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ESC 170 ESC 15 F bis Original : anglais Assemblée parlementaire de l’OTAN COMMISSION DE L’ECONOMIE ET DE LA SECURITE SANCTIONNER L’ECONOMIE RUSSE : COUTS ET CONSEQUENCES RAPPORT GENERAL Diego LOPEZ GARRIDO (Espagne) Rapporteur général

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ESC170 ESC 15 F bisOriginal : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION DE L’ECONOMIE ETDE LA SECURITE

SANCTIONNER L’ECONOMIE RUSSE : COUTS ET CONSEQUENCES

RAPPORT GENERAL

Diego LOPEZ GARRIDO (Espagne)Rapporteur général

www.nato-pa.int 10 octobre 2015

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TABLE DES MATIERES

I. INTRODUCTION............................................................................................................1

II. LES SANCTIONS ETATS-UNIENNES..........................................................................2

III. LES SANCTIONS DE L’UNION EUROPEENNE...........................................................4

IV. LE COUT DES SANCTIONS POUR LA RUSSIE ET LES REACTIONS RUSSES........7

V. LA VISION ECONOMIQUE DE VLADIMIR POUTINE : ASPECT POLITIQUE............11

VI. LES AMBITIONS EURASIATIQUES DE VLADIMIR POUTINE : DIMENSION ECONOMIQUE............................................................................................................12

VII. FAIBLESSES ET VULNERABILITES DU MODELE ECONOMIQUE RUSSE.............14

VIII. LE PETROLE ET LE GAZ : ARME OU VULNERABILITE POUR LA RUSSIE ?.........16

IX. OBJECTIF DES SANCTIONS ET EFFICACITE..........................................................18

X. CONCLUSIONS...........................................................................................................19

BIBLIOGRAPHIE.........................................................................................................21

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I. INTRODUCTION

1. Le scénario de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie et du soutien militaire apporté par cette dernière à la rébellion armée dans l’est de l’Ukraine, y compris le déploiement en secret de forces russes sur le théâtre d’opération, est bien connu. Le présent rapport ne se focalisera donc pas directement sur ces événements, mais s’intéressera plutôt à la question des sanctions économiques et au défi économique et diplomatique plus large auquel la Russie est désormais confrontée en raison de cette crise et d’un système économique de plus en plus irrationnel, particulièrement fragilisé par la chute des prix de l’énergie.

2. Dans un premier temps, il n’a guère été facile de parvenir à un accord transatlantique sur la réaction appropriée à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie ; la première série de sanctions semblait plus symbolique qu’efficace au niveau économique. Avec l’extension de la crise à l’est de l’Ukraine et les preuves croissantes de l’envoi secret de troupes et d’équipements par la Russie sur le théâtre d’opération, exactement comme elle avait procédé en Crimée, l‘Europe et l’Amérique du Nord ainsi que plusieurs autres pays clés sont parvenus à une plus grande cohésion en termes d’objectifs. Il est apparu clairement que les ambitions de Vladimir Poutine ne se limitaient pas à la Crimée, sa véritable intention consistant peut-être en la remise en question de l’ordre européen établi. La Crimée elle-même n’avait d’ailleurs jamais constitué le point fondamental. Les efforts de M. Poutine se justifiaient par le sentiment criant que l’Ukraine était sur le point d’ « être perdue » au bénéfice de l’Occident. De son point de vue, le Kremlin ne pouvait baisser les bras si les autorités ukrainiennes refusaient de prendre en compte les intérêts généraux de Moscou dans leur pays – ces intérêts signifiant, comme on le sait à présent, une exclusion des relations commerciales privilégiées avec l’Union européenne (UE) et l’octroi à la Russie d’un statut de gardienne limitant l’autonomie de Kyiv. La vision russe est apparue très clairement dans le projet de texte « Les amis de l’Ukraine » transmis par le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov au secrétaire des Etats-Unis, John Kerry, le 15 mars 2014.

3. Après avoir longtemps nié l’envoi de troupes, la manière dont Moscou a justifié ses actions en Crimée a immédiatement été qualifiée de foncièrement trompeuse par les gouvernements occidentaux. Les autorités russes ont d’abord qualifié le gouvernement d’après Maïdan de produit illégitime d’un coup d’Etat fomenté et même dirigé par l’Occident. Elles ont affirmé que le gouvernement ukrainien ne respectait pas les accords du 21 février 2014 entre M. Ianoukovitch et l’opposition et ce en dépit de la fuite mystérieuse du président destitué dès le lendemain de la signature de ces accords. Le président Poutine a prétendu ensuite que l’intervention représentait, en fait, un acte d’auto-défense, car les Russes de Crimée et la Flotte de la mer Noire étaient menacés d’une attaque armée. De ce point de vue, l’intervention russe devait empêcher une catastrophe humanitaire engendrée par des attaques contre les russophones. Le Kremlin a donc commencé à recourir à l’identité russe en tant que « ressource coercitive » selon les termes d’un expert. (Allison) Nombre d’arguments semblables sont utilisés pour justifier l’ingérence russe dans l’est de l’Ukraine.

4. Du point de vue des pays européens et nord-américains, ce qui s’est passé en Crimée et ce qui se passe dans l’est de l’Ukraine ne représentent, ni plus ni moins, qu’une violation flagrante du droit international. L’article 2(4) de la Charte des Nations unies interdit à des Etats de menacer d’autres Etats de quelque manière que ce soit ou de recourir à la force contre d’autres Etats. Il existe trois exceptions reconnues à cette règle : lorsque le Conseil de sécurité autorise une intervention aux termes du Chapitre VII ; lorsqu’un Etat, au sens territorial, consent à une telle intervention ; lorsque l’Etat utilisant la force agit en légitime défense. Les responsables russes ont, de manière absurde, invoqué la légitime défense pour justifier leur décision d’envoyer des troupes en Crimée. Il est important de noter en la matière que la Russie avait auparavant fourni des passeports à 143 000 Ukrainiens, ce qui lui permettait d’invoquer plus facilement un nombre considérable de « citoyens russes » susceptibles d’être menacés. Ici aussi toutefois, il n’existe aucune preuve crédible que des Russes ethniques ou des citoyens russes aient subi une

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quelconque menace en Crimée. Les gouvernements occidentaux considèrent donc tout simplement cet argument comme un prétexte destiné à conférer une position défensive à l’action offensive de la Russie. Les analystes militaires sont d’avis que l’occupation de la Crimée était planifiée depuis des années (Allison). Il convient également de noter que, depuis l’invasion de la Crimée par la Russie, la communauté tatare et d’autres opposants à l’agression russe font l’objet d’un harcèlement soutenu, d’arrestations sommaires et de disparitions.

5. Face à cette violation illégale et injustifiée de la souveraineté ukrainienne, l’UE, lesEtats-Unis et le Canada, tout comme l’Australie, le Japon et la Norvège ont imposé une série de sanctions économiques à la Russie, afin d’exprimer leur opposition à ses actions, pour signaler qu’il y aura un prix à payer pour son attitude et pour faire pression sur le Kremlin pour qu’il s’assoie à la table de négociation afin de régler la question. Dans les grandes lignes, ces sanctions, qui s’accroissent au fil du temps, incluent les éléments suivants : interdiction de déplacements à des personnalités russes et gel de leurs avoirs ; interdiction des transactions avec des banques et des entreprises actives en Crimée ; restriction de l’accès aux capitaux occidentaux pour des banques et entreprises publiques russes ciblées ; gel des avoirs des entreprises publiques de technologie de défense ; et restrictions sur les ventes d’armes et les exportations de technologies duales et d’extraction énergétique.

II. LES SANCTIONS ETATS-UNIENNES

6. En 2009, l’administration Obama avait annoncé son intention de « réinitialiser » les relations avec la Russie et, dans un premier temps, il semblait que de grands progrès étaient réalisés dans cette direction. Le président Medvedev a ainsi accepté un nouveau Traité START, imposé des sanctions à l’Iran dans le cadre d’un effort conjoint pour faire pression sur ce pays afin qu’il renonce à son programme d’armement nucléaire et développé les routes d’acheminement d’équipements et de ravitaillement américains destinés à l’Afghanistan. Les Etats-Unis ont pour leur part accepté de soutenir la candidature de la Russie à l’OMC et les deux gouvernements ont créé une Commission présidentielle bilatérale pour coopérer sur un éventail d’autres questions d’intérêt mutuel, telles l’énergie nucléaire, la lutte contre le terrorisme et l’établissement d’un régime plus libéral de visas.

7. Le retour de M. Poutine à la présidence a cependant coïncidé avec une nette dégradation des relations bilatérales bien avant la crise de Crimée. Poutine a réadopté un discours politique systématiquement anti-américain et anti-occidental, remis en question le droit de pays tels que l’Ukraine et la Géorgie à librement établir des relations diplomatiques, économiques et sécuritaires avec les pays occidentaux, et a pris certaines mesures comme l’occupation de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud en Géorgie visant à freiner toute velléité de distanciation avec Moscou. Il a ouvertement eu recours à l’influence de la Russie sur les marchés énergétiques européens à des fins politiques, et ce faisant, a suscité des craintes dans toute l’Europe quant à sa forte dépendance pour son approvisionnement en gaz russe. La Russie a resserré ses liens avec la Syrie et bloqué une série d’efforts internationaux visant à faire pression sur le régime de Bachar el-Assad pour qu’il parvienne à s’accorder avec ses opposants intérieurs (Zargham). En Russie même, M. Poutine semble décidé à édifier un modèle politico-économique autoritaire, rejetant expressément les préceptes démocratiques libéraux occidentaux, qualifiés de faibles et d’inappropriés, au profit des traditions conservatrices russes. La campagne acrimonieuse des autorités contre des groupes déjà marginalisés tels que la communauté des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres (LGBT) a été lancée, en partie comme l’expression de la vertu russe face à la décadence occidentale. L’agitprop de style soviétique est redevenu à la mode, alors que les autorités limitent de plus en plus la liberté des medias et organisent un déferlement de propagande, qui mêle intelligemment les faits à des affabulations politiquement opportunes. Les sanctions ne représentent toutefois pas une conséquence de ces tendances.

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8. En réaction à l’annexion illégale de la Crimée, les Etats-Unis ont adopté leurs premières sanctions en mars 2014. Les décrets promulgués à ce moment ont restreint les déplacements de certains individus et responsables directement impliqués dans les événements de Crimée. Parallèlement à l’aggravation progressive du conflit, les Etats-Unis ont régulièrement renforcé leurs pénalités diplomatiques et financières. Le 28 avril 2014, le gouvernement des Etats-Unis a imposé une interdiction des transactions commerciales sur leur territoire à sept responsables et 17 entreprises russes. Puis, en réaction à l’escalade du conflit dans le Donbass, le 17 juillet 2014, ils ont étendu cette interdiction à deux grandes compagnies énergétiques russes, Rosneft et Novatek, et à deux grandes banques contrôlées par l’Etat, Gazprombank et Vnesheconombank (VEB). VEB est une banque publique qui soutient toute une série de projets économiques critiques en Russie et à l’étranger. Gazprombank est le bras financier de Gazprom, le géant de l’énergie géré par l’Etat. Il s’agit là de deux des plus importants organismes de crédit russes. Le décret de l’Administration interdit à des institutions et citoyens des Etats-Unis d’accorder un financement à ces deux banques, ce qui limite considérablement l’accès de celles-ci aux marchés des capitaux.

9. Le 11 septembre 2014, le président Obama a annoncé que les Etats-Unis se joindraient à l’UE pour imposer des sanctions plus sévères encore aux secteurs financier, énergétique et de défense russes. Washington a ainsi imposé des sanctions à Sberbank, la plus importante banque russe en termes d’actifs, et à Rostec, un conglomérat russe actif dans les secteurs de l’armement, de l’automobile et des métaux. Ces sanctions impliquent un accès très limité de Sberbank et Rostec aux marchés obligataires états-uniens. Washington a également sanctionné les plus importantes compagnies énergétiques russes : Gazprom, Gazprom Neft, Lukoil, Surgutneftegas et Rosneft, limitant ainsi drastiquement la coopération des Etats-Unis avec les entreprises énergétiques russes. Ces nouvelles restrictions ont eu des répercussions immédiates pour des compagnies telles qu’Exxon Mobil Corporation et BP Plc., et qui traitent régulièrement avec le secteur énergétique russe. Le fabricant d’armes Kalashnikov Concern figure également parmi les 13 entreprises du secteur de la défense figurant sur la liste des sanctions. Les Etats-Unis refusent désormais à ces entreprises tout accès à des technologies à double usage.

10. Le 19 décembre 2014, l’Administration des Etats-Unis a imposé des sanctions à la Crimée sous occupation russe. Les Etats-Unis ne permettent désormais plus les exportations de biens et de services - y compris celles d’équipements à double usage - vers cette région et interdisent aux banques publiques russes de souscrire des prêts à long terme aux Etats-Unis. Le décret interdit  : tout nouvel investissement en Crimée par des citoyens états-uniens; les importations, exportations et réexportations directes et indirectes vers et depuis les Etats-Unis de tout bien, service ou technologie impliquant la Crimée ; tout financement, approbation, facilitation ou garantie par un citoyen des Etats-Unis d’une transaction effectuée par une personne étrangère qui serait interdit s’il était effectué par un citoyen états-unien, ce qui étend considérablement la portée des sanctions. Les Etats-Unis ont suspendu le financement du crédit des exportations vers la Russie et tout projet de développement économique en Russie. Les sanctions interdisent en outre la fourniture, l’exportation ou la réexportation de biens, services ou technologies utiles à la prospection ou à la production pour des projets en haute mer, au large de l’Arctique ou associés au schiste qui permettraient la production de pétrole en Fédération de Russie ou dans toute zone maritime revendiquée par celle-ci dans le prolongement de son territoire.

11. Ces mesures, adoptées en étroite coordination avec l’Union européenne et d’autres partenaires internationaux, envoient un message de plus en plus net aux autorités russes, leur signifiant clairement qu’aucune poursuite normale des affaires ne peut être envisagée aussi longtemps que la Russie continuera à saper la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Tant les Etats-Unis que l’UE ont signalé leur volonté d’imposer de nouveaux coûts politiques et économiques si la Russie ne respecte pas ses obligations internationales, tout en demeurant très ouverts à des discussions avec des responsables russes sur ces questions. Les responsables

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américains et européens soulignent d’ailleurs la nécessité de laisser la porte ouverte pour permettre de trouver une solution à cette crise.

III. LES SANCTIONS DE L’UNION EUROPEENNE

12. En réaction à l’annexion de la Crimée et aux tentatives manifestes de déstabilisation de l’Ukraine par le biais du soutien apporté aux éléments séparatistes dans l’est de ce pays, l’UE impose également une série de restrictions économiques de plus en plus sévères à ses relations financières et commerciales avec la Fédération de Russie. L’objectif central de l’UE consiste à parvenir à une désescalade de la crise ukrainienne ; l’UE appelle toutes les parties à entamer un dialogue sans exclusive et approfondi pour trouver une solution durable à la crise. Elle défend fermement la notion de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et une perspective démocratique et prospère pour ses citoyens. C’est dans ce contexte qu’elle propose une série de projets soutenant les réformes politiques et économiques de Kyiv, dont le resserrement des liens de partenariat. 13. Le 3 mars 2014, lors d’une réunion du Conseil de l’Union européenne, les Etats membres ont condamné la violation par la Russie de l’intégrité territoriale ukrainienne et l’autorisation accordée le 1er mars par le Conseil de la Fédération de recourir à la force. L’UE a appelé la Russie à retirer ses troupes de Crimée et à adhérer à l’Accord de 1997 sur le statut et les conditions de déploiement de la Flotte russe de la mer Noire. Elle a en outre suspendu ses pourparlers bilatéraux avec la Russie sur la question des visas ainsi que sur le projet d’accord entre l’UE et la Russie. Faute de désescalade de cette dernière, le Conseil de l’UE a indiqué qu’il adopterait une deuxième série de mesures, avec des conséquences graves pour les relations bilatérales.

14. En conséquence, et au vu de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie le 17 mars 2014, l’UE a imposé l’interdiction d’accès à son territoire et le gel des avoirs d’un certain nombre de responsables russes et ukrainiens. Elle a également soutenu la décision de ne pas tenir un sommet du G8 à Sotchi début juin et a suspendu les négociations sur l’adhésion de la Russie à l’OCDE et à l’Agence internationale de l’énergie. Elle a annulé tous les sommets bilatéraux réguliers et a commencé à réévaluer toute une série de programmes de coopération régionale bilatérale dont beaucoup ont été suspendus depuis lors. En outre, 132 personnes et 28 entités ont été soumises à un gel de leurs avoirs dans l’UE, 126 personnes et 15 de ces entités étant jugées responsables d’actes sapant l’intégrité territoriale ukrainienne. L’UE a cité six personnes fournissant un soutien ou agissant au bénéfice de décideurs russes et a identifié 13 entités en Crimée et à Sébastopol comme étant des propriétés confisquées ou ayant fait l’objet d’un transfert illégal de propriété aux termes du droit ukrainien.

15. L’UE a également interdit toutes les importations en provenance de Crimée et de Sébastopol, à moins qu’elles ne soient accompagnées d’un certificat d’origine ukrainien. Elle a proscrit les investissements en Crimée et à Sébastopol, de même que l’achat de propriétés foncières dans ces régions. Aucune entreprise européenne ne peut offrir de services touristiques en Crimée et à Sébastopol et les navires de croisière ne peuvent y faire escale. L’UE interdit désormais l’exportation d’une série de produits liés au transport, aux télécommunications et à l’énergie vers ces régions, ainsi que toute fourniture de services techniques, de courtage, de construction ou d’ingénierie. Le coût de l’intégration de la Crimée à la Russie est extraordinairement élevé et l’Etat russe représente désormais 80% de son PIB. Le président Poutine a déclaré que la Crimée devra s’autofinancer d’ici à 2020, mais elle ne se dirige certainement pas dans cette voie. Les revenus du tourisme, par exemple, ont chuté de 45% en 2014, en dépit d’un élan nationaliste encourageant les Russes à y passer leurs vacances. A l’instar du Donbass, la Crimée est donc devenue un énorme boulet financier pour l’Etat russe. Si Vladimir Poutine semble déterminé à faire de la Crimée une partie de la Russie, il ne veut

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probablement une présence russe dans le Donbass que pour pouvoir intervenir dans la politique ukrainienne, bien que certains analystes craignent qu’il lorgne sur les industries militaires de l’est de l’Ukraine, qui fournissent depuis longtemps à la Russie des radars, des moteurs de fusée et d’hélicoptères, des missiles antibalistiques, des navires militaires et des avions de transport (Aslund).

16. Les citoyens et les entreprises de l’UE ne peuvent acheter, vendre ou faire le courtage d’obligations, d’actions ou d’autres instruments financiers dont l’échéance dépasse 30 jours émis par cinq grandes banques d’Etat russes, trois grandes compagnies énergétiques russes et trois grandes entreprises russes actives dans le secteur de la défense, ainsi que par leurs filiales ou par ceux qui agissent en leur nom. Qui plus est, les citoyens et les entreprises de l’UE ne peuvent consentir des prêts à ces banques.

17. L’UE a imposé un embargo sur l’importation et l’exportation d’armes et matériels connexes de ou vers la Russie, une mesure qui couvre toute la liste commune de l’UE des équipements militaires. Elle a interdit l’exportation des articles et technologies à double usage ayant des applications militaires pour la Russie. Ces articles figurent sur la liste états-unienne des produits à double usage. Les exportations de tels articles à neuf entreprises à activités mixtes liées à la défense sont désormais interdites. Après un débat soutenu en France, le gouvernement a suspendu la livraison de deux navires de guerre Mistral que la Russie avait commandés et cela bien qu’un acompte de 1,6 milliard de dollars ait déjà été versé.

18. Les exportations vers la Russie de certains équipements et technologies liés à l’énergie sont désormais conditionnées à une autorisation préalable des Etats membres et les licences d’exportation doivent être refusées si elles sont destinées à la prospection et à la production pétrolière en haute mer ou au large de l’Arctique et à des projets d’exploitation de schistes bitumineux en Russie.

19. L’UE a pris d’autres mesures restreignant la coopération économique. Le 16 juillet 2014, le Conseil européen a demandé à la Banque européenne d’investissement (BEI) de suspendre l’approbation de nouvelles opérations de financement en Russie. Les Etats membres de l’UE ont également convenu de coordonner leurs positions sur les relations avec la Russie au sein du Conseil d’administration de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD), en vue d’y suspendre toute nouvelle opération. L’UE réévaluera l’ensemble de ses programmes de coopération avec la Russie, dont les initiatives bilatérales et régionales, et décidera de leur statut au cas par cas. Le Conseil a néanmoins décidé de poursuivre la coopération pour une série de programmes destinés à la société civile.

20. Au moment de la rédaction du présent rapport, les Etats-Unis et l’UE examinent tout un éventail de nouvelles sanctions à mettre en œuvre si la Russie poursuit son intervention militaire dans l’est de l’Ukraine en violation des accords de Minsk. La reprise des tirs d’artillerie par les séparatistes près de Mariinka et de Marioupol en violation directe des accords de Minsk a placé la question des sanctions contre la Russie au centre des discussions des réunions du G-7 en Bavière en juin 2015. S’adressant aux autres chefs d’Etat, le président Obama s’est interrogé : « Continue-t-il à ruiner l’économie de son pays et à maintenir l’isolement de la Russie pour satisfaire son désir insensé de restaurer la gloire de l’empire soviétique ? Ou est-il conscient que la grandeur de la Russie ne repose pas sur la violation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté d’autres pays ? » La chancelière allemande Angela Merkel a ajouté : Nous sommes « prêts, en cas d’aggravation de la situation – ce que nous ne souhaitons pas – à renforcer les sanctions si les événements l’exigent, mais nous pensons que nous devons tout faire pour que le processus politique de Minsk progresse. » (Conolly)

21. Parmi les mesures qui pourraient être prises figurent l’ajout de nouveaux noms de personnes et d’entités sujettes aux sanctions à la liste actuelle et des mesures plus rigoureuses

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pour pénaliser les secteurs financier, énergétique et de défense russes. Aux Etats-Unis et en Europe, certains réclament l’interdiction de l’accès des banques russes au système SWIFT de transferts bancaires. Une mesure similaire a, par exemple, eu une sérieuse incidence sur le secteur bancaire iranien et peut avoir contribué à amener Téhéran à la table des négociations. Certains responsables russes considèrent que l’application d’une telle interdiction serait un acte de guerre économique. La Banque centrale russe offre désormais un nouveau service aux institutions de crédit pour les transferts financiers intérieurs afin de les préparer à une éventuelle future restriction d’accès au système SWIFT. (Pravda, 27/12/14) En tout état de cause, les pays occidentaux suivent de près la situation dans l’est de l’Ukraine et se montrent très sceptiques quant aux affirmations de Moscou suivant lesquelles aucune force russe ne participe aux combats. L’arsenal des séparatistes comprend des équipements russes récemment acquis, tels des chars T-72 très perfectionnés à blindage réactif, des systèmes de transmissions chiffrées et des drones, un arsenal qui dément les affirmations russes suivant lesquelles les forces séparatistes n’utilisent que des équipements pris à l’armée ukrainienne.

22. Il existe également des preuves manifestes que des unités militaires russes sont déployées sans insigne dans l’est de l’Ukraine. Les gouvernements occidentaux devront juger si et à quel moment la Russie a de nouveau franchi un seuil justifiant l’adoption d’une nouvelle aggravation des sanctions et d’autres mesures à déterminer. Au moment de la rédaction du présent rapport, la situation semble s’être calmée, bien que le général Philip Breedlove, commandant suprême des Forces alliées en Europe, s’inquiète de signes indiquant la mise en place par la Russie d’un système efficace d’approvisionnement destiné à renforcer sa capacité à mener des opérations militaires au sein de l’Ukraine.

23. Les discussions du G-7 se sont déroulées juste avant l’examen par les chefs de gouvernement européens d’un renouvellement des sanctions déjà en place. Les sanctions européennes sont arrivées à expiration le 31 juillet, à moins que les gouvernements membres n’aient décidé de les prolonger. Vladimir Poutine cherche à semer la dissension dans les rangs européens et s’est récemment rendu en Italie afin d’identifier une éventuelle divergence de Rome avec les autres capitales européennes sur la question. Lors d’une conférence de presse en Italie, le président Poutine a fait remarquer que les sanctions coûtent aux firmes de défense italiennes un milliard d’euros en pertes de revenus (Rettman, 2015). Le premier ministre italien, Matteo Renzi, n’a toutefois jamais parlé de l’éventualité pour l’Italie de ne pas renouveler ces sanctions et l’Europe apparaît unie sur ce dossier. Le Parlement européen a récemment adopté une résolution demandant aux gouvernements de l’UE de soutenir le régime actuel et de mettre un terme au partenariat stratégique avec la Russie (European Parliament News).

24. En dépit du régime actuel de sanctions, un certain nombre d’entreprises continuent à faire des affaires en Russie. Les plus importantes compagnies énergétiques européennes se sont ajustées au régime actuel de sanctions et cherchent des échappatoires légales pour se positionner en vue de futures possibilités. BP négocie pour acquérir une part de 10% dans les gisements pétrolifères sibériens détenus pas Rosneft, tandis que l’ENI et Statoil collaborent avec cette compagnie publique russe dans le cadre de coentreprises. Shell poursuit sa collaboration avec Gazprom Neft dans le cadre d’une coentreprise et demande l’approbation du gouvernement néerlandais pour d’autres projets. Les compagnies énergétiques européennes ont reçu l’autorisation de transférer certains services et technologies vers des coentreprises russes, mais le financement est examiné au cas par cas. Ces activités suscitent certaines tensions entre l’Europe et les Etats-Unis. Les compagnies états-uniennes considèrent en particulier que les Européens bénéficient d’un avantage déloyal sur le marché russe en raison du régime de sanctions plus strict imposé par Washington (Farchy).

25. L’environnement commercial en Russie est certainement plus risqué et légalement complexe, mais – comme un observateur le fait remarquer – « des moyens légaux, semi légaux et illégaux » sont utilisés pour contourner certaines restrictions. Le détournement d’exportations

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vers la Russie via des pays tiers tels que le Brésil représente un moyen d’esquiver les restrictions. Des usines délocalisées dans des pays tels que la Chine et l’Inde aident certaines entreprises à contourner les interdictions à l’exportation de technologies à double usage. Des entreprises russes éludent, elles aussi, les restrictions en ayant recours à des firmes ne figurant pas sur la liste des entités sanctionnées pour importer des marchandises en leur nom. Le problème est que les entreprises occidentales qui pratiquent ce type de commerce peuvent violer les sanctions en toute illégalité. L’ignorance n’est pas une excuse et l’ignorance délibérée constitue manifestement un délit (Hille, Frachy, Weaver).IV. LE COUT DES SANCTIONS POUR LA RUSSIE ET LES REACTIONS RUSSES

26. Certains signes indiquent que M. Poutine a présumé de ses chances de réussite et se retrouve désormais confronté à un grave dilemme économique et stratégique. Son déploiement d’armes et de troupes dans l’est de l’Ukraine a pour résultat un nouveau conflit gelé dans l’arrière-cour de la Russie. Du point de vue de M. Poutine, cela garantit à la Russie de continuer à exercer une influence sur l’avenir de l’Ukraine et, en conséquence, renforce le poids politique de la Russie dans l’ensemble de l’Europe. On pourrait toutefois y opposer que l’opportunisme de Vladimir Poutine se retourne contre lui. Ce dernier n’est pas parvenu à freiner les ambitions européennes de l’Ukraine et en parallèle, il a réussi à isoler la Russie de l’Europe, au lieu de renforcer son influence. En fait, l’Ukraine est désormais beaucoup plus unie dans son désir de lier son économie à celle de l’Occident, tandis que d’autres pays membres de la Communauté des Etats indépendants (CEI) montrent des signes d’inquiétude profonde face aux ambitions et a l’absence de fiabilité de la Russie. La question est de savoir si cette inquiétude entraînera une résistance aux ambitions russes ou une acceptation résignée. M. Poutine compte sur cette dernière attitude. Beaucoup dépend de la manière dont les pays occidentaux vont réagir.

27. De nombreuses sanctions contre la Russie ciblaient initialement une élite étroitement associée à l’annexion illégale de la Crimée et à l’activité militaire dans l’est de l’Ukraine, mais celles qui ont suivi ont des conséquences bien plus lourdes. La principale d’entre elles réside peut-être dans les restrictions de prêts à toute une série de banques russes, qui n’ont fait qu’exacerber le coût croissant du capital en Russie et aggrave un peu plus des conditions financières déjà difficiles dans le pays. Les autorités russes injectent désormais des capitaux dans les banques vulnérables, ce qui coûte très cher à l’Etat russe.

28. Cependant, le principal coût supporté par la Russie est peut-être le coup porté à son attractivité pour le monde des affaires. Cette attractivité était déjà loin d’être brillante à l’origine, en raison de la fragilité de l’état de droit, d’une corruption endémique, de réglementations confuses, d’une gouvernance d’entreprise opaque et souvent corrompue, d’un secteur énergétique dominé par les pots-de-vin, d’un système de fixation de prix oligopolistique et monopolistique, d’un processus décisionnel politisé, d’une application arbitraire du droit, d’un éventail de barrières commerciales et de la tendance de l’Etat à s’emparer des avoirs de ceux qui ne sont pas en phase avec M. Poutine ou concurrencent simplement des oligarques privilégiés. Un livre récent de Karen Dawisha révèle que les réglementations ambiguës et contradictoires ne sont pas le fruit du hasard, mais bien un élément fondamental du système politique du maître du Kremlin. En Russie, aucune entreprise ne peut fonctionner sans violer certaines réglementations et tous les entrepreneurs sont donc à la merci de poursuites si le Kremlin et les responsables de l’Etat en décident ainsi. Un tel système peut contribuer à concentrer le pouvoir politique, mais s’avère désastreux en matière de gestion d’une économie (Dawisha). De mauvaises conditions de gouvernance faisaient donc déjà peser un lourd tribut sur l’économie russe avant la crise ukrainienne, même si des prix énergétiques élevés en dissimulaient les dommages. L’incapacité à promouvoir le respect de l’état de droit, la justice commerciale et une économie véritablement ouverte et concurrentielle ne fait toutefois qu’aggraver les conséquences de la chute des prix de l’énergie.

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29. Les investissements dans des secteurs non énergétiques fortement inefficients ont toujours été extraordinairement modestes et les hommes d’affaires russes ont tendance à transférer leurs capitaux en lieu sûr à l’étranger plutôt que d’investir dans une économie russe incertaine et mal réglementée. Les sorties nettes de capitaux ont atteint 72,9 milliards de dollars au quatrième trimestre 2014, pour totaliser 151 milliards de dollars sur l’année, soit environ 10% du PIB, d’après la Banque centrale de Russie. La Banque mondiale estime pour sa part que les sorties de capitaux atteindront 105 milliards de dollars en 2015, tandis que Fitch Ratings, qui a révisé à la baisse la situation de la Russie et lui a attribué sa plus faible côte en matière d’investissements, prévoit des fuites de capitaux à hauteur de 130 milliards de dollars. Ces fuites représentent un problème à long terme et reflètent l’absence manifeste de possibilités d’investissement dans une Russie dominée par un « capitalisme de copinage » (Hanson). Un niveau d’investissement nettement plus élevé est nécessaire pour contrebalancer la chute rapide du nombre de jeunes arrivant sur le marché du travail et la nécessité pour la Russie d’améliorer sa productivité. A la suite des sanctions, les entreprises russes éprouvent des difficultés à renouveler ou à refinancer leurs dettes en raison des sanctions, nombre d’entre elles transfèrent de l’argent à l’étranger. Cela entraîne une diminution de la valeur du rouble et a tendance à déstabiliser davantage le système financier dans son ensemble. La fuite des capitaux rend l’économie russe plus tributaire encore du secteur énergétique, alors que les prix de l’énergie sont très bas.

30. Lorsque les prix énergétiques étaient élevés, l’Etat russe et les oligarques privilégiés étaient en mesure de récolter d’énormes bénéfices, en partie consacrés à garantir la consommation, les retraites, les salaires des fonctionnaires et l’aide sociale. Ces largesses ont contribué à une considérable augmentation du niveau de vie depuis dix ans et sont l’une des sources principales de la popularité de Vladimir Poutine. Les revenus pétroliers et gaziers ont également financé la modernisation de l’armée et des projets tels que les Jeux olympiques de Sotchi, qui, selon les estimations, ont coûté 50 milliards de dollars à la Russie. La part du secteur énergétique dans les recettes budgétaires est passée de 9,3 % en 2000 à 50 % en 2012, année au cours de laquelle ce secteur a représenté 30 % du PIB et 68,7 % des exportations de la Russie (Bradshaw). Le gouvernement a basé le calcul de son budget fédéral 2014 sur un prix de 93 dollars le baril de pétrole et de 95 dollars le baril pour 2015 (Nardelli, et.al.). Alors que la Russie dispose de réserves substantielles pour compenser le manque à gagner à court et moyen terme, des réductions budgétaires sont néanmoins inévitables, car le prix du pétrole devrait demeurer peu élevé à moyen terme.

31. Le ralentissement économique actuel en Russie a peut-être déjà connu ses pires moments, mais de graves questions se posent quant à savoir si l’économie est suffisamment robuste pour supporter l’accroissement des dépenses de défense. Si tel n’est pas le cas, il est raisonnable de penser que ces dépenses deviendront une source de tensions au sein de la société russe, alors que les dépenses militaires et la guerre en Ukraine commencent à peser lourdement sur d’autres postes budgétaires. Lorsque l’augmentation des dépenses de défense a dépassé le seuil des 3% en 2011, une certain nombre d’économistes et de financiers russes ont averti que le pays ne pouvait se permettre de se lancer dans des dépenses militaires effrénées. Alexeï Koudrine, le ministre des Finances de l’époque, a interpellé le président Dimitri Medvedev à ce sujet et a fini par perdre son poste. Koudrine faisait alors valoir que la Russie ne pouvait se permettre de telles dépenses massives, en dépit de la manne apportée par un prix du pétrole très élevé et d’une croissance rapide (Gouriev). La capacité de la Russie à s’adresser aux marchés mondiaux du crédit pour financer son déficit budgétaire est désormais sérieusement limitée en raison des sanctions occidentales et elle devra donc continuer à puiser dans son Fonds de réserve pour soutenir ce niveau de dépenses. Ce Fonds atteint actuellement 6% du PIB, tandis que le déficit budgétaire devrait atteindre 3,7% cette année. Cela permet de penser que, dans deux ans, les problèmes budgétaires de la Russie seront particulièrement graves si les prix de l’énergie ne remontent pas et que les sanctions occidentales sont maintenues. Qui plus est, si la Russie continue à allouer 9% de son PIB aux dépenses de défense et 16,5% aux autres dépenses,

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comme elle l’a fait au premier trimestre de 2015, elle épuisera son Fonds de réserve d’ici à la fin de l’année. Ses autres réserves financières, telles que ses avoirs nationaux en or, sont nettement moins mobilisables, tandis que l’accès par Moscou aux marchés internationaux des capitaux est désormais très limité, notamment parce qu’une grande partie de l’activité bancaire transite par les Etats-Unis et que ceux-ci imposent des sanctions financières très dures à la Russie (Aslund).

32. Les dirigeants russes ont tendance à adopter une vision très mercantiliste des relations commerciales. La plupart des économistes feront remarquer qu’une substantielle réduction des échanges commerciaux avec l’étranger a tendance à être paupérisante, car ces échanges génèrent différentes sortes de rendements au niveau national, permettent à un pays de focaliser ses investissements sur les secteurs dans lesquels il bénéficie d’avantages comparatifs potentiels et étoffent la gamme de biens à la consommation disponibles, tout en modérant les prix. Vladimir Poutine s’est toutefois empressé d’adopter le modèle de développement par substitution des importations et a même accueilli favorablement la réduction des échanges commerciaux avec les pays occidentaux en la présentant comme une occasion de développement pour les industries nationales. Cette logique est difficilement conciliable avec les théories économiques contemporaines sur le lien étroit entre échanges commerciaux et développement dynamique et peut être vue comme un maquillage de situation désastreuse.

33. L’agression de la Russie contre l’Ukraine et la dégradation constante de sa gouvernance intérieure lui ont totalement aliéné plusieurs partenaires commerciaux essentiels. Lorsque les Etats-Unis et l’UE ont imposé des sanctions à Moscou en juillet 2014, moins de trois pour cent des exportations de l’UE étaient destinées à la Russie. L’UE s’adjugeait toutefois plus de 45 % des exportations de cette dernière (Humphreys, 2014). L’UE est le plus important partenaire commercial de la Russie, tandis que celle-ci n’est que le troisième de l’Europe. En 2013, les échanges commerciaux UE-Russie atteignaient plus de 326 milliards d’euros, soit environ le PIB de l’Autriche ou du Danemark (Giumelli, 2014). Si, à première vue, ces chiffres permettent de penser que des représailles russes pourraient nuire aux membres de l’Union, la différence d’échelle entre les économies de l’UE, des Etats-Unis et de la Russie est très importante. Au moment de l’imposition des sanctions, les exportations vers la Russie ne représentaient que huit dixièmes de 1% du PIB européen et un dixième seulement de 1% du PIB des Etats-Unis. En comparaison, les exportations russes vers l’Union européenne et les Etats-Unis totalisaient 13% du PIB de Moscou. Qui plus est, l’économie russe dépend fortement du pétrole et de l’industrie extractive, alors que les économies européenne et américaine sont considérablement plus diversifiées et résilientes (The Moscow Times, 2014).

34. L’Allemagne est peut-être le plus important partenaire commercial occidental de Moscou et représente le plus important marché pour les exportations russes, après la Chine et les Pays-Bas. D’après les estimations, 6 000 entreprises allemandes étaient établies en Russie, mais certaines ont commencé à réduire ou à modifier leurs activités. C’est ainsi, par exemple, que le géant de la chimie BASF a annulé un projet d’accord avec Gazprom portant sur l’extraction et la distribution de gaz naturel, qu’Opel a licencié des travailleurs de son usine de Saint-Pétersbourg et que Volkswagen a fermé une usine d’automobiles à Kaluga. La Chambre de commerce russo-allemande estime qu’au moins un tiers des entreprises allemandes ayant des activités en Russie est susceptible d’y annuler des projets d’investissement en 2015 (The Local.de, 2015). Selon un expert, le secteur automobile allemand s’attend à une baisse des ventes sur le marché russe de 15 milliards d’euros et à une perte de bénéfices de 600 millions d’ici à 2017 (Ewing & Smale). En octobre 2014, les exportations allemandes vers la Russie avaient reculé de 22 % en octobre 2014 par rapport à 2013.

35. Le monde des affaires allemand a fait part de son mécontentement face à la politique de sanctions, mais il avait déjà commencé à revoir ses attentes à la baisse pour le marché russe avant même la crise ukrainienne, en raison des graves problèmes de gouvernance dans le pays. La grande compagnie d’assurances allemande Allianz a par exemple cessé de vendre des

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polices d’assurances automobiles en Russie en 2013 en raison des problèmes posés par les décisions arbitraires et opaques des tribunaux russes pour toute une série d’affaires. Les firmes allemandes ont des activités diversifiées à l’échelle mondiale, solides et en mesure de s’ajuster habilement à la perte de tout marché spécifique. L’impact de la fuite des entreprises étrangères sur une économie russe moins diversifiée à l’échelon international pourrait s’avérer plus lourde. Certaines entreprises allemandes cherchent d’autre part activement à atténuer les risques en se concentrant sur le marché asiatique. Volker Treier, le président de l’Association des chambres de commerce et de l’industrie allemandes (DIHK), a déclaré que quelque dix pour cent des entreprises allemandes travaillant depuis longtemps avec des partenaires russes se réorientent d’ores et déjà vers le marché asiatique (The Local.de, 2015).

36. L’Allemagne n’est pas le seul pays de l’UE entretenant d’importants liens commerciaux avec la Russie. L’Espagne, l’Autriche, la Pologne, la Lituanie et la République tchèque sont également confrontées à des coûts d’ajustement face aux sanctions et à la contraction du marché russe (Giumelli, 2014). En 2013, les investissements d’entreprises néerlandaises en Russie atteignaient 37 milliards d’euros, suivis par ceux d’entreprises Italiennes (30 milliards d’euros) et polonaises (26 milliards d’euros) (The EIU, 2015). Les étrangers fuient également en masse la Russie. D’après les estimations, en janvier 2015, il y avait 417 000 étrangers de moins par rapport à janvier 2014, avec – par exemple – une diminution de 31 % d’Allemands, 36 % d’Américains, 38 % de Britanniques et 41 % d’Espagnols vivant dans le pays (Hille, 2015). Il s’agit là du reflet d’une croissance qui ralentit, d’un rouble qui perd de sa valeur, de conditions économiques générales peu brillantes et d’une incertitude politique et économique croissante.

37. En réaction aux sanctions occidentales, Moscou a promulgué ses propres sanctions contre des produits occidentaux, visant en particulier le secteur agricole et interdisant les importations de produits alimentaires provenant de tous les pays sanctionnant la Russie. Des responsables russes ont ici aussi laissé entendre que ces mesures offriront une occasion à la Russie, qui importe 40 % de ses produits alimentaires en dépit de son formidable potentiel agricole, de parvenir à un degré plus élevé d’autosuffisance alimentaire. L’agriculture russe ne s’est jamais remise de l’héritage désastreux du système collectiviste soviétique, mais il est peu probable que l’adoption d’un régime hautement protectionniste de substitution aux importations résoudra le problème, d’autant que ce secteur se caractérise par un sous-investissement chronique et de graves déficiences organisationnelles. L’industrie agro-alimentaire occidentale représente une source très importante de capitaux et de savoir-faire et il est donc difficile d’imaginer dans quelle mesure les sanctions russes apporteront un quelconque avantage à long terme au secteur agricole du pays (Hille, 2014). La Russie se tourne en outre vers une série de pays désireux de resserrer leurs relations commerciales et d’élargir leurs échanges commerciaux avec elle, tels que l’Inde, l’Argentine, le Brésil, l’Afrique du Sud, la Turquie et l’Egypte. Dans la plupart des cas toutefois, il s’agit là de pis-aller pour Moscou.

38. L’agriculture russe devrait également souffrir d’une grave pénurie de crédit. De plus, en raison du niveau croissant d’incertitude, le moment semble mal choisi pour refinancer un secteur largement sous-capitalisé. Cela est d’autant plus le cas alors que les pays qui disposent de la technologie et du savoir-faire organisationnel pour aider la Russie à accroître ses rendements sont coupés de son marché. L’effet net des sanctions promulguées par la Russie sera donc d’entraîner un accroissement des prix alimentaires dans le pays, tout en provoquant une diminution du choix et de la qualité des aliments dans les magasins. La Banque centrale de Russie estime que l’impact des contre-sanctions ira bien au-delà du secteur agricole, en aggravant un taux d’inflation déjà élevé et donc en érodant le pouvoir d’achat global des citoyens russes (Reuters, 2014). Cela entraînera inévitablement des difficultés pour les consommateurs, surtout pour les plus défavorisés. Il va de soi que certains industriels russes de l’alimentaire bénéficieront de la situation suite à la disparition du marché de concurrents majeurs, mais ces avantages ne compenseront pas les pertes pour les consommateurs associées à des prix alimentaires considérablement plus élevés alors que les revenus diminuent.

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39. En comparaison, l’UE dans son ensemble n’est pas été durement frappée par les contre-sanctions de la Russie. Avant leur adoption, l’Union exportait quelque 10 % de sa production alimentaire vers la Russie, pour une valeur d’environ 11 milliards d’euros. Les contre-sanctions n’incluent toutefois pas les boissons gazeuses et alcoolisées, ce qui réduit leur impact à 5 milliards d’euros par an. Parmi les exportations touchées, un milliard d’euros affecte la Lituanie, les autres pays fortement impactés étant la Pologne, la Finlande, la Grèce et l’Espagne. La Commission européenne tente d’atténuer une partie de l’impact en prenant des mesures palliatives visant à aider les producteurs de ces pays (Giumelli, 2014).

V. LA VISION ECONOMIQUE DE VLADIMIR POUTINE : ASPECT POLITIQUE

40. L’un des problèmes en jeu dans la crise actuelle réside dans les points de vue très particuliers du président Poutine et de ses proches collaborateurs sur l’économie. M. Poutine et ses conseillers expriment une profonde méfiance envers l’intégration économique européenne et les règles du marché occidentales, et ils se montrent de plus en plus sceptiques quant aux possibilités de coopération avec les pays occidentaux. Leur vision est très différente des perspectives économiques libérales avantageuses pour tous qui sous-tendent le mode de réflexion occidental en matière d’échanges commerciaux et d’investissements. La vision de M. Poutine est davantage une approche à somme nulle et il semble considérer que le discours économique libéral occidental masque volontairement des ambitions de Realpolitik. Ce point de vue s’est considérablement durci au fil du temps et il constitue le fondement des efforts du maître du Kremlin visant à l’édification d’un ordre régional eurasiatique comme contrepoids à l’Union européenne et au système économique transatlantique. De ce point de vue, ce n’est pas une coïncidence si l’événement qui a déclenché l’invasion de la Crimée par la Russie a été un soulèvement populaire contre un gouvernement ukrainien qui, sous l’intense pression de Moscou, était revenu sur sa promesse publique d’approfondir les liens économiques et politiques avec l’Union européenne.

41. L’Ukraine est essentielle aux aspirations régionales de M. Poutine et c’est pourquoi il fait tout ce qui est en son pouvoir pour compliquer son intégration plus poussée dans les structures occidentales. Ses motifs ne sont pas uniquement liés à la politique étrangère et à la sécurité. En 2013, des signes croissants de mécontentement politique se manifestèrent en Russie. Des éléments de la classe moyenne éduquée revendiquaient davantage de démocratie et de transparence de la part du gouvernement. Un certain nombre d’importantes manifestations furent organisées à Moscou et dans d’autres villes pour protester contre la direction prise par le président Poutine pour mener le pays. Le Kremlin attribua très rapidement ces manifestations à une ingérence occidentale. M. Poutine en appela à divers éléments ancrés dans la société russe pour maintenir sa répression contre les dissidents : l’église orthodoxe, le conservatisme social, le nationalisme, les valeurs russes traditionnelles, une amertume de longue date contre l’Occident et le rôle central de l’Etat dans la défense de l’ordre social et politique. Ces valeurs furent évoquées de plus en plus souvent pour justifier non seulement la répression politique, mais également la concentration de ressources économiques nationales critiques entre les mains d’une très petite élite proche de M. Poutine.

42. Cela s’avère particulièrement problématique pour une économie russe qui mine le sens de l’opportunité et l’esprit d’entreprise dans le pays. A cet égard, il est intéressant de noter que, parmi les 69 pays analysés en 2012, la Russie se classait au 67è rang quant au nombre d’entrepreneurs par rapport à la population en âge de travailler (Hanson). En Russie, les règles informelles et les relations de pouvoir influent de manière disproportionnée l’attribution des

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capitaux. Tout le monde est soumis au pouvoir décisionnel du Kremlin et de ceux qui sont en étroite relation avec celui-ci. Le népotisme constitue la voie la plus rapide pour parvenir à la réussite économique. Ce que l’on appelle le « sistema » est très loin de renforcer une culture de l’excellence, de l’entreprenariat et des investissements à long terme, mais semble plutôt promouvoir la conformité prudente, la crainte, ainsi que la corruption systémique jusqu’aux plus bas niveaux (Ledeneva).

43. Beaucoup d’experts pensent que l’arrestation de Vladimir Evtouschenkov, l’un des industriels russes de premier plan, accusé de blanchiment d’argent, représente une nouvelle étape d’un processus en cours visant à affaiblir les acteurs économiques plus autonomes en Russie. Vladimir Evtouschenkov a certes été ultérieurement relâché, mais un tribunal moscovite a autorisé la saisie de Bashneft, la compagnie pétrolière dont son entreprise, Sistema, avait récemment fait l’acquisition. Cette arrestation est généralement considérée comme la première étape du transfert de Bashneft à la compagnie d’Etat Rosneft, dirigée par Igor Setchine, très proche de Vladimir Poutine. Elle avertit également les chefs d’entreprise russes qu’ils s’exposeront à de graves problèmes s’ils osent envisager de défier la politique du Kremlin. Elle constitue enfin le signe le plus récent de l’ampleur de la défaveur dont pâtissent désormais les libéraux économiques. C’est la « faction siloviki », composée d’affidés à M. Poutine liés à la sécurité nationale et aux services de renseignement, qui a aujourd’hui le vent en poupe (Business World News).

44. Le Kremlin a recours à des structures et pratiques similaires dans ses relations étrangères. C’est ainsi, par exemple, que la corruption au sein du secteur énergétique ukrainien a offert au Kremlin un formidable moyen de pression sur les décideurs de Kyiv et qu’il a utilisé cette influence pour maintenir l’Ukraine dans son orbite économique et diplomatique. C’est pour cette raison que les dirigeants russes ont considéré la révolte populaire de Maïdan contre le gouvernement Ianoukovitch comme un défi direct aux ambitions est-européennes du Kremlin et, par conséquent, comme un rejet du sistema russe. Il s’agissait là d’une chose que M. Poutine ne pouvait tolérer.

VI. LES AMBITIONS EURASIATIQUES DE VLADIMIR POUTINE : DIMENSION ECONOMIQUE

45. Comme nous l’avons dit, ce n’est pas un hasard si la décision du président Viktor Ianoukovitch de renoncer à l’accord d’association avec l’Union européenne a provoqué la crise en Ukraine et la réaction de la Russie. Alors qu’il était sur le point de signer cet accord, M. Ianoukovitch a fini par céder aux énormes pressions de Moscou et a fait marche arrière, provoquant ainsi des manifestations de masse à Kyiv et sa fuite en Russie. M. Poutine a attribué ces événements à une ingérence de l’Occident dans les affaires ukrainiennes et a réagi en soutenant ouvertement les opposants aux pro-Maïdan, d’abord en Crimée, puis dans la région ukrainienne du Donbass. Cette manœuvre n’était pas uniquement destinée à maintenir l’Ukraine dans l’orbite de la Russie, mais également à lancer un avertissement aux Etats de la CEI susceptibles d’être tentés par une politique étrangère et économique orientée vers l’Occident.

46. Galvanisée par sa révolution menée par la société civile et refusant de tenir compte des avertissements de la Russie, l’Ukraine a signé un accord d’association avec l’UE et annoncé sa claire intention de resserrer ses liens avec l’Occident. La surprenante violation par la Russie de la souveraineté ukrainienne suscite en outre de graves préoccupations chez plusieurs de ses partenaires commerciaux. Le Bélarus, un partenaire eurasiatique clé de Moscou, a récemment réinstauré des contrôles frontaliers et cherche à libeller les échanges commerciaux bilatéraux avec la Russie en dollars plutôt qu’en roubles. Moscou exerce des pressions croissantes sur Minsk afin d’empêcher le gouvernement du Bélarus de contourner l’interdiction d’importation de denrées alimentaires occidentale promulguée par Moscou. Alexandre Loukachenko, le président

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du Bélarus, a récemment déclaré : « Oui, la Russie est notre sœur et notre amie. Mais voyez comme elle se comporte parfois. Nous devons donc veiller à nous diversifier, quel qu’en soit le coût » (Hille, 2015). Il est révélateur de constater que ce même Loukachenko et le président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, refusent de cautionner les actions de la Russie en Ukraine.

47. Lorsque de proches alliés de Moscou s’expriment en ces termes, il est parfaitement évident que les actions de M. Poutine en Ukraine sapent la confiance des pays occidentaux, mais également des «voisins proches» de la Russie. Il semble de plus en plus probable que M. Poutine recourra à des pressions explicites sur des pays tels que le Bélarus, l’Arménie et le Kazakhstan pour qu’ils demeurent fermement attachés à un système dont la cohésion repose de plus en plus sur la contrainte plutôt que sur un libre choix. Un diplomate oriental a qualifié en ces termes le dilemme pour M. Poutine : « Nous considérions la crise ukrainienne comme un jeu géopolitique dont M. Poutine devait sortir vainqueur. En réalité, il a misé sur tous les jetons géopolitiques dont il disposait. Désormais, M. Poutine sape le peu de puissance douce dont Moscou pouvait encore se targuer au sein de l’espace post-soviétique et la crise économique actuelle fait le reste» (Hille). Cette évaluation est peut-être prématurée, mais il est évident que M. Poutine est loin de disposer d’autant de cartes maîtresses qu’au moment où il a envahi et annexé la Crimée. Son opportunisme à court terme semble générer un dilemme stratégique qui pourrait, en soi, se révéler dangereux pour la stabilité.

48. Les conséquences du ralentissement économique en Russie s’étendent donc à une série de pays bien plus étroitement liés à celle-ci au niveau commercial et géopolitique que l’est l’UE. Plusieurs de ces pays dépendent, par exemple, des transferts financiers de leurs nationaux travaillant en Russie pour étoffer leurs maigres réserves en devises. L’immigration nette vers la Russie a chuté au cours des derniers mois et cette tendance persistera probablement en raison des conditions économiques difficiles. L’effondrement du rouble signifie en outre que la valeur des salaires des étrangers travaillant en Russie a considérablement diminué. Le Tadjikistan par exemple dépend en temps normal des transferts financiers de ses nationaux expatriés pour générer la moitié environ de son PIB et ces revenus ont considérablement chuté en raison du ralentissement de l’économie russe (Hille).

49. Au-delà de ses ambitions en vue d’une Union eurasiatique, M. Poutine a également d’autres cartes à jouer en Chine et dans les pays BRICS, dont aucun n’a choisi de se joindre aux sanctions nord-américaines et européennes. En mai 2014, la Russie et la Chine ont signé un contrat d’approvisionnement de 400 milliards de dollars, aux termes duquel la Russie vendra à la Chine jusqu’à 38 milliards de mètres cubes de gaz sur une période de 30 ans débutant en 2018. Gazprom investira 55 milliards de dollars dans la construction d’un nouveau gazoduc jusqu’à la frontière chinoise et développera l’exploitation des gisements gaziers de Kovykta et de Chayanda en Sibérie. La Chine consacrera pour sa part 20 milliards de dollars supplémentaires à des investissements d’infrastructures. Ce contrat avec la Chine offre en principe à la Russie une alternative aux marchés européens dont elle est très dépendante. Il ne couvrira toutefois que 16 % des exportations gazières de la Russie et l’écrasante majorité des infrastructures d’exportation énergétique de la Russie demeure orientée vers l’Occident. Cette situation ne devrait pas changer à brève échéance, même si l’Europe cherche à réduire sa dépendance à l’égard du gaz et du pétrole russes.

50. Le problème, du point de vue de la Russie, est qu’elle a conclu son contrat avec la Chine alors même que ses relations avec l’Occident étaient en chute libre, ce qui a probablement permis à Beijing d’obtenir de meilleures conditions. En d’autres termes, et même si les responsables russes ne l’admettront jamais, les bonnes relations que la Russie entretenait précédemment avec un certain nombre de pays occidentaux lui accordaient certains moyens de pression par rapport à la Chine. Moscou a dû y renoncer et la Chine n’a pas tardé à exploiter cette situation en négociant un prix favorable à long terme pour le gaz russe. Les banques

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chinoises ont en outre accepté de fournir des prêts sur le marché russe, bien que cela ne compense qu’en partie le rôle que les banques occidentales jouaient sur ce marché avant l’application des sanctions.

51. Bien que la Chine ne soit pas prête à se joindre aux sanctions occidentales et souhaiterait que la puissance mondiale exercée par les Etats-Unis soit plus limitée, elle n’est pas davantage prête à sacrifier des relations commerciales vitales pour soutenir la Russie. Les échanges commerciaux de la Chine avec les Etats-Unis sont trois fois plus importants que ceux avec la Russie, sans parler de ses liens commerciaux et financiers très développés avec l’Europe. Alors que sa part dans le PNB mondial s’accroît constamment, la Chine constitue manifestement une étoile économique montante, même si elle connaît actuellement une crise grave au niveau de ses marchés financiers qui demeurent sous-développés. La Russie s’oriente exactement en sens inverse et ses défis démographiques ainsi que son orientation politico-économique indiquent que son déclin relatif devrait constituer un phénomène à long terme. La Chine est, d’autre part, profondément mal à l’aise face à ce précédent établi par Moscou de modifier unilatéralement des frontières internationales. Celles-ci représentent un principe sacro-saint pour les responsables chinois, en raison surtout de l’instabilité et du séparatisme latent auxquels ils sont confrontés au Tibet et au Xinjiang. En outre, les intérêts commerciaux de la Russie et de la Chine en Asie centrale sont susceptibles d’entrer en concurrence au niveau géopolitique. C’est ainsi, par exemple, que la ville de Beijing préférerait qu’une ligne de chemin de fer la reliant à l’Europe soit construite via le Kazakhstan plutôt que via la Russie (Hille). La Chine veut en outre un accès à la production énergétique d’Asie centrale libre de toute intervention russe. Le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan sont prêts à se joindre à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures dirigée par la Chine. Cela devrait contribuer à promouvoir la vision de celle-ci liée la Ceinture économique de la route de la soie, que la Russie considère avec raison comme un défi à sa propre influence dans la région. Signalons enfin que les Chinois observent attentivement ce qui se passe en Europe et sont conscients des désavantages liés à une dépendance exagérée aux ressources énergétiques russes. La tendance manifeste du Kremlin à utiliser ses ressources énergétiques essentielles comme un outil géopolitique suscite une considérable circonspection parmi les stratèges chinois, qui redoutent une imbrication trop étroite de leur pays dans les projets économiques de la Russie. A la différence de leurs collègues du Kremlin, les dirigeants chinois n’ont pas tendance à considérer l’économie mondiale suivant une approche à somme nulle, ce qui suffit à limiter leur volonté à se rallier à la grande vision stratégique de M. Poutine.

VII. FAIBLESSES ET VULNERABILITES DU MODELE ECONOMIQUE RUSSE

52. Les pays occidentaux ont tendance à considérer la Russie de Poutine comme une puissance montante revendiquant désormais sa part dans l’ordre européen. Il s’agit là d’un point de vue diffusé par les medias russes sans toutefois évoquer les très graves problèmes – qui sont tout à la fois auto-provoqués et conjoncturels - auxquels le pays est confronté. Pris dans leur ensemble, ces problèmes permettent de penser que la position de la Russie est beaucoup plus faible qu’elle s’évertue à le déclarer. Ils incluent : une dépendance excessive envers le secteur énergétique pour étayer les revenus des ménages et de l’Etat (ce problème a encore gagné en importance avec la chute des prix de l’énergie au niveau mondial) ; l’apparition de nouveaux concurrents dans le domaine énergétique et notamment en Amérique du Nord ; un système de gouvernance et un ordre politique qui limitent la concurrence économique et découragent les investissements ; une société présentant un vieillissement rapide, au sein de laquelle l’espérance de vie étonnamment courte érode la productivité ; le ralentissement de la croissance économique européenne, qui – associé aux sanctions actuelles – réduit considérablement la demande pour les produits russes ; le coût croissant de la guerre semi-secrète menée en Ukraine ; les séries apparentées de sanctions et de contre-sanctions, qui isolent la Russie et provoquent l’incertitude des investisseurs ; et enfin, la corruption et le népotisme généralisés.

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53. La Russie demeure pour l’essentiel une économie reposant sur l’énergie et la considérable croissance enregistrée entre 1999 et 2008 était sous-tendue par les prix de l’énergie, l’accroissement de la production énergétique et l’augmentation connexe de la consommation des ménages. L’incapacité de la Russie à développer une économie non basée sur l’énergie implique que les dépenses des ménages demeurent étroitement liées aux prix énergétiques. L’augmentation de ceux-ci a entraîné une croissance des revenus réels (de 11 % par an durant la période faste) et une augmentation de la consommation plus rapides que celle de la production. Cette situation ne pouvait durer que si les prix de l’énergie continuaient à augmenter. Lorsqu’ils se sont soudainement effondrés l’année dernière, l’économie russe a automatiquement connu des problèmes. La chute des prix énergétiques a mis en lumière de nombreuses faiblesses fondamentales dans l’économie, longtemps masquées par la cherté de l’énergie.

54. Les problèmes de la Russie s’étendent au domaine monétaire. La chute soudaine du rouble précipite la baisse des revenus énergétiques de la Russie, et provoque l’accélération de la fuite des capitaux et l’accroissement de l’inflation. Le rouble a perdu plus de 50 % de sa valeur face au dollar au cours de l’année 2014. Ce faisant, l’économie de la Russie mesurée en dollars, qui était la 6è en importance au monde, a reculé à la 16è place et atteint désormais à peu près le niveau de l’économie espagnole (Aslund). L’année dernière, le taux d’inflation annuel de la Russie a atteint 11,4 %, soit le niveau le plus élevé depuis 2008 et bien au-dessus des prévisions de 4,5 % de la Banque centrale. En mai 2015, l’inflation est en outre passée à 16,9 %, pour retomber à 15,8 % en mai, ce qui a entraîné la récente décision de la Banque centrale de ramener le taux d’intérêt de 12,5 à 11,5 %. Cette même Banque centrale prévoit désormais que l’économie se contractera de 3,2 % (BBC News), bien que ce chiffre semble optimiste. Après une décennie d’accroissement des revenus des ménages, les Russes sont désormais confrontés à une diminution des salaires réels et l’embargo décrété par le gouvernement sur les importations en provenance d’Europe sape davantage encore le pouvoir d’achat des consommateurs. Par rapport à l’année précédente, l’inflation des prix des produits alimentaires a atteint 23,3 % en février 2015 (Hanson).

55. Le ministre russe des Finances Anton Silouanov a déclaré début janvier que le déficit du budget 2015 ne dépasserait pas 3 % du PIB (Hille). Les réserves en devises de la Russie, incluant deux importants fonds souverains, ont atteint leur plus bas niveau à 350,5 milliards de dollars à la mi-avril 2015, pour repasser à la fin mai à 362 milliards de dollars. Les autorités devront toutefois freiner les dépenses publiques tant que le prix du pétrole demeurera peu élevé (Adomanis). Le 1er octobre 2014, la dette de la Russie envers le reste du monde n’atteignait que 64 milliards de dollars, soit environ 3,3 % du PIB. Le rouble a ensuite perdu la moitié de sa valeur par rapport au dollar, mais la dette extérieure demeure très réduite, à 6 %. Le principal problème réside dans la dette des banques et entreprises publiques, qui atteignait 614 milliards de dollars en octobre 2014. C’est précisément ici que les sanctions ont des effets désastreux, car ces firmes ont perdu en totalité ou en partie leur accès aux marchés internationaux des capitaux. L’Etat russe est contraint d’utiliser son Fonds national de prévoyance, réservé à la garantie des retraites, afin de prêter à des conditions favorables aux entreprises russes en pénurie de capitaux. Le déboursement initial a atteint 2,65 milliards de dollars, mais bien plus sera nécessaire (Kolyandr & Ostoukh). Rosneft à elle seule demande un prêt de 42 milliards de dollars, qu’elle justifie par le fait que les sanctions limitent son accès au crédit international (Hanson). Face à cette situation, le 26 janvier 2015, Standard & Poors a réduit la notation du crédit russe à l’état de pacotille, la plaçant sous la note de solvabilité pour la première fois en dix ans, tandis que pour Moody’s & Fitch, cette notation de crédit demeure juste au-dessus de l’état de pacotille.

56. Le 17 juin, le prix du pétrole avait légèrement augmenté pour atteindre 64,69 dollars le baril, même si – un an auparavant – le prix du brut Brent dépassait les 115 dollars le baril (Reuters). La Banque mondiale a récemment révisé ses perspectives économiques 2015 et 2016 pour la

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Russie. Le scénario le plus probable suppose un prix moyen de 58 dollars le baril de pétrole en 2015 et de 63,6 dollars en 2016. Sur cette base, le PIB réel devrait reculer de 2,7 % en 2015, puis progresser de 0,7 % en 2016 et de 2,5 % en 2017. Cette prévision révisée tient compte des récentes augmentations du prix du pétrole et du récent ralentissement de l’inflation, qui – en théorie – offrent davantage de latitude à la Banque centrale russe pour assouplir les conditions monétaires. La Banque mondiale prévoit en outre un abandon progressif des sanctions en 2017 (World Bank).

57. Les fortes fluctuations des taux d’intérêt secouent en outre l’économie russe. En décembre 2014, la Banque centrale de Russie a fait passer son taux d’intérêt de 10,5 % à pas moins de 17 %, afin de défendre la valeur du rouble, qui était alors en chute libre. Cette décision a confirmé que les quelque 75 milliards de dollars consacrés par la banque au rachat de roubles l’avaient été en vain. Alexeï Koudrine, un ancien ministre des Finances respecté, a récemment fait remarquer : « La chute du rouble et du marché boursier n’est pas uniquement due à la baisse du prix du pétrole et aux sanctions, mais aussi à la méfiance que suscitent les mesures économiques du gouvernement. » Les taux d’intérêt élevés hypothèquent manifestement les perspectives de reprise à court terme et frappent les réserves de liquidités de nombreuses petites et moyennes entreprises russes. Les acteurs du marché anticipent donc une augmentation du nombre de faillites et de défaut de paiement, en dépit des indications d’une reprise très progressive en 2016.

58. En décembre dernier, certains signes indiquaient une ruée sur les banques russes, les déposants paniqués cherchant à retirer leur argent et à convertir leurs roubles en avoirs plus susceptibles de conserver leur valeur. Fin décembre 2014, les retraits bancaires atteignaient 700 milliards de roubles. Ce même mois a marqué le quasi effondrement de Trust Bank, dont le sauvetage a été assuré par les autorités, qui ont en outre encouragé la grande banque privée Otkritie à fusionner avec cette institution (Hille). L’Etat a ultérieurement renforcé le système bancaire, en obligeant les exportateurs publics à convertir leurs dollars en roubles. En juin, plusieurs des plus grandes banques du pays ont réclamé des subventions substantielles pour couvrir leurs pertes sur les emprunts hypothécaires, alors qu’un important plan d’aide arrivait à terme. Sberbank a ainsi demandé 3,6 milliards de subsides dans ce cadre, soit plus du triple des subventions dont elle bénéficie actuellement. Les subventions actuelles ont été décidées après le relèvement à 17 % du taux d’intérêt par la Banque centrale, afin d’enrayer la chute du rouble.

59. Les déboires financiers de la Russie ne sont pas exclusivement un problème russe. L’effondrement du rouble - à la fin décembre 2014 - a précipité la liquidation à court terme d’actifs risqués sur les marchés occidentaux de capitaux, rappelant le scénario associé au défaut de paiement de la Russie en 1998. Fort heureusement, les marchés mondiaux des actions et des obligations ont rapidement absorbé ce choc, mais cela démontre que la débâcle des marchés russes n’est pas exclusivement un problème russe. Un risque de contagion existe mais, étant donné les tensions diplomatiques et sécuritaires actuelles entre les pays occidentaux et la Russie, il y a peu de capacité et de volonté de coordonner une action avec Moscou pour le contrer. D’autre part, les marchés occidentaux ont eu le temps de s’isoler d’une exposition à l’instabilité russe et c’est peut-être l’une des raisons qui expliquent pourquoi ils se sont si rapidement remis du choc engendré par la récente instabilité du rouble. En bref, de nombreux investisseurs occidentaux et russes réduisent depuis des mois leur exposition à la Russie, non seulement suite aux sanctions, mais également en raison du mauvais climat en matière d’affaires et de réglementations sur un marché de plus en plus considéré comme très risqué.

VIII. LE PETROLE ET LE GAZ : ARME OU VULNERABILITE POUR LA RUSSIE ?

60. Bien que les sanctions aient assurément des conséquences pour l’économie russe, la chute des prix énergétiques s’avère plus coûteuse encore. Les prix mondiaux du pétrole ont

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diminué de 49 % entre juin 2014 et janvier 2015 (Adams, Hume) et cette situation a une incidence très négative sur l’économie russe. Cette chute des prix est la conséquence de plusieurs facteurs. La lenteur de la croissance économique réduit considérablement la demande en énergies fossiles dans le monde, tout comme les efforts à long terme dans des pays clés d’Europe et d’Amérique du Nord pour intégrer les énergies renouvelables dans le bouquet énergétique et pour accroître systématiquement l’efficience énergétique. La croissance économique asiatique a, elle aussi, considérablement ralenti, ce qui pousse à la baisse la demande énergétique dans une région du monde qui demeure toutefois le marché le plus dynamique en termes de progression de la demande. Du côté de l’offre, l’augmentation massive de la production pétrolière et gazière en Amérique du Nord et l’effondrement parallèle du prix du charbon dans cette région contribuent à engendrer une surabondance énergétique au niveau de la planète, qui – associée à la faible progression de la demande – a contribué à pousser les prix vers le bas durant l’année écoulée.

61. L’OPEP, qui produit un tiers du pétrole mondial, n’est pas parvenue à s’accorder sur une réduction de l’offre en novembre 2014 afin d’endiguer la chute des prix ; les responsables saoudiens ont déclaré qu’une réduction de l’offre n’est tout simplement pas à l’ordre du jour pour l’instant. Il est clair que les Saoudiens désirent chasser du marché les producteurs dont les coûts sont élevés et plus spécifiquement ceux qui exploitent les ressources gazières et pétrolières non conventionnelles en Amérique du Nord. Ces mêmes Saoudiens ont des moyens financiers très importants et semblent accepter les conséquences à court terme de cet objectif stratégique (Mazzetti, Schmitt et Kirkpatrick). La politique saoudienne a un impact incontestable sur des régions qui produisent de l’énergie, telles que le Texas et le Dakota du Nord, mais l’économie des Etats-Unis dans son ensemble est extrêmement diversifiée et de nombreux secteurs et consommateurs bénéficient ainsi de tarifs énergétiques peu élevés sur le plan national. Cela n’est pas le cas de la Russie, très dépendante de ses secteurs pétrolier et gazier qui ont une forte incidence sur son PIB et sur les recettes de l’Etat : pour que son budget public soit en équilibre, le prix du pétrole doit atteindre 107 dollars le baril.

62. A tout cela s’ajoute la prise de conscience croissante des clients européens qu’une dépendance exagérée envers l’énergie russe devient stratégiquement risquée. Les gouvernements européens cherchent par exemple désormais à diversifier les importations énergétiques afin de réduire la capacité de certains grands producteurs - comme la Russie - d’exploiter leur position sur le marché à des fins diplomatiques et stratégiques. Un changement structurel intervient en outre dans la demande énergétique en Europe qui, après une décennie de prix énergétiques très élevés, devient une consommatrice beaucoup plus efficiente. Il en va de même pour les Etats-Unis. Avant même la crise de Crimée, la Russie s’était déjà aliénée nombre de ses clients après avoir interrompu ses fournitures en gaz à l’Ukraine en janvier 2009.

63. La volonté de l’Europe de renforcer sa capacité de production d’énergies renouvelables représente l’une des réponses à cette dépendance exagérée envers la Russie, mais plusieurs pays européens affichent en outre un intérêt croissant pour le gaz naturel liquéfié (GNL) et le charbon (malgré son incidence négative sur l’environnement). Le ralentissement de l’économie européenne et la surabondance en pétrole contribuent à réduire l’influence de la Russie sur le marché, même si elle demeure un fournisseur essentiel de gaz pour un certain nombre de pays européens. L’invasion de l’a Crimée et le conflit dans l’est de l’Ukraine stimulent désormais l’amplification des efforts de diversification des fournisseurs, tout en suscitant un intérêt renouvelé pour la fracturation hydraulique dans certaines régions d’Europe.

64. En décembre 2014, Vladimir Poutine a mis un terme au projet de gazoduc de 40 milliards de dollars South Stream, qui aurait dû directement approvisionner en gaz russe le sud de l’Europe en évitant le passage par l’Ukraine. Les autorités et responsables russes du secteur gazier expliquent depuis longtemps qu’en contournant l’Ukraine, South Stream permettrait à la Russie de satisfaire les besoins énergétiques européens de manière plus fiable. Les détracteurs

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du projet considéraient, quant à eux, qu’il aurait rendu la région plus vulnérable à la pression politique de Moscou et à la fixation des prix par la Russie, l’Europe cherchant d’autre part à passer à un système de fixation des prix basé sur le « multi-hub » plutôt que sur des prix de référence. South Stream était un élément essentiel de la stratégie énergétique et géopolitique de M. Poutine et la Russie a consacré beaucoup d’énergie diplomatique et d’argent à la promotion de ce projet dans plusieurs pays membres de l’UE, en dépit des craintes croissantes de violation des lois européennes sur la concurrence et de risque stratégique, suscitées par une gestion exclusive par Gazprom.

65. Vladimir Poutine ne renoncera pas à ses ambitions en matière d’énergie dans le Sud-Est de l’Europe et sa décision de mettre un terme au projet South Stream ne constitue qu’une retraite tactique provisoire. Peu après son annonce, il s’est d’ailleurs rendu en Turquie pour faire part d’une série d’initiatives destinées à resserrer les relations énergétiques avec ce pays. M. Poutine a en outre effectué une brève visite en Hongrie, un pays essentiel dans le cadre d’un accord sur les gazoducs dans le sud de l’Europe. En avril, la Grèce et la Hongrie, ainsi que la Serbie et l’ex-république yougoslave de Macédoine, ont avalisé les plans d’un gazoduc destiné à fournir du gaz naturel russe via la mer Noire à la Turquie et, au-delà, à un certain nombre de pays d’Europe centrale et méridionale. Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne chargé de l’union énergétique, considère qu’il s’agit d’un projet conçu pour saper l’Ukraine et accroître la dépendance de l’UE envers la Russie (Rettman).

IX. OBJECTIF DES SANCTIONS ET EFFICACITE

66. Un débat de longue date divise spécialistes de relations internationales et décideurs politiques quant à l’efficacité des sanctions économiques comme outil de politique étrangère ou, plus spécifiquement, comme moyen de nuire à certains Etats pour les contraindre à changer de comportement. Pour certains, ces sanctions ne représentent guère plus que des gesticulations lorsqu’une intervention militaire ou des mesures plus sévères sont considérées comme peu judicieuses, voire impossibles. Pour d’autres, elles peuvent s’avérer un outil de coercition efficace pour imposer un changement d’attitude. Ces deux concepts sont très différents et l’histoire abonde en exemples susceptibles de confirmer l’un ou l’autre. Le cas de l’Afrique du Sud est souvent cité comme exemple de sanctions internationales efficaces à l’origine de la fin de l’apartheid. Les décennies d’embargo des Etats-Unis contre Cuba sont d’autre part souvent citées comme exemple de sanctions n’aboutissant qu’à la pérennisation du statu quo.

67. Manifestement, l’efficacité des sanctions dépend d’un certain nombre de facteurs tels que la volonté de participation de nombreux pays, la définition des groupes spécifiquement ciblés et de leur réaction probable, ainsi que la nature de la diplomatie susceptible de faire évoluer la situation vers le but recherché par les instigateurs des sanctions. L’incidence possible de contre-mesures, telles que des méthodes pour contourner le régime de sanctions et les contre-sanctions éventuelles du pays ciblé, doit également être prise en compte. La diplomatie qui entoure les sanctions est en outre tout aussi essentielle. En d’autres termes, existe-t-il une voie diplomatique praticable pour parvenir à un accord qui, entre autres, aboutirait à la fin du différend et donc à la levée des sanctions ? Les pays qui imposent des sanctions doivent clairement spécifier les conditions posées, tout en définissant les instruments de négociation possibles.

68. La nature du régime ciblé a également son importance. Des sociétés et des structures étatiques plus ouvertes accordent davantage de latitude pour punir les dirigeants qui violent des normes internationales critiques et leur infliger des sanctions coûteuses. Les sociétés et gouvernements moins ouverts, dont l’autorité ne peut être contrôlée, peuvent être confrontés à moins de résistance ouverte. Lorsque la répression est forte, le prix de la résistance à l’Etat peut

* La Turquie reconnaît la République de Macédoine sous son nom constitutionnel

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s’avérer trop élevé. Les régimes répressifs peuvent cependant susciter des formes plus violentes de protestation, tout simplement parce que les citoyens manquent de moyens non violents pour exprimer leur divergence d’opinion. D’autre part, des sanctions peuvent également engendrer une méfiance patriotique et cimenter un climat politique « nous contre eux », qui ne fait que renforcer la volonté du leadership de défier la communauté internationale. Dans une certaine mesure, il s’agit là d’une des conséquences des sanctions promulguées contre la Russie. Par le biais de médias qu’il contrôle en grande partie, M. Poutine cherche à rejeter sur l’Occident le blâme des difficultés économiques de la Russie. Il reste à voir si l’opinion publique continuera, à terme, à accepter une telle logique, d’autant que l’essentiel de ces difficultés est dû à la baisse des prix énergétiques et à une très mauvaise gouvernance, et dans une moindre mesure seulement, aux sanctions. Du point de vue russe, il est difficile de dissocier cause et effet, car les difficultés économiques ont débuté en même temps que les sanctions, et non à cause de celles-ci. En tout état de cause cependant, il n’y a pas de relation simple entre difficultés économiques et changement politique ou diplomatique. Les résultats de recherches réalisées dans ce domaine indiquent que beaucoup dépend de circonstances intérieures et internationales spécifiques. Toutefois, les mesures qui ciblent vraiment les responsables des transgressions dans des états autocratiques ont parfois plus de succès que celles qui imposent un coût à la société en général (Allen).

69. La Russie de Vladimir Poutine ne dispose pas d’une panoplie répressive aussi complète que l’Union soviétique, mais il est clair que l’Etat accroît les moyens à sa disposition. Cela n’est guère surprenant étant donné la place privilégiée que l’appareil sécuritaire occupe à la tête du pays. Des années de croissance économique et de déploiement par les autorités d’un symbolisme nationaliste ont valu à M. Poutine une cote de popularité très élevée, qui lui permet paradoxalement de se lancer dans une répression plus rude contre les dissidents. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la cote de popularité de M. Poutine est appelée à se maintenir, alors que l’économie entre en récession et que les derniers acteurs économiques autonomes sont éliminés. La classe moyenne des villes en particulier risque de ressentir plus sévèrement l’impact de la crise économique, ce qui risque de modifier son point de vue sur le président, même si les critiques font de plus en plus l’objet de répression et sont contrées par la propagande de médias contrôlés par l’Etat (Kolesnichenko). Alors que l’économie s’affaiblit, Poutine pourrait ne plus avoir que des rêves impérialistes à offrir à son peuple. Ce n’est pas à quoi aspirent les pays occidentaux.

70. Comme l’indique le présent rapport, il est très difficile de dissocier l’incidence des sanctions des forces plus puissantes qui modèlent l’économie actuellement, à savoir l’effondrement du prix du pétrole et les problèmes de gouvernance fondamentaux auto-infligés qui sapent à un point tel la confiance des investisseurs dans l’économie russe. Les sanctions nord-américaines et européennes cherchaient à cibler des personnalités et des institutions industrielles ayant joué un rôle déterminant dans la préparation et la conduite de l’assaut de la Russie contre l’Ukraine. Toutefois, avec l’aggravation de la crise, la cible des sanctions s’est élargie pour inclure des secteurs financiers et énergétiques critiques. Or, le renforcement de ces sanctions n’a pas pour principal impact économique leur coût direct, mais bien plutôt le coup sévère porté à la réputation de la Russie comme marché attrayant pour faire des affaires. Mais sur ce plan également, ce sont les propres politiques du gouvernement russe qui contribuent bien davantage à ternir cette réputation.

71. Il convient de noter enfin que le coût des sanctions est supporté par l’ensemble des acteurs, bien que de manière inégale. Toute mesure politique qui entrave les relations commerciales a ses limites en termes économiques. Les occasions d’échanges commerciaux perdues avec la Russie à la suite des sanctions occidentales et des contre-sanctions russes sont paupérisantes pour tous et les entrepreneurs, agriculteurs et consommateurs en paient le prix, de part et d’autre. Les entreprises occidentales sont en outre confrontées à la nécessité de prendre des mesures administratives pour veiller à respecter des règles souvent complexes, même si

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certaines d’entre elles considèrent que les sanctions liées à l’Ukraine sont plus coordonnées et cohérentes que d’autres régimes de sanctions imposés autrefois par des gouvernements occidentaux.

72. Des efforts sont entrepris pour atténuer certains de ces coûts. En août 2014, l’UE a annoncé l’apport d’un soutien de 125 millions d’euros supplémentaires aux agriculteurs européens, afin de compenser les pertes de ventes à la Russie à la suite de l’embargo décrété par celle-ci contre la viande, le poisson, les légumes, les fruits et les produits laitiers européens. Cette décision de la Russie a entraîné une surabondance de plusieurs denrées alimentaires importantes au plus fort des récoltes estivales. Elle a particulièrement frappé plusieurs pays. La Grèce vend habituellement 60 % de sa production de pêche à la Russie et n’a pu le faire durant l’été 2014. Globalement, 10 % environ des exportations agricoles de l’UE, d’une valeur d’environ 11 milliards d’euros, sont exportées chaque année vers la Russie (Smith). L’industrie laitière lituanienne pâtit elle aussi dans une large mesure de la perte du marché russe.  La récession en Russie aura toutefois une incidence beaucoup plus grande sur les intérêts commerciaux occidentaux que les sanctions ou les contre-sanctions, ce ralentissement économique a des implications négatives pour tout un éventail d’entreprises dont le tourisme, l’immobilier et le secteur bancaire.

X. CONCLUSIONS

73. En imposant des sanctions à la Russie, le but des pays occidentaux n’est pas de provoquer un changement de régime, mais bien d’imposer un prix à payer au Kremlin pour violer la souveraineté de l’Ukraine et mettre en danger l’ordre sécuritaire européen. Si l’on s’en réfère au discours de Vladimir Poutine, les sanctions occidentales ne représentent que le dernier exemple en date d’agression de l’Occident contre la Russie. Cela n’est absolument pas le cas et il est très important que les pays de l’OTAN expliquent clairement en quoi consistent leurs objectifs. 74. Parallèlement, les lignes de communication avec l’Etat russe doivent demeurer ouvertes. A terme, le dialogue sera essentiel pour résoudre - ou du moins atténuer - une situation qui provoque de graves tensions et veiller à ce qu’elle ne débouche pas sur un conflit plus grave. Les perspectives d’un tel dialogue ne sont pas très bonnes pour l’instant, mais les circonstances pourraient évoluer avec le temps.

75. Une stratégie énergétique occidentale globale est manifestement nécessaire pour priver la Russie du type de moyens de pression qu’elle cherche à exercer en Europe. Le meilleur moyen d’y parvenir consiste en une diversification rapide et efficace de la base d’approvisionnement en énergie du continent. Il ne fait aucun doute que le coût d’une dépendance exagérée face à la Russie est plus important que celui d’une diversification.

76. La Russie a souvent demandé à son peuple de soutenir ses ambitions internationales et, dans une certaine mesure, le même type de dynamique semble à nouveau à l’ordre du jour. Les dépenses militaires russes se sont substantiellement accrues entre 2011 et 2014, mais à ce moment-là, le pays pouvait se permettre d’avoir à la fois du beurre et des canons. Ses choix sont désormais plus limités. Si les dépenses actuelles sont maintenues sans modification substantielle de la croissance économique, la Russie se retrouvera confrontée à de graves problèmes budgétaires, très difficiles à financer et qui pourront poser des problèmes politiques croissants dans un pays où de nombreux groupes se concurrenceront pour s’adjuger des ressources de plus en plus limitées. Si une lutte de ce type devait survenir, il ne fait guère de doute que Vladimir Poutine prendrait le parti des responsables de la sécurité et des renseignements, qui constituent actuellement le noyau de son cercle d’intimes. Les pays occidentaux doivent en conséquence se préparer à une période de relations très difficiles avec le régime russe, qui semble devenir de plus en plus militariste, revanchard et autoritaire. Les Ukrainiens ne sont pas

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les seules victimes à cet égard. Le peuple russe lui-même souffrira également si le Kremlin emprunte cette voie.

BIBLIOGRAPHIE

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