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1 Rapport final Analyse qualitative des causes de la malnutrition dans le camp de réfugiés de Mberra, Mauritanie 17 février – 12 mars Mission conduite par Carine Elise, Consultante internationale Mohamed Ould Mahfoudh, consultant national Mission Conjointe PAM, UNCHR et UNICEF Avril 2013

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Rapport final

Analyse qualitative des causes de la malnutrition dans

le camp de réfugiés de Mberra, Mauritanie

17 février – 12 mars

Mission conduite par

Carine Elise, Consultante internationale

Mohamed Ould Mahfoudh, consultant national

Mission Conjointe PAM, UNCHR et UNICEF

Avril 2013

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PREAMBULE :

Cette étude a été organisée par les Agences du Système des Nations Unies (PAM, UNHCR et

UNICEF) afin de mieux comprendre et documenter les facteurs sociodémographiques en lien

avec les déterminants de la malnutrition dans le camp de Mberra.

Une consultante internationale assistée d’un consultant national a conduit toutes les étapes

de cette étude. L’équipe présente tous ces remerciements aux gouvernements de la

Mauritanie et les partenaires qui ont contribué à la réalisation de ce travail.

Bien que les Agences du Système des Nations Unies soient les commanditaires de cette

étude, les opinions et points de vue présentés n’engagent que la responsabilité de leurs

auteurs.

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Résumé

Dans le cadre de l’assistance portée aux réfugiés maliens du camp de Mberra, Mauritanie, la

mission conjointe PAM/UNICEF/HCR a souhaité améliorer la compréhension des causes de la

malnutrition qui affecte les enfants âgés de 6 mois à 5 ans. Dans ce but un questionnaire du

type CAP a été adjoint à l’enquête SMART réalisé par le Ministère de la Santé afin de

déterminer les tendances explicatives de la prévalence de la malnutrition aigüe globale. Une

analyse qualitative des déterminants locaux de la malnutrition a été initiée presque

simultanément pour une approche plus affinée des facteurs ayant un impact sur le statut

nutritionnel des enfants concernés.

Le régime alimentaire inadaptés des refugiés semble aggraver une situation nutritionnelle

déjà fragile comme l’attestent les données disponibles sur la crise alimentaire et pastorale

qui touche le Sahel et le nord-Mali depuis 2010.

Inscrit dans le cadre conceptuel du schéma causal de la malnutrition de UNICEF et ACF,

l’enquête a mobilisé les outils de la socio-anthropologie pour la récolte et l’analyse des

données : celle-ci a compris un recueil bibliographique, des workshops multisectoriels pour

la définition d’hypothèses candidates et une investigation de terrain (28 entretiens semi-

directifs, 10 récits de vie, 7 focus groupe, observations directes et discussions informelles).

L’absence de lait est apparue comme une cause immédiate de la malnutrition par ses

conséquences alimentaires et nutritionnelles mais également symboliques et sociales. La

mauvaise appréciation et la mauvaise utilisation du CSB ne font pas de cet aliment un

produit de substitution au lait. L’autre cause immédiate réside dans la forte prévalence des

pathologies associées, principalement les infections respiratoires aigües, les diarrhées et le

paludisme en saison des pluies.

L’insécurité alimentaire d’une partie des familles et notamment des femmes chefs de

ménage, est la conséquence de la pauvreté et de la rareté des sources de revenus

disponibles dans le camp. Or les pratiques liées à l’accouchement et à l’allaitement des

enfants s’avèrent plus problématiques sans les compensations alimentaires habituelles. Les

familles interprètent alors les signes de la maladie de l’enfant comme le résultat d’un

déséquilibre. La réponse apportée par les programmes nutritionnels n’apparait pas toujours,

aux yeux des bénéficiaires, comme la plus adaptée ni la plus efficace face à la médecine

traditionnelle qui bénéficie d’un capital de confiance confirmé. A ces causes sous-jacentes

s’ajoutent les problèmes d’eau et d’hygiène1 probablement responsables des diarrhées et

des infections infantiles (comme les infections respiratoires aigües).

1 L’eau consommée dans le camp de M’ berra est une eau de source qui fait objet d’analyse quotidienne par des partenaires en charge de l’eau et assainissement. Les habitudes culturelles des refugiés (défécation a l’air libre), constitue un facteur d’hygiène que les partenaires sont en train d’améliorer par la sensibilisation pour l’utilisation des latrines

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L’organisation et l’adhésion aux services d’assistance humanitaire se confrontent aux

inégalités structurelles et au bouleversement social des communautés réfugiées. Les

sentiments de discrimination et d’exclusion -avérées ou supposées - entravent le dialogue

avec les organisations prestataires et entament le lien de confiance –et le potentiel de

mobilisation sociale - nécessaires à la pleine participation et à la réussite des activités

humanitaires.

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CONTENU Résumé............................................................................................................................................... 2

Contexte général : ............................................................................................................................. 6

Les objectifs de l’étude conjointe, méthodologie ............................................................................ 8

Contexte nutritionnel........................................................................................................................ 18

Les enquêtes nutritionnelles et Fassala ......................................................................................... 19

Répartition spatiale de la malnutrition dans le camp. .........................Erreur ! Signet non défini.

Zone 4, bloc 1 .....................................................................................Erreur ! Signet non défini.

1. Causes immédiates :.................................................................................................................. 23

1.1 L’absence de lait ............................................................................................................... 23

1.2 La quête de lait et l’appauvrissement ................................................................................ 25

1.3 Lait et cohésion sociale ...................................................................................................... 25

1.4 Le lait, préalable aux services. ............................................................................................26

1.5 L’alimentation disponible .................................................................................................. 27

1.6 La santé et les pathologies associées ................................................................................. 30

2 Causes sous-jacentes..................................................................................................................31

3.1 Sécurité alimentaire .......................................................................................................... 32

3.2 Pratiques de soins ............................................................................................................. 35

3.3 Représentations de la malnutrition .................................................................................... 38

3.4 Recours aux soins .............................................................................................................. 39

3.4.1 Centres de récupération nutritionnelle (CRENAM, CRENAS, CRENI) :.................................. 39

3.4.2 Médecine traditionnelle ................................................................................................... 41

3.5 Hygiène .............................................................................................................................42

4 Causes basiques ....................................................................................................................... 46

4.1 Organisation et hiérarchie sociales ................................................................................... 46

4.2 Contexte politique et historique ....................................................................................... 48

Conclusion : ...................................................................................................................................... 50

Recommandations : .......................................................................................................................... 51

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Contexte général :

En janvier 2012, le Mali entre dans une ère de conflits marquée par des combats entre

l’armée régulière, les séparatistes de l’Azawad et les groupes armés islamistes qui occupent

le nord du pays. En plus un coup d’Etat militaire est venu s’ajouter au conflit armés. Au mois

de février 2013, cela fait une année qu’approximativement plus de 70 000 personnes

réfugiées sont accueillies dans le camp de Mberra, au sud de la Mauritanie. D’autres sont

installés dans des camps de déplacés au Mali et dans des camps de réfugiés au Burkina Faso,

au Niger et en Algérie. L’actualité ne semble pas permettre d’envisager dans un avenir

proche le retour des réfugiés dans leur pays d’origine.

Au cours des mois qui ont suivi, l’assistance s’est progressivement organisée pour couvrir

des secteurs aussi divers que la santé, la nutrition, l’eau et l’assainissement, la protection,

l’éducation, les abris, la distribution des vivres et non vivres. Dans le domaine de la nutrition,

l’accent a d’abord été mis sur la prise en charge de la malnutrition aigüe avec l’ouverture des

centres de réhabilitation nutritionnelle : CRENI, CRENAS et CRENAM qui seront par la suite

complétée par des activités préventives et promotionnelles telles que la promotion des

pratiques familiales essentielles (allaitement maternel exclusif, alimentation de

complément, hygiène et assainissement) supportées par l’ensemble des intervenants

présents dans le camp.

Une année après l’installation du camp, de nouveaux réfugiés arrivent encore

quotidiennement au poste frontière de Fassala, premier point d’identification et

d’enregistrement des familles. La phase d’urgence doit maintenant se convertir vers une

modalité d’accueil semi-durable. Un grand nombre de réfugiés du camp de Mberra était déjà

accueilli en Mauritanie dans des conditions similaires de 1991 à 1996 et a donc en mémoire

le vécu, à la fois, de la condition de réfugié et celle de l’organisation de l’assistance dans le

camp.

La communauté des réfugiés de Mberra est essentiellement composée de Touaregs, suivent

les Arabes, les Songhaï et les Bambaras. Les castes et corporations traditionnelles composent

à leur tour chacun des grands groupes : « nobles », « anciens esclaves », « forgerons »,

« griots » etc.

L’actualité politique du nord-Mali et les tensions qui sous-tendent le conflit armé depuis

plusieurs années ont un impact évident sur les représentations que les uns ont des autres.

Discours victimaire et discours de suspicion se juxtaposent, de manière assez classique,

comme l’ont démontré les différents travaux anthropologiques menés sur les réfugiés.

(Vidal, 2010). Ces représentations mutuelles peuvent influencer la perception que les

réfugiés ont des programmes d’assistance et réciproquement celles que les prestataires

peuvent avoir des bénéficiaires des activités. Les questions d’égalité de traitement des

différents réfugiés, des liens de confiance nécessaires à une bonne adhésion aux services de

santé – en l’occurrence aux activités nutritionnelles – ou encore à une définition adaptée de

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stratégie de mobilisation sociale pour le dépistage précoce et l’orientation des enfants

malnutris sont autant de justifications à une meilleure compréhension des dynamiques

sociales et des représentations socioculturelles qui caractérisent les réfugiés de Mberra et

ceux qui y travaillent.

Le camp est organisé en quatre zones, elles-mêmes divisées en blocs. Y sont répartis, postes

de gendarmerie, écoles, centres et postes de santé, centres de distribution, salle

d’enregistrement et équipements pour l’eau. Certains partenaires dont le HCR, le PAM et

des ONGs ont établis des bureaux de zone pour s’approcher des populations refugiés alors

que l’UNICEF a une présence permanente avec une équipe multidispiciplaire. L’UNHCR

coordonne les activités du camp et les autorités mauritaniennes en assurent la sécurité en

partenariat ainsi que celle du personnel humanitaire qui y travaille.

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I. LES OBJECTIFS DE L’ETUDE CONJOINTE, METHODOLOGIE

Conformément aux Termes De Référence de l’étude conjointe (CF. annexe 1), L’objectif

principal est de documenter les comportements/croyances socioculturels ou

anthropologiques ainsi qu’une analyse des barrières associées à la malnutrition des enfants

de moins de 5 ans dans le camp des réfugiés de Mberra.

L’étude vise spécifiquement à documenter :

Les comportements et pratiques des mères face à l’allaitement du nourrisson et du jeune

enfant y compris le sevrage et les tabous alimentaires ;

Les pratiques d’hygiène corporel et dans le ménage ;

La connaissance des signes de danger chez l’enfant et la recherche des soins ;

Les attitudes et perceptions des services de santé et de nutrition dans le camp ;

Les barrières liées à l’accessibilité et à l’utilisation des services de santé ;

Les perceptions et l’utilisation de l’assistance alimentaire par catégorie de bénéficiaires ;

Les facteurs socioculturels intrinsèques à cette catégorie de population qui facilitent,

prédisposent ou renforcent l’adoption des comportements de santé, de nutrition et

d’hygiène entre autres favorables à un bon état nutritionnel.

Ces objectifs font toutefois ressortir les points essentiels suivants :

Les déterminants locaux de la malnutrition doivent être identifiés par les mères elles-

mêmes et non par les consultants, ces derniers ne sont que des facilitateurs/animateurs

qui amèneront les mères à réfléchir sur les déterminants locaux de la malnutrition dans

le camp et faire part de leurs avis et impressions ; ils récapituleront ensuite et

restitueront les résultats aux bénéficiaires et aux partenaires de l’étude conjointe.

L’étude conjointe ne concernera pas seulement les bénéficiaires directs immédiats (les

mères des enfants de 0 à 5 ans), mais englobera également l’ensemble des structures

venant en appui à ces mères en particulier les centres de santé et de nutrition, les ONG,

les personnes ressources du camp et les services humanitaires dans le camp etc.

L’implication des femmes, des autres groupes défavorisés, tels que des déplacés sans

accompagnement, les femmes veuves ou divorcées, notamment celles chefs des

ménages avec des enfants en bas âges est une condition incontournable dans le cadre

d’une étude sur l’identification des déterminants locaux de la malnutrition.

L’étude conjointe faite auprès des réfugiés et des structures impliquées dans le camp ne

devra pas se limiter à faire une analyse causale de la malnutrition, elle devra faire

ressortir les points forts et les points faibles de l’analyse pour améliorer l’état de santé et

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de nutrition des femmes en état de grossesse, allaitantes et les enfants de 0 à 5 ans et

redynamiser la synergie entre les différents intervenants dans le camp.

Par conséquent, tous ces éléments ont été étudiés de façon approfondie par l’équipe des

consultants à travers une démarche participative, afin d’impliquer aussi largement que

possible les bénéficiaires et les intervenants dans le camp (SNU/ONG).

Les consultants considèrent que cette approche répond à la nécessité d’associer les

bénéficiaires à la démarche d’une étude des déterminants locaux de la malnutrition

développée par eux et pour eux. Parallèlement, elle est aussi pour les démembrements du

système des Nations-Unies et les ONG un enjeu essentiellement d’appropriation des

déterminants locaux de la malnutrition pour la spécificité de l’aide d’urgence au niveau du

camp.

Résultats attendus

Une présentation power point qui résume la méthodologie, les résultats et les

recommandations

Un rapport final détaillé qui présente les principaux résultats de l’étude.

Méthodologie suivie

L’étape essentielle de toute étude constitue l’enquête effectuée sur le terrain, dans le cas

présent dans le camp de Mberra. En effet, seule l’étape terrain permet de collecter les

informations exhaustives, pertinentes et représentatives indispensables à l’analyse

ultérieure des résultats de l’étude et atteindre les objectifs exposés ci-dessus.

En conséquence, pour répondre à ces exigences, il a fallu :

Procéder à un échantillonnage garantissant la collecte des données suffisamment

diverses auprès des bénéficiaires.

Concevoir et suivre une méthode d’enquête permettant de collecter, dans les limites

du temps imparti, les données fiables et pertinentes.

Echantillonnage

L’enquête qualitative ou socio-anthropologique, se distingue de l’enquête quantitative

fondée sur le traitement statistique de questionnaires auprès d’un échantillon représentatif.

L’enquête qualitative utilise un échantillon dynamique progressif, se veut proche des

situations naturelles des populations à étudier et des critères d’inclusion sont spécifiés pour

chaque outil à développer pour la collecte de l’information.

Les critères de sélection de l’échantillon à retenir ont été discutés et arrêtés au démarrage

de l’étude sur le terrain entre les deux consultants après la revue des données de l’enquête

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SMART (jan 2013) et les promenades exploratoires au niveau de plusieurs blocs du camp.

Ainsi, il a été convenu de prendre en considération les critères et éléments suivants :

La couverture des blocs où s’est déroulée l’enquête SMART (jan 2013), dans la

mesure du possible ;

La couverture de tous les centres de nutrition, santé et maternité ;

La prise en compte des blocs anciens et ceux nouvellement crées (1) ainsi que des

camps de transit à Fassala et Mberra ;

La couverture de toutes les activités exécutées par les ONG au niveau du camp

(distribution des vivres, accueil, enregistrement et transit des nouveaux arrivants,

centres de distribution des abris, hygiène et assainissement, protection,

environnement, services de santé et nutrition, activités communautaires et transfert

de cash) ;

La prise en compte des caractéristiques socioculturelles du camp (les différentes

ethnies et castes en présence dans le camp)

La répartition géographique et l’accessibilité des AEP (Adductions en Eau Potable) et

des blocs de latrines.

L’exemplarité de situation de vie : mère d’enfant pris en charge dans un programme,

homme réfugié récemment arrivé etc.

Méthodologie suivie lors de l’enquête terrain

La démarche méthodologique adoptée a été basée sur une approche sociologique et

anthropologique dont la finalité première est de faire des populations des réfugiés Maliens

les acteurs de l’analyse de leur propre situation sanitaire et nutritionnelle. Il s’agit d’une

forme de participation interactive, d’échange d’information et de dynamique valorisante de

l’expertise et du savoir local qui doit permettre aux populations concernées d’exprimer leur

propre perception des déterminants locaux de la malnutrition dans le camp. Cette approche

permettra de cerner la problématique de l’étude conjointe conformément au schéma causal

de la malnutrition et bâtir le plan de collecte de l’information et celui du rapport.

Les outils de collecte des données

Les outils qui ont été appliqués pendant l’enquête terrain ont été :

Les entretiens des focus groupes (FG), une technique qui permet de discuter de façon

approfondie avec un groupe des personnes ayant les mêmes caractéristiques sociales sur

la base d’un guide détaillé sur les objectifs et les informations recherchées ;

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Les entretiens semi-directifs avec des personnes ressources, chefs traditionnels,

guérisseurs, accoucheuses traditionnelles, leaders d’opinion, présidentes des

associations des femmes, responsables d’ONG etc. ;

Les récits de vie, ce sont des formes d’interviews emic avec des femmes chefs des

ménages, des femmes allaitantes, des femmes dont les enfants fréquentent des centres

de santé ou de nutrition, des personnes âgées se déplaçant avec des enfants en bas

âges2.

L’équipe technique chargée de cette enquête sur le terrain était composée comme suit :

Une anthropologue, consultante internationale, chef de mission et coordinatrice des

différentes activités de l’équipe ;

Un sociologue, spécialiste des enquêtes participatives et des méthodologies de

recherche qualitative et opérationnelle, chercheur principal qui a établi

préalablement les outils d’enquête.

Un traducteur, chef de l’équipe traduction des langues du camp en français ;

Un transcripteur, chef d’équipe de transcription des messages enregistrés sur les

dictaphones ;

Un co-traducteur et

Un co-transcripteur.

Les critères essentiels de sélection des traducteurs et transcripteurs ont été les suivants :

La maîtrise parfaite des langues parlées dans le camp (le Tamasheq, le songhrai et

l’arabe) ;

La connaissance de la saisie informatique

La disponibilité pendant la période l’enquête ;

Le respect de l’éthique du système des Nations Unies

Le respect des coutumes et traditions des populations réfugiées

Des connaissances générales sur la recherche qualitative ;

2En effet, l’interview émic est un outil fondamental de la recherche qualitative, car elle permet de prendre un aperçu de la

signification des comportements et pratiques des mères des enfants de 0 à 5 ans. Elle est utilisée dans le cas où on souhaite entendre de la bouche du public cible de l’enquête eux-mêmes et selon leurs propres catégories de signification et d’analyse de ce « que la vie représente pour eux ». Elle est aussi utilisée pour avoir une vision approfondie des choses.

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Le respect de la confidentialité des informations collectées.

Bien que familiarisé avec ce type d’enquête, les traducteurs et transcripteurs ont été formés

sur :

Le comportement et le protocole NCA de l’enquête ;

Les objectifs de l’enquête

La gestion des groupes et du temps

Les procédures de transcription des messages

L’utilisation des dictaphones.

Déroulement de l’étude

L’enquête s’est attachée à réunir plusieurs sources d’information en vue d’une triangulation

la plus précise et la plus fiable possible (recueil bibliographiques, ateliers d’experts, recueil

de données de terrain – témoignages des réfugiés et des professionnels – et observations

directes.

Le recueil bibliographique compile les différents rapports des SNU, du Ministère de la santé

et des ONG intervenant dans le camp. S’ajoutent des textes de littérature sociologiques et

anthropologiques sur les camps de réfugiés et sur les populations présentes (peuples du

nord Mali, ethnologie touarègue, sociologie sahélienne etc.).

Deux workshops ont été organisés (Nouakchott et Mberra) selon le protocole

méthodologique NCA (ACF). Ces ateliers réunissent les « experts » des différents domaines

liés à la malnutrition (nutrition, santé, eau et assainissement, sécurité alimentaire, services

communautaires) qui sont impliqués dans les activités d’assistance ainsi que des

représentants des réfugiés reconnus pour leur connaissance des faits sociaux et culturels des

communautés concernées. L’atelier est organisé autour d’un outil créé pour favoriser une

réflexion collective et transversale. Le but de ces ateliers est d’obtenir un consensus sur les

hypothèses candidates prioritaires pour expliquer les causes de la malnutrition, de les lister

et de les hiérarchiser. Ces hypothèses doivent guider, par la suite, les investigations de

terrain : les guides d’entretien s’appuient donc sur les éléments apparus lors des workshops

et qui seront confirmés, infirmés ou précisés pendant l’enquête de terrain.

Trois séances de restitution des résultats provisoires ont été organisées :

A Mberra auprès de la communauté réfugiée, des ONG nationales,

internationales et SNU intervenant dans le camp ;

A Nouakchott auprès des agences de la mission conjointe : PAM, UNICEF,

UNHCR ;

A Nouakchott auprès des ONG partenaires ;

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Synthèse de l’atelier de Mberra :

Le workshop s’est déroulé immédiatement après la collecte des données dans la salle de

réunion du HCR dans le camp de Mberra le dimanche 3 mars de 10h à 13h30 où tous les

partenaires ont été conviés.

Il constitue la phase préalable à l’enquête de terrain dans le camp de Mberra. Les

participants ont été invités au regard de leur expertise dans un domaine technique en lien

avec la malnutrition des enfants de moins de 5 ans ou de leur connaissance des

communautés concernées. Une traduction orale simultanée était prévue pour garantir la

participation de tous.

Tous les acteurs intervenant dans le camp ont été invités. Tous ont effectivement participé à

l’atelier à l’exception du CSA (le représentant est venu s’excuser de son impossibilité à

participer du fait d’activités urgentes).

Etaient donc représentés : PAM, UNHCR, UNICEF, ACF Espagne, Solidarités Internationales,

MSF Belgique, Oxfam, FLM, SOS désert, Interros, ALPD, Adicor, les représentants des

réfugiés (coordination technique, coordination des femmes, coordination des jeunes, ancien

chef de secteur) ainsi que deux mères bénéficiaires des programmes nutritionnels.

Les objectifs de l’atelier étaient :

Promouvoir une approche transversale de la compréhension de la malnutrition.

Définir les hypothèses candidates prioritaires des causes de la malnutrition.

Lister ces hypothèses avec un consensus des participants.

Ces hypothèses serviront de base pour l’enquête de terrain et devront être confirmées ou

infirmées par le recueil d’informations obtenues dans les camps.

Après la présentation du schéma causal de la malnutrition et des arborescences thématiques

(sécurité alimentaire, santé, eau et assainissement, environnement, géographie, facteurs

culturels, socio-économiques, psycho-social, nutrition), les premières discussions ont été

entamées suivies par un travail de groupe sur les thématiques proposées et la définition de 2

à 3 hypothèses par groupe. La restitution des résultats du travail en groupe a donné lieu à la

liste des hypothèses candidates présentées dans ce document.

Hypothèses candidates retenues pour cette étude suite à l’atelier avec les partenaires à

Nouakchott et MberraFacteurs socio-culturels

Mobilité :

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Changement d’alimentation conséquent au déplacement. La consommation de

lait a été remplacée par le CSB, difficilement acceptable.

Déplacement des familles qui entraine la rupture de la prise en charge des

enfants malnutri.

Méconnaissance de la préparation des produits CSB.

Traditionnellement après le sevrage, l’enfant consomme de la viande boucanée en

poudre + beurre de vache

Si l’allaitement est jugé insuffisant, on utilise le lait de chèvre qui est considéré

comme le lait le plus proche du lait maternel.

Si la mère mange bien (beurre, lait etc.), elle produira du lait pour toute la journée.

Pratiques d’hygiène

Lavages des mains avant les repas après les toilettes peu fréquents.

Difficile de convaincre les enfants d’utiliser des latrines car ils ont toujours eu la

possibilité de se soulager en brousse. Certains ont même peur des latrines. Par

paresse, les parents du camp ne nettoient pas les défécations de leurs enfants

faites à l’air libre.

Environnement écologique :

Ressources naturelles : l’insuffisance de combustibles (pour une bonne cuisson des

repas), l’insuffisance en pâturages et eau pour entretenir du bétail

Hygiène et assainissement :

Latrines pleines, beaucoup de mouches, manque d’hygiène.

Le matériel de nettoyage n’est plus distribué depuis l’hivernage. La discussion sur

ces points a été insistante.

La présence d’un grand nombre de mouches bleues a été incriminée comme une

conséquence majeure d’insalubrité (et hors de maîtrise des réfugiés) et cause

principale de contamination. Certains ont souligné que les étals de viande étaient

à côté des fosses à déchets.

Nutrition :

Statut nutritionnel de la mère :

absence de repas spéciaux (absence de fer, lentilles, gombo) pour les femmes

enceintes, la femme enceinte mange moins que d’habitude pendant sa

grossesse

Peu de recours aux consultations prénatales

Allaitement :

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habitude de ne pas donner le colostrum au nouveau-né.

Sevrage précoce en cas de nouvelles grossesses, maladie ou décès.

Après 6 mois, manque de complément au lait maternel (inconnu si ce n’est pas le lait

de chèvre)

Négligence du rôle de la grand-mère qui a une influence sur l’alimentation des petits.

Géographie :

Changement d’habitudes et de climat du fait du changement de milieu.

L’inégalité des sources de revenus expliquent les différences de taux nutritionnels

entre les blocs.

Vie nomade et difficultés d’adaptation ou vie plus confortable avant pour ceux qui

étaient urbains. Pour tous, manque d’aliments de base.

Origine géographique des réfugiés.

Ceux qui viennent du grand nord avec des températures extrêmes et les populations

aquatiques (celles qui vivent près des fleuves) qui sont plus sédentaires qui avaient

un régime alimentaire très varié (fruits et légumes). Changement brutal, période de

dépression, fièvres « de bienvenue ».

Contact avec le Mali : circulation régulière, sécurité, décision individuelle. Si le camp

était plus proche de la frontière, il y aurait accès à du lait.

Perte du soutien financier de la diaspora.

Psycho-social

Déstructuration familiale.

Anecdote selon laquelle un enfant malade n’aété soigné que grâce au lait de chèvre

Les réfugiés au Burkina étaient plus sédentaires au départ, et l’environnement est

beaucoup plus productif. Plus de compétences utilisées et d’emplois du fait de la

proximité avec la capitale.

Socio-économiques :

Composition familiale

Taille du ménage : plus il est grand plus c’est difficile de tenir avec les rations

distribuées.

Profil du chef de ménage : femme chef de ménage sans sources de revenus

particulièrement vulnérable.

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Santé

Suivi santé maternelle et prénatale

Organisation des soins

Sécurité alimentaire

Quantité de la ration insuffisante, 2 personnes 24 kg par mois, sans sauce, lait, bois.

Manque de jardins.

Manque de lait.

Non accès au pouvoir d’achat et à un grand marché.

Mauvaise utilisation du CSB. On confond avec le gouvier. Les gens non informés de sa

composition. Le CSB sucré est préféré.

Disponibilité de l’aliment de bétail, les AGR, l’eau pour les animaux permettra de

donner du lait aux enfants.

Calendrier du déroulement de l’enquête

Sur le terrain, l’étude conjointe sur les déterminants locaux de la malnutrition, s’est déroulée

du 27 février 2013 au 12 mars 2013. Après la sélection et la formation des enquêteurs, les

deux consultants ont constitué deux équipes qui se sont partagé le travail au niveau des

différents blocs du camp des réfugiés. Au cours de la phase terrain, des workshops, des

réunions d’animation et de facilitation ainsi que des entretiens semi-directifs, des focus

groupes, des récits de vie et des observations simples ont été organisés avec les

bénéficiaires et les partenaires de l’étude conjointe.

Au total, 7 focus groupes, 10 récits de vie et plus de 28 entretiens semi-directifs (dont 22

enregistrés) ont été organisés avec les mères des enfants de 0 à 5 ans, les guérisseurs

traditionnels, les leaders d’opinion et les responsables des ONG présentes sur le camp. Cinq

entretiens ont été réalisés à Nouakchott auprès de réfugiés de Mberra en déplacement et de

personnes ressource de la communauté touareg, de responsables d’ONG et d’autorités

administratives mauritaniennes. A ce recueil s’ajoutent les discussions informelles qui

contribuent également au corpus analysé.

Tableau 1 : récapitulatif du nombre des outils développés par catégorie des personnes

Le critère d’inclusion ou autrement groupe stratégique en anthropologie est une agrégation

d’individus, qui ont globalement, face à un même problème, une même attitude,

déterminée largement par un rapport similaire à ce problème. Parfois ils renverront à des

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caractéristiques statutaires ou socioprofessionnelles (sexe, caste, métier, etc.), parfois à des

affiliations lignagères ou à des réseaux de solidarité ou de clientèle.

Nombre Outils de collecte des données

Critères d’inclusion

7 Focus groupes Mères des enfants de 0 à 5 ans

Ethnie (Touaregs, Arabes, Songhye, Bambaras)

Milieu d’origine. (Nobles, anciens esclaves, forgerons)

10 Récits de vie Mère allaitante

Crenas/Crenam

Transit Fassala

Transit Mberra

Sans abris.

28 2 Entretiens enregistrés 6 entretiens non enregistrés

Guérisseurs traditionnels (3)

Leaders d’opinion3

Agents de santé

Crenas/Crenam

Responsables ONGS/services état

Mères d’enfants malnutris (9)

Eleveurs (2)

Grand-mère (2)

10 Observation simple Accueil

Enregistrement

Transit

Crenas/Crenam

Centre de sante

Maternité

Eau/Assainissement.

Les mères d’enfants malnutris constituent la majorité des entretiens individuels et récits

de vie, soit au total 15 témoignages.

Par ailleurs, la période choisie pour la mission terrain de l’étude conjointe a coïncidé avec la

distribution gratuite des vivres, les sessions de formation organisées par les intervenants

dans le camp et le démarrage du recensement national de la population et de l’habitat au

niveau du camp.

Les ONG

3Un leader d’opinion est une personne ou des personnes ressources de la communauté dans laquelle la recherche s’effectue

capables de représenter et influencer les opinions du groupe

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A côté du Système des Nations Unies (SNU) et des services de l’état Mauritanien,des ONG

nationales et internationales interviennent dans le camp de Mberra.

Le tableau ci-après récapitule les différents intervenants et leur domaine d’activités.

Tableau N° 2 : Domaine d’interventions des principaux partenaires dans le camp

N° Intervenants au camp de Mberra Activités principales

1 Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA) Distributions des vivres

2 District sanitaire Santé/ Nutrition 3 Centre de santé de Bassikounou Supervision santé/nutrition

4 Action Contre la Faim ONG internationale AGR /Sécurité alimentaire

5 Solidarités international ONG internationale Hygiène/Eau/Assainissement

6 Oxfam ONG internationale Hygiène/Eau/Assainissement

7 Médecins Sans Frontières Belgique ONG

internationale

Santé/Nutrition

8 Intersos ONG internationale Protection/service

communautaire/Education

9 FLM ONG internationale Abris/Matériels/Ustensiles/ ustensiles

10 ALPD ONG nationale Accueil/Enregistrement/Monitoring/

protection

11 Adicor ONG nationale Nutrition

12 SOS Désert ONG nationale (contrat avec le HCR

suspendu)

Elevage / Combustible / Environnement

CONTEXTE NUTRITIONNEL

« Chez les éleveurs, les enfants sont prioritaires pour l’alimentation. Pas chez les agriculteurs.

Je ne fais pas de jugement de valeur, les deux choix ont leur logique : privilégier l’adulte qui

est une force de production nécessaire à la famille ou privilégier les enfants qui représentent

le potentiel à venir, la destinée de la communauté. En tous cas, si vous trouvez des enfants

malnutris chez des éleveurs, c’est que la situation est très grave… » Réfugié, Atelier de

Nouakchott

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LES ENQUETES NUTRITIONNELLES

La situation nutritionnelle des enfants réfugiés de Mberra a été renseignée lors de trois

enquêtes :

Une enquête SMART en juillet 2012 (une enquête SMART au niveau national de la

Mauritanie était conduite pendant la même période) menée par le Ministère de la

Santé Publique Mauritanien et UNICEF/PAM/HCR concluait à un taux de MAG de 20%

(MAS 5,9%).

Une étude de nutrition et de mortalité rétrospective menée par MSF-Belgique en

novembre 2012 concluait à un taux de MAG de 17% (MAS 4,6%).

En janvier 2013, le Ministère de la Santé de Mauritanie en collaboration avec le PAM

et l’UNICEF, a conduit une nouvelle enquête SMART avec un questionnaire

additionnel de type CAP. Cette dernière étude conclue à un taux de MAG de 13,2%

(MAS 3,2%).

Ces évaluations successives montrent qu’en dépit des multiples interventions des

partenaires, les indicateurs du statut nutritionnel des enfants dans le camp de Mberra

restent préoccupants et démontrent la nécessité de mieux comprendre les déterminants

locaux de la malnutrition afin de mieux affiner les interventions et agir efficacement sur

les facteurs qui entravent l’amélioration du statut nutritionnel et de santé des enfants et

de la population des réfugiés en général.

Au-delà de ces enquêtes réalisées spécifiquement dans le camp de réfugiés, il est à noter

que l’étude SMART nationale de Mauritanie faisait état d’une malnutrition aigüe globale

de 12% dans le pays et de 14,8% dans la région du Hodh El Chargui (région d’accueil du

camp de Mberra).

SITUATION NUTRITIONNELLE A FASSALA

« A l’arrivée à Fassala, on a constaté qu’il n’y a pas de malnutris. C’est au bout de 2 à 3

semaines dans le camp que les enfants tombent malnutris et qu’on les retrouve dans nos

programmes. Actuellement, le CRENI est plein et 84% des enfants pris en charge dans le

CRENI sont des nouveaux arrivés… » Professionnel de santé, MSF-Belgique

L’hypothèse que les enfants arrivés à Fassala sont dans une bonne situation

nutritionnelle paraît surprenante au regard de différents éléments concordants sur le

contexte nutritionnel qui prévalait dans le nord-Mali depuis 2010 et particulièrement les

crises pastorales successives qu’on subies les éleveurs de la région. Il est, en effet,

intéressant de savoir que la dernière enquête SMART menée au Mali (juillet 2011), soit

avant la « crise alimentaire du Sahel » et les combats armés alertait déjà sur un taux de

malnutrition aigüe globale de 15,2%pour la région de Gao et plus de 16% pour la région

de Tombouctou). La FAO souligne que les éleveurs traditionnellement « moins touchés »

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par la malnutrition ont dû faire face depuis 2010 à une dégradation de leurs moyens de

subsistance (déficit fourrager et hydrique) :

« Au Mali, à l’exception de quelques localités (Kayes, Yelimané, etc.), le cumul des pluies

2011 est normal à excédentaire mais inférieur à celui de 2010. Cependant, la pluviométrie

a été mal répartie dans le temps et dans l’espace, ainsi la superficie de végétation au

niveau de la zone humide du Delta du Fleuve Niger a diminué de moitié par rapport à

octobre 2010. En ce qui concerne la situation pastorale, alors que les pâturages sont

abondants dans le Gourma (ce qui permet aux troupeaux du Mali et du Niger de se

nourrir), certaines zones du pays souffrent de déficit fourrager important (notamment les

« bourgoutières 24»). On assiste ainsi à une décapitalisation de bétail importante dans

les zones affectées de la bande sahélienne. L’évolution globale de la campagne agro-

pastorale dans le Sahel occidental et central, voire dans le delta intérieur du fleuve Niger,

est mauvaise. » LA CRISE ALIMENTAIRE ET NUTRITIONNELLE DU SAHEL: L’urgence

d’appuyer la résilience des populations vulnérables Cadre stratégique de réponse

régionale Burkina Faso, Gambie, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad, et Sénégal, FAO (avril

2012.

Notons que si aucune enquête nutritionnelle n’a été réalisée dans les régions d’origine

des réfugiés pour des causes évidentes d’insécurité, plusieurs ONG néanmoins actives

dans ces régions ont alerté en 2012 –et même en réalité depuis 2010 - l’opinion publique

sur la crise alimentaire et nutritionnelle ainsi que la crise pastorale que traversaient les

populations du Sahel en général et du nord-Mali, en particulier.

« En outre, pour la deuxième année consécutive, d'importants déficits fourragers ont été

enregistrés dans les zones pastorales et agropastorales au Niger, au Tchad et au Nord Est

du Mali et du Burkina. De plus, l'insuffisance d'eau d'abreuvement et le niveau élevé des

prix des céréales combinées à la baisse de la valeur du bétail exacerbent les difficultés en

milieu pastoral. Cette nette détérioration des termes de l’échange bétail/céréales limite

l’accès alimentaire des ménages pastoraux et agropastoraux qui sont les plus

vulnérables. »Concertation régionale sur la situation alimentaire et nutritionnelle au

Sahel et en Afrique de l’Ouest, CILLS (avril 2010).

Cette vision globale nous permet de penser qu’après avoir subi une crise alimentaire et

pastorale, un déplacement forcé parfois long de plusieurs jours, les enfants des familles

réfugiées arrivent à Fassala dans une situation nutritionnelle fragile et méconnue. Si

quelques cas apparaissent bien dans les registres du CRENAS de Fassala, beaucoup

d’admissions ne sont pas répertoriées :

Lors de notre visite, le camp de transit de Fassala accueillait près de 200 enfants

de moins de 5 ans. Au troisième jour de présence, les familles ont affirmé que

tous leurs enfants avaient été vaccinés par les services de santé prévus mais

aucun n’avait été dépisté pour la malnutrition (MUAC ou recherche d’œdème).

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Au poste de santé, le service CRENAS existe mais pas de service CRENAM. Les

enfants dépistés modérés sont orientés verbalement - et non répertoriés -vers les

CRENAM de Mberra. Les enfants dépistés sévères ne sont pas systématiquement

répertoriés dans les registres, le personnel préférant conseiller une orientation

vers les CRENAS de Mberra pour ne pas accuser de taux d’abandons trop élevés

dans leurs statistiques. Seuls les enfants dépistés sévères qui doivent rester

plusieurs jours dans la zone sont effectivement admis et pris en charge à Fassala.

Les familles rencontrées étaient dans le camp de transit depuis trois jours. Aucun repas ne

leur a été distribué depuis leur arrivée. Seul un repas la veille du départ du convoi vers

Mberra est prévu.

« Les gens n’ont rien à manger au cours du trajet, c’est ce qui provoque la malnutrition et la

mobilité est une de ces causes. Les gens quittent avec les enfants dans des difficultés

énormes. De janvier à octobre, il y avait aussi beaucoup de malnutris causés par la

sécheresse… » Professionnel du poste de santé de Fassala

Le personnel du poste de santé affirme que beaucoup d’enfants arrivent malnutris à Fassala

et craint que la situation s’aggrave dans les prochains mois. En effet, il constate les

conséquences du ralentissement, voire de l’arrêt, des services sanitaires du nord-Mali

pendant l’année 2012 :

« Il y a un an, quand les premiers réfugiés sont arrivés, on a constaté que quasiment la

totalité des enfants était vaccinée. Actuellement c’est exactement l’inverse. L’arrêt des

programmes de santé dans la région a eu des conséquences. Aujourd’hui les enfants qui

arrivent ne sont plus vaccinés, il n’y a plus eu de suivi nutritionnel non plus. »Professionnel de

santé à Fassala

L’insuffisance du nombre de repas distribués à Fassala est incompréhensible si l’on tient

compte de la durée que ces populations restent dans cette localité avant d’être transféré à

Mberra. Les personnes que nous y avons rencontrées étaient là depuis trois jours après un

voyage particulièrement long et éprouvant pour certains, en particulier les familles qui

n’ayant pas les moyens de se déplacer en véhicule, ont fait le trajet en charrette. Si l’on

suppose que les enfants à l’arrivée à Fassala peuvent être dans un état nutritionnel déjà

fragilisé, le choc du déplacement conjoint à plusieurs jours passés sans s’alimenter

convenablement va contribuer à les précipiter dans une situation nutritionnelle aggravée.

Cet état de fait est cohérent avec les statistiques d’admission des enfants « nouveaux

arrivés » dans le camp des différents programmes nutritionnels : 575 « nouveaux

arrivés »admis dans les CRENAM selon le superviseur des CRENAM, 84% des enfants admis

au CRENI depuis le mois de février sont également « des nouveaux arrivés ».4

4 Ces données ont été communiquées par les superviseurs des CRENAM et celui du CRENI

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On peut conclure que les réfugiés maliens cumulent des facteurs d’exposition à la

malnutrition : dans leur région d’origine du fait de la crise pastorale et alimentaire puis à

Fassala dû au déplacement et aux conditions d’accueil et enfin à Mberra du fait de l’accès

différé de la distribution de vivres à leur arrivée et pour finir des conditions de vie dans le

camp.

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Causes immédiates :

Les causes immédiates sont celles qui ont le lien le plus direct avec la malnutrition des

enfants, soit : des apports alimentaires inadéquats, des pathologies associées ou une

perturbation majeure du développement de l’enfant. L’aide alimentaire fournie à Mberra

répond aux standards nutritionnels et les services de santé aux maladies fréquemment

associées à la malnutrition. Néanmoins le régime alimentaire est ressenti comme inadapté

aux besoins des enfants et la prévalence de pathologies trop élevée pour éviter la

malnutrition aigüe des enfants :

SCHEMA CAUSAL, UNICEF/ACF

1.1 L’ABSENCE DE LAIT

« Sans le lait, vous ne pourrez jamais lutter contre la malnutrition ! » Mère d’un enfant

CRENAS Mberra

« Le lait chez les pasteurs touaregs joue un rôle essentiel : il nourrit, désaltère, guérit. A la

création du monde une seule chamelle nourrissait l’humanité toute entière. Elle fut tuée par

les hommes. Le lait représente l’aliment majeur, tant par sa qualité nutritionnelle que par sa

valeur symbolique. » E.Bernus.

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« Aman, iman, akh isudar : l’eau, c’est la vie, c’est le lait qui nous nourrit. » (Proverbe

tamasheq)

Tous les entretiens et les discussions effectués pendant l’enquête ont commencé par

accuser l’absence de lait comme cause première de la malnutrition. Au-delà de l’habitude

alimentaire propre aux nomades dont le régime est effectivement basé quotidiennement sur

la consommation de lait et de viande, nous avons essayé de comprendre quelles étaient les

différentes dimensions associées au lait et ses différentes utilisations et plus

particulièrement pour les enfants.

« Là où on vivait, les enfants se nourrissaient du lait frais la nuit et du lait caillé concentré la

journée. Souvent aussi on leur faisait boire un peu de beurre « TADARAWDARAWT » souvent

à base de la gomme arabique et un bouillon de viande hachée. Ici c’est surtout le manque du

lait qui est un grand problème et source de toutes les maladies. Alors la seule solution pour

mettre fin à cette catastrophe c’est le lait. A défaut du lait des animaux, le lait en poudre. »

Guérisseur traditionnel

Toutes les personnes interviewées ont insisté sur le fait que les enfants tombent malades à

cause du manque de lait. Après la naissance, la femme qui vient d’accoucher consomme une

recette bien spéciale pour favoriser la production de lait maternel :Dognou, composé de mil

pilé étendu de lait, sucre, tafongora (plante médicinale), sel et parfois, piment. Elle privilégie

pendant les mois suivants une alimentation riche, comprenant beaucoup de lait et de

fromages pour assurer une bonne lactation.

Le régime normal d’un enfant est d’associer le lait de chèvre, réputé comme étant le plus

proche du lait maternel, à l’allaitement maternel dès 6 mois. Parfois on introduit même le

lait animal avant les 6 mois dans le cas où la mère juge sa production de lait maternel

insuffisante.

Après 6 mois, les enfants consomment chaque jour du beurre, du lait, des fromages et de la

viande séchée réduite en poudre mélangée à du beurre. Notons que si le lait est consommé

par tous, il est considéré que les besoins en produits laitiers sont particulièrement

importants pour les enfants et les vieilles personnes. Précisions également que ce goût

prononcé pour un régime lacté est partagé par les différentes communautés et classes

sociales présentes dans le camp. Les laits (chèvre, vache, chameaux mais aussi lait en poudre

et en boite) constituent en temps normal l’aliment principal et l’aliment de base des enfants

et de leurs familles. Les éleveurs ont l’habitude de posséder plusieurs espèces animales pour

couvrir les besoins en lait toute l’année (d’octobre à janvier pour les chèvres, de juillet à

novembre pour les vaches). A cette stratégie s’ajoute plusieurs techniques de conservation

et de transformation du lait : les fromages secs qui remplacent le lait, le beurre qui,

conditionné avec du miel, peut se conserver environ 8 mois). L’absence de lait revêt donc

l’apparence d’une catastrophe alimentaire majeure à laquelle il faut remédier à tout prix.

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Au-delà des caractéristiques alimentaires et nutritionnelles de la consommation du lait, c’est

bien un fondamental culturel et symbolique dont les réfugiés se sentent privés. Les

mécanismes de partage et de solidarité habituelles sont rendues inaccessibles;

C’est alors que la famille réunie près de la tente se passe la coupe et chacun emplit sa

bouche du liquide avant de la donner à son voisin. Mettre dans sa bouche une gorgée de

liquide, ici de lait, s’exprime par le verbe ghobba : ce rituel où chacun successivement

apaise sa faim et sa soif, se présente comme une communion autour de ce précieux aliment

contenu dans une coupe qui passe de mains en mains. Mais attention aux goulus ! Un

proverbe met en garde les convives : « Avec celui dont les joues ne sont pas égales aux

tiennes, ne prends pas ghobba. »

« Pour désigner quelqu’un qui ne donne pas d’importance à sa parenté, on déclare qu’il n’a

pas de lait en lui. »Laits Touaregs, E.Bernus

On voit que l’absence de lait est vécue comme une fragilisation culturelle et symbolique,

nous avons constaté, de surcroit, qu’elle était également une menace pour la cohésion

sociale. La récurrence du manque de lait comme première cause de la malnutrition n’a pas

eu d’égale pendant nos investigations et les stratégies pour en obtenir sont nombreuses et

témoignent de « l’obsession » des familles pour pallier à ce manque. Si quelques ménages

ont réussi à avoir un peu de chèvres pour la consommation de lait pour les enfants, la

majorité des réfugiés n’a d’autre alternative que d’acheter du lait en poudre dans les

commerces ou pour quelques-uns, d’acheter du lait frais aux rares éleveurs qui ont du bétail

à proximité. Cela nécessite, en premier lieu, d’avoir de l’argent.

1.2 LA QUETE DE LAIT ET L’APPAUVRISSEMENT

L’achat de lait représente la dépense priorisée par les mères de familles, il contribue

directement à l’appauvrissement des familles. Vivres et tout autre produit distribué risquent

d’être vendus pour satisfaire ce besoin jugé comme essentiel. La revente des vivres, à bas

prix est une pratique courante. Des commerçants proposent le rachat des vivres sur le site

même de la distribution, ces derniers approvisionneront sans doute les marchés locaux. Le

prix de vente ne permet naturellement pas d’obtenir du lait et de la viande pour un mois

complet, ce qui va précipiter la famille revendeuse dans une insécurité alimentaire au bout

de quelques jours, au mieux de 2 ou 3 semaines. La somme de la revente peut également

être affectée à l’achat d’une chèvre pour obtenir du lait frais, mais les moyens d’entretien et

de gardiennage du petit bétail contraignent également les capacités financières du ménage.

Pour finir, le risque d’un cycle d’endettement auprès des petits commerçants du camp

participe de l’appauvrissement des ménages.

1.3 LAIT ET COHESION SOCIALE

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« Le lait ne doit pas être vendu, mais donné au voyageur et à l’hôte. C’est la nourriture par

excellence et lorsqu’il coule en abondance on en boit à satiété avant de donner le reste aux

chiens ou aux chevaux, animaux qui partagent avec l’homme cette nourriture divine. Les

céréales ne sont qu’un complément qui ne le remplace pas.

Ainsi dit le poète :

« Trayez le lait de chamelle, son lait vaut mieux que le mil pilé. »

Al-Qasum ag Himi (in Nicolas, 1944 : 45). E.Bernus

Traditionnellement le lait n’était pas vendu dans les sociétés touarègues. On se devait de

donner et de partager le surplus d’une production non consommée. Cette tradition s’est

dissipée, particulièrement dans le mode de vie urbain. Il est apparu que le lait devenait une

précieuse source de revenus :

« Le lait, c’est notre or, notre pétrole, notre richesse. On ne pourrait pas empêcher quelqu’un

de vendre du lait aujourd’hui.» Eleveur réfugié, Mberra

Dans le camp, la rareté du lait conduit à une concurrence « anormale » entre les réfugiés là

où ce produit était plutôt associé à des valeurs de partage et de solidarité. Mais au-delà de

ce que le lait a représenté, son accessibilité a toujours été possible, soit que l’on possède

même peu de bétail, soit qu’on avait quelques sources de revenus pour en acheter. Dans le

contexte du camp, l’accès au lait frais n’est possible que pour une minorité – peu de bétail –

et le lait en poudre vendu dans les boutiques du camp est cher. Les opportunités de gagner

de l’argent sont, elles aussi, assez rares pour être convoitées, elles contribuent à cette

concurrence qui est apparue, comme une atteinte à la cohésion sociale.

1.4 LE LAIT, PREALABLE AUX SERVICES.

« Dans la région de Kidal, le taux de malnutrition aiguë globale est passé de 6% en 2011 à

13,5% en 2012″, souligne Olivier Vandecasteele, responsable des projets de Médecins du

Monde au Mali. « Nous sommes bien au-delà du seuil d’alerte fixé à 10% par l’OMS

(Organisation mondiale de la Santé, NDLR). C’est une catastrophe de plus pour les

populations pastorales du Nord Mali, traditionnellement moins touchées par la

malnutrition », commente Olivier Vandecasteele, MdM

Lors des entretiens et des focus groupe conduits à Mberra, la question du lait est si

dominante qu’elle en occulte les autres problématiques et limitent l’adhésion aux services

de santé et de nutrition. Les populations nomades sont traditionnellement moins affectées

par la malnutrition aigüe aussi du fait de leur régime alimentaire protéiné. Elles sont,par

conséquent, très exposées lors d‘épisodes de sécheresse comme en a subi le Sahel ces

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dernières années. En dehors de ces crises pastorales, les familles arabes et touarègues

considèrent que leurs enfants ne tombent pas dans la malnutrition s’ils ont un régime

alimentaire habituel. Cette conviction se heurte aux différents messages produits par les

prestataires en nutrition :

« Là où on vivait, les enfants se nourrissaient du lait frais la nuit et du lait caillé concentré la

journée. Souvent aussi on leur faisait boire un peu de beurre « TADARAWDARAWT » souvent

à base de la gomme arabique et un bouillon de viande hachée. Ici c’est surtout le manque du

lait qui est un grand problème et source de toutes les maladies. Alors la seule solution pour

mettre fin à cette catastrophe c’est le lait. A défaut du lait des animaux, le lait en poudre. »

Guérisseur traditionnel, Mberra

« Ce n’est pas la peine de chercher à savoir comment on allaite nos enfants ou comment on

accouche. Avant, on faisait pareil avec les enfants et ils étaient en bonne santé. Apportez

nous du lait et vous verrez qu’ils ne seront plus malades. » Femme forgeronne, Mberra

L’absence de lait étant considérée comme la première, voire la seule cause de la

malnutrition, il est difficile d’aborder d’autres sujets qui pourraient avoir un lien avec le

statut nutritionnel : pratiques d’allaitement ou de sevrage ou encore conditions

d’accouchement paraissent des sujets superflus aux mères tant que la question de l’accès au

lait n’est pas résolue. Ce sujet occulte les autres problématiques et peut constituer un frein

aussi bien à la prise en charge nutritionnelle qu’aux messages de promotion de la santé

susceptibles d’être diffusés.

1.5 L’ALIMENTATION DISPONIBLE

« Entre nobles, tu ne peux pas demander si tu es dans le besoin. Tu ne peux pas dire que tu as

faim, c’est très honteux. Et il y a des choses que tu ne peux pas faire devant ta belle-famille,

surtout les choses qui concernent la nourriture… » Réfugié, Mberra

L’essentiel de l’alimentation disponible aux réfugiés provient de la distribution générale de

vivres. Celle-ci contient du riz, des haricots, du CSB, de l’huile végétale, du sel et du sucre.

Comme précisé dans le rapport post-distribution du PAM, 30% des ménages sont sans

source de revenus, leur régime alimentaire serait donc exclusivement composé de ces

denrées. L’organisation de la distribution générale de vivres a souvent été abordée par les

interviewées. En effet, notre arrivée a succédé à la première distribution par scooping (soit

une distribution individuelle au chef de ménage), les précédentes s’organisaient en grouping

par le biais de chefs de secteurs. Cela avait été choisi en première intention par le HCR, le

CSA et la coordination des réfugiés avant l’arrivée du PAM deux mois plus tard. Ce

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changement – de grooping à scooping - s’est appuyé sur une pratique plus courante de l’aide

alimentaire et surtout sur le constat d’une inégalité de l’accès aux vivres, certains étant

lésés, à un moment donné de la chaine de distribution, dans la quantité obtenue, d’autres,

semblent-ils qui ne recevaient , au final, rien ou presque. L’obligation morale d’une

distribution égalitaire, contrôlée et transparente s’est imposée et redéfini radicalement les

règles.

Ce changement ne s’est pas fait sans heurts : marches, protestations et appel au boycott,

voire comportements agressifs, la résistance d’une partie des réfugiés était franchement

déclarée. Il parait assez évident que certains chefs de secteurs tiraient des bénéfices

personnels à cette organisation et qu’ils ont souhaité rallier à leur cause d’autres réfugiés.

Cela n’aurait pas été possible sans des éléments qui faisaient écho aussi à ceux qui n’étaient

pas impliqués dans une mauvaise redistribution des vivres. Certes des arguments

pragmatiques ont bien été avancés : l’attente au soleil, avec les enfants, la fatigue des

vieilles personnes, le temps d’attente interminable etc. Ces réalités ont bien été prises en

compte lors de la distribution du mois de mars à laquelle nous avons assisté. Les rangs

d’attentes avaient été aménagés (ombre, rationalisation des files selon la taille du ménage et

le sexe des personnes qui attendent, contrôle des registres informatiques simultané etc.), un

site de distribution supplémentaire était opérationnel et l’ONG Interssos dédiée à récupérer

les vivres des personnes trop faibles pour se déplacer (femmes enceintes, vieilles personnes,

malades etc.).

Si nous relatons ces faits, c’est qu’ils ont été évoqués de nombreuses fois dans les entretiens

et qu’ils témoignent de particularités concernant l’alimentation comme l’explique ce

réfugié :

« Chez nous, les touaregs, ce qui concerne la faim et la nourriture est comme sale, honteux.

C’est pour ça que les gens refusent le rang pour la distribution. Tu comprends, un touareg ne

peut jamais dire qu’il a faim ou réclamer à manger, même pas à ses proches. Tu ne dois pas

regarder quelqu’un que tu respectes en train de manger et il est absolument impossible de

manger en présence de sa belle-mère, même de sa belle-famille mais encore plus sa belle-

mère. Imagine ce que l’on peut ressentir lorsqu’on se retrouve à faire le rang en même temps

que sa belle-mère ou pour un vieux de sa belle-fille. C’est terriblement humiliant… » Réfugié

touareg, Mberra

De même, la rumeur sur une femme enceinte qui aurait accouché en attendant son tour au

site de distribution a été rapportée plusieurs fois et même repris par les notables du camp et

pendant le workshop à Nouakchott. En réalité, il apparait que cet évènement n’a pas eu lieu

et qu’il était raconté comme une justification imparable à un retour à une distribution

groupée. Cette anecdote peu plausible témoigne toutefois d’une autre entame culturelle :

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« Dans la société touareg, quand une femme est enceinte, on doit tout faire pour ne pas la

contrarier, ne pas la fatiguer, répondre à ses envies. Alors imposer à sa femme enceinte

d’aller faire le rang pour la distribution, c’est tellement le contraire de ce qu’on doit faire

normalement. » Réfugié touareg, Mberra

Malgré ces difficultés, la fermeté à maintenir une forme de distribution qui garantit un accès

équitable à tous et la bonne organisation de celle du mois de mars (temps d’attente

significativement diminué, attente à l’ombre, vérification et transparence etc.) ont fini par

recueillir la compréhension et l’adhésion du plus grand nombre. D’autant plus pour ceux qui

s’estimaient, à tort ou à raison, lésés d’une partie de la ration.

Cependant, des obstacles inhérents à l’accès à l’assistance alimentaire persistent encore, tels

que les procédures de planification des distributions des vivres par le CSA, le PAM et le HCR

et les attitudes et comportements de l’ethnie touareg face à l’obligation du rang pour avoir

la ration alimentaire mensuelle. En effet, nous avons entendu à plusieurs reprises de la

bouche même des femmes chefs des ménages dans les centres d’accueil et de transit de

Fassala et Mberra que les familles sont laissées à leur compte jusqu’à la prochaine

distribution : même si les nouveaux arrivants sont venus dans le camp au moment de la

distribution, ils ne bénéficieront des rations alimentaires qu’à la prochaine distribution,

même si celle-ci est programmée 25 jours après leurs arrivées dans le camp. Par ailleurs,

dans les traditions et coutumes de l’ethnie touareg, il est tout à fait mal vue ou même

considéré comme un blasphème d’avouer une nécessité alimentaire.

Le CSB

Les farines enrichies, telles que les mélanges maïs-soja (CSB, ou corn-soy blend), sont depuis

longtemps utilisées dans les programmes d’aide alimentaire pour prévenir les carences

nutritionnelles. Pour les populations de culture nomade, les protéines animales (produits

laitiers) sont les plus efficaces pour optimiser la croissance des jeunes enfants. Cependant, la

composition du CSB, mélange à base d’aliments végétaux, ne comporte pas ces produits

laitiers essentiels. Il ne garantit donc pas, aux yeux des parents, une croissance optimale de

l’enfant pendant ses premières années de vie. Par ailleurs, la préparation demande de l’eau

propre, souvent rare dans le milieu nomade. La cuisson du CSB nécessite également une

préparation méconnue des familles et du bois de chauffe qui manque cruellement dans le

camp de Mberra. Ainsi avons-nous pu constater une perception négative de ce produit :

« Le CSB on n’en veut pas. On ne le connaît pas. Ce qu’on veut c’est le lait. Le riz n’est pas de

qualité et en plus la quantité est insuffisante. On n’a pas de quoi acheter le petit déjeuner, la

sauce et tout le reste. On peut pas vivre sans lait, sans sauce, c’est pas possible, même si on

mange un sac de riz sans sauce c’est zéro. Le nouveau CSB on ne peut même pas forcer

l’enfant à le manger, on le verse car on n’a même d’animaux auxquels on va le donner. On a

quitté chez nous laissant derrière nous tout ce qu’on avait et on se retrouve ici avec du riz

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sans sauce et du CSB que même les animaux ne peuvent consommer ». FG, femmes touaregs,

Mberra

« Les enfants ne mangent pas le CSB car ils ne sont pas habitués à ce produit. Ils ne

connaissent que le lait et la viande qu’ils n’ont plus depuis leur arrivée au camp. Ils ne

mangent que le riz de mauvaise qualité ou sans sauce ici et c’est ce qui fait qu’ils sont

toujours malades. On ne trouve pas notre aliment de base qui est le lait. » FG, femmes

arabes, Mberra

La méconnaissance de la préparation adéquate du CSB provient, en partie, de la confusion

faite entre ce produit et une recette mauritanienne appelée gouvié. Celle-ci consiste à

mélanger une farine avec de l’eau froide et à boire le mélange. Plusieurs mères ont déclaré

avoir procédé de même avec le CSB (sans cuisson ni ajout). Elles ont directement constaté

que cela provoquait des diarrhées et ont associé le CSB au ventre qui coule.

Pour d’autres, il parait difficile de croire qu’une bouillie destinée aux enfants puisse être

préparée sans ajout de lait.

« Évidemment on ne sait pas comment certains produits qu’on nous donne ici se préparent.

Ce qu’on connaît on ne l’a pas. Le CSB on ne l’a jamais vu, ça vient d’autres pays, ce n’est pas

un produit de chez nous. On ne connaît que du bon riz, le lait, la viande et le beurre. Le CSB on

le met dans une eau bouillante ou on en fait une bouillie. Et une bouille sans lait de qualité,

n’est pas nourrissante. Soit le lait des animaux ou un autre lait de qualité. » Mère, CRENAM

1.6 LA SANTE ET LES PATHOLOGIES ASSOCIEES

Infections respiratoires aigües, diarrhées, paludisme

Les données épidémiologiques disponibles dans les statistiques médicales du centre de

santé font apparaitre les infections respiratoires comme la première pathologie associée à la

malnutrition suivie de près par les diarrhées. Le paludisme a causé un pic de prise en charge

de la malnutrition en juillet, soit pendant la période de l’hivernage. (cf. Présentation

PowerPoint des résultats de MSF-B aux réfugiés et partenaires à Mberra)

Les mères des enfants que nous avons rencontrées expliquent la prévalence des IRA par

l’exposition au vent et au froid. Plusieurs d’entre elles déclarent ne pas avoir d’abris depuis

près d’un an ni avoir eu accès aux distributions de couverture ou d’habits.

Il est difficile d’avancer une cause des diarrhées. La mauvaise préparation du CSB peut en

être une. La qualité de l’eau de boisson disponible au sein de ménages sera un élément

déterminant pour savoir s’il elle est l’origine de maladies hydriques et des diarrhées

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associées à la malnutrition des enfants. D’après un rapport d’enquête CAP mené par

Solidarités Internationales:

« 13% des ménages dans cette enquête disent collecter de l’eau à d’autres sources,

malheureusement ces sources n’ont pas été identifiées dans le traitement du questionnaire.

(…). 21% des ménages déclarent nettoyer leurs récipients avant chaque remplissage, 59% les

lavent moins d’une fois par jour, 31% nettoient le récipient avec de l’eau et du savon. »

Rapport CAP août 2012, SI

Les analyses de qualité de l’eau dont nous avons été informés ont été réalisées au niveau

des sources d’approvisionnement (tank, forages) mais nous n’avons pas obtenu de données

concernant l’analyse des eaux de boisson au niveau des ménages. Or, plusieurs modes de

contamination peuvent intervenir au moment du transport et du stockage de l’eau :

récipients, bétail vagabond (ânes, chèvres) à proximité des récipients d’eau – et qui peuvent

éventuellement s’y abreuver -, réutilisation de l’eau etc.

« 54,3% des mères ont déclaré que leur enfant a connu un épisode diarrhéique au cours des

deux dernières semaines. 99,3% déclarent ne pas traiter l’eau de boisson avant utilisation »

CAP/SMART MSP/PAM/UNICEF, janvier 2013

Les mères ont l’habitude de donner de l’eau à boire aux bébés, et ce avant 6 mois et

cherchent à leur faire consommer du lait, conformément à leurs habitudes. Pour cela, celles

qui n’ont pas l’opportunité de donner du lait de chèvre, s’approvisionnent en lait en poudre

et préparent des biberons ou des bols de lait. Nous ne pouvons pas exclure que l’eau avec

laquelle elles préparent ces laits soit à l’origine de la forte prévalence des diarrhées

infantiles. L’accès très contraignant aux combustibles exclut, de fait, la possibilité de faire

bouillir systématiquement l’eau destinée aux enfants.

D’après les données des CRENAS, un pic d’admission relevé en juillet et septembre,

correspond à une augmentation du paludisme. Cela fait de cette pathologie la troisième

associée à la malnutrition aigüe. Des moustiquaires ont bien été distribuées (la dernière

distribution a été réalisée en juin 2012). Une moustiquaire imprégnée par ménage, il a fallu

donc choisir qui dormirait dessous, parents et enfants ne dormant pas ensemble. Certaines

familles ont avoué avoir revendu leur moustiquaire pour acquérir un bien jugé plus essentiel.

2 CAUSES SOUS-JACENTES

Les causes sous-jacentes comprennent les déterminants liés à la sécurité alimentaire des

ménages, à l’environnement psycho-social et les pratiques de soins aux enfants ainsi qu’à la

santé publique et l’environnement sanitaires. Ces éléments influencent les causes

immédiates de la malnutrition et concernent plusieurs domaines techniques justifiant une

réponse multisectorielle.

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3.1 SECURITE ALIMENTAIRE

Economie des ménages

Dans un contexte où la sécurité alimentaire des ménages repose sur leur capacité à

consommer entièrement les vivres distribués et à compléter le panier alimentaire (cf.PDM,

PAM), la pauvreté est un déterminant majeur de la sécurité alimentaire et de la sécurité

nutritionnelle.

Le camp offre peu d’opportunités de ressources économiques, or beaucoup de réfugiés ont

perdu leurs revenus à la suite du déplacement. Ceux qui étaient fonctionnaires ou employés

ont perdu leur emploi, la plupart de ceux qui étaient éleveurs ont dû se résoudre à laisser

leurs troupeaux au Mali ou à la frontière, les artisans n’ont pas pu emporter ou retrouver les

matières premières liées à leurs activités et les mécanismes de transfert d’argent entre

parents se sont taris, tous étant touchés par la crise et/ou l’exil. Seuls le petit commerce et

les emplois dans les ONG sont susceptibles de rapporter un peu d’argent.

L’autre moyen de gagner de l’argent pour ceux qui n’ont pas les compétences suffisantes

(notamment linguistiques) de travailler pour une ONG ni les moyens de constituer un stock

pour le commerce est de revendre une partie de ce qui est distribué pour subvenir aux

besoins (aliments dont le lait et la viande, habits, bois de chauffage, transports etc.).

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Divorces (et mariages) nombreux

« Les maladies qu’un enfant rencontre lors d’un divorce vient du fait son père ne prend plus

ses dépenses en charge, mais ce n’est pas tous les hommes » Femme divorcée

De l’avis de tous, la vie dans le camp a provoqué un grand nombre de divorces. C’est une

illustration à grande échelle d’une croyance partagée qu’un divorce est contagieux, lorsqu’il

y’en a un, trois autres suivront rapidement. On reconnait également que les opportunités de

rencontres dans le camp favorisent tout autant des mariages et des re-mariages. Que ce soit

à cause des divorces – qui ont pour conséquence une altération immédiate des revenus

financiers de la famille -, des hommes restés au Mali, des combattants ou des victimes de la

guerre, les statistiques confirment le nombre important de femmes seules avec les enfants

(80% des réfugiés). Les femmes chefs de ménage risquent de cumuler précarité économique

et lourdeur des tâches quotidiennes (corvée d’eau, de bois, repas, soins aux enfants etc.)

jusqu’à une sensation de découragement face à un avenir trop incertain. Dans ce contexte la

disponibilité physique et psychologique des mères pour le soin aux enfants s’en ressent.

L’élevage

« Dans le camp et aux alentours, on peut dire qu’il y a 12 000 bovins, 6000 ovins et caprins,

60 têtes camelins, 400 ânes qui appartiennent à 226 éleveurs réfugiés. » SOS désert

Même si tous les réfugiés de Mberra ne sont pas des éleveurs, tous vivaient de manière

directe ou indirecte des produits de l’élevage. Plus qu’une activité économique, l’élevage est

surtout le socle social et culturel commun à la majorité des habitants du nord-Mali. Les

éleveurs réfugiés affirment avoir laissé la grande partie de leur bétail dans leur région

d’origine ou à la frontière. La rareté des pâturages et les épizooties déclarées comme plus

nombreuses en terre mauritanienne ont poussé les éleveurs à confier les troupeaux à un

berger, un parent ou un voisin pour « minimiser » le risque de perte du cheptel. Pour

d’autres, la précipitation du départ n’a pas vraiment laissé le choix. Mais pour la plupart la

crainte de ne pas retrouver leur bétail à leur retour est vivace. La recherche d’une solution

pour reprendre une activité d’éleveur adaptée à la vie de réfugiés a été fréquemment

abordée : mise à disposition d’animaux, d’aliments pour bétail, d’abreuvoir, de soins

vétérinaires, de clôture pour parquer les troupeaux, ainsi que le soutien à un abattoir et à

une laiterie. Les chèvres sont recherchées en priorité du fait de leur « rusticité » et des

moyens plus modestes que nécessitent leur entretien comparé aux vaches.

« Pour prévenir toutes ces maladies (TAHAFNINT, TAWARAGHWARAQ, AMAGRISS…) il faut

des laitières. Visiblement les enfants les mieux portant sont ceux qui ont une ou deux

laitières, la plupart ne sont pas dans les programmes ( plympy-nut, CSB…). Ceux qui ont des

laitières ne sont pas du tout nombreux. Cependant beaucoup de gens ont des animaux en

brousse mais ils ne peuvent pas les amener faute de pâturages. Les gens n’ayant pas les

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moyens de nourrir ces animaux, sont obligés de les laisser. Si on amène des animaux ici, il

faudrait les nourrir pour en tirer profit (aliment bétail, eau, soins), là les enfants iront mieux.

Bref si ils reçoivent du lait de façon habituelle, le bonheur se fera sentir et les maladies

diminueront ». Père, Mberra

La mise en commun des têtes de bétail et des dépenses pour leur entretien n’est pas chose

évidente. La caste des forgerons, traditionnellement plus habituée à mutualiser les moyens

de production semble s’être un peu plus organisés :

« Bien sûr que certaines personnes dans le camp ont des chèvres. C’est grâce à ça même que

nous survivons nous aussi. Lorsqu’on a un peu duré, on a acheté quelques-unes pour les

enfants et c’est avec leur peu de lait qu’ils tiennent comme ça.

Avoir une ou des chèvres est aussi une autre charge car tu payes le berger par mois, tu

achètes de l’aliment bétail et tu lui réserves l’eau aussi. Tu dois aussi t’occuper du ou des

petits cabris. Mais pour avoir du lait pour mon enfant tout est faisable tant que j’ai la

possibilité. Il y’ a berger commun auquel on paye 1000 ouguiya par bête et par mois.

Plusieurs familles optent pour ce système, seules celles qui n’ont pas de quoi acheter une

chèvre qui n’en n’ont pas. Beaucoup de veulent avoir des chèvres mais ils n’ont pas de quoi

les acheter et les entretenir. » FG forgeronnes touarègues

A l’inverse, une famille d’origine noble mais visiblement pauvre explique la malnutrition de

leur enfant comme une conséquence directe de la mort de l’unique chèvre qu’ils avaient pu

ramener :

« On est partis très vite, on a tout laissé derrière nous. On n’avait qu’une seule chèvre pour

nourrir la cadette. La chèvre est morte, un mois après notre fille est tombée dans la

malnutrition et depuis on n’arrive pas à la faire guérir parce qu’on n’a pas les moyens d’avoir

une autre chèvre. » Parents d’un enfant malnutri.

Le commerce

« Globalement l’achat de nourriture constitue le principal motif de dépenses. L’achat de

viande et de lait sont les deux principaux postes de dépenses des ménages du camp,

respectivement avec 97% et 94% des ménages. » Rapport PDM, PAM

Dans le camp, on peut constater plusieurs petits commerces qui assurent

l’approvisionnement des réfugiés pour compléter le panier alimentaire. Un marché

hebdomadaire a lieu le vendredi à Mberra village situé à environ 6 km du camp.

Il a pu être observé que des commerçants - hors camp -se déplacent à Mberra les jours de

distribution des vivres pour acheter la part des rations revendues à bas prix par les réfugiés.

A l’inverse, pour compléter leur panier alimentaire, les réfugiés sont tributaires des prix

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élevés pratiqués par les boutiques du camp. L’accès restreint aux marchés5 pèse sur le

pouvoir d’achat et limite les possibilités de commercialisation des produits artisanaux

fabriqués par les réfugiés.

« Un marché au camp !? Ah oui ça serait super ! Là je ne serais plus obligé d’exposer mes

petites affaires que voici à la maison où le grand public ne peut les voir. Je les exposerai

dans endroit favorable et d’échange au vu et au su de tout le monde. Je ne serai plus obligé

de faire des kilomètres pour me rendre chaque vendredi au marché de M’berra village. Un

grand marché au camp c’est bien, mais il faut aussi financer nos activités génératrices de

revenus pour avoir de quoi alimenter le marcher. On a besoin d’un capital pour commencer. »

Focus groupe Forgerons, Mberra.

Les combustibles

La source principale de combustible de cuisson des aliments est l’achat (58,4% des cas). La

coupe de bois et le ramassage de bois mort viennent ensuite avec respectivement 42,1% et

41,4% des cas. 30,3% des ménages déclarent fabriquer eux-mêmes le charbon qu’ils

utilisent.

Sources des combustibles utilisés

Sources du combustible %

Achat 58,4%

Coupe de bois (Brousse) 42,1%

Ramassage de bois mort 41,4%

Fabrication de charbon de bois 30,3%

Ramassage de bouse 8,2% Rapport PDM, PAM

Les ressources limitées en combustibles impactent à la fois le pouvoir d’achat des familles et

les pratiques culinaires. Comme l’a souligné le PDM du PAM, la source principale de

combustible est l’achat avec l’argent obtenu par la revente de la ration pour les familles qui

n’ont pas d’autres sources de revenus. Le ramassage du bois mort est, lui aussi, limité par le

peu de quantité disponible et le partage de ces ressources avec les populations locales

environnantes. Cette situation engendre un souci d’économie de combustible : sont donc

préférés les aliments peu gourmands en énergie et ayant des temps de cuisson réduits pour

les préparations des repas.

3.2 PRATIQUES DE SOINS

L’anorexie de la femme enceinte 5L’accès restreint au marché n’est pas la conséquence d’une limitation de la circulation des réfugiés mais de la distance phys ique qui

nécessite des moyens de locomotion pour se rendre à Mberra, Bassiknou ou Fassala.

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Comme beaucoup de femmes de culture nomade (Rapports ACF Tchad, Africare Niger), les

femmes des communautés réfugiées privilégient l’accouchement sans assistance. Cette

pratique avait des avantages pragmatiques lorsque les femmes risquaient d’accoucher

pendant le mouvement de leur campement, il fallait savoir accoucher seule. Nous avions pu

constater au Tchad, par exemple, que les parturientes trouvaient qu’accoucher seule relevait

d’un idéal que même les sédentaires souhaitaient imiter : il s’agissait, dans leurs propos,

d’un acte de bravoure, une question d’honneur. Chez les femmes rencontrées à Mberra, les

discours n’étaient pas aussi explicites. Pourtant, l’accouchement « à domicile » apparait

nettement comme la norme. Les chiffres de MSF-B sont sans équivoque : durant l’année

2012, le service a réalisé 3731 consultations prénatales sur 9000 attendues et seulement 423

accouchements assistés. Si des raisons pragmatiques sont parfois avancées pour expliquer

ce très faible recours à la maternité – comme le problème de transport, par exemple -, nous

devons néanmoins considérer des causes beaucoup plus ancrées. La pudeur est une valeur

dominante chez les femmes touarègues et tout ce qui entoure l’accouchement est

relativement tabou : il est exclu de vivre devant des hommes, et à fortiori des étrangers, les

douleurs, les saignements, les cris etc.

« Effectivement au dernier mois les femmes contrôlent leur régime alimentaire de peur que le

bébé prenne du poids dans le ventre, ce qui compliquera l’accouchement. (…) Il y a aussi les

questions de pudeur, certaines femmes cachent leurs douleurs et essaient de tenir jusqu’au

déclenchement de l’accouchement et là c’est trop tard. » Guérisseuse traditionnelle, Mberra

Il est donc systématiquement préférable que le moins de personne possible assiste au travail

et à la naissance. Pour atteindre cet objectif tout en limitant les risques liés à

l’accouchement, les femmes s’appliquent à faire le bébé le plus petit possible. Elles

pratiquent, par conséquent, une forme d’anorexie volontaire pendant les derniers mois de

grossesse, évitent les aliments considérés comme trop nourrissants et susceptibles de faire

grossir « dangereusement » le fœtus.

Les mères paraissent toutefois informées des inconvénients pour la santé à venir de l’enfant

de le mettre au monde petit, voire affaibli. Elles pallient traditionnellement à ce petit poids

de naissance par un régime alimentaire qu’elles jugent adéquat pour un allaitement riche,

chargé de « restaurer » l’enfant mis au sein.

Allaitement

« On laisse la maman se reposer juste après la grande douleur de l’accouchement et ensuite

on lave son sein avec AHIDJER une plante de chez nous et on donne le premier lait au bébé.

Quand l’enfant est trop petit on ne lui donne que le lait maternel et un peu d’eau au moment

de son bain. »

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Mise au sein : n’est pas immédiate puisque la mère doit procéder à un lavement des seins

au préalable mais il n’y a pas de réticence à donner le « premier lait », soit le colostrum.

Pendant les 6 premiers mois, les femmes allaitent sans, semble-t-il donner d’autres aliments

à moins qu’elles ne jugent leur lait trop pauvre pour nourrir correctement le bébé. Toutefois

nous avons pu observer et recueillir des témoignages confirmant qu’avant 6 mois, on donne

fréquemment de l’eau à boire au bébé, d’autant plus en saison chaude.

« L’eau c’est la vie, pour les adultes comme pour les bébés. Quand il fait chaud, on ne peut

pas laisser un bébé dans la soif. » Grand-mère, Mberra

Il est tout à fait habituel de donner de l’eau à un nourrisson, par exemple, au moment de

son bain. Par contre l’idée que la mère allaitante doit boire beaucoup d’eau pour favoriser la

lactation et que l’allaitement suffira à désaltérer l’enfant en toute sécurité est apparue tout

à fait incongrue à nos interlocutrices :

« Non ! L’eau n’augmente pas le lait maternel. Ça augmente l’urine seulement. Pour avoir du

lait dans les seins la femme doit boire beaucoup de lait, manger des repas avec une bonne

sauce, de la viande et du beurre. L’huile qu’on nous donne on le consomme mais ça ne

remplace pas le beurre. » FG femmes touarègues

Le recours à une nourrice pour allaiter l’enfant était répandu dans les sociétés nomades du

Nord-Mali. Ainsi beaucoup d’adultes et d’enfants que nous avons rencontré ont déclaré

avoir des frères ou sœurs de lait. Aujourd’hui la pratique de nourrice est proscrite, à la fois

par l’Islam (interdiction relativement récente dans le Sahel mais bien connue aujourd’hui de

tous) et par la fin officielle de l’esclavage. En effet, les nourrices étaient les tiklatin.

« Les liens entre les esclaves de tente et leurs maîtres étaient très étroits : leurs tentes se

côtoyaient et les unions entre hommes libres et femmes esclaves (tiklatin) donnaient des

enfants de statut libre. En outre, les tiklatin pouvaient allaiter les enfants de leurs maîtres,

même dans le cas où elles n’en étaient pas les mères biologiques. Ainsi, une parenté de lait

entre enfants de maîtres et enfants d’esclaves établissait des relations très complexes et

ambiguës que contribuait encore à renforcer un sens aigu de la solidarité. » A. Giuffrida

Dans ce contexte, tous affirment que le recours à une autre femme que la mère pour allaiter

l’enfant ne peut se faire qu’en cas de « force majeure », soit le décès de la mère ou une

incapacité forte à nourrir l’enfant (maladie, séparation etc.) et que la tâche reviendra alors à

une proche parente de la mère. Il est difficile de dire si le recours à des nourrices, même

rétribuées, a tout à fait disparu mais il apparait clairement délicat d’en parler librement.

« Bien sûr qu’on a beaucoup de frères et sœurs de lait au camp parce que plusieurs

d’enfants perdent leurs mères et du coup d’autres femmes viennent au secours pour les

allaiter. C’est ce qui propage le phénomène ‘’ frères de lait’’. » FG forgeronnes

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3.3 REPRESENTATIONS DE LA MALNUTRITION

Toutes les personnes interrogées pendant l’enquête associent la malnutrition des

enfants à « amaghriss », maladie liée à un changement brusque et un appauvrissement

de l’alimentation. Naturellement, pour tous, il s’agit en premier lieu du changement de

régime dû au déplacement et aux difficultés d’accès aux aliments habituels. Mais pour

les familles comme pour les guérisseurs traditionnels, l’arrêt de la prise de plumpy nut à

la décharge du CRENAS provoque également la même maladie, du fait de la rupture d’un

régime devenu « habituel ».

Cette conception de la malnutrition entre donc dans un corpus de médecine

traditionnelle qui détermine le recours aux soins et la perception des traitements

administrés pour soigner l’enfant. En effet, le seul moyen de traiter « amaghriss » est de

donner un traitement à l’enfant mais surtout de réintroduire l’aliment qui fait défaut et

de rétablir le régime habituel à l’enfant.

« ‘’Amaghriss’’ survient à l’occasion d’une rupture brusque du régime alimentaire

habituel. Les gens partent au centre de santé pour se soigner mais un bon nombre vient

chez moi. C’est avec une combinaison comme celle-là (fromage, talchouchatt) que je

soigne les non répondants. On mélange à du tanné (tachalghé) et du sucre. On trouve

souvent ces médicaments au marché de M’berra, ça coûte cher. Là où ils coûtent moins

cher on ne peut pas se rendre à cause de l’insécurité (chez nous). Je fais ça depuis mon

enfance, ce que vous voyez comme ça permet de soigner les douleurs au ventre. »

Guérisseuse traditionnelle, Mberra

« La malnutrition ? Elle est le plus souvent causée par la diarrhée et « Amaghriss ». C’est

souvent soigné par les médecins et souvent par les parents à travers les médicaments

traditionnels. On utilise les plantes comme : Tahahiste, Almakhaïnez, Ahadjidjim... On

trouve des guérisseurs hommes et femmes mais en général, c’est toujours une personne

âgée très expérimentée. Parce que c’est une connaissance héritée de génération en

génération et c’est parmi les plus âgés qu’on trouve ceux qui s’y connaissent bien. (…)

Par exemple durant la période de froid qui vient de s’écouler. L’enfant prend 3 plumpy-

nut par jour sans boire de l’eau parce qu’il n’a pas soif et sans se laver parce qu’il a froid

et qu’il n’a pas la possibilité de chauffer de l’eau. Du coup l’enfant est exposé à ce qu’on

appelle « Takoussé ». La rupture immédiate du plumpy-nut pour l’enfant sans qu’il y ait

un substitut est la cause de beaucoup de rechutes. Quant au CSB je n’ai jamais vu un

enfant qui l’accepte. » Guérisseur traditionnel, Mberra

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3.4 RECOURS AUX SOINS

3.4.1 CENTRES DE RECUPERATION NUTRITIONNELLE (CRENAM, CRENAS,

CRENI) :

« Mon enfant était malade, on lui a donné 3 plumpy nut par jour pendant 1 mois et puis

c’est fini. On me transfère au CRENAM pour recevoir le CSB et mon enfant a rechuté dans

la malnutrition (amaghriss). Je reviens au centre et on ne me donne rien, on me dit de

retourner au CRENAM mais je sais que mon enfant refuse le CSB, il est retombé dans la

malnutrition mais on refuse de le remettre au programme de plumpy nut, il est faible et

je ne sais pas quoi faire. » Mère d’en enfant malnutri.

La prise en charge de la malnutrition dans le camp s’inscrit dans le cadre du protocole

national de nutrition de l’Etat Mauritanien et dans les pratiques classiques de prise en

charge.

Il ne fait pas de doute que des barrières à l’accès à la prise en charge persistent à

Mberra :

- Le premier frein à la prise en charge est la méconnaissance des signes de la malnutrition

et plus particulièrement à y voir une pathologie dans les familles.

- Le dépistage actif ne repose pas sur une stratégie de mobilisation communautaire forte :

les réfugiés n’ont, par exemple, jamais été informé de la prévalence de la malnutrition

dans le camp, les personnes clés (leaders d’opinion, responsables religieux, enseignants,

guérisseurs traditionnels par exemple) n’ont pas été impliquées dans la détection,

l’orientation ou le suivi des enfants. Le recrutement de « home visitors » ou d’auxiliaires

issus de la communauté est un début de réponse mais ne constitue pas une stratégie

aboutie.

- Les refus d’admission mal compris alimentent les sentiments de discrimination déjà

fréquemment ressentis dans le camp.

« Attendre en rang sous le soleil dans un centre de nutrition ou de MSF est deja très

pénible mais en plus souvent la mère retourne chez elle sans rien et le CSB les enfants le

détestent vraiment. » Femme guérisseuse

Les difficultés liées aux conditions d’accueil dans les centres ont également été évoquées à

plusieurs reprises : affluence, attente, mauvaise relation avec le personnel, incompréhension

des décisions d’admission ou de décharge des programmes.

Toutefois, la barrière la plus problématique déclarée par les mères est la perception de

l’inefficacité des traitements et les cas de rechute observés. Les mères considèrent que les

médicaments adaptés aux enfants sont généralement sous forme de sirop ou d’injection. Le

plumpy nut jouit d’une image meilleure que le CSB mais, au même titre, il apparait comme

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un complément alimentaire plus que comme un médicament (notons que le CSB étant

distribué à la DGV et au CRENAM, les familles ont du mal à voir dans le CRENAM une prise en

charge « médicale ».)

« Un enfant est malade ça se voit sur son état,la température du corps et l’amener à

l’hôpital ne sert à rien, en effet ils ne donnent pas de sirop ni de sérum,que du

paracétamol, seulement ce qui est inefficace ». FG femmes songhaï

Les admissions au CRENI connaissent un pic, d’après les professionnels de MSF, depuis le

mois de janvier, surtout d’enfants nouvellement arrivés au camp (84%). Le personnel

soignant confirme que les parents sont souvent réticents à la pose de la sonde nasale.

D’après eux les enfants admis en ce moment au CRENI sont tous « nomades » et seraient

malades du fait des mauvaises conditions d’accueil des nouveaux réfugiés : pas de ration,

pas d’abris.

« Les standards minimums de l’intervention humanitaire énoncés dans le guide du projet

SPHERE indiquent que le taux d’abandon des programmes nutritionnels doit être inférieur

à 15% et que le taux de couverture des programmes nutritionnels doit être supérieur à

90% dans les camps de réfugiés. » Projet SPHERE

Les abandons des programmes nutritionnels sont expliqués par les différents responsables

des programmes nutritionnels par le déplacement des familles – qui retourneraient au Mali

ou dans la brousse vers leurs troupeaux -, et celles qui « n’habiteraient pas dans le camp

mais viendraient seulement au moment de la distribution des vivres ». De tels cas existent

certainement mais ne nous paraissent pas expliquer de manière satisfaisante les chiffres de

perdus de vue. 80% des réfugiés sont des femmes et des enfants, il semble peu fréquent que

les femmes aient en charge les troupeaux et qu’elles doivent, de ce fait, se déplacer. La

situation au Mali parait, de surcroit, peu propice pour que les mères encourent les risques

d’y faire les trajets avec les enfants en bas âge. Les familles qui ne « viennent qu’au moment

de la distribution » pourraient être considérer comme à l’origine des abandons si les chiffres

des admissions coïncidaient avec les dates de distribution de vivres.

Les raisons avancées lors des entretiens avec les familles relèvent plutôt des causes

suivantes :

o Mauvais accueil, temps d’attente trop long

o Décharge précoce, refus d’admission inexpliqué ou mal compris

o Doute concernant l’efficacité des traitements ou les compétences des

professionnels (recours à la médecine traditionnelle).

o Cas de rechute observés, découragement et mauvaise publicité faite au

programme

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3.4.2 MEDECINE TRADITIONNELLE

La représentation commune de la malnutrition conduit les familles à rechercher en

priorité les aliments dont l’absence est jugée comme la cause de l’ « ahmagriss », puis de

faire prendre en charge l’enfant. Le recours à la médecine traditionnelle ne semble pas

forcément être le premier choisi mais les doutes persistants concernant l’efficacité des

produits thérapeutiques comme les autres barrières à l’accès aux programmes en font

finalement un choix très fréquent.

« Certaines personnes préfèrent se rendre chez le guérisseur traditionnel qu’au centre,

parce que si le guérisseur s’il a tout ce qu’il faut il s’occupe du malade. Alors qu’au centre

on te donne quelques comprimés qui n’ont aucun effet sur la maladie et ça décourage.

Mieux encore, chez le guérisseur il n’y a pas de discrimination. » Guérisseur traditionnel,

Mberra

« Bien sûr qu’il est possible d’apprendre à devenir guérisseur, d’ailleurs il y’a beaucoup de

stagiaires auxquels j’ai appris le métier.

- ici dans le camp ?

-Oui ici, dans le camp, je forme beaucoup de femmes

Guérisseuse traditionnelle, Mberra

Cette vieille dame, guérisseuse traditionnelle estime prendre en charge plus de 5

enfants par jour et forme d’autres femmes du camp à la pratique de la médecine

traditionnelle. Le recours à la médecine traditionnelle est motivé par plusieurs facteurs :

La perception d’une plus grande efficacité des médicaments traditionnels, en

particulier pour soigner « amaghriss ». Ces traitements présentent l’avantage d’être

préparés avec des produits lactés (lait maternel, lait frais ou fromages) et donc de

rétablir l’équilibre alimentaire de l’enfant en plus de le soigner avec des plantes :

« On lui donne les médicaments traditionnels (TALCHOUCHATEN, AKAMIN, AHIDJER ;

TAGALANGALATT). On mélange ces produits avec le lait de sa maman pour lui en faire

un médicament contre ‘AMAGHRISS’ » Mère touarègue d’un enfant malade, Mberra

Les guérisseurs ont aussi le pouvoir de déterminer la cause de la maladie et après un

examen spécifique de l’enfant de diagnostiquer si la maladie est causée par la

sorcellerie ou si elle est à catégoriser dans les registres traditionnels de maladies du

« chaud et du « froid ».

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D’après les témoignages des mères comme des guérisseuses, ces dernières

constituent le recours en cas de rechute de l’enfant après une prise en charge au

CRENAM ou au CRENAS.

« Les gens partent au centre de santé pour se soigner mais un bon nombre vient chez

moi. C’est avec une combinaison comme celle-là (fromage, talchouchatt) que je soigne les

non répondants. On mélange à du tanné (tachalghé) et du sucre. On trouve souvent ces

médicaments au marché de M’berra, ça coûte cher. Là où ils coûtent moins chers on ne

peut pas se rendre à cause de l’insécurité (chez nous). Je fais ça depuis mon enfance, ce

que vous voyez comme ça permet de soigner les douleurs au ventre. » Guérisseuse

Les guérisseurs sont enfin une réponse thérapeutique accessible quand les

sollicitations des centres et des postes de santé se révèlent être un échec :

incompréhension des critères d’admission – et des refus -, mauvais accueil,

incompétence supposée des prestataires etc. comme en témoigne cette mère

d’enfant rencontrée chez une guérisseuse.

« Mon enfant n’a pas été admis au CRENAM et donc il n’a rien alors qu’il se retrouve

dans un état critique. J’ai été au service nutritionnel et ils m’ont renvoyés sous le

prétexte que je n’ai pas de carte d’accès. Nous n’avons rien reçu de tout ça. Notre

enfant ni été pesé ni mesuré. » Mère d’un enfant soigné traditionnellement

3.5 HYGIENE

Les latrines

Approximativement 4500 latrines ont été réalisées par les différents intervenants dans le

camp que sont Oxfam et Solidarités à travers un partenariat avec l’UNICEF et le HCR au

moment du passage de la mission sur le terrain. Toutefois, l’entretien et la maintenance

restent un défi.

« Les latrines construites dans le camp, présentent l’inconvénient d’entraîner de mauvaises

odeurs et la présence des mouches. On peut légitiment se poser la question du gain obtenu

sur notre santé, en particulier celle de nos enfants ? » Femme arabe

Les observations faites au niveau des différents ménages visités et la triangulation de

l’information provenant des différents focus groupes développés par ethnie au cours de la

mission terrain ont permis de dégager les constats suivants sur les pratiques d’hygiène

corporel et dans le ménage dans le camp de Mberra.

L’un des déterminants locaux de la malnutrition le plus évident mis en avant par les

personnes rencontrées au cours des focus groupes et entretiens semi-directifs est la

pratique d’hygiène corporel et dans les ménages.

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« Certaines maladies aussi peuvent s’expliquer par le manque d’hygiène qu’engendre la

concentration de centaines de milliers de personnes dans un même camp avec les

toilettes et les mouches partout. Côté santé, on a aussi besoin de plus de soins, ce qu’il y a

ne suffit pas. Toutes ces causes provoquent chez les enfants la malnutrition et même la

mort subite. » Touareg

« On balaie avec le moyen que nous avons tamissage on a pas eu de savon pour se laver

et nous n’avons rien pour les acheter [produits nettoyants, balais etc.] rien de tout cela.

Encore l’eau est insuffisante pour la boisson, à plus forte raison pour le lavage du corps ».

Sonrhaï

« On n’a pas eu ce qu’il faut pour assurer la propreté de notre Bloc. Pas balais, pas de

râteaux, pas de poubelles, pas brouettes, pas de latrines. Et si on n’a pas toutes ces

choses comment ferons-nous pour assurer la propreté du bloc ? Mais cela n’empêche à

chaque femme de s’occuper de la propreté de sa propre maison ». Bellah

« Manque eau, toilette, matériel d’hygiène, tente ; on nous a demandé de creuser le

trou on vous amènera les toilettes etils n’ont amené aucune latrine ; le voisin a fermé la

latrine (avec un cadenas) et on ne donne pas la clé avec votre bouilloire, on traine a la

recherche de latrine, ce n’est pas facile et il y a trop de mouches et assis le voisin debout

ne fait pas tes besoin ici dérangeant manque de toilette. » Arabe

L’eau

La desserte en eau potable des populations réfugiées du camp est assurée par deux

ONGs internationales (Oxfam et Solidarités international), en étroite collaboration avec

le service régional de l’hydraulique et de l’assainissement du Hodh El Chargui, en termes

d’analyse bactériologique.

D’après les deux entretiens que les responsables de ces ONGs nous ont accordés, il y a au

total, 86 bornes fontaines réparties dans les différentes zones des blocs du camp et dans

les lieux publics, tels que les écoles, les centres de santé, les centres des distributions des

vivres, les sites d’enregistrement et les centres de transit des réfugiés nouvellement

arrivés au camp. Selon les responsables de ces deux ONGs en charge du volet desserte

en eau potable, la capacité de pompage de tous les forages réunis ne peut permettre

qu’une consommation journalière inférieure ou égale à 13 litres par personne et peut

chuter progressivement vers 11 litres à cause de l’afflux massif des réfugiés.

De l’avis de la majorité des personnes rencontrées au cours des focus groupes et

entretiens, en particulier les femmes, l’accès à l’eau potable est très pénible à cause des

longues files au niveau des bornes fontaines. Toutes confirment que le transport et le

stockage de l’eau présentent des problèmes majeurs à cause de l’absence des ustensiles

appropriés et sont pour la plupart du temps à l’origine de la contamination de l’eau par

les microbes.

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« Nous passons des heures et des heures pour remplir un jerrycan de 20 litres à cause des

longues files et du débit très lent des trames de la borne fontaine. Nous ne possédons pas

de récipients qui peuvent protéger l’eau que nous avons apportée contre les mouches qui

juchent dans nos ménages à cause de la proximité des latrines. Les bornes fontaines sont

entourées des eaux stagnantes où se concentrent les mouches et les insectes des latrines.

Le transport se fait à l’aide d’une corde qu’on traîne de la borne fontaine jusqu’au

ménage L’eau que nous buvons est une eau souillée, c’est pourquoi les enfants et les

vieillards sont toujours malades». FG (Arabe/Bella)

« Depuis que nous sommes là, bientôt un an maintenant, on paye 200 UM par jour pour

la charrette qui nous apporte de l’eau. » Femme touarègue, Mberra

Au cours des promenades exploratoires, les équipes ont eu pu de constater dans les

zones d’extension du camp que les personnes rencontrées affirment que le premier

problème auquel elles sont confrontées est l’approvisionnement en eau potable.

Assainissement

Les observations faites autour des zones de la défécation à l’air libre (DAL), des latrines,

des bornes fontaines, dépôts des ordures et les attitudes et comportements des

populations réfugiées, ont permis de montrer que l’assainissement pose problème et

participe en grande partie dans la transmission des maladies au niveau du camp.

Après observations, entretiens et analyse des données collectées, nous avons identifié

les conditions présentant des défis majeurs à l’amélioration de l’assainissement dans le

camp. Il s’agit en particulier:

De la présence d’une population socialement et culturellement hétérogène et à majorité

nomade ;

Des conditions désertiques dans lesquelles les excrétions sèchent et se désintègrent

rapidement

Des tabous où l’utilisation d’une même latrine par les hommes et les femmes est mal

perçue (adage touareg) ainsi qu’une forme de « pudeur » qui rend difficile le partage

d’une latrine avec des personnes non familières.

Une quantité peu importante des arbres qui préservent l’intimité des personnes

Des latrines délabrées et de mauvaises odeurs

Les ONGs en charge du volet assainissement ont entrepris depuis quelques temps des

efforts visant à améliorer la situation de l’hygiène au niveau du camp. Une campagne de

sensibilisation a été menée auprès des leaders des blocs en vue de creuser des trous

pour déverser les déchets solides. Selon les femmes chefs des ménages rencontrées,

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cette campagne n’a pas eu de grands succès pour des raisons liées à l’absence du

matériel de nettoyage (pelles, râteaux, brouettes etc.).

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4 CAUSES BASIQUES

Les causes basiques font références aux facteurs structurels de la malnutrition. Certains

préexistent à la situation de réfugiés et évoluent face aux nouvelles priorités de la vie dans le

camp. S’ils apparaissent plus éloignés des causes immédiates ils n’en sont pourtant pas

moins importants. C’est le plus souvent pour répondre à ces impératifs sociaux et culturels

que les populations vont plus ou moins bien s’adapter à ce qui constitue les causes sous-

jacentes. Les causes basiques appellent parfois à une réponse de long-terme qui peut

sembler inaccessible à un contexte d’urgence. Pourtant, le camp de réfugiés est aussi une

opportunité de transformation sociale qu’il s’agit de positiver pour garantir une amélioration

pérenne des conditions de développement des enfants.

4.1 ORGANISATION ET HIERARCHIE SOCIALES

Loin d’une entité homogène, les réfugiés sont à l’image de la diversité sociale et culturelle

complexe du nord-Mali. Les dernières décennies ont impliqué des bouleversements sociaux

et culturels profonds dans les sociétés de culture nomades : crise pastorale, sédentarisation,

troubles politiques, évolution religieuse et proscription de l’esclavage ont changé les vies

individuelles et collectives. Certains éléments sont toutefois maintenus, témoignant des

dynamiques sociales traditionnelles.

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Les distinctions sociales qui prévalent à l’intérieur des communautés représentées dans le

camp se fondent sur des activités économiques, des règles d’union et des langues. A cela

s’ajoutent des règles de bienséance et de « comportement moral ».

« Quand tu es noble, tu ne peux pas demander si tu es dans le besoin. Tu ne peux pas dire

que tu as faim, c’est très honteux. Et il y a des choses que tu ne peux pas faire devant ta

belle-famille, surtout les choses qui concernent la nourriture… » Réfugié touareg, Mberra

Les réfugiés de classe noble ont des difficultés à se soumettre à des comportements jugés

dégradants comme ce fut le cas pour la nouvelle organisation dans la distribution de vivres.

De leur côté les anciens esclaves dénoncent des traitements inégaux dont ils se sentent

victimes dans la mise en œuvre de l’assistance humanitaire.

Eléments sociaux dans les communautés réfugiées :

Groupe Bétail Activités Unions Langue

Nobles Touaregs

et Arabes

-Vaches

-Chameaux

-Moutons

-Berger

-Commerçant

-Eleveur

-Fonctionnaire

/intellectuel

-Mariage avec

Bellah possible

mais pas

fréquent

-Mariage avec

forgeron ou

griot interdit

-Tamasheq

-Arabe

Touaregs noirs

(bellah)

Songhaï

-Chèvres

-Anes

-Charrettes,

transports

-Bois

-Boucherie

-plus

fréquemment

entre forgerons

-avec nobles

peu fréquents

-avec les

songhaï devenu

courant

-Tamasheq

-Songwé

Forgerons

(touaregs et

arabes)

-confient leurs

animaux aux

nobles

-Artisanat

- Commerces

-Mariages avec

forgerons ou

griots

-Tamasheq

-Arabe

Griots

-confient leurs

animaux aux

nobles

-Chanteurs

-Danseurs

-Mariages avec

forgerons ou

griots

- Tamasheq

-Arabe

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Quelle que soit la classe sociale ou l’ethnie, tout le monde s’accorde sur les difficultés à

s’adapter à la vie dans le camp. Pour les ruraux et les nomades, la promiscuité,

l’entassement heurtent les habitudes de grands espaces, les petites unités familiales doivent

se fondre dans une gestion de « masse ». Pour les réfugiés d’origine urbaine (Tombouctou

principalement), c’est l’absence des commodités et du confort de la vie citadine qui font

cruellement défaut. Le changement de « climat » et de « milieu » est fréquemment cité

comme une cause de déséquilibre à l’origine des maladies des enfants et des malaises des

adultes. Le fait de devoir vivre à côté de ceux avec qui « on n’a rien en commun » est

ressenti comme un obstacle sérieux à l’acceptation de ces conditions de vie difficiles.

4.2 CONTEXTE POLITIQUE ET HISTORIQUE

La présence des réfugiés aujourd’hui n’est pas en tout point comparable à celle des années

90’. A la crise politique entre les mouvements séparatistes du nord-Mali et le pouvoir central

malien, se sont ajouté une tentative de coup d’Etat, l’occupation du territoire par les

groupes armés islamistes et la crise alimentaire qui a frappé la région du Sahel. De l’avis de

beaucoup de réfugiés, certains qui sont actuellement dans le camp n’avaient pas quitté le

pays lors de la première rébellion alors qu’ils ont préféré fuir aujourd’hui.

Les tensions sociales et politiques qui préexistaient au déplacement ne se sont pas dissipées

dans le camp. Le positionnement des uns et des autres pendant la crise au Mali ont

naturellement un impact sur les relations internes au camp mais aussi sur les

représentations que les prestataires externes peuvent avoir des réfugiés. Parmi les sujets

délicats qui sous-tendent beaucoup d’interrogations relatives à la discrimination et à

l’inégalité entre les réfugiés du camp, il y a celui du passé esclavagiste de la société

touarègue et arabe et des suspicions de survivance de ces pratiques. La réalité des pratiques

d’esclavage dans les communautés aujourd’hui réfugiées est difficilement vérifiable. Comme

l’attestent les études d’Alessandra Giufridda, les relations entre maîtres et esclaves étaient

traditionnellement ambigües : frère et sœurs de lait, services contre protection etc.

Aujourd’hui les témoignages oscillent entre la disparition de l’esclavage couplée à une

survivance de relations hiérarchiques fortes et à des revendications actuelles pour l’adoption

d’une loi criminalisant l’esclavage au Mali. Il ne nous appartient pas ici de trancher ce débat

polémique où s’entremêlent évolution historique, droits de l’homme et propagande raciste.

« Bien que les hiérarchies statutaires traditionnelles continuent à se manifester dans les

relations quotidiennes, l’esclavage de tente a totalement disparu tandis que les ex-esclaves

ou bellah ont connu une mobilité économique remarquable. » A. Giuffrida

« C’est plus dur pour ma fille aujourd’hui que pour moi quand j’étais jeune : à l’époque je

n’avais que ça à faire, éduquer mes enfants. Aujourd’hui, ma fille doit tout faire elle-même,

préparer les repas, nettoyer, allaiter…C’est beaucoup plus difficile. Et moi je ne lui ai rien

appris puisque je ne le faisais pas. Par exemple, pour apprendre à faire à manger, elle a dû

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imiter les voisines et apprendre toute seule. (…) Oui à mon époque nous avions des femmes

qui faisaient ces tâches à notre place. » Grand-mère touarègue, Mberra

Concernant l’alimentation, il est important de noter que lorsque l’esclavage était une

pratique courante, les enfants des maîtres et ceux des esclaves partageaient le même plat

(après avoir partagé la même nourrice). Si des cas de servitude étaient encore présents - ce

qui n’est donc pas prouvé -dans le camp, il serait faux de penser que les enfants d’esclaves

seraient plus exposés à la malnutrition que ceux de leur maître. Par contre on peut affirmer,

d’après nos observations, qu’une inégalité de traitement entre les différents groupes de

réfugiés est observable. L’élément le plus significatif de cette inégalité est sans conteste

dialogue avec les ONG et les Nations Unies. Les mécanismes de coordination des réfugiés

ont et laisse a l’initiative des réfugiés qui ont été mises en place au départ (coordination

technique, coordinations des femmes et des jeunes) sont de constitution très homogène et

ne reflètent pas les différentes facettes sociales et culturelles présentes dans le camp.

Officiellement dissoutes après la suppression des chefs de secteurs pour la distribution des

vivres, ces structures de coordination demeurent encore les interlocuteurs privilégiés des

décideurs et opérateurs humanitaires.

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CONCLUSION :

Les causes de la malnutrition sont multiples qu’il convient d’identifier et de hiérarchiser dans

un contexte spécifique. A Mberra, l’analyse qualitative a permis d’éclairer les déterminants

qui ont un impact sur le statut nutritionnel tout en relevant de domaines techniques

différents et font appel à une approche transversale ainsi qu’à des réponses à court et

moyen terme. Certaines de ses réponses sont déjà mises en œuvre par les prestataires de

l’assistance humanitaire. Elles peuvent être affinées ou améliorées mais nécessitent avant

tout une plus grande implication de la communauté réfugiée dans l’élaboration et la

réalisation des activités. Leur efficacité ne saurait être garantie si le lien de confiance et

l’adhésion des familles aux messages et aux modalités de prise en charge ne sont pas

intensifiés.

La complexité des dynamiques sociales internes au camp nécessite une vigilance accrue de

la part des ONG et des services des Nations Unies pour atteindre les objectifs d’une

assistance équitable et le renforcement de la cohésion sociale. Cela constituera un socle

solide pour le succès de la transition à une stratégie post-urgence. Le camp de réfugiés est,

intrinsèquement, un nouveau cadre de vie subi. Il convient de faire émerger les opportunités

de transformation sociale et les « bénéfices » que les familles peuvent en retirer en matière

d’accès à l’information et d’amélioration de leurs conditions de vie. Certains de nos

interlocuteurs ont reconnu que l’expérience de réfugiés des années 90 a pu contribuer à

modifier positivement la relation des populations nomades au système scolaire et, en ce

sens, à donner une chance supplémentaire à leurs enfants. Souhaitons que le temps de vie

passé à Mberra depuis 2012 permette aux familles de renforcer leurs capacités en matière

d’hygiène, de santé ou de nutrition et qu’il constitue un temps de construction pour l’avenir.

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Recommandations :

Alimentation:

Etudier la faisabilité de la mise à disposition de lait pour les enfants (lait en conserve

et/ou soutien encadré à l’élevage, mise en place d’une laiterie)

Distribuer les repas à Fassala pendant le séjour des réfugiés dans le camp de transit

Implanter le kit d’installation des nouveaux réfugiés avec une ration

Nutrition:

Renseigner plus précisément les cas de rechute (compilation de données chiffrées

fiables), investiguer leurs causes.

Envisager des alternatives au CSB dans les CRENAM

dépistage actif de la malnutrition

Suivi des cas (abandons, rechutes, enfants de familles « hors camp »)

Faire une enquête SQUEAC pour évaluer la répartition spatiale de la couverture de la

malnutrition

Recyclage du personnel sur les critères d’admission et de décharge des enfants des

programmes nutritionnels (admission systématique des enfants orientés sur les

critères MUAC), formation sur l’accueil et le suivi des familles pour éviter les cas

d’abandon et la mauvaise publicité faite aux programmes.

Santé/environnement

Régulariser les sans abris

Développer une dynamique de santé communautaire forte:

sensibilisation des femmes enceintes et allaitantes : négociation autour du

régime alimentaire pendant les derniers mois de grossesse et de

l’accouchement assisté. Allaitement exclusif, nocivité de l’eau de boisson pour

les nourrissons – bénéfices de la consommation d’eau par la femme allaitante

-, libération de la parole sur la pratique de nourrices, alimentation du jeune

enfant.

mobilisation sociale : stratégie de négociation et d’implication des guérisseurs

traditionnels, participation des mères d’enfants déchargés guéris des

programmes aux campagnes de sensibilisation.

Hygiène et assainissement:

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Organiser une vérification régulière de la qualité d’eau de boisson stockée dans les

ménages (prioritairement pour ceux qui donnent du lait en poudre aux enfants).

Améliorer le nombre, la qualité et l’entretien des latrines.

Traitement des mouches.

Mise à disposition des familles: équipement et produits de nettoyage

Communication

Mettre à disposition pendant la DGV un dépliant imagé sur la préparation du CSB

Renforcer les démonstrations culinaires

Renforcer la communication sur les partenaires et les programmes auprès des

réfugiés

Economie:

Renforcer l’appui aux AGR et cash transfert, en priorité pour les femmes chefs de

ménage

Initier une foire commerçante ou un marché dans le camp.

Cohésion sociale

Garantir l’harmonisation, la transparence et la communication des procédures de

recrutement dans les ONG et UN

Assurer la représentativité des différentes communautés dans les structures de

coordination (femmes toutes communautés, arabes, touareg noirs, inhadan, hardani,

sonrhaï, bambaras).

Appui UN/ONG

Renforcer le suivi et l’évaluation des programmes mis en œuvre.

Restituer régulièrement les résultats des enquêtes et des programmes à la

communauté réfugiée.

Créer une structure indépendante et légitime pour recevoir les plaintes.