solidarité guatemala 204

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Ríos Montt condamné pour génocide au Guatemala, annulation illégale du verdict par la Cour constitutionnelle Lettre d’information du Collectif Guatemala 1 Solidarité Guatemala n°204 juillet 2013 Numéro 204 juillet 2013 Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire 75011 Paris - France Tel: 01 43 73 49 60 [email protected] www.collectifguatemala.org Directrice de publication : Isabelle Tauty Chamale ISSN 1277 51 69 Ont participé à ce numéro : Amandine Grandjean, Marilyne Griffon, Plinio Lepe, Louise Levayer, Isabelle Tauty, Maxime Verdier, Martin Wil- laume. Edito : Impunité au Guatemala, deux pas en avant, un pas en arrière par Marilyne Griffon p.2 Procès pour génocide : accuser pour mieux défendre par Maxime Verdier p.3-5 Entretien avec l’avocate espagnole Sofia Duyos Propos recueillis par Marilyne Griffon p.6-8 Barillas: Rubén Herrera libéré ! Mais la situation des défenseurs reste préoccupante… par Amandine Grandjean p.9 Brèves p.10-11 Femmes ixils célébrant le verdict du tribunal du Guatemala, 10 mai 2013 SOMMAIRE © Maxime Verdier © James Rodríguez

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- Edito: Impunité au Guatemala, deux pas en avant, un pas en arrière, page 2, par Marilyne Griffon - Procès pour génocide : accuser pour mieux défendre, par Maxime Verdier, pages 3 à 5 - Entretien avec l'avocate espagnole Sofia Duyos, pages 6 à 8, par Marilyne Griffon - Barillas: Rubén Herrera libéré, la situation des défenseurs reste préoccupante, page 9 par Amandine Grandjean - Brèves, pages 10 et 11

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Page 1: Solidarité guatemala 204

Ríos Montt condamné pour génocide au Guatemala,

annulation illégale du verdict par la Cour constitutionnelle

Lettre d’information du Collectif Guatemala

1 Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

Numéro 204

juillet 2013

Collectif Guatemala 21 ter, rue Voltaire

75011 Paris - France Tel: 01 43 73 49 60

[email protected] www.collectifguatemala.org

Directrice de publication : Isabelle Tauty Chamale ISSN 1277 51 69

Ont participé à ce numéro : Amandine Grandjean, Marilyne Griffon, Plinio Lepe, Louise Levayer, Isabelle Tauty, Maxime Verdier, Martin Wil-laume.

Edito : Impunité au Guatemala, deux pas en avant, un pas en arrière

par Marilyne Griffon p.2

Procès pour génocide : accuser pour mieux défendre

par Maxime Verdier p.3-5

Entretien avec l’avocate espagnole Sofia Duyos

Propos recueillis par Marilyne Griffon p.6-8

Barillas: Rubén Herrera libéré ! Mais la situation des défenseurs reste préoccupante…

par Amandine Grandjean p.9

Brèves p.10-11

Femmes ixils célébrant le verdict du tribunal du Guatemala, 10 mai 2013

SOMMAIRE

© Maxime Verdier

© James Rodríguez

Page 2: Solidarité guatemala 204

2

Edito

Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

1 Pour écouter et lire la condamnation : « Audio de la sentencia con-

denatoria en el juicio por genocidio », Association justice et réconcilia-

tion (AJR), 10 mai 2013.

2 Selon Benjamin Jerónimo, président de l’AJR, partie civile dans le

procès et lui-même survivant des massacres.

3 Sur les violations sexuelles comme armes de guerre, voir « Violencia

Sexual como arma de guerra », AJR, avril 2013.

4 Toutes les audiences du procès peuvent être réécoutées en ligne sur le

site Coordinacion genocidio nunca mas.

5 Jerson Ramos, « Exfuncionarios están procesados en España », Prensa

Libre, 23 mai 2013.

6 « El presidente de Guatemala elegido lider del ano », El Pais, 31 mai

2013

L e 10 mai 2013, le tribunal de Ciudad de Guatemala

marquait les annales judiciaires internationales en

condamnant pour génocide l’ancien dictateur José

Efraín Ríos Montt à quatre-vingt ans de prison

ferme : la peine maximale. Cinquante ans pour crimes de géno-

cide. Trente ans pour crimes contre l’humanité. Un grand pas

venait d’être franchi au royaume de l’impunité. Le 20 mai

2013, la Cour constitutionnelle guatémaltèque votait l’annula-

tion de la condamnation.

Ríos Montt arriva au pouvoir le 23 mars 1982 à la suite d’un

coup d’Etat. Il en fut chassé par un autre, mené par son mi-

nistre de la défense, Oscar Mejía Victores, le 8 août 1983. Son

bref passage au pouvoir demeurera le plus sanglant des trente-

six années du conflit armé le plus meurtrier du continent améri-

cain au XXe siècle : 200 000 morts, 45 000 disparus et des mil-

lions de déplacés entre 1960 et 1996. Evangéliste fanatique,

Ríos Montt s’est alors employé à combattre la guérilla à travers

les techniques apprises à l’Ecole des Amériques et à endiguer

tout désir de mieux partager les richesses dans un pays où, à

l’époque, dix familles possèdent 80 % des terres. Mais son zèle

a transformé la répression en véritable massacre.

Les communautés mayas ixils des montagnes du Quiché, par-

ties civiles dans le procès pour le massacre de 1 771 personnes,

étaient alors considérées comme « subversives, communistes et

terroristes2 » : elles devaient donc être exterminées. C’est ce

que les juges ont conclu des preuves versées par l’accusation,

comme les plans militaires Victoria 82 et Plan Sofía, ainsi que

les quatre-vingt-seize témoignages de survivants et d’experts,

anthropologues et légistes, qui se sont succédés aux audiences

depuis l’ouverture du procès, le 19 mars 2013. Tous, sans ex-

ception, ont rapporté la cruauté du sort réservé aux Ixils : viols

systématique des femmes3, victimes enterrées vivantes, décapi-

tations, tortures, réduction des corps à l’état d’objet… Un

homme, enfant à l’époque, a ainsi relaté comment les militaires

se sont servis de la tête d’une grand-mère comme d’un ballon

de foot4.

Le verdict du 10 mai, tant attendu, est tombé trente et un ans

après les faits, treize ans après le premier dépôt de plainte et

après avoir surmonté soixante-douze recours et une demande

d’amnistie. Mais il reconnaissait enfin, au niveau national et

international, la réalité des massacres perpétrés contre les

Mayas Ixils, la souffrance des survivants et le bien-fondé de

leur combat pour la justice. Une telle condamnation semblait

impensable il y a à peine deux ans, lorsque l’accusé occupait

encore, depuis près de dix ans, le siège de représentant du

peuple à l’Assemblée Nationale, s’étant même présenté aux

élections présidentielles de 2003.

Toutefois, malgré le « lâchage » du général de 86 ans, qui ex-

plique en partie l’ouverture des poursuites actuelles, la défense

compte toujours avec des appuis haut placés au sein de l’oli-

garchie économique, politique et militaire du pays, qui lui don-

nent les moyens « d’influencer » la justice. Parmi eux, le Co-

mité coordinateur des associations agricoles, commerciales,

industrielles et financières (CACIF, l’équivalent du Medef en

France) ou la fondation contre le terrorisme qui ont dénoncé le

procès et le rôle joué par les organisations internationales.

Maxime Verdier, volontaire du Collectif Guatemala, présent

lors des audiences, analyse ce contexte de diffamation et no-

tamment cette bataille d’influence (p.3-5).

La plus haute juridiction du Guatemala a donc suivi les ordres

du CACIF et votél’annulation de la condamnation et le retour

en arrière du procès au 19 avril dernier, lorsque les avocats de

la défense avaient déposé un énième recours. Un hasard ? L’un

des témoins de la défense venait de mentionner l’actuel prési-

dent de la République, Otto Pérez Molina, général chargé du

commandement militaire dans la région ixil sous le régime de

Ríos Montt. Celui-ci aurait, à l’époque, commandé les incen-

dies des communautés de la région.

En attendant, la plainte déposée en Espagne, selon le principe

de justice universelle, contre Ríos Montt et sept autres ex-

fonctionnaires impliqués dans des crimes commis durant le

conflit armé5, suit toujours son cours.

Dans ce pays soumis à l’arbitraire, les victimes devront donc

continuer à se battre pour que la victoire du 10 mai l’emporte

sur la défaite du 20… Le Collectif Guatemala continue d’être

présent auprès des communautés : 4 nouveaux volontaires re-

crutés en mai partiront en 2013 pour poursuivre l’accompagne-

ment protecteur sur le terrain. En France, nous avons accueilli

en juin l’avocate espagnole Sofia Duyos, impliquée auprès des

victimes depuis de nombreuses années, pour une conférence

(p.6-8), l’exposition sur la mémoire photographique ixil y a été

présentée pour la première fois hors du Guatemala. Nous avons

également dénoncé avec d’autres associations dans une tribune

publiée sur le site du Monde (p.11) l’annulation du verdict du

procès alors même que l’on assiste à une persécution croissante

des défenseurs du territoire comme à Barillas (p. 9) ou à San

Rafael las Flores (p.10). Cette recrudescence des conflits so-

ciaux autour de l'exploitation et du contrôle des ressources na-

turelles n’a pas empêché le président du Guatemala de se voir

décerner le prix du dirigeant de l’année par la Banque Intera-

méricaine de Développement6... ■

Impunité au Guatemala : deux pas en avant, un pas en arrière

Par Marilyne Griffon * édito publié en partie le 27 mai sur les blogs du Monde Diplomatique: http://bit.ly/14Y2HUt

Page 3: Solidarité guatemala 204

Actualités

3 Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

Ouverture du procès, ouverture des hostilités

En ce matin du 19 mars 2013, jour d’ouverture du débat oral et

public, les nombreux Guatémaltèques venus de tout le pays

soutenir les témoins attendent l’ouverture d’un procès espéré

depuis 30 ans. Le calme dissimule difficilement l’angoisse. Le

nouvel avocat de José Efraín Ríos Montt, Me García Gudiel,

ouvre les hostilités de façon indiscriminée, à l’encontre de tous

ceux qui participent ou assistent de près ou de loin au bon dé-

roulement du procès. Sous les applaudissements des familles

des accusés et des militaires, Me García Gudiel déclame un

discours véhément accusant les étrangers de diviser le pays et

justifiant sa propre présence dans cette salle par une forme de

« résistance contre le délitement de l’unité nationale », plaçant

son client en victime d’une hypothétique réminiscence de la

guérilla. Il interpelle la Cour et la presse présente en nombre ce

premier jour, « regardez cette salle, regardez bien, et voyez la

majorité d’étrangers présents, ce n’est pas un procès entre

Guatémaltèques, c’est l’étranger contre nous ! ». Bien enten-

du, la présence internationale ne représentait en réalité qu’une

minorité des personnes présentes mais bien visible (corps di-

plomatique en grande pompe).

En face, Me Edgar Pérez Archila expose la stratégie des parties

publiques en entendant prouver les faits qualifiants l’acte de

génocide et les crimes contre l’humanité (tortures, viols…) tout

en exprimant son sentiment, « reconnaître les erreurs du passé

n’est pas une faiblesse, c’est la force qui réunira le peuple dans la reconnaissance de sa véritable histoire (…) et ce doit

être fait dans le calme et la sérénité».

Naissance du débat et campagne de criminalisation

La première semaine d’audience marque un tournant déjà his-

torique pour le Guatemala. Pour la première fois, la presse et le

débat public s’emparent d’un sujet aussi essentiel que tabou :

le conflit armé interne et les exactions terribles commises à

l’encontre du peuple maya. Nous avons assisté aux nombreux

témoignages de victimes et survivants des massacres de la ré-

gion maya ixil, de la fuite dans les montagnes et des persécu-

tions de l’armée. La majorité des témoins, des paysans de la

région ixil, expliquent qu’ils ne connaissaient pas l’existence

de la guérilla ni ne savaient pourquoi ils étaient pourchassés et

abattus1. La presse généraliste relaye ces témoignages et les

radios commencent à diffuser des programmes spéciaux sur le

sujet.

Dès le premier week-end, une campagne médiatique fait son

apparition à grands renforts de « campos pagados » (encarts

payants publiés dans la presse), le dimanche des radios diffu-

sent toutes à intervalle régulier un appel de la fondation contre

le terrorisme à manifester le lundi suivant devant la Cour pour

« soutenir les patriotes contre le complot communiste et les étrangers ». Nous étions présents ce jour pour constater la

présence d’une cinquantaine de personnes, parmi lesquelles

Ricardo Méndez Ruiz, figure de la fondation contre le terro-

risme, ou encore la fille de José Efraín Ríos Montt accaparant

les caméras de télévision présentes.

La fondation contre le terrorisme et la diffamation

L’action et la position idéologique de la fondation contre le

terrorisme doivent être comprises pour pouvoir analyser le cli-

mat de diffamation ayant pesé sur le procès. Elle fait partie

intégrante du mécanisme de criminalisation de la lutte sociale

et légale. Elle en est le visage médiatique, la partie émergée.

Les auditeurs des radios et les lecteurs de la presse écrite se-

ront nombreux à découvrir l’existence de cette organisation

lors du procès contre Ríos Montt et Rodriguez Sanchez. Toute-

fois, cette fondation est un acteur de longue date dans les dé-

bats. Elle se présente comme un colloque d’experts, d’ana-

lystes et de chroniqueurs d’opinion chargés de documenter les

réminiscences de la lutte marxiste dans la société guatémal-

tèque actuelle. Sa composition exhaustive, l’origine de ses fi-

nancements (visiblement conséquents) et de ses directives res-

tent inconnues.

Tout d’abord, à travers les publications de ses membres (livres

ou colonnes d’opinion) ou ses activités sur les réseaux sociaux,

Procès pour génocide : accuser pour mieux défendre

Tout au long du procès historique pour génocide et crimes contre l’humanité qui s’est tenu du 19 mars au 10 mai 2013, les

parties prenantes impliquées (organisme judicaire, ministère public et organisation des droits humains) ont été victimes d’une stratégie diffamatoire visant à décrédibiliser et criminaliser leur action pour diviser l’opinion publique quant à leurs intentions

réelles.

Par Maxime Verdier

Ixils manifestant devant le Tribunal

© James Rodríguez

Page 4: Solidarité guatemala 204

4

Actualités

Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

l’organisation s’attaque à l’image et à la personnalité des indi-

vidus impliqués dans la défense des droits humains qu’elle

criminalise avec une certaine maîtrise des outils légaux et mé-

diatiques. Au cours du procès, les membres de la fondation

contre le terrorisme ont souvent publié des pamphlets visant à

attaquer les personnalités de la juge Yasmín Barrios, Prési-

dente du Tribunal, et des avocats de l’accusation, tout en re-

layant les arguments techniques de la défense pour justifier

l’annulation du procès.

Plus généralement, l’organisation prend position sur les sujets

de société qui servent son discours et livre une interprétation

très spécifique des faits d’actualité, empreinte de racisme

social et culturel et faisant revivre les thèses idéologiques de la

guerre froide. En octobre 2012, suite à l’arrestation des mili-

taires accusés d’être à l’origine des tirs ayant entrainé la mort

de 8 manifestants de Totonicapán , Méndez Ruiz s’est exprimé

sur la radio Emisoras Unidas pour « exiger » le placement en

détention des organisateurs des manifestations. Il profitera de

cette occasion pour contester l’impartialité de la procureure

générale Claudia Paz y Paz et rappeler la culpabilité quasi

naturelle des leaders communautaires dans tous les cas de

violence que connaît le pays2.

Chaque espace médiatique offert est l’occasion de développer

encore un peu plus les thèses du terrorisme organisé et autres

théories du complot qu’il apprécie tant. La période du procès

n’aura pas fait exception, au contraire : Méndez Ruiz s’expri-

mera à de nombreuses reprises face à des journalistes jouant le

jeu de la relance et de la non contradiction. Le 3 mai 2013, un

document nommé « les visages de l’infamie » sera même pu-

blié dans le but d’identifier les fonctionnaires publics et défen-

seurs des droits humains dans un trombinoscope des ennemis

internes. Ce pamphlet battra des records d’invention, détaillant

comme jamais auparavant le mécanisme de prise de pouvoir

organisé depuis et par l’étranger3. De tels propos seraient ri-

sibles s’ils n’étaient pas aussi dangereux.

L’évidence des faits et la polarisation idéologique

Au cours des cinq semaines de procès, 65 experts

(principalement du champ légiste, en charge des inhumations

et de l’analyse des décès) et 94 survivants et victimes maya ixil

ont témoigné des massacres et des persécutions commis sous le

gouvernement militaire de Ríos Mont entre 1982 et 1983. Avec

dignité et courage, 10 femmes ont relaté les violences sexuelles

commises par l’armée, dont elles-mêmes et bien d’autres ont

été les victimes4.

Chaque jour, il semblait de plus en plus impossible de trouver

les mots justes pour qualifier les récits que nous entendions.

Tous les témoignages exposés avec tant de simplicité et d’émo-

tion, laissaient transparaître le même modus operandi et ten-

daient à démontrer l’existence d’une machine d’extermination

rodée et organisée. La nature des crimes commis était déjà con-

nue, mais c’était la première fois que résonnaient dans un tri-

bunal les voix de celles et ceux qui en avaient été victimes.

Les avocats de la défense, qui se sont montrés très virulents dès

l’ouverture du procès (ainsi qu'avant l'annonce de son ouver-

ture : au 28 janvier 2013, 75 recours avaient été déposés), sem-

blent alors se mettre en retrait à mesure que les témoignages

démontrent l’évidence de l’horreur, renonçant à de nombreuses

reprises à questionner le témoin.

La fondation contre le terrorisme, dans son rôle d’organe de

propagande, adapte alors sa stratégie renforçant encore le mé-

canisme de polarisation de l’opinion publique. La négation des

faits n’étant plus possible, Méndez Ruiz poussera le cynisme

dans un des simulacres de débat d’opinion sur Radio Punto

jusqu’à dire: « certes, il y a eu des crimes graves, mais commis

pour sauver le pays (…) on peut voir ça comme un génocide ou un acte de patriotisme, tout n’est qu’une question de point de

vue (…) c’est ici que l’on distingue les vrais Guatémaltèque

des terroristes ». Dans ce nouveau et très spécifique schéma de

diffamation, il faudrait désormais comprendre que les victimes

ne se définissent comme telles que par omission de leur culpa-

bilité. L’organisation commence alors à diffuser des tracts dans

les bus et les rues, accusant des pays comme la Suède et la

Norvège d’être l’essence d’un mécanisme de destruction éta-

tique financé par une hypothétique puissance internationale qui

souhaiterait la ruine du Guatemala et le changement de pou-

voir, avec en emphase un appel aux « patriotes » pour « mettre les étrangers dehors ».

Dans ses mots, sa logique et ses évolutions, la diffamation mé-

diatique ne sera que l’écho de l’unique stratégie de la défense ;

sans jamais savoir lequel des deux influence l’autre, ou si les

deux répondent à des intérêts d’origine commune.

Un verdict historique et une victoire pour l’indépendance

de la justice

Benjamín Manuel Jerónimo, représentant de l'Association pour

la Justice et la Réconciliation (AJR), déclarait durant les der-

niers jours d'audience : « Nous, dans les années 80, peuple Ixil, avons été accusés d’être des terroristes, des communistes, des

subversifs, puis le génocide a été commis

(...) Aujourd’hui, nous sommes accusés d’être terroristes, sub-versifs, communistes, cependant ce n'est pas vrai, honorable

tribunal. Un terroriste ne vient jamais réclamer justice devant les tribunaux… jamais… ». Ce sont bien ces accusations, is-

Femme Ixil lors du procès

© James Rodríguez

Page 5: Solidarité guatemala 204

Actualités

5

sues de la plus sombre période du conflit armé, que la fonda-

tion contre le terrorisme s’acharne à perpétuer à l’encontre

des acteurs de la société civile et des institutions.

Grâce à l’incroyable travail de l’organisme judiciaire, au cou-

rage des témoins et à l’indépendance du tribunal, le 10 mai

2013, l'ancien chef d’Etat José Efraín Ríos Montt a été con-

damné à la peine maximale de 50 ans pour crimes de géno-

cide et 30 ans pour crimes contre l’humanité. C'est la pre-

mière fois dans l’histoire du continent qu'un verdict pour de

tels crimes est prononcé par une cour de justice nationale

face à un ex-président. Rappelons que ce dernier bénéficiait

de l’immunité parlementaire jusqu’en 2012.

« La justice guatémaltèque, les témoins, avocats et organisa-

tions de défense des droits humains, viennent d’écrire une page mémorable dans l’histoire de l’Amérique latine » rap-

pelait Amandine Grandjean, notre coordinatrice terrain au

Guatemala. Toutefois, l’espoir et la joie auront été de courte

durée. La Cour Constitutionnelle, suivant les recommanda-

tions de la puissante organisation patronale guatémaltèque,

le CACIF qui, 48 heures après la sentence dénonçait un pro-

cès inique commandé par la pression internationale, a annulé

le verdict et renvoyé le procès à une étape antérieure pour

vice de procédure5. Me Edgar Perez, avocat des victimes

avec qui nous nous entretenions récemment, s’est déclaré

malgré tout « heureux et satisfait car la proclamation du ver-dict reste en soi une victoire sans précédent (…) et que le

silence du passé est enfin levé ».

1 Retrouvez les chroniques sur le procès sur le site internet du Collectif Guatemala.

2 « La fondation contre le terrorisme demande des arrestations suite aux évènements de Totonicapán » Emisoras Unidas, 15 octobre 2012 http://

bit.ly/13opNG1

3 « Une campagne au Guatemala accuse les personnes à l’origine du procès de trahir la paix » El Diario, 16 mai 2013 http://bit.ly/17B4NgG

4 Consulter nos chroniques pour un compte-rendu détaillé

5 Voir aussi « Guatemala: procès historique au pays de “l’éternelle impunité” », Grotius, 13 juin 2013, par Vanessa Gongora

http://bit.ly/15iS8fP

6 Article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, 1966 www2.ohchr.org/french/law/ccpr.htm

7 « Ils dénoncent la Fondation Contre le Terrorisme pour ses campagnes » La Hora ,22 mai 2013 http://bit.ly/14MItMk

Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

La réponse des organisations de défense des droits hu-

mains

Le terme « diffamatoire » est à comprendre d’un point de vue

juridique, c’est-à-dire dans le fait de divulguer des propos

portant atteinte à l’honneur et/ou à la vie privée d’une per-

sonne physique ou morale, basés sur des assertions dénuées

de fondement. Le droit international dispose que nul ne doit

être victime de telles manœuvres et que chacun a le droit à la

protection face à une immixtion arbitraire dans sa vie privée6.

L’Etat est bien entendu garant du respect de cette disposition.

Au Guatemala comme partout, il est regrettable de constater

que certaines parties en procès cherchent à s’approprier l’opi-

nion publique au prix de mensonges et de manipulations. Or,

les méthodes ont atteint des sommets d’aberration en versant

dans l’incitation à la haine sous le masque intellectuel et po-

pulaire de la fondation contre le terrorisme. Le 22 mai der-

nier, de nombreux acteurs des droits humains ont fait front

commun pour dénoncer devant le Bureau du procureur des

droits humains la criminalisation et la stigmatisation dont ils

ont été victimes7.

Jorge Santos, coordinateur du CIIDH (Centre International de

recherche sur les droits humains), déclare devant le procureur

des droits humains : « nous dénonçons la fondation contre le

terrorisme, et particulièrement Ricardo Méndez Ruiz, pour la

campagne de stigmatisation et de criminalisation, pour nous accuser de faire partie d’un groupe terroriste qui désire

prendre le pouvoir » et demande la protection de l’Etat face à

de telles menaces (le document « les visages de l’infamie »

que nous avons déjà évoqué sera notamment dénoncé). Il

ajoute que ces méthodes ont eu vocation à délégitimer le Mi-

nistère Public, l’organisme judiciaire et les organisations so-

ciales et populaires qui sont impliquées dans le procès pour

génocide et crimes contre l’humanité et à mettre ses membres

en danger.

Sandino Asturias, coordinateur du Centre d’Etudes du Guate-

mala, conclut en exprimant son inquiétude concernant les

attaques contre les institutions et entrevoit la volonté de cer-

tains groupes de pouvoir de reprendre le contrôle de ces der-

nières. Autrement dit, nous assistons à un coup d’Etat légal,

au sursaut d’une caste acculée qui renoue avec les méthodes

du passé pour mieux le maintenir dans l’ombre et conserver

son pouvoir. ■

Benjamín Manuel Jerónimo , le jour du verdict

Retrouvez les comptes-rendus des audiences du procès sur notre site internet dans la rubrique « Lutte contre l’impunité »

www.collectifguatemala.org/index.php?page=lutte_contre_impunite

© James Rodríguez

Page 6: Solidarité guatemala 204

Sofia Duyos a consacré ces cinq dernières années à la défense des droits humains au Guatemala tant devant la justice espagnole qu’au Guatemala aux côtés du Centre d’action légale pour les droits humains (CALDH) partie civile dans le procès qui, le 10

mai 2013, a condamné Efrain Ríos Montt pour génocide et crimes contre l’humanité. Dix jours plus tard, la Cour Constitution-nelle du Guatemala annulait le verdict, demandant la reprise du procès au 19 avril.

Après une première soirée à Toulouse, Sofia Duyos a été invitée par le Collectif Guatemala à Paris pour participer à une confé-

rence organisée avec Amnesty International le 11 juin dernier sur le procès pour génocide.

Marilyne Griffon : Quel a été votre rôle dans ce procès ?

Sofia Duyos : J’ai aidé CALDH dans la dernière phase du juge-

ment pour l’élaboration des conclusions présentées au tribunal.

Ces avocats prennent des risques. Ils sont extrêmement doués

non seulement sur le plan juridique mais aussi pour leur résis-

tance face à l’adversité. Intimidés de différentes manières, ils

travaillent sous une pression énorme et sont dans une situation

très vulnérable. Courant avril, un supplément au quotidien na-

tional El Periódico a été publié par la Fondation contre le ter-

rorisme1, mentionnant directement CALDH comme faisant

partie des communistes et des terroristes devant craindre pour

leur vie.

MG : D’où viennent ces menaces ? Qui sont les personnes

qui détiennent assez d’influence pour obtenir l’annulation de

la condamnation pour génocide en passant directement par la

Cour Constitutionnelle, sans se donner la peine d’user des

recours habituels d’appel, cassation, etc. ?

SD : L’extrême droite, tant militaire qu’émanant de l’oligar-

chie politique et économique, s’est radicalisée. Elle est repré-

sentée par diverses organisations dont l’Association de vété-

rans militaires du Guatemala (AVEMILGUA), la Fondation

contre le terrorisme mais également le CACIF2 qui publient

des encarts payants dans la presse niant le génocide et dénon-

çant un procès qui ne devrait jamais avoir eu lieu. La Répu-

blique est présidée par un ex-militaire : Otto Pérez Molina et

les principaux postes du gouvernement sont aux mains des mi-

litaires. Le contexte est très hostile. Il s’agit de juger et de con-

damner le génocide alors même que ceux qui l’ont commis et

leurs complices sont au pouvoir. C’est pourquoi le retourne-

ment de situation avec l’annulation de la condamnation histo-

rique s’est fait aussi facilement.

MG : Comment prouver le génocide ? Pourriez-vous nous

parler du Plan Sofía3, que vous avez étudié et analysé ?

SD : La preuve écrite clef dans le procès pour génocide est le

Plan d’opérations Sofía. C’est un plan militaire rédigé person-

nellement par la main droite de Ríos Montt, son chef d’Etat

Major Hector Lopez Fuentes. Son objectif final est la destruc-

tion du peuple maya ixil. C’est écrit. Trois ordres sont donnés à

toute la chaîne de commandement. Premièrement : exterminer

les subversifs, c’est-à-dire la population, car selon ce même

plan, les services secrets militaires notent que la guérilla a

abandonné la région. Deuxièmement : détruire tous les biens de

subsistances, maisons, récoltes, etc. Troisièmement : transférer

de force ceux à qui on a « pardonné la vie » dans des « villages

modèles ». Ce sont les trois ordres de génocide inscrits, avec

également les rapports détaillés de chaque maillon de la chaîne

rapportant à son supérieur l’accomplissement des ordres. Les

missions, signatures, noms complets et postes de chacun des

responsables apparaissent. Il va de l’élaboration jusqu’à l’ac-

complissement par le dernier soldat de tous les massacres et

transferts effectués. Il contient les communications entre les

Hauts commandements, par fax et télégramme, qui avaient le

contrôle total sur tout. Lopez Fuentes recevait un compte rendu

heure par heure, par téléphone ou radio. Les photos de Jean-

Marie Simon4 montrent d’ailleurs le jeune Pérez Molina en

communication directe avec ses chefs. Le plan phare de Ríos

Montt était la destruction du peuple ixil et il a réussi. Une

grande partie effectivement fut exterminée. A la fin du Plan

d’opérations Sofía, programmé pour 5 semaines, sur 25 km2,

pas plus, l’armée dit avoir rempli sa mission.

Ce plan, dont une copie apparaît mystérieusement en 2006, a

prouvé ce que les rapports de la Commission d’éclaircissement

historique des Nations Unies5 en 1999 et de l’Archevêché du

Guatemala6 en 1998, avaient conclu par l’analyse des témoi-

gnages recueillis. Les victimes ne connaissaient pas ce plan

écrit mais savaient ce qu’elles avaient souffert. « Ils venaient

pour nous tuer » racontent les survivants qui ont fui dans les

montagnes où ils ont vécu dans des conditions inhumaines. En

aucun autre lieu au Guatemala ne sont mortes autant de per-

sonnes de faim, de froid, de peur et de maladies. L’armée a

utilisé la région ixil comme laboratoire de la terreur la plus

horrible. Le plan était de « ne laisser aucun signe de vie » et

précisément, c’est ce qu’ils ont fait. Le Plan Sofía est la preuve

de la planification jusqu’au dernier détail de tous les actes de

génocide.

MG : Otto Pérez Molina a été mentionné durant le procès par

l’un des témoins de la défense comme ayant participé aux

massacres dans la région ixil. Aurait-il fait pression pour que

la condamnation de Ríos Montt soit annulée ?

SD : Non, il n’a pas besoin de le faire. Durant le conflit armé,

Otto Pérez Molina était connu sous le pseudo de Tito Arias. Il

commandait les troupes à Nebaj, ville au cœur du génocide,

centre des opérations de la politique de terre brûlée de Ríos

Montt. Il est cité à plusieurs reprises dans le Plan Sofía. Actuel

président de la République, il n’y a personne de plus puissant

Actualités

6

Entretien avec l’avocate espagnole Sofia Duyos : « Ne laisser

aucun signe de vie » Propos recueillis par Marilyne Griffon

Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

Page 7: Solidarité guatemala 204

que lui aujourd’hui au Guatemala. Les soutiens des militaires

ont énormément d’influence et le simple fait d’avoir Pérez Mo-

lina comme parapluie est suffisant pour que la pression soit

efficace. Sous son gouvernement, le pouvoir de l’extrême

droite militaire s’est renforcé de fait.

MG : Comment s’exerce cette influence ?

SD : Juger le génocide, c’est juger tout le système. Pas seule-

ment Ríos Montt. Le génocide a été l’expression maximale

d’un racisme présent au Guatemala depuis des siècles, rendu

possible par l’existence d’un système de domination et de vio-

lences contre les autochtones. Les auteurs et complices sont

nombreux. Après la signature des Accords de paix en 1996, ils

se sont emparés des institutions de l’Etat pour garantir leur

impunité. Ils ont transformé l’armée et la police en pouvoir

parallèle. Selon les Nations Unies, 25% des assassinats sont

des exécutions extrajudiciaires, faits des forces de sécurité de

l’Etat ! Ils ont aussi infiltré le système de justice. Un exemple :

Alejandro Maldonado Aguirre, président de la Cour Constitu-

tionnelle, ancien ministre de [Carlos] Arana7 est le fondateur

du parti d’extrême droite Mouvement de libération nationale

(MLN). Les preuves d’obstacles constants à la justice sont

Actualités

7

1 Article qui détaille l’idéologie de la Fondation : http://bit.ly/17bEj2O

2 Comité coordinateur des associations agricoles, commerciales, industrielles et financières, équivalent du MEDEF en France.

3 Lire l’analyse du Plan Sofía « Quitando el agua al pes » : http://bit.ly/12b77Dw

4 Jean-Marie Simon, reporter photo, témoin des massacres dans les années 80. Son livre « Guatemala, éternel printemps, éternelle tyrannie » docu-

mente ces crimes : voir les dernières éditions : guatemalasimon.blogspot.de Visionner son interview par Amnesty International : http://bit.ly/16Lqasu

5 "Guatemala: Mémoire du silence", de la Commission pour l’éclaircissement historique (CEH), présenté en février 1999.

6 Deux jours après avoir présenté le Rapport du Projet Interdiocésain de la Mémoire Historique (REMHI) « Guatemala Nunca Más », Monseigneur

Gérardi est assassiné, le 26 avril 1998.

7 Militaire président du Guatemala de 1970 à 1974.

8 2008 – 2012. Premier président de centre gauche depuis le coup d’Etat de 1954.

9 Avec la changement de fonction du nouveau gouvernement et de l’assemblée le 14 janvier 2012.

10 Prix Nobel de la Paix 1992, membre de l’ethnie maya Quiché.

Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

nombreuses. Les avocats des militaires ont déposé plus de 110

recours. Il y a une manipulation du procès qui va bien au-delà

de la justice et implique des membres du gouvernement. Un

des témoins de Ríos Montt est Arenales Forno, actuel Secré-

taire de la paix. Ricardo Mendez Ruiz, président de la Fonda-

tion contre le terrorisme, a déclaré publiquement que le Guate-

mala devait se préparer à des assassinats de leaders.

MG : Au vu de ce contexte d’impunité garantie, on se de-

mande alors comment l’ouverture même d’un tel procès a été

possible ?

SD : Depuis 2000 au Guatemala et 1999 en Espagne, les survi-

vants, les organisations de droits humains n’ont pas cessé une

seconde de travailler pour reconstruire les faits et produire des

preuves irréfutables. En 2011, le contexte est devenu favorable

sous le gouvernement d’Alvaro Colom8 avec la nomination de

Claudia Paz y Paz comme Procureure générale de l’Etat. Un

nouveau système de justice s’est mis en place. Des enquêtes

sont réellement menées sur le génocide et conduisent à l’émis-

sion de mandats d’arrêts à l’encontre du Haut commandement

militaire de Ríos Montt. Et lorsque Ríos Montt perd son immu-

nité parlementaire9, il se rend.

Sofia Duyos lors de la conférence organisée avec Amnesty International France

Page 8: Solidarité guatemala 204

8 Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

Actualités

MG : Peut-on espérer une reprise du procès au Guatemala

voire des avancées de la justice en Espagne ?

SD : En 1999, pensant qu’au Guatemala il n’y aurait pas de

justice, Rigoberta Menchú10 porte plainte en Espagne où le juge

Garzón suit les cas du Chili et de l’Argentine. Depuis 14 ans,

nous présentons des preuves et signalons à Interpol les respon-

sables du génocide. Mais aucun jugement n’est possible en Es-

pagne sans la présence d’un accusé. Nous avons donc besoin

d’une arrestation pour pouvoir passer à la phase suivante. Or le

Guatemala a refusé les extraditions en 2006. Il faut donc que

l’un d’eux se rende ou sorte du pays, ce qui est peu probable.

Au Guatemala, la Cour constitutionnelle (CC) a émis un ver-

dict des plus illégaux en s’ingérant dans la justice ordinaire.

Elle a laissé le processus sans issue en annulant le procès à

partir du 19 avril. Le tribunal de Hauts Risques A, avec ses

trois juges incorruptibles qui ont émis la condamnation histo-

rique, a renoncé. La CC a annulé la partie finale correspondant

à la plaidoirie de la défense de Ríos Montt et laissé valider la

première partie, celle où les témoins et survivants ont déclaré.

Or un autre tribunal ne peut juger sans réécouter tous les té-

moins. La CC doit dire comment appliquer son verdict. Si tout

doit reprendre à zéro, ce serait terrible. Les témoins, très

pauvres, devraient revenir déclarer et donc risquer leur vie,

cesser de travailler, certains sont malades. Le tout, sans certi-

tude qu’une nouvelle condamnation resterait valide. L’autre

tribunal de Hauts Risques B s’est déclaré disponible à partir

d’avril 2014. Mais, l’Association pour la Justice et la Réconci-

liation (AJR) et CALDH, parties civiles, m’ont demandé de

vous transmettre que pour eux, la condamnation de Ríos Montt

pour génocide et crime contre l’humanité du 10 mai reste va-

lide, c’est elle qui compte. L’annulation est illégale, elle peut

être renversée. ■

Présentation en France de l’exposition de la mémoire photographique ixil

A l’occasion de la conférence réalisée avec Amnesty International, le Collectif Guatemala a présenté pour la première fois en France

deux des trois frises qui composent l’exposition réalisée à l’initiative de l’AJR par l’une des anciennes volontaires du Collectif Guate-

mala, Alexandra Marie, qui a déjà été amplement utilisée par les communautés ixils au Guatemala lors du procès (voir p.11).

Public lors de la conférence

Page 9: Solidarité guatemala 204

Actualités

9 Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

R ubén Herrera, détenu à Huehuetenango le 15 mars

dernier, a été libéré le 30 mai. Il avait été inculpé

par le tribunal de Santa Eulalia, pour atteinte à la

sécurité de l’Etat, terrorisme et enlèvement, entre

autres, pour deux dossiers datant de 2009 et 2012.

Ses avocats avaient sollicité le transfert du dossier à la capitale

car ils doutaient fortement de l’impartialité du juge de Santa

Eulalia, et craignaient de possibles pressions de l’entreprise

espagnole envers les opérateurs de justice et les forces de sécu-

rité locales. Dans le premier cas, Herrera est accusé d’enlève-

ment alors qu’il avait été convoqué comme médiateur dans une

situation de tension extrême lors d’une altercation entre habi-

tants de Barillas et employés d’Hidro Santa Cruz. Le second

dossier se réfère à l’incendie de machines de l’entreprise, pour

lequel 4 personnes avaient été détenues en 2012. Malgré l’op-

position des avocats de l’entreprise - Me Villatoro et Me Cal-

derón*- aux requêtes de la procureure, le juge du tribunal de

Haut risque B Miguel Angel Gálvez a ordonné la prolongation

de l’enquête pour le 1er dossier et une clôture provisoire pour le

2e, ainsi que la remise en liberté, faute de preuves. Le juge a

soutenu au cours de l’audience l’importance du respect du droit

international et en particulier les droits des populations autoch-

tones, et leur droit à les défendre, précisant que la convention

169 de l’Organisation Internationale du Travail a été ratifiée

par le Guatemala et que le non-respect de l’Etat à ses obliga-

tions internationales amène à créer des situations conflictuelles,

comme à Barillas. Le tribunal a donné un délai de 6 mois au

ministère public pour terminer l’enquête et fixé la prochaine

audience au 10 décembre 2013.

« La décision de ce tribunal crée un précédent pour les défen-seurs des droits humains mais surtout pour la lutte légitime des

peuples autochtones parce que l’argumentation du juge a pris

en compte les conventions internationales qui garantissent de manière spécifique le droit à la consultation et à la libre déter-

mination des peuples », expliquait Francisco Morales, coordi-

nateur de l’ADH.

Les menaces, la criminalisation –qui consiste à utiliser l’appa-

reil judiciaire local influencé par les intérêts privés contre les

défenseurs des droits humains–, et la diffamation, constituent

la stratégie de l’entreprise pour engendrer la peur, épuiser la

lutte, moralement et économiquement, et faire perdre aux lea-

ders de la résistance leurs soutiens, tels que les organisations

du mouvement social et l’accompagnement international dont

ils bénéficient depuis le début de l’année. Plusieurs intimida-

tions et incidents graves se sont produits récemment, et

l’équipe d’accompagnateurs d’ACOGUATE a reçu une me-

nace verbale, d’un homme identifié comme employé d’Hidro

Santa Cruz, qui a été dénoncée.

Le 9 mai, Mynor López, leader de la Société civile de Barillas,

a été détenu de manière violente par des policiers en civils,

sans mandat d’arrêt et en le menaçant de mort. La police de

Barillas refuse de donner des informations sur ces faits et ar-

rête dans la foulée le neveu du leader communautaire, Manuel

López. La tension augmente de nouveau, le commissariat de

police est incendié. Mynor López et son neveu sont libérés par

un groupe d’habitants. Les mêmes policiers en civils ont été

aperçus dans des véhicules blindés avec des armes de gros ca-

libre et seraient responsables d’intimidations et de menaces la

veille des faits. Ces incidents ont immédiatement interpellé les

habitants, encore sous le choc de l’enlèvement et du meurtre

du leader Q´anjob´al Daniel Pedro Mateo, de Santa Eulalia, en

avril. Suite à ces faits, la police s’est retirée temporairement de

Barillas.

Depuis plusieurs semaines, la société civile conjointement à

Monseigneur Alvaro Ramazzini, évêque de Huehuetenango,

sollicite l’ouverture d’un dialogue auprès du préfet départe-

mental sur la situation de Barillas. Là encore, les autorités ai-

guisent les tensions sociales en désignant des interlocuteurs –

des représentants de Conseils communautaires de développe-

ment (COCODEs) – qui ont été payés par l’entreprise Hidro

Santa Cruz et qui sont en faveur de l’installation du projet hy-

droélectrique. Ce projet a été rejeté par la grande majorité de la

population, notamment par la consultation communautaire de

2007, et des centaines d’accords et actas communautaires rédi-

gés et signés au terme d’assemblées. Les défenseurs doivent

jouer des coudes afin de pouvoir intégrer les réunions de ce

« processus de dialogue » et ce, quand ils réussissent à arriver

sur le lieu de la réunion, qui peut changer au dernier moment.

Les 7 et 8 juin a été organisé un tribunal symbolique sur les

droits des femmes à Bilbao en Espagne (« Tribunal de Dere-

chos de las Mujeres Euskal Herria 2013 ») auquel ont partici-

pé la leader communautaire Hermelinda Simón qui a dénoncé

les violations aux droits humains, en particulier contre les

femmes à Barillas, ainsi que Quimy de León, activiste et jour-

naliste indépendante de Prensa Comunitaria, qui présentait un

document d’analyse des impacts des entreprises multinatio-

nales sur les femmes. ■

Barillas: Rubén Herrera libéré, la situation des défenseurs reste

préoccupante Par Amandine Grandjean

*César Calderón est aussi l’avocat de Rodríguez Sánchez, militaire chef

du renseignement sous Ríos Montt jugé pour génocide et crimes contre

l’humanité.

Parallèlement à la nouvelle positive de la libération de Rubén Herrera, membre de l’Assemblée départementale de Hue-

huetenango (ADH), et leader engagé dans la lutte contre le projet hydroélectrique d’Hidro Santa Cruz S.A à Barillas, les

menaces et intimidations visant les défenseurs des droits humains et membres de la Société civile de Barillas ont gravement

augmenté au cours des dernières semaines.

Page 10: Solidarité guatemala 204

10

Brèves

Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

Caja Lúdica: Théâtre guatémaltèque de tournée en Europe

Le collectif artistico-ludique Caja Lúdica* a présenté en juin une pièce

de théâtre aux Pays-Bas, plusieurs artistes ont fait le voyage pour par-

tager leurs vies en intégrant l’histoire récente du pays, notamment la

guerre civile. L'échange culturel entre Caja Lúdica et l’association

néerlandaise Paz d'Utrech a commencé en 2005, avec la venue d'étu-

diants d'Utrech au Guatemala. En 2006, deux compañeros de Caja

Lúdica se rendent aux Pays-Bas pour le Festival de la Paix d'Utrech

afin de parler de leurs expériences méthodologiques sur l'art commu-

nautaire et le travail en réseau. C'est en 2006 que naît l'idée de

“Guerras escondidas” (Guerres cachées), une création théâtrale collec-

tive ayant pour objectif de faire connaître le Guatemala. Un contexte

où la violence et les atteintes aux droits humains prennent racine dans

le guerre interne qui a duré 36 ans, et pour laquelle les auteurs intellec-

tuels et matériels vivent en toute liberté et sont protégés par l'oligar-

chie. Cet échange permet d'ouvrir une fenêtre pour présenter les conditions inhumaines et radicales vécues par les familles guaté-

maltèques. “Au Guatemala, de nombreux stéréotypes et stigmatisation persistent à l'égard des jeunes, ainsi qu'envers les peuples autochtones et les savoirs ancestraux; les persécutions continuent, les disparitions sont toujours d'actualité, la guerre ne s'est

jamais terminée, elle se cache seulement derrière un nouveau masque.” (Acteur de la pièce Guerras Escondidas).

Guerras Escondidas, c’est le Guatemala garifuna de Livingston, le Guatemala de la région maya achi de Rabinal, le Guatemala

des quartiers pauvres de la capitale, comme le Mezquital. La pièce rend aussi hommage aux compagnons perdus et rappelle ce

qu’ils nous ont appris.

Suite des événements à San Rafael las Flores

Depuis le début de l’année 2013, une vague d’assassinats, de persécution ainsi qu’une criminalisation des leaders communau-

taires - notamment Xincas - et du mouvement social s’abat sur la région de San Rafael las Flores (département de Santa Rosa) et

Jalapa (département de Jalapa) (voir brève de Solidarité Guatemala n°203). C’est la réponse donnée à l’organisation de la résis-

tance pacifique contre le projet de mine d’argent « El Escobal » détenu par l’entreprise canadienne Tahoe Ressources Inc. De

nombreuses consultations communautaires se sont tenues depuis avril 2012 dans la région affirmant un rejet massif du projet mi-

nier par la population. Ces consultations, pourtant prévues par la Convention 169 de l’OIT, la Déclaration des droits des peuples

autochtones des Nations Unies et le Code municipal guatémaltèque, ne sont pas reconnues par les autorités.

Depuis, le 12 avril dernier, une occupation pacifique devant les installations de la mine de plusieurs centaines de personnes s’est

soldée par une expulsion violente menée par la Police Nationale Civile (PNC). Vingt neuf personnes ont alors été mises en déten-

tion de manière arbitraire, puis libérées quelques jours plus tard, sans avoir été inculpées. La sécurité privée de l’entreprise est

régulièrement dénoncée comme participant à la répression violente contre la mobilisation en défense de la vie, de la terre et du

territoire contre le projet minier. Le 27 avril 2013, elle est directement impliquée dans l’attaque à arme à feu de 8 manifestants

pacifiques. Le chef de la sécurité, Alberto Rotondo, aurait déclaré « Terminons-en avec la vermine » (« Acabemos con la basu-ra ») avant d’ordonner de tirer. Un jeune homme de 19 ans a eu une partie du visage arrachée, plusieurs autres personnes ont reçu

des impacts de balle. Retondo a ensuite été arrêté par la police à l’aéroport alors qu’il tentait de fuir le Guatemala. Le 29 avril,

deux jours après ces agressions a été adopté un accord final d’exploitation du projet « Escobal » qui prévoit 5% de redevance des-

tinées à plusieurs municipalités de la région. Le même jour, 25 membres de la police étaient retenus et désarmés à hauteur d’un

blocage de route par des manifestants exigeant l’ouverture d’une véritable consultation et négociation avec la population sur le

projet de mine.

A la suite de ces événement, du 2 au 24 mai 2013, l’état de siège puis d’exception ont été décrétés par le président Otto Pérez

Molina dans les départements de Santa Rosa y Jalapa. Plus de 8 500 militaires et membres de la PNC ont été déployés dans la

région pour procéder à des arrestations et des perquisitions, aidés de tanks et d’hélicoptères pour contrôler une population qui

sous l’état de siège est privée du droit de manifester et de se réunir. La tension dans la région est exacerbée. Selon un journaliste

de Prensa Comunitaria, membre de l’équipe de recherche du Centre d’Analyse des Luttes Communautaires « La violence, la dif-

famation, la militarisation, l’état de siège, la criminalisation des protestations communautaires sont les réponses d’un Etat coop-té par les pouvoirs économiques. C’est une stratégie similaire à celle employée par l’Etat et l’entreprise à Barillas, Huehuete-

nango, contre le peuple Q’anjobal et métis opposé au projet hydroélectrique ». (voir article p. 9).

Pour aller plus loin : reportage photo de CPR Urbana sur l’état de siège (http://bit.ly/1ayIidL)

Page 11: Solidarité guatemala 204

11

Brèves

Solidarité Guatemala n ° 20 4 j u i l l e t 20 13

Présentation de l’exposition de la mémoire photographique ixil à Nebaj et Paris

Le 22 juin, 2500 personnes se sont réunies sur le parc central de Nebaj pour participer aux activités de la journée de la dignité

ixil. Les autorités ancestrales de Chajul, Cotzal et Nebaj ont reçu notamment une copie du verdict de la condamnation pour géno-

cide du 10 mai dernier. Les femmes portaient l’exposition de la mémoire photographique ixil en tête de cortège. Le même jour, à

plus de 9 000 kilomètres, l’exposition était diffusée lors de la Fête de la Saint Jean organisée par le Comité Alba et la section du

PCF du XIXe arrondissement. C’était l’occasion de montrer cette frise des visages du génocide à un nouveau public familial sur

la Place des Fêtes. Un grand merci à nos bénévoles Alexandra et Bérénice pour leur participation à Paris!

Tribune de l’Intercollectif Guatemala publiée sur le site du Monde

En partenariat avec 5 associations de

défense des droits humains (l’Action des

Chrétiens pour l’Abolition de la Torture,

Amnesty International, le Comité Catho-

lique Contre la Faim et pour le Dévelop-

pement, le Secours Catholique et Terre

des Hommes), le Collectif Guatemala a

cosigné une tribune diffusée sur le site

du Monde pour exprimer sa préoccupa-

tion face à l’annulation de la condamna-

tion pour génocide de Ríos Montt et à la

recrudescence des attaques envers les

défenseurs du territoire comme à Baril-

las ou San Rafael las Flores.

« En 1992, le monde entier s'était ému

pour cette cause lorsque Rigoberta

Menchú, militante maya, s'était vue dé-

cerner le prix Nobel de la paix, donnant

à croire que la réconciliation al-

lait s’engager au Guatemala. Vingt ans

plus tard, le début de reconnaissance du

génocide est un pas important. Mais l'an-

nulation du jugement contre Ríos Montt

pose de sérieux doutes sur la volonté des

élites d'accorder aux populations autoch-

tones toute leur place. »

Retrouvez l’intégralité du texte de cette

tribune sur le site du Monde:

www.lemonde.fr/idees/

article/2013/06/14/les-droits-des-mayas-

au-c-ur-des-enjeux-politiques-et-

sociaux_3430260_3232.html

Page 12: Solidarité guatemala 204

12

Le Collectif Guatemala Qui sommes-nous ? Fondé en 1979 par des réfugiés guatémaltèques et des militants français, le Collectif Guatemala est une association 1901 de solidarité

internationale. Il est composé d’associations et de particuliers, dont une bonne dizaine de membres actifs, sur lesquels repose la vie de

l’association. Depuis octobre 2002, l’équipe s’est étoffée avec l’arrivée d’un permanent à mi-temps. Depuis mars 2006, l’association a

ouvert un bureau de coordination pour ses activités au Guatemala (accompagnement international et campagne de soutien aux militants

luttant contre le pillage de leurs ressources naturelles).

Les activités du Collectif au Guatemala

● L’accompagnement international

√ des populations indigènes victimes du conflit armé impliquées

dans des procès contre les responsables de violations massives

des droits humains,

√ des personnes menacées du fait de leurs activités militantes.

Comment ?

√ à la demande des groupes ou personnes menacées,

√ en recherchant et en préparant des volontaires qui resteront au

minimum 6 mois sur le terrain.

Pourquoi ?

√ pour établir une présence dissuasive,

√ pour avoir un rôle d'observateur,

√ pour relayer l'information.

Les accompagnateurs/trices sont des volontaires majeurs, de tous

horizons, désirant s’engager pour une durée minimum de 6 mois.

Des sessions d’information et de préparation ont lieu en France

avant le départ. Au Guatemala, les accompagnateurs sont intégré

au projet international d’accompagnement ACOGUATE.

● L’outil vidéo

√ organisation d’ateliers vidéo destinés aux membres d’organisa-

tions communautaires pour la réalisation documentaire

√ soutien à la diffusion de ces films à la capitale et dans les com-

munautés

√ réalisation de film-documentaires comme outil de campagne et

de sensibilisation en France

Les activités du Collectif en France

● L'appui aux organisations de la société civile guatémal-

tèque qui luttent pour plus de justice et de démocratie

√ en relayant des dénonciations de violations des droits de

l'Homme,

√ en organisant des campagnes pour soutenir leurs revendica-

tions,

√ en recherchant des financements pour soutenir leurs projets,

√ en recevant en France et en Europe des représentants de dif-

férentes organisations pour leur permettre de rencontrer des

décideurs politiques et financiers.

● L’information et la sensibilisation du public français

Sur quoi ?

√ la situation politique et sociale au Guatemala,

√ la situation des droits humains,

√ l'action des organisations populaires, indiennes et paysannes.

Comment ?

√ par la diffusion d’une lettre à l’adhérent bimestrielle,

√ par l'organisation ou la participation à des conférences, dé-

bats, réunions, projections documentaires

√ par des réunions mensuelles ouvertes à toute personne inté-

ressée.

● Le travail en réseau avec différents types de partenaires

présents au Guatemala

√ associatifs,

√ institutionnels.

Contact: [email protected]

ADHÉSION / ABONNEMENT Le Collectif Guatemala vous propose plusieurs formules de soutien :

Adhésion au Collectif, permettant de recevoir la Lettre à l’Adhérent - Solidarité Guatemala 23 €

Adhésion à tarif réduit (étudiants, chômeurs etc. joindre justificatif) 15 €

Don, un soutien supplémentaire pour nos activités ………

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□ Je souhaite être informé(e) par e-mail des activités du Collectif Guatemala

□ Je souhaite faire partie du Réseau d’alertes urgentes électronique

Les dons et cotisations peuvent être déductibles des impôts à hauteur de 66%.

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