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Dossier de presse Direction de la communication et du numérique centrepompidou.fr Centre Pompidou Dossier de presse Direction de la communication et du numérique centrepompidou.fr Boltanski Faire son temps 13 novembre 2019 – 16 mars 2020 #ExpoBoltanski

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Boltanski Faire son temps

13 novembre 2019 – 16 mars 2020

#ExpoBoltanski

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DirectriceAgnès BenayerT. 00 33 (0)1 44 78 12 [email protected]

Attaché de presseTimothée NicotT. 00 33 (0)1 44 78 45 79 [email protected]

assisté deGrégoire Samson T. 00 33 (0)1 44 78 12 [email protected]

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#ExpoBoltanski

BoltanskiFaire son temps13 novembre 2019 – 16 mars 2020Galerie 1, niveau 6

Sommaire

Faire son temps p. 3 - 5

À propos de l’exposition

Christian Boltanski et Bernard Blistène p. 6 - 16

Entretien

Le parcours de l’exposition p. 17 - 18

Autour de l’exposition p. 19

Publications p. 20

Informations pratiques p. 21

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BoltanskiFaire son temps13 novembre 2019 – 16 mars 2020Galerie 1, niveau 6

Vaste déambulation en forme de méditation sur la vie et son cours, l’exposition de l’œuvre de Christian Boltanski au Centre Pompidou entre le 13 novembre 2019 et le 16 mars 2020, propose un regard singulier sur l’un des principaux artistes de notre temps. Après la première rétrospective que le Centre Pompidou lui consacrait en 1984, cette nouvelle exposition développe un parcours de 2000 mètres carrés au cœur duquel Boltanski met en scène un choix d’œuvres par lesquelles il ne cesse d’explorer la frontière entre présence et absence. Conjuguant mémoire individuelle et collective à une réflexion toujours plus approfondie sur les rites et les codes sociaux, Boltanski développe depuis un demi-siècle une œuvre sensible et corrosive, tel un état de veille lucide sur nos cultures, leurs illusions et désenchantements.

Misterios2017

Pour trouver une réponse à la question de la destinée, Boltanski, ayant appris que chez les Amérindiens les baleines la connaissent, s’est rendu au nord de la Patagonie, dans le village de Bustamante. Les baleines se réunissent à certains moments de l’année. Il y a installé, avec l’aide d’ingénieurs acousticiens, des trompes dont la forme a été étudiée pour que le vent puisse s’engouffrer à l’intérieur et émettre des sons très proches du chant des baleines. Ces objets sonores, situés dans cet endroit désertique, sont voués à la disparition ; il n’en restera que le récit.

Vidéoprojection sur 3 écrans, format 16/9, son stéréo, couleur, durée : 12 heures Archives Christian BoltanskiPhoto © Christian Boltanski © Adagp, Paris, 2019

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Depuis ses débuts, en 1967, Boltanski scrute la vie des hommes et ce qui en subsiste après la mort, une fois qu’ils ont fait leur temps. En recourant à l’inventaire et l’archive, il développe au gré d’albums photographiques ou d’objets reconstitués comme autant de souvenirs d’enfance, un essai de reconstitution de la vie des êtres pris dans l’anonymat de leur disparition. Par le biais de « petites histoires », il met en exergue tout un chacun et personne et s’attache à la mise en forme fragile et troublante d’une mémoire collective de l’humanité. D’envois postaux en documents mêlant fictions et vies réelles, d’évocations de l’enfance perdue à la suggestion de la mort latente, Boltanski a toujours mis en scène la fragilité de l’être. L’éphémère gouverne toute l’œuvre et l’utilisation d’éléments voués à la conservation, à la pérennisation, tels les boîtes métalliques ou les vitrines, apparaît d’abord comme un vocabulaire plastique récurrent au cœur de ses premières œuvres. La pratique de Boltanski concilie ainsi le caractère dérisoire de toute action avec le désir de permanence et de préservation propre à toute civilisation. Elle témoigne aussi de l’acharnement avec lequel l’art tente de réussir à se saisir de la vie et de lutter contre l’oubli. L’art de Boltanski est d’abord un art du temps qui passe. À partir de 1984, ses œuvres se détachent de l’ironie et de l’humour qui les constituaient et se font plus sombres. Les Monuments, les Reliquaires, les Réserves conjuguent les thèmatiques du souvenir et de la disparition. Au-delà de ses travaux liés à la mémoire du monde, les œuvres de Boltanski tendent à montrer, de manière chorale, les structures mises en place par l’homme pour faire face à la mort. Les années 1990 voient son travail s’orienter de plus en plus vers une recherche portée par des mythes et des légendes puisant à l’imaginaire collectif. En privilégiant des projets au contenu « humaniste » comme le démontre la conception des Archives du cœur, enregistrements d’innombrables battements de cœurs, collectés, au fil du temps, à travers le monde et conservés à l’abri du temps sur l’île de Teshima, au Japon, Boltanski fait de son œuvre une ample allégorie de l’éternité. Dans ses œuvres plus récentes, Boltanski explore la fatalité et questionne le hasard en construisant des dispositifs où la vie s’apparente toujours plus à une loterie. Plus près de nous encore, les immenses installations immersives de l’artiste se confrontent aux espaces du bout du monde où il aime se rendre, à la recherche de mythes enfouis qui deviennent le support de ses propres installations. Conçue sous la forme d’un chemin et comme une œuvre en soi, l’exposition conduit le visiteur à s’immerger au cœur d’une méditation sur la préservation de l’être. Se rapprochant du champ plastique et temporel du théâtre, domaine qu’il investit depuis plusieurs années, l’artiste dresse la scène d’une grande métaphore du cycle humain, de la naissance à la disparition.

Crépuscule 2015

Chaque jour une des nombreuses ampoules, composant l’installation s’éteint. Le temps d’une exposition, la pièce, qui est au début très éclairée, devient à la fin complètement sombre.Avec cette œuvre, Boltanski apporte une autre image à sa réflexion sur l’avancée du temps et sur la précarité de l’existence.

Ampoules, douilles, fils électriques noirs, dimensions variables Archives Christian BoltanskiPhoto © Joana França © Adagp, Paris, 2019

Commissaire Bernard BlistèneDirecteur du Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle Avec la collaboration d’Annalisa Rimmaudo Attachée de conservation, Musée national d’art moderne, Service des collections contemporaines Chargé de production Hervé DerouaultArchitecte scénographe Jasmin Oezcebi

Avec le soutien de la société Raja

En partenariat avec Vranken-Pommery Monopole

En partenariat média avec :

Remerciements Galerie Marian Goodman, Paris - Londres - New YorkGalerie Kewenig, BerlinGaleria Albarrán Bourdais, MadridRaphaële Coutant, Clémence Ouazana, Charlotte Richard

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Christian Boltanski naît à Paris en 1944. Il pratique la peinture entre 1957 et 1968, puis s’en éloigne pour réaliser de courts films d’artiste. En 1969, il expose au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.

Ses œuvres autour des rites sociaux, réalisées avec diverses techniques, attirent l’attention de la galeriste Ileana Sonnabend. Il expose ensuite à la Documenta 5 d’Harald Szeemann en 1972 dans la section « Mythologies individuelles ».

Son travail prend une autre orientation en 1986 pour son exposition à la Chapelle de la Salpêtrière à Paris, où il commence à réaliser des installations in situ incluant la lumière.

À partir de 1998, il pense ses expositions comme des œuvres à part entière. Depuis 2008, il crée des installations dans des endroits reculés du monde.

Lauréat de plusieurs prix internationaux dont le Praemium Imperiale japonais reçu en 2006, il a exposé dans le monde entier et a représenté la France à la Biennale de Venise en 2011.

J’ai décidé de m’atteler au projet qui me tient à cœur depuis longtemps : se conserver tout entier, garder une trace de tous les instants de notre vie,

de tous les objets qui nous ont côtoyés, de tout ce que nous avons dit et de ce qui a été dit autour de nous, voilà mon but.

Christian Boltanski

Départ 2015

Le titre prend son origine dans le titrequ’Alain Resnais aurait voulu donner à son dernier film : Arrivée et départ. Ces deux mots, un peu comme le tiret qui relie les dates de naissance et de mort dans Mes Morts, signifient pour Boltanski la vie, celle qui s’écoule entre les deux.

Douilles, ampoules, fils électriques, 170 × 300 × 10 cm Courtesy Christian Boltanski et Galerie Marian Goodman. Photo © Rebecca Fanuele © Adagp, Paris, 2019

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Christian Boltanski et Bernard Blistène Entretien

— C.B. Je pense que je suis désormais dans le temps additionnel, j’aurais pu mourir il y a une dizaine d’années. Et en fait, dans ma vie d’artiste, il y a eu deux mi-temps et depuis une dizaine d’années, je suis dans un temps additionnel. Dans une vie d’artiste, on répète toujours les mêmes choses, mais il y a des moments de grande rupture. Donc, il y a eu les premières œuvres qui ont vu le jour quand je suis devenu adulte ; un deuxième moment, quand j’ai perdu mes parents ; et un troisième quand je suis devenu vieux... C’est le temps additionnel.

— B.B. On dit parfois « le deuxième souffle » ; on dit d’une œuvre ou d’une vie en général qu’il y a un mouvement ascendant et puis, il faut un deuxième souffle. En fait, quand je pense à toi, il y a eu ce moment où ton œuvre a perdu de son ironie et de tout ce qui t’avait fait Christian Boltanski, et tu es entré, je ne sais pas si on peut parler d’un autre souffle, tu es entré absolument dans une autre dimension, au propre comme au figuré. [...]

— B.B. Il y avait cette tension entre ce qu’on avait formalisé ensemble, à l’occasion de ta première rétrospective au Centre Pompidou, entre C.B. et Christian Boltanski.

— C.B. Oui, absolument, il y a eu un début, la vie de C.B. Parmi les premières œuvres, en 1969, figure L’Homme qui tousse, qui est l’un des petits films d’une série que j’ai faite à ce moment-là... Dans l’ensemble, il y a eu quatre ou cinq films très courts et puis il y en a eu un plus long fait avec le GREC et c’était Essai de reconstitution des 46 jours qui précédèrent la mort de Françoise Guiniou. Ces films ont eu un peu de succès mais j’ai compris que le cinéma n’était vraiment pas pour moi !

— C.B. L’Homme qui tousse est très proche de certains tableaux, comme La Chambre ovale que vous avez dans votre collection. J’ai peint de nombreux tableaux dont une grande partie a été détruite. Dans cette période de ma vie, j’étais très étrange, au point que je pense que c’était un travail d’outsider. J’aurais pu, si les conditions avaient été différentes, être un artiste de l’art brut.

— B.B. « Les conditions » ? Mais qu’est-ce qui t’a alors amené au cinéma ?

— C.B. J’aimais beaucoup le cinéma. Je construisais de grandes poupées et j’ai fait, comme tu sais, une sorte de petit film qui s’appelait La Vie impossible de Christian Boltanski, où je manipule ces poupées dans une maison qui était en ruine et je les jette d’un escalier, je les bats, etc. C’est comme ça, d’ailleurs, que j’ai exposé au cinéma-théâtre Le Ranelagh. Le directeur, Jean Genet, était un vieux critique de cinéma surréaliste.

— B.B. En fait, tu ne te sentais déjà pas davantage soumis à la logique d’un matériau précis. Tu aimais l’idée du plasticien naissant qui faisait des films et qui se retrouvait dans un théâtre ?

— C.B. J’ai fait venir Genet dans ce qui me servait d’atelier, et je lui ai demandé de m’aider à réaliser des films. Il m’a répondu en m’invitant à exposer et sans doute parce que le travail que je faisais à ce moment-là pouvait l’intéresser. Pour l’exposition « La Vie impossible de Christian Boltanski », réalisée en 1968, j’ai pris tout l’espace. J’ai été quelqu’un d’étrange mais en même temps, j’ai toujours eu une activité prodigieuse, j’ai peint un nombre inimaginable de tableaux. Et quand on m’a donné Le Ranelagh, je l’ai rempli complètement, j’ai fait des caisses énormes, dont une dans laquelle on projetait le film. J’ai eu le désir de faire d’autres films. J’ai rencontré un jeune preneur d’images, Jean-Claude Valésy, qui m’a aidé. On avait une caméra qui se remontait à la main – c’est pour ça que les plans de L’Homme qui tousse, dans lequel mon frère jouait, sont extrêmement courts. Après ça, Alain Fleischer m’a aidé. J’ai travaillé avec lui sur un film qu’il n’a finalement jamais conclu. En tout cas, il s’agissait de films courts. Je ne connaissais pas du tout la vidéo. Je l’ai vraiment ratée, parce qu’elle est née à peu près à ce moment-là : j’ai vu une première vidéo en 1972, à la Documenta. Les films étaient chers à couper et tout ça m’a semblé très lourd et je me suis arrêté. Essai de reconstitution des 46 jours qui précédèrent la mort de Françoise Guiniou est le dernier film que j’ai fait et il est de 1971.

— B.B. Parallèlement, il y avait la photographie et tu as fait à ce moment-là ton premier livre.

— C.B. Mon premier livre est de 1969 et s’intitule Recherche et présentation de tout ce qui reste de mon enfance, 1944-1950. Il s’agit d’un petit livre qui est pour moi déterminant, où se concentre tout mon travail futur. Je l’ai imprimé chez Claude Givaudan, qui avait une galerie boulevard Saint-Germain. Quand je m’ennuyais, j’allais tout le temps dans cette galerie où une machine à imprimer était à la disposition de tous. Il se trouve que ma famille n’avait pas d’album de photos. La plupart de mes petits livres contiennent de fausses photos que j’avais trouvées et qui représentaient quelqu’un d’autre.

— B.B. Tu es d’ailleurs l’un des premiers à t’intéresser à la photo d’amateur, non ?

La chambre ovale 1967

Ayant quitté l’école très tôt, confiné

dans la maison familiale, Christian Boltanski a peint entre 1965 et 1968 de

nombreux tableaux sur Isorel ou sur bois dont la plupart ont été détruits.

La Chambre ovale est l’un des rares qui a subsisté grâce à son achat en 1968 par Blaise Gauthier pour le compte de l’État.

Peinture acrylique sur Isorel,

115 × 146,5 cm Centre Pompidou,

Musée national d’art moderne, Paris Achat de l’État, 1968

Attribution au Centre Pompidou,Musée national d’art moderne, 2008

Photo © Adam Rzepka / Dist. RMN-GP © Adagp, Paris, 2019

— B.B. Dans cette exposition, tu présentes L’Homme qui tousse mais il y a toute cette dimension proprement picturale dont j’ai souvent parlé avec toi, qui précède les films et que tu ne veux pas considérer aujourd’hui comme le fondement de ton travail, qu’en quelque sorte, tu escamotes !

Jour 1

Extraits du catalogue de l’exposition (cf. p.20)

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— B.B. Tu as conscience que L’Album de photographies de la Famille D. est une pièce absolument majeure, qu’elle condense alors tous les aspects de la création du temps et de ta propre œuvre ?

— C.B. Oui, majeure à ce moment-là. Je pense que c’est une pièce importante pour la découverte à l’époque de la photographie banale en noir et blanc, pas pour son côté esthétique mais pour son côté historique. C’étaient vraiment des photos d’amateurs : personne ne travaillait sur l’idée de la photo ordinaire en noir et blanc comme œuvre d’art. Ce qui m’intéressait, c’était le déroulement d’une vie. Le cadre en fer-blanc est venu des trains de ma jeunesse où il y avait des photos en noir et blanc avec un cadre en métal. [...]

— B.B. As-tu été surpris d’une certaine forme de succès que tu as connu, somme toute très vite ?

— C.B. Je ne connaissais rien à rien. J’ai eu une chance inouïe dans ma vie et tout est arrivé avec une très grande facilité. Tout a été une question de rencontres et de hasard. Je faisais des envois que j’adressais à une soixantaine de personnes et notamment à la Galerie Sonnabend. Sarkis, qui travaillait à la galerie, ouvre l’enveloppe et m’appelle. Je deviens ami avec Sarkis. Plus tard, Suzanne Pagé l’invite à exposer au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et comme c’était un jeune artiste, on lui demande s’il avait un ami pour exposer avec lui. Et Sarkis, très gentiment, me choisit. J’expose, Mme Sonnabend vient au vernissage et achète tout ce qu’il y avait de moi. Et c’est ainsi que je suis entré dans la Galerie Sonnabend, sans même avoir été dans une galerie auparavant [...] Et à ce moment, il y a eu une exposition organisée par Harald Szeemann. J’ai bavardé avec lui. Il venait d’organiser « Quand les attitudes deviennent formes » et il m’a dit : « Je vous veux à la Documenta ». [...]

— B.B. Tu laisses souvent entendre qu’au fil de tout ton travail et de toutes ces décennies, ce sont les gens qui t’entraînent, que ce sont ces complicités qui génèrent finalement les choses.

— C.B. Pour un artiste, ce sont les rencontres qu’il fait et surtout les bonnes rencontres qui sont importantes... Quand j’avais entre 26 et 28 ans, j’ai rencontré Jean-Hubert Martin qui allait diriger le Musée national d’art moderne au Centre Pompidou, André Cadere, Alfred Pacquement... Je pense que j’ai eu de la chance parce que j’étais à Paris, et aussi parce qu’on s’attire quand on a quelque chose à se dire. J’ai rencontré très tôt des gens qui m’ont beaucoup apporté. [...]

— B.B. Pourtant, tu racontes à l’envi combien ta jeunesse te pesait, combien tu te sentais à la marge et quelque part, hors de la réalité du monde. [...]

— C.B. C’est vrai qu’une certaine période de ma vie a été presque pathologique : entre 12, 13 et 20 ans, j’étais psychologiquement fragile !

— B.B. Tu définis cette période de ta vie comme « pathologique », tu te décris comme névrosé, peu joyeux.

— C.B. Plutôt calme que joyeux. J’étais un jeune homme étrange. Je ne connaissais personne. Je suis sorti pour la première fois dans la rue à 18 ans et pour aller près de ma maison. Je n’ai jamais dormi une nuit hors de chez moi avant l’âge de 24 ans. L’ensemble de la famille était, oui, très « pathologique ». J’ai eu une enfance très heureuse mais pas normale. Le fait qu’on ne pouvait pas sortir dans la rue tout seul, qu’on ne pouvait pas avoir une chambre à soi, que tout le monde dormait par terre... C’était une famille pathologique. Après mes poupées, j’ai fabriqué des petites boules en terre. Pour moi, c’était aussi une manière de m’occuper. J’ai taillé des morceaux de sucre avec l’idée de faire des gestes répétitifs comme peuvent en faire les psychopathes, enfermés chez eux. J’ai toujours cru que si je n’avais pas été artiste, j’aurais caché mes activités et j’aurais été fou mais, en étant artiste, je les ai montrées. Je suis un artiste et donc je ne suis pas fou. L’art sauve de la folie, parce qu’on se sert d’une chose négative en soi pour en faire une chose positive.

— B.B. Mais qu’est-ce qui guidait cette activité frénétique comme ce goût du surcroît que tu reconnais avoir toujours eu ?

— C.B. Oui. Il y a Hans-Peter Feldmann qui, à peu près au même moment, réalise des petits livres similaires. Une pièce comme L’Album de photographies de la famille D. entre 1939 et 1964 a été l’une des premières affirmations de la photo d’amateurs comme art. C’est un album de photographies composé de 150 photos prises entre 1939 et 1964. Cet album m’a été confié par mon ami Michel Durand que j’avais choisi parce qu’il était pour moi un représentant d’une famille française normale. Et le nom Durand est parmi les plus communs de notre pays. Les albums de photographies ne sont qu’un recueil de rites sociaux. Il y a toujours les mêmes rituels : les vacances, la première communion, les mariages, les baptêmes, jamais de morts ou de personnes malades. Il s’agit d’un portrait collectif et heureux de la société. J’ai vu tout de suite la beauté de cet album, les traces d’une mémoire disparue, le déroulement d’une vie allant vers l’oubli. [...]

Bas Album de photographies de la famille D., 1939-1964 1971

Boltanski emprunte à son ami Michel Durand, qui à l’époque n’avait pas encore ouvert sa galerie, ses albums de famille. Il agrandit 150 de ces images en noir et blanc, format horizontal et s’essaye à reconstituer un ordre chronologique. Les photos sont légèrement agrandies, un peu floues, maladroitement cadrées et glissées dans des cadres en fer-blanc qui rappellent ceux fixés dans les compartiments des trains de l’époque. L’œuvre a été présentée d’abord à la Galerie Sonnabend en 1971, au Musée de Lucerne et à la Documenta V de Cassel en 1972. Cette oeuvre emblématique exprime le temps qui passe dont seule subsiste la trace photographique.

Tirages noir et blanc 22,5 × 31 × 4 cm (chaque cadre) 220 × 450 × 4 cm (l’ensemble)IAC Villeurbanne, dépôt au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole © Musée d’art moderne et contemporain Saint-Étienne MétropolePhoto © Yves Bresson © Adagp, Paris, 2019

Haut L’Homme qui tousse 1969

C’est l’un des premiers films que Boltanski a réalisé avec Jean-Claude Valésy et Alain Thierry à la caméra. Il reprend un motif fréquent dans ses peintures et dans les mises en scène des poupées. On y voit un homme enfermé qui crache du sang. Ce petit film très expressionniste a été réalisé avec des moyens très simples et notamment une caméra qui se remontait à la main. L’homme qui tousse est joué par le frère de l’artiste, Jean-Élie Boltanski.

Film 16 mm, coul., sonore, durée : 2 min. 44 sec.Caméra : Jean-Claude Valésy et Alain Thierry ;distributeur : Light ConeCentre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris, achat, 1975 © Darmstadt, Institut Mathildenhöhe, Photo © Wolfgang Günzel © Adagp, Paris, 2019

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— C.B. Je n’ai jamais voulu parler de héros mais de gens communs par chacun est unique et a des choses à raconter. La Grande Histoire est dans les livres, je me suis intéressé à la petite histoire qui rend chacun différent. J’ai même éprouvé le désir de créer un musée pour chaque individu. Tout le monde est intéressant, on prend quelqu’un purement au hasard et il est extrêmement passionnant. Tous ces inventaires ont plusieurs ouvertures, plusieurs sens, et entre autres l’ethnologie.

— B.B. L’inventaire des objets ayant appartenu à une femme de Baden-Baden est le premier inventaire que tu réalises en 1973. Quand est-ce qu’intervient l’idée de l’inventaire ?

— C.B. Tout ça dérive sans doute du premier livre Recherche et présentation... et finalement de l’idée de faire un portrait de quelqu’un par le biais de ses objets, de même que tu as l’album des photos qui est une sorte de portrait. Ce sont à chaque fois des portraits en creux car dans ces portraits, la personne est absente, ce sont des portraits post-mortem. Le premier inventaire était bien celui de quelqu’un qui était mort dont on ne voit jamais la photo. Quand j’ai décidé de faire cet inventaire, j’ai écrit à quarante musées en leur proposant ce projet, pas seulement à des musées d’art, mais aussi à des musées d’archéologie, d’ethnologie... J’ai eu beaucoup de réponses négatives et une positive de la Kunsthalle de Baden-Baden, où j’ai exposé dans une exposition collective avec Anselm Kiefer. Les inventaires ont tous été détruits après. Il y en a un qui se trouve au CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux et c’est un inventaire photographique. Ces œuvres portent aussi une réflexion sur le musée, sur son rôle et ses pratiques : si tu mets cette tasse dans une vitrine, elle ne sera jamais cassée mais ce n’est plus une tasse. Dès que tu préserves quelque chose, tu le tues. La vie est la destruction. [...]

— B.B. De ces premières années, j’ai le sentiment que celles et ceux qui s’intéressaient à tes travaux retenaient de toi la dimension mémorielle, l’attachement au souvenir et sans doute, la conscience plus aiguë que tu ne le reconnais de dire quelque chose de nouveau.

— C.B. Je rentre chez Sonnabend, je suis à la Documenta, j’ai une petite place à la Biennale de Venise et puis les Français commencent à dire que je suis un artiste proustien travaillant sur le passé et la nostalgie. J’ai ressenti un danger et le besoin de m’éloigner. Le côté « proustien » m’énervait, et j’ai voulu transformer les souvenirs de jeunesse en en construisant des nouveaux qui seraient issus d’un personnage inventé, un comique. J’avais connu l’oeuvre de Karl Valentin, le comédien allemand, qui m’a beaucoup impressionné. Je crois que c’est cet ami allemand que j’ai beaucoup aimé, Günter Metken, qui m’a amené au Goethe Institut voir les films de Karl Valentin et ça a été déterminant. Dans la série des Saynètes comiques, il y a le fils, le père, le grand-père, de petites histoires collectives, totalement collectives, tenant des rites ordinaires de la vie quotidienne.

— B.B. Des rites et des normes familiales que tu mets en scène et qui te permettent de te perdre à la fois dans le monde où tu habites ?

— C.B. Le gâteau d’anniversaire, la mort du grand-père sont des souvenirs de jeunesse communs à beaucoup de personnes.

— B.B. Pour autant, tout cela est traité sur le mode comique. Le Boltanski d’alors est farceur, touche au burlesque comme il y a du burlesque dans Samuel Beckett, Buster Keaton, Valentin ou quelques autres. Comme il y a du burlesque dans les œuvres qui charrient du tragique, voire quelque chose d’impitoyable dans lequel je reconnaîtrais bien certains de tes travaux d’alors.

— C.B. Je ne connaissais pas encore Tadeusz Kantor, et je ne connaissais pas du tout Beckett, mais je rentrais dans cette traditiondu grotesque. J’ai eu ce désir de raconter les histoires d’un comique : on reprend exactement Les Souvenirs de jeunesse de Christian Boltanski, mais d’un côté grotesque.

— B.B. Pour autant, l’idée de mettre en scène, de devenir l’acteur et le fantaisiste de ta propre œuvre ne te posait aucun problème, toi qui es pudique, caché...

— C.B. J’essayais de développer une idée d’universalité. J’ai fait ce petit livre des 10 Portraits photographiques de Christian Boltanski, 1946-1964. Il s’agissait de photographies prises par Annette Messager au parc Montsouris mais, à chaque fois, c’est un autre enfant à une date différente ; il suffit de regarder le livre pour comprendre que c’est un leurre. Ce n’est pas moi mais tous les autres. À ce moment, il y avait un refus de parler de moi et de mon enfance marquée par la guerre et par une mère ayant souffert de la polio. Je voulais me perdre dans un collectif normal de petits français sans histoire et que chacun puisse reconnaître cette histoire comme la sienne. Jusqu’en 1985-1986, année de l’exposition à La Salpêtrière, j’ai refusé mon anormalité et j’ai essayé de me fondre dans une normalité. Après, il y a eu une acceptation du tragique qui, lui aussi, appartient à la normalité.

— B.B. Sorti de chez toi, c’est sans doute ce qui t’a conduit à visiter d’autres lieux que les musées d’art moderne, à devenir presque malgré toi, une sorte d’archéologue de la vie quotidienne.

— C.B. Les pauvres reliques qui restent de quelqu’un, les photos jaunies... J’ai été influencé par le Musée de l’Homme et ses vitrines où tu as un petit couteau, et puis il y a une photo d’un monsieur sauvage et plus personne ne sait à quoi tout ça servait. Tout a été oublié mais il reste dans cette vitrine une sorte de tombeau de culture. J’ai voulu conserver toute cette activité répétitive que j’avais faite, et je l’ai mise dans des vitrines muséales. De même qu’on trouve ces vitrines au Musée de l’Homme où sont rassemblés les restes incompréhensibles d’une culture disparue, j’ai voulu mettre cette période de ma vie dans ces vitrines comme des restes d’une activité que j’avais eue et qui demeure pour le public, incompréhensible. « Il y a eu quelqu’un qui a fait des boulettes de terre, de même qu’il y a eu quelqu’un qui a fait ce tressage en roseau. » Replacer en quelque sorte mon activité dans l’histoire des hommes et ne plus être le fou qui fait ses objets dans sa chambre. C’est moi regardant ce fou qui fait les objets et qui les montre comme une bizarrerie, une curiosité d’une culture disparue mais qui appartient à tout le monde. Il y a une pièce de 1975 qui s’appelle 20 règles et techniques utilisées en 1972 par un enfant de 9 ans décrites par Christian Boltanski et qui fonctionne de la même manière : c’est moi travaillant comme un ethnologue qui demande à mon neveu de 9 ans de me parler de mon enfance. Par exemple, de m’apprendre comment on fait un avion en papier, comment on joue aux billes, etc. Je me renseigne sur moi même en regardant un autre, comme un ethnologue pourrait regarder un sauvage qui lui apprend quelque chose qu’il savait peut-être. [...]

— B.B. Tu dis souvent qu’on ne fait jamais les choses en les dissociant du temps dans lequel elles existent. Or, l’époque dans laquelle tu travailles alors est liée à l’impact de la photographie dont la sociologie de Pierre Bourdieu et de ses comparses d’Un art moyen 2, parmi lequel ton frère, nous apprend que rien n’est plus réglé et fait de conventions que ces photos d’amateurs qui t’intéressent tant.

— C.B. Oui, bien-sûr, j’ai compris l’importance des travaux de Bourdieu et de Luc sur la photographie comme j’ai compris que, pour Roland Barthes, la photo fait preuve. Chez moi, cela ne fait aucun doute, l’utilisation de la photo est dans l’idée de preuve. À ce moment-là, je disais que, de même qu’il y a les journaux dans les tableaux cubistes de Picasso ou de Braque, moi, pour montrer une part de réalité, je montrais une photo.

— B.B. Soit, mais voulais-tu montrer une part de la réalité ou t’absenter de la réalité ?

— C.B. Ce que je cherchais à montrer, c’était une réalité collective et pas ma réalité. C’est eux mais ce n’est pas eux… Les albums de photographies enregistrent les rituels de tout le monde. [...]

— B.B. Tu évoques des anonymes au point que tu nommes les êtres en ne retenant que leur prénom ou l’initiale de leur nom ou que tu t’attaches à des gens qu’on ne connaît pas. Finalement, voulais-tu d’abord t’attacher aux sans-nom, à ceux que l’on n’identifiera jamais, aux anonymes dont la vie ne dit rien à personne pour raconter quelque chose ? Michel D., François C., même pas nommés, la femme de Bois Colombes...

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— B.B. Dans la photographie noir et blanc, il y a par définition une forme d’austérité. Dans la photo couleur, il y a une forme d’hyperréalisme qui semble coller à la description des choses mais aussi, une sorte de lyrisme. Qu’est-ce qui fait qu’alors, ces deux modes de reproduction et de représentation par nature opposée ne semblent plus à un moment donné te suffire ? Qu’est-ce qui fait que tu passes à autre chose ?

— C.B. Je pense qu’il y a une première période qui va en gros de 1969 à 1976. Elle tourne autour de l’ethnologie et les Saynètes comiques, que j’ai d’ailleurs parfois coloriées pour en faire des sortes d’affiches en 1974, sont une sorte de parenthèse dans mon travail. Après, j’ai fait Les Images modèles. Tu m’as invité en 1984 au Centre Pompidou, tu étais mon commissaire, et cette exposition a été importante pour moi parce qu’elle a marqué la fin d’un cycle. Elle se composait de deux parties : une partie réellement rétrospective avec les œuvres dont on a parlé précédemment et une partie qui était liée à un travail que je faisais depuis deux ans. Il s’agissait des Compositions. C’étaient de très grandes photographies couleur encadrées, de très petits objets que je fabriquais en carton et que j’agrandissais. Il est certain que nous étions dans une période d’un retour à la peinture, que j’avais été extrêmement impressionné par les peintures de Georg Baselitz, et sans doute qu’inconsciemment je voulais me confronter avec ces grands tableaux que je voyais un peu partout. Donc, j’ai fabriqué toutes ces immenses photographies, certaines de trois mètres par deux que j’ai présentées à l’exposition du Centre Pompidou. J’ai montré trop d’images. Tous ces cadres, ces immenses photos sont ensuite rentrés dans mon atelier en suscitant en moi un dégoût et pendant quelque temps, je n’ai rien pu faire. Puis, j’ai recommencé à jouer avec mes petits jouets en carton que j’avais découpés. Ce qui me plaisait c’est que tout tenait dans ma poche. J’ai compris qu’au lieu d’avoir cette lourdeur de l’image et du cadre, je pouvais avoir la même chose en mieux, seulement par les ombres. J’ai donc commencé à projeter sur les murs ces petites figurines qui sont devenues immenses et qui, pour moi, avaient beaucoup plus un côté magique. Je lisais un peu Proust et dans À la recherche du temps perdu, il y a ce passage très beau où il est seul dans sa chambre et avec la lanterne magique, il projette un château sur la poignée d’une porte et une forêt sur les rideaux. J’aimais beaucoup cette idée de l’image immatérielle qui pouvait prendre toutes les formes du mur et disparaître en une seconde. C’est comme ça que j’ai commencé mes Théâtres d’ombres que j’ai montrés pour la première fois à la Biennale de Paris en 1985.

— B.B. Dans ces Théâtres d’ombres, tu joues avec le principe de la lanterne magique et du merveilleux. D’où viennent-ils ? Viennent ils des carnavals, des danses macabres ? Sont-ils cette fois encore, cet attachement intense à ces images anonymes et populaires, à ces rituels racontant la mort et le passage dans l’au-delà ? Bref, quelque chose qui touche au culte comme au mémoriel ?

— C.B. Sûrement, je les ai même portés une fois dans un cimetière en Allemagne. Le premier Théâtre d’ombres que j’ai fait, c’était avec des petits pantins en carton et puis je les ai améliorés. Ils avaient une sorte d’humilité par rapport à l’énormité d’une exposition. [...]

— B.B. Les Théâtres d’ombres que tu as réalisés sont aussi, à mon sens, un nouveau pas vers ton amour du théâtre, de la scène et de ses effets merveilleux.

— C.B. Naturellement ! Et le Théâtre d’ombres, c’est le début de plein des choses ! Il est aussi lié à l’idée de la mort, des fantômes, de la disparition. D’ailleurs, il suffit d’allumer la lumière et il n’y a plus rien. [...] C’est sûr que le Théâtre d’ombres que j’ai fait, je l’avais vu dans les livres et pratiquement au même moment, il y a eu les Monuments, et là encore, c’est toujours étrange comme les choses se font. Nous avions montré au Centre Pompidou en 1984 une pièce déterminante pour moi : Composition occidentale, cette sorte d’arbre de Noël avec des petites ampoules. C’était la première fois que j’utilisais les petites ampoules et les fils. Et il y avait un côté merveilleux. Par la suite, j’ai photocopié des papiers de Noël pour emballer les cadeaux et ajouté les petits cadres. Je m’amusais chez moi, j’avais un atelier qui était très petit et je faisais constamment des essais.

— C.B. Il ne s’agissait pas de faire des performances mais de créer le musée d’un clown qui serait mort. Pour lui créer un passé, j’ai fait deux petits spectacles mais pas dans un cadre artistique : un à La Rochelle, dans un square avec des enfants en bas âge et un autre à Malmö, dans une journée récréative devant des mamans et des enfants. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas de faire des performances mais le musée de ce personnage duquel ne restait plus rien, comme pour Karl Valentin, même s’il était très connu, et qui était mort bien avant que je ne le connaisse. Là encore, ça reprenait mes idées : ce vieux clown, c’est en même temps un peu moi et, de même que j’avais fait mes Vitrines de référence avec tout ce que j’avais construit, j’ai décidé de faire des vitrines de références de ce personnage qui n’existait pas et qui n’avait jamais existé. La première fois que je l’ai fait, c’était à Münster, où j’avais mis une très grande vitrine avec les objets que je fabriquais et qui étaient les accessoires que le clown utilisait. [...]

— B.B. [...] Sur ce qui distingue les images en noir et blanc de celles en couleurs, qu’est-ce qui te conduit à passer de l’une à l’autre ? Est-ce une sorte de refoulé pictural ?

Théâtre d’ombres 1984-1997

Après l’exposition au Centre Pompidou en 1984, où étaient exposées des photographies de grand format représentant de petits pantins agrandis, Boltanski a repris ces figurines enchoisissant de les projeter. Les Théâtres d’ombres, qui réunissent les esprits, les fantômes qui nous entourent, sont fabriqués de manière artisanale avec des matériaux disparates : fil de fer, cuivre découpé. Éclairées et agrandies dans leurs projections, ces silhouettes se détachent sur des fonds obscurs donnant vie à des personnages comme le pendu ou la faucheuse. Boltanski s’est inspiré des théâtres d’ombres asiatiques et d’un passage de À la recherche du temps perdu de Proust, dans lequel l’enfant transforme par magie son environnement. L’œuvre est présentée à la Biennale de Paris en 1985.

Figurines en carton, projecteurs, plate-forme mobile,structures en métal, ventilateurs, dimensions variablesPhoto © André Morain © Adagp, Paris, 2019

— C.B. Je pense que c’est encore le reflet de la nostalgie. Comme j’ai dit, j’avais découvert que les gens préféraient les photos faites avant-guerre que celles d’après-guerre. Les premières images sont de 1937-1938 et puis ça va jusqu’aux années 1960. Les gens trouvaient toujours plus belles les premières que les dernières, donc si tu veux, le temps rajoute de la beauté aux choses, c’est-à-dire que les images d’avant-garde paraissaient plus belles alors qu’elles étaient faites par les mêmes gens. C’est important pour les Images modèles, on trouve beau ce qui n’a plus valeur d’usage. La photo couleur d’un enfant courant sur une plage n’est pas considérée comme belle puisqu’à ce moment-là, tout papa avait dans sa poche la photo en couleurs de son fils courant sur une plage. Par contre, si c’était une photo en noir et blanc faite dans les années 1930, on pouvait voir une sorte de beauté alors que c’était le même sujet.

— B.B. Était-ce ce que tu appelles « la recherche de la beauté » ou l’émotion ?

— C.B. Elles semblaient plus émotionnelles. Tout ce qui paraît vieux, paraît beau et tout ce qui n’a plus de valeur d’usage paraît intéressant. Et donc L’Album de photographies de la famille D. était considéré comme beau puisque noir et blanc nostalgique, alors que les photos en couleurs des Images modèles, qui sont exactement comme celles que les gens ont dans leur portefeuille et qui montrent leur famille, étaient considérées comme nulles. Le fait que ces photos soient identiques à celles que les gens considéraient comme de jolies photos familiales n’était plus du tout intéressant. Et encore aujourd’hui, une photo en noir et blanc a toujours un côté plus artistique qu’une photo couleur.

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— B.B. Ton œuvre n’a jamais été en pleine lumière.

— C.B. Non, mais ensuite les œuvres ont été caractérisées par ce que tu relevais : une lumière de veilleuse ou de bougie, une lumière intégrant l’œuvre. On peut toujours trouver des exemples comme les autoportraits qui peuvent rester à la lumière du jour, mais presque toutes les œuvres que j’ai faites depuis 1986 portent leur propre lumière. Et je pense d’ailleurs que c’était aussi pour moi, une façon de me situer par rapport à tant d’oeuvres qui, dans cette seconde moitié du 20e siècle, chez beaucoup d’artistes, témoignent d’un intérêt pour la lumière, pour une source d’éclairage électrique.

— B.B. Toujours ce contre-pied ! Soit, mais ce que je retiens de ton usage de la lumière, c’est somme toute aussi que de fait, elle est une composante de la photographie et bien sûr du cinéma. Ne peut-on pas voir un lien qui, par-delà la dimension symbolique que tu donnes à tes travaux, nous ramène aussi à tes toutes premières pièces, comme un fil rouge qui, dans ton œuvre serait tenu par la lumière ?

— C.B. Le film L’Homme qui tousse, tel que je le montre, en boucle sans début ni fin – de toute façon il n’y a ni début ni fin –, c’est de la lumière, uniquement de la lumière. Peut-être que le film, comme plus tard la photo, m’a donné un lien plus grand avec la réalité. Et il est possible que l’utilisation chez moi d’abord du film et ensuite de la photo, produise ce que je crois que Roland Barthes a dit : « Il y a eu. » C’est ce lien qui m’intéressait et aussi, le fait qu’il y avait dans le film une sorte de légèreté. Mon travail est devenu beaucoup plus monumental à partir de 1985 mais en même temps, je travaillais dans le monumental avec des choses très petites. [...]

— B.B. Je me souviens que tu disais souvent que l’artiste tenait du magicien, qu’il était celui qui, tel l’alchimiste, avait le pouvoir de transformer le plomb en or. C’est là où le profane et le sacré se mêlent à mon sens intensément dans ton travail. C’est là où d’ailleurs, je me refuse à parler de travail pour préférer parler d’œuvre. Car il y a quand même eu indubitablement un passage d’une sorte de vision plus profane du monde à une vision plus religieuse. Tu dis toi-même que cette transformation s’est faite à la mort de tes parents en 1984. Entre lumière et ténèbres, comme entre vie et mort, tes expositions vont d’ailleurs porter des titres où l’idée de « leçons de ténèbres » est réapparue à de nombreuses reprises.

— C.B. Oui et d’ailleurs, même aux États-Unis, grâce aux expositions organisées par Lynn Gumpert et Mary Jane Jacob qui ont permis que mon travail soit exposé dans différents musées américains, comme après à la Whitechapel de Londres. J’ai pendant cinq/six ans construit des expositions rétrospectives qui se sont succédé avec l’idée que la lumière et la pénombre dans lesquelles je les installais, soient un élément essentiel. D’ailleurs, ce que j’ai fait de ce point de vue, autour de 1989 et 1990, est sensiblement la même chose que ce que je fais aujourd’hui : construire l’espace, construire l’exposition, la mettre dans le noir, créer une ambiance et une émotion en relation directe avec le lieu. [...] Je m’intéresse beaucoup à construire mes expositions qui sont des oeuvres en tant que telles. [...]

À l’époque, j’avais un vrai désir, un vrai besoin de toucher, faire les choses moi-même, j’avais vraiment un plaisir à bricoler ! Ensuite la mort de mon père, en 1984, a été déterminante. Je pense qu’il y a peu de changements dans une œuvre et qu’ils sont dus aux bouleversements de notre vie. Il se trouvait que j’avais, à la demande du Festival d’automne, une commande pour la chapelle de La Salpêtrière où mon père était mort peu avant : une autre période de ma vie s’ouvrait, une période sombre. Toute cette période des Monuments est probablement liée à une religion imprécise et au faitde rendre un culte aux vivants, aux morts et aux morts à venir.

Monument collège d’Hulst 1986 Les Monuments ont comme ancêtreLa Composition occidentale exposée au Centre Pompidou en 1984. La pièce évoque un arbre de Noël composé de papiers d’emballage, éclairé par des lampes à filament alimentées par desfils laissés apparents. Ce dispositif a influencé les Monuments qui, avec une tout autre signification, ont été réalisés en honneur des enfants du CES de Lentillères à Dijon (œuvre datée 1973 pour laquelle Boltanski avait réuni les photographies de tous les enfants de l’école en tapissant un couloir de l’établissement). Treize ans après, les visages de ces enfants devenus adultes n’étaient plus les mêmes. Par la suite Boltanski a utilisé une photographiede fin d’année prise au collège d’Hulst, où il avait été élève. Inspirés de monuments religieux et, contrairement aux monuments commémoratifs, ils n’ont pas été construits en marbre ou en bronze. L’installation la plus importante de ces oeuvres a eu lieu à Paris dans la chapelle de La Salpêtrière lors du Festival d’automne en 1986. Photographies, douilles, ampoules, fils électriques, 60 × 45 cm (chaque photo) © Courtesy Kewenig Galerie © Adagp, Paris, 2019 Photo © Stefan Müller

— B.B. Sont-ils pour autant des « monuments » ou n’en ont-ils que le nom ? L’ironie – si ironie, il y a – tient sans doute dans l’intitulé, tant ces œuvres sont tout sauf des monuments. Ils célèbrent et commémorent sans doute, mais leur forme, en tant que telle, est davantage de l’ordre d’une construction fragile et intime, plus proche de la culture populaire, voire du culte des morts propres à des rites domestiques à mille lieues de toute pompe. Alors que les Leçons de ténèbres, ce sont les pièces magnifiques de François Couperin sur les lamentations de l’Ancien Testament où le prophète déplore la destruction de Jérusalem par les Babyloniens ! J’ai le sentiment que nous sommes assez loin de tout cela, non ?

— C.B. Je ne crois pas et c’est vrai que j’aurais pu faire ces monuments en marbre. Je les ai faits en papier et en carton. Il y a eu autour de La Salpêtrière, une volonté de travailler sur l’espace, d’être plus inventif visuellement. Cette période a été pour moi le temps d’une découverte formelle : d’abord les Monuments avec les câbles pendants, ensuite les Reliquaires avec les boîtes à biscuits. La différence entre les deux mi-temps de mon travail intervient au niveau de la forme et de l’espace. [...]

— B.B. Et puis, par-delà les images – je dis « image » comme on pourrait dire « image pieuse » – il me semble que l’un des aspects essentiels de ces pièces réside dans le fait qu’elles sont en quelque sorte « auto-éclairées ». Une lumière faible, sans doute plus proche de celle d’une bougie ou d’une veilleuse.

— C.B. Elles manifestent pour la première fois l’importance que la lumière a dans mon travail. L’arbre de Noël de la Composition occidentale, comme on disait tout à l’heure, marque le début des Monuments. Mes œuvres, à partir de 1985-1986 sont éclairées par elles-mêmes. À un moment, j’ai renoncé à la lumière qui venait du plafond et qui était une lumière donnée par le lieu où j’exposais, notamment une galerie, un musée. Alors la lumière a commencé à faire partie intégrante de l’oeuvre que je réalisais.

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— B.B. J’ai une grande admiration pour les tableaux que tu faisais au commencement de ton travail et qui, pour ceux que je connais, portent en germe les intentions des œuvres à venir. Pourtant, tu t’es éloigné de la peinture, comme si ce médium ne te convainquait plus.

— C.B. Peut-être que la peinture était une chose trop sacrée pour moi. J’avais cette peur d’y toucher et il y avait cette distance donnée par la photographie. Par leur côté dérisoire, les lampes de Noël, les petites loupiotes qui expriment un grand désir de cérémonial, mais aussi les choses du quotidien comme les boîtes à biscuits ont été importantes pour moi. Je les avais déjà utilisées chez Daniel Templon en 1969. J’ai repris ces boîtes parce qu’elles étaient en quelque sorte, un objet de type minimaliste. [...] Tout le monde a une boîte à biscuits chez soi, ou en avait en tout cas. Dans tout travail, il y a un côté mystique et un autre totalement dérisoire. [...]

— B.B. Mais à quoi touche ce que tu dis ici ? À la misère de l’être humain, à la fragilité des choses, au peu de ce que nous sommes ! Pense au Beckett d’En attendant Godot : « Rien n’est plus drôle que le malheur, je te l’accorde ! » Ou encore à cette autre réplique qui t’irait comme un gant : « Se donner du mal pour les petites choses c’est parvenir aux grandes avec le temps. » Il y a ce mélange de pitié et de grâce, de moquerie et de tendresse, qu’un jour tu délaisses pour autre chose mais toujours les rites, ceux de l’église et de la chaisière qui met un lys dans une bouteille en plastique ! Ce sont les rites qui t’ont toujours fasciné. Les rites, les célébrations, les cérémonies, cette capacité à se fondre quand on est à plusieurs dans une sorte de partage collectif qui, quelque part, effraie et rassure en même temps. Le rite religieux ne te fascine-t-il pas davantage que la religion elle-même ?

— C.B. Pour mes expositions, je dis toujours que c’est comme si on était dans des pays du Sud, par exemple en l’Italie ou en Espagne. Par une porte ouverte pénètre beaucoup de soleil. On entre. On voit un monsieur qui lève les bras, il y a une odeur, il y a parfois de la musique. On s’assoit dix minutes, on ne comprend rien à ce qui se passe mais il se passe quelque chose. Et puis on ressort dans la vie, on sort au milieu des voitures, on va manger quelque chose, toujours au soleil. C’est sûr que l’expérience que je souhaite pour les gens qui viennent visiter chacune de mes expositions est celle-là : ne pas comprendre mais ressentir que quelque chose a eu lieu.

— B.B. C’est de l’ordre de la définition que Marcel Duchamp donnait de l’œuvre d’art : un rendez-vous.

— C.B. Tout ce que j’ai fait, c’est de l’art mais il faut que pour quelques secondes, les gens ne sachent pas s’il s’agit de l’art ou de lavie. La vie étant plus touchante que l’art, il faut qu’il y ait constammentquelque chose qui trouble. Si tu vois une légende à un tableau, elle te rassure en quelque sorte. Si tu ne sais pas exactement ce que tu vois, je pense que l’inquiétude peut être plus grande. Et quand je dis l’inquiétude, je dis l’émotion. [...] Dans tout mon travail, comme dans la photographie, c’est la présence et l’absence. C’est toujours : « Il y a eu. » Tu sais d’ailleurs, à ce titre, toute l’admiration que j’ai pour l’œuvre de Félix González-Torres et l’amitié qui nous unissait. [...] L’histoire du hasard ou de la chance, c’est une chose qui m’attire parce que c’est une idée religieuse. C’est-à-dire que si je me fais écraser en sortant, on peut dire que je devais avoir ce rendez-vous aujourd’hui et que c’était écrit. Et là, tu entres dans une construction du monde que tu ne peux pas comprendre mais qui quelque part est logique. Toute la différence entre la destinée et le hasard n’est pas seulement de l’ordre d’une notion religieuse mais elle concerne l’ordre du monde. À l’époque de la chute du mur de Berlin vers 1990, j’ai fait cette pièce La Maison manquante : une bombe est tombée et a détruit seulement une des ailes de la maison. Ensuite, il y a la pièce de la Biennale de Venise, Chance qui est sur le hasard de naître : pourquoi nos parents ont-ils fait l’amour à cette seconde près ? La mère aurait pu avorter ? Moi, j’aurais dû être avorté par exemple ! Et pourquoi ne l’ai-je pas été ? Je ne sais pas. Puis, j’ai réalisé Personnes qui était sur le hasard de la mort. Dans tous les cas, mon travail portait sur cette idée du hasard. Si je m’intéresse à ça, c’est sans doute parce que l’une des grandes questions de la Shoah est : « Pourquoi ai-je survécu ? »

— C.B. Une des clés de ma vie est que je pense que chacun est unique et pour cela très important et qu’en même temps, chacun disparaît tellement vite ! On se souvient de son grand-père mais pas de son arrière-grand-père. Tout ce monde est remarquable et en même temps, tout ce monde est tellement vite oublié, et c’est tant mieux peut-être aussi.

— B.B. Alors, pourquoi toutes ces reconstitutions qui plutôt que de tenter de cerner la personne, ont finalement créé de fausses pistes, de fausses identités, de faux samovars et de faux souvenirs ?

— C.B. Tout d’abord à l’origine des Reconstitutions, il y a eu l’idée de les faire en pâte à modeler, ce qui fait qu’aujourd’hui, presque plus aucune d’elles n’existe et qu’elles sont réduites en poussière. J’aurais pu les faire dans un matériau dur, mais je les ai faites dans un matériau qui se détruisait. J’étais sans doute habité par le désir de protéger les choses mais en même temps, d’employer des matériaux qui font que forcément, cela allait disparaître. Les autres pièces sont avant tout collectives. Il y a le samovar, effectivement, qui est une chose plus liée à une piste de l’histoire de ma famille. Peut-être qu’inconsciemment, l’un de mes problèmes a été l’identité : j’étais à la fois corse chrétien et juif ukrainien, je suis baptisé et je ne suis jamais entré de ma vie dans une synagogue. J’avais une identité présente et cachée à la fois. [...]

Jour 2

— B.B. En revenant aux Saynètes comiques que tu sais que j’aime infiniment, sans doute parce qu’elles touchent au burlesque qui me fascine tant dans sa forme que dans son fond, je ne peux m’empêcher de reconnaître les éléments d’une culture juive dans laquelle l’humour est une distanciation nécessaire. Qui y avait-il derrière tout cela ? Était-ce aussi l’envie de raconter ta propre vie, ses rites quotidiens, le fait que tout le monde est différent et qu’en fait, tout le monde se ressemble ?

— C.B. Oui, et pour employer des mots que je n’aime pas beaucoup,mon travail se situe dans une tradition humaniste. Il porte sur l’humain tout à la fois collectif et individuel. C’est une grosse masse d’individualités. Dans mon travail, de manière générale, il y a beaucoup de monde ! J’ai 7 000 Suisses morts, 6 000 bébés polonais, 70 000 coeurs, j’ai une grande masse de gens !

— B.B. Qui es-tu par rapport à ces gens ? Tu es le marionnettiste ?

— C.B. J’ai le culte des ancêtres et des humains. Ce qui m’intéressele plus, c’est de montrer que chacun est dans son individualité. J’ai fait beaucoup de livres avec seulement des listes de noms parce que pour moi, derrière ces noms, c’est dire qu’il y a eu quelqu’un.

— B.B. Mais alors, que se passe-t-il pour le spectateur qui se retrouve à l’entrée du pavillon central de la Biennale de Venise sur lequel tu écris le nom de tous ceux qui y ont exposé ?

— C.B. C’est comme un cimetière... Ils ont tous disparu. De tous ces gens, plus personne ne se souvient, comme pour ce livre que j’ai fait avec tous les noms des Suisses morts dans le canton du Valais 3. C’est dans la tradition des vanitas. Le seul fait qu’il y ait un nom signifie qu’il y a eu quelqu’un. Dans le cas de la Biennale de Venise, c’était tout à fait dérisoire. Nous serons tous oubliés. [...]

Réserve : Les Suisses morts 1991

Boltanski a beaucoup travaillé autour des Suisses morts, parce que leur pays,

en choisissant la neutralité, a peu souffert des guerres. Il a réalisé

plusieurs compositions en particulier en collant des photographies sur des boîtes empilées sous diverses formes dont des

tours fragiles qui, à l’image de l’existence, peuvent s’écrouler à chaque

instant. Ce dispositif de présentation a été inauguré à la Galerie

Ghislaine-Hussenot en 1991.

Boîtes en métal, photographies noir et blanc,12 × 23 × 21,3 cm (chaque boîte) ;

6 × 4 cm (chaque photo)IVAM, Institut Valencià

d’Art Modern, Generalitat Photo © IVAM, Institut Valencia

d’Art Moderne © Adagp, Paris, 2019

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— B.B. Mais dans tes œuvres on ne voit pas de massacres. Tu ne représentes pas le mal. Tu figures les victimes ou les bourreaux sans que, comme tu te plais à le dire, on puisse les distinguer. D’ailleurs, j’ai souvent perçu tes œuvres à l’aune de ce qu’Hannah Arendt appelait, par-delà toutes les analyses contradictoires qu’on a pu en faire, « la banalité du mal ». L’inhumain, tu le dis, se loge en chacun de nous mais à la différence de certains autres de tes contemporains, tu ne représentes pas pour autant les désastres de la guerre.

— C.B. J’ai un interdit qui est réel de ne pas montrer des photos de cadavres. Mon petit livre El Caso publié par Parkett, je le considère comme un livre pornographique, à regarder caché. Nous avons tous une fascination-répulsion pour les photos répugnantes. On ne doit pas les voir mais on le fait. J’ai une série d’œuvres sur cela comme les Scratch. On gratte une surface argentée et au fur et à mesure on découvre une image affreuse. Dans les Concessions, les images sont cachées derrière des tissus noirs. Par effet d’un ventilateur, le tissu se soulève un tout petit peu, on voit vaguement qu’il y a une image en dessous. Cette image, on ne devrait pas la regarder mais on est tenté... Nous avons tous cette fascination répulsion pour la mort. Il y a quelque chose de troublant dans le fait qu’il y a quelqu’un et après ça, plus rien...

— B.B. Il y a eu quelques pièces – je songe au Terril Grand-Hornu – qui parlent très spécifiquement de la condition humaine.

— C.B. Les Registres du Grand-Hornu sont liés au souvenir de ce pays minier. Sur chaque boîte, il y a la photographie des mineurs employés du début du siècle jusqu’aux années 1950, dans ces mines fermées depuis. Ce qui est touchant, c’est quand les gens ont découvert cette œuvre, ils retrouvaient leur père ou grand-père sur ces images. C’est vraiment le portrait de la région. On lit des noms polonais, italiens... Cette œuvre, qui pour moi n’a pas une seule forme, a été montrée, disposée sur un long mur ou, comme au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en couloir. Elle est accompagnée par Le Terril qui a été réalisé pour la première fois au Grand-Hornu. Il s’agit d’une montagne de vêtements noirs et elle est en relation avec le site des anciennes mines. Au tout début, ma réflexion était tournée autour de la mort collective. Aujourd’hui, il s’agit plutôt de ma propre mort.

— B.B. Et comme tu le sais, à travers elle, la question de la culpabilité. Au centre de notre exposition, tu as voulu placer le Cœur .

— C.B. Le cœur est comme la bougie, c’est quelque chose qui peut s’arrêter à chaque instant et quand je l’avais montré chez Marian Goodman, il y a quinze ou seize ans, j’étais allé voir un cardiologue. C’était effrayant d’entendre son cœur, parce qu’on a toujours l’impression qu’il a du mal à repartir ou qu’il bat trop vite. Et le cœur est dans pratiquement, je crois, toutes les cultures. Il représente l’idée même du vivant, de l’humain, de l’humain vivant. Parce que, si le cœur s’arrête, on est vraiment mort. [...]

— B.B. Comment définirais-tu alors le fil rouge de ton œuvre ?

— C.B. Ce que j’ai essayé de faire, c’est qu’on ne découvre pas mais qu’on reconnaisse. J’ai donc utilisé des éléments que chacun connaît.Si quelqu’un regarde L’Album de photographies de la famille D., il va se voir lui-même, il ne va pas voir une œuvre mais il va dire : « Tiens, on dirait mon oncle à Deauville. » On présente constamment un miroir au visiteur qui est différemment reflété parce que chacun va reconstruire ce qu’il veut par rapport à son vécu. Mais pour moi, la seule manière de travailler, c’est dans la reconnaissance de chaque personne qui me voit. [...] Il faut toujours que le spectateur se reconnaisse et reconnaisse. Je voulais toujours le « mouiller » et parfois, le mouiller corporellement. [...] Il y a un début et une fin, il y a un départ et une arrivée. Je me suis beaucoup intéressé aux arts du temps et de l’espace : les arts du temps (comme la musique ou la littérature) peuvent donner de l’émotion, ça permet d’avoir des cassures, donc tu as un début et une fin. Dans les arts de l’espace, tu es dans l’espace mais tu n’as pas de contraintes temporelles, tu peux rester deux minutes dans une salle et six minutes dans la deuxième, tu peux regarder un tableau deux heures ou trois secondes. J’ai essayé de mêler assez tôt dans le musée cette notion de chemin et de progression. Dans cette exposition, tu entrais dans une chambre et tu devais passer dans un couloir très étroit, il y avait une sorte de chemin de croix. [...]

— B.B. Es-tu croyant ?

— C.B. Je ne suis pas religieux, et je pense même que toute religion est très dangereuse sauf les religions qui doutent, qui n’ont pas trouvé la solution ou qui sont davantage des philosophies comme le bouddhisme. Mais toute religion est belle, parce que toute mythologie est belle, ce sont de belles histoires. Dès que tu crois trop en quelque chose, tu deviens extrêmement nocif. La seule chose est de se poser des questions mais de ne jamais trouver des réponses parce que, peut-être, il n’y a rien à trouver.

— B.B. Comme aurait dit Robert Bresson, dans cette histoire, tu es le diable. Voilà que tu t’empares des choses qui sont fondamentalement des objets de croyance et que toi-même, tu t’en tiens à distance.

— C.B. Oui, mais être humain, c’est chercher. Tu ne peux pas vivre sans chercher. Le seul optimisme chez moi est que les choses continuent. Il n’y a que des massacres et des horreurs partout et il y a toujours trois survivants qui vont faire des enfants et qui vont continuer et ça continue avec de nouvelles horreurs qui se préparent. Il y a une force dans l’humanité, comme chez les animaux, qui fait que les choses continuent.

Gauche La Vie impossible de C.B.

2001

Il s’agit de son unique autobiographie. L’œuvre est fondée sur l’impossibilité de

pouvoir reconstruire les sentiments d’une personne à partir de ses archives

et déterminer ce qui a été important à ses yeux. Chaque vitrine contient, à la

fois des tickets de train, des photographies de personnes que

Boltanski a pu aimer, des lettres de gens très chers à l’artiste ou de

conservateurs, mais aussi des tickets de teinturier, des pièces lisibles et illisibles.

Cette œuvre est emblématique de l’illusion de transmettre sa propre vie à

travers ces pauvres restes.

Bois, grillage métallique, tubes fluorescents, fils électriques,

papier, photographies, 150 × 87 × 12 cm (chaque élément)

Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris, achat à l’artiste, 2004

Photo © Philippe Migeat / Dist. RMN-GP

Droite Les Regards

2011

Ces Regards sont des photographiesd’anonymes morts, prises à partir d’une

émission télévisée sur la Shoah. Cette œuvre a eu beaucoup de variantes

en particulier d’énormes formats dispersés dans des villes. Exposée à

Athènes au centre culturel Onassis en 2013, cette version est composée de voiles sur lesquels sont imprimés la

partie supérieure de plusieurs visages.Des ventilateurs les agitent et une

lampe les éclaire. Ces rideaux sont faits pour être traversés et diffèrent des précédents qui, tragiques, étaient

vraiment là pour être vus. En transparence en arrière plan,

se devine l’œuvre La Dernière Danse, (2004). Les photographies correspondent

à un dernier moment de bonheur. Elles ont été prises sur un navire

transportant des juifs roumains qui, fuyant le régime fasciste, tentaient de se

réfugier à Istanbul pour obtenir des visas pour la Palestine. Torpillé,

leur bateau coula. Seul un homme survécut à la tragédie.

Voiles, filins métalliques, ampoules, câbles électriques, crochets, ventilateur,

dimensions variables. Vue de l’exposition «Lifetime»,

Jérusalem,The Iraël Museum, 2018Archives Christian Boltanski

© The Israël Museum, JérusalemPhoto © Elie Posner

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Je les considère comme une sorte de partition musicale qu’on peut exécuter de façon différente : Sol LeWitt a, parmi les premiers, mis au point ce système, mais contrairement à moi, avec des règles très précises. Et quand je parle des expositions que je fais actuellement au Japon, je dis que c’est le même texte théâtral mais avec des metteurs en scène très différents.

— B.B. Cela nous amène à évoquer un aspect essentiel de ton œuvre qui tient depuis toujours, dans ta relation au théâtre. Car, somme toute, tu y as joué tous les rôles : tu as été acteur, tu as été marionnettiste, tu as été mime, tu as été chef d’orchestre, tu as été librettiste. Le théâtre, peut-être même à mes yeux davantage que le cinéma, reste pour moi la clé de lecture la plus sensible de ton travail, une forme nécessaire pour comprendre ta méthode et tes intentions : ta première apparition publique, si je puis m’exprimer ainsi, c’est au théâtre du Ranelagh.

— C.B. Oui. Et avec des poupées partout, comme dans un décor de théâtre.

— B.B. Si l’on faisait un peu d’archéologie ? Avant la découverte de Kantor, y a-t-il d’autres souvenirs qui reviennent sur tes liens au théâtre ? Tu me parlais de Günter Metken qui t’avait initié à l’œuvre de Karl Valentin.

— C.B. Il y a eu Bob Wilson, comme pour toute ma génération.

— B.B. Et puis, il y a eu tes Théâtres d’ombres. Comment as-tu découvert Kantor ?

— C.B. C’est Kantor qui, quand il travaillait à Chaillot, m’a fait savoir qu’il voulait me rencontrer. Je suis allé voir sa pièce et ça m’a énormément plu, intrigué. On est devenus amis. Il avait tout pour meplaire : le côté clownesque de Fellini, le côté dérisoire, le côté Europede l’Est où je me sens des racines. Quand j’ai exposé à Varsovie en 2001, j’ai appelé l’exposition « Revenir ». Kantor parle de cette grande plaine traversée par des armées. Même si différents, nous parlons de la même expérience.

— B.B. Ton théâtre est un théâtre de pendillons, de lumières, d’artifices... Somme toute, tu as fait un théâtre sans texte mais à la différence du comédien de Denis Diderot qui ne joue pas directement le rôle, tu t’es de fait, identifié au personnage.

— C.B. Oui. Dans mon théâtre ainsi que dans mes expositions, il n’y a pas de texte, parfois quelques mots à peine audibles mais jamais ce qu’on appelle un texte. Je n’ai jamais désiré travailler avec un texte et je ne garde pas un bon souvenir des fois où j’ai voulu travailler comme scénographe avec d’autres metteurs en scène. Je ne suis pas quelqu’un du texte, je suis lié à l’image. Dans les spectacles qui m’intéressent, il n’y a presque pas de textes, par exemple chez Kantor ou chez Pina Bausch que j’admire. Les textes sont accessoires, il s’agit de spectacles d’images.

— B.B. Le texte a pourtant compté à une époque dans ton travail, tant dans les lettres que tu écrivais, dans la maladresse assumée de l’écriture, que dans des textes tapés à la machine où tu exprimais ta manière de truquer les choses. Il y a eu des textes. Les Saynètes comiques n’existeraient pas sans les textes écrits de ta main qui sont en quelque sorte des légendes.

— C.B. Peut-être mais en fait, c’est la parole dite qui m’intéresse. J’ai fait beaucoup d’entretiens dans ma vie, je n’ai écrit pratiquement aucun texte théorique. C’est l’oralité qui m’importe. J’ai vraiment tout appris par l’oral. J’ai tout appris par l’oreille. J’aime parler et même ressasser. Dans la tradition zen, il y a des maîtres qui racontent de petites anecdotes qui n’appellent pas vraiment de réponses mais qui sont des anecdotes ô combien significatives. Dans mon travail, j’essaie de m’approcher de ces sortes de contes, non pas par des mots mais par des sensations. Plonger dans le noir change pas mal les choses, on se met à chuchoter par exemple.

— B.B. Les voix qui chuchotent, les cris des baleines, les hurlements des chiens, les ritournelles des chansons de l’enfance... Tout est bon pour susciter une sensation, conduire à une émotion. Là encore, les artifices de la mise en scène.

[...] — C.B. Aujourd’hui, en tout cas, il y a l’aboutissement de ce que j’ai fait et la disparition de l’œuvre en tant qu’objet fini et la suppression de moi en tant que personne. Tout ça est réel et n’est pas réel. Il y a dans la mer du Japon, une île où sont conservés 70 000 battements de cœurs. Il y a, sous la cathédrale de Salzbourg, une Horloge parlante qui égrène chaque seconde. De toute façon, personne ne saura un jour que je suis celui qui a fait ça, mais il y a aura cette histoire qui racontera que le temps a été dit sous la cathédrale de Salzbourg.

Jour 3

Cœur 2005

Le cœur est choisi en tant que symbole de la vie dans toutes les cultures. Un dispositif permet de relier des

battements enregistrés à une ampoule qui s’allume et s’éteint en suivant leur

rythme. Lors de la première présentation à la Galerie Marian Goodman en 2005,

il s’agissait des battements du cœur de l’artiste. Par la suite, Boltanski

a construit sur l’île de Teshima au Japon un lieu consacré à l’archivage où sont

conservés désormais plus de 70 000 enregistrements de cœurs provenant

de différents pays. Ce lieu est devenu pour beaucoup de Japonais un lieu de

pèlerinage où ils viennent écouter le cœur des êtres chers. Cet archivage

s’amplifie constamment.

Ampoule, amplificateurs, boîtier pour transformer le son des battements de

coeur en lumière clignotante,enregistrements, dimensions variables

Collection Antoine de Galbert, Paris Courtesy Christian Boltanski

Photo © Wolfgang Günzel © Adagp, Paris, 2019

— B.B. Cela me rappelle cette collection de livres illustrés que nous lisions, quand nous étions enfants et qui s’appelait Contes et légendes. Cela me rappelle que je les lisais sans le souci de savoir qui les avait écrits ou racontés.

— C.B. Oui, voilà ! Ce sont des légendes mais elles sont créées par quelqu’un dont on ne se souviendra plus. Mais au départ, il faut qu’il y ait eu quelque chose de réel et cette chose réelle disparaît alors quel’histoire continue.

— B.B. Ce qui suppose que le présent ne t’intéresse pas.

— C.B. Ce que je dis, c’est qu’il y a une force plus grande dans les histoires que dans les objets. Dans ma vie, il y a eu plusieurs périodes : une, où les œuvres ont existé ; une autre, où elles étaient détruites mais re-fabriquées ; et puis, maintenant, il n’est plus question de voir les œuvres mais de savoir qu’elles existent. Il y aura eu cette histoire qui va se transmettre.

— B.B. Mais, si elle se transmet, elle va se modifier et s’altérer. La transmission va sans doute en modifier l’intention première. Elle n’aura peut-être plus grand-chose à voir avec le récit original.

— C.B. Je suis d’accord, de même que les objets que je détruis et que je refais, pour le moment, je les rejoue mais forcément après moi, quelqu’un d’autre devra les réinterpréter, sans doute en les modifiant, moi-même, je les modifie.

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— B.B. Ce théâtre que tu décris a une histoire qui rompt avec la pratique du théâtre classique et de la scène traditionnelle. Il renvoie à la fois au théâtre populaire, à celui qu’on jouait dans les rues ou dans des baraquements, mais il renvoie aussi à ce théâtre émancipé de la scène que nombre d’artistes, au fil du 20e siècle, ont échafaudé pour s’éloigner des conventions et rapprocher l’art et la vie.

— C.B. Le théâtre est un art du temps et l’exposition est un art de l’espace. Il fallait trouver quelque chose qui soit entre les deux. Dans les expositions que je fais, j’essaie de refléter cette idée de temporalité, c’est-à-dire il y a un début et une fin mais, malgré tout, on ne sait pas combien de temps les gens vont rester dans la première salle ou dans la cinquième salle. Dans les spectacles que j’ai faits, il y a vraiment ce mélange entre un temps, par exemple musical, et puis un espace, l’endroit où les gens se promènent. Quand je travaillais au Châtelet, tu avais deux jours de représentation et le soir de la deuxième à la fin, donc à minuit, tu voyais les employés du théâtre qui balayaient et qui préparaient le décor du lendemain. Donc, tu savais que c’était définitivement terminé. Je pense que la chose qui m’a le plus plu dans le théâtre, c’est cette beauté de l’éphémère : tu travailles pendant longtemps sur une chose qui ne peut rester que dans la mémoire de ceux qui l’on vue. Si tu fais une pièce de théâtre comme j’ai fait, ça dure deux ou trois jours et après plus personne ne la verra jamais. De même, quand je fais une exposition comme celle qu’on fait, dès qu’elle sera finie, plus personne ne la verra. On pourra voir des œuvres ailleurs mais plus dans cette configuration. L’exposition que j’ai bien aimée, l’année dernière à Amsterdam dans une église, plus personne ne la verra, il y a des photos mais ce n’est pas la même chose. Le théâtre m’a finalement appris à faire des choses qui ne soient que racontables.

— B.B. Je ne sais pas si l’on peut parler d’art total, comme tu le fais en évoquant sans le nommer Harald Szeemann. Mais ce que bien sûr,je remarque au fil de cette déambulation à laquelle tu invites, c’est que l’exposition en tant que telle est conçue comme une œuvre dont les pièces sont les éléments du dispositif. Disons que le but est de produire une totalité qui ne peut subsister qu’à l’état de souvenir.

— C.B. Ces expériences m’ont donné envie de ne plus avoir d’œuvres qui soient formellement définies mais qui soient modifiables, un peu comme un morceau de musique qu’on interprète. À côté de ces œuvres qu’on peut rejouer de manière différente, il est apparu récemment une autre série d’œuvres qui ont existé, vont disparaître et qui n’ont pas besoin d’être vues pour être comprises. Je pense par exemple au Cœur à Teshima, où l’on n’a pas besoin d’aller même si l’endroit est très beau ! Je pense aussi à Misterios en Patagonie, ou aux Animitas dans différents pays.

— B.B. Pour autant, ces œuvres subsistent ou se métamorphosent par des films. L’œuvre, c’est aussi le film. Voire l’installation que tu conçois : les trois écrans de Misterios, le parterre de fleurs séchées d’une des versions d’Animitas.

— C.B. Les films aideront à se souvenir quand il n’y aura plus rien. Quand le squelette de la baleine ne sera plus que de la poussière, quand les clochettes se seront envolées. Un jour peut-être, quelqu’unpassera et retrouvera quelques fragments de tout cela. Il se dira qu’il s’est passé quelque chose mais il ne fera pas nécessairement le lien avec les films qui vivront une autre vie.

— B.B. À t’écouter, conteur de ta propre œuvre, on se dit qu’il y a un Boltanski peintre, un Boltanski photographe, un Boltanski sculpteur, etc. Et sans doute, même si tu aurais quelque mal à le dire parce que tu serais rattrapé par la pudeur, un Boltanski poète.

— C.B. Oui, comme je le dis souvent, la beauté de la poésie est dans le précis imprécis. J’aime l’idée de la restitution par un récit qui va se transformer. Je suis fréquemment au Japon et lors de l’un de mes séjours, on m’a montré l’un de ces sanctuaires shintoïstes qui sont abattus et reconstruits tous les vingt ans. Je trouve tellement beau d’avoir la transmission par le savoir et non par l’objet. Je n’ai jamais étudié la tradition shintoïste qui condense l’amour de toutes les petites pierres et de tout ce qu’il y a dans le monde mais j’apprécie simplement l’idée que l’on fait quelque chose, qu’on va la détruire mais qu’elle survivra par la transmission orale.

— C.B. En tout cas une tentative d’approcher l’art total en employant tous les modes possibles. Une de mes premières tentatives est celle que j’ai faite avec Ilya Kabakov et Jean Kalman, Der Ring dans la banlieue de Berlin, dans un ancien hôpital soviétique qui s’étendait dans plusieurs pavillons autour d’un grand jardin. Les visiteurs se promenaient d’un pavillon à l’autre, en suivant des événements. Dans un pavillon, il y avait de vieux chanteurs wagneriens qui prenaient le thé et de temps en temps, il y en avait un qui se levait et qui chantait. C’était avant tout une sorte d’errance dans cet hôpital en ruine. Il y avait un grand couloir avec, au bout, un morceau de Wagner. Il y avait un mur de haut-parleurs, de la fumée et donc tu ne voyais pas ce mur et quand tu t’approchais, le son était tellement fort que tu ne pouvais plus avancer. Tu étais obligé de reculer. Des expériences comme celle-ci m’ont beaucoup apporté. J’essaie dans mon théâtre comme dans mes expositions, de fabriquer un lieu d’errance, comme à Lyon, dans les sous-sols d’une piscine, où on avait vraiment du mal à trouver la sortie. Le son, le froid, l’odeur, la circulation sont des éléments importants pour moi. En tout cas, la dernière partie de mon œuvre tient beaucoup de ces expériences théâtrales.

— B.B. Peut-on parler de cérémonies, voire de rites théâtraux ? Je vois dans tes expériences théâtrales, des éléments touchant aux archaïsmes les plus profonds. Elles me rappellent tout à la fois les formes du théâtre antique mais aussi celles d’un théâtre populaire, voire d’un théâtre de rue où les ficelles orchestraient la fascination et la stupeur des spectateurs.

— C.B. Je crois que mon œuvre touche à des choses très anciennes.Peut-être qu’une des sources de mes spectacles théâtraux qui sont en fait de grandes cérémonies, se trouve dans ces cérémonies mortuaires du 17e siècle, autour de Bossuet et de ces grandes liturgies de paroles enflammées où l’on drapait de noir des églises entières, où l’on mettait de la fumée partout.

— B.B. Les rites, les cérémonies... Mais l’homme de théâtre construit collectivement alors que tu as longtemps travaillé dans l’intimité de ton atelier. L’un des aspects qui a conduit à une rupture dans ta pratique, c’est ce passage d’une pratique absolument solitaire à une pratique plus collective, disons partagée. À moins d’ailleurs que l’exposition qui en appelle à différents intervenants, n’ait en quelque sorte initié ce rite collectif qui t’a rapproché du théâtre.

— C.B. Absolument et le théâtre offre ce grand bonheur de faire quelque chose avec d’autres et avec ses amis. Je pense que cela a été important pour moi, ce travail du spectacle vivant avec mes amis et qui a commencé il y a une quinzaine d’années. Avec Jean Kalman, j’ai fait d’abord Voyage d’hiver à l’Opéra Comique. Notre première collaboration à trois a été Ô Mensch ! Au Point P, dans le cadre du Festival d’automne il y a quinze ans, puis au Châtelet à Paris pour Pleins Jours, puis à Reggio Emilia, on a fait deux spectacles qui s’appelaient Tant que nous sommes vivants. Il y a aussi ce spectacle en parallèle à l’exposition qui s’intitule Fosse (cf. page 19) ici, au Centre Pompidou. Nous nous sommes fixé des règles avec lesquelles nous avons réalisé tous nos travaux : le spectacle n’a pas de début ni de fin, le temps est long – quatre ou cinq heures – mais le spectateur peut rester le temps qu’il veut. Il y a des cycles musicaux qui sont courts et le spectateur peut entrer et sortir à sa guise. Évidemment, ce qui est important pour moi, c’est que les spectateurs ne soient pas devant quelque chose mais qu’ils soient dans l’œuvre et qu’ils s’immergent à l’intérieur d’un espace où ils sont happés par des événements musicaux ou théâtraux. Ces trois règles sont vraiment importantes : le temps indéfini, le fait que le spectateur soit libre et qu’il soit plongé dans le spectacle. D’ailleurs, je les ai reprises aussi dans mes expositions comme au Grand Palais, où on déambulait à l’intérieur de l’œuvre. J’avais fait couper le chauffage, il y avait des tas de vêtements par terre, ce qui obligeait tous les gens à regarder au sol et faisait en sorte que le visiteur devienne partie prenante de l’ œuvre. Et effectivement, s’il est assis dans une salle, le rideau se lève il est devant la scène, alors que moi, je veux qu’il soit dans le théâtre et que lui-même ne sache plus trop qui est qui. On n’est pas devant mais dans l’œuvre.

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— B.B. Dans sa défiance à l’égard de ce qu’est devenu le système de l’art aujourd’hui, nombreuses sont les œuvres qui renouent avec l’oralité.

— C.B. Le judaïsme a survécu par la parole. Je t’ai peut-être déjà raconté quelque chose qui m’avait beaucoup frappé. Une fois, j’ai assisté à un Séder près de la Bastille et le plus jeune, comme c’est la tradition, prononçait les paroles qui avaient dû être dites il y a très longtemps à Prague, en Irak, ou je ne sais pas trop où. À Paris, il n’y a eu rien d’autre que, simplement, cette transmission du mythe qui a été raconté et qui un jour, on peut imaginer, sera raconté par quelqu’un d’autre. Il n’y avait aucune chose matérielle. Dans des pays si lointains, si différents, la tradition se transmet et vit seulement par la parole, on n’a pas besoin d’une chose matérielle. Il n’y a pas besoin de construire le temple.

— B.B. Il y a une chose frappante, après toutes ces années, on a le sentiment que tu es conscient que ton travail ne te survivra qu’à partir du moment où toi-même tu auras produit, non pas son effacement mais cette transmutation dans cette oralité qui te fascine. Comme si un jour, il faudra qu’on puisse raconter Boltanski.

— C.B. Absolument, je te parlais des shintoïstes et de leurs temples, et dans beaucoup de religions orientales, la transmission ne se fait pas par l’objet mais par la connaissance, par le savoir. Au Japon, il y a des gens qu’on considère comme des trésors nationaux parce qu’ils savent faire un temple ou faire un jardin.

— B.B. Donc ton obsession, ton désir, qui est aussi ta vanité, c’est qu’on transmette Boltanski, qu’on le raconte, qu’on l’ait connu ou pas. Comme n’importe quelle figure dans l’éternité du temps, qu’on convoque à un moment donné, pour que son expérience aide à vivre et à comprendre.

— C.B. Je m’intéresse surtout à l’évolution de l’œuvre et à sa transformation par cette oralité. Mon désir est que l’œuvre soit continuellement réinterprétée, jouée.

— B.B. En Grèce, j’avais longuement marché pour aller voir la tombe d’Homère. Mais il n’y avait plus rien que le récit qu’en faisait un guide. Au point qu’à un moment donné, je ne m’attachais plus à ce que j’aurais pu voir mais seulement à ce que j’imaginais qui, paradoxalement, était plus présent que ce que j’étais venu chercher. Est-ce que cela ne répond pas à ce que tu tentes de raconter aujourd’hui ?

— C.B. Sur la terre des Animitas, il n’y a déjà plus rien.

— B.B. Il n’y a plus rien, mais le film en est la mémoire, peut-être même la matière. Il n’y a d’ailleurs doublement plus rien de ce que tu as fait, qui a disparu, mais aussi de ce sol, de cette terre dont on sait qu’elle est aussi chargée d’une grande tragédie.

— C.B. En effet. J’ai été invité à faire une exposition au Chili dans le grand musée de la capitale et j’ai demandé à la commissaire, Beatriz Bustos, de faire en sorte que je puisse aller dans le désert d’Atacama, que j’avais toujours désiré voir. Je suis arrivé dans cet endroit magique à 4 000 mètres d’altitude. Le ciel est très proche, c’est un endroit sec et on a l’impression qu’on peut toucher les étoiles. On sait que Pinochet avait l’habitude de jeter les prisonniers d’avion dans cet endroit désert et pendant très longtemps, des veuves ou des mères de malheureux prisonniers ont erré dans ce désert en essayant de retrouver les restes de leurs proches. Toute l’ambiance est magique et sinistre et j’ai donc eu envie de faire une œuvre dans cet endroit, une œuvre en hommage aux étoiles et à toutes ces âmes errantes qui se trouvent dans ce désert. J’ai appelé ça Animitas et donc, j’ai planté ces clochettes qui flottent et tintent au vent. Naturellement, de cette œuvre qui a aujourd’hui cinq ans ne reste physiquement plus rien : des amis sont allés la chercher et n’ont rien trouvé. C’était mon but que tout disparaisse. Il ne faut surtout pas abîmer le désert. Matériellement, il ne reste donc que ce film. J’ai voulu faire quatre versions : une version au nord du Québec, dans la neige, c’était la plus difficile à faire. Une sur la mer Morte et puis une version au Japon dans l’île de Teshima, qui est un peu différente parce qu’elle a une signification votive. Dans les quatre versions, il s’agit d’hommages aux esprits, d’hommages aux morts.

Bas Animitas blanc2017

Vidéoprojection avec son, format 16/9, HD, durée : 13 h. 36 sec., boules de papier de soie Musée national des Beaux-Arts du Québec Archives Christian BoltanskiPhoto © DR © Adagp, Paris, 2019

Haut Animitas Chili 2014

Lors d’une exposition à Santiago du Chili, Boltanski a l’occasion de visiter le désert d’Atacama, lieu historiquement chargé, occupé par un camp de concentration voulu par Pinochet. Un site qui est très impressionnant par la proximité du ciel étoilé. Le titre de cette série d’œuvres vient du nom donné par les Chiliens aux autels religieux édifiés au bord des routes, là où il y a eu un accident. Boltanski veut ainsi évoquer la présence des morts qui nous entourent. Des petites clochettes accrochées à des longues tiges bougent et sonnent au rythme du vent. Boltanski a réalisé au total quatre Animitas : outre celle d’Atacama, il en a installé une au nord du Québec, une sur la mer Morte et une sur l’île de Teshima qui est la seule encore existante. C’est en effet une œuvre votive où chaque clochette est dédiée à un être aimé.

Vidéoprojection avec son, format 16/9, durée : 13 h. 16 sec.,foin, fleurs Archives Christian BoltanskiPhoto ©Francisco, Rios Anderson © Adagp, Paris, 2019

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— C.B. J’ai le désir, sans doute impossible, de créer de nouveaux mythes qui ne s’appuient pas forcément sur des choses visuelles, de créer quelque chose qui puisse exister après moi, sous la forme d’une histoire. [...] Fabriquer des mythes est plus important que de faire des œuvres et de toute façon, Duchamp l’a bien montré, lui qui est avant tout un créateur de mythes, avec ses objets auxquels les gens vont essayer de trouver un sens en créant une histoire. Sa dernière œuvre Étant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage... est une œuvre totalement incompréhensible, une œuvre qui fait parler, chacun peut construire son propre mythe par rapport à cette œuvre. [...] Les mythes sont toujours dits par un chaman ou par un prêcheur qui les invente et/ou les transmet et peut-être que je me situe à l’intérieur de cette tradition d’un chaman ou d’un prêcheur qui invente des nouveaux mythes auxquels les gens vont plus ou moins croire et qu’ils vont retransformer après eux. Et des chamans ou des prêcheurs viendront pour retransformer encore ces mythes et cela à l’infini.

— B.B. Dans l’exposition du Centre Pompidou de 1984, il y avait d’un côté, la vie de l’artiste et de l’autre côté, son œuvre. Ce qui est fascinant, c’est ce que trente-cinq années après, tu soulignes désormais que ton sujet est devenu l’indicible.

— C.B. Plus on travaille, plus on disparaît et plus on devient son œuvre. Je pense que le désir d’un artiste, c’est de devenir son œuvre. Finalement, on joue sa propre vie pour la vivre réellement : on joue la tristesse, on joue le bonheur. On est montreur, on n’est que montreur, on n’a plus de vie tout comme un acteur de théâtre. Je pense qu’un artiste doit s’effacer et, en cela, est plus universel car en principe, chacun devrait se reconnaître en lui. On s’y reconnaît parce qu’il est le miroir du désir de l’autre et lui même n’a plus de distance. Je pense que dans mon cas, j’ai montré la vie sans jamais la vivre. C’est une sorte de protection pour des gens pour qui la vie est trop difficile. J’ai fait le choix de n’être que montreur et c’est comme ça pour un certain nombre d’artistes qui ne sont que leur oeuvre, ils ne deviennent que leur œuvre. Il y a des petites anecdotes autour mais à la fin, ils ne sont que leur œuvre. Ils ressemblent à leur œuvre. Giacometti ressemble à l’image de Giacometti, etc. On fabrique son temps, on fait son temps de vie.

— B.B. Quelle est la fonction des titres dans ton travail ? Souvent ces titres sont déjà les commencements des récits.

— C.B. Oui, en tout cas, ils orientent le récit. Par exemple, le titre des Animitas correspond aux noms des petits autels religieux qu’on voit sur les routes du Chili, posés là où il y a eu un accident de voiture, mais bien sûr dans les titres, il y a aussi cette idée de petites âmes. Le titre Misterios renvoie à la croyance que les baleines recèleraient des mystères. Dans la tradition des Indiens d’Amérique du Sud, la baleine est l’animal qui connaît le début de l’histoire, qui connaît la vérité sur nous-mêmes et comme j’ai posé beaucoup de questions à beaucoup de gens, comme j’ai beaucoup réfléchi et espéré comprendre ce qu’était le début de l’histoire, j’ai voulu poser ces questions aux baleines. J’ai donc installé en Patagonie du Nord, à un endroit où il y a beaucoup de baleines mais qui est extrêmement désert, des grandes trompes que j’ai fabriquées et quand le vent s’engouffre à l’intérieur, on peut entendre le langage des baleines, ou en tout cas, on écoute des bruits très proches du langage des baleines. J’ai travaillé avec des acousticiens pour cette réalisation mais naturellement les baleines ne m’ont pas répondu mais même si les animaux connaissent plus de choses que les humains, elles ne m’ont pas dit pourquoi nous sommes sur Terre. Cette expérience fait partie des projets que j’ai actuellement, concernant la création des mythes. Un jour, une tempête abattra ces grandes trompes, de toute façon peu de gens auront pu se rendre sur place. Il est possible que dans plusieurs années, courra la rumeur qu’un homme fou est venu – mon nom sera oublié – et qu’il aura essayé de parler aux baleines.

— B.B. Dans tes premières pièces, celles dont tu ne parles plus aujourd’hui et qui puisaient aux livres d’histoire de l’école de ton enfance, tu reproduisais des faits historiques élevés au rang d’épopées. Cinquante ans plus tard, ces images ont disparu de tes récits pour se métamorphoser dans les mythologies que tu bricoles. De raconteur de l’histoire des autres, tu tends à devenir conteur des mythes que tu échafaudes et qui viennent s’ajouter à ceux de notre imaginaire collectif.

Misterios2017

Vidéoprojection sur 3 écrans, format 16/9, son stéréo, couleur,

durée : 12 heures Archives Christian BoltanskiPhoto © Christian Boltanski

© Adagp, Paris, 2019

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Le parcours de l’exposition

1. Départ Arrivée 2015Ampoules, douilles, fils électriques 2. 27 possibilités d’autoportraits 2007Photographies noir et blanc.Édition 1/3 3. La Chambre ovale 1967Peinture acrylique sur Isorel 4. L’Homme qui tousse 1969Film 16 mm couleur, sonore,2 min. 44 sec.Caméra : Jean-Claude Valesyet Alain Thierry 5. Essai de reconstitution1970-1971Fer blanc, bois, grillage,pâte à modeler

6. Les 62 membres du ClubMickey en 1955, les photospréférées des enfants 1972Photographies noir et blancencadrées, cadre en fer-blanc 7. Album de photographies de la famille D., 1939-1964 1971Tirages noir et blanc encadrésde fer blanc 8. Vitrine de référence 1972Bois, photographies noir et blanc,bandelette de tissu, fil de fer, bois,lames de rasoir, boîte en métal,boulettes de terre 9. La Mort du grand-père19744 photographies noir et blancrehaussées de pastel sur papieret légendes

10. Les Habits de François C.1971Tirages noir et blanc encadrésde fer blanc 11. Entre-temps 2003Vidéoprojection noir et blanc,1 min. 37 sec., silencieux, rideaude cordes, dimensions variables 12. Théâtre d’ombres1984-1997Figurines en carton, projecteurs,plate-forme mobile, structuresen métal, ventilateurs,dimensions variables 13. Cœur 2005Ampoule, amplificateurs, boîtierpour transformer le son desbattements de coeur en lumièreclignotante, enregistrements,dimensions variables

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Galerie 1, niveau 6

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14. Miroirs noirs2005Miroirs peints en noir de plusieursdimensions 15. Réserve des Suisses morts1990Photographies, lampes à pinces,fils électriques, échelles en bois,linge blanc 16. Les Véroniques1996Photographies noir et blancsur calque, boîtes en bois, grillage,tubes fluorescents, tissu 17. Le Manteau1991Manteau noir, ampoules LED,câbles noirs 18. Les Portraits noirs, 1993Photographies noir et blancencadrées, lampes à pince 19. Après / Pics1996Miroirs sur pied, cadres,barres métalliques, ampoule 20. et 21. Monuments et Reliquaires Photographies, boites à biscuits, lampes à pinces, douilles, ampoules,fils électriques 22. Les Regards 2011Voiles, filins métalliques,ampoules, ventilateur, dimensionsvariables 23. Réserve : Les Suisses Morts 1991Boîtes en métal, photographiesnoir et blanc 24. La Dernière danse2004Diptyque photographique 25. Sentimental Père-Mère de C.B.2000Photographies noir et blanc,ampoules, fils électriques 26. Misterios2017Vidéoprojection sur 3 écrans,format 16/9, son stéréo, couleur,720 min.

27. La Vie impossible de C.B.2001Bois, grillage métallique,tubes fluorescents, papier,photographies 28. Menschlich1994Photographies noir et blanc,lampes 29. Les Portants2000Miroirs noirs, portants sur roues,voiles imprimés transparents,tubes fluorescents 30. Mes Morts2002Panneaux métalliques, tubesfluorescents, câbles électriques 31. Les Tombeaux1996Bois, métal, draps noirs, ampoules 32. Les Concessions1996Photographies, tissu noir,ventilateurs, dimensions variables 33. Après2016Photographies impriméessur voile, Plexiglas, ampoulestransparentes, lampes à pinces 34. Crépuscule2015Ampoules, douilles, fils électriquesnoirs, dimensions variables 35. Les Registres du Grand-Hornu1997Boîtes en fer-blanc, étiquettes,photographies noir et blanc,lampes de bureau 36. Le Terril Grand-Hornu2015Vêtements noirs en tissu, lampe,dimensions variables 37. Les Containers2010Chariots à roulettes, acier,tubes fluorescentsboules de papier de soie

38. Prendre la parole2005Bois, manteaux noirs, lampesde bureau, ampoules, lecteurenregistreur, haut-parleursavec capteurs de mouvement,dimensions variables 39. Animitas Chili 2014 et Animitas blanc2017Vidéoprojection avec son, format16/9, couleur, 13 heures 36 sec.,foin, fleurs, boules de papier de soie 40. Le Passage2019Vidéo-projection sur tissu, muet,noir et blanc, 6 min.

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Autour de l’exposition

Création FosseChristian Boltanski,Jean Kalman, Franck KrawczykVendredi 10 et samedi 11 janvier 2020, 19h à 22h (dernière entrée à 21h10)Dimanche 12 janvier 2020, 17h à 20h (dernière entrée à 19h10)Parking du Centre Pompidou, niveau -150 minutes / 18 €, 9 € (-18 ans)

Après Pleine Nuit, spectacle conçu dans le chantier de la Salle Favart en 2016, l’Opéra Comique et le Centre Pompidou invitent Christian Boltanski, Jean Kalman et Franck Krawczyk pour une création dans le parking Berger, situé au niveau -1 du Centre. Depuis 2001, les trois artistes d’horizons différents, travaillent à une nouvelle forme de spectacle qui répond à trois règles : l’espace donné constitue la base du livret ; le spectacle n’a ni début ni fin (on peut entrer et sortir à tout moment) ; le spectateur n’est pas placé devant mais déambule au cœur même de l’espace scénique. Tel Dante ou Orphée, le visiteur erre dans un lieu indéterminé, immergé dans ce qui se passe au dessous, sous la surface, sous la scène, déplaçant l’enjeu sur ce qui ordinairement tend à être dissimulé. Fosse, ou l’opéra comme mise en abîme.

Œuvre pour soprano, violoncelle solo, chœur, 12 violoncelles, 6 pianos, percussions et guitares électriques.

Conception Christian Boltanski, Jean Kalman, Franck KrawczykCoordination artistique – Plein JourSoprano – Karen Vourc’hVioloncelle solo – Sonia Wieder-AthertonChœur – accentus

Commande de l’Opéra ComiqueProduction Opéra ComiqueCoproduction Centre PompidouAvec le soutien du Fonds de Création Lyrique

Masterclasse Avec Christian BoltanskiDimanche 17 novembre 2019, 17hPetite salle, niveau -1Entrée libre

Cinéma Autour de C.B.Mercredi 15 janvier 2020, 19 hCinéma 2, niveau -15 € tarif plein / 3 € tarif réduit Gratuit pour les adhérents

Cycle parole Les trois temps de BoltanskiLe temps du spectacleMercredi 8 janvier, 19h Petite salle, niveau -1

Le temps du muséeJeudi 12 février, 19h Petite salle, niveau -1

Le temps des reliquesJeudi 19 mars, 19hGalerie 1, niveau 6

Entrée libre

© DR

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Publications

Catalogue de l’expositionSous la direction de Bernard Blistène,Christian Boltanskiet Annalisa RimmaudoÉditions du Centre Pompidou

Parution : 30 octobre 2019ISBN : 9782844268600288 pages, 19.5 x 26 cmPrix de lancement -30% : 29.77 € htPrix public : 45.00 € À partir du 30 octobre 2019

Album de l’exposition Sous la direction de Bernard BlistèneÉditions du Centre Pompidou

Parution : 30 octobre 2019

ISBN : 9782844268617

60 pages, 27 x 27 cm

Prix de lancement -30% : 6.28 € ht

Prix public : 9.50 €

À partir du 30 octobre 2019

Personnes Sous la direction de Christian et Christophe Boltanski Éditions du Centre Pompidou

Parution : 30 octobre 2019

ISBN : 9782844268624

96 pages, 12 x 18,5 cm

Prix de lancement - 30%: 8.27 € ht

Prix public : 12.50 €

À partir du 30 octobre 2019

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Informations pratiques

L’Exposition

BoltanskiFaire son temps13 novembre 2019 – 16 mars 2020Galerie 1, niveau 6

Commissaire Bernard Blistèneavec la collaboration d’Annalisa RimmaudoChargé de production Hervé DerouaultArchitecte scénographe Jasmin Oezcebi

Contact presse Timothée NicotT. 00 33 (0)1 44 78 45 79 [email protected]

assisté de Grégoire Samson T. 00 33 (0)1 44 78 12 [email protected]

Visuels presse Les visuels de ce dossier représentent une sélection disponible pour la presse.Chaque image doit être accompagnée de sa légende et du crédit correspondant. Toute demande spécifique ou supplémentaire concernant l’iconographie doit être adressée à l’attaché de presse de l’exposition.

Avec le soutien de la société Raja

En partenariat avec Vranken-Pommery Monopole

En partenariat média avec :

Remerciements Galerie Marian Goodman, Paris - Londres - New YorkGalerie Kewenig, BerlinGaleria Albarrán Bourdais, MadridRaphaële Coutant, Clémence Ouazana, Charlotte Richard

Le Centre Pompidou 75191 Paris cedex 04 / T. 00 33 (0)1 44 78 12 33Métro : Hôtel de Ville, Rambuteau / RER Châtelet-Les-Halles

Horaires et Tarifs Exposition ouverte tous les jours de 11h à 21h, le jeudi jusqu’à 23h, sauf le mardi et le 1er mai 14 €, tarif réduit 11 € / Gratuit pour les moins de 18 ans. Les moins de 26 ans*, les enseignants et les étudiants des écoles d’art, ainsi que les membres de la Maison des artistes bénéficient de la gratuité pour la visite du Musée et d’un billet tarif réduit pour les expositions.

Accès gratuit pour les adhérents du Centre Pompidou.

Billet horodaté Le Centre Pompidou met en place un système de réservation préalable recommandé avec choix de créneaux horaires pour offrir au public un meilleur confort de visite de ses expositions en Galeries 1 et 2 durant la rénovation de l’entrée principale et de la « Chenille ». Le billet horodaté « Boltanski » donne accès à tous les espaces du Centre Pompidou, dont les collections permanentes, à l’exception de l’exposition « Bacon, en toutes lettres ». Le billet horodaté « Bacon » donne accès à tous les espaces du Centre Pompidou sans exception. Le mode de billetterie pour le Musée national d’art moderne et les expositions des Galeries 3 et 4 reste inchangé.

Réservations et billet imprimable à domicile sur : www.billetterie.centrepompidou.frLa réservation d’un créneau horaire s’applique à tous les visiteurs excepté ceux bénéficiant d’une gratuité.

* 18-25 ans ressortissants d’un état membre de l’UE ou d’un autre état partie à l’accord sur l’Espace économique européen. Valable le jour même pour le Musée national d’art moderne et l’ensemble des expositions.

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Au même moment BaconEn toutes lettres11 septembre 2019 – 20 janvier 2020Galerie 2

Dorothy IannoneToujours de l’audace 25 septembre 2019 – 6 janvier 2020Musée, salle Focus

Prix Marcel Duchamp 20199 octobre 2019 – 6 janvier 2020Galerie 4

CalaisTémoigner de la « jungle » 16 octobre 2019 – 24 février 2020Galerie de photographies

Points de rencontres 23 octobre 2019 – 27 janvier 2020 Galerie d’art graphique et Galerie du Musée

Cosmopolis #2Repenser l’humain23 octobre – 23 décembre 2019 Galerie 3

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