se préparer à la révolution un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 ce document a été...

56
1 Se préparer à la révolution Un document de discussion Roger SILVERMAN, avec Ed BOBER, Julian SILVERMAN, Felicity DOWLING, Matt HOLLINSHEAD, Rob JONES (Grande Bretagne), Jimmy KELLY, Harry HUTCHINSON, Dermot CONNOLLY, Joan COLLINS (Irlande), John REIMANN, Joel SCHOR (Etats Unis d’Amérique), Raymond DEBORD, Vincent PRESUMEY, François FERRETTE (France), Farooq TARIQ (Pakistan), Walter HELD (Allemagne), Martin LEGASSICK (Afrique du Sud) WORKERS’INTERNATIONAL NETWORK Réseau international des travailleurs L'Internationale qui émergera des luttes à venir englobera une classe ouvrière nouvelle et renforcée, comprenant des millions d'hommes et de femmes de tous les continents. Elle constituera le mouvement de masse le plus formidable de l'Histoire. Aucune force sur Terre ne peut lui barrer la route, hormis la destruction pure et simple de la société humaine. Ce sera un privilège que de jouer un rôle dans sa création. 12 juillet 2010 supplément au n°30 de Militant 6

Upload: others

Post on 27-Jun-2020

4 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

1

Se préparer à la révolutionUn document de discussionRoger SILVERMAN, avec Ed BOBER, Julian SILVERMAN, Felicity DOWLING, Matt HOLLINSHEAD, Rob JONES (Grande Bretagne), Jimmy KELLY, Harry HUTCHINSON, Dermot CONNOLLY, Joan COLLINS (Irlande), John REIMANN, Joel SCHOR (Etats Unis d’Amérique), Raymond DEBORD, Vincent PRESUMEY, François FERRETTE (France), Farooq TARIQ (Pakistan), Walter HELD (Allemagne), Martin LEGASSICK (Afrique du Sud)

WORKERS’INTERNATIONAL NETWORKRéseau international des travailleurs االلععمماالل ششببككةة ددووللييةة

L'Internationale qui émergera des luttes à venir englobera une classe ouvrière nouvelle et renforcée, comprenant des millions d'hommes et de femmes de tous les continents. Elle constituera le mouvement de masse le plus formidable de l'Histoire. Aucune force sur Terre ne peut lui barrer la route, hormis la destruction pure et simple de la société humaine. Ce sera un privilège que de jouer un rôle dans sa création.

12 ju

illet

201

0

supplément au n°30 de Militant

6 €

Page 2: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

2

Militant a le plaisir de fournir aux lecteurs francophones un document important. Il y a une vingtaine d’années la fin du bloc soviétique et la marche de la Chine vers le «marché» permettaient de raconter partout que c’en était fini du «communisme», de la révolution et même des moindres réformes sociales, que l’histoire - avec un grand H - était finie, carrément. Il n’aura pas fallu si longtemps pour que la suprématie des Etats Unis se convertisse en un déséquilibre qui ronge tout l’ordre mondial, et pour que la dynamique des «nouvelles technologies» conduise le capitalisme mondial au bord d’une crise majeure. Les crimes du 11 septembre 2001 et les guerres dont ils ont été le prétexte ont finalement donné à la prétendue croissance économique de ce système un délai de quelques années supplémentaires, qui n’a fait qu’aggraver la dimension de la crise lorsqu’elle s’est vraiment imposée, depuis 2008. Dans tous les pays du monde, sous des formes certes diverses, la

finance et le capital en général sont au coeur du mécontentement collectif.

Au moment où cette petite préface est écrite, la vague de chaleur sans précédent historique connu qui déferle sur la Russie et la Sibérie accélère les émissions de méthane qui à leur tour vont accélérer le réchauffement de l’atmosphère terrestre. La couche géologique pétrolière du Golfe du Mexique, percée depuis trois mois, continue à fuir, le gouvernement Obama ayant dénoncé là son «11 septembre» à lui mais n’ayant pas osé toucher d’un poil à la propriété de l’organisation qui est le Al Qaeda de ce 11 septembre, British Petroleum, responsable de cette catastrophe elle aussi sans aucun précédent historique, à laquelle on s’en remet pour la réparer, ce qu’elle ne fait pas. Il y a également une catastrophe pétrolière en mer de Chine, ainsi que des inquiétudes se manifestent quant au au barrage des Trois Gorges sur le Yanzi Kiang, la grande réalisation symbolique des investissements

PréambuleUn point d’appui pour les travailleursPar Vincent PRESUMEY

WO

RK

ER

S’ I

NTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 3: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

3

productifs de capital en Chine. Avec le capital, le progrès est devenu la pire menace qui soit.

Les groupes, organisations, réseaux et militants issus de l’histoire du mouvement ouvrier socialiste et révolutionnaire du siècle et demi passé, depuis cette vingtaine d’années, quand ils ne sont pas découragés, mènent des combats partiels parfois dénommés «antilibéraux», voire «anticapitalistes» mais qui restent en fait antilibéraux, sans perspective révolutionnaire et ceux qui se posent la question de cette perspective écrivent souvent des programmes ou des thèses, en voulant tout reprendre de A à Z, moyennant quoi ils n’apportent pas grand chose de nouveau, faisant comme si la chute de la Russie stalinienne et des Etats qu’elle avait formatés avait été aussi la chute des idées, projets et programmes révolutionnaires pourtant piétinés depuis des décennies dans les pays en question.

Ce document tranche. Comme le dit son titre, il vise à se préparer à la révolution. Certes, modestement mais en partant du réel, donc en comprenant ce réél, celui d’une lutte prolétarienne mondiale qui s’étend et s’approfondit, plus que jamais, contrairement aux illusions et aux apparences idéologiques.

La modestie déterminée et le pragmatisme fondé en théorie se sentent en ce que le document repose sur l’expérience de celles et ceux qui l’ont écrit et signé. D’où l’importance de l’expérience britannique et de l’histoire du courant de l’ancienne Militant Tendency. D’où la place du Pakistan avec l’expérience qui y a commencé de construction d’un parti des travailleurs indépendant, dans les conditions modernes et face à un Etat qui est au coeur du dispositif impérialiste ainsi que face à l’islamisme. D’où, aussi, la place de la France. Tel qu’il est conçu ce document peut donc s’élargir et s’épaissir en fonction des apports de tel ou tel combat, de tel ou tel courant, de tel ou tel pays. Mais aucune de ces expériences n’est envisagée comme purement locale ou sectorielle, mais comme la forme concrète d’un affrontement mondial, et c’est bien au niveau mondial et dans une approche qui comprend que le problème n’est pas le progrès technique mais le capital, que les questions environnementales y tiennent une grand place, comme il se doit.

Ce document soumis à la discussion est l’expression relativement fidèle de la réflexion et des expériences récentes d’un réseau de militants formés pour beaucoup, mais pas exclusivement, dans le mouvement trotskyste, associés en un réseau international qui a pris pour nom WIN (Workers’ international

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 4: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

4

network). Cet acronyme win, «gagner» symbolise un des éléments forts issus du débat commun : la nécessité pour les travailleurs de «lutter pour gagner» («fight to win»), c’est à dire de recourir à l’auto-organisation et à l’action directe contre le patronat pour arracher leurs revendications.

Depuis que ce document a été écrit (mi 2009), la situation a évolué dans le sens de l’accentuation des processus qu’il décrit. C’est ainsi que des grèves de masse déferlent sur la Chine. Surtout, la question qui est au coeur de sa réflexion, comme document certes programmatique mais pour qui un bon programme n’est jamais séparé d’un pas en avant réel, et ne vise pas à répondre à la perfection à des questions abstraites mais à servir de point d’appui à des travailleurs qui veulent GAGNER et ainsi sauver le monde, car c’est de celà qu’il s’agit maintenant, la question qui est ici au coeur est donc celle de l’organisation commune, de l’association internationale des travailleurs, comme se nommait la 1ère internationale, comme le rappelle ce texte en trouvant d’ailleurs que ce terme reste un bon terme, plein de vigueur actuelle. Le débat sur la Cinquième Internationale, stimulé par une prise de position en ce sens du président vénézuélien

Chavez (et quoi qu’on pense de lui justement le fait qu’il ait lancé ce pavé dans la mare doit faire réfléchir) pour que le XXIe siècle ne soit ni celui de la guerre généralisée ni celui de la décroissance totale, mais celui du dépassement du capitalisme par une humanité maîtresse de ses conditions d’existence, ce débat, préparation à la révolution socialiste, de notre vivant et pas pour on ne sait quelles générations futures, voilà le programme !

WO

RK

ERS

’INTE

RN

ATIO

NAL

NET

WO

RK

12

juill

et 2

010

Page 5: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

5

Sommaire

Introduction p 061° Un tournant dans l’histoire p 072° la fin du répis d’après guerre p 093° la crise économique p 114° la revolution qui vient p 135° les luttes des femmes p 156° la mondialisation p 177° l’Union Européenne p 198° Y a t-il une issue ? p 219° L’Afrique p 2210° L’Amérique latine p 24 11° France p 2512° Pakistan p 2713° la crise environnementale p 2814° les ressources s’épuisent-elles ? p 2915° le pétrole p 3216° la lutte des classes à venir p 3517° le nouveau visage de la contre-révolution p 3618° le fondamentalisme islamique p 3819° le déclin du réformisme p 4020° le Parti travailliste p 4221° un nouveau parti des travailleurs ? p 4622° un parti mondial p 4723° le CWI p 4924° construire l’internationale p 51

Les partisans de Militant (France) ont décidé à l’unanimité de rejoindre le Workers’inter-national network en juin 2009

Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert Tourcoing

Page 6: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

6

Le monde se trouve aujourd’hui au bord de la catastrophe : la menace d’un ouragan qui pourrait déchirer la société et poser la question de la survie de la civilisation humaine elle même.

Cette brochure présente les idées d’un réseau de travailleurs de plusieurs pays. Nous avons participé à une liste de discussion sur internet qui relie des militants anticapitalistes du monde entier et fournit un forum pour l’échange - vital - d’informations et d’idées. Dans ses meilleurs aspects elle a été une source de conseils, de soutien mutuel et d’inspiration. Beaucoup de participants à cette liste, ne provenant pas tous des mêmes traditions politiques, ont évolué pour parvenir à une compréhension commune des perspectives politiques et nous considérons que le temps est venu de formuler plus explicitement certains des principes communs que nous avons acquis.

Cette tâche est particulièrement nécessaire, étant donné que nous parvenons à un tournant dans l’histoire mondiale. Durant la période antérieure, il était correct de donner la priorité à la réflexion sur les leçons du passé, de faire des bilans et de ré-examiner les principes de base pour les ajuster au nouvel équilibre des forces et se préparer pour la

nouvelle période à venir. Avec la soudaine implosion du système financier international, et avec la perspective imminente de luttes de classes pas vues depuis plus de 70 ans, il est maintenant temps d’adopter une attitude plus proactive. La première étape vers la construction du type de mouvement politique cohérent qui peut espérer changer la société est de travailler sur des réponses aux nouvelles questions complexes du jour, et d’agir en conséquence pour diffuser nos idées.

Ce qui est nécessaire ? Rien de moins qu’un parti mondial de la classe travailleuse. Nous n’avons aucune ambition à constituer ne serait-ce que l’embryon d’un tel parti, sans parler d’un substitut. Nous sommes juste un groupe de co-penseurs avec un certain point de vue. Nous offrons simplement ces idées comme une contribution à la discussion qui va aider à armer les pionniers d’un tel parti futur. Dans l’intérêt commun des travailleurs qui partout cherchent une voie pour aller vers

Ce qui est nécessaire ? Rien de moins qu’un parti mondial de la classe travailleuse

Introduction

Paris, juin 2010 : tour de table sur la Ve Internationale, introduit par Vincent Présumey, membre de la rédaction de Militant et du WIN.

Page 7: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

7

une société meilleure et plus rationnelle, nous sommes prêts à la discussion et à l’interaction avec quiconque a des objectifs semblables.

Depuis les temps primitifs, l’histoire a été une lutte entre les classes. La classe ouvrière, ou prolétariat, est constituée de ceux qui gagnent leur vie non par leur possession de moyens de production, mais par leur aptitude à travailler, que ce soit avec leurs mains ou avec leur tête. Les travailleurs vivent uniquement par la vente de leur force de travail, à la semaine ou au mois, et en temps de crise capitaliste c’est leur existence même qui est menacée.

Le capitalisme a atteint depuis longtemps les l imites de sa capacité à assurer le développement de la société. La seule force susceptible d’étendre davantage le progrès humain est la classe ouvrière. La clef pour libérer les opprimés et pour sauver la planète de la guerre et de la destruction de l’environnement est l’établissement d’un nouveau système social basé sur la solidarité humaine. La première étape indispensable dans cette direction est l’établissement d’un gouvernement de démocratie ouvrière, qui va placer les secteurs stratégiques de l’économie sous la propriété de l’Etat et sous contrôle et direction des travailleurs. Seuls des services publics, gérés démocratiquement par la classe ouvrière, peuvent répondre aux besoins essentiels d’une société civilisée et permettre l’épanouissement des talents humains.

Partout où les travailleurs sont exploités, ils développent des moyens de lutte collective pour défendre leurs droits. Nous basons notre orientation sur les traditions établies par les précédentes générations de travailleurs et les leçons tirées de leurs luttes. Notre liste de discussion est un point de contact pour quiconque veut sincèrement combattre le capitalisme et dégager dans le cours de l’action des principes communs.

La classe ouvrière a le potentiel pour prendre le pouvoir à travers le globe. L’industrie s’est étendue partout et le larges couches de la population ont été incorporées à la force de travail des multinationales. Les forces productives sont devenues globalement socialisées : chaque secteur de la production dépend des autres. Les monopoles ont remplacé depuis longtemps la concurrence capitaliste, celle-ci étant la justification classique pour la propriété privée des moyens

de production ; pourtant la classe dominante continue de s’accrocher à ses biens. Les capitalistes ne peuvent plus défendre rationnellement leurs privilèges parce qu’ils ne jouent plus un rôle utile.

Un tournant dans l’histoireLes vingt dernières années ont été une période de paradoxes et d’incertitudes. La chute du stalinisme, la révolution des technologies de l ’ in for mat ion et la globalisation se sont combinées pour offrir aux idéologues capitalistes la tentation d’une célébration prématurée de la victoire de «l’économie de marché». Leur auto-complaisance a été renforcée par le relatif manque de défi cohérent venant de la classe ouvrière, que ce soit idéologiquement ou, dans la plupart des pays, en terme de militantisme dans l’industrie. Ceci est dû d’une part à un déclin apparent de la conscience et de la combativité prolétarienne d a n s l e s é c o n o m i e s a n c i e n n e m e n t industrialisées et d’autre part à la faiblesse et à l’immaturité du nouveau prolétariat industriel s’enracinant dans des territoires vierges.

Ces années ont marqué une pause inattendue dans la crise croissante du capitalisme. Jusqu’en 1989 les marxistes avaient compté avec confiance sur une polarisation croissante dans la lutte des classes, une crise approfondie dans l’ancien monde colonial, un mouvement de masse pour la démocratie ouvrière dans les Etats staliniens et sur des soulèvements révolutionnaires imminents partout. Ces perspectives générales ont été brutalement démenties par la soudaine restauration du capitalisme dans les anciens Etats staliniens et le nouveau sursis gagné par le capitalisme à t raver s l ’ e s sor des techno log ie s de l’information. L’attractivité de masse du socialisme s’est soudainement affaiblie.

Avec la venue aujourd’hui d’une crise financière retardée, la boucle de l’histoire est une nouvelle fois bouclée. Là où la réalité avait semblé pendant un temps défier la raison, la critique révolutionnaire du capitalisme a encore une fois été confirmée.

WO

RK

ERS

’INTE

RN

ATIO

NAL

NET

WO

RK

12

juill

et 2

010

Page 8: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

8

Une nouvelle époque historique est en train de s’ouvrir, dans laquelle les avertissements de Marx et Engels sur le fait que la société se trouvait au carrefour entre «socialisme et barbarie» ou la caractérisation de Trotsky sur la période comme celle de «l’agonie mortelle du capitalisme» prennent une nouvelle actualité. Il n’y a même pas vingt ans le spectre du communisme avait semblé finalement exorcisé, avec l’effondrement des Etats qui avaient prétendu être basés sur la planification socialiste, et l’abandon même de l’adhésion antérieure à des objectifs socialistes des partis de masse fondés des décades auparavant pour défendre la cause des travailleurs. Un philosophe à la mode a même proclamé «la fin de l’histoire» : la victoire finale du capitalisme libéral.

Maintenant Newsweek proclame : «Nous sommes tous socialistes maintenant», alors que l’idée de la s p é c u l a t i o n e f f r é n é e e s t d e v e n u e universellement tournée en dérision, parallèlement à l’orgie sans précédent de cupidité qui l’a accompagnée - un affichage d’auto-indulgence qui aurait fait honte aux Borgia dans l’Italie de la Renaissance.

Après 60 ans de calme relatif dans ses principales citadelles d’Amérique du nord et

d’Europe de l’Ouest, le capitalisme mondial fait maintenant face à la crise économique la plus grave depuis les années 1930. En quelques mois, ses porte parole sont passés de la reconnaissance d’un «resserrement du crédit», à celle d’une récession, d’une dépression, d’une crise comparable à celle des années 30 et finalement à «la pire crise depuis un siècle, d’une durée de 10 à 15 ans». La perspective est maintenant celle d’une paupérisation des populations historiquement les plus «riches» et d’un nouveau plongeon global dans la famine, sans parler de la nouvelle série de guerres que la crise pourrait précipiter, du Moyen Orient au sous-continent Indien et au Pacifique, et même peut être à l’Europe également.

Cette crise a été perçue comme un choc par les commentateurs ; pourtant elle n’était en aucun cas imprévisible. Non seulement les marxistes l’avaient prévu depuis tellement de décennies que c’était presque devenu un cliché, mais une petite minorité parmi les autres l’avaient également vu venir. Par exemple l’économiste Harvey Shutt avait écrit dix ans auparavant qu’approchait «une crise économique approfondie dont le seul dénouement possible (...) sera un holocauste financier d’une telle ampleur qu’il mènera à la ruine totale (...) Une telle catastrophe pourrait annuler tous les gains réalisés si

WO

RK

ER

S’IN

TER

NAT

ION

AL

NE

TWO

RK

12

juill

et 2

010

Page 9: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

9

péniblement par la civilisation occidentale dans les cinq siècles ayant suivi la Renaissance et marqué l’avènement d’un nouvel âge des ténèbres tel que celui annoncé par Winston Churchill comme la conséquence probable d’une victoire nazie en 1940».

Si la classe ouvrière ne réussit pas à renverser le capitalisme, alors ces prédictions à glacer le sang sembleront rétrospectivement avoir été trop timides.

La fin du répit d’après guerreLors de l'amélioration économique d'après-guerre, dans les années 50 et 60, il y eût une énorme expansion du commerce mondial et une augmentation de l'exploitation du monde ex-colonial. La pénurie de la main-d'oeuvre dans les pays industrialisés a conduit à un renforcement du pouvoir syndical qui a permis aux travailleurs d’atteindre un niveau de vie sans précédent. Cela n'a été possible qu’en raison de conditions exceptionnelles et temporaires. Le répit de l’après-guerre dans les pays développés a été inégal et prolongé, pour finalement s’essouffler après six décennies.

Entre 1945 et 1975, la révolution coloniale a transformé le monde. Dans des luttes épiques, des millions de peuples autrefois soumis et muets investissent la scène de l'histoire du monde. Mais après le renversement de leurs oppresseurs impériaux, le cycle ininterrompu de la pauvreté de la famine et l'instabilité po l i t ique ont a f fa ib l i l ’ empr i se du landlordisme et du capitalisme. En Chine, à Cuba, et dans les régions de l'Asie et de l'Afrique, divers chefs guérilleros victorieux ou de jeunes officiers insurgés ont marqués des coups contre le capitalisme et mis en place des états établis modelés sur la Russie staliniste. Ce processus a culminé pendant le milieu des années 70 avec la défaite des Etats-Unis par une armée rurale au Vietnam. En même temps, l'impérialisme portugais s'est effondré en Afrique, et les régimes de plusieurs pays ex-coloniaux, dont le Cambodge, l 'Ethiopie, l 'Angola et le Mozambique ont pris des mesures énergiques contre le landlordisme et le capitalisme.

L'ordre mondial d'après-guerre s’effritait déjà dans les années 70, à la fois économiquement et politiquement. En 1968, les protestations de masse contre la guerre du Vietnam, les émeutes dans les ghettos noirs des Etats-Unis, une situation révolutionnaire en France, une agitation pré-révolutionnaire en Italie, la rue qui proteste au Mexique, et bien d'autres événements ont annoncé la fin de la stabilité politique d'après-guerre. La longue guerre des Etats-Unis au Vietnam - la résistance du peuple vietnamien étant le sommet de l'insurrection des peuples coloniaux dans le monde depuis 1945 - a tué 58.000 soldats américains, a créé une armée rebelle et un défi sans précédent, et s'est terminée dans l'humiliation de la première grande défaite militaire des Etats-Unis. Elle a également miné le dollar, qui émergeait de la guerre mondiale. Il a été mis fin à 25ans de stabilité financière par la mise au rebut de l'accord de Bretton Woods liant le dollar à un taux de change fixe au prix de l'or, un événement qui préfigure l'effondrement de la stratégie keynésienne pour modérer la tendance du capitalisme vers des crises périodiques, comme l'inflation dans le monde développé a menacé pour monter en flèche hors de tout contrôle. Puis, au milieu des années 1970, l'effondrement des dictatures au Portugal, en Espagne et en Grèce a confirmé l'instabilité croissante de l'Europe politique, de même que la quadruple augmentation du prix du pétrole dans le milieu des années 1970 a précipité la récession mondiale.

L'équilibre des forces entre les classes avait changé de façon si spectaculaire que les capitalistes en avaient perdu le moral. En France, à l'improviste, dans un pays où seulement trois millions de travailleurs étaient organisés syndicalement, tout d'un coup dix millions de travailleurs occupaient leurs lieux de travail et les ornaient de drapeaux rouges, tandis que le président fuyait le pays en murmurant : «Fin de partie !».

Au Portugal, quelques années plus tard, lorsque les employés des banques occupaient celles-ci et imposaient leur nationalisation, le Times a titré : «le capitalisme est mort au Portugal". À peu près au même moment, le chancelier ouest-allemand démissionnait de son poste, prédisant sombrement le communisme ou le fascisme dans toute l'Europe dans une vingtaine d’années.

WO

RK

ER

S’IN

TER

NAT

ION

AL

NE

TWO

RK

12

juill

et 2

010

Page 10: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

10

Après sa défaite au Vietnam, les Etats-Unis ont évité toute intervention militaire majeure en outre-mer et ce pendant presque deux décennies. Ils ont recouru à la CIA pour déstabiliser les régimes qui ont menacé leurs intérêts tels Allende au Chili et le mouvement sandiniste de libération nationale au Nicaragua. Ce n’est qu’à la chute du stalinisme que l'impérialisme américain a une fois de plus réaffirmé son écrasante supériorité militaire dans des attaques militaires directes sur la Serbie, en Afghanistan et en Irak. Néanmoins, l'influence économique américaine dans le monde ex-colonial s'affaiblit. L'incapacité de l'Amérique à atteindre ses objectifs militaires en Irak et en Afghanistan, malgré la supériorité écrasante de sa puissance de feu, est un reflet frappant du changement du rapport des forces. De même que, plus spectaculairement, sa nouvelle impuissance à imposer sa volonté dans sa propre «arrière cour», l'Amérique latine.

L'effondrement du stalinisme en Union Soviétique et en Europe de l'Est entre 1989 et 1990 a donné au capitalisme un nouveau et inattendu souffle de vie. La planification économique d'état avait avec succès jeté les fondements pour le développement industriel dans ces pays ; mais une fois que l'économie é ta i t devenue p lus sophis t iquée, la bureaucratie a cessé d’être un frein relatif

p o u r d e v e n i r u n f r e i n a b s o l u a u développement.

Lorsque les travailleurs se révoltèrent en Hongrie en 1956, en Tchécoslovaquie en 1968, et en Pologne en 1970, ils défendaient leur bien commun dans un système de propriété d'Etat et contre le gaspillage, la co r rup t i on e t l a mauva i s e ge s t i on bureaucratiques.Le stalinisme était réellement menacé de renversement par la révolution politique des travailleurs pour extirper leurs Etats de ses sales pattes. Toutefois, dans les années 80, une combinaison de la sclérose et de la stagnation bureaucratiques, les mutations économiques en Europe occidentale en raison de la révolution technologique, et les niveaux de vie plus élevés dans les pays voisins, avaient créé des illusions dans le capitalisme parmi les citoyens de l'Europe de l’est. Des pans entiers de ces économies nationalisées ont été démantelées et privatisées dans un pillage généralisé par la bureaucratie, qui s'est de fait convertie en classe capitaliste. Formant de nouveaux marchés, les anciens pays du bloc de l 'Est ont rejoint la Communauté européenne, et le travail à bas prix a stimulé les bénéfices tandis que les travailleurs migrants d'Europe de l’Est arrivaient à l'Ouest. Le capitalisme semblait victorieux, et pendant un bref moment d'euphorie a cru voir advenir un avenir radieux.

WO

RK

ER

S’ I

NTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 11: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

11

La crise économiqueBien que le décollage économique depuis la deuxième guerre mondiale ait été marqué par de brèves mais sévères récessions, en 1874-75, 1980-81 et 1990-91, les pays développés ont connu des décennies de relative stabilité. Même au cours des vingt dernières années, un effondrement sévère a été évité, d’abord grâce à des dépenses d'armements massives, ensuite par le développement économique bien réel qu’a engendré la révolution des technologies de l'information, et enfin par la généralisation du crédit aux ménages, aux entreprises et aux Etats, lubrifié par toute une gamme d'ingénieux instruments financiers spéculatifs. Le capitalisme a pu défier les lois de la gravité jusqu'ici. Mais maintenant, il doit passer à la caisse.

Certes, une partie de la croissance, avant la crise, correspondait à une augmentation de la production, laquelle était rendue possible par des facteurs comme l'ouverture de nouveaux marchés dans les anciens pays staliniens, ou encore le développement de nouvelles technologies, notamment «  high-tech  ». Cependant, ce boom était sous-tendu par un développement massif du crédit, signe de la domination sans cesse plus nette du capital industriel par le capital financier. Aux Etats-Unis, par exemple, le secteur industriel est tombé de 29% du PIB en 1950 à 12% en 2005. Dans la même période, les «  services financiers » sont passés de 10,9% à 20,4%, et la part du secteur financier dans les profits des entreprises est passée de moins de 10% à 50%.

Autour de l'an 2000, l'afflux de liquidités en provenance des économies asiatiques en plein boom, et en particulier les milliards de dollars chinois abreuvant les banques américaines, ont impulsé la bulle financière spéculative. Le capital devant toujours trouver une niche d' invest issements rentables, après la succession des bulles sur les prix des actions, sur les monnaies, sur les privatisations crapuleuses, sur internet, sur l'immobilier, ce fut le tour du racket par les sub-primes. Avec en toile de fond la progression apparemment irrépressible, depuis 60 ans, des prix immobiliers américains, on a fait une promotion effrénée pour des prêts toxiques, irremboursables, puis on les a assortis avec

d'autres prêts plus sains, et revendus, dans un jeu de patate chaude répondant au nom d'  « obligations de dettes hypothécaires  », le tout étant diligemment décoré d'un AAA par des agences de notation aux ordres. Les bénéfices engrangés grâce à trois vagues de ventes successives de ces «  obligations de dettes hypothécaires » furent ré-investis dans le casino plus obscur encore des produits dérivés. Cette orgie de bénéfices n'était qu'une grande escroquerie pyramidale, à l'échelle mondiale. Et quand l'inflation réapparut, notamment sous l'effet du pic sévère des cours pétroliers (conséquence supplémentaire du décollage industriel chinois), c'est l'ensemble du jeu qui fut percé à jour. Les taux d'intérêts montèrent, une vague de défauts sur les crédits hypothécaires s'ensuivit, et les prix immobiliers américaines amorcèrent leur chute libre, à une vitesse de 20-30% par an. La valeur des avoirs financiers se dégrada rapidement, le circuit du prêt inter-bancaire s'assécha, et ce fut le « credit crunch ». La partie était finie.

Au cœur de ce phénomène, on trouve l'utilisation croissante des produits dérivés. C e t t e fo r m e d e s p é c u l a t i o n a é t é f o r m i d a b l e m e n t e n c o u r a g é e p a r l'effondrement du système de Bretton Woods. Dans un climat monétaire mondial nettement moins stable qu'auparavant, parier sur les fluctuations des monnaies devint une activité spéculative massive. Puis on se mit à spéculer sur les fluctuations des taux d'intérêts (quand cela devint un outil d’intervention crucial pour la Banque centrale américaine), sur les cours des matières premières, et même sur la dette elle-même. La baisse tendancielle des taux de profit dans l'industrie, ainsi que l'endettement croissant de tous les secteurs de la société, attira encore plus d'investissements vers la spéculation financière.

Cette crise est avant tout une crise du capitalisme américain, qui a cessé d'être une puissance industrielle et ne maintient sa domination économique qu'au titre de premier consommateur mondial, différant l'effondrement pour quelque temps encore grâce au bouclier précaire et anachronique du dollar, qui se survit comme monnaie de réserve à l'échelle mondiale. L'effondrement imminent de la valeur du dollar laissera l 'Amérique, en tant que puissance, dépendante de sa seule supériorité militaire. Mais aucune nation ne peut maintenir son hégémonie par la seule force militaire. Les

SE

PR

EPA

RE

R A

LA

RE

VO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 12: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

12

Etats-Unis subissent une menace croissante de la part de leurs rivaux, notamment la Chine. Un symbole spectaculaire de cette humiliation fut l'attentat terroriste surprise du 9 septembre 2001, gesticulation osée et défi futile lancé par une clique de cheikhs pétroliers arabes dissidente, avec utilisation d'attaques-suicides – une variante des tactiques classiques employées par l'adversaire en position de faiblesse. Les guerres en Afghanistan et en Irak, ainsi que les nombreuses autres à venir, sont des guerres pour le pétrole et pour les ressources naturelles, dans lesquelles l'hyperpuissance en déclin profite de son colossal avantage militaire, tant qu'il le peut encore, pour étayer une puissance économique à qui la base industrielle fait défaut.

La crise économique actuelle a été précédée de plusieurs chocs dans des secteurs majeurs de l'économie mondiale. La contre-révolution dans l’ex Union soviétique a provoqué des coupes draconiennes dans les niveaux de vie – plus encore qu'au Chili sous Pinochet. L'espérance de vie a fortement reculé, la population a diminué de plusieurs million et la moitié des habitants s'est retrouvée sous le seuil de pauvreté, tandis qu'un quart connaissait la «  pauvreté absolue  ». Depuis 1990, le Japon connaît une longue récession (comparable à la crise des années 30), provoquée comme la crise financière actuelle par une orgie spéculative sur un marché

immobilier euphorique. Puis, en 1998, les monnaies des «  tigres » de l'Asie du Sud-Est furent frappées par des attaques spéculatives de grande ampleur : 600 milliards de dollars s'évaporèrent sur les marchés des actions. Bref, les signes avant-coureurs étaient clairs.

Des pays de tous les continents ont été poussés à la banqueroute par cette crise : l'Islande, la Lettonie, la Hongrie, l'Ukraine, la Turquie, la Corée du Sud, et d'autres encore. Cer ta in s on t comparé l a s i tuat ion économique en Europe de l'Est à la crise asiatique de 1998. Les prêts récemment consentis par le FMI atteignent la proportion effarante de 50% du PIB en Lettonie, en Hongrie et dans d'autres pays de la région. Dans certains cas, les exigences du FMI en termes de coupes budgétaires ont été refusées. Dans ces pays où le capitalisme n'a pas de racines sociales et politiques très profondes, se développe vraisemblablement une nostalgie des anciens régimes et de leur bilan en termes de quasi-plein emploi, de loyers modérés et de produits alimentaires à bas prix, car subventionnés.

Dans leur quête d'une porte de sortie à la crise, les gouvernements capitalistes prennent des mesures désespérées, drastiques et contradictoires. Ils ont réagi avec panique à la crise financière, ballotés entre «  rigueur  » monétaire au déficit keynésien, et recourant même au «  quantitative easing» (un

SU

PP

LEM

EN

T A

MIL

ITA

NT

N°3

0 12

juill

et 2

010

Page 13: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

13

euphémisme couvrant l'usage pur et simple de la planche à billets, qui en sapant les fondements de la monnaie promet l'hyper-inflation pour l’avenir). Jusqu'à présent, quelque 16 trillions de livres sterling– soit 2300 pour chaque homme, femme et enfants de cette planète – ont été dépensés dans les récents sauvetages et nationalisations partielles des banques, des compagnies d'assurances et de compagnies automobiles.

Aujourd'hui, certains parlent de réguler le capital financier, et quelques nouvelles règles devront bien être appliquées pour la forme. Cependant, sous une supervision molle et corrompue, le capital financier aura beau jeu d’inventer astuce après astuce pour échapper, éviter ou saper ces règles.

La croyance naïve en l'efficacité de telles mesures en dit long sur leur désespoir. Les économies capitalistes sont d'ores et déjà surchargées de dettes « pourries ». Tandis que le monétarisme , consistant à équilibrer les comptes dans les finances publiques, ne conduira qu’au chômage de masse et à l'effondrement plus sévère encore de la demande, le financement du déficit ne pourra pas surmonter les contradiction du système, sans compter qu'il risque de nourrir l'inflation à l'avenir. Dans le même temps, une tendance inexorable pousse au protectionnisme, aux dévaluations compétitives et peut-être même à l’éventualité d’une rupture de l'Euro.

La révolution qui vientLa crise économique actuelle remet à l'ordre du jour les perspectives de révolution et de contre-révolution. Nous entrons dans une longue période, qui sera marquée par des flux et des reflux, des reculs et de véritables défaites. Les travailleurs en lutte n’aspireront pas d’emblée à la révolution. Nous aurons affaire au désespoir, à la confusion, aux illusions du réformisme, de la démagogie religieuse, du populisme, du nationalisme et – le plus dangereux de tous – du racisme et de la xénophobie. Mais les idées socialistes réapparaîtront et elles deviendront de plus en plus, selon le mot de Lénine, une «  force matérielle » qui « saisira l'esprit de millions de gens ».

Même le commentateur britannique

conservateur Max Hastings a conclu : «  Il serait bizarre que les sirènes de la gauche ne trouvent pas des oreilles plus disponibles qu'au cours des trente dernières années... On s'inquiète d'une possible montée de l'extrême-droite. Mais il serait plus surprenant encore qu'une nouvelle gauche ne vienne pas, tôt ou tard, menacer le pouvoir au Royaume-Uni et dans d'autres démocraties ».

Deux ou trois générations ont passé depuis la dernière crise d'une telle ampleur. Elle avait poussé les classes à la confrontation directe. Faute de renverser la loi du Capital en introduisant un système rationnel de planification socialiste, les années 20 virent le retour de scènes rarement vues depuis le Moyen-Age : famine, clochardisation, hystérie collective, guerre civile, génocide, destruction des villes, dizaines de millions de victimes, camps de concentration, chambres à gaz, bombes atomiques, barbarie.

La seule manière d'éviter la répétition d'un tel cauchemar, qui pourrait bien cette fois déboucher sur la destruction finale de l'humanité elle-même, c'est de réorganiser la société sur le fondement d'une administration rationnelle des ressources et d’une utilisation du potentiel productif de l’humanité.

Les combats des années 30 se produisirent après deux décennies de mouvements révolutionnaires, et déjà avec un arrière-goût de défaite, notamment en Italie. Cependant, la classe ouvrière était organisée, mobilisée et même parfois armée. Elle s'appuyait sur de solides traditions, sur le souvenir d'une révolution récente, sur sa loyauté de classe envers les organisations prolétariennes, et sur une conscience socialiste.

Tout cela n'allait pas sans des aspects négatifs et même fatals : loyauté malencontreuse envers des dirigeants ayant un intérêt explicite à trahir la cause – non seulement la caste des chefs réformistes et des permanents syndicaux qui vivaient de leur rôle d'intermédiaire entre les classes, mais surtout les relais de la caste bureaucratique stalinienne qui venait de se c r i s t a l l i s e r e n Ru s s i e . C e t t e c a s t e bureaucratique dirigeante était parvenue au pouvoir avec comme mot d'ordre l'isolement de la révolution dans un seul pays, qui plus est toujours plongé dans l'arriération et la barbarie. Elle vivait des privilèges du nouvel Etat soviétique, et institutionnalisa en trahison calculée ce qui n'était au départ que des gaffes

WO

RK

ERS

’INTE

RN

ATIO

NAL

NET

WO

RK

12

juill

et 2

010

Page 14: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

14

politiques catastrophiques – à la fois l'opportunisme et l’aventurisme gauchiste. En dernier ressort, c'est sa trahison consciente qui condamna les travailleurs à la défaite.

La disparition du stalinisme offre aux socialistes une tabula rasa pour de nouveaux commencements. Cette force néfaste et insidieuse, qui avait fait dérailler le mouvement dans les années 30, a disparu pour toujours, et l'association pernicieuse entre une économie d'Etat planifiée et un niveau monstrueux de corruption et de répression ne vient plus embrouiller l'argumentation en faveur du socialisme.

Face à la crise actuelle, la classe ouvrière, dans ses anciens bastions, est politiquement désarmée. Ses perspectives socialistes, ou même sa simple conscience de classe, ont reflué sous l'influence de plusieurs facteurs. Le plus immédiat est l'effondrement des anciens Etats staliniens, qui en dépit de tous leurs aspects les plus répugnants, représentaient tout de même la vague espérance d'un autre avenir possible. Les autres facteurs sont le déclin des syndicats autrefois tout-puissants dans les pays en voie de désindustrialisation rapide, la désagrégation des communautés industrielles dans leurs bastions traditionnels, la croissance prolongé des nouvelles technologies, le triomphalisme retrouvé des capitalistes, et l’abandon, par l'ex-« gauche » aussi bien que les réformistes de droite, de toute aspiration socialiste, réelle ou même feinte.

La nécessité du syndicalisme, le pouvoir de la grève, l'entretien d'une solidarité de classe, et l'obsolescence du capitalisme apparaissaient

comme des évidences dans les bassins où se concentraient les travailleurs de la grande industrie. Mais ce qui reste de 150 ans de socialisme, aujourd'hui en Occident, n’est guère plus qu'un souvenir vacillant entretenu par des groupes sans cesse moins nombreux, a u s e i n d e l ’ a n c i e n n e g é n é r a t i o n . Aujourd’hui, dans les lieux de naissance du prolétariat, de nombreux travailleurs sont nettement moins conscients qu'auparavant de leur rôle, de leurs tâches ou même de leur identité de classe. Cependant, qu'ils en soient conscients ou non, ils restent des prolétaires, vivant de la vente quotidienne de leur force de travail dans une proportion certainement plus grande que jamais, et ils produisent d'une manière encore plus collective que jamais. Dans leur lutte pour se défendre contre les attaques des capitalistes contre leurs droits et leurs revenus, ils n'auront d'autre choix que de combattre de manière collective, et de ré-apprendre, sur le piquet de grève, les leçons de la solidarité. Seule l'expérience des luttes à venir pourra restaurer la conscience prolétarienne dans ces couches.

Cependant, les vieilles traditions ont la peau dure. En Grande-Bretagne, il y a eu des grèves de pompiers, de cheminots, de fonctionnaires, de professeurs, etc. Les travailleurs du secteur public ont conservé la conscience de classe, la solidarité et la loyauté formées à travers les luttes les décennies passées, dans les grands bassins de travail industriel.

De nombreux facteurs nouveaux ont renforcé la cohésion des travailleurs. Le prolétariat a vu sa taille et son poids relatif augmenter de manière spectaculaire dans le monde, et

SE

PR

EPA

RE

R A

LA

RE

VO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

C’est la trahison consciente des staliniens qui condamna les travailleurs à la défaite et conduisit au rétablissement du capitalisme en URSS

Page 15: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

15

particulièrement dans nombre des anciennes colonies, tandis que la petite-bourgeoisie s'étiole implacablement, sous l'effet de la concentration et de la monopolisation de la production dans les mains d'hyper-grandes entreprises. La classe ouvrière est nettement plus éduquée qu'auparavant. Avec les médias de masse et la révolution de l'information, les travailleurs de la génération actuelle sont incomparablement mieux informés que leurs parents ou leurs grands-parents. Le monde s'est resserré et une conscience internationale, auparavant inconcevable, est apparue. Tous ces facteurs ont objectivement renforcé le prolétariat mondial. Leur combinaison a créé un climat culturel qui modifie radicalement l'équilibre des forces dans la société. Même en ces jours de calme relatif, en termes notamment de jours de grève par rapport aux années 70, c'est cette nouvelle prise de conscience sociale – une ambiance à laquelle même les capitalistes rendent hommage, dans leurs promesses en faveur du commerce équitable, de la finance éthique, etc. - qui est devenue un facteur non quantifiable barrant la route aux capitalistes et à leur volonté de faire baisser les niveaux de vie.

Qui plus est, depuis les luttes des années 30, une transformation sociale s'est produite : l ' a p p a r i t i o n m a s s i v e , d a n s l e j e u démocratique, de toutes les strates sociales auparavant ultra-opprimées – en premier lieu les femmes, qui ont relevé la tête, qui se sont débarrassées pour toujours de leur rôle historiquement dominé, et qui se sont mobilisées pour former parfois les contingents les plus militants, sur la ligne de front des luttes de la classe ouvrière. Les minorités ethniques et les peuples indigènes se sont également dressés pour exiger leurs droits, s'inspirant largement de la magnifique révolte noire des années 50 et 60 aux Etats-Unis, qui a transformé les consciences dans le monde entier. La classe ouvrière des ex-pays industrialisés s'est internationalisée, après des décennies d'immigration  : les travailleurs d'origine britannique travaillent maintenant aux côtés de travailleurs des Caraïbes et du sous-continent indien, et la même chose peut être dite à propos des Mexicains aux Etats-Unis, des nord-Africains en France, des Turcs en Allemagne, des Européens de l'est dans toute l'Europe occidentale, etc. La contre-révolution pourrait aujourd'hui difficilement s'appuyer sur le recrutement de réserves coloniales en guise de soldats de front, à la différence de Franco utilisant les Arabes dans

la guerre civile espagnole,

Dans ces conditions, la force de conviction de la simple réalité permet aux masses de percevoir la dictature des entreprises. L'étendue incroyable des médias de masse aujourd'hui, par internet, par les chaînes d'information en continu, par la téléphonie mobile, etc., a permis une accélération énorme de ce phénomène. Il existe aujourd'hui dans toute la société une transparence et une conscience sans comparaison avec le passé. Dans une large mesure, ce sont également les illusions quant à la viabilité des réformes graduelles, des voies moyennes ou des solutions nationales, qui se dissipent. Les gens ordinaires ont un accès à l'information et des moyens de communication bien meilleurs qu'avant – une réalité que même les régimes totalitaires ont du mal à maîtriser.

Déjà, au tournant du millénaire, cette nouvelle prise de conscience s''était manifestée par un mouvement sans précédent de manifestations anti-capitalistes des milliers de jeunes activistes passaient les frontières nationales pour encercler les conclaves secrets des dirigeants capitalistes mondiaux à Seattle, à Prague, à Gènes... Cette éruption spontanée de manifestations incohérentes suffirent pour inquiéter les classes dirigeantes, qui à Gènes réprimèrent les manifestants avec une féroce brutalité qui se voulait exemplaire.

Ce mouvement fu t temporairement contrecarré par la «  guerre contre le terrorisme  », après les attaques du 11 septembre 2001 contre des cibles américaines – elles-mêmes symboles du déclin de l’Empire américain. Mais peu après, le 15 février 2003, se produisit un événement marquant des temps modernes, consistant en la mobilisation sans précédent de 30 millions de personnes à travers le monde, pour une manifestation internationale simultanée en solidarité avec le peuple irakien.

Les luttes des femmesLes femmes constituent entre 60-80% de la main-d’œuvre dans la fabrication de produits à l'exportation dans les pays en voie de développement. Plus que la moitié de la population mondiale vivant à un dollar voire

SU

PPLE

MEN

T A

MIL

ITAN

T N

°30

12 ju

illet

201

0

Page 16: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

16

à moins d’un dollar par jour sont des femmes. Les femmes font face à une reconnaissance limitée en tant qu’ouvrières, aucun droit du travail le plus élémentaire ne leur est reconnu. Les industries et notamment celle du textile à travers le globe se fondent sur les bas salaires octroyés aux femmes, exploitant souvent les jeunes femmes de manière illimitée pendant quelques années.

La banque mondiale prévoit que le resserrement du crédit causera une montée subite de la mortalité infantile atteignant les 2,8 millions de bébés supplémentaires d'ici 2015, et note que les chutes du PIB mènent à une augmentation beaucoup plus grande de la mortalité infantile féminine que celle de la mortalité infantile masculine. D'autres sources, y compris OXFAM (Oxford Commitee for Famine Relief; coordination d'ONG luttant sur les terrains politique, économique et humanitaire contre la famine dans le monde) enregistrent que presque 70% des pauvres du monde sont des femmes; que deux-tiers des adultes illettrés dans le monde sont des femmes; que la violence contre les femmes est la plus grande cause de décès et d’incapacité parmi des femmes âgées entre 15 et 44 ans; que les femmes gagnent deux fois moins que les hommes, et cela, même au Royaume-Uni, où les femmes sont encore payés presque 20% de moins que les hommes pour un travail équivalent.

L'événement le plus dangereux dans une vie humaine est le fait de donner naissance. La mort des femmes en cours d’accouchement devrait être extrêmement rare, mais le manque de Sécurité Sociale et l'inaccessibilité aux services indispensables pour beaucoup de femmes fait que la mort des femmes lors de l’accouchement représente une cause de mortalité trop fréquente dans bien des pays. L'héritage des néoconservateurs se manifeste dans la destruction de la Sécurité Sociale moderne. D’un côté le vieux réseau de sages-femmes traditionnelles a été éliminé, de l’autre la médecine moderne est fermée aux femmes. Les femmes font face à une double discrimination, en tant qu’ouvrières et main-d'œuvre et en tant que domestiques et mères. On s'attend toujours à ce que la plupart des femmes élèvent des enfants et se soucient de parents malades et âgés quand elles ne sont pas des soutiens financiers aux familles.

Les vagues de répression se sont développées dans quelques pays islamiques, aboutissant aux politiques sadiques et misogynes des Taliban, se déguisant en injonctions religieuses orthodoxes. Toutes les restrictions religieuses à la tenue vestimentaire ou au style de vie représentent une attaque aux droits démocratiques. La répression des femmes a toujours été un instrument d'oppression de classe. L'utilisation délibérée du viol comme

WO

RK

ER

S’IN

TER

NAT

ION

AL

NE

TWO

RK

12

juill

et 2

010

Page 17: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

17

arme de guerre en Afrique et dans les Balkans ces quelques dernières décennies en est un exemple terrifiant. Historiquement les vagues de répression ont rencontré des vagues de résistance, pour certaines réussies. La résistance des femmes au Pakistan reçoit l’appui de toutes les femmes du pays. La disponibilité des femmes à la lutte se manifeste aussi au Vénézuela.Dans l’histoire les femmes ont été au premier rang de la lutte pour une meilleure vie pour elles-mêmes et pour leurs familles. La place de leur lutte n’est pas d’être reléguées à un rang mineur ou une note en bas de page. Bien que leur rôle soit tu dans la plupart des récits historiques, l’action des femmes est la marque des révolutions depuis celles du XVIIe siècle.

La lutte des ouvriers du texti le du Massachusetts au XIX siècle était une des toutes premières et des plus critiques luttes d'ouvriers américains. Plus tard au XIXème siècle, le travail de Mary Harris (Mama Jones) pour la syndicalisation des mineurs des Etats-Unis a mené à son emprisonnement à l'âge de 90 ans. En Grande-Bretagne la grande explosion des non qualifiés a été introduite par des actions menées par les ouvriers des manufactures de tabac et d'allumettes et d'autres ouvrières d'usine. Les marxistes ont é t é p ro f o n d é m e n t i m p l i q u é s d a n s l'organisation de marches des ouvriers et des travailleurs désespérément exploités à un moment ou le syndicalisme conventionnel n’y voyait aucune utilité.La campagne des femmes de la classe ouvrière pour le vote liée au besoin de syndiquer des ouvriers et des ouvrières a à son tour joué un rôle majeur dans la campagne de suffrage. Les ouvrières de la société Ford dans les années 60 ont mené un dur et long combat pour l’égalité des rémunérations au travail et ont gagné. Plus tard, dans les années 70, les femmes asiatiques britanniques de la société Grunwick étaient les premières d'une vague de militantisme syndical.

Les femmes jouent un rôle significatif dans l’organisation collective, rôle qui persiste g é n é r a l e m e n t m ê m e a p r è s l a fi n d'organisations syndicales et industrielles. Les femmes défieront souvent le capitalisme parce qu'elles n’y voient aucun avenir pour elles-mêmes, leurs familles, ou leur mileu social.

La nouvelle reconnaissance des droits de la femme tant dans le lieu de travail que dans la

société a changé globalement l’équilibre des forces et ce de manière décisive.

La mondialisationLa Mondialisation représente la réalisation possible la plus complète (au nième degré, un degré au dessus des prétentions même de ses auteurs), des processus brillamment exposés dans le manifeste communiste de 1848. C'est le capitalisme chimiquement distillé ; une revendication du marxisme.

Et pourtant, elle crée des conséquences encore imprévues. En effet, un nouveau prolétariat vierge et massif se réveille dans les continents les plus éloignés des centres même de la puissance capitaliste. En attendant, le capital est concentré plus que jamais auparavant, entre les mains d’une classe d i r igeante jamai s auparavant aus s i diaboliquement armée technologiquement et militairement, se reposant socialement sur une population se composant en grande partie d’ouvriers et d’employés de bureau et de détail au service de ses conforts.

L'amélioration économique des deux dernières décennies est en partie due à l'externalisation de la production de l'ancien monde colonial. Le noyau dur industriel productif du prolétariat a en grande partie disparu dans les pays métropolitains traditionnels et se concentre désormais et de plus en plus en Amérique latine, en Asie et en Chine. Ceci a aidé à saper les salaires des travailleurs dans les pays industrialisés de l'ouest. Néanmoins, il eut également pour effet pour la première fois d’entraîner des millions de travailleurs dans des processus de fabrication capitalistes et d’économie mondiale. Des millions de personnes ont été tirés des villages et de la production de petite taille vers la main-d’œuvre de sociétés multinationales. Un prolétariat énorme a été développé dans les pays tels que la Chine, l'Inde et le Brésil.

Il y a eu une hémorragie d’emplois m a n u f a c t u r i e r s à p a r t i r d e l e u r s emplacements traditionnels. En 2007, le nombre d'emplois manufacturiers en Grande-Bretagne est tombé en dessous du chiffre correspondant pour 1848! Aux Etats-Unis, l'industrie manufacturière a perdu plus de trois millions d'emplois entre 1998 et 2003. En 1950, un tiers de la population active

SE

PR

EPA

RE

R A

LA

RE

VO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 18: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

18

travaille dans le secteur manufacturier des Etats-Unis. De nos jours, ce chiffre n’est plus que de 12,5% tout au plus, et de 10% selon certaines estimations. Au Royaume-Uni, le s y n d i c a l i s m e s u r v i t p o u r l ' i n s t a n t principalement au sein d’un secteur public craintif. L'époque où les géantes usines industrielles étaient dirigées par des comités de délégués syndicaux est révolue depuis longtemps.

En 2005, l'expansion de la production d'acier en Chine a été supérieure à la production totale d'acier des États-Unis. La Chine connaît depuis l’ouverture de ses portes à l'investissement direct étranger, un flot sans cesse croissant du capital attiré par l'appât d'une combinaison rare de réserve illimitée de main-d 'œuvre, d’esc laves virtuels et d’avantages hérités des décennies de planification de l'Etat, qui bien que gaspilleur et corrompu a fourni une infrastructure relativement rationalisée, et des taux d'alphabétisation à près de 80% de ceux de l'Occident.

Les gros bataillons de la classe ouvrière industrielle ne sont plus à trouver pour la plupart dans leurs bastions traditionnels, mais sur des sols vierges. Il y a eu une

p ro l é t a r i s a t i o n m a s s i ve d u m o n d e anciennement sous-développé et une entrée dans le monde du marché du travail des travailleurs des anciens Etats staliniens. Il ya maintenant 1,47 milliards de travailleurs salariés en Inde, en Chine et en Europe orientale, plus un autre milliard dans les pays les moins avancés, pour être ajoutés à 460 millions de travailleurs dans le monde "développé" traditionnel. En d'autres termes: des 3 milliards de travailleurs dans le monde, pour chaque travailleur à l'Ouest, il y en a maintenant cinq basés en Chine, Inde, Russie, Amérique Latine, Asie du Sud Est, etc.

La combinaison de l'industrialisation dans le sud (les anciens pays coloniaux) avec la privatisation à l'Est (les anciens Etats staliniens) a doublé la taille de la classe globale des travailleurs, dans la mesure où aujourd'hui, pour la première fois, ils représentent une majorité de la population mondiale. En outre, les facteurs qui ont autrefois divisé la classe ouvrière sont en net recul. Il existe une tendance inexorable vers un nivellement des écarts de revenus et de niveaux de vie. Le même processus qui a créé une organisation indépendante et souvent militante de la classe ouvrière en Corée du Sud, à Taïwan, à

SU

PP

LEM

EN

T A

MIL

ITA

NT

N°3

0 12

juill

et 2

010

Le surplus de la production annuelle  chinoise avoisine les 100 millions de tonnes soit l’équivalent de la production annuelle américaine

Page 19: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

19

Singapour, à Hong Kong et en Thaïlande porte à présent le renouveau des traditions héroïques du prolétariat en Chine, en Inde, en Europe de l'Est et en Amérique latine. Dans le même temps, en Occident, un processus insidieux de la précarité, de l'exploitation des travailleurs migrants, et le recours aux agences ont considérablement réduit les salaires, les droits et les conditions des travailleurs. L'automatisation a permis de réduire la main-d'œuvre de façon si mince que pour de nombreuses entreprises, la distribution et les coûts logistiques sont aujourd'hui plus élevés que les coûts de fabrication, tandis que la dépréciation du dollar, et pendant la récession, la baisse du prix du pétrole changent les coûts relatifs aux délocalisations.

La délocalisation du prolétariat industriel vers de nouveaux territoires a fondamentalement changé la perspective internationale.

L'ancienne division tripartite du monde n'existe plus. Les "Métropolitain" vieux pays ne sont plus nécessairement le théâtre de l'histoire du monde. Pour la première fois dans l'histoire, il existe désormais une dimension véritablement mondiale de la classe ouvrière. Le prolétariat industriel prend racine à travers de nouveaux continents. En Amérique latine, nous voyons tout un sous-continent en révolte et en Asie de l'Est et en Chine le début de ce qui deviendra sûrement un raz de marée du syndicalisme qui pourrait transformer le monde entier. C'est là que nous trouverons le lieu de naissance de la future Internationale. Trotsky a expliqué les effets politiques de la transformation rapide dans la conscience du peuple qui a soudainement balayé plusieurs siècles de conditions médiévales agricoles et conduit à la production industrielle moderne: «En Russie, le prolétariat n’a pas surgi progressivement au travers des âges, emportant avec lui le fardeau du passé comme en Angleterre, mais en des sauts brusques impliquant des changements de l'environnement, des liens, des relations et une nette rupture avec le passé. C’est uniquement ce fait, combiné aux oppressions concentrées du tsarisme qui a conduit les travailleurs russes à épouser les conclusions les plus hardies de la pensée révolutionnaire, tout comme les industries ont accueilli l'organisation capitaliste. "

De même qu’en Russie, la transplantation des paysans de la technologie de la charrue en bois du Moyen Age aux usines futuristes des multinationales a mené à la révolution,

aujourd’hui ce saut est effectué par les travailleurs chinois et d’autres. Déjà en 2005, avant la brusque baisse du taux de croissance, il y avait 90.000 cas de "troubles à l'ordre public» officiellement reconnus en Chine. Ce chiffre est depuis démultiplié avec les licenciements et les luttes pour les salaires. En un sens, c'est dans les usines de Chine, avec la naissante en leur sein de syndicats clandestins, que le salut futur de l'humanité se forge en ce moment. Ils auront besoin d'une mobilisation commune avec leurs collègues internationaux de travail, pour créer de nouveaux liens de solidarité qui s'étendent entre les travailleurs des lignes d'assemblage en Chine, les ingénieurs de logiciels en Inde, les travailleurs de services en Europe, les travailleurs financiers à New York, etc. Les vieux pays industriels ont un rôle crucial à jouer. Ce sera la tâche de ceux qui incarnent les vieilles traditions du travail dans l'Ouest de promouvoir la solidarité de classe avec le nouveau prolétariat et de partager avec elle un siècle d'une riche expérience à travers un vaste gouffre géographique et culturel.

L’Union EuropéenneUne préfiguration de la mondialisation à part entière a eu lieu en Europe et a commencé à la fin des années 50. Les Capitalismes européens, s’étant par deux fois engagés dans des guerres intes t ines, e t ayant en conséquence failli y perdre la puissance de l e u r c l a s s e o u v r i è re o n t ch o i s i l a continentalisation comme une nouvelle manière de protéger leurs frontières nationales limitant ainsi le besoin d'une expansion. La Communauté économique européenne a progressivement éliminé les tarifs douaniers et autres barrières à l'échange de biens et de services entre six grandes puissances européennes après 1958, et dans les quinze ans qui ont suivi cette zone de libre-échange s’est élargie pour inclure la Grande-Bretagne, la Scandinavie, la Grèce et la péninsule ibérique. Cette organisation, venant à maturité au cours d'une remontée majeure de l'économie mondiale, a facilité l'amélioration rapide des infrastructures de ses membres, avant même l'effondrement du bloc soviétique au début des années 90. Les

WO

RK

ERS

’ INTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 20: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

20

législations ont été unifiées dans de nombreux domaines, les contrôles aux frontières ont été complètement abolis dans la zone centrale et la création d'une monnaie unique a assoupli les échanges. Le PIB mais aussi le niveau de vie des masses dans les pays de l'Union Européenne ont fortement augmentés au cours des deux décennies 80 et 90.

Saisissant une occasion historique unique avec l'effondrement de l'Union soviétique et de ses dépendances, les capitalistes des Etats de l'UE se sont abattus sur les corps enclins et saignants des économies de la Pologne, de la Hongrie, de l’Allemagne de l'Est, etc.…, et ont pu ainsi augmenter considérablement leurs chiffres d'affaires et leurs profits en exportant des produits finis. A cette contre-révolution économique, et souvent en quelques mois a suivi une contre révolution politique et démocratique. L'Europe orientale a non seulement ouvert de nouveaux marchés pour les biens, mais elle a également offert de nouvelles opportunités pour le capitalisme occidental d’exporter ses us ines de fabrication, en prenant en charge ou en remplaçant complètement les industries en faillite avec des branches de leurs propres entreprises, abandonnant de ce fait des milliers de travailleurs sans emploi dans les Etats membres occidentaux de l'UE. En outre, les chômeurs et les travailleurs à bas salaire dans les pays de l'Est ont fourni une armée de travailleurs prête et bon marché ce qui a eu pour conséquence la réduction des

salaires à l'ouest. Si le boom économique avait été en mesure de continuer, les écarts de salaires et de niveaux de vie auraient pu s’égaliser dans un processus normal d ’ é c h a n g e s c o m m e r c i a u x , m a i s l'effondrement économique a interrompu la poursuite d’un tel processus.

Au début de cette expansion, les nouveaux membres européens de l'Est ont été aspirés dans le tourbillon du capitalisme. Une croissance rapide, quoique instable due au plein essor du crédit devenu facile et bon marché a consolidé temporairement le soutien politique des masses au nouveau régime capitaliste, mais ces pays ayant rejoint l'UE en 2003-2007, au début de la fin de ce boom économique, ils ont été ceux de tous les États membres de l'UE qui ont le plus souffert de cet effondrement du marché du crédit.

La fin du boom du crédit a également révélé les faiblesses structurelles dans les États d'Europe du Sud, avec leur faible productivité et l'inefficacité générale de leurs systèmes. Les règles de l'UE sur l’endettement de l'État ont dû être suspendues pour la durée du resserrement du crédit, et le caractère simultané de la récession économique dans toute l'UE a même soulevé la question de savoir si la monnaie unique européenne peut être maintenue dans tous ses états membres. Mais, loin de toute proposition de quitter l'UE ou la zone euro, de nouveaux Etats comme la Pologne, la Croatie et même la

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 21: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

21

Turquie réclament d'y adhérer, dans l'espoir d'un soutien du continent au cours de crises sévères. Le chauvinisme et une certaine xénophobie, et, plus important encore, les exigences de l’aile financière de la classe capitaliste empêcheront probablement politiquement le Royaume-Uni de rejoindre la zone euro, car cela signifierait la fin du rôle privilégié de la City de Londres sur les marchés financiers mondiaux, mais une telle étape serait néanmoins logique pour l’aile industrielle de la classe capitaliste.

Il n'ya en effet, aucune raison de supposer que l'UE doive nécessairement se désagréger en ses différentes composantes au cours de cette récession grave, bien que ses membres les plus faibles peuvent être suspendus si leur récupération est considérée comme excessive. Toutefois, ce serait pour les capitalistes un pari risqué, car tout effondrement national avec ses risques d’hyperinflation, d’émigration et autres, mettrait le feu en déclanchant ou en accélérant la révolte au coeur de l’UE.

Pour le mouvement de la classe ouvrière, la continentalisation de l'Europe a eu des aspects tant positifs que négatifs. La chaîne de crises qui a affecté le secteur de l'industrie automobile et ses filiales a montré à des centaines de milliers d’ouvriers de l'industrie dans quelle mesure les procédés du travail sont internationalement imbriqués. Une journée européenne d'action pour la première fois autour de la disparition de General Motors en Europe laisse présager pour l'avenir un large militantisme continental des syndicats. L'internationalisation du capital a crée non seulement des marchandises et des services, mais aussi ses propres fossoyeurs.

Y a t-il une issue ?La crise actuelle est plus profonde et durera probablement plus longtemps que ne l’avaient prédit de nombreux économistes bourgeois à ses débuts. Les temps sont dangereux pour le capitalisme. Néanmoins, il est intéressant de prendre en compte les conjectures des économistes bourgeois sur de possibles innovations technologiques qui pourraient permettre un prochain redressement parce

que si la classe travailleuse ne prend pas le pouvoir, alors à travers le sang et les larmes et sauf un chaos environnemental majeur, le capitalisme trouvera le moyen de se revivifier.

Les Etats producteurs de pétrole de l’OPEP se rencontrent régulièrement pour vendre le pétrole à des niveaux qui vont maximiser leurs profits, souvent à un coût humain exorbitant. Avec un plan socialiste de production, la pleine utilisation des capacités productives de la technologie moderne et le plein usage de toutes les compétences et de toute l’inventivité de la classe ouvrière pourrait largement accroître les niveaux de production pour tous les secteurs socialement utiles de l'économie. Cela pourrait être accompagnée d'une réduction progressive du temps de travail à mesure que la productivité augmente. L'impasse rencontrés par le capitalisme souligne encore la nécessité d'un plan de production socialiste.

Pour le capitalisme il ya un paradoxe. L'augmentation de la productivité du travail est le point fort de l'innovation capitaliste. Pourtant, par définition, la plupart des ces modifications impliquent une augmentation de la composition organique du capital : le ratio de l'investissement dans le capital constant (technologie et d'autres actifs immobilisés), comparativement au capital variable (travail vivant). Comme la proportion du capital investi dans le travail décline dans l’ensemble du système, les taux de profit tendent à diminuer. Lors d'une reprise économique, il est possible de contrer cette tendance temporairement, en particulier pour les entreprises qui acquièrent une plus grande part du marché. Mais dans une récession, elle frappe habituellement à nouveau, comme s’il s’agissait d’une vengeance.

Le capitalisme a maintenant atteint le point où, au moins dans certains secteurs de l’économie, la productivité est tellement développée que les biens sont disponibles gratuitement. C’est le cas avec la plupart de l’industrie musicale et ça commence à être le cas pour les logiciels d’ordinateurs. La musique enregistrée qui a été une grande sources de profits des années 50 aux années 90 est maintenant disponible gratuitement sur internet. Au sein de l’industrie informatique, certains produits sont maintenant donnés, ce qui reflète pour une part une compétition féroce mais est aussi une indication de

SU

PPLE

MEN

T A

MIL

ITAN

T N

°30

12 ju

illet

201

0

Page 22: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

22

l’énorme baisse du coût à l’unité qui résulte d’un progrès technologique florissant.

Même si les capitalistes réussissaient à trouver des sources d’énergie alternatives, cela contribuerait quand même à la chute du système. Les économistes capitalistes parlent d’une “révolution verte”. Ils envisagent la possibilité d’un marché d’installation de panneaux solaires sur les bâtiments au travers de cont inents ent ier s, l ’ ins ta l lat ion d’éoliennes, le développement “écologique” des moyens de transport. Leur motivation est bien entendu de maintenir la stabilité et de trouver de nouvelles manières de faire des profits, pas de sauver la planète. La production en masse de telles nouvelles technologiques créerait, bien entendu, une grande crise dans l’industrie pétrolière et automobile, mais elle pourrait créer un boom économique dans certains domaines nouveaux pour l’investissement capitaliste.

Pourtant, les conséquences à long terme d’une telle innovation seraient une baisse massive des bénéfices des entreprises, parce que la plus grande partie de l’énergie, une fois les investissements initiaux effectués, ne nécessiterait pas de travail supplémentaire, à part pour une maintenance minimale. Ainsi, après avoir jeté ses derniers feux, même une nouvelle croissance capitaliste rendrait le monde encore plus mûr pour le socialisme.

L’AfriqueDans leur recherche désespérée de solutions à la crise économique, les économistes occidentaux ont désigné l'Afrique comme un marché inexploité.

Cependant, la récente expansion économique chinoise a été facilitée par un demi-siècle de propriété et de planification étatiques. En dépit de l'instabilité, du gaspillage et de la corruption associés à la bureaucratie stalinienne, c'est ce facteur crucial qui a fourni l'infrastructure et le niveau d'éducation nécessaires pour que le capitalisme prenne r a c i n e. A d é f a u t d ' i nve s t i s s e m e n t s comparables dans les infrastructures nécessaires, en termes d'électrification, de transports et de communications, même l ' Inde ne pourra pas maintenir ses impressionnants taux de croissance récents ou satisfaire les prévisions des économistes capitalistes en tant que potentiel marché en croissance.

Ceci vaut encore plus pour l'Afrique. Le continent se compose en grande partie d'économies agraires fondées sur les ménages, où le commerce de longue distance est rare, où les cultures d'exportation et l'extraction minières ont été imposées par la colonisation (et renforcées par le néo-libéralisme du FMI). L ' industr ia l i sat ion es t fa ible (vo ire,

WO

RK

ERS

’ INTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 23: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

23

récemment, recule), les marchés intérieurs sont minuscules, les exportations consistent souvent en un seul produit, les infrastructures sont sinistrées et la main-d'oeuvre est mal formée. Enfin, le pillage des cerveaux et l'émigration de travail pèsent sur les ressources. La part de la population vivant dans une pauvreté extrême est passée de 11% en 1960 à 50% actuellement ; 340 millions de personnes vivent avec moins de 1,25 dollars par jour.

L ' e f f e t d ' a m o r ç a g e d e l ' a i d e a u développement pourra-t-il élever les niveaux de vie en Afrique dans une proportion propre à créer des marchés d'une taille compatible avec la production capitaliste du 21ème siècle ?

L'histoire des relations économiques entre les pouvoirs impérialistes occidentaux et l'Afrique n'incite pas à l'optimisme. Depuis la traite des esclaves à travers l'Atlantique en passant par la colonisation européenne au 20ème siècle, les ressources africaines ont été pillées au bénéfice des riches d'Europe. La décolonisation a constitué un événement grandiose et libérateur pour son peuple, mais elle n'a pas mis fin à cette à ce processus de pillage. Aujourd'hui, les quinze personnes les plus riches du monde pèsent plus que le PIB de l'Afrique sub-saharienne ! Le PIB de l'Afrique sub-saharienne (exception faite de l'Afrique du Sud), pour 450 millions d'habitants, équivaut à peu près à celui de la Belgique.

L'impérialisme occidental se targue d'avoir « aidé » l'Afrique à hauteur de 580 milliards de dollars entre 1960 et 2006 ; mais malgré cela la plupart des économies africaines ont stagné ou régressé durant cette période, en raison du pillage continu. Le lourd service de la dette payé à l'Occident a représenté jusqu'à trois fois le montant de l' « aide » donnée. De plus (jusqu'à la bulle récente et éphémère des matières premières, qui a déjà éclaté), les termes de l'échange (le coût des produits manufacturés comparé au coût des matières premières, qui représentent l'essentiel des exportations africaines) ont pesé en défaveur de l 'A f r ique, d ra inan t de s su r p lu s gigantesques depuis le continent vers les pouvoirs impérialistes. En 2006, même la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement a déclaré que «  dans le cas de l'Afrique, plusieurs études ont montré que depuis les années 80 l'aide a à peine

compensé les pertes résultant de la détérioration des termes de l'échange, sans même parler des ressources nécessaires pour une croissance rapide et pérenne  ». Dans le même temps, on estime que les subventions agricoles protectionnistes dans les pays impérialistes coûtent chaque année à l'Afrique, en termes d'exportations perdues, 500 milliards de dollars. L'Union européenne subventionne chaque vache à hauteur de 913 dollars, soit près de deux fois le revenu moyen par personne en Afrique sub-saharienne (490 $).

Sans aucun doute, une planification socialiste de la production, permettant le plein emploi, l'éducation et le développement d'une économie hautement spécialisée, permettrait d'augmenter la productivité, de manière à ce que les Africains puissent non seulement jouir de niveaux de vie décents, mais également contribuer à la croissance mondiale. Les statistiques actuelles sont un acte d'accusation terrible contre l'économie libérale et le gaspillage de ressources humaines qu'elle engendre. Le chômage atteignait déjà des niveaux frappants dans nombre de pays africains pendant les années de boom. Il est maintenant terrifiant : Angola (70%), Liberia (80%), Lesotho (50%), Sénégal (40%), Somalie (47%), Zimbabwe (70%). Les femmes en sont les victimes principales. De nombreux (en fait 22) pays sont marqués par des massacres actuels ou passés. Le problème des réfugiés est chronique sur le continent.

Dans le passé, les programmes d'aide au développement ont principalement visé le renforcement du secteur privé. Le sommet du G20 en avril 2009, pataugeant pour tenter de trouver des «  solutions  » purement médiatiques, a promis 50 milliards de dollars supplémentaires d'aide aux pays les plus pauvres du monde (principalement en Afrique). Même si elle intervenait, cette aide pourrait s'étaler sur deux ou trois ans et consister principalement en prêts, plutôt qu'en dons. Il est prévu que la plus grande partie soit gérée par le FMI, célèbre pour imposer des conditions néo-libérales coûteuses. D'un point de vue économique, de tels remèdes pourraient bien n'être guère plus qu'un rêve utopique.

Quid des conséquences politiques ? En Afrique, les appareils d'Etats sont fragiles : un tissu de dictatures faibles et de démocraties en trompe-l'oeil. Certains, comme la Somalie, se sont complètement effondrés. La corruption

SE

PR

EPA

RE

R A

LA

RE

VO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 24: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

24

étatique est endémique et le détournement massif. Tout ceci est un sous-produit du système capitaliste. Un programme d'aide d'une volume suffisant pour avoir un impact économique, dans la conjoncture actuelle, comporterait des risques énormes pour la classe capitaliste.

Le développement économique étofferait le prolétariat africain et l'encouragerait. Le développement économique de l'après-guère, si timide et incomplet ait-il été, a entraîné une large part de la population dans le travail industriel. Sur une population d’environ 940 millions d'habitants, l'Afrique comporte maintenant 130 millions, c'est-à-dire 13,87%,de travailleurs non-agricoles. La classe ouvrière représente donc, dans la composition sociale du continent, un poids plus grand qu'en Russie à la veille de la révolution de 1917. Ce chiffre atteint 18% au Nigeria, 20% en Egypte et 32% en Afrique du Sud. Dans ces pays, il existe d'importantes concentrations de travailleurs industriels qui prendront conscience de leur force dès que la croissance économique sera de retour. L'aide, si el le conduisait au développement économique, pourrait tout aussi bien déstabiliser, au lieu de les renforcer, les régimes fragiles édifiés par la classe capitaliste sur le continent.

Sur fond de malnutrition chronique et d'une famine de masse qui s'annonce, imposée par la flambée des prix al imentaires et énergétiques, une résistance à l'impérialisme global existe déjà. En 2007, des émeutes de la

faim se sont produit en Algérie, au Burkina Faso, en Côte d'Ivoire, en Egypte et en Tunisie. Il y a eu des grèves importantes en Egypte, en Guinée, en Zambie et en Afrique du Sud – un signe du rôle que la classe ouvrière africaine jouera dans la révolution mondiale qui vient.

L’ Amérique latineLa caractéristique la plus frappante de l 'Amérique latine est aujourd'hui la renaissance spectaculaire du radicalisme traditionnel des travailleurs et des paysans lat ino-américa ins. Du Guatemala à l'Argentine, une série de régimes de gauche a accédé au pouvoir sur des programmes populistes. Dans certains cas, ces régimes incarnent également un militantisme accru des peuples autochtones. Sans une mobilisation de masse des peuples d'en bas, ces régimes ne sauraient aller vers le renversement du capitalisme, mais le large mouvement continental des opprimés de tout un continent qui, il n'ya pas si longtemps, était la scène d’une chaîne ininterrompue de dictatures militaires brutales, indique une montée massive d’un militantisme renouvelé.

A la tête de ces régimes aujourd'hui est celui de Hugo Chávez au Venezuela. Après avoir accédé au pouvoir sans une base claire de classes, Chavez semble chercher à gagner une

SE

PR

EPA

RE

R A

LA

RE

VO

LUT

ION

Page 25: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

25

base plus solide à l'intérieur de la classe ouvr ière vénézué l ienne, g râce à la construction du Parti socialiste unifié du Venezuela. Il n'est pas certain qu'il va réussir à faire cela, ou si ce parti ne sera pas amené à s'enliser dans le bureaucratisme. Dans tous les cas, Chavez cherche à construire le Venezuela comme une puissance régionale, fondée en partie sur ses richesses pétrolières.

Le déclin de la puissance impérialiste américaine affecte fortement l'Amérique latine. Auparavant, les Etats-Unis ont été en mesure d'imposer leur volonté sur la région. Tout régime qui, même partiellement, a défié les Etats-Unis a été rapidement mis au pas ou renversé, avec l'appui des États-Unis. Ces temps sont révolus. Plusieurs concurrents à l'impérialisme des États-Unis utilisent l'affaiblissement de ces derniers pour faire des percées en Amérique latine. Soulignons parmi ceux-ci la Chine et la Russie, mais des régimes moins puissants tels que l'Iran se sont également engagés dans ce processus. Dans un rapport de 2008, un cercle de réflexion du C o n s e i l a m é r i c a i n d e s r e l a t i o n s internationales note pour la 1ère fois que : «L'ère de l’hégémonie des Etats-Unis en l'Amérique latine est terminée."

Vers la fin des années 70, l'Amérique latine a connu un effondrement économique général, qui a mené par la suite à la politique néolibérale des années 80. La période qui a suivi a connu des fluctuations sauvages de la croissance économique dans toute la région. Aujourd'hui, les économies latino-américaines ont été fortement affectées par la crise économique mondiale, et certains prédisent que même si cette crise s’atténuait ou se terminait même d’ici 2010, de nombreuses économies d'Amérique latine ne se relèveront pas. Dans un même temps, la crise du capitalisme américain affecte l'Amérique latine à d'autres égards. La crise sociale aux États-Unis continue d'alimenter la demande de drogues, notamment l'héroïne et la cocaïne. Ce très rentable marché américain est le moteur de la croissance continue des gangs de la drogue en Amérique latine, notamment au Mexique. Certains Etats seraient sous le contrôle des gangs de la drogue et ces gangs ont des relations hautement placées aux postes les plus élevés des gouvernements nationaux. En f a i t , c e r t a in s ana l y s t e s amér i ca in s

pronostiquent que le Mexique pourrait devenir le prochain «État en déliquescence ». La présence de ces gangs d’escrocs capitalistes couplée à la pauvreté de masse en Amérique Latine y entraine les plus forts taux d’assassinats du monde. La classe capitaliste d’Amérique Latine et l’impérialisme mondial n’auront pas plus de succès demain dans l’éradication de cette crise qu’ils n’en ont eu dans le passé. C’est l’affirmation du pouvoir et de la puissance de la classe ouvrière qui s’impose pour l’avenir de l’Amérique latine, cette classe qui s’est tant renforcée ces dernières décennies.

La France Parmi les vieux pays impérialistes, c'est peut-être la France qui semble la plus proche d'une crise révolutionnaire. Mais il faut pour en comprendre les données récuser au préalable la théorie de l' "exception française", qui a cours parmi les journalistes européens comme parmi les politiciens français. Les uns voudraient nous faire croire que la France est le dernier pays européens où l'ont fait souvent grève, et les autres invoquent, de manière nationaliste, une sorte d'esprit français éternel et républicain. La crise présente est justement en train de mettre fin à toute possibilité de croire à une "exception française" en matière de lutte de classe. Après tout, ce n'est pas en France mais en Grèce que des manifestations de rues ont tournée en émeutes, et ce n'est pas en France mais en Islande qu'un gouvernement a été chassé par des manifestations de masse. Dans la dernière période, la France a connu des grèves de masse en 1995, 2003 et 2006, qui ont freiné les attaques gouvernementales contre les acquis sociaux, ce qui atténue d'ailleurs temporairement la dureté de la crise pour la classe ouvrière. Cependant, avec la remontée du chômage de masse, ce sont bien les nouvelles conditions politiques et économiques globales qui vont déterminer les prochains combats de classe en France. La spécificité française, surtout par rapport à la Grande-Bretagne et aux EU, réside dans le caractère rapidement politique que revêt souvent la lutte des classes, et dans l'importance des questions constitutionnelles concernant la forme de l'Etat. Certaines pages des Luttes de classes en France de Marx (1849) sur le bonapartisme retrouvent une

SU

PPLE

MEN

T A

MIL

ITAN

T N

°30

12 ju

illet

201

0

Page 26: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

26

pleine actualité aujourd'hui avec le régime de la V° République -produit du coup d'Etat de 1958- et plus encore avec Sarkozy. Le fait que le pouvoir soit concentré dans la personne du président, qui est effectivement un monarque (une caractéristique que l'on retrouve aux EU, mais qui s'en écarte en ce que le pouvoir présidentiel est ici b ien p lus for t que le pouvoir parlementaire et que le pouvoir judiciaire, et de par la centralisation de l'appareil d'Etat) agit à la fois comme un piège contre la classe ouvrière lors de chaque élection présidentielle, et comme un facteur qui pousse à l'unité et à la centralisation de la classe ouvrière contre le sommet du pouvoir entre les élections -particulièrement au moment présent. La situation est telle que si les partis issus du mouvement ouvrier, ou seulement l'un d'entre eux, en appelait à un combat uni pour chasser Sarkozy, imposer des élections immédiates, et former un gouvernement démocratique représentant les travailleurs, cela offrirait une telle perspective à la classe ouvrière qu'elle engagerait la bataille sur le champ. Mais force est de constater que ces partis ne veulent pas d'une telle politique : non seulement les partis traditionnels que sont le Parti Socialiste, le Parti Communiste et le Parti de Gauche qui en est issu, mais aussi les trois courants trotskystes historiques -le Nouveau Parti Anticapitaliste, successeur de l'ancienne LCR, Lutte Ouvrière et le Parti Ouvrier Indépendant. La question du pouvoir est un tabou pour chacun d'eux, alors que grévistes, manifestants, jeunes et de n o m b r e u x m i l i t a n t s l a p o s e n t quotidiennement. De même, les dirigeants syndicaux organisent de grandes journées d'action à des intervalles éloignés, résistant à la pression pour s'unir tous ensemble contre Sarkozy, le gouvernement et les patrons, et collaborant avec eux dans le cadre du "dialogue social". Il y a la possibilité pour des révo lu t ionna i re s de cons t ru i re une organisation avec des travailleurs du rang, avec des jeunes, avec des militants syndicaux et des partis de gauche? Une tel le organisation doit les unir sur une perspective commune, qui n'est autre que la perspective concrète de la révolution socialiste sous la forme de la préparation à un affrontement victorieux avec Sarkozy.

Dans ce cadre général deux aspects particuliers doivent être signalés; L'impérialisme français est en recul et en difficulté, pratiquant une politique de balance entre l'Allemagne d'une part et les Etats-Unis et le Royaume-uni d'autre part. Mais sa présence active, notamment en Afrique, est de plus en plus dangereuse et meurtrière, comme son rôle dans le génocide au Ruanda en 1994 l'a montré. Chaque défaite de l'impérialisme français dans ces pays, ainsi que dans les Antilles où la lutte du peuple guadeloupéen -en relation avec la lutte des classes en France- pose la question de l'indépendance des dernières colonies françaises, ne peut que bénéficier au combat de la classe ouvrière. Aucune démagogie anti-américaine ne doit faire perdre de vue cette réalité aux militants français combattant leur propre impérialisme; Second point : un autre aspect du thème de l' "exception française" semblait avoir longtemps résidé dans la présence d'un parti fascisant de masse avec une importante assise électorale, le Front National. Son déclin actuel s'explique d'une part par l'hostilité radicale qu'il rencontre dans la très grande majorité de la jeunesse et dans de larges secteurs (mais pas la totalité) de la classe ouvrière, d'autre part par l'absorption de la majeure partie de sa base électorale et de son appareil politique par les efforts de Sarkozy pour rénover la V° République. Mais la classe

WO

RK

ER

S’ I

NTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 27: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

27

dominante en France ne saurait actuellement gouverner sans des provocations diverses et des actions agressives de nature pré-fasciste, susceptibles de se développer en de véritables mouvements fascistes. La propagande du vieil FN était anti-arabes, mais nous devons être attentifs à d'autres formes de fascisme, notamment antisémite, susceptible d'attirer des secteurs désorientés de la jeunesse arabe ou africaine (cf. la liste Dieudonné-Soral-Gouasmi aux élections européennes). Ces gens entrent eux aussi de plein pied dans la nouvelle période ouverte par la crise. Les révolutionnaires en France doivent prévenir ce danger en expliquant que pour lui faire barrage, la seule voie passe par la préparation de l'affrontement victorieux avec Sarkozy : la préparation à la révolution.

Le PakistanLe Pakistan est peut-être aujourd'hui la société la plus volatile dans le monde. Comme il est aussi dans une large mesure le pivot central sur lequel repose l'impérialisme américain dans sa soi-disant «guerre contre le terrorisme» (plus exactement, sa guerre contre les pays producteurs de pétrole), le sort de tout le monde dépend largement de comment les événements vont se jouer là-bas.Forcé d'accepter le rôle humiliant d'un État client des États-Unis pendant la guerre froide, m e n a n t d e s g u e r r e s m i l i t a i r e s o u diplomatiques par procuration, d’abord contre l’Inde parainnée par l’URSS et plus tard contre l’Afghanistan occupé par les soviétiques, le Pakistan chancelait sous poids de services de sécurité militaire intérieure cléricaux-fascistes en développement constant, un Etat dans l’Etat : l’ISI.Parmi les horreurs engendrées par l’ISI, aux coffres remplis de dollars, on trouvait Al Quaïda, la plus célèbre de ses créatures. Chaque atrocité d’Al Quaïda porte la marque de fabrique de l’ISI, le monstre que les USA ont nourri dans leur sein. Entre temps, le Pakistan poursuit son cycle indigne de dictatures militaires, pantomimes maladroites entrecoupées de brefs inter-règnes chaotiques de régimes quasi-parlementaires corrompus.Néanmoins, nous voyons aujourd’hui au Pakistan non seulement le maillon le plus faible de la chaine mondiale, mais aussi une situation révolutionnaire se développant rapidement. Le renversement de la dictature

Musharraf a été le résultat d’une révolution en gestation : l’héroïque expression de colère, de solidarité et de détermination grandissante des masses.Un nouveau parti ouvrier basé sur les s y n d i c a t s a é m e r g é , r e n f o r ç a n t incommensurablement ce mouvement : le Parti des Travailleurs du Pakistan (Labour Party Pakistan, LPP), qui a gagné la loyauté de milliers de travailleurs et de paysans surexploités. Le LPP a défié à leur tour la dictature déposée, l’armée américaine, le g o u v e r n e m e n t c o r r o m p u e t l e s fondamentalistes fascistes. Par son courage, son honnêteté transparente et son flair tactique, il a captivé l’imagination de travailleurs et de paysans, au moins dans certains secteurs ou certaines branches professionnelles. Qu’il réussisse à mobiliser l’énergie des masses maintenant qu’elles sont à nouveau en mouvement, qu’il les conduise finalement à une victoire décisive ou au moins que la tentative laisse derrière elle un héritage durable, ce ne sera pas décidé juste par des tactiques, par le brio agitatoire, mais aussi par une vision théorique et stratégique. Le mouvement au Pakistan a arraché les commentateurs de gauche du monde entier au confort des platitudes et des discussions abstraites et les a contraint à se concentrer sur les décisions quotidiennes cruciales d’une lutte vivante. Trouver le bon moyen d’équilibrer d’un côté une direction combative de chaque lutte démocratique, avec des mises en garde claires et des perspectives bien définies et de l’autre un programme transitoire, c’est précisément la science de la révolution.

C’est vrai qu’au Pakistan la contre-révolution, sous la forme de l’obscurantisme mystique, a déjà une base de masse, un attrait idéologique et dispose d’une armée suffisamment forte dans de larges régions du pays pour pousser aux abois l’Etat lui même. Inversement, à la différence de la Russie, le prolétariat est relativement faible et émietté. Les infatigables militants ouvriers du LPP font face à une tâche particulièrement difficile ; ils n’en ont que plus de mérite au regard de leurs succès dans la construction de leur autorité politique dans les luttes. Cette autorité s’étend aussi internationalement, à travers leurs contacts dans le sous-continent indien, l’Asie du sud-est, la région du Pacifique, l’Australie et l’Europe. Avec leurs modestes moyens, les révolutionnaires du monde entier partagent le devoir d’observer, de discuter et de soutenir le

WO

RK

ER

S’ I

NTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 28: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

28

travail des militants du LPP, à la fois sur un plan pratique et en terme de discussion théorique et d’échange de vues. Nous avons énormément à apprendre de leur expérience. Avant longtemps, nous serons tous placés devant les mêmes questions difficiles.

       

La crise environnementaleDans de larges couches de la population, le capitalisme est d'ores et déjà de plus en plus suspect pour son incapacité à gérer la planète, pour le pillage et la spoliation des ressources, pour son pur vandalisme, dont les effets ne sont plus seulement une tendance de long terme mais une menace imminente.

Marx cite le principe de Hegel selon lequel tout ce qui est réel est rationnel (c'est-à-dire, ce qui est, doit être), et tout ce qui est rationnel est réel (ce qui doit être, est). Si le socialisme est devenu une idée tellement

puissante, c'est parce qu'il apparaissait comme une évidence rationnelle. Les ressources existaient de manière surabondante ; pour la première fois dans l'Histoire, tous les besoins humains pouvaient être satisfaits grâce à la science et à la technologie modernes ; seules les contraintes d'un capitalisme à l'agonie freinaient encore la société.

Nombre d'attaques idéologiques contre le socialisme ont remis en cause cette hypothèse. Elles ont soutenu qu'au contraire, les ressources sont limitées et s'épuisent rapidement (non seulement le pétrole, mais également les produits minéraux et même l'eau), que notre époque verrait des guerres terribles dévastant la planète pour le contrôle de ces ressources, qu'en tout cas la société industrielle avait déjà détruit l'environnement de manière irrémédiable, notamment en a l t é ran t l e c l imat par l ' u t i l i s a t i on irresponsable et aveugle des énergies fossiles libérant des gaz à effet de serre. Ces idées représentent une mise en accusation du capitalisme, mais relèguent également le socialisme du statut de besoin réel à celui de vision utopique, ce qui revient à nier ses fondements scientifiques.

Ce n'est pas la première fois que le marxisme

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 29: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

29

est contesté au nom de telles idées. Le pic pétrolier, le réchauffement climatique, etc., sont en effet des catastrophes imminentes, que le capitalisme est incapable de surmonter. C'est pourquoi le choix énoncé par Marx entre «  socialisme ou barbarie  » représente l i t téralement l 'enjeu des prochaines générations.

A moins qu'ils ne tissent des liens avec la classe ouvrière, les militants écologistes ne pourront s'appuyer que sur un vœu pieux, celui d'amener une partie de la classe capitaliste à se comporter de manière plus rationnelle – illusion semblable à celle des socialistes utopistes d'antan. En excluant d 'emblée toute idée de mouvement indépendant de la classe ouvrière, ils minent leur seul chance d'éviter la catastrophe.

Avant de pouvoir se mobiliser pour la réorganisation de la société, la classe ouvrière doi t se convainque qu 'e l le possède véritablement la capacité de sauver la civilisation. Marx et Engels menèrent la guerre contre le capitalisme sur tous les fronts – philosophique, scientifique, économique, politique. Aujourd'hui, il ne suffit pas de se reposer sur leur bilan intellectuel. Si nous ne pouvons démontrer la rationalité du socialisme aujourd'hui, en tant qu'unique voie d'avenir pour l'humanité, alors nos idées seront remisées comme de simples curiosités historiques. Et pourtant, l'unique espoir de survie pour l'humanité réside dans la mission qu'a la classe ouvrière de construire une nouvelle société.

Les ressources s’épuisent-elles ?Le capitalisme survit depuis longtemps à son utilité historique. Le pur parasitisme des banques et des entreprises mondiales qui gouvernent le monde est apparu clairement aux yeux des contribuables. Leurs actions mettent maintenant la planète en danger. La question est : une solution peut-elle être trouvée au sein du capitalisme lui-même ? La destruction est-elle déjà si avancée que même le socialisme ne puisse garantir des vies dignes d'être vécues ? L'idée d'une société socialiste s'est-elle évanouie en mirage utopiste ?

Le fondement matériel du socialisme est l'abondance. Or, ironiquement, c'est cette abondance elle-même qui pose des problèmes apparemment insolubles aux capitalistes. Alors que c'est l'écoulement des marchandises qui leur pose problème, ils nous brossent de la société un tableau de pénurie et de désespoir.

On nous dit que nous sommes sur le point de manquer d'argent, d'indium, de platine, d'antimoine, de zinc de de beaucoup d'autres éléments essentiels. Comme l'écrit le New Scientist : « Dans l'état actuel de la technologie, les réserves naturelles de plusieurs métaux semblent insuffisantes pour assurer à tous les habitants de la planète une qualité de vie moderne semblable à celle du monde développé  ». Ceci a déjà conduit à des guerres au Congo et à une nouvelle « course à l'Afrique  » impliquant la Chine et les autres puissances impérialistes.

On nous dit aussi que la population mondiale, d e s i x m i l l i a r d s , d o i t a u g m e n t e r exponentiellement pour atteindre neuf milliards en 2050, tandis que la production alimentaire mondiale est déjà en crise à cause de la sécheresse, des inondations, des agro-carburants, etc.

Les réserves pétrolières sont évidemment limitées et l'on se rapproche du point où l'extraction cessera d'être rentable. Quoi qu'il en soit, la pollution atmosphérique et le r é c h a u f f e m e n t c l i m a t i q u e , c a u s é s principalement par une sur-utilisation massive des énergies fossiles, ont déjà atteint un niveau tel que même les gouvernements technocratiques et les bonimenteurs d'entreprises admettent qu'une catastrophe mondiale impliquant la destruction de populations et de pays entiers est désormais inévitable, à moins que les émissions totales ne soient réduites d'au moins 80% par rapport aux niveaux de 1990.

Que les mécanismes du marché capitaliste soient impuissants face au problème de la productivité, sur laquelle reposent les chances du socialisme et de la survie humaine, c'est une anomalie. Le changement climatique et la destruction de l'environnement sont des problèmes du capitalisme (et du stalinisme également, en son temps). Ce qui est nécessaire, ce n'est pas un simple surcroît d'énergies renouvelables, ou tel ou tel gadget technologique, mais un changement d'attitude envers la technologie et la relation de

SU

PPLE

MEN

T A

MIL

ITAN

T N

°30

12 ju

illet

201

0

Page 30: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

30

l'Homme à la nature.

Pour le capitalisme, la nature dans son ensemble a été divisée en quantités déterminées : autant de ressources – de marchandises - à piller, à exploiter et à vendre. Les capitalistes tirent par exemple leurs profits de leur droit de propriété et d'oxydation sur les hydrocarbures. Le CO2, sous-produit indésirable, n'est pas leur problème. Mais, sur fond de guerres pétrolières et de ruine générale, ils nous disent que nous devons acheter plus tout en consommant moins, que nous sommes trop nombreux pour être nourris, et surtout que trop d'entre nous sont vieux et improductifs, que les guerres sont dues à la «  nature humaine », etc.

Le marxisme a toujours vu dans la nature un réseau de processus dynamiques dont la vie humaine fait partie. Ceci apparut en réponse aux prévisions catastrophistes de Malthus, selon lesquelles la production alimentaire ne pourrait jamais suivre la croissance démographique. L'idée était que les énergies humaines, une fois libérées, trouveraient toujours de nouvelles manières « d'utiliser les forces de la nature ».

C'est là quelque chose que nous avons à peine entamé. 95% de la matière et de l'énergie dans l'univers est «  noire  » - inconnue de nous. Nous sommes, comme l'a dit Engels,

dans une phase préhistorique, aussi bien technologiquement que que socialement. Ma i s l e s fo rce s de l a nature son t potentiellement infinies. 10 mètres carrés de lumière solaire usuelle recèlent suffisamment d'énergie pour subvenir à tous les besoins imaginables d'une personne. Les organismes photo-synthétiques convertissent un total d'environ 100 milliards de tonnes de carbone en biomasse chaque année. Les plantes ont une efficacité moyenne de 3-6% : les humains ont créé des panneaux solaires atteignant une efficacité de 41%. 1 kg de matière a suffisamment d'énergie pour alimenter un chauffage électrique d'1 Kw pendant 3 millions d'années. Nous avons commencé à exploiter l'énergie nucléaire fissile. Dans un futur qui n'est pas si lointain, la fusion nucléaire sera certainement l'une ne nos principales sources d'énergie. Si nous n'atteignons pas cette étape, ce ne sera pas à cause d'un manque de ressources ou d'obstacles techniques intrinsèquement insurmontables.

En réponse à l'article du New Scientist cité plus haut, le courrier des lecteurs affirmait que « Les éléments ne peuvent pas être créés ou détruits … Il y a exactement autant de platine aujourd'hui qu'à n'importe quel moment dans le passé dans dans le futur. Il en va de même pour tous les éléments. La question, pour un élément, ne concerne que son prix d'extraction, dans une mine ou par

WO

RK

ERS

’ INTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 31: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

31

recyclage ». L'article du New Scientist lui-même était précis quant à la solution : « Nous devons minimiser le gaspillage, trouver des substituts quand cela est possible, et recycler le reste... Le platine représente 1,5 / million des poussières de bords de routes. L'identification des plus massifs parmi ces dépôts urbains de platine est en cours et [...] des processus bactériels sont en cours de développement pour extraire le platine de la poussière de manière efficace. »

Les prévisions démographiques de la FAO (Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture) sont souvent citées de manière erronée. Elles indiquent précisément que «  l'idée d'une explosion continue de la population est fausse. En réalité, le pic dans le taux de croissance démographique mondial a été dépassé depuis 30 ans ». Elles prévoient que la population mondiale augmentera puis se stabilisera autour de 2050 à environ 9 milliards. Il y a suffisamment de bonnes terres dans le monde pour donner à chaque personne un demi-hectare – ce qui suffit à nourrir cinq personnes (estimations minimales). Mais la propriété privée fortement inégalitaire de la terre ôte leur sens à de tels calculs. Même dans une «  démocratie avancée  » comme le Royaume-Uni, plus de la moitié des terres reste possédée par des familles privées. 0,7% de la population seulement possède les deux tiers des terres. Seuls 7,5% des terres de l'Angleterre et du Pays de Galles sont occupées par des résidences, tandis qu'une population de 47,8 millions vit sur seulement 14 000 km2. Le reste, soit 110 000 km2, est possédé par seulement 135 000 personnes. (Voir Kevin Cahill : « Qui possède la Grande-Bretagne?  », ou l'ouvrage plus récent « Qui possède le monde ? »)

La « surpopulation » est un terme relatif. La géographie impose certaines limites à la population qu'un territoire donné peut contenir, étant donné un certain niveau technologique. Mais il n'y a pas de limites i n t r i n s è q u e s a u d é v e l o p p e m e n t technologique. Que chaque nouveau membre soit perçu comme une charge supplémentaire, c'est là le signe d'une société dégénérée, proche de son effondrement. Depuis le paléolithique, le développement de la société est justement défini par les nouvelles technologies qu'elle a invente pour surmonter les limitations antérieures. La nature elle-même est irrésistible. Les inexorables forces terrestres, physiques et chimiques, qui

donnèrent naissance à la vie carbonée dans toutes ses formes, existent toujours, et ne présentent aucun risque de diminution pour environ 5 milliards d'années. Les sociétés qui sauront exploiter ces ressources s'épanouiront.

La crise alimentaire est avant tout un problème de marché. (Pas plus tard qu'en 2005, l'OMS mettait en garde contre les dangers de la surproduction !). C'est le résultat de mesures prises pour réduire les précédentes « montagnes de céréales », pour réduire les subventions et pour ouvrir l'agroalimentaire aux «libres forces du marché » : domination des supermarchés, des traders et des spéculateurs, monoculture et ses conséquences en termes de surpâturage, de déforestat ion, de désert ificat ion, de surdépendance envers les fertilisants et les pesticides à base de pétrole – qui provoquent l'érosion et l'épuisement des sols. Tout ceci est une manne pour les spéculateurs. La cause la plus importante de cette panique a été la fièvre de spéculation sur les marchés à terme, provoquée par la réduction délibérée des capacités de stockage alimentaire.

La seule valeur que le capitalisme reconnaisse est la valeur monétaire. Voilà qui peut déformer la valeur «  réelle  ». Mesurées en termes d'intrants et de produits, les méthodes agricoles pré-capitalistes produisent 10 kilocalories pour chaque kilocalorie utilisé. L'agroalimentaire actuel, surmécanisé, produit seulement 1kcal pour 10 kcal utilisés. En d'autres termes, sur le plan énergétique – c'est-à-dire sur le plan rationnel -, il est 100 fois moins rentable ! Tous les auteurs sérieux sur ce sujet, comme Colin Tudge, ont fait des commentaires au fond semblables à ceux de Marx (Capital Vol. II) : «  Tout progrès de l'agriculture capitaliste est un progrès dans l'art, non seulement de voler le travailleur, mais de voler le sol ; tout progrès consistant à augmenter la fertilité d'un sol pour un certain laps de temps est un progrès dans la destruction de ce qui alimente dans le long terme cette fertilité ».

Certaines ONG, ainsi que l'ONU, parlent toujours en des termes tels que «L'accès aux ressources ne devient une richesse que si de bons modèles commerciaux sont utilisés. Les pauvres ont besoin d'aide, c'est-à-dire d'un meilleur marketing, pour commercialiser les produits de leurs écosystèmes ». Pourtant, de plus en plus de gens en arrivent aujourd'hui à la même conclusion que Marx (Capital Vol. III) : « Le système capitaliste travaille contre une agriculture rationnelle  », ou encore «  une

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 32: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

32

agriculture rationnelle est incompatible avec le système capitaliste (même si ce dernier promeut les améliorations techniques dans l'agriculture) ; elle nécessite soit la main d'un petit paysan vivant de son propre travail soit le contrôle de producteurs associés ».

Tudge n'est pas le seul à souligner que «  le système économique qu'adoptent avec tant d'enthousiasme les gouvernements et les entreprises les plus puissants du monde ne peut pas fonctionner dans le domaine de l'agriculture, qui est le plus important - et cela serait terrible s'il fonctionnait effectivement. En même temps, les efforts destinés à le faire fonctionner sont en train de détruire ce qui reste. » Il ajoute que, pour survivre, «  nous devons réinventer la démocratie, ou plutôt la faire fonctionner, quasiment pour la première fois dans l'Histoire de la civilisation ». Alors que « seule l'agriculture peut fournir un emploi […] à la majorité de l'espèce humaine  », même la Grande-Bretagne, industrialisée, continue à perdre plus de 1000 paysans par jour ! Au-delà des dégâts de l'agroalimentaire mondial, la combinaison de pr ix é levés pour l e s carburant s e t d'épuisement des sols a contraint de nombreux paysans à quitter leurs terres, et 20% des paysans américains à opter pour une agriculture à la fois plus douce et plus productive. L'«  agriculture éclairée  » dont parle Tudge utiliserait les ressources humaines disponibles et combinerait les connaissances accumulées à travers d'innombrables générations avec un effort continu en faveur d'une amélioration scientifique de la productivité des sols. Les méthodes

scientifiques actuelles sont plus holistiques que la science mécaniste de l'époque impérialiste : elle prend en compte l'interaction dialectique entre les processus naturels existants et les conséquences de long terme. En agronomie, une telle approche peut permettre beaucoup, dans de nombreux systèmes agricoles, horticoles ou pastoraux – depuis les grands champs de riz et de blé jusqu'aux projets plus petits d'horticulture forestière ou d'agriculture durable («  permaculture  ») qui, à eux tous, pourraient recréer les micro-nutriments perdus et garantir un régime alimentaire constitué de «  beaucoup de végétaux, un peu de viande, et une variété maximale  », ce qui correspond aux besoins nutritionnels que les millions d'années de l'évolution ont légué aux humains, ainsi qu'aux plus fantastiques cuisines du monde.

Le pétroleRien n'illustre mieux le caractère primitif du capitalisme que le pétrole. Le charbon a alimenté la révolution industrielle et le pétrole son étape supérieure : l'impérialisme. (Voir h t t p : / / w w w. r e n s e . c o m / g e n e r a l 8 0 /wilmce.htm ). Lors de son cours règne, le pétrole a été responsable d'une misère humaine indicible : ce fut la clef de la domination économique et militaire du monde. Mêlé à la banque, à la chose militaire, à l'espionnage et à l'industrie, le pétrole a été

SU

PPLE

MEN

T A

MIL

ITAN

T N

°30

12 ju

illet

201

0

Page 33: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

33

au coeur de deux guerres mondiales et d'innombrables guerres «  mineures  » ou d'expéditions impérialistes, de l'inflation et de l'effondrement économique, et cela jusqu'à nos jours.

Les alternatives aux énergies fossiles ne manquent pas. Chaque nouveau numéro des magazines scientifiques rend compte de percées dans la réduction ou la captation du carbone, de méthodes de production électrique alternatives, etc. : voitures fonctionnant à l'air comprimé, batteries à recharge ultra-rapide, eaux usées servant à la fertilisation, carburants à l'éthanol, etc. Cependant , il devient plus clair chaque jour que le problème ne réside pas dans la technologie, mais dans la capacité du système social à l'administrer. C'est toute une énorme infrastructure mondiale, toute une série d'industries mondiales puissantes, qui se sont cristallisées autour du pétrole. Jusqu'à récemment, les véhicules électriques ont été abandonnés et étouffés en tant que menaces potentielles à la survie de ce système. Maintenant, le changement climatique et le choc pétrolier commencent à suggérer que de telles alternatives seraient sa seule voie pour survivre et pour continuer son exploitation. Les bénéfices, pour la société, des systèmes efficaces et modernes de transports publics, n'ont jamais été pris sérieusement en considération par la classe capitaliste et beaucoup d'information à propos de leur potentiel est ignorée ou étouffée. La question est de savoir si un système fondé sur le profit privé est capable de gérer un programme d'utilisation de l'énergie dans lequel les intérêts de la société dans son ensemble, y compris les générations futures, doit être le facteur décisif.

Un certain nombre d'études (par exemple les livres de George Monbiot, Chris Goodall et David King) présentent des solutions globales au changement c l imat ique, fondées uniquement sur la combinai son de technologies existantes ou à portée de main ainsi que sur l'expérience commerciale réelle de nombreux projets de petite échelle (ou même certains de très grande échelle) à travers le monde. Hormis des désaccords mineurs sur l'efficacité de telle ou telle solution particulière, il existe un large consensus. Par exemple, ils confirment les affirmations frappantes selon lesquelles, en utilisant les panneaux solaires à foyers qui existent, 0,3% du Sahara seulement

pourraient subvenir aux besoins énergétiques de l'Afrique, du Moyen-Orient et de l'Europe. Un réseau électrique transcontinental pourrait stocker et transporter cette énergie, en complémentarité avec l'électricité d'origine éolienne ou maritime produite en Grande-Bretagne et en Scandinavie, par des câbles sous-marins à haute tension. Ils s'accordent sur la viabilité et l'efficacité surprenante d'une isolation soigneuse des résidences et d'un habitat sans émissions, sur des centrales combinées chaleur/électricité, sur le développement de véhicules électriques, sur la capture et le stockage du carbone, sur la reforestation et la lutte contre la déforestation, sur les carburants à l'éthanol cellulosique, et sur bien d'autres choses.

Aucun de leur résultat ne remet en cause la pertinence du capitalisme. Au contraire, ils représentent de nouvelles opportunités dans l'éco-business. Des études de coût détaillées et sophistiquées ont été commandées. Le journal commercial McKinsey Quarterly, par exemple, a publié en 2007 une «  courbe de coût pour la réduction des gaz à effet de serre  » qui répertorie de nombreuses alternatives telles que celles mentionnées plus haut, avec des évaluations indiquant lesquelles seraient rentables, et lesquelles conduiraient à des pertes. Si elles étaient toutes utilisées à leur potentiel maximal, leur coût estimé en 2030 serait de seulement 0,6% du PIB mondial (54 620 milliards de dollars selon ces estimations de 2007), et dans le cas d'une efficacité moindre, pas plus de 1,4% - peut-être 1,8% pour les « pays riches  » (par comparaison, cela représente la fortune estimée des 100 premiers milliardaires du monde, ou encore le coût des guerres en Irak et en Afghanistan). Mais les retours sur investissement ne sont pas immédiats ni garantis, et les bénéfices tendent à concerner des gens trop pauvres pou constituer une demande solvable, ou à des générations futures économiquement sans valeur à l'heure actuelle. Les auteurs sont assez astucieux pour reconnaître qu'une période de 21 ans (jusqu'en 2030) excède peut-être ce que le capitalisme est capable d'envisager dans sa faiblesse actuelle. Ils suggèrent donc de considérer de tels investissements comme une forme d'assurance-vie, appuyant cet argument sur le fait qu'après tout le marché de l'assurance s'élève à 3,3% du PIB mondial.

Mais même ceci semble dépasser les capacités du système. La Rapport Stern décrivait le

SU

PP

LEM

EN

T A

MIL

ITA

NT

N°3

0 12

juill

et 2

010

Page 34: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

34

c h a n g e m e n t climatique comme «  la plus grande défaillance du marché que le monde ait connue  ». Certains proposent une taxe sur les émissions de carbone. Mais les pays qui lèvent déjà cette taxe n'ont pas pu se mettre d'accord sur son taux. Les t e n t a t i v e s p o u r impose r un t aux universel ont échoué, car elles représentent une étape impossible v e r s u n g o u v e r n e m e n t mondial qui excède les imaginations. D'où l e s f a m e u x mécanismes de limitation et d'échange dans lesquels les gros pollueurs peuvent acheter les droits à polluer excédentaires à ceux qui sont en-dessous de la limite. En 2006, ce mécanisme s'effondra, car la demande du marché pour les émissions de carbones avait été surestimée et les prix plongèrent ! (Cependant, la «  bonne  » nouvelle d'un rebond fut annoncée l'année suivante, quand les émissions de CO2 augmentèrent, permettant à ce marché de remonter de 10 milliards à 30 milliards). La hausse des émissions a fait la prospérité de ce marché mondial d'échange des droits d'émission de carbone. (En dépit des accords et des objectifs mondiaux, les émissions annuelles de carbone ont augmenté entre 2000 et 2007 à un rythme quatre fois supérieur au rythme des années 1990). Les transactions sont annoncées sur internet : « Bons de carbone pour seulement 7,5$ la tonne », etc.

Les gouvernements souhaitent maintenant montrer qu'ils sont prêts à s'engager dans des négociations. Lors de leur dernière rencontre à Poznan, ils ont même allé jusqu'à se mettre d'accord sur des méthodes de mesure de la déforestation (qui n'ont pas été appliquées) et sur «  le principe de financer un fond pour aider les pays pauvres et vulnérables à faire face aux conséquences du réchauffement (élévation du niveau des mers, inondations, sécheresses, tempêtes et incendies) ». Selon les mots d'un participant important : «  nous avons laissé de nombreuses choses sur la table,

à faire en 2009 ». Puisqu'ils continuent à ne pas fournir aux pauvres les 10 à 30 milliards de dollars annuels qui fourniraient de l'eau potable donner à 17% de la population mondiale et sauverait leurs vies, il n'est pas surprenant que les classes dirigeantes aient du mal à se convaincre que le sauvetage de la planète soit un bon business.

En tout cas, le monde a changé au cours des quelques mois qui se sont écoulés depuis la publication de ces livres. Le sauvetage des banques a déjà coûté plus que le coût estimé p o u r l e s a u ve ta g e d u m o n d e. L e s gouvernements ont été contraints à déclarer des objectifs, mais les milieux d'affaires ont déjà subrepticement affiché leur intention de les saboter. Selon le dernier rapport de nPower (Grande-Bretagne) «  la majorité des entreprises (83%) déclare que l'objectif d'une réduction des émissions de CO2 de 80% d'ici à 2050 est irréaliste... Seuls 31% pensent que de nouvelles entreprises naîtront de la réduction des émissions, à comparer avec 47% en 2008... 97% déclarent se préoccuper actuellement plus de réduire les coûts que les émissions ».

Notre société ne serait pas la première à épuiser ses ressources, à détruire son environnement et à devoir se déplacer ou périr. Les chasseurs de l'âge de glace ont sûrement exterminé les proies dont ils dépendaient. Mais le capitalisme a déjà englobé le monde entier. Sous le régime capitaliste, il n'y a nulle part où les humains puissent aller.

WO

RK

ERS

’INTE

RN

ATIO

NAL

NET

WO

RK

12

juill

et 2

010

Page 35: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

35

« Nous devons agir rapidement », s'accordent à dire les experts. « Pouvons-nous faire ce qui doit être fait ?  », demandent-ils; « Pouvons-nous ne pas le faire ? », répondent-ils, utilisant le «  nous  » comme si non seulement ils acceptaient le besoin de «  réinventer la démocratie  », mais comme si elle avait déjà été réinventée ! S'ils étaient conséquents, ils se demanderaient s implement ce qu' i l s entendent par «  nous  », et qui doit agir maintenant.

La lutte des classes à venirA quelle vitesse peut se matérialiser le désir de changer de société ? Les événements de l'avenir proche nous le diront. La classe ouvrière aujourd'hui n'a subi aucune défaire comparable, même de loin, à celles des années 20 et 30. Elle est peut-être désorientée politiquement par la désertion de ses anciens dirigeants auto-proclamés, et abasourdie par la dilution rapide de son organisation et de son pouvoir industriels, sur fond de mondialisation, mais sa capacité de combattre n'a même pas encore été testée. Elle le sera à une échelle mondiale, dans chaque continent et dans chaque secteur, au cours de la période qui s'ouvre. Il est impossible de mesurer à l'avance le nouvel équilibre des forces. Le terrain est déjà prêt pour une aversion générale et soudaine contre le capitalisme, pour une progression à pas de géants du niveau de conscience.

La paralysie de la classe ouvrière, incapable à l'heure actuelle de se mettre en mouvement pour changer la société, ne provient pas véritablement des vieilles illusions réformistes et nationales, mais plutôt de ce que la masse des gens ordinaires se sent impuissante à contester la dictature des entreprises et de leur appareil étatique répressif.

La première réponse à la crise devrait être la stupeur. Tandis que les entreprises ferment, que des dizaines de milliers de travailleurs perdent leurs emplois et leurs maisons, nous pouvons nous attendre à des réactions explosives. Certes, avec le chômage de masse qui s'installe, la cohésion, la solidarité et l'initiative de la classe ouvrière s'affaiblit terriblement. Mais, dans le mouvement actuel

de descente à l'abîme, des luttes exaltantes se produiront nécessairement. La Grande Dépression a aussi été l'époque des grandes vagues de grèves avec occupation, aux Etats-Unis et en France.

Des mobilisations se sont déjà produites dans certains pays. Les gouvernements ont été reversés en Islande et en Lettonie. Des combats de rue entre les jeunes et la police se sont déroulés à Athènes. Et, suivant en cela ses riches traditions révolutionnaires, la classe ouvrière française a montré son pouvoir. Des millions de personnes sont descendus dans les rues lors de deux journées successives de grève générale, puis à nouveau le 1er mai 2009. Dans de nombreuses usines, les dirigeants ont été retenus en otage par des travailleurs. Des « piques-niques gratuits » ont été organisés dans des supermarchés. Clairement, ceci n'est que le début d'un mouvement mondial massif de protestation.

S'il existait des partis socialistes de taille suffisante dans n ' importe quel pays aujourd'hui, ils prendraient la tête de m a n i f e s t a t i o n s d e m a s s e p o u r l a nationalisation des banques, des entreprises financières et industrielles, la fin des saisies par huissier, l'occupation des lieux de travail, etc. Il est impossible de prédire la puissance qu'aurait un tel mouvement. Souvenons-nous que lors des événements de 1968, De Gaulle c o n c l u a i t a p r è s q u e l q u e s j o u r s à l'inéluctabilité de la révolution.

La société dans son ensemble comprend les causes et de la nature de la crise actuelle, ce qui est remarquable et sans précédent. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de tentative de faire porter la responsabilité de la crise aux demandeurs d'asile, aux immigrés illégaux, aux assistés, aux mères célibataires, aux plombiers polonais, ou encore aux terroristes islamiques. Pour citer à nouveau Max Hastings, la crise « ne peut pas être attribuée aux fauteurs de troubles politiques, aux travailleurs, aux demandeurs d'asile, aux terroristes ou au changement climatique  ». Les banquiers sont tenus dans un mépris universel – et cette fois ci aucune tentative de caractérisation ethnique. Si seulement il existait un parti politique prêt à canaliser cette haine de classe massive et à enchaîner sur une politique mettant fin au capitalisme, la révolution serait déjà à portée de main.

Au début de la crise bancaire, on parlait

WO

RK

ERS

’ INTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 36: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

36

beaucoup d 'être passé très près de l'«  effondrement  » ou de l'«  écroulement  ». Pures métaphores ! Que signifierait en réalité un tel effondrement ? On a dit qu'en décembre, la Grande-Bretagne était passée à 48 heures d'une pénurie monétaire. Dans un tel scénario, que serait- i l advenu ? Rapidement et naturellement, pour une fois, une quelconque forme de troc rudimentaire aurait commencé à fonctionner, un système quasi-monétaire improvisé, fondé sur des bons, se serait développé. Il y aurait eu occupation des lieux de travail, réseau de coopératives, refus d'évacuer les maisons... Et il est difficile de dire, à l'avance, où les forces nécessaires pour réprimer une telle action de masse spontanée auraient pu être trouvées.

Seul un parti politique pourrait généraliser ce processus en un programme politique, p ropose r un p lan de comi té s é lu s démocratiquement assurant la liaison et la coordination, de patrouilles de défense élues protégeant le nouveau système du sabotage par les anciens dirigeants, les nouveaux criminels ou les bureaucrates, de rotation des tâches administratives, etc., et surtout pour insuffler aux gens la confiance dans la signification historique de ce changement, pour donner à leurs actions un rayonnement international, pour rendre explicite et conscient ce qui se produirait déjà sur le terrain de manière instinctive et pragmatique. La bataille ne fait que commencer, et nous

seront surpris par les ressources latentes que la classe ouvrière peut encore mobiliser en temps utile. La classe ouvrière aujourd'hui comprend la moitié de la population mondiale, la grande majorité des pays récemment industrialisés, et les gros bataillons n'ont pas encore donné de la voix. Quand ils le feront, les perspectives changeront.

Le nouveau visage de la contre-révolution

A défaut d'un tel parti, on ne pourra en fin de compte que retomber dans le vieux scénario : démoralisation populaire dégénérant en racisme et en nationalisme, puis aboutissant à la défaite, à la répression et à la guerre. Et ensuite seulement, après l'Apocalypse – si l'humanité survit à une telle défaite – une résurgence de la révolution et la victoire finale.

Les effets historiques de la série de trahisons et de défaites endurées par la classe ouvrière durant l'entre-deux guerres, pays après pays - victoire du fascisme en Italie, défaite de la

WO

RK

ERS

’ INTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 37: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

37

révolution allemande, montée du nazisme, guerre civile en Espagne, contre-révolution stalinienne en Russie, etc. - ont créé le monde cauchemardesque d'Auschwitz, d'Hiroshima, du Goulag et des pires horreurs de l'histoire humaine. Dans la période qui s'ouvre, l'alternative marxiste entre socialisme et barbarie sera à nouveau, et très clairement, à l'ordre du jour.

La contre-révolution des années 20 en 30 prit la forme d'Etats policiers monolithiques, terrifiants, s'appuyant sur une base de déclassés évoluant aux marges du système product i f, conduits à l 'hys tér ie par l'effondrement de la vie économique et mobilisés contre les syndicats dans les armées de la terreur fasciste. Aujourd'hui, la contre-révolution se montre sous un autre visage - celui d'une désagrégation de la vie civilisée dans le racisme communautaire meurtrier, selon des lignes de fracture nationales, raciales, sectaires et religieuses.

Quelles sont les perspectives de la contre-révolution aujourd'hui ? Le fascisme est la riposte consciente du capitalisme à la révolution – la mobilisation de gangsters armés et de la lie de la société contre les piquets de grève et les cortèges des travailleurs, en attisant les instincts racistes et chauvins les plus primaires pour gagner un soutien qui transcende les classes sociales.

Même durant les périodes de stabilité, la classe dirigeante maintient frémissants, par médias de masse interposés, les préjugés rétrogrades. Sous la surface de la société britannique, par exemple, s'étend l'enfer bouillonnant d'un racisme à peine contenu. Les signes avants-coureurs sont clairs. Déjà, pour une frange d'ex-électeurs déçus du Labour, le BNP (British National Party) est parvenu à passer du statut de groupuscule fasciste délirant à celui d'une manière de plus en plus acceptable d'exprimer sa protestation. L'élection de quelques membres de BNP au Parlement européen lors du prochain scrutin ne peut plus être exclue, ni même tout à fait la conquête d'un ou deux sièges aux élections parlementaires nationales – ce qui donnerait des ailes aux fascistes et représenterait la menace majeure pour des générations entières d'ouvriers. N'oublions pas que, moins de quatre ans après les élections de 1928 en Allemagne, où les Nazis n'obtinrent que 2,6% des votes, ils arrivaient au pouvoir. Dans les conditions de la crise, le BNP pourrait croître

rapidement.

Cependant, la base sociale du fascisme s'est nettement érodée aujourd'hui, par rapport aux années 20 et 30. Dans l'Allemagne de 1933, le prolétariat était dominé par une vaste petite-bourgeoisie à la fois urbaine et rurale, tandis que la paysannerie constituait 40% de la population, ceci sans compter une large classe de boutiquiers urbains et de petits producteurs, ainsi qu'une réserve énorme de chômeurs déclassés.

A notre époque, les capitalistes sont encore plus réticents qu'auparavant à recourir à des méthodes ouvertement fascistes. Dans les années 20 et 30, il a fallu la création d'armées fascistes de masse, composées des rebuts de la s o c i é t é , p o u r b l o q u e r l a m a r é e révolutionnaire. Maintenant, c'est seulement si elle était immédiatement menacée dans sa survie que la classe dirigeante confierait son avenir à des fous maniaques tels que les Nazis. Le racisme est toujours un outil utile pour la classe dirigeante afin de détourner les rancoeurs populaires – tactique séculaire du diviser-pour-régner. Mais les Nazis, dans leurs excès, allèrent plus loin que la défense des propriétés des riches. Ces condottieri de la protection politique attirèrent des désastres sur la tête de leurs maîtres, retranchant au capitalisme la moitié du continent au capitalisme, pour toute une époque.

Par ailleurs, la classe ouvrière ne se soumettra pas au gangstérisme fasciste sans une résistance acharnée. La niveau culturel général a énormément augmenté au cours de l'après-guerre, grâce à des décennies de lutte ouvrière permettant de meilleures conditions de vie et de travail, des niveaux d'éducation plus élevés. Les attentes sont infiniment plus élevées. Des coupes draconiennes dans le niveau de vie provoqueraient protestation et instabilité. Les jeunes, surtout, ne toléreraient pas la militarisation ou la répression directe des droits démocratiques. Aujourd'hui, après la révolte noire aux Etats-Unis et la décolonisation, tout recours aux anciennes attaques terroristes et racistes contre les minorités ethniques aurait des conséquences explosives, en raison de la plus grande confiance en elles-mêmes de ces minorités, ainsi que d'un changement majeur dans la conscience de la plupart des blancs, surtout les jeunes. Les perspectives pour la contre-révolution sont donc limitées. Pour le moment, les capitalistes sont contraints

SE

PR

EPA

RE

R A

LA

RE

VO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 38: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

38

d'opérer discrètement, subrepticement, en grignotant les droits démocratiques de manière semi-déguisée : par l'utilisation de la législation anti-terroriste pour renforcer la surveillance de tous les mouvements de protestation, y compris n'ayant rien à voir avec le terrorisme. Dans le cas d'une vaste révolte, leur première réaction sera de recourir à ces méthodes pour réprimer la classe ouvrière organisée.

La contre-révolution lève son groin répugnant sous de nombreux déguisements. La composition ethnique aujourd'hui complexe de nombreux pays, surtout dans les grandes villes, devrait créer les conditions d'une résistance contre les attaques racistes ou communautaires, et de contre-attaques de la part des minorités visées. Etant données les évolutions démographiques et l'allure mondiale du capitalisme moderne, plutôt que l'établissement de dictatures policières monolithiques, fondées sur des état-nations ethniquement purs, la contre-révolution pourrait prendre la forme, non moins sanglante mais plus instable, de massacres communautaires, de rébellions séparatistes et de guerres régionales. Plutôt que d'être écrasé sous les bottes fascistes, le mouvement ouvrier pourrait se trouver déchiré entre les vendettas de seigneurs de la guerre rivaux, comme en Irlande du Nord, en Bosnie, au Kosovo, au Sri Lanka, au Rwanda, au Soudan, en Tchétchénie, en Afghanistan, au Congo, en Géorgie, à Gaza, etc. Cet autre visage de la

barbarie constitue un modèle pour la réaction aujourd'hui : un patchwork mondial de fratricides communautaires.

En Grande-Bretagne aussi, le racisme pourrait polariser la société, éclater sous forme d'agressions et de meurtres, de défilés provocateurs dans les quartiers asiatiques, mu s u l m a n s o u n o i r s , c o n d u i re a u développement de milices de défense dans un style possiblement para-militaire, de gangs terroristes rivaux, de répression policière, de ségrégation, de zones de non-droit, de camps d'internement, et d'une possible division communautaire en ghettos s'affrontant les uns les autres, comme c'était le cas en Irlande du Nord durant les troubles.

Le fondamentalisme islamisteL'éclipse temporaire du socialisme en tant qu'alternative internationale à la domination des entreprises mondiales a per mis l'émergence de diverses idéologies factices, notamment l'obscurantisme religieux militant, par t i cu l i è rement sous l a fo r me du

SU

PPLE

MEN

T A

MIL

ITAN

T N

°30

12 ju

illet

201

0

Page 39: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

39

fondamentalisme islamique. Ce phénomène menace de créer un dangereux obstacle à l'unité des travailleurs contre leur ennemi commun.

Protestant contre ce qui peut légitimement ê t re pré senté comme une c ro i sade internationale contre l'Islam – menée en Afghanistan, en Irak, en Palestine, au Cachemire et en Europe – de nombreux jeunes musulmans sont séduits par la propagande des islamistes, qui combine habi lement une cr i t ique acerbe de l'impérialisme des Etats-Unis et de leurs alliés avec un bigotisme et un antisémitisme insidieux, moyenâgeux. L'islamisme s'est acquis une aura de radicalisme par la révolution iranienne, où le régime des mullahs fut porté au pouvoir à la faveur d'une révolte prolétarienne, et par l'attaque-spectacle téméraire contre l'impérialisme américain du 11 septembre 2001, menée par le gang terroriste du milliardaire saoudien Ossama Ben Laden – principale figure militante des cheikhs pétroliers dissidents dans leur conflit avec l'impérialisme américain pour le contrôle des champs de pétrole.

Toutefois, le fondamentalisme islamique a été encouragé par l'impérialisme, en tant que rempart contre la révolution. En Afghanistan, les taliban furent véritablement inventés par l'ISI (services secrets) pakistanais pour lancer un mouvement paramilitaire de masse, constitué de lumpen-prolétaires de de jeunes ruraux. Armés et financés par l'impérialisme en tant que force de contact contre l'occupation soviétique, sa mission sous-jacente était dès le départ de protéger la propriété existante contre la révolution. C'était une armée contre-révolutionnaire qui utilisait la terreur et la bigoterie pour revenir sur les acquis démocratiques de la révolution a fghane, bat t re l ' a r mée a fghane à encadrement soviétique, et réinstaller au pouvoir les grands propriétaires locaux et les mullahs, pour le compte de l'impérialisme.

C'est exactement le même rôle que celui joué en Espagne par Franco, lorsqu'il utilisait la terreur fasciste et le fondamentalisme bigot des prêtres catholiques afin de revenir sur les acquis démocratiques de la République, battre l'armée républicaine sous direction soviétique, et réinstaller la domination des grands propriétaires et des évêques, au nom de l'impérialisme.

Les syndicalistes, dans le Pakistan voisin, sont constamment attaquées par les équivalents locaux des Taliban, dont il est facile de montrer qu'ils jouent dans la société à peu près le même rôle, par exemple, que les chemises noires en Italie : terroriser le prolétariat, briser les grèves, attaquer les piquets de grèves, assassiner les militants syndicalistes, réprimer dans la société toute tendance et intimider toute personne quelque peu démocrate ou progressiste, ou qui représente d'une manière ou d'une autre un embryon de société future.

De même, en Inde, dans la métropole économique Bombay, le parti communautaire local hindou Shiv Sena, basé sur les Marathes, fut créé, financé et armé par les industriels, avec l'objectif précis de briser l'emprise du parti communiste et du Parti communiste-marxiste sur les syndicats. Ils se sont attaqués au mouvement ouvrier, ont monté des émeutes anti-musulmanes aboutissant à un véritable «  nettoyage ethnique », et parvinrent même au pouvoir, à la fois dans le conseil municipal (en coalition avec le parti communautaire national BJP) et dans le parlement de l'état de Maharashtra. Leur chef, Bal Thakray, prend explicitement modèle sur Hitler, le parti nazi et la solution finale.

Les taliban semblent très différents des Nazis – mais ce fut également le cas pour les chemises noires de Mussolini ou le régime de Franco. La réaction, toujours et par sa nature même, prend la couleur culturelle de son environnement. On a avancé que le rôle des Taliban était « médiévo-inquisiteur  » - mais, à nouveau, le régime de Franco était également une parodie de l'Inquisition médiévale. Quelle autre forme pourrait adopter le fascisme en Afghanistan ou au Pakistan ? Si l'on dissocie les atours formels faussement médiévaux de la réalité du contexte mondial actuel, les taliban appartiennent, avec tout l'attirail des époques révolues, aux poubelles de l'Histoire. On ne peut comprendre le phénomène que dans le contexte d'une lutte mondiale entre l 'impérialisme et la révolution. De même, si l'on prenait tout le cirque mussolinien et pour le transporter dans la Rome antique, on pourrait alors parler de césarisme – mais le césarisme, dans le contexte moderne de la décadence capitaliste, c'est le fascisme.

WO

RK

ERS

’ INTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 40: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

40

Le fondamentalisme dans le monde islamique joue le même rôle : briser le mouvement ouvrier et tout ce qui représente un embryon de société future. Il

se drape dans des fantasmes sur l'âge d'or de l'Islam, exactement comme Mussolini se drapait dans les gloires de l'ancien empire romain, ou Hitler dans le folklore autour de la légendaire race aryenne nordique des surhommes. Derrière ces mythologies hypnotisantes, le programme réel des trois est des briser le mouvement ouvrier ainsi que toute menace de révolution.

Ce phénomène particulier reflète la période paradoxale que l'Histoire vient de traverser. Pour la première fois en un siècle ou plus, les aspirations organisées du prolétariat à une nouvelle société ne constituent même plus un fait politique digne de considération pour les capitalistes, alors même que les contradictions du capitalisme n'ont jamais été aussi aiguës. La nature grotesque de cette crise sociale se manifeste sous la forme de Ben Laden.

Beaucoup de jeunes sincères sont égarés par les ruses dangereuses des fondamentalistes. Les socialistes devraient évidemment s'opposer à la persécution de ceux qui pour ra i en t ê t re t rompés pa r c e t t e propagande, tout en leur expliquant que les fondamentalistes sont partout la menace la plus importante contre les droits des travailleurs, que leur but est de réduire la

classe ouvrière en esclavage.

Le déclin du réformismeDurant la période où le capitalisme avait encore un rôle à jouer dans le développement des forces productives, les dirigeants ouvriers pouvaient obtenir des réformes politiques et économiques sans contester le système. Au sommet du mouvement ouvrier émergea donc une caste de médiateurs des conflits de classes, qui avait un intérêt matériel à ce que la société de classe perdure. Historiquement parlant, cette ère prit fin au début du 20ème siècle, quand la civilisation fut plongée dans les horreurs de la guerre mondiale, de la crise et du fascisme. Les dirigeants réformistes passèrent ouvertement à la défense des classes dirigeantes une fois qu'elles furent menacées de renversement par les mouvements révolutionnaires, avant d'être écrasés à leur tour sous les bottes de la contre-révolution. Les partis communistes de masse apparurent, mais eux-aussi furent rapidement retournés en instruments de la nouvelle classe bureaucratique qui avait pris le pouvoir en Ru s s i e , f o r m a n t u n e a u t r e c a s t e bureaucratique qui de même avait intérêt à ce que le capitalisme perdure dans le monde.

Durant l'essor prolongé qui suivit la seconde

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 41: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

41

guerre mondiale, le capitalisme a joui d'un regain tardif de croissance, avec le développement de la chimie, de l'électronique puis des technologies de l'information. Le marché du travail, favorable aux salariés, ainsi qu'une croissance massive du syndicalisme, apportèrent à des couches entières de travai l leur s dans ces pays de rée l s améliorations matérielles, certes au prix de longues heures de travail et d'une exploitation intensifiée. Ceci donna au réformisme un second souffle inattendu, mais temporaire.

En Grande-Bretagne, une ambiance irrépressible favorable au changement radical, combinée avec les dévastations de la guerre, porta pour la première fois au pouvoir un gouvernement travailliste avec un programme de nationalisation du charbon, de l'acier, des chemins des fer et d'autres industries de base, ainsi que la création d'un service de santé national. Les réformes introduites par ce gouvernement renouvelèrent la loyauté de la classe ouvrière envers le parti travailliste pour une génération.

Les débuts de l'instabilité économique, à partir des années 70, commençaient déjà à mettre à nu les limites du réformisme, et une forte aile gauche commença à se développer dans les partis socialistes et sociaux-démocrates (ou dans certains cas, de nouveaux partis) en Grande-Bretagne, en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Italie, en France et dans d'autres pays.

Dans les années 70, les idéologues majeur du capitalisme mondial étaient passés de la conciliation et de l'accomodement avec les syndicats à des politiques monétaristes féroces, mettant à jour le bluff des réformistes et des dirigeants syndicaux. Les capitalistes rassemblaient leurs énergies pour reprendre tous les gains obtenus par la classe ouvrière, à travers des coupes dans les subventions et les revenus sociaux et des attaques directes contre les syndicats. Ceci conduisit à de dures confrontat ions dans le s années 80, notamment la grève des contrôleurs aériens aux Etats-Unis ou la grève des mineurs en Grande-Bretagne.

La grève des mineurs, qui dura un an, fut un chapitre héroïque dans l'histoire de la classe ouvrière, impliquant quelque 200 000 grévistes ainsi que des communautés entières de femmes mobilisées dans des groupes de soutien, des piquets de grève massifs dans les

centrales électriques, une solidarité nationale des autres syndicalistes et des batailles rangées avec les briseurs de grève de la police. Les dirigeants réformistes britanniques, effrayés par les conséquences d'un combat total contre l'état capitaliste, condamnèrent la grève et portent la responsabilité directe de son échec.

Avec les défaites des années 80, les dirigeants des partis réformistes glissèrent nettement vers la droite, entamant des expulsions massives de militants de gauche et acceptant ouvertement les politiques monétaristes de Reagan et Thatcher. Ces événements ont laissé la classe ouvrière dépourvue de représentation politique lors des dernières décennies. Dans la plupart des pays, c'est une première depuis les débuts de l'histoire de la la classe ouvrière moderne.

Alors que les attaques contre les droits des travailleurs n'ont pas cessé tout au long de cette période, aucun choc susceptible de déclencher des tremblements de terre politiques ne s'est produit. Des grèves massives de protestation ont eu lieu dans certains pays, de même que d'énormes manifestations anti-capitalistes et anti-guerres. Et pourtant, sauf dans les pays d'Europe de l'Est, où les anciens partis dirigeants staliniens conservent un certain soutien ouvrier, dû au souvenir du plein-emploi et de l''Etat providence, il y a eu peu de mouvements sérieux emplissant le vide laissé par les partis de masse traditionnels, socialistes, travaillistes ou communistes, des cent dernières années. L 'except ion la p lus importante e s t l'Allemagne, où les débris de l'ancien parti stalinien dans l'Est se sont associés avec des réformistes de gauche dissidents issus de l'Ouest pour former une alternative de gauche au SPD. En Grande-Bretagne, dont l'histoire est marquée par l'alternance des conflits du travail et du radicalisme politique, le nombre de jours perdus en grève plonge a n n é e a p r è s a n n é e à d e s n i ve a u x historiquement bas et se double d'une apathie politique générale et d'une abstention massive aux élections.

C'est la crise du réformisme qui fait obstacle à la fois à un nouveau parti ouvrier et à un parti travailliste qui inclurait des aspirations socialistes. Dans l'époque nouvelle, celle de la dictature mondialisée des entreprises, les programmes nationaux ont moins de sens que jamais. Dans un sens plus immédiat et pratique que jamais, toute revendication de

SU

PPLE

MEN

T A

MIL

ITAN

T N

°30

12 ju

illet

201

0

Page 42: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

42

défense des conditions de vie existantes, même s'agissant de réformes minimales ou de droits démocratiques élémentaires, conduit directement au besoin d'une solidarité internationale et d'une nouvelle société.

Le Parti travaillisteLes marxistes ont toujours accueil l i favorablement tout pas effectué par les travailleurs vers la création de leurs propres organisations indépendantes de classe, que ce soit sur le front syndical ou sur le front politique, et condamné les singeries des sectaires qui se concentrent sur des ultimatums programmatiques plutôt que sur de patientes campagnes d'explication. Quand les travailleurs se mettent en lutte, ils ne sautent pas directement vers des conclusions révolutionnaires. Leur première étape est de prendre conscience de ce qu'ils ont des intérêts communs, distincts et en conflit direct avec ceux de la classe capitaliste. Un parti ouvrier de masse représente l'expression de cette conscience de classe élémentaire. La création de partis de masse sociaux-démocrates, socialistes ou travaillistes en Europe et ailleurs, au tournant du 20ème siècle, fut une réussite majeure de la classe ouvrière, d'autant plus que la plupart d'entre eux furent fondés explicitement sur des principes socialistes, et même ceux qui n'étaient pas dans ce cas – notamment le parti travailliste – adoptèrent plus tard des idées socialistes, sous l'influence de la révolution russe.

La question de la nature de ces partis traditionnels aujourd'hui – surtout le parti travailliste anglais – a été source de controverses entre les socialistes. Il est donc nécessaire d'examiner ici la question en détail.

En 1921, Lénine conseilla au jeune parti communiste britannique de s'affilier au parti travailliste. Même avant 1918, alors que le parti travailliste n'était pas e n c o r e f o r m e l l e m e n t s o c i a l i s t e , L é n i n e préconisait son admission

dans la Seconde Internationale, parce que c'était la voix politique des syndicats. A nouveau, dans les années 30, durant une époque de changements politiques rapides, Trostky suggéra que les révolutionnaires exclus des partis communistes devraient éviter l'isolement politique en rejoignant les tendances de gauche en cours de séparation des partis sociaux-démocrates – par exemple l'ILP (Independent Labour Party), qui s'était séparé du parti travailliste. Plus tard, Trotsky recommanda l'entrée dans le parti travailliste.

Dans les années 50, durant la longue période de croissance de l'après-guerre, ce qui devait s'appeler plus tard la tendance du Militant fit de ceci une tactique prolongée, de long terme, construisant lentement une force marxiste redoutable à l'intérieur du parti travailliste, notamment en prenant le contrôle de sa section de jeunesse. Par extension, la politique d u C W I ( C o m m i t t e e f o r a Workers'International) dans de nombreux pays consista à adopter une approche semblable.

Les décennies de travail de la Militant Tendency à l'intérieur du parti travailliste furent exemplaires. La Militant Tendency transforma le trotskisme, pour la première fois dans l'Histoire, en une force avec laquelle il fallait compter, faisant découvrir les idées marxistes à des milliers de jeunes de la classe ouvrière, conduisant des mouvements de masse dans leur confrontation avec le capitalisme. Le Militant était explicitement craint par les dirigeants travaillistes et par l'Etat capitaliste lui-même ; il fit même tomber un premier ministre. Le Militant a poussé l 'entrisme jusqu'à ses limites, atteignant des résultats spectaculaires. La

WO

RK

ERS

’ INTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 43: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

43

scission à l'intérieur du Militant apparut lorsqu'on se demanda ce qu'il fallait faire après.

A l'origine, l'entrisme fut proposé par Trotsky comme un exemple parmi tant d'autres de tactique audacieuse et souple pour le court-terme, pas grand-chose de plus qu'une improvisation brillante mais éphémère. C'était une période de changements rapides, de révolution et de contre-révolution. La Militant tendency a eu raison, dans les circonstances plus stables de son époque, d'étendre l'entrisme à une période historique entière – une période de développement historique lent. Mais, même alors, ce fut une tactique et non un principe stratégique. La question est maintenant de savoir si cette tactique est applicable au parti travailliste actuel, et même si celui-ci peut toujours être considéré comme un parti ouvrier, plutôt que comme un parti capitaliste comptant sur le soutien traditionnel quoique passif de larges parts de la classe ouvrière. (Cette question concerne aussi les partis socialistes ou sociaux-démocrates dans d'autres pays, mais dans ce texte nous nous concentrons sur le parti travailliste anglais).

Que la direction du parti travailliste ait trahi la classe ouvrière, il n'y a rien là de nouveau. En 1931, le premier ministre travailliste Ramsay MacDonald renia son mandat électoral, divisa le parti et forma un gouvernement d'union nationale – en réalité, il dirigea un gouvernement conservateur - afin d'opérer des coupes dans les assurances chômage. Après une vague de réformes radicales, le gouvernement Attlee de 1945 évolua rapidement vers des contre-réformes, tendance poursuivie par les gouvernements Wilson et Callaghan dans les années 1960 et 1970. Hugh Gaitskell avait tenté dans les années 1950 de renier l'article 4 de la constitution du parti travailliste, qui en énonce les objectifs socialistes.

Il est vrai aussi que des sectaires d'ultra-gauche ont toujours dénoncé à grands cris le parti travailliste comme un parti capitaliste, alors que la Militant Tendency à son époque avait raison de souligner qu'en tant que bras politique des syndicats, le parti travailliste était le parti traditionnel des travailleurs, vers lequel ils se tournaient spontanément dans leur quête de solution politique. Mais il ne suffit pas de répéter les vieilles formules inventées il y a plusieurs décennies, sans jeter

un regard nouveau sur les processus en cours. Nous devons nous demander si, oui ou non, les changements intervenus depuis sont suffisamment fondamentaux pour représenter une transformation qualitative. Rappelons les changements qui se sont produits dans la nature du parti travailliste, dans son programme, sa constitution et ses objectifs affichés, depuis l'époque d'Attlee et de Wilson.

Le premier d'entre eux est la suppression, dans la constitution du parti, de l'engagement en faveur du socialisme : l'article 4. Seul, ce changement n'est pas forcément décisif en termes de base sociale. La conférence de Bad Godesberg en 1959, qui procéda à une modification identique, ne transforma pas en elle-même la nature ouvrière du SPD allemand. Et pourtant, la suppression de l'article 4 a représenté un tournant historique. Pendant des décennies, une résistance acharnée s'y était opposée. Au même moment que Bad Godesberg, les militants de base du parti travailliste avaient contrecarré Gaitskell dans sa tentative de prendre un chemin comparable. Gaitskell, bien qu'il ait été un prédécesseur évident de Blair, dut mener la campagne de 1959 sur un programme de nationalisations en bloc. Jusqu'aux années 1980, le bureau du parti se déclarait en faveur d'un «  changement fondamental dans l'équilibre de pouvoirs et des richesses » dans la société. C'était sur cette impulsion sous-jacente et permanente en faveur du changement social que le Militant s'est toujours appuyé.

Contrairement aux sectes, les marxistes n'ont jamais jaugé la nature de classe d'un parti au degré de trahison de ses dirigeants. Celle-ci était prévisible. L'affirmation de la nature prolétaire du parti s'expliquait par les aspirations des membres. Gaitskell fut vaincu par une révolte de masse quand il tenta de supprimer l'article 4, et dut renoncer à cette tentative. Le fait qu'en 1994 l'article 4 fut supprimé sans un murmure de protestation constitue un fait sérieux, à prendre en compte. Depuis, le «  comportement curieux du chien dans la nuit », comme aurait pu le dire Sherlock Homes – c'est-à-dire l'absence de toute protestation significative des membres de base contre les politiques gouvernementales de Blair/Brown – suggère par elle-même une mutation importante dans le caractère du parti.

En sus de cette retraite politique, le poids des

SE

PR

EPA

RE

R A

LA

RE

VO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 44: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

44

syndicats dans la structure du parti a été sérieusement réduit. L'impact des votes par blocs des syndicats dans le congrès du parti, la représentation des syndicats dans le bureau national, et surtout le pouvoir même du congrès et du bureau, ont été pratiquement réduits à zéro. Dans le passé, la direction du parti devait son autorité au mandat que lui donnaient les syndicats. Aujourd'hui, la direction du parti travailliste semble n'être responsable devant personne. Lors des récentes élections internes, il n'y avait même pas de candidat alternatif. Un lien résiduel avec les syndicats demeure, mais leur rôle pr inc ipa l dans l e par t i t rava i l l i s t e d'aujourd'hui consiste surtout à apporter régulièrement des fonds.

La relation entre la direction travailliste et le monde des affaires a également été reversée. Lors des élections de 1959, sous Gaitskell (dirigeant alors considéré comme appartenant à l'aile d'ultra-droite), le parti travailliste faisait encore campagne, dans son manifeste, pour la nationalisation des 512 entreprises monopo l i s t iques e t des «  hauteur s stratégiques » de l'économie. Dans les années 60, le gouvernement Wilson s'engageait encore à renationaliser les industries métallurgiques et les transports routiers récemment privatisées. Au contraire, les gouvernements du New Labour ont mené les réformes thatchériennes encore plus loin que Thatcher ne l'avait osé : privatisation du contrôle aérien et de pans entiers du système

de santé, retour déguisé à une éducation s é l e c t i ve e t même s emi -p r i va t i s é e, introduction de frais d'inscription pour l'enseignement supérieur, augmentation astronomique de la population carcérale, etc.

Dans le passé, les gouvernements travaillistes étaient tolérés seulement dans les périodes où la capitalisme souffrait d'une sévère crise d'autorité, et même alors avec force protestations et grincements de dents, pour des périodes brèves, et sous une pression permanente. Ayant été porté au pouvoir par une lame de fond , qu i lu i per mi t d'entreprendre des réformes sincères, le gouvernement Attlee tomba après à peine plus d'un mandat, et treize ans s'écoulèrent avant qu'un gouvernement travailliste r e p r e n n e l e p o u v o i r. L e p r e m i e r gouvernement Wilson finit par objecter, en substance, qu'il était sous la pression des « gnomes de Zürich » (les banquiers suisses) ; il dut renverser son programme sous le chantage d'une «  grève du capital  » ; on parlait déjà alors d'un coup d'Etat mené par Cecil King et Lord Mountbatten pour renverser le gouvernement. Le second gouvernement Wilson se retrouva au pouvoir quand la Grande-Bretagne était paralysée par la grève de mineurs et la semaine de trois jours, et Heath demandait un vote sur la question «  Qui gouverne la Grande-Bretagne : le gouvernement ou les syndicats ?  » Ce gouvernement fut ébranlé par la crise économique, l'inflation galopante,

SU

PPLE

MEN

T A

MIL

ITAN

T N

°30

12 ju

illet

201

0

Page 45: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

45

les vagues de grèves et les attentats terroristes. Durant sa période au pouvoir, des plans de rechange prévoyant un coup d'Etat militaire à la chilienne étaient débattus ouvertement. Des manoeuvres visant à l'intimidation étaient même organisées à Heathrow.

Le monde des affaires a une attitude très différente envers Blair et Brown. Depuis une décennie, il a explicitement soutenu le New Labour comme son in s t rument de gouvernement favori. Il ont couvert le New Labour de subventions, abandonnant ses liens traditionnels avec les conservateurs. De son point de vue, le New Labour a maintenant rempli son rôle et perdu son utilité, et les capitalistes semblent avoir opté tactiquement pour un retour à leur parti de gouvernement habituel. Cependant, ils ont soutenu le New Labour de bon coeur pendant trois mandats, ce qui est sans précédent.

Certes, les dirigeants travaillistes on toujours mené des politiques de trahison. Aujourd'hui, cependant, ils ont abandonné toute retenue politique. Dans le passé, ils devaient toujours se justifier prudemment en arguant du «  réalisme  », du «  gradualisme  », des «  priorités  », etc. Ils n'osaient pas contester l''objectif général d'une transformation sociale. Quand Ramsay MacDonald passa à l'attaque frontale contre la classe ouvrière, il n'eut d'autre choix que de quitter le parti travailliste et de s'appuyer sur les partis capitalistes dans un gouvernement d'union nationale, pour mener des politiques que le New Labour mène maintenant avec tandis que les militants de base restent passifs. Les politiciens du New Labour couvrent de d'un mépris assumé jusqu'aux plus modestes des vieilles aspirations fabiennes et jusqu'au changement social le plus progressif.

Le parti travailliste avait une référence socialiste dans ses statuts, un vote syndical par blocs décisif, un bureau national élu, un congrès décidant véritablement la ligne politique, une base ouvrière active, et un groupe parlementaire largement composé d'anciens travailleurs et de syndicalistes. Il avait été créé par les syndicats, était favorable à une transformation socialiste de la société, et il a en effet conduit la nationalisation des industries de base, la création des systèmes de santé et d'éducation universels. Ce ne sont pas nécessairement là des mesures socialistes, mais ces réformes ont été inscrites pendant

des générations sur les banderoles de la classe ouvrière. Les conservateurs s'opposaient âprement à chacune d'entre elles, et faisaient tout pour les annuler dès que l'occasion s'en présentait. Des années durant la classe ouvrière avait combattu pour ces progrès et leur instauration par des gouvernements travaillistes était à juste titre célébrée comme des victoires historiques. En dépit de toute sa corruption et de sa bureaucratisation, le parti travailliste était manifestement un parti fondé sur la classe ouvrière, et ses dirigeants devaient hypocritement justifier chacune de leur volte-faces traîtresses en invoquant les intérêts de la classe ouvrière et la cause des réformes sociales.

Voilà maintenant douze ans que la clique du «  New Labour  » au pouvoir efface les aspirations socialistes du parti travailliste , coupe ses liens avec les syndicats, détruit jusqu'aux apparences de démocratie interne, insulte l'héritage travailliste, et mène des politiques ultra-thatchériennes que la dame de fer elle-même n'avait pas osées. Ses dirigeants se proclament eux-mêmes les champions du big business : ils sont « totalement à l'aise avec le fait que des gens deviennent insolemment riches  ». Ils ont même adopté un nouveau nom, afin de se différencier des traditions historiques travaillistes.

Le New Labour a rempli une fonction historique très précise : mener à son terme la contre-révolution thatchérienne, quand les conservateur s é ta ient devenus t rop impopulaires pour finir le travail eux-mêmes. Maintenant, ce sont les dirigeants du New Labour eux-mêmes qui sont discrédités, et les conservateurs qui revêtent un masque médiatique à la Blair. C'est là le vrai visage du conservatisme, et le retour à la bonne vieille tradition de gouvernement par l'ancienne caste d'Eton.

Res te la ques t ion de savo i r s i ces changements, quelque importants qu'ils soient, constituent une mutation qualitative dans la nature de classe du parti travailliste. Nous entrons dans des eaux inconnues. Il n'y a pas d'exemple d'un parti changeant de composition de classe sans une scission. Mais, de même, il n'y avait pas d'exemple d'un état changeant de caractère de classe sans une guerre civile... et pourtant, cela s'est passé, en Russie.

WO

RK

ERS

’ INTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 46: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

46

A-t-on atteint le point où la quantité se fait qualité  ? L'érosion accumulée des traditions ouvrières du parti a-t-elle atteint un niveau où l'influence dominante du capitalisme pèse plus que la pression en baisse des syndicats, où le parti devient de moins en moins un parti ouvrier corrompu par le bureaucratisme mais porté par le souvenir nostalgique du Vieux Labour, et de plus en plus un instrument politique alternatif des classes dirigeantes, auquel les syndicats, pour des raisons historiques, continuent à prêter allégeance à reculons ?

Un nouveau parti des travailleurs ?Un jour où l'autre, cette question se résoudra dans l'action. Soit il y aura un afflux de travailleurs dans les sections du parti travailliste et une résurgence de l'opposition syndicale aux niveaux du congrès et du bureau national, soit il y aura une scission majeure de la part des syndicats et la création d'un parti alternatif. Le plus probable, cependant, est une combinaison des deux : des tentatives, de la part de certains syndicats, pour reconquérir le parti travailliste, tandis que certains groupes de travailleurs tenteront de le remplacer.

Après la défaite du dernier gouvernement travailliste en 1979, il y eut un afflux de travailleurs dans le parti travailliste et un tournant marqué vers la gauche, aboutissant à l'élection historique comme vice-président de Tony Benn, qui passa à un cheveu de la victoire. Un telle issue demeure possible. Mais cet événement se produisit dans un contexte très différent, après une vague massive d'activisme et de lutte ouvrière.

De grands événements se préparent. La classe ouvrière n'aura d'autre choix que de se battre pour défendre ses intérêts, d'abord sur le front du travail, mais ensuite nécessairement sur le

front politique. D'une manière ou d'une autre, elle doit se trouver une représentation. Comment le vide laissé par le Vieux Labour sera-t-il rempli ? D'une manière ou d'une autre, le parti travailliste va se scinder. La base syndicale et les opportunistes petits-bourgeois qui ont fait leur nid dans le groupe parlementaire travailliste ne peuvent plus continuer longtemps leur cohabitation boiteuse. Comment cette scission se produira, quels départs prématurés ou ratés se produiront en cours de route, s'il s'agira d'une séparation claire et nette ou d'une série désordonnées de réalignements... ces questions n'importent pas tant qu'on peut le croire vu de près.

Dans la période de tempête qui s'ouvre, toutes sortes de convulsions politiques se produiront, y compris des ruptures, des révoltes et des scissions. Sans aucun doute, à côté d'une vague d'agitation des masse et de luttes de la part des travailleurs nouvellement éveillés, des chômeurs et des jeunes, il y aura des campagnes et des protestations par les syndicalistes à l'intérieur du parti travailliste. Contrairement à ce qui aurait pu se produire dans le passé, l'issue ne peut plus être une reprise de contrôle du parti et une expulsion pure et simple simplement les carriéristes. Il y aura une confrontation entre les syndicalistes et cette machine très professionnelle de politiciens pro-business, qui n'ont aucune allégeance aux traditions de la classe ouvrière et ne partagent rien avec elle. Il y aura une scission complète dans l'appareil du New Labour, puis peut-être une réunification sous une nouvelle bannière avec ceux qui seraient partis plus tôt pour se réorganiser.

Les vieilles illusions des programmes nationaux partiels et graduels ont perdu beaucoup de leur crédibilité. En Grande-Bretagne, par exemple, avant que les syndicats puissent lancer une campagne crédible de reconquête du parti travailliste ou créer une alternative – c'est-à-dire lancer une lutte pour défendre les intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble – ils doivent d'abord montrer qu'ils sont prêts à conduire

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 47: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

47

les conflits dans le monde du travail au nom de leurs membres. S'ils ne combattent pas directement pour leurs membres sur les piquets de grève, comment pourraient-ils rassembler les volontés politiques nécessaire pour une campagne de reconquête ou de remplacement du parti travailliste ?

Les syndicats agissent sans aucune alternative politique cohérente. Leur confusion apparaît, par exemple, quand le syndicat des chemins de fer, RMT, présente des candidats alternatifs aux élections européennes, sur un programme ouvertement chauvin.

Cependant, l'idée d'un départ collectif des syndicats pour représenter les intérêt du travail, peut-être en partenariat avec des groupes anti-capitalistes menant des campagnes centrées sur tel ou tel sujet, n'est en aucune manière un scénario irréaliste. Un nouveau part i des t ravai l leur s sera inévitablement un large assemblage fédérant divers plateformes, réseaux et collectifs, comme le fut le parti travailliste à sa création, il y a une centaine d'années.

Si certains dirigeants syndicaux annonçaient un nouveau parti des travailleurs, même sous forme d'une séparation temporaire d'avec les syndicalistes demeurant fidèles au parti travailliste, ce devrait être plus qu'un simple épisode. Une telle initiative susciterait immédiatement les espoirs des syndicalistes, des travailleurs du secteur public et des jeunes. Cela marquerait la première rupture du long silence politique imposé aux syndicats. Une rupture publique avec le New Labour par une part importante des militants de la classe ouvrière et un appel aux masses en faveur d'un manifeste appelant à la fin des privatisations, à la re-nationalisation des services de base, à la restauration des aides sociales supprimées, à la restauration des droits syndicaux, à la taxation des riches, etc., apporterait un rayon de lumière dans l'obscurité politique, une bouffée d'air frais dans une atmosphère pesante. Cela changerait l'ambiance en Grande-Bretagne. Evidemment, conquérir la conscience des masses de la classe ouvrière demanderait e n c o r e d e s a n n é e s d ' a c t i v i s m e e t d'expériences difficiles.

En terme d'Histoire longue, un tel parti pourrait remplacer le parti travailliste actuel, comme il pourrait ne pas le remplacer. Il pourrait s'avérer éphémère – comme l'ILP des

années 30 ou, plus récemment, le parti socialiste écossais ou la Refondation communiste en Italie. Ces partis, néanmoins, ont tous joué un rôle positif en attirant dans leurs rangs et vers leurs idées socialistes des jeunes, qui à défaut seraient restés démoralisés et dépolitisés. Un retour de flamme dans un parti travailliste radicalisé pourrait très bien, plus tard, être animé justement par ces mêmes recrues.

Quand l'ILP se sépara du parti travailliste en 1931, ce fut sur des sujets insignifiants, pédantesques, et selon un calendrier désastreux, juste après la scission de l'aile droite avec Ramsay MacDonald. Mais il emmena malgré tout avec lui 100 000 travailleurs et recruta toute une génération de jeunes, qui allèrent pour beaucoup combattre lors de la guerre civile espagnole. Trotsky eu tout à fait raison d'encourager ses camarades de britanniques à rejoindre l'ILP pour contribuer à sa « bolchévisation  ». Ce serait sans aucun doute l'attitude correcte face à un tel nouveau parti aujourd'hui.

Un parti mondialDepuis les révolutions européennes de 1848 jusqu'au lendemain de la grande vague de soulèvements révolutionnaires qui suivit la première guerre mondiale, les tentatives furent constantes pour unifier la classe ouvrière internationale dans un seul parti mondial représentant ses intérêts communs. Au cours de ces sept ou huit décennies, des étapes historiques capitales furent franchies. A l'inverse, l'histoire des 85 dernières années a été handicapée par un facteur : l'absence d'un parti des travailleurs à l'échelle internationale. La classe ouvrière a crû de manière incommensurable et les réserves sociales du c a p i t a l i s m e s e s o n t a m e n u i s é e s inexorablement. Il faut le dire encore, lors des grands conflits sociaux, tous les facteurs objectifs de la révolution existaient, seul manquait le facteur subjectif qui aurait pu rendre conscients ces processus objectifs. Des millions de gens sont morts, des populations entières ont été réduites en esclavage, à cause de l'inexistence d'une Internationale. Des questions comme la vie civilisée, la guerre et la paix et la survie de l'environnement dépendent directement de la création d'un parti révolutionnaire mondial.

SU

PPLE

MEN

T A

MIL

ITAN

T N

°30

12 ju

illet

201

0

Page 48: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

48

La lutte pour construire un parti international des travailleurs remonte quasiment aux débuts du capitalisme. L'histoire de l'Internationale reflète les flux et les reflux de la lutte des classes au cours des 150 dernières années. Alors qu'une poignée de cadres révolutionnaires brandirent la bannière de l'internationalisme, inébranlables à travers les jours les plus sombres de la réaction, les organisations ouvrières de masse gonflèrent et se mirent en mouvement durant les périodes de montée de la lutte de classe, pour aller se briser contre les rochers de la réaction quand leur offensive était vaincue. La création de la Ligue des communistes en 1848, de l'Association Internationale des Travailleurs en 1864, de l'Internationale socialiste en 1889, de l'Internationale communiste en 1919, étaient toutes des expressions organisationnelles des efforts instinctifs des travailleurs en faveur d'une nouvelle société à l'échelle mondiale, comme le montrèrent le plus clairement les événements avec lesquels ces organi sat ions se sont as soc iées historiquement pour l'éternité, comme les révolutions de 1848, la Commune de Paris ou la révolution russe.

Chacun de ces monuments de la lutte de classe devait être annihilé ensuite par la contre-révolution. La Ligue des communistes et l’AIT (Association Internationale des Travailleurs) succombèrent aux défaites objectives de la classe ouvrière, causées par la démoralisation et la répression étatique, après les défaites des révolutions de 1848 et de la Commune de Paris. Les seconde et troisième internationales furent étouffées par les castes parasitaires qui se cristallisèrent au sommet de ces partis ouvriers : bureaucratie travailliste dans les pays impérialistes et nouvelle caste bureaucratique dirigeante dans la Russie stalinienne, respectivement. Elles furent aussi détruites à l'ombre de la contre-révolution, sous la forme de la première

guerre mondiale et de la victoire nazie en Allemagne respectivement.

La Seconde internationale traversa une période dans laquelle ses chefs, Kautsky et Bebel, tout en défendant verbalement le marxisme contre le révisionnisme assumé de Bernstein, poursuivaient dans la pratique des objectifs réformistes à la petite semaine (un phénomène connu sous le nom de «centrisme»). Après ses quatre premiers congrès, l'Internationale communiste traversa de même une pha se de cen t r i sme bureaucratique, oscillant comme ivre entre opportunisme et délires ultra-gauchistes, manquant ainsi de précieuses occasions révolutionnaires. Et dans les deux cas ce centrisme aveugle a fini par se cristalliser dans des politiques de trahison consciente. La social-démocratie franchit le Rubicon en août 1914, quand ses brillantes promesses de 1912 en faveur d'une grève générale européenne pour empêcher la guerre impérialiste imminente furent trahies, et les crédits de guerre votés en faveur de l'empereur allemand et des autres combattants. En ce qui concerne l'Internationale communiste stalinienne, après l'accession d'Hitler au pouvoir en 1933 (une catastrophe qui pourtant ne souleva pas l'ombre d'un débat dans ses rangs), la bureaucratie russe poursuivit une politique consciente de contre-révolution, consolidant son emprise et s'accommodant de l'impérialisme. C'est à ce moment que Trotsky lança son appel pour une nouvelle Internationale.

Le sectarisme dont a souffert le trostkisme trouve ses racines dans la naissance avortée de la quatrième Internationale. La conférence fondatrice de 1938 se tint par anticipation sur le développement d'une Internationale de masse, plus puissante encore que les précédentes. Trotsky avait correctement prévu que la seconde guerre mondiale à venir,

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010 Marx

s’adresse au congrès de l’Association internationale des travailleurs (1864)

Page 49: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

49

comme la précédente, serait suivie d'une nouvelle vague révolutionnaire mondiale, et il prédit qu'elle reléguerait de même vers l'oubli les partis des vieilles Internationales vaincues. En à peu près une décennie, « il ne resterait pas pierre sur pierre  » des décombres des seconde et troisième Internationales, et la quatrième Internationale serait «  la force décisive » sur la planète. Trotsky combattit les sectaires de son temps, et serait effrayé de constater à quel point ils ont déformé son héritage.

Cependant, ce furent les conditions particulières de l'après-seconde guerre m o n d i a l e q u i fi r e n t d é r a i l l e r l e d é v e l o p p e m e n t d e l a q u a t r i è m e Internationale. La stabilisation économique du capitalisme d'une part, la fondation d'un certain nombre d'états ouvriers dénaturés de l 'autre, bloquèrent ce processus. Les cond i t ions é ta i en t réun ie s pour l a consolidation, sur une longue période, du réformisme et du stalinisme. Ces facteurs retardèrent de plusieurs décennies le développement d'une nouvelle Internationale.

L'effondrement de ce qui survivait de la conférence de 1938 fut exacerbé par leur incompréhension de l'ordre mondial d'après-guerre. La désintégration du courant trotskiste en sectes se chamaillant à la marge des mouvements de travailleurs en était la conséquence. Mais même la direction marxiste la plus clairvoyante n'aurait pu résister au tournant objectif des événements.

Le CWI(Comité pour une internationale ouvrière)

L’analyse générale de la situation mondiale qui a été mise en avant à la fin des années 1940 par la tendance qui a constitué plus tard la Militant tendency en Grande Bretagne et le CWI (Committee for a workers’ international) est restée largement valide pour les trois décades suivantes.

Le CWI a été fondé en 1974, première petite étape depuis 1938 vers une nouvelle internationale. A travers des décennies de travail patient, sa section britannique, sous la bannière de Militant, s’est transformée en force conséquente. Elle a fondé un mouvement de jeunes de masse, gagné le contrôle d’une féderation syndicale majeure, obtenu l’élection de trois marxistes au parlement, dirigé une ville entière dans une r é s i s t a n c e p r o l o n g é e c o n t r e u n gouvernement, mobilisé des millions de p e r s o n n e s d a n s u n e c a m p a g n e d e désobéissance civile et fut l’instrument du renversement d’un premier ministre. De plus, à des degrés divers, en Espagne, Grèce, Suède, Irlande, Sri Lanka, Pakistan, Afrique du Sud, Nigeria et ailleurs, les sections du CWI sont devenues des courants significatifs dans la classe ouvrière organisée.

A son apogée, le CWI a commence à s’approcher de quelques unes des functions d’une authentique internationale : comparer les experiences de travailleurs de différents pays, travailler à des programmes et strategies communs, organiser des manifestations internationales et des campagnes de solidarité, mettre en oeuvre une pression internationale pour la l iberation de prisonniers politiques, etc. Plus exactement peut-être, il est devenu une tendance internationale reconnue, comparable à l’aile gauche de la seconde internationale à l’éclatement de la première guerre mondiale, qui sous le choc des évènements objectifs allait bientôt faire irruption sur la scène de l ’h i s to i re en tant qu’Inter nat ionale communiste.

Au milieu des années 1980, le CWI était devenu reconnu colégialement par ses membres comme une internationale. Bien que ce ne fut jamais tout à fait exact, il aurait pu avoir la prétention, étant donné les perspectives, d’un mouvement rapide vers la révolution. Après tout, c’est seulement rétrospectivement que nous pouvons dire que la réunion historique convoquée en 1938 sous le nom de conférence de fondation de la IVe Internationale pour toute sa signification politique cruciale, s’est montrée incapable de remplir son objectif. Compte tenu des tournants objectifs dans les évènements, elle a été condamnée à ne jamais être à la hauteur de sa mission. De la même manière, c’est seulement parce que l’histoire a prouvé que ses per spect ives antér ieures é ta ient

WO

RK

ER

S’IN

TER

NAT

ION

AL

NE

TWO

RK

12

juill

et 2

010

Page 50: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

50

inadéquates en dernière instance que le CWI n’a jamais réussi à réaliser son objectif qui était de devenir une internationale à part entière.

La Militant tendency a joué un rôle crucial dans deux luttes prolongées contre le gouvernement Thatcher : la résistance du conseil municipal de Liverpool aux attaques contre les prérogatives du pouvoir local et la campagne de désobéissance civile de masse contre la poll tax. Ces campagnes ont montré le potentiel qui existait objectivement pour une résistance aux attaques de l’Etat. Cependant, les marxistes étaient toujours en minorité dans le mouvement en tant que tel, et malgré leur conduite exemplaire de ces luttes (qui dans le cas de la poll tax conduit directement à la chute de Thatcher), ils ont été incapables de les pousser plus loin. En particulier, le CWI n’a pas réussi à comprendre la défaite de la grève des mineurs et à en tirer les leçons, clamant qu’il s’agissait d’une nouvelle vague de luttes combatives. Cette erreur a contribué à son déclin.

Ce n’est pas un accident que l’ascension du CWI ait coïncidé avec la désintégration du modèle keynésien et la crise du capitalisme mondial. De la même manière, son effondrement s’est produit quand le

capitalisme a été capable de se ré-établir et, de fait, à remporter des victoires majeures, un processus qui a troublé et désorienté le CWI.

Bien que le CWI n’ait jamais été tout à fait une internationale, son déclin a été occasionné par q u e l q u e c h o s e d e m o i n s i m p o r t a n t q u ’ u n e d é f a i t e classique, comme les défaites du passé qui avaient physiquement anihilé l’avant-garde et largement anéanti la mémoire historique de la classe. La période récente a eu une nature paradoxale, dans laquelle la classe ouvrière, bien que désorientée, n’a pas été violemment défaite comme dans les années 1930. La mémoire des couches les plus actives de la classe ouvrière est vivante. C’est dû à sa puis sance et aux nouveaux rapports de force dans la société.

Au cours des années 1980, les perspectives politiques désormais fossilisées du CWI sont devenues de plus en plus décalées par rapport à la réalité des événements. Une erreur qui persiste pendant trop longtemps devient un dogme. Au début des années 1990 ce décalage a conduit à une scission. La minorité s’est accrochée sans vergogne aux formules périmées du passé. La majorité a raté l’opportunité de mener une ré-évaluation honnête de ses erreurs et échoué dans ses efforts pour faire face aux nouvelles réalités. La loyauté obtenue pendant des décennies a été dissoute par des tentatives d’imposer par des mesures administratives un contrôle qui n’était plus basé sur une autorité politique authentique, avec comme résultat inévitable que le CWI a scissioné et est entré dans un déclin rapide. Les événements ont mis en relief les insuffisances des analyses politiques mondiales de la tendance et pavé la voie pour une crise interne qui s’est vite accélérée.

WO

RK

ER

S’ I

NTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 51: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

51

Contruire l’internationaleC'est à travers des mouvements de base de la classe ouvrière qu'une nouvelle Internationale se construira. Par sa nature même, la classe ouvrière s'efforce instinctivement de parvenir à la solidarité, but implicite contenu dans ses c o n d i t i o n s d ' ex i s t e n c e e t g a r a n t i e indispensable de sa capacité de combat. Dans son expression politique la plus haute, elle se m a n i f e s t e s o u s l a f o r m e d ' u n internationalisme conscient.

La tâche élémentaire des socialistes consiste à insister sur l'intérêt commun de tous les travailleurs, et à lutter contre les ruses insidieuses des démagogues qui cherchent à dresser les travailleurs les uns contre les autres, sur des lignes de clivage corporatistes, nationalistes, racistes au chauvines.

Ces principes n'ont pas changé depuis l'époque – c'était il y a 160 ans - où ils furent exposés dans le Manifeste communiste : «  Les communistes […] n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat. Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points  : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.Pratiquement, les communistes sont donc la partie la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui va toujours de l’avant ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. »

Cette nouvelle Internationale se construira sur la base des luttes communes des organisations de masse, dans tous les lieux où la classe ouvrière est organisée. C'est là une loi historique. L'AIT regroupa tous les partis ouvriers naissants du monde. L'Internationale socialiste fut créée par des partis ouvriers de masse campant fièrement sur les principes de Marx, soutenus par des syndicats de masse. L'Internationale communiste, également – et

contrairement aux malentendus courants – naquit de soulèvements dans les partis ouvriers de masse. Elle comprit dans ses rangs la majorité bolchévique du parti ouvrier social-démocrate russe, la plupart des sociaux-démocrates indépendants qui militaient auparavant dans le parti social-démocrate allemand, le parti socialiste français (qui se rebaptisa rapidement « Parti communiste  »), le parti travailliste norvégien, la majorité du parti socialiste italien, et même des syndicats comme la CGT espagnole et la Fédérations des Mineurs du sud du Pays de Galles.

De même que chacune des précédentes, la nouvelle Internationale se construira sur la base des organisations de masse, qui comptent dans les conditions d'aujourd'hui des millions de membres. Dans les luttes qui s'annoncent, la classe ouvrière réactivera ou recréera de telles organisations. Au début, elles seront inévitablement fondées sur des p ro g r a m m e s p a r t i a u x , i n c o m p l e t s , réformistes. Il sera nécessaire de soutenir ces revendications tout en expliquant patiemment leurs limites. Les tactiques de front unique et d'entrisme seront à nouveau à l'ordre du jour.

Une nouvelle Internationale ouvrière ne naîtra pas toute armée de la cuisse d'une des organisations auto-proclamées «  d'avant-garde  » ; il s'agira plutôt d'un processus complexe, représentant l'interaction et la fusion de plusieurs écoles de pensée à l'intérieur du mouvement ouvrier. N'importe lequel des groupes socialistes existants, s'il prétendrait construire, à lui seul, la future Internationale de masse des ouvriers, manquerait complètement sa cible et n'aurait aucun impact.

En soutenant toute lutte, quelque partielle qu'elle fût, portée par toute partie de la classe ouvrière, le premier devoir des socialistes est de ne faire aucune concession à aucun intérêt particulier, et d'élargir les objectifs immédiats de la lutte aux intérêts généraux de la classe. Les socialistes doivent être les défenseurs les plus résolus des intérêts de la classe. Ils se d i s t i n g u e n t u n i q u e m e n t p a r l e u r compréhension générale de la « marche » - la perspective des événements.

Ceci signifie la pratique d'une méthode de transition – approche largement oubliée par ceux qui ont des prétentions au trotskisme aujourd'hui. Toutes les tendances de gauche

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010

Page 52: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

52

aujourd'hui tendent à répéter des formules vieilles d'un siècle, s'agitant dans leur routine quotidienne en faveur de réformes partielles, tout en faisant une vague propagande autour d'un Socialisme conçu comme un but abstrait et lointain. Ce qui est nécessaire, selon les mots de Trotsky, c'est «  d'aider les masses, dans leurs luttes quotidiennes, à trouver un pont entre les revendications immédiates et le programme socialiste de la révolution ». La classe ouvrière entre en action en s'organisant collectivement. Le piquet de grève est, après tout, une tentative pour appliquer la volonté démocratique de la majorité. C'est un principe fondamental pour n'importe quelle organisation de travailleurs. Les traditions réelles du centralisme démocratique ont longtemps été embrouillées par des facteurs tels que les distorsions introduites par la répression stalinienne (qui a été souvent confondue avec la norme d'un parti révolutionnaire léniniste), l'autoritarisme de certaines sectes pseudo-trotskistes, et l'insuffisance des garde-fous contre la tendance à l'élitisme, à la flagornerie et à l'intrigue qui existe malheureusement dans

n'importe quelle organisation en croissance.

Une Internationale des ouvriers tire sa force de son unité réelle, qui ne peut être assurée que par un r é g i m e i n t e r n e s a i n e m e n t démocratique, fondé non sur les oripeaux constitutionnels formels du centralisme démocratique, mais sur un climat véritablement sain, encourageant un débat ouvert. L ' é m e rg e n c e d e t e n d a n c e s temporaires et de fractions à propos de divers sujets es t inévitable. Ceux qui cherchent à éviter le débat honnête sombrent dans des pratiques tout aussi anti-démocratiques que ceux qui le répriment d'emblée. Ce principe a été le mieux résumé par Trotsky : marcher séparément, frapper ensemble. La discussion libre et ouverte est nécessaire à la vie politique, de même que l'oxygène est nécessaire au corps humain. C'est le corollaire indispensable d'une action unie et efficace.

Il est impossible d'aller de l'avant sans une boussole, et en politique

cela signifie une compréhension des processus à l'oeuvre dans la société. Les Marxistes ne sont pas des devins, et il n'y a rien de magique dans leur méthode. Mais pour aborder des processus complexes, il faut une approche dialectique qui prenne en compte les limites de la logique formelle, ainsi que la valeur de concepts comme la synthèse des opposés, la transition de la quantité à la qualité, le développement par la contradiction et la science des perspectives. Or, la première condition pour une perspective claire, c'est un apport d'information maximal depuis toutes les sources, ainsi que le rectificatif crucial de la discussion libre et ouverte, dans laquelle les idées peuvent être constamment affirmées, contestées, corrigées et abandonnées. Sans ces garde-fous vitaux, même l'autorité la plus éminente peut se révéler faillible, avec des conséquences fatales – ce que l'expérience de la CWI illustre avec éclat. A certaines périodes, il est facile de prévoir le cours des événements ; durant des phases longues de stabilité relative, quand les principales tendances sous-jacentes ont été vérifiées de nombreuses fois. Mais il y a aussi

SU

PP

LEM

EN

T A

MIL

ITA

NT

N°3

0 12

juill

et 2

010

Page 53: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

53

des phases de flux, quand la société passe à travers des eaux inconnues, et le dogmatisme mal placé peut dans de telles circonstances se révéler dangereux. Les deux dernières décennies ont été contradictoires et paradoxales et dans de telles conditions il a été nécessaire de développer une approche des perspectives plus conditionnelle et provisoire que dans le passé. Aujourd'hui, le contour des événements futurs commence à apparaître de manière plus nette. Sans le correctif nécessaire du débat et de la révision permanente, aucune direction politique ne peut éviter longtemps le risque d'erreurs catastrophiques. Une tendance révolutionnaire qui annonce sans cesse l'imminence d'événements capitaux épuisera ses membres. Mais réciproquement, une tendance révolutionnaire qui n'est pas préparée à reconnaître un changement soudain, une accélération dans la conscience des masses, sera dépassée par les événements.

En parallèle avec le dégoût général envers le capitalisme qui est apparu récemment, une soudaine soif d'idées se manifeste. Par les contacts personnels, par les listes de discussions, par les réunions locales, il est de plus en plus facile de convaincre les gens, et en particulier les jeunes, de la pertinence des idées socialistes. Nous pouvons commencer à organiser une tendance cohérente, non pas

avec des prétentions grandioses ou des préjugés sectaires, mais avec l'espoir de réunir les forces de militants individuels et de groupes qui poursuivent sincèrement les mêmes objectifs.

Nous ne demandons pas aux membres des organisations existantes de leur tourner le dos ; au contraire, nous les encourageons à y soulever les sujets qui sont cruciaux pour l'avenir de la classe ouvrière. Les principaux cadres de la future Internationale, toutefois, seront par définition des forces jeunes, vierges des déceptions et les illusions du passé, libres par rapport aux vieilles habitudes et allégeances. C'est pourquoi nous ne nous donnons pas pour tâche principale d'agencer des regroupement de vétérans ou de nouvelles permutations d'échecs passés. Beaucoup des vieux combattants sont las des batailles, fatigués, blasés. Notre tâche primordiale, face aux événements majeurs qui nous attendent, est d'aider une nouvelle génération à apprendre de l'Histoire du mouvement ouvrier, de gagner à ces idées les meilleurs jeunes militants, par les luttes communes et par l'explication patiente.

Les tâches qui incombent aux socialistes d'aujourd'hui ne sont pas celles de 1938 – postuler à la direction légitime d'une classe ouvrière déjà organisée et mobilisée

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12

juill

et 2

010 Notre tâche

primordiale, face aux événements majeurs qui nous attendent, est d'aider une nouvelle génération à apprendre de l'Histoire du mouvement ouvrier, de gagner à ces idées les meilleurs jeunes militants, par les luttes communes et par l'explication patiente

Page 54: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

54

politiquement – mais plutôt de reconstruire un mouvement mondial de la classe ouvrière dans les nouvelles conditions de notre époque. De nouvelles organisations de lutte et de nouveaux engagements politiques sont nécessaires, dans les pays d'anciennes traditions bien sûr, mais surtout dans de nouvelles aires géographiques. L'obstacle principal qui se dresse sur le chemin de la révolution n'est plus la trahison d'une bureaucratie corrompue, c'est le manque de confiance politique de la classe ouvrière elle-même.

A côté des pseudo-révolutionnaires, qui ont pour habitude de briser toute initiative qui leur échappe, ou de flirter dangereusement a v e c l a p o l i t i q u e s e c t a i r e o u communautariste, survivent des fragments des meilleures traditions marxistes du passé, qui constituent toujours des éléments de notre héritage commun, et qui jouent toujours un rôle appréciable en termes d'éducation ou de propagande générale. Le principal obstacle, dans la collaboration avec ces groupes, vient de ce qu'ils s'adaptent difficilement aux nouvelles tâches de l'époque actuelle, distinctes de leurs routines traditionnelles héritées d'une époque ouverte en 1938. Cette erreur les a conduits à une certaine attitude

messianique et à une tendance, malgré d'excellentes intentions, à placer leurs propres intérêts sectaires devant ceux de la classe dans son ensemble.

En leur temps, Marx et Engels durent opposer leurs idées socialistes scientifiques aux faux remèdes d'un certain nombre de charlatans et de vendeurs d'élixirs. Ils eurent à affronter le charlatanisme de Durhing, l'opportunisme de Lassalle, l'aventurisme de Blanqui, la posture confuse de Bakounine, etc. Les mouvements de travailleurs furent souvent mis en péril par la lâcheté, la vanité ou la trahison de ces personnalités, par d'honnêtes erreurs ou même par des crimes personnels... mais par rien de plus sinistre que cela.

Au cours du 20ème siècle, les choses furent très différentes. Pays après pays, la classe ouvrière fut écrasée dans le sang, à cause de la trahison consciente de deux castes sociales – la bureaucratie réformiste de la Seconde Internationale et la bureaucratie stalinienne de la Troisième Internationale – les deux exploitant la confiance de la classe, les deux ayant un intérêt matériel à faire échouer la révolution, et les deux armées jusqu'aux dents avec les ressources illimitées que donnent

WO

RK

ERS

’ INTE

RN

ATIO

NA

L N

ETW

OR

K 1

2 ju

illet

201

0

Page 55: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

55

WO

RK

ERS

’INTE

RN

ATIO

NAL

NET

WO

RK

12

juill

et 2

010

l'argent, les permanents, le patronage, la coercition et un appareil policier répressif monstrueux.

La base historique du stalinisme a disparu, et la base matérielle du réformisme est sévèrement affaiblie. Le type de trahison consciente qui conduisit aux terribles défaites du 20ème siècle ne représente plus la même menace dans l ' époque qu i s ' ouv re actuellement. La tâche qui incombe aujourd'hui aux socialistes est beaucoup plus proche de celle de Marx et d'Engels, au milieu du 19ème siècle, que de celle de Trotsky au milieu du 20ème siècle.

Marx et Engels réussirent brillamment, et presque tous seuls. Quand l'internationale socialiste fut fondée en 1889, elle réunit des partis et des syndicats de masse, en s'appuyant sur le fondement d'idées socialistes claires, scientifiques. Son premier acte fut d'organiser une journée de grève générale à l'échelle mondiale, événement qui remplit de terreur la classe dirigeante. Engels écrivit avec fierté : «  Aujourd'hui, le prolétariat européen et américain passe en revue ses troupes de combat, mobilisées pour la première fois, mobilisées comme une armée, sous un seul drapeau, pour une seul but immédiat... Et ce spectacle va ouvrir les yeux des capitalistes et des propriétaires de tous les pays sur le fait

qu'aujourd'hui les prolétaires de tous les pays sont réellement unis. Si seulement Marx était toujours à mes côtés, pour voir cela de ses propres yeux ! »

Engels ne pouvait pas prévoir les trahisons et les défaites qui devaient se produire. Mais aujourd'hui, les conditions sont véritablement mûres pour la réalisation du but pour lequel des générations de socialistes ont lutté.

Les Internationales du passé ont reflété la composition de la classe ouvrière de leur temps, à chaque étape successive et dans chacun de ses caractères successifs. Dans les conditions actuelles, il semble étrange de rappeler que la première Internationale s'appelait en fait en anglais « Association des hommes travai l leurs  ». La Trois ième Internationale était largement concentrée sur l'Europe et, marginalement, en Asie. L'internationale qui émergera des luttes à venir englobera une classe ouvrière nouvelle et renforcée, comprenant des millions d'hommes et de femmes de tous les continents. Elle constituera le mouvement de masse le plus formidable de l'Histoire. Aucune force sur Terre ne peut lui barrer la route, hormis la destruction pure et simple de la société humaine. Ce sera un privilège que de jouer un rôle dans sa création.

Page 56: Se préparer à la révolution Un document de discussion · 2018-01-06 · 2009 Ce document a été traduit de l’anglais par Raymond Debord, Sanaa Khalil et Robert ... Cette brochure

56

J’adhère à l’association Militant et je verse 20 €

Je m’abonne au bulletin trimestriel Militant et je verse 10 €

Noircir la flêche en fonction de votre choix

NOM............................................................ Prénom.......................................................

Adresse.............................................................................................................................

..........................................................................................................................................

Tél............................................. @.....................................................................................

Retourner le coupon à Militant 18 rue Victor Massé 75009 Paris

Rejoignez le Workers’ international network

SE

PREP

ARER

A L

A R

EVO

LUTI

ON

12 ju

illet

201

0