paul watzlawick - changement

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  • 8/12/2019 Paul Watzlawick - Changement

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    LA RSOLUTION DES PROBLMESp ro bl m e d an s c e tt e p er sp ec ti ve absolument nouvelle et, aup re mi er a bo rd , p re sq ue ri dic ul e, il r e u t e xp re ss me nt l ordrede continuer b ga ye r b ea uc ou p, m m e si, aprs un certain

    t e m p ~ de t r ~ v a ~ l pour un e raison qu il ne c o mp re n ai t p as , il ses en ta it p lu s a 1 aise et d on c m oi ns p or t bgayer spontanment., R ~ c a d r e r s,ignifie. d o n ~ modif ie r le contexte conceptuel et/ouemotIonne,1 d un e situation, ou le point de vue selon lequelelle .est : -ecue, en la p la an t d a ns un a u tr e c a dr e, qu i correspondaUSSI bien, ou m m e m ie ux , au x faits de c et te s it ua ti onconcrte, dont le sens, pa r c on s qu en t, c ha ng e c om pl t em e nt 1Le mcanisme ici l uvre n est pas tout de s ui te vi de nt

    s u r t ~ u t l on se souvient qu il y a c ha ng em en t m m e quandla s I t u ~ t I O n e I I ~ m m e reste. inchange ou m me i nc ha ng ea bl e.Ce qu on modifie en recadrant, c est le sens accord las i t ~ a t i o n pas ses l ment s concret s - ou , s el on la sentence duphilosophe Epictte premier s icle de notre re) : C e ne sontpas les choses qu i troublent les ho mm es , m ais l o pi ni on q u i lsen on t 2. . mo t en dans c ette c ita tio n, n ou s ra pp el le qu ec.haque , opinion (vue, attribution de sens, etc.) est en position meta p ar r ap po rt l objet de cette opinion ou de cettevue), et se situe pa r consquent au n iv ea u l og iq ue immdiat e me n t s up r ie ur . En termes de la thorie des types l ogi ques ,cela p a r a ~ assez vi de nt , m ai s lorsqu on veut l appliquer defaon coherente au comportement et au x problmes humains,c ette c on sta ta tio n o uv re u ne v ra ie b o te de Pandore, en ce qu iconcerne le concept d adaptation au rel c om m e c ri t re de

    1. ~ a n s l humour, le recadr.age j o ~ e un rle important, bien que led e u ~ l e m . e c a ~ r e generalement introduit par le mo t de la fin, constitueun I lo glsme m ~ t t e n d u qui donne tou te l h is to ire son ct dr le . Commenous a ~ o n s dit, Koest ler (59) a t ra it fond ce sujet.) Une vieille plais a n t e r ~ ~ Illustrant. cette t e c h n i q u ~ remonte 1878, quand l Autriche-Hongrieoccupai t la Bosnie contre le gre des Bosni aques , Ces derni er s exprimrentassez vite leur mecontentement en canardant les fonct ionnai res dugouvernement autrichien. ~ i t u a t i o n dev in t tel lement c ri tique que, pour

    ~ e p r ~ n d r e cet te (fausse) histoire, la loi d ra co ni en ne suivante fut rdigea V ~ e n n ~ : TIrer le m in ist re de l Intrieur : deux ans de travauxf o r c ~ s ; tI .rer sur le m l ~ i ~ t r e des Af fai res t ra ngre s : t rois ans de travauxforces; tIrer. sur e mInI.stre de la Guerre : quatre ans de prison. Il est solument int erdit de tirer sur le Premier ministre. 2. ,,:oir aussi les par ole s d Hamlet : Rien n est en soi ni bon nimauvais ; tout d pen d de ce qu on en pense.

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    L ART DE TROUVER UN NOUVEAU CADREla normali t , concept utilis s an s r ig ue ur et pe u s o uv e nt r em isen question. A quel rel la p er so nn e s ai ne d esprit est-elleadapte? Rpondre fond cette question dpasserait l objetde ce livr e, p uis qu e c ela m n er ai t de p ro fo nd s d ba ts philosophiques et linguistiques. N ou s vit er ons d on c ce problme et

    m ~ i ~ t i e n d r o n s s im pl em en t q ue , l or sq ue le discours psychiatriqueu ti li se le concept de : rel, il s a gi t r ar em en t du rel d unechose en soi c est --di re de ses proprit s fondamental es (s ilen existe), ou mme de ce qu i est simplement observable, bienqu e ce soit le rfrent ostensible. Le rel auquel on se rfre

    /. est constitu plutt d opinions dans le sens d E p ic t t e , o u,

    c om me n ou s p r f ro ns le dire, du sens 1 et de la valeur accordsau phnomne en q ue st io n. N ou s sommes loin de la suppo-sition simpliste, mais assez rpandue, selon laquelle il y aun e ralit objective, quelque part l extrieur , et qu eles personnes d it es sai nes d esprit en sont plus conscientes

    (que les fous. Ds qu on rf lch it , il d ev ie nt vi de nt qu unechose n est relle qu e dans la mesure o elle rpond un edfinition du rel - et ces dfinitions s on t i nn om b ra bl es 2.Nous pouvons exprimer cette ide pa r un e simplification extrme:le rel est ce qu un nombre suffisamment grand de gens sontconvenus d appeler rel 3 - sauf que ce fait est d habitude. 1. U n t e l sens n e st pas seulement une affaire de comprhensioni nt el le ct ue ll e et obj ect iv e, mais impl ique la si gn if ic at ion t ot al e et per-sonnelle de la situation en question. .2. Bien sr, les t res humains ne sont pas seuls dans cette situation. Un t er ri to ir e, par exemple, ne peut pas exister dans la nature critArdey, il existe dans l espr it de l animal (7). ? exemple, la r ~ a l i t d u n b il le t de banque ne rside pas, en premier heu, dans le fait que c est un morceau de pap ie r rec tangulai re ,portant cer ta ines marques , mais plutt dans la convent ion int er pe rson nel}e selon l ~ q ~ e l l e il doit avoi r une ce rt ai ne valeur. Un ex empl e c ur ie uxa ete raconte a Bateson (21) par les habitants d une rgi on ct ire de laNouvelle Guine o on utilise des coquillages comme monnaie pour lespetits a c h a t ~ q u o t i d i e n ~ et des pierres tailles en forme de meule pourdes t ra ns act ions plus Impor tantes. Un jour , a lor s qu on transportait unede pierres d u n village un autre sur l estuaire d u n fleuve, le bateauchavira et l argent disparut pour toujours dans l eau profonde.

    o ~ m t,oute.s. les p a r t i e ~ concer nes s av ai en t ce qui s tai t pass, oncontmua a ut il is er c et te p ie rr e c om m e a rg en t lgal dans un grand nombrede t ra ns ac ti on s, bien que, s tr ic tement parlant, elle n et plus de ralitque dan s l espr it d u n groupe important de gens.117

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    LA RSOLUTION DES PRO LMESoubli, que la dfinition convenue est chosifie (c est--direqu elle devient son tour une chose et, pour finir, estvcue comme ce rel objectif l extr ieur 1 , que seul,semble-t-il, un fou pourrai t ne pas voir. Bien sr, y a diversdegrs de chosification : y a de nombreuses situations quiseront tenues par la plupart des gens comme rellement dangereuses et donc viter. Mais, mme dans ces cas extrmes,on trouve des exceptions; aprs tout, il existe des gens quirecherchent leur mort, qui veulent tre mangs par des lions, ouqui sont des masochistes confirms. Il est vident que ces gensont de la ralit une dfinition trs personnelle qui, pour eux,est relle.

    L opration de recadrage a lieu au niveau de la mt r lito, comme nous avons essay de le montrer, un changementpeut se produire alors mme que les conditions objectives dela situation chappent au contrle de l homme. La thorie destypes logiques nous permet nouveau de formuler cela avecplus de rigueur. Comme nous l avons vu, les classes sont descollections compltes d entits (les membres) qui ont toutes encommun des proprits spcifiques. Mais l appartenance uneclasse est rarement exclusive. On peut, d hab itude, concevoirune mme entit comme membre de classes diffrentes. Commeles classes ne sont pas elles-mmes des objets tangibles mais desconcepts et, par consquent, des constructions de l esprit, c est la suite d un apprentissage ou d un choix qu on place un objetdans une classe donne. Ce placement ne constitue donc pasune vrit ultime ou immuable. La vrit, Saint-Exupry l a fait1. Ce processus , par lequel nous crons un rel et oublions : .e nsui te que c est notr cration, pour le vivre comme ent i rement indpendant de nous, tait dj connu de Kant et de Schopenhauer. C estl le sens du grand enseignement de Kant , cri t Schopenhauer dansl olont d ns l n ture selon leque l la tlo logie [ l tude des signesde la finalit et des buts dans la nature] n est importe dans la n atur eque par notre intel lect qui s merve il le ainsi d un miracle dont il est enp remier lieu l aut eu r. C e st comme si l intellect (si je peux me pe rmet tred exp li que r une chose aussi sub lime par une compa ra ison aussi plate)s tonna it de t rouver que chaque multi ple de 9 donne nouveau 9, lorsqu on add it ionne les chi ff re s qui le composent , soit ens emb le, soit unautre n om br e d on t les chiffres ajouts un un de nouveau forment 9 ;et pourtant, il a prpar lui -mme ce mirac le par le sys tme dc imal (84). :t

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    L ART DE TROUVER UN NOUVE U CADREremarquer, n est pas ce que nous dcouvrons mais ce que nouscrons. Un cube de bois rouge peut tre considr commemembre de la classe de tous les objets rouges, de la classe descubes, de la classe des objets de bois, de la classe des jouetsd enfant, etc. 1. De plus, comme l entend Epictte, les opinionsque nous avons d un objet, c est--dire le sens et la va leur quenous lui avons attribus, dterminent de nouvelles appartenances de classe. C est en grande partie le choix et les circonstances qui font que telle appar tenance est envisage, nglige,crainte, etc. Mais, ds qu on donne quelque chose une valeurou un sens particuliers, est trs difficile de voir cette choseen termes de son appartenance une autre classe tout aussipertinente. Ainsi, la plupart des Amricains ont horreur dela viande de cheval, mais quelques-uns d entre eux l aimentbien. Dans les deux cas, s agit de la mme chose, de la viandede cheval, mais son sens et sa valeur, son appartenance declasse, est trs diffrente pour les deux sortes de gens. C estseulement si les circonstances changent radicalement (guerre,famine, etc.) que la viande de cheval connat ra une autre mtaralit et deviendra un mets raffin, mme pour ceux qui, entemps normal, frmissent la seule pense d en manger.Le lecteur qui a t assez patient pour nous suivre dans cesconsidrations plutt fastidieuses peut voir maintenant l importance qu elles ont pour le recadrage considr comme techniquede changement 2. En termes trs abstraits, en effet, recadrersignifie faire porter l attention sur une autre appartenance de

    1. An n et D av id P re ma ck o nt pro uv par des e xpe nenc es trs intressantes l hypothse , p laus ib le intui tivement , selon laque lle les animaux ,eux aussi ordonnent leur monde en membres et classes et so nt donccapab le s de faire la d ist in ct ion ent re les deux. Leur chimpanz? Sar ah , amontr cet ga rd des capaci ts r emarq uabl es : Le chimpanz aappris r par ti r les images sel on des classes : anim et inanim,et jeune, mle et femelle. De plus, l animal peut classer le mme objetde d if f rent es man i re s selon les possibi li ts o ff er tes . La pas tque peuttre classe comme f ru it dans un ensemble de cho ix donn s, comme nourriture dans un autre ensemble, et comme grosse dans un troisime. Ennous f ia nt ses c apac it s conceptue ll es avres , nou s avons suppos quele chimpanz pouvait, non seu lement apprendre le nom de membres prcisd une classe mais aussi le nom des classes el les -mmes (79). La pour-suite des exp ri ences a con fi rm la justesse de cet te suppos it ion.119

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    LA RSOLUTION DES PRO LMESclasse, tout aussi p er ti ne nt e, d un mme objet 1, ou surtoutintroduire c et te nouve ll e appartenance de class e dans l e syst mec on ce pt ue l des p er so nn es c on ce rn e s. Si, un e fois de plus, nousrsistons la tent ati on h ab it uel le de demander pourquoi l enest ainsi, nous pouvons voir ce qui est en cause dans ler eca dr ag e :

    1. Notre e xp r ie nc e du monde repose s ur l o rd on n an ce desobjets de perception selon des classes. Ces classes sont desc onst ruct i ons de l esprit et appartiennent donc un ordre deralit tout fait autre qu e celui des objets eux-mmes. Lesclasses ne sont pas formes seulement d aprs les p ro pr i t sp hy si qu es des o bje ts mais surtout d aprs le sens et la valeurqu e ll es ont pour nous.2. Une fois qu un objet est conu comme membre d uneclasse donne, il est extrmement difficile de le voir commeappartenant aussi u ne autre classe. L appartenance de clas sed un ob jet s app elle sa ralit ; ain si, celu i qu i le voit commem em br e d u ne a utr e classe doit tre fou ou mal intentionn. Deplus, il dcoule de cette hypothse simpliste une autre supposition, aussi simpliste, savoir que s en tenir c et te v is io nde la ralit dnote no n s eu le me nt un bo n quilibre mental,mais au ss i une v r it ab le honntet , authenticit , etc. J ene peux pas jouer de jeux c on st it ue la r p li qu e h ab it ue ll e deceux qu i jouent ne pas jouer de jeu, lorsqu on les p la ce devantla possibilit de voir une autre appartenance de c la ss e.

    3. Ce qu i rend le recadrage aussi efficace comme outil dechan gemen t, c es t que , partir du moment o no us percevonsl autre appartenance de classe possible, nous ne pouvons pasfacilement revenir au pige et l angoisse de notre anciennevision de la ralit . partir du moment o on nous expliquela solution du problme des neuf points, il est presque imposs ib le de r ev en ir notre i mpui ssa nc e a nt ri eure e t surtout notredsespoir premier qui nous f ais ait douter de la p os si bi li t d unesolution.

    1 Objet n est peut-tr e pas le plus heu reu x des term es, et devr ait trec om pr is dans sa c on no ta ti on la plus a bs tr ai te . Il peut s agir d v ne me nt s,de situations, de relations entre les gens ou entre gens et objets, demodles de comportement, etc.12 0

    L ART DE TROUVER UN NOUVE U C DREIl nous semble qu e le premier a tt ir er l a t t en ti on sur ce

    problme - bien q u il l ait fait dans le contexte des jeux et del tude de leurs rgles - a encore t Wittgenstein. Dans sesRemarques sur les fondements des mathmatiques l crit :

    S upp oso ns . ..) que le jeu soit tel que celui qui co mmencep uis se t ou jo ur s g ag ne r pa r un simple coup dtermin.Mais cela n a pas eu lieu; - c est donc un jeu. Maint en an t q u el qu u n attire notre attention sur ce fait;et ce n est plus un jeu.Q ue ll e f or mu la ti on p ui s- je donner cela pour que cesoit c la ir pour moi? Car je veux dire : et ce n es t plusun jeu et non : et maintenant nous voyons que cen tait pas un jeu ,Ce qui signifie : l autre personne n a pas attir notreattention su r quoi que ce soit; l nous a appris un nouveau jeu la place du ntre. - Mais comment le nouveauj eu peut-il rendre caduc l ancien? - Nous maintenant quelque chose d autre et ne po uv on s plus continuernavement jouer.D u ne p ar t, le jeu tait fait de nos actions notre jeu)su r la table; ces a ct io ns , je p ou rr ai s les a cc om pl ir maint en an t a ut an t q u a up ar av a nt . Mais, d a ut re p ar t, l taitessentiel pour le jeu que j essaie aveuglment de gagner;et maintenant je ne peux plus faire a 104 .

    l n est pas surprenant que la thorie mathmatique des jeuxsoit a rr iv e d ga ger des co ncl us io ns trs p ro ch es , puisque laconscience des rgles, nous venons de le voir, joue un rledcisif dans le rsultat d un jeu. A partir de prmisses semblables, Howard a propos un modle, fond su r la thorie desjeux, de ce qu il appelle 1 axiome existentiel 46). Il montrequ en effet,

    si quelqu un parvient connatre un e thorie su r soncomportement, l ne lui est plus soumis mais acquiert lalib er t de lui d so bir 47),

    et... celui q ui p re nd des d c is io ns c on sc ie mm en t a t ou jo ur sle choix de ne pas obir un e t h or ie qui prdit soncomportement. Nous pourrions dire qu i l a to ujour s la

    ] 21