semence, vertu formatrice et intellect agent chez nicolò leoniceno

32
Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 www.brill.nl/esm © Koninklijke Brill NV, Leiden, 2007 DOI: 10.1163/157338207X166407 Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno entre la tradition arabo-latine et la renaissance des commentateurs grecs Hiro Hirai * Centre d’histoire des sciences, Université de Gand (Belgique) Abstract e treatise On Formative Power (Venice, 1506) of Ferrara’s emblematic medical humanist, Nicolò Leoniceno (1428-1524), is the one of the first embryological monographs of the Renaissance. It shows, at the same time, the continuity of medi- eval Arabo-Latin tradition and the new elements brought by Renaissance medical humanism, namely through the use of the ancient Greek commentators of Aristotle like Simplicius. us this treatise stands at the crossroad of these two currents. e present study analyses the range of Leoniceno’s philosophical discussion, determines its exact sources and brings to light premises for the early modern development of the concept of formative force, which will end up in the theory of “plastic nature” at the heart of the Scientific Revolution. Keywords Nicolò Leoniceno (1428-1524), Renaissance medicine, embryology, psychology, hu- manism 1. Introduction La théorie de la « nature plastique » du platonicien de Cambridge, Ralph Cudworth (1617-1688), est connue dans l’histoire de la philo- sophie grâce à l’attention que lui ont prêtée de grands savants de son temps comme G. W. Leibniz. Mais l’histoire de la notion même de * ) Je remercie M. Vanhaelen, K. Jadoul, M. Muneo et A. Tawara pour leur aide dans la réalisation du présent article. Ma gratitude cordiale va également à Caroline Leuris ainsi qu’à Nobu et Nancy Siraisi.

Upload: hiro-hirai

Post on 10-Mar-2016

214 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 The treatise On Formative Power (Venice, 1506) of Ferrara’s emblematic medical humanist, Nicolò Leoniceno (1428-1524), is one of the first embryological monographs of the Renaissance. It shows, at the same time, the continuity of medieval Arabo-Latin tradition and the new elements brought by Renaissance medical humanism, namely through the use of the ancient Greek commentators of Aristotle like Simplicius. Thus this treatise stands at the crossroad of these two currents. The present study analyses the range of Leoniceno’s philosophical discussion, determines its exact sources and brings to light premises for the early modern development of the concept of formative power, which will end up in the theory of “plastic nature” at the heart of the Scientific Revolution.

TRANSCRIPT

Page 1: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 wwwbrillnlesm

copy Koninklijke Brill NV Leiden 2007 DOI 101163157338207X166407

Semence vertu formatrice et intellect agent chez Nicolograve Leoniceno entre la tradition arabo-latine

et la renaissance des commentateurs grecs

Hiro HiraiCentre drsquohistoire des sciences Universiteacute de Gand (Belgique)

Abstracte treatise On Formative Power (Venice 1506) of Ferrararsquos emblematic medical humanist Nicolograve Leoniceno (1428-1524) is the one of the first embryological monographs of the Renaissance It shows at the same time the continuity of medi-eval Arabo-Latin tradition and the new elements brought by Renaissance medical humanism namely through the use of the ancient Greek commentators of Aristotle like Simplicius us this treatise stands at the crossroad of these two currents e present study analyses the range of Leonicenorsquos philosophical discussion determines its exact sources and brings to light premises for the early modern development of the concept of formative force which will end up in the theory of ldquoplastic naturerdquo at the heart of the Scientific Revolution

KeywordsNicolograve Leoniceno (1428-1524) Renaissance medicine embryology psychology hu -manism

1 Introduction

La theacuteorie de la laquo nature plastique raquo du platonicien de Cambridge Ralph Cudworth (1617-1688) est connue dans lrsquohistoire de la philo-sophie gracircce agrave lrsquoattention que lui ont precircteacutee de grands savants de son temps comme G W Leibniz Mais lrsquohistoire de la notion mecircme de

) Je remercie M Vanhaelen K Jadoul M Muneo et A Tawara pour leur aide dans la reacutealisation du preacutesent article Ma gratitude cordiale va eacutegalement agrave Caroline Leuris ainsi qursquoagrave Nobu et Nancy Siraisi

book_esm12-2indb 134book_esm12-2indb 134 9-5-2007 1227369-5-2007 122736

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 135

laquo force plastique raquo germe de la theacuteorie de Cudworth demeure jusqursquoagrave preacutesent tregraves peu eacutetudieacutee Si dans sa forme latine la laquo vertu forma-trice raquo (virtus formativa) srsquoobserve freacutequemment dans les discours embryologiques de la meacutedecine galeacutenique du Moyen Acircge crsquoest Galien (129-ca 216) lui-mecircme qui utilisant souvent les mots laquo faccedilonner raquo (διαπλάττειν) et laquo formation raquo (διάπλασις) dans son embryologie a for-muleacute le terme mecircme de laquo faculteacute faccedilonnante raquo (δύναμις διαπλαστική) Pour Galien cette faculteacute ou force qui ne peut srsquoexpliquer par les qua-liteacutes des eacuteleacutements est responsable de toute une seacuterie drsquoactions complexes dans la formation du corps des vivants Pour cette faculteacute la plupart des historiens se contentent de continuer agrave se reacutefeacuterer au seul traiteacute Des faculteacutes naturelles I 6 Mais il faut remarquer que le corpus entier de Galien compte au moins sept fois lrsquousage de ce terme entre autres dans les traiteacutes De la semence et Des tempeacuteraments1 Bien que la conception mecircme de Galien nrsquoait pas encore eacuteteacute bien eacutetudieacutee par les speacutecialistes nous pouvons dire que crsquoest principalement de sa theacuteorie que se sont inspireacutes les savants occidentaux en ce qui concerne le deacuteve-loppement drsquoideacutees similaires

Le meacutedecin persan Avicenne (980-1037) qui a donneacute une interpreacute-tation de cette notion galeacutenique a surtout favoriseacute sa reacuteception chez les Latins2 Il parle de la laquo vertu formatrice raquo (quwwa muṣawwira) prin-cipalement en trois endroits de sa somme meacutedicale extrecircmement populaire Canon Il srsquoagit des chapitres sur les faculteacutes naturelles assis-

1) Voir comme texte Karl G Kuumlhn Galeni opera omnia 20 vols (Leipzig 1821-33 repr Hildesheim 1965) deacutesormais indiqueacute comme K et lrsquoeacutedition critique de chaque ouvrage mentionneacutee dans les notes adeacutequates Sur la faculteacute faccedilonnante voir Galien De semine II 2 et 5 (K IV 611 et 642 = Phillip De Lacy Galen On Semen (Berlin 1998) 162 et 196) De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De temperamentis libri III (Leipzig 1904) 79-80) De facultatibus naturalibus I 6 et II 3 et 6 (K II 15 86 et 101)2) Sur lrsquoembryologie drsquoAvicenne et la tradition arabe voir lrsquoeacutetude importante mais souvent neacutegligeacutee drsquoUrsula Weisser Zeugung Vererbung und praumlnatale Entwicklung in der Medizin des arabisch-islamischen Mittelalters (Erlangen 1983) Cf Basim Musallam laquo Biology and Medicine raquo dans lrsquoarticle laquo Avicenna raquo Encyclopedia iranica 3 (1989) 94-9 id laquo e Human Embryo in Arabic Scientific and Religious ought raquo in Gordon R Dunstan (eacuted) e Human Embryo Aristotle and the Arabic and European Traditions (Exeter 1990) 32-46

book_esm12-2indb 135book_esm12-2indb 135 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

136 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutees sur les causes du sperme et sur la geacuteneacuteration de lrsquoembryon3 Agrave cela il faut ajouter le traiteacute Des animaux huitiegraveme livre de la partie naturelle de son chef-drsquoœuvre Shifacirc Le Des animaux consiste en grande partie en une paraphrase de lrsquoœuvre biologique drsquoAristote et a eacuteteacute traduit en latin par Michel Scot (ca 1175-ca 1234)

Outre Galien et Avicenne il faut citer lrsquointervention du Commen-tateur Averroegraves (1126-1198) Ce dernier mentionne la notion de vertu formatrice des laquo meacutedecins raquo non seulement dans son œuvre meacutedicale Colliget (traduit en latin en 1285) II 10 mais aussi dans ses ouvrages philosophiques tels que le commentaire sur le livre Des animaux et le grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote

Sous lrsquoautoriteacute de ces auteurs les Latins ont naturellement accepteacute la notion de force faccedilonnante sous la forme de laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) ou de laquo vertu informatrice raquo (virtus informativa) bien que la distinction entre ces deux termes ne soit pas toujours claire agrave cause du choix obscur de termes opeacutereacute dans la traduction latine du Canon4 Parmi les savants scolastiques de premier rang Albert le Grand (ca 1193-1280) est connu pour son ample usage de la notion de vertu formatrice Il geacuteneacuteralise cette notion et lrsquoapplique non seulement au domaine biologique mais aussi agrave la physique en geacuteneacuteral y compris la formation des mineacuteraux et des fossiles Ainsi dans la tradition scolasti-que de la discussion sur la geacuteneacuteration des choses naturelles le recours agrave la vertu formatrice eacutetait tregraves freacutequent

Tel est le contexte historique dans lequel srsquoinscrit lrsquoopuscule De vir-tute formativa de Nicolograve Leoniceno (1428-1524) figure embleacutematique de la meacutedecine humaniste de Ferrare que nous allons aborder dans la preacutesente eacutetude5 Cet opuscule drsquoune vingtaine de pages a drsquoabord eacuteteacute

3) Voir respectivement Avicenne Canon I fen 1 doct 6 cap 2 III fen 20 tr 1 cap 3 III fen 21 tr 1 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 ff 20r 372r 380v)4) Voir Giuseppe Michele Nardi Problemi drsquoembriologia umana antica e medioevale (Florence 1938) Bruno Nardi Studi di filosofia medievale (Rome 1960) Romana Martorelli Vico Medicina e filosofia per una storia dellrsquoembriologia medievale nel XIII e XIV secolo (Milan 2002) Maaike Van Der Lugt Le ver le deacutemon et la vierge les theacuteories meacutedieacutevales de la geacuteneacuteration extraordinaire (Paris 2004)5) Sur sa vie et son œuvre voir Dictionary of Scientific Biography 8 (1973) 248-50 William F Edwards laquo Nicolograve Leoniceno and the Origins of Humanist Discussion of Method raquo in Edward P Mahoney (eacuted) Philosophy and Humanism Renaissance Essays

book_esm12-2indb 136book_esm12-2indb 136 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 137

publieacute agrave Venise en 1506 puis reacuteeacutediteacute en 1524 avec quelques traduc-tions des traiteacutes de Galien et enfin recueilli dans lrsquoœuvre reacuteunie de Leoniceno (Bacircle 1532) assurant ainsi une large diffusion transalpine Ce traiteacute est lrsquoune des premiegraveres monographies embryologiques de la Renaissance6 Dans cet ouvrage nous pouvons observer agrave la fois la continuation de la tradition meacutedieacutevale arabo-latine et les nouveaux eacuteleacutements qursquoy a apporteacute lrsquohumanisme renaissant drsquoorientation philolo-gique Nous pouvons donc consideacuterer que ce traiteacute se situe au carre-four des deux courants

Dans une eacutetude preacuteceacutedente nous avons montreacute que Jean Fernel (1497-1558) lrsquoun des meacutedecins les plus influents de la Renaissance srsquoinspirait largement de cet ouvrage de Leoniceno pour construire sa propre œuvre meacutedico-philosophique De abditis rerum causis (Paris 1548)7 Crsquoest sans doute agrave travers ce dernier traiteacute de Fernel tregraves lu jusqursquoau milieu du dix-septiegraveme siegravecle que les thegravemes abordeacutes par Leoniceno ont exerceacute un impact important jusqursquoalors insoupccedilonneacute sur les speacuteculations non seulement embryologiques mais aussi philoso-phiques de lrsquoeacutepoque Ainsi lrsquoobjet de la preacutesente eacutetude est drsquoanalyser lrsquoeacutetendue de la discussion de Leoniceno drsquoen preacuteciser les sources et de mettre agrave jour les preacutemisses du deacuteveloppement renaissant de la notion de vertu formatrice notion qui aboutira au cœur de la Reacutevolution scientifique agrave la theacuteorie de la nature plastique8

in Honor of Paul Oskar Kristeller (Leyde 1976) 283-305 Daniela Mugnai Carrara laquo Profilo di Nicolograve Leoniceno raquo Interpres 2 (1979) 169-212 ead laquo Fra causalitagrave astrologica e causalitagrave naturale gli interventi di Nicolograve Leoniceno e della sua scuola sul morbo gallico raquo Physis 21 (1979) 37-54 ead laquo Una poleacutemica umanistico-scolas-tica circa lrsquointerpretazione delle tre dottrine ordinate di Galeno raquo Annali dellrsquoIstituto e museo di storia della scienza di Firenze 8 (1983) 31-57 Vivian Nutton laquo e Rise of Medical Humanism Ferrara 1464-1555 raquo Renaissance Studies 11 (1997) 2-196) Sur ce traiteacute voir Vivian Nutton laquo e Anatomy of the Soul in Early Renaissance Medicine raquo in Human Embryo 136-57 ici 138-40 et 152-3 Nous avons utiliseacute comme texte lrsquoeacutedition de Venise (1506) et celle des Opuscula (Bacircle 1532) ff 83v-93r La pagination est indiqueacutee comme suit eacuted (1506) = eacuted (1532)7) Hiro Hirai laquo Alter Galenus Jean Fernel et son interpreacutetation platonico-chreacutetienne de Galien raquo Early Science and Medicine 10 (2005) 1-35 ici 25-26 et 32-33 Cf Hiro Hirai Le concept de semence dans les theacuteories de la matiegravere agrave la Renaissance de Marsile Ficin agrave Pierre Gassendi (Turnhout Brepols 2005) 83-1038) Chez Kircher voir Hiro Hirai laquo Interpreacutetation chymique de la creacuteation et origine corpusculaire de la vie chez Athanasius Kircher raquo Annals of Science agrave paraicirctre

book_esm12-2indb 137book_esm12-2indb 137 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

138 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

2 Galien acircme veacutegeacutetative et chaleur native

Dans le De la vertu formatrice Leoniceno explique drsquoabord le motif de sa publication Il a reccedilu la lettre drsquoun ami lui demandant suite agrave un deacutebat avec un autre savant les avis de Galien et drsquoAristote sur lrsquoiden-titeacute de la vertu formatrice Agrave cette occasion un imprimeur sollicite Leoniceno de publier ses traductions de Galien Mais en attendant leur parution pour ne pas faire attendre son ami lrsquohumaniste de Ferrare deacutecide de publier un opuscule sur la vertu formatrice sous forme drsquoune lettre ouverte Il nous avertit que si cette question enferme laquo tant drsquoambiguiumlteacutes presque inexplicables raquo crsquoest parce qursquoAristote et Galien semblent avoir toujours heacutesiteacute agrave donner une reacuteponse deacutefinitive Il avoue aussi qursquoil aurait pu apporter beaucoup drsquoeacuteleacutements eacutecrits par drsquoautres sur ce sujet mais qursquoil a plutocirct choisi drsquoeacutetudier agrave fond les opi-nions drsquoAverroegraves et de Pietro drsquoAbano (1257-ca 1315) le Conciliateur car il estime que leurs opinions exercent une autoriteacute particuliegraverement importante aupregraves des philosophes et des meacutedecins de son eacutepoque9

Leoniceno deacutebute sa discussion par lrsquoexamen de lrsquoavis de Galien exprimeacute dans le traiteacute De la formation des fœtus Il faut noter que ce dernier ouvrage embryologique eacutetait quasi inconnu des Latins Crsquoest Leoniceno lui-mecircme qui est le premier agrave lrsquoutiliser agrave la Renaissance Il cite longuement la parole de Galien qui avoue ignorer la cause faccedilon-nante des fœtus Il srsquoagit de la conclusion du De la formation des fœtus 6 qui est particuliegraverement inteacuteressante pour comprendre la penseacutee elle-mecircme de Galien10 Reacutesumons lrsquoessentiel du propos En admettant une sagesse et faculteacute suprecircme dans la formation des fœtus Galien se

9) Sur Pietro drsquoAbano voir Sante Ferrari I tempi la vita le dottrine di Pietro drsquoAbano (Gecircnes 1900) Bruno Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo padovano dal secolo XIV al XVI (Florence 1958) 1-74 Nancy G Siraisi Arts and Sciences at Padua e Studium of Padua before 1350 (Toronto 1973) Eugenia Paschetto Pietro drsquoAbano medico e filo-sofo (Florence 1984) Luigi Olivieri Pietro drsquoAbano e il pensiero neolatino filosofia scienza e ricerca dellrsquoAristotele greco tra i secoli XIII e XIV (Padoue 1988)10) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700-2 = Diethard Nickel Galen Uumlber die Ausformung der Keimlinge (Berlin 2001) 105-7) Voir Paul Moraux laquo Galien comme philosophe la philosophie de la nature raquo in Vivian Nutton (eacuted) Galen Problems and Prospects (London 1981) 87-116 ici 114-6 Hirai laquo Alter Galenus raquo 6-7 Sur lrsquoacircme concupiscible voir Platon Reacutepublique IV 439 D-E VIII 550 B Timeacutee 70 D 77 B

book_esm12-2indb 138book_esm12-2indb 138 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 139

demande si lrsquoacircme reacutesidant dans la semence en est responsable Selon lui les Aristoteacuteliciens appellent cette acircme laquo acircme veacutegeacutetative raquo et les Pla-toniciens laquo acircme concupiscible raquo tandis que les Stoiumlciens lrsquoappellent non pas laquo acircme raquo mais laquo nature raquo Galien lui-mecircme estime que cette acircme est deacutepourvue de sagesse et totalement irrationnelle Il admet aussi que quand lrsquoun de ses maicirctres platoniciens lui a enseigneacute que crsquoest lrsquoacircme du monde qui forme lrsquoembryon il trouvait possible drsquoattribuer une telle faculteacute agrave cette acircme universelle Mais pour lui srsquoil faut penser que les scorpions et drsquoautres becirctes deacutetestables sont aussi formeacutes par cette acircme crsquoest presque un blasphegraveme Tout ce qursquoil peut dire de certain crsquoest qursquoil existe une telle sagesse suprecircme comme cause de la formation fœtale

Cet argument fait penser que Galien nrsquoavait pas de certitude sur lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice Mais Leoniceno suggegravere que celui-ci a preacutefeacutereacute lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence Il sait en effet que Galien preacutesente cette opinion comme celle drsquoHippocrate dans le traiteacute De la semence I 9-1011 Lagrave en comparant la formation du fœtus avec celle de la plante le meacutedecin de Pergame reproche agrave Aristote drsquoavoir diffeacuteremment expliqueacute lrsquoœuvre de la nature entre les plantes et les ani-maux Selon lui le fœtus doit posseacuteder avant tout le principe veacutegeacutetatif qui faccedilonne les parties du corps agrave partir de la semence Alors Leoni-ceno estime que Galien qui suit fidegravelement Hippocrate conccediloit la vertu formatrice comme une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence

Il faut rappeler qursquoagrave la diffeacuterence de cette theacuteorie Galien identifie dans le commentaire des Aphorismes I 15 ce qui forme nourrit et fait croicirctre un animal agrave la chaleur naturelle12 Selon Leoniceno malgreacute ces deux conceptions diffeacuterentes Galien est coheacuterent Il dit

Que personne ne pense pour cela que [Galien] se contredise lui-mecircme ou par rapport agrave Hippocrate agrave savoir qursquoil a attribueacute la formation de lrsquoanimal drsquoune part agrave lrsquoacircme veacutegeacutetative qui est dans la semence comme dans le livre De la semence

11) Galien De semine I 9-10 (K IV 542-7 = De Lacy 93-9) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1212) Galien Commentaires sur les Aphorismes drsquoHippocrate I 15 (K XVII-B 420) Sur lrsquoacircme comme chaleur voir Hippocrate Du reacutegime I 10 (Littreacute VI 486) Hirai laquo Alter Galenus raquo n 13

book_esm12-2indb 139book_esm12-2indb 139 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

140 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

et drsquoautre part agrave la chaleur naturelle comme dans la premiegravere partie des Aphoris-mes De fait lrsquoideacutee que lrsquoacircme est la mecircme chose que la chaleur naturelle ou le tempeacuterament du corps qursquoon appelle laquo complexion raquo est aussi la doctrine drsquoHip-pocrate13

Pour Leoniceno bien que Galien avoue ignorer la substance de lrsquoacircme et de la cause faccedilonnante des animaux dans le De la formation des fœtus il preacutesente ailleurs tantocirct comme lrsquoopinion drsquoHippocrate tantocirct comme la sienne lrsquoideacutee que lrsquoacircme qui forme le fœtus est un certain laquo tempeacuterament raquo (temperamentum) crsquoest-agrave-dire un meacutelange des quatre qualiteacutes des eacuteleacutements14 Comme preuve il puise la parole de Galien dans le traiteacute Du tremblement 6 Dans ce passage particuliegraverement important pour son systegraveme physiologique Galien identifie la chaleur naturelle agrave la laquo nature raquo et agrave lrsquolaquo acircme raquo dans lrsquoanimal et affirme que cette chaleur nrsquoest ni extrinsegraveque ni posteacuterieure agrave la naissance de lrsquoanimal mais bien congeacutenitale15 Il srsquoagit lagrave du germe de la ceacutelegravebre theacuteorie de la laquo chaleur native raquo (calor nativus) ou laquo chaleur inneacutee raquo (calor innatus)16 Leoniceno conclut que si cette chaleur introduite dans la semence degraves le deacutebut est lrsquoacircme qui engendre lrsquoanimal Galien est en accord avec Hippocrate Ainsi pour lui la vertu formatrice de Galien doit ecirctre une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative identifieacutee agrave la chaleur inneacutee ou agrave un cer-tain tempeacuterament

13) De virtute f 2v = f 84v [Galenus] quem nemo putet ob id a seipso aut ab Hip-pocrate dissentire quod aliquando animalis formationem animae tribuit vegetali quae in semine existit veluti in libro De semine aliquando calori naturali ut in prima particula Aphorismorum Nam hoc quoque Hippocratis est dogma eandem rem esse animam et calorem naturalem sive corporis temperaturam quam complexi-onem vocant14) Sur la notion du temperamentum voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1415) Galien De tremore 6 (K VII 616 = David Sider et Michael McVaugh laquo Galen On Tremor Palpitation Spasm and Rigor Galeni De tremore palpitatione con-vulsione et rigore raquo Transactions and Studies of the College of Physicians of Philadel-phia 5th series 1 (1979) 183-210 ici 199-200)16) Sur la chaleur native voir Everett Mendelsohn Heat and Life e Development of the eory of Animal Heat (Cambridge MA 1964) omas S Hall laquo Life Death and the Radical Moisture A Study of ematic Pattern in Medieval Medical e-ory raquo Clio Medica 6 (1971) 3-23 Peter H Niebyl laquo Old Age Fever and the Lamp Metaphor raquo Journal of the History of Medicine 26 (1971) 351-68 Michael McVaugh laquo e humidum radicale in irteenth-Century Medicine raquo Traditio 30 (1974) 259-83

book_esm12-2indb 140book_esm12-2indb 140 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 141

3 Aristote et Pietro drsquoAbano chaleur ceacuteleste intellect et veacutehicule de lrsquoacircme

Leoniceno aborde ensuite lrsquoopinion drsquoAristote Il nous avertit que celui-ci traite souvent des questions difficiles agrave la maniegravere de la seiche qui noircit de lrsquoeau pour ne pas ecirctre captureacutee Il propose degraves lors de se fonder eacutegalement sur les eacutecrits de ses commentateurs Tout drsquoabord il rappelle le teacutemoignage de Galien qui affirme dans le traiteacute Des tempeacute-raments II 6 qursquoAristote a douteacute de lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice En effet Galien critique dans ce passage ceux qui nrsquoont pas consideacutereacute la cause de la formation animale comme la vertu formatrice qui rend habilement les parties du corps conformes aux mœurs de lrsquoacircme Il ajoute qursquoAristote srsquoest demandeacute srsquoil ne fallait pas attribuer cette vertu agrave un principe plus divin que les quatre qualiteacutes eacuteleacutementaires17 Mais Galien ne preacutecise pas nous le savons lrsquoendroit ougrave Aristote a exprimeacute ce doute Quant agrave Leoniceno il pense qursquoil srsquoagit de la fin du traiteacute des Meacuteteacuteorologiques IV 12 Lagrave Aristote attribue la cause de la formation des parties homeacuteomegraveres au chaud et au froid en eacutevoquant la laquo nature raquo ou laquo une autre cause raquo pour la formation des parties anhomeacuteomegraveres crsquoest-agrave-dire des organes comme la tecircte et le pied qui sont construits agrave partir des homeacuteomegraveres18 Selon Leoniceno crsquoest suivant cette distinc-tion que Galien eacutetablit deux sortes de vertus geacuteneacuteratrices dans le Des faculteacutes naturelles I 6 1) la laquo vertu alteacuteratrice raquo (virtus alterativa) qui est la premiegravere vertu mutatrice et agit agrave travers la chaleur 2) la laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) qui est lrsquoart suprecircme et agit par lrsquoordre de son Creacuteateur Leoniceno suit toutefois ici lrsquointerpreacutetation qursquoAvi-cenne expose dans son Canon sur la base de la theacuteorie de Galien Ainsi la vertu alteacuteratrice agit par les qualiteacutes eacuteleacutementaires et faccedilonne lrsquoos le nerf et drsquoautres parties homeacuteomegraveres tandis que la vertu formatrice eacuteta-blit lrsquoassemblage des membres organiques (selon Galien) et faccedilonne le trait et la figure des membres en effectuant drsquoautres opeacuterations com-

17) Galien De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De tempe-ramentis libri III (Leipzig 1904) 79) Cf De temperamentis I 9 (K I 567 = Hel-mreich 36)18) Aristote Meacuteteacuteorologiques IV 12 390 b 3-15

book_esm12-2indb 141book_esm12-2indb 141 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

142 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

plexes (selon Avicenne)19 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de la deux iegraveme vertu qursquoAristote et Galien se demandaient si elle nrsquoeacutetait pas plus divine que la force des qualiteacutes des eacuteleacutements

Apregraves cette explication Leoniceno deacuteplore que plusieurs philo-sophes et meacutedecins aient recours suivant la tradition des Arabes agrave une autre phrase drsquoAristote pour chercher la nature de la vertu formatrice Il srsquoagit du passage eacutenigmatique du traiteacute De la geacuteneacuteration des animaux (deacutesormais indiqueacute comme GA) II 3 qui a une dimension particu-liegraverement cosmologique Le voici drsquoapregraves la traduction moderne

Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle laquo chaleur raquo Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une substance de ce genre mais le pneuma emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature inheacuterente agrave ce pneuma et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral Crsquoest pour-quoi le feu nrsquoengendre aucun animal et il est manifeste qursquoaucun ecirctre ne se forme dans les matiegraveres du feu qursquoelles soient humides ou segraveches Au contraire la chaleur solaire a le pouvoir drsquoengendrer ainsi que la chaleur animale non seule-ment celle qui se manifeste par le sperme mais srsquoil se produit quelque autre reacutesidu naturel il ne possegravede pas moins lui aussi un principe vital Il ressort donc de ce qui preacutecegravede que la chaleur qui reacuteside dans les animaux nrsquoest pas du feu et qursquoelle nrsquoa pas son principe dans le feu20

Crsquoest agrave propos de ce passage que les Arabes comme Avicenne et Aver-roegraves ont parleacute de la vertu formatrice et que leur successeur Pietro drsquoAbano parmi les Latins a deacuteveloppeacute une interpreacutetation bien parti-culiegravere21 Leoniceno remarque qursquoAristote en parlant de la chaleur de la semence nrsquoexprime pas drsquoheacutesitation telle que Galien lrsquoa deacutecrite Pour

19) Galien De facultatibus naturalibus I 6 (K I 12 = Charles Daremberg Œuvres anatomiques physiologiques et meacutedicales de Galien (Paris 1854) I 219-20) Avicenne Canon I fen 1 doc 6 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 f 20r)20) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 33-737 a 7 (trad P Louis) Cf Paul Moraux laquo Agrave propos du νους θύραθεν raquo in Augustin Mansion (eacuted) Autour drsquoAristote (Louvain 1955) 255-95 David M Balme Aristotlersquos De partibus anima-lium I and De generatione animalium I (Oxford 1972) 161-4 Gad Freudenthal Aristotlersquos eory of Material Substance Heat and Pneuma Form and Soul (Oxford 1995) 116-921) Avicenne De animalibus XVI i (eacuted Venise 1508 repr Louvain 1961 f 61va) Averroegraves Commentaire sur le Des animaux XVI 3 (eacuted Giunta Venise 1562 VI f 75vb) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (eacuted Giunta Venise 1565 repr Padoue 1985 f 72) Cf Gad Freudenthal laquo e Medieval Astrologization of Aristotlersquos Biol-

book_esm12-2indb 142book_esm12-2indb 142 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 2: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 135

laquo force plastique raquo germe de la theacuteorie de Cudworth demeure jusqursquoagrave preacutesent tregraves peu eacutetudieacutee Si dans sa forme latine la laquo vertu forma-trice raquo (virtus formativa) srsquoobserve freacutequemment dans les discours embryologiques de la meacutedecine galeacutenique du Moyen Acircge crsquoest Galien (129-ca 216) lui-mecircme qui utilisant souvent les mots laquo faccedilonner raquo (διαπλάττειν) et laquo formation raquo (διάπλασις) dans son embryologie a for-muleacute le terme mecircme de laquo faculteacute faccedilonnante raquo (δύναμις διαπλαστική) Pour Galien cette faculteacute ou force qui ne peut srsquoexpliquer par les qua-liteacutes des eacuteleacutements est responsable de toute une seacuterie drsquoactions complexes dans la formation du corps des vivants Pour cette faculteacute la plupart des historiens se contentent de continuer agrave se reacutefeacuterer au seul traiteacute Des faculteacutes naturelles I 6 Mais il faut remarquer que le corpus entier de Galien compte au moins sept fois lrsquousage de ce terme entre autres dans les traiteacutes De la semence et Des tempeacuteraments1 Bien que la conception mecircme de Galien nrsquoait pas encore eacuteteacute bien eacutetudieacutee par les speacutecialistes nous pouvons dire que crsquoest principalement de sa theacuteorie que se sont inspireacutes les savants occidentaux en ce qui concerne le deacuteve-loppement drsquoideacutees similaires

Le meacutedecin persan Avicenne (980-1037) qui a donneacute une interpreacute-tation de cette notion galeacutenique a surtout favoriseacute sa reacuteception chez les Latins2 Il parle de la laquo vertu formatrice raquo (quwwa muṣawwira) prin-cipalement en trois endroits de sa somme meacutedicale extrecircmement populaire Canon Il srsquoagit des chapitres sur les faculteacutes naturelles assis-

1) Voir comme texte Karl G Kuumlhn Galeni opera omnia 20 vols (Leipzig 1821-33 repr Hildesheim 1965) deacutesormais indiqueacute comme K et lrsquoeacutedition critique de chaque ouvrage mentionneacutee dans les notes adeacutequates Sur la faculteacute faccedilonnante voir Galien De semine II 2 et 5 (K IV 611 et 642 = Phillip De Lacy Galen On Semen (Berlin 1998) 162 et 196) De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De temperamentis libri III (Leipzig 1904) 79-80) De facultatibus naturalibus I 6 et II 3 et 6 (K II 15 86 et 101)2) Sur lrsquoembryologie drsquoAvicenne et la tradition arabe voir lrsquoeacutetude importante mais souvent neacutegligeacutee drsquoUrsula Weisser Zeugung Vererbung und praumlnatale Entwicklung in der Medizin des arabisch-islamischen Mittelalters (Erlangen 1983) Cf Basim Musallam laquo Biology and Medicine raquo dans lrsquoarticle laquo Avicenna raquo Encyclopedia iranica 3 (1989) 94-9 id laquo e Human Embryo in Arabic Scientific and Religious ought raquo in Gordon R Dunstan (eacuted) e Human Embryo Aristotle and the Arabic and European Traditions (Exeter 1990) 32-46

book_esm12-2indb 135book_esm12-2indb 135 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

136 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutees sur les causes du sperme et sur la geacuteneacuteration de lrsquoembryon3 Agrave cela il faut ajouter le traiteacute Des animaux huitiegraveme livre de la partie naturelle de son chef-drsquoœuvre Shifacirc Le Des animaux consiste en grande partie en une paraphrase de lrsquoœuvre biologique drsquoAristote et a eacuteteacute traduit en latin par Michel Scot (ca 1175-ca 1234)

Outre Galien et Avicenne il faut citer lrsquointervention du Commen-tateur Averroegraves (1126-1198) Ce dernier mentionne la notion de vertu formatrice des laquo meacutedecins raquo non seulement dans son œuvre meacutedicale Colliget (traduit en latin en 1285) II 10 mais aussi dans ses ouvrages philosophiques tels que le commentaire sur le livre Des animaux et le grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote

Sous lrsquoautoriteacute de ces auteurs les Latins ont naturellement accepteacute la notion de force faccedilonnante sous la forme de laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) ou de laquo vertu informatrice raquo (virtus informativa) bien que la distinction entre ces deux termes ne soit pas toujours claire agrave cause du choix obscur de termes opeacutereacute dans la traduction latine du Canon4 Parmi les savants scolastiques de premier rang Albert le Grand (ca 1193-1280) est connu pour son ample usage de la notion de vertu formatrice Il geacuteneacuteralise cette notion et lrsquoapplique non seulement au domaine biologique mais aussi agrave la physique en geacuteneacuteral y compris la formation des mineacuteraux et des fossiles Ainsi dans la tradition scolasti-que de la discussion sur la geacuteneacuteration des choses naturelles le recours agrave la vertu formatrice eacutetait tregraves freacutequent

Tel est le contexte historique dans lequel srsquoinscrit lrsquoopuscule De vir-tute formativa de Nicolograve Leoniceno (1428-1524) figure embleacutematique de la meacutedecine humaniste de Ferrare que nous allons aborder dans la preacutesente eacutetude5 Cet opuscule drsquoune vingtaine de pages a drsquoabord eacuteteacute

3) Voir respectivement Avicenne Canon I fen 1 doct 6 cap 2 III fen 20 tr 1 cap 3 III fen 21 tr 1 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 ff 20r 372r 380v)4) Voir Giuseppe Michele Nardi Problemi drsquoembriologia umana antica e medioevale (Florence 1938) Bruno Nardi Studi di filosofia medievale (Rome 1960) Romana Martorelli Vico Medicina e filosofia per una storia dellrsquoembriologia medievale nel XIII e XIV secolo (Milan 2002) Maaike Van Der Lugt Le ver le deacutemon et la vierge les theacuteories meacutedieacutevales de la geacuteneacuteration extraordinaire (Paris 2004)5) Sur sa vie et son œuvre voir Dictionary of Scientific Biography 8 (1973) 248-50 William F Edwards laquo Nicolograve Leoniceno and the Origins of Humanist Discussion of Method raquo in Edward P Mahoney (eacuted) Philosophy and Humanism Renaissance Essays

book_esm12-2indb 136book_esm12-2indb 136 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 137

publieacute agrave Venise en 1506 puis reacuteeacutediteacute en 1524 avec quelques traduc-tions des traiteacutes de Galien et enfin recueilli dans lrsquoœuvre reacuteunie de Leoniceno (Bacircle 1532) assurant ainsi une large diffusion transalpine Ce traiteacute est lrsquoune des premiegraveres monographies embryologiques de la Renaissance6 Dans cet ouvrage nous pouvons observer agrave la fois la continuation de la tradition meacutedieacutevale arabo-latine et les nouveaux eacuteleacutements qursquoy a apporteacute lrsquohumanisme renaissant drsquoorientation philolo-gique Nous pouvons donc consideacuterer que ce traiteacute se situe au carre-four des deux courants

Dans une eacutetude preacuteceacutedente nous avons montreacute que Jean Fernel (1497-1558) lrsquoun des meacutedecins les plus influents de la Renaissance srsquoinspirait largement de cet ouvrage de Leoniceno pour construire sa propre œuvre meacutedico-philosophique De abditis rerum causis (Paris 1548)7 Crsquoest sans doute agrave travers ce dernier traiteacute de Fernel tregraves lu jusqursquoau milieu du dix-septiegraveme siegravecle que les thegravemes abordeacutes par Leoniceno ont exerceacute un impact important jusqursquoalors insoupccedilonneacute sur les speacuteculations non seulement embryologiques mais aussi philoso-phiques de lrsquoeacutepoque Ainsi lrsquoobjet de la preacutesente eacutetude est drsquoanalyser lrsquoeacutetendue de la discussion de Leoniceno drsquoen preacuteciser les sources et de mettre agrave jour les preacutemisses du deacuteveloppement renaissant de la notion de vertu formatrice notion qui aboutira au cœur de la Reacutevolution scientifique agrave la theacuteorie de la nature plastique8

in Honor of Paul Oskar Kristeller (Leyde 1976) 283-305 Daniela Mugnai Carrara laquo Profilo di Nicolograve Leoniceno raquo Interpres 2 (1979) 169-212 ead laquo Fra causalitagrave astrologica e causalitagrave naturale gli interventi di Nicolograve Leoniceno e della sua scuola sul morbo gallico raquo Physis 21 (1979) 37-54 ead laquo Una poleacutemica umanistico-scolas-tica circa lrsquointerpretazione delle tre dottrine ordinate di Galeno raquo Annali dellrsquoIstituto e museo di storia della scienza di Firenze 8 (1983) 31-57 Vivian Nutton laquo e Rise of Medical Humanism Ferrara 1464-1555 raquo Renaissance Studies 11 (1997) 2-196) Sur ce traiteacute voir Vivian Nutton laquo e Anatomy of the Soul in Early Renaissance Medicine raquo in Human Embryo 136-57 ici 138-40 et 152-3 Nous avons utiliseacute comme texte lrsquoeacutedition de Venise (1506) et celle des Opuscula (Bacircle 1532) ff 83v-93r La pagination est indiqueacutee comme suit eacuted (1506) = eacuted (1532)7) Hiro Hirai laquo Alter Galenus Jean Fernel et son interpreacutetation platonico-chreacutetienne de Galien raquo Early Science and Medicine 10 (2005) 1-35 ici 25-26 et 32-33 Cf Hiro Hirai Le concept de semence dans les theacuteories de la matiegravere agrave la Renaissance de Marsile Ficin agrave Pierre Gassendi (Turnhout Brepols 2005) 83-1038) Chez Kircher voir Hiro Hirai laquo Interpreacutetation chymique de la creacuteation et origine corpusculaire de la vie chez Athanasius Kircher raquo Annals of Science agrave paraicirctre

book_esm12-2indb 137book_esm12-2indb 137 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

138 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

2 Galien acircme veacutegeacutetative et chaleur native

Dans le De la vertu formatrice Leoniceno explique drsquoabord le motif de sa publication Il a reccedilu la lettre drsquoun ami lui demandant suite agrave un deacutebat avec un autre savant les avis de Galien et drsquoAristote sur lrsquoiden-titeacute de la vertu formatrice Agrave cette occasion un imprimeur sollicite Leoniceno de publier ses traductions de Galien Mais en attendant leur parution pour ne pas faire attendre son ami lrsquohumaniste de Ferrare deacutecide de publier un opuscule sur la vertu formatrice sous forme drsquoune lettre ouverte Il nous avertit que si cette question enferme laquo tant drsquoambiguiumlteacutes presque inexplicables raquo crsquoest parce qursquoAristote et Galien semblent avoir toujours heacutesiteacute agrave donner une reacuteponse deacutefinitive Il avoue aussi qursquoil aurait pu apporter beaucoup drsquoeacuteleacutements eacutecrits par drsquoautres sur ce sujet mais qursquoil a plutocirct choisi drsquoeacutetudier agrave fond les opi-nions drsquoAverroegraves et de Pietro drsquoAbano (1257-ca 1315) le Conciliateur car il estime que leurs opinions exercent une autoriteacute particuliegraverement importante aupregraves des philosophes et des meacutedecins de son eacutepoque9

Leoniceno deacutebute sa discussion par lrsquoexamen de lrsquoavis de Galien exprimeacute dans le traiteacute De la formation des fœtus Il faut noter que ce dernier ouvrage embryologique eacutetait quasi inconnu des Latins Crsquoest Leoniceno lui-mecircme qui est le premier agrave lrsquoutiliser agrave la Renaissance Il cite longuement la parole de Galien qui avoue ignorer la cause faccedilon-nante des fœtus Il srsquoagit de la conclusion du De la formation des fœtus 6 qui est particuliegraverement inteacuteressante pour comprendre la penseacutee elle-mecircme de Galien10 Reacutesumons lrsquoessentiel du propos En admettant une sagesse et faculteacute suprecircme dans la formation des fœtus Galien se

9) Sur Pietro drsquoAbano voir Sante Ferrari I tempi la vita le dottrine di Pietro drsquoAbano (Gecircnes 1900) Bruno Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo padovano dal secolo XIV al XVI (Florence 1958) 1-74 Nancy G Siraisi Arts and Sciences at Padua e Studium of Padua before 1350 (Toronto 1973) Eugenia Paschetto Pietro drsquoAbano medico e filo-sofo (Florence 1984) Luigi Olivieri Pietro drsquoAbano e il pensiero neolatino filosofia scienza e ricerca dellrsquoAristotele greco tra i secoli XIII e XIV (Padoue 1988)10) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700-2 = Diethard Nickel Galen Uumlber die Ausformung der Keimlinge (Berlin 2001) 105-7) Voir Paul Moraux laquo Galien comme philosophe la philosophie de la nature raquo in Vivian Nutton (eacuted) Galen Problems and Prospects (London 1981) 87-116 ici 114-6 Hirai laquo Alter Galenus raquo 6-7 Sur lrsquoacircme concupiscible voir Platon Reacutepublique IV 439 D-E VIII 550 B Timeacutee 70 D 77 B

book_esm12-2indb 138book_esm12-2indb 138 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 139

demande si lrsquoacircme reacutesidant dans la semence en est responsable Selon lui les Aristoteacuteliciens appellent cette acircme laquo acircme veacutegeacutetative raquo et les Pla-toniciens laquo acircme concupiscible raquo tandis que les Stoiumlciens lrsquoappellent non pas laquo acircme raquo mais laquo nature raquo Galien lui-mecircme estime que cette acircme est deacutepourvue de sagesse et totalement irrationnelle Il admet aussi que quand lrsquoun de ses maicirctres platoniciens lui a enseigneacute que crsquoest lrsquoacircme du monde qui forme lrsquoembryon il trouvait possible drsquoattribuer une telle faculteacute agrave cette acircme universelle Mais pour lui srsquoil faut penser que les scorpions et drsquoautres becirctes deacutetestables sont aussi formeacutes par cette acircme crsquoest presque un blasphegraveme Tout ce qursquoil peut dire de certain crsquoest qursquoil existe une telle sagesse suprecircme comme cause de la formation fœtale

Cet argument fait penser que Galien nrsquoavait pas de certitude sur lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice Mais Leoniceno suggegravere que celui-ci a preacutefeacutereacute lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence Il sait en effet que Galien preacutesente cette opinion comme celle drsquoHippocrate dans le traiteacute De la semence I 9-1011 Lagrave en comparant la formation du fœtus avec celle de la plante le meacutedecin de Pergame reproche agrave Aristote drsquoavoir diffeacuteremment expliqueacute lrsquoœuvre de la nature entre les plantes et les ani-maux Selon lui le fœtus doit posseacuteder avant tout le principe veacutegeacutetatif qui faccedilonne les parties du corps agrave partir de la semence Alors Leoni-ceno estime que Galien qui suit fidegravelement Hippocrate conccediloit la vertu formatrice comme une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence

Il faut rappeler qursquoagrave la diffeacuterence de cette theacuteorie Galien identifie dans le commentaire des Aphorismes I 15 ce qui forme nourrit et fait croicirctre un animal agrave la chaleur naturelle12 Selon Leoniceno malgreacute ces deux conceptions diffeacuterentes Galien est coheacuterent Il dit

Que personne ne pense pour cela que [Galien] se contredise lui-mecircme ou par rapport agrave Hippocrate agrave savoir qursquoil a attribueacute la formation de lrsquoanimal drsquoune part agrave lrsquoacircme veacutegeacutetative qui est dans la semence comme dans le livre De la semence

11) Galien De semine I 9-10 (K IV 542-7 = De Lacy 93-9) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1212) Galien Commentaires sur les Aphorismes drsquoHippocrate I 15 (K XVII-B 420) Sur lrsquoacircme comme chaleur voir Hippocrate Du reacutegime I 10 (Littreacute VI 486) Hirai laquo Alter Galenus raquo n 13

book_esm12-2indb 139book_esm12-2indb 139 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

140 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

et drsquoautre part agrave la chaleur naturelle comme dans la premiegravere partie des Aphoris-mes De fait lrsquoideacutee que lrsquoacircme est la mecircme chose que la chaleur naturelle ou le tempeacuterament du corps qursquoon appelle laquo complexion raquo est aussi la doctrine drsquoHip-pocrate13

Pour Leoniceno bien que Galien avoue ignorer la substance de lrsquoacircme et de la cause faccedilonnante des animaux dans le De la formation des fœtus il preacutesente ailleurs tantocirct comme lrsquoopinion drsquoHippocrate tantocirct comme la sienne lrsquoideacutee que lrsquoacircme qui forme le fœtus est un certain laquo tempeacuterament raquo (temperamentum) crsquoest-agrave-dire un meacutelange des quatre qualiteacutes des eacuteleacutements14 Comme preuve il puise la parole de Galien dans le traiteacute Du tremblement 6 Dans ce passage particuliegraverement important pour son systegraveme physiologique Galien identifie la chaleur naturelle agrave la laquo nature raquo et agrave lrsquolaquo acircme raquo dans lrsquoanimal et affirme que cette chaleur nrsquoest ni extrinsegraveque ni posteacuterieure agrave la naissance de lrsquoanimal mais bien congeacutenitale15 Il srsquoagit lagrave du germe de la ceacutelegravebre theacuteorie de la laquo chaleur native raquo (calor nativus) ou laquo chaleur inneacutee raquo (calor innatus)16 Leoniceno conclut que si cette chaleur introduite dans la semence degraves le deacutebut est lrsquoacircme qui engendre lrsquoanimal Galien est en accord avec Hippocrate Ainsi pour lui la vertu formatrice de Galien doit ecirctre une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative identifieacutee agrave la chaleur inneacutee ou agrave un cer-tain tempeacuterament

13) De virtute f 2v = f 84v [Galenus] quem nemo putet ob id a seipso aut ab Hip-pocrate dissentire quod aliquando animalis formationem animae tribuit vegetali quae in semine existit veluti in libro De semine aliquando calori naturali ut in prima particula Aphorismorum Nam hoc quoque Hippocratis est dogma eandem rem esse animam et calorem naturalem sive corporis temperaturam quam complexi-onem vocant14) Sur la notion du temperamentum voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1415) Galien De tremore 6 (K VII 616 = David Sider et Michael McVaugh laquo Galen On Tremor Palpitation Spasm and Rigor Galeni De tremore palpitatione con-vulsione et rigore raquo Transactions and Studies of the College of Physicians of Philadel-phia 5th series 1 (1979) 183-210 ici 199-200)16) Sur la chaleur native voir Everett Mendelsohn Heat and Life e Development of the eory of Animal Heat (Cambridge MA 1964) omas S Hall laquo Life Death and the Radical Moisture A Study of ematic Pattern in Medieval Medical e-ory raquo Clio Medica 6 (1971) 3-23 Peter H Niebyl laquo Old Age Fever and the Lamp Metaphor raquo Journal of the History of Medicine 26 (1971) 351-68 Michael McVaugh laquo e humidum radicale in irteenth-Century Medicine raquo Traditio 30 (1974) 259-83

book_esm12-2indb 140book_esm12-2indb 140 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 141

3 Aristote et Pietro drsquoAbano chaleur ceacuteleste intellect et veacutehicule de lrsquoacircme

Leoniceno aborde ensuite lrsquoopinion drsquoAristote Il nous avertit que celui-ci traite souvent des questions difficiles agrave la maniegravere de la seiche qui noircit de lrsquoeau pour ne pas ecirctre captureacutee Il propose degraves lors de se fonder eacutegalement sur les eacutecrits de ses commentateurs Tout drsquoabord il rappelle le teacutemoignage de Galien qui affirme dans le traiteacute Des tempeacute-raments II 6 qursquoAristote a douteacute de lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice En effet Galien critique dans ce passage ceux qui nrsquoont pas consideacutereacute la cause de la formation animale comme la vertu formatrice qui rend habilement les parties du corps conformes aux mœurs de lrsquoacircme Il ajoute qursquoAristote srsquoest demandeacute srsquoil ne fallait pas attribuer cette vertu agrave un principe plus divin que les quatre qualiteacutes eacuteleacutementaires17 Mais Galien ne preacutecise pas nous le savons lrsquoendroit ougrave Aristote a exprimeacute ce doute Quant agrave Leoniceno il pense qursquoil srsquoagit de la fin du traiteacute des Meacuteteacuteorologiques IV 12 Lagrave Aristote attribue la cause de la formation des parties homeacuteomegraveres au chaud et au froid en eacutevoquant la laquo nature raquo ou laquo une autre cause raquo pour la formation des parties anhomeacuteomegraveres crsquoest-agrave-dire des organes comme la tecircte et le pied qui sont construits agrave partir des homeacuteomegraveres18 Selon Leoniceno crsquoest suivant cette distinc-tion que Galien eacutetablit deux sortes de vertus geacuteneacuteratrices dans le Des faculteacutes naturelles I 6 1) la laquo vertu alteacuteratrice raquo (virtus alterativa) qui est la premiegravere vertu mutatrice et agit agrave travers la chaleur 2) la laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) qui est lrsquoart suprecircme et agit par lrsquoordre de son Creacuteateur Leoniceno suit toutefois ici lrsquointerpreacutetation qursquoAvi-cenne expose dans son Canon sur la base de la theacuteorie de Galien Ainsi la vertu alteacuteratrice agit par les qualiteacutes eacuteleacutementaires et faccedilonne lrsquoos le nerf et drsquoautres parties homeacuteomegraveres tandis que la vertu formatrice eacuteta-blit lrsquoassemblage des membres organiques (selon Galien) et faccedilonne le trait et la figure des membres en effectuant drsquoautres opeacuterations com-

17) Galien De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De tempe-ramentis libri III (Leipzig 1904) 79) Cf De temperamentis I 9 (K I 567 = Hel-mreich 36)18) Aristote Meacuteteacuteorologiques IV 12 390 b 3-15

book_esm12-2indb 141book_esm12-2indb 141 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

142 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

plexes (selon Avicenne)19 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de la deux iegraveme vertu qursquoAristote et Galien se demandaient si elle nrsquoeacutetait pas plus divine que la force des qualiteacutes des eacuteleacutements

Apregraves cette explication Leoniceno deacuteplore que plusieurs philo-sophes et meacutedecins aient recours suivant la tradition des Arabes agrave une autre phrase drsquoAristote pour chercher la nature de la vertu formatrice Il srsquoagit du passage eacutenigmatique du traiteacute De la geacuteneacuteration des animaux (deacutesormais indiqueacute comme GA) II 3 qui a une dimension particu-liegraverement cosmologique Le voici drsquoapregraves la traduction moderne

Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle laquo chaleur raquo Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une substance de ce genre mais le pneuma emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature inheacuterente agrave ce pneuma et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral Crsquoest pour-quoi le feu nrsquoengendre aucun animal et il est manifeste qursquoaucun ecirctre ne se forme dans les matiegraveres du feu qursquoelles soient humides ou segraveches Au contraire la chaleur solaire a le pouvoir drsquoengendrer ainsi que la chaleur animale non seule-ment celle qui se manifeste par le sperme mais srsquoil se produit quelque autre reacutesidu naturel il ne possegravede pas moins lui aussi un principe vital Il ressort donc de ce qui preacutecegravede que la chaleur qui reacuteside dans les animaux nrsquoest pas du feu et qursquoelle nrsquoa pas son principe dans le feu20

Crsquoest agrave propos de ce passage que les Arabes comme Avicenne et Aver-roegraves ont parleacute de la vertu formatrice et que leur successeur Pietro drsquoAbano parmi les Latins a deacuteveloppeacute une interpreacutetation bien parti-culiegravere21 Leoniceno remarque qursquoAristote en parlant de la chaleur de la semence nrsquoexprime pas drsquoheacutesitation telle que Galien lrsquoa deacutecrite Pour

19) Galien De facultatibus naturalibus I 6 (K I 12 = Charles Daremberg Œuvres anatomiques physiologiques et meacutedicales de Galien (Paris 1854) I 219-20) Avicenne Canon I fen 1 doc 6 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 f 20r)20) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 33-737 a 7 (trad P Louis) Cf Paul Moraux laquo Agrave propos du νους θύραθεν raquo in Augustin Mansion (eacuted) Autour drsquoAristote (Louvain 1955) 255-95 David M Balme Aristotlersquos De partibus anima-lium I and De generatione animalium I (Oxford 1972) 161-4 Gad Freudenthal Aristotlersquos eory of Material Substance Heat and Pneuma Form and Soul (Oxford 1995) 116-921) Avicenne De animalibus XVI i (eacuted Venise 1508 repr Louvain 1961 f 61va) Averroegraves Commentaire sur le Des animaux XVI 3 (eacuted Giunta Venise 1562 VI f 75vb) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (eacuted Giunta Venise 1565 repr Padoue 1985 f 72) Cf Gad Freudenthal laquo e Medieval Astrologization of Aristotlersquos Biol-

book_esm12-2indb 142book_esm12-2indb 142 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 3: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

136 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutees sur les causes du sperme et sur la geacuteneacuteration de lrsquoembryon3 Agrave cela il faut ajouter le traiteacute Des animaux huitiegraveme livre de la partie naturelle de son chef-drsquoœuvre Shifacirc Le Des animaux consiste en grande partie en une paraphrase de lrsquoœuvre biologique drsquoAristote et a eacuteteacute traduit en latin par Michel Scot (ca 1175-ca 1234)

Outre Galien et Avicenne il faut citer lrsquointervention du Commen-tateur Averroegraves (1126-1198) Ce dernier mentionne la notion de vertu formatrice des laquo meacutedecins raquo non seulement dans son œuvre meacutedicale Colliget (traduit en latin en 1285) II 10 mais aussi dans ses ouvrages philosophiques tels que le commentaire sur le livre Des animaux et le grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote

Sous lrsquoautoriteacute de ces auteurs les Latins ont naturellement accepteacute la notion de force faccedilonnante sous la forme de laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) ou de laquo vertu informatrice raquo (virtus informativa) bien que la distinction entre ces deux termes ne soit pas toujours claire agrave cause du choix obscur de termes opeacutereacute dans la traduction latine du Canon4 Parmi les savants scolastiques de premier rang Albert le Grand (ca 1193-1280) est connu pour son ample usage de la notion de vertu formatrice Il geacuteneacuteralise cette notion et lrsquoapplique non seulement au domaine biologique mais aussi agrave la physique en geacuteneacuteral y compris la formation des mineacuteraux et des fossiles Ainsi dans la tradition scolasti-que de la discussion sur la geacuteneacuteration des choses naturelles le recours agrave la vertu formatrice eacutetait tregraves freacutequent

Tel est le contexte historique dans lequel srsquoinscrit lrsquoopuscule De vir-tute formativa de Nicolograve Leoniceno (1428-1524) figure embleacutematique de la meacutedecine humaniste de Ferrare que nous allons aborder dans la preacutesente eacutetude5 Cet opuscule drsquoune vingtaine de pages a drsquoabord eacuteteacute

3) Voir respectivement Avicenne Canon I fen 1 doct 6 cap 2 III fen 20 tr 1 cap 3 III fen 21 tr 1 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 ff 20r 372r 380v)4) Voir Giuseppe Michele Nardi Problemi drsquoembriologia umana antica e medioevale (Florence 1938) Bruno Nardi Studi di filosofia medievale (Rome 1960) Romana Martorelli Vico Medicina e filosofia per una storia dellrsquoembriologia medievale nel XIII e XIV secolo (Milan 2002) Maaike Van Der Lugt Le ver le deacutemon et la vierge les theacuteories meacutedieacutevales de la geacuteneacuteration extraordinaire (Paris 2004)5) Sur sa vie et son œuvre voir Dictionary of Scientific Biography 8 (1973) 248-50 William F Edwards laquo Nicolograve Leoniceno and the Origins of Humanist Discussion of Method raquo in Edward P Mahoney (eacuted) Philosophy and Humanism Renaissance Essays

book_esm12-2indb 136book_esm12-2indb 136 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 137

publieacute agrave Venise en 1506 puis reacuteeacutediteacute en 1524 avec quelques traduc-tions des traiteacutes de Galien et enfin recueilli dans lrsquoœuvre reacuteunie de Leoniceno (Bacircle 1532) assurant ainsi une large diffusion transalpine Ce traiteacute est lrsquoune des premiegraveres monographies embryologiques de la Renaissance6 Dans cet ouvrage nous pouvons observer agrave la fois la continuation de la tradition meacutedieacutevale arabo-latine et les nouveaux eacuteleacutements qursquoy a apporteacute lrsquohumanisme renaissant drsquoorientation philolo-gique Nous pouvons donc consideacuterer que ce traiteacute se situe au carre-four des deux courants

Dans une eacutetude preacuteceacutedente nous avons montreacute que Jean Fernel (1497-1558) lrsquoun des meacutedecins les plus influents de la Renaissance srsquoinspirait largement de cet ouvrage de Leoniceno pour construire sa propre œuvre meacutedico-philosophique De abditis rerum causis (Paris 1548)7 Crsquoest sans doute agrave travers ce dernier traiteacute de Fernel tregraves lu jusqursquoau milieu du dix-septiegraveme siegravecle que les thegravemes abordeacutes par Leoniceno ont exerceacute un impact important jusqursquoalors insoupccedilonneacute sur les speacuteculations non seulement embryologiques mais aussi philoso-phiques de lrsquoeacutepoque Ainsi lrsquoobjet de la preacutesente eacutetude est drsquoanalyser lrsquoeacutetendue de la discussion de Leoniceno drsquoen preacuteciser les sources et de mettre agrave jour les preacutemisses du deacuteveloppement renaissant de la notion de vertu formatrice notion qui aboutira au cœur de la Reacutevolution scientifique agrave la theacuteorie de la nature plastique8

in Honor of Paul Oskar Kristeller (Leyde 1976) 283-305 Daniela Mugnai Carrara laquo Profilo di Nicolograve Leoniceno raquo Interpres 2 (1979) 169-212 ead laquo Fra causalitagrave astrologica e causalitagrave naturale gli interventi di Nicolograve Leoniceno e della sua scuola sul morbo gallico raquo Physis 21 (1979) 37-54 ead laquo Una poleacutemica umanistico-scolas-tica circa lrsquointerpretazione delle tre dottrine ordinate di Galeno raquo Annali dellrsquoIstituto e museo di storia della scienza di Firenze 8 (1983) 31-57 Vivian Nutton laquo e Rise of Medical Humanism Ferrara 1464-1555 raquo Renaissance Studies 11 (1997) 2-196) Sur ce traiteacute voir Vivian Nutton laquo e Anatomy of the Soul in Early Renaissance Medicine raquo in Human Embryo 136-57 ici 138-40 et 152-3 Nous avons utiliseacute comme texte lrsquoeacutedition de Venise (1506) et celle des Opuscula (Bacircle 1532) ff 83v-93r La pagination est indiqueacutee comme suit eacuted (1506) = eacuted (1532)7) Hiro Hirai laquo Alter Galenus Jean Fernel et son interpreacutetation platonico-chreacutetienne de Galien raquo Early Science and Medicine 10 (2005) 1-35 ici 25-26 et 32-33 Cf Hiro Hirai Le concept de semence dans les theacuteories de la matiegravere agrave la Renaissance de Marsile Ficin agrave Pierre Gassendi (Turnhout Brepols 2005) 83-1038) Chez Kircher voir Hiro Hirai laquo Interpreacutetation chymique de la creacuteation et origine corpusculaire de la vie chez Athanasius Kircher raquo Annals of Science agrave paraicirctre

book_esm12-2indb 137book_esm12-2indb 137 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

138 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

2 Galien acircme veacutegeacutetative et chaleur native

Dans le De la vertu formatrice Leoniceno explique drsquoabord le motif de sa publication Il a reccedilu la lettre drsquoun ami lui demandant suite agrave un deacutebat avec un autre savant les avis de Galien et drsquoAristote sur lrsquoiden-titeacute de la vertu formatrice Agrave cette occasion un imprimeur sollicite Leoniceno de publier ses traductions de Galien Mais en attendant leur parution pour ne pas faire attendre son ami lrsquohumaniste de Ferrare deacutecide de publier un opuscule sur la vertu formatrice sous forme drsquoune lettre ouverte Il nous avertit que si cette question enferme laquo tant drsquoambiguiumlteacutes presque inexplicables raquo crsquoest parce qursquoAristote et Galien semblent avoir toujours heacutesiteacute agrave donner une reacuteponse deacutefinitive Il avoue aussi qursquoil aurait pu apporter beaucoup drsquoeacuteleacutements eacutecrits par drsquoautres sur ce sujet mais qursquoil a plutocirct choisi drsquoeacutetudier agrave fond les opi-nions drsquoAverroegraves et de Pietro drsquoAbano (1257-ca 1315) le Conciliateur car il estime que leurs opinions exercent une autoriteacute particuliegraverement importante aupregraves des philosophes et des meacutedecins de son eacutepoque9

Leoniceno deacutebute sa discussion par lrsquoexamen de lrsquoavis de Galien exprimeacute dans le traiteacute De la formation des fœtus Il faut noter que ce dernier ouvrage embryologique eacutetait quasi inconnu des Latins Crsquoest Leoniceno lui-mecircme qui est le premier agrave lrsquoutiliser agrave la Renaissance Il cite longuement la parole de Galien qui avoue ignorer la cause faccedilon-nante des fœtus Il srsquoagit de la conclusion du De la formation des fœtus 6 qui est particuliegraverement inteacuteressante pour comprendre la penseacutee elle-mecircme de Galien10 Reacutesumons lrsquoessentiel du propos En admettant une sagesse et faculteacute suprecircme dans la formation des fœtus Galien se

9) Sur Pietro drsquoAbano voir Sante Ferrari I tempi la vita le dottrine di Pietro drsquoAbano (Gecircnes 1900) Bruno Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo padovano dal secolo XIV al XVI (Florence 1958) 1-74 Nancy G Siraisi Arts and Sciences at Padua e Studium of Padua before 1350 (Toronto 1973) Eugenia Paschetto Pietro drsquoAbano medico e filo-sofo (Florence 1984) Luigi Olivieri Pietro drsquoAbano e il pensiero neolatino filosofia scienza e ricerca dellrsquoAristotele greco tra i secoli XIII e XIV (Padoue 1988)10) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700-2 = Diethard Nickel Galen Uumlber die Ausformung der Keimlinge (Berlin 2001) 105-7) Voir Paul Moraux laquo Galien comme philosophe la philosophie de la nature raquo in Vivian Nutton (eacuted) Galen Problems and Prospects (London 1981) 87-116 ici 114-6 Hirai laquo Alter Galenus raquo 6-7 Sur lrsquoacircme concupiscible voir Platon Reacutepublique IV 439 D-E VIII 550 B Timeacutee 70 D 77 B

book_esm12-2indb 138book_esm12-2indb 138 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 139

demande si lrsquoacircme reacutesidant dans la semence en est responsable Selon lui les Aristoteacuteliciens appellent cette acircme laquo acircme veacutegeacutetative raquo et les Pla-toniciens laquo acircme concupiscible raquo tandis que les Stoiumlciens lrsquoappellent non pas laquo acircme raquo mais laquo nature raquo Galien lui-mecircme estime que cette acircme est deacutepourvue de sagesse et totalement irrationnelle Il admet aussi que quand lrsquoun de ses maicirctres platoniciens lui a enseigneacute que crsquoest lrsquoacircme du monde qui forme lrsquoembryon il trouvait possible drsquoattribuer une telle faculteacute agrave cette acircme universelle Mais pour lui srsquoil faut penser que les scorpions et drsquoautres becirctes deacutetestables sont aussi formeacutes par cette acircme crsquoest presque un blasphegraveme Tout ce qursquoil peut dire de certain crsquoest qursquoil existe une telle sagesse suprecircme comme cause de la formation fœtale

Cet argument fait penser que Galien nrsquoavait pas de certitude sur lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice Mais Leoniceno suggegravere que celui-ci a preacutefeacutereacute lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence Il sait en effet que Galien preacutesente cette opinion comme celle drsquoHippocrate dans le traiteacute De la semence I 9-1011 Lagrave en comparant la formation du fœtus avec celle de la plante le meacutedecin de Pergame reproche agrave Aristote drsquoavoir diffeacuteremment expliqueacute lrsquoœuvre de la nature entre les plantes et les ani-maux Selon lui le fœtus doit posseacuteder avant tout le principe veacutegeacutetatif qui faccedilonne les parties du corps agrave partir de la semence Alors Leoni-ceno estime que Galien qui suit fidegravelement Hippocrate conccediloit la vertu formatrice comme une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence

Il faut rappeler qursquoagrave la diffeacuterence de cette theacuteorie Galien identifie dans le commentaire des Aphorismes I 15 ce qui forme nourrit et fait croicirctre un animal agrave la chaleur naturelle12 Selon Leoniceno malgreacute ces deux conceptions diffeacuterentes Galien est coheacuterent Il dit

Que personne ne pense pour cela que [Galien] se contredise lui-mecircme ou par rapport agrave Hippocrate agrave savoir qursquoil a attribueacute la formation de lrsquoanimal drsquoune part agrave lrsquoacircme veacutegeacutetative qui est dans la semence comme dans le livre De la semence

11) Galien De semine I 9-10 (K IV 542-7 = De Lacy 93-9) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1212) Galien Commentaires sur les Aphorismes drsquoHippocrate I 15 (K XVII-B 420) Sur lrsquoacircme comme chaleur voir Hippocrate Du reacutegime I 10 (Littreacute VI 486) Hirai laquo Alter Galenus raquo n 13

book_esm12-2indb 139book_esm12-2indb 139 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

140 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

et drsquoautre part agrave la chaleur naturelle comme dans la premiegravere partie des Aphoris-mes De fait lrsquoideacutee que lrsquoacircme est la mecircme chose que la chaleur naturelle ou le tempeacuterament du corps qursquoon appelle laquo complexion raquo est aussi la doctrine drsquoHip-pocrate13

Pour Leoniceno bien que Galien avoue ignorer la substance de lrsquoacircme et de la cause faccedilonnante des animaux dans le De la formation des fœtus il preacutesente ailleurs tantocirct comme lrsquoopinion drsquoHippocrate tantocirct comme la sienne lrsquoideacutee que lrsquoacircme qui forme le fœtus est un certain laquo tempeacuterament raquo (temperamentum) crsquoest-agrave-dire un meacutelange des quatre qualiteacutes des eacuteleacutements14 Comme preuve il puise la parole de Galien dans le traiteacute Du tremblement 6 Dans ce passage particuliegraverement important pour son systegraveme physiologique Galien identifie la chaleur naturelle agrave la laquo nature raquo et agrave lrsquolaquo acircme raquo dans lrsquoanimal et affirme que cette chaleur nrsquoest ni extrinsegraveque ni posteacuterieure agrave la naissance de lrsquoanimal mais bien congeacutenitale15 Il srsquoagit lagrave du germe de la ceacutelegravebre theacuteorie de la laquo chaleur native raquo (calor nativus) ou laquo chaleur inneacutee raquo (calor innatus)16 Leoniceno conclut que si cette chaleur introduite dans la semence degraves le deacutebut est lrsquoacircme qui engendre lrsquoanimal Galien est en accord avec Hippocrate Ainsi pour lui la vertu formatrice de Galien doit ecirctre une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative identifieacutee agrave la chaleur inneacutee ou agrave un cer-tain tempeacuterament

13) De virtute f 2v = f 84v [Galenus] quem nemo putet ob id a seipso aut ab Hip-pocrate dissentire quod aliquando animalis formationem animae tribuit vegetali quae in semine existit veluti in libro De semine aliquando calori naturali ut in prima particula Aphorismorum Nam hoc quoque Hippocratis est dogma eandem rem esse animam et calorem naturalem sive corporis temperaturam quam complexi-onem vocant14) Sur la notion du temperamentum voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1415) Galien De tremore 6 (K VII 616 = David Sider et Michael McVaugh laquo Galen On Tremor Palpitation Spasm and Rigor Galeni De tremore palpitatione con-vulsione et rigore raquo Transactions and Studies of the College of Physicians of Philadel-phia 5th series 1 (1979) 183-210 ici 199-200)16) Sur la chaleur native voir Everett Mendelsohn Heat and Life e Development of the eory of Animal Heat (Cambridge MA 1964) omas S Hall laquo Life Death and the Radical Moisture A Study of ematic Pattern in Medieval Medical e-ory raquo Clio Medica 6 (1971) 3-23 Peter H Niebyl laquo Old Age Fever and the Lamp Metaphor raquo Journal of the History of Medicine 26 (1971) 351-68 Michael McVaugh laquo e humidum radicale in irteenth-Century Medicine raquo Traditio 30 (1974) 259-83

book_esm12-2indb 140book_esm12-2indb 140 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 141

3 Aristote et Pietro drsquoAbano chaleur ceacuteleste intellect et veacutehicule de lrsquoacircme

Leoniceno aborde ensuite lrsquoopinion drsquoAristote Il nous avertit que celui-ci traite souvent des questions difficiles agrave la maniegravere de la seiche qui noircit de lrsquoeau pour ne pas ecirctre captureacutee Il propose degraves lors de se fonder eacutegalement sur les eacutecrits de ses commentateurs Tout drsquoabord il rappelle le teacutemoignage de Galien qui affirme dans le traiteacute Des tempeacute-raments II 6 qursquoAristote a douteacute de lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice En effet Galien critique dans ce passage ceux qui nrsquoont pas consideacutereacute la cause de la formation animale comme la vertu formatrice qui rend habilement les parties du corps conformes aux mœurs de lrsquoacircme Il ajoute qursquoAristote srsquoest demandeacute srsquoil ne fallait pas attribuer cette vertu agrave un principe plus divin que les quatre qualiteacutes eacuteleacutementaires17 Mais Galien ne preacutecise pas nous le savons lrsquoendroit ougrave Aristote a exprimeacute ce doute Quant agrave Leoniceno il pense qursquoil srsquoagit de la fin du traiteacute des Meacuteteacuteorologiques IV 12 Lagrave Aristote attribue la cause de la formation des parties homeacuteomegraveres au chaud et au froid en eacutevoquant la laquo nature raquo ou laquo une autre cause raquo pour la formation des parties anhomeacuteomegraveres crsquoest-agrave-dire des organes comme la tecircte et le pied qui sont construits agrave partir des homeacuteomegraveres18 Selon Leoniceno crsquoest suivant cette distinc-tion que Galien eacutetablit deux sortes de vertus geacuteneacuteratrices dans le Des faculteacutes naturelles I 6 1) la laquo vertu alteacuteratrice raquo (virtus alterativa) qui est la premiegravere vertu mutatrice et agit agrave travers la chaleur 2) la laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) qui est lrsquoart suprecircme et agit par lrsquoordre de son Creacuteateur Leoniceno suit toutefois ici lrsquointerpreacutetation qursquoAvi-cenne expose dans son Canon sur la base de la theacuteorie de Galien Ainsi la vertu alteacuteratrice agit par les qualiteacutes eacuteleacutementaires et faccedilonne lrsquoos le nerf et drsquoautres parties homeacuteomegraveres tandis que la vertu formatrice eacuteta-blit lrsquoassemblage des membres organiques (selon Galien) et faccedilonne le trait et la figure des membres en effectuant drsquoautres opeacuterations com-

17) Galien De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De tempe-ramentis libri III (Leipzig 1904) 79) Cf De temperamentis I 9 (K I 567 = Hel-mreich 36)18) Aristote Meacuteteacuteorologiques IV 12 390 b 3-15

book_esm12-2indb 141book_esm12-2indb 141 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

142 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

plexes (selon Avicenne)19 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de la deux iegraveme vertu qursquoAristote et Galien se demandaient si elle nrsquoeacutetait pas plus divine que la force des qualiteacutes des eacuteleacutements

Apregraves cette explication Leoniceno deacuteplore que plusieurs philo-sophes et meacutedecins aient recours suivant la tradition des Arabes agrave une autre phrase drsquoAristote pour chercher la nature de la vertu formatrice Il srsquoagit du passage eacutenigmatique du traiteacute De la geacuteneacuteration des animaux (deacutesormais indiqueacute comme GA) II 3 qui a une dimension particu-liegraverement cosmologique Le voici drsquoapregraves la traduction moderne

Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle laquo chaleur raquo Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une substance de ce genre mais le pneuma emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature inheacuterente agrave ce pneuma et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral Crsquoest pour-quoi le feu nrsquoengendre aucun animal et il est manifeste qursquoaucun ecirctre ne se forme dans les matiegraveres du feu qursquoelles soient humides ou segraveches Au contraire la chaleur solaire a le pouvoir drsquoengendrer ainsi que la chaleur animale non seule-ment celle qui se manifeste par le sperme mais srsquoil se produit quelque autre reacutesidu naturel il ne possegravede pas moins lui aussi un principe vital Il ressort donc de ce qui preacutecegravede que la chaleur qui reacuteside dans les animaux nrsquoest pas du feu et qursquoelle nrsquoa pas son principe dans le feu20

Crsquoest agrave propos de ce passage que les Arabes comme Avicenne et Aver-roegraves ont parleacute de la vertu formatrice et que leur successeur Pietro drsquoAbano parmi les Latins a deacuteveloppeacute une interpreacutetation bien parti-culiegravere21 Leoniceno remarque qursquoAristote en parlant de la chaleur de la semence nrsquoexprime pas drsquoheacutesitation telle que Galien lrsquoa deacutecrite Pour

19) Galien De facultatibus naturalibus I 6 (K I 12 = Charles Daremberg Œuvres anatomiques physiologiques et meacutedicales de Galien (Paris 1854) I 219-20) Avicenne Canon I fen 1 doc 6 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 f 20r)20) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 33-737 a 7 (trad P Louis) Cf Paul Moraux laquo Agrave propos du νους θύραθεν raquo in Augustin Mansion (eacuted) Autour drsquoAristote (Louvain 1955) 255-95 David M Balme Aristotlersquos De partibus anima-lium I and De generatione animalium I (Oxford 1972) 161-4 Gad Freudenthal Aristotlersquos eory of Material Substance Heat and Pneuma Form and Soul (Oxford 1995) 116-921) Avicenne De animalibus XVI i (eacuted Venise 1508 repr Louvain 1961 f 61va) Averroegraves Commentaire sur le Des animaux XVI 3 (eacuted Giunta Venise 1562 VI f 75vb) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (eacuted Giunta Venise 1565 repr Padoue 1985 f 72) Cf Gad Freudenthal laquo e Medieval Astrologization of Aristotlersquos Biol-

book_esm12-2indb 142book_esm12-2indb 142 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 4: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 137

publieacute agrave Venise en 1506 puis reacuteeacutediteacute en 1524 avec quelques traduc-tions des traiteacutes de Galien et enfin recueilli dans lrsquoœuvre reacuteunie de Leoniceno (Bacircle 1532) assurant ainsi une large diffusion transalpine Ce traiteacute est lrsquoune des premiegraveres monographies embryologiques de la Renaissance6 Dans cet ouvrage nous pouvons observer agrave la fois la continuation de la tradition meacutedieacutevale arabo-latine et les nouveaux eacuteleacutements qursquoy a apporteacute lrsquohumanisme renaissant drsquoorientation philolo-gique Nous pouvons donc consideacuterer que ce traiteacute se situe au carre-four des deux courants

Dans une eacutetude preacuteceacutedente nous avons montreacute que Jean Fernel (1497-1558) lrsquoun des meacutedecins les plus influents de la Renaissance srsquoinspirait largement de cet ouvrage de Leoniceno pour construire sa propre œuvre meacutedico-philosophique De abditis rerum causis (Paris 1548)7 Crsquoest sans doute agrave travers ce dernier traiteacute de Fernel tregraves lu jusqursquoau milieu du dix-septiegraveme siegravecle que les thegravemes abordeacutes par Leoniceno ont exerceacute un impact important jusqursquoalors insoupccedilonneacute sur les speacuteculations non seulement embryologiques mais aussi philoso-phiques de lrsquoeacutepoque Ainsi lrsquoobjet de la preacutesente eacutetude est drsquoanalyser lrsquoeacutetendue de la discussion de Leoniceno drsquoen preacuteciser les sources et de mettre agrave jour les preacutemisses du deacuteveloppement renaissant de la notion de vertu formatrice notion qui aboutira au cœur de la Reacutevolution scientifique agrave la theacuteorie de la nature plastique8

in Honor of Paul Oskar Kristeller (Leyde 1976) 283-305 Daniela Mugnai Carrara laquo Profilo di Nicolograve Leoniceno raquo Interpres 2 (1979) 169-212 ead laquo Fra causalitagrave astrologica e causalitagrave naturale gli interventi di Nicolograve Leoniceno e della sua scuola sul morbo gallico raquo Physis 21 (1979) 37-54 ead laquo Una poleacutemica umanistico-scolas-tica circa lrsquointerpretazione delle tre dottrine ordinate di Galeno raquo Annali dellrsquoIstituto e museo di storia della scienza di Firenze 8 (1983) 31-57 Vivian Nutton laquo e Rise of Medical Humanism Ferrara 1464-1555 raquo Renaissance Studies 11 (1997) 2-196) Sur ce traiteacute voir Vivian Nutton laquo e Anatomy of the Soul in Early Renaissance Medicine raquo in Human Embryo 136-57 ici 138-40 et 152-3 Nous avons utiliseacute comme texte lrsquoeacutedition de Venise (1506) et celle des Opuscula (Bacircle 1532) ff 83v-93r La pagination est indiqueacutee comme suit eacuted (1506) = eacuted (1532)7) Hiro Hirai laquo Alter Galenus Jean Fernel et son interpreacutetation platonico-chreacutetienne de Galien raquo Early Science and Medicine 10 (2005) 1-35 ici 25-26 et 32-33 Cf Hiro Hirai Le concept de semence dans les theacuteories de la matiegravere agrave la Renaissance de Marsile Ficin agrave Pierre Gassendi (Turnhout Brepols 2005) 83-1038) Chez Kircher voir Hiro Hirai laquo Interpreacutetation chymique de la creacuteation et origine corpusculaire de la vie chez Athanasius Kircher raquo Annals of Science agrave paraicirctre

book_esm12-2indb 137book_esm12-2indb 137 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

138 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

2 Galien acircme veacutegeacutetative et chaleur native

Dans le De la vertu formatrice Leoniceno explique drsquoabord le motif de sa publication Il a reccedilu la lettre drsquoun ami lui demandant suite agrave un deacutebat avec un autre savant les avis de Galien et drsquoAristote sur lrsquoiden-titeacute de la vertu formatrice Agrave cette occasion un imprimeur sollicite Leoniceno de publier ses traductions de Galien Mais en attendant leur parution pour ne pas faire attendre son ami lrsquohumaniste de Ferrare deacutecide de publier un opuscule sur la vertu formatrice sous forme drsquoune lettre ouverte Il nous avertit que si cette question enferme laquo tant drsquoambiguiumlteacutes presque inexplicables raquo crsquoest parce qursquoAristote et Galien semblent avoir toujours heacutesiteacute agrave donner une reacuteponse deacutefinitive Il avoue aussi qursquoil aurait pu apporter beaucoup drsquoeacuteleacutements eacutecrits par drsquoautres sur ce sujet mais qursquoil a plutocirct choisi drsquoeacutetudier agrave fond les opi-nions drsquoAverroegraves et de Pietro drsquoAbano (1257-ca 1315) le Conciliateur car il estime que leurs opinions exercent une autoriteacute particuliegraverement importante aupregraves des philosophes et des meacutedecins de son eacutepoque9

Leoniceno deacutebute sa discussion par lrsquoexamen de lrsquoavis de Galien exprimeacute dans le traiteacute De la formation des fœtus Il faut noter que ce dernier ouvrage embryologique eacutetait quasi inconnu des Latins Crsquoest Leoniceno lui-mecircme qui est le premier agrave lrsquoutiliser agrave la Renaissance Il cite longuement la parole de Galien qui avoue ignorer la cause faccedilon-nante des fœtus Il srsquoagit de la conclusion du De la formation des fœtus 6 qui est particuliegraverement inteacuteressante pour comprendre la penseacutee elle-mecircme de Galien10 Reacutesumons lrsquoessentiel du propos En admettant une sagesse et faculteacute suprecircme dans la formation des fœtus Galien se

9) Sur Pietro drsquoAbano voir Sante Ferrari I tempi la vita le dottrine di Pietro drsquoAbano (Gecircnes 1900) Bruno Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo padovano dal secolo XIV al XVI (Florence 1958) 1-74 Nancy G Siraisi Arts and Sciences at Padua e Studium of Padua before 1350 (Toronto 1973) Eugenia Paschetto Pietro drsquoAbano medico e filo-sofo (Florence 1984) Luigi Olivieri Pietro drsquoAbano e il pensiero neolatino filosofia scienza e ricerca dellrsquoAristotele greco tra i secoli XIII e XIV (Padoue 1988)10) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700-2 = Diethard Nickel Galen Uumlber die Ausformung der Keimlinge (Berlin 2001) 105-7) Voir Paul Moraux laquo Galien comme philosophe la philosophie de la nature raquo in Vivian Nutton (eacuted) Galen Problems and Prospects (London 1981) 87-116 ici 114-6 Hirai laquo Alter Galenus raquo 6-7 Sur lrsquoacircme concupiscible voir Platon Reacutepublique IV 439 D-E VIII 550 B Timeacutee 70 D 77 B

book_esm12-2indb 138book_esm12-2indb 138 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 139

demande si lrsquoacircme reacutesidant dans la semence en est responsable Selon lui les Aristoteacuteliciens appellent cette acircme laquo acircme veacutegeacutetative raquo et les Pla-toniciens laquo acircme concupiscible raquo tandis que les Stoiumlciens lrsquoappellent non pas laquo acircme raquo mais laquo nature raquo Galien lui-mecircme estime que cette acircme est deacutepourvue de sagesse et totalement irrationnelle Il admet aussi que quand lrsquoun de ses maicirctres platoniciens lui a enseigneacute que crsquoest lrsquoacircme du monde qui forme lrsquoembryon il trouvait possible drsquoattribuer une telle faculteacute agrave cette acircme universelle Mais pour lui srsquoil faut penser que les scorpions et drsquoautres becirctes deacutetestables sont aussi formeacutes par cette acircme crsquoest presque un blasphegraveme Tout ce qursquoil peut dire de certain crsquoest qursquoil existe une telle sagesse suprecircme comme cause de la formation fœtale

Cet argument fait penser que Galien nrsquoavait pas de certitude sur lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice Mais Leoniceno suggegravere que celui-ci a preacutefeacutereacute lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence Il sait en effet que Galien preacutesente cette opinion comme celle drsquoHippocrate dans le traiteacute De la semence I 9-1011 Lagrave en comparant la formation du fœtus avec celle de la plante le meacutedecin de Pergame reproche agrave Aristote drsquoavoir diffeacuteremment expliqueacute lrsquoœuvre de la nature entre les plantes et les ani-maux Selon lui le fœtus doit posseacuteder avant tout le principe veacutegeacutetatif qui faccedilonne les parties du corps agrave partir de la semence Alors Leoni-ceno estime que Galien qui suit fidegravelement Hippocrate conccediloit la vertu formatrice comme une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence

Il faut rappeler qursquoagrave la diffeacuterence de cette theacuteorie Galien identifie dans le commentaire des Aphorismes I 15 ce qui forme nourrit et fait croicirctre un animal agrave la chaleur naturelle12 Selon Leoniceno malgreacute ces deux conceptions diffeacuterentes Galien est coheacuterent Il dit

Que personne ne pense pour cela que [Galien] se contredise lui-mecircme ou par rapport agrave Hippocrate agrave savoir qursquoil a attribueacute la formation de lrsquoanimal drsquoune part agrave lrsquoacircme veacutegeacutetative qui est dans la semence comme dans le livre De la semence

11) Galien De semine I 9-10 (K IV 542-7 = De Lacy 93-9) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1212) Galien Commentaires sur les Aphorismes drsquoHippocrate I 15 (K XVII-B 420) Sur lrsquoacircme comme chaleur voir Hippocrate Du reacutegime I 10 (Littreacute VI 486) Hirai laquo Alter Galenus raquo n 13

book_esm12-2indb 139book_esm12-2indb 139 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

140 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

et drsquoautre part agrave la chaleur naturelle comme dans la premiegravere partie des Aphoris-mes De fait lrsquoideacutee que lrsquoacircme est la mecircme chose que la chaleur naturelle ou le tempeacuterament du corps qursquoon appelle laquo complexion raquo est aussi la doctrine drsquoHip-pocrate13

Pour Leoniceno bien que Galien avoue ignorer la substance de lrsquoacircme et de la cause faccedilonnante des animaux dans le De la formation des fœtus il preacutesente ailleurs tantocirct comme lrsquoopinion drsquoHippocrate tantocirct comme la sienne lrsquoideacutee que lrsquoacircme qui forme le fœtus est un certain laquo tempeacuterament raquo (temperamentum) crsquoest-agrave-dire un meacutelange des quatre qualiteacutes des eacuteleacutements14 Comme preuve il puise la parole de Galien dans le traiteacute Du tremblement 6 Dans ce passage particuliegraverement important pour son systegraveme physiologique Galien identifie la chaleur naturelle agrave la laquo nature raquo et agrave lrsquolaquo acircme raquo dans lrsquoanimal et affirme que cette chaleur nrsquoest ni extrinsegraveque ni posteacuterieure agrave la naissance de lrsquoanimal mais bien congeacutenitale15 Il srsquoagit lagrave du germe de la ceacutelegravebre theacuteorie de la laquo chaleur native raquo (calor nativus) ou laquo chaleur inneacutee raquo (calor innatus)16 Leoniceno conclut que si cette chaleur introduite dans la semence degraves le deacutebut est lrsquoacircme qui engendre lrsquoanimal Galien est en accord avec Hippocrate Ainsi pour lui la vertu formatrice de Galien doit ecirctre une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative identifieacutee agrave la chaleur inneacutee ou agrave un cer-tain tempeacuterament

13) De virtute f 2v = f 84v [Galenus] quem nemo putet ob id a seipso aut ab Hip-pocrate dissentire quod aliquando animalis formationem animae tribuit vegetali quae in semine existit veluti in libro De semine aliquando calori naturali ut in prima particula Aphorismorum Nam hoc quoque Hippocratis est dogma eandem rem esse animam et calorem naturalem sive corporis temperaturam quam complexi-onem vocant14) Sur la notion du temperamentum voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1415) Galien De tremore 6 (K VII 616 = David Sider et Michael McVaugh laquo Galen On Tremor Palpitation Spasm and Rigor Galeni De tremore palpitatione con-vulsione et rigore raquo Transactions and Studies of the College of Physicians of Philadel-phia 5th series 1 (1979) 183-210 ici 199-200)16) Sur la chaleur native voir Everett Mendelsohn Heat and Life e Development of the eory of Animal Heat (Cambridge MA 1964) omas S Hall laquo Life Death and the Radical Moisture A Study of ematic Pattern in Medieval Medical e-ory raquo Clio Medica 6 (1971) 3-23 Peter H Niebyl laquo Old Age Fever and the Lamp Metaphor raquo Journal of the History of Medicine 26 (1971) 351-68 Michael McVaugh laquo e humidum radicale in irteenth-Century Medicine raquo Traditio 30 (1974) 259-83

book_esm12-2indb 140book_esm12-2indb 140 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 141

3 Aristote et Pietro drsquoAbano chaleur ceacuteleste intellect et veacutehicule de lrsquoacircme

Leoniceno aborde ensuite lrsquoopinion drsquoAristote Il nous avertit que celui-ci traite souvent des questions difficiles agrave la maniegravere de la seiche qui noircit de lrsquoeau pour ne pas ecirctre captureacutee Il propose degraves lors de se fonder eacutegalement sur les eacutecrits de ses commentateurs Tout drsquoabord il rappelle le teacutemoignage de Galien qui affirme dans le traiteacute Des tempeacute-raments II 6 qursquoAristote a douteacute de lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice En effet Galien critique dans ce passage ceux qui nrsquoont pas consideacutereacute la cause de la formation animale comme la vertu formatrice qui rend habilement les parties du corps conformes aux mœurs de lrsquoacircme Il ajoute qursquoAristote srsquoest demandeacute srsquoil ne fallait pas attribuer cette vertu agrave un principe plus divin que les quatre qualiteacutes eacuteleacutementaires17 Mais Galien ne preacutecise pas nous le savons lrsquoendroit ougrave Aristote a exprimeacute ce doute Quant agrave Leoniceno il pense qursquoil srsquoagit de la fin du traiteacute des Meacuteteacuteorologiques IV 12 Lagrave Aristote attribue la cause de la formation des parties homeacuteomegraveres au chaud et au froid en eacutevoquant la laquo nature raquo ou laquo une autre cause raquo pour la formation des parties anhomeacuteomegraveres crsquoest-agrave-dire des organes comme la tecircte et le pied qui sont construits agrave partir des homeacuteomegraveres18 Selon Leoniceno crsquoest suivant cette distinc-tion que Galien eacutetablit deux sortes de vertus geacuteneacuteratrices dans le Des faculteacutes naturelles I 6 1) la laquo vertu alteacuteratrice raquo (virtus alterativa) qui est la premiegravere vertu mutatrice et agit agrave travers la chaleur 2) la laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) qui est lrsquoart suprecircme et agit par lrsquoordre de son Creacuteateur Leoniceno suit toutefois ici lrsquointerpreacutetation qursquoAvi-cenne expose dans son Canon sur la base de la theacuteorie de Galien Ainsi la vertu alteacuteratrice agit par les qualiteacutes eacuteleacutementaires et faccedilonne lrsquoos le nerf et drsquoautres parties homeacuteomegraveres tandis que la vertu formatrice eacuteta-blit lrsquoassemblage des membres organiques (selon Galien) et faccedilonne le trait et la figure des membres en effectuant drsquoautres opeacuterations com-

17) Galien De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De tempe-ramentis libri III (Leipzig 1904) 79) Cf De temperamentis I 9 (K I 567 = Hel-mreich 36)18) Aristote Meacuteteacuteorologiques IV 12 390 b 3-15

book_esm12-2indb 141book_esm12-2indb 141 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

142 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

plexes (selon Avicenne)19 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de la deux iegraveme vertu qursquoAristote et Galien se demandaient si elle nrsquoeacutetait pas plus divine que la force des qualiteacutes des eacuteleacutements

Apregraves cette explication Leoniceno deacuteplore que plusieurs philo-sophes et meacutedecins aient recours suivant la tradition des Arabes agrave une autre phrase drsquoAristote pour chercher la nature de la vertu formatrice Il srsquoagit du passage eacutenigmatique du traiteacute De la geacuteneacuteration des animaux (deacutesormais indiqueacute comme GA) II 3 qui a une dimension particu-liegraverement cosmologique Le voici drsquoapregraves la traduction moderne

Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle laquo chaleur raquo Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une substance de ce genre mais le pneuma emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature inheacuterente agrave ce pneuma et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral Crsquoest pour-quoi le feu nrsquoengendre aucun animal et il est manifeste qursquoaucun ecirctre ne se forme dans les matiegraveres du feu qursquoelles soient humides ou segraveches Au contraire la chaleur solaire a le pouvoir drsquoengendrer ainsi que la chaleur animale non seule-ment celle qui se manifeste par le sperme mais srsquoil se produit quelque autre reacutesidu naturel il ne possegravede pas moins lui aussi un principe vital Il ressort donc de ce qui preacutecegravede que la chaleur qui reacuteside dans les animaux nrsquoest pas du feu et qursquoelle nrsquoa pas son principe dans le feu20

Crsquoest agrave propos de ce passage que les Arabes comme Avicenne et Aver-roegraves ont parleacute de la vertu formatrice et que leur successeur Pietro drsquoAbano parmi les Latins a deacuteveloppeacute une interpreacutetation bien parti-culiegravere21 Leoniceno remarque qursquoAristote en parlant de la chaleur de la semence nrsquoexprime pas drsquoheacutesitation telle que Galien lrsquoa deacutecrite Pour

19) Galien De facultatibus naturalibus I 6 (K I 12 = Charles Daremberg Œuvres anatomiques physiologiques et meacutedicales de Galien (Paris 1854) I 219-20) Avicenne Canon I fen 1 doc 6 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 f 20r)20) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 33-737 a 7 (trad P Louis) Cf Paul Moraux laquo Agrave propos du νους θύραθεν raquo in Augustin Mansion (eacuted) Autour drsquoAristote (Louvain 1955) 255-95 David M Balme Aristotlersquos De partibus anima-lium I and De generatione animalium I (Oxford 1972) 161-4 Gad Freudenthal Aristotlersquos eory of Material Substance Heat and Pneuma Form and Soul (Oxford 1995) 116-921) Avicenne De animalibus XVI i (eacuted Venise 1508 repr Louvain 1961 f 61va) Averroegraves Commentaire sur le Des animaux XVI 3 (eacuted Giunta Venise 1562 VI f 75vb) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (eacuted Giunta Venise 1565 repr Padoue 1985 f 72) Cf Gad Freudenthal laquo e Medieval Astrologization of Aristotlersquos Biol-

book_esm12-2indb 142book_esm12-2indb 142 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 5: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

138 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

2 Galien acircme veacutegeacutetative et chaleur native

Dans le De la vertu formatrice Leoniceno explique drsquoabord le motif de sa publication Il a reccedilu la lettre drsquoun ami lui demandant suite agrave un deacutebat avec un autre savant les avis de Galien et drsquoAristote sur lrsquoiden-titeacute de la vertu formatrice Agrave cette occasion un imprimeur sollicite Leoniceno de publier ses traductions de Galien Mais en attendant leur parution pour ne pas faire attendre son ami lrsquohumaniste de Ferrare deacutecide de publier un opuscule sur la vertu formatrice sous forme drsquoune lettre ouverte Il nous avertit que si cette question enferme laquo tant drsquoambiguiumlteacutes presque inexplicables raquo crsquoest parce qursquoAristote et Galien semblent avoir toujours heacutesiteacute agrave donner une reacuteponse deacutefinitive Il avoue aussi qursquoil aurait pu apporter beaucoup drsquoeacuteleacutements eacutecrits par drsquoautres sur ce sujet mais qursquoil a plutocirct choisi drsquoeacutetudier agrave fond les opi-nions drsquoAverroegraves et de Pietro drsquoAbano (1257-ca 1315) le Conciliateur car il estime que leurs opinions exercent une autoriteacute particuliegraverement importante aupregraves des philosophes et des meacutedecins de son eacutepoque9

Leoniceno deacutebute sa discussion par lrsquoexamen de lrsquoavis de Galien exprimeacute dans le traiteacute De la formation des fœtus Il faut noter que ce dernier ouvrage embryologique eacutetait quasi inconnu des Latins Crsquoest Leoniceno lui-mecircme qui est le premier agrave lrsquoutiliser agrave la Renaissance Il cite longuement la parole de Galien qui avoue ignorer la cause faccedilon-nante des fœtus Il srsquoagit de la conclusion du De la formation des fœtus 6 qui est particuliegraverement inteacuteressante pour comprendre la penseacutee elle-mecircme de Galien10 Reacutesumons lrsquoessentiel du propos En admettant une sagesse et faculteacute suprecircme dans la formation des fœtus Galien se

9) Sur Pietro drsquoAbano voir Sante Ferrari I tempi la vita le dottrine di Pietro drsquoAbano (Gecircnes 1900) Bruno Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo padovano dal secolo XIV al XVI (Florence 1958) 1-74 Nancy G Siraisi Arts and Sciences at Padua e Studium of Padua before 1350 (Toronto 1973) Eugenia Paschetto Pietro drsquoAbano medico e filo-sofo (Florence 1984) Luigi Olivieri Pietro drsquoAbano e il pensiero neolatino filosofia scienza e ricerca dellrsquoAristotele greco tra i secoli XIII e XIV (Padoue 1988)10) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700-2 = Diethard Nickel Galen Uumlber die Ausformung der Keimlinge (Berlin 2001) 105-7) Voir Paul Moraux laquo Galien comme philosophe la philosophie de la nature raquo in Vivian Nutton (eacuted) Galen Problems and Prospects (London 1981) 87-116 ici 114-6 Hirai laquo Alter Galenus raquo 6-7 Sur lrsquoacircme concupiscible voir Platon Reacutepublique IV 439 D-E VIII 550 B Timeacutee 70 D 77 B

book_esm12-2indb 138book_esm12-2indb 138 9-5-2007 1227379-5-2007 122737

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 139

demande si lrsquoacircme reacutesidant dans la semence en est responsable Selon lui les Aristoteacuteliciens appellent cette acircme laquo acircme veacutegeacutetative raquo et les Pla-toniciens laquo acircme concupiscible raquo tandis que les Stoiumlciens lrsquoappellent non pas laquo acircme raquo mais laquo nature raquo Galien lui-mecircme estime que cette acircme est deacutepourvue de sagesse et totalement irrationnelle Il admet aussi que quand lrsquoun de ses maicirctres platoniciens lui a enseigneacute que crsquoest lrsquoacircme du monde qui forme lrsquoembryon il trouvait possible drsquoattribuer une telle faculteacute agrave cette acircme universelle Mais pour lui srsquoil faut penser que les scorpions et drsquoautres becirctes deacutetestables sont aussi formeacutes par cette acircme crsquoest presque un blasphegraveme Tout ce qursquoil peut dire de certain crsquoest qursquoil existe une telle sagesse suprecircme comme cause de la formation fœtale

Cet argument fait penser que Galien nrsquoavait pas de certitude sur lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice Mais Leoniceno suggegravere que celui-ci a preacutefeacutereacute lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence Il sait en effet que Galien preacutesente cette opinion comme celle drsquoHippocrate dans le traiteacute De la semence I 9-1011 Lagrave en comparant la formation du fœtus avec celle de la plante le meacutedecin de Pergame reproche agrave Aristote drsquoavoir diffeacuteremment expliqueacute lrsquoœuvre de la nature entre les plantes et les ani-maux Selon lui le fœtus doit posseacuteder avant tout le principe veacutegeacutetatif qui faccedilonne les parties du corps agrave partir de la semence Alors Leoni-ceno estime que Galien qui suit fidegravelement Hippocrate conccediloit la vertu formatrice comme une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence

Il faut rappeler qursquoagrave la diffeacuterence de cette theacuteorie Galien identifie dans le commentaire des Aphorismes I 15 ce qui forme nourrit et fait croicirctre un animal agrave la chaleur naturelle12 Selon Leoniceno malgreacute ces deux conceptions diffeacuterentes Galien est coheacuterent Il dit

Que personne ne pense pour cela que [Galien] se contredise lui-mecircme ou par rapport agrave Hippocrate agrave savoir qursquoil a attribueacute la formation de lrsquoanimal drsquoune part agrave lrsquoacircme veacutegeacutetative qui est dans la semence comme dans le livre De la semence

11) Galien De semine I 9-10 (K IV 542-7 = De Lacy 93-9) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1212) Galien Commentaires sur les Aphorismes drsquoHippocrate I 15 (K XVII-B 420) Sur lrsquoacircme comme chaleur voir Hippocrate Du reacutegime I 10 (Littreacute VI 486) Hirai laquo Alter Galenus raquo n 13

book_esm12-2indb 139book_esm12-2indb 139 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

140 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

et drsquoautre part agrave la chaleur naturelle comme dans la premiegravere partie des Aphoris-mes De fait lrsquoideacutee que lrsquoacircme est la mecircme chose que la chaleur naturelle ou le tempeacuterament du corps qursquoon appelle laquo complexion raquo est aussi la doctrine drsquoHip-pocrate13

Pour Leoniceno bien que Galien avoue ignorer la substance de lrsquoacircme et de la cause faccedilonnante des animaux dans le De la formation des fœtus il preacutesente ailleurs tantocirct comme lrsquoopinion drsquoHippocrate tantocirct comme la sienne lrsquoideacutee que lrsquoacircme qui forme le fœtus est un certain laquo tempeacuterament raquo (temperamentum) crsquoest-agrave-dire un meacutelange des quatre qualiteacutes des eacuteleacutements14 Comme preuve il puise la parole de Galien dans le traiteacute Du tremblement 6 Dans ce passage particuliegraverement important pour son systegraveme physiologique Galien identifie la chaleur naturelle agrave la laquo nature raquo et agrave lrsquolaquo acircme raquo dans lrsquoanimal et affirme que cette chaleur nrsquoest ni extrinsegraveque ni posteacuterieure agrave la naissance de lrsquoanimal mais bien congeacutenitale15 Il srsquoagit lagrave du germe de la ceacutelegravebre theacuteorie de la laquo chaleur native raquo (calor nativus) ou laquo chaleur inneacutee raquo (calor innatus)16 Leoniceno conclut que si cette chaleur introduite dans la semence degraves le deacutebut est lrsquoacircme qui engendre lrsquoanimal Galien est en accord avec Hippocrate Ainsi pour lui la vertu formatrice de Galien doit ecirctre une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative identifieacutee agrave la chaleur inneacutee ou agrave un cer-tain tempeacuterament

13) De virtute f 2v = f 84v [Galenus] quem nemo putet ob id a seipso aut ab Hip-pocrate dissentire quod aliquando animalis formationem animae tribuit vegetali quae in semine existit veluti in libro De semine aliquando calori naturali ut in prima particula Aphorismorum Nam hoc quoque Hippocratis est dogma eandem rem esse animam et calorem naturalem sive corporis temperaturam quam complexi-onem vocant14) Sur la notion du temperamentum voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1415) Galien De tremore 6 (K VII 616 = David Sider et Michael McVaugh laquo Galen On Tremor Palpitation Spasm and Rigor Galeni De tremore palpitatione con-vulsione et rigore raquo Transactions and Studies of the College of Physicians of Philadel-phia 5th series 1 (1979) 183-210 ici 199-200)16) Sur la chaleur native voir Everett Mendelsohn Heat and Life e Development of the eory of Animal Heat (Cambridge MA 1964) omas S Hall laquo Life Death and the Radical Moisture A Study of ematic Pattern in Medieval Medical e-ory raquo Clio Medica 6 (1971) 3-23 Peter H Niebyl laquo Old Age Fever and the Lamp Metaphor raquo Journal of the History of Medicine 26 (1971) 351-68 Michael McVaugh laquo e humidum radicale in irteenth-Century Medicine raquo Traditio 30 (1974) 259-83

book_esm12-2indb 140book_esm12-2indb 140 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 141

3 Aristote et Pietro drsquoAbano chaleur ceacuteleste intellect et veacutehicule de lrsquoacircme

Leoniceno aborde ensuite lrsquoopinion drsquoAristote Il nous avertit que celui-ci traite souvent des questions difficiles agrave la maniegravere de la seiche qui noircit de lrsquoeau pour ne pas ecirctre captureacutee Il propose degraves lors de se fonder eacutegalement sur les eacutecrits de ses commentateurs Tout drsquoabord il rappelle le teacutemoignage de Galien qui affirme dans le traiteacute Des tempeacute-raments II 6 qursquoAristote a douteacute de lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice En effet Galien critique dans ce passage ceux qui nrsquoont pas consideacutereacute la cause de la formation animale comme la vertu formatrice qui rend habilement les parties du corps conformes aux mœurs de lrsquoacircme Il ajoute qursquoAristote srsquoest demandeacute srsquoil ne fallait pas attribuer cette vertu agrave un principe plus divin que les quatre qualiteacutes eacuteleacutementaires17 Mais Galien ne preacutecise pas nous le savons lrsquoendroit ougrave Aristote a exprimeacute ce doute Quant agrave Leoniceno il pense qursquoil srsquoagit de la fin du traiteacute des Meacuteteacuteorologiques IV 12 Lagrave Aristote attribue la cause de la formation des parties homeacuteomegraveres au chaud et au froid en eacutevoquant la laquo nature raquo ou laquo une autre cause raquo pour la formation des parties anhomeacuteomegraveres crsquoest-agrave-dire des organes comme la tecircte et le pied qui sont construits agrave partir des homeacuteomegraveres18 Selon Leoniceno crsquoest suivant cette distinc-tion que Galien eacutetablit deux sortes de vertus geacuteneacuteratrices dans le Des faculteacutes naturelles I 6 1) la laquo vertu alteacuteratrice raquo (virtus alterativa) qui est la premiegravere vertu mutatrice et agit agrave travers la chaleur 2) la laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) qui est lrsquoart suprecircme et agit par lrsquoordre de son Creacuteateur Leoniceno suit toutefois ici lrsquointerpreacutetation qursquoAvi-cenne expose dans son Canon sur la base de la theacuteorie de Galien Ainsi la vertu alteacuteratrice agit par les qualiteacutes eacuteleacutementaires et faccedilonne lrsquoos le nerf et drsquoautres parties homeacuteomegraveres tandis que la vertu formatrice eacuteta-blit lrsquoassemblage des membres organiques (selon Galien) et faccedilonne le trait et la figure des membres en effectuant drsquoautres opeacuterations com-

17) Galien De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De tempe-ramentis libri III (Leipzig 1904) 79) Cf De temperamentis I 9 (K I 567 = Hel-mreich 36)18) Aristote Meacuteteacuteorologiques IV 12 390 b 3-15

book_esm12-2indb 141book_esm12-2indb 141 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

142 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

plexes (selon Avicenne)19 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de la deux iegraveme vertu qursquoAristote et Galien se demandaient si elle nrsquoeacutetait pas plus divine que la force des qualiteacutes des eacuteleacutements

Apregraves cette explication Leoniceno deacuteplore que plusieurs philo-sophes et meacutedecins aient recours suivant la tradition des Arabes agrave une autre phrase drsquoAristote pour chercher la nature de la vertu formatrice Il srsquoagit du passage eacutenigmatique du traiteacute De la geacuteneacuteration des animaux (deacutesormais indiqueacute comme GA) II 3 qui a une dimension particu-liegraverement cosmologique Le voici drsquoapregraves la traduction moderne

Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle laquo chaleur raquo Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une substance de ce genre mais le pneuma emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature inheacuterente agrave ce pneuma et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral Crsquoest pour-quoi le feu nrsquoengendre aucun animal et il est manifeste qursquoaucun ecirctre ne se forme dans les matiegraveres du feu qursquoelles soient humides ou segraveches Au contraire la chaleur solaire a le pouvoir drsquoengendrer ainsi que la chaleur animale non seule-ment celle qui se manifeste par le sperme mais srsquoil se produit quelque autre reacutesidu naturel il ne possegravede pas moins lui aussi un principe vital Il ressort donc de ce qui preacutecegravede que la chaleur qui reacuteside dans les animaux nrsquoest pas du feu et qursquoelle nrsquoa pas son principe dans le feu20

Crsquoest agrave propos de ce passage que les Arabes comme Avicenne et Aver-roegraves ont parleacute de la vertu formatrice et que leur successeur Pietro drsquoAbano parmi les Latins a deacuteveloppeacute une interpreacutetation bien parti-culiegravere21 Leoniceno remarque qursquoAristote en parlant de la chaleur de la semence nrsquoexprime pas drsquoheacutesitation telle que Galien lrsquoa deacutecrite Pour

19) Galien De facultatibus naturalibus I 6 (K I 12 = Charles Daremberg Œuvres anatomiques physiologiques et meacutedicales de Galien (Paris 1854) I 219-20) Avicenne Canon I fen 1 doc 6 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 f 20r)20) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 33-737 a 7 (trad P Louis) Cf Paul Moraux laquo Agrave propos du νους θύραθεν raquo in Augustin Mansion (eacuted) Autour drsquoAristote (Louvain 1955) 255-95 David M Balme Aristotlersquos De partibus anima-lium I and De generatione animalium I (Oxford 1972) 161-4 Gad Freudenthal Aristotlersquos eory of Material Substance Heat and Pneuma Form and Soul (Oxford 1995) 116-921) Avicenne De animalibus XVI i (eacuted Venise 1508 repr Louvain 1961 f 61va) Averroegraves Commentaire sur le Des animaux XVI 3 (eacuted Giunta Venise 1562 VI f 75vb) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (eacuted Giunta Venise 1565 repr Padoue 1985 f 72) Cf Gad Freudenthal laquo e Medieval Astrologization of Aristotlersquos Biol-

book_esm12-2indb 142book_esm12-2indb 142 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 6: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 139

demande si lrsquoacircme reacutesidant dans la semence en est responsable Selon lui les Aristoteacuteliciens appellent cette acircme laquo acircme veacutegeacutetative raquo et les Pla-toniciens laquo acircme concupiscible raquo tandis que les Stoiumlciens lrsquoappellent non pas laquo acircme raquo mais laquo nature raquo Galien lui-mecircme estime que cette acircme est deacutepourvue de sagesse et totalement irrationnelle Il admet aussi que quand lrsquoun de ses maicirctres platoniciens lui a enseigneacute que crsquoest lrsquoacircme du monde qui forme lrsquoembryon il trouvait possible drsquoattribuer une telle faculteacute agrave cette acircme universelle Mais pour lui srsquoil faut penser que les scorpions et drsquoautres becirctes deacutetestables sont aussi formeacutes par cette acircme crsquoest presque un blasphegraveme Tout ce qursquoil peut dire de certain crsquoest qursquoil existe une telle sagesse suprecircme comme cause de la formation fœtale

Cet argument fait penser que Galien nrsquoavait pas de certitude sur lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice Mais Leoniceno suggegravere que celui-ci a preacutefeacutereacute lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence Il sait en effet que Galien preacutesente cette opinion comme celle drsquoHippocrate dans le traiteacute De la semence I 9-1011 Lagrave en comparant la formation du fœtus avec celle de la plante le meacutedecin de Pergame reproche agrave Aristote drsquoavoir diffeacuteremment expliqueacute lrsquoœuvre de la nature entre les plantes et les ani-maux Selon lui le fœtus doit posseacuteder avant tout le principe veacutegeacutetatif qui faccedilonne les parties du corps agrave partir de la semence Alors Leoni-ceno estime que Galien qui suit fidegravelement Hippocrate conccediloit la vertu formatrice comme une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative qui reacuteside dans la semence

Il faut rappeler qursquoagrave la diffeacuterence de cette theacuteorie Galien identifie dans le commentaire des Aphorismes I 15 ce qui forme nourrit et fait croicirctre un animal agrave la chaleur naturelle12 Selon Leoniceno malgreacute ces deux conceptions diffeacuterentes Galien est coheacuterent Il dit

Que personne ne pense pour cela que [Galien] se contredise lui-mecircme ou par rapport agrave Hippocrate agrave savoir qursquoil a attribueacute la formation de lrsquoanimal drsquoune part agrave lrsquoacircme veacutegeacutetative qui est dans la semence comme dans le livre De la semence

11) Galien De semine I 9-10 (K IV 542-7 = De Lacy 93-9) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1212) Galien Commentaires sur les Aphorismes drsquoHippocrate I 15 (K XVII-B 420) Sur lrsquoacircme comme chaleur voir Hippocrate Du reacutegime I 10 (Littreacute VI 486) Hirai laquo Alter Galenus raquo n 13

book_esm12-2indb 139book_esm12-2indb 139 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

140 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

et drsquoautre part agrave la chaleur naturelle comme dans la premiegravere partie des Aphoris-mes De fait lrsquoideacutee que lrsquoacircme est la mecircme chose que la chaleur naturelle ou le tempeacuterament du corps qursquoon appelle laquo complexion raquo est aussi la doctrine drsquoHip-pocrate13

Pour Leoniceno bien que Galien avoue ignorer la substance de lrsquoacircme et de la cause faccedilonnante des animaux dans le De la formation des fœtus il preacutesente ailleurs tantocirct comme lrsquoopinion drsquoHippocrate tantocirct comme la sienne lrsquoideacutee que lrsquoacircme qui forme le fœtus est un certain laquo tempeacuterament raquo (temperamentum) crsquoest-agrave-dire un meacutelange des quatre qualiteacutes des eacuteleacutements14 Comme preuve il puise la parole de Galien dans le traiteacute Du tremblement 6 Dans ce passage particuliegraverement important pour son systegraveme physiologique Galien identifie la chaleur naturelle agrave la laquo nature raquo et agrave lrsquolaquo acircme raquo dans lrsquoanimal et affirme que cette chaleur nrsquoest ni extrinsegraveque ni posteacuterieure agrave la naissance de lrsquoanimal mais bien congeacutenitale15 Il srsquoagit lagrave du germe de la ceacutelegravebre theacuteorie de la laquo chaleur native raquo (calor nativus) ou laquo chaleur inneacutee raquo (calor innatus)16 Leoniceno conclut que si cette chaleur introduite dans la semence degraves le deacutebut est lrsquoacircme qui engendre lrsquoanimal Galien est en accord avec Hippocrate Ainsi pour lui la vertu formatrice de Galien doit ecirctre une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative identifieacutee agrave la chaleur inneacutee ou agrave un cer-tain tempeacuterament

13) De virtute f 2v = f 84v [Galenus] quem nemo putet ob id a seipso aut ab Hip-pocrate dissentire quod aliquando animalis formationem animae tribuit vegetali quae in semine existit veluti in libro De semine aliquando calori naturali ut in prima particula Aphorismorum Nam hoc quoque Hippocratis est dogma eandem rem esse animam et calorem naturalem sive corporis temperaturam quam complexi-onem vocant14) Sur la notion du temperamentum voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1415) Galien De tremore 6 (K VII 616 = David Sider et Michael McVaugh laquo Galen On Tremor Palpitation Spasm and Rigor Galeni De tremore palpitatione con-vulsione et rigore raquo Transactions and Studies of the College of Physicians of Philadel-phia 5th series 1 (1979) 183-210 ici 199-200)16) Sur la chaleur native voir Everett Mendelsohn Heat and Life e Development of the eory of Animal Heat (Cambridge MA 1964) omas S Hall laquo Life Death and the Radical Moisture A Study of ematic Pattern in Medieval Medical e-ory raquo Clio Medica 6 (1971) 3-23 Peter H Niebyl laquo Old Age Fever and the Lamp Metaphor raquo Journal of the History of Medicine 26 (1971) 351-68 Michael McVaugh laquo e humidum radicale in irteenth-Century Medicine raquo Traditio 30 (1974) 259-83

book_esm12-2indb 140book_esm12-2indb 140 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 141

3 Aristote et Pietro drsquoAbano chaleur ceacuteleste intellect et veacutehicule de lrsquoacircme

Leoniceno aborde ensuite lrsquoopinion drsquoAristote Il nous avertit que celui-ci traite souvent des questions difficiles agrave la maniegravere de la seiche qui noircit de lrsquoeau pour ne pas ecirctre captureacutee Il propose degraves lors de se fonder eacutegalement sur les eacutecrits de ses commentateurs Tout drsquoabord il rappelle le teacutemoignage de Galien qui affirme dans le traiteacute Des tempeacute-raments II 6 qursquoAristote a douteacute de lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice En effet Galien critique dans ce passage ceux qui nrsquoont pas consideacutereacute la cause de la formation animale comme la vertu formatrice qui rend habilement les parties du corps conformes aux mœurs de lrsquoacircme Il ajoute qursquoAristote srsquoest demandeacute srsquoil ne fallait pas attribuer cette vertu agrave un principe plus divin que les quatre qualiteacutes eacuteleacutementaires17 Mais Galien ne preacutecise pas nous le savons lrsquoendroit ougrave Aristote a exprimeacute ce doute Quant agrave Leoniceno il pense qursquoil srsquoagit de la fin du traiteacute des Meacuteteacuteorologiques IV 12 Lagrave Aristote attribue la cause de la formation des parties homeacuteomegraveres au chaud et au froid en eacutevoquant la laquo nature raquo ou laquo une autre cause raquo pour la formation des parties anhomeacuteomegraveres crsquoest-agrave-dire des organes comme la tecircte et le pied qui sont construits agrave partir des homeacuteomegraveres18 Selon Leoniceno crsquoest suivant cette distinc-tion que Galien eacutetablit deux sortes de vertus geacuteneacuteratrices dans le Des faculteacutes naturelles I 6 1) la laquo vertu alteacuteratrice raquo (virtus alterativa) qui est la premiegravere vertu mutatrice et agit agrave travers la chaleur 2) la laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) qui est lrsquoart suprecircme et agit par lrsquoordre de son Creacuteateur Leoniceno suit toutefois ici lrsquointerpreacutetation qursquoAvi-cenne expose dans son Canon sur la base de la theacuteorie de Galien Ainsi la vertu alteacuteratrice agit par les qualiteacutes eacuteleacutementaires et faccedilonne lrsquoos le nerf et drsquoautres parties homeacuteomegraveres tandis que la vertu formatrice eacuteta-blit lrsquoassemblage des membres organiques (selon Galien) et faccedilonne le trait et la figure des membres en effectuant drsquoautres opeacuterations com-

17) Galien De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De tempe-ramentis libri III (Leipzig 1904) 79) Cf De temperamentis I 9 (K I 567 = Hel-mreich 36)18) Aristote Meacuteteacuteorologiques IV 12 390 b 3-15

book_esm12-2indb 141book_esm12-2indb 141 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

142 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

plexes (selon Avicenne)19 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de la deux iegraveme vertu qursquoAristote et Galien se demandaient si elle nrsquoeacutetait pas plus divine que la force des qualiteacutes des eacuteleacutements

Apregraves cette explication Leoniceno deacuteplore que plusieurs philo-sophes et meacutedecins aient recours suivant la tradition des Arabes agrave une autre phrase drsquoAristote pour chercher la nature de la vertu formatrice Il srsquoagit du passage eacutenigmatique du traiteacute De la geacuteneacuteration des animaux (deacutesormais indiqueacute comme GA) II 3 qui a une dimension particu-liegraverement cosmologique Le voici drsquoapregraves la traduction moderne

Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle laquo chaleur raquo Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une substance de ce genre mais le pneuma emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature inheacuterente agrave ce pneuma et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral Crsquoest pour-quoi le feu nrsquoengendre aucun animal et il est manifeste qursquoaucun ecirctre ne se forme dans les matiegraveres du feu qursquoelles soient humides ou segraveches Au contraire la chaleur solaire a le pouvoir drsquoengendrer ainsi que la chaleur animale non seule-ment celle qui se manifeste par le sperme mais srsquoil se produit quelque autre reacutesidu naturel il ne possegravede pas moins lui aussi un principe vital Il ressort donc de ce qui preacutecegravede que la chaleur qui reacuteside dans les animaux nrsquoest pas du feu et qursquoelle nrsquoa pas son principe dans le feu20

Crsquoest agrave propos de ce passage que les Arabes comme Avicenne et Aver-roegraves ont parleacute de la vertu formatrice et que leur successeur Pietro drsquoAbano parmi les Latins a deacuteveloppeacute une interpreacutetation bien parti-culiegravere21 Leoniceno remarque qursquoAristote en parlant de la chaleur de la semence nrsquoexprime pas drsquoheacutesitation telle que Galien lrsquoa deacutecrite Pour

19) Galien De facultatibus naturalibus I 6 (K I 12 = Charles Daremberg Œuvres anatomiques physiologiques et meacutedicales de Galien (Paris 1854) I 219-20) Avicenne Canon I fen 1 doc 6 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 f 20r)20) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 33-737 a 7 (trad P Louis) Cf Paul Moraux laquo Agrave propos du νους θύραθεν raquo in Augustin Mansion (eacuted) Autour drsquoAristote (Louvain 1955) 255-95 David M Balme Aristotlersquos De partibus anima-lium I and De generatione animalium I (Oxford 1972) 161-4 Gad Freudenthal Aristotlersquos eory of Material Substance Heat and Pneuma Form and Soul (Oxford 1995) 116-921) Avicenne De animalibus XVI i (eacuted Venise 1508 repr Louvain 1961 f 61va) Averroegraves Commentaire sur le Des animaux XVI 3 (eacuted Giunta Venise 1562 VI f 75vb) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (eacuted Giunta Venise 1565 repr Padoue 1985 f 72) Cf Gad Freudenthal laquo e Medieval Astrologization of Aristotlersquos Biol-

book_esm12-2indb 142book_esm12-2indb 142 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 7: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

140 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

et drsquoautre part agrave la chaleur naturelle comme dans la premiegravere partie des Aphoris-mes De fait lrsquoideacutee que lrsquoacircme est la mecircme chose que la chaleur naturelle ou le tempeacuterament du corps qursquoon appelle laquo complexion raquo est aussi la doctrine drsquoHip-pocrate13

Pour Leoniceno bien que Galien avoue ignorer la substance de lrsquoacircme et de la cause faccedilonnante des animaux dans le De la formation des fœtus il preacutesente ailleurs tantocirct comme lrsquoopinion drsquoHippocrate tantocirct comme la sienne lrsquoideacutee que lrsquoacircme qui forme le fœtus est un certain laquo tempeacuterament raquo (temperamentum) crsquoest-agrave-dire un meacutelange des quatre qualiteacutes des eacuteleacutements14 Comme preuve il puise la parole de Galien dans le traiteacute Du tremblement 6 Dans ce passage particuliegraverement important pour son systegraveme physiologique Galien identifie la chaleur naturelle agrave la laquo nature raquo et agrave lrsquolaquo acircme raquo dans lrsquoanimal et affirme que cette chaleur nrsquoest ni extrinsegraveque ni posteacuterieure agrave la naissance de lrsquoanimal mais bien congeacutenitale15 Il srsquoagit lagrave du germe de la ceacutelegravebre theacuteorie de la laquo chaleur native raquo (calor nativus) ou laquo chaleur inneacutee raquo (calor innatus)16 Leoniceno conclut que si cette chaleur introduite dans la semence degraves le deacutebut est lrsquoacircme qui engendre lrsquoanimal Galien est en accord avec Hippocrate Ainsi pour lui la vertu formatrice de Galien doit ecirctre une puissance de lrsquoacircme veacutegeacutetative identifieacutee agrave la chaleur inneacutee ou agrave un cer-tain tempeacuterament

13) De virtute f 2v = f 84v [Galenus] quem nemo putet ob id a seipso aut ab Hip-pocrate dissentire quod aliquando animalis formationem animae tribuit vegetali quae in semine existit veluti in libro De semine aliquando calori naturali ut in prima particula Aphorismorum Nam hoc quoque Hippocratis est dogma eandem rem esse animam et calorem naturalem sive corporis temperaturam quam complexi-onem vocant14) Sur la notion du temperamentum voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 1415) Galien De tremore 6 (K VII 616 = David Sider et Michael McVaugh laquo Galen On Tremor Palpitation Spasm and Rigor Galeni De tremore palpitatione con-vulsione et rigore raquo Transactions and Studies of the College of Physicians of Philadel-phia 5th series 1 (1979) 183-210 ici 199-200)16) Sur la chaleur native voir Everett Mendelsohn Heat and Life e Development of the eory of Animal Heat (Cambridge MA 1964) omas S Hall laquo Life Death and the Radical Moisture A Study of ematic Pattern in Medieval Medical e-ory raquo Clio Medica 6 (1971) 3-23 Peter H Niebyl laquo Old Age Fever and the Lamp Metaphor raquo Journal of the History of Medicine 26 (1971) 351-68 Michael McVaugh laquo e humidum radicale in irteenth-Century Medicine raquo Traditio 30 (1974) 259-83

book_esm12-2indb 140book_esm12-2indb 140 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 141

3 Aristote et Pietro drsquoAbano chaleur ceacuteleste intellect et veacutehicule de lrsquoacircme

Leoniceno aborde ensuite lrsquoopinion drsquoAristote Il nous avertit que celui-ci traite souvent des questions difficiles agrave la maniegravere de la seiche qui noircit de lrsquoeau pour ne pas ecirctre captureacutee Il propose degraves lors de se fonder eacutegalement sur les eacutecrits de ses commentateurs Tout drsquoabord il rappelle le teacutemoignage de Galien qui affirme dans le traiteacute Des tempeacute-raments II 6 qursquoAristote a douteacute de lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice En effet Galien critique dans ce passage ceux qui nrsquoont pas consideacutereacute la cause de la formation animale comme la vertu formatrice qui rend habilement les parties du corps conformes aux mœurs de lrsquoacircme Il ajoute qursquoAristote srsquoest demandeacute srsquoil ne fallait pas attribuer cette vertu agrave un principe plus divin que les quatre qualiteacutes eacuteleacutementaires17 Mais Galien ne preacutecise pas nous le savons lrsquoendroit ougrave Aristote a exprimeacute ce doute Quant agrave Leoniceno il pense qursquoil srsquoagit de la fin du traiteacute des Meacuteteacuteorologiques IV 12 Lagrave Aristote attribue la cause de la formation des parties homeacuteomegraveres au chaud et au froid en eacutevoquant la laquo nature raquo ou laquo une autre cause raquo pour la formation des parties anhomeacuteomegraveres crsquoest-agrave-dire des organes comme la tecircte et le pied qui sont construits agrave partir des homeacuteomegraveres18 Selon Leoniceno crsquoest suivant cette distinc-tion que Galien eacutetablit deux sortes de vertus geacuteneacuteratrices dans le Des faculteacutes naturelles I 6 1) la laquo vertu alteacuteratrice raquo (virtus alterativa) qui est la premiegravere vertu mutatrice et agit agrave travers la chaleur 2) la laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) qui est lrsquoart suprecircme et agit par lrsquoordre de son Creacuteateur Leoniceno suit toutefois ici lrsquointerpreacutetation qursquoAvi-cenne expose dans son Canon sur la base de la theacuteorie de Galien Ainsi la vertu alteacuteratrice agit par les qualiteacutes eacuteleacutementaires et faccedilonne lrsquoos le nerf et drsquoautres parties homeacuteomegraveres tandis que la vertu formatrice eacuteta-blit lrsquoassemblage des membres organiques (selon Galien) et faccedilonne le trait et la figure des membres en effectuant drsquoautres opeacuterations com-

17) Galien De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De tempe-ramentis libri III (Leipzig 1904) 79) Cf De temperamentis I 9 (K I 567 = Hel-mreich 36)18) Aristote Meacuteteacuteorologiques IV 12 390 b 3-15

book_esm12-2indb 141book_esm12-2indb 141 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

142 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

plexes (selon Avicenne)19 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de la deux iegraveme vertu qursquoAristote et Galien se demandaient si elle nrsquoeacutetait pas plus divine que la force des qualiteacutes des eacuteleacutements

Apregraves cette explication Leoniceno deacuteplore que plusieurs philo-sophes et meacutedecins aient recours suivant la tradition des Arabes agrave une autre phrase drsquoAristote pour chercher la nature de la vertu formatrice Il srsquoagit du passage eacutenigmatique du traiteacute De la geacuteneacuteration des animaux (deacutesormais indiqueacute comme GA) II 3 qui a une dimension particu-liegraverement cosmologique Le voici drsquoapregraves la traduction moderne

Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle laquo chaleur raquo Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une substance de ce genre mais le pneuma emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature inheacuterente agrave ce pneuma et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral Crsquoest pour-quoi le feu nrsquoengendre aucun animal et il est manifeste qursquoaucun ecirctre ne se forme dans les matiegraveres du feu qursquoelles soient humides ou segraveches Au contraire la chaleur solaire a le pouvoir drsquoengendrer ainsi que la chaleur animale non seule-ment celle qui se manifeste par le sperme mais srsquoil se produit quelque autre reacutesidu naturel il ne possegravede pas moins lui aussi un principe vital Il ressort donc de ce qui preacutecegravede que la chaleur qui reacuteside dans les animaux nrsquoest pas du feu et qursquoelle nrsquoa pas son principe dans le feu20

Crsquoest agrave propos de ce passage que les Arabes comme Avicenne et Aver-roegraves ont parleacute de la vertu formatrice et que leur successeur Pietro drsquoAbano parmi les Latins a deacuteveloppeacute une interpreacutetation bien parti-culiegravere21 Leoniceno remarque qursquoAristote en parlant de la chaleur de la semence nrsquoexprime pas drsquoheacutesitation telle que Galien lrsquoa deacutecrite Pour

19) Galien De facultatibus naturalibus I 6 (K I 12 = Charles Daremberg Œuvres anatomiques physiologiques et meacutedicales de Galien (Paris 1854) I 219-20) Avicenne Canon I fen 1 doc 6 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 f 20r)20) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 33-737 a 7 (trad P Louis) Cf Paul Moraux laquo Agrave propos du νους θύραθεν raquo in Augustin Mansion (eacuted) Autour drsquoAristote (Louvain 1955) 255-95 David M Balme Aristotlersquos De partibus anima-lium I and De generatione animalium I (Oxford 1972) 161-4 Gad Freudenthal Aristotlersquos eory of Material Substance Heat and Pneuma Form and Soul (Oxford 1995) 116-921) Avicenne De animalibus XVI i (eacuted Venise 1508 repr Louvain 1961 f 61va) Averroegraves Commentaire sur le Des animaux XVI 3 (eacuted Giunta Venise 1562 VI f 75vb) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (eacuted Giunta Venise 1565 repr Padoue 1985 f 72) Cf Gad Freudenthal laquo e Medieval Astrologization of Aristotlersquos Biol-

book_esm12-2indb 142book_esm12-2indb 142 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 8: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 141

3 Aristote et Pietro drsquoAbano chaleur ceacuteleste intellect et veacutehicule de lrsquoacircme

Leoniceno aborde ensuite lrsquoopinion drsquoAristote Il nous avertit que celui-ci traite souvent des questions difficiles agrave la maniegravere de la seiche qui noircit de lrsquoeau pour ne pas ecirctre captureacutee Il propose degraves lors de se fonder eacutegalement sur les eacutecrits de ses commentateurs Tout drsquoabord il rappelle le teacutemoignage de Galien qui affirme dans le traiteacute Des tempeacute-raments II 6 qursquoAristote a douteacute de lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice En effet Galien critique dans ce passage ceux qui nrsquoont pas consideacutereacute la cause de la formation animale comme la vertu formatrice qui rend habilement les parties du corps conformes aux mœurs de lrsquoacircme Il ajoute qursquoAristote srsquoest demandeacute srsquoil ne fallait pas attribuer cette vertu agrave un principe plus divin que les quatre qualiteacutes eacuteleacutementaires17 Mais Galien ne preacutecise pas nous le savons lrsquoendroit ougrave Aristote a exprimeacute ce doute Quant agrave Leoniceno il pense qursquoil srsquoagit de la fin du traiteacute des Meacuteteacuteorologiques IV 12 Lagrave Aristote attribue la cause de la formation des parties homeacuteomegraveres au chaud et au froid en eacutevoquant la laquo nature raquo ou laquo une autre cause raquo pour la formation des parties anhomeacuteomegraveres crsquoest-agrave-dire des organes comme la tecircte et le pied qui sont construits agrave partir des homeacuteomegraveres18 Selon Leoniceno crsquoest suivant cette distinc-tion que Galien eacutetablit deux sortes de vertus geacuteneacuteratrices dans le Des faculteacutes naturelles I 6 1) la laquo vertu alteacuteratrice raquo (virtus alterativa) qui est la premiegravere vertu mutatrice et agit agrave travers la chaleur 2) la laquo vertu formatrice raquo (virtus formativa) qui est lrsquoart suprecircme et agit par lrsquoordre de son Creacuteateur Leoniceno suit toutefois ici lrsquointerpreacutetation qursquoAvi-cenne expose dans son Canon sur la base de la theacuteorie de Galien Ainsi la vertu alteacuteratrice agit par les qualiteacutes eacuteleacutementaires et faccedilonne lrsquoos le nerf et drsquoautres parties homeacuteomegraveres tandis que la vertu formatrice eacuteta-blit lrsquoassemblage des membres organiques (selon Galien) et faccedilonne le trait et la figure des membres en effectuant drsquoautres opeacuterations com-

17) Galien De temperamentis II 6 (K I 635-6 = Georg Helmreich Galeni De tempe-ramentis libri III (Leipzig 1904) 79) Cf De temperamentis I 9 (K I 567 = Hel-mreich 36)18) Aristote Meacuteteacuteorologiques IV 12 390 b 3-15

book_esm12-2indb 141book_esm12-2indb 141 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

142 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

plexes (selon Avicenne)19 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de la deux iegraveme vertu qursquoAristote et Galien se demandaient si elle nrsquoeacutetait pas plus divine que la force des qualiteacutes des eacuteleacutements

Apregraves cette explication Leoniceno deacuteplore que plusieurs philo-sophes et meacutedecins aient recours suivant la tradition des Arabes agrave une autre phrase drsquoAristote pour chercher la nature de la vertu formatrice Il srsquoagit du passage eacutenigmatique du traiteacute De la geacuteneacuteration des animaux (deacutesormais indiqueacute comme GA) II 3 qui a une dimension particu-liegraverement cosmologique Le voici drsquoapregraves la traduction moderne

Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle laquo chaleur raquo Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une substance de ce genre mais le pneuma emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature inheacuterente agrave ce pneuma et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral Crsquoest pour-quoi le feu nrsquoengendre aucun animal et il est manifeste qursquoaucun ecirctre ne se forme dans les matiegraveres du feu qursquoelles soient humides ou segraveches Au contraire la chaleur solaire a le pouvoir drsquoengendrer ainsi que la chaleur animale non seule-ment celle qui se manifeste par le sperme mais srsquoil se produit quelque autre reacutesidu naturel il ne possegravede pas moins lui aussi un principe vital Il ressort donc de ce qui preacutecegravede que la chaleur qui reacuteside dans les animaux nrsquoest pas du feu et qursquoelle nrsquoa pas son principe dans le feu20

Crsquoest agrave propos de ce passage que les Arabes comme Avicenne et Aver-roegraves ont parleacute de la vertu formatrice et que leur successeur Pietro drsquoAbano parmi les Latins a deacuteveloppeacute une interpreacutetation bien parti-culiegravere21 Leoniceno remarque qursquoAristote en parlant de la chaleur de la semence nrsquoexprime pas drsquoheacutesitation telle que Galien lrsquoa deacutecrite Pour

19) Galien De facultatibus naturalibus I 6 (K I 12 = Charles Daremberg Œuvres anatomiques physiologiques et meacutedicales de Galien (Paris 1854) I 219-20) Avicenne Canon I fen 1 doc 6 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 f 20r)20) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 33-737 a 7 (trad P Louis) Cf Paul Moraux laquo Agrave propos du νους θύραθεν raquo in Augustin Mansion (eacuted) Autour drsquoAristote (Louvain 1955) 255-95 David M Balme Aristotlersquos De partibus anima-lium I and De generatione animalium I (Oxford 1972) 161-4 Gad Freudenthal Aristotlersquos eory of Material Substance Heat and Pneuma Form and Soul (Oxford 1995) 116-921) Avicenne De animalibus XVI i (eacuted Venise 1508 repr Louvain 1961 f 61va) Averroegraves Commentaire sur le Des animaux XVI 3 (eacuted Giunta Venise 1562 VI f 75vb) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (eacuted Giunta Venise 1565 repr Padoue 1985 f 72) Cf Gad Freudenthal laquo e Medieval Astrologization of Aristotlersquos Biol-

book_esm12-2indb 142book_esm12-2indb 142 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 9: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

142 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

plexes (selon Avicenne)19 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de la deux iegraveme vertu qursquoAristote et Galien se demandaient si elle nrsquoeacutetait pas plus divine que la force des qualiteacutes des eacuteleacutements

Apregraves cette explication Leoniceno deacuteplore que plusieurs philo-sophes et meacutedecins aient recours suivant la tradition des Arabes agrave une autre phrase drsquoAristote pour chercher la nature de la vertu formatrice Il srsquoagit du passage eacutenigmatique du traiteacute De la geacuteneacuteration des animaux (deacutesormais indiqueacute comme GA) II 3 qui a une dimension particu-liegraverement cosmologique Le voici drsquoapregraves la traduction moderne

Il y a toujours dans le sperme ce qui rend les semences feacutecondes crsquoest-agrave-dire ce qursquoon appelle laquo chaleur raquo Or cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une substance de ce genre mais le pneuma emmagasineacute dans le sperme et dans lrsquoeacutecumeux et la nature inheacuterente agrave ce pneuma et qui est analogue agrave lrsquoeacuteleacutement astral Crsquoest pour-quoi le feu nrsquoengendre aucun animal et il est manifeste qursquoaucun ecirctre ne se forme dans les matiegraveres du feu qursquoelles soient humides ou segraveches Au contraire la chaleur solaire a le pouvoir drsquoengendrer ainsi que la chaleur animale non seule-ment celle qui se manifeste par le sperme mais srsquoil se produit quelque autre reacutesidu naturel il ne possegravede pas moins lui aussi un principe vital Il ressort donc de ce qui preacutecegravede que la chaleur qui reacuteside dans les animaux nrsquoest pas du feu et qursquoelle nrsquoa pas son principe dans le feu20

Crsquoest agrave propos de ce passage que les Arabes comme Avicenne et Aver-roegraves ont parleacute de la vertu formatrice et que leur successeur Pietro drsquoAbano parmi les Latins a deacuteveloppeacute une interpreacutetation bien parti-culiegravere21 Leoniceno remarque qursquoAristote en parlant de la chaleur de la semence nrsquoexprime pas drsquoheacutesitation telle que Galien lrsquoa deacutecrite Pour

19) Galien De facultatibus naturalibus I 6 (K I 12 = Charles Daremberg Œuvres anatomiques physiologiques et meacutedicales de Galien (Paris 1854) I 219-20) Avicenne Canon I fen 1 doc 6 cap 2 (eacuted Giunta Venise 1555 f 20r)20) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 33-737 a 7 (trad P Louis) Cf Paul Moraux laquo Agrave propos du νους θύραθεν raquo in Augustin Mansion (eacuted) Autour drsquoAristote (Louvain 1955) 255-95 David M Balme Aristotlersquos De partibus anima-lium I and De generatione animalium I (Oxford 1972) 161-4 Gad Freudenthal Aristotlersquos eory of Material Substance Heat and Pneuma Form and Soul (Oxford 1995) 116-921) Avicenne De animalibus XVI i (eacuted Venise 1508 repr Louvain 1961 f 61va) Averroegraves Commentaire sur le Des animaux XVI 3 (eacuted Giunta Venise 1562 VI f 75vb) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (eacuted Giunta Venise 1565 repr Padoue 1985 f 72) Cf Gad Freudenthal laquo e Medieval Astrologization of Aristotlersquos Biol-

book_esm12-2indb 142book_esm12-2indb 142 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 10: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 143

lui le Stagirite ne fait pas ici drsquoallusion agrave la vertu formatrice En com-parant la geacuteneacuteration spontaneacutee causeacutee par la chaleur ceacuteleste avec la geacuteneacuteration effectueacutee par la chaleur seacuteminale Leoniceno explique alors la veacuteritable nature de cette chaleur seacuteminale

En effet Aristote ne nie pas que ces qualiteacutes crsquoest-agrave-dire lrsquohumide et le sec contribuent en tant que principes passifs agrave la constitution des animaux lorsque la chaleur vivifiante qursquoil affirme analogue agrave la chaleur des eacutetoiles agit en ces [qualiteacutes] Telle est la chaleur qui est contenue dans la semence Car comme la chaleur ceacuteleste agit sur la boue drsquoougrave elle engendre des animaux la chaleur de la semence effectue la mecircme chose dans la matiegravere qui lui convient Crsquoest pourquoi Aristote nrsquoappelle pas cette chaleur introduite dans la semence laquo chaleur ceacuteleste raquo comme certains le pensent mais laquo analogue agrave la chaleur ceacuteleste raquo22

En insistant sur le fait que la chaleur seacuteminale est seulement laquo ana-logue raquo agrave la chaleur ceacuteleste pour Aristote Leoniceno nie lrsquoidentification que Pietro eacutetablit entre ces deux chaleurs Il divise alors la chaleur en deux sortes lrsquoune est utiliseacutee par la nature comme instrument pour la geacuteneacuteration animale et lrsquoautre lrsquoest par lrsquoart pour la perfection des œuvres Pour Leoniceno la premiegravere chaleur instrument de la geacuteneacutera-tion animale est contenue dans la semence et possegravede un principe vital selon la phrase drsquoAristote Il preacutecise que cette chaleur vivifiante nrsquoest pas seulement enfermeacutee dans la semence mais aussi dans des reacutesidus sordides Pour lui aucune personne saine drsquoesprit ne peut estimer laquo ceacuteleste raquo ou laquo divine raquo la chaleur contenue dans de tels reacutesidus Il accuse degraves lors Averroegraves et Pietro drsquoavoir conclu en se fondant sur ce passage qursquoAristote assimile la vertu formatrice aux principes divins en lrsquoappelant laquo chose divine raquo ou laquo intellect raquo et en lrsquoestimant laquo seacuteparable du corps raquo

ogy Averroes on the Role of the Celestial Bodies in the Generation of Animate Beings raquo Arabic Sciences and Philosophy 12 (2002) 111-3722) De virtute f 3r = f 86r Has enim qualitates scilicet humiditatem et siccitatem tamquam principia passiva conferre ad constitutionem animalium non negat Aristo-teles quum calor vivificus agit in ipsas quem ait esse proportionalem calori stella-rum qualis est qui in semine continetur Sicuti enim calor cœlestis agens in lutum ex eo generat animalia ita et calor seminis in materiam sibi convenientem idem ope-ratur Quare hic calor semini inditus non calor cœlestis ut quidam opinantur sed calori cœlesti poportionalis ab Aristotele dicitur

book_esm12-2indb 143book_esm12-2indb 143 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 11: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

144 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Agrave partir drsquoici Leoniceno se concentre sur la critique de la diffeacuterence 48 du Conciliator chapitre important pour lrsquoembryologie de Pietro Pour lui celui-ci deacuteforme complegravetement ce qursquoAristote a enseigneacute Reacutesumons lrsquoessentiel du passage que Leoniceno tire de Pietro23 Comme la vertu formatrice ne semble pas avoir drsquoinstrument figureacute dans la masse spermatique Aristote estime cette vertu laquo seacuteparable raquo du corps bien que sa seacuteparabiliteacute soit beaucoup plus faible que celle de lrsquointellect totalement seacutepareacute de la matiegravere Pour Pietro la vertu forma-trice est divine agissante et supeacuterieure aux autres vertus geacuteneacuteratrices puisqursquoelle est simple et presque immateacuterielle Mais comme elle est incapable de toucher directement la matiegravere elle a besoin drsquoun sub-strat distinct qui peut la veacutehiculer pour la geacuteneacuteration du fœtus Ce veacutehicule est un corps subtil spiritus La vertu formatrice a aussi besoin des deux instruments dont lrsquoun est la chaleur ceacuteleste qui est toujours vivifiante et jamais destructive en faisant acceacuteder les ecirctres produits agrave une certaine conformiteacute avec le ciel Elle est lrsquoinstrument le plus digne de tous et par son intermeacutediaire la vertu formatrice exerce ses actions nobles qui deacuteterminent tel ou tel ecirctre Lrsquoautre instrument de la vertu formatrice est la chaleur eacuteleacutementaire qui ne peut vivifier et conserver des choses naturelles qursquoavec lrsquoaide de la chaleur ceacuteleste Enfin Pietro ajoute que Galien a eacutegalement recours agrave cette explication de la double chaleur en ce qui concerne la maturation des ceacutereacuteales dans son traiteacute Des faculteacutes des meacutedicaments simples IV 1224

Bien qursquoil estime la reacuteputation de Pietro consideacuterable Leoniceno ose le contredire Il critique tout drsquoabord lrsquoideacutee de Pietro sur le double instrument de la vertu formatrice (chaleur ceacuteleste et chaleur igneacutee) Pour Leoniceno cette ideacutee nrsquoest pas coheacuterente avec lrsquoenseignement drsquoAristote En effet mecircme selon la traduction meacutedieacutevale que Pietro utilise Aristote montre dans ce passage que la chaleur ceacuteleste nrsquoest pas

23) Pietro drsquoAbano Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A-C) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 3-8 Voir aussi Paschetto Pietro drsquoAbano 199-202 Danielle Jac-quart laquo Meacutedecine et astrologie agrave Paris dans la premiegravere moitieacute du XIVe siegravecle raquo in Graziella Federici Vescovini et al (eacuteds) Filosofia scienza e astrologia nel Trecento euro-peo (Padoue 1992) 121-34 ead laquo Lrsquoinfluence des astres sur le corps humain chez Pietro drsquoAbano raquo in Bernard Ribeacutemont (eacuted) Le corps et ses eacutenigmes au Moyen Age (Caen 1993) 73-8624) Galien De simplicium medicamentorum facultatibus IV 12 (K XI 657)

book_esm12-2indb 144book_esm12-2indb 144 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 12: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 145

lrsquoinstrument de la vertu formatrice ou de toute autre vertu qui la dirige Leoniceno souligne en particulier que le Stagirite place la cha-leur qui feacuteconde la semence agrave lrsquointeacuterieur de la semence et non agrave lrsquoex-teacuterieur comme la chaleur ceacuteleste Il preacutecise aussi que la phrase laquo cette chaleur nrsquoest ni du feu ni une vertu de ce genre raquo est ajouteacutee pour que personne ne lrsquoidentifie faussement agrave la chaleur igneacutee qui nrsquoest pas geacuteneacute-ratrice mais destructrice La chaleur seacuteminale nrsquoest donc ni ceacuteleste ni igneacutee Crsquoest pourquoi Aristote estime que la nature geacuteneacuteratrice de cette chaleur qui est contenue dans la semence ou dans le spiritus de celle-ci est seulement laquo analogue raquo au rang des astres Car ce qui est analogue nrsquoest pas identique Leoniceno cite agrave lrsquoappui de cette inter-preacutetation la nouvelle traduction de eacuteodore de Gaza (1400-1476) qui se lit comme suit laquo correspondant par analogie agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles raquo25

Leoniceno explique alors comment comprendre correctement la chaleur seacuteminale Selon lui il existe une troisiegraveme chaleur qui bien qursquoelle soit issue de lrsquoeacuteleacutement de feu est propre agrave la geacuteneacuteration des vivants et est estimeacutee pour cette raison analogue agrave la chaleur ceacuteleste Il nous avertit de ne pas consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme la cause de la geacuteneacuteration animale suivant agrave tort la ceacutelegravebre phrase drsquoAristote Physique II 2 laquo Ce qui engendre lrsquohomme crsquoest lrsquohomme plus le soleil raquo26 Il refuse surtout de consideacuterer la chaleur ceacuteleste comme lrsquoin-strument interne de la semence et de la lier agrave la vertu formatrice Puis il explique ce que Galien voulait dire dans le passage du Des faculteacutes des meacutedicaments simples sur lequel Pietro fondait son argument Selon lui outre la chaleur interne qui est conccedilue comme lrsquoacircme des semences Galien admettait la chaleur ceacuteleste comme auxiliaire neacutecessaire pour la maturation des ceacutereacuteales

Ensuite Leoniceno aborde la question de savoir si Aristote appelle la vertu formatrice laquo intellect raquo ou laquo chose divine raquo et srsquoil lrsquoestime laquo seacutepa-

25) Sur eacuteodore de Gaza voir John Monfasani George of Trebizond A Biography and a Study of his Rhetoric and Logic (Leyde 1976) id laquo e Pseudo-Aristotelian Problemata and Aristotlersquos De Animalibus in the Renaissance raquo in Anthony Grafton et Nancy Siraisi (eacuteds) Natural Particulars Nature and the Disciplines in Renaissance Europe (Cambridge MA 1999) 205-4726) Aristote Physique II 2 194 b 14 Cf Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 10 336 a 31

book_esm12-2indb 145book_esm12-2indb 145 9-5-2007 1227389-5-2007 122738

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 13: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

146 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

rable du corps raquo Selon lui quand le Stagirite eacutenonce que laquo lrsquointellect seul vient du dehors raquo que laquo crsquoest seulement lui qui est divin raquo et que laquo cela nrsquoa rien de commun avec le corps raquo il ne parle que de lrsquointellect (mens ou intellectus)27 Si ces trois phrases concernent le seul intellect comment pourraient-elles aussi srsquoappliquer agrave la vertu formatrice En estimant la nouvelle traduction de eacuteodore plus fidegravele et plus claire Leoniceno affirme que ces phrases ne parlent pas de la vertu formatrice mais seulement de ce qui est appeleacute laquo intellect raquo Et il donne une autre phrase cruciale drsquoAristote qui parle aussi de lrsquointellect (GA 737 a 7-12)

Or le corps du sperme [est ce] dans lequel est veacutehiculeacutee la semence du principe psychique en partie seacuteparable du corps chez les ecirctres ougrave est comprise une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo en partie inseacuteparable etc28

Si chacune de ces quatre phrases pouvait srsquoappliquer agrave la vertu forma-trice comme le veut Pietro les caractegraveres tels que lrsquoidentiteacute avec lrsquointellect la seacuteparabiliteacute la diviniteacute lrsquoorigine extrinsegraveque et la reacutesi-dence dans la semence seraient aussi attribueacutes agrave cette vertu Mais Leoniceno affirme que tout cela est faux Pour lui Pietro lui-mecircme aurait ducirc srsquoen apercevoir Pourtant celui-ci agrave cause de lrsquoobscuriteacute de la traduction laquo barbare raquo a inventeacute un terme eacutetonnant auquel Aristote nrsquoa jamais songeacute Car il a non seulement identifieacute la vertu formatrice agrave lrsquointellect mais aussi lrsquoa nommeacutee laquo intellect appeleacute raquo (intellectus vocatus) agrave la diffeacuterence de lrsquointellect passif ou actif Mais dans quel texte

27) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 3 736 b 27-9 Leoniceno utilise les deux termes mens et intellectus comme synonymes Sur lrsquoideacutee de lrsquointellect dans la tradition arabo-latine voir Eacutetienne Gilson laquo Les sources greacuteco-arabes de lrsquoaugusti-nisme avicennisant raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 4 (1929-30) 5-149 Herbert A Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes on Intellect eir Cosmologies eories of the Active Intellect and eories of Human Intellect (Oxford 1992) 28) De virtute f 3v = f 87r Corpus autem geniturae in quo semen animalis principii contentum una provenit partim separabile a corpore in quibus divina pars comprehendi-tur qualis est quae mens appellatur partim inseparabile etc Cf Aristote De la geacuteneacutera-tion des animaux II 3 737 a 7-12 Voici la version meacutedieacutevale que Pietro donne dans le Conciliator diff 48 (Giunta f 72 col 1 A) Geniturae corpus in quod egreditur quod animalis principii Et hoc quidem separabile existens a corpore in quibuscumque apprehenditur quid divinum Talis autem [est] quod vocatus intellectus

book_esm12-2indb 146book_esm12-2indb 146 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 14: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 147

drsquoAristote se demande Leoniceno Pietro a-t-il trouveacute le terme laquo appeleacute raquo (vocatus) pour deacutesigner une proprieacuteteacute de lrsquointellect comme laquo passif raquo et laquo actif raquo Pour lrsquohumaniste ferrarais ce nrsquoest qursquoune sottise Il conclut que la nouvelle traduction de eacuteodore qui adopte la phrase laquo une partie divine telle que celle qui est appeleacutee laquo intellect raquo etc raquo deacutetruit lrsquoidentification erroneacutee de Pietro

Enfin Leoniceno srsquoattaque agrave la premiegravere partie de lrsquoargument de Pietro qui affirmait que le Stagirite estime laquo seacuteparable raquo la vertu forma-trice puisqursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute dans le sperme Selon Leo-niceno si une vertu est estimeacutee laquo seacuteparable du corps raquo ce nrsquoest pas parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument figureacute mais bien parce qursquoelle nrsquoa pas drsquoinstrument corporel ou pour utiliser les termes drsquoAristote parce que son action nrsquoa rien de commun avec celle du corps Il ne srsquoagit que de la vertu intellectuelle Les autres puissances de lrsquoacircme ne peuvent pas srsquoexercer sans le corps puisqursquoelles en sont inseacuteparables et que leur action est corporelle Agrave ce propos Leoniceno a recours agrave la paraphrase de eacutemistius (ca 317-ca 388) du traiteacute De lrsquoacircme I 1 ougrave Aristote se demande si lrsquoacircme est seacuteparable du corps Drsquoapregraves eacutemistius srsquoil nrsquoy a rien de propre agrave la seule acircme et si le corps est toujours requis pour les actions de lrsquoacircme et bien que ce corps soit corporel ou quelque chose de plus intime et plus cacheacute tel que Platon lrsquoimaginait lrsquoacircme ne peut pas subsister seacutepareacutement du corps29 Alors tout en admettant que la vertu formatrice possegravede un corps subtil spiritus comme son instru-ment Leoniceno nie que cette vertu soit seacuteparable de son instrument corporel

Leoniceno refuse aussi la diviniteacute agrave la vertu formatrice en remar-quant que celle-ci est contenue dans un corps sordide crsquoest-agrave-dire dans la semence qui nrsquoest que le reacutesidu de lrsquoaliment Pour lui il est absurde

29) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 1 (Richard Heinze emistii in libros Aris-totelis de anima paraphrasis (Berlin 1899) 6 = Ermolao Barbaro emistii libri para-phraseos (Venise 1499 repr Francfort 1978) f 69r = Robert Todd emistius On Aristotle On the Soul (London 1996) 20) La partie laquo tel que Platon lrsquoimaginait raquo semble lrsquointerpolation drsquoErmolao Barbaro (1454-1493) Sa traduction latine a eacuteteacute publieacutee agrave Treacutevise en 1481 et puis plusieurs fois agrave Venise Cf Vittore Branca laquo Ermo-lao Barbaro and Late Quattrocento Venetian Humanism raquo in John R Hale (eacuted) Renaissance Venice (London 1973) 213-43 Sur eacutemistius agrave la Renaissance voir Robert Todd laquo emistius raquo Catalogus translationum et commentariorum 8 (2003) 59-102

book_esm12-2indb 147book_esm12-2indb 147 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 15: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

148 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

drsquoattribuer quelque chose de divin aux choses sordides Crsquoest pourquoi Aristote ne pense pas que la vertu intellectuelle chose divine vienne avec la semence mais qursquoelle laquo vient du dehors raquo Leoniceno en conclut que cette vertu intellectuelle nrsquoest pas formatrice parce qursquoAristote lrsquoestime tellement seacutepareacutee du corps qursquoelle ne peut pas utiliser comme instrument un corps subtil mecircme drsquoun moindre degreacute de corporeacuteiteacute

Crsquoest ainsi que Leoniceno achegraveve sa reacutefutation de Pietro Mais pour eacuteclaircir davantage le problegraveme des passages eacutevoqueacutes du GA il a recours agrave un autre texte lrsquounique commentaire grec existant de ce traiteacute Il srsquoagit du texte parfois attribueacute faussement agrave Jean Philopon (ca 490-ca 570) mais en reacutealiteacute composeacute agrave Byzance dans la premiegravere moitieacute du douziegraveme siegravecle par Michel drsquoEacutephegravese (fl ca 1138) qui voulait com-bler la lacune des commentaires sur lrsquoœuvre drsquoAristote30 Pour montrer que le passage eacutevoqueacute (GA 737 a 7-12) concerne uniquement lrsquointel-lect Leoniceno cite le commentaire de Michel qui a rendu selon lui la phrase plus harmonieuse en ajoutant un relatif cujus ce qui donne le passage suivant

Mais le corps du sperme [est ce] dans lequel vient ensemble la semence du prin-cipe de lrsquoacircme La partie de cette acircme crsquoest-agrave-dire lrsquointellect est seacutepareacutee comme ce qui vient du dehors tandis que ce qui est inseacuteparable est eacutevidemment la partie irrationnelle31

Pour lui cette interpreacutetation qui ne divise que lrsquoacircme en partie intel-lectuelle et en partie irrationnelle montre clairement qursquoAristote ne parle pas ici de la vertu formatrice

30) Voir Anthony Preus Aristotle and Michael of Ephesus on the Movement and Progres-sion of Animals (Hildesheim 1981) id laquo Michael of Ephesus and the History of Zoology raquo in Aldo Bernardo et Saul Levin (eacuteds) e Classics in the Middle Ages (Bing-hamton 1990) 265-82 Robert Browning laquo An Unpublished Funeral Oration on Anna Comnena raquo in Richard Sorabji (eacuted) Aristotle Transformed e Ancient Com-mentators and their Influence (London 1990) 393-406 ici 399-40131) De virtute f 4r = f 87v Geniturae autem corpus in quo una provenit semen princi-pii animae cujus scilicet animae hoc quidem est separatum veluti qui deforis intellectus hoc vero inseparabile scilicet pars irrationalis Cf Michel drsquoEacutephegravese Commentaire sur le De la geacuteneacuteration des animaux II 3 (Michael Hayduck Joannis Philoponii (Michaelis Ephesii) in libros de generatione animalium commentaria (Berlin 1903) 87)

book_esm12-2indb 148book_esm12-2indb 148 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 16: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 149

Leoniceno trouve une autre interpreacutetation chez le cardinal Bessarion (14038-1472)32 Selon lui celui-ci explique dans son traiteacute In calum-niatorem Platonis (Rome 1469) le sens des passages concerneacutes afin de prouver qursquoAristote est en accord avec Platon sur lrsquounion de lrsquoacircme avec le corps Chez Bessarion cette union srsquoeffectue par un certain corps intermeacutediaire de nature excellente tel que les Platoniciens le deacutecrivent comme le laquo veacutehicule raquo (οOgraveχημα) de lrsquoacircme qui est produit en eacutetant res-serreacute du corps brillant et eacutetheacutereacute33 Leoniceno ajoute que la notion de ce veacutehicule a fait lrsquoobjet des moqueries drsquoun accusateur de Platon crsquoest-agrave-dire Georges de Treacutebizonde (1395-14723) Selon Bessarion qui argumente contre celui-ci Aristote pensait 1) qursquoun intermeacutediaire est neacutecessaire pour cette union des deux extreacutemiteacutes acircme et corps 2) que cet intermeacutediaire est un corps diffeacuterent seacutepareacute et plus divin que les quatre eacuteleacutements 3) que la nature drsquoun tel corps diffegravere selon la noblesse et la bassesse de chaque acircme Pour Bessarion Aristote identi-fie ce corps au spiritus enfermeacute dans la semence feacuteconde et estime la nature de ce spiritus analogue agrave lrsquoeacuteleacutement des eacutetoiles Ce corps est en partie seacutepareacute et en partie non seacutepareacute du sperme Sa partie inseacuteparable est un liquide crasseux et mateacuteriel qui se disperse dans le sperme comme la preacutesure dans le lait Ainsi Bessarion conclut qursquoil nrsquoy a aucune raison de se moquer du fait que Platon pense que lrsquoacircme vient avec un tel corps dans la geacuteneacuteration Leoniceno eacutevalue agrave son tour lrsquoin-terpreacutetation du cardinal comme suit

Or cette explication de la phrase drsquoAristote ne diffegravere pas de la premiegravere explica-tion citeacutee de Michel drsquoEacutephegravese si ce nrsquoest en ce que lrsquoun attribue les diffeacuterences

32) Cf Ludwig Mohler Kardinal Bessarion als eologe Humanist und Staatsmann 3 toms (Paderborn 1923-42) James Hankins Plato in the Italian Renaissance (Leyde 1990) 208-63 John Monfasani Byzantine Scholars in Renaissance Italy Cardinal Bessarion and Other Emigreacutes (Aldershot 1995)33) Bessarion In calumniatorem Platonis III xxii 3 (Mohler II 369) Sur le veacutehicule de lrsquoacircme voir Eric R Dodds Proclus e Elements of eology (Oxford 19331963) 315-21 Daniel P Walker laquo e Astral Body in Renaissance Medicine raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 21 (1958) 119-33 John F Finamore Iambli-chus and the eory of the Vehicle of the Soul (Chico 1985) Henry J Blumenthal laquo Soul Vehicle in Simplicius raquo in Stephen Gersh (eacuted) Platonism in Late Antiquity (Indiana 1992) 173-88 Maria di Pasquale Barbanti Ochema-Pneuma e phantasia nel neoplatonismo (Catania 1998)

book_esm12-2indb 149book_esm12-2indb 149 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 17: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

150 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

seacuteparables et inseacuteparables aux parties de lrsquoacircme crsquoest-agrave-dire agrave la partie intellectuelle et agrave la partie irrationnelle tandis que lrsquoautre [les attribue] au corps qui est le veacutehi-cule de lrsquoacircme qursquoAristote affirme seacuteparable chez les ecirctres ougrave une partie divine est comprise comme si lrsquoautre [partie] crsquoest-agrave-dire irrationnelle et concupiscible avait un veacutehicule et substrat plus crasseux et inseacuteparable du corps corruptible34

Agrave propos de cette theacuteorie neacuteoplatonicienne du veacutehicule de lrsquoacircme Leo-niceno nrsquooublie pas drsquoajouter un passage crucial de eacutemistius formuleacute dans sa paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et destineacute agrave deacutemontrer lrsquoaccord drsquoAristote avec Platon35 Selon eacutemistius ces deux hommes ont en -leveacute de lrsquoacircme tout ce qui est mateacuteriel en lui attribuant un certain corps divin et ceacuteleste qui produit lrsquoacircme et lrsquointellect Il faut bien remarquer que ce commentateur relie manifestement la notion de veacutehicule de lrsquoacircme agrave la theacuteorie aristoteacutelicienne de la nature eacutetheacutereacutee du spiritus enfermeacute dans la semence Leoniceno quant agrave lui lrsquoexplique en ces ter-mes

De fait [eacutemistius] montre que ce veacutehicule rareacutefieacute et splendide chez Platon [nrsquoest] rien drsquoautre qursquoun geacutenie duquel reacutesulterait lrsquoanimus Chez Aristote aussi on trouve une certaine nature attribueacutee agrave lrsquoacircme nature qui correspondrait par analogie au cinquiegraveme eacuteleacutement et qursquoil a estimeacutee appartenant agrave lrsquoacircme de tous les vivants Donc selon ces hommes proches de lrsquoeacutecole non moins aristoteacutelicienne que platonicienne il semble que dans ce passage du deuxiegraveme livre De la geacuteneacutera-tion des animaux [hellip] Aristote ne parle pas de la vertu formatrice mais du veacutehi-cule de lrsquoacircme qui serait en partie seacuteparable et en partie inseacuteparable36

34) De virtute f 4r = f 88r Non differt autem haec expositio verborum Aristotelis a prima Michaelis Ephesii recitata nisi in eo quod separabiles atque inseparabiles dif-ferentias altera partibus animae tribuit scilicet intellectuali et irrationali altera cor-pori quod est vehiculum animae quod Aristoteles esse separabile dicit in quibus pars divina comprehenditur quasi altera scilicet irrationalis et appetitiva vehiculum habeat atque subjectum crassius et a corpore hoc corruptibili inseparabile35) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 19 = Barbaro f 72v = Todd 35) Cf Platon Timeacutee 41 E 44 E 69 C Ici aussi la traduction latine de Barbaro semble srsquoeacutecarter de lrsquooriginal grec36) De virtute f 4r = f 88r Nam apud Platonem vehiculum illud rarum ac splendi-dum nihil aliud quam ingenium e quo animus constet ostendit Apud Aristotelem quoque naturam quandam animae tributam invenias quae quinto corpori propor-tione respondeat quam ad omnium animalium animas pertinere censuit Videtur ergo Aristoteles secundum istos viros non minus Aristotelicae quam etiam Platonicae sectae familiares loco illo libri secundum De generatione animalium [hellip] non de vir-

book_esm12-2indb 150book_esm12-2indb 150 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 18: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 151

Ce deacuteveloppement est particuliegraverement inteacuteressant non seulement pour comprendre la penseacutee de Leoniceno mais aussi celle de eacutemis-tius lui-mecircme parce que certains speacutecialistes ne veulent pas voir chez celui-ci lrsquoinfluence du neacuteoplatonisme37 Quoi qursquoil en soit nous pou-vons dire que le passage de eacutemistius offrait une belle occasion de lecture neacuteoplatonisante de sa penseacutee Il faut rappeler que Galien relie lui aussi le veacutehicule de lrsquoacircme au cinquiegraveme eacuteleacutement drsquoAristote dans son traiteacute Des doctrines drsquoHippocrate et de Platon VII 738 Mais Leoniceno qui connaissait certainement ce traiteacute nrsquoy fait pas allusion Il se demande tout simplement si un tel veacutehicule lucide et eacutetheacutereacute qui appartient agrave lrsquoacircme rationnelle peut ecirctre contenu dans la semence Mais il ne va pas plus loin et propose de laisser cette question agrave ceux qui eacutetudient tant le platonisme que lrsquoaristoteacutelisme En estimant qursquoil suffit drsquoavoir noteacute des eacuteleacutements qui contribuent agrave eacuteclaircir ces passages difficiles du GA il conclut que ceux-ci ne concernent pas la vertu for-matrice contrairement agrave ce que pensait Pietro

4 Alexandre d rsquo Aphrodise et Simplicius nature interne de la semence

Apregraves avoir ainsi reacutefuteacute lrsquointerpreacutetation de Pietro Leoniceno tente de reconstituer la notion de la vertu formatrice dans la perspective aristo-

tute loqui formativa sed de vehiculo animae quod partim sit separabile et partim inseparabile37) Voir Henry J Blumenthal laquo emistius e Last Peripatetic Commentator on Aristotle raquo in Aristotle Transformed 113-23 id Aristotle and Neoplatonism in Late Antiquity Interpretations of the De anima (Ithaca 1996) Pour le neacuteoplatonisme de eacutemistius voir Edward P Mahoney laquo emistius and the Agent Intellect in James of Viterbo and Other irteenth Century Philosophers (Saint omas Siger of Bra-bant and Henry Bate raquo Augustiniana 23 (1973) 422-67 id laquo Neoplatonism the Greek Commentators and Renaissance Aristotelianism raquo in Dominic J OrsquoMeara (eacuted) Neoplatonism and Christian ought (Albany 1982) 169-77 et 264-83 Omer Balleacuteriaux laquo eacutemistius et le neacuteoplatonisme le νους παθητικός et lrsquoimmortaliteacute de lrsquoacircme raquo Revue de philosophie ancienne 12 (1994) 171-200 id laquo Eugeacutenios pegravere de eacutemistios et philosophe neacuteoplatonicien raquo Lrsquoantiquiteacute classique 65 (1996) 135-6038) Galien De placitis Hippocratis et Platonis VII 7 (K V 643 = Phillip De Lacy Galen On the Doctrines of Hippocrates and Plato (Berlin 1980) 474) Sur ce traiteacute voir Hirai laquo Alter Galenus raquo n 25

book_esm12-2indb 151book_esm12-2indb 151 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 19: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

152 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

teacutelicienne agrave travers un autre passage du De la formation des fœtus 6 ougrave Galien parle de la laquo nature raquo de la semence39 Selon celui-ci les philo-sophes srsquoaccordent pour penser que la cause de la formation fœtale est ce qursquoils appellent laquo nature raquo bien que sa substance soit inconnue Face agrave la sagesse suprecircme du Creacuteateur du corps vivant Galien somme ces philosophes de lui donner la veacuteritable identiteacute de cet artisan par les questions suivantes est-ce un Dieu sage et puissant qui a preacuteconccedilu le corps agrave former pour chaque animal a-t-il ajouteacute une faculteacute afin de le faccedilonner tel qursquoil lrsquoavait conccedilu en esprit est-ce finalement un Dieu ou une acircme autre que divine Pour Galien cette nature qursquoelle soit corporelle ou incorporelle atteint le sommet de la sagesse bien que les philosophes refusent de lui attribuer une telle sagesse Mais comme ils rejettent aussi lrsquoopinion drsquoEacutepicure selon laquelle tout est fait sans pro-vidence il nrsquoy a que deux options dit Galien pour que la formation fœtale arrive au meilleur but 1) par un mouvement priveacute de raison et drsquoart 2) par un meacutecanisme comparable agrave celui des automates Ce der-nier mode est reacutealiseacute par un opeacuterateur qui donne le premier mouvement agrave lrsquoune des piegraveces Bien que lrsquoopeacuterateur ne touche plus rien les automates sont mus pendant un certain temps Galien estime que seule la deuxiegraveme option est digne drsquoun examen approfondi

En se fondant sur cet argument de Galien Leoniceno met la nature contenue dans la semence au cœur de la discussion Par la nature irra-tionnelle de la semence Galien semble songer agrave la theacuteorie stoiumlcienne comme il lrsquoaffirme agrave la fin du De la formation des fœtus 640 Pourtant selon Leoniceno ce sont bien Aristote et Alexandre drsquoAphrodise (fl ca 200) qui sont ici deacutesigneacutes par le nom de laquo philosophes raquo Pour lui Galien estime que ces hommes renvoient la cause de la geacuteneacuteration ani-male agrave une certaine puissance irrationnelle appeleacutee laquo nature raquo et qursquoils comparent les mouvements de celle-ci agrave ceux des automates41 Or

39) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 687-9 = Nickel 90-4)40) Galien De formatione fœtuum 6 (K IV 700 = Nickel 104) Cf Plutarque Mora-lia 1052 F = SVF II 806 Galien De fœtuum formatione 3 (K IV 665 = Nickel 68 = SVF II 712) 41) Sur la relation de Galien avec Alexandre voir Pier Luigi Donini laquo Lrsquoanima e gli elementi nel De anima di Alessandro di Afrodisia raquo Atti della accademia di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 105 (1971) 61-107 ici 98-107 Vivian Nutton laquo Galen in the Eyes of his Contemporaries raquo Bulletin of the History of Medi-

book_esm12-2indb 152book_esm12-2indb 152 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 20: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 153

selon Aristote le pegravere introduit dans la semence une certaine force motrice qui meut la matiegravere sang menstruel que la megravere fournit Le premier mouvement met en action le deuxiegraveme le deuxiegraveme le troi-siegraveme et ainsi de suite jusqursquoagrave la fin de la geacuteneacuteration drsquoun animal com-plet Crsquoest lagrave qursquoAristote introduit le modegravele des automates42 Pour Leoniceno crsquoest agrave propos de ce deacuteveloppement que Galien eacutetablit son argument et qursquoAlexandre considegravere la laquo nature raquo de la semence comme une puissance irrationnelle Malheureusement les commentaires drsquoAlexandre sur lrsquoœuvre drsquoAristote nrsquoexistent plus ni sur le GA ni sur la Physique Leoniceno se tourne alors vers le commentaire de Simplicius (fl 529- ) sur la Physique drsquoAristote qui contient des fragments du commentaire perdu drsquoAlexandre sur la theacuteorie de la geacuteneacuteration natu-relle43 Il expose les avis drsquoAlexandre et de Simplicius pour clarifier lrsquoidentiteacute de la vertu formatrice

Leoniceno cite drsquoabord un extrait drsquoAlexandre44 Ce fragment expli-que que le but et le modegravele ne se trouvent pas de la mecircme maniegravere chez tous les ecirctres produits Pour ce qui est produit agrave travers le choix lrsquoart ou la raison le but de la production est preacuteconccedilu dans lrsquoesprit de lrsquoagent et est fourni comme le modegravele Il nrsquoen va pas de mecircme pour ce qui est produit par la nature puisqursquoelle nrsquoagit ni agrave travers le choix ni

cine 58 (1984) 315-24 id laquo Galenrsquos Philosophical Testament On My Own Opin-ions raquo in Juumlrgen Wiesner (eacuted) Aristoteles Werk und Wirkung (Berlin 1987) II 27-51 ici 45-5142) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 734 b 10 43) Sur Simplicius voir Ilsetraut Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius (Paris 1978) ead (eacuted) Simplicius sa vie son œuvre sa survie (Berlin 1987) Sur sa reacuteception agrave la Renaissance voir Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo 365-442 Charles Lohr laquo Renaissance Latin Translations of the Greek Commentar-ies on Aristotle raquo in Jill Kraye et M W F Stone (eacuteds) Humanism and Early Modern Philosophy (London 2000) 24-4044) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Hermann Diels Simplicii in Aris-totelis physicorum libros quatuor priores commentaria (Berlin 1882) 310-1 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Physics 2 (New York 1997) 67-8) Sur ce fragment voir Charles Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature drsquoAristote agrave al-Gha-zacirclicirc raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 116 (1984) 105-29 ici 116-7 Paolo Accat-tino laquo Alessandro di Afrodisia e la trasmissione della forma nella riproduzione animale raquo Atti della Accademia delle scienze di Torino (Classe di scienze morali storiche e filologiche) 122 (1988) 79-94 ici 82-4

book_esm12-2indb 153book_esm12-2indb 153 9-5-2007 1227399-5-2007 122739

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 21: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

154 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

par la raison Crsquoest lagrave qursquoAlexandre qualifie la nature de laquo puissance irrationnelle raquo mais conccedilue comme le principe introduit dans la matiegravere Ce principe deacutetermineacute produit ce dont il est efficient Le pro-duit de ce principe devient agrave son tour agent de ce qui suit et ainsi de suite jusqursquoagrave un but deacutetermineacute Alexandre introduit ensuite lrsquoexemple des automates comme le font Aristote et Galien Nous comprenons donc pourquoi Leoniceno croit que Galien visait Alexandre dans sa critique Quoi qursquoil en soit Alexandre pense que ce nrsquoest pas par une raison ou un choix donneacute aux piegraveces des automates que leur mouve-ment est reacutealiseacute Pour lui il en va de mecircme pour la nature de la semence

Suite agrave lrsquoopinion drsquoAlexandre Leoniceno donne directement la reacuteponse de Simplicius45 Celui-ci se demande si la geacuteneacuteration srsquoeffec-tue de la maniegravere deacutecrite par Alexandre comment les choses imparfai-tes peuvent produire les choses parfaites par exemple un arbre entier agrave partir drsquoune semence Selon Simplicius pour qursquoil y ait une forme il faut drsquoabord une cause geacuteneacuterale qui preacutecegravede les causes particuliegraveres Il ajoute que ce qui est en puissance est ameneacute en acte par autre chose qui est en acte Comme la cause efficiente immeacutediate est la nature du pegravere et de la megravere chez les animaux la forme en acte doit preacuteexister chez le pegravere et chez la megravere Simplicius pense donc que la laquo raison raquo de lrsquoenfant a preacutealablement eacuteteacute conccedilue dans lrsquohomme et gracircce agrave elle lrsquoen-fant est produit le pegravere donnant le deacutebut du mouvement agrave travers la semence tout comme les automates mus par une corde Alors Leoni-ceno cite la phrase de Simplicius qui met en cause le propos drsquoAlexan-dre

Mais pourquoi appelle-t-il [Aristote selon Alexandre] laquo puissance irrationnelle raquo la nature qui agit en vue drsquoun but et avance en ordre selon les nombres et les mesures preacutefixeacutees Est-ce qursquoil y a une raison efficiente double dont lrsquoune pro-duit avec la connaissance (crsquoest elle seule que lrsquointerpregravete [Alexandre] considegravere comme la raison) et dont lrsquoautre produit sans connaissance et sans auto-contem-plation mais encore avec ordre et deacutetermination en vue drsquoun but principal Et comme ce qui ne connaicirct pas est appeleacute laquo irrationnel raquo en regard de la raison

45) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 312-4 = Fleet 69-71) sur Aristote Physique II 3 194 b 26-9 Cf Genequand laquo Quelques aspects de lrsquoideacutee de nature raquo 118-20

book_esm12-2indb 154book_esm12-2indb 154 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 22: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 155

connaissante de mecircme ce qui produit au hasard et sans ordre est irrationnel srsquoil est compareacute agrave ce qui agit avec ordre et deacutetermination en vue de quelque chose46

Simplicius semble ainsi distinguer deux sortes de laquo raisons raquo La pre-miegravere produit avec connaissance Crsquoest seulement pour cette espegravece qursquoAlexandre accepte le titre de laquo raison raquo Elle est pour ainsi dire la raison connaissante ou rationnelle La seconde espegravece en revanche produit sans connaissance mais avec lrsquoordre et la deacutetermination Lrsquoagent qui ne connaicirct pas ce qursquoil produit mecircme srsquoil le produit avec lrsquoordre et en vue drsquoun but est appeleacute laquo irrationnel raquo par Alexandre Selon Simplicius le deuxiegraveme mode est celui de la geacuteneacuteration animale puisque la nature produit sans choix ce qui lui est similaire par son ecirctre tout comme lrsquoanneau produit un sceau Mais il nrsquoest pas drsquoaccord avec Alexandre pour refuser le titre de laquo raison raquo agrave la nature Crsquoest pourquoi il insiste sur le fait qursquoAristote appelle une fois la nature laquo raison raquo dans le traiteacute De la geacuteneacuteration et de la corruption II 647 Mais comment y a-t-il dans la production un ordre et un but deacutetermineacutes sans que lrsquoagent ne possegravede la connaissance Simplicius reacutepond que les choses naturelles disposent drsquoune telle constitution qursquoelles conservent par leur ecirctre lrsquoordre et la seacuterie sans aucune connaissance et qursquoelles srsquoachegrave-vent dans un but deacutetermineacute comme les automates Mais srsquoil est absurde de dire que les choses naturelles sont produites par hasard il faut qursquoel-les srsquoeacutetablissent comme telles par elles-mecircmes ou par une autre cause Ainsi arrive la conclusion de Simplicius que Leoniceno nous deacutelivre

Crsquoest pourquoi il est raisonnable de dire plutocirct que la nature est la laquo concause raquo et que les causes prochaines des choses qui naissent et qui se corrompent sont les mouvements des corps ceacutelestes suivant lesquels les ecirctres drsquoici-bas srsquoaltegraverent tandis que les causes supeacuterieures sont les raisons de ces mouvements situeacutees dans lrsquoacircme [du monde] et les causes encore supeacuterieures agrave celles-ci sont les formes intellec-tuelles hors desquelles la lumiegravere formelle est drsquoabord preacuteleveacutee pour toutes choses selon la nature et lrsquoaptitude du receveur48

46) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 313 = Fleet 70-1)47) Aristote De la geacuteneacuteration et de la corruption II 6 333 b 1148) Simplicius Commentaire sur la Physique II 3 (Diels 314 = Fleet 71)

book_esm12-2indb 155book_esm12-2indb 155 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 23: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

156 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Au lieu drsquoappeler la nature laquo raison raquo quelconque Simplicius preacutefegravere lui donner le nom de laquo concause raquo ou laquo co-responsable raquo (συναίτιος) et la concevoir comme auxiliaire des causes ceacutelestes et intellectuelles Il faut dire que ce passage lui-mecircme qui montre une dimension particu-liegraverement neacuteoplatonicienne est digne drsquointeacuterecirct Mais ce qui est plus pertinent pour notre point de vue crsquoest que Leoniceno place ce pas-sage au cœur de sa reacuteflexion philosophique sur la vertu formatrice Il affirme que Simplicius comme Galien considegravere absurde drsquoattribuer la geacuteneacuteration animale agrave la seule nature qursquoAlexandre concevait comme la puissance irrationnelle Selon lui Simplicius preacutefegravere appeler cette nature laquo concause raquo ou laquo cause instrumentale raquo tout en admettant lrsquoin-tervention des causes supeacuterieures et plus puissantes (acircme intellect et formes intellectuelles ou Ideacutees) Pourtant il faut dire que lrsquointention de Leoniceno est toujours la mecircme Il srsquoagit pour lui de reacutefuter ceux qui croient qursquoAristote identifie la vertu formatrice agrave lrsquointellect En effet le Stagirite distingue soigneusement dans la Physique entre les choses pro-duites par la nature et celles qui sont produites par lrsquointellect Ainsi Leoniceno dit

Aristote en traitant de la geacuteneacuteration naturelle dans la sphegravere naturelle nrsquoen fait aucune mention Mais plutocirct en voulant ne pas aborder une cause seacutepareacutee [du corps] dans le deuxiegraveme livre De la lecture naturelle de peur de meacutelanger la doc-trine theacuteologique avec la physique il a nieacute que la nature agisse par la volonteacute et par la raison et a parleacute drsquoelle en tant que puissance irrationnelle Alexandre a aussi suivi ce sens des mots dans son interpreacutetation Quant agrave Simplicius qui a deacutesireacute autant qursquoil a pu mettre Aristote en accord avec Platon pour ne pas voir les œuvres de la nature ecirctre faites sans aucune connaissance voire par hasard il leur a donneacute comme causes non seulement la nature et le ciel mais surtout lrsquoacircme et les formes intellectuelles et a ainsi reacutepondu au doute de Galien49

49) De virtute f 5r = ff 90r-90v De quo tamen Aristoteles generationem naturalem naturaliter tractans nullam facit mentionem quin potius secundo libro De naturali auscultatione nolens causam separatam attingere ne doctrinam theologicam cum physica confunderet naturam negavit consilio agere ac ratione et de ea tamquam de potentia irrationali locutus est Quem verborum sensum etiam in sua expositione secutus est Alexander Simplicius vero qui quantum potuit Platoni Aristotelem studuit facere consentientem ne naturae opera sine cognitione aliqua et veluti casu facta viderentur illis non modo naturam ac cœlum sed praeterea animam et formas intellectuales pro causis arrogavit atque ita Galeni dubitationi satisfecit

book_esm12-2indb 156book_esm12-2indb 156 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 24: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 157

Pour Leoniceno bien qursquoelle soit appeleacutee laquo concause raquo par Simplicius la nature reste la cause de la geacuteneacuteration animale Il pense que par la phrase laquo Le mouvement de la nature dans le produit mecircme est venu drsquoune autre nature qui possegravede une forme en acte raquo Aristote parlait de la nature qui reacuteside dans la semence pour la geacuteneacuteration animale50 Mais il admet que cette phrase laisse encore un doute sur lrsquoidentiteacute mecircme de la nature Pour lui qursquoelle soit lrsquoacircme la vertu psychique la nature ou la puissance naturelle irrationnelle celle qui amegravene une chose moins parfaite agrave lrsquoeacutetat plus parfait doit ecirctre la cause de la geacuteneacuteration Alors en se fondant sur le commentaire de Simplicius sur les Cateacutegories drsquoAris-tote il essaie de montrer qursquoil y a dans la geacuteneacuteration une puissance qui reacutealise cette transition51 Selon Leoniceno Simplicius parle de la puis-sance naturelle qui est qualifieacutee de laquo principe en partie passif et en partie actif raquo comme espegravece secondaire de la qualiteacute De plus chez Simplicius la cause efficiente de la geacuteneacuteration des choses naturelles convient agrave la nature productrice parmi diverses deacutefinitions de la nature52 Leoniceno preacutecise que la laquo nature raquo conccedilue de telle faccedilon est diffeacuterente de lrsquoacircme Car lrsquoacircme est le principe actif tandis que la nature est le principe passif du mouvement des corps Il cite ensuite le com-mentaire sur la Physique II 2 ougrave Simplicius explique que si la nature eacutetait le principe actif du mouvement il nrsquoy aurait pas de diffeacuterence entre la nature et lrsquoacircme Et il donne la conclusion de Simplicius comme suit

Mais parce que les corps largement eacuteloigneacutes de la nature indivisible et incorpo-relle ainsi que de celle qui eacutetablit la vie selon son ecirctre ont eacuteteacute faits comme choses mortes et ne respiraient pas du tout par eux-mecircmes eacutetant [trop] refroidis pour toute sorte de vie ils auront eu en eux une derniegravere espegravece de vie ce qui est selon la puissance et lrsquoaptitude celle que nous appelons laquo nature raquo Gracircce agrave elle les cho-ses mortes peuvent aussi ecirctre mues et changeacutees et on dit mecircme qursquoelles naissent et agissent en quelque sorte passivement entre elles53

50) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 3-451) Simplicius Commentaire sur les Cateacutegories 8 (Karl Kalbfleisch Simplicii in Aristo-telis categorias commentarium (Berlin 1907) 248 et 249 = Barrie Fleet Simplicius On Aristotlersquos Categories 7-8 (New York 2002) 108 et 109)52) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 284 = Fleet 39) Cf Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 17753) Simplicius Commentaire sur la Physique II 2 (Diels 287 = Fleet 42) Sur la dif-

book_esm12-2indb 157book_esm12-2indb 157 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 25: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

158 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Sur la base de ce passage drsquoune inspiration neacuteoplatonicienne Leoni-ceno affirme que la nature qui est le principe du mouvement dans la semence pour la geacuteneacuteration animale nrsquoest ni lrsquoacircme ni la vertu psy-chique mais la vertu naturelle Crsquoest lagrave la deacutefinition de la vertu formatrice drsquoAristote qui eacutemerge de lrsquointerpreacutetation de Simplicius sur la nature productrice Ainsi pour Leoniceno la nature diffegravere de lrsquoacircme et est infeacuterieure agrave lrsquoacircme et ce qursquoAlexandre appelle laquo nature raquo comme premier principe confieacute agrave la matiegravere est une puissance qui aide lrsquointroduction de lrsquoacircme dans la matiegravere chez les ecirctres animeacutes

5 Averroegraves et eacutemistius ideacutees intellect et acircme

Apregraves avoir ainsi eacuteclairci la diffeacuterence entre les avis drsquoAlexandre et de Simplicius Leoniceno critique lrsquoargument drsquoAverroegraves exposeacute dans son Grand commentaire sur la Meacutetaphysique drsquoAristote Il srsquoagit lagrave drsquoun texte qui vise agrave expliquer la ceacutelegravebre phrase du Stagirite laquo Crsquoest un homme qui engendre un homme raquo54 Donnons drsquoabord le propos du passage que cite Leoniceno55 Selon Averroegraves chez les ecirctres qui se reproduisent par les semences celles-ci donnent les formes agrave ces ecirctres agrave travers les formes que les geacuteneacuterateurs fournissent aux semences Chez les ecirctres qui naissent spontaneacutement sans semence les corps ceacutelestes leurs donnent quelque chose qui joue le rocircle des semences et des vertus qui reacutesident dans les semences Averroegraves affirme que ces vertus divines engendrent des ecirctres mutuellement similaires comme les arts produisent leurs pro-duits Crsquoest pourquoi ces vertus sont compareacutees agrave lrsquointellect puisqursquoelles

feacuterence entre la nature et lrsquoacircme veacutegeacutetative chez Simplicius voir Hadot Le problegraveme du neacuteoplatonisme 175-8 et 196-854) Aristote Meacutetaphysique VII 9 1034 b 2 Cf David M Balme laquo Human is Gen-erated by Human raquo in e Human Embryo 20-3155) Averroegraves Grand commentaire sur la Meacutetaphysique (deacutesormais indiqueacute comme GCM) VII 31 (eacuted Giunta Venise 1652 VIII f 181D-G = Maurice Bouyges Aver-roegraves Tafsicircr macirc barsquod at-tabicircrsquoat (Beyrouth 1938-48) 883-4 = Ahmed Elsakhawi Eacutetude du livre Zacircy (Dzecircta) de la Meacutetaphysique drsquoAristote dans sa version arabe et son commen-taire par Averroegraves (Lille 1994) 116-7) Sur lrsquoimpact de cet argument au Moyen Age voir Charles Touati laquo Les problegravemes de la geacuteneacuteration et le rocircle de lrsquointellect agent raquo in Jean Jolivet (eacuted) Multiple Averroegraves (Paris 1978) 157-64 Davidson Alfarabi Avi-cenna and Averroes 242-5

book_esm12-2indb 158book_esm12-2indb 158 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 26: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 159

exercent des actions intellectuelles qui nrsquoont besoin drsquoaucun instru-ment corporel Ainsi selon Averroegraves ces vertus geacuteneacuteratrices que les meacutedecins appellent laquo formatrices raquo diffegraverent des vertus naturelles du corps animal qui nrsquoagissent qursquoagrave travers des instruments deacutetermineacutes En citant la ceacutelegravebre phrase de Galien laquo Je ne sais pas si cette vertu est le Creacuteateur ou non raquo56 Averroegraves preacutecise que cette vertu qui agit avec la seule aide de la chaleur seacuteminale reacuteside dans la semence au titre de forme non pas comme lrsquoacircme dans la chaleur inneacutee des animaux mais comme lrsquoacircme dans les corps ceacutelestes Crsquoest pourquoi conclut-il Aris-tote ceacutelegravebre cette vertu en la rangeant parmi les principes divins

Leoniceno srsquoeacutetonne surtout qursquoAverroegraves attribue un tel caractegravere intellectuel agrave la vertu formatrice sous lrsquoautoriteacute drsquoAlexandre qui con-sideacuterait en revanche la nature seacuteminale comme une puissance irra-tionnelle Il est donc impossible qursquoAlexandre appelle cette vertu laquo intellect raquo ou laquo intellect agent raquo Drsquoailleurs si Galien compare la vertu formatrice au Creacuteateur ce nrsquoest pas parce qursquoelle agit sans aucun instru-ment mais parce qursquoelle reacutealise ses œuvres avec une habileteacute suprecircme qui semble transcender toutes forces naturelles Leoniceno reproche donc agrave Averroegraves de concilier Galien avec Aristote et Alexandre sur cette base erroneacutee Pour lui Galien se positionne loin de ces philosophes qui considegraverent la nature comme une puissance irrationnelle Ainsi agrave ses yeux Averroegraves comprend mal la position drsquoAlexandre et allegravegue agrave tort sa parole comme si celui-ci partageait le mecircme avis que Galien sur la vertu formatrice

Leoniceno critique Averroegraves sur un autre point Selon lui Averroegraves estime faussement que eacutemistius est en accord avec Avicenne agrave propos de la vertu formatrice en srsquoappuyant sur la ceacutelegravebre theacuteorie du laquo donateur des formes raquo (dator formarum) qui est lrsquointelligence agente57 Pour montrer la faute drsquoAverroegraves il a recours agrave la paraphrase

56) Cette phrase vient de Galien De placitis Hippocratis et Platonis IX 8 (K V 789 = De Lacy 597) Cf Galien De sententiis 2 et 11 (Vivian Nutton Galen On My Own Opinions (Berlin 1999) 62 et 90)57) Averroegraves GCM VII 31 (Giunta f 181 B = Bouyges 882-3 = Elsakhawi 115) Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta ff 304 B et G et 305 F = Bouyges 1496 1498 et 1503 = Aubert Martin Averroegraves Grand commentaire de la Meacutetaphysique drsquoAristote livre lam-lambda (Paris 1984) 131 135 et 139) Sur le laquo donateur des formes raquo (wacirchib al-ṣuwar) voir Ameacutelie-Marie Goichon La distinction de lrsquoessence et de lrsquoexis-

book_esm12-2indb 159book_esm12-2indb 159 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 27: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

160 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

de eacutemistius sur le De lrsquoacircme I 3 drsquoAristote Lagrave eacutemistius explique que si le corps est lrsquoinstrument de lrsquoacircme chacune des acircmes bacirctit un instrument qui lui convient Elle dessine et preacutepare drsquoabord pour elle une maison qui nrsquoa eacuteteacute ni dessineacutee ni preacutepareacutee auparavant pour y entrer par la suite58 Leoniceno estime que cette theacuteorie de eacutemistius ne suppose pas lrsquoexistence drsquoun agent seacutepareacute du corps comme le laquo dona-teur des formes raquo Il dit

En reacutealiteacute eacutemistius laisse entendre clairement que ce nrsquoest pas un agent seacutepareacute mais lrsquoacircme elle-mecircme qui forme pour elle un corps dans lequel elle entre Drsquoougrave il semble avoir estimeacute que la semence paternelle qui bacirctit et fabrique est animeacutee selon Aristote puisque son acircme est celle qui faccedilonne pour elle sa maison agrave partir de la matiegravere que fournit la femelle En effet elle nrsquoest ni lrsquoacircme du pegravere geacuteneacutera-teur (autrement elle eacutemigrerait de corps en corps) ni pour la mecircme raison lrsquoacircme deacutetacheacutee qui doit selon eacutemistius donner la structure le trait et lrsquoacircme agrave ces ecirctres qui naissent de la nature en putreacutefaction59

Selon Leoniceno un agent seacutepareacute neacutecessaire pour la geacuteneacuteration spon-taneacutee nrsquoest pas requis chez les ecirctres vivants qui se reproduisent par la semence puisque lrsquoacircme introduite dans la semence par le parent suffit pour former la matiegravere adeacutequate chez eacutemistius De plus lrsquoideacutee que la semence paternelle animeacutee joue le rocircle de lrsquoarchitecte est conforme agrave lrsquoenseignement drsquoAristote Leoniceno preacutecise toutefois que cette acircme reacuteside en puissance dans la semence comme un geacuteomegravetre endormi ou eacuteveilleacute et non comme un geacuteomegravetre opeacuterationnel60 Il conclut donc que eacutemistius nrsquoa pas placeacute la vertu formatrice dans lrsquoacircme seacutepareacutee du

tence drsquoapregraves Ibn Sicircnacirc (Paris 1937) 301-3 et 473 ead Lexique de la langue philoso-phique drsquoIbn Sicircnacirc (Paris 1938) 440-1 Davidson Alfarabi Avicenna and Averroes passim58) eacutemistius Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 (Heinze 23 = Barbaro f 74r = Todd 40)59) De virtute f 5v = f 91v emistius vero non agens separatum sed animam ipsam formare sibi corpus quod subit liquido insinuat Unde videtur sensisse semen maris quod architectatur et fabricat secundum Aristotelem esse animatum quando ejus anima est illa quae ex materia quam fœmina praebet suum sibi facit domici-lium Neque enim est anima patris generantis alioquin migraret a corpore in corpus neque ob eandem rationem anima abstracta quam secundum emistium oportet his quae ex putrida natura generantur dare creationem lineationem et animam60) Cf Aristote De la geacuteneacuteration des animaux II 1 735 a 10-1

book_esm12-2indb 160book_esm12-2indb 160 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 28: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 161

corps comme Averroegraves le croit agrave tort mais dans la semence paternelle qui est animeacutee en puissance Cela veut dire que chez eacutemistius la vertu formatrice est identifieacutee agrave lrsquoacircme dans la semence

Agrave partir drsquoici Leoniceno exhorte ses lecteurs agrave rassembler eux-mecircmes les opinions des anciens commentateurs drsquoAristote sur la vertu formatrice qursquoelle soit une puissance naturelle (irrationnelle ou co-responsable) comme chez Alexandre et Simplicius ou lrsquoacircme de la semence comme chez eacutemistius Or Averroegraves lui-mecircme rapporte plu-sieurs opinions des Arabes dans son commentaire de la Meacutetaphysique XII 18 Leoniceno rejette toutefois celle qursquoAverroegraves donne comme sa propre opinion Car celui-ci la preacutesente comme celle drsquoAristote bien qursquoelle soit largement contamineacutee par la doctrine de Platon Il dit

De fait apregraves qursquoil [Averroegraves] ait eacutecrit beaucoup de choses exprimeacutees selon lui dans les livres Des animaux [drsquoAristote] sur la chaleur du soleil et des eacutetoiles ainsi que sur les chaleurs qui deacuteriveacutees des chaleurs ceacutelestes engendrent les espegraveces des animaux il affirme que ces mecircmes chaleurs possegravedent une propre capaciteacute [cau-seacutee] par lrsquoart divin intellectuel qui est similaire agrave la forme unique de lrsquoart unique et principal auquel sont subordonneacutes plusieurs arts Il affirme donc que suivant cet ecirctre intelligent la nature produit parfaitement et reacuteguliegraverement une chose bien qursquoelle ne soit pas consciente comme si elle eacutetait inspireacutee des vertus actives et plus nobles qui sont appeleacutees laquo intelligences raquo Il ajoute par la suite laquo Mais ces proportions et ces vertus qui sont produites dans les eacuteleacutements par les mouve-ments du soleil et des autres eacutetoiles sont celles qui sont dit Platon les formes [supeacuterieureshellip] raquo Crsquoest ce que dit Averroegraves qui eacutetant platonisant comme je lrsquoai dit condamne Platon61

61) De virtute f 6r = ff 92r-92v Nam quum multa scripsisset quae ait esse in libris De animalibus declarata de calore solis atque stellarum et caloribus generantibus spe-cies animalium ex caloribus cœlestibus derivatis ait postmodum eosdem calores pro-priam habere mensuram ab arte divina intellectuali quae est similis uni formae unius artis principalis sub qua sunt artes plures Secundum hoc igitur ait esse intelligentum quod natura facit aliquid perfecte et ordinate quamvis non intelligat quasi esset rememorata ex virtutibus agentibus nobilioribus quae dicuntur intelligentiae Post-modum subjungit Istae autem proportiones et virtutes quae fiunt in elementis a motibus solis et aliarum stellarum sunt hae quas reputat Plato esse formas [hellip] Haec quidem Averrois qui platonizans ut dixi Platonem damnat Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 138-9)

book_esm12-2indb 161book_esm12-2indb 161 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 29: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

162 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Leoniceno souligne clairement la contradiction drsquoAverroegraves qui agrave la fois srsquoinspire du platonisme et le condamne Mais refuse-t-il le recours mecircme au platonisme Leoniceno dit que si la nature est la nature uni-verselle de toutes choses naturelles elle doit drsquoabord recevoir les laquo raisons raquo de tous les ecirctres agrave engendrer et puis rendre ces ecirctres simi-laires aux raisons contenues en elle Ces raisons sont bel et bien les Ideacutees de Platon bien qursquoAverroegraves preacutetende preacutefeacuterer lrsquoavis drsquoAristote Pour Leoniceno la diffeacuterence entre deux opinions est pourtant mini -me Car le meilleur modegravele est la solution de Simplicius Il dit

Ces deux opinions ne sembleront pourtant pas tregraves diffeacuterentes si ces causes supeacute-rieures au-delagrave du ciel et de la nature crsquoest-agrave-dire lrsquointellect excellent et les formes intellectuelles sont aussi compteacutees tout comme lorsque Simplicius reacutesout agrave la diffeacuterence drsquoAlexandre drsquoune maniegravere aussi platonicienne qursquoaristoteacutelicienne le doute concernant la geacuteneacuteration naturelle et la nature en tant que puissance irra-tionnelle62

Leoniceno ajoute que la geacuteneacuteration spontaneacutee se reacutealise effectivement chez eacutemistius gracircce agrave lrsquoacircme du monde veacutehiculeacutee par la nature entiegravere et qursquoAverroegraves accepte eacutegalement cette ideacutee qui nrsquoest pas discordante avec la theacuteorie drsquoAristote exposeacutee dans le GA III 1163 Nous remar-quons donc que Leoniceno ne condamne pas le recours mecircme au

62) De virtute f 6r = f 92v Quae tamen duae opiniones non multum videbuntur discrepare si praeter cœlum atque naturam causae etiam illae superiores mens scili-cet eximia et formae intellectuales adhibeantur Quando et Simplicius tactam contra Alexandrum de generatione naturali et natura potentia irrationali dubitationem non magis Platonice quam etiam Aristotelice solvit63) Aristote De la geacuteneacuteration des animaux III 11 762 a 18-21 Sur la geacuteneacuteration spontaneacutee voir Hiro Hirai laquo Earthrsquos Soul and Spontaneous Generation Fortunio Licetirsquos Criticism against Ficinorsquos Ideas on the Origin of Life raquo in Stephen Clucas et al (eds) Laus Platonici Philosophi Marsilio Ficino and His Influence (Leyde Brill agrave paraicirctre) Sur lrsquoacircme du monde chez eacutemistius voir ses Paraphrase du De lrsquoacircme I 3 et 4 (Heinze 20 et 26 = Barbaro ff 73r et 74v = Todd 36 et 42-3) Paraphrase de la Meacutetaphysique XII 3 (Samuel Landauer emistii in Aristotelis metaphysicorum librum XII paraphrasis (Berlin 1903) 9 = Reacutemi Brague eacutemistius Paraphrase de la Meacutetaphysique drsquoAristote (Livre Lambda) (Paris 1999) 64) Sur ce dernier traiteacute voir Shlomo Pinegraves laquo Some Distinctive Metaphysical Conceptions in emistiusrsquo Com-mentary on Book Lambda and their Place in the History of Philosophy raquo in Aristote-les Werk und Wirkung II 177-204 Brague eacutemistius

book_esm12-2indb 162book_esm12-2indb 162 9-5-2007 1227409-5-2007 122740

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 30: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 163

platonisme Ce qursquoil nrsquoaccepte pas crsquoest lrsquoidentification de la vertu for-matrice avec lrsquointellect

Enfin Leoniceno trouve une reacutepercussion importante de lrsquointerpreacute-tation averroiumlste chez Gentile da Foligno ( -1348) commentateur embleacutematique du Canon drsquoAvicenne64 En effet Gentile qui suit fidegrave-lement Averroegraves considegravere qursquoil faut supposer dans les ecirctres naturels quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect pour introduire la forme dans la matiegravere Leoniceno cite sa phrase comme suit

[hellip] mais nous voyons dans lrsquoart qursquoil y a lagrave quelque chose qui agit agrave travers lrsquoin-tellect en limitant traitant et preacuteparant la matiegravere comme il est eacutevident par exemple dans lrsquoart artisanal De fait il existe chez lrsquoouvrier un certain art cogni-tif qui limite mesure traite et preacutepare la matiegravere [hellip] Il y aura ainsi de mecircme dans la nature eacutevidemment quelque chose qui agit agrave travers lrsquointellect en limi-tant traitant et preacuteparant la matiegravere Et le corps ceacuteleste tout entier composeacute de tout produit ceci en tant qursquoinstrument par son mouvement et par sa lumiegravere principalement agrave travers les [causes] intellectuelles qui sont en lui et dans lesquel-les cet art a eacuteteacute reccedilu agrave lrsquointeacuterieur Cet art productif est [celui] de toute forme infeacute-rieure ou de ce qui existe ici-bas Drsquoougrave Averroegraves disait dans le douziegraveme livre de la Meacutetaphysique que la nature nrsquoagit pas si elle nrsquoest pas inspireacutee des causes supeacute-rieures et plus divines65

Leoniceno critique Gentile surtout parce que celui-ci affirme suite agrave cet argument que tous les disciples drsquoAristote sont en accord Mais comme nous lrsquoavons vu Alexandre nrsquoest pas du tout du mecircme avis

64) Sur Gentile voir Roger French laquo Gentile da Foligno and the Via medicorum raquo in John D North et John J Roche (eacuteds) e Light of Nature Essays in the History and Philosophy of Science Presented to AC Crombie (Dordrecht 1985) 21-34 id Canon-ical Medicine Gentile da Foligno and Scholasticism (Leyde 2001) Joeumll Chandelier laquo Gentile da Foligno et le mouvement du cœur raquo Micrologus 11 (2003) 97-12265) De virtute f 6r = ff 92v-93r [hellip] sed in arte videmus quod est ibi aliquod agens per intellectum limitans agens praeparans materiam sicuti verbi gratia in arte fabrili apparet Nam in fabro est ars quaedam cognoscitiva limitans et mensurans agens praeparans materiam [hellip] Sic igitur etiam erit in natura scilicet agens aliquod per intel-lectum limitans agens paraeparans materiam Et totum corpus cœleste compositum ex omnibus quod quidem hoc efficit instrumentaliter per motum et lumen principaliter per intellectivas quae in eo sunt in quibus recepta est ars quae intro Quae quidem ars factiva est omnis formae inferioris vel inferius existentis Unde dicebat Averrois duodecimo Meta-physices quod natura non operatur nisi reminiscens ex superioribus causis divinioribus Cf Averroegraves GCM XII 18 (Giunta f 305 D-E = Bouyges 1502-3 = Martin 139)

book_esm12-2indb 163book_esm12-2indb 163 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 31: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

164 H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165

Alors il conclut que au lieu drsquoattribuer agrave Aristote de telles ideacutees qui sont plutocirct de Platon Simplicius a beaucoup plus correctement mon-treacute ce que le Stagirite aurait ducirc dire si lrsquoon voulait parler des choses conformes agrave ses enseignements

6 Conclusions

Nous avons traceacute jusqursquoici les grandes lignes de la discussion de Leoni-ceno et analyseacute les sources et les thegravemes pertinents qursquoil deacuteveloppe autour de la notion de vertu formatrice Il critique les Meacutedieacutevaux notamment Averroegraves et Pietro drsquoAbano en srsquoappuyant largement sur les nouvelles traductions humanistes (y compris les siennes) drsquoAristote et des commentateurs grecs comme Alexandre eacutemistius et Simpli-cius ou sur les textes jusqursquoalors meacuteconnus et non traduits en latin comme ceux de Galien et de Michel drsquoEacutephegravese Il faut surtout souligner son recours aux anciens commentateurs grecs puisque Leoniceno est lrsquoun des premiers auteurs agrave les avoir impliqueacutes dans les discussions de la philosophie naturelle et meacutedicale de cette eacutepoque De cette maniegravere il fournit pour la premiegravere fois aux lecteurs occidentaux les opinions eacutetrangegraveres agrave la tradition arabo-latine sur la nature de la vertu forma-trice Nous pouvons donc dire que son traiteacute De virtute formativa se trouve au laquo carrefour raquo de la tradition meacutedieacutevale et de la nouvelle ten-dance humaniste propre agrave la Renaissance Il ouvre ainsi une nouvelle voie dans les speacuteculations embryologiques du seiziegraveme siegravecle Ce qui anime lrsquoesprit de Leoniceno crsquoest un anti-arabisme et un amour pour les sources grecques amour qui se traduit agrave travers sa meacuteticulositeacute phi-lologique66

Quant agrave la veacuteritable identiteacute de la vertu formatrice Leoniceno se fait simplement lrsquointerpregravete de chaque auteur Plutocirct que drsquoeacutetablir sa propre synthegravese il preacutefegravere souligner en philologue le veacuteritable sens des termes et des phrases et les contradictions et les coheacuterences propres agrave lrsquoargumenta tion de chaque auteur ou de son interpregravete Notre analyse

66) Sur lrsquoanti-arabisme voir Gerhard Baader laquo Medizinisches Reformdenken und Arabismus im Deutschland des 16 Jahrhunderts raquo Sudhoffs Archiv 63 (1979) 261-96 ici 270-3 Nancy G Siraisi Avicenna in Renaissance Italy e Canon and Medi-cal Teaching in Italian Universities after 1500 (Princeton 1987) 66-77

book_esm12-2indb 164book_esm12-2indb 164 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741

Page 32: Semence, vertu formatrice et intellect agent chez Nicolò Leoniceno

H Hirai Early Science and Medicine 12 (2007) 134-165 165

a toutefois montreacute qursquoil preacutefegravere lrsquointerpreacutetation neacuteoplatonicienne de Simplicius Ce que Leoniceno refuse pertinemment crsquoest lrsquoidentifi-cation de la vertu formatrice avec lrsquointellect Cette identification qursquoil estime fausse est souvent introduite quand la production artificielle et la geacuteneacuteration naturelle sont confondues par analogie comme chez Averroegraves Pietro et Gentile

Nous avons aussi observeacute combien Leoniceno eacutetait sensible aux textes qui montrent des eacuteleacutements neacuteoplatoniciens non seulement chez Simplicius mais aussi chez eacutemistius Agrave ce propos sa connaissance des ideacutees platoniciennes du cardinal Bessarion nrsquoest sans doute pas le fruit de hasard Son deacuteveloppement sur le veacutehicule de lrsquoacircme thegraveme veacuteneacutereacute des Neacuteoplatoniciens florentins tels que Marsile Ficin (1433-1499) nous montre eacutegalement sa familiariteacute avec les deacutebats contem-porains des humanistes

Enfin la discussion principalement embryologique de Leoniceno qui aborde aussi les problegravemes philosophiques importants de lrsquoacircme et de lrsquointellect coiumlncide avec le deacuteveloppement du nouvel aristoteacutelisme de ses contemporains padouans comme Agostino Nifo (1473-ca 1538) ou Pietro Pomponazzi (1462-1525) qui utilisaient amplement les eacutecrits des anciens commentateurs grecs67 Il serait leacutegitime de se deman-der srsquoil nrsquoy avait pas drsquoeacuteventuels eacutechanges drsquoideacutees entre eux et Leoni-ceno Cette remarque nrsquoest peut-ecirctre pas inutile pour mieux comprendre les aspects de lrsquoaristoteacutelisme renaissant qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes jusqursquoagrave preacutesent presque exclusivement dans les domaines de la philoso-phie Mais ce serait sans doute le sujet agrave approfondir dans une autre eacutetude

67) Cf Nardi Saggi sullrsquoaristotelismo passim id Studi su Pietro Pomponazzi (Flo-rence 1965) Poppi Causalitagrave e infinitagrave 222-36 Martin L Pine Pietro Pompo-nazzi Radical Philosopher of the Renaissance (Padoue 1986) Edward P Mahoney Two Aristotelians of the Italian Renaissance Nicoletto Vernia and Agostino Nifo (Alder-shot 2000) Agrave Ferrare Leoniceno eacutetait proche du cercle intellectuel drsquoAlberto Pio de Carpi (1475-1531) cercle auquel se freacutequentait Pomponazzi dans les anneacutees 1496-9 Voir Cesare Vasoli La cultura delle corti (Bologne 1980) 94 98 et 100-1 Charles B Schmitt laquo Alberto Pio and the Aristotelian Studies of his Time raquo Medioevo et Uma-nesimo 46 (1981) 43-64 repris dans e Aristotelian Tradition and Renaissance Uni-versities (London 1984) Stefano Perfetti Aristotlersquos Zoology and Its Renaissance Commentators (1521-1601) (Louvain 2000) 35 et 49-50

book_esm12-2indb 165book_esm12-2indb 165 9-5-2007 1227419-5-2007 122741