ordre public et arbitrage international en droit du commerce international

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UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON II FACULTÉ DE DROIT ET SCIENCE POLITIQUE Master droit, 1 re année Droit des activités de l’entreprise Le mémoire sur Sous la direction de M. Laurent GUIGNARD Rédigé par M. THARA Rathvisal Master 1 Année Universitaire 2005 - 2006 Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international

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Je m'appelle THARA Rathvisal. Mon Mémoire de Master 1re année (2005-2006). Table des matières est à la page 66. Le directeur était le Professeur LAURENT Guignard (à l'Université Lumière Lyon 2).

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Page 1: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

UNIVERSITÉ LUMIÈRE LYON II FACULTÉ DE DROIT ET SCIENCE POLITIQUE

Master droit, 1re année

Droit des activités de l’entreprise

Le mémoire sur

Sous la direction de M. Laurent GUIGNARD Rédigé par M. THARA Rathvisal

Master 1 Année Universitaire 2005 - 2006

Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international

Page 2: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Introduction générale

La notion de l’ordre public est abstraite et difficile à cerner avec précision. La notion de

l’arbitrage pose également d’importants problèmes. Ces deux notions sont liées l’une à l’autre

en droit international privé, plus précisément en droit du commerce international.

Traditionnellement, la tâche de rendre la justice relève des juridictions étatiques puisque

si l’ordre juridique s’incarne dans l’État, rendre justice est un acte de souveraineté. Mais, l’Etat

ne constitue vraiment pas la source de tous phénomènes juridiques. C’est dans ce sens que

l’admission du pluralisme juridique permet l’existence théorique de l’arbitrage.

On pourra dire que l’arbitre est considéré comme un juge normal des relations

commerciales1. L’arbitrage interne joue un rôle mineur. En revanche, la présence de l’arbitrage

international est devenue un mode de résolution de conflit le plus habituel et le moyen ordinaire

et normal de solution des litiges2 dans le monde du commerce international, ce qui montre que

le rôle joué par l’arbitrage international est beaucoup plus majeur que celui de l’arbitrage

interne. En effet, l’inadaptation de la justice étatique aux particularités des affaires

internationales commerciales et l’inexistence de juridiction internationale de droit privé sont de

réelles raisons qui permettent d’expliquer que l’arbitrage international constitue une forme de

justice répondant aux besoins des opérateurs du commerce international3.

Du point de vue général, la caractéristique générale de l’arbitrage international dans le

droit contemporain réside dans son libéralisme. L’arbitrage international n’est rattaché à aucun

droit étatique. Cela veut dire qu’il n’existe pas de for pour un arbitre international. C’est à partir

de cette conception qu’il se dit que l’arbitrage international est autonome par rapport à tous

droits étatiques.

1 Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 208. 2 P. Lalive, « Ordre public transnational (ou réellement international) et arbitrage international », Rev. Arb. 1986. p. 340. 3 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999, p. 1.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Le droit d’accès à la justice arbitrale dans les contrats internationaux semble avoir acquis

une importance si fondamentale pour le développement du commerce international qu’on peut

désormais le considérer comme un principe d’ordre public universel4. En vertu de l’arrêt Hecht

rendu par la chambre civile le 4 juillet 1972 : « Est international, l’arbitrage qui met en cause des

intérêts du commerce international. »5 De surplus, il est également à noter que l’arbitre n’est

jamais obligé de surseoir à statuer même dans le cas où la juridiction étatique le serait car

l’arbitre n’est pas considéré comme une autorité d’un Etat. Il n’est pas cependant interdit aux

arbitres de se prononcer sur le sursis6.

L’ordre public, chacun le sait, est protéiforme7. Il a été impossible jusqu’ici de donner

aux mots d’ordre public une définition uniforme8 puisque cette définition de l’ordre public est

un faux problème9. Néanmoins, une certitude semble précéder les incertitudes : l’ordre public

est d’essence étatique, aussi bien dans l’idée d’ordre que dans l’idée de publicité10. Le concept

d’ordre public connaît une multitude d’application en raison de ce qu’il est commun à

l’ensemble des disciplines juridiques : il existe l’ordre public en droit privé, en droit public, en

droit économique, en droit des contrats, en droit administratif... De surplus, l’ordre public est

une notion fonctionnelle dont le contenu est varié dans le temps et l’espace. Précisons d’emblée

que seul nous intéresse l’ordre public au sens du droit privé. D’autres notions voisines doivent

être également invoquées et expliquées, telles que les lois de police dont l’ordre public sert de

critère d’identification.

Au-delà de cette définition, on essaye de relier le concept de l’ordre public à l’arbitrage

international, le travail qui est difficile à effectuer. Pour cette raison, la question de droit qui

mérite de se poser en la matière est de savoir quels sont les rapports réels de l’ordre public et de

l’arbitrage commercial international, et déterminer l’influence de l’ordre public sur le processus

de l’arbitrage international.

4 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 60. 5 Cass. 1re civ., 4 juiill. 1972, Hecht : Rev. crit. DIP 1974, p. 82, note P. LEVEL 6 Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 222. 7 Charles JARROSON, « Arbitrabilité : Présentation méthodologique », RJ. Com. 1996. n°12. p. 3. 8 Henri MOTULSKY, Etudes et notes sur l’arbitrage, Dalloz, 1974. p. 64. 9 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 263. 10 Francis MEGERLIN, Ordre public transnational et arbitrage international de droit privé, essai critique sur la méthode, 2002. p. 8.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ La liaison de l’ordre public à l’arbitrage international pose d’intéressantes questions

d’intervention de l’ordre public à différentes phases respectives de la procédure arbitrale. Dans

une première phase, il est évident que l’ordre public joue un rôle prépondérant dans

l’appréciation de l’arbitrabilité du litige et de la validité de la convention d’arbitrage. Dans une

seconde phase, l’ordre public est devenu la référence nécessaire dont l’arbitre international ne

peut méconnaître le contenu lors de la détermination du droit applicable. Dans une dernière

phase, l’ordre public peut intervenir dans le contrôle éventuel par le juge étatique sur la sentence

rendue. Ainsi, dans cette étude, l’arbitrage international est confronté, dans tous ses aspects, aux

contraintes de l’ordre public.

Le lien entre l’ordre public et l’arbitrage international ne peut se comprendre que de

manière très vague. L’étude approfondie et d’ensemble sur ce sujet est alors jugée, à notre

propos, difficile à effectuer. En réalité, l’ordre public et l’arbitrage international entretiennent

des relations complexes. C’est la raison pour laquelle notre présentation sur l’influence de

l’ordre public sur l’arbitrage international ne peut être réalisé que d’une manière très brève afin

d’éviter, mais avec peu ou prou de précision, les éventuelles fautes ou erreurs.

Ainsi faut-il commencer par élucider les rapports complexes de l’ordre public et de

l’arbitrage commercial international. Nous essayons de proposer deux grands chapitres. Le

premier chapitre est consacré à l’influence de l’ordre public quant au recours à l’arbitrage

international (Chapitre 1) et le second est destiné à expliquer l’influence de l’ordre public quant

à la solution au fond du litige (Chapitre 2).

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Page 5: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Chapitre 1er Influence de l’ordre public quant au recours à l’arbitrage

commercial international

A la différence du juge, l’arbitre international n’est pas désigné compétent en vertu d’une

loi ; mais, la loi instaure des restreintes ou limites à l’accès à l’arbitrage. C’est aux parties au

litige donc qu’il appartient de déterminer la compétence et l’étendu du pouvoir de leur arbitre,

par voie de stipulation d’une convention d’arbitrage.

L’ordre public joue ici un rôle important dans deux hypothèses. Dans la première

hypothèse, le droit de l’arbitrage moderne tend à reconnaître la compétence de l’arbitrage même

dans les domaines touchant à l’ordre public. Cela conduit à dire que l’ordre public recule et la

compétence de l’arbitre s’affirme en matière de l’arbitrabilité du litige.

Dans la seconde hypothèse, il est nécessaire de faire une étude particulière sur la

convention d’arbitrage par rapport à l’ordre public. L’ordre public est en effet devenu la seule

cause de nullité de la convention d’arbitrage en vertu des règles matérielles.

En ce sens, l’ordre public tient une place prépondérante dans le recours à l’arbitrage

commercial international qui suppose en premier lieu que le litige soit arbitrable (Section 1) et

en second lieu que la convention d’arbitrage ne soit pas contraire à l’ordre public (Section 2).

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Page 6: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ Section I. Ordre public et arbitrabilité du litige

La question préliminaire obligatoire, permettant de pouvoir attribuer la compétence à un

arbitre international, qui se pose en la matière est celle de l’arbitrabilité du litige. Celui-ci

suppose bien l’intervention de l’ordre public. On conçoit en effet que lorsque le litige est

inarbitrable il n’y ait plus de place pour la compétence des arbitres11. Il s’agit notamment d’une

matière très complexe ; en effet, l’arbitrabilité du litige est une question abstraite, délicate et mal

cernée et suscite un certain nombre de malentendus, voire de contresens12. De surcroît, même si

les parties au contrat international ont un espace de liberté plus important, il n’existe pas

d’arbitrabilité en général13.

La définition de l’arbitrabilité du litige est le premier élément à préciser. Sur ce point, les

auteurs se divergent. Selon M. Boucher, le terme d’arbitrabilité désigne « l’aptitude d’une cause

à constituer l’objet d’un arbitrage14. » D’après M. Level, il désigne « la qualité qui s’applique à

une matière, à une question ou à un litige, d’être soumis au pouvoir juridictionnel des

arbitres15. » Mais, ces définitions formulées sont mises à l’écart car elles ne correspondent

totalement pas à notre problématique. On s’attache surtout à la définition donnée par le

professeur C. Jarrosson. En 1996, dans son article célèbre, il a défini l’arbitrabilité comme « le

fait d’être arbitrable et est arbitrable ce qui est susceptible d’être arbitré16. » Il a de surcroît

indiqué que la difficulté en la matière ne provient vraiment pas de la définition de l’arbitrabilité.

Ainsi, encore faut-il s’efforcer de relier la notion de l’arbitrabilité à l’ordre public.

L’enjeu est qu’une sentence arbitrale serait nulle non pas en raison de ce que l’arbitre décide,

mais en raison du fait que la sentence serait intervenue là où seule la juridiction étatique est

compétente17. En ce sens, en matière de l’arbitrage commercial international et de l’ordre public,

11 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 386. 12 Charles JARROSON, « Arbitrabilité : Présentation méthodologique », RJ. Com. 1996. n°1. p. 1. 13 Hugues KENFACK, Droit du commerce international, Dalloz, Mémentos, 2002. p. 42. 14 A. Boucher, Le nouvel arbitrage international en Suisse, Ed Helbing & Lichtenhahn, Bâle et Francfort-sur-le-Main, Théorie et pratique du droit, 1988. p. 37. 15 P. Level, « L’arbitrabilité », Rev. Arb. 1992. 213. 16 Charles JARROSON, op. cit., n°2 et 4, pp. 1 et 2. 17 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 386.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ l’accent est mis sur le point de savoir si un différend peut faire l’objet d’un recours devant un

arbitre international. C’est l’ordre public qui constitue le fondement à retenir pour apprécier le

caractère arbitrable ou inarbitrable d’un litige.

Certains critères sont à distinguer ; il existe des critères de l’arbitrabilité subjective et de

celle objective. En revanche, cette distinction nous semble dépourvue d’intérêt. En effet, la vraie

arbitrabilité n’est que l’arbitrabilité objective. C’est à ce dernier problème que l’on consacre

notre première section. En ce sens, l’étude sur l’arbitrabilité du litige doit passer par les critères

de l’arbitrabilité du litige (§ I) pour arriver à l’appréciation des critères de l’arbitrabilité

objective (§ II).

§ I. Critères de l’arbitrabilité du litige

Lorsque l’on est en présence d’une problématique portant sur l’arbitrabilité d’un litige en

droit du commerce international, on arrive avant tout à opérer la distinction entre l’arbitrabilité

dite subjective et celle dite objective (A). Or, l’arbitrabilité subjective ne pose pas problème

d’arbitrabilité au sens strict ; il s'agit plutôt d’une question portant sur l’aptitude à compromettre

des personnes morales de droit public18. Pour cette raison, seule l’arbitrabilité objective doit être

étudiée essentiellement avec les fonctions de l’ordre public (B).

A. Distinction opérée entre arbitrabilité subjective et objective

1. Le contenu de la distinction

En doctrine, la plupart des auteurs s’attachent à la distinction entre l’arbitrabilité

objective et l’arbitrabilité subjective. Ils ont par ailleurs mis en lumière un problème

fondamental, à savoir le champ d’application rationae personae de la clause d’arbitrage,

différent du champ d’application rationae materiae19.

Professeur Marie-Noëlle en donne un exemple : « Il est devenu habituel de distinguer en

la matière d’arbitrabilité les questions relatives à la qualité des sujets du débat arbitral (questions

18 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 201. 19 Bernard HANOTIAU, « L’arbitrabilité des litiges en matière de droit des sociétés », in Mélanges offerts à Claude Reymond, Litec, 2004. p. 101.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ d’arbitrabilité dite subjective) des questions relatives à la matière des litiges susceptibles d’être

traités par un arbitre (questions d’arbitrabilité dite objective) »20. Plus précisément, le professeur

Racine indique que certains auteurs distinguent l’arbitrabilité subjective, qui est l’aptitude d’une

personne, en l’occurrence d’une personne publique, à conclure une convention d’arbitrage et

l’arbitrabilité objective, qui est l’aptitude d’une matière à faire l’objet d’un arbitrage.

Ladite distinction a pour cause le fait que si l’arbitrage international est aujourd’hui

considéré comme un moyen ordinaire dans la résolution des conflits commerciaux à caractère

international, on rencontre toujours des obstacles dans le recours à l’arbitrage. En effet, en

premier lieu, l’Etat se réserve parfois la possibilité de recourir à l’arbitrage en raison de sa

propre qualité (arbitrabilité subjective), et en second lieu, l’arbitrage est exclu en raison de la

qualité de l’objet du litige lui-même (arbitrabilité objective)21. Par conséquent, on arrive à

opérer la distinction entre les deux types d’arbitrabilité.

Pour cela, il convient nécessairement de définir les deux sortes d’arbitrabilité. Selon M.

Abdel Moneem ZAMZAM, l’arbitrabilité subjective ou rationae personae dépend de la réponse

à la question : qui peut compromettre ? En raison de la qualité de l’une des parties à la

convention d’arbitrage, qu’il s’agisse de l’Etat ou d’un organisme public, le législateur exige

parfois que ceux-ci soient exclusivement soumis à la juridiction étatique22. Le professeur Marie-

Noëlle y ajoute qu’il existe une règle internationale qui admet l’aptitude à compromettre de

l’Etat, des organismes et établissements publics23.

Et pour l’arbitrabilité objective, il se dit que la licéité d’une convention d’arbitrage peut

être discutée en raison de son objet. Cela veut dire qu’afin de rendre un litige arbitrable, il ne

suffit pas que la convention d’arbitrage soit seulement être le fruit d’un consentement non vicié

et être passée entre personnes qui peuvent toutes compromettre, il faut également que l’objet

même de cette clause compromissoire soit licite, car le législateur interdit parfois de

20Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992, p. 14. 21 Abdel Moneem ZAMZAM, Les lois de police dans la jurisprudence étatique et arbitrale : étude comparée franco-égyptienne, ANRT thèse à la carte, 2003. p. 311. 22 Abdel Moneem ZAMZAM, Les lois de police dans la jurisprudence étatique et arbitrale : étude comparée franco-égyptienne, ANRT thèse à la carte, 2003. p. 312. 23 Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 14.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ compromettre sur certains droits. Elle résulte donc de la réponse à la question : sur quels droits

peut-on compromettre ?

En bref, la distinction ainsi opérée semblerait à nos yeux assez évidente ; par contre, il

existe d’autres argumentations qui attestent que seule l’arbitrabilité objective est la véritable

arbitrabilité au sens strict du terme.

2. La véritable arbitrabilité : arbitrabilité objective

Les idées s’affrontent. La distinction entre l’arbitrabilité subjective et l’arbitrabilité

objective est loin d’être convaincante. Il n’est pas moins évident que certains auteurs ont

l’intention d’ignorer cette distinction. Le professeur C. Jarrosson l’a exclue évidemment en

retenant que l’arbitrabilité subjective est, en effet, un abus de langage et recouvre une autre

notion, qui peut résider soit en une règle de capacité, soit en une règle matérielle relative à

l’aptitude des personnes morales de droit public à compromettre et qu’en réalité la seule et

véritable arbitrabilité est celle dite objective24.

Certains auteurs, notamment le professeur Racine, sont d’accord sur ce point avec le

professeur C. Jarrosson parce que le concept d’arbitrabilité est réservé à l’aptitude d’une

matière, d’une question litigieuse, à faire l’objet d’un arbitrage25. Pour cette raison, l’aptitude à

compromettre relève d’une catégorie juridique autonome portant une règle matérielle de droit

international privé.

Il convient donc de mettre l’accent sur la seule arbitrabilité objective afin de pouvoir

faire recours à l’arbitrage international et nous exclurons l’arbitrabilité prétendument subjective

de nos développements dans le contexte qui suit.

Il faut finalement souligner l’importance de l’ordre public. Il occupe une place essentielle

en la matière et joue un rôle prépondérant dans l’appréciation de l’arbitrabilité. En effet, puisque

si la difficulté et l’essentiel du sujet ne vient pas de sa définition, la notion de l’arbitrabilité, la

24Charles JARROSON, « Arbitrabilité : Présentation méthodologique », RJ. Com. 1996. n°1. p. 1. 25 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 201.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ notion de la disponibilité des droits et celle de l’ordre public sont nécessairement liées les unes

par rapport aux autres.

B. Arbitrabilité objective et fonctions de l’ordre public

1. La disponibilité des droits

Il s'agit de savoir dans quelle mesure l’ordre public peut faire échec à la compétence de

l’arbitre26. A ce stade, le sujet devant être abordée ensuite est celle de la libre disponibilité des

droits étant le premier critère de l’arbitrabilité27 dont certains auteurs tendent à traiter de

manière inverse l’indisponibilité des droits.

L’article 2060 du code civil dispose que « On ne peut compromettre sur les questions

d’état et de capacité des personnes, sur celles relatives au divorce et à la séparation de corps ou

sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus

généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public. » Or, cette phrase est

extrêmement ambiguë.

L’enseignement qu’on peut tirer de cet article est que le dernier élément cité est ainsi

considéré comme une limite générale à l’arbitrabilité28 (les matières qui intéressent l’ordre

public). L’effort doctrinal et jurisprudentiel a consisté à limiter la portée de cet article jugé

inutile et redondant29. Mais, certains auteurs vont même jusqu’à dire que cette phrase interdirait

à l’arbitre de ne jamais appliquer une règle d’ordre public30. Et d’autres prétendent que le

caractère arbitrable d’un litige dépend de la matière considérée parce que selon l’article 2059 du

code civil, on ne peut compromettre que sur les droits dont on a la libre disposition, d’où

exclusion de l’arbitrage lorsque les droits concernés ne sont pas disponibles31.

Il faut souligner que la notion de libre disponibilité des droits, et son antonyme, la notion

d’indisponibilité, sont les deux points essentiels pour relier l’arbitrabilité du litige à l’ordre 26 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 138. 27 Laurence IDOT, « L’arbitrabilité des litiges, l’exemple français », RJ. Com. 1996. n°3. p. 7. 28Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 131. 29 Laurence IDOT, « L’arbitrabilité des litiges, l’exemple français », RJ. Com. 1996. n°3. p. 7. 30 Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 207. 31 Hugues KENFACK, Droit du commerce international, Dalloz, Mémentos, 2002. p. 42.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ public. La raison en est que la libre disponibilité des droits n’est en fait pas autonome de l’ordre

public ; elle en est dépendante32. De surcroît, il est rare qu’il existe des règles spéciales qui

énoncent qu’un droit est indisponible.

Du premier point de vue, il est constant que l’arbitrabilité d’un litige n’est pas

conditionnée par la seule présence des règles à caractères d’ordre public33 ou autrement dit le

fait que les règles d’ordre public soient mises en cause dans le litige, ne fait pas obstacle à

l’arbitrabilité34, même si certains auteurs ont prétendument déduit de l’article 2060 C. civ. que la

seule présence en la cause d’une disposition d’ordre public rendait les droits litigieux ipso facto

indisponibles, et dès lors, que le litige était inarbitrable35.

Du second point de vue, il est important de savoir distinguer, dès le départ, l’illicéité de

la convention d’arbitrage, qui tient à la matière d’ordre public sur laquelle porte le litige, de

l’illicéité qui peut affecter le contrat international principal, qui pose d’autres problèmes36.

A titre d’exemple, les questions d’illicéité d’un contrat principal ne rendent pas le litige

inarbitrable car la clause compromissoire est en principe licite indépendamment du contrat

international qui la contient. Néanmoins, l’ordre public dans la loi applicable au contrat principal

doit être pris en compte pour déterminer le caractère inarbitrable d’un litige puisqu’il est

nécessaire de noter que si la loi applicable au contrat principal édicte l’inarbitrabilité, l’arbitre

devra se déclarer incompétent. Cela veut dire que la loi applicable à la clause arbitrale est

soumise en réalité de la loi du contrat37.

2. Le rôle prépondérant de l’ordre public

Il ne faut pas cependant avoir la confusion entre l’application des lois de police et

l’application des règles d’ordre public. En matière de l’arbitrage international, la place

32 Charles JARROSON, « Arbitrabilité : Présentation méthodologique », RJ. Com. 1996. n°11. p. 3. 33 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 388. 34 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 138. 35 Charles JARROSON, « Arbitrabilité : Présentation méthodologique », RJ. Com. 1996. n°13. p. 3. 36 Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 14. 37 Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 218.

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Page 12: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ prépondérante dans l’appréciation de ce qui est arbitrable est réservée à l’ordre public

international. En ce sens, avec le raisonnement actuel, la méthode conflictuelle de droit

international privé est abandonnée. Mais, certains auteurs ne les ont même pas nettement

distingués38.

En droit positif, on peut relativiser cette question. La raison en est que de nombreux

auteurs préconisent de prendre en considération la libre disponibilité des droits alors que certains

droits peuvent être rendus indisponibles par l’existence d’une loi de police au niveau

international. Il s'agit des lois de police traduisant une intervention de l’ordre public de

protection qui doivent être bien distinguées de celles traduisant une intervention de l’ordre

public de direction39. A titre d’exemple, selon M. C. Jarrosson, la prohibition de la clause

compromissoire peut s’expliquer par la nécessité de ne pas faire de l’arbitrage une nouvelle

arme du fort contre le faible, du spécialiste contre le profane40. Il en découle que l’ordre public

international et les lois de police sont entremêlés à propos de l’appréciation des clauses

d’arbitrage international.

En ce qui concerne l’ordre public, à proprement parler, il en existe deux sortes de

fonction. En premier lieu, il y a l’ordre public qui considère qu’au nom de l’intérêt social te

litige ne peut être abordé que par un juge étatique ; l’arbitrage est exclu, car les droits litigieux

sont rendus indisponibles par les liens très étroits qu’ils entretiennent avec l’Etat, ses

institutions, ou les intérêts essentiels de la société.

En second lieu, il y a l’ordre public qui emporte uniquement des restrictions à la mise en

œuvre et à l’exercice de cette disponibilité ; dès lors il appartient à l’arbitre de résoudre le litige

dans le respect de l’ordre public et d’en tirer toutes les conséquences, tel que le prononcé d’une

nullité d’ordre public41.

De ce fondement, il découle deux séries de certitudes. La première certitude est les

pouvoirs des arbitres d’appliquer une règle d’ordre public et de sanctionner sa violation. La 38 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 1O6O. 39 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 141. 40 Charles JARROSON, « La clause compromissoire : l’article 2061 du code civil », Rev. Arb. 1992, 259. 41 Charles JARROSON, « Arbitrabilité : Présentation méthodologique », RJ. Com. 1996. pp. 4 et 5

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Page 13: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ deuxième certitude est qu’il est impossible pour l’arbitre de remettre en cause une compétence

étatique exclusive. A ces deux certitudes, s’opposent certaines incertitudes qui sont par exemple,

le domaine des solutions, l’étendu du contrôle du juge étatique et d’autres incertitudes relevant

des questions pratiques42. Pour cette raison, afin de rendre encore plus claire la notion de

l’arbitrabilité, il nous faut une appréciation sur des critères de l’arbitrabilité objective.

§ II. Appréciation des critères de l’arbitrabilité objective

La référence par les arrêts récents par les arbitres de l’arbitrabilité au regard de l’ordre

public international laisse entendre que l’appréciation doit être faite globalement et non pas par

rapport aux conceptions d’un droit déterminé43. Certaines matières sont rendues inarbitrables en

raison de leur nature (A) et certaines d’autres sont inarbitrables par suite d’une violation de

l’ordre public (B).

A. Inarbitrabilité par nature de certaines matières

Normalement, l’arbitrabilité s’entend d’un litige ou d’une question de droit impliquée

dans un litige en raison de sa nature. On peut donc en déduire que la non arbitrabilité d’un litige

devrait être impossibilité d’examiner une question, indépendamment de la solution qu’elle

comporte44 ou en d’autres termes une sentence rendue serait nulle non pas en raison de ce que la

sentence arbitrale décide mais par le fait quelle est inarbitrable par nature (ou inarbitrabilité per

se).

L’inarbitrabilité par nature s’exprime que le litige ne peut être en raison de sa propre

nature examiné par l’arbitre international quand bien même que la loi applicable à la question de

l’arbitrabilité l’y autoriserait. Il existe beaucoup de matières qui sont inarbitrables par nature.

Mais, la notion de l’inarbitrabilité per se est principalement et particulièrement liée à la notion

des droits extrapatrimoniaux, à celle de l’ordre public de protection et à celle de la compétence

exclusive des juridictions étatiques, faisant l’objet des trois points qui suivent :

42 Laurence IDOT, « L’arbitrabilité des litiges, l’exemple français », RJ. Com. 1996. 43 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 389. 44 Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 213.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

1. Les matières relevant des droits extrapatrimoniaux

Cela correspond à l’application du critère de libre disponibilité des droits. Ce critère

d’arbitrabilité est très répandu en droit comparé45. Parmi les droits qui sont inarbitrables par

nature, les droits extrapatrimoniaux figurent en première place. Ils relèvent notamment des

matières qui intéressent au plus près l’ordre public international et ils excluent de manière

absolue la compétence arbitrale46.

Les matières concernées sont notamment celles de l’état des personnes et celles du droit

moral d’auteur. L’état des personnes relève de l’ordre public. A ce titre, le droit extrapatrimonial

de la famille et des personnes est exclu de l’arbitrage en raison de l’indisponibilité des droits. Il

faut préciser que l’article 2060 c.civ. dispose qu’ « on ne peut compromettre sur les questions

d’état et de capacité des personnes, sur celles relatives au divorce et à la séparation de corps ».

D’un autre point de vue, il ne faut pas oublier que l’arbitrage international est celui qui « met en

cause les intérêts du commerce international » ; en d’autres termes, ce qui est international doit

être nécessairement de nature patrimonial. Ainsi, l’exclusion des matières extrapatrimoniales

peut se justifier. Toutefois, il nous reste les questions des droits partiellement disponibles47. Il

s'agit des droits liés à l’état des personnes qui sont susceptibles d’être appréciés en argent. Dans

ce cas, le recours à l’arbitrage peut être autorisé, compte tenu du caractère pécuniaire des litiges.

En ce qui concerne le droit moral de l’auteur, l’arbitrage doit tout de même être exclu

dans ce domaine. Contrairement aux brevets et aux marques, la protection de la propriété

littéraire et artistique n’est pas organisée par l’Etat et confiée à une autorité publique, et il

n’existe pas de compétence exclusive des tribunaux. En fait, l’inarbitrabilité vient du caractère

extrapatrimonial même du droit sur l’œuvre de l’auteur qui le rend indisponible. Par contre, le

droit patrimonial de l’auteur sur son œuvre, est disponible et, partant, est arbitrable. De surcroît,

la raison en est que « le droit d’auteur et les droits voisins comportent dans leur statut

d’importants éléments de l’ordre public de protection ». C’est pour cela que l’arbitrage

international doit être exclu en la matière. 45 Jean Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 40. 46 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 912. 47 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 54.

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Page 15: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

2. Les matières relevant de l’ordre public de protection

L’arbitrage n’est pas mieux adapté quant à la forme de justice dès que déséquilibre dans

un contrat existe. En effet, si l’arbitre est compétent en vertu de la volonté des parties, en cas de

déséquilibre contractuel, c’est seulement à la volonté de la partie la plus forte48. Dans ce sens, il

est souhaitable que la partie faible soit protégée et donc que le litige soit inarbitrable en raison de

l’ordre public.

En droit de la consommation, de différentes positions s’affrontent en la jurisprudence. Le

consommateur semble bien moins à l’abri d’un arbitrage international49. En effet, le fondement

de l’inarbitrabilité trouve sa source dans l’accroissement des frais et l’éloignement du lieu de

l’arbitrage du domicile du consommateur. De plus on peut craindre qu’en raison de l’inégalité

économique, le choix de l’arbitrage soit imposé par le professionnel. Le problème en la matière

réside dans le fait que l’article 2061 c.civ. qui prévoit la protection des consommateurs ne

s’applique pas à des matières internationales. Alors, selon la cour de cassation de 199750, « la

clause devait recevoir application en vertu de l’indépendance d’une telle clause en droit

international, sous la seule réserve des règles d’ordre public international qu’il appartiendra à

l’arbitre de mettre en œuvre, sous le contrôle du juge de l’annulation, pour vérifier sa propre

compétence, spécialement en ce qui concerne l’arbitrabilité du litige. » La cour n’a donc pas

fourni la clé de la distinction entre des cas où il n’est pas arbitrable et des cas où il ne l’est pas.

Par conséquent, on peut dire que si les litiges, en matière de la consommation, ne sont pas

arbitrables par nature, ils ne sont plus inarbitrables par nature51.

Une autre matière concernée est la matière du travail. La partie faible est celle de salarié

qui est la personne protégée en vertu de l’ordre public social. La jurisprudence française a

clairement jugé en faveur de la protection des salariés dans cette hypothèse que « la clause

insérée dans un contrat de travail international n’est pas opposable au salarié qui saisi

régulièrement la juridiction française compétente en vertu des règles applicables, peu important 48 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 57. 49 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 914. 50 Cass. 1re Civ., 21 mai 1997 : Rev. Arb. 1997, p.537, note E. Gaillard. 51 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 913.

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Page 16: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ la loi régissant le contrat de travail52. » La solution est satisfaisante car la cour a laissé

l’arbitrage à la discrétion de la partie que l’on entend protéger53 : le salarié. La clause

compromissoire est donc inopposable au salarié qui saisit les tribunaux français sur la base des

compétences exclusives des conseils de prud’hommes, définies à l’article R. 517-1 du Code du

travail et la solution revêt la nature d’une loi applicable quelque soit la loi régissant le contrat de

travail.

3. Les matières relevant de la compétence exclusive des juridictions étatiques

L’arbitrage international est seulement prohibé si la matière porte sur le contentieux

ayant un caractère objectif et si les intérêts du tiers sont en jeu54. Le droit pénal en est, a priori,

le meilleur exemple, puisqu’un arbitre n’a pas le pouvoir de prononcer une sanction pénale. En

effet, le monopole étatique de la justice pénale se concilie mal avec l’idée d’une soumission à un

juge privé d’un litige de cet ordre 55. Cependant, le problème se pose dans le cas où la règle « le

criminel tient le civil en l’état » est en cause. Cette règle s’applique à l’arbitre interne. Sa mise

en œuvre en droit international est plus incertaine, et ainsi, on voudrait savoir si l’arbitre

international a l’obligation de se surseoir à statuer dans l’attente de la décision à intervenir sur

l’action publique. Le droit français positif n’impose pas une telle obligation à l’arbitre et il

laisse l’arbitre apprécier librement l’opportunité de surseoir puis que, selon la cour d’appel de

Paris, la règle « le criminel tient le civil en l’état » était sans application pour l’arbitre

international, en raison de l’autonomie de la procédure arbitrale … dont il lui appartient

d’apprécier l’opportunité56.

En suite, c’est le cas du droit de la concurrence. La question a été résolue par la cour

d’appel de Paris dans l’arrêt Labinal qui a décidé que « si le caractère de loi de police de la règle

communautaire du droit de la concurrence interdit aux arbitres de prononcer des injonctions ou

des amendes, ils peuvent néanmoins tirer les conséquences civiles d’un comportement civil jugé

illicite au regard des règles d’ordre public pouvant être directement appliquées aux relations des

52 Cass. Soc., 16, févr. 1999 : Rev. Arb. 1999, p. 290, note M.-L. Niboyet Hoegy. 53 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 144. 54 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 91. 55 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 915. 56 C.A Paris, 1er mars 2001 : Rev. Arb. 2001, p. 583, 4e esp., note J.-B. Racine.

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Page 17: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ parties en cause »57. La même solution a été retenue par l’arrêt Aplix en 1993, selon lequel

l’arbitre ne peut appliquer que les règles communautaires qui bénéficient d’un effet direct plein

et en plus la compétence exclusive reconnue sur certaines questions aux autorités

communautaires s’oppose à la compétence arbitrale sur ce point58.

On peut finir enfin par les matières en droit de la propriété industrielle et en droit de la

procédure collective ; en matière des brevets et des marques, la solution traditionnelle consiste à

refuser aux arbitres compétence pour se prononcer sur la validité du titre, leur compétence

s’étendant aux relations contractuelles, y compris celles qui découleraient de l’annulation

prononcée par un juge. En cas de procédure collective, si elle est ouverte en France organisant la

faillite la compétence reste réservée à la juridiction étatique. Selon la cour de cassation59 le

principe de suspension individuelle des poursuites est d’ordre public interne et international60.

B. Inarbitrabilité par suite d’une violation d’ordre public

1. La notion de la violation d’ordre public

La violation d’une règle à caractère d’ordre public provoque l’inarbitrabilité du litige.

Toutefois, un problème survient lorsque le compromis d’arbitrage est illicite en raison de

violation d’une règle d’ordre public alors qu’aucune partie n’invoque cette illicéité, mais elles

tendent en revanche à demander l’exécution de leur contrat illicite.

Le principe est que les questions de licéité sont arbitrables61, et l’inarbitrabilité résulte

seulement de la violation de l’ordre public. A ce stade, à la suite de l’arrêt Tissot62 « la nullité

d’un compromis ne découle pas de ce que le litige touche à des questions d’ordre public, mais

uniquement du fait que l’ordre public a été violé ».

Il découle de cet arrêt que le litige n’est inarbitrable que si l’opération litigieuse est

frappée d’illicéité comme ayant effectivement contrevenu à une règle d’ordre public. Cela veut 57 C.A Paris, 1re ch. Suppl., 19 mai 1993, Rev. Arb. 1993.645, note C. Jarrosson. 58 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 390. 59 Cass. 1re Civ., 5 févr. 1991 : Rev. Arb. 1991.625, note, L. Idot. 60 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. pp. 390 & 391. 61 Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 217. 62 Cass. Com., 29 nov. 1950, Tissot

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Page 18: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ dire que s’il retenait que la situation litigieuse n’était pas illicite, il pouvait procéder ; s’il

constatait au contraire une violation de l’ordre public, il devait se déclarer incompétent63. Des

critiques ont été formulées à ce propos, le pouvoir de sanctionner la violation d’ordre public

devait être reconnu aux arbitres. Pour cette raison, le principe de compétence-compétence a été

dégagé en la jurisprudence.

2. Le principe de compétence-compétence

L’important réside dans la question de savoir si l’arbitre peut juger auparavant sur sa

propre compétence et qu’en raison du principe d’autonomie de la clause compromissoire, il est

judicieux de reconnaître le pouvoir de sanctionner la violation d’ordre public aux arbitres

commerciaux internationaux. La volonté présumée des parties ne peut servir de justification au

principe qui veut que le tribunal arbitral décide lui-même sur les objections à sa compétence64.

En jurisprudence, le sujet est très abordé. Deux arrêts de principe ont été rendus en la matière,

dégageant ainsi le principe de compétence-compétence en droit français de l’arbitrage

international. Il s'agit des arrêts de la cour d’appel de Paris redus le 29 mars 1991 (arrêt GANZ)

et le 19 mai 1993 (arrêt LABINAL).

Il convient de citer ici la formule qu’a jugé la cour d’appel dans l’arrêt Ganz : « en

matière internationale, l’arbitre a compétence pour apprécier sa propre compétence quant à

l’arbitrabilité du litige au regard de l’ordre public international et dispose du pouvoir d’appliquer

les principes et règles relevant de cet ordre public, ainsi que de sanctionner leur méconnaissance

éventuelle, sous le contrôle du juge de l’annulation65 ». La portée de l’arrêt Labinal est toute

autre que celle de l’arrêt Ganz. La cour y ajoute que « l’arbitrabilité du litige n’est pas exclue du

seul fait qu’une réglementation d’ordre public est applicable au rapport de droit litigieux66 ».

La portée de ce principe est que l’arbitre, qui constate une contrariété à l’ordre public, a

le pouvoir de la sanctionner lui-même, par exemple en prononçant la nullité du contrat. Plus

63 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 906. 64 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 46. 65 C.A Paris, 1re ch. Suppl., 29 mars 1991, Rev. Arb. 1991.478, note L. Idot. 66 C.A Paris, 1re ch. Suppl., 19 mai 1993, Rev. Arb. 1993.645, note C. Jarrosson.

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Page 19: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ généralement, il est compétent d’appliquer les règles d’ordre public67. Il met ainsi fin au

principe, qui était la source de difficulté, selon lequel la juridiction arbitrale ne pouvait

sanctionner une violation d’ordre public car une telle prérogative n’appartenait qu’aux tribunaux

de l’Etat68. L’élément caractéristique qui en résulte est donc le pouvoir de sanctionner la

violation de l’ordre public reconnu désormais aux arbitres internationaux.

Finalement, la cour de cassation a, le 8 novembre 2005, jugé qu’ « il appartient à l’arbitre

de statuer par priorité sur sa propre compétence, sauf nullité ou inapplicabilité manifeste de la

convention d’arbitrage » et qui relève qu’en l’espèce n’ont été constatées ni la nullité, ni

l’inapplicabilité manifeste de la clause d’arbitrage69. Cette solution a été déjà approuvée par la

cour d’appel de Paris du 12 juin 2002.

3. L’inarbitrabilité du litige résultant de la violation

Plus précisément, l’article 2060 du code civil prévoit la non arbitrabilité des matières

d’ordre public. La formule dudit article est peu précisée : « On ne peut compromettre … sur les

matières qui intéressent l’ordre public ». Cette notion ne doit pas se confondre avec la notion de

règle d’ordre public que l’on a déjà invoqué et expliqué.

En ce qui concerne l’application d’une loi de police étrangère, si elle n’édicte pas

l’inarbitrabilité, mais elle édicte simplement une solution de fond, la méconnaissance de cette loi

n’entraîne pas la sanction faite par le juge français de l’exequatur. Le seul texte envisageable est

l’article 1502, 5° qui prévoit le refus d’exequatur si la reconnaissance est contraire à l’ordre

public international70. C’est là encore que la violation de l’ordre public intervient pour apprécier

le caractère inarbitrable d’un litige puisque la violation d’une loi de police étrangère qui ne

prévoit pas l’inarbitrabilité n’entraîne pas l’inefficacité des sentences rendues.

67 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 908. 68 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 387. 69 Thomas Clay, « Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges : panorama 2005 », Recueil Dalloz, 15 décembre 2005, p. 3056. 70 Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 221.

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Page 20: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ Finalement, on peut citer l’exemple de la violation de l’ordre public transnational qui

permet également à l’arbitre international de déterminer que le litige soit inarbitrable. En effet,

l’ordre public transnational est pourvu d’une supériorité à la volonté des parties qui s’exprime

dans la convention d’arbitrage.

Section II. Ordre public et convention d’arbitrage

Le lien entre la notion de l’arbitrabilité du litige et de la convention d’arbitrage est

évident. D’une part, il est nécessaire de noter que l’arbitrabilité n’est cependant mise en cause

qu’au niveau des rapports de l’ordre public avec la convention d’arbitrage71. D’autre part, pour

qu’un litige, déjà arbitrable, puisse être soumis pour décision à un tribunal arbitral, il faut que les

parties à cet arbitrage soient liées par une clause compromissoire valable.

La première condition pour que l’arbitrage puisse fonctionner comme une véritable

institution internationale est le respect accordé aux clauses compromissoires insérées dans les

contrats internationaux72. Celle-ci permet aux parties au contrat d’évincer la compétence des

juridictions étatiques et de recourir à l’arbitrage73 et plus précisément l’arbitre ne connaît d’un

litige que parce que les parties y sont consenties74. Cela veut dire que par la convention

d’arbitrage les parties décident de soumettre à arbitrage des litiges à naître (clause

compromissoire) ou né (compromis d’arbitrage)75. En tout état de cause, l’argumentation sur la

distinction entre la clause compromissoire et le compromis d’arbitrage a été rejetée par la Cour

d’appel de Paris76 en faveur de la seule catégorie de la convention d’arbitrage.

La convention d’arbitrage présente en général double effet : l’effet principal de la

convention est évidemment de fonder la compétence du tribunal arbitral et nulle partie ne peut

71 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 386. 72 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 38. 73 Hugues KENFACK, Droit du commerce international, Dalloz, Mémentos, 2002. p. 43. 74 Pierre ECKLY, Droit du commerce international, Ellipses, édition Marketing, 2005. p. 51. 75 Jean-Marc Mousseron, Jacques Raynard, Régis Fabre, Jean-Luc Pierre, Droit du commerce international, Litec, Manuel, 3e édition, 2003, n° 307, p. 189. 76 C.A Paris, 17 janvier 2002 : Rev. Arb. 2002, p. 399, note J.-B. Racine.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ s’y soustraire et seule une renonciation commune aux deux parties peut être efficace ; le second

effet produit par la convention d’arbitrage est l’incompétence des tribunaux étatiques. Ainsi, si

le tribunal arbitral est déjà saisi, la juridiction de l’Etat doit se déclarer incompétente.

Comme toutes autres conventions, ladite convention pour être valable doit obéir à des

conditions de validité ; mais à la différence de conventions normales et internes, la jurisprudence

enseigne que l’existence et la validité de la convention d’arbitrage doivent être contrôlées au

regard des seules exigences de l’ordre public international77. En d’autres termes, la validité de la

clause est appréciée au regard d’une règle matérielle de portée générale où l’ordre public est

l’unique cause de nullité de la convention78.

En premier lieu, une clause compromissoire présente un caractère autonome. Toutefois,

les tribunaux ont affirmé cette autonomie de cette convention d’arbitrage par rapport à la

convention de fond (c'est-à-dire le contrat principal), notamment lorsque la première est inscrite

dans la seconde79. Or, dans notre perspective de l’ordre public, il est intéressant de constater que

l’autonomie de celle-ci a un autre sens ; ladite convention est en effet mise à l’abri de toutes lois

prohibitives ou restrictives qui pourraient affecter sa validité. Ainsi, la validité de la clause ne

dépend d’aucune loi étatique80 (§ I).

En second lieu, la question porte également sur la qualité des parties à la clause

compromissoire. Cette question se pose au niveau des Etats et des personnes morales de droit

public. En effet, ceux-ci ont l’aptitude de compromettre en droit du commerce international (§

II).

§ I. Autonomie de la convention d’arbitrage

Il conviendra de mettre en évidence les principaux aspects du régime juridique de la

convention d’arbitrage. Ainsi, seront étudiés successivement, le principe d’autonomie (A) et la

fonction et le contenu de l’ordre public dans le principe de validité (B). 77 Sylvain BOLLÉE, Les méthodes du droit international privé à l’épreuve des sentences arbitrales, Economica, 2004. p. 214. 78Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 181. 79 Jean-Marc Mousseron, Jacques Raynard, Régis Fabre, Jean-Luc Pierre, Droit du commerce international, Litec, Manuel, 3e édition, 2003, n° 307, p. 190. 80 Jean-Marc Mousseron, Jacques Raynard, Régis Fabre, Jean-Luc Pierre, op. cit.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

A. Principe d’autonomie

1. Le contenu du principe

La convention ou clause d’arbitrage international peut être définie comme l’acte

juridique par lequel deux ou plusieurs parties décident de confier à une juridiction arbitrale le

litige qui les oppose ou est susceptible de les opposer. Elle est une convention particulière, et

partant, doit faire l’objet d’une protection juridique particulière. L’autonomie de la clause

compromissoire est le principe qui est appelé parfois le principe de la séparabilité de la clause

compromissoire.

On reconnaît depuis longtemps l’autonomie de la clause d’arbitrage, à l’intérieur du

contrat qui la contient. Cela explique, par exemple, que la convention d’arbitrage puisse être

soumise à une loi différente de celle qui gouverne le contrat principal et, partant, la nullité de ce

contrat n’affecte pas nécessairement la validité de la clause arbitrale81. Elle entretient donc des

rapports complexes avec le contrat principal82. La cause de nullité du compromis, lorsque le

contrat est illicite, n’est pas l’absence d’autonomie de la clause compromissoire par rapport au

contrat illicite83. Le compromis est nul de façon autonome au motif de l’absence d’arbitrabilité

du litige.

Sur ce point précis, la jurisprudence française84, comme mêmes certains auteurs, ne fait

aucune différence selon que la question de l’illicéité est posée à titre principal ou incident. La

Cour de Pris a, en effet, retenu que « la nullité du compromis ne découle pas de ce que le litige

touche à des questions d’ordre public, uniquement du fait que l’ordre public a été violé ». La

raison en est que si l’on veut que l’arbitre puisse statuer sur la licéité, il faut le lui permettre non

seulement à titre incident mais également à titre principal.

Par conséquent, sous les aspects jurisprudentiels, les conventions d’arbitrage conclues

sur la terre entière doivent être confrontées uniquement aux exigences de l’ordre juridique

81 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 45. 82 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 402. 83 Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 212. 84 C.A Paris, 15 juin 1956.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ français, visées par les tribunaux sous le vocable d’ « ordre public international85 ». Or, lorsque

l’on envisage la conformité à l’ordre public en tant que condition de validité d’une convention, il

n’est question que de la licéité de son objet et de sa cause86.

De surplus, l’indépendance juridique de la clause d’arbitrage ne vise pas seulement une

autonomie par rapport au contrat principal, elle vise également une autonomie par rapport à tout

droit étatique. Mais, il ne faut pas conclure à l’hypothèse où il s'agit d’un contrat sans loi. La

réserve formulée est des règles impératives du droit français et de l’ordre public international87.

Pour être plus éclairé, la Cour de cassation a répondu à la question qui se pose au niveau

du droit applicable en la forme de la convention d’arbitrage : « Attendu qu’en vertu d’une règle

matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante

juridiquement du contrat principal qui le contient directement ou par référence et que son

existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et

de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, sans qu’il soit nécessaire

de se référer à une loi étatique88 ».

En vertu de cette jurisprudence de principe, la Cour de cassation a donc conclu à

l’existence d’une règle matérielle éliminant le recours à une loi étatique89, ce qui veut dire que la

convention d’arbitrage est autonome par rapport aux droits étatiques.

2. L’évolution jurisprudentielle

Auparavant, la jurisprudence a consacré la notion (pas encore le principe) de

l’indépendance de la clause compromissoire en matière d’arbitrage international90. Le principe

d’autonomie de la convention d’arbitrage a été, pour la première fois, dégagé par un arrêt de

85 Sylvain BOLLÉE, Les méthodes du droit international privé à l’épreuve des sentences arbitrales, Economica, 2004. p. 9. 86 Sylvain BOLLÉE, Les méthodes du droit international privé à l’épreuve des sentences arbitrales, Economica, 2004. p. 302. 87

J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 872. 88 Cass. 1re Civ., 20 décembre 1993, Dalico, JDI 1994.432, note G. Gaillard. 89 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 405. 90 Civ., 1re, 7 mai 1963.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ principe rendu par la Cour de cassation en 1972. Il s'agit de l’arrêt Hecht91 dans lequel la Cour

de cassation a retenu dans un attendu peu précis qu’ « ayant rappelé le caractère international du

contrat liant les parties et rappelé qu’en matière d’arbitrage international, l’accord

compromissoire présente une complète autonomie, l’arrêt attaqué en a justement déduit que la

clause litigieuse devait en l’espèce recevoir application ». Les enseignements tirés de cet arrêt ne

sont pas très clairs.

Ultérieurement, afin de rendre le principe un peu plus éclairé, la Cour d’appel a rendu un

autre arrêt dans lequel elle a retenu que « compte tenu de l’autonomie de la clause

compromissoire, instituant un arbitrage dans un contrat international, celle-ci est valable

indépendamment de la référence à toute loi étatique92 ». Encore, plus précis la cour indique qu’

« en matière d’arbitrage international le principe d’autonomie est d’application générale en tant

que règle matérielle internationale consacrant la licéité de la convention d’arbitrage, hors de

toute référence à un système de conflits de lois, la validité de la convention devant être contrôlée

au regard des seules exigences de l’ordre public international ».

Avec une série d’arrêts datant de 1990 à 1991, l’ordre public international réapparaît. La

solution est devenue ensuite constante en la jurisprudence qui considère la contrariété à l’ordre

public international comme l’unique cause de nullité de la convention d’arbitrage93. Cependant,

on aura intérêt de faire une étude sur la référence à l’ordre public dans la jurisprudence la plus

importante dans l’affaire Dalico.

Dans cette jurisprudence94, très commentée et abordée, le problème de droit était celui de

l’existence et de la validité en la forme de la clause compromissoire. La cour de cassation

confirmant l’arrêt de la cour d’appel a rejeté le pourvoi formé par la Municipalité d’El Mergeb,

tout en décidant que la Cour d’appel a souverainement retenu que les parties avaient manifesté

leur volonté commune de se soumettre à la clause d’arbitrage et rejette en conséquence le

pourvoi.

91 Cass. 1re civ., 4 juill. 1972, Hecht : Rev. crit. DIP. 1974, p. 82, note P. LEVEL. 92 C.A Paris, 13 déc. 1975, Menicucci: Rev. Arb. 1997, p. 147, note Ph. FOUCHARD. 93 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 187. 94 Cass. 1re Civ., 20 décembre 1993, Dalico, JDI 1994.432, note G. Gaillard.

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Page 25: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ On peut ainsi tirer quelques enseignements de cet arrêt dont la formule fait penser

immédiatement à un arrêt de principe puisque la juridiction suprême a entendu consacrer un

principe de portée générale d’existence et d’efficacité de la clause d’arbitrage95. Deux

conditions de validité sont : l’existence d’un consentement des parties, d’une part, et l’absence

de contrariété aux règles impératives du droit français et à l’ordre public international, d’autre

part. Dans cette optique, dès que l’accord de volonté suffit à valider la clause et le raisonnement

conflictuel classique étant banni96, faut-il conclure qu’il s'agit d’un contrat sans loi ?

Bien évidemment, la réponse est négative, c'est-à-dire que l’ordre public devient la seule

limite à la validité de la convention d’arbitrage dès lors que la volonté des parties ne heurte pas

l’ordre public international. Il n’est donc pas question de contrat sans loi, mais de contrat sans

conflit de lois97.

B. Fonction et contenu de l’ordre public dans le principe de validité

1. La fonction de l’ordre public

A l’issue du principe d’autonomie de la convention d’arbitrage, l’ordre public joue

également un rôle essentiel dans le principe de validité de ladite convention. En raison de la

règle de l’autonomie, il remplit une fonction originale.

Au terme de la jurisprudence Dalico, déjà signalée, aucune loi étrangère n’a vocation à

s’appliquer quelle que soit la question à résoudre. Dans cette optique, l’unique fonction de

l’ordre public est d’annuler la convention d’arbitrage qui y est contraire. A ce titre, l’ordre

public remplit une fonction impérative, c'est-à-dire un rôle d’éviction de la volonté des parties,

ce qui est logique car il implique naturellement que la méthode des conflits de lois soit

totalement abandonnée98.

En réalité, l’ordre public international visé dans les arrêts de la Cour de cassation se

distingue à la fois de l’ordre public au sens du droit international privé et des lois de police d’un 95 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 189. 96 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. 132. 97 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 873. 98 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 192.

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Page 26: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ Etat parce que la règle matérielle issue de cet arrêt exclut toute application d’une loi étrangère.

Alors, les concepts traditionnels d’ordre public d’éviction et de loi de police sont inutiles99.

En dernier lieu, il est important de souligner la différence entre l’ordre public interne et

l’ordre public international. Par rapport à leurs objectifs, ils se distinguent dans la mesure où

l’ordre public interne joue un autre rôle qui est de valider la clause-or. Mais, l’ordre public

concerné pourrait éventuellement être l’ordre public interne puisque sa fonction est d’annuler

une convention.

2. Le contenu de l’ordre public

L’ordre public reçoit un contenu propre dans le domaine particulier de l’appréciation de

la clause d’arbitrage international100. Il s'agit d’un ordre public propre à l’arbitrage international

et répond à ses besoins. Ainsi, s’il n’existe pas de réelle distinction entre la fonction de l’ordre

public interne et celle de l’ordre public international dans l’arrêt Dalico, le contenu n’est pas la

même : il est plus réduit et aussi plus étendu.

Il est plus réduit de l’ordre public interne à propos de l’ordre public impératif qui évince

la volonté des parties. Toute règle impérative dans l’ordre public interne n’est donc pas d’ordre

public dans le domaine international. Il est plus étendu que le contenu de l’ordre public interne,

parce qu’il n’existe pas d’autres causes de nullité et il constitue la seule et ultime réserve à la

validité de la clause.

Toutefois, une critique a été faite à ce propos. La solution française demeure très isolée

en droit comparé. L’argument selon lequel cette solution permet de faire échapper les clauses

d’arbitrage internationales aux particularismes locaux ne convainc pas. En effet, le régime de la

clause varierait, non plus en fonction des aléas de la détermination de la loi applicable par le jeu

des règles de conflit, mais en fonction de la juridiction saisie, qui appliquerait systématiquement

ses propres règles matérielles à la convention d’arbitrage101.

99 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 193. 100 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p.132. 101 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 874.

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Page 27: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

La dernière étape est de suivre l’évolution jurisprudentielle dans l’état du droit positif. La

Cour de cassation a rendu récemment un arrêt le 25 octobre 2005102 selon lequel elle affirme

qu’ « en application du principe de validité de la convention d’arbitrage et de son autonomie en

matière internationale, la nullité non plus que l’inexistence du contrat qui la contient ne

l’affectent ». La solution est donc désormais claire et s’inscrit dans la logique de l’affirmation du

principe de validité de la clause compromissoire internationale par l’arrêt Zanzi103.

Cependant, le problème le plus sensible est l’arbitrabilité des litiges résidant au premier

rang des conditions de validité de la convention d’arbitrage. Il s'agit normalement des vices du

consentement, de la capacité et du pouvoir de compromettre. On va préciser à ce point que la

jurisprudence a consacré une règle de nature identique à propos de l’aptitude à compromettre

des personnes morales de droit public104.

§ II. Etats et personnes morales de droit public : parties à la convention

On examinera les données du problème (A) puis l’on envisagera les éléments de sa

solution (B).

A. Données du problème

1. La présentation générale

Il faut commencer par rappeler que l’aptitude à compromettre des personnes morales de

droit public est parfois considérée comme l’arbitrabilité subjective ou rationae personae. En

doctrine, l’arbitrabilité subjective est celle qui dépend de la réponse à la question : qui peut

compromettre ? En raison de la qualité de l’une des parties à la convention d’arbitrage, qu’il

s’agisse de l’Etat ou d’un organisme public, le législateur exige parfois qu’ils soient

exclusivement soumis à la juridiction étatique105 dans le but de respecter la souveraineté de

102 Cass. 1re Civ., Rev. Arb. 2006, note J.-B. Racine, à paraître. 103 Thomas Clay, « Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges : panorama 2005 », Recueil Dalloz Sirey, 2005. p. 3052. 104 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 199. 105 Abdel Moneem ZAMZAM, Les lois de police dans la jurisprudence étatique et arbitrale : étude comparée franco-égyptienne, ANRT thèse à la carte, 2003. p. 312.

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Page 28: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ l’Etat concerné. Cette position sur la qualification de l’arbitrabilité subjective est partagée, en la

doctrine, par plusieurs auteurs.

Quant à certains d’autres, ils préfèrent de dire que cette question ne relève pas de

l’arbitrabilité au sens strict du terme. Ils raisonnent à partir de l’idée formulée par M. C.

Jarrosson et reprise plusieurs fois par autres auteurs, selon laquelle la seule et véritable

arbitrabilité est celle dite objective ; l’arbitrabilité subjective est un abus de langage et recouvre

une autre notion, qui peut résider soit en une règle de capacité soit en une règle matérielle

relative à l’aptitude des personnes morales à compromettre106.

Dans cette optique, notre problématique ne s’arrête pas à la qualification de l’arbitrabilité

subjective. En effet, l’aptitude à compromettre des personnes morales de droit public doit être

considérée comme étant une catégorie juridique autonome. L’important est alors de présenter

rapidement les étapes de la reconnaissance de l’aptitude à compromettre des personnes morales

de droit public. Dans un premier temps, la prohibition de compromettre n’a pas été d’ordre

public international, ce qui fait l’objet de l’étude suivant. Dans un second temps, l’aptitude de

compromettre est reconnue d’ordre public international, ce qui fait l’objet de l’étude dans la

partie suivant (Éléments de solution).

2. Les prohibitions de compromettre et ordre public interne

Le tribunal de grande instance de la Seine a, le 25 juin 1959, énoncé à propos de l’article

1004 de l’ancien Code de procédure civile concernant l’interdiction faite à l’Etat français de

compromettre qu’ « en permettant aux parties à un acte de commerce de se soumettre à l’avance

par contrat à la juridiction arbitrale, ladite loi n’a pas dérogé à la règle antérieure et générale

quant à la qualité et à la capacité requises pour compromettre107. » Cet ancien article prohibait

l’arbitrage pour les « contestations sujettes à la communication au ministère public » et l’article

83 du même code y ajoutait « les causes… qui concernent… l’Etat, le domaine, les communes,

les établissements publics… »

106 Charles JARROSON, « Arbitrabilité : Présentation méthodologique », RJ. Com. 1996. pp. 1-2. 107 Abdel Moneem ZAMZAM, Les lois de police dans la jurisprudence étatique et arbitrale : étude comparée franco-égyptienne, ANRT thèse à la carte, 2003. p. 314.

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Page 29: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ Une telle interdiction peut se justifier par le fait que les personnes publiques prennent en

charge des intérêts publics, la raison découlant du souci d’éviter que les collectivités

publiques… négligent dans la défense des intérêts publics qu’elles ont en charge les garanties

que seule cette justice (la justice d’Etat) comporte108. Ainsi, selon M. C. Jarrosson, la

prohibition de compromettre relève d’une question qui n’est pas d’ordre juridique mais d’ordre

politique, ce qui veut dire qu’il faut réserver le contentieux public aux juridictions de l’Etat et

d’exclure toute compétence concurrente (y compris l’arbitrage), c'est-à-dire de réserver le

pouvoir de connaître ces questions au juge étatique.

C’est la raison pour laquelle on peut conclure que la prohibition de compromettre est,

dans la sphère interne, d’ordre public. Alors, en effet, le fait que l’Etat ou les personnes morales

de droit public ne puissent valablement se soumettre à l’arbitrage constitue une véritable

hypothèse de non-arbitrabilité du litige précédant de considérations d’ordre public109.

Quelques d’autres raisons peuvent être retenues. Par exemple, le Conseil d’Etat est

traditionnellement très hostile à l’aptitude à compromettre des personnes morales de droit

public. Mais le législateur le 9 juillet 1975 a ajouté un second alinéa à l’article 2060 du code

civil disposant que toutefois, des catégories d’établissements publics à caractère industriel et

commercial peuvent être autorisées par décret à compromettre110.

La prohibition d’ordre interne peut également se justifier par la création de règles

matérielles de droit international privé. On peut en citer deux exemples. Il existe, d’une part, la

Convention de Genève du 21 avril 1961, qui dans son article II § I, dispose que « les personnes

morales qualifiées par la loi qui leur est applicable de personnes morales de droit public ont la

faculté de conclure valablement des conventions d’arbitrage ». D’autre part, le second traité

international intéressant cette matière est la Convention de Washington du 18 mars 1965 qui a

créé le Centre International pour le Règlement des Différends Relatifs aux Investissements

(CIRDI). Son article 25 s’étend « aux différends d’ordre juridique entre un Etat contractant… et

le ressortissant d’un autre Etat contractant qui sont en relation directe avec un investissement et

que les parties ont consenti par écrit à soumettre au Centre. » 108 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 202. 109 Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996. p. 333. 110 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 204.

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Page 30: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

On a vu que la justification principale de cette prohibition en droit interne réside dans la

volonté de ne pas permettre aux personnes publiques d’échapper à la juridiction des tribunaux

spécialement établie pour elles. Deux inconvénients peuvent être tirés de ce principe. Pour le

premier inconvénient, lorsque le principe est respecté, les personnes morales de droit public ne

peuvent convenir valablement d’une clause d’arbitrage, souvent proposée par le cocontractant

étranger. Pour le second inconvénient, lorsque le principe n’est pas respecté, lors de la signature

des clauses d’arbitrage, elles se retranchent souvent derrière cette prohibition pour tenter de se

soumettre à l’arbitrage convenu. L’atteinte à la bonne foi est alors manifeste111.

B. Éléments de solution

1. L’aptitude à compromettre et ordre public international

C’est pour cela que la Cour de cassation a décidé que « si la prohibition résultant des

articles 83 et 1004 du Code de Procédure civile est d’ordre public interne, elle n’est pas d’ordre

public international et ne met pas obstacle à ce qu’un établissement public soumette, comme

pourrait le faire tout autre contractant, la convention de droit privé qu’il passe à une loi étrangère

admettant la validité de la clause compromissoire, lorsque ce contrat revêt le caractère d’un

contrat international112 ».

La portée de cet arrêt nous enseigne que la prohibition n’est pas d’ordre public

international, ce qui veut dire a contrario qu’au niveau international, le fait de compromettre par

un Etat ou un de ses établissements publics est autorisé. C’est alors en ce sens que la

qualification proposée par M. Zamzam est la possibilité de compromettre113, c'est-à-dire une

faculté de recourir à l’arbitrage.

Les questions paraissent aujourd'hui résolues, au moins en droit français, par l’existence

d’une règle internationale qui admet l’aptitude à compromettre de l’Etat, des organismes et

111 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 393. 112 Cass. 1re Civ., 14 avril 1964, JCP 1965. II. 14406, note P. Level. 113 Abdel Moneem ZAMZAM, Les lois de police dans la jurisprudence étatique et arbitrale : étude comparée franco-égyptienne, ANRT thèse à la carte, 2003. p. 316.

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Page 31: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ établissements publics114. Dans cette optique, la Cour de cassation a rendu une décision célèbre

consacrant la validité d’une convention d’arbitrage conclue par une personne morale de droit

public au nom d’une règle matérielle du droit de l’arbitrage commercial international. Il s'agit de

l’arrêt Trésor public C. Galakis115.

L’intérêt de cette jurisprudence réside dans l’absence de référence à une loi étatique pour

valider la clause compromissoire qui doit être valable indépendamment d’une quelconque loi

étatique. Il faut et il suffit que la convention dans laquelle est insérée la clause compromissoire

soit un contrat international passé pour les besoins et dans des conditions conformes aux usages

du commerce international116.

2. Les fondements de l’aptitude à compromettre

L’aptitude à compromettre des personnes morales de droit public est alors un principe

d’ordre public international qui a pour fondement les dispositions dans les droits étatiques et

dans la jurisprudence arbitrale.

La question était de savoir si le principe de l’aptitude à compromettre de l’Etat français

n’avait pas un caractère d’ordre public international. La réponse en est qu’il s'agit d’une règle de

droit français. Mais elle est d’ordre public international, c'est-à-dire qu’elle évince une loi

étrangère différente, normalement applicable soit comme loi du contrat, soit comme loi

définissant la compétence de l’Etat en cause et se substitue à elle117. Disons autrement, qu’il

s'agit d’un ordre public international propre au commerce international.

Selon l’arrêt Galakis, il semble que la règle consacrée présente bel et bien les caractères

d’une règle d’ordre public international. En plus, on peut trouver une solution juste aux deux

inconvénients déjà signalés, qui portent sur le problème du respect de la prohibition d’ordre

public interne. Ainsi, cette faculté repose essentiellement sur le principe de la bonne foi dont

114 Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 14. 115 Cass. 1re Civ., 2 mai 1966, Rev. Arb. 1966. 99. 116 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 211. 117 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 217.

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Page 32: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ l’objectif de la jurisprudence est de faire prévaloir la valeur de l’engagement de compromettre

au détriment d’une loi nationale prohibitive.

On précisera sur ce point, à nouveau, qu’en droit français l’ordre public qui annule la

convention d’arbitrage conclue par une personne publique, a été écarté dans le domaine de

l’arbitrage international. Alors, un autre exemple est celui du droit suisse. L’article 177 al. 2

LDIP a la même justification qu’en droit français et que dans la pratique arbitrale : il s'agit des

principes de la bonne foi. En effet, il dispose que « si une partie à la convention d’arbitrage est

un État, une entreprise dominée ou une organisation contrôlée par lui, cette partie ne peut

invoquer son propre droit pour contester l’arbitrabilité d’un litige ou sa capacité d’être partie à

un arbitrage. » Il est certain que cette règle suisse reflète les exigences de l’ordre public

international. Cela veut dire qu’il sert de fondement à une règle matérielle de validité de la

convention d’arbitrage conclue par une personne morale de droit public. Récemment, une

résolution de l’Institut de droit international proclame : « Un Etat, une entreprise d’État ou une

entité étatique ne peut pas invoquer son incapacité de conclure une convention d’arbitrage pou

refuser de participer à l’arbitrage auquel il a consenti118. »

Quant à la jurisprudence arbitrale, cette règle d’ordre public est une partie composante de

l’ordre public transnational qui serait le reflet d’un ordre public propre à la lex mercatoria

puisque selon certains auteurs, la divergence des droits étatiques en la matière rendrait

impossible l’élaboration d’un principe général de droit. Mais le principe le plus important est

toujours celui de la bonne foi.

On pourrait citer, à titre d’exemple, la sentence arbitrale de la CCI n° 5103 de 1988.

Cette sentence, sans faire référence à l’ordre public transnational, s’est fondée sur la bonne foi

pour reconnaître l’aptitude à compromettre d’une personne publique. Le tribunal arbitral a pu

décider qu’ « il serait contraire à la bonne foi qu’une entreprise publique, qui a dissimulé dans

un premiers temps l’existence de telles règles de droit interne, les invoque ultérieurement, si tel

est son intérêt dans un litige déterminé, pour dénier la validité d’un engagement qu’elle a

118 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 397.

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Page 33: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ souscrit pourtant en parfaite connaissance de cause. La pratique, la doctrine et la jurisprudence

arbitrale condamne aujourd'hui, de manière quasi-unanime, un tel comportement. 119»

Finalement, on arrive à conclure que l’ordre public joue plusieurs rôles dans les règles

matérielles de la convention d’arbitrage. Il est tout d’abord une limite à la validité de la

convention d’arbitrage et pose ensuite le principe de la validité des clauses compromissoires

conclues par l’Etat. Toutefois, on constate que l’ordre public a subi une mutation qui l’oblige à

se déplacer de la convention d’arbitrage vers la sentence arbitrale.

119 CCI n° 5103 de 1988, Rec., CCI, II, p. 361.

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Page 34: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ Chapitre 2nd Influence de l’ordre public quant à la solution au fond du

litige dégagée par l’arbitrage commercial international

L’ordre public remplit des fonctions propres et reçoit un contenu propre quant à la

solution au fond du litige qui peut s’exprimer en deux phases successives : la phase de l’instance

arbitrale et la phase post-arbitrale.

L’arbitrage est une véritable institution internationale qui accomplit la tâche de juger une

affaire lui étant soumise. Ainsi, n’étant rattaché à aucun for, l’arbitre doit quand même prêter

attention quant au droit applicable au fond dans le but de rendre une sentence efficace et d’éviter

qu’elle soit éventuellement annulée par le juge du contrôle. Dans ce contexte, le rôle joué par

l’ordre public doit être étudié attentivement de façon à permettre d’éclairer le lien entre l’ordre

public et l’arbitrage commercial international.

La solution au fond du litige se trouve normalement dans la décision rendue par l’arbitre

qui se présente sous forme d’une sentence. Quant à l’examen sur la sentence elle-même, on

trouve encore une fois l’intervention de l’ordre public protégeant des valeurs intangibles du for.

En effet, la sanction d’une méconnaissance par l’arbitre de l’ordre public, voire des lois de

police, devrait se manifester au moment du contrôle de la sentence, exercé dans le cadre d’un

recours en annulation, ou d’une demande de reconnaissance ou d’exécution de la sentence.

Il est vrai donc que l’ordre public tient une place importante dans la solution au fond du

litige qui suppose d’abord que le droit applicable soit déterminé (Section 1) et ensuite que le

contrôle sur les sentences doive être exercé par le juge étatique de manière restrictive au regard

de l’ordre public (Section 2), sans pour autant remettre en cause l’autonomie de l’arbitrage

international.

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Page 35: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ Section I. Ordre public et détermination du droit applicable au fond

Le jeu traditionnel de l’ordre public en droit international privé est que devant le juge, la

loi étrangère désignée par la règle de conflit peut être évincée lorsque son application heurte

l’ordre public120. Mais devant l’arbitre en droit du commerce international, l’intervention ou la

présence de l’ordre public n’intéresse pas à ce problème. En effet, le rôle majeur de l’ordre

public à ce stade ne porte pas sur l’éviction d’une loi étrangère puisque l’arbitre international

n’est rattaché juridiquement à aucun for121 et toutes les lois, à la différence du juge, sont

étrangères au regard de l’arbitre international122.

Par conséquent, si l’arbitre n’est pas le gardien d’un ordre public particulier, il subit

nécessairement le joug des ordres publics des pays où la sentence est appelée à être exécutée123

comme l’a dit le professeur Jean-Baptiste Racine, « en dépit de tous ces arguments le respect de

l’ordre public, sous certaines conditions s’impose à l’arbitre124. » C’est en ce sens que l’arbitre

doit respecter l’ordre public étatique lorsque la sentence fait l’objet d’un contrôle étatique, soit

lors d’une instance en annulation, soit lors d’une demande d’exequatur puisqu’il ne sait jamais à

l’avance si la décision qu’il rend sera ou non contestée devant une juridiction étatique.

Sur le plan international, afin de répondre aux besoins du commerce, le juge arbitral doit

rendre compte également de l’ordre public transnational. Il s'agit ici d’un ordre public

communément partagé par l’ensemble des nations et par la communauté des commerçants

internationaux.

Toutefois, on arrive à conclure à ce que l’ordre public étatique et l’ordre public

transnational ne se contredissent pas et en plus, loin d’être concurrents, ils sont

complémentaires. En plus, la question serait de savoir si le juge devrait procéder à un contrôle

« national » ou « international » de la conformité de la solution du fond adoptée par la sentence

avec l’ordre public matériel, d’abord au stade du recours en annulation, puis lors de l’examen 120Daniel GUTMANN, Le droit international privé, Dalloz, 4e édition, 2004. p. 113. 121 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999, p. 233. 122 Marie-Noël JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p.10. 123 Kassis, Théorie générale des usages du commerce, LGDJ 1984. no 959. 124 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999, p. 233.

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Page 36: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ d’une requête en exécution d’une sentence étrangère125. On aura donc intérêt de voir l’ordre

public étatique (§ I) et l’ordre public transnational (§ II).

§ I. Ordre public étatique

Dans cette hypothèse, l’ordre public est une limite à l’autonomie de l’arbitrage

international. L’arbitre fait partie du mécanisme contractuel126 et dans l’immense majorité des

cas, les arbitres respectent la volonté exprimée par les parties sur le droit applicable au différend

et s’en tiennent à l’application de ce droit ; mais il n’est pas moins évident que dans certains cas,

les parties n’ont pas choisi les règles applicables à leur litige. Toutefois, il ne soulève pas trop de

difficultés lorsque la règle d’ordre public se trouve dans la loi choisie tant par les parties

qu’éventuellement par les arbitres eux-mêmes (A).

Il est également à noter qu’il existe des règles qui ne sont pas autolimitées ; celles-ci

posent des problèmes encore plus gravement bien qu’elles ne figurent pas dans la loi choisie du

contrat ; il s'agit de l’ordre public étranger à la loi choisie (B).

A. Ordre public dans la loi choisie

1. L’ordre public dans la loi choisie par les parties

Au niveau de la terminologie, le droit applicable est synonyme de la lex causae. Selon la

définition de M. Cornu, la lex causae est la « loi compétente pour régir la situation litigieuse ou

la situation juridique envisagée127 ». Mais, l’important et la difficulté ne résultent pas de cette

définition.

L’important est qu’en déclarant que « l’arbitre tranche le litige conformément aux règles

de droit que les parties ont choisies », l’article 1496, alinéa 1 NCPC consacre une solution très

largement répandue128 ; alors même que le choix opéré par les parties apparaît surprenant, les

125 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 14. 126 Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. p. 209. 127 G. Cornu « Vocabulaire juridique », Association H. Capitant, PUF, 1987. p. 464. 128 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 430.

35

Page 37: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ arbitres se refusent à le remettre en cause129. En effet, l’arbitre est un juge investi par un accord

de volonté. Sa seule tâche devrait être de réaliser la volonté des parties130. En plus, à son égard,

le choix du droit applicable prendra le plus souvent la forme d’une clause d’electio juris figurant

dans le corps du contrat. Il faut et il suffit dans ce cas que leur accord de volonté soit certain131.

Cependant, compte tenu de la théorie des lacunes du droit choisi par les parties et de la

théorie extensive des usages du commerce international, et en raison de l’application des lois de

police, le choix de la loi par les parties connaît néanmoins de véritables limites. La première

limite tient au domaine de la loi d’autonomie ; cela veut dire que le fait que certaines questions

échappent à l’emprise de la loi d’autonomie en restreint d’autant la portée. Mais, cette question

échappe à notre sujet.

Il nous reste la deuxième limite à l’efficacité du choix ; c’est le fait que les arbitres

puissent évincer la loi normalement applicable au nom de l’ordre public international, ce qui

pourra conduire les arbitres à ne pas respecter le choix opéré132 bien même que de la sorte, les

parties devraient disposer d’une entière liberté dans le choix des règles applicables à leur

transaction133.

Dans ce cas, l’arbitre constate la contrariété des dispositions dans la loi choisie par les

parties à l’ordre public international. Au nom du respect de l’ordre public, il a la possibilité d’en

écarter l’application. Selon certains auteurs il a même l’obligation de respecter l’ordre public de

la lex causae134 quand il statue tant en droit qu’en amiable composition. Bien même qu’il soit

vrai que l’article 1496 du nouveau Code de procédure civile ne mentionne pas une telle

exception à l’application de la loi choisie par les parties, les grands auteurs en la doctrine

admettent une telle dérogation135. En effet, la prise en compte de l’ordre public peut jouer un

rôle dans la détermination du droit applicable : le principe de la recherche de l’efficacité de la

129 Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996. p. 854 et p. 854. 130 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999, p. 233. 131 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 430. 132 Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996. p. 854 et p. 872. 133 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 49 134 Jean Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999, p. 240. 135 Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996. p. 854 et p. 874.

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Page 38: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ volonté des parties conduit parfois en ce sens à considérer toute prohibition du contrat litigieux

ou une de ses clauses substantielles, comme l’indice négatif de localisation du rapport dans

l’ordre juridique national pressenti136.

Dans cette hypothèse, il s'agit de savoir l’ordre public dans quel l’ordre juridique devra

s’appliquer. Il faut rapidement souligner que l’arbitre n’étant rattaché à aucun for étatique, il

n’est pas non plus défenseur des conceptions politiques, morales économiques d’un Etat en

particulier137. Ainsi, la réponse est que le juge arbitral doit mettre l’accent sur le souci de rendre

une décision échappant à la censure des juridictions étatiques du son siège et pouvant être

reconnue et exécutée au lieu où se trouvent des biens saisissables138. En effet, le fondement de

son pouvoir de juger ne résulte pas du droit d’un seul Etat mais de tous ceux qui se déclarent

prêt à reconnaître sa sentence. Pour cela, l’ordre public qui doit être pris en compte est l’ordre

public international de ces Etats.

De surcroît, en raison de caractère international de l’arbitrage, il ne peut pas se borner à

appliquer seulement l’ordre public des Etats ayant trait avec la cause ; il faut également qu’il

prenne en compte de l’ordre public réellement international ou transnational dont les valeurs

sont très largement reconnues par la Communauté internationale. Cet ordre public transnational

n’est pas moins prêt à jouer sa fonction d’éviction de la loi normalement compétente.

2. L’ordre public dans la loi choisie par l’arbitre

En l’absence d’un choix exprès par les parties, il revient aux arbitres de déterminer les

règles de droit applicables au litige139. L’article 1496, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure

civile leur laisse pour ce faire une très grande liberté. Ce texte se borne en effet à indiquer qu’à

défaut de choix des parties, l’arbitre tranche le litige conformément aux règles « qu’il estime

appropriées ». Pour cela, il se dit que le pouvoir de déterminer le droit applicable au fond est un

136

Francis MEGERLIN, Ordre public transnational et arbitrage international de droit privé, essai critique sur la méthode, 2002. p. 125. 137 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999, p. 237. 138 Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996. p. 854 et p. 875. 139 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 49.

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Page 39: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ des acquis les plus fondamentaux et les plus anciens de l’arbitrage international. Il forme une

application du principe d’autonomie qui prévaut dans le domaine contractuel international140.

En ce sens, il est vrai qu’il n’existe pas de méthode de détermination imposée aux

arbitres car ; ils ne sont pas tenus d’appliquer une règle de conflit spécifique ou ordinaire

d’aucun Etat même de son siège. Il peut, par exemple, utiliser la méthode cumulative qui

consiste à faire simultanément application des règles de conflit de tous les systèmes présentant

un rattachement avec la cause. Il existe aussi d’autres méthodes pour les arbitres de pouvoir

déterminer le droit applicable au fond, telles que la méthode des principes généraux du droit

international privé, la méthode de libre sélection d’une règle de conflit141 ou la méthode de

« voie directe » consistant à constater l’insuffisance du rattachement du rapport juridique avec

un ou des systèmes étatiques déterminés pour l’assujettir à ce qu’il est convenu d’appeler les

usages et pratiques du commerce international142.

A cet égard, sur la désignation des règles applicables, il est intéressant de comparer la

situation d’un arbitre à celle d’un juge. Le juge et l’arbitre se séparent dans la mesure où, pour le

premier, la recherche des règles applicables s’effectue dans un cadre déterminé des règles de

conflit de lois alors que le second n’est nullement tenu d’observer une règle de conflit

déterminée143.

Pour cela, force est de constater que l’efficacité du choix opéré par les arbitres connaît

également, comme le cas du droit applicable choisi par les parties, une exception qui est

l’exception de l’ordre public. Le même fondement est l’article 1502 5° et 1504 NCPC ; c'est-à-

dire qu’en vertu de cet article, le juge arbitral afin de rendre sa sentence internationalement

efficace doit se préoccuper de la conception locale de l’ordre public international et de celle qui

résulte de l’ordre public transnational ou réellement internationale144.

140 Francis MEGERLIN, Ordre public transnational et arbitrage international de droit privé, essai critique sur la méthode, 2002. p. 122. 141 Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996. p. 854 et p. 894. 142 Francis MEGERLIN, Ordre public transnational et arbitrage international de droit privé, essai critique sur la méthode, 2002. p. 123. 143 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 433. 144 Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996. p. 854 et p. 895.

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Page 40: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

En tout cas, s’il s'agit de la loi choisie tant par les arbitres que par les parties, la limite à

l’efficacité du choix ainsi opérée est l’ordre public international étatique et l’ordre public

transnational. Ainsi, il est judicieux d’étudier ensuite le cas de l’ordre public étranger à la loi

choisie.

B. Ordre public étranger à la loi choisie

Normalement, l’arbitre en tant que juge à part entière a l’obligation également de

respecter l’ordre public étranger à la loi choisie précédemment expliquée. Le fondement de ce

devoir est toujours la recherche de l’efficacité de la sentence et la pérennité de l’arbitrage

international. En conséquence, il obtient le pouvoir de passer outre le choix des parties quant au

droit applicable et a le pouvoir de soulever d’office la violation de l’ordre public étranger au

droit choisi dans l’hypothèse où aucune des parties ne soulève la violation d’une disposition

d’ordre public145.

L’ordre public étranger à la loi choisie est, en premier lieu, l’ordre public international

étatique puisque la plupart des législations modernes de l’arbitrage international contrôle la

sentence arbitrale en se fondant sur l’ordre public international. De même, les lois de police

reflétant les exigences de l’ordre public étatique doivent être également prises en compte.

1. L’ordre public international étatique

Quant au juge du for, qui est normalement chargé de vérifier la conformité de la sentence

à son ordre public, celui-ci n’a pas à sanctionner un éventuel refus de prise en compte par

l’arbitre de son ordre public interne, mais exclusivement de son ordre public international146. On

précisera à ce point que la violation de l’ordre public interne du for n’est possible que si elle

constitue, en même temps une violation de l’ordre public international français. En effet, au

regard de la liberté des parties de choisir une autre loi que la loi française, pour les

145 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999, p. 284. 146 Marie-Noël JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 11.

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Page 41: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ jurisprudences internationales, elles pourraient méconnaître totalement les dispositions d’ordre

public de celle-ci.

Au contraire des lois de police, l’exception d’ordre public international étatique est

mieux accueillie par les arbitres147. Mais, à vrai dire le droit des procédures collectives est la

seule véritable hypothèse où l’ordre public international a vocation à intervenir.

En effet, les arbitres sont obligés d’assurer le respect des lois relatives à la faillite sous

peine de courir le risque d’un refus d’exequatur. Par exemple, le droit français s’applique

lorsqu’une procédure collective touchant l’une des parties a été ouverte en France. La dernière

question en cette matière se pose dans le cas où une même société fait l’objet de plusieurs

procédures de faillite ouvertes dans plusieurs pays différents. La réponse réside dans la

Convention d’Istanbul de février 1990 et la Convention européenne du 23 novembre 1995

signée à Bruxelles qui retiennent les règles du lieu d’ouverture de la faillite principale au

détriment de celles secondaires148.

2. La question d’application de lois de police

N’appartenant pas à la lex contractus, elle peut se poser aux arbitres149. Cela veut dire

que l’arbitre international doit satisfaire encore aux exigences des lois de police qui constituent

des limites d’origine étatique car chaque Etat entend imposer le respect dans l’arbitrage des lois

de police du for, et peut-être même de certaines lois de police étrangères. Sa situation, face aux

lois de police, est particulière puisqu’il n’est gardien d’aucun intérêt général émanant des

Etats150 et qu’il se trouve dans une situation de parfaite neutralité à l’égard de toutes les lois de

police du monde151.

147 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 436. 148 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999, pp. 294 à 297. 149 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 434. 150 J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. p. 1059. 151 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 435.

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Page 42: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ En la doctrine, deux conceptions s’affrontent ; l’une est de rejeter le respect des lois de

police en raison de l’insécurité juridique dans le cadre des relations d’affaires internationales

puisque les intérêts étatiques seraient inappropriés dans ce contexte ; l’autre, étant dominante,

est de prendre en compte le respect des lois de police des Etats puisqu’il existe un devoir

incombant à l’arbitre de respecter l’ordre public étranger à la Lex Causae dans le but de

rechercher l’efficacité d’une sentence arbitrale et la pérennité de l’arbitrage international.

Sur le plan international, il ne faut pas oublier qu’en présence d’une loi de police

étrangère un juge dispose d’un pouvoir d’appréciation (article 7 de la convention de Rome).

Mais à vrai dire, la sentence est peu menacée lorsqu’elle est soumise au contrôle du juge de

l’annulation puisque l’ordre public international (prévu par l’article 1502, 5°, NCPC) est loin de

rencontrer systématiquement les lois de police. D’un autre point de vue, tant que le champ de

l’arbitrabilité du litige ne cesse pas de s’étendre, les arbitres se voient reconnaître par les

juridictions étatiques le pouvoir d’appliquer et de sanctionner les réglementations d’ordre public

auxquelles appartiennent souvent les lois de police152.

Selon la conception de la pluralité des sources de l’ordre public du fond, les ordres

publics dans les lois choisies, les dispositions de l’ordre public international étatique et des lois

de police devraient continuer de régir la validité au fond d’une sentence arbitrale153. De surcroît,

il se peut que l’intérêt protégé par l’ordre public dans les lois de polices se contredit aux règles

d’ordre public transnational. Dans ces cas, deux ordres publics s’opposent, et la solution est

l’exclusion de l’application du premier.

§ II. Ordre public transnational (ou réellement international)

Contrairement à l’ordre public étatique, l’ordre public transnational qui n’est pas une

limite à l’autonomie de l’arbitrage, constitue pour les arbitres le moyen d’affirmer l’autonomie

de l’arbitrage international. Pour cette raison, lorsqu’il y a intervention de l’ordre public

152 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. pp. 435et 436. 153 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 15.

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Page 43: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ transnational, l’ordre public étatique tiendra une place secondaire. Mais, en réalité la présence

du premier n’exclut pas le respect du second154.

A. Notion controversée de l’ordre public transnational

1. L’existence controversée de l’ordre public transnational

Tout d’abord, il est nécessaire, et en plus difficile155, de donner une certaine et exacte

définition de l’ordre public transnational. On peut la définir comme un mécanisme défendant des

valeurs, non pas propres à un ordre juridique national, mais adoptées par « la communauté

internationale156 ».

Certes, dans ce contexte, l’existence d’un ordre public transnational peut se révéler

difficile ; la référence par une juridiction étatique à l’ordre public transnational n’est pas

exempte d’ambiguïté, voire de sérieuse critique157. Sa notion et son existence même sont

contestées par beaucoup158. Ainsi, il n’existe pas d’unanimité en la doctrine. Les thèses

négatrices de l’ordre public transnational sont posées à cause de son inutilité et de son existence

introuvable159.

Premièrement, la notion semble correspondre à la partie indérogeable de la lex

mercatoria, or l’existence même de la lex mercatoria, apparaît comme étant elle-même

controversée. Certains auteurs pensent même qu’il n’existe pas d’ordre public sans ordre

juridique160.

Deuxièmement, un autre argument se pose. C’est le problème de la trop grande marge

d’appréciation laissée à l’arbitre, ce qui peut porter atteinte à l’attente légitime des parties ; en

effet, la notion étant flou, cela laisse une place importante à la subjectivité de l’arbitre choisis.

154 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999, p. 234. 155 Francis MEGERLIN, Ordre public transnational et arbitrage international de droit privé, essai critique sur la méthode, 2002. p. 8. 156 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 146. 157 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 65. 158 P. Lalive, « Ordre public transnational (ou réellement international) et arbitrage international », Rev. Arb. 1986. 323. p. 361. 159 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 355. 160 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 365.

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Page 44: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ Dans l’hypothèse où les parties ont désigné la loi applicable dans leur convention, l’intervention

de l’ordre public transnational serait inutile car le juge arbitral devrait appliquer la loi choisie et

ne pas pouvoir l’évincer. Dans l’hypothèse inverse, c'est-à-dire en cas de silence sur le choix de

loi applicable, l’intervention de l’ordre public transnational serait également inutile puisqu’il

appartiendrait dans ce cas à l’arbitre de désigner directement le droit devant s’appliquer et qui

n’est pas contraire à de telles exigences fondamentales161.

L’étude sur la notion de l’ordre public transnational n’est toutefois pas dépourvue de

cause. Deux raisons ont au moins été fournies par le professeur Marie-Noëlle : d’abord, en

pratique il apparaît indéniable que les arbitres ont à plusieurs reprises fait référence à cette

notion pour fonder leurs sentences ; ensuite, les difficultés qu’il y a pour un juge à admettre

l’existence de sources internationales de fait susceptibles d’influer sur le contenu de son ordre

public international, ne peuvent être ressenties, de la même façon, par un arbitre, qui n’a pas

plus d’ordre public à faire respecter a priori qu’il n’a de for auquel se rattacher162.

Cette raison a été partagée par M. J-B. Racine qui, pour justifier l’existence de l’ordre

public transnational, a écrit que les arbitres ont utilisé cette notion en matière d’aptitude à

compromettre des personnes morales de droit public et donc de prohibition de la corruption163.

Ainsi, selon lui, l’autonomie de l’arbitrage international permet de justifier l’existence d’un

ordre public transnational. Cet ordre public trouve son fondement à la fois dans l’absence de

rattachement de l’arbitrage à un for étatique et dans l’existence de normes transnationales dont

l’ordre public transnational est l’une des composantes. Quant à la lex mercatoria, il faut dire que

l’ordre public transnational puise ses sources et son contenu dans tous les ordres juridiques et

affirme des valeurs communes au plus grand nombre d’Etats et d’acteurs de la vie économique.

D’un autre point de vue, selon M. P. Lalive, la remarquable convergence des

jurisprudences nationales et des pratiques internes, d’une part, et de l’autre, la consécration des

161 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 148. 162

Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 20. 163 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999 p. 363.

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Page 45: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ mêmes principes par des instruments internationaux comme la loi-modèle de la C.N.U.D.C.I.

suffisent à établir que les principes en cause font partie de l’ordre public transnational164.

2. Le contenu controversé de l’ordre public transnational

Tant que la notion d’ordre public transnational est encore embryonnaire165, son contenu

est également controversé. Alors selon M. Lalive, seuls les principes « jouissant, vu leur

importance, d’une force et d’une impérativité particulières, mériteront d’être considérés comme

constituant le concept d’ordre public transnational166 ». Pour préciser, on va étudier trois

hypothèses à titre d’exemple :

En premier lieu, si on part de l’idée que l’arbitre ne doit pas pouvoir consacrer par sa

sentence une solution choquante ou immorale, il est légitime de considérer que les premiers

principes devant être inclus dans l’ordre public transnational sont les Droits de l’Homme, c'est-

à-dire des principes fondamentaux, absolument essentiels et qui ne sont pas propres au

commerce international. C’est la raison pour laquelle l’arbitre doit interdire une situation

d’esclavage ou une discrimination raciale. Sur ce point, la volonté des parties investissant le

pouvoir de l’arbitre ne peut en rien justifier une atteinte à de telles valeurs167.

En second lieu, des principes plus circonstanciés et propres au monde du commerce

international peuvent également être défendus par l’ordre public transnational. Par exemple,

l’arbitre international doit prohiber la corruption. Le point de départ en la jurisprudence est la

célèbre sentence du Président Lagergren168 dans laquelle l’arbitre considère la corruption

comme étant « un mal international contraire aux bonnes mœurs et à un ordre public

international commun à la communauté des nations ». De cette manière, la prohibition de la

corruption est un principe d’ordre transnational.

164 P. Lalive, « Ordre public transnational (ou réellement international) et arbitrage international », Rev. Arb. 1986. 323. p. 349. 165 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 376. 166P. Lalive, « Ordre public transnational (ou réellement international) et arbitrage international », Rev. Arb. 1986. 323. p. 334. 167 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 149. 168 Sentence CCI n° 1110 (1963), rapportée par Lew Applicable Law in International Commercial Arbitration : A study in Commercial Arbitration Awards, Dobbs Ferry, N. - Y., Oceana Publications, Inc./ Sitjthoff & Noordhoff International Publishers BV, 1978, p ; 553 – 555.

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Page 46: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

En troisième lieu, la question de la capacité de l’Etat à compromettre est également à

citer ici. En raison de sa loi nationale, il serait incapable de compromettre. Dans cette hypothèse,

l’ordre public transnational va intervenir et interdire à cet organisme d’invoquer son incapacité

pour s’opposer à une clause compromissoire, au nom de la bonne foi169.

Finalement, il existe d’autres points qui sont encore plus controversés faisant l’objet du

débat doctrinal et jurisprudentiel, ce qui constitue une source d’incertitude sur le contenu de

l’ordre public transnational. Par voie de conséquence, certains principes sont affirmés de

manière nette alors que le statut de certains d’autres peut prêter à discussion170.

B. Application de l’ordre public transnational

1. La fonction de l’ordre public transnational

D’une manière générale, et par rapport au droit applicable au fond du litige, cet ordre

public remplit deux fonctions importantes. Selon la conclusion de M. Lalive, dans son étude

consacrée à l’ordre public transnational en matière d’arbitrage international, il affirme que ces

deux fonctions sont celle négative (fonction d’éviction) et celle positive (application directe des

principes fondamentaux réellement internationaux)171. Il s’agit donc d’une dualité de fonctions

de l’ordre public transnational.

En ce qui concerne la première fonction qui est la fonction négative, il a pour effet, à

l’égard de l’arbitre, d’écarter le cas échéant, les lois ou règles normalement applicables, en vertu

du choix des parties ou d’un rattachement objectif172 ou on peut dire qu’il s'agit d’évincer la loi

normalement applicable.

Pour cela, l’ordre public transnational est la transposition à l’arbitrage international de

l’ordre public connu en droit international privé étatique. Ainsi, l’arbitre doit prêter attention à 169 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 150. 170 Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. p. 151. 171 P. Lalive, « Ordre public transnational (ou réellement international) et arbitrage international », Rev. Arb. 1986. 323. p. 365 et s. 172 Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 20.

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Page 47: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ l’appréciation des circonstances en l’espèce car il ne doit pas se contenter d’une contrariété

abstraite à l’ordre public transnational. Cela veut dire qu’il n’évince une loi que si les résultats

de son application portent atteinte à l’ordre public transnational. Sur la question d’actualité de

l’ordre public transnational, le juge arbitral devrait prendre en compte la conception de l’ordre

public transnational au moment où il statue et non pas au moment où les droits litigieux se sont

constitués. Finalement, dès que l’arbitre n’est rattaché à aucun for, la question est de savoir

quelle loi va se substituer à la loi évincée. La réponse en est que c’est l’ordre public

transnational lui-même qui sert de norme de substitution, c'est-à-dire que l’ordre public

transnational va remplir à la fois, une fonction négative et une fonction positive173.

En ce qui concerne la fonction positive de l’ordre public transnational, certains auteurs

s’accordent pour lui donner la fonction d’une véritable règle matérielle. Dans ce cas, il

s’applique de manière positive, soit à titre autonome, soit à titre du droit de substitution à la loi

évincée. Selon M. Lalive, le rôle principal de l’ordre public transnational est d’influencer

directement et positivement la décision des arbitres, dans les cas où sont en cause des notions

fondamentales et universelles de moralité contractuelle ou les intérêts fondamentaux du

commerce international174.

Deux hypothèses sont d’envisageable. Premièrement, lorsque les parties n’ont pas choisi

la loi applicable au fond de leur litige, l’ordre public transnational va pouvoir s’appliquer mais il

joue un rôle mineur, voire inutile. Il s’applique en tant qu’usages de commerce ou règles

matérielles adaptées aux besoins du commerce international. Dans l’hypothèse inverse, la loi

étant choisie par les parties, mais elle est contraire à l’ordre public transnational. Cet ordre ne

peut pas agir directement, il n’agit que sur le mode de l’éviction et on devait considérer que la

référence faite à la lex mercatoria a été de pure forme175.

173 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 420 et s. 174 P. Lalive, « Ordre public transnational (ou réellement international) et arbitrage international », Rev. Arb. 1986. 323. p. 366. 175 Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 22.

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Page 48: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

2. La place de l’ordre public transnational

L’ordre public transnational tient une place importante dans le domaine du commerce

international parce qu’il est à la fois supérieur à la volonté des parties et aux droits étatiques. Il

se peut que la doctrine envisage l’éventuelle contrariété des normes de la lex mercatoria à

l’ordre public transnational.

Par rapport aux droits étatiques, il peut porter atteinte a priori à la souveraineté de l’Etat

qui a édicté la loi évincée par cet ordre à vocation international. Mais, la tendance à

l’universalité de l’ordre public transnational lui donne une force, une légitimité, permettant à

celui-ci de primer un droit étatique contraire. Quelques d’autres raisons en sont que cet ordre a

pour objectif de faire prévaloir dans le commerce international une éthique ou une morale qui ne

saurait tolérer une quelconque contrariété. Et pour la dernière raison, le juge arbitral est le juge

du droit commun des affaires internationales qui doit faire prévaloir les intérêts du commerce

international en écartant les lois nationales qui ne correspondraient pas à ceux-ci176.

Par rapport à la volonté des parties, l’ordre public transnational y est également supérieur

quand bien même que leur volonté joue un rôle majeur dans la détermination de la loi

applicable. Deux aspects sont à noter. Tout d’abord, l’arbitre a le pouvoir d’appliquer l’ordre

public transnational de sorte qu’il peut évincer la volonté des parties par l’annulation du contrat

ou de l’une de ses clauses. Ensuite, il a le pouvoir de soulever d’office quant à la détermination

de l’arbitrabilité du litige177.

En raison de l’évolution de l’arbitrage international, il faut reconnaître aux tribunaux

étatiques la faculté de se forger une conception « universelle » des principes fondamentaux de

procédure arbitrale internationale et si nécessaire, une compétence aussi « universelle leur

permettant de les faire respecter178.

Finalement, il se dit que la suppression de toute révision au fond par les juridictions

étatiques, solution adoptée par les instruments internationaux et la plupart des législations 176 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. pp. 426 et 427. 177 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. pp. 429 et 430. 178 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 66.

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Page 49: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ étatiques, renforce le statut particulier de l’arbitre international, sous réserve du respect de

l’ordre public179. On démontra ci-après que l’absence de limite a priori au principe d’autonomie

du droit applicable trouve pour contrepartie le contrôle judiciaire exercé sur la sentence.

Section II. Ordre public et contrôle étatique sur les sentences arbitrales

La décision des arbitres prend la forme d’une sentence180. Les sentences de l’arbitrage

international présentent un intérêt tel qu’elles constitueraient une source d’un possible corps

juridique qui est la Lex mercatoria181, elle-même une source du droit du commerce

international. Au stade de leur reconnaissance, il s’agit notamment de savoir dans quelle mesure

la violation ou la non application de l’ordre public ou des lois de police par les arbitres est

susceptible de rendre nulle la sentence182 puisque l’appréciation de la convention d’arbitrage a

lieu au stade de la reconnaissance d’une décision183.

En vertu du principe « compétence-compétence », ce n’est qu’a posteriori que les

juridictions étatiques contrôlent une sentence sur la compétence ou vérifient si le tribunal arbitral

a bien respecté les limites de sa mission. Ainsi, il est également important de souligner que la

question du contrôle sur les sentences ne porte pas sur la question de révision au fond du litige.

Pour cela, une étude particulière sur le contrôle des sentences n’est pas dépourvue d’intérêts car

cette question de la conformité de la sentence à l’ordre public est d’actualité dans la mesure où

l’admission de l’arbitrabilité des litiges mettant en jeu l’ordre public reporte le contrôle au stade

de l’examen de la sentence184. En effet, avec la sentence rendue, l’affaire serait normalement

terminée. Mais, le contrôle exercé par un Etat sur une sentence internationale peut être fait s’il

existe alors la contestation sur la décision par l’une des parties. 179 Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. p. 50. 180 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 439. 181 Jean-Marc Mousseron, Jacques Raynard, Régis Fabre, Jean-Luc Pierre, Droit du commerce international, Litec, Manuel, 3e édition, 2003, n° 98, p. 77. 182 Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L’illicéité qui crève les yeux : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international », Rev. Arb., 2005. p. 530. 183 Sylvain BOLLÉE, Les méthodes du droit international privé à l’épreuve des sentences arbitrales, Economica, 2004. p. 10. 184 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 436.

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Page 50: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Il s’agit alors d’une phase post-arbitrale dans laquelle le juge étatique joue un rôle

essentiel dans le contrôle des sentences et il est à noter que la mission de l’arbitre s’est déjà

achevée depuis que sa sentence était rendue185. Avant d’entrer en détail, on aura nécessairement

intérêt de définir et distinguer deux notions qui sont liées dans cette phase post-arbitrale, l’une à

l’autre : la reconnaissance et l’exequatur des sentences arbitrales. La reconnaissance est

l’admission par l’ordre juridique français de l’existence de la sentence tandis que l’exequatur

résulte de la demande portée devant les tribunaux de conférer le caractère exécutoire de la

sentence. Alors, la reconnaissance se distingue de l’exequatur dans la mesure où elle ne tend pas

à l’exécution forcée. Par exemple, une partie peut demander en France, la reconnaissance d’une

sentence ayant débouté son adversaire, ce qui n’implique aucune mesure d’exécution186.

L’étude sur les conventions internationales et la comparaison sur les droits étatiques

éprouvent que l’ordre public est toujours prévu en cas du contrôle sur les sentences. C’est le cas

par exemple du droit français qui, selon l’article 1502 °5, refuse de donner effet à une sentence

dont la reconnaissance ou l’exécution sont contraires à l’ordre public international. L’ordre

public accorde ainsi la faculté au juge étatique de remettre en cause la sentence lorsqu’il ne peut

écarter celle-ci pour un autre motif187.

Toutefois, en tenant compte de l’indépendance et de l’impartialité de l’arbitrage

international188, l’ordre public remplit une fonction essentielle de veiller, dans les modalités du

contrôle (§ II), à préserver la souveraineté de l’arbitre, tandis que la notion d’ordre public est

conçue de manière très restrictive dans cette limite du contrôle (§ I).

§ I. Notion de l’ordre public dans le contrôle étatique

On a déjà signalé que l’efficacité de la sentence dépend principalement de l’ordre public

puisque l’arbitre international n’est rattaché à aucun for étatique. Cette liberté de l’arbitre est

particulièrement limitée car les juges, appelés à se prononcer sur l’efficacité de la sentence 185 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 439. 186 Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. p. 445. 187 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 441. 188 Cass. 1re Civ., 20 févr. 2001 : Rev. Arb. 2001. 511, note Clay.

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Page 51: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ vérifieront l’usage que l’arbitre aura fait da sa liberté, compte tenu de leur ordre public

international en matière d’arbitrage189.

Dans cette optique, il faut préciser que différentes sortes de l’ordre public doivent être

respectées (A). De surplus, l’ordre public peut intervenir dans l’appréciation des critères du

contrôle ainsi que de l’étendue du pouvoir de contrôle exercé par le juge étatique qui constituent

les deux parties des modalités du contrôle (B).

A Respect de différentes sortes de l’ordre public

1. Le respect de l’ordre public étatique étranger

Il ne s'agit pas d’une obligation pour lui de respecter l’ordre public d’un Etat étranger. En

effet, l’arbitre n’est rattaché à aucun for et, partant, n’est pas le gardien d’un ordre public en

particulier. Mais, il subit nécessairement le joug des ordres publics des pays où la sentence est

appelée à être exécutée190. En tout cas, est-ce que le juge de l’annulation doit prendre en compte,

comme le fait l’arbitre, des principes fondamentaux constitutif de l’ordre public d’un Etat

étranger ? Ainsi, on doit s’interroger sur la prise en compte de l’ordre public interne étranger.

De prime abord, la situation est que la sentence est rendue à l’étranger en matière interne

et porte atteinte à l’ordre public interne du droit étranger. Dans cette hypothèse, lorsque

l’exequatur est demandé en France, il faut procéder au contrôle au regard de l’ordre public

international. La solution en est que « si la sentence introduite en France ne touche qu’aux

intérêts d’un seul pays étranger, on admettra que l’ordre public interne français n’a pas non plus

à intervenir. Le juge français ne considérera que l’ordre public international191 ».

Dans une seconde hypothèse, si une sentence rendue en matière - cette fois -

internationale porte atteinte à un ordre public étranger. Dans ce cas, il faut retenir la violation de

l’ordre public international du for. Un arrêt de la Cour d’appel de Paris192 a été rendu à ce

propos. La solution était claire ; la violation de l’ordre public étatique n’entraîne pas 189 Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 10. 190 Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 10. 191 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 447. 192 C.A Paris, 20 juin 1996 : Rev. Arb. 1996.657, note D. Bureau.

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Page 52: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ automatiquement une contrariété à l’ordre public international du for. Il faut constater donc que

l’ordre public international du for est lui-même atteint.

De même, les conventions internationales consacrent, d’ailleurs, cette réserve de l’ordre

public193. On peut citer, à titre d’exemple, l’article 1er de la Convention de Genève de 1927,

l’article V de la Convention de New York de 1958, ou l’article 36-b de la loi-type de la

C.N.U.D.C.I sur l’arbitrage commercial international du 21 juin 1985…

2. Le respect des lois de police étrangères

Il faut rappeler que l’arbitre du commerce international doit appliquer également les lois

de police étrangères à la loi choisie (déjà expliquée en ce sens dans l’étude sur ordre public et

détermination du droit applicable au fond). Ici, la présence des lois de police est encore une fois

prise en compte pour caractériser l’importance et l’utilité du contrôle sur les sentences.

Cependant, on doit s’interroger, au moins pour être fidèle à notre sujet portant sur ordre

public et arbitrage international, sur les critères de prise en compte des lois de police. Alors, la

question peut se formuler de manière suivante : quels sont les critères des lois de police devant

être respectées par l’arbitre ? Il en existe deux.

Le premier critère commande que le juge du contrôle peut constater que la violation de la

loi de police étrangère constitue, dans le même temps, une atteinte à l’ordre public du for. Alors,

il est logique de prendre en compte des intérêts protégés par cette loi de police étrangère car sa

violation porte atteinte également à l’ordre public du for qui doit être lui-même pris en compte

comme on a précédemment expliqué194. De surplus, précisons-le, la contrariété à des

conceptions fondamentales de l’ordre public du for prime sur la violation d’une loi de police

étrangère. On peut citer à titre d’exemple la jurisprudence suisse dont le tribunal fédéral a jugé

en ce sens195.

193 Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. p. 10. 194 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 451. 195 Tribunal fédéral, 17 avril 1990, Sté OTV C. Sté Hilmarton : Rev. Arb. 1993. 315.

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Page 53: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Le deuxième critère consiste à l’égard du juge du contrôle d’étudier la légitimité de

l’intérêt protégé par la loi de police étrangère pour décider de lui donner effet, sans pour autant

exiger une violation à part entière de l’ordre public du for. Par exemple, la Convention de Rome

de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles contient les critères de mise en œuvre

de l’application des lois de police. Certes, cette convention n’est pas directement applicable au

contrôle des sentences arbitrales, mais il serait souhaitable de l’appliquer à l’examen des

sentences196.

Ainsi, il ne faut pas rapidement conclure que toute sorte de lois de police doit être prise

en compte en cas de contrôle exercé par le juge du for. Il faut qu’elle remplisse les deux critères

invoqués dans ce cas précis.

3. Le respect de l’ordre public transnational ou réellement international

La controverse de l’existence de l’ordre public transnational a été déjà expliquée. On a

même abouti à conclure qu’il existe des règles d’ordre public transnational ou réellement

international. Il s'agit donc d’une réalité devant l’arbitre international et le juge du contrôle.

L’important à ce stade est donc de savoir et déterminer l’utilité pour le juge de se référer à un

ordre public transnational dans son contrôle, question qui est encore une fois très abordée en la

doctrine.

Selon certains auteurs, il serait suffisant de se référer aux règles d’ordre public

international du for qui protègent, normalement, les valeurs universelles et, partant, le rejet de

l’ordre public réellement international dans le contrôle s’impose au juge197.

En revanche, on doit raisonner plutôt à partir de ce qu’il est souvent que l’arbitre se

réfère à un ordre public réellement international. En effet, les besoins et les caractères

spécifiques de l’arbitrage international peuvent justifier de donner un contenu particulier à

l’ordre public applicable lors du contrôle des sentences. Pourtant, la référence qu’un juge peut

196 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 453. 197 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 473.

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Page 54: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ faire à l’ordre public véritablement international ne peut concerner que le contenu de la

notion198.

B. Composantes de l’ordre public

1. La distinction entre ordre public interne et ordre public international

Avant d’examiner les principes fondamentaux et les lois de police (qui sont les deux

composantes de l’ordre public), il convient tout d’abord de savoir déjà distinguer l’ordre public

interne de l’ordre public international, qui sont les deux notions non négligeables dès le

commencement de notre sujet.

En droit français, l’ordre public interne peut se définir selon l’article 6 du code civil

français. Cet article prévoit que l’ « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux

lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs »199.

En ce qui concerne l’ordre public international, la Convention de New York ne donne

aucune définition de la réserve de conformité à l’ordre public. Elle laisse ainsi à chaque Etat

signataire le soin de déterminer le contenu et les conditions d’application de cette notion200.

En droit français, l’ordre public international est constitué par « l’ensemble des valeurs

dont l’ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance même dans des situations à

caractère internationale201. » On ajoutera également les lois de police françaises, qui protègent

concrètement les intérêts fondamentaux de l’ordre juridique français, tant sur le plan social

qu’économique ou politique202. Quant à la jurisprudence, la cour d’appel y a ajouté que « l’ordre

public international, au sens de l’article 1502, °5, s’entend de la conception française de l’ordre

public, c'est-à-dire de l’ensemble des règles et des valeurs dont l’ordre juridique français ne peut

souffrir la méconnaissance, même dans des matières internationales ; son appréciation doit être

198 Christophe Seraglini, Lois de police et justice arbitrale internationale, Dalloz, 2001. pp. 154 et 156. 199 Article 6 du Code Civil. 200 Christophe Seraglini, Lois de police et justice arbitrale internationale, Dalloz, 2001. p. 151. 201Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996. p. 969. 202 Jean-Claude DUBARRY, Eric LOQUIN, « Arbitrage international », RTD. Com. 2004. p. 259.

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Page 55: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ concrète, le contrôle de la cour d’appel ne devant pas porter sur l’appréciation que les arbitres

ont faite sur la solution donnée au litige203. »

Cette distinction nous paraît donc très délicate à mettre en œuvre dont les règles doivent

être utilisées avec précaution. Ainsi, on peut en tirer comme conséquences que les règles d’ordre

public interne ne sont pas forcément d’ordre public international, mais les règles d’ordre public

international sont forcément d’ordre public interne et que les règles qui ne sont pas d’ordre

public interne ne peuvent pas être d’ordre public international. De cette manière, l’ordre public

concerné dans le cadre du contrôle est considéré comme un concept plus restreint que l’ordre

public interne, et d’un contenu plus libéral204.

2. Les principes fondamentaux

En droit international privé, comme en droit du commerce international, l’ordre public

d’éviction contient des principes fondamentaux du for étant alors sa première composante.

L’ordre public doit être constitué par les principes fondamentaux du for. Au sens du droit

international privé, l’ordre public est en effet l’expression des valeurs intangibles du for205. Ces

valeurs trouvent leur traduction dans des principes jugés essentiels par l’ordre juridique du for.

Mais, il est souvent malaisé pour le juge du for d’identifier précisément lesdites valeurs.

Quant à son contenu, M. Mayer pense que « du moment qu’un juge français refuserait

d’appliquer une loi étrangère si elle méconnaissait un certain principe du droit français, il devrait

également refuser de donner effet à une sentence qui méconnaîtrait le même principe206. » Ainsi,

selon lui le contenu de l’ordre public international visé par l’article 1502 °5 ne devrait pas être

différent de celui employé dans les conflits de lois en droit international privé.

De surplus, quant aux valeurs protégées, selon M. Racine, l’ordre public protège

schématiquement des valeurs universellement partagées – c'est-à-dire des intérêts communs à

203 C.A Paris, 14 juin 2001 : Rev. Arb. 2001, 773, note Seraglini. 204 Christophe Seraglini, Lois de police et justice arbitrale internationale, Dalloz, 2001. p. 152. 205 Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. pp. 1- 9. 206 Pierre Mayer, « La sentence contraire à l’ordre public au fond », Rev. Arb. 1994. 615. p. 634.

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Page 56: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ l’ensemble des nations, comme par exemple la protection du droit de la propriété, la prohibition

de la corruption et le principe fraus omnia corrumpit – et des intérêts propres au for (en cas de

procédures collectives)207.

Bref, les principes fondamentaux ou les valeurs intangibles du for constituent la première

composante de l’ordre public. Il n’en reste pas moins quant aux lois de police.

3. Les lois de police

Les lois de police constituent la deuxième composante de l’ordre public international. En

effet, cela peut se justifier par la disposition de l’article 1502 °5 NCPC qui prévoit l’ordre public

international comme une notion originale regroupant à la fois les principes fondamentaux

(signalé précédemment) protégés par l’ordre public d’éviction et les lois de police. Mais

l’assimilation des lois de police n’est toutefois pas évidente car l’ordre public se distingue en

principe des lois de police. Mais, la coordination des deux notions peut aisément s’expliquer

dans le contexte du contrôle des sentences208.

On doit donc expliquer pourquoi est-il nécessaire d’inclure les lois de police dans l’ordre

public. Selon M. Mayer, « … en matière de reconnaissance des sentences arbitrales, la violation

d’une loi de police intervient comme une cause d’éviction de la sentence en fonction de son

contenu ; c’est ce qui permet d’intégrer ce mécanisme dans le contrôle de la conformité à l’ordre

public de la sentence » ; aussi il a ajouté que « dans le domaine de la reconnaissance des

sentences arbitrales, on peut et on doit admettre que la non-application d’une loi de police

compétente par une sentence rend cette dernière contraire à l’ordre public209 » C’est en ce sens

que l’on peut justifier l’intervention légitime des lois de police au nom de l’ordre public. Pour

cela, une sentence doit être contrôlée au regard de l’ensemble des lois de police quelle que soit

leur nature.

207 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. pp. 489 – 504. 208 Christophe Seraglini, Lois de police et justice arbitrale internationale, Dalloz, 2001. p. 157. 209 Pierre Mayer, « La sentence contraire à l’ordre public au fond », Rev. Arb. 1994. 615. p. 643.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Finalement, on arrive à conclure que l’ordre public présente un contenu suffisant pour

permettre au juge de procéder à un contrôle effectif des sentences, sans pour autant remettre en

cause l’indépendance de l’arbitrage international.

§ II. Modalités du contrôle

L’essentiel est de savoir en quoi une sentence est contraire à l’ordre public. Dans le but

d’éviter la révision au fond de la sentence et de trouver l’équilibre entre le respect de

l’indépendance de l’arbitre et l’exigence d’un contrôle efficace, les pouvoirs du juge du contrôle

sont strictement définis (B). Cependant, il est nécessaire de passer tout d’abord par une brève

étude sur les critères essentiels du contrôle (A).

A. Critères du contrôle

1. Caractère relatif de l’ordre public

L’évolution jurisprudentielle en la matière est très d’actualité. La contrariété d’une

sentence à l’ordre public ne se manifeste jamais de manière absolue. Seule la violation

« flagrante, effective et concrète » doit être sanctionnée. En effet, le juge de l’annulation peut

certes porter une appréciation en droit et en fait sur les éléments qui sont dans la sentence

déférée à son contrôle, mais pas statuer au fond sur un litige complexe qui n’a jamais été ni

plaidé, ni jugé devant un arbitre, concernant la simple éventualité de l’illicéité de certaines

stipulations contractuelles210.

Deux conséquences découlent de l’appréciation concrète. Pour la première, la violation

d’une règle d’ordre public par l’arbitre n’entraîne pas ipso facto une contrariété à l’ordre public :

il faut en outre une violation substantielle de la règle en question. Par exemple, la mauvaise

application d’une règle d’ordre public n’est pas sanctionnée en tant que telle211. De l’arrêt

Thalès, récemment rendu, il faut déduire que le juge devra annuler la sentence ou refuser

210 Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L’illicéité ‘‘qui crève les yeux’’ : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international (à propos de l’arrêt THALèS de la Cour d’appel de Paris) », Rev. Arb. 2005. p. 535. 211 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 527.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ l’exequatur seulement s’il en résulterait une violation grave des principes fondamentaux ou de

base sur lesquels se fonde la loi de police212.

Pour la deuxième conséquence, l’application abstraite d’une loi de police qui est

contraire à l’ordre public ne conduit pas automatiquement à la sanction de nullité de la sentence.

Il faut, pour constater la contrariété de la sentence à l’ordre public, que le résultat de

l’application de cette loi soit intolérable213. Selon M. BROZOLO, la thèse néo-étatique ou

maximaliste est critiquable, la thèse à retenir est celle minimaliste du contrôle des sentences. En

effet, il faut considérer que, si le juge pouvait toujours contrôler la conformité de la sentence aux

lois de police, aucune sentence ne serait à l’abri de l’annulation ou d’un refus d’exequatur214.

L’arrêt Thalès, selon lui, confirme l’approche minimaliste qui consacre d’abord le caractère

restrictif de la définition de l’ordre public international. Au demeurant, ce n’est que la violation

« manifeste », autrement dit « flagrante, effective et concrète », qui est contraire à l’ordre

public215.

2. Caractère national du contrôle

Le contrôle de la sentence au regard de l’ordre public présente un caractère national. Cela

veut dire par conséquent que le juge de l’Etat d’accueil de la sentence apprécie lui-même la

conformité de la sentence à l’ordre public selon les critères du for.

Pourtant, la Convention de New York du 10 juin 1958 a donné à la décision d’annulation

de la sentence arbitrale prononcée par le juge du siège un effet extraterritorial, c'est-à-dire que le

refus d’exequatur vaut dans tous les Etats signataires (article V) 1) e) de la convention).

212 Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L’illicéité ‘‘qui crève les yeux’’ : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international (à propos de l’arrêt THALèS de la Cour d’appel de Paris) », Rev. Arb. 2005. p. 558. 213 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 527. 214 Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L’illicéité ‘‘qui crève les yeux’’ : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international (à propos de l’arrêt THALèS de la Cour d’appel de Paris) », Rev. Arb. 2005. p. 543. 215 Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L’illicéité ‘‘qui crève les yeux’’ : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international (à propos de l’arrêt THALèS de la Cour d’appel de Paris) », Rev. Arb. 2005. p. 550.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Au demeurant, le contrôle de l’ordre public est exclusivement national en droit comparé.

L’Etat dans lequel une sentence arbitrale fait l’objet d’une procédure d’exécution forcée entend

être le seul juge de la conformité de celle-ci à l’ordre public216. Mais ses pouvoirs du contrôle

doivent être strictement délimités.

B. Étendue du pouvoir de contrôle étatique

Quelle est l’étendue du contrôle que les juges entendent réellement exercer sur le pouvoir

aujourd'hui largement reconnu aux arbitres d’appliquer les règles d’ordre public ? Telle est la

question posée par M. Seraglini dans sa note sous l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 juin

2001217. Puisque le juge doit respecter la souveraineté de l’arbitre dans la résolution du litige, et

en l’absence de possibilité de réformation de la sentence en matière internationale, l’étendue des

pouvoirs est strictement limitée. L’interdiction de réviser au fond implique également

l’impossibilité de sanctionner les erreurs de fait ou les erreurs de droit commises par l’arbitre218.

Par exemple, le mal jugé, résultant de l’erreur de droit, n’est pas un cas d’ouverture du recours

en annulation219.

Normalement, la contrariété à l’ordre public peut être contrôlé à deux stades : soit au

stade de la demande de l’exequatur, soit au stade du recours en annulation de la sentence.

1. Au stade de l’exequatur

Selon l’article 1498 NCPC, deux conditions de reconnaissance et d’exécution forcée de

la sentence rendue à l’étranger ou en matière internationale ont été posées. Premièrement, il faut

que la sentence existe et deuxièmement, il faut que sa reconnaissance ou son exécution ne soit

pas ‘manifestement contraire à l’ordre public international’.

Pour cette raison, les refus d’exequatur sont rares puisque le juge ne contrôle que

l’existence formelle de la sentence et l’absence manifeste à l’ordre public international.

216 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 563. 217 C.A Paris, 14 juin 2001 : Rev. Arb. 2001, 773, note Seraglini. 218 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. p. 535. 219 Jean-Claude DUBARRY, Eric LOQUIN, « Arbitrage international », RTD. Com. 2004. p. 260.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Quant à la prescription de l’action, Il résulte de l’arrêt de la Cour de cassation220 qu’ « en

refusant l’exequatur d’une sentence arbitrale rendue à l’étranger, l’arrêt qui a retenu que la

décision arbitrale a méconnu l’ordre public international en ce qu’elle juge prescrite l’action

d’une partie bien qu’elle ait été introduite dans le délai devant une juridiction incompétente,

méconnaît l’article 1502 °5 NCPC ». En effet, « la règle qui donne effet interruptif de la

prescription à la saisine d’un juge incompétent ne relève pas de la conception française de

l’ordre public international ; la convention d’arbitrage déroge nécessairement à cette règle, de

sorte que la saisine d’un tribunal de commerce qui n’avait pas pourvoir de juger, n’avait aucun

effet sur la prescription de l’action ».

Un autre exemple a été donné par un jugement du tribunal de grande instance de Paris,

dans lequel le juge parisien a jugé qu’ « est manifestement contraire à l’ordre public

international au sens de l’article 1498 NCPC l’exécution d’une sentence rendue à l’étranger

condamnant une partie soumise à une procédure de redressement judiciaire en France à payer

diverses sommes d’argent, et méconnaissant ainsi la règle de la suspension des poursuites

individuelles. Doit donc être rejetée la demande d’exequatur de cette sentence en France221 ».

2. Au stade des voies de recours

Les voies de recours peuvent se présenter sous deux formes : soit il s'agit de l’appel

formé à l’encontre de la décision qui accorde ou qui refuse l’exequatur dans le cadre de l’article

1502 NCPC, soit il s'agit du recours en annulation formé à l’encontre de la sentence arbitrale

dans le cadre de l’article 1504 NCPC.

L’important est qu’en matière d’arbitrage international, la jurisprudence se réfère à la

solution du litige pour apprécier la conformité ou la contrariété de la sentence à l’ordre public et

qu’elle refuse à apprécier l’interprétation du contrat faite par l’arbitre. Plus précisément, certains

auteurs expriment qu’il est nécessaire pour le juge d’effectuer un contrôle à la fois en droit et en

fait portant sur la solution du litige car c’est cette solution qui constitue le siège principal de

l’atteinte à l’ordre public222.

220 Cass. 1re Civ., 30 juin 1998 : Rev. Arb. 1999. p. 80, note Marie-Laure NIBOYET. 221 TGI Paris 2 févr. 1996 : Rev. Arb. 1998. p. 577. 222 Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. pp. 538 – 539.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

La jurisprudence223 est donc généralement critiquée par une grande partie de la doctrine

en ce qu’elle contenterait d’un contrôle minimaliste de l’ordre public. Mais selon certains

d’autres auteurs, comme par exemple M. Yves DERAINS, l’approche de la jurisprudence est

justifiée parce qu’à partir du moment où « l’on a admis qu’une matière d’ordre public est

arbitrable, on a présumé qu’un arbitre avait les compétences nécessaires pour appliquer

correctement des règles d’ordre public et respecter les valeurs dont l’ordre juridique français ne

peut souffrir la méconnaissance. Il lui fait donc confiance a priori.224

223 C.A Paris, 18 novembre 2004, Thalès C. Euromissile : JCP, éd. G, 2005II10038, note Chabot. 224 Yves DERAINS, notes sous des arrêts de la Cour de cassation et de la Cour d’appel, Rev. Arb. 2001. p. 805.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Conclusion générale

L’ultime étape de notre travail est de conclure à ce que l’ordre public, international

étatique ou transnational, devienne, à l’épreuve de mondialisation, le seul garant et l’unique

fondement de la validité et de la régularité de l’arbitrage international.

Particulièrement dans le monde du commerce international, le droit d’accès à la justice

arbitrale dans les contrats internationaux semble avoir acquis une importance si fondamentale

pour le développement dans ce domaine des relations internationales d’affaires. C’est la raison

pour laquelle, il lui faut un moyen efficace pour assurer que les hommes d’affaires

internationaux y ont effectivement accès. Ce moyen nécessaire est la primauté de la liberté

contractuelle et l’indépendance de l’arbitrage international qui s’expriment dans les principes

d’autonomie tant de la convention d’arbitrage que de l’arbitrage international, au regard de

toutes législations nationales. C’est donc seul l’ordre public qui est la notion clef au cœur de la

matière puisque les droits étatiques sont mis à part. En dépit de tout cela, l’ordre public ne peut

partiellement – c'est-à-dire à l’exclusion de l’hypothèse d’ordre public transnational – trouver sa

source et son fondement qu’en droit interne.

Cependant, l’ordre public est une manifestation concrète de la difficulté. De surplus, il

s'agit d’une notion commune à l’ensemble des disciplines juridiques : le droit privé comme le

droit public, le droit international privé et vraisemblablement le droit international public

(exemple du jus cogens). Dans notre matière du commerce international, et surtout en matière de

l’arbitrage commercial international, il reçoit un contenu propre de façon à permettre une

compréhension plus certaine et plus spécifique.

De cette étude, peu ou prou approfondie, on peut tirer quelques importants

enseignements. D’une première part, le concept de l’ordre public reste au demeurant toujours

évolutif du point de vue de l’arbitrage international. Tant les grands auteurs que les arbitres ou

les juges ne sont effectivement pas en mesure de maîtriser la totalité du concept ; ce qui montre

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ qu’il s'agit d’une notion quasi-totalement difficile à appréhender et qu’il ne puisse jamais faire

l’objet d’une étude suffisamment approfondie et éclairée dans son ensemble.

D’une seconde part, le rôle important joué par l’arbitre international paraît justement

clair et évident dans la mesure où il n’existe aucune juridiction au niveau international, c'est-à-

dire supranational. Dans le monde des relations d’affaires internationales, il est tellement

souvent que les opérations d’échange impliquent inévitablement des différends. Alors, le recours

aux juridictions nationales n’est pas un moyen très utile et satisfaisant aux yeux de ces

opérateurs internationaux ; en effet, le caractère national des juges étatiques est l’origine du

souci que les intérêts d’une partie quelconque pourraient être méprisés. Dans cette optique, le

caractère international de l’arbitrage international prouve la légitimité de son existence dès lors

qu’il n’est le gardien d’aucun for en particulier.

D’une dernière part, la vision la plus importante dans ce petit et court sujet, mais qui

mérite une longue et vigilante explication, porte sur le lien évident entre ordre public et arbitrage

international. Il est constant qu’à plusieurs reprises, la doctrine et la jurisprudence s’attachent à

s’y conformer et à ne pas remettre en cause l’existence et l’application de l’ordre public devant

l’arbitre.

Bref, l’ordre public est une arme efficace qui contribue au développement de l’arbitrage

commercial international. Réciproquement, c’est à travers le processus d’arbitrage international

que l’ordre public peut mieux se concevoir.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Références bibliographiques I. Les ouvrages - Abdel Moneem ZAMZAM, Les lois de police dans la jurisprudence étatique et arbitrale : étude comparée franco-égyptienne, ANRT thèse à la carte, 2003. - A. Boucher, Le nouvel arbitrage international en Suisse, Ed Helbing & Lichtenhahn, Bâle et Francfort-sur-le-Main, Théorie et pratique du droit, 1988. p. 37. - Bernard HANOTIAU, « L’arbitrabilité des litiges en matière de droit des sociétés », in Mélanges offerts à Claude Reymond, Litec, 2004. - Christophe Seraglini, Lois de police et justice arbitrale internationale, Dalloz, 2001. - Daniel GUTMANN, Le droit international privé, Dalloz, 4e édition, 2004. - Francis MEGERLIN, Ordre public transnational et arbitrage international de droit privé, essai critique sur la méthode, 2002. - G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, PUF, 1987. - Henri MOTULSKY, Etudes et notes sur l’arbitrage, Dalloz, 1974. - Homayoon Arfazadeh, Ordre public et arbitrage international à l’épreuve de mondialisation, LGDJ, 2005. - Hugues KENFACK, Droit du commerce international, Dalloz, Mémentos, 2002. - J. Béguin, G. Bourdeaux, A. Couret, B. Le Bass, D. Mainguy, M. Menjucq, H. Ruiz Fabri, C. Seraglini, J.M. Sorel, Traité du droit du commerce international, Litec, 2005. - Jean-Baptiste Racine, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, LGDJ, 1999. - Jean-Marc Mousseron, Jacques Raynard, Régis Fabre, Jean-Luc Pierre, Droit du commerce international, Litec, Manuel, 3e édition, 2003. - Jean-Michel Jacquet et Philippe Delebecque, Droit du commerce international, Dalloz, Cours, édition 3e, 2002. - Kassis, Théorie générale des usages du commerce, LGDJ 1984. - Nicolas NORD, Ordre public et lois de police en droit international privé, thèse pour le doctorat en droit, 2003. - Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996. - Pierre ECKLY, Droit du commerce international, Ellipses, édition Marketing, 2005. - Sylvain BOLLÉE, Les méthodes du droit international privé à l’épreuve des sentences arbitrales, Economica, 2004. II. Les doctrines - Charles JARROSON, « Arbitrabilité : Présentation méthodologique », RJ. Com. 1996. - Charles JARROSON, « La clause compromissoire : l’article 2061 du code civil », Rev. Arb. 1992. - Jean-Claude DUBARRY, Eric LOQUIN, « Arbitrage international », RTD. Com. 2004. - Laurence IDOT, « L’arbitrabilité des litiges, l’exemple français », RJ. Com. 1996.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ - Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L’illicéité ‘‘qui crève les yeux’’ : critère de contrôle des sentences au regard de l’ordre public international (à propos de l’arrêt THALèS de la Cour d’appel de Paris) », Rev. Arb. 2005. - Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Ordre public international », Fasc. 534-2, J-CL éditions techniques 1992. - P. Lalive, « Ordre public transnational (ou réellement international) et arbitrage international », Rev. Arb. 1986. 323. - P. Level, « L’arbitrabilité », Rev. Arb. 1992. 213. - Pierre MAYER, « Le contrat illicite », Rev. Arb. 1984. - Pierre Mayer, « La sentence contraire à l’ordre public au fond », Rev. Arb. 1994. 615. III. Les Jurisprudences 1. Tribunal - TGI Paris 2 févr. 1996 : Rev. Arb. 1998. - Tribunal fédéral, 17 avril 1990, Sté OTV C. Sté Hilmarton : Rev. Arb. 1993. 315. 2. Cour d’appel - C.A Paris, 15 juin 1956. - C.A Paris, 13 déc. 1975, Menicucci: Rev. Arb. 1997, p. 147, note Ph. FOUCHARD. - C.A Paris, 1re ch. Suppl., 29 mars 1991, Rev. Arb. 1991.478, note L. Idot. - C.A Paris, 1re ch. Suppl., 19 mai 1993, Rev. Arb. 1993.645, note C. Jarrosson. - C.A Paris, 20 juin 1996 : Rev. Arb. 1996.657, note D. Bureau. - C.A Paris, 1er mars 2001 : Rev. Arb. 2001, p. 583, note J.-B. Racine. - C.A Paris, 14 juin 2001 : Rev. Arb. 2001, 773, note Seraglini. - notes sous des arrêts de la Cour de cassation et de la Cour d’appel, Rev. Arb. 2001. p. 805, par Yves DERAINS - C.A Paris, 17 janvier 2002 : Rev. Arb. 2002, p. 399, note J.-B. Racine. - C.A Paris, 18 novembre 2004, Thalès C. Euromissile : JCP, éd. G, 2005II10038, note Chabot. 3. Cour de cassation : - Cass. Com., 29 nov. 1950, Tissot - Cass. 1re Civ., 7 mai 1963. - Cass. 1re Civ., 14 avril 1964, JCP 1965. II. 14406, note P. Level. - Cass. 1re Civ., 4 juillet. 1972, Hecht : Rev. crit. DIP 1974, p. 82, note P. LEVEL - Cass. 1re Civ., 20 décembre 1993, Dalico, JDI 1994.432, note G. Gaillard. - Cass. 1re Civ., 21 mai 1997 : Rev. Arb. 1997, p.537, note E. Gaillard. - Cass. 1re Civ., 30 juin 1998 : Rev. Arb. 1999. p. 80, note Marie-Laure NIBOYET. - Cass. Soc., 16, févr. 1999 : Rev. Arb. 1999, p. 290, note M.-L. Niboyet Hoegy. - Cass. 1re Civ., 20 févr. 2001 : Rev. Arb. 2001. 511, note Clay.

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ 4. Sentences arbitrales - CCI n° 1110 (1963), rapportée par Lew Applicable Law in International Commercial Arbitration : A study in Commercial Arbitration Awards, Dobbs Ferry, N. - Y., Oceana Publications, Inc./ Sitjthoff & Noordhoff International Publishers BV, 1978, - CCI n° 5103 de 1988, Rec., CCI, II, p. 361. IV. Les Sites d’Internet www.sudoc.abes.fr/www.doctrinal.fr/ www.legifrance.gouv.fr/ www.lexisnexis.fr

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’

Table des matières

« Ordre public et arbitrage international en droit du commerce

international » Introduction ....................................................................................................... 01

Chapitre 1er Influence de l’ordre public quant au recours à l’arbitrage commercial international .................................................................. 04

Section I. Ordre public et arbitrabilité du litige........................................................ 05 § I. Critères de l’arbitrabilité ............................................................................... 06 A. Distinction opérée entre arbitrabilité subjective et objective ....................... 06 1. Le contenu de la distinction ............................................................... 06 2. La véritable arbitrabilité : arbitrabilité objective .................................. 08 B. Arbitrabilité objective et fonctions de l’ordre public ................................... 09 1. La disponibilité des droits ............................................................................. 09 2. Le rôle prépondérant de l’ordre public ........................................................... 10 § II. Appréciation des critères de l’arbitrabilité objective .................................... 12 A. Inarbitrabilité par nature de certaines matières ............................................ 12 1. Les matières relevant des droits extrapatrimoniaux ...................................... 13 2. Les matières relevant de l’ordre public de protection ................................... 14 3. Les matières relevant de la compétence exclusive des juridictions étatiques 15 B. Inarbitrabilité par suite d’une violation de l’ordre public ............................ 16 1. La notion de la violation d’ordre public .............................................. 16 2. Le principe de compétence-compétence .......................................... 17 3. L’inarbitrabilité résultant de la violation ............................................. 18 Section II. Ordre public et convention d’arbitrage ................................................... 19 § I. Autonomie de la convention d’arbitrage ....................................................... 20 A. Principe d’autonomie..................................................................................... 21 1. Le contenu du principe ................................................................................. 21 2. L’évolution jurisprudentielle ........................................................................ 22 B. Fonction et contenu de l’ordre public dans le principe de validité ............... 24 1. La fonction de l’ordre public ........................................................................ 24

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Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ 2. Le contenu de l’ordre public ......................................................................... 25 § II. Etats et personnes morales de droit public : partie à la convention............... 26 A. Données du problème ................................................................................... 26 1. La présentation générale ............................................................................... 26 2. Les prohibitions de compromettre et ordre public interne ........................... 27 B. Éléments de la solution ......................................................................... 29 1. L’aptitude à compromettre et ordre public international............................... 29 2. Les fondements de l’aptitude à compromettre ............................................. 30

Chapitre 2nd Influence de l’ordre public quant à la solution au fond du litige................................................................................... 33

Section I. Ordre public et détermination du droit applicable au fond ................... 34 § I. Ordre public étatique .................................................................................... 35 A. Ordre public dans la loi choisie .................................................................... 35 1. L’ordre public dans la loi choisie par les parties .......................................... 35 2. L’ordre public dans la loi choisie par les arbitres ......................................... 37 B. Ordre public étranger à la loi choisie ........................................................... 39 1. L’ordre public international étatique ............................................................ 39 2. La question d’application des lois de police ................................................. 40 § II. Ordre public transnational (ou réellement international) ............................. 41 A. Notion controversée de l’ordre public transnational .................................... 42 1. L’existence controversée .............................................................................. 42 2. Le contenu controversée ............................................................................... 44 B. Application de l’ordre public transnational .................................................. 45 1. La fonction de l’ordre public transnational .................................................. 45 2. La place de l’ordre public transnational ....................................................... 46 Section II. Ordre public et contrôle étatique sur les sentences ................................. 48 § I. Notion de l’ordre public dans le contrôle étatique ....................................... 49 A. Respect de différentes sortes de l’ordre public ............................................. 50 1. Le respect de l’ordre public étatique étranger .............................................. 50 2. Le respect des lois de police étrangères ....................................................... 51 3. Le respect de l’ordre public transnational .................................................... 52

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Page 69: Ordre Public Et Arbitrage International en Droit Du Commerce International

Master 1 : 2005-2006 ‘‘Ordre public et arbitrage international en droit du commerce international’’ B. Composantes de l’ordre public ..................................................................... 53 1. La distinction entre ordre public interne et ordre public international ......... 53 2. Les principes fondamentaux ......................................................................... 54 3. Les lois de police .......................................................................................... 55 § II. Modalités du contrôle ................................................................................... 56 A. Critères de contrôle ....................................................................................... 56 1. Le caractère relatif de l’ordre public ............................................................ 56 2. Le caractère national du contrôle ................................................................. 57 B. Étendue du pouvoir de contrôle .................................................................... 58 1. Au stade de l’exequatur ................................................................................ 58 2. Au stade des voies de recours ....................................................................... 59 Conclusion ........................................................................................................ 61 Bibliographie .................................................................................................................... 63 Table des Matières .................................................................................................................... 66

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