiqu aux confdrations et borne tmoin dun discours radical
jamais appliqu, dautant plus utile quil permet de voiler une pratique syndicale rformiste.
Le SNI et la FEN soffrent en exemple aux autres syndicats, en particulier avec la
condition incluse dans leurs propositions de runification confdrale : ladoption dun
systme de tendances identique au leur. Une illustration de cette politique provient de lappel
Pour un mouvement syndical uni et dmocratique, initi par Denis Forestier, secrtaire gnral
du SNI, en 1957, avec des dirigeants de FO et de la CGT. Cependant, le modle FEN ne
relve pas que de la thorie, nous rejoignons Pierre Favre dans lide que, pour quil y ait
modle, il faut que lorganisation des termes du modle persiste dans les discours et sincarne
dans les pratiques. 18
Nous caractrisons le modle FEN avec plusieurs lments. La FEN constitue un syndicat
de masse, encadrant lcrasante majorit de la profession, sduite la fois par son rle de
reprsentation des identits professionnelles et par une autonomie qui correspond son
insertion dans les classes moyennes. Son assise provient galement de la fourniture de
services aux adhrents et de ses bases multiples : mutualisme, associations diverses. La FEN
utilise sa puissance pour imposer aux gouvernements successifs et ladministration sa
participation la gestion du systme ducatif. La modration sur le plan de laction syndicale
renvoie un positionnement majoritairement rformiste, la FEN dtient le statut de partenaire
cout de la gauche non communiste. Enfin, organisation unie au moyen dune officialisation
des tendances, elle sest forge un rle de mdiatrice intersyndicale, grce sa particularit :
acceptant des militants communistes, elle ne peut diaboliser la CGT linstar de FO, dont elle
reste proche. Les deux confdrations saccordent implicitement ne pas empiter sur son
champ de syndicalisation.
C- Lidentit de la principale minorit
Le courant unitaire participe de loriginalit du syndicalisme enseignant, plusieurs titres.
Dabord, on peroit gnralement mieux la prsence dun syndicalisme de ce type dans la
classe ouvrire, point fort du PCF compter des annes 1930, que dans les couches
moyennes. Linscription denseignants, de chercheurs dans cette mouvance surprend.
Justement, ce courant se prsente la Libration comme le reprsentant attitr dans la FEN du
syndicalisme pratiqu par la majorit de la CGT. Lors de la scission de 1948, il livre un
18 FAVRE P., Le modle lniniste darticulation parti-syndicats-masses, le Parti Communiste Italien et lunit syndicale , Paris, Revue franaise de science politique, n3, juin 1975 - p. 447.
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Introduction
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combat contre lautonomie de la FEN, tellement intense quune procdure de double
affiliation permet ses militants de rester la CGT jusquen 1954. Son identit se construit au
dbut des annes 1950 avec la promotion de la CGT.
Ensuite, les alas de lvolution du courant, marqu par des ruptures fortes, interrogent
cette identit. Peut-on le prsenter comme un courant rvolutionnaire ? Jacques Girault
remarque que les unitaires ne se caractrisent pas par lhomognit dont on veut bien les
tiqueter. 19 Des crises internes jalonnent le parcours du courant et plusieurs composantes
apparaissent (catholique progressiste, socialiste de gauche, communistes). Comme toute
opposition, le courant unitaire hsite entre lobstruction au travail de la majorit et la
participation.
Le nom, enjeu symbolique de premier ordre, rflte cette incertitude identitaire. A la
Libration, le courant unitaire napparat gure de manire propre. On appelle quelquefois ses
militants ex-unitaires 20, en cho la confdration disparue en 1935, la CGTU. La
dtrioration du climat interne de la FEN conscutive la scission contraint le courant y
remdier. Mais ds 1951, les unitaires prsentent des listes ouvertes des militants non
membres de la FEN-CGT et contestent en consquence le vocable cgtiste , trop restrictif.
La vritable difficult surgit dans la priode ultrieure, lorsque le courant refuse le terme
d ex-cgtiste , employ dessein par les majoritaires, qui lidentifie en rfrence un
pass quil souhaite rvolu. La section des Bouches-du-Rhne, quil dirige, prsente ses
motions dans le SNI et la FEN, mais dans le SNES, le terme consacr est liste B , du fait du
systme de reprsentation alphabtique des listes (la majorit dpose la liste A). Au SNET, il
adopte le nom Unit pour une Action Syndicale Efficace . Dans cette priode, aucun terme
ne bnficie donc dun consensus suffisant chez les membres du courant pour permettre de les
dsigner sans quivoque, quel que soit leur syndicat. Ils acceptent cet tat de fait dans la
mesure o leurs efforts tendent la dissolution du courant. Alors quils abandonnent toute
coordination dans lespoir dobtenir leur insertion dans la majorit, un nom incarnerait une
identit et contrarierait cet effort.
Le terme Unit et Action ne simpose que peu peu, partir des annes 1960,
paralllement la constitution dune tendance structure. Le choix dune rfrence nominative
commune tous les unitaires de la FEN reprsente un indice du raffermissement de la
structure et de lidentit du courant. Entre 1948 et 1953, ce terme est utilis par les cgtistes
pour dsigner leur tendance dans le SNI. Il sert mme de titre un bulletin de tendance.
19 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale dans la socit franaise, op. cit. p. 180. 20 AIGUEPERSE Henri - CHRAMY Robert, Un syndicat pas comme les autres, op. cit. - pp. 233 et 368.
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Introduction
21
Depuis 1967, ce terme continue dsigner le courant21.
Cette volution sinueuse confronte lhistorien au dfi dune prsentation simple de la vie
du courant, sans changer de dnomination selon les poques Il est certes vain de rechercher
une trop grande communaut de vues et de pratiques entre les militants unitaires, au risque
dune rification. Nous estimons cependant que, au-del de son instabilit, le courant prsente
un certain nombre de caractristiques prennes. Nous avons donc opt pour un terme
gnrique, employ en permanence : unitaire . Parmi les avantages de cette solution, notons
que ce nom sapparente Unit et Action et remmore les noms adopts par ces
syndicalistes : entre 1921 et 1935, la CGT Unitaire, et depuis 1992, la Fdration Syndicale
Unitaire. Cette dnomination ne constitue nullement un jugement de valeur, le signe dun
attachement plus important lunit syndicale de la part du courant22. Il est le fruit dune
reconstruction, selon une procdure consacre par Pascal Ory et Jean-Franois Sirinelli : rien
ne soppose en histoire lusage de termes anachroniques, pour peu quils puissent tre
rapports une ou plusieurs notions dont lpoque considre reconnaissait la cohrence,
laccent tant alors mis sur la continuit intellectuelle de lobjet. 23
D- Un syndicalisme qui exprime les identits professionnelles
Une particularit de la FEN provient de sa fonction de reprsentation des identits
professionnelles, par lintermdiaire de ses syndicats nationaux. Vronique Aubert constatait
que lesprit de corps des instituteurs rsulte d un processus dhomognisation des
comportements et des opinions . Les entretiens quelle ralise se structurent autour dun
thme : lidentification la profession, identification symbolise par leffacement du je
dans le discours au profit dun collectif, que ce soit la corporation, lcole, le
syndicat. Elle met lhypothse dune construction syndicale de cette identit
professionnelle24. Ce terme sentend au sens dune identit collective constamment
retravaille et dune appropriation par les membres du groupe, qui en font un lment
constitutif de leur identit personnelle. De nombreux chercheurs prolongent cette rflexion et
tudient lhgmonie exerce par le SNI, son rle de lien professionnel et de producteur de
lidologie laque, qui lui confre sa place centrale dans lordre denseignement primaire25.
21 Notons lexception du SNESup, dans lequel le courant unitaire se nomme Action syndicale . 22 Dailleurs, Michel Dreyfus lemploie pour la priode de la Libration, alors que le terme en vogue lpoque est ex-unitaire . DREYFUS Michel, Histoire de la CGT, Bruxelles, Complexe, 1995, 407 p. 23 ORY Pascal - SIRINELLI Jean-Franois, Les intellectuels en France, op. cit. - p.11. 24 AUBERT Vronique, Systme professionnel et esprit de corps : le rle du Syndicat national des instituteurs , Paris, Pouvoirs, n 30, 1984 - pp. 81 83. 25 RUANO-BORBALAN Jean-Claude, Le SNI face aux projets de rformes de lenseignement, op. cit. p. 23.
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Introduction
22
Seule Monique Hirschhorn formule une critique, jugeant lexplication de la cohsion par la
prise en charge syndicale des identits professionnelles quelque peu tautologique , car
ladhsion au SNI ne signifie pas ncessairement que lon partage les mmes
reprsentations, la mme conception de lidentit professionnelle. 26
Nous estimons toutefois que la piste des identits professionnelles reste fconde,
condition de ne pas ngliger la base matrielle de ces reprsentations, la dfense des intrts
des catgories enseignantes. Les syndicalistes enseignants dsignent significativement laction
revendicative par lexpression action corporative , dmontrant leur implication dans la
construction et la prennisation du corps. Deux directions de recherche simposent : dune
part une analyse du processus concret de construction de ce phnomne, de la gense de cet
esprit de corps. Entre 1944 et 1959, de nouvelles identits professionnelles mergent,
notamment dans lducation physique et sportive, qui nous donnent loccasion de cette tude
socio-historique. Le rle des syndicats, tel le Syndicat national des professeurs de lEducation
Physique (SNEP), apparat dcisif pour construire des modles de rfrence de ces professions
et obtenir leur conscration institutionnelle. Ils sollicitent lappui de la FEN dans ce but.
Dautre part, Jacques Girault note que les instituteurs servent longtemps de modles tant est
grande losmose entre le Syndicat et lthique profonde du mtier. 27 Dans quelle mesure cet
exemple reste-t-il valable pour les syndicats des autres ordres denseignement ? Le SNES
nexerce pas linfluence hgmonique du SNI et ne peut prtendre assurer lui seul la
cohsion du corps. Une transposition arbitraire ne permettrait donc pas de comprendre les
rapports entretenus par ces syndicats avec la profession quils reprsentent, rapports qui
varient beaucoup.
Les chercheurs qui travaillent sur le syndicalisme enseignant saccordent sur le postulat
dune logique particulire28. Andr Robert considre que ce syndicalisme a pour
caractristique propre un mlange singulier entre le modle syndical strict et un modle que
lon dira plus prcisment professionnel. Sa rflexion tablit ce modle professionnel en
rfrence aux mdecins et autres professions librales, qui expriment une volont dauto-
contrle, de monopole acquis sur lexercice de son propre travail, monopole reconnu par
lensemble de la socit, sous lautorit de ltat 29. Dans le cas de la profession enseignante,
lauto-contrle ne dpend pas dun Conseil de lOrdre, mais du syndicalisme et de ses lus.
Andr Robert affirme la spcificit enseignante, lie au statut de fonctionnaire, et donc un
rapport privilgi lEtat et aussi au rapport individuel, intime , entretenu avec le savoir et
26 HIRSCHHORN Monique, Lre des enseignants, PUF, 1993, 301 p. - p. 134. 27 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale dans la socit franaise, op. cit. - p. 161. 28 Il combine rgulation corporative et expression revendicative . Cette logique apparat assez inhabituelle dans le cadre du syndicalisme franais. GEAY Bertrand, Le syndicalisme enseignant, op. cit. - p. 32.
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Introduction
23
son mode de transmission. Celui-ci dote les enseignants dun farouche esprit
dindpendance professionnelle 30.
Nous nous inscrivons dans cette rflexion, tout en discutant lide dune spcificit
enseignante. Il nous semble que lanalyse de la FEN souffre dun tropisme enseignant,
aggrav par son autonomie et le particularisme du milieu31. Certes, il parat ncessaire
dexpliquer les nombreuses spcificits de ce syndicalisme, mais il convient galement de
linsrer dans une ralit plus large, qui englobe la fois le syndicalisme des fonctionnaires et
celui de certaines professions fermes. La lecture des travaux de Jeanne Siwek-Pouydesseau
sur les fonctionnaires procure des lments de comparaison intressants et permet de
dchiffrer lapport propre de la FEN32.
Dans cette perspective, les thories de Denis Segrestin sur lapprhension des identits
professionnelles par le syndicalisme ouvrier nous fournissent dautres hypothses de travail,
qui compltent utilement les premires. Le syndicalisme ncessite le support dune conscience
collective, qui peut revtir plusieurs formes. Selon ce sociologue, la conscience de classe ne
constitue que lune des modalits possibles de syndicalisation dun milieu : Bien quelles
apparaissent effectivement la plupart du temps comme des reproductions formelles dentits
engendres par le systme de production, il sagit de communauts qui se dfinissent en soi,
en tant que communauts de culture et daction. 33 Il affirme en consquence que la mise en
place dun syndicalisme dopposition salariale authentique et stable dpend beaucoup plus
directement du respect des dynamiques culturelles et professionnelles luvre parmi les
travailleurs que de la nature de lidologie soutenant laction. Il en dduit la possibilit dun
syndicalisme de dfense professionnelle lorsque la conscience de profession prvaut 34.
Denis Segrestin soppose donc au schma tlologique de remplacement inluctable du
syndicalisme de mtier par le syndicalisme de classe. Non seulement, le syndicalisme de
mtier perdure en France, sur la base des fonctions quil remplit, cest--dire en tant
quinstitution jouant la fois le rle de facteur dintgration sociale, de contrepoids
lalination conomique, de ferment dunit ouvrire , mais il renat travers la dfense
dun statut 35. La FEN sinscrit parfaitement dans cette logique, elle reprsente une
profession statut, cloisonne, isole des autres professions par lintervention de lEtat. Denis
29 ROBERT Andr, Le syndicalisme des enseignants, op. cit. - p. 10. 30 Ibid. - p. 9. 31 Par exemple, le rseau duvres et de mutuelles construit par les syndicalistes enseignants ne concerne pas les autres fonctionnaires. 32 SIWEK-POUYDESSEAU Jeanne, Le Syndicalisme des fonctionnaires jusqu la guerre froide, 1848-1948, Lille, PUL, 1989, 343 p. et Les Syndicats de fonctionnaires depuis 1948, Paris, PUF, 1989, 224 p. 33 SEGRESTIN Denis, Du syndicalisme de mtier au syndicalisme de classe : pour une sociologie de la CGT , Paris, Sociologie du Travail, n 2, 1975 - pp. 160-161. 34 SEGRESTIN Denis, Du syndicalisme de mtier au syndicalisme de classe , op. cit. - pp. 159-160.
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Introduction
24
Segrestin note que ce type de systme professionnel ferm est conu pour favoriser au
maximum lintgration sociale des membres lintrieur du corps et, conjointement, pour
faire de ce corps un ensemble socialement autonome, isol, se suffisant lui-mme grce
une infrastructure daccompagnement vocation totale. 36.
II- LINTERACTION AU CUR DE LOBJET
Si la FEN et sa principale minorit constituent des objets dtudes en eux-mmes, dans la
ralit, ils coexistent et se dterminent perptuellement en fonction des ractions de lautre. Le
processus dinteraction nous intresse donc.
A- La FEN, un exemple dunit syndicale organique
Le rle politique des enseignants, ancrs gauche, notamment comme vivier dlecteurs et
de cadres de la SFIO, a suscit de nombreuses analyses37. Le milieu enseignant constitue le
seul groupe social important dans lequel le modle social-dmocrate a t opratoire, avec un
partenariat entre le parti rformiste (la SFIO) et la direction syndicale, par-del ses discours
rituels sur lindpendance syndicale. Alors que la guerre froide creuse un gouffre entre
socialistes et communistes, la gauche enseignante montre son attachement lunit des partis
de gauche et accueille favorablement les propositions en ce sens manant du PCF. Ceci
contrarie les efforts fournis par la direction de la SFIO pour limiter les lieux de rencontre avec
les communistes38. La FEN reprsente dsormais lune des rares organisations comprenant des
militants des deux partis. La position des enseignants communistes acquiert un caractre
stratgique dans les annes 1950 et 1960. Rien dtonnant ce que le PCF tente de plus en
plus dimprimer sa marque aux choix du courant unitaire en fonction de ses impratifs
propres.
De nombreuses typologies du syndicalisme distinguent un syndicalisme dopposition et un
35 SEGRESTIN Denis, Du syndicalisme de mtier au syndicalisme de classe , op. cit. - pp. 167 et 169. 36 SEGRESTIN Denis, Le phnomne corporatiste. Essai sur lavenir des systmes professionnels ferms en France, Paris, Fayard, 1985, 283 p. - p. 27. Ce livre tudie les syndicats du Livre, de la SNCF, des dockers, des verriers... Pour lauteur, cette infrastructure daccompagnement comprend les rgimes propres de retraites et de prvoyance, les coopratives dachat et lorganisation professionnelle du logement. 37 Voir le livre prcurseur de Paul Gerbod : Les enseignants et la politique, Paris, PUF, coll. Sup. LHistorien, 1976, 162 p. Cf galement : BERGOUNIOUX Alain, GRUNBERG Grard, Le long remords du pouvoir, Le Parti socialiste franais 1905-1992, Paris, Fayard, 1992, 552 p. 38 MORIN Gilles, Le Parti socialiste SFIO et les associations, 1944-1969 , pp. 359-377 in ANDRIEU Claire, LE BEGUEC Gilles, TARTAKOWSKY Danielle [sous la direction de], Associations et champ politique. La loi de 1901 lpreuve du sicle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, 723 p. - pp. 361-362.
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Introduction
25
syndicalisme de ngociation39. Lantagonisme entre ces deux conceptions de laction
syndicale constitue un lment fort de maintien des courants dans la FEN. Le syndicalisme
franais vit ce conflit de manire feutre dans la CGT davant 1914 ou ouverte aprs
la scission confdrale de 194840. On ne peut limiter le dbat son aspect thorique (rupture
ou non avec le systme capitaliste), aussi la notion de culture politique ou syndicale nous
agre-t-elle. Marc Lazar la dfinit ainsi : la culture prsente un ensemble dides, de valeurs
et de symboles, une configuration de croyances, daffectivit et de sensibilits, et une
multitude diversifie de rgles et de pratiques dont la combinaison donne une signification au
rel, faonne les comportements et conduit linculcation de normes sociales. 41 Souvent
analyses sur le plan thorique, ces cultures forgent aussi des comportements, des pratiques, et
des traditions, y compris dans la manire de concevoir une argumentation, quil convient
dtudier.
Sans prjuger du caractre syndical ou politique des dbats de tendance que nous
examinerons , on peut constater que la FEN devient un terrain de confrontation entre ces
deux cultures militantes. Ses dirigeants en ont conscience, lun deux, Kreisler, militant du
SNES, crit en 1949 dans le journal de la FEN, LEnseignement Public, que le but des
majoritaires consiste accepter la coexistence () de tendances qui, partout ailleurs
travers le monde, saffirment inconciliables et antagonistes, tout en se rclamant des mmes
principes et des mmes fins . Il conclut ainsi : En un certain sens, sil existe quelque part un
rideau de fer, il passe aussi lintrieur de la FEN 42.
Ce constat aboutit la question centrale de lunit du syndicalisme enseignant : cette unit
est-elle factice, et la FEN constituerait alors un cartel, ou bien la ralit du syndicalisme
enseignant transcende-t-elle ses lignes de dmarcation internes ? Si les courants staient
formaliss en fdrations concurrentes, la physionomie du syndicalisme enseignant aurait-elle
chang radicalement ? Dans loptique du cartel, le courant unitaire reprsente la version
enseignante du syndicalisme dopposition et la majorit de la FEN celle du syndicalisme de
ngociation. La configuration syndicale exceptionnelle de la FEN permet dtudier la
cohabitation sur une longue priode de ces deux cultures, de percevoir leurs diffrences relles
et leurs influences rciproques. En effet, une des principales sources de fiert de la FEN vient
de son caractre unitaire. Dautres exemples, telle la fdration du Livre CGT, le Syndicat
39Ainsi, Guy Caire et Thomas Lowit voquent un syndicalisme de revendication et dopposition et un syndicalisme de revendication et de contrle . In Encyclopedia Universalis, article Syndicalisme . 40 La CGT-FO allait faire sienne une certaine conception du syndicalisme qui, au del des circonstances historiques, reprsentait durablement une partie du mouvement ouvrier franais . BERGOUNIOUX Alain, La scission syndicale dans les PTT en 1946 , Paris, Le Mouvement Social, n 92, juillet-septembre 1975 - p. 3. 41 LAZAR Marc, Cultures politiques et partis politiques en France , pp. 169 190 in CEFA Daniel [sous la direction de], Cultures politiques, Paris, PUF, 2001, 525 p. - p. 171. 42 EP n 7, avril-mai 1949.
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Introduction
26
national des contributions indirectes-CGT dans les annes 1950, savrent plus marginaux.
Chaque courant sarroge lexclusivit de la prservation de lunit de la FEN en 1948. La
majorit rappelle quelle a conu et appliqu la solution de lautonomie. Issue de la tendance
Force Ouvrire de la CGT unie, elle nimaginait pas rester dans une CGT encore plus domine
par les communistes et a montr un courage politique certain en les acceptant au sein de la
FEN. On retient gnralement cette version, sans la complter par linterprtation
concurrente : les unitaires notent que lunit rsulte de leur prsence dans la FEN, alors que
dans les autres secteurs, les cgtistes ont construit des organisations spares. Ils ont donc
consenti un double sacrifice : se rsigner au statut de minoritaire et terme quitter la CGT.
Au nom de quelles motivations ?
B- Une solution originale linvitable pluralisme interne
Comment organiser lexpression des diffrences sans nuire son efficacit ? Ce problme
de lunit et de la gestion des dsaccords se pose sous des formes diverses toutes les
formations intervenant dans le champ social. Il gagne encore de limportance si on le
considre du point de vue dun courant minoritaire, pour lequel les conditions dorganisation
du dbat syndical et dlection des directions sont vitales. La majorit dispose toujours des
ressources des appareils syndicaux pour se coordonner et se faire entendre. Le syndicalisme,
recrutant sur une base professionnelle et non idologique, inclut obligatoirement des groupes
divers en son sein : toute son histoire en fait foi. Des groupements affinitaires apparaissent
dans la CGT ds 1909. Reconnus par la Confdration43, ils survivent leur interdiction lors
de la runification de 1935.
Ces groupes peuvent revtir plusieurs formes, dont la plus notoire se nomme tendance.
Yves Poirmeur la dfinit ainsi : les tendances sont des regroupements partiels et stables
dadhrents dun parti politique ou dun syndicat, qui dfendent des positions communes en
souhaitant les voir adopter par lensemble. Elles sont en comptition les unes avec les autres
pour exercer une influence sur les organes de direction, sur la formulation de sa politique, sur
la slection de ses dirigeants et la dsignation de ses reprsentants (). En tant que groupes
organiss et durables, elles induisent chez ceux qui sinvestissent en elles des comportements
stables et distinctifs et apparaissent donc comme des entits sociales individualises. 44 Les
tendances se distinguent donc des simples sensibilits par leur caractre organis, ce qui
correspond au processus dcrit par Pierre Bourdieu : le passage de limplicite lexplicite,
43 CHARLES Jean, A propos de la scission syndicale de 1921 , Mlanges d"histoire sociale offerts Jean Maitron, Editions ouvrires, 1976, 283 p. - pp. 62-63.
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Introduction
27
de limpression subjective lexpression objective, la manifestation publique dans un
discours ou un acte public constitue par soi un acte dinstitution et reprsente de ce fait une
forme dofficialisation, de lgitimation 45.
Nous considrons ncessaire de prciser la dmarcation entre courant et tendance, en
fonction dun critre objectif : la structuration du regroupement. Les militants et les
chercheurs ne pratiquent habituellement pas cette distinction. Dans notre conception, le terme
tendance dsigne des groupes structurs lintrieur dune organisation, disposant par
exemple dun fichier et dun bulletin, tandis que les formes prises par un courant sont plus
floues, informelles, autorisant une certaine fluidit des positions des militants. Selon ces
critres, la majorit et la principale minorit constituent des courants entre 1944 et 1959. Cette
rgle subit une exception pour les unitaires : dans leur priode cgtiste, ils se structurent en
tendance. Par contre, lEcole Emancipe reprsente lexemple mme dune tendance prenne.
Elle publie un bulletin intrieur et un journal mensuel et ses militants se runissent pendant
une semaine chaque t.
Les dirigeants de la FEN dduisent de l histoire mme des scissions syndicales que la la
scission se produit, lorsquune tendance na pas pu sexprimer ou a t brime 46. La FEN
se distingue des autres syndicats franais par ladoption solitaire dun systme de tendances
qui organise leur confrontation et garantit leur libert dexercice. Elle se range donc dans la
catgorie des organisations qui prfrent canaliser la diversit interne par le biais de
tendances, plutt que les refouler par des mthodes autoritaires. Depuis 1948, cette
structuration en tendances constitue un vritable credo de la majorit, tel point que les
statuts la mentionnent. Un consensus rgne ce propos chez les historiens : lunit de la FEN
a t prserve au prix de la reconnaissance du droit de tendance, dans une sorte de troc entre
autonomes et cgtistes47. Lide nous parat discutable, la fois pour des raisons
chronologiques (on commence adopter ce systme deux ans avant la scission, dans un
contexte trs diffrent) et parce que les unitaires ont longtemps combattu avec nergie le
systme des tendances.
Deux paradoxes dcoulent de ce constat : dune part, la principale minorit rcuse le
systme des tendances, qui thoriquement lui procure le plus de garanties. Dautre part, en un
demi-sicle, les positions des courants se sont inverses, puisque depuis la scission de 1992,
les statuts de la FEN interdisent les tendances48, alors que la nouvelle Fdration dirige par le
44 POIRMEUR Yves, Contribution ltude des tendances dans les partis et les syndicats, op. cit. - pp. 35-36. 45BOURDIEU Pierre La reprsentation politique , op. cit. - p. 4. 46 Martial. EP n 5, fvrier 1960. 47 Cf par exemple MOURIAUX Ren, Le syndicalisme enseignant en France, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1996, 126 p. - p. 36. 48Le rapport dactivit du congrs de 1993 du Syndicat des Enseignants, qui remplace le SNI, dclare : Les
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Introduction
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courant Unit et Action, la FSU, confirme leur existence. Force est alors de constater que
lofficialisation des tendances ne constituait pas lunique perspective offerte au syndicalisme
enseignant dans la gestion de son pluralisme. Danciens dirigeants de la FEN, Henri
Aigueperse et Robert Chramy, constatent eux-mmes l envers du dcor , savoir le
caractre souvent fig des dbats de congrs ou de conseils divers, chaque tendance y venant
avec ses positions pralablement tablies et ne cherchant ni les modifier ni tenter une
quelconque synthse. Limpression prvaut souvent dorganisations rduites une simple
juxtaposition de courants plutt que rellement unifies. 49 Du fait de lhostilit du courant
unitaire au systme adopt par la FEN, un riche dbat sest dvelopp sur les conditions
dexercice de la dmocratie interne, qui peut clairer dautres situations.
La position du courant unitaire ne manque dailleurs pas dambiguts, et varie selon les
circonstances. Il oscille entre son intrt de courant minoritaire et sa culture hostile aux
tendances, conformment au centralisme dmocratique du PCF et au fdralisme sans droit de
tendance de la CGT.
C- Nature des clivages : exclusivement idologiques ou portant sur tous
les domaines ?
Les clivages internes au syndicalisme proviennent-ils dune source politique ou politico-
syndicale ? Jean-Louis Robert examine ce problme laune de la scission confdrale de
1921 et repre, parmi ses causes, une cassure issue des pratiques militantes , entre un
syndicalisme qui exige des militants comptents et disponibles pour les nouvelles tches
syndicales et un syndicalisme recrutant des jeunes, plus instables qui exercent un
militantisme dusine ou de dpt . Il constate aussi une csure entre un rformisme
renouvel et rnov autour des perspectives dune action de lEtat dans les relations sociales
et un sentiment rvolutionnaire 50. Sur le long terme, Georges Pruvost et Pierre Roger
constatent que dans un syndicalisme aussi imprgn didologie que lest le syndicalisme
franais, le pluralisme structure des oppositions radicales sur des options de socit
essentielles , options qui traversent le sicle51. Dans cette perspective, les courants syndicaux
se dpartagent selon des clivages politiques et syndicaux.
Mais selon une seconde conception, qui envisage les tendances comme une source
adhrents ont dsormais la parole la place des tendances. Il faut en user . LEnseignant, n 20, 10 avril 1993. 49 AIGUEPERSE Henri - CHRAMY Robert, Un syndicat pas comme les autres : le SNI, op. cit. - p. 368. 50 ROBERT Jean-Louis, 1921 : la scission fondatrice ? , Paris, Le Mouvement Social, n 172, juillet-septembre 1995 - pp. 105 et 108. 51 PRUVOST Georges, ROGER Pierre, Unissez-vous ! Lhistoire inacheve de lunit syndicale, Paris, VO
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Introduction
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extrieure de division du syndicalisme, laspect politique prime52. Dans le cas de la FEN, la
majorit valide cette thorie. Pourtant, la ligne de dmarcation spare galement plusieurs
visions de lcole et de la socit et la division politique en question ne concerne pas tous les
partis, par exemple les radicaux. De la rponse envisage (clivages exclusivement politiques
ou simultanment politiques et syndicaux) dpend linterprtation des divergences entre la
majorit de la FEN et le courant unitaire. Soit elles ne servent en dfinitive qu masquer des
enjeux partidaires et des querelles de clan, soit le courant unitaire apparat porteur dun
vritable projet syndical, quil est capable de faire vivre concrtement, par le biais de
pratiques diffrentes, plus combatives et moins dlgataires.
Une reprsentation courante de lopposition entres les deux tendances principales de la
FEN imprgne les esprits et en propose une interprtation corporative : la majorit dfendrait
les intrts des instituteurs et le courant unitaire ceux des professeurs53. Si les tendances
doivent composer avec les heurts entre identits professionnelles, et en jouent quelquefois, il
convient de ne pas perdre de vue le fait quelles constituent des regroupements sur une base
idologico-syndicale et grent en leur sein les mmes contradictions que la FEN.
Lassimilation entre le SNES et le courant unitaire provient du blocage apparu aprs 1967,
lorsque son changement de majorit impose aux commentateurs lvidence de linfluence du
courant. Le courant unitaire semble alors porteur des intrts quasi exclusifs des professeurs.
Le SNES et les autres syndicats quil dirige (SNESup, SNEP) ayant pour point commun
dappartenir la sphre de lenseignement du second degr et de lenseignement suprieur.
Or, ce nest pas le courant qui dfend le point de vue de ces professeurs, mais leurs syndicats.
La nuance permet de ne pas ngliger la prsence de nombreux instituteurs dans le courant,
quils dominent jusque dans les annes 198054. Cette ralit devient vidente depuis la
cration de la FSU et la monte en puissance du Syndicat national unitaire des instituteurs et
professeurs dcole (SNUIpp) lintrieur de celle-ci. La perception de lidentit du courant
unitaire dans les annes 1950 implique donc de ne pas se concentrer sur les professeurs.
D- Nature de linteraction entre la FEN et sa principale minorit
Dans quelles conditions merge le modle FEN et que lui apporte la minorit ? Plusieurs
ditions et Editions de lAtelier, 1995, 272 p. - p. 41. 52 AUBERT Vronique et alii, La forteresse enseignante, op. cit. - p. 57 53 Par exemple : COMPAGNON Batrice et THEVENIN Anne, Histoire des instituteurs et des professeurs, de 1880 nos jours, Paris, Perrin, 2001, 361 p. - p. 249. 54 Ils reprsentent alors un tiers du SNI qui compte beaucoup plus dadhrents que le SNES, si bien que les instituteurs reprsentent presque autant dlecteurs Unit et Action dans les congrs de la FEN que les professeurs.
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Introduction
30
obstacles sopposent un sujet exclusivement consacr au courant unitaire : aucune tude ne
porte sur lorganisation de la FEN en tendances, ni sur le dtail des vnements traits dans la
priode, et lidentit fluctuante du courant limite certains moments ses productions crites. Il
ne se dote dun bulletin rgulier qu partir de 1970. Ceci nous contraint analyser le systme
en mme temps que lune de ses composantes, travers des sources communes. Ce mode
opratoire a permis de tester la validit de cette proposition dYves Poirmeur :
lappartenance des tendances un mme ensemble leur confre une identit commune, dont
on trouve les traces et les stigmates dans leur discours, leur fonctionnement et leur
organisation. 55
Notre problmatique porte donc sur linteraction entre la FEN et sa principale minorit, pas
seulement sur cette minorit en soi. En effet, le courant imprime sa marque sur le modle FEN
par sa capacit daction autonome et son attitude. Dans sa priode constructive, la
Libration, ses dirigeants exercent pour la premire fois des responsabilits et dmontrent leur
comptence en jouant un rle moteur dans la reconstruction du syndicalisme enseignant. Paul
Delanoue, responsable des structures de la Fdration, impulse sa transformation en
Fdration de lEducation Nationale en 1946 ; en tant que secrtaire laque du SNI, il propose
la cration de la Fdration des Conseils de Parents dElves. Le courant apporte alors un
souffle nouveau laction syndicale, par une forte attention la jeunesse et une combinaison
de volontarisme et de pragmatisme. Dans ses priodes les plus sectaires, il ne perd pas son
aptitude diriger des syndicats nationaux (le SNESup, le syndicat des bibliothques) et des
sections locales.
Grace ce jeu de miroirs, nous esprons approfondir la connaissance de toutes les
composantes de la FEN. Cette relation concerne deux phnomnes qui ne relvent pas du
mme ordre : dun ct une organisation syndicale, de lautre un courant de cette organisation,
aux prrogatives nettement plus limites. Le pronom possessif sa souligne cette
ambigut : le courant unitaire est un sous-ensemble de la FEN, et ce titre participe sa vie.
Pourtant, certaines occasions, les diffrences lemportent sur les points communs, et la vie
propre du courant le fait sopposer la Fdration qui lenglobe, en sextriorisant.
La majorit ne ressent pas le besoin de sorganiser autant que les minorits, et laisse bien
peu despace aux opposants pour contribuer luvre commune. Le principe de
lhomognit des excutifs (les directions importantes se composent exclusivement de
militants majoritaires) institue une ingalit fondamentale entre militants, dont certains ne
peuvent occuper aucune responsabilit notable. Yann Maury signale ce paradoxe propos du
journal du SNES, direction unitaire aprs 1967 : Jamais un article de fond, un dossier, ne
55 POIRMEUR Yves, Contribution ltude des tendances dans les partis et les syndicats, op. cit. - p. 158.
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sera ralis par un minoritaire. Linformation au SNES, celle qui est srieuse ; cest celle
que diffuse la direction Unit et Action. De fait, on peut ds lors considrer que LUniversit
Syndicaliste nest pas un journal syndical, mais un journal de tendance. 56 La majorit de la
FEN sidentifie lorganisation quelle dirige. Linteraction seffectue donc autant entre une
institution, la FEN et une institution incluse, le courant unitaire, quentre des institutions de
rang quivalent, les tendances57.
III- LES CONTOURS DE LOBJET HISTORIQUE
Nous avons opr une srie de choix, en fonction de notre objet et des recherches
prexistantes. Une histoire du syndicalisme qui sappuie sur lanalyse des identits
professionnelles doit prciser quelques donnes : le niveau pertinent didentification, les
volutions des milieux sociaux concerns. De mme, quelles tendances tudier, quelle place
confrer lhistoire des enseignants communistes ?
A- Lvolution des identits professionnelles enseignantes
Le syndicalisme sappuie sur un systme didentit, dont la source peut provenir dune
communaut de culture, dun mtier, dun statut, du systme de production... Denis Segrestin,
dfinit lidentit professionnelle comme le support de lintgration sociale la communaut
de travail ; en tant que donne culturelle , cette notion nexclut aucune forme didentit
et elle tend mme naturellement se cristalliser sur les systmes didentit sociale les plus
proches du travailleur ou les plus mme de le protger, de le servir. 58 Dans une perspective
comprhensive, Philippe Corcuff estime propos du syndicalisme cheminot : Lintrt
commun un groupe dindividus nest pas considr comme naturel ou objectif, mais
construit et objectiv. Il nexiste donc pas de sparation tranche entre, dune part, le travail
syndical et politique de reprsentation et de mobilisation et, dautre part, les intrts
reprsents 59.
Il convient donc de reprer lidentit qui fait sens aux yeux des enseignants et dont la
56 MAURY Yann, Contribution une morphogense du syndicalisme enseignant. Le SNES et ses tendances (1966-1979), Thse de 3cycle, Reims, [Chevalier], 1979, 493 p. - pp. 134-135. 57 POIRMEUR Yves, Contribution ltude des tendances dans les partis et les syndicats, op. cit. - p. 150. 58 SEGRESTIN Denis, Lidentit professionnelle dans le syndicalisme franais , conomie et Humanisme, n 245, janvier-fvrier 1979 - p. 19. 59 CORCUFF Philippe, Le catgoriel, le professionnel et la classe : usages contemporains de formes historiques , Paris, Genses, n3, fvrier 1991 - pp. 55-56.
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mobilisation confre une telle force aux institutions syndicales quils ont cres. Plusieurs
dimensions identitaires embotes savrent pertinentes pour un salari du systme ducatif :
le mtier exerc (par exemple, professeur agrg en lyce ou institutrice en cole maternelle)
galement nomm catgorie60, la profession proprement dite (instituteur, personnel de
direction ou professeur), le fait denseigner, le statut de fonctionnaire et enfin la condition de
salari61.
En dsignant la condition dinstituteur ou de professeur comme le niveau didentification
professionnel, nous oprons un choix conforme celui de Jacques Girault : les institutions
scolaires tant hirarchises, pendant longtemps lenseignant ne se dfinit pas avant tout
comme un enseignant ; instituteur ou professeur, il se dit et se vit comme tel. 62 Les syndicats
nationaux de la FEN correspondent en gnral une profession. Ils fournissent un important
travail, par leur discours et leur existence mme, dhomognisation des diffrentes catgories
en professions, autour de catgories centrales, en minimisant les contradictions et les forces
centrifuges. Cet effort se justifie par le besoin de construire un espace social homogne, afin
de renforcer laction collective et de sauto-lgitimer. Par exemple, la profession des
professeurs se construit en rfrence lexemple du professeur agrg dune discipline dite
noble de lyce, mais elle inclut les certifis, les professeurs de collge aprs les annes 1960 et
mme les surveillants. La mme organisation, le SNES, syndique toutes ces catgories.
Une identit englobe la prcdente dans une relation conflictuelle, celle denseignant. Nous
devons admettre la prsence dune conscience minimale de points communs chez les
instituteurs et professeurs ds cette poque. Leur sort commun dducateurs, qui transmettent
des connaissances aux enfants et les veillent intellectuellement, transcende leur opposition.
Comme tout mythe, celui de lenseignant tire sa force de sa part de vrit. Dailleurs, le
syndicalisme consolide galement cette identit collective, par laction de la Fdration. Nous
ne ngligeons pas limpact de LEnseignement Public, de lexistence de la MGEN et des
autres associations para-scolaires, qui structurent le milieu en sadressant lensemble des
enseignants.
Dans son action quotidienne, le syndicalisme mobilise ces diffrents niveaux
didentification des personnels, selon les ncessits et les circonstances. Comme Philippe
Corcuff, nous envisageons leur articulation, les rapports quotidiens au sein du mouvement
60 La complexit de cette premire dimension provient de sa double origine : statutaire, un certifi dispose de moins davantages quun agrg, et fonctionnelle, un professeur de lyce nexerce pas exactement le mme mtier quun professeur de collge. Sans compter les diffrences de culture entre les diffrentes disciplines (histoire, mathmatiques) 61 FRAJERMAN Laurent, Salaris, fonctionnaires, enseignants, ou professeurs et instituteurs ? Identits collectives et choix revendicatifs du courant unitaire de la FEN, 1945 1960 in GIRAULT Jacques, paratre aux Publications de la Sorbonne. 62 Le titre de son livre rflte galement cette option : GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture
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syndical entre le catgoriel, le professionnel et la classe comme un montage composite entre
des ressources appartenant des formalisations diffrentes du lien social. 63
La pdagogie occupe une position mineure dans les crits et discours syndicaux. La FEN et
ses syndicats privilgient dun ct les services rendus aux syndiqus (cours prts lemploi
de LEcole Libratrice) et de lautre les rformes de structure de lEducation Nationale. Les
articles sur la pdagogie nouvelle demeurent rares, lhostilit ces ides encore plus. Ce
tableau ne diffre pas fondamentalement pour les militants unitaires. Andr Robert divise la
pdagogie en quatre sous-catgories, la transformation progressiste du systme ducatif , la
relation entre cole et pouvoir , la prise en compte de la fonction de lcole dans le
processus de diffrenciation sociale et enfin celle des caractristiques du public scolaire et
exigences affrentes 64. Parmi elles, seule lide dune transformation du systme ducatif
suscite des dbats importants, en lien avec la concurrence des identits professionnelles.
J.M. Donegani et M. Sadoun remarquent ce sujet quil nest pas dexemple o il y ait
contradiction entre les ractions des syndicats et associations denseignants aux projets
prsents par le pouvoir et les intrts professionnels dcoulant de la position occupe dans le
champ de lenseignement. 65 Les auteurs de La forteresse enseignante se demandent par
ailleurs si son objectif consiste : Dfendre les matres sans repenser lcole ? 66. Les
prises de position pdagogiques des syndicats enseignants rsultent-elles uniquement
dintrts corporatistes ? Jean-Claude Ruano-Borbalan relativise cette ide lchelle du SNI,
au sens o celui-ci dfend plus une vision normative et pdagogique de lEcole et de
linstituteur que les intrts troits des instituteurs en place67. Il reste tendre ce type
danalyse aux autres syndicats de la FEN, mme si la pdagogie ne constitue pas le cur de
notre recherche.
La cohabitation de ces identits professionnelles dans la FEN produit de nombreux
conflits, fruit de leur contraste, dcel par le seul nom des syndicats. Alors que le SNI est le
syndicat des instituteurs, le SNES se prsente comme celui dun enseignement, preuve dune
insuffisance dhomognit du corps, qui permettrait une appellation commune, marque de
lidentit (le professeur appartient llite du corps enseignant dans lenseignement
secondaire, son mtier diffre de celui de ladjoint denseignement ou du surveillant). Lunit
de la profession dans lenseignement secondaire apparat plus fragile, presque administrative,
syndicale dans la socit franaise, op. cit. - p. 238. 63 CORCUFF Philippe, Le catgoriel, le professionnel et la classe , op. cit. - pp. 68-69. 64 Les deux dernires sont quasiment absents de nos sources. ROBERT A.D., Le syndicalisme enseignant et son discours (1968 - 1999) , MOTS, n 61, dcembre 1999, pp. 105 122 - p. 108. 65 DONEGANI J.M., SADOUN M., La rforme de lenseignement en France depuis 1945, analyse dune non-dcision , Paris, Revue franaise de science politique, dcembre 1976 - p. 1141. 66 AUBERT Vronique et alii, La forteresse enseignante, op. cit. p. 189. 67 RUANO-BORBALAN Jean-Claude, Le SNI face aux projets de rformes de lenseignement, op. cit. p. 49.
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en comparaison de celle de lenseignement primaire.
Comment voluent ces deux professions dans un contexte dexplosion scolaire ? La
massification de lenseignement secondaire mtamorphose le corps des professeurs du second
degr. Antoine Prost repre trois paramtres : le corps a chang de taille ; il est, dans son
ensemble, moins qualifi ; il exerce dans des conditions dgrades. En 1950, les lyces
comptaient quelques dizaines de professeurs, qui se connaissaient tous, et chaque rentre
napportait que quelques nouveaux, facilement intgrs. Or, lafflux de nouveaux matres
brouille ces donnes traditionnelles ; avec cent ou deux cents professeurs, les lyces sont
devenus des usines, o lon ne connat que ses collgues les plus proches par la classe ou par
la discipline. 68 Un tel bouleversement induit obligatoirement des turbulences pour les
appareils syndicaux.
En ce qui concerne les instituteurs, lvolution moins brutale constitue nanmoins un choc,
qui selon Vronique Aubert se traduit par la diversit des attributs sociologiques et
statutaires . Le recrutement de nombreux auxiliaires fragilise lefficacit de la socialisation
traditionnelle, par lintermdiaire de la formation dispense par lEcole normale. Cependant,
la constitution dun noyau structurant , le groupe des normaliens, prserve la cohsion
des opinions et des comportements du corps69. Les appareils intgrateurs dcrits par P
Bacot conservent leur capacit70, malgr des coups de semonce contre lunit du corps des
instituteurs. La cration en 1958 du Syndicat national des collges, dissidence des instituteurs
exerant en cours complmentaires du SNI, dmontre que lvolution des identits
professionnelles npargne personne. Elle reprsente galement lun des marqueurs de la
mutation du modle FEN la fin des annes 1950.
B- Une tude centre sur deux courants de la FEN
Malgr lemploi de lexpression syndicalisme enseignant , nous centrons notre tude sur
la FEN, syndicat qui domine largement le secteur ducatif public. Sa puissance la dispense
dans les annes 1950 de toute concertation avec ses concurrents syndicaux. Elle varie certes
selon les ordres denseignement, les syndicats FEN de lenseignement secondaire se
contentant de nettes majorits lectorales. Nanmoins, les dbats importants se droulent en
son sein. Le SGEN (CFTC puis CFDT) nouvre une brche dans le quasi-monopole exerc
68 PROST Antoine, Histoire de lenseignement en France, 1800-1967, Paris, A. Colin, 1977, 524 p. - p. 452. 69 AUBERT Vronique, Systme professionnel et esprit de corps , op. cit. - pp. 79-80. 70 Le syndicat, lcole normale, la FCPE BACOT P., Le comportement lectoral des instituteurs , Paris, Revue franaise de science politique, n 6, dcembre 1977 - p. 914.
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par la FEN qu partir des annes 196071. Maurice Agulhon voque cette atmosphre propos
de lEcole Normale Suprieure dUlm la Libration : Il ny a eu longtemps quun seul
syndicat, le SNES. On parlait dailleurs du syndicat tout court. Je pense que la majorit des
lves tait syndique 72. La position dominante de la FEN et de ses syndicats se maintient
parce quelle reprsente la profession, devenue institution sociale73. Ses rapports avec les
autres syndicats enseignants sont instructifs.
Pourquoi ne pas se contenter de lanalyse du SNI ? Aprs tout, il domine la FEN, dont il
reprsente lorganisation la plus puissante et la mieux structure. En 1954, 75 % des effectifs
fdraux proviennent de ce seul syndicat74. Composante essentielle de la FEN dans cette
priode, le SNI apparat mme plus important et plus riche quelle, au point de ngocier une
place spcifique dans toutes les instances officielles, aux cts de sa Fdration. Etudier la
Fdration sans le SNI aboutirait ignorer lorigine de la majorit de ses dcisions, telle que
lautonomie. A linverse, on ne saurait arguer de cet tat de fait pour rduire ltude du
syndicalisme enseignant celle de ce syndicat, conformment une tentation frquente. La
cohabitation avec les syndicats dautres secteurs de lEducation nationale cre de multiples
difficults au SNI, quil aurait pu viter en conservant son indpendance. Par consquent, il
faut admettre que la Fdration reprsentait une valeur ajoute pour son activit. Lhistoire de
la FEN est justement celle dune monte en puissance progressive, qui mrite analyse.
De plus, procder de la sorte ne livrerait pas les cls de comprhension du syndicalisme des
autres ordres denseignement. La FEN tente dlaborer une synthse des cultures qui
cohabitent en son sein. Les diffrences touchent tous les domaines, du rapport aux syndiqus
aux formes de structuration interne. Naturellement, une connaissance approfondie du SNI
reste ncessaire pour ltude de la FEN, et quelquefois nous nous basons uniquement sur ce
syndicat. Cependant, ltude des autres syndicats et de la Fdration en soi nous parat
indispensable, pour apprhender leur interrelation. La diversit de la FEN mane donc de
deux axes : laxe professionnel, avec les nombreux conflits entre ses syndicats, et laxe
idologique, avec les luttes entre courants.
Ce pluralisme interne ne se rsume pas la majorit et au courant unitaire. Une troisime
tendance sexprime dans la FEN, la tendance syndicaliste-rvolutionnaire Ecole Emancipe
(EE). Cette tendance participe de loriginalit de la FEN : les militants dextrme-gauche
bnficient rarement dune position reconnue dans les syndicats. Elle mriterait une analyse
71 Les syndicats FEN recueillent 84 % des voix aux lections paritaires enseignantes de 1953, contre 10 % au SGEN. SIWEK-POUYDESSEAU Jeanne, Les Syndicats de fonctionnaires depuis 1948, op. cit. p. 75. 72 Interview de Maurice AGULHON, le 5 janvier1999. Points de repres, n 23, fvrier 2000 - p. 42. 73 Lanalyse vaut pour les verriers : la fdration CGT, cest lunit historique du corps. SEGRESTIN Denis, Du syndicalisme de mtier au syndicalisme de classe , op. cit. - p. 168. 74 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale, op. cit. p. 294.
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particulire, et donc un travail en soi. Celui-ci se serait impos dans notre thse sil tait
apparu que lEE constitue une opposition aussi importante que le courant unitaire. Or, elle
savre marginale, recueillant 6,6 % des mandats au congrs de la FEN de 1954, ne dirigeant
aucun syndicat national de la FEN, et trs peu de sections dpartementales. Il est donc permis
de douter de la capacit de lEE de se transformer en un syndicat alternatif crdible et de
mettre en uvre ses orientations de manire indpendante. Cette tendance dispose dune
marge de manuvre limite, en regard de celle du courant unitaire.
LEcole Emancipe entretient des relations ambigus avec la majorit rformiste. En effet,
elle ne sinvestit pas dans les directions, dlguant cette responsabilit la majorit, tout en
collaborant quelquefois avec elle (entre 1946 et 1949), voire en fusionnant, dans le cas du
SNES. Elle se cantonne le plus souvent une intervention notable dans les dbats thoriques
de la FEN. Elle justifie cette alternance de splendide isolement et dalliance avec la majorit
par son hostilit irrmdiable au PCF et au stalinisme. Cela entrave toute relation triangulaire
avec le courant unitaire et fige les rapports de force internes. La contribution de lEE la
dfinition du modle FEN se limite la priode daffirmation de sa proximit avec la
majorit, qui lui donne loccasion dinfluencer efficacement le sort de la FEN en 1948. Les
militants EE lgitiment le choix de lautonomie sur le plan idologique et historique, ils
rdigent lessentiel de la motion Bonissel-Valire, manifeste de lautonomie du SNI et de la
FEN. Aussi la question de lunit maintenue, de linteraction avec la majorit nous semble-t-
elle moins pertinente que dans le cas du courant unitaire.
C- Une tude de la domination syndicale
Michel Pigenet formule un constat : les problmes dorganisation ne passionnent gure
les historiens qui, presss de passer aux choses srieuses, se satisfont souvent de brves
prsentations aux allures de lexique. A tort. Si lon se fie aux comptes rendus de congrs et
aux procs-verbaux des runions internes, il apparat que les militants ne tenaient pas pour
ngligeables des questions dont ils mesuraient les enjeux pratiques et doctrinaux. 75 A
lvidence, notre thse participe dune rflexion globale sur la vie des organisations, leur
fonctionnement et les implications de leurs choix structurels. Le syndicalisme combine
mouvement social et institution, et la forme quil revt influe directement sur les actions et les
images sociales quil promeut. Les structures adoptes servent de rvlateur de la forme de
militantisme pratique. Assigner lhistoire organisationnelle une place subalterne, loin
75 PIGENET Michel, Le mtier ou lindustrie ? Les structures dorganisation et leurs enjeux dans le mouvement syndical franais au tournant du sicle , Paris, Cahiers dhistoire Espaces Marx, n62, 1996 - p. 26.
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derrire les dbats dides et la description des combats livrs par les organisations tudies,
reviendrait ignorer la place stratgique quon lui accorde dans de nombreux congrs de la
FEN. A cette occasion, les unitaires centrent leur activit et leur propagande sur le
dpassement des tendances ; la question de la morphologie du syndicalisme enseignant ne
relve donc pas uniquement de la tactique, mais se situe au cur des enjeux.
Cependant notre sujet est moins consacr une tendance en soi et la vie interne du
syndicalisme enseignant quaux reprsentations et pratiques dont ces institutions sont les
vecteurs. Sinon, nous nous exposerions privilgier les querelles de pouvoir, voire de
personnes, invitables dans toute aventure humaine. Elles ne mritent analyse que dans le but
dtablir les procdures concrtes de domination en usage lintrieur du syndicalisme
enseignant. Robert Michels a ouvert la voie dune tude des bureaucraties syndicales et
politiques : Qui dit organisation, dit tendance loligarchie. Dans chaque organisation, quil
sagisse dun parti, dune union de mtiers, etc., le penchant aristocratique se manifeste dune
faon trs prononce. 76 Peut-on nuancer cette thorie ? Pour ne pas nous focaliser sur le
sommet, nous articulerons ltude de trois niveaux : adhrents, militants et dirigeants.
Comment fonctionnent les appareils nationaux et locaux des syndicats enseignants ?
Ladquation entre les structures et les normes quils diffusent et celles de ladministration de
lEducation nationale constitue lun de leurs atouts. Adeptes de la dlgation de pouvoir, ces
bureaucraties syndicales slectionnent leurs membres et disposent de nombreuses
prrogatives, notamment sur les carrires professionnelles des syndiqus. Mais leur puissance
repose aussi sur leur capacit obtenir ladhsion de leur base, dmontre par exemple par des
taux de grvistes trs importants. La FEN, soucieuse de prserver ce capital de lgitimit, ne
propose pas dinitiatives sans senqurir de ltat desprit des syndiqus. Comment son
appareil les consulte-t-il ? Les motivations des adhrents, leurs formes de participation la vie
syndicale nous informent sur leur rapport lorganisation, leur capacit dintervention sur son
orientation et ses dcisions concrtes.
76 Dans une tude du parti social-dmocrate allemand du dbut de ce sicle : MICHELS Robert, Les partis politiques, Paris, Flammarion, 1971, 309 p. - p. 33
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D- Syndicalistes unitaires et enseignants communistes
Llment le plus couramment retenu pour caractriser le courant unitaire est dorigine
extra-syndicale : on le qualifie de courant communiste. Ainsi, les auteurs de La Forteresse
Enseignante expliquent quen 1966, les enseignants communistes se regroupent dans Unit
et Action 77. Pierre Roche consacre la FEN-CGT un tiers de sa thse sur les instituteurs
communistes, sans prouver le besoin de justifier ce choix78. A lappui de cette ide, on
signale ladhsion au PCF dun grand nombre danimateurs et mili