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Notes du mont Royal
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CÔMEDËIE ’
.E.N [UUN A G
ï la? . , l’âme approbatzom
ACTEURS.LE BA R 0 N. .LA FRE U LE , * fille du Baron.
U N V O YAG E U R inconnu;
c HRÈTIEN, valet du Voyageur.
LI S T E . femme de chambre.MICHEL, Bailli au mon, .
M ART I N , Intendant du Baron.
La Scène dl dans le Château du Baron. f
* Ce mon: ’réponà à- celui de Dmoiftikœuî c8 14mm génériqu:
des femme: de qualité en France. . , - ’ 1
t
LESJUIFe,.COMËDIEiÂ
EN UN ACTE.
SCÈNE PREMIÈRE.i MARTIN . MICHEL. Ë
M A a "nuTE voilà cloner, ma betède Michel?
M 1’ c H e L.
Et te voici, mon imbécille de Martin P t "
MARTIN.Il faut convenir que nous fûmes hier tous deux
de gtands lots ; il falloit tuer :i un homme de 131113ou de moins n’ait pas une fi grande affaire. -
V M 1 c H E L.Mais , dis Jmoî , pouvions - nous prendre mieux
nos âmefures P nous étions mafqués jufqu’aux dentsJ .ile cocher étoit d’intelligence avec nous ; cil-ce notre
faute. fi la fortune a traverfé notre entreprife? jel’ai dit; plusîde cent. fois : fans le maudit bonhettrl,’on n’êÏ’t pas même un bon fcélérat.
r y ’ A 2
4 LES JUIFS.hÏiARTlN.
A Mais en y [reniant féricufement , cela nouséloigne tout au plus pour quelques jours de la
corde. l sM r c n a L.Que parles - tu de corde? fi tous les voleurs étoient
pendus , les juflices feroient plus près les unes desautres qu’elles ne le font. A peine en voit-on une
v de deux lieues en deux lieues , encore font-ellesdégarnies 8c propres feulement à la repréfentatîon.
Je peule que meilleurs les juges auront bientôt lapolitelle de lailfer tomber ce vilain ufage en défué-tude ; aufli-bien, à quoi fervent ces épouvantails?Tout au plus à faire fermer les yeux à quelques-uns
de nous , quand. ils figent devant des gibets.
’ M a in q T I N.Moi, je n’en cligne llœil feulement; mon
père , mon grand-père , toute ma famille la étébranchée ; je fuis leurs erremens , 8c je (m’attendsau même fort; il nerfaut jamais rougir de l’état de
les pères. i l ’ FM1 I c H E L.Mais , toi qui parles , nos inulines te renieront;
tu nias encore rien fait de mémorable 8c qui [oit
digne dieux. ’ ’ ’"MARTIN.
Pentes-tu que notre maître en foit quitte pourcela P Et cet impertinent voyageur étranger qui!qm’a ravi une fi belle proie , il me le’payera aufii,morbleu. Il nous laill’era quelque choie du lien ’.
COMÉDIE 5ou . . . . Mais le voici . retire - toi . je veux faireun coup de maître.
M I c n E L.Je te laide, mais . . . . lui-part, nui-part.
SCÈNE ILMARTIN,LEVOYAGEUK
M A a T I N.(du. part.) I p (hmm)
Je veux faire l’imbécille. . . . Monfieur. . .. votreferviteur, . . . je m’appelle Martin , 8c je fuis lereceveur de ce château ,’ en vérité. ’
La VOYAÈGEURJe. vous crois . mouftent; hé bien; puifque vous
êtes de la malien , ne pourriez-vous pas me dire ou.
cil mon domeflique P ,M A a. T ,1 N.
Non , pour vous fervir. Ah ! monfieur, de votreilluiire perfonne on m’a dit mille biens , 8: je fuisfi charmé de l’honneur . . . . d’avoir l’honneur de
votre ,connoilliance . . . . On dit; que , pas plus tardqu’hier au fait , vous avez tiré notre maître d’un
grand péril ; auili ne connoilfant rien. au-dellus de.ce bonheur, je m’en réjouis : 8c . . . .
LE VOYAGEUR.Je devine ce que vous voulez. dire; «votre inten-
tion cil de me rendre’grâces d’avoir affilié cette.maîtréï .
.As;L
6 L E S J U I F S.M A a T 1 N.
Pofitivemcnt. c’eli cela.
L a V o v A G r. U a.Vous êtes un honnête homme.
M A a T 1 N.Effeâivement , la probité mène toujours fort
loin. ,LE VOYAGEUR.Je fuis enchanté d’avoir , par une aâion auifi
naturelle , obligé tant de braves gens. Leur grati-tude eit une récompenfe fulfifante pour ce que j’aifait; la fimple humanité m’en faifoit un devoirindifpenfable , en n’y Voyant même que cela , jeferois fatisfait. VOus êtes trop bon , mon ami,de me faire tant de remercîmens pour un ferviccaufli léger , 8c qu’en pareille circonflance vousm’euliiez rendu avec le même zèle" . . . Puis - jed’ailleurs vous fervir . mon ami? ’
M A a T 1 N.Oh l pour ce qui cil: de me fervir , je vous
remercie , j’ai mon valet qui me fert au befoin.Mais . . . . . je vaudrois bien’favoir comment cela.cit arrivé? dans quel endroit c’était? . .* . . S’il y
avoit beaucoup de ces coquins? s’ils en vouloientà la vie de notre bon maître , ou feulement à fanargent? l’un-sauroit mieux valu pour eux que
l’autre. " iLE VOYAGEUR.’ Je vais vous fatisfaire en peu de mots: c’en;
à-peu-près à une lieue d’ici, que les voleurs ont
.c o M È D 1 E. .7attaqué votre maître dans un défilé; je tenois lamême route que lui; les cris plaintifs m’ont faitdoubler le pas; mon domeflique m’a fuivi . 8c nousfortunes arrivés allez à pr0pos pour prévenir lemalheur qui menaçoit votre maître.
M A a T I u.au! eh!
LE VOYAGEUR.Il étoit dans une calèche . . . .
M A a T 1 N.Eh! eh!
LE Voraceun.Deux drôles mafqués . . . . .
. ’ H M A R T 1 N.Mafqués? eh! eh l
. La’VovAo’r-zua.Se difpofoient à le frapper.
. M A a T r N.Voyez - vous l lLE Vor’AceUn.
S’ils vouloient le tuer, ou s’ils avoient feule-ment deII’ein de.le garrotter pour le voler enfuiteplus commodément ,ec’elt ce que j’ignore. i
MARTINOh , vraiment, ils auroient bien voulu le tuer ,
les méchans garnemens.
La VOYAGEUR.C’eft ce que je n’affirmcrois pas , pour ne point
aggraver leur crime. l ,A 4
a LESJUIFS.’MARTIN.
Oui . oui . croyez-moi , ils ont voulu le tuerg’je le fais. je le fais très-bien.
LE VovAGapR.Vous ne pouvez l’avoir cela. dites que vous le
croyez. Auiiitôt que les voleurs m’apperçurent. ilsabandonnèrent leur proie 3c le fauvèrent promptesment dans le bois; je tirai mon piliolet fur l’und’eux. mais il faifoit’déjà trop noir. 8c il étoit déjà
il loin que je doute de l’avoir atteint.
M A a T .1 N-Non, vous ne l’avez pas touché.
L a V O v A G E u a.litiez-vous près du bois P
M A R T I N. INon: je penl’e feulement que, puifqu’il faii’oit
déjà l’ombre, . . . dans l’obl’curité , m’a-t-on dit. on
ne vife pas juile; eh! eh!
L a V O v A G r. u R.Quoi qu’il en fait . je ne puis vous exprimer q’
quelle reconn’oifl’ance votre maître m’a témoignée ;
il m’a cent fois nommé ion fauveur, 8c il m’aobligé de revenir avec lui dans ion château ; jevoudrois que les -circonfiance’s me pertniilent derelier plus long-temps avec cet aimable feigneur ,Imais il faut que je parte aujourd’hui même, 8c c’eft
pour cela que je demande mon dOmeliique.
p p M A en T r N. l .Aujourd’hui! .Ah! monfieur, attendez encore
COMÉDIE. - 9un peu. Qu’en-ce que je voulois vous demanderencore? Les voleurs . . . . dites-moi donc . . . .quelle mine avoient-ils? . . . Comment étoient-ilsaccoutrés P Ils étoient mafqués . dites-vous, maiscomment?
LE VOYAGEUR.Votre maître foutient que c’étoient des juifs , ils
avoient à la vérité des barbes , mais leur langageétoit celui des payfans de ce canton; s’ils étoientmafqués , comme je le penfe . l’obfcurité les a bien
fervi , car je ne comprends pas comment les juifspourroient infelier cette route , puifqu’on en tolèreil peu dans ce pays-ci.
MARTIN... Oh! très-certainement, je crois que c’étaient des
juifs; vous ne connoilfez pas , non vous ne con-noilfez pas cette canaille; tous tarit qu’ils font,fans en excepter aucun , ils font voleurs , ’fOurbes8c fripons ; aufii cit-ce une-race maudite du ciel.C’en; bien dommage que je ne fois pas roi, car ilje l’étois je ne laifferois vivre aucun de ces barbi-chets;. .. Dieu préferve tous’les bons chrétiens decette race-là l Si Dieu ne la bailloit pas lui-même,pourquoi dans le dernier défafire de Lisbonneauroit-il péri moitié plus de juifs que de chrétiens P
Notre curé nous a expliqué cela très-clairement;dans fon dernier prône ; c’eli; comme s’ils l’avaient
entendu 8c qu’ils aient voulu s’en. venger fur notre
maître. Ah! mon cher imonfieur , fi vous voulez,avoir du bonheur dans ce monde, gardez-vous des.
juifs comme de la pelle. " i
Io LES JUIFS.LE VOYAGEUR.
’ (djinn)
Plut à Dieu que le peuple feul penfât ainfr l
’ M A R T I N.
Monfieur , par exemple. je fus une fois à lafaire de Leiplic. Oh l lorfque je fouge à cette foire .je voudrois empoifonner ces damnés de juifs tousà la fois . fi je le pouvois. Ils efcamotoient. dansla foule , à l’un fou mouchoir . à l’autre fa taba-tière . à un troifième fa montre ; que fais -je enfinqu’ils n’aient pas dérobé? Ils font li alertes quand
il s’agit de filouter : plus alertes que notre maîtred’école lorfqu’il touche fon orgue ; tenez , monfieur,
. ils prelfent le monde , comme je fais maintenant.( en s’approchant du voyageur (fla ferrant de prés.)
LE VOvAGEUR.Un peu plus civilement , mon ami.
M A R T 1 N.Oh , laiifez-moi vous montrer feulement... enfuite
voyez-vous , preiie comme l’éclair . ils gliifent la;main vers le gouli’et ( il met la main dans la poche,à il enlève la tabatière; ) ils font tout. cela ildextrement que l’œil ne peut les fuivrc; s’ilsattaquent d’abOrd un endroit , c’eft à coup fûr dans
un autre qu’ils opèrent; lorfqu’ils vous font craindre .
n l et je .pour votre montre , oeil a votre tabatrere qu ils enveulent; 8c fi vous vous; occupez de la tabatière ,ils vous enlèvent votre bourfe. ( il veut doucements’approcher de la montre, mais on l’arrête.)
I
Æ-
C O M Ê D I E. 11L a V o v A G r. u R.
Doucement , doucement! Que fait-là votre main?
M A R T 1 N.Vous voyez par-là, monfieur. quel mal adroit
filou’je ferois : il un juif avoit tenté unrpareilcoup , ç’eût été fait de votre montre....... Maisje ,m’apperçois que je vous fuis incommode ; jeprends la liberté de me recommander à votre fei-gneurie’, 8c je demeure-toute ma vie , pour vosbontés , monfieur, votre très-humble 8c très -obéif-
faut ferviteur; , Martin ,I receveur de ce noblechâteaux l 4
LaVov’A’GLUR.
Allez , allez. jM A R T r N.Souvenez-vous toujours de ce que je vous ai
dit des juifs : ce font tous des coquins.
SCÈNE 111.LE VOYAGEUR fait.I
Cr. drôle, tout imbécille qu’il paroit, pourroitbien n’être pas plus fût que les filous dont il parle.
Il en veut bien aux pauvres juifs: cette préven-tion cit allez fingulière! Pour moi je doute quebeau’C’Oup de Chrétiens puilfent fe vanter d’avoir
traité loyalement avec un juif, 8c ils font étonnésde la repréfaille : je ne l’approuve pas, toute natu-relle qu’elle cit. Pour que la fidélité 8c la probité
12 LES JUIFS.regnaffeut entre les peuples , il faudroit que chacuncontribuât du lien . . . . . Mais fr chez l’un c’étoit
un point de religion , 8c prefque une œuvre méritoirede perfécuter l’autre, feroitéil bien étonnant que le
peuple perfécuté ne fe fit pas un grand fcrupule detromper fes ’perfécutcurs l’J’ai entendu les plaintes
des uns 8c des autres , 8c il relle au moins incertainpour moi s’il y a plus de dupes parmi les chrétiensque parmi les juifs.
sec È N E 1v.LE VOYAGEUR. GHRETIEN fon valet.
LE VOYAGEUR.l
IL faut toujours vous chercher pendant une heureavant de vous avoir.
CHRÉTIEN.Ah! vous plaifantez, monfieur. N’efl-il pas vrai
.que je ne faurois être en même temps en plufreursendroits P Eft-ce donc ma faute f1 vous, ne mecherchez pas Où je fuis P à coup fût vous m’ytrouveriez toujours-
LE’VOYAczEUR.Il me’paroît à votre allure’que’ je vous aurois
trouvé à l’office. Je ne m’étonne plus de vous’voir
tant ’d’efprit. Faut-il que vous vous enivriez ainfrdès le matin 3’
COMÉDIE. I3CHRÉTIEN.
Ah! monfieur , moi m’enivrer ! . à peine ai - jehumé deux bouteilles de vin du pays ; ce vin citfroid en diable ; j’ai bien vite avalé quelques coupsd’eau de vie pour me réchauffer; 8c f1 vous exceptezun croûton de pain , qui même en a bu la moitié ,je veux être déshonoré fi j’ai pris la moindre choiede toute la journée ; je fuis encore tout à jeun.
LE VOYAGEUR.Oui , l’on s’en apperçoit; 8c je vous confeille de
doubler la portionune autre fois.
CHRÉTIEN.Excellent confeil! je ne manquerai point, fuivant
mon devoir, de l’envifager comme un ordre; jeretourne donc au buffet, 8: vous verrez fi je faisobéir. ’
L e V o v A c a U R.Point d’étourderie , Mons Chrétien. Allez feller
les chevaux, je veux partir avant midi.
CAHITR É T- 1 e N.
Puifque’ moniieur plaifantoit en me cOnfeiilantde prendre un double déjeuner , comment croirai-jequ’il parle férieufement à préfent PAu relle , Inoniieur
cit bien le maître de s’égayer avec moi. - Mais ,
ne feroit-ce pas la jeune Freule qui le met de fi’bonne humeur? Oh l c’eil une charmante enfant!Si elle étoit feulement un peu plus âgée, un peu ,N’ell-ce pas , moniieur? Oui , un peu plus, là; . .car avant qu’une jeune performe ait acquis un
r4 L’ES JUIFS, "Acertain degré d’embonpoint ;: . a . un certain . . . .
La", V’O r A on U R.Allez , Mons Chrétien , 8c faites ce que je vous
i 4 ’ i" C H a É T I r. N. pAh !.c’eci cit fériaux; malgré cela j’attendrai que
vous me l’ordonniez’ une troifièmefois : le point cil:
tr0p important , vous pourriez avoir précipité lachofe , 8c mon ufage confiant cil-d’accorder durépit à. mes maîtres. Réfléchiifez-y bien, monfieur;
quitter un lieu où l’on nous porte fur les mains . 8ccela f1 vite! Confidérez , monfieur , que nous fommesarrivés d’hier feulement, que nous’avons infinimentmérité du feigneur de ce lieu , 8e qu’à peine avens-nous pris , dans fort noble château , un léger fouper 8c
un maigre déjeuner. lLa VOYAGEUR.
Votre gromèretétm’elt infupportable. Lorfqu’on
fe décide à fervir , on devroit s’interdire les forsraifonnemens.’
C H R à T I a N.’Bon, rectifieur, vous commencez à moralifer ,
e’ell-à-dire , à Vous mettre en colère ; . . . voilàque je décampe. . . . .
LEVOYAGEUR.Il faut que vous foyez bien dépourvu de fens l
Ce que nous avons fait pour ce feignent perd lenom’de bienfait. dès que nous paroiffons attendrela moindre reconnoiifance de fa part; je n’aurais.
l
C,02MTÊDIE.X 15pas dû feulement me lailfer entraîner ici. Le plaifird’avoir fecouru un incOnnu, fans la moindre vued’intérêt, n’efl-il pas affez grand par lui-même?
Si nous fumons-partis , il nous auroit comblé deplus de bénédiélions qu’il ne nous prodigue main-
tenant de civilités. La plupart ,des hommes fonttrop pervertis , pOur que la préfçnce d’un bienfaiteur
ne leur foit pas incommode ; elle bielle prefquetoujours leur amour propre , 8c offenfe leur vanité.
C H R e ’T ’I E N.
Votre philofophie vous fuffoque , monfieur (allonsje veux faire voir que je fais imiter votre magnani-mité. Je pars , 8cdans un quart-d’heure vous pourrezmonter à cheval.
s G E NE ’v.
LE.VOYAGEUR,LA FREULE.
LE VOYAGEUR (épart)’AI évité de me familiarifer avec cet homme;
mais , malgré cela, il s’oublie avec moi d’une manière
qui n’eft plus tolérable. A ’
LA Fantine.Comment vous nous quittez , monfieur P Pour-
quoi êtes-vous feul ici? Notre converfation, depuisfi peu de temps que vous êtes avec nous , vous ennuie-: selle déjà P J’en ferois bien fâchée : je tâche toujours
àde me rendre. agréable à tout le. monde. mais a t
16 LES JUIFS,vous fur tout , mouftent; 8c je feus que je feroisinconfolable de vous déplaire.
LE VOYAGEURVous ne me rendez pas juflice , aimable Freule ,
mais je ne puis m’arrêter plus long-temps , 3c jeviens à regret d’ordonner à mon domeflique de tout
4 préparer pour mon départ.
LA FRE-ULE.Que parlez-vous de votre départ? Vous ne faites
que d’arriver. Après une année de féjour , fiquelques fujets de mélancolie vous avoient infpirfié
ce defir , cela pourroit tout au plus s’excufer;mais ne pas nous donner une journée entière ,oh icela cit trop fort : 8c je vous affure que je ferai
k très-fâchée fi vous fougez encore à ce départ fubit.
’ LEVOYAIGE’UR.Cette menace cil aufii obligeante que fenfible
pour moi. ’ aLA FpRgEULE.Quoi! férieufement , cil-il vrai que vous feriez
fenfiblef f1 je me fâchois?
L E V o Y A G E U R.Qui pourroit voir avec indifi’érence’le méconten-
tement d’une aufli jolie performe que vous , ma-demoifelle E’
LA FREULR.Ce que vous dites a l’air d’un petit perfifllage;
cependant je le prends férieufemcnt. duffé-je-metromper; lainli , monfieur. ’s’il ell’ vrai que je
fois
-- [L.MWJ-n- mamvav A
COMÉDIE. ,7fois un peu aimable , comme on Âme l’a dit ,j’uferai de cet avantage pour vous retenir... . Jevous le répète donc , je ferai terriblement fâchéefr, d’ici au nouvel au, vous fougez à votre départ.
L E V O Y A G le U R.Vous fixez , mademoifelle , une époque bien;
agréable! Vous voulez me mettre à la porte aumilieu de l’hiver, dans la plus cruelle faifou.
LA FREULEzeAQEh! qui vous dit cela? Je dis feulement que
par bieuféance vous pourriez alors fouger à parlerde départ; nous ne vous lainerions pas partirpour cela; nous vous prierions au contraire derelier jul’qu’à la belle faifou. . . . . i
"La VOYAGEUR.Aulii par bienféance.
L A F R E U L E.Mais voyez donc, qui diroit qu’une phylionomie
aulfi honnête fût celle d’un railleur...... Ah!voici papa , il faut que je m’en aille , ne lui ditespas que je me fuis arrêtée avec vous; il mereproche déjà allez que j’aime la compagnie des
meilleurs. is c E NE v I.LE BARON, LE VOYAGEUR.
L s B A R o N.N’EST-ce pas. ma fille qui étoit avec vous ,
mouflent? Pourquoi s’enfuit-elle? -B
718 LES JUIFS,’ ’.LE VOYAGEUR.C’ell un grand bonheur pour vous , moulieur’,
d’avoir une "fille aulli douce 8c aulli gaie; elleenchante par les raifounemens pleins de la plusaimable innocence; elle plaît par l’efprit le plus
naturel 8c le plus agréable. a ’ i
LE BARON.Vous la jugez trop favorablement; elle a peu fré-
quenté la fociété des gens aimables; -- cependantje conviens qu’elle polfède cet art de plaire quis’acquiert li rarement à la campagne, 84: qui fouventvaut mieux que la beauté ; cet art ne fcmble en elle
qu’un don de la nature. ILe" VOYAGEUR.
Ce naturel ell; d’autant plus précieux, qu’il cil:
moins commun dans les villes ; tout y cil (lilli-Inulatiou , étude &c gêne ;. ou y a pouffé les chofes
au point, que grollièreté 84 nature font devenusdes mots fyuonymes.
LE BARON.Que je fuis enchanté que nos idées 8c nos’ jugea
mens s’accordent aulli parfaitement! Que n’ai-jeeu depuis long-temps un ami tel que vous!
L E V o Y A G E U R.Vous devenez injulle envers vos autres amis.
LE BARON.Envers mes autres amis, dites-vous ?J’ai cinquante
aus.... J’ai eu cent couuoilfauces , mais jamais un
’iflegTïïthmaæ.wmme
J-MFIËM. .
Mæiquæww à
’C o M È D 1,17., .9ami; jamais l’amitié ne m’a paru plus touchanteque depuis le peu de temps que j’ambitionnela vôtre;
que ne ferois- je pas pour l’obtenir? V
LE.VOYAOGEUR. .Mon amitié, cil fi peu de chofe, que le feul defir
de l’acquérir eli; un titre pour la pofléder; votreprière , monfieur , vaut infiniment mieux que ce quevous paroiiTez fouhaiter. L
LI a i B A R o N.Ah , monfieur , l’amitié de mon bienfaiteur! . . . .
L E V o Y A c E u a.Vu fous pcetafpeâ: , je ne ferois plus votre
ami ; fuppofez un moment que je fuffe votre bien-faiteur , n’aurois- je pas à craindre que votreamitié ne fût que le fentiment de la gratitude P
LE BARON.Et ces deux fentimens ne lamoient-ils donc
marcher enfemble P s
L E V o à: A a E v R.Très -difficilement : la gratitude cil le devoir
d’un cœur noble ; mais la véritable amitié ne peutnaître que de la volonté libre d’une ame épurée.
L r: B A. a o N. lQue de goût 8c de délicateffe l
LE VOYAGEUR.De grâce,ne m’eflîmez pas au delà de ce que je
vaux,;.j’ai rempli envers vous , tnonfieur, le fimplc
Be
:a’o t LES JUIFS,devoir de tout homme envers (on femblable ,vous ne m’en devez aucune reconnoill’ance ; 3c li
q * C ’ o o;vous croyez men devon , loffre de v0tre amurevous acquitte pleinement envers moi.
’LE BARON.Cette généralité me confond de plus en plus. . ..
je n’ai pas encore olé hafarder de vous demandervotre nom 8c votre état; . . . . peut-être fuis-jeallez indifcret pour offrir mon amitié à quelqu’un
i qui m’honoreroit en m’accordant la bienveillance.
L a V O v A c E u R.Pardonnez-moi , monfieur ,p. . . . vous prenez
une trop haute idée de moi.
LE BARON à part.Dois- je lui demander? . . . . Non, il pourroit
le formalifer de ma curiolité.
’ LE VOYAGEURàpart.Que lui dirois-je, s’il me queflionnoit? . . .
LE BARON àpart.Si je ne le lui demande pas , après ceque je
viens de dire , il aura lieu de s’en olfenfer.
LE .VOYAGEUR àpart.Dois- je lui déclarer la vérité P
LE BARON àpart.’ Je veux prendre un autre moyen de le ravoir ,
je vais faire queflionner fou valet par Lifette.
COMÉDIE.’ 21’pp: VovAoRoR épart.
Que ne puis -je éviter cette explication l
L E B A R 0 N.Qui vous rend fi penfif , mouflent?
LE VOYAGEUR.J’allois vous faire la même quellion.
L a B A R O N. ,Je fuis fort. fujet aux diffraélions : je pe’nfois
que la converfation que nous avions entaméepouvoit vous déplaire , 96 pour en changer je.voulois vous demander fi vous croyez que les.gens qui m’ont attaqué foient des juifs P Dansce moment , mon Bailli vient de me dire qu’il enavoit rencontré trois , il n’y a pas long- temps ,fur mes terres. De la manière dont il me les adépeints, ils relTemblent plutôt à des fripons qu’à.d’honriêtc’s [gens , 8c cela ne m’étonne pas; une
nation aufli intéreflée ne le met pas beaucoupen peine des moyens qu’elle emploie. pour par-venir à fes fins; jufle ou injulle, tout lui en;bon. Elle paroit aufli née pour l’intrigue 8c lafraude. Sa foupleEe , lfon induline 8c fa difcrétionpla rendroient ellimable, fi elle n’employoit pasf1 fouvent ces qualités à tendre des pièges à labonne-foi48c à l’inexpérienee. Les juifs m’ont dès
long» temps caufé bien du chagrin , 8c m’ontfait beaucoup de tort. Lorfque j’étois encore aufervice , j’eus la foiblelfc de ligner une lettre dechange pour obliger un ami . 8c le malheureux.juif fit fi bien qu’on fut Obligé de la. payer deux
B 9J
22’ L E S U I F S ,fois. Oh, tous les juifs, aux yeux des jeunesmilitaires fur-tout , font les’plus méchans 8c lesplus vils des hommes. . . . . Qu’endites - vous ,nionfieur? vous paroilfez tout interdit l
LEAVOYAGEUR.Que voulezsvous que je vous dife? Il .faut que
je convienne qu’on me porte fouvent cette plainte.
i : 1. a . B A ,R O N.h ’N’efl-il, pas Vrai. qüe leur ligure prévient aufii
contr’eux Ë’ On croit lire dans leurs yeux l’incertitude,
la, fourberie,-le fordide intérêt, la fraude 3c le par-jure..... Mais pOurquoi vous détournez-vous?
LE VOYAGEUR.je Vois que vous êtes un grand phyfionomifle ,
8c ma figure n’en pas plus exempte. . . . . .
LE BARON.Vous m’offenfez , monfieur: comment pouvez-
au... avoir’u’ne pareille idée? Sans être grandcdirnoilfeur en phylionomies’ , jepvous protefle queje n’en ai jamaisvu Où la fincérité, la candeur 8v.l’amabilitéfulfen’t mieux peintes que fur la vôtre. A
L’È’ VOYAGÈ’UR.
A Vous dire la vérité, moinlie’ur, je n’aime pas
les jugemen’s généraux fur toute une nation.......ËRcitfez ma franchife’: je crois que chez tous les
’Ïpe’uples il a de belles 84 de méchantes ames......
8c parmi les juifs....... 7
ovo Mithra: v :93sa È’NE V.-ÎI.
.LA- FREULÈ , La VOYAGEUR, LE BARON,
LA FREUrLE.x
AH l Papa... . . .1. a B A R O - N.
Allons , allons , bien étourdiment ! TOut à l’heuretu t’es fauvée de moi ; qu’efl-ce que cela lignifioit?
L"A F R au L a.-Ce n’ait pas vôus-, Papa . que j’ai évité, c’eft
votre réprimande que je voulois efqùiver. i’
, ’ ’L a B A R ’o N.la dilliné’tion en, fabule; mais qu’avois-tu donc
fait qui méritât ma cenfure?
L A F R E u L aOh! vous le l’avez bien , mon’ papa, vous l’avez
vu , j’étois avec ce monlieur.
L R B A R O N.- ce- là tout?
L A F. R a v L R.Ce monfieur en; un homme, 8c vous m’avez déc
fendu de m’arrêter avec des hommes. ”
,L a .B A R ON.’ Tu aurois dû comprendre que monfieurvdoît
j. être excepté; je délirerois que tu lui fufl’e agréable,
B 4
24 LES Jours;alors je verrois avec plailir que tu faire toujours
en la compagnie. i ’ ILA FRR.ULR.’
Hélas! c’étoit pour la première 3c dernière fois g
car fon domellique fait déjà fesfl paquets , 8c c’ell:
jullement ce que je voulois vous dire.
L E I B A R .o N.Quoi? Quoi P SOn laquais , ., . . . .
.LOE VOY-A GtEUR.le Oui, monfieur, je le lui’ai ordonné ; mes occu-
pations, . . . la craintede vous être à charge. . . . .
1’. .E .B A R O N.Quevoulez-vous que je penfe , monfieur, d’un
départ fi fubit P M’enlèverez-vous fi promptementla fatisfaéiionique j’éprouve à vous témoigner,ma
reconnOilfance P Ajoutez , je vous fupplie,à. votrepremier bienfait celui de relier avec nous quel-ques jours de plus. J’ai invité pour aujourd’huima famille afin qu’elle’eonnoilfe mon ange tutélaire ,
8c qu’elle joigne fa fatisfaâion 8c la reConnoiflÎance-
à la mienne; elle rougiroit, ainli que moi, de laitierpartir un homme de’votre caraélère , fans l’avoirconnu , honoré 8c récompenfé . li nous oliOns croire
que la chofe fût en notre pouvoir. ’
L a V O Y A G a U R.Monfieur. il faut abfolument....-...
L’A- FREULE.Relier , monfieur, relier. Je co’urs’dire à votre
laquais de débrider..... Mais le voici. L
COMÉDIE. 25»"SCÈNE VIl’I.-v
C H R T I N , ( botté, «fait! deux porte.mankauxfousrles bras ,j) les précédens.
CHRÉTIEN.ALLoNs , monfieur , tout en: prêt ; abrégez voscomplimens. A quoi fert tant de parlementage, linous ne devons pas nous arrêter ici P
’ L E B A R O N. .Qui vous empêche d’y relier?
C a R a r r E N.Que fais -jeP . . . Certaines réflexions. . .PL’ObflÎ-
nation de mon maître en en la caufe , 8e (a générofité
le prétexte. j ’ ’LE VOYAGEUR.
Mon domeflique n’a pastoujours le feus commun,pardonnez lui , monfieur. Je vois que vos inflancesobligeantes ne fontpoint de fimples complimens, &je me rends , de peur de commettre une impolitech "en voulant l’éviter.
L E B A a o N.-Que je vous ai d’obligations l I
LE VOYAGEUR àChre’tt’en.Vous n’avez qu’à tout défaire, nous ne partirons
que demain. ’ a v ’
86’ LES JUIFS,L’A FREULE.
Eh bien donc , n’entendez-vous pas? Pourquoireliez-vous P Allez donc faire débrider vos vilains
chevaux. ’ ’CHRÉTIEN.
Ce feroit à moi de me fâcher à prélent . . . . .Cependant , comme il ne m’arrivera pas d’autremalheur que de bien boire , bien manger; 8c d’êtrebien loigné , à la bonne heure; fans c’éla , je neprendrois pas la chofe li gaiement: Car je n’aimepas à prendredes peines inutiles . ’. . Je lendisfranchement. ’ ’
LE -Vo YAl-iGEU’RÆ’
Vous tairez-VOUS, infolen’tP V k
Il ACHR-E’rrEN.’Infolent , parce que je dis la vérité l;
L A F R’ E’U’L E.
0h! c’ell charmant que vous reliiez avec nous;à préfent, je Vous aime une fois davantage. Venez .je vais vous mener dahs’n’o’trei jardin ,t on dit qu’il
cil fOrt beau , j’efpère qu’ilïvous plaira.
LE VOYAGEUR.S’il vous plait .aimable’Freule, certainement il
me plaira aulli. V ’ ’ V" s”L A gF R sur E.
Venez toujours. En attendant , l’heure du’diné
approchera . . . . . Vous le permettez. Papa?l
COMÉDIE.” s7LE BARON."
Je Veux même vous accompagner.
V L A F R E U L E.’Non , non , Papa , nous ne voulons pas vous en
donner la peine ; vous avez des affaires.
LE BARON.’Ma plus grande affairée aujourd’hui ell de procurer
de l’agrément à mon hôte. l!L A F R EÂU L E.
Il ne s’en formalifera pas; n’elt-ce pas, mouflent?
( bas" au voyageur. ) Dîtes que non. . . . Je vaudrois.bien me promener feule avec vous.
I L E V o Y A G E U R.Je me repentirois d’avoir cédé à vos inflances ,
fi je m’appercevois que je. vous fulfe incommode
un.feul moment. K AL’ a B A ’R O N.
Pourquoi faire attention aux difcours de cet,enfant?i LA ’FR’EU’LE.
Enfant. . . . . . Papa, ne me donnez donc pasce nom ridicule : ce mouftent pourroit croire queje fuis bien plus jeune encore que je ne le fuis.Au furplus, je fuis allez âgée pour pouvoir mepromener avec vous. Venez, venez , monlieur , . . . .mais voici encore votre domellique avec les deuxporte-manteaux fous les bras ; ils me pèlenthorriblement.
28 L’ES JUIFS,Cu RÉTIEN.
Je penfois qu’ils ne peloient qu’à celui qui enétoit chargé.
L a V O v A G E v R.T allez-vous , on vous fait trOp d’honneur.
T3 C N E I X.LISETTE, les Vaëleurs précédens. i
L E B A R O N voyant venir Lilith.
MONSIEUR,jC vais vousjluivre.’S’il vous plaifoit
en attendant d’accompagner ma fille au jardin.
LA FREULE.Oh, Papa , reliez tant qu’il vous plaira; nous
nous promènerons bien; venez , monfieur. (laFreulub le Voyageur fartent. ) .
s C E N E x.LE BARON, LISETTE, CHRÉTIEN.
I ’L’E B’A Rio N.
LISETTE, j’ai quelque chofe à. te dire." a
3L ’r,s E T TE.
Moniteur. i
v4
COMÉDIE. a9La BARON.
J’ignore encore que! cit notre hôte ; j’ai desrailons peut ne pas le lui demander à lui-même:ne pourrois-tu pas, par fou domelliqueP . . . .
LISETTE.Je comprends ce que vous delirez . moulieur ,
ma propre curiolité lullifoit pour vous fatisfaire,je vous avoue qu’elle m’amenoit ici jullement
il ’ ’ ’ lpour ce même fujet.
A E B A R’o N.r Taches de réulfir , 8c. avertis - moi ; je t’enfautai; gré E; 8c te ,récompenlerai.
b I s E -T T E.Laiii’ez - moi faire, monfieur.
à H R É- T 1 E N. t
.’ Vous ne trouvez donc pas mauvais , ,monlieur.que nous nous plailions chez ivous? ah ça ; jevous en prie , point de façon avec moi : je luisContent de tout ce qu’on me donne.
LE BARON.Lifette , je te le recommande ; qu’il ne manque
. de rien. . t; (il fort. ),CuRETtEN.
- Je me recommande aulii, ma chère demoifelle, à.votre haute attention qui ne me laillera manquer,
de rien. V . (il vezrtfirlir. )
3.. LES JUIFS,se E N E x1.
’LISETTE.CHRÈTIEN.
L I s E T T a retenant Chrétien.
NON , monfieur , je ne fautois me refondre à.vous laili’er commettre une-incivilité. Ne fuis-jepas allez jolie fille pour mériter un moment de
converfation P l "CHRÉTIEN.
’La épelle , mademoilelle’ , vous êtes, exigeante!
J’ignore jufqu’à quel point vous êtes ce que vous
dites . mais permettez-moi de m’en aller ; vousvoyez que je fuis chargé ; aulii-tôt que j’auraifaim ou foif je reviendrai..
L I s E T T E.-Voilà pohtivement la manière de notre Dragon.
.Ë’ ’ rC H R E T I E N.Diable , il faut que ce fait un bon garçon s’il
le conduit comme moi !’ L I s E T T E.’ ’
Voulez-vous faire connoillance avec lui , il cilenchaîné là bas dans la grande cour.
C H R a T I a N.Comment , morbleu , vous me comparez à un
chien! Ah, je vois ce, que ,c’elt. Vous avez cruque je parlois de la faim phylique , tandis. que je
COMÉDIE.’ 31ne longeois qu’à la foif & à la faim morale del’amour ; c’ell cette faim la que je vais bientôtéprouver : ôtes avons contente de ma déclaration?
L I s E T T E.Infiniment plus que du déclarant.
C u R a T I E N.’ Comment l je pourrois me flatter qu’une décla-
ration d’amour ne vous oiïenleroit pas , fi . . .
’ LISETTE.Si . . . li vous la failiez tout de bon, peut-être,
.alors. . . .
CHRÉTIEN.Peut-être cil-elle plus férieule quevous ne
penfez.
I L I s E T T E.Ce peut-être cit galant.
C n R E T I a N.Je ne vois pas de différence entre mon peut-
être 8c le vôtre.
L Il s E T T E.Dans ma bouche il lignifie tout autre chofe que
dans la vôtre, Peut-être cit, de la part d’une fille ,la plus forte ailurance qu’elle puilfe donner ; carquel que foit nOtre jeu , nous ne ’devouspjamaispermettre qu’On regarde dans nos cartes. i
CHRÉTIEN;Si cela cil ainli , nous nous entendons. Mais
je ne fais pas pourquoi je prends tant de peine;
32] L,ESJUIFS,,(et MM? tomber les dans parle - manteaux.) à bas. ( à’ Lydie.) Je vous aime, mademoifelle.
LISETTE.Voilà ce qui s’appelle dire beaucoup en peu de
mots. Détaillons. ’CHRÉTIEN.
Non, laili’ons la chofe entière : cependant . afin
que nous paillions tranquillement nous expliquer,ayez la bonté de vous aii’eoir ; je fuis las d’être
debout. . . . . . Sans cérémonie. (il la force àrufian fur un porte-manteau.) Je vous aime ’donc ,
mademoifelle. . ÏLISETTE.
Mais je fuis allife bien durement ; je peule quece font des livres.
C n R E T 1 E N. ’ jEt parodeilus le marché de très-tendres 8c de
très-fpirituels ; c’eit la bibliothèque de campagnede mon maître ; relle coniille en comédies pourpleurer , en tragédies pour rire , en héroïdes ’fort
tendres , en chanfOns à imite très-férieufes 8cautres fadaifes. Mais changeants, mettez-vous furle mien : fans compliment, le mien cit plus doux.
O 1. I s E T T E.Pardonnez-moi, je ne fuis pas allez impolie.
C a R a T I E N.Sans façon, , ’fans compliment . . . p. Vous ne
vouliez pas, . . . . je vais, vous y tranfporter’. jLISETTE,
COMÉDIE. .33’"LISETTŒ’...
Puifque vous l’ordonnez. ( elle je lève, de vents’qlfioir fur l’autre porte-manteau.)
.C H ’R a T I E N.Ordonner ! Dieu m’en préferve. Ordonner cil
trop fort; . . . puifque vous le prenez ainli, relionscomme nous étions. (itfe remet fur lejïen.)
LISETTE ripait.Le maraut ! cependant voyons.
.Cn R E T I EN.r. Où. en étiOns-nous P. . . oui . . .à l’amour : je
vous aime donc , mademoifelle. Je vous aime ,vous dis - je , faillez-vous une marquife fiançoife.
L I s ET T’ E.Comment ! feriez-vous François?
C H. R à T PI E N.v. Non , il faut. l’avouer , jene fuis qu’un, Aile.
,mand ; mais j’ai eu le bonheur devivre avec desFrançois , 8e j’ai appris allez pallablement parmi eux
ce qui convient à un joli garçon ; je peule queje n’ai, pasmal le tout; . . . hem ! . . . . I
L I s E T T E.Vous. arrivez peut-êtredela France.» avec votre
maître P
C H R a T I E N.Oh ! w,Mon Dieu non.
’ Lit s ETTR., C’eli doncd’aill’eurs’que vous venez?
’ ’ C
34 L E S J U I F S ,C u R a T 1 a N.
Encore quelques lieues derrière la France.
L I s a T T a.Ne feroit-ce pas d’ItalicP
C a R a T 1 E N.Pas loin de là.
. L r s ËVT T :E.C’elt donc d’Angleterre P
C n R a T 1 a N.A peu près: l’Angleterre en ell une province.
Nous fommes de plus de cent lieues d’ici. . . . .Mais, . . . mes Chevaux , . . . les pauvres animauxfont encore fellés. Excufez , mademoifelle , . . . .vite , levez-vous. (il reprend les porte-manteaux. )’En dépit de l’ardeur de ma flamme , il faut que jepourvoie au plus prellé. Nous avons encore toutela journée, & qui plus cil toute la nuit ;’ nous nous
arrangerons de relie : . . . . je fautai bien vousretrouver. (il fort.) ’
s CE NE X I I.MARTIN,LISET’TE.
, 1.1.5 R T T R.DE celui-là, je ne tirerai pas grand’chole, il eli fifin , ou li bête qu’il en’devient impénétrable. (voyant
arriver Martin. ) Pour. celui-ci , je crois que c’ell
COMÉDIE. 35mon ombre , mais il faut une bonne fois que jem’en débarrali’e.
M A R T I N.C’ell donc ce’drôle-là, mademoifelle, qui doit
me fupplanter P
L I s ’E T T E.Vous n’en aviez pas beloin , Mons Martin.
M A R T I N.Comment l pas befoin. Et je penfois occuper ’
une li bonne place dans votre cœur.
. - L I s E T T E. ,Vous le penliez, monfieur’le receveur! Les gens
de votre efpèce ont le droit de penfer ridiculement.Aulli ne m’oii’enfe-je pas de ce que vous l’avez
peule , mais de ce que vous Ofez me le dire. Jevoudrois bien lavoir pourquoi vous vous mêlez demes affaires de cœur , 8c fur quoi vous prétendezavoir’une il bonne place dans le mien P Vous êtesfort habile à recevoir , je le crois ; mais à donnerje vous trouve fort gauche : par quelle complaifance,par quel préfent croyez-vous avoir mérité cetteplace P Je ne prodigue pas ainli mon cœur ;croyez-vous que j’en fois bien embarralféeP .. .Je trouverai bien encore quelque bon garçon , fansle demander par les petites affiches.
MARTIN.Diantre! cela enrhume. Prenons une prife de
tabac, peut-être que cela le pallera en éternuant.( il tire la tabatière volée , joue un peu avec , il: prendavec un air de vanité une prife de tabac.) i
C2
36 L E s 1 U 1 F s.L 1 s E TTE , jetant un coupul’æil de côté.
Pelle! d’où ce drôle là aot-il tiré cette boîte?
M A R T I N.En voulez - vous une petite prife , mademoîfelle
Lifette? * lL 1 s E T T E prend une prgfe.
0h , votre très -humble fervante , monfieur lereceveur.
MARTIN àpart.Voyez ce que peut une belle boîte d’or! . . . .
comme cela rend fouple l lL I s E TIT E.
Bit-elle d’or fin?
MARTJN.Si elle h’étoit pas d’or fin, maître Martin la
porteroit-il? x ,
L 1 s E T T a.Efl-îl pertuis de la confidérer de près P
M A R T 1 N.Oui, mais feulement entre mes mains. l
I L 1 s E T. T .12.’ :Lafqçon aen eflr fuperbe !
M A R T i N.Il cil vrai; elle pèle cinq-onces.
COMTÈDIE. j 37LISETTE.
Rien quc’pour la façon, une’pareille boîte me
plairoit fort.
RIART’iN.Eh bien, je m’en vais la faire fondre; après cela ,
la façon ell à votre fervice.
k L 1 s E T T E.Vous! êtes trop bon. Sans doute quec’ell un
préfent de quelqu’un P
’ M A a T 1 N.APofitivement , elle ne me coûte pas un liard.
L 1 s E T T E.En vérité, un pareil bijou pourroit féduire plus
d’une jolie fille; vous pourriez vous en faire unebonne fortune , monfieur le receveur . bien difficilequi le refuferoit. Moi du moins , j’avoueque fi l’onm’attaquoit avec une tabatière d’or, je me défendrois .
bien. mal.-Armé d’un femblable joyau ,. un amant rauroit beau jeu avec moi.
. M Af a T I N.-J’entends ,. j’entends.
L 1’ s a T T a.Puifqu’elle ne vous coûte rien , je vous confeil-
r lerois , monfieur le receveur , de l’employer à" vous?en faire une amie.
ne n M A R T ’I N.J’y fuis . j’y fuis..
, i C 3
3-3 LES JUIFS.LIS ETT a carçlfimle.
Seriez-vous homme à m’en faire préfent . mouftent-
le receveur P ’MARTIN.Je fuis homme à la garder. On ne donne plus
comme cela des tabatières d’or ; crOyez- vous .mademoifcllc Lifette, que je fois bien embarraiTe’ decette boîte P Je trouverailall’ez de pareilles ache«
teufes , fans les demander par les petites affiches.
LISETTE.A-t-on jamais vu une plus détellable plaifanterie?
mettre un cœur en parallèle avec une tabatière!
M A a T 1 N.Oui, un cœur de pierre , 8c une tabatière d’or.
.LISETTE.Peut-être ceEeroit-il d’être de pierre, fi ; . . .
maisttoutes mes paroles font perdues : . . . il efi;indigne de mon amitié. Que je fuis une bonne forte lhi. . . hi . (elle pleure.) Peu s’en cit fallu que jene le cruiTe une de ces bonnes ames qui penfent
comme elles parlent. l A.MARTIN.
Et quel bon nigaud ne ferois- je pas de croirequ’une fille parlekcomme elle penfe? (à part.) Sicependant . . . C’ei’t un friand morceau que cetteLifette . . .Donnons toujours, faut" à reprendre: ilne m’en coûtera qu’un tour de main. Tenez, machère mademoifelle Lifette , ne pleurez pas. (il
”l
du.
COMÉDIE. , 39donne la boîte.) Je fuis afluellement fur de votreamitié , n’ell-ce pas P . . . je vous demande pourgage un baller fur votre belle main. (il la baffe.)Ah , que cela en doux l
SCÈNE x7111.LA FREULE, LISETTE, MARTIN.
LA Fureur: fi gljflè fin’lz’vemcnt,»dr relève
leur: mains avec les fleuries.
E H l moniieur le receveur , ballez donc aulii ma main .
L I s a T T E.Comment l
M A a T r N. ’Très - volontiers , Agracieufe Freule. (il veut lui
balfir la main.) .LA Faro L E lui applique un fizgflïel.
. Faquin! ne (voyez-Nous pas’que je me moque
de vous P l vM A a T 1 N.Du diantre, fifc’eltl là une plaifanterie.’
L I s a T’T a je moque de lui.
Ha , ha , ha lJe vous plains, mon cher rece-veur. Ha, ha , ha !
M A a T 1 N. . ,’ Comment-,«vous en riez aufli ; c’eii; donc la ma
récompenfe? nous nous reverrons , 8c vous ferez
C4
4o , L E s J U I F s,bien fine , li avant la fin du jour je ne ris pas’à,mon tour. (il fort.)
L 1 s E T T E.Ha,ha,ha!
SCÈNE xrv.LISETTE, LA FREULEj
LA" Fantine.MA foi, je ne l’aurais pas’cru . li je ne Pavoispasrvu. Tu te lailles baller la main ,’ 8c par qui PuPar ce vilain receveur qui me déplaît.
L 1 s 1»: T T E.Je ne fais , mademoifelle , qui vous donne le
droit de me furprendre P je’vous fuppofois dans le
jardin avec l’étranger. ’L A F 111:an E.
Oui , 8C4 j’y feroisencore fans papasqui cit fur-venu ; ,mais pouvois - je dire un feul mot de mon *deilein , en préfence de papa P1
L11 s E- T T E.Qu’app’ellez-vous voue delleinP Et qu’aviez-vous
à dire que votre papa ne pûtqentendreP
jLA FR’EuLE.Mille choies ; mais "tu m’impatientes ;V qu’il te
fuffife- de lavoir que j’aime’cet étranger, . 3-8:; que
j’avais deilein de le-lui dire toutsnaturellëment. ,
COMÉDIE. 4:LISETTE.
La’ pelle! Il me paroit que vous faites fort bienvos affaires vous-même; vous ne leslaiilez pastraîner en longueur : la chofe cependant ne feroitpas impollible fi; . . . la ,’ convenez que vous vousfâcheriez terriblement contre votre papa li quelquejour il vous donnoit un pareil mari P . . . Et qui vfait ce qu’il fait maintenant? C’ell bien ’dommage’
que vous n’ayezipas quelques années de plus , cela
pourroit prendre une certaine couleur.
L A v F a E u L E.Oh liqu’à cela ne tienne; papa n’a qu’à me faire
de quelques années plus âgée , certainement je ne.
le démentirai pas. . ’ ’L I s E T T E.
Attendez, il me vient une idée ;, je vais vousdonner quelques-unes de mes années , cela ferale compte de toutes deux, alors je ne ferai pas tropvieille , ni vans trop jeune.
L A F a sur. E.Juflement , cela nous arrangeroit à. merveilles.
L .1 s L’ . T T E.
Voici le domeflique de l’étranger , il faut queje’lui parle , le tout pour votre bien. LaiITez-moifeule avec lui . L . Retirez-vous , mademoifelle.
L A F a E ut L E.N’oublie pas l’âge, je t’en prie , entends-tu
Lifette? ( elle fort.) ’ .,
4’... LES’JUIF’S,
l SCÈNE xv.LISETTE,CHRÊTIEN.
LISETTE.APPAREMMENT que monfieur a faim 8c foif, puil-que le voilà de retour P
CHRÉTIEN.Oui vraiment, ainli que je vous l’ai expliqué:
faim 8c foif d’amour. Tenez , à-ne vous rien, cacher ,
des hier au loir, en delcendant de cheval, j’avoisjeté un certain coup d’œilifur vous , ma chèredemoifelle ; mais comme je penfois ne devoir relierque quelques heures dans ce château , j’ai cruque ce n’était pas la peine de faire connoilPancc.Qu’euflions -nous dit en li peu de temps? il auroitfallu prendre le roman par la queue.
L r s E T T E.Vous aviez raifon hier, mais à préfent nous pou-
vons procéder plus méthodiquement; vous pouvezme faire vos propofitions . je puis y répondre; jepuis vous expofer mes doutes . vous pouvez les-rréfoudre; vous pourrez, à chaque pas que nousferons, penfer, réfléchir. 8c moi de même; afin quenous n’achetions ni l’un ni l’autre chat en poche. Si
dès hier au loir vous m’eufliez fait votre déclara-tion. en vérité je l’eulle reçue avec grand plaifir;
mais, avant tout , encore faut-il le connaître 8clavoir quel cit votre état, quelslont vos biens ,votre patrie, vos elpérances , 8cc. 8CC.
.R
COMÉDIE. 43CHRÉTIEN. ’
Comment , tout cela cil nécelTaire l A quoi bontant de précautions P En le mariant onn’en pren-droit pas davantage.
LIsETTE.Four une pallade,rcela feroit fans doute inutile;
mais pour un engagement férieux , c’elt tout autrechofe. Alors les plus petits détails deviennen. im-portans. Ainfi,ne vous attendez à aucune complai-lance de ma part , fi vous ne fatisfaites pleinement
ma curiofité inquiète.C H a E T i E N.
Jufqu’où s’étend-elle donc?
LISETTE.Comme ordinairement on juge des maîtres par
les valets, je prétends premièrement favoir.......
CHRÉTIEN.Quel cil mon maître? Ah , ah, ah l Cela cil
plailant, vous me demandez la une chofe que jevous demanderois, ma belle demoifclle,’ fi jepouvois imaginer que vous le fumez.
LISETTE.Et vous efpe’rez efquiver ma queflion par cette
ridicule défaite : bref , il faut que je Tache quel citvotre maître. ou toute notre amitié cil évanouie.
ICHRETIEN.Je ne comtois mon maître que depuis un mois ,
c’elt à Hambourg qu’il m’a pris à lon’fcrvice; je
44’- LES JUIFS,l’aitaccompagné depuis Hambourg julqu’ici , maisjen’ai jamais pris la liberté de m’informer de [onnom, ni de’fon état. Une chofe certaine, c’eii qu’il.
cit riche: car ni lui ,ni moi n’avons jamais manquéde rien , Se je ne me fuis guère mis en peine d’enlavoir davantage.
LISETTE,.Que puis- je me promettre de votre amitié, fi
x e r n avous refufez de confier a ma dtfcretton une pareillebagatelle? jamais je n’agit-ois ainli avec vous . . . .Par exemple, voici une jolie tabatière d’or.
C. H R É T I E N.Elle cil, ma foi, tentante.
L I s E T T E.Pour peu que vous fuiliez curieux , je vous
dirois de qui elle me vient.
CHRÉTIEN.Cela m’elt fort égal: j’aimerois mieux lavoir
qui l’aura de vous, Lifette.
L I s E T T E.Je n’ai encore rien décidé fur ce point là : mais il
vous la manquez, vous n’aurez à vous en prendrequ’à vous-même : certainement je ne lainerois pasvotre franclrife fans récompenfe.
CHRÉTIEN.Dites plutôt mon indifCrétion; mais, foi d’homme
d’honneur, il je fuis difcret dans cette occafionc’ell malgré moi, car je veux mourir li’j’ai la
COMÉDIE. ’45moindre chofe à découvrir. Avec quel plailir nedirois - je pas mon lecret f1 j’en avois un. pourobtenir de votre belle main un pareil bijou l
LISETTE.En ce cas , adieu , monileur. Je ne veux pas
attaquer plus long-temps votre rare vertu. Je fou-haite feulement qu’elle puiife quelque jour vousprocurer une tabatière d’or 8c une jolie maîtrelfe ,aullî bien qu’elle vous en prive aujourd’hui.
(1H R É T I E N.Où allez-vous donc P patience. (ri part.) Je me
vois obligé de mentir, car il y a confcience delaillcr échappencetteoccafion; d’ailleurs un petitmenfonge ne peut faire un grandmal.
LIs-ETTE.Eh bien , vous décidez-vous P . . . Non , je vois
qu’il yens en coûte, . . . allons , . . . je ne veuxplus rien lavoir.
CHRÉTIEN.Revenez , vous fautez tout. (à part.).Ah i Qui
pourroit à préfent bien mentir! . . .-Ecoutez, made-moifelle,. . . mon maître cil. . . cil de condition, . . .nous venons enfemble. . .de. .. de Hollande, . . . ila été obligé . . . à caule de certains défagrémens , . . .
une misère, . . . à calife d’un alfailinat, . . . de le
fauver:. . .
L I s a T T E.Un allailinat! . . . quellemisèrel
46 LES-jUIFS,CHRÉTIEN.
Oh l c’ell un alfaflinat honnête. . . un duel recordéde témoins ; 8c aéluellement mon maître fuit.
L I s E T T E.Et vous , mon ami?
C H R É T I E N.Et moi auffr , je fuis en fuite. Le défunt . . . je
veux dire les parens du défunt, nous ont fait fuivre;8c à caufe de cette pourfuite: . . . à préfent vouspouvez deviner le relle . . . Que diantre voulez-vous aulli qu’on faffeP confidérez vous-même, un
petit aigrefin nous infulte , mon maître lui pallefon épée au travers du corps. Cela va de fuiter. . .Si quelqu’un m’infulte j’en ufe de même , ou je
l’alfomme ;’ car un brave garçon ne peut pas enagir autrement.
LISETTE.Cela eft bien. J’aime les gens braves , je ne fuis
pas endurante non plus ,moi. Mais chut, voici votremaître. Le prendroit-on pour un tueur d’hommes ,en voyant fa mine fr douce P
CHRÉTIEN.Venez, retirons-nous ; car il pourroit foupgonner
que je le trahis.
L I s r. T T e.Je le veux bien.
C H R ÉT I E N.Et la tabatière d’or?
C 0 M E D I E. 47L I s E T T E.
Venez, toujours. (à part.) Je veux d’abord voirce que mon maître me donnera pour maldécouverte;fi cela vaut mieux que la boîte , je la donnerai.
(ils fartent. ) ’ i îSCÈNE xv’I.
LE VOYAGEUR feul.MA boîte me manque lc’ell une bagatelle ; néan-
moins , je fuis fenfible à cette perte. Le receveurm’auroit-il P . . . Pourquoi? . . . je puis l’avoirperdue : . . . Je puis, par inadvertance , l’avoirfait fauter hors de ma poche:. . . . Il ne fautoffenfer performe, même par un foupçon: . . . .Cependant ,il m’a prelfé d’une manière fi étrange t
Il étendoit la main vers ma montre : . . . . Je l’aifurpris ’faifant ce mouvement, . . . 8c il parloitde la chofe en maître de l’art: . . . Il pourroit bienl’avoir exercé fur ma tabatière fans que je m’enfull’e apperçu.
s C È N E x V .1 I.
MARTIN, LE VOYAGEUR.M A R T l N , en appartenant le Voyageur , mut
je retirer.
Je cherche par-tout cette friponne de Lifette,86 ne puis la rencontrer. Hem, (dlmrt. ) Hem!
4s LES JUIFS,je croyois ce chien ’d’homme-là parti , fes chevauxétoient fellés ; qui .diablell’a donc retenu P
LE VOYAGEUR.Approcher. , mon ami. (à part.) Il ell embarrailé
comme s’il devinoit ma penfée. . . . . . (haut. )Approchez donc. h
M A (R T I N avec humeur.Je n’ai pas le temps ’; fans doute que vous
voulez encore caufer avec moi, mais j’ai quelquechofe de mieux à faire ; je ne fuis pas curieuxd’entendre dix fois vos aaio’ns héroïques , racontez-
les à ceuxhqui ne les favent pas.
L E ’Vpolv AC E U R.Qu’entends -je ! ( à part. ) Tantôt li fimple , fi
naïf, li poli ; aéiuellement fi impudent 8c. li groiiier!
(haut.) Quel cit donc votre vrai mafque?
M A R T I N.0h, oh! qui diable vous a fait naître l’idée de
î me prendre-pour un mafque? Je ne veux pas mequereller avec vous; fans quoi . . . (il veut fouir.)
LE VOYAGEUR.(à part.) Son impertinence fortifie mon foupçon.
( il retient le receveur. ) Non, non, j’ai quelque chofede conféquence à vous dire.
M A R T I N.Et je n’y répondrai pas , de quelqu’importance
que cela puilfe être ;., ainfi, épargnez-mus la peine
de me queflionner. - ’Mon
wMîisE’nua
tu
COMÉDIE. 49’L E V O v A G E U R.
( haut. ) Je vais le rifquer. ( à part. ) Je feroispourtapt inconfolable fi je le foupçonnois à tort.Mon ami, n’avez-vous pas vu ma tabatière , elle
me manque? l .’ M A R T I N.Quelle cil cette quellion P Efl-cema faute li on
vous l’a volée? . . . . . Me prenez-vous pour levoleur , ou pour le receleur?
L E V o v A G E U R.Qui vous parle de voleur? Vous vous trahilfez
vous -même , ou du moins votre ton me donne àpenfer que . . .
M A R T I N.Je me trahis moi-même! Ainli, vous lpenfez que
j’ai votre tabatière. Savez-vous, monlieur, dequelle conféquence il cil d’accufer ainli un galanthomme P le lavez-vous P
LÀE VOYAGEUR.Pourquoi criez-vous fr fort P Je ne vous ai encore
acculé de rien; vous êtes vous-même votre accu-fateur; de plus , je ne faisfi j’aurois grand tort PwQui ai-je attrapé tantôt fr près de ’ma montre P .
M A R T I N. 4Oh! vous êtes un homme avec lequel il n’y a pasmoyen de rifquer une plaifanterie? (à part.) Pourvu tqu’il ne l’ait pas vu chez Lifette....... Cette filleauroit-elle été allez folle pour en faire parade?
L E V o v A G E U R.Je comprends que par plaifanterie , vous m’avez
efcamoté ma boîte g celle.ci cil du genre féricux,
D
59 LES j Un E5,8c à. ces petits jeux la (réputation court :de grandsrifques : car , à fuppofer même que je paille: meperfuader que votre intention ne fût pas de garderma tabatière, les autres..... v
M A R T I ,N.Les autres . les autres.... feroient déjà excédés de
’s’enteIIdre faire de tels reproches ; cependant, f1 vouspenfez que je l’aye, fouillez -’ moi ,’ vilitez mes poches.
"LE VOYAGEUR.Cela ne me convient pas; d’ailleurs on ne porte
pas tout dans les poches. I 4 FM "A R TgIN.
Pour vous convaincre que je fuis un honnêtehomme , je veux vous les tourner 8c retourner;(à part.) ce feroit bien le diable li elle alloit s’yretrouver.
La VOYAGEUR.Oh Îl ne prenez pas tant de peine.
c ’ . M A R T 1 N. ’Non, non : il faut que vous voyiez; que vous
fuyiez convaincu. (il tourne [a poche.) Eh bien, yj ,a.t,-il’1à une tabatière? Des mies de pain, 8c c’ell
j tout. (il en retourne une autre.) Ici, rien non plus quequelques feuilles de l’almanach des mules; j’aimeles vers , moi. Voici la troiiième. (en tournant cellesci,deux fortes étirées poflt’chcs tombent à terre.) Qui diantre
tombe là P (il veut les moufler bien vite, mais le Voya-geur le prévient à curetage une.) 1
il
. .. cm.xn»nwm«wæw...w» a.
COMÉDIE. 5..LI: VOYAGEURn
Qu’ell-ce que cela lignifie?
M A R T I N.(A part.) Mille diables ! Je croyois avoir jeté
cette faloperie il y a long-temps.
LE VOYAGEUR.N’ell-ce pas une barbe? (il la met rifon menton. )
N’ai-je pas ainli l’air d’un juif P
M A R T I N.il Donnez , donnez; qui fait ce que vous penfez
encore? Elle me fert à effrayer mon petit garçon,c’elt le feul triage que j’en aye fait.
LE VOYAGEUR.Irlvous aurez .laAbonté (de me la laill’er; je veux.
aulii l’employer à effrayer quelqu’un.
M A .R T I N.Hé! ne flairantez Pas 2 je veux la ravoir.,(:’l
veut la lui arracher. ) - »LE VOYA’GEvR.
Allez’OCDCOÜQ Il - n ... l M? A R T I N.
(A part.) A préfent je n’ai. qu’à voir où la maillon
a une ouverture. (haut) C’ell bon, c’en; bon : je levois, vous êtes venu ici pour mon malheur. Maisle diable m’emporte. je fuis un honnête homme, 8c
je vendrois voir celui qui pourroit dire du mal demoi. Faites -y attention , monlieur g arrive ce qui
D9
52 LES JUIFsvoudra, je puis faire ferment que. je n’ai pas faitun mauvais ufage de cette barbe. (t’lvlbr’t.)
SCÈNE XVIILLE VOYAGEURfin
C ET homme me conduit, de foupçons en foupeçons , jufqu’à d’étranges conjeélures ! je fuis bien
trompé s’il n’ell pas un de ces coquins .mafqués? .
Mais allons doucement fur des conjeélures. p
SCÈNE XIX.LE BARON.LEVOYAGEURa
LE VOYAGEUR.C amarrez-vous que dans la mêlée d’hier au loir
j’en ffe arraché à l’un de vos voleurs fa barbe roufle?(il lui montre la barbe pqflz’clze.)
L E. B A R ov N. vLes fcélérats! Mais pourquoi m’avez-vous quitté
fr vite au jardin?
LE VOYAGEUR.’g Exeufez mon impolitelfe, j’allois y retordrner;
j’étois venu chercher ma tabatière , [que je crois avoir .
perdue en cet endroit.
COMÉDIE.LE BARON.
En(au
Vous auriez perdu quelque chofe chez moi! vousme faites la. plus grande peine.
LE VOYAGEUR.La perte n’ell pas bien grande. . . Mais , monfieur,
regardez , je vous prie. cette terrible barbe.
LE’BARON.Vous me l’avez déjà montrée : il faut que vous
ayez quelque raifon pour me la montrer encore.
LEVOYAGEUR.Je vais me faire entendre plus. clairement. Je
crois.... (épart. ) non.... Etouffons nos foupçons.
LE BARON.Vos foupçons t De grace, çxpliquez-vous,
monlieur. ’LE VOYlAGEUR.U Non..... Je pourrois me tromper.
h L E B A R o N.[Vous m’inquiétez: parlez, je vous. en conjure.
LE VOYAGEUR.Que penfez-vous de votre receveur?
LE BARON.. Non, non : de grâce ne changeons point de dif-
cours. Je vous conjure par vos propres bienfaitsde me découvrir ce que vous croyez, ce que vouspréfumez; en quoi 8c fur qui vous craindriez de
vous tromper? ’DE;
54 Les J U IFS,L a; Viola! iA a vs u a.
’ i Eh bien ! répondez la ma queffion fur votre
receveur. Ç ’ iL E B A R b N.Ce que je penfe de mon receveur? je le regarde
comme un homme honnête autant que loyal, 8c jetne vois pas le rapport. . . . .
L E V 0 v A o E v a.Dans ce cas, oubliez que j’aye voulu dire quelque
chofe. ’L r: B A a o ’ N.Une barbe, des foupçons ’, mon receveur! com-
ment accorder toutes ces choies? Ma prière ne peutdonc rien fur vous ? Eh! quand vous vous ferieztrompé, où e11 le danger. monfieur, de vous ex.
pliquer avec moi? * v -LE VOYAGEUR.
Vous m’y forcez enfin : je vous dirai donc ,monfieur , que votre receveur vient de lamer tom-ber cette barbe de l’une de fes poches , en les re-tournant. avec aifeé’tation pour me convaincre quema tabatière n’y étoit pas. Cette barbe étoit accom-pagnée d’une autre qu’il a ramaITée 8c rellerrée bien
promptement. Ses difcours étoient ceux d’un hommemoins touché qu’efl’rayé du mal que l’on penfe de
. lui; fa phylionomie 8c fa contenance déceloientdes craintes très - propres à le faire foupçonnerd’avoir fait quelque mauvais coup. A l’égard de ma
tabatière, quoiqu’elle ne Te foit pas trouvée dansfes poches , je l’ai furpris, ce matin. faifant autour
.C"Oï M. D 1115;: 55"des miennes certains tours d’efcamotage , accom-pagnés de pr0pos, qui , maintenant que j’y penfe,me le rendent très- fufpeél.
L a B A a o N.i Il’femble que mes yeux le deflîllent ; vos
foupçons ne font que trop fondés : 8c vous hélitiezà me les communiquer! je vais à l’inflant mettretout en ufage’ pour découvrir la vérité. Seroit-il
pofIible que ma propre maifon renfermât mes
alfaflins? g ’ .4 p jL a V o r A o a u a.
Vous ne. m’en voudrez pas,monfieur, fi, commeje le fouhaite, mes foupçons le trOuvent fans l’on,-dement; vous m’en avez arraché l’aveu.tfans celaje les aurois étouffés trèsucertainement.
L a B A a o’ N. - jQu’ils fuient fondés ou non, je vous ferai toujours
fort obligé de votre complaifance. (il fort.)
se ÈNE ’xx
LE VOYAGEUR [au].Pouavurqu’il ne précipite rien; car, quelquesfortes que foient les apparences , il le pourroit en«core que le receveur’fût innocent. . . . . Je fuis touttroublé. . . . Ennvérité, ce. n’efi pas peu de chofeque d’infpirer de la méfiance à un maître contre les
domefiiques; car, quand même il les trouveroit- innocens g la confiance en eux cit toujours altérée...
D4
56 L E S J U I F S,je crois maintenant, plus j’y fouge . que j’auraisdû me taire. Ne me [appuiera-bon pas des vuesintérellées , ou quelque defir de vengeance , ioniquel’on fauta quela perte de ma boite CR la caufe pre-v
mière de tout ceci? le donnerois beaucoupfli jepouvois encore prevemncettc enquête.
s c E N E x x I,CHRÉTIEN, LE VOYAGEUR)
C H a a Tl a N arrive en. me).
HA , ha, ha! Savez-vous , mouflent. qui vousêtes?
LE VOYAGEUR.Savez-vous que vous êtes un fat? Que. me
voulez-vous ’1’
CHRÉTIEN.Bon, puifque vous ne le favez pas, je vais vous
l’apprendre. Vous êtes un homme de condition .vous venez d’Hollande; vous y avez eu une affaired’honneur; vous vous y êtes battu; 8c vous avez aule bonheur de tuer votre adverfaire. Les parens dumort vous! ont vivement pourfuivi; vous avez prisla fuite; moi; monfieur , j’ai l’honneur de vousaècompagner dans cette fuite. j ’ ’ ’
L.E’Vorac,Eun.’- Rêvezwous . ou. fi vous êtes fou P
COMÉDIE; 57.CHRÉTIEN.
Ni l’un . ni l’autre: car pour un fou mes parolesferoient tr0p [enfée5. 8cltrop folles pour un reveur.
me. VOYAGEUR.Qui vous infpire donc ces fottiles
C n a a T 1 a N.Grand - merci pour l’infpirè. Mais convenez,
monfieur, que tout cela cit délicieufement bien ima-çginé. Dans le peu de temps qu’on m’a laiilé pour
arranger cette menterie, il étoit difficile de la mieuxtourner. Enfin , vaille que vaille, vous voilà débar-rafi’é de toute importunité ultérieure.
L a V o Y A c a u a.Que lignifie tout ce bavardage?
C la a a T I a N.Tout ce qu’il vous plaira, laill’ez-moi le foin du
relle :iécout’ez feulement. monfieur. comment celas’elt fait. On m’a quefiionné fur vos nom , furnom,
qualité , patrie 8c occupations. Je me fuis fait prierlong-temps ; j’ai d’abord ditj ce que j’en lavois .c’efbàodire, que je n’en lavois rien. On n’a pas voulu .
croire cette vérité, 8c cela n’était pas tout à fait
déraifonnable; il en faut convenir. On m’a perlé-cuté , prelÏé , le tout en vain ; je fuis relié lourd8c muet ; mais un bijou de prix qu’on a fait brillerà mes foibles yeux m’a délié la langue , ou plutôtm’a Ouvert l’imagination. On ne vouloit point abfo-ë
lament me croire lor’fque je difois la vérité , j’ai
imaginé ce menfonge il: on l’a cru : cit-ce ma faute
à moi’? - » ’ l *
58 DE S’ J U IF ’S,
LE Voraceùa.» Coquin l je fuis en bonnes mains , à ce que je.vois.
CHRÉTIEN.S’il n’y a rien de vrai dans ma hélion; au moins
ne faitnelle tort ni injure à performe.
L a V o r A c. a u a.t Infamc menteur ! vous me jettez dans ’un
o o n d’Oùe a a e ’ ’ k I n.C a au r: En.
. D’où vous pourrez fortir.fur..le champ quine vaut pas les gracieufes épithètes dont vous allai-I
formez vos reprochesq h j ’ .Q
LE VOYAGEUR...Vous m’obligez , par-là , de me faire connoître.
G une Tl! a N.g’ Eh ! tant mieux. je profiterai de lascirconflanc’e:
pour’favoir à qui j’ai l’honneur d’appartenir. Jugez
vous-même, monfieur, li je devois me faire ungrand cas de confcience d’un petit ’menfonge inno-
cent , qui m’a valu , (il tire la boîte.) regardezcette boite. Pouvoisçjesla gagner à meilleur marché?
. 7’ a;jLE’fiVo’vacaua. r.Montrez-’13. mati ’( il là prend. )’ Que vois-je!
C H a É. T 1’ a N.
Ha , ha . ha : je lavois bien que vous (ne metrouveriez: plus fi coupable en voyant cebijou. Debonne. foi ,vmonfieur, ne-mentiriez-VOust pas aulliun petits, pour en gagnerlun pareil. . . .
i
c o M Ë D I E. 5gLE VOYAGEUR;
Coquin , vous avez volé cette boîte.
C H a a T1 a N.Comment ! monfieur --- ? Volé. . . . .
LE VOYAGEUR.Cette tabatière cil à moi..... J’étais peu touché
de la perte; mais je fuis défolé de l’affreux foupçon
que j’ai formé contre un homme innocent. . . A. .’ .
Et vous êtes allez hardi pour me foutcnir que cetteboîte vous a été donnée en préfent P Allez.- . .. . . .
Sortez de ma préfence. arCHaÉTIEN.
Rêvez-vous , monfieur? Le refpeél m’empêche
d’employer un autre terme. La cupiditércependant
ne peut pas vous porter à pareille extravagance.Cette boîte peut être à. vous; mais fi je vaus Pavoisvolée , je ferois un grand benêt d’en faire parade àvos yeux.... Heureufement voici Lifette qui m’aidera
à vous détromper. 5 ’
SCÈNEXXII.LISETTE, LE VOYAGEUR, CHRÉTIEN.
LISETTE.On l mon cher monfieur, quel trouble affreux’vous’excitez chez nous l Que vous adonc fait nôtre
receveur P Vous avez rendu notre maître furieux
60 L E S J U I F S,contre lui; on parle de barbes , de boîtes. de vol ;le receveur pleure , protelle qu’il cil innocent, Seque vous n’avez pas dit la vérité. Monfieur le Baronne peut être appail’é ; il vient d’envoyer à l’inflant
chercher la judice , pour faire mettre le receveur. auxfers. Que veut donc dire tout cela?
CHRÉTIEN.0h, ce n’efl pas là tout; écoutez aulli ce dont
Monfieur m’accufe.
LE VOYAGEUR.Oui vraiment , ma chère Lifette , je me fuis
livré à une cruelle prévention. Le receveur cilinnocent ; ce malheureux domeliique m’a feul
plongé dans cet affreux embarras. C’efl lui qui m’avolé ma boîte , 8c qui m’a fait foupçonner le rece-
veur ; la barbe polliche pouvoit n’être, en effet ,qu’un jouet d’enfant, ainli qu’il me l’a dit . . . Je
vais, je vole pour lui faire réparation; .. . je veuxavouer mon erreur , je veux lui donner en dédom-magement tout ce qu’il demandera.
CH’RÉTIEN.
Non, non. Reliez. monfieur, il faut commencerpar moi . . . mais parlez donc , mademoifelle Lifette ,vgc dites comment la chulo s’efl faite. Dois -je pafFerpour un voleur, parce que vous m’avez donné uneboîte?
LISEI)TE.rVraiment non. Je.v0us l’ai donnée,’8e elle cil
bien à vous. ’ -x
c O M E D r E. a.LE VovAeEURÏ
Il ne m’en a donc point impofé P vous lui avezdonné cette boîte? mais elle ell à moi, 8e ce matinencore. . . .
. L x s E T T E.Elle cil à vous , monfieur? c’efl ce que j’ignorois-Ï
parfaitement. ’L E V o v A e E U R.Vous l’avez donc trouvée, mademoifelle Lifette?
8c mon étourderie feule caufe tous ces embarras.(à. Chrétien.) Je t’ai aufii offenfé , pardonne - moi ,
je rougis de ma cruelle précipitation.
L I s E T T E.je commence à débrouiller tout ceci.
LE: VOYAGEUR.Allons, il faut tout réparer, venez.
’SCÈNEAXXIII.LE BARON, LE VOYAGEUR, LISET’TE
CHRÉTIENï
L E i B A R o N arrive préczjbilamment.
LrsETTE , rendez à l’inflant à monlieur la’boîte
que le receveur vous a donnée, tout cil; découvert;il a tout avoué. Comment n’as l- tu pas rougi d’ac-
cepter ce préfent d’un pareil garnement! Où en-
elle, cette boîte? ’ a I l
sa: LEs’JUIr-s.La. VOYAGEUR...
Je nem’étois. donc pas trompé P a.
L i s E T T E.Il y a long-temps qu’elle en rendue. Peur moi ,
j’ai cruequ’un homme qui avoit’l’h’onne’ur de vous
appartenir , pouvoit me faire un préfent ; ”8c je ne
connoilfois pas mieux que vous , Monfieur , cedOnneur de tabatières. i ’
CHRÉTIEN.Allons , .voilà mon préfent au diable. Ce qui j
vient du fifre , retourne au tambour.
. ,- .. xLE BARON.Tr0p précieux ami! Vous qui, deux fois dans le
même jour m’avez fauvé des plus grands dan-gers : comment pourrai- je reconnaître de pareilsfervices? je vous dois la vie ; jamais fans vous jen’eufle découvert des piégés voilins de moi. MonBailli , queje croyois le plus honnête de mes fer-viteurs , cil fort complice. jamais je n’euiI’e démêlé
une pareille” intrigue ; 78cl il vous fumez parti au;
jourd’hui . . . " ” VbLE kVOYlAcEUR.
Il eft’vrai , fans les fages ’m’efures quejvous’venezî
de prendre , l’aventure d’hier n’eût point été éclaircie ;’
8e je ferois parti avec le regret de nevous avoirrendu qu’unfervice imparfait , .puifqu’après vous
avoir. heureufement. lecouru. , il auroit pu vousrelier des inquiétudes dont vous voilà délivré.
o Datant-Et 63je E B A R-VO au!j’admire votre rare. humanité. 86 votre générolité
fans exemple. Ah p! que ne donnerois-je pas , pourque le rapport de Lifette fût véritable l
"s o x XIv’; 4La RE ULE, les précédens.
LI s E T T E.POURQUOI ce rappOrt ne feroit-"il pas vraii’Jevous répète qu’il;ell«, gentil-homme , 8cuqu’cn ce mo-
ment il cil malheureux 8c perfécuté. l
L EBgARONL .’ ’ Viens , ma fille joins ta prière’â la mienne, offre
amen libérateur’ta main 8c ma fortune ; ma recon-noili’ance ne peut lui offrir rien de plus précieux quetoi. Ne foyez pas étonné que je vous faire une, pareille
pr0pofition. Verre domeflique nous, a découvertvotre état-8e vos aventures; ne iri’enlevez. pas l’inef-
timable bonheur de ’m’acquitter envers vous.;Mafortune cit confidérable ma naiil’an.ce répond à lavôtre. Ici vous êtes "à l’abri defvo’s’ perfécuteurs ,
3e vous vivrez avec des amis vous; adorer-Ont.Mais vous-.devenezqrêveur !, quqz’doisfjeî penfer P
. LA FREULÊ9;.;.-g,ïCraindriez-vous par hazard de ne pas"me plaire?
Oh , ,je vous alluré que’j’obéirai’à’inon papa avec
grand plaifir. il ’ 2’ 1 Î 5.-, :’ 25;. ’:
,l,.» , Mg;
.,..H. 01.. .ho. a-.- ...r.... ..
64 LESJUIFS,La VOYAGEUR.
Votre magnanimité me ravit ; la magnificence devos offres me fait fentir combien votre reconnoif-fance furpail’e le fervice que je vous ai rendu"; maisque dois-je vous répondre? mon domeflique n’apas dit la vérité , 8c moi. . . .
LE BARON.Plût au ciel que votre état fût moindre que le
mien , ma gratitude en acquerroit un plus grandprix; 8c vous feriez peut-être un peu moins éloigné
de Vous rendre à ma prière. . ’LE VOYAGEUR.
(à part. ) Je. ne puis me difpenfer de me faireconnaître . . . .r(haut.) Monfieur . la noblelI’e de votreprocédé me pénètre l’ame , mais le fort n’a pas
voulu que votre olfre pût m’être utile. Je fuis. . . .
L E B A a o N.
Marié? V p ,LE VOYA-GEUR., Non. A ’p p r. E B A Rio N.Eh quoi?
L’E’ V o YA ce!) R.”’i*
Je fuis juif. l Il ’LE LB A au a.
Il cil juif l Fatal contre-temps iCHRÉTIEN.’
COMÉDIE. 65CHRÉTIEN.
IlellJuif!L r s E T T E.
. n ce juif!’ L A F R E U L E.
Eh! qu’eil-ce que cela fait?
L r s E T T E.Chut , Freule , chut l On vous dira tantôt ce que
Cela fait. ,L E B A R o N.Il y a donc des cas où le ciel lui-même nous
empêche d’être reconnoill’ans l
LE VOYAGEUR.Vous l’êtes fuliifamment , par cela même que
vous craignez de ne pas l’être allez.
’ U L E B A R o N.’Au meins veux -je faire autant que le fort me
permet. Acceptez ma fortune , j’aime mieux êtrepauvre 8c reconneifl’ant , que de vivre riche 8cingrat.
Mn...» M .
LE VOYAGEUR.Cette Offre cit iuperflue , car le Dieu de mes
5 pères m’a donné plus qu’il ne me faut. Pour toute
erécompenfe, je ne délire autre chofe de vous ,amonfieur , fi non que vous parliez déformais dema nation en termes plus mefurés. Je, ne me fuispas caChé de vous au caufe de ma religion; maissen-remarquant que vous aviez autant d’inclinationpour moi-en particulier, que Ivette aviez d’averlion
El
. . sæg;;,««.m.pammnq. ......»................m
-W.vx.mmf.manraw La. . . .A
ne»
66 LESJUIFS,pour mes femblables , j’ai cru digne de vous lede moi de me fervir de l’amitié que j’avois lebonheur de vous infpirer, pour détruire dans l’ef-prit d’un homme tel que vous , des préjugés trOpinjullement établis contre ma nation.
’ L E B A a o N.Je rougis de mon procédé.
C H R E T 1 E N.Comment , monileur, vous n’êtes qu’un juif, le
vous avez en la témérité de prendre un honnêtechrétien à votre fervice? ,C’ell moi que vous auriez
p dû fervir fuivant le texte de la bible. Million d’étoiles,
vous avez offenfé en moi toute la chrétienté. Ahc’ell doue-pour cela que,pendant tout le voyage,monfieur n’a pas voulu manger du porc , 8c qu’ilfaifoit mille lingeries auxquelles je ne concevois -rien. Ne croyez pas que je vous ferve plus long-temps , bien lôin de cela, je vais perter ma plainteen juflice.
LE ,VOYMAOEÊUR.Je ne [aurois exiger que vous penfiez mieux que ,
le relie de la populace. Je veux bien’ne pas vous rrappellerJ de quel état! de détrefl’e je vous ai tiré à
Hambourg. Je nevous forcerai pas de relier plus” long-temps avec moi; (cependantvcomme jejuis
paflablement content de, vos fervices , 8c que je vousai d’ailleurs faulI’ement foupçonné , prenez cette-bol te
pour réparatiOn de l’injure queje vous ai faite. Voicivos gages. (il lui donnerunc 60:11:12.) Maintenant vous
irez où voushvoudre’z. A ’ * ’.r..
Interquxz-im. , mac A.
f-quvnnu’x
mauve-«m’avez, f’.’ r-
, .
oosIEDIE. m’CHRÉTIEN;
Non, parbleu , non. Il y’a donc des juifs qui nefont pas juifs l Vous êtes un honnête homme , jene vous quitterai jamais. Il faut en cOnvcnir , il ya tel chrétien qui, en pareille occafiOn, m’eût caffé
bras 8e jambes , 84 qui certes ne m’eût donné ni
tabatière, ni pilloles! ’LE BARON.
Tout ce que je vois de vous ,’ monfieur , meravit d’admiration. Venez , nous prendrons desmefures pour que les coupables foient punis. Oh ,combien les juifs feroient ellimables . f1 tons vousrcffembloient l
LE VO’Y A c E" U R.. Et combien (le feroient les chrétiens , s’ils étoient
tous aufli julies’. 8c aufli généreux, que. vous ,monficur! ( le Baron , Infime]: à le Voyageurforlc’nt.)
s C E N E Il X x V a dernière.
LISETTE,GHRETIEN
AL rs E T T E.
AINSI vous m’aviez donc menti, mon (bonmoulicurChrétien. 7’ p ’ ’ ’
V C H R E T I E. N. i. Oui , ma bonne mademoifellervLifette, 8c cela pour
deux raifOIIS:;- 19a parce que je ne lavois pas la
E 2
se; LE s J UI’If si e O ME D I E. lvérité; 2°. parce que pour une tabatière qu’il fautrendre, en ne l’aurait dire grande Vérité, ,
’LISE’TTEin
, .Vou’sne ferez pas mal , en effet, de fuivre votremouvelle damnée; vous avez des difpofitians: vouslavez. déjà. mentir paifablement. aufii n’êtes -vau’sÏ
encore qu’un demi-juif g mais bientôt. vous lierez
auiii adroit de la main que de la langue: 8c alors...
C H R E T I E N.Halte-là: fi l’exemple de mon maître ne vous a
j pas guérie de vos préventions , j’en conclus quevous êtes incurable... Mais tenez, fans rancune ,car il n’ait pas’bien fûr que vous piauliez toutrcequé vous’tditçsu Nous avons deux maladies .vous celle de parler. 8c mai celle de boire, qui (ontencore plus incurables, je craie , que nos préjugés.
(il-la prend fous le bras à il: firtmtg , ’ l l
A P’ P’RÜO B A. T1 0 N.
J’AI la , par Ordre (de Mohfèigneurrlle Garde desSceaux , une Comédie traduite del’Allemand, inti-tulée les fait: 8c’n’y ai rien trouvé qui doive en .
empêcher ’l’impreliian. A Paris, ce 29 Juin 1781.
r - ’ ’ ,, LSigné,,GuraI.- .la ’i,